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2006-2007
J.-P. Chauchard,
Professeur à la faculté de droit de Nantes
J.-Y. Kerbourc’h,
Professeur à l’Université de Haute-Alsace
Séance n° 3
Le droit syndical
1. – Documents reproduits
• Liberté syndicale :
- Cass. soc., mixte, 10 avril 1998.
• Représentativité syndicale :
- Cass. soc., 3 décembre 2002.
- CE 5 novembre 2004, Unsa.
• Section syndicale :
- Cass. soc., 27 mai 1997, syndicat général CFDT de Nantes et région et A. Derand c./Société
Rezéenne de transport.
• Bons de délégation :
- Cass. crim., 10 janv. 1989, RJS 3/1989, n° 238.
2. – Thèmes de discussion
3. – Bibliographie
Cass. ch. mixte 10 avril 1998, n° 195 P, État français c/ Syndicat Front national pénitentiaire
(FNP) et autres.
Vu les articles L 411-1, L 411-2 et L 481-1 du Code du travail, ensemble l'article 31 du nouveau Code
de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte de ces textes qu'indépendamment du droit pour le procureur de la République de
demander la dissolution d'un syndicat dans les conditions prévues par l'article L 481-1 du Code du
travail en cas d'infractions commises par ses dirigeants ou administrateurs, toute personne, qui justifie
d'un intérêt à agir, est recevable à contester la qualité de syndicat professionnel d'une organisation
dont l'objet ne satisfait pas aux exigences des articles L 411-1 et L 411-2 du Code du travail ;
Attendu qu'a été déclaré le 10 septembre 1996 un groupement se prévalant de la qualité de syndicat
professionnel, dénommé Front national pénitentiaire (FNP), ayant pour objet de regrouper les
fonctionnaires en civil ou en tenue ainsi que les contractuels sous statut de droit public dépendant du
ministère de la Justice et de procéder à l'étude et à la défense des droits ainsi que des intérêts
matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par les statuts ; que l'État,
représenté par le directeur de l'administration pénitentiaire, ainsi que la Fédération justice CFDT,
l'Union générale des syndicats pénitentiaires CGT l'ont assigné aux fins de faire juger qu'il n'avait pas
un objet conforme à l'article L 411-1 du Code du travail et de lui interdire le droit de se prévaloir de la
qualité de syndicat professionnel ; que le Syndicat de la magistrature, le Syndicat national des
personnels de l'éducation surveillée - Protection judiciaire de la jeunesse - Fédération syndicale
unitaire (SNPES-PJJ-FSU) et la Confédération générale du travail (CGT) sont intervenus
volontairement dans l'instance ;
Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes des syndicats et de l'employeur, la cour d'appel
énonce que l'interdiction de se prévaloir de la qualité de syndicat professionnel ne saurait être
prononcée dans d'autres conditions que celles expressément autorisées par l'article L 481-1 du Code
du travail et que les dirigeants du FNP n'ayant pas été condamnés pour la commission de l'infraction
prévue à l'article L 411-1 du Code du travail et le ministère public n'ayant pas requis la dissolution, la
demande est irrecevable en application de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile ; qu'elle
ajoute que le juge civil ne peut contrôler « ab initio » le bien-fondé de la mise en oeuvre d'une liberté
publique, que le principe de la légalité des délits et des peines a pour effet de délimiter strictement
l'intervention du juge et que la demande, qui ne s'analyse pas seulement en une opération de
qualification mais en une atteinte à l'existence même du syndicat professionnel, est irrecevable, le
ministère public étant le seul titulaire de l'action dans le cadre d'une procédure pénale ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'article L 481-1 du Code du travail était étranger au litige et que l'intérêt
à agir des syndicats et de l'employeur n'était pas contesté, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs : Casse et annule dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juillet 1997, entre les
parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état
où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de
Toulouse.
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Cass. soc., 3 décembre 2002 n° 3478 FS-PBRI, Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace c/
Syndicat Sud Caisses d'épargne (RJS 2/2003, n° 212).
