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Abdelhak El haddadi T

Dissertation ;La contrainte de la loi est-elle nécessaire à la liberté des citoyens ?

Être libre, n’est-ce pas le pouvoir, pour chacun, d’agir à sa guise ? La contrainte, du latin
« constrigere » (« serrer »), est constituée par toute règle, limite ou obstacle qui entrave l’action, on considérera
donc que la contrainte est l’exact opposé de la liberté. Mais on ne peut ignorer que, d’un autre côté, aucune liberté
effective ne peut se concevoir indépendamment de toute contrainte. Ni l’enfant capricieux ni le tyran n’ignorent
les contraintes. Le premier est l’esclave de ses désirs, le second est à la merci de sa garde rapprochée, voire de son
opinion publique. De quelque manière que l’on conçoive la liberté, celle-ci ne peut ignorer ni les nécessités
naturelles ni la présence irréfutable des autres. La question ne peut être par conséquent que celle-ci : quelles sont,
parmi les contraintes, celles qui s’opposent à la liberté ? À partir de quand, et suivant quels critères, doit-on
considérer qu’une contrainte entrave ou exclut la liberté ? Et comment définir la liberté, pour finir, si l’on cesse de
la tenir pour une pure et simple absence de contraintes ?

I. Les contraintes subies restreignent ou excluent la liberté 

Les contraintes auxquelles nous consentons, soit parce que nous les croyons nécessaires, soit parce que nous en
attendons un bénéfice, ne sont pas contraires à la liberté. Mais il faut ici distinguer les contraintes externes (que la
société nous impose) et les contraintes internes (celles que nous nous imposons à nous-mêmes).

Les contraintes que nous nous imposons à nous-mêmes ne sont pas le contraire de la liberté. 
Bien au contraire. Le fait de prendre des engagements, de pouvoir tenir des promesses, autant de caractéristiques
de l’être humain qui, loin de diminuer sa liberté, lui donnent une dimension plus profonde. Nous sommes libre
lorsque nous respectons la parole donnée, nous sommes libre lorsqu'on signe un contrat, nous sommes libre
lorsqu'on se marie ou lorsqu'on procrée. On admettra donc que lorsqu'on choisis de me lier par un serment, un
mariage, un contrat etc.. nous agissons librement en nous pliant à des règles que nul ne m’impose (de l’extérieur).
C’est ainsi que Descartes définit la « liberté éclairée ». Je décide de faire ce qui est bien pour moi, et j’en accepte
la part de contraintes. C’est le cas d’une personne qui s’engage dans de longues études, conformément à ce qu’elle
pense être sa vocation
 
La société nous impose toutes sortes de règles et de dispositifs contraignants. 
Les institutions et les lois nous obligent à vivre suivant des normes que nous n’avons pas choisies et qui nous
apparaissent à bien des égards comme des entraves et des limites, voire des formes oppressives. Freud dit à ce
propos que « tout homme est virtuellement un ennemi de la civilisation » (Avenir d’une illusion, chapitre I) car
chacun ressent les restrictions de la vie sexuelle et l’obligation de travailler comme une oppression et une
mutilation de sa nature. C’est aussi le sentiment exprimé dans la Genèse, dans l’Ancien Testament. À la suite de la
chute, Adam et Ève doivent se vêtir, Adam doit travailler et subvenir aux besoins de sa famille etc.. Pourtant la
société républicaine, telle que Rousseau l’a conçue dans Du contrat social, est fondée sur l’idée que tous les
citoyens ont signé un contrat par lequel ils s’engagent à se soumettre volontairement aux contraintes qu’ils jugent
d’intérêt général. C’est ainsi que les parents imposent à leurs enfants de se soumettre aux contraintes inhérentes à
l’éducation en supposant qu’ils en admettraient le bien-fondé s’ils étaient en mesure de le faire.

Toutes les activités productrices et créatrices des hommes impliquent des contraintes auxquelles ils souscrivent -
dans le meilleur des cas - librement. 
Tout travail implique une discipline, un apprentissage, et de plus ou moins lourdes et pénibles contraintes :
horaires stricts, soumission à la volonté de l’employeur, aux exigences de l’entreprise, à la loi du profit… Hegel a
établi, à ce propos, que les hommes ne travaillent, au départ, que parce qu’ils y sont forcés. C’est ce qu’il appelle
« la dialectique que maître et de l’esclave ». Cependant, ce sont les « esclaves » (les travailleurs) qui deviendront,
au bout du compte, les « maîtres de l’Histoire ». C’est par le travail que les hommes accèdent à la civilisation,
développent une culture, et donc réalisent leur liberté. De même, dans leurs activités créatrices, les hommes
commencent par apprendre des règles auprès de leurs maîtres, puis dans un second temps, ils se donnent à eux-
mêmes les règles et donc les contraintes inhérentes à toute production artistique. De même toute personne qui
recherche la vérité, qui « pense », doit s’efforcer de suivre des règles, comme nous l’a enseigné par exemple
Descartes (cf. « Règles pour la direction de l’esprit » de Descartes).

