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L’Afrique à l’assaut
de l’agriculture
AU SOMMAIRE Édition Speciale Agriculture 2014
Introduction
3 L’Afrique doit développer sa politique alimentaire
Défis
4 Malgré la croissance économique la faim persiste
6 L’Afrique face au changement climatique
8 L’agriculture un outil de lutte contre le chômage des jeunes
10 Zimbabwe : ravitailler la nation devient un défi
12 Malawi : revers de fortune
Des ouvrières agricoles nettoient des grains de
Initiatives café dans une petite exploitation dans le village
14 Combattre la pauvreté d’un village à l’autre de Konga, au sud de l’Ethiopie.
Panos/Ami Vitale
16 Améliorer les rendements
18 Sierra Leone : remettre l’agriculture sur pied
Perspectives
20 L’agroalimentaire doit primer en Afrique Rédacteur en chef
22 L’Agroalimentaire en Afrique : mythe ou réalité ? Masimba Tafirenyika
Administration
En couverture: une femme verifie son maïs dans un champ de 0.5 hectare près du village de Bo Li
Gwamure au Zimbabwe. Panos/Mikkel Ostergaard
Distribution
Atar Markman
Afrique Renouveau est publiée en anglais et en Les articles de cette publication peuvent être
français par la Division de la communication reproduits librement, à condition de mentionner
stratégique du Département de l’information des l’auteur et la source, “ONU, Afrique Renouveau”.
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ou des organisations soutenant la publication. reproduites. Nations Unies à New York sur papier recyclé.
L
es pénuries alimentaires chroniques
que connaît l’Afrique demeurent
obstinément sans solution.
Consciente de ce problème, l’Union afri-
caine cherche à convaincre ses membres
d’augmenter leurs investissements dans
le secteur agricole. Pour souligner le rôle
central que joue l’agriculture dans la crois-
sance économique du continent cet orga-
nisme continental a déclaré 2014 Année de
l’agriculture et de la sécurité alimentaire.
Convaincre les dirigeants de consi-
dérer l’agriculture non seulement comme
une solution pour mettre fin à la pauvreté,
mais aussi comme un important facteur de Distribution de maïs dans un petit village du Malawi. Panos/Mikkel Ostergaard
développement économique qui mérite des
investissements publics est un défi de taille. d’entre eux exige de ses signataires qu’ils par hectare à 2,5 tonnes - sur la même
Une telle ambition exige un engagement poli- consacrent au moins 10% de leur budget à période. Le Malawi a également enregistré
tique fort et une direction éclairée. On peut l’agriculture et qu’ils s’efforcent de réaliser des avancées comparables - avant que le
constater des signes de progrès, en partie une croissance annuelle de 6% dans le gouvernement ne réduise son soutien à
grâce au Programme détaillé de développe- secteur agricole. À la fin de décembre 2013, l’agriculture, à la suite d’une crise budgé-
ment de l’agriculture africaine (PDDAA), un on comptait 34 pays signataires dont six à taire en 2012 – ce qui a également été le cas
programme novateur conçu par l’organisme peine avaient atteint l’objectif de 10%. pour la Sierra Leone et la Tanzanie, notam-
de développement de l’Union africaine, le Les résultats du PDDAA sont pour ment. Depuis 2003, la croissance agricole
Nouveau Partenariat pour le développe- l’instant mitigés. Certains pays ont annuelle de l’Afrique se situe autour de 4%,
ment de l’Afrique (NEPAD), qui célèbre encore du mal à traduire le programme soit bien au-dessus des taux de croissance
cette année son 10e anniversaire en mesures concrètes. Mais ceux qui l’ap- des décennies précédentes.
pliquent à la lettre notent des changements Malgré cela l’Afrique reste un importa-
Un message fort positifs. Comme le Rwanda, premier pays à teur net de denrées alimentaires et produit
Le message du PDDAA est simple mais avoir adopté le programme en 2007, qui a bien en deçà de ses capacités. La respon-
efficace : plus d’ investissements dans l’agri- pratiquement multiplié par cinq la super- sabilité en incombe principalement à de
culture doit permettre de vaincre la famine ficie des terres consacrées à la produc- mauvaises politiques et, dans une moindre
en Afrique tout en sortant des millions de tion de maïs en trois ans. En conséquence, mesure, aux aléas climatiques.
personnes de la pauvreté. Le programme les récoltes de maïs ont augmenté de près
a plusieurs volets, mais le plus connu de 213% – passant de moins de 0,8 tonne voir page 34
Des femmes à Medo, en Éthiopie, arrosent des plants de Moringa stenopetala (une espèce d’arbre originaire de la région) dans le cadre d’un projet de forma-
tion en horticulture. Le moringa est une espèce très résistante capable de fournir des rendements élevés même pendant les périodes de sécheresse. Il joue un
rôle essentiel dans la sécurité alimentaire des ménages en tant que source de revenus, mais également comme remède traditionnel, fourrage, combustible et
source d’ombre tout au long de l’année. Panos/Mikkel Ostergaard
C
haque année, gouvernements, journalistes, L’administrateur du PNUD, Helen Clark, et
spécialistes du développement et autres l’ancien Directeur du Bureau régional pour l’Afrique
attendent impatiemment la publication du du Programme, Tegegnework Gettu, donnaient le ton
Rapport sur le développement humain du Programme dans les premières pages. «J’ai l’espoir que ce premier
L’Afrique face au
festants étaient descendus dans les rues
au Mozambique pour protester contre une
hausse de 25% du prix du blé, provoquée par
changement climatique
une pénurie mondiale, en partie imputable
aux feux de forêts ayant ravagé les cultures
en Russie, suite à une période de tempé-
ratures extrêmes. L’augmentation du prix
By Richard Munang and Jesica Andrews du pain avait provoqué des violences, des
pillages, des incendies, et même des morts.
L
e changement climatique s’accom- enfants et les personnes âgées – premières Le rapport Africa’s Adaptation Gap
pagnera d’effets sans précédent. On victimes de l’insécurité alimentaire. (L’écart de l’adaptation en Afrique) du
assistera par exemple à une baisse À l’heure actuelle, quelques 240 millions Programme des Nations Unies pour l’envi-
des rendements agricoles, des saisons de d’Africains souffrent déjà de la faim. D’ici ronnement (PNUE), signale qu’un réchauf-
végétation brèves et les modifications 2050, il suffira d’une augmentation de 1,2 fement d’environ deux degrés Celsius
du régime des précipitations rendront à 1,9 degré Celsius environ pour accroître entraînerait une réduction de 10% du rende-
l’accès à l’eau difficile. La population en d’entre 25 et 95% le nombre d’Africains ment agricole total en Afrique subsaha-
Afrique devrait atteindre deux milliards sous-alimentés (+ 25% en Afrique centrale, rienne d’ici 2050; un réchauffement supé-
dans moins de 37 ans et, dans 86 ans, trois + 50% en Afrique de l’Est, + 85% en Afrique rieur (plus probable) pourrait porter ce
naissances sur quatre se produiront sur le australe et + 95% en Afrique de l’Ouest). chiffre à 15 ou 20%.