Attendu que la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace fait grief au jugement attaqué d'avoir dit
que le Syndicat Sud Caisses d'épargne était représentatif au sein de la Caisse d'épargne d'Alsace et
d'avoir, en conséquence, rejeté la contestation de la désignation de M. Meyer en qualité de délégué
syndical de ce syndicat, intervenue le 20 avril 2001, alors, selon le pourvoi :
1° qu'en l'absence totale de critères aussi essentiels que l'ancienneté et l'expérience, un syndicat ne
peut être déclaré représentatif en fait dans une entreprise ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations
du jugement que le Syndicat Sud Caisse d'épargne, dont les statuts ont été déposés en préfecture au
mois de novembre 2000, ne s'est implanté officiellement au sein de la Caisse d'épargne et de
prévoyance d'Alsace que le 24 janvier 2001 et qu'il a procédé, le 20 avril suivant (soit 3 mois plus tard)
à la désignation d'un délégué syndical en la personne de M. Meyer ; qu'en raison de sa création très
récente, ce syndicat, dont le juge d'instance constate qu'il ne pouvait se prévaloir de l'expérience
acquise par ses membres fondateurs issus de la CFDT, s'avérait ainsi dépourvu à la fois d'ancienneté
et d'expérience à la date de la désignation contestée ; qu'en considérant que l'absence de ces deux
critères essentiels de représentativité pouvait néanmoins être compensée par la présence d'autres
critères permettant de déclarer le syndicat représentatif, le jugement n'a pas tiré les conséquences de
ses propres constatations et a violé les articles L 133-2 et L 412-11 du Code du travail ;
2° qu'en tout état de cause, ne peut être reconnu représentatif dans une entreprise un syndicat de
création récente et dénué d'expérience, qui compte, à la date de la désignation contestée, un effectif
peu élevé de 50 adhérents sur 1 049 salariés (soit un taux de 5 %) dont les cotisations ne lui
procurent que des ressources limitées (d'un montant de 5 636 francs) et dont l'activité dans
l'entreprise se résume, depuis son apparition, à la tenue de réunions de son bureau, à la distribution
de tracts dont 4 tracts à caractère local, les autres concernant le secteur des Caisses d'épargne en
général et de deux missives auprès des directions des ressources humaines de Strasbourg et de
Mulhouse les 5 et 9 février 2001 ; qu'en déclarant néanmoins ce syndicat représentatif dans
l'entreprise, en l'absence d'expérience, d'ancienneté et d'effectif suffisant, le jugement, qui n'a au
surplus nullement caractérisé l'exercice d'une véritable activité revendicative révélant l'influence du
nouveau syndicat auprès du personnel, a violé les articles L 133-2 et L 412-11 du Code du travail ;
3° que l'activité déployée suppose l'exercice d'une action syndicale organisée et non d'un simple «
activisme syndical » ; qu'en l'espèce, le Syndicat Sud s'était arrogé la possibilité d'utiliser le réseau
internet et les boîtes e-mail des salariés pour diffuser à tout moment des messages syndicaux à
l'ensemble du personnel de l'entreprise ; que le juge d'instance estime cependant qu'à la supposer
illicite, l'utilisation par Sud du réseau internet et des boîtes E-mail de l'ensemble du personnel, à une
fréquence telle qu'elle avait entraîné la saisine du juge des référés par la Caisse d'épargne, révélait à
tout le moins « un activisme syndical incontestable » de la part du nouveau syndicat de nature à
compenser la défaillance des autres critères ; qu'en statuant ainsi, quand les agissements de ce
nouveau syndicat dénotaient au contraire un comportement incompatible avec la reconnaissance de
sa représentativité de fait, le tribunal a privé son jugement de base légale au regard des articles L
133-2 et L 412-11 du Code du travail ;
Mais attendu que, dès lors qu'il constate l'indépendance et caractérise l'influence du syndicat au
regard des critères énumérés par l'article L 133-2 du Code du travail, le tribunal d'instance apprécie
souverainement la représentativité ;
Et attendu que le jugement, qui a fait ressortir que l'indépendance du syndicat n'était pas contestée et
que son influence était réelle, échappe aux critiques du moyen ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.
Observations
Cet arrêt reformule avec une particulière netteté les conditions à remplir par les syndicats non affiliés à
une organisation représentative sur le plan national pour faire reconnaître leur représentativité.
Aux termes de l'article L 133-2 du Code du travail, la représentativité de ces organisations est
déterminée d'après les critères suivants : les effectifs, l'indépendance, les cotisations, l'expérience et
l'ancienneté du syndicat, l'attitude patriotique pendant l'occupation. A ces critères légaux une
jurisprudence constante de la Cour de cassation a ajouté ceux de l'audience, souvent caractérisée par
les résultats électoraux au deuxième tour du scrutin, de l'activité et du dynamisme, en clair, de
l'influence du syndicat dans l'entreprise.
L'arrêt du 3 décembre 2002 souligne l'importance de l'indépendance et regroupe les autres critères
dans la notion d'influence, en précisant bien que cette dernière doit s'apprécier au regard des critères
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énumérés par l'article L 133-2. Autrement dit, l'influence est fonction des effectifs, des cotisations, de
l'expérience et de l'ancienneté du syndicat.
