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Peter Dahlgren

Université de Stockholm

L'ESPACE PUBLIC ET
LES MÉDIAS*
Une nouvelle ère ?

Traduit de l'anglais par Marc Abélès, Daniel Dayan


et Eric Maigret

Le concept d'espace public, à la lumière des changements affectant notre société, nous
amène à nous demander comment et dans quelle mesure les moyens de communication de
masse, participent à l'information des citoyens sur le monde et à l'élaboration de leur prises de
positions. Dans ce texte, je retrace brièvement l'évolution de l'idée a'«espace public», en
insistant sur l'apport de Jürgen Habermas.
Devant les problèmes soulevés par la méthodologie et le cadre théorique de Habermas, je
constate qu'en dépit de l'indéniable originalité de ses travaux, de regrettables ambiguïtés s'y
maintiennent. Diverses réflexions ont alors eu pour objet de renouveler ce concept d'espace
public.
Des notions proches de celle que nous sommes progressivement venus à nommer « espace
public» ont toujours accompagné la théorie démocratique. La volonté de susciter des lieux-
forum où puisse se développer et s'exercer la volonté politique des gouvernés vis-à-vis des
dirigeants a toujours marqué l'évolution historique de la conception démocratique. Il s'avère en
effet que les points de vue des dirigeants et des gouvernés se sont souvent opposés. Le
développement d'une démocratie de masse dans les pays occidentaux coïncide historiquement
avec la promotion des moyens de communication de masse au rang d'institutions dominantes de
l'espace public.
Tandis que, face aux transformations sociales et aux développements des médias, l'impor-
tance politique des lieux de débats traditionnels et localisés ne cesse de diminuer, la notion

HERMÈS 13-14, 1994 243


Peter Dahlgren

d'espace public devient non seulement centrale, mais acquiert une valeur normative. L'idée qu'il
existerait des sites institutionnels au sein desquels une politique populaire prendrait forme par la
participation active des citoyens aux processus politiques, devient cruciale pour toute concep-
tion d'une société idéale. Le bon ou le mauvais fonctionnement de l'espace public devient une
manifestation concrète du caractère démocratique de la société et donc, en un sens, l'indicateur
le plus immédiatement visible du degré de démocratie atteint.
Le concept d'espace public peut être utilisé -et tel est en général le sens qui s'en est dégagé
— comme un synonyme pour les processus d'opinion publique ou pour les médias d'informa-
tion eux-mêmes. Dans son acception plus ambitieuse — celle qu'élabore, par exemple, Jürgen
Habermas — ce concept d'espace public doit être compris comme une catégorie analytique, un
outil conceptuel permettant non seulement de désigner un phénomène social spécifique mais
aussi de l'analyser et de l'étudier. Selon Habermas, le concept d'espace public bourgeois désigne
un espace social spécifique, dont l'avènement coïncide avec le développement du capitalisme en
Europe occidentale.
L'adjectif « bourgeois » n'est pas ici secondaire, il sert à souligner les circonstances histo-
riques particulières et la dimension de classe du phénomène. En tant que catégorie analytique,
l'espace public bourgeois propose un lien dynamique entre une série d'acteurs, de facteurs et de
contextes, à l'intérieur d'une construction théorique cohérente. C'est l'ensemble d'une telle
configuration, sa capacité à tenir compte des contingences institutionnelles et discursives qui
confère à ce concept sa puissance analytique. L'analyse de Habermas incorpore, entre autres
choses, des perspectives théoriques sur l'histoire, sur la structure sociale, sur la politique, sur la
sociologie des médias, sur la nature de l'opinion, et ceci ne donne qu'une faible idée de la
complexité de cette notion.
L'étude de Habermas s'achève sur le constat du déclin de l'espace public bourgeois puis de
sa « désintégration » au sein des Etats-providence du capitalisme industrialisé. Si l'on accepte le
verdict de Habermas, sur notre époque « post-bourgeoise » et sur l'avenir, il ne reste plus grand
chose à dire ou à faire. Mais il est temps de ne plus se contenter de répéter les conclusions de
Habermas.
L'histoire n'est pas statique. L'espace public contemporain est modelé par de nouvelles
forces historiques ; il recèle peut-être de nouvelles potentialités. Dans la mesure où nous sommes
concernés par la dynamique démocratique, l'élaboration d'une théorie de l'espace public,
adaptée aux faits contemporains s'impose aux chercheurs autant qu'aux acteurs politiques. Ceci
passe par une réévaluation de l'analyse de Habermas, analyse qu'il faut confronter aux nouvelles
données intellectuelles et politiques.
Bien que le texte intégral de l'ouvrage de Habermas, Strukturwandel der Öffentlichkeit
(1962) ne soit que depuis peu disponible en langue anglaise, sous le titre de Structural
Transformation of the Public Sphere (1989), les éléments centraux de sa thèse sont devenus
familiers aux spécialistes britanniques et américains des médias depuis la fin des années 1970,
grâce à un article de synthèse de Habermas (1974) et à de nombreux commentaires.

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L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?

Sur la base de ces quelques textes, il était déjà possible de voir à quel point la notion
d'espace public chez Habermas, et l'importance qu'elle accorde à la démocratie et aux médias,
est en affinité avec la pensée libérale prédominante des traditions anglo-américaines. Cette
notion se distingue cependant par une dimension théorique ambitieuse en contraste avec les
diverses traditions de la théorie libérale démocrate, traditions dont l'analyse de Habermas
construit aussi la critique.

