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La coulée continue des aciers.

Un exemple de
développement technique où l’étroite coopération entre
métallurgistes, constructeurs et exploitants ont été
d’une grande fécondité
Jean Saleil, Jean Le Coze

To cite this version:


Jean Saleil, Jean Le Coze. La coulée continue des aciers. Un exemple de développement technique où
l’étroite coopération entre métallurgistes, constructeurs et exploitants ont été d’une grande fécondité.
Matériaux & Techniques, EDP Sciences, 2018, 106 (5), pp.503. �10.1051/mattech/2018047�. �hal-
02960312�

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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)
© EDP Sciences, 2019
M atériaux
https://doi.org/10.1051/mattech/2018047
&Techniques
Disponible en ligne :
www.mattech-journal.org

REGULAR ARTICLE

La coulée continue des aciers. Un exemple de développement


technique où l’étroite coopération entre métallurgistes,
constructeurs et exploitants ont été d’une grande fécondité
Jean Saleila,* and Jean Le Cozeb
Cercle d’Études des Métaux, École Nationale Supérieure des Mines, 42023 Saint-Étienne Cedex 2, France

Reçu le 9 février 2018 / Accepté le 17 septembre 2018

Résumé. Cet article est composé de quatre parties complémentaires l’une de l’autre mais publiées séparément.
Dans la partie I, se trouve une description du fonctionnement des machines de coulée continue et l’historique du
remarquable développement de cette technique de coulée appliquée aux aciers. La partie II présente les multiples
problèmes qui furent résolus pour arriver à faire correctement fonctionner ces machines et leur permettre de
délivrer des produits de qualité. Dans la partie III, sont développées les questions métallurgiques posées par la
solidification des produits en continu et la complexité inhérente à chaque famille d’acier (bas carbone,
inoxydables, alliés). La partie IV décrit quelques types particuliers de machines et notamment celles destinées à
la production de bandes, avec l’ensemble des problèmes spécifiques posés par ces techniques.
Mots clés : historique du procédé / problèmes techniques de fonctionnement / problèmes métallurgiques /
qualité des produits / aciers bas carbone / inoxydables / alliés / coulées de brames minces / coulée de bandes

Abstract. Continuous casting of steels. Part I: major steps of steels conti-casting development.
This survey of continuous casting in steelmaking is divided in four parts. The first one contains the history of the
development of the process technology. The second one is a description of the numerous problems, which were to
be solved in order that the casting machines should be able to deliver high quality products. The third part deals
with metallurgy and solidification problems, taking into account the great diversity of solidification patterns of
various steel grades (low carbon steels, stainless steels, high carbon steels…). The fourth part describes some
specific machines with the problems related to their operation, and particularly the technology of strip casting.
Keywords: process history / technical problems / metallurgical problems / products quality / low carbon steels
/ stainless steels / alloyed steels / thin slab casting / strip casting

En hommage au Dr Manfred Wolf (1937–2001) la persévérance de valider en production les technologies


spécialiste de réputation mondiale de la coulée continue, proposées.
aux équipes de chercheurs de l’IRSID et des laboratoires
universitaires qui ont apporté une contribution signifi- « L’objet d’un art est l’usage des moyens disponibles en
cative à la maîtrise métallurgique du procédé, aux vue d’une fin que l’on se propose. » Clausewitz (1780–
constructeurs de machines de coulée qui ont su 1831).
rechercher avec obstination, trouver et appliquer indus-
triellement, les solutions technologiques aux problèmes Cette citation, relative à la stratégie militaire, qui
posés et aux exploitants aciéristes qui ont eu la volonté et évoque la combinaison des moyens disponibles ordonnés
à une fin précise, s’applique tout particulièrement aux
efforts intenses qui ont accompagné au fil des décennies
le développement de la coulée continue en sidérurgie,
* e-mail: cemetaux@emse.fr dans la mesure où les ingénieurs ont mobilisé massive-
a
Ingénieur civil des mines (Nancy 59), carrière dans les sociétés ment leur art, au sens que prend le terme dans
Ugine (Moutiers), Imphy, Creusot-Loire, Ascometal ; longtemps l’expression « Arts et Métiers », pour résoudre les
en charge des développements en matière de procédés d’élabora- problèmes technologiques et métallurgiques que posait
tion. ce mode de coulée de l’acier, et où les dirigeants ont placé
b ces développements au cœur des stratégies des entre-
Ingénieur civil des mines (Saint-Étienne 63), Dr. Es Sciences,
ex-enseignant chercheur ENSMSE. prises sidérurgiques.
2 J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