continent. La situation sera catastrophique pour les Les mauvaises nouvelles ne s’ar-
La baisse des rendements agricoles et enfants, dont la réussite scolaire dépend d’une rêtent pas là pour l’agriculture afri-
l’accroissement démographique exerce- alimentation appropriée. La Commission caine : d’ici le milieu du siècle, la produc-
ront une pression supplémentaire sur un économique pour l’Afrique (CEA) estime que tion de blé pourrait enregistrer une
système de production alimentaire déjà le retard de croissance infantile provoqué baisse de 17%, 5% pour le maïs, 15%
fragile. Dans un tel contexte, les experts chez les enfants par la malnutrition pourrait pour le sorgho, et 10% pour le mil. Si le
signalent que, si la situation actuelle priver les pays africains de 2 à 16% de leur réchauffement dépassait les trois degrés
perdure, l’Afrique ne pourra subvenir produit intérieur brut. Celsius, toutes les régions actuellement
qu’à 13% de ses besoins alimentaires d’ici productrices de maïs, de mil et de
à 2050. Cela fera également peser une Une agriculture africaine sous sorgho deviendraient inadaptées à ce
nouvelle menace sur les quelque 65% de pression climatique type de cultures. La question est donc de
travailleurs africains dont la subsistance Des changements climatiques tels que la savoir si le système agricole africain est
dépend de l’agriculture, y compris sur les hausse des températures et la réduction prêt à relever le défi.
F
rancisca Ansah est agent de vulgari- économiques et le Programme des Nations célération du développement rural grâce à
sation agricole, spécialisée dans les Unies pour le développement. Mais du des activités créatrices de la valeur ajoutée
services ruraux. Elle travaille avec fait de faibles rendements, le secteur ne pour les produits agricoles, la mise en place
les agriculteurs de région du Nord-Ouest contribue au produit intérieur brut (PIB) du d’infrastructures pour contenir l’exode
du Ghana. Lors d’une conférence qui s’est continent qu’à hauteur de 25%. rural, ou l’aide aux femmes et aux jeunes qui
tenue dans ce pays l’année dernière, elle veulent créer leurs entreprises.
a expliqué que l’image du paysan pauvre, Des emplois pour les jeunes
en guenilles et victime des intempéries, Pour le chercheur zimbabwéen et analyste La production rizicole, secteur à
est décourageante pour de nombreux des politiques foncières Mandivamba fort potentiel
jeunes. Ayant vu leurs parents vieillissants Rukuni, les économies à forte croissance Marco Wopereis est Directeur général
travailler la terre avec un matériel rudi- qui parviennent à réduire la pauvreté adjoint du Centre du riz pour l’Afrique basé
mentaire, ces jeunes choisissent de s’établir et à créer de vrais emplois, notamment à Cotonou au Bénin. Pour lui, les innova-
dans des zones urbaines pour y chercher pour les jeunes, dépendent de politiques tions dans le secteur agricole peuvent déblo-
un emploi. «Les jeunes réfléchissent à deux volontaristes et de l’injection massive quer des opportunités immenses en matière
fois avant de se lancer dans l’agriculture», d’investissements dans l’agriculture. «Le d’emplois. Le secteur du riz à lui seul a la
explique-t-elle. pourcentage de la population rurale en capacité d’employer une bonne partie des
Malgré ces perceptions négatives, Afrique oscille toujours autour de 60%, 17 millions de jeunes qui accèdent chaque
le secteur agricole emploie 60% de la explique le professeur Rukuni, qui a publié année au marché du travail en Afrique
main d’œuvre africaine selon le rapport de nombreux ouvrages sur l’agriculture en subsaharienne. Grâce à un soutien finan-
Perspectives économiques en Afrique 2013, Afrique. Pour l’Union africaine, l’agricul- cier et à des programmes de formation,
publié conjointement par la Banque afri- ture sera dans un proche avenir la princi- les jeunes agriculteurs qui se consacrent
caine de développement, l’Organisa- pale force de transformation économique à la riziculture pourraient augmenter la
tion de coopération et de développement et sociale du continent.» production tout en la valorisant. «Avec
Zimbabwe :
ravitailler la nation devient un défi
Par Ish Mafundikwa
terres à un niveau comparable à celui de leurs prédé-
cesseurs.
Toutefois le tableau est plus complexe. Selon le
Syndicat des agriculteurs du Zimbabwe (Commercial
Farmers’ Union, CFU), qui représentait les exploi-
tants agricoles blancs mais auquel tous les cultivateurs
peuvent maintenant adhérer, jusqu’en 2001, soit un an
après le lancement de la réforme agraire dite «accé-
lérée», les petits exploitants produisaient la majeure
partie de la récolte de maïs du pays. «Sur les deux
millions de tonnes de maïs produits en moyenne chaque
année, plus de la moitié l’était par les petits exploitants
[noirs]», explique Richard Taylor, un porte-parole du
CFU. En 2001, ces mêmes exploitants ont produit 1,2
million de tonnes alors que les gros exploitants agricoles
- des blancs pour la plupart - n’en ont produit que 800
000. La contribution de ces derniers s’est maintenue
à ce niveau au fil des années car ils irriguaient leurs
terres, alors que celle des petits exploitants dépendait
des aléas météorologiques.
Richard Taylor attribue les résultats médiocres
obtenus dans ce secteur à l’absence de soutien financier,
il propose la mise en place d’un programme permet-
tant aux petits exploitants d’emprunter les semences
De nombreux travailleurs agricoles du Zimbabwe ont perdu leur emploi après la ou les engrais auprès des sociétés productrices. «Ces
fermeture de grandes exploitations commerciales. Africa Media Online/David Larsen prêts seraient garantis par le gouvernement et les agri-
culteurs les rembourseraient après avoir vendu leurs
A
u Zimbabwe il faut 1,8 million de tonnes de récoltes», poursuit Richard Taylor. Il estime aussi que
maïs par an pour satisfaire les besoins de la les droits fonciers constituent une solution au problème
2 population et du bétail. Or, 798 500 tonnes
de maïs à peine ont été produites pendant la campagne
actuel. «Les agriculteurs devraient bénéficier d’une
sécurité d’occupation foncière afin de pouvoir utiliser
milliards de $ agricole 2012-2013. L’ancien «grenier de la région», doit leurs terres comme garantie quand ils demandent un
combler son déficit de maïs par des importations et prêt», explique-t-il. Et il qualifie les dons de semences
Estimation compter sur l’aide financière des donateurs. Après la ou d’engrais faits aux agriculteurs les plus vulnérables
du montant récolte de 2013, le Programme alimentaire mondial, a par le gouvernement et les organisations non gouverne-
devant être annoncé que 2,2 millions de personnes (soit un quart de mentales de solution non durable.