L'ambiguïté de Habermas
Cette brève présentation se contentera de proposer une version condensée des thèses de
Habermas et d'identifier parmi celles-ci quelques éléments problématiques. Mats Dahlkvist
(1984) propose une analyse plus détaillée dans son excellente introduction à la traduction
suédoise. Une discussion similaire existe aussi en anglais (Keane, 1984).
Les classes bourgeoises ascendantes en Europe de l'Ouest, en luttant contre les prérogatives
de l'Etat absolutiste, ont réussi à dégager un espace de débats entre l'Etat et la société civile.
Leur lutte a déclenché des réactions en chaîne, surtout au cours du XVIIIe siècle. En opposition
avec ce que Habermas appelle la « publicité de représentation » (representative publicness) de
l'époque médiévale, durant laquelle la noblesse gouvernante se contente d'offrir au peuple le
spectacle du pouvoir, le nouvel espace public offre aux citoyens la possibilité de débattre de
l'exercice du pouvoir étatique. Autrement dit, des individus privés usant de leur propre raison
critique se transforment en un public. Caractérisé par les débats et les écrits des « hommes de
lettres », l'espace public bourgeois atteint son apogée entre le début et le milieu du XIXe siècle.
En retraçant cette évolution, Habermas souligne ses aspects positifs mais il fait ressortir
l'une des failles fondamentales de la vision du monde utilisée par les classes bourgeoises pour se
représenter elles-mêmes, à savoir l'universalisme. Certes, il existe des variantes spécifiques dans
le développement général de l'espace public en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France,
mais dans la plupart des cas on observe que les droits liés à la citoyenneté, c'est-à-dire l'accès à
l'espace public, ou le vote, ne sont pas accordés à tous. Ils ne concernent, pour l'essentiel, que
les titulaires de propriétés.
De plus, l'aptitude à lire et à écrire introduit un principe de sélection, principe implicite
dans le meilleur des cas, et qui, étant donnée la structure sociale de l'époque, tend à coïncider
avec la possession de biens. Habermas s'applique ainsi à mettre en évidence les contradictions
entre l'idéal d'égalité formelle défendu par la doctrine libérale et les inégalités sociales engen-
drées par les relations de marché, contradictions dont nous débattons toujours aujourd'hui.
Malgré ces restrictions déjà apportées à l'accès à l'espace public, le milieu du XIXe siècle, à
l'apogée d'un capitalisme du kisser-faire1, voit des philosophes libéraux comme Mill ou Tocque-
ville s'activer à poser les limites du statut, du rôle et du pouvoir de ce que l'on va appeler

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« l'opinion publique ». Ces philosophes entrevoient clairement les menaces qui pourraient peser
sur l'ordre social dominant si le pouvoir devait réellement être subordonné à la volonté
populaire. Mais ce ne sont pas des arguments philosophiques en soi qui amorcent la désintégra-
tion de l'espace public bourgeois. De rapides transformations sociales altèrent en effet son
environnement et ses conditions d'existence.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'industrialisation, la poussée de l'alphabétisation et
de la presse populaire, et enfin, élément qui n'est pas des moindres, la montée en puissance d'un
Etat interventionniste et administratif, contribuent respectivement à son déclin. Ces change-
ments ont notamment pour conséquences de brouiller la distinction entre public et privé dans
les domaines de l'économie et de la politique, d'entraîner une rationalisation et un rétrécisse-
ment de la sphère privée intime (la vie de famille) et de mener graduellement au passage d'un
public, certes restreint mais activement engagé dans les débats politiques et culturels, à un public
de masse désormais composé de consommateurs.
L'émergence de l'Etat-providence du XXe siècle entraîne pour Habermas, de nouvelles
transformations de l'espace public. Le rôle critique du journalisme s'efface devant l'essor de la
publicité, du spectacle et des relations publiques. L'opinion publique n'est plus le produit d'un
discours rationnel. Elle se fabrique à l'aide de publicité et de manipulation médiatique. Parvenu
à ce point, le récit de Habermas aborde des questions plus familières au lecteur anglo-américain.
En fait, dans la dernière partie de son livre, Habermas étaie ses arguments, en faisant appel à des
classiques des années cinquante : La foule solitaire, de Riesman, et The Organization Man, de
Whyte. Dans les deux dernières pages, la distinction que C. W. Mills opère entre «public» et
« masse » (cf. The Power Elite), lui sert à clarifier sa propre position. La rencontre avec Mills est
éclairante. Grâce à l'analyse de Mills sur les relations de pouvoir au milieu du siècle aux
Etats-Unis, le lecteur peut faire le lien entre la réflexion de Habermas et les différentes traditions
de recherche sur les médias apparus au cours des deux dernières décennies. Celles-ci ne se
limitent pas aux courants néo-marxistes ; un ouvrage tel que celui de Postman (1986) se fait
l'écho de bien des thèses de Habermas.
L'analyse de Habermas est véritablement ambitieuse, et elle convainc pour l'essentiel, mais
elle n'est pas sans poser quelques problèmes. Ainsi, peut-on l'accuser d'une double exagération.
D'une part, même à son zénith, le discours bourgeois n'a jamais manifesté le degré de rationalité
que Habermas lui attribue. D'autre part, la situation en période de capitalisme avancé — aussi
sombre soit-elle — est loin d'être aussi bloquée et aussi désespérée qu'il l'affirme. Mais û ne
s'agit là que d'un problème d'évaluation historique. En revanche, si on étudie la logique interne
de son discours, il semble que nous puissions y relever trois grandes zones d'ambiguïté. Celles-ci
sont centrales. Elles sont de plus interdépendantes :
— 1. L'idéal d'un espace public bourgeois avec ses salons et ses publications littéraires,
sert de modèle, bien que ses manifestations historiques fussent en fait relativement modestes. La
critique dévastatrice de Habermas se teinte alors d'un romantisme qui confine à la nostalgie, et
d'un pessimisme diffus. Habermas semble attaché à un idéal dont lui-même a brillamment
montré que la réalité historique relevait du mythe, donnant le sentiment d'aboutir à une impasse.

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L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?