La contribution de Jacques Barbé au présent article nous nous proposons d’exposer dans les diverses parties du
a été essentielle : par la mise à disposition de son présent article. Cette pression économique stimulante se
abondante documentation et par ses nombreuses manifesta à la fois par le développement de nouveaux
remarques et rectifications. Par sa carrière d’ingénieur marchés, l’apparition de nouvelles exigences qualitatives,
dans la société d’engineering sidérurgique CLECIM, l’apparition de nouveaux acteurs sidérurgiques. La consé-
J. Barbé est une des rares personnes en France qui a quence fut qu’en cinquante ans le paysage sidérurgique
participé, presque de bout en bout, à l’essor du procédé mondial fut radicalement changé et dans ses techniques et
de coulée continue, depuis les premières machines dans ses acteurs.
installées en France, jusqu’au développement du projet Bien entendu cette apparition de la coulée continue
Myosotis de la coulée de bandes. En avril 1992, au n’était pas sans conséquences sur la conception des usines
Congrès de Toronto (75th steel making conference), le sidérurgiques puisqu’elle visait à supprimer une étape
Dr Wolf publiait un premier bilan historique de la coulée jusqu’alors incontournable de la mise en forme à chaud tant
continue et son article se concluait par les photos de qu’on restait en voie lingots : celui du dégrossissage de ces
treize personnalités internationales qui avaient contri- lingots par un train spécifique de laminoir à chaud : le
bué de manière décisive aux progrès de la coulée blooming (produits longs) ou le slabbing (produits plats). À
continue des aciers. Déjà J. Barbé y figurait aux côtés de partir des années 1960, pour chaque conception d’usine
S. Junghans et I. Rossi. nouvelle ou pour toute modernisation d’une aciérie
existante, se posait donc le dilemme du maintien de la
voie lingots ou du passage en coulée continue. La réponse
1 Introduction apportée dépendait en grande partie du carnet de nuances
élaborées par l’aciérie considérée, car les technologies
La coulée continue de l’acier, un vieux rêve des sidérur- disponibles en coulée continue ne permettaient pas
gistes poursuivi depuis qu’ils ont appris à la fin du 19e siècle toujours de garantir les qualités requises par les nuances
à élaborer le métal par une voie en phase totalement les plus pointues du carnet de commande, même si la
liquide, s’est imposée progressivement au cours de la diversité croissante des options technologiques disponibles
seconde moitié du 20e siècle dans tous les secteurs de permettait d’adapter de mieux en mieux la coulée continue
l’activité sidérurgique : produits longs, produits plats, aux cas particuliers. Le dilemme du passage ou non en CC,
aciers courants, aciers spéciaux de construction, aciers était d’autant plus crucial que l’option coulée continue
inoxydables, au point que la coulée discontinue en lingots était pratiquement irréversible puisqu’elle impliquait le
ne subsiste plus guère que pour des besoins très spécifiques : plus souvent l’arrêt du train dégrossisseur des lingots.
ébauches pour refusion, produits bruts de coulée destinés à Soulignons une nouvelle fois que sans de grands industriels
la grosse forge ou aux tôles de très forte épaisseur. Pour visionnaires qui s’acharnèrent à soutenir le développement
parvenir à cette généralisation du procédé, les ingénieurs du procédé malgré les difficultés technologiques et
ont dû surmonter un grand nombre de problèmes qualitatives considérables qu’il présentait à ses débuts,
techniques et métallurgiques, rendus encore plus complexes et qui assumèrent les risques d’introduction de ces
par leur imbrication. Leur élucidation a bien souvent fait équipements nouveaux dans les filières industrielles, la
appel aux meilleures équipes de chercheurs en métallurgie coulée continue n’aurait pas connu l’essor que nous
des centres de R&D de par le monde et leur résolution doit constatons. Dès que les technologies de base furent
beaucoup à l’imagination créatrice et à l’ingéniosité des assurées, le développement de la coulée continue fut rapide
technologues. La constitution minutieuse d’une vaste pour les nuances les plus courantes (par exemple, le rond à
défectologie et l’analyse très précise des causes métallurgi- béton). Il le fut beaucoup moins pour certains aciers
ques et techniques de ces défauts ont joué un grand rôle spéciaux puisqu’on observe, lors de l’actuelle décennie, la
dans la maîtrise progressive de la coulée continue et dans levée des derniers obstacles à la coulée continue pour des
son extension à l’ensemble du catalogue des aciers. nuances qui longtemps l’exclurent, telles les nuances
Nous avons assisté, essentiellement au cours de la d’aciers pour roulements. Les produits plats occupèrent
seconde moitié du 20e siècle, à un développement une place considérable dans ce développement d’abord
technologique majeur, associant R&D et industrialisation, pour les aciers au carbone, puis pour les aciers inoxydables :
actions qui mobilisèrent des compétences aussi diverses que la pression des exigences en matière de qualité de surface,
celles des métallurgistes, constructeurs/mécaniciens, acié- particulièrement forte pour les produits plats minces, fut à
ristes exploitants, réfractoristes, automaticiens. Ces efforts l’origine des principaux progrès notamment autour du
ont été rendus possibles par une intense activité de fonctionnement de la tête de machine, du contrôle
formation à la métallurgie des acteurs du terrain à tous électromagnétique de la solidification, et du supportage
les niveaux de compétences, avec le concours des des lignes.
organismes de formation académiques et professionnels. Dans les 40 années du développement intensif du
On peut mesurer le foisonnement technologique autour de procédé, environ 1750 machines furent mises en service
la coulée continue au nombre considérable de brevets représentant 5500 lignes de coulées dans 90 pays, alors que
déposés sur le sujet. C’est ce couplage fécond de la réflexion la production mondiale d’acier doublait dans le même
métallurgique et de l’inventivité technologique, soutenu temps. Le taux d’équipement en coulée continue de la
d’abord par le dynamisme et la volonté des derniers maîtres sidérurgie mondiale dépasse désormais 90 %. On a donc
de forge, puis par des dirigeants visionnaires, sous la assisté à une véritable révolution industrielle affectant
pression des exigences qualitatives et de productivité, que toute la profession sidérurgique, développement qui a
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fédéré d’énormes moyens en compétences et mobilisé des parachèvement (voire à chaud sans aucun parachève-
moyens financiers considérables. La coulée continue, au ment), ce qui implique (entre autres exigences) une
moins en ses débuts industriels, est surtout une affaire maîtrise très précise de la formation de la peau solide en
européenne et américaine et très vite japonaise, même si la lingotière ainsi qu’un soutien d’une grande précision du
diffusion vers les autres nations sidérurgiques sera rapide. produit au long de la ligne de coulée ;
La plupart des exemples que nous choisirons pour illustrer – la santé interne du produit. Elle suppose non seulement
les évolutions techniques du procédé seront cependant d’éviter les endommagements internes (criques) résul-
majoritairement puisés dans les sidérurgies européennes (et tant de contraintes excessives appliquées à un produit
plus particulièrement nationale), en raison de la connais- encore mal consolidé (dus, par exemple, à un désali-
sance plus complète que nous avons de leur histoire. gnement de la machine), mais encore de minimiser les
On ne saurait oublier que les développements en hétérogénéités compositionnelles et structurales issues
matière de CC ont été une contribution importante à la du processus même de solidification, ainsi que les
mise en oeuvre d’une « éco-filière de production de l’acier », contaminations inclusionnaires [1]. Ces problèmes
ne serait-ce que par les économies d’énergie résultantes, étaient d’autant plus aigus que le passage du lingot à
même si ces préoccupations ne furent pas majeures dans les la coulée continue diminuait le plus souvent fortement la
phases initiales de développement du procédé. section du produit solidifié ; le travail de corroyage à
L’essentiel des technologies et des développements en chaud lors du laminage ultérieur (qui contribuait à
matière cette coulée continue l’ont été au cours du demi- atténuer les hétérogénéités issues du processus de
siècle précédent (y compris l’avancée la plus innovante que solidification) serait donc bien plus limité sur un produit
fut la coulée de bandes), en conséquence on ne trouvera issu de CC ;
dans cet article à finalité d’histoire des techniques que peu – une productivité et une disponibilité de la machine de
de références postérieures aux années 1990. coulée lui permettant de s’insérer harmonieusement
entre les réacteurs de fusion/affinage et les laminoirs à
chaud.
2 Partie I : les grandes étapes du
développement de la coulée continue (CC) La figure 1 reproduit le schéma d’une coulée continue
verticale pour brames. Le schéma coté permet d’apprécier
2.1 La problématique coulée continue (CC) l’encombrement de la machine.
À l’intention des lecteurs peu familiarisés avec les
Pour planter le décor technique du développement techniques sidérurgiques, l’annexe A regroupe quelques
historique du procédé et situer l’ampleur des problèmes considérations élémentaires sur la conception et le
qu’il convenait de résoudre (sur lesquels nous reviendrons fonctionnement des machines de coulée en usage dans
en détail au cours de l’article), nous résumons ci-après les la sidérurgie. On y trouvera notamment une ébauche de
différentes composantes de la problématique à affronter dimensionnement qui rend compte du grand développe-
par le sidérurgiste qui passe d’une coulée en lingots à ment linéaire des machines conventionnelles de coulée.
l’exploitation d’une machine de coulée continue : On peut s’interroger à propos des différences de
– le maintien en température (dans d’étroites limites au vitesses de développement de la coulée continue dans
voisinage de 1500 °C) pendant toute la durée de l’industrie de l’aluminium (de l’ordre d’une ou deux
l’opération, (qui peut dépasser l’heure pour une seule décennies pour que la quasi-totalité de l’industrie de
poche coulée) pour une masse d’acier liquide (de quelques l’aluminium soit équipée) et dans la sidérurgie : près cent
dizaines de tonnes à quelques centaines de tonnes) ans entre la première machine de B. Atha chez Crucible
contenue dans la poche de coulée. Steel Co., en 1886 aux U.S.A. ans et la fin de la phase
– la tenue, sur le temps de coulée, des matériaux intensive de développement de la CC conventionnelle, et
réfractaires constituant les canaux d’alimentation de un peu plus de trente ans à partir d’une des premières
la tête de machine et les dispositifs d’obturation ; machines réellement industrielles, celle de chez Böhler à
– la régulation de débit de l’acier liquide afin de couler à Kapfenberg en Autriche en 1952.
vitesse constante, de conserver en machine un profil de Le tableau 1 qui regroupe quelques caractéristiques
solidification inchangé pendant la durée de coulée et physiques et enthalpiques des deux matériaux (aciers
surtout un niveau constant d’acier liquide en lingotière et aluminium) rend compte pour partie non seulement des
(forte incidence sur la qualité de peau) ; raisons à l’origine de la différence entre les vitesses de
– l’extraction régulière en continue du produit depuis la développement de la coulée continue respectivement dans
lingotière, sans endommagement de la peau du produit les deux industries mais encore des différences considéra-
(lubrification), ni déchirures conduisants à la percée qui, bles dans la complexité des machines mises en œuvre. Nous
si elle n’est pas toujours catastrophique, reste un incident commentons ci-après ces différences de caractéristiques
sérieux ; entre les deux matériaux :
– l’extraction thermique : évacuer dans les limites géomé-
triques de la machine toute l’enthalpie de solidification de – la solidification de l’acier se produit quelques 850 °C au-
l’acier ; dessus de celle de l’aluminium ce qui n’est pas sans
– la qualité de peau du produit, qui doit être suffisante pour conséquences sur le choix et la tenue des matériaux
que celui-ci puisse être enfourné dans les fours de nécessaires à l’alimentation de la machine de coulée et au
réchauffage du laminoir aval avec un minimum de confinement de la solidification ;
4 J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

conductivité de l’austénite alliée comparée à celle de


l’acier au carbone. Ce ne sera pas sans conséquences sur la
coulée des aciers inoxydables austénitiques ;
– la complexité, dans le cas des aciers, des phénomènes
métallurgiques à la solidification et au refroidissement
depuis le solidus (précipitations diverses, transforma-
tions de phases) ayant un grand retentissement sur la
qualité du produit final impliquait que le passage à la
coulée continue, pour les nuances les plus complexes, ne
se fasse qu’après l’élucidation complète de ces phéno-
mènes et la mise au point de mesures palliatives à leurs
effets éventuellement nocifs sur la qualité. Cette
élucidation ne pouvait se faire que de manière très
progressive, au rythme de l’accroissement des connais-
sances à propos des phénomènes physico-chimiques en
jeu sur la machine et du retour d’expérience des machines
industrielles ;
– la considérable variété des applications mécaniques de
l’acier impliquait que chacune des industries clientes
valide, pour son propre compte, la nouvelle filière de
coulée en évaluant le matériau coulé pour des propriétés
aussi diverses que l’isotropie et l’homogénéité des
propriétés mécaniques, le comportement en endurance,
l’aptitude à la déformation à froid, l’aptitude aux
traitements de surface, la tenue à la corrosion…

