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Evelise Plénet
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Evelise Plénet
Centre d'Études et de Recherche sur le Droit, l'Histoire et l'Administration Publique (CERDHAP), Faculté de droit,
Université Pierre Mendès France, BP 47, F-38040 Grenoble cedex 9.
<evelise-plenet@live.fr>
Résumé Le présent article propose, sous l’angle du droit constitutionnel, une analyse
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du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales qui modifie en
profondeur l'architecture institutionnelle locale : création du conseiller
territorial, regroupement des collectivités territoriales, clarification des
compétences, etc. Ce projet de loi, très largement inspiré par le rapport du
Comité pour la réforme des collectivités territoriales mis en place par le
président Nicolas Sarkozy, pose la question suivante : une telle réforme
peut-elle se faire à cadre constitutionnel constant ? Car, contrairement au
choix fait en 2003 pour « l’acte II de la décentralisation », il est prévu que la
réforme emprunte la voie législative. Dès lors, il peut être opportun de
s’interroger sur la constitutionnalité des dispositions contenues dans le
projet.
Collectivités territoriales – Conseil constitutionnel – Conseiller territorial –
Décentralisation – Réforme.
Summary The Local Government Reform: When the Constitution Becomes Involved
This article proposes, from the point of view of constitutional law, an analy-
sis of the bill concerning the reform of French territorial bodies which modi-
fies, in depth, the local institutional organization: the creation of a district
councilor, clarification of the different responsibilities involved etc. This bill,
largely inspired by the report drawn up by the Comité pour la réforme des
collectivités territoriales, established by President Nicolas Sarkozy, poses the
following question: can such a reform work without changing the constitu-
tional framework? Contrary to the choice made in 2003 in regard to Acte II
de la décentralisation, the plan is for this reform to pass through the legisla-
tive channels. Consequently, we should begin to question more closely the
constitutionality of the different provisions of the bill.
Constitutional council – Decentralization – District councilor – Local gov-
ernment – Reform.
Introduction
Le 17 novembre 2010, l’Assemblée nationale adoptait la réforme des collec-
tivités territoriales. Cette réforme a été très largement inspirée par le rapport du
Comité pour la réforme des collectivités territoriales (ci-après Comité Balladur) mis
en place par le président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, par décret en
date du 22 octobre 2008. Il a été placé sous la présidence de l’ex-Premier ministre
Édouard Balladur et son rapport a été publié en mars 2009 1. Constitué par le prési-
dent de la République et l’ex-Premier ministre, le Comité devait se situer au-dessus
des rivalités politiciennes et des intérêts locaux. Sa composition était, au moins en
apparence, équilibrée entre des personnalités de gauche et de droite et des experts.
L’exercice de composition était difficile. Le résultat laissa certains auteurs assez
sceptiques : ainsi, le Professeur Béatrice Giblin 2 ne manqua pas de faire remarquer
que l’on pouvait s’étonner qu’il n’y ait dans ce Comité ni géographe, ni économiste
spécialiste de l’économie territoriale, ni juriste spécialiste de la décentralisation, ni
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maire d’une grande ville. Le président de la République, fortement mobilisé sur
cette question, prononça un discours très volontaire à Saint-Dizier pour l’instal-
lation du Comité, indiquant à l’attention des membres nouvellement nommés : « Je
ne veux pas un nouveau rapport ! Je veux des solutions ! Et ne vous interdisez rien !
[…] Cette réforme ne tourne pas le dos à la décentralisation : au contraire, elle sti-
mule l’initiative et les énergies locales. Elle renforce les libertés locales, celles dont
Tocqueville disait qu’elles sont “la force des peuples libres” 3. » Le rapport du Comi-
té Balladur 4 a constitué le socle de la réforme. Dans les grandes lignes, il proposait
de rationaliser et simplifier les structures des divisions administratives. Ainsi,
l’intercommunalité se généralise : « Le premier préalable à satisfaire pour engager
une modernisation de l’administration communale est, en toute hypothèse, l’achève-
ment de la carte de l’intercommunalité 5. » Le regroupement des communes est une
nouvelle fois encouragé, la commune d’avenir – nommée dans le rapport « com-
mune du XXIe siècle » 6 – consiste « à substituer aux actuelles intercommunalités une
collectivité locale de plein exercice », et l’institution de « métropoles » pour cer-
taines grandes agglomérations se développe par la création d’« une catégorie de
collectivités locales à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution ».
Le projet de réforme a été adopté le 21 octobre 2009 par le Gouvernement. Il
s’inscrit dans une démarche plus large de réformes de l’État engagée par le prési-
1. COMITÉ POUR LA RÉFORME DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, « Il est temps de décider », Rapport au président
de la République, 5 mars 2009 (Source : ministère de l'Intérieur <http://www.interieur.gouv.fr/sections/
reforme-collectivites/rapports>).
2. Béatrice GIBLIN, « Attention, un train de réformes territoriales peut en cacher un autre ! », Hérodote, 135,
2009.
3. Discours du président de la République, Saint-Dizier (Haute-Marne), mardi 20 octobre 2009.
4. Ce rapport a été précédé d’autres rapports qui se sont également intéressés à la question : le rapport
Attali (« Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française ») et le rapport du sénateur
Belot (« Faire confiance à l'intelligence territoriale »).