Dans ses travaux ultérieurs, par exemple dans les deux volumes de la Théorie de l'agir
communicationnel (1987)2, Habermas examine les problèmes liés à la communication dans le
système social, mais il n'aborde que brièvement les problèmes spécifiques et concrets de l'espace
public. Dans cette étude qui opère une distinction fondamentale entre « système » et « monde
vécu » — dichotomie problématique selon plusieurs critiques (par exemple Baxter, 1987) — la
sphère privée et l'espace public se rejoignent à l'intérieur d'un monde vécu colonisé, où une
communication normativement fondée est subvertie par la rationalité instrumentale du système.
Ici, Habermas ne fait guère que répéter sa thèse à un niveau plus élevé d'abstraction, que la
reformuler dans le vocabulaire de la théorie des systèmes.
A cette observation, on pourrait ajouter qu'il existe une omission majeure dans la critique
de l'espace public bourgeois développée par Habermas : alors qu'il en repère nettement la
dimension de classe, il n'en souligne pas la nature patriarcale. Sa conception de l'espace public
est fondée sur une dichotomie public/privé, mais si l'on adopte une perspective féministe, le fait
d'adhérer à une telle dichotomie sans recul critique, amène à se rendre — tout comme le
libéralisme — complice de la subordination des femmes. L'universalisme et régalitarisme de la
théorie démocratique sont ainsi remis en question par les rapports de domination entre les sexes
autant qu'entre les classes. Les alternatives proposées par les socialistes eux-mêmes, n'ont pas su
prendre convenablement en charge les différences sexuelles, comme de récentes publications
féministes l'ont démontré. Cependant, les critiques féministes reconnaissent volontiers la
complexité du problème (Pateman, 1987). On peut trouver dans Fraser (1987) une excellente
analyse féministe des derniers travaux de Habermas, fidèle à la tradition et à l'esprit de la
Théorie critique.
— 2. Habermas ne dit rien de l'existence de sphères publiques alternatives, « plé-
béiennes », populaires, informelles ou oppositionnelles. H laisse ainsi un grand vide théorique.
Pourtant, à l'époque du libéralisme, comme à celle du capitalisme avancé, il a existé d'autres
forums qui ont façonné la conscience politique des individus, servi de réseaux d'échange de
l'information, et fourni un cadre à l'expression culturelle. Le travail d'Oskar Negt et d'Alexan-
der Kluge, visant à formuler une théorie de Γ« espace public prolétaire », tente de conceptualiser
une telle alternative (Knödler-Bunte, 1975). Historiquement, on peut ainsi évoquer les syndicats
entre autres mouvements politiques populaires qui ont combiné des fonctions culturelles,
sociales et informatives tout en créant des milieux propices au débat.
— 3. Les recherches actuelles sur les médias, la sémiologie, la Théorie culturelle et les
modes de pensée « postmodernes » permettent de suggérer un corollaire à ce second point. Le
livre de Habermas semble mettre en jeu une conception implicite de la façon dont une
conversation se déroule et dont se dégagent les opinions politiques. Cette conception paraît
étrangement abstraite, formaliste. Habermas ne fait référence ni aux complexités et aux contra-
dictions survenant dans la production de sens, ni aux contextes sociaux où a lieu concrètement
celle-ci, ni aux ressources culturelles qu'elle met en œuvre.
Certes, il est un peu facile de se livrer à ce type de critique, trente ans après, et en

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connaissance de toutes les recherches menées entre temps. On peut néanmoins soutenir que les
travaux récents de Habermas sur la pragmatique universelle et sur les situations idéales de
parole, confirment la vision hautement rationaliste de la communication humaine qui se profilait
de façon implicite dans ses premiers travaux.
C'est ici qu'il faudrait évoquer les débats sur le postmodernisme, débats dont Habermas a
été l'un des grands protagonistes (Habermas, 1986 ; Bernstein, 1987). Sans vouloir aborder ici
ces débats en détail, il est néanmoins utile de souligner l'importance d'une question : celle de la
production du sens. Cette question est en effet essentielle pour la compréhension des processus
micro-sociaux qui déterminent l'accès des citoyens à l'espace public. La perspective développée
par les chercheurs culturalistes est ici tout aussi indispensable que celle de la linguistique ou des
sciences politiques.

Pour une reconstruction


Il est impossible de bien comprendre l'analyse proposée par Habermas de l'espace public
bourgeois, sans tenir compte du fait que cette analyse représente une certaine tradition : celle de
la Théorie critique, de l'école de Francfort. Cette appartenance donne au concept d'espace
public sa spécificité intellectuelle ; elle l'inscrit dans un contexte historique concret. Méthodolo-
giquement, elle signifie que le travail de Habermas privilégie une approche critique. L'apparente
factualité du phénomène observé (l'espace public bourgeois), et les catégories conceptuelles
servant à l'appréhender (opinion publique, citoyen, vote), sont en effet soumises à un ques-
tionnement portant sur les conditions historiques et sur les limites de leur validité.
Ce questionnement est guidé par une démarche émancipatoire. Autrement dit, lorsque
Habermas examine l'espace public bourgeois, il n'en accepte pas l'auto-définition mais cherche
plutôt à élucider les circonstances historiques qui l'ont rendu à un certain moment possible, et, à
un autre moment, caduc. Son analyse va alors porter sur les conditions, sur les causes sociales,
sur le mode de fonctionnement d'un décalage. Ce décalage oppose d'une part les catégories
conceptuelles utilisées par le discours sur l'espace public, et, de l'autre, l'ensemble des relations
sociales et des valeurs qui étaient effectivement en jeu. En un mot, Habermas fait ressortir la
composante illusoire ou idéologique de son objet. Une fois le décalage ainsi mis en évidence,
Habermas tente aussi de voir ce à quoi il a bien pu servir, ce qu'il a accompli socialement. Il
tente enfin de savoir sur quoi débouche la prise de conscience de ce décalage. C'est en ce sens
que l'on peut parler, chez lui, d'une méthode critique.
L'approche critique de l'Ecole de Francfort constitue un immense progrès dans le champ
de l'analyse des médias (Negt, 1980). Cela n'implique pas que nous devions conférer aux textes
de cette école une autorité biblique. Une telle canonisation ne ferait que mener à une impasse et
serait contraire à l'ambition de cette critique elle-même. Il est bien plus fructueux d'intégrer une

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L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?

