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Résumé
La construction politique de l’Europe est à la fois dotée d’une innovation
spectaculaire et d’une structure classique. La combinaison de ces deux façons de
faire passe inaperçue aux citoyens qui s’y soumettent. Une construction
démocratique pour quelques uns, et déficitaire pour autant d’autres est l’œuvre
de l’élite qu’on appelle européenne. Axée sur un complexe cadre juridique,
l’Union est un objet politique en permanente mutation. En dehors des conceptions
classiques, sauf l’élection pour le parlement, leurs institutions s’appuient sur une
base de confiance et des négociations supranationales qui sont les piliers d’une
machine technocratique caractérisé par une gouvernance multi-niveaux. Le
conseil de ministres est l’organe de décision le plus puissant, en même temps, on
ne le considère pas comme institution de l’Union. D’un autre côté, la Commission
reste un organe perçu comme l’élite d’un cercle très lointain au cœur duquel les
décisions ne correspondent pas qu’aux intérêts des groupes de pression. Le
dénominateur commun rassemble 27 états d’un continent marqué par de petites
souverainetés séculaires. La démocratisation et le procès en absence de
légitimation de cette organisation supranationale fait l’objet de notre papier.
Certains prophétisent un déficit démocratique, nous défendons qu’il s’agit d’un
problème de dissonance cognitive entre deux perceptions de la démocratie. Le
conflit qui oppose une élite orientée vers une démocratie représentative légitime
et un ensemble de citoyens qui ont du mal à s’identifier avec une ‘chose
européenne’ qu’ils veulent comprendre en participant.
Mots-clefs : U.E., démocratisation, élections, référendums, représentation,
participation, citoyens, élite, dissonance cognitive.
1. Introduction
Depuis l’Acte Unique européen, on a vu l’émergence de principes constitutionnels
qui ont l’ambition de régir les affaires de l’Union européenne pour les années à
venir. Maastricht, Amsterdam, Nice, le Traité constitutionnel, Lisbonne. Même si
les traités d’Amsterdam, Nice et le TC[1]ont échoué à modifier la configuration de
l’Union de façon significative, il n’en est pas moins vrai qu’ils ont contribué au
procès de la construction permanente qui symbolise ce bloc régional européen.
Malgré tous les arguments, tous les acteurs et l’ensemble des agents étatiques, le
TC a été abandonné après le ‘non’ français, ce qui représentait probablement un
pas vers les grands changements dont l’Union a besoin. En réalité, cette tentative
de créer une constitution pour l’Europe est la plus ambitieuse que l’Union ait
connue depuis Rome en 1957. Le refus français est le miroir du décalage entre les
architectes de l’Union et les ‘locataires’ de ce territoire. L’ambition
d’approximation des uns et des autres était écrite et programmée dans le traité
proposé. Le peuple ne s’est donné à lui-même sa chance. On ne va pas
décortiquer les raisons de cet échec, simplement mettre en lumière que le TC
était dépositaire des conditions pour une approximation institutionnelle de l’Union
avec les citoyens. Le traité de Lisbonne reprend la même voie, mais les Irlandais
ont fait traîner sa ratification. Ce qu’on veut dire c’est que les tentatives de
‘réconciliation’ de l’Union avec ses concitoyens échouent au cours du processus
de participation qu’eux-mêmes refusent. L’idée est que l’intégration progressera
au fur et à mesure que les grands projets viables s’épuiseront. Les raisons qui
président au sentiment d’un processus démocratique déficitaire ne sont pas
facilement éliminables. Une organisation supranationale à une échelle
continentale est vouée à paraître plutôt distante vis-à-vis chacun de ses citoyens
pris individuellement. L’histoire sans racines communes, la culture et le
symbolisme qui marquent l’appartenance sur laquelle s’appuient la plupart des
identifications individuelles n’aident pas le citoyen à accepter de nouvelles
logiques identitaires. Pourtant, beaucoup d’experts de l’Union pensent voir le
problème plus immédiat par le manque réel de responsabilité et de légitimation
des institutions.