5. Rapport du Comité pour la réforme des collectivités territoriales, précité, p. 73.
6. Ibid.
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l’élection des conseillers municipaux et des délégués des communes dans les con-
seils des Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité
propre. Le troisième projet de loi organisait l’élection anticipée des conseillers
territoriaux en mars 2014 11. Il prévoyait la réduction de la durée des mandats des
conseillers régionaux et des membres de l’Assemblée de Corse élus en mars 2010 et
des conseillers généraux élus en mars 2011 afin de les faire expirer simultanément
en mars 2014. Ce projet de loi constituait un préalable à l’institution des conseillers
territoriaux dont la création était prévue à l’article 1er du projet de loi sur la réforme
des collectivités territoriales. Enfin, le quatrième et dernier projet prenait la forme
d’une loi organique à caractère technique 12 sur l’élection des membres des con-
seils des collectivités territoriales et des EPCI. Le projet relatif à l’élection des con-
seillers territoriaux en mars 2014 a déjà été adopté. Celui sur la réforme des collecti-
vités territoriales et celui sur l’élection des conseillers territoriaux et le renforce-
ment de la démocratie locale ont fusionné. L’analyse se concentrera sur le premier
texte dans ses différentes moutures car les autres recoupent essentiellement les
aspects techniques de la mise en œuvre de la réforme.
Cette réforme des collectivités territoriales a-t-elle l’ambition des deux précé-
dentes grandes réformes de 1982-1983 et de 2003, communément appelées les
Actes I et II de la décentralisation ? Pour mémoire, les lois Defferre 13 ont établi les
principes fondateurs de la décentralisation en érigeant la région au rang de collecti-
vité territoriale et en supprimant la tutelle de l’État sur les actes de toutes les collec-
tivités territoriales. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 14 a, quant à elle, re-
connu l’organisation décentralisée du territoire français et a inscrit des principes
tout à fait innovants dans la Constitution, tels que le référendum local, le droit à
l’expérimentation, etc. Le choix de la voie législative et l’absence de référence à la
réforme constitutionnelle de 2003, alors que l’exposé des motifs mentionne « l’im-
pulsion décisive des lois Deferre » 15 dans l’entreprise de la décentralisation, don-
nent le sentiment que cette réforme n’est pas un prolongement de celle de 2003.
Les réformes législatives et constitutionnelles successives sont allées dans le sens
d’une extension des compétences confiées aux collectivités territoriales, d’une
autonomie accrue de ces collectivités et d’un approfondissement des responsabili-
tés locales sans que l’architecture globale et le rôle respectif de celles-ci n’aient
jamais été repensés. Rappelons que, déjà en 1968, le Club Jean Moulin publiait un
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ouvrage dont le titre était tout un programme « Les citoyens au pouvoir : 12 régions,
2 000 communes » 16.
La réforme annonce des changements d’une grande ampleur conduisant à une
rationalisation à la fois des structures et des compétences. La ligne directrice fixée
par le Comité Balladur, que l’on retrouve dans le projet de loi, est de rendre l’action
publique des collectivités territoriales plus efficace, plus lisible pour le citoyen et
moins coûteuse pour le contribuable 17. Le Comité Balladur, en intitulant son rap-
port « Il est temps de décider », veut initier un immense chantier réformateur, mais
de cet intitulé pour le moins accrocheur découle une question fondamentale : est-il
possible de décider ? Déjà, le rapport de la Commission pour la libération de la
croissance française, placée sous la présidence de Jacques Attali, publié en 2008 18,
avait commencé à préparer l’opinion publique à l’urgence de réformer. Les titres de
certains paragraphes étaient très évocateurs : « La France prend du retard », « Le
déclin relatif a commencé », « Le courage de réformer vite et massivement », etc.
Sur la forme et le style – en insistant sur la nécessité absolue de réformer, em-
ployant une formulation parfois alarmante –, comme sur le fond, le rapport Attali a
inspiré la réforme territoriale de 2010 19.
Si le titre du rapport du Comité Balladur est plein de promesses, le rapport con-
vient lui-même que la décision est parfois difficile. Sur plusieurs domaines sen-
sibles, le Comité a préféré botter en touche, soit ouvertement sur le regroupement
13. Loi 82-213 du 2 mars 1982, dite « loi Defferre », relative aux droits et libertés des communes, des dépar-
tements et des régions, complétée par la loi du 22 juillet 1982.
14. Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.
15. Exposé des motifs, précité.
16. CLUB JEAN MOULIN, Les citoyens au pouvoir : 12 régions, 2 000 communes, Paris : Seuil, 1968.
17. Texte n° 60 (2009-2010) de M. Brice Hortefeux, précité.
18. Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, sous la présidence de Jacques
Attali, Paris : La Documentation française, 2008.