injecté par le la population rurale) auraient besoin d’aide alimentaire Ce sentiment est partagé par un haut fonctionnaire
à compter d’octobre 2013 et jusqu’aux premiers mois de du ministère de l’Agriculture qui, sous couvert d’ano-
gouvernement 2014. nymat, a expliqué à Afrique Renouveau que l’absence
du Zimbabwe Cette situation est devenue la norme depuis 2001, de soutien n’est pas le seul facteur qui permet d’expli-
dans le secteur année où le Zimbabwe a pour la dernière fois été auto- quer l’incapacité du pays à produire assez pour nourrir
agricole pour suffisant en maïs. Selon certains experts, si le pays est sa population. «Dans certaines parties du pays où la
pallier le déficit devenu importateur de produits alimentaires c’est à terre n’est pas assez bonne et les précipitations irrégu-
alimentaire du cause du programme de réforme agraire lancé en 2000, lières, il ne faudrait même pas chercher à produire des
attribuant des exploitations agricoles des fermiers cultures», dit-il. Le gouvernement a divisé le pays en
pays. blancs à des Noirs sans terre. Ces derniers n’auraient cinq zones agro-climatiques ou naturelles, en fonction
pas eu les compétences nécessaires pour exploiter les des chutes de pluie dont chacune d’entre elles bénéficie.
Malawi : revers
d’achat normal.
Les résultats ont été immédiats. En 2005,
un an après l’augmentation des subventions,
de fortune
le Malawi a récolté un excédent de céréales
d’un demi-million de tonnes. Les années
suivantes, le pays a exporté des céréales à
destination du Lesotho et du Swaziland,
Autocratie et dépendance ont compromis ainsi que 400 000 tonnes de maïs vers le
Zimbabwe. Des experts en alimentation et
une réussite agricole des groupes de défense ont à tour de rôle fait
l’éloge du Malawi lors de forums internatio-
Par Masimba Tafirenyika naux, en le présentant comme un exemple
de la «révolution verte» en Afrique. Fort de
E
n 2012, le Malawi s’est à nouveau Selon le Programme alimentaire son succès, le président Mutharika a appelé
trouvé en difficulté. Une crise mondial, organisme d’aide alimentaire les autres dirigeants africains à adopter sa
alimentaire s’est lentement installée des Nations Unies, plus de 1,63 million de politique. Depuis, la situation a changé et
causée par des pluies irrégulières, la hausse personnes, soit 11% de la population, ont été le Malawi se heurte à de graves pénuries
du prix des denrées alimentaires et des confrontées en 2012 à de graves pénuries alimentaires.
difficultés économiques. Pour la première alimentaires. Il fallait au Malawi 30 millions Paradoxalement, même pendant les
fois depuis plusieurs années, le pays risquait de dollars avant la fin de l’année pour pallier années d’abondance, le Malawi a continué
de ne pas pouvoir subvenir aux besoins l’insuffisance. L’agriculture est le pilier de d’importer de grandes quantités de blé,
alimentaires de sa population. Le Malawi son économie : quatre personnes sur cinq maïs et autres céréales, et des poches de
n’était plus l’exemple de réussite agricole en dépendent. La plupart des agriculteurs malnutrition isolées subsistaient, révèle la
qu’il était devenu au prix de nombreux sacri- cultivent à la main de petites parcelles peu FAO. En continuant d’attribuer des subven-
fices. Auparavant, sa production de maïs lui irriguées et sont donc vulnérables aux séche- tions, M. Mutharika a bravé les critiques
permettait de s’autosuffire et d’exporter ses resses à répétition, observe l’Organisation des bailleurs de fonds qui prétendaient que
excédents vers les pays voisins.. des Nations Unies pour l’alimentation et le programme était entaché de corruption,
Mama Kasim et Aseatu Bawa, cultivateurs de Kuapa Kokoo, ouvrant des cabosses de cacao. Kuapa Kokoo est une coopérative de producteurs de cacao
comptant 45 000 membres répartis dans les forêts de Kumasi, au Ghana. Panos/Aubrey Wade
D
ebout au milieu d’un champ de maïs Afrique Renouveau. J’ai un revenu et de la M. Kankam-Boadu raconte qu’en 2007
fraîchement ensemencé, Bright nourriture. La ferme me donne assez pour les cultivateurs de maïs de Bonsaaso ont
Osei Kwaku se rappelle qu’il y a un vivre.» réussi à quadrupler leurs rendements,
an environ il a plus que doublé sa production Étant donné la hausse rapide des prix passant d’une moyenne d’environ 1 tonne
grâce à l’utilisation de semences améliorées des aliments sur les marchés mondiaux, par hectare à 4 tonnes. Les agriculteurs
et d’engrais, et à des conseils techniques sur le moment est opportun pour encou- n’ont pas seulement augmenté leurs
les méthodes de culture. Son champ d’à peu rager un accroissement de la production revenus, ils ont aussi fourni environ un
près un hectare a donné en tout environ 15 agricole, explique Isaac Kankam-Boadu, dixième de leurs récoltes au nouveau
sacs de 100 kilogrammes, contre seulement animateur-formateur pour l’agriculture programme d’alimentation scolaire qui
six l’année précédente où il n’avait pas béné- et l’environnement du projet Villages du aide de nombreux enfants des écoles de leur
ficié d’un tel soutien. Millénaire de Bonsaaso, un groupe de région à mieux se nourrir.
Beaucoup de jeunes Ghanéens, comme hameaux pauvres et isolés dans la région
lui, ont abandonné l’agriculture ou en Ashanti du Ghana. «Le prix élevé des Les Villages du Millénaire
rêvent. Mais M. Kwaku, 25 ans, pense qu’il aliments est une excellente occasion pour Créer de tels liens est au cœur du projet
lui est possible de rester sur sa terre. «Je vais les agriculteurs de gagner plus d’argent», Villages du Millénaire. La première de ces
continuer à cultiver la terre, a-t-il déclaré à déclare-t-il. initiatives de développement intégré a été
Améliorer les
selon des chercheurs de l’Union africaine,
dépassé celle de la production alimentaire
sur le continent, avec pour résultat une
rendements
augmentation du nombre des personnes
souffrant de la faim en Afrique.
L’un des obstacles majeurs à l’améliora-
tion de la productivité est la détérioration
Pour le NEPAD, augmenter l’usage des engrais, de constante des sols. Pour Amit Roy, directeur
du Centre international pour la fertilité du sol
l’irrigation et autres intrants est désormais vital et le développement agricole (International
Fertilizer Development Center, IFDC),
Par Michael Fleshman un institut basé aux Etats-Unis et chargé
de promouvoir le progrès agricole dans les
pays en développement, «quand les agricul-
teurs ensemencent les mêmes champs d’une
saison à l’autre et qu’ils n’ont pas les moyens
de remplacer les nutriments que leurs
cultures absorbent, on peut dire que les sols
sont, littéralement, surexploités.»