telle démarche critique au projet général des sciences humaines et, en particulier, lorsqu'à
propos des médias, se posent notamment des problèmes idéologiques (Thompson, 1988). La
dimension critique de l'analyse devient alors une dimension nécessaire, mais parmi d'autres. En
cela, elle vient compléter des approches empirique, interprétative, reflexive (si on accepte de les
nommer ainsi..). Le moment critique n'est donc ni exhaustif ni exclusif. De plus, on sait
désormais que son projet libératoire se heurte à des limites conceptuelles (Benhabib, 1986 ; Fay,
1987).
Le type de savoir que permet l'approche critique révèle la contingence de certains phéno-
mènes. Il dévoile aussi des possibilités nouvelles : possibilités de changement, d'intervention
humaine dans un monde social dont on finit souvent par oublier qu'il est créé par l'homme. A
cet égard, l'approche critique de Habermas semble ne pas aller assez loin. Elle ne ménage, en
effet, aucun lieu où pourrait s'exercer une telle intervention. Dans le cas de l'espace public, il
s'agit de ne pas abandonner le concept à un sort placide de réfèrent descriptif. Il s'agit de rester
vigilant à ce que l'espace public pourrait ou devrait être. Et ici, l'approche critique — si elle n'est
pas exclusive d'autres approches — est un instrument idéal. Elle permet en effet de dépasser des
démarcations par trop rigides : le latent et manifeste ; ce qui existe et ce qui pourrait exister. Elle
permet un nouveau tracé des lignes de partage, et peut nous rapprocher d'autant d'une société
plus démocratique.
Si l'on veut, à partir d'Habermas, reconstruire la catégorie analytique d'espace public, il me
semble utile, voire impératif, de retenir cette dimension critique. Mais, pour cela, il reste à
dépasser les analyses — souvent ambiguës — qu'il a lui-même menées. L'image romantique d'un
espace public où les individus s'adressent la parole en face à face ou communiquent par
opuscules à faibles tirages, ne sert pas à grand-chose puisque nous ne disposons pas de machines
à remonter le temps. Pourtant, le fait que notre époque soit celle des médias électroniques et des
publics de masse, ne condamne pas au pessimisme. Le concept d'espace public de masse peut
fonctionner comme l'évocation d'un but à atteindre, nous offrir une vision concrète d'une
société démocratique, nourrir notre capacité à penser sur le mode utopique. L'espace public doit
être, pour le citoyen, un sujet de préoccupation, de vigilance, d'intervention. L'espace public
demande à être protégé, à être élargi. Il appelle un engagement politique. En un mot, il peut être
mobilisateur plutôt que paralysant.
Résumons : pour être capable de guider la réflexion et la recherche, toute conception de
l'espace public contemporain — de l'espace public « post-bourgeois » — devra partir d'un
examen des configurations institutionnelles propres aux médias et à l'ensemble de l'ordre social.
Il s'agit de voir si ces configurations favorisent (ou non) la participation démocratique des
citoyens.
L'intersection que le concept d'espace public permet, entre plusieurs domaines, est ici
essentielle. Il est également essentiel que les analyses tiennent compte des réalités historiques du
moment et soient donc épisodiquement remises à jour. Certes, il est évidemment absurde
d'ignorer la suprématie dont jouissent actuellement les médias à grand public. Mais le fait

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d'exagérer leur homogénéité, ou leur monolithisme risque de nous rendre aveugles devant
l'émergence de nouvelles formes d'espace public. L'ordre social, les institutions politiques qui le
garantissent, et, par conséquent, l'espace public contemporain, sont tout sauf figés.
Nous devons également tenir compte des processus de création de sens à l'œuvre dans la vie
quotidienne, surtout lorsque celle-ci entre en interaction avec la culture médiatique. Les
enquêtes empiriques et les constructions théoriques se sont multipliées sur ce sujet. Nous
pouvons participer à ces travaux, ou en tout cas, en tirer les conclusions. Une compréhension
nuancée des possibilités et des limites de la production et de la circulation du sens nous
permettrait en effet d'échapper à bien des pièges : la croyance en un « homme rationnel » en
papier mâché, la réduction de toute signification à l'idéologie, le règne d'une polysémie infinie
dans la perception des médias par leur public (Dahlgren, 1987, 1988).
Nous ne partons pas de zéro. N'oublions pas tout ce que nous savons déjà sur les médias, la
politique et les problèmes de la démocratie. Toutes sortes de travaux — interprétatifs, empi-
riques, réflexifs, critiques — sont disponibles. Ils sont souvent pertinents, parfois excellents. Par
exemple, la sociologie de la production des nouvelles nous en dit long sur les contraintes et sur
les contingences qui façonnent les pratiques journalistiques, et les produits qui en résultent3. Et,
si l'on réfléchit sur la nature des préoccupations et sur les débats concernant la liberté des
journalistes — accès à l'information, utilisation des sources, cadres juridiques permettant
d'équilibrer les exigences du bien public et de la vie privée — on s'aperçoit que ces préoccupa-
tions et que ces débats sont aussi cruciaux pour l'espace public aujourd'hui qu'ils étaient au
début du XIXe siècle. Peut-être même davantage, si l'on tient compte des progrès de l'informa-
tique.

Les configurations institutionnelles : une nouvelle ère


médiatique
Les configurations institutionnelles propres à l'ordre social dominant et à ses médias sont
d'une complexité immense, et û existe d'innombrables façons de les représenter. La catégorie
d'espace public peut nous aider à les ordonner de façon cohérente à partir d'un critère : l'accès
et la participation du citoyen au processus politique. Les années qui ont suivi la sortie du livre de
Habermas ont été le théâtre de nombreux et dramatiques changements de société, changements
qui continuent à s'accélérer dans le domaine des médias. Parler d'une nouvelle ère médiatique
ne relève évidemment pas de ce que les historiens accepteraient comme une périodisation
sérieuse. Il s'agit simplement ici de souligner l'importance des transformations qui ont affecté les
médias et la société en général. Ni les institutions médiatiques ni les constellations du pouvoir
social ne sont tout à fait ce qu'elles étaient au début des années soixante.
L'économie politique des moyens traditionnels de communication de masse dans les

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L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?