19. Ibid.
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validé par le Conseil constitutionnel 25 et la loi a été publiée au Journal Officiel du
17 février 2010 26. Ensuite, elle a été sapée par un travail sans relâche des parlemen-
taires – souvent cumulant un mandat d’élu national à celui d’élu local – qui ont
tenté, par l’adoption d’amendements, de remanier à leur convenance le texte de la
réforme. Pour autant, le principal obstacle pourrait être constitutionnel. Cette ré-
forme, pour reprendre les propos du Professeur Gérard Marcou, « n’est pas sim-
plement une nouvelle réforme des collectivités territoriales, elle ouvre la voie à une
réforme territoriale, c’est-à-dire à une réforme ayant pour objet une révision des
divisions administratives de l’ensemble du territoire de l’État. Il s’agit en effet de
remplacer à terme les cadres territoriaux fixés en 1789 par une nouvelle organisa-
tion fondée sur un niveau communal élargi et la région » 27. Il paraît difficile d’envi-
sager qu’une telle réforme puisse s’opérer sans porter atteinte à la Constitution
d’autant que, depuis une décennie, un droit constitutionnel des collectivités terri-
toriales s’est développé sous l’impulsion des juges et de la dynamique du Consti-
tuant. À partir de 1974 28, date qui marqua le développement du contrôle de constitu-
20. Rapport du Comité pour la réforme des collectivités territoriales, précité, p. 28.
21. Ibid., p. 66.
22. Proposition de loi visant à confier à des conseillers territoriaux l’administration des départements et
des régions, présentée par MM. Jean-François Mancel et Jérôme Bignon, députés : « Dès lors, la présente
proposition de loi a pour but de confier à des conseillers territoriaux le soin d’assurer à la fois le mandat
départemental et le mandat régional » (Assemblée nationale, 29 janvier 2008, document n° 655).
23. Gérard MARCOU, « La réforme territoriale : ambition et défaut de perspective », Revue française de droit
administratif, 2, mars-avril 2010, p. 370.
24. L'opposition a invoqué différents motifs sur la procédure et le fond. Voir, pour plus de détails : Saisine
par 60 sénateurs – 2010-603 DC ; Saisine par 60 députés – 2010-603 DC.
25. Décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010, Loi organisant la concomitance des renouvellements des
conseils généraux et des conseils régionaux.
26. Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux
parue au JO, n° 40 du 17 février 2010.
27. Gérard MARCOU, « La réforme territoriale : ambition et défaut de perspective », art. cité, p. 357.
28. Loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 portant révision de l'article 61 de la Constitution.
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tences. Ensuite, une réforme d’une telle ampleur semble être vouée à revoir ses ambi-
tions à la baisse si celle-ci devait se faire à cadre constitutionnel constant.
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le Professeur Guy Carcassonne était « intéressant » 37. Un PFRLR est un principe
visé par le Préambule de la Constitution de 1946, lui-même visé par celui de la
Constitution de 1958. Ces principes ont une valeur constitutionnelle reconnue pour
la première fois par le Conseil constitutionnel en 1971 38.
Outre la doctrine, l’Assemblée nationale a pris en considération l’avis du Con-
seil d’État, consulté le 15 octobre 2009, qui relevait une complexité extrême du
scrutin prévu initialement dans le projet de loi. Le conseiller d’État Didier Maus
précisait « que le système proposé, qui combine un fort scrutin majoritaire et une
petite dose de proportionnelle nécessite nécessairement un véritable ordinateur
pour calculer les résultats » 39. Le Comité Balladur mettait déjà en garde des risques
d’inconstitutionnalité d’un tel scrutin : « Il ne serait pas contraire à la Constitution
qu’une seule opération électorale serve à désigner les conseillers départementaux
et les conseillers régionaux, à la condition que les règles présidant à ce scrutin
unique soient suffisamment claires et simples pour que l’électeur soit avisé des
enjeux et que la sincérité des votes ne soit pas altérée 40. » Devant les critiques for-
mulées de toutes parts – des responsables politiques de gauche comme de droite,
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des collectivités 45. L’Assemblée nationale a rétabli en seconde lecture le scrutin
majoritaire uninominal à deux tours. Le poids des enjeux locaux des prochaines
élections cantonales et le mécontentement du groupe centriste n’ont pas suffi à
conduire la Commission mixte paritaire (CMP) à introduire une dose de propor-
tionnelle 46. L’Assemblée nationale a adopté le 17 novembre 2010 un texte consa-
crant un scrutin majoritaire uninominal à deux tours avec un seuil de qualification
pour le second de 12,5 % 47.
Si le scrutin majoritaire uninominal à deux tours avait ses fervents défenseurs,
ses opposants étaient nombreux à rappeler qu’il portait atteinte au respect du prin-
cipe de parité et de pluralisme.
Le scrutin majoritaire uninominal à bout de souffle ?
L’enjeu du mode de scrutin était de permettre d’apporter une garantie, en ma-
tière de parité, de pluralisme et de représentation des territoires. Parmi les critiques
relevées, la question de la parité hommes-femmes aux élections territoriales a été
au cœur des débats. Le principe de la parité est inscrit à l’article 1er de la Constitu-
tion : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électo-
raux et fonctions électives. » L’exposé des motifs du projet de loi 48 présentait
41. Décision n° 98-407 DC, Loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à
l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des Conseils régionaux du 14 janvier 1999.
42. Voir pour exemple : CL273, CL283. Commission des lois, Projet de loi de réforme des collectivités
territoriales (n° 2280), Amendements soumis à la commission, Liasse n° 1, 11 mai 2010.
43. Ibid., CL303, CL305.
44. Ibid.
45. Source : <http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/07/07/reforme-territoriale-le-senat-rejette-
deux-mesures-phares-du-gouvernement_1384332_823448.html>.
46. Projet de loi modifié par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, de réforme des collectivités
territoriales, n° 738, déposé le 30 septembre 2010.
47. Projet de loi de réforme des collectivités territoriales, adopté, dans les conditions prévues à l'article 45,
alinéa 3, de la Constitution, par l'Assemblée nationale le 17 novembre 2010, TA n° 554.