2.2 Pourquoi la coulée continue ?

Les ingénieurs en charge du développement de procédés de


fabrication ont toujours été séduits par les procédés
continus, qui comparativement aux procédés discontinus,
se prêtent en général beaucoup mieux à l’instrumentation,
à l’automatisation, aux gains de productivité. Ces procédés
continus suppriment, en outre, une bonne partie des
régimes transitoires à l’origine de beaucoup de problèmes
qualitatifs. La sidérurgie ne pouvait rester à l’écart d’une
telle évolution, notamment parce que le bassin de coulée en
Fig. 1. Schéma d’une machine de coulée continue verticale [2–5].
lingots restait le maillon faible de l’aciérie par son caractère
Première machine pour larges brames en aciers inoxydables,
encore largement artisanal, le faible contrôle que l’on y
construite en 1960 à l’usine de Hikari de Yawata Iron and Steel
Co, ancêtre de Nippon Steel). a : Répartiteur ; b : lingotière ;
avait sur les processus, et les sévères conditions de travail
c : refroidissement secondaire ; d : extracteur ; e : coupe. qui y régnaient.
Mais la vraie justification technico-économique de la
Fig. 1. Vertical casting machine. coulée continue était d’obtenir une ébauche brute de coulée
au format le plus proche possible de celui du produit final
– l’enthalpie à évacuer par unité de masse est, dans le cas de sortant de l’usine sidérurgique, afin de minimiser le travail
l’acier, de 10 % supérieure à celle de l’aluminium ; de laminage à chaud et en particulier de court-circuiter les
– l’écart considérable de densité à l’état liquide (7,0 pour cages dégrossisseuses imposées par le format des lingots, ce
l’acier contre 2,4 pour l’aluminium) implique un qui engendrait une simplification très notable des gammes
corsetage de la machine (pour éviter les déformations de laminage. En effet, la coulée en lingots imposait presque
en ligne), dans le cas de l’acier, sans commune mesure systématiquement un laminage « en deux chaudes » : le
avec celui requis par l’aluminium. D’entrée de jeu, la produit (bloom ou brame) sortant du laminoir dégrossis-
machine de coulée continue pour l’acier ne pouvait être seur (blooming pour les produits longs, slabbing pour les
qu’une machine lourde, complexe, devant opérer en produits plats) devait être réchauffé une seconde fois avant
milieu sidérurgique (qui n’est pas précisément proche de d’entrer dans un train finisseur (train à barres, train à fils,
celui d’un laboratoire) ; train continu à bandes). Grâce à la coulée continue, on
– la conductivité thermique de l’aluminium solide bien plus passait ainsi de lingots de poids unitaires de quelques
élevée que celle de l’acier permet une extraction tonnes et dont la section droite pouvait être de plusieurs
thermique en machine de coulée bien plus efficace et dizaines de dm2 (lingots carrés pour les produits longs et
permet donc un raccourcissement notable des lignes de lingots méplats pour les produits plats) à des produits de
coulée de l’aluminium. On notera au passage la faible CC dont les sections typiques étaient 120  120 mm2 pour
J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018) 5

Table 1. Caractéristiques physiques et enthalpiques comparées des aciers et de l’aluminium [6].


Table 1. Physical and thermochemical properties of steels and aluminium.

Aciers bas carbone Acier inox Aluminium


austénitique
T de fusion (°C) 1535 1400/1450 660
Enthalpie à la T de fusion, 0,364 0,342 0,325
(enthalpie de fusion incluse)
(Kwh/Kg)
Densité à l’état liquide (g.cm-3) 7,0 7,0 2,36
Conductivité thermique 40 18 220
(Wm-2K) à 500 °C à 500 °C à 100 °C

Table 2. Besoins en énergie (kwh/t de semi-produit) de la coulée continue et de la coulée en lingots [2–5].
Table 2. Energy consumption (kwh/t of semi product) in continuous casting and ingot casting.

Coulée continue Coulée en lingots


Surchauffe de l’acier liquide 10 Énergie électrique des fours 6,0
Préchauffage du répartiteur 35 Combustible pour le réchauffage 290,6
des lingots (50 % de lingots enfournés froids)
Énergie électrique/machine de coulée 18 Énergie électrique du laminoir 20
Total 63 Total 316,6

des billettes destinées à un train à fil ou pour ronds à béton, La crise pétrolière des années 1973/1974 accéléra de par le
de 250  250 mm2 pour des blooms destinés à la production monde le passage en coulée continue puisque l’élimination
de barres en aciers de construction, et de 250  1800 mm2 d’une chaude de laminage (blooming ou slabbing) entraînait
pour des brames destinées aux produits plats. Bien une économie d’énergie fort significative (Tab. 2). C’est à
entendu, en fonction du carnet de commandes et des partir des années 1970 que la coulée continue prit vraiment
exigences qualitatives qu’il contenait, de la prise de fer du son essor en même temps que la production mondiale d’acier
laminoir aval, les sidérurgistes pouvaient s’écarter nota- croissait fortement (Fig. 2) principalement sous l’impulsion
blement des formats typiques que nous venons d’indiquer. de la Chine qui deviendrait le premier producteur mondial.
Nous conserverons la classification des machines de coulée La part de la coulée continue dans la production mondiale
en trois grandes catégories : les machines à billettes pour d’acier était de 4 % en 1970, de 25 % en 1980, de 60 % en 1990,
des formats coulés inférieurs à 180  180 mm2, les machines et de plus de 90 % actuellement. Le formidable développe-
à blooms pour des formats en général inférieurs à ment de la Chine en matière de sidérurgie (sa production
400  400 mm2, les machines à brames pour des formats représente désormais 50 % de la production mondiale) s’est
autour de 250  1800 mm2, formats auxquels s’ajoutent les fait essentiellement à partir de coulées continues. Entre
ébauches pour rails et profilés divers. D’une manière temps, certains problèmes majeurs avaient été résolus et la
générale, plus les exigences qualitatives en matière de santé technologie largement fixée (nous y reviendrons en détail
interne étaient sévères plus on avait tendance à faire grossir dans le cours de cet article). L’industrie sidérurgique tirait
le format choisi de manière à ce que le travail de corroyage enfin (à partir des années 1970) le bénéfice des vingt années
en aval, au cours du laminage, reste suffisamment précédentes d’efforts intensifs de développement.
important pour atténuer les hétérogénéités issues du Nombre d’usines sidérurgiques pousseront la recherche
processus de solidification ; mais évidemment plus le des économies d’énergie jusqu’à procéder à l’enfournement
produit grossissait plus la machine de coulée s’alourdissait. chaud, dans les fours de réchauffage des laminoirs, des
Certains sidérurgistes seront amenés à concevoir des produits sortant de la CC. Le procédé n’était cependant pas
machines coulant de quasi-lingots (le japonais Sanyo Steel généralisable à toutes les nuances d’acier notamment parce
Co sera l’un des premiers à couler en continu, au format que la qualité de surface du produit en sortie machine
370  480 mm2, avec plein succès, des aciers à roulements ; imposait parfois un parachèvement avant enfournement
Timken construira dans son usine de Faircrest (USA) une pour laminage à chaud.
machine CC au format 460  610 mm2 pour ces mêmes La simplification des gammes de laminage résultant du
aciers) ; mais avec de tels formats on n’obtenait pas la passage en coulée continue avait aussi des retombées
simplification des gammes de laminage à chaud que des favorables sur les coûts de fabrication, au-delà des
formats notablement plus petits permettaient. économies d’énergie mentionnées ci-dessus :
6 J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

Fig. 3. Première machine de coulée continue (B. ATHA :


Fig. 2. Évolution de la production mondiale d’acier et part de la Crucible-Steel Co 1886) [2–5].
coulée continue (X) [7].
Fig. 3. First continuous caster (B. Atha-1886).
Fig. 2. World steel production evolution and part of continuous
casting (X).

