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Dans son article, Alexander Savelyev essaie d’expliquer le refus chinois de participation
à un quelconque instrument multilatérale de contrôle d’armements nucléaires proposé par
les États-Unis et en moindre mesure par la Russie. Les propositions avancées par
Washington et Moscou quant à la limitation de l’arsenal nucléaire des trois pays n’ont
pas plu à la Chine, qui a exhorté lesdites puissances militaires à continuer leurs
négociations à deux. Les raisons sous-jacentes au refus chinois ne sont pas simples et
c’est ce que le présent article prétend saisir tout en proposant une grille de lecture de la
stratégie militaire chinoise, souvent cachée par des couches de désinformation lancées de
manière plus ou moins délibérée par les médias d’État chinois et le gouvernement. Éviter
une nouvelle course aux armements à l’échelle mondiale repose en bonne mesure sur une
compréhension de la pensée stratégique de l’Empire du Milieu.
1
Exagérées et propagandistes.
2
Savelyev, A. G. (2020). CHINA AND NUCLEAR ARMS CONTROL. Russia in Global Affairs, 3,
54‑69. https://doi.org/10.31278/1810-6374-2020-18-3-54-69
3
Ibid.
4
La négligence de ce facteur et d’autres graves erreurs à amener la Chine aux négociations vont
occasionner l’échec du traité de non-prolifération
5
Maitre, E. (2017, 1 février). Une remise en cause de la doctrine nucléaire chinoise par un journal
officiel. Fondation pour la Recherche Stratégique. https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-
de-la-dissuasion/une-remise-cause-doctrine-nucleaire-chinoise-un-journal-officiel-2017
6
Roche, N. (2017). Chapitre 7. Les équilibres nucléaires en Asie-Pacifique. Dans : , N. Roche, Pourquoi
la dissuasion (pp. 261-320). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.
stratégie chinoise. À tous les effets, le Livre Blanc de la défense chinois pointe purement
vers une défense du principe de non emploi en premier7.
Une fois l’orientation de l’article située dans la littérature dévouée au sujet et quelques
prémisses de la démarche de l’auteur expliquées, il est question de passer en revue le
raisonnement proposé ainsi que les conclusions avancées.
Dans un premier temps, Savelyev avance les moyens de pression utilisés par Washington
pour faire entrer la Chine dans un accord trilatéral dont le principal critère serait la
réduction du nombre d’armes stratégiques nucléaires par tous signataires. Il cite le
criticisme américain quant à l’augmentation et la modernisation de l’arsenal chinois ainsi
que le manque de transparence lié à ce processus ; les sanctions américaines de caractère
économique ; l’insistance de Washington pour le partage d’informations concernant le
type d’armes nucléaires de chaque pays ainsi que leur nombre et localisation ; la tentative
d’instrumentalisation de la Russie comme masse de manœuvre ; et, finalement, la
tentative de séduire la Chine avec la possibilité d’accéder au statut de superpuissance
nucléaire moyennant un tel accord. Dépourvues d’un sens d’altérité (volontairement ou
non), ces incursions diplomatiques seraient inutiles face aux réels besoins stratégiques de
la Chine, qui seront par ailleurs analysés par l’auteur. Cependant, une remarque quant à
la position de la Russie mérite attention. Contrairement à ce que sous-tend l’article, ce
pays ne serait probablement pas si enclin à pousser Pékin vers l’accord d’autant plus que
Moscou voit dans New START une dernière dimension de sa superpuissance et son
exclusivité avec les États-Unis lui garantissent ce statut. 8 Ainsi, ce serait plutôt une
rivalité, non pas une neutralité, que Moscou nourrit envers le pays asiatique
Dans la deuxième partie de l’article Savelyev pose les fondements de son raisonnement
et c’est ce qui le différencie des autres analyses recensés par Nicolas Roche. Ainsi dans
la partie « The Fundamental Principles of China’s Nuclear Policy » 9, le chercheur
russe explique l’ancrage de ce principe dans la culture militaire chinoise, qui remonte
jusqu’à Mao Zedong. À cet égard, il va de soi que la Chine veuille garder la crédibilité
de sa capacité de frappe en seconde, démarche dont la réussite repose entièrement sur la
7
Livre Blanc de la défense chinois de 2015
8
Kroenig, M. (2021, février). Toward trilateral arms control : Options for bringing China into the fold.
Toward trilateral arms control : Options for bringing China into the fold.
https://www.atlanticcouncil.org/in-depth-research-reports/issue-brief/toward-trilateral-arms-control-
options-for-bringing-china-into-the-fold/
9
Les principes fondamentaux de la politique nucléaire chinoise
confidentialité quant aux types d’armes nucléaires, leur nombre, leur localisation (des
déployées ou pas) etc. De manière paradoxale, la transparence, au lieu de rassurer les
signataires, saperait l’arrangement de la stratégie nucléaire de Pékin. Parallèlement,
l’auteur ne remet pas en cause l’attachement de ce principe vis-à-vis de l’augmentation
et modernisation de l’arsenal chinois tout simplement car, selon lui, cela ne signifie pas
que le pays attaquerait en premier. La justesse du raisonnement se vérifierait
concrètement face à des…données relatives à l’arsenal nucléaire chinois, pourtant c’est
là tout l’enjeu ! A la base de son cheminement logique repose le dogme des « bonnes
intentions chinoises » (difficilement vérifiables pourtant). Ce présupposé constitue certes
un point de départ, mais il présente vite ses limites face à la désinformation régnante à
l’Empire du Milieu. Serait-t-il un stratagème afin d’avancer ses pions nucléaires sans se
faire embêter par les États-Unis ? Les réponses ne sont pas à chercher dans le présent
article.