C’est pour discuter de ce problème qu’on propose la problématique de la
perception démocratique dans l’Union ; une perception qui n’est pas commune
entre l’élite et les citoyens, et qu’on nomme « dissonance cognitive ». Ce concept
a été élaboré par Léon Festinger[2]. « Selon cette théorie, l'individu en présence
de cognitions (‘connaissances, opinions ou croyances sur l’environnement, sur soi
ou sur son propre comportement’) incompatibles entre elles, éprouve un état de
tension désagréable (appelé l'état de dissonance cognitive). Dès lors cet individu
fera preuve de stratégies visant à restaurer un équilibre cognitif. Ces stratégies
sont appelées « modes de réduction de la dissonance cognitive ». Une de ces
stratégies (inconscientes) de réduire la dissonance cognitive consiste à oublier ce
qui ne cadre pas avec ses références antérieures (processus dit de
rationalisation) »[3]. Donc, d’une façon simple on peut dire que seul un processus
de rationalisation peut aider les citoyens à réduire l’influence ou à oublier ce
cadre préétabli qui régule leurs actions et leurs comportements. Evidement la
construction politique de l’Union est un processus très récent quand on le
compare aux origines des états qui la composent. À mon avis, il fallait donner du
temps et attendre une culture et un raisonnement politique des citoyens pour les
soumettre à la participation dans cette construction. À la différence de Gerstlè[4],
je ne pense pas qu’il s’agisse d’une ‘ignorance pluraliste’ ou d’erreur cognitive,
mais plutôt d’un manque de rationalisation individuelle. Les individus n’ont pas
encore construit ou adapté leur cadre cognitif à une nouvelle réalité qui, parce
qu’elle est trop complexe, leur échappe dans le quotidien. Cette rationalisation ne
veut pas dire non plus qu’il s’agit d’une étape marqué par une faible compétence
politique (Zaller). Je pense que la dissonance cognitive est à mi-chemin entre la
compétence politique et le nouveau cadre institutionnel proposé par l’Union,
impliquant l’apprentissage. L’élite, qui construit cette Union, est porteuse de la
compétence et rationne politiquement le nouveau cadre qu’elle-même a construit,
donc qu’elle comprend au-delà des environnements nationaux. Les nouveaux
clivages socio-économiques ne sont pas suffisants pour expliquer le
comportement des Européens, même si la conception du clivage
gagnants/perdants de la globalisation de H. Kriesi[5] pouvait s’appliquer à
l’Europe.
Comment résoudre le problème de la dissonance cognitive entre les perceptions
que les citoyens et les élites ont de la démocratisation dans l’Union européenne ?
La réponse à cette question n’est pas évidente. Si, théoriquement, on peut dire
qu’il faut inviter les citoyens à participer et à créer des liens[6] démocratiques
participatifs, empiriquement la participation des citoyens dans les actes électifs
auxquels ils sont invités démontre l’éloignement et un faible[7] intérêt. On va
essayer dans ce papier de mettre en évidence les éléments jugés importants pour
comprendre cette défaillance du système politique européen. D’abord, on va
adopter des conceptions de la démocratie et de la démocratisation strictement
liées à la représentation et la participation. Les atouts de l’une et l’autre des
formes démocratiques ; puis leur implication dans le cas d’espèce de l’Union et
les exemples de certains Etats, particulièrement la France, dont est issue le
système de type républicain. La perception que la gauche et la droite ont de cette
construction et la façon dont les institutions agissent et évoluent dans un cadre
voulu légitime et responsable.