On estime ainsi à 8 million de tonnes
la quantité de nutriments épuisés chaque
année. Il est donc impératif que les sols
soient réalimentés en potassium, phos-
phore et autres minéraux absorbés par les
plantes pour que les rendements agricoles
se maintiennent. La solution est en partie
d’améliorer les méthodes agricoles – que ce
soit en diversifiant les cultures, en amélio-
Une clinique phytosanitaire, un jour de marché, dans le village de Wangigi, au Kenya. Les agriculteurs rant les pratiques de conservation des sols
qui se rendent au marché peuvent consulter un phytopathologiste et lui présenter des échantillons de ou en utilisant de meilleures semences et
leurs produits. Panos/Sven Torfinn/CABI des technologies nouvelles.
«Traditionnellement, les agriculteurs
U
n nombre croissant de gouverne- du continent, le Nouveau partenariat pour africains pratiquent la culture sur brûlis,
ments africains, d’agences non le développement de l’Afrique (NEPAD), poursuit-il. Ils brûlent un bout de terrain
gouvernementales et onusiennes ont publié en 2003 dans le cadre de cette et le cultivent pendant une saison ou deux,
considèrent que si des efforts urgents ne structure un Programme détaillé pour le avant de défricher un nouveau terrain en
sont pas faits pour augmenter les rende- développement de l’agriculture en Afrique laissant le terrain qui a servi en jachère.»
ments agricoles, améliorer les transports, la (PDDAA). Ses objectifs sont ambitieux: Mais la croissance de la population et les
commercialisation et adopter des méthodes allouer au moins 10% des budgets natio- pénuries de plus en plus importantes des
agricoles modernes et durables, le continent naux à l’agriculture, afin de parvenir à des terres ont obligé les agriculteurs à cultiver
ne parviendra pas à atteindre ses objectifs taux de croissance annuels de 6% en milieu les mêmes champs de manière répétée,
de développement. Plus de 65% d’habitants rural dès 2015, à intégrer et à renforcer avec pour résultat des terres pauvres en
en Afrique subsaharienne travaillent dans les marchés agricoles au niveau régional nutriments, des récoltes moins importantes
l’agriculture et le secteur contribue au PIB et national, à augmenter de manière signi- et des revenus en baisse. Ces pressions
de la région à hauteur de 32%, selon l’Al- ficative les exportations de produits agri- poussent les agriculteurs à défricher des
liance pour une révolution verte en Afrique coles, à transformer l’Afrique en «acteur terres peu aptes aux cultures, contribuant
(Alliance for a Green Revolution in Africa, stratégique» dans le domaine des sciences et ainsi à l’érosion des sols alors même que
AGRA), organisation indépendante de technologies agricoles, à adopter des tech- l’augmentation des rendements des récoltes
lutte pour l’amélioration de l’agriculture niques adéquates de gestion de l’environ- reste limitée. On estime que quelques 50
africaine. Selon l’Organisation des Nations nement et des sols, et à réduire la pauvreté 000 hectares de forêts et 60 000 hectares
unies pour l’alimentation et l’agriculture en milieu rural. de savane sont perdus chaque année du fait
(FAO), la croissance de l’emploi dans le de ces méthodes agricoles, contribuant à la
secteur a participé de moitié à la hausse Surexploitation des sols fois à de sérieuses dégradations pour l’envi-
totale de l’emploi dans cette région entre Le Programme alimentaire mondial des ronnement et à un déclin de la production
1999 et 2009. Nations Unies estime qu’en 2012 le nombre agricole par habitant.
Conscients de l’importance de l’agricul- d’Africains ayant eu besoin d’aide alimen- Selon le PDDAA, les agriculteurs afri-
ture, les partisans du plan de développement taire dépassait les 55 millions de personnes. cains utilisent actuellement beaucoup
Sierra Leone :
remettre l’agriculture sur pied
Par Kingsley Ighobor
que l’agriculture représente près de la
moitié du PIB du pays, la production locale
de riz contribue à elle seule à 75% du PIB
agricole, et «la consommation annuelle
de riz par habitant se situe parmi les plus
élevées d’Afrique subsaharienne».
Les analystes considèrent que le
ministre à raison de vouloir stimuler la
production d’autres denrées. «Bien que le
riz constitue la base du régime alimentaire
sierra-léonais, le secteur repose largement
sur une agriculture de subsistance, et la
production de riz est insuffisante pour
satisfaire la demande intérieure, sans
même parler d’exportation», indique le site
d’information en ligne NewsWatch Sierra
Leone. En 2008, le gouvernement a créé son
«Programme pour le changement» dans le
but d’atteindre l’autosuffisance alimentaire
et d’exporter d’éventuels excédents.
Cinq ans plus tard, le verre peut paraître
à moitié vide ou à moitié plein selon le point
de vue adopté. NewsWatch regrette que
Une femme plantant du riz dans la réserve naturelle de Western Area Peninsula, en Sierra Leone. «plus de 60% du riz consommé dans le pays
Panos/Aubrey Wade [soit] toujours importé». Le Programme
alimentaire mondial (PAM), l’organe des
L
es Sierra-léonais adorent le riz, amplement suffisante pour éviter l’impor- Nations Unies responsable de la lutte
élément essentiel de leur alimenta- tation de denrées alimentaires. Mais les contre la faim, estimait l’an dernier que
tion : «Peu importe le reste du menu, Sierra-léonais ont tout bonnement ignoré les ménages sierra-léonais consacraient
il leur faut du riz au moins une fois par jour son conseil, une manière de lui dire «merci, «en moyenne 63% de l’ensemble de leurs
pour avoir l’impression de s’être nourris», mais non merci». dépenses à l’alimentation», tandis qu’en-
explique Umaru Fofana, rédacteur en chef Changer les habitudes des Sierra-léonais viron 52% de la population empruntait de
du journal sierra-léonais Politico. Pourtant ne sera pas chose facile, mais le ministre l’argent pour se nourrir.
Joseph Sam Sesay, ministre de l’Agriculture, s’inspire de l’exemple du Nigéria et du
des Forêts et de la Sécurité alimentaire, Ghana, deux pays dont les citoyens consom- La pauvreté, un problème
aimerait que ses compatriotes prennent maient énormément de riz avant d’intégrer d’actualité
leurs distances avec le riz. Pour M. Sesay, le manioc, l’igname, la fève, la pomme de Le tableau d’ensemble de la pauvreté en
cette dépendance excessive pourrait nuire terre et autres. En Sierra Leone, il s’agit Sierra Leone n’est pas plus encourageant.