Conclusion de la première partie. 


Toutes les contraintes ne sont pas opposées à la liberté. On remarque que certaines contraintes externes (le fait de
devoir voter en république par exemple) ne sont pas contraires à la liberté, tandis que des contraintes internes (la
soumission à certaines opinions) peuvent annihiler la liberté. Il faut donc aller plus loin. Les philosophes nous
aident à y voir plus clair. 

II Les contraintes s’opposent à la liberté lorsqu’elles sont arbitraires

Ce qui est « arbitraire », c’est ce qui dépend du seul « libre arbitre » de quelqu’un. Le mot a une connotation
négative : ce qui est « arbitraire », c’est ce que je tends à imposer car l’autre ne peut l’approuver. Le comble de
l’arbitraire, c’est le bon vouloir du despote ou du maître qui impose ses caprices à ses esclaves. Sur ce modèle, on
jugera « arbitraires » toutes les contraintes qui sont dépourvues de nécessité, tels que des rythmes de production
ou des modalités du travail inhumaines, ou encore des impôts et taxes dénuées de justification économique.

Les contraintes physiques : au niveau le plus élémentaire, tout ce qui limite les mouvements, les besoins et les
aspirations du corps est une contrainte. 
Tout ce qui relève de l’hygiène et de la préservation de la santé constitue un ensemble de contraintes nécessaires,
naturelles et donc non opposées à la liberté. En revanche tout ce que nous subissons « à notre corps défendant »
telles que les maladies, les handicaps, la famine etc.…, et même ce qui provient de notre propre faiblesse comme
ce qui relève de l’addiction (drogue, stupéfiants), constitue des contraintes contre-nature, qui nous font souffrir en
vain, et qui restreignent indéniablement notre liberté d’action. Il existe toutefois de nombreuses contraintes que
certains individus jugent « arbitraires » et qui sont pourtant « justes » du point de vue du sens commun. Ce sont
celles qui sont liées aux tabous sexuels, par exemple, comme le tabou de l’inceste ou l’interdit d’une sexualité «
libre » avec des partenaires mineurs. C’est la société qui décide ici de ce qui est permis et de ce qui est laissé à la
discrétion de chacun (comme l’orientation sexuelle par exemple).

La forme de contrainte qui est manifestement la plus arbitraire de toutes est celle qui dérive de toutes les formes
d’esclavages. 
Rousseau a démontré que l’esclavage est contre nature, car aucun homme n’est né pour être esclave ( Du contrat
social, Livre I, chapitre IV). Il fait également observer que les hommes sont toujours esclaves de la volonté
particulière d’un autre homme. Lorsqu’un individu impose ses désirs à un autre, même si celui-cidonne son
consentement, on crée une situation d’aliénation qui tient au caractère arbitraire de la volonté du maître (par
exemple dans le cas du mari despotique et de la femme soumise). En revanche, il n’est pas correct de dire que l’«
homme est esclave de la loi, de l’éducation de la télévision ou de la société de consommation ». Car ces entités
abstraites n’ont pas de volonté, elles ne peuvent donc me contraindre de suivre leurs désirs - quelles n’ont pas !
Derrière les puissances oppressives, il y a toujours des volontés particulières et arbitraires qui assouvissent leurs
passions ou poursuivent leurs intérêts.

Sur un plan moral, chacun se soumet à des contraintes, volontairement ou non. 


On peut considérer que tout ce qui contrarie ma nature profonde relève de la « contrainte arbitraire » et qui
s’oppose à ma liberté. Mais comment savoir quelle est ma nature profonde, quelles sont donc les décisions et les
orientations qui constituent une expression de la liberté (« liberté éclairée ») et quelles sont celles qui relèvent du
caprice et donc de l’arbitraire, même si c’est moi-même qui me l’impose à moi-même ? Selon les anciens sages, je
ne suis libre que lorsque je me détermine conformément à ma nature raisonnable, après réflexion (« Connais-toi
toi-même », 64 
recommande Socrate) tandis que je suis contraint par mes propres désirs, lorsque je m’y livre sans aucune limite.
Dans ce cas, je suis le tyran de moi-même, condamné à remplir sans espoir de trouver la satisfaction un tonneau
définitivement percé (Gorgias, Platon).

Conclusion de la seconde partie 


Un questionnement sur la liberté et sur ce qui s’y oppose engage finalement une réflexion sur la vraie nature de
l’homme.