48. Texte n° 61 (2009-2010), précité.
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des conseillers territoriaux. Le Conseil constitutionnel reconnaît l’absence de norma-
tivité de ces objectifs, pour autant la régression du principe de parité qu’entraînera,
selon toute vraisemblance, le mode de scrutin de l’élection du conseiller territorial
devrait le conduire à censurer des dispositions manifestement contraires à cet objec-
tif. De surcroît, l’abandon de la formule initiale qui consistait à maintenir une dose
de scrutin proportionnel porterait aussi un coup dur aux partis non majoritaires.
L’exposé des motifs du projet de loi 53 rappelait le bénéfice pour cette élection
d’introduire une dose de scrutin proportionnel afin de permettre « la représenta-
tion des différentes sensibilités politiques » 54.
La création d’un nouvel élu soulève une autre interrogation : le scrutin majori-
taire uninominal sans aucun correctif reste-t-il constitutionnel ? En effet, la créa-
tion de cet élu pose de manière indirecte la question du mode de scrutin en France.
Celui-ci est la traduction d’une certaine conception du pouvoir. Quand une nou-
velle élection survient, la difficulté à établir le mode de scrutin est révélatrice des
tiraillements entre deux conceptions : l’une plus traditionnelle, le scrutin majori-
taire uninominal, qui favoriserait une certaine stabilité partisane ; et l’autre plus
moderne, le scrutin proportionnel, qui permettrait une meilleure représentation.
Une des illustrations des difficultés à établir le mode de scrutin pour l’élection d’un
nouvel élu est certainement celui de l’élection des conseillers régionaux. Les élec-
tions régionales ont été marquées par les interventions successives du législateur.
Vingt-quatre années après la première élection, il ne reste que peu de choses du
49. Décision n° 2000-429 DC, Loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions électives, 30 mai 2000.
50. Elu-es avant 2014 et projections en 2014, par région et département <http://www.observatoire-
parite.gouv.fr/travaux/tableau_elues.htm>.
51. Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l'égalité entre les femmes et les hommes.
52. Décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000, Loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des
hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
53. Texte n° 61 (2009-2010), précité.
54. Ibid.
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œuvre à leur échelon. Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’admi-
nistrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire
pour l’exercice de leurs compétences. […] Aucune collectivité territoriale ne peut
exercer une tutelle sur une autre ». Le projet de loi souhaiterait introduire une plus
grande lisibilité des compétences exercées par les collectivités territoriales. Mais à
trop vouloir réorganiser ce que certains qualifient de « grand bazar » 55, l’équilibre
constitutionnel risque d’être remis en question. Cette clarification des compé-
tences passerait par la remise en cause de la clause générale de compétence. Les
contours juridiques de cette clause restent confus. Toutefois, l’idée selon laquelle la
clause générale de compétence permet à toute collectivité territoriale, sans excéder
ses compétences (c’est-à-dire que la loi n’a pas attribué cette compétence à l’État
ou à toute autre personne publique 56), de pouvoir agir dans tout domaine présen-
tant un intérêt local alors même qu’aucun texte particulier ne lui en confie le soin,
paraît assez juste pour retranscrire l’idée que s’en font la doctrine et le Conseil
constitutionnel.
Le rapport proposait de supprimer la clause générale de compétence des con-
seils généraux et régionaux pour la réserver aux seules communes. Une liste de
compétences aurait alors été élaborée pour la région et le département selon la
méthode des compétences d’attribution. Alors que la clause générale de compé-
tence a permis de donner une compétence générale à la commune d’abord, au
département ensuite et à la région enfin, le projet de loi, poursuivant la construc-
tion de la notion de collectivités territoriales, suivant les préceptes du Comité Bal-
ladur, annonçait un retour en arrière 57. En juillet 2010, les sénateurs ont amendé le
projet de loi pour limiter la spécialisation des compétences au niveau départemen-
55. Philippe LAURENT, La décentralisation : en finir avec les idées reçues, Paris : LGDJ Lextenso éditions, coll.
« Systèmes », 2009, p. 42.
56. CE, 29 juin 2001, Commune de Mons-en-Barœul, Actualité juridique Droit administratif (AJDA), 1,
2002, p. 42.
57. Article 73 du Projet de loi de réforme des collectivités territoriales, 17 novembre 2010, TA n° 554, préc.
tal et régional, vidant de leur substance les articles votés par les députés, mais la
CMP a rétabli une répartition plus exclusive. On parle à nouveau de compétences
d’attribution 58, ce qui en pratique devrait se traduire, pour les départements et les
régions, par l’exercice de compétences que la loi leur dévolue expressément, con-
servant une seule possibilité d’action locale dans le silence des textes.