2. Démocratie et Démocratisation
La démocratie est un concept qui nous amène non seulement à l’idée de demos,
au peuple, mais surtout à l’idée de gouvernement et de pouvoir. Un peu partout
en Europe on observe, non seulement pour les élections européennes, mais aussi
pour les organes nationaux, la monté de l’abstention, du vote ‘hors système’ qui
témoigne une certaine fatigue de la démocratie. « Notre régime politique traverse
une crise profonde car son fonctionnement repose sur une forme de ruse qui
devient chaque jour moins opérante. »[8]. Guy Hermet considère que la
démocratie est en crise et que la faute repose sur un régime représentatif
trompeur, destiné à convaincre les individus qu’ils sont les auteurs des décisions
qui les concernent, alors qu’ils ne font qu’élire l’élite qui gouverne. Bernard
Manin, à son tour, affirme qu’il s’agit d’un régime oligarchique atténué par
l’élection. On trouve un peu chez tous les auteurs contemporains une méfiance
envers les formes classiques du pouvoir démocratique. Néanmoins, un autre
concept peut devenir la réponse à ce dilemme sur la démocratie postmoderne,
celui de démocratisation. Malgré son usage largement répandu, ce terme
s’applique en science politique dans les travaux sur la transitologie. Si
théoriquement on a des difficultés à restreindre son application conceptuelle,
empiriquement, la démocratisation est un processus d’ouverture qui appelle les
citoyens à participer à un système qui existe pour eux. Dans l’Union européenne,
c’est l’absence de démocratisation qui rend les citoyens sceptiques vis-à-vis des
institutions. Les citoyens ont l’habitude d’agir politiquement en vertu d’un modus
operandi qui s’est formalisé à partir d’un droit d’élire et d’être élu. Avec leurs
habitudes, ils ont adopté consciemment ou inconsciemment certaines attitudes
envers l’idée du politique. En dépit d’une réalité qu’ils ont du mal à comprendre,
naturellement leur comportement ne va pas être autres que la méfiance et à la
limite le mécontentement. Evidement l’information, un constituant déterminant
des attitudes des citoyens européens, n’est pas toujours compréhensible pour la
masse. En plus, des études ont confirmé que les médias jouent un rôle important,
mais ne sont pas les uniques raccourcis que les citoyens prennent pour décider
dans les urnes quand ils ne sont pas dotés d’une political awareness élevée. Alors,
si la démocratie représentative est en déclin, qu’est-ce que la démocratisation
peut apporter de nouveau à ce système hybride en transition qui s’appelle Union
Européenne ? Mais d’abord, qu’est-ce qu’on observe actuellement ?
Aujourd’hui on constate que la démocratie représentative est devenue une
démocratie formelle, dans laquelle le fonctionnement des institutions est respecté
en apparence mais dont l’esprit se trouve en réalité profondément détourné. Le
risque existe d’un fonctionnement oligarchique, dans lequel des minorités
s’approprient le pouvoir sous l’apparence du respect de la souveraineté populaire.
Symétriquement, on observe un désintérêt des citoyens pour la chose publique,
une faible participation au vote, un moindre intérêt pour la lecture de la presse,
une préférence pour consommation et la distraction culturelle. Que la démocratie
soit participative par nature signifie qu’elle peut pénétrer aussi dans les organes
européens. Qu’elle implique une certaine dose d'engagement des citoyens dans la
prise de décisions collectives, c’est une réalité nouvelle pour des citoyens jusqu’à
maintenant endormis à l’ombre d’un processus institutionnel complexe. On voit
aussi que « le participatif est l’élargissement de la discussion à tous ceux qui y
trouvent un intérêt » (Manin), que c’est peut-être à partir du ‘dire, c’est faire’
d’Austin que s’est développée cette idée centrale selon laquelle « … la discussion
n’est pas seulement une description du monde, mais construit elle-même ce
monde dont elle fait son sujet. La discussion participative semble inférieure à la
discussion d’experts tant qu’il s’agit de décrire le monde, elle la dépasse dés qu’il
s’agit de le construire. » (AUSTIN, 1970). Si l’on veut bien considérer que toute
discussion est une construction de points de vue, d’arguments, d’expressions, on
voit que l’ouverture à la multiplicité des contributeurs ne fait que renforcer sa
solidité de la structure. Mais qu’est qui se passe quand les citoyens sont invités à
se prononcer sur la construction de cette structure ? Les résultats sont
surprenants. Dans presque tous les référendums effectués à propos de l’Union,
les électeurs ont dit ‘non’. Est-ce qu’on peut interpréter leurs attitudes par
l’absence de dialogue ou par le manque d’une information construite et engagée?