III. Être libre, c’est choisir les contraintes auxquelles on décide de se soumettre volontairement  

Nous savons maintenant que la liberté n’exclut pas la contrainte. Il nous reste à examiner pourquoi certaines
contraintes expriment notre nature et, loin d’être opposées à la liberté, en sont même indissociables. Quelles sont
ces contraintes, et en quoi dérivent-elles de notre nature ?
Être libre, c’est obéir à la nécessité de sa nature. C’est le philosophe Spinoza qui a formulé cette idée avec le plus
de force 
« Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte
cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée. Dieu, par
exemple, existe librement (quoique nécessairement) parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. De
même encore, Dieu connaît soi-même et toutes choses en toute liberté, parce qu’il découle de la seule nécessité de
sa nature qu’il comprenne toutes choses. Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais
dans une libre nécessité ». 
Ainsi par exemple, lorsqu’un rossignol chante, il chante librement, il n’est pas contraint. Il obéit à la nécessité de
sa nature. Mais quel est l’équivalent du chant du rossignol pour un homme ? Quand l’homme obéit-il à la
nécessité de sa nature ? Le propre de l’homme est la pensée. L’homme est donc libre, et non contraint, lorsqu’il
pense, en suivant les règles de la raison qu’il a lui-même élaborées, conformément à sa nature rationnelle et
raisonnable. Il n’est pas libre en revanche quand il obéit à ses appétits ou à ses impulsions, qu’il n’a pas choisies,
et dont il ignore les causes originelles. Ainsi la femme bavarde ne sait pas à quoi tient son désir irrépressible de
s’exprimer hors de propos, pas plus que le nourrisson ne sait pourquoi il désire le sein ou le lait.

Être libre, c’est décider d’obéir à la loi que je me donne à moi-même 


Seul l’homme est capable de choisir quelles sont les règles (morales) qu’il s’impose, par opposition aux animaux
qui suivent nécessairement leur instinct, et qui ne sont donc libres que dans un sens limité, car ils ne choisissent
pas leurs actions ni leur ligne de conduite (dans la sexualité, par exemple). Au contraire, les hommes ont la
capacité de choisir leur façon de vivre et de penser, ils sont donc libres lorsqu’ils s’imposent une loi qui les
contraint, mais selon une orientation morale (c’est ce que Kant nomme l’impératif catégorique). L’homme est
donc libre lorsqu’il fait son devoir. Cette autonomie (je me donne à moi-même la loi que je vais suivre) est le
fondement de la dignité de tous les hommes : 
« La loi morale n’exprime donc pas autre chose que l’autonomie de la raison pure pratique, c’est-à-dire de la
liberté, et cette autonomie est elle-même la condition formelle de toutes les maximes, la seule par laquelle elles
puissent s’accorder avec la loi pratique suprême » Kant, voir extrait ci-dessous. 

Nous sommes libres lorsque nous obéissons aux lois auxquelles nous avons consenti 
Cette idée est au fondement de nos institutions républicaines « Le peuple, soumis aux lois, en doit être l’auteur ».
En principe, suivant la théorie exposée par Rousseau dans Du contrat social, le peuple est l’auteur des lois
auxquelles il se soumet. Dans la réalité, le peuple, théoriquement souverain, doit avoir approuvé les lois
fondamentales de son pays pour que celles-ci soient légitimes. Dans ce cas et dans ce cas seulement, le peuple est
libre, ou encore autonome, lorsqu’il obéit aux lois. Et chaque citoyen est libre lorsqu’il se soumet aux contraintes
des institutions républicaines. Il est même libre lorsqu’il subit une sanction s’il a transgressé la loi. Dans le texte
cité en annexe, Rousseau rejoint Spinoza lorsqu’il affirme qu’à l’état de nature, l’homme est libre puisqu’il obéit à
la loi naturelle. Il confirme également la thèse de Montesquieu, énoncée quelques décennies auparavant : la liberté
et la loi (rationnelle, non arbitraire) sont indissociables en république (lire l’extrait de L’Esprit des lois, ci-
dessous), comme elles le sont aussi d’un point de vue moral (Kant reprendra cette idée d’autonomie, empruntée à
Rousseau).

Conclusion de la troisième partie 


Non seulement la contrainte n’est pas le contraire de la liberté, mais encore la liberté ne peut être dissociée de
certaines contraintes, pourvu que celles-ci ne soient pas arbitraires.

Conclusion
Toutes les contraintes ne sont pas oppressives. Toutes les contraintes ne sont donc pas « contraignantes », dans le
sens usuel de ce terme. Et la liberté, contrairement à ce qu’admet habituellement le sens commun, ce n’est pas le
fait d’« agir sans contrainte ». La liberté, c’est le fait de pouvoir choisir - la loi et les contraintes - que l’on
s’imposera à soi-même. La question qui se pose toutefois est encore et toujours de savoir quelles sont les
contraintes que nous impose la société qui ne sont pas nécessaires, qui sont arbitraires, parce qu’elles ne sont pas
justes. Or il est très difficile de s’entendre sur le caractère nécessaire et juste de certaines contraintes. Et tout ce
qui nous contraint, avec ou sans nécessité, nous le tenons spontanément pour injuste ! 

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