sociétés occidentales a évolué de manière significative. De nombreux chercheurs ont attiré notre
attention sur les changements dramatiques opérés sur les médias dans les domaines de la
propriété, du contrôle et du pouvoir politique. Les processus de privatisation, de concentration
des entreprises, de transnationalisation et de dérégulation ont amplifié et répandu la logique
mercantile des opérations médiatiques, et progressivement exclu toute référence à d'autres
normes (Murdock, 1990 a).
Les chaînes publiques ont toujours joué un rôle mineur aux Etats-Unis dans un système
presque totalement commercial. En Europe occidentale, les chaînes de service public ont vu
leurs conditions historiques d'existence se désagréger à grande vitesse, ce qui a conduit bien des
pays à capituler devant les impératifs commerciaux, l'Etat contribuant à ces changements au lieu
de leur résister (Keane, 1989 ; McQuaîl et Siune, 1986). L'espace public moderne semble alors
être redevenu « l'espace public de représentation » de l'époque médiévale, époque durant
laquelle les élites se donnaient en spectacle aux masses, tout en utilisant les lieux publics pour
communiquer entre elles.
Le progrès politique ne consiste certes pas à défendre contre les privatisations les mono-
poles actuellement financés par l'Etat. Ceux-ci se sont souvent avérés élitistes, vulnérables à
l'intervention de l'Etat et de plus, languissants. Il s'agirait plutôt de jeter les bases d'un système
de radio et de télévision répondant à l'intérêt public, libéré à la fois de l'intervention étatique et
des nécessités de la commercialisation, système qui, en respectant la diversité des informations,
des opinions et des formes d'expression, favoriserait l'exercice actif de la citoyenneté (Murdock,
1990 b).
Dans un autre domaine, la « société d'information » dont on a tant clamé les vertus ne
favorise ni la diffusion d'informations politiquement utiles, ni les possibilités d'expression
culturelle pour le plus grand nombre (Schiller 1989 ; Garnham, 1990 ; Melody, 1990). Au
contraire, alors que les progrès technologiques multiplient les interfaces entre communications
de masse, ordinateurs, télécommunications et satellites, les forces du marché couplées aux
politiques publiques ont favorisé les intérêts privés au détriment du domaine public. Pour le
citoyen, l'accès à des informations pertinentes va coûter de plus en plus cher, se répartir de plus
en plus inégalement, et cela compromettra un peu plus l'idéal universaliste de la citoyenneté
(Murdock et Golding, 1989).
Dans le domaine du journalisme, un fossé de plus en plus grand se creuse entre les élites
que l'on informe et les masses que l'on divertit. La presse réussit à adapter ses structures de
fonctionnement à une logique commerciale, mais elle n'en reste pas moins complaisante vis-à-vis
du pouvoir étatique (Curran et Seaton, 1989, pour une étude du cas britannique). Dans le cas du
journalisme télévisuel, il est difficile de parler sérieusement d'un discours rationnel, au moment
où la politique et l'information passent avec armes et bagages du côté d'une logique commerciale
de création et de fidélisation des publics.
Toutes ces réflexions ne font que confirmer l'importance des thèses de Habermas sur la
responsabilité des médias modernes face au déclin de l'espace public. Evidemment, ce message

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Peter Dahlgren

est bien connu. C'est celui que les théoriciens critiques n'ont cessé de répéter depuis des années.
Sur le statut politique et culturel des médias, une même logique est à l'œuvre, et depuis fort
longtemps. Ce qui était vrai au début des années 60, l'est toujours aujourd'hui, à ceci près que la
situation a empiré. Devant ce sombre tableau, il semble qu'il ne nous reste alors plus qu'à
procéder à quelques retouches. Il faut, en somme, le remettre à jour, de temps en temps ; le
compléter de données plus récentes sur les structures, les messages ou les publics. Pourtant, il y a
un danger à s'en tenir à cette condamnation globale. Elle risque de mener à une vision déformée,
si on ne tient pas compte des tensions et des contradictions internes aux médias, si on ignore les
fissures et les craquements qui s'y manifestent.
En d'autres termes, se contenter de souligner l'aspect monolithique des industries de la
communication, en dénonçant leurs liens avec les pouvoirs de l'Etat et ceux du capital, c'est
risquer de perdre de vue qu'il existe d'autres configurations qui, elles aussi, déterminent la
sphère publique. Pour illustrer cette assertion, je voudrais évoquer quatre domaines majeurs et
interdépendants : la crise de l'Etat-nation, la fragmentation des publics, l'apparition de nou-
veaux mouvements politiques et sociaux, la relative liberté d'accès des consommateurs aux
technologies avancées de la communication et de l'information.
La démocratie moderne se développe à l'intérieur d'un cadre théorique qui renvoie à
l'Etat-nation. En tant qu'entité politique, celui-ci traverse aujourd'hui une crise profonde,
accablé qu'il est de problèmes de gestion et de légitimation. Cette crise s'accompagne d'un
mouvement de dispersion de la production et d'internationalisation des capitaux. Les économies
nationales sont de plus en plus contrôlées de l'extérieur des frontières, dépendant du contexte
économique mondial.
Sur le front intérieur, l'Etat doit faire face à la diminution de ses marges de manœuvre
administratives et politiques, et à une inertie parlementaire que traduit la convergence croissante
des programmes des différents partis.
Lorsque des initiatives politiques majeures connaissent le succès — dans les Etats-Unis de
Reagan, dans la Grande-Bretagne du thatchérisme des années quatre-vingt — il en résulte des
traumatismes sociaux dont les milieux populaires font les frais. On voit alors se dessiner les
contours d'une « société des deux tiers » : une sorte d'écrémage social instaure un système qui, en
gros, semble ne bénéficier qu'aux deux tiers de la population. Le tiers résiduel est sacrifié, rejeté
peu à peu dans une classe de sous-citoyens. Les partis politiques tombent en discrédit et l'on
constate un recul — compréhensible — de la participation politique. Rappelons que Reagan
n'accède au pouvoir que par le soutien d'un quart des électeurs. Dans une telle situation, le
pouvoir fait l'objet d'une contestation passive. Une telle passivité de la sphère publique n'a
jamais été observée depuis trente ans.
Avec l'adoption croissante d'une logique commerciale par les médias, on peut observer la
mise en place progressive d'un clivage des publics à partir de leurs caractéristiques démo-
graphiques, et d'une évaluation de leurs capacités de consommation. Le journalisme d'informa-
tion se construit désormais différemment selon les divers groupes visés, en fonction de stratégies

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L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?

de marché. Le processus est certainement complexe, mais en gros, il a tendance à reproduire la