Le Comité Balladur a éludé rapidement les aspects constitutionnels d’une telle
suppression. Selon lui, « il n’y aurait pas d’obstacle constitutionnel à retirer la
clause de compétence générale à telle ou telle catégorie de collectivités locales » 59,
précisant qu’elle « trouve d’ailleurs ses limites dans la loi elle-même » 60. Pourtant,
comment ignorer que les articles 34 et 72 de la Constitution ne sont que des textes
attributifs de compétences normatives, définissant les principes fondamentaux,
garants d’une clause de compétence générale et non des textes limitatifs corrélatifs
de compétences d’attribution ? Comment également ne pas voir dans l’article 72 de
la Constitution que la notion de clause générale de compétence est intimement liée
au principe de libre administration des collectivités territoriales, et que par consé-
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quent la supprimer au département et à la région reviendrait à porter atteinte au
principe de libre administration reconnu constitutionnellement ? Certes, le Comité
relevait ces questionnements mais les écartait en se fondant sur le rapport Wars-
mann 61 : « Aucune jurisprudence constitutionnelle ne s’opposerait à une modifica-
tion des dispositions législatives du code général des collectivités territoriales visant
à spécialiser l’action de chaque catégorie de collectivités locales, y compris en dé-
rogeant à la clause de compétence générale que la loi leur a reconnue. Le point fort
de cette thèse est que cette clause n’a, par elle-même, pas acquis de valeur consti-
tutionnelle et qu’elle ne saurait être confondue avec le principe, constitutionnel, de
libre administration des collectivités locales. »
Il peut être présenté une seconde lecture de ce rapport. Celui-ci précise
qu’« aucune jurisprudence constitutionnelle ne semble s’opposer à une modifica-
tion des dispositions législatives du code général des collectivités territoriales visant
à spécialiser davantage l’action de chaque catégorie de collectivités territoriales ».
Le Comité Balladur se trompe lorsqu’il écarte les questions de constitutionnalité en
s’appuyant sur la démonstration du rapport Warsmann. En effet, si celui-ci écarte
l’inconstitutionnalité d’une refonte ciblée de la clause de compétence, il reste silen-
cieux sur l’hypothèse de sa suppression. Par ailleurs, le Comité Balladur parle d’un
refus de confondre les principes de libre administration et de la clause générale de
compétence, pour justifier la non reconnaissance constitutionnelle. Il oublie dès
lors le lien existant entre ces deux principes qui conduit à constater que lorsqu’il est
porté atteinte à l’un, l’autre en est automatiquement impacté. En l’absence de re-
connaissance expresse de la valeur constitutionnelle de la clause générale de compé-
58. Ibid.
59. Rapport du Comité pour la réforme des collectivités territoriales, précité, p. 84.
60. Ibid.
61. « Une clarification de l’organisation et des compétences des collectivités territoriales », Commission
des lois de l’Assemblée nationale, rapport de la mission d’information présidée par Jean-Luc Warsmann,
rapport n° 1153, octobre 2008.
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un fondement constitutionnel indirect, il paraît peu probable que la spécialisation
des compétences prescrite par le rapport du Comité Balladur et inscrite dans le
projet de loi puisse être le fait d’un simple travail législatif et puisse se faire à cadre
constitutionnel constant.
62. Bertrand FAURE, « Les libertés locales à l’épreuve du rapport Balladur sur la réforme des collectivités lo-
cales », Revue générale des collectivités territoriales, 47, 2010 (Colloque « Corriger la décentralisation »), p. 102.
63. Philippe LAURENT, La décentralisation : en finir avec les idées reçues, op. cit., p. 45.
64. Ibid., p. 45.
65. Jacques CAILLOSSE, Les « mises en scène » juridiques de la décentralisation. Sur la question du territoire
en droit public français, Paris : LGDJ Lextenso éditions, coll. « Droit et Société », 2009, p. 175.
de « mauvais coups » 66. Le législateur est tenu par les dispositions constitution-
nelles de « respecter des seuils de territorialisation » sans quoi « la loi cesserait
d’être conforme aux équilibres constitutionnels » 67, tels que prescrits par la Consti-
tution et le Conseil constitutionnel. Parmi les principes constitutionnels relatifs aux
collectivités territoriales, deux d’entre eux peuvent être considérés comme les pi-
liers du droit des collectivités territoriales. Il s’agit du principe de libre administra-
tion et du principe de l’interdiction de toute tutelle d’une collectivité territoriale sur
une autre.
La réforme territoriale et le principe constitutionnel de libre administration des collectivités
territoriales
La réforme territoriale telle qu’elle a été soumise aux parlementaires ne semble
pas pouvoir se faire à cadre constitutionnel constant. En premier lieu, cette réforme
devrait conduire à plus ou moins long terme à la fusion des deux collectivités terri-
toriales. Si cet aspect présente une dimension purement prospective, elle ne
manque pas d’intérêt d’un point de vue constitutionnel. L’article 72 alinéa 1er de la
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Constitution prévoit que « les collectivités territoriales de la République sont les
communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les
collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 ». L’énumération des différentes
collectivités territoriales doit être lue comme une limite en tant que telle. Le Conseil
constitutionnel a d’ailleurs consacré cette liste à l’occasion de la décision sur la loi
portant statut de la collectivité territoriale de Corse 68. La suite du paragraphe de
l’article 72 précise cependant que d’autres types de collectivités peuvent être créés
par la loi – une simple loi a permis de créer la région « collectivité territoriale » en
1982 69. Pour autant, il paraît peu probable de faire disparaître une collectivité sans
que son inscription dans le texte de la Constitution soit effacée. De surcroît, comme
le rappelle le Professeur Michel Verpeaux, il n’y a pas en droit français de définition
d’une collectivité territoriale, ni de critère permettant de l’identifier à coup sûr 70,
mais il existe une liste inscrite dans la Constitution qui consacre la catégorie « col-
lectivité territoriale ». Porter atteinte à l’une des entités inscrites dans la liste consti-
tutionnelle reviendrait à nuire à la catégorie dans son ensemble.
En second lieu, la question de savoir si la fusion du conseiller général et du con-
seiller régional peut être réalisée sans révision de la Constitution est posée.