Ou simplement parce qu’ils ont refusé un schéma qu’à priori ils savaient construit
par des élites qui se pense comme des rationalisateurs de l’intégration, sans avoir
pris la précaution d’ouvrir un dialogue avec la masse des citoyens de tous les
Etats. Les citoyens souhaiteraient-ils plus de connaissances à propos de ce
système hybride qui les gouvernent ? Ont-ils des attitudes basiques à l’intérieur
qu’ils reproduisent envers l’Union ? Ont-ils besoin d’un système de gouvernement
appuyé sur l’axe gauche/droite, avec des élus dans les principaux organes de
décision européenne, reproduisant les vieux idéaltypes de démocratie républicain,
libéral ou fédéraliste ? Attendent-ils plus de participation, de la démocratie directe
dans les décisions de l’Union ? Les questions sont innombrables, les réponses
difficiles à trouver. Soit normativement, soit empiriquement, ce qu’on peut faire
ne vas pas au-delà de la spéculation théorique. Les données dont nous disposons
confirment les variations d’attitudes entre les pays qu’on va analyser dans ce
travail, elles s’expliquent sans s’engager sur la voie, déjà trop exploitée, des
enjeux domestiques saillants. La perspective d’exploitation est vaste, et la
recherche est pour l’instant insuffisante.
2.1. L’effet public de la dissonance cognitive
Une fois admis que la démocratie représentative est moins cette réalité
constitutive du monde dans lequel nous vivons qu’une figure rationalisatrice qui
sert à justifier dans ce monde l’organisation de la délégation, la ‘crise’ dont nous
avons à nous occuper est moins celle de la démocratie représentative en tant que
telle ,que la ‘crise’ de l’image officielle que peuvent s’en faire ceux[9] qui tiennent
à la politique et ses institutions. Les manifestations de cette crise supposée,
analytiquement considérée, sont redevables d’une explication propre à la faveur
d’une construction pertinente. L’expression globale et globalement dénonciatrice
d’une crise de la démocratie représentative apparaîtra alors peut-être pour ce
qu’elle est : « … la forme nouvelle d’un fantasme socialement et politiquement
situé, aussi ancien que l’État parlementaire. » (LACROIX 2008). Si on élimine la
possibilité de la délégation du pouvoir, les institutions seront-elles par, bien
qu’elles soient démocratisées, capables de prendre en main le rôle des organes
actuellement élus ? Et si on tient compte de cette réalité, n’est-elle pas
symétriquement égale à la conception actuelle de gouvernance proposée et mise
en place par l’Union avec le rôle des experts dans le processus de définition des
problèmes publics ?
On est ainsi de nouveau face à une problématique, elle aussi considérée comme
facteur d’éloignement des citoyens des institutions européennes, c’est-à-dire,
l’excessive technocratie. Les élites, dites rationnelles, doivent proposer une voie
politique pour que l’Union ait la capacité de rassembler les mécontentements du
système actuel. Les traités que les politiciens européens ont mis en place
démontrent qu’il existe une volonté générale de construire un espace européen
capable de faire face aux défis de l’avenir, un bloc régional solide, non seulement
économique, mais aussi politique. Celui-ci semble plus compliqué et plus distant
au fur et à mesure que les tentatives échouent dans les référendums nationaux.
Pourtant, ces échecs ne permettent pas de mettre en cause la légitimité
démocratique des institutions européennes et ils n’empêchent pas l’intégration.
On pourrait même voir ces échecs comme des pas positifs vers l’intégration, une
façon d’inviter le citoyen à se prononcer sur une réalité à laquelle il appartient. On
pense, dans ce cadre normatif, que la meilleure façon de réduire le poids de la
dissonance cognitive dans l’espace politique de l’Union est de mettre en place un
processus de consultation populaire, non seulement pour les traités, mais aussi
pour des enjeux[10] qui représentent des changements significatifs dans la vie des
citoyens européens. Peut-être qu’à force de cette consultation, les citoyens
pourront mieux s’informer sur le fonctionnement de l’Union et auront un
sentiment d’identification à un système qui besoin d’eux et qui existe pour eux.