– un gain sensible sur les rendements métalliques, en puisque les machines qui s’imposeront dans l’industrie
réduisant les pertes de métal par oxydation (calamine) du seront à lingotière à paroi mince, oscillante, à extraction
fait de la suppression d’une chaude de laminage et continue, et souvent courbes. En attendant les premières
surtout les chutages au cours de la mise en forme. En voie machines se complexifient sur la base de développements
lingot on procédait, après les premières passes de empiriques puisqu’on ne dispose pas des connaissances
laminage, à un double chutage (tête et pieds) du produit suffisamment précises en matière de solidification des aciers
issu de chaque lingot ; en CC on ne procédait à un tel pour orienter rationnellement les développements ; la place
chutage que pour chacune des lignes de coulée démarrées, de la CC dans les aciéries reste confidentielle. La coulée
c’est-à-dire de la coulée sans interruption de l’extraction. continue des métaux non ferreux apparaît, se développe
Ce gain croissait bien évidemment avec la longueur des rapidement, et inspire les développements en matière de
séquences de coulée ; coulée des aciers. C’est au cours de cette période (années
– simplification des manutentions ; 1930) qu’apparaissent les technologies de base pour la
– réduction des délais de fabrication. lingotière de coulée continue : la paroi mince, l’oscillation
verticale, la lubrification. Le nom de S. Junghans (1887–
1954) reste associé à cette période pionnière.
2.3 Les grandes étapes du développement de la coulée
continue 2.3.2 Les années 1940 :« L’acier peut-il vraiment être coulé
Le Dr Wolf distingue six périodes dans le développement de en continu ? »
la coulée continue appliquée aux aciers [2–5]. Pendant la guerre et immédiatement après celle-ci, des
essais sont menés un peu partout dans les pays indus-
2.3.1 « La période préhistorique » trialisés et notamment en Allemagne (toujours par
Junghans), aux USA (Bethleem Steel, Republic Steel,
« La période préhistorique » qui s’étend de 1886 (première Babcock & Wilcox), en URSS, en G.B. Dès 1947, des essais
machine d’Atha chez Crucible Steel U.S.A.) jusqu’au début sont repris par Junghans en Autriche avec une collabora-
des années 1940. La machine d’Atha (Fig. 3) est verticale, à tion des sociétés Böhler, Schöller-Bleckmann et Voest-
lingotière fixe, à paroi épaisse en fonte (donc comparable à Alpine et au Japon. Nous nous arrêterons un court instant
une lingotière classique de la voie lingot) et à extraction sur ce dernier pays : Sumitomo construit en 1947 à
discontinue. On mesure tout le chemin qui reste à parcourir Amagasaki une machine verticale pour couler des ébauches
J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018) 7

en contacts techniques étroits, vont jouer un rôle capital


dans ce développement : S. Junghans que nous avons déjà
rencontré dans cette histoire et I. Rossi (1889–1991). Le
premier se rapproche du sidérurgiste Mannesmann avec la
construction en 1954 de la CC1 d’Huckingen (machine à
blooms verticale à 4 lignes). Le second fonde en 1950 (à
l’âge où l’on prend d’ordinaire sa retraite) aux USA une
société d’engineering (Continuous Métalcast) qui devait
donner naissance en Suisse à CONCAST AG en 1954 avec
l’ambition de développer une machine à forte productivité
et donc à grande vitesse d’extraction, dont il pensait avec
lucidité qu’elle aurait un grand avenir dans un monde
sidérurgique largement en reconstruction. Les deux
hommes manifestaient une égale détermination à déve-
lopper la coulée continue des aciers après avoir fait leurs
premières armes dans les machines de coulée pour métaux
non ferreux. Ainsi se mettaient en place deux pôles majeurs
Fig. 4. Première machine industrielle de Junghaus pour mini-
de développement pour la CC avec deux groupements
brames (100 160  330 100 mm2) et billettes (90 à 140 mm2)
chez Böhler/Kapfenberg (1952) [2–5].
constructeurs leaders pilotés chacun par l’un des deux
pionniers (mais S. Junghans décèdera en 1954) :
Fig. 4. Vertical billet and minislab caster (Böhler/Kapfenberg – le premier autour de l’association Junghans/Mannes-
1952). mann s’appuyant aussi sur l’expérience de Junghans chez
BÖHLER. Ce groupe sera rejoint par DEMAG qui
pleines pour tubes sans soudure. Quand on imagine l’état apportera sa vaste expérience dans la construction des
de l’industrie japonaise deux ans après la fin de la guerre, la usines sidérurgiques ;
performance paraît assez exceptionnelle. Revenons aux – le second autour de CONCAST qui fédère les participa-
développements en Autriche : la machine à deux lignes tions financières de BSC (British Steel Corporation), de
construite par Junghaus chez Böhler à Kapfenberg GHH et du groupe Marine-Firminy, met en commun
(Fig. 4) constituera un véritable banc d’essai pour la l’expérience acquise sur leurs territoires par ces parte-
technologie naissante, par la diversité des formats coulés naires et promeut la coopération des engineerings
(mini-brames, billettes rondes et carrées), des nuances (y associés (pour la France CAFL Engineering qui devien-
compris des aciers inoxydables) ; on y conduira même des dra CLECIM). Ce groupement sera rejoint par SUMI-
essais de cintrage pour ouvrir la voie aux machines courbes. TOMO (SHI) ; entre-temps SUMITOMO-METAL aura
C’est dans cette période que les technologies de base démarré en 1955 à Osaka la seconde CC du groupe après
apparues dans la période précédente se fixent et qu’appa- celle d’Amagasaki.
raissent aussi les toutes premières tentatives d’instrumen-
Ces deux groupes constructeurs concurrents conserve-
tations de la tête de machine avec l’emploi des rayons X
ront cependant un point commun avec MBC (Mannes-
pour repérer le niveau de métal en lingotière et un moniteur
mann, Böhler, Concast).
TV visant le ménisque (B&W à Beaver Fall, U.S.A.), le
Si l’on considère aussi la forte présence de CONCAST
four à induction en tête de machine pour maintenir le métal
aux USA (Concast Inc) et ses autres développements de par
à température, le répartiteur pour alimenter simultané-
le monde (Inde, Espagne…) ainsi que les développements
ment plusieurs lignes de coulée. On s’étonnera peut-être de
propres des constructeurs japonais, US ou de l’URSS, on
la détermination des sidérurgistes à développer une
peut considérer que l’internationalisation de la technologie
nouvelle technologie, alors qu’au sortir de la guerre tant
était en bonne voie ; elle était bien la conséquence du très vif
d’usines étaient à reconstruire (c’était particulièrement
intérêt des aciéristes exploitants pour le procédé.
vrai pour le Japon et l’Allemagne), mais de grands
On trouvera regroupés au tableau 3, les noms des
industriels visionnaires commençaient à rassembler des
principales sociétés d’engineering (sans aucune prétention
équipes d’ingénieurs constructeurs, exploitants, cher-
à l’exhaustivité) qui contribuèrent de manière très
cheurs, car ils avaient parfaitement compris qu’il valait
significative au développement mondial de la coulée
mieux reconstruire des usines sur la base des technologies
continue dans les aciéries. La filiation de ces entreprises
de demain plutôt que sur celle des technologies d’avant-
est compliquée car comme pour toute technologie émer-
guerre.
geante, au marché fortement croissant, le nombre d’acteurs
2.3.3 Les années 1950 : les premières exploitations des commence par augmenter fortement pour aboutir ensuite à
des rationalisations. Elles se rattachent bien souvent, plus
machines industrielles
ou moins, par le jeu des licences ou des accords successifs,
Le début des années 1950 est marqué par la naissance des aux deux pôles constructeurs initiaux évoqués précédem-
premières sociétés d’engineering se consacrant à la ment. Quelques « indépendants » des deux groupements
conception des machines de coulée continue. Deux fondateurs n’en ont pas moins joué un rôle très significatif
personnalités visionnaires et emblématiques, qui bien dans le développement : Fives-Cail-Babcock (FCB) en
qu’engagées dans des entreprises concurrentes resteront France, Voest-Alpine Industrialbau (VAI) en Autriche,
8 J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

Table 3. Principaux constructeurs de machines de coulée continue dans la phase intensive de développement.
Table 3. Main constructors of CC machines during the intensive development period.

Sociétés Nationalité Remarques


CONCAST Suisse Extension mondiale des partenariats

VOEST-ALPINE (VAI) Autriche

FIVES-CAIL-BABCOCK (FCB) France Proche de Demag et partenaire important d’Usinor

DUJARDIN-MONTBARD- France Constructeur des machines rotatives


SOMENOR (DMS) (proche d’Imphy et de Vallourec)

CLECIM France Partenariat avec CONCAST


(CAFL Engineering, initialement)

SUMITOMO HEAVY Japon Idem


INDUSTRIES (SHI)

HITACHI–ZOSEN Japon Partenariat avec DEMAG

MANNESMANN–DEMAG (MDM) Allemagne Extension mondiale des partenariats

SCHLOEMANN- Allemagne Partenariat avec CONCAST


DEMAG-SIEMAG (SMS)

DISTINGTON/DAVY G.B. Partenarit avec CONCAST

DANIELI Italie

KOPPERS U.S.A.

ROKOP U.S.A.

