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études mongoles & sibériennes

centrasiatiques & tibétaines

D’une anthropologie du chamanisme


vers une anthropologie du croire
Hommage à l’œuvre de Roberte Hamayon

Sous la direction de Katia BUFFETRILLE, Jean-Luc LAMBERT, Nathalie LUCA et Anne de SALES

C e nt r e d’Ét u d e s Mongole s & Sib é r ie n ne s - É c ole P r at iq ue d e s H aut e s Ét u d e s


Sommaire

D’une anthropologie du chamanisme


vers une anthropologie du croire.
Hommage à l’œuvre de Roberte Hamayon

Introduction ........................................................................................................ 13
Bibliographie de Roberte Hamayon . ..................................................... 23

Première Partie

Regards sur le chamanisme

m i c ha e l o p p i t z
Naissance rituelle d’un chamane magar (Népal)...................................................... 45
andr É m ar y
Chamanisme africain et Bwiti New Age................................................................... 47
j e an - l u c la m b e r t
Sans tambour ni costume. Du chamanisme ob-ougrien au chamane......................... 65
g r É g o r y d e la p la c e e t c ar o l i n e h u m p hr e y
Qu’y a-t-il de nouveau dans le « néo-chamanisme » ? Assemblages et identités flottantes à
Ulaanbaatar............................................................................................................ 87
j e an - p i e rr e c ha u m e i l
Une façon d’agir dans le monde. Le chamanisme amazonien.................................. 109
ann e - v i c t o i r e c harr i n
Chamanisme et écrivains de Sibérie, un imaginaire réel......................................... 135
t h i e rr y z ar c o n e
Le chamanisme islamisé au Xinjiang. État de la recherche, témoignages écrits
et visuels.................................................................................................................147
b e rnard salad i n d ’ an g l u r e
À l’ombre de Marcel Mauss, le chamanisme malgré nous........................................ 165
c harl e s s t é p an o f f
Chanceux et héritiers. Deux compréhensions de la compétence en Sibérie...............181

Deuxième Partie

Animaux, chamanes et surnature

j e an - p i e rr e d i g ard
Les animaux peuvent-ils nous apprendre quelque chose des sociétés orientales ?
Contribution à une critique de l’orientalisme......................................................... 199
dan i È l e d e h o u v e
Cerf, maïs et maguey au Mexique......................................................................... 215
f rédér i c la u g rand e t jar i c h o o s t e n
La préfiguration, une clé pour comprendre le rôle du chamanisme dans la chasse à la
baleine (Arctique de l’Est canadien)........................................................................ 235
al e x andra la v r i ll i e r
Du goût du gibier aux jeux des esprits. Ou comment s’articulent les notions de jeux,
d’action rituelle et d’individu................................................................................. 261
sandr i n e r u hl m ann
Quand les âmes errantes des morts se déplacent accrochées aux poils et aux plumes des
animaux sauvages. La vie post mortem des âmes en Mongolie contemporaine...... 283
i sa b e ll e b i an q u i s , f ran ç o i s e a u b i n , s e d e nja v d u la m
Le chien et la bru, deux êtres liminaires en Mongolie............................................. 303
é m i l i e m aj
Le cheval dans les épopées à héroïnes. La plus belle conquête de la femme
iakoute................................................................................................................. 323
ping-tsung li
Le concept d’« âme externe » chez les peuples de l’Asie du Nord............................. 339
Pi-chen liu
Chasse aux têtes, chasse aux cerfs. Échange de vie et fertilité de l’homme chez les
Kavalan de Taiwan............................................................................................... 359
g u i lh e m o l i v i e r
Pratiques divinatoires, rêves et talismans de chasse en Mésoamérique.................. 379

4
Troisième partie

La fabrication du croire et du faire croire

maurice godelier
L’Impossible est possible. Réflexions sur les racines et les formes du croire et des
croyances.............................................................................................................. 411
m ar i a p i a d i b e lla
La chance, entre vertu et destin.............................................................................437
b É n É d i c t e b ra c d e la p e rr i È r e
La nuit de l’énergie birmane. Ou la transmutation des simples en remèdes
souverains............................................................................................................. 451
ann e d e sal e s
Les Maoïstes et les chamanes : balles de fusil, grêle et préjugés.............................. 465
p a t r i c k p la t t e t , v i r g i n i e v a t É , t h i e rr y w e ndl i n g
La prise du don. Jeux rituels et prix dans le Nord-Est sibérien........................... 483
ks e n i a p i m e n o v a
Attirer les faveurs, apaiser la colère. Les deux visages de l’esprit-maître du lieu dans la
tradition orale et la pratique rituelle touva............................................................515
g a ë ll e la c a z e
La fabrique du corps, cuire la chair et souder les os............................................... 539
ann e m ar i e l o s o n c z y e t s i l v i a m e s t u r i n i c a p p o
Incertitudes et malentendu dans la construction de l’interaction rituelle. Réinventions
chamaniques entre Amazonie et Europe................................................................ 559
c hr i s t i an c u las
Éléments d’épistémologie de l’étude de la croyance : dire c’est faire,
faire c’est croire ?................................................................................................. 575
g r É g o i r e s c hl e m m e r
Les « guérisseurs » guérissent-ils ou : pourquoi diviniser ?...................................... 591
na t hal i e l u c a
L’effort d’y croire.................................................................................................. 603

5
Quatrième partie

Variations tibétaines et d’Asie centrale

dan y sa v e ll y
Sous les yeux d’Occident. L’expédition Roerich (1925-1928) vue par les autorités
britanniques......................................................................................................... 623
ann e d u c l o u x
Quand le corps des femmes exprime la douleur du corps social à Samarcande. Pour une
anthropologie des émotions dans une cité d’Asie centrale....................................... 651
f rédér i c lé o t ar e t s e y d i n ä m i rlan
Les conceptions syncrétiques de l’au-delà chez les Karakalpaks de Boukhara. Du
nourrisson-Aquday à l’enfant-bala....................................................................... 673
i sa b e ll e c harl e u x
Le Bouddha qui levait les yeux au ciel. Note d’iconographie bouddhique............... 693
kla u s sa g as t e r
A fortune-teller in Baltistan (Western Tibet)......................................................... 713
S a m t e n G . kar m a y
Le dieu bourdon qui dompte le Petit sri.................................................................. 721
ka t i a b u f f e t r i ll e
Un mariage tibétain en images.............................................................................. 733

Affiliations des auteurs . ............................................................................ 749


Sommaires EMSCAT ..................................................................................... 753