L’article 72 alinéa 3 de la Constitution précise que « dans les conditions prévues par
la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent
d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Cet alinéa
s’accorde-t-il avec une élection du conseil général qui se confondrait avec celle du
conseil régional ? Si l’on procède à une lecture stricte de la Constitution, il paraît
acceptable de soutenir qu’une telle disposition lui est conforme. Le conseil général
comme le conseil régional disposeraient de leurs propres conseils élus, selon une
élection commune, l’un et l’autre se différenciant dans sa composition – le conseil
régional étant la réunion des conseils généraux. Toutefois, il faut se garder d’une
interprétation littérale du texte et déduire de l’article 72 qu’à chacune des collectivi-
tés énumérées, correspondent un territoire, des compétences, des ressources et un
conseil élu à l’occasion d’une élection spécifique. Cette interprétation sort renfor-
cée par une lecture croisée de l’article 72 sur la libre administration des collectivités
territoriales et de l’article 3 sur la liberté d’expression du peuple. Le peuple serait
dépossédé d’une partie de sa liberté de vote si le législateur devait le contraindre à
renoncer à l’une ou l’autre des élections. En institutionnalisant le cumul des man-
dats, la création du conseiller territorial imposerait à l’électeur de faire un seul
choix politique pour former les conseils de deux collectivités territoriales aux com-
pétences distinctes. Refuser aux électeurs la possibilité de voter différemment pour
l’élection de deux conseils distincts reviendrait à considérer que les attributions du
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département et de la région se confondent. Il existe donc une incohérence entre
une élection unique et des attributions distinctes.
Le traitement différencié des questions relatives à la fusion des collectivités et
au conseiller territorial n’est peut-être pas pertinent. En effet, la fusion des conseil-
lers généraux et régionaux ne conduirait-elle pas à supprimer, dans les faits, un
échelon territorial, tout en le maintenant de manière artificielle sur le papier ? En
d’autres termes, le fait que l’identité des exécutifs départementaux et régionaux soit
brouillée n’entraînerait-il pas des conséquences sur la nature même de la collectivi-
té territoriale ? Il découle de l’article 72 de la Constitution qu’une collectivité doit
disposer de son propre conseil élu afin d’assurer son indépendance. La jurispru-
dence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État nous invite à aller dans ce
sens. Le cas de Paris, auquel le rapport fait directement référence, permet d’illustrer
nos propos. Selon l’article L. 2512-1 du CGCT 71, le territoire de la ville de Paris re-
couvre à la fois la commune et le département de Paris. Les affaires de ces deux
collectivités sont réglées par une même assemblée, le Conseil de Paris. Le Profes-
seur Géraldine Chavrier note en ce sens que « si la loi dispose qu’il se réunit en
conseil municipal ou général, le Conseil d’État juge que le Conseil de Paris consti-
tue une « “assemblée particulière” » 72. La décision du Conseil d’État précisait que
même si les membres du Conseil de Paris exerçaient aussi les compétences d’un
conseil général, ils n’étaient pas pour autant des conseillers généraux 73. En refu-
sant la qualité de conseillers généraux aux conseillers de Paris, le Conseil d’État
reconnaissait dès lors un statut particulier au département de Paris. Dans le cas du
Conseil de Paris, il existe donc une seule collectivité territoriale, unique de sa caté-
gorie. La réforme, quant à elle, met en place et généralise un élu unique, le conseil-
ler territorial, pour deux collectivités. Le contexte est différent, pourtant le Comité
trouve dans cette pratique un précédent à l’unicité des élections des conseillers
généraux et régionaux 74.
La démonstration faite par le Comité Balladur ne paraît pas satisfaisante. Un
raisonnement par analogie conduirait à défendre l’idée que, hors statut particulier,
« conserver formellement deux conseils distincts mais composés d’élus identiques
constitue une sorte de détournement de la Constitution qui ne peut faire illusion :
chaque collectivité a un conseil mais point de conseil propre » 75. De plus, il s’ajoute
au détournement de la Constitution une altération de la nature de la collectivité
territoriale et une atteinte au principe de libre administration. Le Conseil constitu-
tionnel a d’ailleurs eu l’occasion de préciser que, « pour s’administrer librement,
toute collectivité territoriale doit disposer d’une assemblée délibérante élue dotée
d’attributions effectives » 76. Il ne s’est toutefois pas exprimé sur le fait de savoir si le
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conseil devait effectivement être propre à chacune d’elles. Pour certains, la réponse
à cette question se trouvait dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel le
8 août 1985 sur la loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie s’agissant de
l’élection de conseillers occupant une double fonction territoriale et régionale.
Alain Marleix, ex-secrétaire d’État aux collectivités territoriales évoquait ainsi cette
décision devant les sénateurs, indiquant que celle-ci lui paraissait transposable au
projet de création du conseiller territorial 77. À cette occasion, il rappelait que le
Conseil constitutionnel, estimant que ce territoire était représenté par une seule
assemblée, a conclu que rien ne s’opposait à ce que les élus exercent une double
fonction, à la fois territoriale et régionale. L’ex-secrétaire d’État a cependant con-
duit un raisonnement un peu rapide. La création du conseiller territorial ne corres-
pond pas tout à fait à ce cas de figure. S’il existe un projet de fusion ou quasi-fusion
des départements et des régions, les deux échelons subsistent encore. Il y a deux
collectivités territoriales distinctes, disposant de l’ensemble des attributions atta-
chées à ce statut, notamment un budget et des compétences propres.