polarisation de classe ci-dessus évoquée. On peut parler d'un recul général des médias de
qualité, de ceux qui prétendaient constituer un forum national, à l'instar de l'ex-service public
européen.
Le conditionnement actif d'une information sur mesure pour des publics spécifiques est
particulièrement visible, lorsqu'il s'agit du radio-journalisme américain. Il sévit aussi à la
télévision et dans la presse écrite. La qualité de la presse aux Etats-Unis est ainsi fortement
affectée par le déclin de la culture littéraire dans les nouvelles générations de lecteurs, déclin
dont les effets retentissent sur l'ensemble de l'industrie (Shaw, 1989). De nouvelles initiatives
donnent l'impression d'inverser la tendance à la fragmentation. On peut ainsi parler du succès
d'un nouveau quotidien américain d'envergure nationale : « USA today ». Pourtant, l'impact de
ce type d'initiative sur la participation politique reste négligeable. Le déclin de tout espace
public viable pour la politique nationale semble irréversible.
A l'intersection de la crise de l'Etat-nation, de l'alanguissement des débats parlementaires et
de la fragmentation des publics, apparaît par contre, un développement dramatique : la floraison
drue de nouveaux mouvements politiques et sociaux. Ces derniers se manifestent dans des
domaines variés : environnement, désarmement, conditions sociales et droits juridiques des
femmes, des minorités sexuelles, des groupes ethniques et raciaux, problèmes de politique
sociale tels que le logement ou la sécurité sociale.
Ces mouvements ne partagent ni les mêmes orientations, ni les mêmes objectifs, ni les
mêmes tactiques. De plus, certains d'entre eux se clivent rapidement en courants antagonistes.
Pourtant, malgré des intérêts très distincts — ceux des féministes et des environnementalistes,
par exemple — ils réussissent de temps en temps à joindre leurs forces et à mener certaines
campagnes en commun. Une tentative « post-marxiste » de théorisation de ces mouvements peut
être trouvée dans Laclau et Mouffe (1985). Voir aussi Aronowitz (1988).
Bien que ces mouvements soient majoritairement progressistes, il en existe également de
type conservateur ou réactionnaire comme les diverses ailes droites des mouvements chrétiens
aux Etats-Unis, et les groupes racistes qui, en Europe, s'opposent à l'immigration. Ils ont en
commun l'origine de leurs militants qui, souvent, viennent des classes moyennes, encore que, là
aussi, il n'y ait pas uniformité absolue. Leurs bases politiques se situent en dehors des partis
politiques établis, bien qu'il puisse leur arriver de contracter des alliances passagères avec ces
partis, ou avec des organisations de classe plus traditionnelles, comme les syndicats.
L'un des traits les plus significatifs de ces mouvements est qu'ils rattachent souvent les
expériences de la vie quotidienne, surtout celles de la sphère privée (famille, quartier) à une
vision normative qu'ils traduisent en interventions politiques. Un des principaux facteurs de leur
réussite vient de ce qu'ils disposent d'une technologie informatique et de communication
obtenue à des prix abordables. A l'aide d'ordinateurs de bureau, d'imprimantes et de fax, ils
réussissent à assurer les multiples tâches d'organisation, d'information et de débat, qui leur
incombent. Ceci aurait été impensable il y a quelques décennies. Ainsi, la lettre d'information a-

253
Peter Dahlgren

t-elle pu devenir un médium efficace, et à bon marché. Les divisions s'estompent entre la lettre
d'information, le prospectus et le journal. Par ailleurs, la possibilité de produire un livre dans la
semaine suivant le dépôt du manuscrit, a déjà commencé à estomper les frontières entre le
journalisme et l'édition.
En fait, nous assistons à l'émergence d'une pluralité dynamique d'espaces publics alternatifs
(Downing, 1988), dans un mouvement complémentaire et inverse de celui qui mène à la
fragmentation des publics des médias dominants. Ce serait commettre une erreur que d'exagérer
l'importance de ces mouvements, car les Etats et les grandes entreprises sont certainement mieux
rodés que ceux-ci à l'utilisation des nouveaux médias. Mais, ce serait une erreur tout aussi grave
que de les ignorer.
En effet, si nous procédons maintenant à la synthèse des quatre éléments de notre
configuration : crise de l'Etat, fragmentation des publics, nouveaux mouvements sociaux, dispo-
nibilité des nouvelles technologies de communication, nous pouvons commencer à entrevoir de
nouvelles conditions historiques pour l'existence d'un espace public. Il suffit que deux de ces
éléments entrent en contact pour que surgissent d'intéressants points de tension. Par exemple,
les médias dominants ne cessent de délégitimer les nouveaux mouvements sociaux qu'ils
assimilent à une menace pour le système (parallèlement aux efforts juridiques visant à pénaliser
certaines formes d'action politique extra-parlementaire).
Pourtant, les définitions que les médias dominants donnent de la réalité ne peuvent plus se
permettre d'être en contradiction trop voyante avec les expériences et les points de vue de ceux
qui participent à de tels mouvements. A mesure que la taille de ces mouvements croît, les
batailles de définition se multiplient. Les grands médias sont contraints de reconnaître, dans une
certaine mesure, les interprétations du monde social avancées par leurs interlocuteurs des petits
médias.
On peut voir, avec l'exemple de Greenpeace, avec quelle adresse certains mouvements
parviennent à se servir des médias dominants, ce qui suggère un nouveau type de rapports entre
les uns et les autres. Les médias propres à ces mouvements tendent en effet de plus en plus
souvent à servir de sources d'information pour les grands médias. Ainsi, ces mouvements, grâce
à leurs médias commencent-t-ils à entrer en compétition avec les organisations plus établies qui
servaient jusqu'ici de «sources» (Schlesinger, 1990), en faisant pression pour obtenir plus
d'espace et de temps pour leurs nouvelles dans les principaux médias. Il s'agit peut-être là d'un
premier signe de la division de l'espace public. Les médias des mouvements alternatifs, liés aux
expériences et aux interprétations de la vie quotidienne de leurs membres, sont de plus en plus
capables d'imposer leurs versions de la réalité politique aux médias dominants. Ceci permet à la
fois de diffuser et de légitimer un spectre plus large de points de vue et d'informations.
Si cette interprétation est correcte, nous pourrions bien assister ici à des changements
historiques, parallèles à ceux qu'avait décrits Habermas. Pour ce dernier, les luttes politiques
menées par les classes bourgeoises montantes contre les pouvoirs de l'Etat avaient abouti à créer
un nouvel espace public, espace qui était entré en déclin avant de finalement se désintégrer,