6
Guilhem Olivier

Pratiques divinatoires, rêves et talismans de chasse


en Mésoamérique

« La vision du monde du chasseur se présente comme conditionnée


par la donnée empirique qu’est le caractère imprévisible de l’apparition
du gibier, et la pensée chamanique s’interprète comme la création de
moyens symboliques pour agir sur cet aléa » (Hamayon 1990, p. 26). De
ce fait, Roberte Hamayon considère que la caractéristique principale
du chamanisme sibérien consiste en la « gestion de l’aléatoire », d’où
l’importance capitale de la recherche de « chance » dans ce contexte.
Cela étant, les chasseurs sibériens, loin d’attendre de façon passive
l’obtention et la permanence de la chance, s’efforcent de la susciter de
différentes manières par une attitude volontaire. Ainsi, à propos du
procédé divinatoire qui consiste à lancer un objet de sorte qu’il tombe
du « bon côté » — lancer que l’on peut reproduire jusqu’à obtenir le
résultat escompté — Roberte Hamayon explique « … que l’objectif n’est
pas de connaître, mais de faire être, de faire devenir favorable le futur,
trouvable le caché, manipulable l’inconnu » (1990, p. 599, 2012).
Bien qu’il s’agisse d’une aire géographique fort différente, nous
avons proposé de manière semblable que les pratiques divinatoires dans
l’ancien Mexique ne sauraient être réduites à des recherches concernant
la volonté des dieux qui serait acceptée de façon passive, en accord
avec un supposé fatalisme indigène. En fait, la divination représentait
un moyen de communication, mais aussi d’intervention vis-à-vis des
guilhem olivier

divinités, dont les volontés pouvaient être orientées, voire manipulées


dans un sens positif au bénéfice des mortels (Olivier 2012).
Dans le cadre de cet hommage à Roberte Hamayon —  dont
les travaux ont été une constante source d’inspiration pour nos
recherches  —, nous avons choisi d’aborder l’étude des pratiques
divinatoires liées à la chasse en Mésoamérique. Quoique fragmentaires
et dispersées, les données anciennes ainsi que d’importants témoignages
ethnographiques permettent d’analyser ces pratiques en fonction
d’une idéologie cynégétique complexe qui présente, à certains égards,
d’intéressantes similitudes avec celle des chasseurs sibériens (Olivier
2008, 2011). Signalons brièvement qu’avant de partir à la chasse, les
chasseurs mésoaméricains menaient à bien diverses activités rituelles,
jeûnes alimentaires et sexuels, prières et invocations, autosacrifices
et offrandes diverses, afin d’établir un rapport d’échange avec le ou
les maîtres des animaux et ainsi de favoriser l’obtention du gibier. Il
s’agissait également de choisir le moment opportun pour réaliser ces
rituels dans le but d’instaurer les conditions les plus favorables aux
activités cynégétiques, d’où l’utilisation de divers procédés divinatoires
qu’il convient de décrire de façon détaillée1.

Déterminer le temps de la chasse

Avant d’aborder les techniques divinatoires liées aux calendriers


mésoaméricains, il n’est pas inutile de rappeler que l’une des fonctions
principales de ces calendriers consistait à déterminer les moments les plus
adéquats pour entrer en contact avec les dieux (Caso 1967, Boone 2007,
López Austin 1990, pp. 167-168, 214). Les deux principaux calendriers — un
solaire de 365 jours et un calendrier divinatoire de 260 jours — devaient
assurer à travers une temporalité précise l’efficacité d’une offrande, d’un
rituel, d’un sacrifice, etc. Il faut savoir que les dieux étaient étroitement
associés à des périodes précises durant lesquelles ils intervenaient sur la
terre et de ce fait étaient disposés à recevoir et éventuellement rétribuer
les prières et les dons des mortels selon le célèbre principe de do ut des.

1  Nous laissons volontairement de côté les signes — indépendants de l’intervention humaine —


que les chasseurs devaient prendre en compte avant ou pendant leurs expéditions, par exemple le
fait de trébucher sur le chemin ou la rencontre inopinée d’un animal, généralement interprétés de
façon négative (Sahagún 1969, Chapman 1970, p. 54, Reyes García 1960, p. 37).

380
pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

C’est ainsi que certains manuscrits pictographiques qui contiennent


d’importantes données calendaires furent utilisés pour prédire l’issue
d’entreprises cynégétiques, telles les longues sections du Codex de Madrid
(1976, pp. 38-51) consacrées à la chasse au cerf (figures ci-dessous)2.

Fig. 1. Un cerf sans bois est capturé dans un piège


(Codex de Madrid 1976, p. 46)

Le dieu maya Y, appelé Ah Uuc Yol Zip, était l’un des maîtres des cerfs ;
il apparaît ici face à une biche qui représente sa compagne animale
(Codex de Dresde 1983, p. 13)

2  J’utilise par commodité le terme « cerf ». En fait, les cervidés présents sur les territoires
mexicain et centraméricain ont été classés par les spécialistes en cinq espèces : le cerf rouge
ou wapiti (Cervus elaphus), une sorte d’élan, et le cerf mule ou à queue noire (Odocoileus
hemionus), habitants des zones septentrionales arides du Mexique ; le cerf à queue blanche
(Odocoileus virginianus), présent sur tout le territoire mésoaméricain (en fait, la plupart de
nos données le concerne) ; le temazate rouge ou chevreuil (Mazama americana) qui habite
les forêts tropicales de la côte du Golfe, du Yucatan et en général le sud-est et une partie du
sud-ouest du Mexique ; enfin, le temazate gris (Mazama pandora) que l’on rencontre dans les
forêts des États du Chiapas, Campeche et Quintana Roo (Leopold 1959, pp. 501-523).

381
guilhem olivier

Ce codex maya précolombien inclut en effet plusieurs représentations


de cerfs chassés à coup de flèches ou bien capturés à l’aide de pièges ;
apparaissent également des divinités de la chasse ainsi que des chasseurs
qui exercent leurs activités ou présentent des offrandes (figure ci-dessous).
Chacune des images est accompagnée d’une série de glyphes dont certains
désignent des unités temporelles (Bricker et Vail 1997). D’après Colas (2006,
pp. 85, 89-90), certains passages de ces manuscrits (Codex de Madrid 1976,
pp. 38-43) représenteraient des pronostics pour réaliser des rituels afin
de favoriser la chasse. Les sources écrites comme la Relation géographique
de Dzonot (in Relaciones histórico-geográficas de la gobernación de Yucatán
1983, II, p. 86) rédigée au XVIe siècle confirment que les prêtres mayas
« ces Ah kines avaient des livres de figure qui les guidaient et où étaient
signalés les époques où ils devaient semer et récolter, aller à la chasse et
à la guerre ».

Un chasseur de cerf armé d’un propulseur


(Codex de Madrid 1976, p. 40)

L’utilisation du calendrier divinatoire de 260 jours afin de choisir


ceux qui étaient propices pour aller à la chasse a survécu à la conquête
espagnole. Dans un document daté de 1574 et conservé à la Hispanic
Society de New York, il est question de deux Indiens Zapotèques de la
région de Oaxaca « qui sont des devins et connaissent les jours et ils

382
pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

dirent à Diego Bazquez qui est le chef [du village] qu’ils iraient chasser
ou non et qu’il s’agissait d’un bon jour pour chasser ou non » (Hispanic
Society, Manuscript HC : 417114)3. Des coutumes semblables ont été
notées par des curés soupçonneux comme Gonzalo de Balsalobre (1987,
pp.  237-238) qui, aux environs de 1650, essayait d’évangéliser les
Indiens Zapotèques de la région de San Miguel Sola (Oaxaca). En effet,
ces Indiens conservaient des « livres et cahiers écrits à la main » où
étaient inscrits les 13 dieux qui régissaient le calendrier divinatoire de
260 jours, lequel était divisé en « quatre temps, chacun de 65 jours, et
les quatre temps forment l’année ; à partir de ce calendrier, ils utilisent
des sortilèges pour obtenir des réponses magiques et des augures ; ainsi
pour différents types de chasse et de pêche ». Balsalobre nous offre peu
après quelques précisions :