Il avait déjà été souligné que « les critères légaux et jurisprudentiels de la représentativité syndicale
peuvent être ramenés à deux grands groupes : ceux qui révèlent l'indépendance du syndicat et ceux
qui témoignent de l'activité du syndicat dans l'entreprise » (B. Boubli, A propos de la représentativité
syndicale : Semaine sociale Lamy, 11 janvier 1999, n° 916, p. 8). L'arrêt du 3 décembre 2002
confirme la pertinence de cette analyse.
Il ne s'agit donc pas d'une rupture avec la jurisprudence antérieure, d'autant que la notion d'influence
était déjà explicitement apparue dans plusieurs arrêts. Ont ainsi été approuvées des décisions de
juges du fond ayant refusé de reconnaître la représentativité de syndicats qui, s'ils justifiaient de leurs
effectifs, n'établissaient en revanche ni activité, ni ressources, ni influence (Cass. soc. 3 février 1999 :
RJS 3/99 n° 387 ; Cass. soc. 21 octobre 1998 : RJS 12/98 n° 1505 et Cass. soc. 5 mai 1998 : RJS
6/98 n° 755) ou n'ayant exercé aucune activité de nature à révéler leur influence (Cass. soc. 9 juin
1999 : RJS 7/99 n° 939).
Le pouvoir d'appréciation des juges du fond sort renforcé de l'arrêt du 3 décembre 2002. Le
regroupement des critères légaux de représentativité autour des notions d'indépendance et d'influence
fixe une finalité à leur recherche tout en les laissant libres de pondérer ces critères en fonction des
caractéristiques de chaque affaire. La Cour de cassation confirme et amplifie ainsi l'évolution de sa
jurisprudence, qui allait déjà dans le sens d'un allégement de son contrôle. C'est un point sur lequel
l'arrêt insiste en faisant expressément référence au pouvoir souverain d'appréciation des juges du
fond.
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Observations
Le Conseil d'État était saisi d'une requête en annulation du refus implicite opposé par le ministre du
travail à la demande formulée par l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) tendant, d'une
part, à sa reconnaissance au nombre des organisations syndicales les plus représentatives sur le plan
national, d'autre part, à l'attribution de deux sièges au sein de la Commission nationale de la
négociation collective. Au terme d'une décision nuancée, le Conseil d'État, statuant dans la formation
solennelle de l'assemblée du contentieux, a rejeté cette double demande, conformément aux
conclusions de son commissaire du Gouvernement, M. Stahl.
Suivant les dispositions de l'article L 133-2 du Code du travail, la représentativité des organisations
syndicales de salariés est déterminée selon cinq critères, à savoir les effectifs, l'indépendance, les
cotisations, l'expérience et l'ancienneté du syndicat et l'attitude patriotique pendant l'occupation. Ces
critères ne revêtent pas, toutefois, une égale importance dans l'appréciation portée sur la
représentativité d'une organisation, le juge s'efforçant, a fortiori lorsque l'appréciation s'exerce dans le
cadre national, de cerner « l'audience » de l'organisation. Si les effectifs exercent ainsi une influence
réelle, rapportée au nombre des salariés considérés autant qu'aux effectifs des autres organisations
en présence (CE 11 avril 1962, CFTC : Lebon p. 275), il convient de tenir compte également des
résultats obtenus lors des élections, qu'il s'agisse des élections dans l'entreprise ou bien des élections
prud'homales (CE 26 octobre 1973, Sect, Fédération nationale des syndicats indépendants des
industries chimiques et similaires et autre : Lebon p. 599), ou encore de l'influence exercée dans les
faits par une organisation compte tenu de son ancienneté ou de son autorité dans les relations
collectives du travail (CE 22 avril 1970, Ass., CFDT et autre : Lebon p. 263). L'appréciation demeure
toutefois nuancée et fonction de considérations d'espèce (pour un exemple récent, voir CE 3 mai 2004
n° 252.926, Coordination rurale - Union nationale, à paraître aux tables du Lebon).
Le Conseil d'État ne fait d'ailleurs que reprendre sur ce point la démarche de la Cour de cassation qui
s'attache, aux termes de sa jurisprudence la plus récente, à l'indépendance et à l'influence des
organisations syndicales pour en déterminer la représentativité (Cass. soc. 3 décembre 2002 : RJS
2/03 n° 212, Dr. soc. 2003 p. 298 note J.-M. Verdier ; Cass. soc. 12 mars 2003 : RJS 5/03 n° 630 ;
Cass. soc. 21 mai 2003 : RJS 11/03 n° 1283, Dr. soc. 2003 p. 779 obs. F. Duquesne). C'est à une
telle appréciation qu'il s'est livré en l'espèce pour écarter la demande de l'Unsa, celle-ci n'ayant pas, à
ses yeux, une implantation à la fois assez étendue et assez ancienne dans le secteur privé pour
prétendre rejoindre dans l'immédiat les cinq organisations reconnues représentatives sur le plan
national depuis 1966.