254
L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?

faisant place à ce que Habermas désigne comme la « reféodalisation » du pouvoir social sous
l'Etat-providence. Certes, ces nouveaux mouvements ne sont pas près de dissoudre ou de
supplanter le pouvoir concentré par des médias liés aux Etats et aux regroupements industriels.
Pourtant leurs médias alternatifs pourraient très bien parvenir à rééquilibrer le système domi-
nant de communications. Si tel était le cas, cet espace public à deux voix serait en tout cas un
reflet de la transformation des relations sociales de pouvoir.
II faudrait parler en conclusion des événements historiques sans précédent survenus en
Europe de l'Est et en Europe centrale. Bien que la mise en place d'espaces publics ouverts à
l'opposition soit impensable lorsque la répression d'Etat est totale et systématique (par exemple
dans l'URSS, la Tchécoslovaquie ou la Roumanie d'avant 1989), on peut observer par contre
qu'un appareil répressif relativement bénin (en comparaison des autres) — comme celui qui
existait par exemple dans la Pologne des années quatre-vingt — se montre suffisamment poreux
pour laisser fonctionner un espace public oppositionnel. Les relations entre cet espace public et
les médias dominants se révèlent, comme l'a montré Jakubowicz (1990), inopinément
complexes.
Lorsque l'appareil est plus répressif et qu'il se trouve soudainement relâché, nous assistons
à l'explosion de médias alternatifs (dans les républiques Baltes, par exemple), bien que ceux-ci
ne disposent pas des ressources financières et technologiques dont bénéficient les mouvements
sociaux à l'Ouest. Avec la relative — et peut-être provisoire — stabilité politique observable
aujourd'hui, notamment en Hongrie, en Pologne et en Tchécoslovaquie, la politisation atteint
son niveau le plus élevé. Une « normalisation » est accomplie. Notons pourtant que la conver-
sion aux modèles démocratiques occidentaux s'accompagne d'importants investissements occi-
dentaux dans le domaine des médias. Inévitablement, de nouveaux rapports vont s'établir entre
médias alternatifs et médias dominants, luttes dont, une fois de plus, la sphère public constituera
l'enjeu.

Le domaine de la production du sens


Parler en termes de configurations institutionnelles, c'est s'intéresser à l'espace public au
niveau macro-social des structures. En comprendre la dynamique nécessite cependant que l'on
se tourne vers les processus et les conditions de la production du sens : des sujets combinent
leurs expérience et leur réflexion pour produire du sens (politique ou autre). Pour rendre
compte d'une telle production, il faut tenir compte de trois facteurs : les interactions entre les
membres du public, l'interface entre médias et public, les produits médiatiques eux-mêmes.
Commençons par le public. La conception du public que développe Habermas se rap-
proche beaucoup de celle de John Dewey, que l'on peut considérer comme son homologue
américain. Ils soulignent, l'un et l'autre, la nécessité de penser le public comme un procès situé à

255
Peter Dahlgren

l'intérieur d'un cadre communautaire4. Pour Habermas, il s'agit de réagir contre une rationalité
technocratique, particulièrement prépondérante dans le contexte des grands médias. Celle-ci
consiste à réduire la notion de public à celle d'une audience de consommateurs de médias. Le
public n'est plus alors qu'un produit à livrer aux publicitaires ou qu'un objet de manipulation
sociale : acheteurs potentiels des produits annoncés, électeurs qu'il faut faire basculer du bon
côté. La montée en puissance de cette logique commerciale et instrumentale développe entre les
médias et leurs publics, un climat de cynisme réciproque qui finit par ronger l'espace public
(Miller, 1987). L'idée même d'opinion, par exemple, tend à se vider de son sens lorsqu'on s'en
sert pour décrire les résultats des sondages (Bourdieu, 1979).
Malgré son étroitesse, cette vision du public, fréquemment adoptée et renforcée par des
discours commerciaux, politiques ou universitaires, se révèle indiscutablement utile, en termes
idéologiques. Elle dispense également d'avoir à réfléchir sur un certain nombre de questions
véritablement centrales pour la sociologie. Celles de savoir, par exemple : comment les publics se
constituent ? Quel est le rôle joué par les médias dans ce processus ? Quelle est la nature des
liens sociaux entre les membres du public ? Comment le journalisme et les autres médias
réussissent-ils à favoriser ou à exclure la possibilité du dialogue et du débat ? Les publics, en
d'autres termes, diffèrent par des conditions et par des traits socioculturels spécifiques. Quant
aux médias, ils jouent un rôle majeur dans la construction des publics.
Il faut bien souligner que l'importance des médias sur ce point ne tient pas seulement à leur
diffusion de l'information, mais aussi à leur logique et à leur stratégie d'ensemble. Le journalisme
y fait partie d'un ensemble de discours qui lui servent de contexte et lui donnent, selon leur
contenu, un éclairage différent. En d'autres termes, l'espace public s'ouvre aux discours
publicitaires et au spectacle. Le maintien des frontières devient d'autant plus artificiel, que les
médias eux-mêmes s'appliquent, avec brio, à en effacer le tracé. Tout ceci est essentiel, si l'on
veut comprendre les déterminations médiatiques de la production de sens dans l'espace public.
L'effacement des frontières entre journalisme, spectacle, relations publiques et publicité
illustre précisément ce que Habermas déplore. Pourtant, il a peut-être sous-estimé le rôle de la
culture médiatique dans l'instauration de cadres interprétatifs communs. L'existence de ces
cadres interprétatifs ne suffit évidemment pas à instaurer entre les partenaires de la sphère
publique l'interaction requise par un idéal de participation politique. Les médias contribuent
néanmoins, et fortement, à l'élaboration de perceptions culturelles communes. Bonnes ou
mauvaises, celles-ci ont le mérite d'exister. Le type de communauté qu'elles créent peut être
authentique ou non : mais ceci est un autre problème.
Il est indubitable en tout cas que l'existence de communautés interprétatives fondées sur les
médias conditionne la production de sens dans un espace public moderne. On peut ne pas aimer
les significations ainsi partagées. Pourtant, tout modèle qui viserait à construire un public « non
contaminé » par la culture des médias se révélerait à la fois illusoire et stérile. Il faut partir des
réalités contemporaines telles qu'elles sont.
Signalons à ce propos une évolution significative. L'audiovisuel commercial crée depuis