L’information crée de la confiance chez les signataires, certes, mais l’auteur veut
démontrer qu’il s’agit d’un bon outil de limitation nucléaire bilatéral américano-russe, ce
qui ne veut pas dire qu’il ferait ses preuves face à la situation inédite. Même timidement,
l’article laisse entrevoir à ce moment une inclination des enjeux nucléaires mondiaux vers
l’axe asiatique (cadre régional sans accords de non-prolifération).12
10
Les effets d’un traité non-prolifération sur la stratégie et la politique chinoises
11
Il est difficile à imaginer un accord avec la Chine n’incluant pas des procédures de vérification de
conformité. Et ce serait d’autant moins probable qu’un tel système de vérification soit « léger »
12
Roche, N. (2017). Chapitre 7. Les équilibres nucléaires en Asie-Pacifique. Dans : , N. Roche, Pourquoi
la dissuasion (pp. 261-320). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.
Finalement, dans la partie « Likely Consequences of China’s participation in a nuclear
Arms control Treaty » 13, l’auteur trouve l’aboutissement final de sa pensée afin
d’envisager les probabilités de participation de la Chine dans un accord de non-
prolifération. Il pousse encore sa pensé en simulant des scenarios où Pékin garderait son
principe de non-emploi en premier tout en partageant des informations sur ses nombres,
types et localisation de têtes nucléaires ainsi que de ses missiles balistiques
intercontinentaux. Pour concilier non-emploi en premier et transparece, il faudrait à la
Chine investir lourdement dans des mécanismes de « launch-under-attack »14 (p.66), dans
des radars ou encore sur la protection de ses sites nucléaires stratégiques. Cela
permettraient au pays asiatique de garder intacte son arsenal et donc d’afficher une
capacité de frappe en seconde crédible. Or, non seulement cette manœuvre couterait
beaucoup trop cher, mais ne serait pas forcément efficace. Il ne reste à conclure que la
configuration stratégique nucléaire chinoise ne comporte pas l’ancien logiciel russo-
américain quand il s'agît de partage d’informations. Cette transparence serait même
contreproductive car dans les termes de l’auteur « All this will mean that China’s declared
no-first-use policy will lose credibility. In other words, it will turn into a propaganda
slogan, with no real resources to rely on to implement this policy in practice » (p. 65) 15.
L’obstination américaine pour plus d’informations sur le nucléaire chinois pourrait
paradoxalement provoquer une rupture avec le principe de non-emploi en premier et faire
basculer le pays asiatique une course aux armements en dernier ressort.
L’article fournit des outils clés pour la compréhension du sujet et mène le lecteur
jusqu’aux limites de la pensée de l’auteur, ce qui nous permet de comprendre les
limitations de ses prémices d’ailleurs. Ces limitations ne le rendent nullement moins
pertinent d’autant plus que l’encadrement de l’armement nucléaire en Chine et finalement
en Asie semble habiter l’horizon diplomatique de la région dans les années à venir 16.
Cependant, quelques propositions d’accord à court ou moyen termes pourraient se faire
afin de rassurer tant le côté américain que l’asiatique. À court terme, la Chine pourrait
participer comme observatrice aux visites de vérification menées dans le cadre de New
13
Conséquences probables de la participation de la Chine dans un traité de non-prolifération.
14
Lancement sur alerte
15
Tout cela veut dire que la politique de non-emploi en premier mis en avant par la Chine perdra en
crédibilité. Dans d’autres termes, il deviendrait un slogan de propagande avec aucune ressource sur lequel
s’appuyer afin d’effectivement mettre en œuvre ladite politique.
16
Roche, N. (2017). Chapitre 7. Les équilibres nucléaires en Asie-Pacifique. Dans : , N. Roche, Pourquoi
la dissuasion (pp. 261-320). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.
START afin de se familiariser avec la procédure ; deuxièmement, les alliés des États-
Unis peuvent encourager l’Empire du Milieu à flexibiliser son opinion quant à la
participation aux accords de non-prolifération ; troisièmement, les États-Unis et la Russie
pourraient limiter les menaces non-conventionnelles à la Chine afin de la sensibiliser à
franchir un pas vers l’accord ; finalement, la participation à l’accord New START devrait
laisser entrouverte la possibilité d’entrée de la Chine sans la forcer par contre. Ces
engagements dépendent moins d’un mécanisme de partage d’informations et pourraient
paver la construction d’un processus de confiance avec la Chine dans le futur. La
rhétorique agressive de Joe Biden, qui à classifie Pékin comme un ennemi semble
néanmoins présager un avenir plus instable.