De la même manière que le recours au précédent relatif au Conseil de Paris a été
écarté en reconnaissant le statut unique de celui-ci, il faut retenir le caractère parti-
culier de l’organisation des territoires d’outre-mer pour écarter l’argument selon
lequel l’unicité des élections des conseillers généraux et régionaux ne serait pas
contraire au principe de l’article 72. Si le Conseil constitutionnel a pu considérer
qu’« en prévoyant que le territoire dispose d’un conseil élu, [la loi] a pu charger ses
membres d’une double fonction territoriale et régionale, sans enfreindre aucune
règle constitutionnelle » 78, il serait douteux d’appliquer cette décision à l’élection
74. Rapport du Comité pour la réforme des collectivités territoriales, précité, p. 69.
75. Géraldine CHAVRIER, « Les conseillers territoriaux : constitutionnalité d'une création inspirée par le
territoire de la Nouvelle-Calédonie », précité, p. 84.
76. Décision n° 91-290 DC du 09 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.
77. Réforme territoriale, séance du 6 juillet 2010.
78. Décision n° 85-196 DC du 08 août 1985, Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie.
des conseillers territoriaux. Le Professeur Gérard Marcou rappelle que « du seul fait
que le territoire d’outre-mer pouvait être soumis à une “organisation particulière”,
le législateur n’était pas lié par la structure des collectivités territoriales fixée par
l’article 72 de la Constitution » 79.
Il paraît donc difficile d’adosser la conformité à la Constitution de l’unicité de
l’élection des conseillers territoriaux sur un quelconque précédent, tous étant mo-
tivés par une organisation territoriale et administrative particulière.
La réforme territoriale et l’interdiction de toute tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre
L’article 72 de la Constitution prévoit qu’« aucune collectivité territoriale ne
peut exercer une tutelle sur une autre ». Cette exigence constitutionnelle a pour
corollaire l’égalité de droit entre toutes les collectivités territoriales. Dès lors l’inter-
rogation suivante se pose : la création du conseiller territorial ne porte-t-elle pas
atteinte à cette disposition constitutionnelle ? Créer un élu qui siégerait à la fois au
conseil général et au conseil régional reviendrait à prendre le risque que cet élu,
tantôt conseiller général, tantôt conseiller régional, confonde ses responsabilités et
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fasse, de manière consciente ou pas, primer les intérêts d’une collectivité sur une
autre. Il semblerait d’ailleurs que ce soit là le but recherché par la réforme. L’exposé
des motifs du projet de loi décrit un conseiller territorial clairvoyant auquel il fau-
drait « faire confiance » 80, car il serait « au plus près de la réalité des territoires, pour
clarifier les compétences et les interventions des départements et des régions et
organiser leur complémentarité » 81.
Le conseiller territorial, élu du département et de la région, développerait « une
vision de proximité du fait de son ancrage territorial et une vision stratégique en
raison des missions exercées par la région », lui permettant « de favoriser une arti-
culation plus étroite de leurs interventions respectives afin d’éviter les actions con-
currentes ou redondantes sur un même territoire ». L’élu devient lui-même un
instrument de clarification des compétences entre les différents échelons territo-
riaux. En aucun cas le risque que le conseiller territorial puisse orienter la prise de
décisions régionales en fonction d’intérêts départementaux et inversement n’est
évoqué. L’analyse faite par le Professeur Gérard Marcou paraît assez juste : « Réu-
nissant les membres de tous les conseils généraux de la région, le conseil régional
ne sera pas une représentation distincte et indépendante de la région 82. » Il est
donc difficile d’attendre autre chose qu’« une domination des intérêts départemen-
taux sur les délibérations du conseil régional » 83. Cela se vérifie au regard du com-
portement des élus qui traditionnellement rendent des comptes à leurs électeurs de
proximité. Qu’adviendrait-il alors des intérêts régionaux ? Dans cette perspective, la
tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre paraît être inhérente au dispositif
prévu par cette réforme institutionnelle. Cette tutelle ne se traduirait pas par la
79. Gérard MARCOU, « La réforme territoriale : ambition et défaut de perspective », art. cité, p. 371.
80. Exposé des motifs. Texte n° 60 (2009-2010), précité.
81. Ibid.
82. Gérard MARCOU, « La réforme territoriale : ambition et défaut de perspective », art. cité, p. 373.
83. Ibid., p. 373.
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position. Bien que le Comité se soit interrogé sur la constitutionnalité de certaines
dispositions, il a à chaque fois écarté le risque d’inconstitutionnalité. Le cas de la créa-
tion du conseiller territorial en est une bonne illustration 84. Alors, faut-il voir dans
cette attitude un parti pris, une prudence ou encore un choix qui n’en serait pas un ?