Le témoin a déclaré qu’il avait fait une consultation auprès de Diego Luis au
sujet du jour adéquat pour chasser le cerf, car c’est là l’office de Diego Luis.
Il réalisa des opérations avec les doigts puis lui signala le bon jour et lui dit
que le dieu de l’enfer gouvernait ce jour […] et que ce jour-là, le matin, il
devait aller à l’église et présenter un cierge devant l’autel du Christ pour le
dieu de l’enfer en ayant préalablement fait pénitence pendant trois jours.
Après avoir fait tout cela, il chassa un cerf avec une arquebuse… (Balsalobre
(1987, p. 250)

Bien entendu, le « dieu de l’enfer » correspond à une divinité pré-


colombienne liée au monde inférieur, peut-être au dieu des morts. Il va
sans dire que le choix de l’église pour réaliser ce type d’offrande devait
profondément scandaliser les autorités ecclésiastiques.
Des données ethnographiques attestent de la persistance de l’utili-
sation du calendrier divinatoire pour découvrir les jours propices pour
chasser et pour solliciter auprès des divinités adéquates la « chance »
nécessaire. Ainsi, les Mames de Santiago Chimaltenango (Guatemala)
considèrent que les jours chiaj sont indiqués pour réaliser une céré-
monie (un « costumbre ») afin de favoriser les entreprises cynégétiques
(Wagley 1957, p. 210). Les Quichés du Guatemala choisissent les jours
kiéj, « cerf », pour adresser des prières au dieu des montagnes, lequel,

3  Je remercie Michel Oudijk qui m’a permis de consulter et de citer la paléographie de cet
important document encore inédit.

383
guilhem olivier

selon Schultze-Jena (1946, p. 35), « est étroitement lié au concept de


cervidé ». Quant aux chasseurs Mixes de Cotzocon (Oaxaca), ce sont
durant les jours nu:n qu’ils font des offrandes au Maître des animaux
sauvages (Carrasco, Miller et Weitlaner 1961, p. 160). Les jours « cerf »
seraient propices à l’obtention d’une grande quantité de gibier selon les
Jacaltèques du Guatemala (Thompson 1985, p. 76). Enfin, les Zapotèques
de Mitla (Oaxaca) assurent qu’il est impossible de tuer des cerfs les
mardi, mercredi et vendredi tandis que les Indiens Navajos (Arizona
et Nouveau-Mexique) choisissent les jours impairs — en général 3, 5, 7
ou 9 — pour aller chasser les cervidés (Parsons 1936, pp. 47, 323, Hill
1938, pp. 117, 146)4.

De l’usage d’autres instruments divinatoires : grains de maïs,


bâtonnets, cordes, cristaux, poils, etc.

Aux côtés et parfois conjointement à l’utilisation de manuscrits


pictographiques et/ou de calendriers, diverses techniques divinatoires
ont été utilisées pour favoriser les chasseurs. Ainsi, outre la consultation
des cahiers sur lesquels étaient consignés les jours du calendrier
divinatoire, nous savons que les Zapotèques de San Miguel Sola avaient
recours également à la divination par jet de grains de maïs. Plus
précisément il est dit qu’ils jetaient sept grains de maïs sur une natte
avant de partir à la chasse (Berlin 1957, p. 21). Nous ignorons hélas la
nature des informations que ce type de divination était censé dévoiler ;
en revanche, il est question de répéter cet acte divinatoire à deux ou
trois reprises, ce qui pourrait être en rapport avec la réitération des
lancers en Sibérie que nous avons mentionnée, dans le but d’obtenir
finalement un résultat favorable (Hamayon 2012, Lambert 2012).
Un autre procédé divinatoire est attesté, toujours à propos des
Zapotèques de la deuxième moitié du XVIe siècle :

… quand ils veulent aller chasser, Francisco Diagueche qui est originaire de
San Pablo tire au sort avec de petits bâtons fendus au milieu et, s’ils tombent
d’une certaine façon, ils disent que c’est un bon jour pour chasser ou bien que

4  Rappelons qu’en Occident, il était interdit de chasser durant les fêtes chrétiennes. Ainsi,
en 789, l’empereur Charlemagne interdit la chasse le dimanche (Verdon 1978, p. 822).

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pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

c’est un mauvais jour. Et voilà la façon dont ils placent sur le sol sept petits
bâtons : si cinq d’entre eux tombent vers le haut, ils disent que c’est un bon
signe, de même s’ils sont trois à tomber et sinon ce n’est pas un bon signe et
ils ne tueront pas beaucoup de gibier. Ce témoin affirme qu’il a vu plusieurs
fois [ce rituel] quand il était dans ce village… (Hispanic Society, Manuscript
HC : 417114).

Un autre témoin ajoute quelques détails dans sa déclaration : « il a


dit que cette personne, à pétition de Domingo Garcia, tira au sort pour
savoir s’il s’agissait d’un bon jour pour aller à la chasse et que les sorts
consistaient en petits bâtons en roseau que l’on mettait sur le sol et que,
si les bâtonnets tombaient la bouche vers le bas, c’était un mauvais
signe et que, s’ils tombaient la bouche vers le haut, c’était un bon signe
et ils allaient capturer beaucoup de gibier ». Il semblerait donc que l’on
utilisait sept bâtonnets, peut-être en roseau, fendus au milieu et avec un
type de marque qui indiquait la « bouche » du bâtonnet5. Les bâtonnets
étaient donc jetés sur le sol et, si trois ou cinq d’entre eux « tombaient
en haut », ou bien « la bouche en haut », c’était de bon augure pour
aller chasser. « Tomber en haut » ou « la bouche en haut » se réfère sans
doute à la même position du bâtonnet, c’est-à-dire le côté positif de
l’instrument divinatoire représenté par « sa bouche », probablement une
allusion au fait qu’il est disposé de façon à « manger » le cerf, anticipant
ainsi sa capture. À moins que la première mention de « tomber vers le
haut » corresponde à la disposition spatiale des bâtonnets sur le sol, ce
qui semble moins probable6.
Une autre pratique divinatoire consistait à utiliser des cordes à
nœuds (Fig. 4). Ce procédé est brièvement mentionné dans les sources
anciennes ; nous savons par ailleurs grâce aux travaux de Chapman
(1970, p. 58) que, dans les années 1960, les Tolupans du Honduras
jetaient des cordes sur le sol et, en fonction de leur disposition, déter-
minaient la localisation des cerfs avant de partir à la chasse. Quant

5  Je ne me souviens pas de procédés divinatoires similaires en Mésoamérique, sauf peut-


être la mention au XVIe siècle par Pedro Ponce de León (1987, p. 11) de spécialistes qui, pour
détecter l’origine d’une maladie, utilisaient des pailles.
6  Une autre pratique attestée chez les chasseurs Tlapanèques d’Acatepec (Guerrero) tient
compte de la position des objets divinatoires ; en effet, deux œufs sont placés près du feu :
« Si l’œuf éclate au contact de la chaleur, on augure une mauvaise chasse ; en revanche, si
les deux œufs se couchent sur le sol à la façon des animaux blessés, cela est un bon signe »
(Dehouve 2008, p. 14).