256
L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?

longtemps des « marchés » qui ne coïncident pas nécessairement avec les frontières politiques
d'une nation. Nous voyons aujourd'hui la télévision par satellite produire une culture inter-
nationale. Si la fragmentation des publics nationaux favorisait l'apparition de communautés
interprétatives différenciées, l'internationalisation de la production d'information télévisuelle
favorisera peut-être par contre la construction de réseaux internationaux de sens commun.
Même si de telles constellations n'ont pas de fondement politique formel, elles peuvent avoir
leur importance dans la formation de l'opinion internationale.
Si un véritable « public » se construit dans l'interaction discursive des citoyens, peut-être
faut-il voir la notion d'audience comme une étape, étape modeste mais nécessaire, vers la
construction de ce public. L'appartenance à l'une peut déboucher sur l'appartenance à l'autre.
C'est dans le cadre de l'audience que s'opère la rencontre avec le produit médiatique. C'est
l'audience qui constitue l'écologie sociale du lecteur, du spectateur ou de l'auditeur. Quant à la
réalité du «public», elle prend forme à partir des pratiques sociales qui, créées dans ce
contexte, se développent bien au-delà.
De récents débats ont mis en avant le caractère problématique et complexe de la notion
d'audience5. En dépit de ceux-ci, il est probablement plus facile, théoriquement et empirique-
ment, d'étudier des audiences que des publics. A condition, bien entendu, de clairement
spécifier la relation entre les deux.
La dernière décennie a vu un énorme développement des études sur la réception des médias
et donc sur l'audience. Ces études portaient notamment sur le lien entre l'appartenance à une
audience et d'autres pratiques sociales pouvant s'avérer pertinentes pour la constitution d'un
public. Un tel programme — notamment celui des chercheurs « culturalistes » — a suscité un
regain d'attention pour les processus actifs de production de sens mis en œuvre par les membres
d'une audience, en termes d'interaction sociale et de décodage des médias. Au nombre des
problèmes simultanément posés : celui des pratiques sociales et culturelles ; celui de la percep-
tion des structures textuelles ; celui du rôle joué par le langage, la conscience et la subjectivité
dans la construction de la réalité sociale6.
En nous permettant de mieux comprendre les produits médiatiques et la nature des
relations entre médias et audience, ces études, tout comme certains courants actuels de
recherche dans les disciplines littéraires nous offrent le moyen de dépasser certaines prémisses
rationnalistes de la théorie de Habermas. On peut constater un intérêt croissant pour des
problèmes liés à la représentation, au réalisme, au rituel, à la réception et à la résistance (excusez
les allitérations...). Mentionnons enfin les problèmes liés à la polysémie et à la conception
plurielle du sujet. Ces problèmes sont souvent associés à des points de vue postmodernes, mais
certains des débats présents commencent à ne plus ressembler à des guerres de tranchées et les
nouvelles problématiques ne sont pas a priori rejetées par les courants critique et interprétatif (cf.
notamment : Hall, 1986 ; Wellmer, 1986 ; Kellner, 1989a, b).
Faisant simultanément intervenir des thèmes chers à la théorie critique et des thèmes
post-modernes, les notions de « plaisir » ou de « résistance » du spectateur se voient reconnaître

257
Peter Dahlgren

une pertinence, même lorsqu'on les invoque à propos de discours aussi ostensiblement ration-
nels que les programmes d'information (de Certeau, 1984 ; Fiske, 1987 a,b).
La distinction a priori faite entre information et divertissement devient fort problématique si
on la reconsidère du point de vue de la production du sens par l'audience. Mais sans attendre les
conclusions des études de réception, la production médiatique s'oriente vers Γ« info-spectacle »,
dans un brassage accéléré des genres traditionnels. Les recherches actuelles nous incitent à
réfléchir sur le rôle joué par le sujet comme site de négociation ou de contestation. Le sens n'est
donc jamais fixé. Devant le caractère polysémique du discours des médias et des interprétations
de l'audience, cette remarque entraîne bien des conséquences (Jensen, 1990 ; Streeter, 1989) que
l'on ne peut explorer ici. Soulignons simplement qu'une question de taille est soulevée : quels
rapports y a-t-il entre, d'une part, le « libre jeu » du sens, et, de l'autre, le caractère systémique
de la structure sociale et de l'idéologie ?
Les différents courants — conceptuels, théoriques, méthodologiques — qui se regroupent
au sein de l'école culturaliste (pour une synthèse utile, voir Real, 1989) contribuent tous à un
savoir sur la dynamique de la production du sens dans l'espace public. On peut simplement
regretter que ces travaux aient, pour la plupart, porté sur la fiction plutôt que sur le journalisme
et l'information, et que dans ce dernier domaine, seules les nouvelles télévisées, largement
étudiées aient fait l'objet d'une ambitieuse théorisation (Collins, 1989), les autres médias de
l'espace public ayant été relativement négligés. Ainsi, les études empiriques traditionnelles et les
analyses de contenu nous ont certes beaucoup appris sur la sociologie de la presse écrite. Mais
elles ne nous disent pas grand chose sur les processus de production de sens par leurs lecteurs.
Les recherches sur le journalisme (Dahlgren, 1989), ont beaucoup à apprendre des études
culturalistes.
Dans cette présentation, j'ai privilégié une certaine interprétation de la notion d'espace
public. Cette notion renvoie à deux grandes questions. La première est une question de structure
institutionnelle. La seconde porte sur le processus ambigu de la production du sens. Mais, parler
d'espace public, c'est aussi se situer sur le plan pratique, apprendre à en identifier les manifesta-
tions dans le flux du discours des médias ; apprendre à reconnaître ce qui est dit, ce qui ne l'est
pas, et la façon dont ce qui est dit est exprimé. C'est se familiariser avec les thèmes, avec les
débats, avec les styles de présentation, les modes d'adresse, la rhétorique. Une telle familiarité
n'est pas seulement nécessaire à une compréhension théorique. Elle est la condition d'un
engagement politique concret, engagement qu'il faut mener au sein et au nom de l'espace public.
Personne n'a jamais promis qu'il était facile d'être un citoyen...
Peter DAHLGREN

NOTES

* Cet article est une version légèrement remaniée de l'introduction à l'ouvrage collectif, Communicating Citizenship :
journalism and the Public Sphere to the New Media Age, édité par Peter Dahlgren et Colin Sparks, London,
Routledge, 1991.

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L'espace public et les médias : une nouvelle ère ?

Nous rappellerons ici que, sur ce sujet, Dominique Wolton a publié un article dans Hermès 10 (1992), intitulé « Les
contradictions de l'espace public médiatisé ».
1. En français dans le texte.
2. Edition française.
3. Lire Ericson et al. (1987 et 1989), pour un survol de ce champ, ainsi que pour le compte rendu d'un projet très
ambitieux qui déborde ce domaine d'étude. Schudson (1989), effectue par ailleurs une très utile recension de la
littérature parue sur ce sujet.
4. Voir Dewey (1927), puis Carey (1989), et Rosen (1986) pour la discussion relative à la pertinence des propos de
Dewey.
5. Cf. Allor (1989) et les réponses qui lui sont faites dans le même numéro, ainsi que Erni (1989).
6. Pour un rapide survol de cette littérature abondante, ainsi que des synthèses sur les problèmes méthodologiques et
théoriques, consulter Morley (1989) ; Moores (1990) ; Höijer (1990) ; Silverstone (1990) ; Jensen et Jankowski
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