Le rapport, empreint de formules prudentes sur les aspects constitutionnels,
dénote du reste du rapport et de l’ambition affichée par le commanditaire, le prési-
dent de la République. Patrick Le Lidec relève qu’« une réforme législative réalisée à
cadre constitutionnel inchangé s’accommode mal de l’énonciation d’objectifs vo-
lontaristes tels que la réduction du “nombre excessif de niveaux de collectivités” » 85
et rappelle que « l’appel à l’audace est par conséquent très nettement contrebalan-
cé par le renoncement au recours à la voie référendaire. En effet, renoncer au réfé-
rendum revient à borner très sévèrement l’éventail des solutions » 86. Le choix du
président de la République doit cependant être perçu non pas comme la marque
d’une volonté politique mais plutôt comme un renoncement. En effet, il est soumis
à la contrainte de l’article 89 de la Constitution relatif à la révision qui prévoit que le
projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes
identiques. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référen-
dum ou adoptée à la majorité des trois cinquièmes par le Parlement réuni en Con-
grès. Dans un cas comme dans l’autre, le projet de révision doit avoir les faveurs du
Parlement. Sur les questions relatives aux réformes territoriales, le Parlement est
nécessairement le siège d’un conflit d’intérêts. Presque 80 % des parlementaires
cumulent mandats et fonctions électives diverses 87. Ils se sentent naturellement
84. Rapport du Comité pour la réforme des collectivités territoriales, précité, p. 69.
85. Patrick LE LIDEC, « Réformer sous contrainte d'injonctions contradictoires : l'exemple du comité Balla-
dur sur la réforme des collectivités locales », Revue française d'administration publique, 131, 2009/3, p. 483.
86. Ibid., p. 483.
87. Rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institu-
tions de la Ve République, présidé également par Édouard Balladur, « Une Vème République plus démocra-
tique », remis au président de la République le 29 octobre 2007.
préoccupés lorsqu’il s’agit de traiter du sort des collectivités et estiment bien sou-
vent que la collectivité dans laquelle ils occupent leur fonction est légitime à con-
server un statut quo 88. Ce conflit d’intérêts est d’autant plus fort au Sénat dès lors
qu’il assure la représentation des collectivités territoriales : « Toute réforme signifi-
cative de l’architecture des collectivités a pour effet de changer le collège électoral
sénatorial, d’obérer les chances de carrière individuelle de certains sénateurs, de
changer potentiellement les contours de la majorité sénatoriale elle-même, et est
donc accueillie avec réserve par la seconde chambre 89. »
Comment alors soutenir le cumul des mandats proposé dans le rapport du Co-
mité Balladur et institutionnalisé dans le projet de loi ? Déjà, le Comité de réflexion
et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la
Ve République, présidé également par Édouard Balladur, avait plaidé en faveur d’un
mandat unique des parlementaires 90. Ce même Comité avait également perçu le
pouvoir de blocage du Sénat dans les matières constitutionnelles et avait formulé le
vœu que « l’article 89 de la Constitution soit modifié pour permettre qu’en cas de
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refus d’une révision constitutionnelle par l’une des deux assemblées tandis que
l’autre a adopté le texte à la majorité des trois cinquièmes, il soit organisé un réfé-
rendum de telle sorte que le peuple souverain soit appelé à trancher » 91. Force est
de constater que l’adoption d’une telle disposition aurait sans doute permis de
créer les conditions d’une réforme ambitieuse des collectivités territoriales. Pour-
quoi l’ex-Premier ministre a-t-il accepté de présider le Comité pour la réforme
territoriale ? Son expérience acquise à l’occasion de sa précédente fonction laissait
entrevoir un certain scepticisme sur l’aboutissement de la réforme.
Peut-être une autre alternative s’offrait-elle au président de la République. Ef-
fectivement, un tel volontarisme réformateur aurait pu prendre corps à l’occasion
d’une révision constitutionnelle par la voie référendaire de l’article 11. Le Général
de Gaulle avait tenté de contourner le Parlement pour réformer la Constitution
s’agissant de la création des régions et d’une réforme du Sénat. Il avait alors appris
à ses dépens que les électeurs pouvaient être tentés de répondre à l’homme qui les
interroge plutôt qu’à la question qui leur est posée. La période de grâce post-
électorale étant derrière lui et avec une cote de popularité en berne, le président de
la République pourrait avoir estimé que « le jeu n’en valait pas la chandelle ».
Conclusion
Quel que soit l’avenir de cette réforme (décision du Conseil constitutionnel,
élection d’un candidat de l’opposition aux prochaines présidentielles : le parti so-
cialiste s’est engagé à revenir sur cette réforme), certains enseignements peuvent
d’ores et déjà être tirés. Cette réforme a créé l’opportunité d’ouvrir ou rouvrir le
88. Patrick LE LIDEC, « Réformer sous contrainte d'injonctions contradictoires : l'exemple du comité Balla-
dur sur la réforme des collectivités locales », art. cité, p. 483.
89. Ibid., p. 483.
90. Rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institu-
tions de la Ve République, précité, proposition 56.
91. Ibid.
débat sur des questions de la vie démocratique française : le mode de scrutin majo-
ritaire uninominal à deux tours doit être interrogé au regard des objectifs constitu-
tionnels de parité et de pluralisme, le mode de révision de la Constitution doit faire
l’objet d’une réflexion plus poussée, la question du cumul des mandats doit être
réglée, et enfin le Sénat doit être au cœur d’une réforme institutionnelle.
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L’auteur
Docteur en droit public, Evelise Plénet est chercheur associé au Centre d’études et de
recherche sur le droit, l’histoire et l’administration publique (CERDHAP), Faculté de
droit, Université de Grenoble. Ses recherches portent sur le pluralisme normatif et
l’élaboration du droit international, l’évaluation des politiques publiques de sécurité
conduites par les collectivités territoriales ainsi que la décentralisation et l’intégration
européenne.
Parmi ses publications :
— Vers la création d’une prison internationale. L’exécution des peines prononcées par les
juridictions pénales internationales, Paris : L’Harmattan, 2010.