385
guilhem olivier

aux spécialistes rituels mayas (h-men) de Chan Kom, ils consultaient


des cristaux de roche (zaztun) pour connaître les meilleurs endroits où
chasser les cervidés (Redfield et Villa Rojas 1934, p. 140). De cette façon,
nous pouvons inclure une dimension spatiale aux objectifs divinatoires,
qui s’ajoute à la recherche de données temporelles que nous avons analy-
sées antérieurement.
Une technique divinatoire particulière peut être ajoutée au dossier ;
au début du XXe siècle, pour savoir si les dieux allaient concéder les cerfs
nécessaires aux sacrifices, les Huichols du nord du Mexique « … laissaient
tomber un poil de cerf dans un récipient plein d’eau depuis une certaine
hauteur… » (Preuss 1998, p. 282). De même, quoique dans ce cas de
façon involontaire, lorsqu’ils trouvent des poils de cerf dans la paille en
construisant le toit d’un oratoire, les Huichols estiment que la chasse au
cerf de l’année suivante sera abondante (Lumholtz 1986, II, pp. 264-265).
Il est remarquable que cette utilisation métonymique des poils de cerf se
retrouve chez les Toungouses de Sibérie. En effet, le chamane a recours
à son épouse surnaturelle — la femelle d’un élan — qui lui donne une
certaine quantité de poils de cervidés qu’elle conserve dans une poche
placée sous ses aisselles. Parfois, on dit que le chamane revient de son
voyage surnaturel sous la forme d’un cervidé. Les chasseurs le capturent
avec un lasso et le secouent pour obtenir les poils convoités. Dans tous les
cas, on considère que les poils représentent les âmes des futures proies
des chasseurs (Hamayon 1990, pp. 556-559).

Cipactonal et Oxomoco, les ancêtres de l’humanité selon les Mexicas,


étaient également à l’origine des pratiques divinatoires.
Ils utilisent ici des cordes à nœuds et des grains de maïs
(Códice Florentino, in Sahagún 1979, Lib. IV, fol. 3v)

386
pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

La fascination pour les bézoards

Nous retrouvons des poils de cervidés, parfois aux côtés de débris


végétaux, dans des concrétions appelées bézoards que l’on trouve
à l’intérieur des corps de ces ruminants. Il s’agit d’un instrument
divinatoire présent sur l’ensemble du territoire mésoaméricain depuis
les temps précolombiens jusqu’à nos jours. Dans la deuxième moitié du
XVIe siècle, le médecin Hernández (1959, III, pp. 307-309) qui avait été
envoyé en Nouvelle-Espagne par le roi d’Espagne Philippe II, s’intéressait
à leurs propriétés curatives :

… certains cerfs ou daims développent à l’intérieur de leurs corps la pierre


appelée bézoard, c’est-à-dire «  seigneur du venin  ». Nous avons entendu
dire de la part de chasseurs experts qu’ils ont souvent trouvé cette pierre en
ouvrant le ventre de ces animaux […] On ne trouve les dites pierres que chez
les animaux âgés […] Il est notoire que ce sont des remèdes efficaces pour
toute sorte d’empoisonnements, qu’elles soignent la syncope et les attaques
d’épilepsie, qu’appliquées sur les doigts elles permettent de trouver le sommeil,
qu’elles augmentent les forces, excitent l’activité génésique, fortifient toutes
les facultés et mitigent les douleurs […] et, finalement, qu’il n’existe aucune
maladie qu’elles ne soignent…

Il faut toutefois reconnaître que Hernández émet des doutes quant


aux propriétés attribuées aux bézoards, « au sujet desquelles on ne
peut rien affirmer avec certitude » ; plus loin, il ajoute que « certaines
personnes, simplement avec l’aide de cette pierre, deviennent soi-disant
des médecins confirmés, et se font passer pour tels de façon éhontée ».
En dépit de ces opinions éclairées, les Espagnols qui habitaient à
Mérida (Yucatan) attribuaient sans hésitation un pouvoir de guérison
aux bézoards. D’après l’auteur de la Relation géographique de Mérida
(in Relaciones histórico-geográficas de la gobernación de Yucatán 1983, I,
p. 81), « il y a beaucoup de pierres appelées bézoards qui sont utilisées
contre le venin et qu’ils trouvent dans les cerfs de cette terre ». Il est pré-
cisé que de nombreux habitants de cette ville les utilisent « et aujourd’hui
il y en a un que possède un habitant de cette ville, aussi grand qu’un œuf
de poule, et d’autres qui sont entre les mains des religieux et d’autres
personnes encore qui les estiment fort ». Les Espagnols — y compris
les religieux — ne dédaignaient donc pas les vertus des bézoards. C’est

387
guilhem olivier

ainsi que le licencié Diego García de Palacio (1983, p. 76), auteur d’une
passionnante description de la province d’Izalco, réalisa des expériences
pour vérifier leurs propriétés curatives : « J’ai su qu’il existait des cerfs,
de la même façon que ceux de l’Inde du Portugal, qui développent la
pierre bézoard et j’en ai fait tuer quelques-uns dans lesquels on trouva
quelques-unes de ces pierres, que nous avons essayé contre des maladies
pestilentielles et qui ont le même effet que les bézoards qu’ils rapportent
de l’Inde ».
Fascinés par les propriétés médicinales des bézoards, les Espagnols
ont généralement négligé leur rôle de talisman et leur fonction divina-
toire. Une exception apparaît dans le dictionnaire maya cakchiquel de
Thomás de Coto élaboré au XVIIe siècle, où il est question de l’intérêt
suscité par ces « pierres » (qual ou quval) trouvées dans les entrailles des
animaux, « en effet, ils croient que celui qui la possède chassera beaucoup
de ces animaux » (Ruz 1996, p. 109).
Les données ethnographiques relatives aux bézoards en Mésoamérique
sont abondantes7. De nombreux peuples indigènes considèrent que
ces pierres assurent le succès cynégétique à leur possesseur à qui, de
surcroît, elles indiquent le nombre de proies autorisées, ce qui constitue
l’aspect proprement divinatoire des bézoards8.
Les Chinantèques d’Oaxaca et les Nahuas de San Miguel Acuexcomac
(Puebla) recherchent la « pierre de la fortune » ou bien « un silex, une
pierre blanche et brillante  » dans la tête des cerfs tués, éléments
pierreux qui facilitent l’obtention de futures proies (Weitlaner 1981,
p. 111, Fagetti 1998, p. 197).
En revanche, les Mayas du Quintana Roo trouvent la tunich-ceh
(« pierre-cerf ») dans l’estomac des cervidés, ce qui confère au chasseur

7  Ils sont utilisés également en Amérique du Sud, par exemple chez les Achuars d’Équateur
(Descola 1986, pp. 323-324). Cela étant, ces bézoards appelés namur (« testicules ») ont des
propriétés singulières, inconnues à ma connaissance en Mésoamérique : ceux qui apparaissent
à l’intérieur des poissons sont efficaces pour attirer et chasser les animaux de la forêt tandis
que ceux qui sont découverts dans des mammifères ou des oiseaux sont utiles pour la pêche.
Un cas semblable a été signalé chez les Navajos qui utilisent des bézoards issus de cervidés
afin de préserver et de multiplier leurs troupeaux de moutons (Hill 1938, p. 145).
8  D’après les Indiens Huaves de Oaxaca, on peut trouver des pierres semblables à l’intérieur
de la tête des iguanes, pierres utilisées pour capturer ces animaux (Ramírez Castañeda 1987,
p. 183). Dans la région de Papantla (Veracruz), on prétend que les coyotes ont des « perles
cristallines » dans le cerveau et que la personne qui possède une de ces perles obtient de ce
fait protection et sagesse (Herbolaria y etnozoología en Papantla 1988, p. 94).