à l’objectif de sécurité alimentaire du pays. en outre d’une question politique extrême- Selon la Banque mondiale, près de 53% de
«J’encourage nos concitoyens à changer ment sensible, les électeurs ayant tendance la population vit avec moins d’1,25 dollar
leurs habitudes et à alterner leur consom- à préférer les candidats qui promettent du par jour. L’Indice de développement
mation de riz avec d’autres produits cultivés riz à un prix abordable. humain du Programme des Nations Unies
dans le pays.» Ces «autres produits» étant pour le développement (PNUD), qui évalue
l’igname, le manioc et la patate douce. Diversification des cultures 187 pays sur la base de l’espérance de vie,
M. Sesay espère qu’en persuadant Dans un rapport destiné à l’Organisation l’éducation et les revenus, plaçait la Sierra
la population à consommer d’autres des Nations Unies pour l’alimentation et Leone au 177e rang du classement en 2013.
aliments, la production locale de riz l’agriculture (FAO), le chercheur sierra-léo- Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance
– près de 693 000 tonnes en 2013 – sera nais Ibrahim J. Sannoh signale que, bien (UNICEF) estimait l’an dernier qu’environ
L’agroalimentaire doit
ressources et en marchés. Mais il faudra plus
que des politiques axées sur le progrès tech-
nologique. L’amélioration de la productivité
primer en Afrique
signifie qu’il faut puiser dans les réserves
d’eau pour irriguer, stabiliser les prix tout
en supprimant les subventions inutiles,
se servir de semences qui augmentent les
Par Carlos Lopes rendements, améliorer les infrastructures
de transports de base, inciter les institu-
L
es performances économiques afri- et l’agro-industrie,) est un moteur de tions financières à investir dans l’agricul-
caines ces dix dernières années ont croissance à travers le monde, au Brésil ture familiale autant que dans l’agricul-
été remarquables, avec une crois- par exemple, ou encore en Chine. ture commerciale, et rendre le secteur de
sance moyenne de 5%. Si cette croissance L’agroalimentaire et l’agro-industrie l’agroalimentaire rentable et compétitif.
se maintient, les projections indiquent que représentent plus de 30% du revenu En s’inspirant des leçons de certains pays
le PIB du continent pourrait tripler d’ici national des pays africains et constituent asiatiques, de l’Argentine ou du Brésil,
2030 et multiplier par sept en 2050 pour l’essentiel des revenus d’exportation et de l’Afrique a les moyens de prendre en main
dépasser celui de l’Asie. Or pour l’instant, l’emploi. Un agroalimentaire performant son propre destin.
cette croissance ne s’est traduite ni par des représenterait une nouvelle frontière en En deuxième lieu, la croissance de la
créations d’emplois, ni par la réduction des termes de croissance, puisqu’elle génére- population africaine doit devenir un
inégalités.Au-delà de la croissance, le conti- rait presque instantanément de la valeur avantage. En 2050, la jeunesse africaine
nent doit se transformer. ajoutée grâce à une industrialisation représentera à elle seule un quart de la main
La production agricole est l’un des fondée sur les produits de base, exploitant d’œuvre mondiale. La classe moyenne du
secteurs les plus importants pour une les liens en amont et en aval de l’économie. continent est en plein essor et l’urbanisa-
majorité de pays africains. Environ 75% des Cette industrialisation permettrait aussi tion est actuellement de 3,7%, soit plus de
Africains dépendent de ce secteur comme de sortir un grand nombre d’habitants des deux fois supérieure à ce qu’elle est dans le
moyen d’existence. L’histoire a montré zones rurales de la pauvreté et de créer reste du monde. Compte tenu du rythme
combien l’agriculture (l’agroalimentaire des emplois. de leur évolution et de leur magnitude, ces
L’Agroalimentaire en
dation des sols et des pénuries en eau de
plusieurs pays, surtout en Asie. «La pénurie
en eau est devenue une contrainte majeure
Afrique : mythe ou
du fait de la concurrence des secteurs indus-
triels et d’une population urbaine en pleine
expansion», souligne la Banque mondiale.
Besoins d’infrastructure
Le rapport indique que, «l’infrastructure est
une priorité pour relancer l’agroalimentaire
à travers toute l’Afrique. Il s’agit de miser
avant tout sur l’irrigation, les routes et les
marchés». Ainsi en 2010, l’Afrique a, selon
la Banque mondiale, produit 1 300 kilo-
grammes de céréales par hectare de terre
Des travailleurs récoltent du thé sur une colline de la plantation de Mata. En tant que premier produit arable, la moitié seulement de la production
d’exportation du Rwanda, le thé joue un rôle crucial dans le processus de développement du pays. pour une surface comparable en Asie du
Panos/Tim Smith Sud. L’une des principales raisons de cette
faiblesse de la production réside dans le
L
’agroalimentaire en Afrique pèse en dépit de l’instabilité politique que faible taux de terres arables irriguées dans
actuellement quelque 313 milliards connaissent certains pays. les pays africains – 3% en moyenne, contre
de dollars et emploie 70% des 47% dans les pays asiatiques selon l’Orga-
personnes les plus pauvres du continent. Un Pas de solution miracle nisation des Nations unies pour l’alimenta-
triplement de la valeur du secteur créerait Il n’existe cependant pas de solution miracle tion et l’agriculture (FAO). À ceci s’ajoute le
des emplois supplémentaires et sortirait de capable de transformer un secteur agroali- manque de routes rurales qui limite l’accès
la pauvreté des millions de personnes ; les mentaire de 313 milliards en un mastodonte aux marchés des agriculteurs et accroît les
exportations agricoles africaines domine- de mille milliards de dollars. La Banque pertes après les récoltes.
raient le marché mondial et les agriculteurs adresse d’ailleurs cette mise en garde : S’il ne fait pas de doute que le secteur
du continent – qui ont subi de plein fouet chacun devra travailler dur, qu’il s’agisse agroalimentaire doit être mieux financé,
les conditions économiques difficiles de ces des gouvernements, du secteur privé ou des le rapport note que des améliorations ont
dernières années – pourraient envisager un agriculteurs eux-mêmes. Mais les facteurs récemment vu le jour. Mais en dépit de ces
nouveau départ grâce à leur compétitivité sont en place : ressources en eau inexploi- progrès, l’agriculture africaine ne s’appuie
nouvelle sur le marché mondial. tées et l’Afrique possède 50% du total des sur l’investissement direct étranger qu’à
Ce scénario n’est pas qu’un rêve : dans terres fertiles encore inutilisées au monde; hauteur de 7%, contre 78% pour l’Asie. Le
un rapport publié en mars 2013, la Banque soit pas moins de 450 millions d’hec- rapport souligne toutefois l’aspect positif
mondiale assure qu’une telle perspective tares. Le continent n’utilise que 2% de ses de l’augmentation du prix des matières
pourrait bientôt devenir réalité. Intitulé ressources hydriques renouvelables alors premières agricoles qui ne peut qu’attiser
Growing Africa: Unlocking the Potential que la moyenne mondiale oscille autour de «l’appétit des investisseurs, des sociétés
of Agribusiness, le document assure que 5%. L’intérêt grandissant du secteur privé de capital d’investissement, des fonds
l’agroalimentaire africain a les moyens de pour l’agroalimentaire en Afrique n’est que d’investissement et des fonds souve-
peser mille milliards de dollars d’ici 2030. la cerise sur cet énorme gâteau. rains pour l’agriculture et les marchés de
Une fois encore, un rapport met en lumière Signalons aussi qu’alors que les prix des l’agroalimentaire».
les perspectives positives pour le dévelop- matières premières agricoles augmentent L’Afrique, qui dispose pourtant de la
pement socio-économique du continent, du fait d’une demande croissante, l’offre est moitié des terres fertiles de la planète, ne
de femmes
techniques agricoles permettant de réaliser
des gains de productivité. «En tant qu’Afri-
caine », a-t-elle déclaré à Afrique Renouveau,
«Je reconnais qu’on associe davantage les
Les femmes sont au cœur des efforts déployés femmes à la préparation des aliments,
aux soins et à la famille, et je comprends
pour nourrir le continent combien il importe d’apporter aux familles
une alimentation appropriée et équilibrée.»