Danieli en Italie, Davy en G.B, Koppers et Rokop aux USA. Malcor est aussi à l’origine de la construction en 1955 de la
Bon nombre des constructeurs regroupés au tableau 3 ont machine à billettes d’Allevard coulant des aciers à ressorts
soit disparu, soit ont été incorporés dans des groupes de (aciers au silicium). Cette machine sera suivie en 1963, dans
mécaniciens/engineering plus généralistes. la même aciérie, d’un second équipement, ce qui démontrait
La contribution de l’URSS (non mentionnée au Tab. 3) la pleine adéquation de la coulée continue à la production des
au développement du procédé fut très significative, si l’on en aciers faiblement alliés en produits longs. H. Malcor sera un
juge par les installations construites dans les territoires sous acteur important dans le développement de CONCAST et de
contrôle soviétique, souvent avec des conceptions technolo- CAFL Engineering devenu CLECIM.
giques très originales. Un exemple de cette originalité est Fives-Cail-Babcock (FCB) fait en 1954 ses premiers pas
fourni par la machine de Nijny-Taguil (Oural) démarrée en en matière de CC avec la coulée à blooms à quatre lignes
1968. Il s’agit d’une machine courbe à brames, à refroidisse- verticales chez Usinor/Denain.
ment secondaire par jeux de longerons et walking-beams. La production mondiale d’acier double presque dans
Nous reviendrons sur cette technologie particulière dans la cette décennie pour atteindre 340 Mt en 1960, mais elle est
partie II [15]. encore dépendante à 80 % des fours Martin qui se prêtent
En France en 1953, sous l’impulsion d’H. Malcor, une mal (longueur de l’élaboration, fort tonnages unitaires
machine de coulée démarre à Unieux dans la Loire (future coulés) à la coulée continue, telle qu’elle émerge de ses
usine CAFL) en petits formats, elle coulera, dans des formats premiers pas vraiment industriels. Celle-là se développe
ovales, une grande variété de nuances, y compris des aciers à donc plutôt en aval de fours électriques qui sont loin d’avoir
outils, ce qui était un vrai défi pour l’époque. On notera que le atteint leurs pleines performances [8–10] et restent encore
démarrage de cette machine se place dans la période de le plus souvent de tonnages limités (<30 t). Ce sont donc le
construction des quatre premières machines de Junghans. H. plus souvent des aciéries pour produits longs (souvent en
J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018) 9

Fig. 5. La machine verticale à petits blooms de la SAFE (1960)


[11].
Fig. 5. Small bloom vertical caster at SAFE. Fig. 6. Coulée continue verticale de blooms à 4 lignes chez
Mannesmann/Hückingen (1954) [2–5].
aciers spéciaux faiblement alliés ou pour le rond à béton),
pratiquant majoritairement la fusion électrique, qui Fig. 6. Vertical Bloom caster at Mannesmann Hückingen (1954).
s’équipent de machines à blooms ou à billettes. On notera
l’équipement dès 1960 de l’aciérie d’Hagondange (SAFE, On signalera la construction en 1954, chez ATLAS
appartenant alors à Renault ; l’usine appartient aujourd’- STEEL à Weiland (Canada), d’une machine verticale
hui à Asco-Industries) avec une machine verticale à 4 lignes mixte billettes (140  190 mm2) et larges blooms (100 165
coulant des billettes de 120  120 mm2 et des blooms  483 610) coulant des aciers inoxydables. La machine
jusqu’à 200  200 mm2 en aciers de construction faiblement construite par KOPPERS avait été conçue par I. Rossi.
alliés destinés à l’industrie automobile (Fig. 5) (cette
machine sera reconstruite en 1986 par l’engineering FCB 2.3.4 Les années 1960 : la révolution apportée par la
puis modernisée en 1991 pour couler toujours suivant la machine à lingotière courbe
verticale des blooms de 240  240 mm2).
La configuration des quatre lignes de coulée de la Plus le produit augmentait en section, plus la longueur en
première machine de la SAFE est singulière puisqu’elles sont machine nécessaire à sa solidification complète croissait.
disposées en carré et non en ligne comme cela deviendra la Cela conduisait à des hauteurs de machines verticales le
règle (cela démontre qu’on a mené une réflexion originale sur plus souvent incompatibles avec les aciéries existantes
l’alimentation de la machine). Il est intéressant de noter que puisqu’elles ne disposaient pas des hauteurs suffisantes
le constructeur de cette machine fut le consortium (évoqué ci- sous crochet de pont roulant pour amener la poche d’acier
dessus) formé autour de Mannesmann, Böhler, et Junghans, liquide en tête de machine de coulée. Il n’y avait que deux
l’un des principaux développeurs à l’époque de la technologie solutions au problème posé : enterrer la sortie de machine
de CC. Une machine verticale à blooms à quatre lignes est au fond d’un « gouffre de Padirac » (solution retenue par la
aussi construite chez Mannesmann/Hückingen en Allema- SAFE), ou construire une halle lourde spécifique pour
gne (Fig. 6). C’est dans cette période que se généralise abriter la coulée continue, mais conçue pour manipuler des
l’oscillation sinusoïdale de la lingotière. Ces machines sont charges de plusieurs dizaines et même centaines de tonnes à
verticales (pour la partie active en solidification), mais le grande hauteur, avec le surcoût considérable que cela
cintrage apparaît déjà en sortie de machine (pour évacuer le représentait au point de vue des structures porteuses du
produit à l’horizontale, augmenter la longueur des lignes et bâtiment. Une première approche de solution au problème
donc couler plus vite) ; cependant nombre de machines de hauteur consistait à courber le produit dans sa partie
restent totalement verticales avec coupe du produit en aval, puis à le redresser avant la coupe, mais avec l’exigence
position verticale et remontée des blooms par un skip (cas de que la solidification soit terminée avant le cintrage qui
la SAFE ou de Mannesmann/Hückingen). devait donc être positionné assez bas dans la machine. Ce
10 J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

C’est aussi dans cette période qu’on observe le


développement du phénomène « Bresciani » des mini-
usines basées sur la fusion de ferrailles au four électrique
pour la production de produits longs en nuances courantes
(ronds à béton, fers marchands, fils…). Le phénomène
n’aurait pu prendre l’ampleur qu’il connut sans l’existence
de la coulée continue à billettes. Les deux principaux
constructeurs en Europe de ce type de machine seront
CONCAST et DANIELI. Le choix est fait d’une machine
entièrement courbe, modulaire, dépouillée au maximum,
coulant à grande vitesse. La production visée est alors de
25 000 t par ligne et par an. Ces machines représentent la
réalisation parfaite de l’objectif de Rossi lorsqu’il se lança
dans la coulée continue : une machine simple et de haute
productivité. Les Bresciani (dont le groupe Riva) resteront
comme les inventeurs du modèle de l’aciérie de haute
productivité, centrée sur le four électrique amené à de
hautes performances [8–10] couplé à une coulée continue de
format limité coulant à grande vitesse.
Fig. 7. Machine verticale avec cintrage pour larges brames à
Dillingen (1961) [2–5]. 2.3.5 Le développement massif de la coulée continue
(les années 1970)
Fig. 7. Vertical/bending wide slabs caster at Dillingen (1961).
Nous avons déjà signalé que la crise pétrolière va donner
sera la solution adoptée en 1961 à Dilling en Sarre pour une impulsion décisive au développement de la CC en
couler de larges brames (200  800/1000/1520), (Fig. 7). valorisant grandement les économies d’énergie issues de la
On notera que la lingotière se situe, malgré la courbure de la suppression d’une chaude de laminage. Le développement
ligne, à 18 m du sol et le chemin de roulement du pont de est particulièrement significatif pour les produits plats et
coulée à 27 m ! Les machines suivantes de Dilling seront les machines à brames. À partir d’une technologie
construites suivant ce schéma, c’est-à-dire avec un profil désormais mature, le Japon mène la course au développe-
vertical droit suivi d’un cintrage sur cœur solide (Fig. 8) ment notamment en produits plats : augmentation des
puis d’un décintrage. vitesses de coulée, amélioration des qualités, extension du
La conception d’une machine avec lingotière courbe carnet des nuances coulables en continue (aciers inoxyda-
prolongée par un refroidissement secondaire développé sur bles en particulier), amélioration de la tenue des réfractai-
un presque quart de cercle de même rayon, résolvait pour res de coulée, généralisation de la busette à tiroir pour
partie le problème du développement en hauteur. Il fallait contrôler le débit d’acier, généralisation des busettes à
cependant décintrer le produit, un peu avant sa sortie de la ouïes pour alimenter la lingotière, instrumentation et
machine pour évacuer à l’horizontale un produit devenu automatisation des fonctions autour de la tête de machine
rectiligne. Cela poserait d’autres problèmes (nous y (Fig. 10), coulées en longues séquences.
reviendrons). La première machine pilote de coulée de La sidérurgie française des produits plats s’équipe en
billettes (85  85 mm2) à lingotière courbe sera construite machines à brames à partir de 1968 (Tab. 4).
en 1963 chez Von Moos à Lucerne (Fig. 9). Elle sera suivie On trouvera au tableau 5, à la fin de cet aperçu
en 1964 par la machine à lingotière courbe pour billettes et historique, les principaux sites sidérurgiques français (liste
minibrames chez Bohler/Kapfenberg (Junghaus) rempla- non exhaustive) qui s’équipèrent de machines de coulée
çant l’ancienne machine verticale. Une des premières continue. Ce tableau est aussi un reflet assez fidèle des
machines à lingotière courbe pour larges brames sera restructurations ayant affecté la sidérurgie française (par le
construite en 1964 par Concast/Schloemann pour Dillin- nombre d’installations arrêtées qui y figurent). On notera
ger-Hütte (rayon 8 m, 1 ligne 250  1550 mm2) (Fig. 8), elle aussi que le développement des machines à brames est
sera suivie de beaucoup d’autres de par le monde... C’est la décalé d’environ dix ans par rapport à celui des machines à
lingotière courbe qui débloque vraiment la coulée continue blooms et à billettes, ce qui traduit non seulement la
pour les produits plats avec les machines à brames. Nous différence de complexité entre les deux types de machines
retiendrons les premières machines à brames au Japon en et la plus grande difficulté à maîtriser l’exploitation des
1967 chez Yamato Steel et NKK, prémisses d’un futur et premières, mais encore l’enjeu financier et technique
magnifique développement. C’est sur la machine de NKK considérable consistant à arrêter dans une usine intégrée
que sera établi le premier record significatif de coulées en à produits plats le laminoir slabbing, ces risques ne pouvant
séquence avec 28 coulées (1970). On notera l’entrée de la être valablement assumés qu’à partir d’une technologie de
Chine dans le club de la CC pour brames avec la machine de CC parfaitement fiable. Au regard des enjeux financiers et
Chongquing/Sechuan (rayon 6 m, 1 ligne au format commerciaux, la lucidité des exploitants de CC brames a
200  1700 mm2). été l’une des clés du succès.
J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018) 11