388
pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

la qualité de bon tireur (Villa Rojas 1987, p. 295)9. Cette pierre qui
favorise les chasseurs zapotèques ne se trouve que dans l’estomac du
« cerf endiablé », lequel ne peut être tué que par une balle sur laquelle on
a inscrit préalablement une croix (Parsons 1936, pp. 476-477). De même,
les Nahuas du Guerrero trouvent cette pierre dans l’estomac des cervidés
et lui attribuent non seulement la « chance » à la chasse, mais aussi la
protection vis-à-vis des frayeurs que l’on peut souffrir dans les champs
(Hémond 1996, p. 276). Les chasseurs nahuas de Pajapan recherchent
dans les intestins ou le cœur des cerfs « la pierre de la chance » qui est
semblable à un bouton de nacre et de la taille d’un noyau de mangue.
En outre, des petits cerfs sont peints d’un côté de la pierre (García de
León 1969, p. 308). De même, les Mayas du Yucatan affirment que sur le
bézoard découvert parmi les excréments du cerf apparaît « l’image d’un
petit cerf » (Burns 1995, p. 126). Les Lencas du Honduras décrivent ce
talisman de chasse comme un petit cristal qui sort de la bave du cerf au
moment de sa mort10. Heureusement, ce dernier témoignage précise la
fonction de ces représentations de cervidés sur les bézoards : « Quand la
figure sur la pierre est couchée, le chasseur ne part pas à la chasse, mais
quand l’image est debout le chasseur peut chasser et il tue toujours un
cerf » (Chapman 1985, p. 147). Les Pames de l’État de San Luis Potosí
considèrent que si une pierre sort du museau d’un cerf, cela représente
un signe positif pour le chasseur, car cette pierre « possède une vertu ».
Cela étant, ce talisman procède uniquement du « Grand Cerf » — le

9  Un document du XVIe siècle mentionne la consultation des entrailles des animaux durant


une chasse collective des Indiens Otomis : « quand ils capturaient des cerfs, des sangliers
(sic) ou d’autres animaux sauvages, de façon cérémonieuse et solennelle ils ouvraient le
ventre de l’animal, lui arrachaient le cœur et ensuite extrayaient la panse. Si, à l’intérieur,
ils trouvaient de l’herbe verte ou quelques grains de maïs ou des haricots — car le démon
les y plaçait pour se faire adorer et provoquait ces apparitions chez ces gens — ils disaient
que cette année allait être d’abondance et qu’il n’y aurait pas de famine. S’ils trouvaient
dans la panse des herbes sèches, ils disaient que c’était le signe d’une mauvaise année et de
famine à venir » (Muñoz Camargo 1998, pp. 161-162). Ce type de consultation divinatoire
est remarquable dans la mesure où l’observation de prises de chasse indique la nature des
récoltes futures. Rappelons que les Romains, à partir de l’aspect et de la couleur des viscères
des animaux sacrifiés, pronostiquaient « … la qualité du pâturage et l’abondance ou la rareté
de tout ce que la terre engendre », une pratique divinatoire dont se gaussait Cicéron (2004,
pp. 218-221).
10  De la même façon, les chamanes Huichols (marakame) tentent de récupérer le dernier
souffle du cerf tué, l’urukame, une petite pierre qu’ils appellent « grand-père », identifiée
avec l’âme d’un ancêtre (Lemaistre 1991, p. 37). En revanche, les Navajos considèrent qu’il
est extrêmement dangereux de respirer le dernier souffle d’un cerf. Cela provoque de graves
maladies que seul un spécialiste rituel peut guérir (Hill 1938, pp. 110, 134).

389
guilhem olivier

Maître des cerfs — que l’on ne peut tuer « … mais que l’on peut faire
tomber et quand il est sur le sol, le chasseur doit ôter sa chemise et alors
une pierre tombe de son museau… » (Chemin Bässler 1984, p. 197)11.
Protection, dextérité dans le maniement des armes, habileté à trouver
du gibier, les bézoards offrent tous ces bénéfices à leurs détenteurs, mais
aussi présentent, comme dans un miroir, des images de leurs futures
proies et des indications sur l’opportunité ou non d’aller chasser.
Un autre type de talisman de chasse consiste en un morceau de
chair — comme une galette de maïs — situé dans le cœur d’un petit cerf
appelé temachito, considéré comme très courageux par les Nahuas du
Guerrero. Avant d’aller à la chasse, le chasseur doit déposer une goutte
d’eau sur le morceau de viande conservé dans un bocal, sur lequel on
peut voir le chasseur et son chien. Ce talisman est considéré comme
particulièrement efficace (Hémond 1996, pp. 276-277). Les chasseurs
mayas du Yucatan ont décrit « un virtud » similaire à Helios Figuerola12.
Il s’agit d’une médaille de chair située dans le cœur des cerfs que l’on
conserve dans un bocal et que l’on doit alimenter avec du sang issu du
cœur même de l’animal13. Un autre talisman consiste en un ver qui sort
du nez du cerf et que l’on utilise et alimente de la même façon.
Apparaît à nouveau la fonction spéculaire de l’objet divinatoire dans
lequel, cette fois, l’image du chasseur lui-même est réfléchie. On songe
à l’usage divinatoire du miroir en obsidienne de Tezcatlipoca, maître du
destin des anciens Mexicains, mais aussi, sous son aspect de Tepeyollotl
— « Cœur de la Montagne » — à sa fonction de « Seigneur des animaux » à
qui les chasseurs devaient rendre un culte (Olivier 1997) (figure ci-contre).
Un autre élément important se dégage du dernier témoignage sur les
Mayas du Yucatan : la nécessité d’alimenter le talisman de chasse. De la
même façon, les bézoards nécessitent des soins particuliers, par exemple
leur offrir de la fumée de copal (une sorte d’encens), tous les vendredis
dans la région de Los Tuxtlas (Veracruz), les jeudis selon les Nahuas de

11  Pour des raisons semblables, les Chinantèques de Oaxaca « … considèrent que le cerf
est un animal tabou d’une certaine façon qu’il ne faut jamais tuer car il possède la “pierre de
la fortune” » (Weitlaner et Castro 1973, p. 51).
12  Témoignages de Mario Ts’ek Avila et de Paulino May Koko, originaires de Oxkutskab
(Yucatan) (juillet 2010). Je remercie sincèrement Helios Figuerola qui nous a autorisé à citer
ces témoignages.
13  Roberte Hamayon (1990, p. 377) signale brièvement l’existence chez les Toungouses
d’amulettes destinées à favoriser la chasse « … constituées par les organes sièges d’âmes des
animaux : cœur séché d’élan ou de renne, mufle, etc. ».

390
pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

Pajapan, ou bien durant sept jours chez les Nahuas et les Popolocas de
l’Isthme de Veracruz (Olavarrieta 1990, p. 121, García de León 1969, p. 308,
Münch 1983, p. 226). Au début du XXe siècle, l’anthropologue allemand
Theodor Preuss (1998, p. 250) recueillit chez les Huichols « une pierre de
calcédoine que je possède dans ma collection qui est la “Mère des cerfs”,
pierre à laquelle on fait des offrandes dans le but de chasser des cerfs ».

Tepeyollotl, le « Seigneur des Animaux » constituait un


avatar de Tezcatlipoca sous la forme d’un jaguar
(Codex Borbonicus 1991, pl. 3)

Une caractéristique singulière des bézoards doit être signalée.