By Nirit Ben-Ari Mme Kamotho a récemment participé
à un atelier de formation sur la produc-
tion de légumes de serre, au Centre pour
le Développement agricole et la coopéra-
tion du Volcani Institute, en Israël. Elle y a
notamment acquis des connaissances sur
la production de semences et la culture de
jeunes plants de légumes. L’accent mis sur
les légumes dans le cadre de cette forma-
tion lui a paru nécessaire car dans les zones
rurales d’Afrique, les légumes complètent
les repas à base de maïs, de riz, de pomme de
terre, de manioc et d’igname, et constituent
une bonne source de protéine.
«Ce sont généralement les femmes qui
font les courses ou qui procurent à leurs
familles de quoi manger. Dans certains cas,
il s’agit d’aliments qu’elles font pousser dans
des potagers,» ajoute-elle. Mais les agri-
cultrices ne se contentent pas de labourer
le sol : elles assurent également la gestion
prudente de la production en décidant de ce
qu’il faut garder pour le ménage et de ce qu’il
faut vendre. «Quand une sécheresse ou une
crise économique frappe, les femmes sont
les plus touchées, car elles doivent trouver
des moyens de subvenir aux besoins de
Des ouvrières agricoles cueillant des poires dans la province du Cap-Occidental, en Afrique du Sud. leurs familles», explique Mme Kamotho.
Peter Titmuss/Alamy
Comparaison agriculteurs/
E
n Afrique subsaharienne, les femmes indique que «La contribution des femmes... agricultrices
produisent jusqu’à 80% des denrées est encore plus importante». La FAO ajoute Malgré le rôle et l’influence des femmes,
alimentaires destinées à la consomma- qu’on a l’impression que seules les femmes celles-ci continuent à bénéficier d’un
tion des ménages et à la vente sur les marchés s’occupent de produire ces cultures. En appui bien inférieur à celui des hommes.
locaux, selon un rapport de la Banque outre, ce sont elles qui cultivent et entre- Un rapport de la Banque mondiale indique
mondiale et de l’Organisation des Nations tiennent les jardins qui assurent le bien-être qu’au Nigéria, par exemple, alors que les
Unies pour l’alimentation et l’agriculture nutritionnel et économique indispensable. femmes représentent environ 60% à
(FAO). Dans le cas de cultures comme le riz, 80% de la main-d’œuvre agricole, ce sont
le blé et le maïs, qui représentent environ 90% Nourrir le continent généralement les hommes qui prennent
de la nourriture consommée par les habitants Toutefois elles continuent dans une large les décisions importantes concernant la
des zones rurales, ce sont essentiellement les mesure à jouer un rôle de second plan, gestion des exploitations. «De ce fait, les
femmes qui plantent les graines, s’occupent attirent très peu l’attention et ne reçoivent services de vulgarisation agricole du pays se
du désherbage, cultivent et récoltent les que très peu d’aide. Mais cette situation concentrent habituellement sur les hommes
produits agricoles et en vendent les excédents. est en train de changer parce qu’elles sont et leurs besoins en matière de production.»
Quant aux cultures secondaires (légu- à l’avant-garde des efforts visant à trans- Dans leur ouvrage intitulé Transforming
mineuses et légumes, par exemple) la FAO former le paysage agricole de l’Afrique. Gender Relations in Agriculture in
C
hoisies et formées pour tenir des la donne. Le programme AWARD est en bourse d’une durée pouvant aller jusqu’à
responsabilités et chercher à effet devenu un moyen de révéler chez les deux ans après quoi un mentor leur est
résoudre les problèmes dans leurs femmes africaines des aptitudes qui, bien attribué. Le mentorat est d’ailleurs l’un des
pays respectifs, les femmes africaines agro- que reconnues, sont rarement promues. principaux atouts du programme.
nomes doivent encore affronter un ennemi La popularité croissante du programme «Il n’est pas facile, de trouver un
: l’idée reçue qu’elles ne peuvent être pion- AWARD n’est pas un hasard. Selon l’Orga- mentor si vous ne faites pas partie de
nières en matière d’innovation. Même si nisation des Nations Unies pour l’alimen- ce programme», explique Elizabeth
ces spécialistes se battent pour obtenir les tation et l’agriculture (FAO), plus des deux Bandason, entomologiste au Bunda
chances d’ameliorer leurs carrières, elles tiers des Africaines sont employées dans College, à l’université du Malawi. «Ceci
sont persuadées d’être capables de renverser le secteur agricole et produisent près de permet, et c’est là un grand avantage, de
de vieux stéréotypes. 90% des denrées alimentaires sur le conti- revoir vos objectifs de carrière en fonction
Elles ne sont pas seules dans ce combat. nent. En outre, les recherches entreprises des conseils de votre mentor», ajoute-
Les Femmes Africaines dans la Recherche par le programme AWARD auprès de 125 t-elle. Grâce à la bourse qu’elle a reçue,
et le Développement Agricole (AWARD), organismes agricoles africains sur les Mme Bandason a suivi un stage de six
un programme de perfectionnement femmes dans l’agriculture ont révélé que mois au laboratoire Dow AgroSciences à
professionnel basé à Nairobi qui soutient bien que celles-ci produisent, transfor- Indianapolis aux États-Unis. C’est ainsi
les femmes agronomes à travers l’Afrique ment et assurent la vente de la majorité qu’elle a pu mettre au point, l’année
subsaharienne, est en train de modifier des cultures vivrières en Afrique, seul un dernière, des outils permettant de détecter,
L
’apparente multiplication d’achats de transparence ou ne sont pas réglemen- industrialisés (G8) en 2009 en Italie, le
fonciers en Afrique par des entre- tées; elles n’offrent aucune protection pour Japon avait appelé à la création d’un code de
prises et des gouvernements étran- l’environnement et n’assurent pas les petits conduite qui encadrerait de tels procédés.
gers destinés à des cultures vivrières, exploitants contre la perte de leurs droits Tout code de conduite sera difficile à
commerciales ou tournées vers l’exporta- coutumiers d’utilisation des terres, ajoute négocier et il sera encore plus difficile pour
tion, provoque des inquiétudes sur le conti- M. Adesina, l’actuel ministre de l’agricul- les pays industrialisés de l’appliquer à des
nent et au-delà. Le phénomène a fait les gros ture au Nigéria. transactions conclues principalement entre
titres de la presse: “Le deuxième partage de L’importance des surfaces, ainsi pays du Sud, a expliqué Oliver De Schutter,
l’Afrique”, “La quête de sécurité alimentaire acquises, a attisé les inquiétudes. Le projet rapporteur spécial de l’ONUsur le droit à
engendre de nouvelles formes de colonia- d’affermer 1,3 millions d’hectares à la l’alimentation, à Afrique Renouveau.
lisme”, “Sécurité alimentaire ou esclavage société sud-coréenne Daewoo fut un facteur Dans un rapport intitulé Acquisitions
économique ?”. déterminant dans la mobilisation menant et locations de terres à grande échelle, M.