Fig. 8. Machine à lingotière courbe pour larges brames à Dillingen (1964) [2–5].
Fig. 8. Curved mold caster for wide slabs at Dillingen (1964).

Fig. 10. Système de coulée automatique chez NSC Kashima [2–5].


Fig. 9. Machine pilote à lingotière courbe (billettes) chez Von Fig. 10. Automatic pouring system at Kashima.
Moos (Lucerne) [2–5].
Fig. 9. Pilot mold curved caster for billets (Von Moos/Dillingen).

Dans le secteur des mini-aciéries électriques le Groupe – dans la première, on souhaite conserver une lingotière
Korf développe la coulée à grande vitesse sur des machines droite pour éviter l’impact des jets d’alimentation en
à billettes avec enfournement chaud directement en sortie métal liquide sur la peau en formation dans la lingotière,
des CC par un système entièrement mécanisé (Badische ce qui conduit à ne courber la ligne qu’au-delà d’une
Stahlwerke/Kehl), et alimentation des fours électriques de partie droite de 3 à 4 m à partir du ménisque. Pour
fusion éventuellement en minerais préréduits (Georgetown minimiser les risques d’endommagements du front de
Steel/USA ; Hamburger Stahlwerke/Allemagne). solidification liés au cintrage sur cœur liquide on adopte
un profil de cintrage très progressif ;
2.3.6 La maîtrise métallurgique totale (les années 1980 et – dans la deuxième, afin de poursuivre les gains sur la
1990) hauteur des installations, on met au point une machine
courbe à tête basse qui associe lingotière courbe à faible
Les années 1980 voient la reprise d’une réflexion intense sur rayon et décintrage progressif. Ce seront le cas de la
le profil de la ligne de coulée à propos des machines courbes machine dite SHCCM de Sumitomo/Kashima (1979) et
à brames. Deux pistes seront explorées : de la machine de NSC/Hirohata (partie II, Sect. 2) ;
12 J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

Table 4. Équipement en machines à brames dans la 1955 pour les aciers à ressorts en témoignent ainsi que, sous
sidérurgie française à partir de 1968. son impulsion, la création de l’IRSID, préparée par les
réflexions de Jean Rist (1900–1944) en matière de
Table 4. CC slab machines in France, since 1988.
recherche métallurgique. Cet institut de recherche pro-
fessionnel allait jouer un rôle capital dans le développement
1972 USINOR DK CC21 + CC22 + CC23
de la coulée continue en France en apportant un soutien
1972 CCB Isbergues Aciers inoxydables déterminant aux aciéries qui allaient s’équiper. Il convient
et à grains orientés aussi de souligner le rôle de la CECA finançant des
1975 SOLLAC Fos CC1 recherches coopératives entre sociétés sidérurgiques euro-
1977 USINOR DK CC12 péennes.
1979 SOLLAC Florange CC1 + 2 Le tableau 5 peut donner l’impression au lecteur, par le
1983 Ugine l’Ardoise Aciers inoxydables nombre de sites fermés, d’une régression inéluctable de
l’industrie sidérurgique ; il faut cependant considérer que
1984 SOLLAC Fos CC2 nombre de ces fermetures de sites correspondent à des
1968 USINOR DK CC11 rationalisations inévitables aux bénéfices des sites les
mieux équipés ou les mieux situés, ainsi confortés. Entre
bien d’autres exemples possibles du dynamisme maintenu
de la profession sidérurgique européenne, nous avons
– le savoir-faire des constructeurs permet aussi d’envisager retenu le cas, exposé ci-après, de l’aciérie de Kehl de la
la coulée continue pour les produits de forte épaisseur Badische Stahlwerke (BSW) dont les performances tien-
(brames et blooms de plus de 350 mm d’épaisseur) ; nent beaucoup à l’exploitation exemplaire de machines de
La résolution des ultimes problèmes métallurgiques CC à billettes [12].
posés par le passage en CC : maîtrise de la qualité de Cette société livre des nuances pour ronds à béton
surface, de la propreté inclusionnaire, des ségrégations en (nuances banales s’il en est) sous forme de fil machine à
particulier sur les nuances à haut carbone, permettent des tréfileries partout en Europe, dont 10 en Allemagne
d’étendre la coulée continue à la quasi-totalité des nuances appartiennent au groupe. La BSW est issue de l’éclate-
d’aciers et des formats. Dans cette période sont acquises ment en 1983 du groupe Korf, qui avait bâti un empire en
aussi les performances de productivité qui dépendent entre Europe et aux USA sur le concept de mini-usines (four
autres de la vitesse de coulée, de la longueur des séquences, électrique de fusion et CC de billettes) produisant des
de la disponibilité machine (elle-même dépendante de la aciers courants en produits longs, modèle de production
conception modulaire des machines et de la parfaite initiée à la fin des années 1960 par les Bresciani. La
coordination entre les équipes d’exploitation et d’entre- production de l’aciérie BSW repose sur deux fours
tien). Le dialogue technique intense entre constructeurs et électriques à arc et deux coulées continues à billettes
exploitants contribuera grandement au succès du déve- (respectivement à 5 et 6 lignes). L’amélioration constante
loppement. de ces outils a permis en trente ans de porter la
Les sidérurgistes des produits plats minces se donnent production annuelle de l’usine de 850 000 à 2 320 000 t
un nouveau défi : franchir une nouvelle étape dans la et la production journalière de 3000 à près de 8000 t. Au fil
simplification des gammes de laminage en supprimant le du temps, les améliorations les plus significatives sur la
train continu à bandes (TAB producteur des coils), outil chaîne de production et ses performances ont été les
central de toute usine intégrée à produits plats minces. La suivantes :
démarche prendra deux orientations : – au niveau des fours électriques de fusion : le poids unitaire
– la coulée de brames minces d’épaisseurs 70/80 mm, puis des coulées a été porté de 60 à 105 t, la puissance
40/60 mm (alors que les brames livrées au TAB étaient apparente des transformateurs de four a été portée de 36
dans la gamme d’épaisseur 150/250 mm). Cette épaisseur à 90 MVA, et tout un environnement technique a été
réduite permet de concevoir un laminage en ligne avec la développé autour du four pour optimiser au cours de la
machine de coulée (un four d’homogénéisation et 4 ou fusion l’emploi de l’énergie fossile (charbon mis dans la
5 cages de laminage à chaud) ; charge de ferrailles et brûleurs oxy-gaz ou oxy-fuel) avec
– a coulée en bandes de quelques mm d’épaisseur des injections d’oxygène. Le temps de coulée à coulée a
permettant une mise en coils directement en sortie de été ainsi ramené à 40 mn. Ces fours électriques sont parmi
la machine de coulée. Ce sera en France, entre bien les plus performants au monde ;
d’autres équipements pilotes de par le monde, « le projet – au niveau des deux machines de coulée continue (5 lignes
Myosotis » . et 6 lignes), une grande attention a été apportée à tout ce
qui permet de maximiser les temps sous coulée :
Ces deux techniques seront traitées dans la partie IV [17]. organisation du plancher de coulée et des manutentions
À l’issue de ce rapide survol historique, il convient de des poches et des répartiteurs ; tables d’oscillation des
rendre hommage à H. Malcor (1906–1998) qui fut à lingotières rétractables de manière à pouvoir changer les
l’origine non seulement des premières rationalisations lingotières en cours de séquence ; amélioration de la
importantes de la sidérurgie française au sortir de la tenue des réfractaires… Ces améliorations ont permis
guerre, mais qui engagea résolument la profession sidé- d’atteindre un taux de séquence de 115 poches en
rurgique dans la voie de la coulée continue : le démarrage de séquence ;
la coulée continue d’Unieux en 1953, celle d’Allevard en – l’enfournement chaud au laminoir atteint 85 % ;
J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018) 13