Souvent, comme chez les Triquis de Oaxaca14, les Mayas du Yucatan ou
les Lencas du Honduras, il est formellement interdit de les montrer ou de
les mentionner, toute indiscrétion provocant irrémédiablement la perte
de pouvoir du précieux talisman (Burns 1995, p. 126, Chapman 1985, I,
p. 147)15. Sous cet aspect, les bézoards exigent la même discrétion que le

14  Information d’Antonio Ramírez Silva, qui nous a montré un bézoard, en précisant
toutefois qu’il ne fonctionnait plus, raison pour laquelle il pouvait le découvrir sans danger.
15  Les chasseurs mayas du Yucatan déclarèrent également à Helios Figuerola qu’il convenait
de maintenir secrète la possession d’un bézoard.

391
guilhem olivier

Maître des animaux des Yaguas de l’Amazonie péruvienne qui conseillait


à un chasseur de prendre un bain rituel avec des feuilles spécialement
indiquées afin de tuer des pécaris. Des compagnons envieux enivrèrent
le chasseur fortuné et ce dernier révéla son secret, perdant aussitôt ses
capacités cynégétiques (Chaumeil 2000, pp. 179-180). Les « épouses
cervidés » des chamanes sibériens adoptent des attitudes semblables :
elles assistent le chamane afin d’obtenir des proies pour les chasseurs
du groupe, mais châtient l’indiscret qui risque de perdre la vie s’il révèle
leur existence (Hamayon 1990, pp. 454, 516-518 et 1998). Des croyances
similaires ont été décrites chez les Inuit (ibid.).
Revenons à nos bézoards susceptibles dont certains sont efficaces
seulement durant une année (García de León 1969, p. 308), d’autres six
mois16 ou encore seulement durant l’été (Beals 1945, p. 12). Certains
bézoards cessent de fonctionner lorsque le chasseur tue un trop grand
nombre de proies, ce qui se traduit par un châtiment (Burns 1995,
p. 126). C’est aussi le cas chez les Lencas dont le talisman permet de
chasser… 400 cerfs ! Et ensuite il disparaît. Si le chasseur s’acharne à
chasser malgré tout, seul demeure le Maître des cerfs qui ne peut être
tué, ce qui provoque la maladie du chasseur impénitent qui peut même
mourir (Chapman 1985, I, p. 147). Au Quintana Roo, Zip, le Maître des
cerfs, châtie avec des maladies véhiculées par des airs malfaisants les
chasseurs qui abusent des bézoards, les « pierres cerfs » (Villa Rojas 1987,
p. 295). Enfin, les Mayas du Yucatan expliquent qu’un petit cerf, Maître
des cervidés — le dieu Zip probablement —, apparaît pour annoncer
au chasseur qu’il doit se défaire de son talisman sur le lieu même de
l’apparition. Si le chasseur persiste dans ses entreprises cynégétiques, il
est entouré d’une multitude de cerfs qui tentent de le dévorer. Paulino
May Koko raconta comment un chasseur excessif fut poursuivi par
300 cerfs ; réfugié dans un arbre, il jeta son bézoard sur le sol, ce qui
provoqua la disparition des cerfs menaçants17.
L’intérêt de ce dernier témoignage est double : d’une part, il illustre
l’indispensable respect d’un ensemble de règles cynégétiques que doit
suivre le chasseur — ce qui constitue la matière de nombreux récits
indigènes  —  ; d’autre part, il manifeste de façon claire la menace

16  Cf. note 12.


17  Cf. note 12.

392
pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

toujours latente de l’inversion des statuts de prédateur et de proie qui


hante l’imaginaire des chasseurs en Mésoamérique et ailleurs18.

L’importance des rêves

Comme dans d’autres régions du monde, l’examen des rêves à


des fins divinatoires avant de partir à la chasse est très répandu en
Mésoamérique. Il est vrai que les données sur l’oniromancie dans l’ancien
Mexique sont parcimonieuses et qu’aucune mention de chasse n’apparaît
dans la brève liste de rêves recueillis par Bernardino de Sahagún (1969,
pp. 100-103)19. On peut supposer malgré tout que parmi les livres « de
figures et caractères » décrits par Toribio de Benavente ou Motolinía
(1971, p. 5) — dont celui qui « parle des rêves, des augures, duperies et
vanités auxquels ils croyaient » — il existait des sections dédiées aux
rêves des chasseurs, bien qu’aucun exemplaire de ces manuscrits picto-
graphiques n’ait été préservé.
En revanche, les données ethnographiques sur ce thème sont
relativement nombreuses. Par exemple, les chasseurs Chortis du Honduras
jugent indispensable de rêver du Maître des cerfs. À cette occasion, le
Maître leur indique le prix de la future proie qui consiste en une certaine
quantité de copal qu’il convient de brûler à minuit face à l’autel domestique.
Le jour suivant, à minuit également, le chasseur se rend dans la montagne
où réside le Maître des cerfs à qui il demande à nouveau combien de cerfs
il pourra chasser. En l’absence de rêves adéquats, il est possible de payer
un parrain qui va rêver à la place du chasseur (Wisdom 1961, p. 96)20.
Chez les Huichols, le chef de l’expédition cynégétique est censé rêver le
nombre de cerfs octroyés par les dieux (Zingg 1982, I, p. 456)21. Quant aux

18  Pour la Mésoamérique, cf. Neurath (2010) et Olivier (2008, 2011) ; pour la Sibérie,
cf. Hamayon (1990, pp. 413-414, 467-468) ; enfin, dans un bel ouvrage consacré à la chasse
en Grèce ancienne, Alain Schnapp (1997, p. 81) écrit : « La réversibilité de la proie et du
prédateur est l’un des moyens de l’accomplissement du destin tragique ».
19  Sur les raisons de l’absence de données sur les rêves dans l’œuvre de Sahagún, cf. Olivier
(2002, pp. 64-66).
20  De même, les chasseurs Yaguas du Pérou ne partent à la chasse que s’ils ont rêvé la veille
de façon propice (Chaumeil 2000, p. 228).
21  Giuliano Tescari (2001, p. 245) rapporte chez les Huichols que « la nuit autour du feu,
les chasseurs attendent les réponses que les Kakaûyári, les êtres divins, leur communiqueront
en rêve : ainsi, ils sauront dès ce moment qui aura la chance de chasser un cerf et quel jour
cela arrivera ».

393
guilhem olivier

chasseurs Pames de l’État de San Luis Potosí, ils multiplient les offrandes
au « Grand Cerf » afin de susciter son apparition en rêve durant laquelle il
leur révèle le lieu où ils découvriront leurs futures proies (Chemin Bässler
1984, p. 96). De même, les Nahuas du nord de l’État d’Hidalgo visualisent
en rêve le lieu où ils doivent déposer des offrandes et où leurs proies
ne sauraient manquer de survenir par la suite (Montoya Briones 1968,
p. 22).
D’autres rêves prémonitoires dévoilent la dimension érotique de la
chasse, les proies étant considérées comme des femmes séduites (Olivier
2011). Ainsi, selon les Mixtèques d’Oaxaca, la femme rêvée représente
l’animal qui sera chassé le lendemain (Katz 1990, p. 256). De même,
la vision onirique d’une femme embrassée anticipe la capture d’un
cerf chez les Mixes d’Oaxaca (Lipp 1991, p. 45). Quant aux Lacandons
du Chiapas, ils interprètent le songe d’un baiser donné sur la bouche
d’une femme comme l’annonce d’un prochain banquet de gibier (Bruce
1979, pp. 234, 237). On pourrait aisément multiplier les exemples pour
d’autres régions du continent américain22. On songe également à la fille
de l’esprit de la forêt qui apparaît nue dans les rêves des chasseurs sibé-
riens, apparition qui constitue un gage de succès à la chasse (Hamayon
1990, pp. 378, 393, 516, 586-587)23.
En vue d’approfondir l’étude des rapports entre la divination et les
rêves, il nous semble important d’introduire l’analyse subtile que Robert
Brightman (1993, pp. 24, 98-102) a consacrée aux rêves des chasseurs
crees du Manitoba (Canada). En effet, ils considèrent que les rêves
n’annoncent ni ne déterminent les événements futurs. En fait, l’homme
agit durant ses rêves afin d’en orienter le cours et, de cette façon,
parvient à anticiper les événements de la vie réelle. C’est pourquoi les