Les contours de cette pratique devraient aussi être objet de discussion par les
acteurs politiques de gauche et de droite. C’est vrai que dans le spectre
européen, le clivage gauche/droite n’existe qu’à l’intérieur ; c’est-à-dire, qu’il y a
des pour et de contre dans les deux champs. Mais, on sait qu’à la droite certains
trouvent que l’Union empiète sur la liberté individuelle. À gauche, incluant les
altermondialistes, nombreux sont ceux qui jettent un regard méfiant envers
l’Union et qui la voient comme un retour à un état néolibéral et fiscalement
faible - l’Etat providence mis en cause. Dans la ligne de Moravcsik, « Il est injuste
de juger l’Union européenne en fonction des exigences auxquelles aucun
gouvernement moderne peut répondre. »(MORAVCSIK 2003) On ajoute en plus
que dans une expérience politique hybride, cette injustice est encore plus
remarquable.
3. Les Institutions et le pouvoir
Les institutions européennes semblent manquer de légitimité démocratique parce
que seul un organisme de l’UE est élu directement - le Parlement[11]. Ce dernier a
beaucoup moins de pouvoir que les parlements nationaux même si le nouveau
traité envisage un changement dans les prérogatives des parlementaires pour
l’élaboration des textes de lois (directives). Les élections ont lieu sur un mode
décentralisé, ne mobilisent que faiblement[12] les électeurs de chaque pays qui
sont choisis parmi les partis nationaux en fonction des questions nationales plutôt
qu’européennes[13]. Les compétences du Parlement sont très strictes. Il ne peut
pas proposer de lois[14], néanmoins il participe à l’élaboration et doit approuver
les textes législatifs proposés par la Commission afin qu’ils entrent en vigueur. Il
contrôle et surveille l’activité des institutions européennes, comme par exemple
la Commission, il supervise et élit le président, ayant aussi la compétence
d’approuver la composition des commissaires. Les deux autres compétences
qu’on juge importantes concernent la motion de censure à la Commission qui
peut forcer sa démission et le vote sur le budget de l’Union. Leurs originalités
résident dans les faits qu’il s’agit de l’unique parlement supranational élu au
monde et le seule à avoir droit de veto sur certaines décisions prises par des états
souverains[15].
La Commission est un organe technocratique par excellence. L’importance de son
rôle varie selon les différents « piliers » de la politique européenne. Elle est
investie du pouvoir de représentation de l’Union, assure les relations avec les
organisations internationales et met en place les délégations auprès des pays
tiers. Ses compétences les plus importantes sont de trois ordres : a) pouvoir
d’initiative législative, b) gardienne des traités et de les faire exécuter, c) pouvoir
d’exécution des politiques et des actes adoptés par le Conseil de Ministres de
l’Union.
Le Conseil de Ministres est le plus puissant organe de l’Union, même si plusieurs
analystes ne le considèrent pas comme une institution de l’UE, en réalité il
rassemble des ministres, des diplomates et des officiels[16] de chaque pays qui
délibèrent[17] sur toutes les matières qui concernent l’Union. C’est à mon avis cet
organisme qui est le plus obscur pour les citoyens ; parce que finalement, c’est
celui qui engage les exécutifs nationaux à se transformer en législatifs
supranationaux. Il arrive, parfois, que le ministre qui vient de négocier une
directive concernant un secteur spécifique accuse l’Union de la législation qui doit
ensuite être adoptée à l’intérieur alors qu’il a été lui-même co-auteur de cette
directive. C’est l’artifice des politiciens nationaux vis-à-vis les jeux nationaux et
les enjeux européens qui créent la confusion dans l’opinion publique. Celle-ci
répond par un sentiment d’éloignement. Pourtant, aucun de ces faits ne permet
de remettre en cause la légitimité démocratique de cette institution. Par contre le
jeu des politiciens peut influer significativement sur le raisonnement des citoyens
à propos des institutions de l’Union. C’est de la responsabilité des élites
nationales de construire un cadre de communication simple et intelligible.
Quant aux institutions de l’Union, les plus importantes sont celles qu’on vient
d’énoncer, à la limite, celles où les citoyens peuvent revendiquer de participer. La
Cour de Justice et Banque centrale ferment le cycle institutionnel de l’Union
européenne.