Table 5. Historique de l’équipement en CC des principaux sites sidérurgiques français. Les dates indiquées
correspondent à la mise en service de la première machine sur le site considéré ; mais une machine de coulée est un bien
durable, dont la durée de vie est de quelques dizaines d’année ; il en résulte que la plupart des machines ont subi, au cours
de leur vie, des revamping importants s’apparentant parfois à des reconstructions.
Table 5. CC equipment of the main French steel plants.

Année démarrage Société site Billettes Blooms Brames Observations


a
1953 Jacob Holtzer Unieux x
1954 FCBa x x
1955 Allevarda x CC1
1960 SAFE – Hagondange x
1963 Allevarda x CC2
1967 USINOR Dunkerque x CC11
1972 USINOR Dunkerque x CC21-22-23
1972 CCB Isberguesa x Inox et aciers à grains orientés
1973 Riva Iton/Seine x Ronds à béton
1975 SOLMER x x CC1
1975 SAM – Montereau x Ronds à béton
1975 Vallourec- St Saulve x Machine rotative
1975 ALPA- Porcheville (CC1)a x Ronds à béton
1975 AUMD- Decazevillea x Machine rotative
1977 SOLLAC Dunkerque x CC12
1978 Imphy x Machine rotative
1979 SOLLAC Florangea x CC1b et CC2a
1981 UNIMETAL- Gandrangea x x
1982 SAM Neuves-Maisonsa x
1982 UGINE – Savoie x
1984 UNIMETAL- Gandrangea x
1982 ASCOMETAL- Les Dunes x Machine rotative
1983 UGINE L’ardoise x Aciers inoxa
1986 SOLLAC Fos CC2
1986 LME Trith-St-Léger x Ronds à béton
1993 ALPA – Porcheville (CC2) x Ronds à béton
1996 Martial Ucin-Bayonne x Ronds à béton
2009 Vallourec St-Saulve x
a
Machines arrêtées ou démantelées.
b
Machine transformée en twin- bloom en 1994.

– il se passe 4 h entre la reprise de la ferraille sur l’aire de 3 Conclusion


stockage et la mise à disponibilité du fil machine (dans ce
laps de temps on aura fondu la ferraille, coulé l’acier, Sur un demi-siècle, la sidérurgie mondiale s’est équipée
laminé les billettes). pour la quasi-totalité de sa production de machines de
Enfin cette haute efficacité dans l’exploitation des coulée continue en adaptant les machines (droites ou
équipements est soutenue par une politique volontariste de courbes) aux formats des produits coulés. Ce développe-
formation (en permanence plus de 100 apprentis en forma- ment a été soutenu par des directions d’entreprises
tion) et par l’existence de la « Mittelstandliche Kultur » où un sidérurgiques et d’engineering visionnaires et grâce à des
groupe familial responsable réinvestit dans l’entreprise, ce qui avancées métallurgiques simultanées sur la compréhension
assure simultanément un taux de fonds propres élevé et les des phénomènes de solidification. Des gains de productivité
moyens pour la modernisation permanente. considérables en ont résulté.
14 J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

Fig. A1. Schéma de principe d’une coulée continue : (a) machine verticale et (b) machine courbe à brames [13].
Fig. A1. Principles of continuous casting machines (a) vertical, (b) curved for slabs.

Annexe A: Fonctionnement et sections ou plus souvent chalumeaux) pour débiter le


produit en longueurs admissibles par les ateliers aval de
dimensionnement d’une machine de coulée laminage.
continue (CC) Le démarrage d’une séquence de coulées de plusieurs
A.1 Principe du fonctionnement d’une poches suppose d’obturer la sortie de lingotière par une
machine de CC (Fig. A1) pièce métallique sur laquelle viendront s’ancrer par
solidification les premières dizaines de kg d’acier coulé.
Cette pièce qui est l’extrémité d’un mannequin (articulé
La machine comprend plusieurs lignes (de une à six selon dans le cas d’une machine courbe ou même verticale) sera
les formats et le tonnage coulé) alimentées en acier liquide extraite de la machine par les rouleaux extracteurs en
depuis la poche acier par l’intermédiaire d’un répartiteur entraînant le véritable produit arrimé par solidification à la
(tundish). tête de mannequin. L’opération d’introduction du manne-
En tête de ligne se trouve la lingotière oscillante à parois quin dans la ligne, préalable au démarrage d’une séquence
de cuivre refroidies par circulation d’eau dont la fonction de coulée est désignée par les termes : « réarmement de la
est de former la peau solide du produit. En sortie de machine ». Le mannequin fut longtemps introduit par le
lingotière (dont la hauteur est de l’ordre de plusieurs bas de la machine, ce qui imposait d’attendre la sortie des
dizaines de cm) l’épaisseur de peau est de l’ordre du cm. dernières tonnes coulées avant de réarmer. Les technolo-
Cette peau solide, qui va aller en s’épaississant à mesure gues ont mis au point le réarmement par le haut, consistant
que le produit avance en machine, va servir de contenant (à à introduire le mannequin par la lingotière ; on y gagna en
la manière d’un sac) pour le cœur du produit encore liquide. productivité.
Au-dessous de la lingotière se trouve le refroidissement
secondaire qui occupe la plus grande partie de la longueur
de la machine. Il consiste en un système de pulvérisation A.2 Machine droite ou courbe
d’eau dont la fonction est d’extraire l’enthalpie de
solidification du cœur du produit. Cette zone comprend Plus la section du produit coulé est forte, plus longue sera la
des corsets de rouleaux dont les fonctions sont le guidage et machine et donc plus le constructeur sera confronté à des
le soutien du produit coulé. problèmes de hauteur de machine si l’on souhaite garder
Vers la sortie machine, on trouve successivement des une machine droite et verticale (voir ci-dessous). La
cages de rouleaux décintreurs (si machine courbe) afin de réponse à ce problème de hauteur excessive est de courber
sortir un produit rectiligne, des cages extractrices assurant la ligne et d’inscrire une bonne partie de la solidification sur
par traction la progression du produit en machine, des une portion de quart de cercle, y compris éventuellement la
équipements de coupe à longueur (cisailles pour les petites lingotière. Nous indiquons dans la partie historique de
J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018) 15

a b c d e

20 m

Fig. A2. Schéma des divers types de machines de coulée [14]. Trait continu : produit solide à cœur ; trait pointillé : produit liquide à
coeur. a : machine verticale ; b : cintrage et décintrage sur coeur solide ; c : cintrage et décintrage sur coeur liquide ; d : machine courbe ;
e : coulée horizontale.
Fig. A2. Various types of continuous casting machines.