22  En Amérique du Nord, les Navajos considèrent que rêver d’une femme à la maison ou
bien faire l’amour avec elle constitue un augure positif pour la chasse au cerf (Hill 1938,
pp. 109, 114). Les Achuars d’Équateur interprètent le rêve d’une femme dodue et nue qui
s’offre au chasseur comme un présage positif pour la chasse au pécari (Descola 1986, p. 325).
Un bel exemple vient des Crees du Canada, où un chasseur identifie un lynx femelle pris au
piège avec une ravissante créature dont il avait rêvée (Brightman 1993, p. 24).
23  Cependant, le chasseur ne saurait multiplier impunément les contacts oniriques avec
la fille de l’esprit de la forêt : « Le danger guette le chasseur, lui à qui rêver d’amour avec
une fille d’esprit de la forêt vaut, on l’a vu, un copieux butin lors de sa chasse du lendemain
— double bénéfice, qui a de quoi faire souhaiter la réitération du rêve. Il y a là danger : à terme,
une telle séduction signifie la mort du chasseur. C’est plus encore que par son apparition, nue,
dans les rêves du chasseur, par l’envoi de gibier à la rencontre de ses flèches qu’elle l’attire,
le séduit toujours davantage et finit par le retenir. Accaparant son âme, elle le rend fou, et le
fait mourir… » (Hamayon 1990, pp. 516-517).

394
pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

chasseurs s’efforcent de se souvenir de beaucoup de rêves qui peuvent


correspondre à des situations diverses, lesquelles se présentent parfois
plusieurs années après le rêve qui leur correspond24. Malgré l’absence
de témoignages similaires en Mésoamérique, l’attitude volontaire vis-
à-vis des rêves et de leur interprétation de la part des chasseurs crees
participe d’un ensemble d’indices qui attestent de la volonté d’intervenir
de différentes façons durant les pratiques divinatoires afin d’orienter
favorablement le cours des événements à venir.

Divination, chasse et guerre

Poursuivons l’analyse des rêves des chasseurs en examinant la


passionnante description que nous offre Hill (1938, pp. 98, 108-109,
114, 118) de la nuit qui précède la chasse collective des cerfs chez les
Navajos. Après plusieurs chants dédiés au feu et aux animaux, le chef
du groupe entonne deux « chants de rêve » dans le but d’inspirer des
rêves propices aux autres chasseurs. Ces derniers doivent occuper des
lieux précis autour du foyer et adopter une position particulière avec les
jambes pliées afin de « dormir comme des proies ». Dès l’aube, après les
« chants du matin », les chasseurs racontent leurs rêves : tuer, être chassé
ou vaincu, une personne qui perd du sang — considérés normalement
comme des rêves de mauvais augure — deviennent dans ce contexte
des signes favorables pour la chasse à venir. Enfin, rêver que l’on tue un
homme est considéré comme prémonitoire de la chasse d’un cerf, ce qui
renvoie à l’équivalence entre la guerre — véritable chasse à l’homme —
et la chasse aux cervidés, une équivalence bien établie en Mésoamérique
(Graulich 1997, Olivier 2008). De fait, les rêves des Triquis de San Juan
Copala (Oaxaca) transmettent un message identique : « si tu es armé
et tu rêves que tu tues quelqu’un, tu vas chasser un animal comme un
cerf » (Díaz Sarabia 2007, p. 128).
Cette association entre la guerre et la chasse apparaît également à
travers la description d’un rituel collectif réalisé par les Indiens de la
province de Zacatecas au XVIIIe siècle :

24  Ajoutons qu’il existe des êtres maléfiques capables de tromper les chasseurs durant leurs
rêves, ce qui peut se traduire par de graves maladies voire par la mort.

395
guilhem olivier

Ils exécutent aussi ces danses qu’ils appellent mitotes quand ils partent à
la chasse ou à la guerre. Ils placent au milieu du cercle où ils dansent un
crâne de cerf avec ses bois et chantent sans cesse d’une voix triste et confuse.
Ils passent ainsi toute la nuit jusqu’à ce que le crâne saute, ce qui est dû
au démon qui les fatigue et provoque le mouvement diabolique du crâne.
Immédiatement, ils partent à la guerre ou à la chasse dans la direction du
crâne qui s’est déplacé, et comme le démon n’ignore pas où se trouvent les
ennemis ou le gibier, il les trompe avec cette astuce, car la plupart du temps
ils finissent par trouver ce qu’ils cherchent (Arlegui 1851, pp. 146-147).

Outre l’utilisation d’un crâne de cerf comme objet divinatoire, il


convient de souligner que le rituel est réalisé à la fois pour déterminer
la position des ennemis ou celle du gibier, les objectifs cynégétiques et
guerriers étant confondus dans cette cérémonie. D’autres données vont
dans le même sens, par exemple la description par Carl Lumholtz (1986, I,
p. 423) d’une sorte de rituel d’initiation chez les Tepehuanes de Durango
au début du XXe siècle. Après avoir décrit la divinité tutélaire des cerfs
appelée Cucuduri, l’anthropologue norvégien raconte ce qui suit :

Quand le brouillard est très épais et qu’il se met à pleuvoir, un Tepehuane peut
aller provoquer Cucuduri dans la forêt. Pour cela, il lance une flèche sur le sol
et le petit homme apparaît et accepte de parier un cerf en échange de la flèche.
Ils commencent à lutter et bien que Cucuduri soit très fort, son adversaire peut
le renverser et ensuite il trouve près de là un cerf qu’il peut tuer.

Cette lutte héroïque du chasseur contre la divinité de la montagne


nous rappelle des combats qui avaient lieu dans les forêts de l’ancien
Mexique central où s’affrontaient le dieu Tezcatlipoca et d’intrépides
guerriers. Si le vaillant parvenait à se saisir du cœur de la divinité — qui
se présentait opportunément avec la poitrine ouverte —, il obligeait
Tezcatlipoca à lui céder des épines qui représentaient ses futurs
prisonniers sur le champ de bataille (Sahagún 1969, pp. 28-33) (figure
ci-contre). La similitude avec le récit de Lumholtz est remarquable et
révèle que la chasse et la guerre étaient conçues de la même façon25.

25  Cette association se retrouve lors de la capture d’un oiseau appelé quatezcatl (Porphyrula
martinica) qui portait, disait-on, un miroir sur la tête. Le chasseur pouvait y observer s’il
allait être fait prisonnier par des ennemis ou bien si lui-même allait capturer des ennemis
sur le champ de bataille (Sahagún 1950-1981, XI, pp. 32-33).