En limitant les pouvoirs fiscaux, administratifs et coercitifs des institutions
européennes, les Etats membres ont posé des limites à la discussion de toutes les
questions politiques sensibles aux citoyens électeurs européens. La seule
influence visible de l’Union est l’environnement et la macroéconomie, à travers la
Banque centrale. « Les multiples contraintes institutionnelles rendent non
seulement toute action arbitraire impossible, mais elles sont aussi l’assurance que
la législation issue de Bruxelles représente un très large consensus entre
différentes instances à de nombreux niveaux de gouvernement. » (MORAVCSIK,
2003 :7). En réalité, l’Union est pourvue d’un système de responsabilité
démocratique (democratic accountability) à travers deux mécanismes efficaces :
surveillance directe par le Parlement européen et responsabilité indirecte à
travers les représentants nationaux au Conseil de Ministres.
Conclusion
Au cours de ce travail, plusieurs questions ont été soulevées. Effectivement, le
sujet de l’approche n’est pas simple à traiter. La contribution léguée pour une
compréhension plus claire des relations entre les Européens et l’institution
parlementaire nous semble malgré tout significative. Évidemment, nous sommes
très loin de toucher la majorité des aspects qui puissent nous amener à des
explications totalement fiables et irréfutables sur le comportement des électeurs
européens. Mais, je pense que les opinions, spéculations et surtout les questions
posées au cours du travail peuvent contribuer à la construction d’une idée valable
sur le fossé qui sépare les citoyens des institutions à l’échelle supra nationale
européenne. L’Union est une réalité, pourtant le concept de citoyenneté assume
une forme plutôt juridique que politique. En parallèle avec les institutions
politiques supranationales bien articulées, la conscience politique européenne
reste assez offusquée par l’abstention. L’idée de départ d’une dissonance
cognitive semble d’abord être le résultat d’une déficience d’un système que vient
d’être construit, qui n’existe que depuis cinq décennies. Les nations qui
composent cette communauté politique ont mis des siècles à se constituer.
Chacune est caractérisée par une culture politique que leurs citoyens ont
assimilée, intériorisé et qui se traduit en une source d’identification patriotique. Ils
partagent les sentiments d’appartenance, les mythes d’origine, une historicité
politique propres. Pour les individus, sortir de ce cadre normatif et s’adapter à une
autre réalité partagée constitue une difficulté accrue. La démocratisation est aussi
de créer les conditions pour un exercice libre, actif et modéré de la citoyenneté.
Selon nous, non seulement il faut que les institutions répondent aux exigences
des individus (opinion publique) pour des processus décisionnels plus ouverts et
participatifs, mais aussi que les citoyens s’instruisent de façon à pouvoir
revendiquer leurs droits et leurs opinions. Leur ignorance envers l’Union ne facilite
pas la compréhension sur certaines décisions prises. Seulement un débat
politique basé sur les messages simples et une invitation réelle à la participation
démocratique peut minimiser les effets observables d’une difficulté majeure
d’identification commune. Les compétences et responsabilités de l’Union
rassemblent celles de la plupart des Etats que la composent ; par contre, les
institutions n’ont pas un rapport avec le grand public comparable à celui des
institutions nationales. Quelques uns ont fait allusion au ‘déficit démocratique’.
Cette expression nous semble une invention d’une élite d’intellectuels qui rêvent
d’occuper la place de l’élite en place. Bien sur, les élites politiques européennes
ont bâtie un exercice ‘conçu au sommet pour la base’ mais les facteurs
historiques confirment que ce processus prévalu. Est-il toujours actuel ? L’Union a
un impact énorme sur la vie des individus et des Etats, toutefois, l’attention et la
participation politiques sont polarisés sur les enjeux nationaux. Les Etats
singuliers ne sont pas dépourvus de responsabilités. La prudence avec laquelle ils
ont rejoint l’intégration a abouti à limiter la capacité d’intervention des
institutions européennes sur leur territoire.