l’article que c’est l’invention de ce type de machine qui a contenant 80 t d’acier liquide dans un format bloom de
permis le considérable développement de la coulée continue 240  240 mm2 résultant de l’optimisation des gammes de
pour les produits plats minces (machines à brames). Le fait laminage en aval de la machine.
de solidifier sur un arc de cercle peut avoir des conséquences Il faut qu’en sortie machine, lorsqu’on procède à la
importantes sur la propreté du métal, dans la mesure où les découpe du produit, celui-ci soit solide dans toute sa
inclusions non métalliques qui auraient normalement section. Dans l’exemple choisi, la solidification devra donc
décanté jusqu’au ménisque dans une machine verticale avoir progressé de 120 mm, depuis la peau jusqu’au cœur
vont se trouver piégées au plafond du produit (intrados) [1]. (elle progresse sur les quatre faces). La résolution de
La réponse à ce problème a été la machine verticale-courbe l’équation aux dérivés partiels gouvernant la propagation
avec cintrage puis décintrage (développée particulièrement des isothermes dans le cas d’un plan infini (équation
par la société d’engineering Voest-Alpine), dans laquelle le dite « de la chaleur ») aboutit à la formule suivante qui est
haut de machine (dont la lingotière) reste vertical, et où on une approximation largement suffisante pour nos besoins
procède au cintrage du produit quelques mètres au-dessous d’ordre de grandeur :
de la sortie de la lingotière. Cette machine réalise en X = K t1/2,
quelque sorte la superposition d’une machine droite
verticale et d’une machine courbe, au prix d’une double X épaisseur solidifié est en mm et le temps t en min.
déformation en ligne : le cintrage puis le décintrage. Les Le coefficient K dépend du matériau coulé et des
progrès réalisés en matière de propreté inclusionnaire de politiques de refroidissement appliquées. Il est compris
l’acier liquide ont rendu moins pertinente la technologie de entre 20 et 35 pour le refroidissement global sur une machine
la lingotière droite avec cintrage puis décintrage sur la conventionnelle coulant de l’acier. Dans l’exemple que nous
ligne. Il subsiste cependant un problème sérieux résultant développons ci-après, nous choisissons un refroidissement
de l’emploi de la lingotière courbe : celui de l’impact du jet modéré bien adapté à la nature délicate des produits qui
d’acier sur le front de solidification à l’extrados du produit ; seront coulés : K = 25. Dans ces conditions le puits liquide
sa résolution a imposé un design spécifique des busettes sera fermé en un temps de 23 mn (t = 1202 /252). Si nous
d’alimentation. La figure A2 schématise les divers types de envisageons une vitesse de coulée de 0,8 m/mn (ce qui est une
machines de coulée selon leur géométrie globale. vitesse convenable pour ce type de format), la longueur du
puits liquide sera de l = 0,8  23 = 18,4 m. Si nous voulons
A.3 Éléments pour un dimensionnement rester en machine droite, nous devrons donc hisser la poche
d’acier à plus de 25 m au-dessus du sol de l’aciérie (si on tient
Nous nous proposons dans ce paragraphe de définir compte des équipements de tête de machine et de découpe en
sommairement une machine (type, format coulé, nombre sortie machine). Si nous considérons une telle hauteur
de lignes) pour alimenter de manière optimale le laminoir comme rédhibitoire, nous serons alors conduits à creuser un
aval, avec une productivité convenable et avec un temps de gouffre de Padirac dans le plancher d’aciérie, sauf à passer en
coulée qui soit compatible avec les temps opératoires du machine au moins partiellement courbe.
four électrique ou du convertisseur amont (« tap to tap »), Avec une vitesse de coulée de 0,8 m/min le débit par
et qui ne soit pas excessif pour que la chute de température ligne (au format 240  240 mm2) est :
en poche durant la coulée reste tolérable (nous admettrons 0,8  0,24  0,24  7,3 = 0,34 t/min = 20,4 t/h.
qu’un temps de coulé de l’ordre de l’heure est raisonnable et Si nous souhaitons couler dans l’heure la poche
satisfait à la double exigence que nous venons de formuler). contenant 80 t d’acier liquide, la machine devra donc
Nous prendrons l’exemple suivant : la coulée d’une poche comporter quatre lignes.
16 J. Saleil and J. Le Coze: Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

On désigne par longueur métallurgique d’une machine – les manipulations des répartiteurs sur le plancher de
de coulée, la distance, mesurée au long de la ligne (arc de coulée ;
cercle sur une machine courbe), entre le sommet de la – les interventions manuelles au plus près des lingotières
lingotière et le niveau de la coupe. lors du démarrage d’une séquence de coulées, au
voisinage potentiellement explosif de l’acier liquide et
de l’eau de refroidissement (lingotière, refroidissement
secondaire).
A.4 Considérations générales en matière
d’engineering des machines de coulée
References
Nous avons justifié ci-dessus, par des considérations sur la
solidification, le grand développement linéaire des machines 1. J. Saleil, J. Le Coze, La propreté inclusionnaire des aciers
de coulée et partant leur encombrement, et leur complexité ; (partie I), Matériaux & Techniques 103, 506 (2015)
elles doivent véhiculer des produits dont la densité évolue 2. M. Wolf, History of continuous casting. 75th Steel making
entre 7,0 et 7,7 (entre liquide et solide) ce qui implique des conference, Toronto, proceedings, pp. 83–137 (1992)
structures supports d’autant plus lourdes que le format coulé 3. M.M. Wolf, L’histoire de la coulée continue : Première partie,
est plus important. Ces structures doivent supporter une ou Rev. Métall. 91, 75 (1994), https://doi.org/10.1051/metal/
deux poches d’acier liquide dont le contenu peut atteindre 199491010075
quelques centaines de tonnes. Se posent donc d’évidents 4. M.M. Wolf, L’histoire de la coulée continue : Deuxième
problèmes de sécurité (y compris vis-à-vis de la sismicité), de partie, Rev. Métall. 91, 445 (1994), https://doi.org/10.1051/
manutention, d’accessibilité. Au fil du temps les engineerings metal/199491030445
ont dégagé quelques règles fondamentales de conception afin 5. M.M. Wolf, L’histoire de la coulée continue : Troisième
de satisfaire à ces exigences : partie, Rev. Métall. 91, 589 (1994), https://doi.org/10.1051/
Pour les machines les plus lourdes trois structures metal/199491040589
distinctes portées par trois volumes de béton : 6. Thermophysical properties of materials for nuclear engineer-
ing: Tutorial and collection of data, IAEA, Vienne, 2008
– le premier porte le chariot porte poche ou le pivoteur de
7. WSA (World Steel Association), World Steel in figures 2017,
poche. Cette structure doit être fortement ancrée sous le
https//www.worldsteel.org
sol de l’aciérie ; 8. J. Davené, G. Gay, J. Saleil, Le four électrique à arc – Partie I,
– le second ancre au sol les structures propres à la machine Matériaux & Techniques 101, 205 (2014)
de coulée, c’est-à-dire tout ce qui est relatif à la 9. J. Davené, G. Gay, J. Saleil, Le four électrique à arc – Partie
solidification et au supportage du produit ; II, Matériaux & Techniques 101, 301 (2014)
– le troisième supporte les éléments périphériques et d’habil- 10. J. Davené, G. Gay, J. Saleil, Le four électrique à arc – Partie
lage, sans liaisons avec les deux structures précédentes. III, Matériaux & Techniques 101, 302 (2014)
Avec des machines verticales, on est conduit à installer 11. L. Bäcker, Ph.Gosselin, Quelques aspects de la fabrication
une partie plus ou moins importante de la machine en fosse des billettes en aciers spéciaux à la coulée continue.
Congrès international sur la coulée continue, Biarritz,
et traiter correctement les problèmes d’étanchéité, de
1976, p. 180
rayonnement des produits sur les parois de la fosse,
12. M. Hamy. Des hommes, des outils de production, une volonté
d’accessibilité et de ventilation, d’évacuation des battitu- industrielle, présentation de Badische Stahlwerke – BSW
res, et d’évacuation des produits coulés avec retour de ceux- Kehl, 2017.
ci au niveau du sol de l’aciérie. 13. J.P. Birat, M. Larrecq, La coulée et la solidification ; Le livre
Nous ne saurions trop insister sur les problèmes de sécurité de l’acier, Tec & Doc Lavoisier 1994.
posés par de telles machines et très sérieusement traités par les 14. J. Choné, Coulée continue de l’acier – Aspects métallurgi-
constructeurs, puisqu’on y trouve tous les éléments mettant ques, Tech. Ing. 6, M7810 (2004)
potentiellement en péril, en cas de dysfonctionnement grave, 15. J. Saleil, J. Le Coze, La coulée continue des aciers – Partie II,
non seulement l’intégrité de l’équipement, mais encore la Matériaux & Techniques 106, 504 (2018)
sécurité des personnels travaillant sur le plancher de coulée, à 16. J. Saleil, J. Le Coze, La coulée continue des aciers – Partie III,
proximité des lignes pour : Matériaux & Techniques 106, 505 (2018)
– la manipulation de poches pleines d’acier liquide à grande 17. J. Saleil, J. Le Coze, La coulée continue des aciers – Partie IV,
hauteur ; Matériaux & Techniques 106, 506 (2018)

Citation de l’article : Jean Saleil, Jean Le Coze, La coulée continue des aciers. Un exemple de développement
technique où l’étroite coopération entre métallurgistes, constructeurs et exploitants ont été d’une grande fécondité,
Matériaux & Techniques 106, 503 (2018)

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