396
pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

Une variante atténuée de ces confrontations se retrouve chez les Yaquis


du Sonora dans les années 1940 : celui qui souhaite devenir un grand
chasseur doit pénétrer dans la forêt à la recherche de Malíci, un petit
cerf qui porte un nid de guêpes entre les bois. En cas de rencontre,
un dialogue s’instaure entre le courageux chasseur qui expose le motif
de sa présence et le dieu colérique qui cherche à le décourager. Après
plusieurs échanges, le petit cerf exaspéré s’exclame : « Je vais te tuer ! »,
à quoi le chasseur inspiré réplique « Tu pourras me tuer quand mes
doigts seront de la même taille ». Interloqué et à bout d’arguments,
Malíci laisse libre le chasseur qui, à partir de ce moment-là, est toujours
heureux dans ses entreprises cynégétiques (Beals 1945, p. 13).
On songe à la recherche d’arutam de la part des Jivaros d’Équateur et
du Pérou : après avoir jeûné et consommé des plantes hallucinogènes, le
candidat expérimente des visions terribles (jaguar, serpent, tête géante
ou corps démembré) qu’il doit toucher. Les visions se transforment alors
en la figure ou la voix d’un prestigieux ancêtre guerrier qui transmet au
novice « la puissance existentielle nécessaire pour réaliser une vie de
Jivaro », et en particulier la capacité et la volonté de tuer des ennemis
(Taylor 2000, p. 327). Cette capacité de tuer est essentielle pour la
conformation de la personnalité masculine du Jivaro. En effet, la mort
des proies à la chasse entraîne leur multiplication tandis que la mort des
ennemis à la guerre génère la constitution de nouvelles identités jivaros
(Descola 1993, pp. 332-345, Taylor 2000).

Tezcatlipoca, le dieu du destin, apparaît face à un guerrier noble


sous la forme d’un homme décapité avec la poitrine ouverte
(Códice Florentino, in Sahagún 1979, Lib. V, fol. 6v)

397
guilhem olivier

À l’autre extrême du continent américain, parmi les Crees du Canada,


les jeunes gens à partir de 14 ans jeûnent sur des plates-formes disposées
sur des arbres afin d’entrer en contact avec leur pawakan. Celui-ci se
manifeste à travers des visions qui peuvent être un phénomène naturel,
un astre, des animaux — l’ours et le loup sont les plus puissants — ou
encore un homme qui parle la langue cree. Le pawakan enseigne au novice
des chants, lui explique quelles sont les offrandes à réaliser de même que
les techniques de chasse26. Plus tard, l’initié consultera son pawakan en
rêve afin de connaître le nombre de proies qu’il pourra chasser et où les
trouver. Un individu peut acquérir plusieurs pawakan et, de cette façon,
augmenter son pouvoir. Au XVIIIe siècle, les pawakan étaient associés à
la vaillance des guerriers qui peignaient leur image sur leurs boucliers
avant de partir à la guerre (Brightman 1993, pp. 76-88).
Ces quelques exemples révèlent donc l’existence de véritables rites
d’initiation en vue d’obtenir à la fois la capacité de chasser et celle de
capturer des captifs à la guerre, selon un modèle d’équivalence entre
chasse et guerre très répandu en Mésoamérique et au-delà. L’objectif de
ces confrontations consiste donc à évaluer l’aptitude des « candidats » de
susciter et ensuite éventuellement d’affronter l’apparition de divinités
ou de puissances, parfois lors d’une joute oratoire ou encore dans une
lutte corps à corps, dans le but d’acquérir des pouvoirs cynégétiques et/
ou guerriers. Aux côtés de mémorables succès, les sources historiques et
ethnographiques font état d’échecs cuisants, malgré la persistance voire
l’acharnement des novices ou des candidats. La dimension divinatoire
de l’épreuve apparaît également dans le témoignage des informateurs
indigènes de Sahagún — que nous avons déjà cité à propos des guerriers
valeureux qui affrontaient les épiphanies nocturnes de Tezcatlipoca. Un
autre passage signale le cas d’un individu courageux, mais pas téméraire
qui s’empare précipitamment du cœur de Tezcatlipoca puis s’enfuit afin
d’enterrer sa prise préalablement enveloppée dans du papier. À l’aube,
il exhume avec anxiété le paquet dont le contenu — le cœur transformé
en plumes blanches et en épines, signes favorables, ou en charbon ou
guenille, signes néfastes — lui révèle sa destinée future (Sahagún 1969,
pp. 30-33). Il est aussi précisé que les vaillants qui obtenaient des épines
étaient pourvus d’un « tonalli favorable (tonallapalihui) », d’un « tonalli

26  Certains pawakan peuvent également transmettre des connaissances pour devenir
guérisseur, sorcier ou prophète.

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pratiques divinatoires, rêves, talismans de chasse

fort (tonalchicahuac) » (ibid., pp. 28, 50). Précisons que le tonalli, octroyé


par la divinité suprême au moment de la naissance, était une entité
animique associée à un signe du calendrier et créditée de propriétés
variables en fonction de la date de naissance de l’individu.

Un tonalpouhqui, compteur des jours ou des destins, montre sur


un manuscrit pictographique le signe qui correspond
à la date de naissance d’un enfant
(Códice Florentino, in Sahagún 1979, Lib. IV, 34v)

Cela étant, le tonalli était « réintroduit » chez les enfants par des
prêtres au cours d’un « baptême » dont la date pouvait être fixée de
façon à « soigner ou corriger » le tonalli de l’enfant (Sahagún 1950-
1981, IV, p. 30) (figure ci-dessus). Il était donc possible de manipuler les
connotations positives ou négatives assignées au tonalli et finalement de
modifier le destin assigné au nouveau-né par les dieux (Olivier 2012).
C’est dire la complexité des rapports entre les mortels et leurs créateurs
dans l’ancien Mexique, au-delà de l’opposition entre prédestination et
libre-arbitre, que nous révèlent leurs pratiques divinatoires. Si nous
hésitons à attribuer l’origine des prouesses des guerriers mexicas à leur
courage ou bien à la nature de leur tonalli, gageons qu’ils n’auraient

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guilhem olivier

probablement pas souscrit à ce jugement de Montaigne (1950, p. 250) :


« Les plus vaillans sont par fois les plus infortunez. »27

27  Le contexte de ce passage du chapitre 31 (« Des cannibales ») mérite d’être cité : « C’est
la qualité d’un portefaix, non de la vertu, d’avoir les bras et les jambes plus roides ; c’est une
qualité morte et corporelle que la disposition ; c’est un coup de la fortune de faire broncher
nostre ennemy, et de luy esblouyr les yeux par la lumiere du Soleil ; c’est un tour d’art et de
science, et qui peut tomber en une personne lache et de neant, d’estre suffisant à l’escrime.
L’estimation et le pris d’un homme consiste au cœur et en la volonté ; c’est là où gist son
vray honneur ; la vaillance, c’est la fermeté, non pas des jambes et des bras, mais du courage
et de l’ame ; elle ne consiste pas en la valeur de nostre cheval, ny de nos armes, mais en
la nostre. Celuy qui tombe obstiné en son courage, si succiderit, de genu pugnat. Qui pour
quelque dangier de la mort voisine ne relasche aucun point de son asseurance ; qui regarde
encores, en rendant l’ame, son ennemy d’une veue ferme et desdaigneuse, il est battu, non
pas de nous, mais de la fortune; il est tué, non pas vaincu. Les plus vaillans sont par fois les
plus infortunez. »

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