Si on a regardé une grande diversité de résultats empiriques présentés dans notre
travail, c’est aussi vrai que la connaissance des activités du Parlement est faible
et les attitudes envers cette institution qui prévalent sont caractérisées par le
manque d’information. Sauf l’Autriche, tous les autres pays concernés dans
l’étude révèlent un mixte de méconnaissance et d’indifférence. Même si cette
indifférence envers les affaires politiques est vérifiable dans toutes les
démocraties occidentales, elle s’exprime plus dans les affaires européennes.
Etonnamment, les européens ne sont pas indifférents aux référendums, ce qui
met en cause la précédente affirmation. L’exemple le plus incontestable est celui
de la France et le paradoxe participatif des français envers les différents scrutins.
Un autre aspect peu exploité mais qui est visible est le fait que la connaissance de
l’institution parlementaire se révèle plus faible dans les grands pays que dans les
petits.
Bref, les obstacles à la réduction du fossé provoqué par la dissonance cognitive
sont visiblement de l’ordre politique (système), institutionnel et non de la
conscience personnelle. Donc, si au niveau du système le gouvernement est
complexe et technique ; du côté des citoyens, les décisions politiques prises à
Bruxelles ne semblent pas être dans leur intérêt. Au moins, elles semblent être
moins importantes pour les citoyens que celles prises au niveau national. Dans les
Etats souverains, la ligne de démarcation entre l’exécutif et le législatif est
parfaitement claire. Le contrôle politique, le pouvoir et l’autorité sont
généralement répartis en fonction de la logique électorale. Dans l’Union, en
revanche, les rôles sont partagés entre deux institutions, ce qui trouble l’esprit
des citoyens habitués à un modus operandi particulier. Le Parlement, par
exemple, en tant qu’autorité législative ne s’appuie pas sur un exécutif unique,
conforme aux modèles traditionnels qui prévalent. En plus, en tant qu’autorité,
son pouvoir est très limité, surtout pour ce qui concerne la surveillance des
activités de la commission. Les données qu’on a exploitées dans ce travail sur
l’opinion des individus à l’égard du Parlement sont importantes pour donner
cohérence et consistance à l’idée que les citoyens ressentent les institutions
européennes comme lointaines ; mais, elles nous ont surtout permis de cerner
l’aspect pédagogique de l’Union. Un cadre de gouvernance que les gens ont du
mal à comprendre et qui ne les engage pas risque fort d’aboutir à la crise. À cet
égard, les systèmes éducatifs nationaux ont un rôle important à jouer dans la
stimulation d’une culture politique européenne. On a pu vérifier comment les
données se présentaient dans différents pays ; comment les Portugais les plus
instruits avaient un pourcentage satisfaisant, de pair avec les Autrichiens ; et
comment les individus moins instruits, qui ont terminé leur formation avec 15 ans
ou moins étaient les ‘exclus’ de cette Europe politique.
Bibliographie :
AUSTIN, John (1970), Quand dire c'est faire, Éditions du Seuil, Paris.
CAUTRÈS, Bruno, « Existe t’il un ‘European voter’ ? Les clivages sociopolitiques
sur l’Europe dans le contexte des élections européennes de 2004 »,
Communication au Colloque AFSP-GSPE, IEP de Strasbourg, 18 et 19 Novembre
2004.
DE CHARENTENAY, Pierre, « Equilibres instables de la démocratie » SER-SA
Études, 2007/7-8 Tome 407, pp. 40-51.
GAXIE, Daniel, « Cognitions, auto-habilitation et pouvoirs des ‘citoyens’ », Revue
Française de Science Politique, 2007/6, Vol. 57, 737 à 757.
GERSTLÈ, Jacques, « L’impact des médias sur la campagne référendaire française
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KRIESI, Hanspeter, (et all) « Globalization and the transformation of the national
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in European Union Politics, Vol.8 (1):83-108, 2007.
LACROIX, Bernard (2008), «La crise de la démocratie représentative en France »
Cahiers de Sociologie Politique de Nanterre, Groupe d’Analyse Politique,
Université Paris X.
MANIN, Bernard (1995), Principes du Gouvernement représentatif, Paris :
Flammarion.
MORAVCSIK, André (2003), « Le mythe du déficit démocratique européen »,
Raisons Politiques, Mai-Juin 2003.