On observera que le Conseil d'État a entendu préciser, avant de se prononcer sur le bien-fondé même
de la décision implicite de refus de l'autorité administrative, le cadre dans lequel devait être appréciée
la représentativité de l'organisation requérante. C'est en se référant, d'une part, aux dispositions de
l'article L 133-1 du Code du travail relatives aux conditions de la négociation et de la conclusion des
conventions et accords collectifs de travail susceptibles d'être étendus ou élargis, d'autre part, aux
dispositions de l'article L 136-1 du même Code relatives à la composition de la commission nationale
de la négociation collective. On rappellera, à titre de comparaison, que le Conseil d'État a entendu
récemment limiter, aux seules organisations syndicales de salariés le bénéfice de la présomption
irréfragable de représentativité ouvert aux organisations affiliées à une organisation reconnue
représentative sur le plan national, les organisations locales d'employeurs étant tenues, dès lors, de
faire la preuve de leur représentativité dans le secteur où elles entendent participer à la négociation
d'une convention ou d'un accord (CE 30 juin 2003, Medef et a. : RJS 10/03 n° 1197, D. 2004 Jurispr.
p. 1701 obs. D. Chelle et X. Prétot, Dr. soc. 2003 p. 1112 concl. P. Fombeur).
L'Unsa a fait connaître son intention de saisir la Cour européenne des droits de l'homme pour violation
par l'État français de la liberté d'expression, de la liberté syndicale et de l'interdiction des
discriminations.
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Cass. soc. 27 mai 1997, n° 2303 PBR, Syndicat général CFDT de Nantes et région et autre c/ Sté
Rezéenne de transports (RJS 7/1997, n° 834).
Observations
Revirement de jurisprudence.
Il résulte de l'article L 412-11 du Code du travail que la validité de la désignation d'un délégué syndical
est subordonnée à l'existence d'une section syndicale.
Selon une jurisprudence constante, cette section syndicale peut être seulement en voie de
constitution. Mais, dans ce cas, la Cour de cassation considérait jusqu'à présent que le syndicat
devait, pour prouver l'existence de la section, établir qu'il avait au moins deux adhérents dans
l'entreprise ou l'établissement concerné.
C'est à cette exigence qu'elle renonce en décidant que, désormais, la désignation d'un délégué
syndical suffit à prouver l'existence d'une section syndicale.
Comme le spécifie expressément l'arrêt, cette solution vaut seulement, pour les entreprises d'au
moins cinquante salariés. Cette précison tient au fait que la constitution d'une section syndicale n'étant
subordonnée à aucune condition d'effectif, une telle section peut, dans les entreprises de moins de
cinquante salariés, exister sans qu'il y ait un délégué syndical. Dans cette hypothèse, la preuve de
l'existence de la section syndicale ne saurait, par définition, résulter de la désignation du délégué
syndical.
Le revirement de jurisprudence auquel procèdent les deux arrêts du 27 mai 1997 supprime les
inconvénients de la jurisprudence antérieure. En exigeant du syndicat qu'il prouve avoir au moins un
autre adhérent que le salarié désigné comme délégué syndical, celle-ci l'obligeait en effet à
communiquer le nom de ce salarié. En cas de risque de représailles de l'employeur à l'encontre de
l'intéressé, le syndicat était autorisé à ne le donner qu'au juge. Cette situation était doublement
insatisfaisante car, d'une part, la preuve, incombant au syndicat, de risques de représailles était dans
la pratique très malaisée à apporter et, d'autre part, la non-communication à l'employeur de cet
élément déterminant du litige constituait une entorse difficilement acceptable au principe du
contradictoire.
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Cass. crim., 10 janvier 1989 (Bull. crim. n° 10, p. 22 ; RJS 3/1989, n° 238).