Cette indignation s’explique par les à l’éviction du Président malgache Marc De Schutter indique que si de tels investis-
séquelles toujours présentes de l’histoire Ravalomanana en mars 2009. Au Kenya, sements apportent certaines perspectives
du continent où, jusqu’au siècle dernier les le gouvernement a tenté de surmonter l’op- de développement, ils représentent aussi
puissances coloniales et les colons s’em- position locale à la proposition de donner une menace pour la sécurité alimentaire et
paraient arbitrairement des terres afri- au Qatar ainsi qu’à d’autres pays le droit pour les droits fondamentaux de l’homme.
caines chassant les autochtones. “C’est d’exploiter quelque 40 000 hectares de “Les enjeux sont énormes”, confie-t-il à
une tendance inquiétante”, fait remarquer terres dans la vallée de la rivière Tana en Afrique Renouveau. Malheureusement,
Akinwumi Adesina, ancien vice-président échange de la construction d’un port en eau “les contrats conclus jusqu’à maintenant ne
du groupe de défense Alliance pour une profonde. présentent que des obligations très faibles
révolution verte en Afrique (AGRA). Ces La réaction d’un certain nombre d’or- pour les investisseurs.” Il a également noté
acquisitions étrangères, selon lui, pour- ganisations internationales fut rapide. que des accords concernant des milliers
raient entraver les efforts nationaux pour L’Organisation des Nations Unies pour d’hectares de terres arables ne font parfois
augmenter la production alimentaire et l’alimentation et l’agriculture (FAO) et la pas plus que trois ou quatre pages.
limiter la croissance économique globale. Banque mondiale ont entrepris des études Toutefois, pour les pays africains qui
Nombre de ces transactions ne s’ins- sur cette “ruée vers la terre”. Lors du signent de tels contrats, les bénéfices
crivent dans aucune stratégie, manquent Sommet du Groupe des huit pays les plus potentiels sont séduisants. En Afrique,
l’agriculture africaine»
plateforme, au niveau sous-régional par
exemple, qui permettrait de générer une
masse critique et cohérente. Les instituts de
recherche en Afrique pourraient ainsi plus
Pour Glenn Denning, le NEPAD trace la voie facilement accéder à l’expertise et aux tech-
nologies disponibles à travers le monde. La
à suivre pour un véritable développement de gestion durable des terres et des eaux dans
l’agriculture africaine un contexte de changement climatique doit
être un enjeu central pour les chercheurs.
En outre, les échanges intra-africains pour-
raient être améliorés par des initiatives
visant à moderniser les infrastructures
et à abaisser les barrières aux échanges
transfrontaliers. Le NEPAD devrait aussi
promouvoir et faciliter la constitution de
réserves stratégiques de céréales pour aider
à atténuer les conséquences des pénuries
alimentaires causées par les changements
climatiques et les conflits.
À une époque, où la
vitesse prime sur
tout et où la connectivité
en cas de disparition ou de
vol.
Cette technologie
sans fil est partout, la haute pourrait également permettre
technologie est désormais aux agriculteurs de maîtriser
au service des éleveurs dans les épidémies. Ebby Nanzala du
les zones rurales d’Afrique. New Agriculturalist, un magazine
Déjà utilisé pour le suivi des en ligne consacré à l’agriculture
animaux sauvages, le GPS tropicale, en explique le fonc-
(Global Positioning System ou tionnement: «Au moyen d’un
système mondial de localisa- marquage unique de l’animal [les
tion) permet à certains petits et éleveurs] peuvent eux-mêmes
grands exploitants, notamment gérer les données. Si une
au Kenya, au Bostwana et en épidémie se déclare, elle est plus
Afrique du Sud de mieux gérer facile à repérer et à endiguer. »
leur bétail. M. Nanzala ajoute que cette
Le suivi d’un animal s’ef- technologie, bien qu’onéreuse,
fectue après lui avoir fait avaler est cependant moins chère que
un «comprimé» qui permet la perte d’animaux par vol ou par
de le suivre, ou après lui avoir maladie. Il note que le soutien du
implanté une micropuce électro- gouvernement réduirait le coût de
nique ou encore par une tech- ce système de repérage par GPS, Grâce aux systèmes GPS, les éleveurs peuvent identifier avec précision
nique de marquage d’oreille. Une «qui peut être utilisé et réutilisé l’emplacement de leur bétail n’importe où. Creative Commons/Dohduhdah
fois que l’animal est équipé d’un pendant plus de trente ans.»
tel dispositif, la technologie GPS L’Organisation des Nations application GPS pour téléphone et les soins vétérinaires de leurs
permet de le localiser avec préci- Unies pour l’alimentation et l’agri- mobile qui rappelle aux éleveurs animaux et les tient informés en
sion et d’alerter ses propriétaires culture a parallèlement, créé une les calendriers de vaccination cas d’épidémie.
Quand les TIC attirent de d’une équipe suisse et d’une 5 millions d’agriculteurs, dont
«grands» investisseurs
équipe de soutien kényane. certains pratiquent l’agriculture
En outre, cette technologie de subsistance et d’autres l’agri-
n’est pas limitée à l’horticulture culture industrielle, constitue un
Par Geoffrey Kamadi et peut être utilisée pour tous foyer d’innovation technologique
types de cultures. pour la communauté agricole.
23% 18%
23% 21%
196
milliards 562mn
de $ 7% 9%
14% 14%
33% 38%
Sources: FAO, NEPAD
Key
L’Agroalimentaire en Afrique principal moteur de l’agriculture afri- deux tiers de la production mondiale de
mythe ou réalité? caine. cacao. L’eau et la terre existent en abon-
suite de la page 23 Il reste du chemin à faire mais dance et l’essor de l’investissement privé
plusieurs atouts sont déjà là. Le Ghana et et l’engagement politique sont des réalités
le Sénégal s’emploient à développer leur désormais incontournables qui offrent des
de développement agricole (FIDA), l’agence production rizicole; les 88 millions d’hec- raisons d’espérer une réelle renaissance
des Nations Unies chargée d’éradiquer la tares de terres disponibles en Zambie se du secteur. Pour la Banque mondiale, le
pauvreté dans les pays en développement, prêteraient bien à la culture du maïs; de secteur agroalimentaire est aussi crucial
a lancé un appel à l’innovation politique leur côté la Côte d’Ivoire, le Ghana et le pour l’Afrique «qu’essentiel pour la sécurité
dans le but de faire des technologies le Nigéria se partagent déjà à eux trois les alimentaire mondiale».