PL
HU
LV
EE
FI
ES
DK
IE
UK
NL
LU
IT
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FR
58.5
31.4
49.4
41.6 40
72.4
51.2
63 45.1
75.3
79.9
77.2
50.5
52.4
46.2
52.9
50.2
68.3
32.6 30
65.7
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Fig. 2 – Taux d’évolution de la participation aux élections européennes
(tous pays)
IT 12./13.06.2004 no data 73,1 no data no data no data
Question: D’une manière générale, vous estimez-vous bien, assez bien, assez mal
ou très mal informé(e) sur les activités du Parlement européen ?
BELGIQUE
UE 27 - cercle extérieur
FRANCE
AUTRICHE
PORTUGAL
ITALIE
Fig. 5 – Évolution du taux de participation aux référendums et scrutin européen en
France
Fig. 6 – Sondage post-référendaire sur la participation au scrutin sur le traité
établissant une constitution pour l’Europe en Espagne – 20 fév. 2005
[2] L'auteur de la théorie de la dissonance cognitive (A theory of cognitive dissonance, 1957) par
laquelle il tente d'expliquer comment l'être humain gère les tensions engendrées par des
informations incompatibles. ‘Encyclopedia of the social sciences.
[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Dissonance_cognitive
[4] Jacques Gerstlè, dans L’impact des médias sur la campagne référendaire française de 2005,
pag.29 utilise l’expression ‘ignorance pluraliste’ pour caractériser le comportement des français
envers le referendum. Dans la voie de Zaller, il s’agit d’une population marquée par une faible
compétence politique ‘political awareness’.
[5] Kriesi, H. (2007) « The Role of European Integration in National Elections », European Union
Politics, Vol.8 (1):83-108;
[6] Le traité de Lisbonne prévoit la collecte de signatures, au nombre d’un million, pour qu’un sujet
soit objet d’appréciation par la Commission et potentiellement un enjeu de référendum.
[7] Faible participation aux élections pour le parlement européen dans la majorité des pays de
l’Union, par exemple.
[9] Par exemple les politiciens nationaux qui utilisent les arguments européens pour justifier les
problèmes et mesures impopulaires à l’interne. Les gouvernements accusent Bruxelles à propos
certaines directives qu’eux-mêmes ont négociées la semaine d’avant. À propos de l’échec du
référendum en France en mai 2005, le président de la Commission Durão Barroso a déclaré dans
un entretien « … qu’on ne peut pas accuser l’Union de tous les maux du lundi au samedi et
attendre que les citoyens votent favorablement le dimanche ».
[10] Je pense, par exemple, à un référendum sur une armée européenne, une police européenne
(plus factuelle que l’existante), les interventions de l’Union à l’extérieur dans des scénarios de
guerre ou le maintien de la paix, etc. ; aussi, un soutien législatif où la majorité simple ou qualifié
des votations des pays réunis s’appliquerait.
[11] La participation aux élections du Parlement européen est notre étude de cas empirique.
[12] Dans notre étude de cas, on va donner la saillance de la participation aux différents pays.
[13] Plusieurs études démontrent que les attitudes des électeurs européens se focalisent plutôt sur
les jeux nationaux que sur les enjeux européens.
[16] Le Conseil est aidé par le Comité des représentants permanents (COREPER). Celui-ci
comprend les ambassadeurs représentants permanents des États membres à Bruxelles. Le
COREPER prépare généralement l'ordre du jour du Conseil, et négocie les sujets mineurs, ceux qui
ne sont pas controversés.
[17] La prise de décisions se déroule ainsi : le nombre total de voix s'élève à 345 ; la majorité
qualifiée s'établit à 255 voix. Majorité qualifiée, c’est-à-dire avec au moins 255 voix sur les 345,
l'approbation d’une majorité d’Etats membres et, si un Etat membre en fait la demande, au moins
62 % de la population de l’UE.
[18] EOS Gallup Europe Flash EB 162 «Enquête Post Elections européennes » (21/06/2004 -
30/06/2004) - Rapport p. 32, et Citizens’ Views on the European Parliament.
[19] Jeux et enjeux nationaux, partis politiques, clivage gauche/droite, médias entre autres.