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du procès-verbal de l'inspecteur du Travail, base des poursuites, que
Pierre Jacque directeur des établissements Peugeot de Saint-Etienne, a pris deux notes de service prescrivant que
les bons de délégation demandés par les représentants du personnel avant de partir en mission devaient être
conservés par ces représentants pendant l'exercice de cette mission afin qu'ils puissent l'utiliser comme titres de
circulation dans l'entreprise et les représenter éventuellement au service de surveillance, tant pendant l'horaire de
travail des intéressés qu'en dehors de ces heures ; que Jacque en raison de ces faits a été poursuivi des chefs
d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'entreprise, d'entrave à l'exercice régulier des fonctions de
délégué du personnel et d'entrave à l'exercice du droit syndical pour avoir imposé aux membres du comité
d'entreprise, aux délégués du personnel et aux délégués syndicaux des titres de circulation soumis à des contrôles
multiples et limitant la liberté de circulation de ces salariés ; qu'il a été déclaré coupable par le Tribunal ;
Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris et relaxer le prévenu de ces chefs de prévention, la juridiction
du second degré énonce notamment « qu'il n'est nullement soutenu ni même allégué... qu'un salarié protégé se
soit vu refuser un bon de délégation et qu'un contrôle quelconque ait été fait a priori sur l'activité du personnel
protégé ; qu'il n'est pas davantage établi que les contrôles effectués en ce qui concerne la circulation dans l'usine
" aient été abusifs " et qu'ils aient été faits dans le but d'entraver la libre circulation des délégués ; qu'ils
apparaissent au contraire comme normaux et relevant de la bonne organisation de l'entreprise au plan notamment
de la sécurité et de la protection des secrets de fabrication » ; qu'elle observe encore « que le seul fait de mettre le
personnel protégé dans l'obligation, d'une part, de se munir, préalablement à chaque mission effectuée, d'un
laissez-passer, appelé " bon de délégation " parce qu'il est également utilisé pour la comptabilisation du temps
passé en mission par le personnel protégé pendant les horaires de travail, et, d'autre part, de présenter ce bon au
personnel de surveillance dans l'usine, ne saurait en soi constituer une entrave à la libre circulation dès lors que
le bon est systématiquement remis à la moindre demande du salarié protégé et que l'employeur ou le responsable
de la sécurité, dans les conditions de travail, doit pouvoir contrôler la circulation de son personnel dans
l'entreprise » ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel, qui a constaté par une appréciation souveraine des éléments de
la cause que les notes de service prescrivant l'emploi de bons de délégation comme titres de circulation n'avaient
porté aucune atteinte à la liberté d'action des représentants du personnel et qui a répondu aux conclusions des
parties civiles sans être tenue de les suivre dans le détail de leur argumentation, n'a pas encouru les griefs
allégués ; qu'en effet le principe de la libre circulation des délégués syndicaux et des représentants élus du
personnel pour l'exercice de leurs fonctions n'interdit pas à l'employeur, responsable de la sécurité et de la bonne
marche de l'entreprise, d'exiger de ceux qui y circulent la justification de leur qualité et qu'il lui appartient, après
la consultation -non contestée en l'espèce - des intéressés, de déterminer les modalités de ce contrôle à la
condition que celles-ci n'aient pas pour effet de limiter l'exercice du droit syndical et d'entraver les fonctions des
délégués et représentants précités ;
Qu'ainsi le moyen ne peut être admis ;
Observations
I. Dans la décision susvisée, la chambre criminelle a pris position sur la question de la licéité des bons de
délégation utilisés comme titres de circulation dans l'entreprise, en l'état des textes applicables depuis la loi n°
82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel (sur ce point,
avant la loi, voir Cass. crim. 24 février 1977, Bull. crim., p. 188, n° 80 ; crim. 28 mars 1979, Bull. crim., p. 354,
n° 126).
Deux règles essentielles ont été dégagées : d'abord, celle selon laquelle le chef d'entreprise, « responsable » de la
sécurité et de la bonne marche de son établissement » peut, par une note de service, prescrire l'emploi des bons
de délégation comme bons de circulation ; ensuite, celle selon laquelle il lui appartient, « après consultation des
intéressés », de déterminer les modalités du contrôle, à la condition que celles-ci ne soient pas la source
d'entraves.
La nécessité d'une consultation préalable des salariés concernés, appliquée dans un domaine ne faisant l'objet
d'aucune disposition législative ni réglementaire, apparaît conforme à l'intention du législateur qui, en 1982, a
axé sa réforme sur le développement de la négociation collective, en particulier au stade de l'entreprise (voir JO
AN, 2e séance du 27 mai 1982, p. 2690). Le recours aux bons de circulation constitue une pratique tolérée qui ne
doit pas, par une application abusive, être source d'entrave.
II. L'arrêt réitère des solutions classiques relatives à l'absence d'autorité, sauf exceptions, des décisions civiles au
regard de l'action publique dont sont saisies les juridictions répressives (s'agissant, en l'espèce, de la preuve des
circonstances exceptionnelles justifiant le dépassement du crédit d'heures d'un membre du comité
d'établissement).