Mainmise sur les terres africaines? en aucun cas être autorisés à se substituer minières et pétrolières) comme exemple
suite de la page 29 aux obligations des états concernés en applicables aux transactions foncières à
matière de droits de l’homme”, soutient grande échelle.
M. De Schutter. M. De Schutter doute qu’il soit possible
collectif des terres communautaires afin de Des modèles pour ce type de contrat de négocier ou de faire appliquer un tel
protéger les droits fonciers “coutumiers”. idéal, soutenus par une législation nationale code. Il rappelle plutôt l’existence d’un code
M. De Schutter défend l’idée que les instru- adéquate et des principes d’application, ont international des droits de l’homme auquel
ments de défense des droits de l’homme été proposés. Mais, comme le fait remar- peuvent être soumises les transactions
établis au niveau international peuvent quer l’étude de l’IIED, établir des clauses foncières sur de grandes surfaces et qui peut
servir à protéger de tels droits, notamment contractuelles et les faire respecter sont être utilisé pour contraindre les gouverne-
ceux des éleveurs et des indigènes peuplant deux choses qui ne vont pas de pair. L’écart ments à remplir leurs obligations envers
les forêts. entre la législation théorique et la réalité du les citoyens. Les spécialistes s’accordent
L’étude de l’IIED affirme que la terrain peut avoir des conséquences graves sur le fait que les gouvernements africains
majeure partie des acquisitions récentes pour les communautés locales. doivent avoir la volonté et la capacité de
de terres à grande échelle en Afrique Un code de conduite pour les gouverne- faire respecter la loi. “Il est indispensable
passent par l’affermage des terres à des ments hôtes et les investisseurs étrangers de renforcer la capacité de négociation”,
entités étrangères souhaitant les faire pourrait contribuer à garantir que les opéra- insiste M. De Schutter. Et cette capacité
exploiter par des ouvriers agricoles. Elle tions foncières bénéficient aux investisseurs ne peut être seulement celle des gouverne-
recommande aux gouvernements d’in- comme aux communautés locales, suggère ments, ajoute-t-il. Les communautés locales
clure dans les contrats des clauses garan- l’IFPRI, citant l’Initiative pour la transpa- doivent avoir davantage de pouvoirs et les
tissant l’emploi d’une main-d’œuvre rence dans les industries extractives (qui parlements nationaux doivent être impli-
locale. “Les contrats d’affermage ou de soumet les états et les entreprises impli- qués. Une évolution qui, comme beaucoup
vente de terres de grande taille ne doivent qués à certaines normes pour les activités le craignent, pourrait s’avérer difficile .
E
Levang (Editions Quae, Versailles, France 2013,
n Afrique subsaharienne la popula-
102p .; broché 15,00€)
tion atteindra 1,7 milliard en moins
Pour Des Villes Plus Vertes En Afrique Food de 50 ans ; la population ouest-africaine
and Agriculture Organisation of the United Nations
(FAO, Rome, Italie 2013 ; 111p.; broché 27,66€) représentera à elle seule 35% du total. Les
besoins alimentaires et la dépendance
Qualité du cacao Michel Barel (Editions Quae,
Versailles, France 2013,104p ; broché 32,00€) aux ressources naturelles augmenteront.
Toutefois, le changement climatique
Politiques agricoles : suivi et évaluation
imposera des efforts supplémentaires dans
2013: Pays de l’Ocde et économies émer-
gentes: Organisation de Coopération et de la production alimentaire durable et la
Développement Economiques (Editions OCDE, sécurité alimentaire.
Paris, France 2013, 396p.; broché 68,40€) Selon le livre, West African Agriculture
Et si l’agriculture sauvait l’Afrique? Hervé and Climate Change: A Comprehensive
Bichat (Editions Quae, Versailles, France 2012, Analysis, édité par Abdulai Jalloh, Gerald
160p.; broché 15,20€)
C. Nelson, Timothy S. Thomas, Robert
La sécurisation alimentaire en Afrique : enjeux, Zougamoré et Harold Roy-Macauley, étant
controverses et modalités Sandrine Dury, Pierre donné que les pays d’Afrique subsaha-
Janin (Cahiers Agricultures, numéro spécial,
Agence Universitaire de la Francophonie, rienne dépendent principalement de l’agri-
Montréal, Canada 2012, 104p.; 27,00€) culture, le changement climatique pourrait nuiront aux rendements agricoles de 11
Agriculture et Securité (Kipre/Ngbo) avoir des conséquences dévastatrices sur pays ouest-africains, à savoir le Bénin, le
Alimentaire en Afrique de l’Ouest Pierre Kipré, ce secteur. «Le changement climatique, sur Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la
G-M Aké Ngbo, Collectif (L’Harmattan, Paris, le plan de la variabilité et des moyennes Guinée, le Libéria, le Niger, le Nigéria, le
France 2012, 304p.; broché 29,45€) climatiques à la fois, menace considéra- Sénégal, la Sierra Leone et le Togo, soit une
Cultures pérennes tropicales, Enjeux économ- blement les agriculteurs de la région… surface de 5 millions de km² environ.
iques et écologiques de la diversification [tout comme] il réduit les rendements, Cet ouvrage est le premier d’une
François Ruf, Götz Schroth (Editions Quae,
Versailles, France 2012, 312p; broché 50.00€) les revenus agricoles et le bien-être». Par trilogie consacrée à l’Afrique de l’Ouest,
conséquent, selong les auteurs, ces pays l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe. Avec
Intégration agriculture-élevage en Afrique
soudano-sahélienne: Proposition de modèles
ont identifié des stratégies à long et moyen 442 pages comprenant des graphiques et
pour la gestion intégrée et l’utilisation terme pour agir face à l’impact du chan- tableaux clairs et détaillés illustrant des
durable des terres, ... résidus de culture et gement climatique, comme souligné par la éléments-clefs, cette ressource informative
matières organiques Aimé Landry Dongmo Convention-cadre des Nations Unies sur et éducative complète, saura répondre
(Ed Universitaires Européennes, Sarrebruck,
Allemagne 2011 ; 252p., broché 75,05€) les changements climatiques. aux attentes de ceux qui s’intéressent aux
Publié en décembre 2013, le livre conséquences du changement climatique
Maîtrise de l’espace et développement en
explique, avec force détails, comment les sur l’agriculture dans la sous-région. .
Afrique. Etat des lieux John O.Igue, Kengne
Fodouop et Jérôme Aloko- N’Guessan (Khartala, conditions météorologiques extrêmes — Pavithra Rao
Paris, France 2010, 348p. ; broché, 26,60€)