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CHAPITRE 12

BERNARD PALISSY

1. Introduction

Nous avons jusqu'à présent examiné la situation et les caractéristiques du


concept de semence dans les trois courants philosophiques majeurs du sei-
zième siècle: le ficinien, l'aristotélicien et le paracelsien. D'après les études de
nos précurseurs, il y a des protagonistes du concept qui ne se placent pas faci-
lement dans ces trois écoles. Si nous lisons soigneusement leurs textes, nous
pouvons constater une graduelle pénétration des idées paracelsiennes et séve-
riniennes qui s'amalgameront au fil du temps avec celles de l'alchimie tradi-
tionnelle. Ainsi nous intitulons la quatrième partie de la présente étude
" speculum chymicum " où la philosophie chymique joue un rôle considérable
pour l'évolution du concept de semence. Nous allons observer avec ce "miroir
chymique " les reflets de la fortuna du concept dans les sciences minérales au
seuil de la Révolution scientifique.
Le premier personnage chronologiquement remarquable parmi ces protago-
nistes est sans doute Bernard Palissy (v. 1510-1590), maître potier français 1.
Ce huguenot, converti vers 1546, nous a laissé deux ouvrages importants dont
le premier est intitulé Recepte veritable (La Rochelle, 1563) et l'autre Discours
admirables (Paris, 1580). Ils sont écrits sous forme de dialogue entre deux
personnages : Demande et Réponse dans le premier et Théorique et Practique
dans le deuxième. Réponse et Practique expriment dans chaque ouvrage la
pensée de Palissy. Nous allons examiner ce qu'il a vraiment enseigné concer-
nant les semences des choses naturelles.

1. Sur sa vie et son œuvre, voir DSB, 10 (1974), 280-281 ; E. et E. Haag, La France protestante,
t. 8, Paris, 1858 (réimpr. Genève, 1966), 69-97 ; L. Audiat, Bernard Palissy .' étude sur sa vie et
ses travaux, Paris, 1868; E. Dupuy, Bernard Palissy .' l'homme, l'artiste, le savant, l'écrivain,
Paris, 1894. Plus récemment, voir F. Lestringant (éd.), Bernard Palissy, 1510-1590 .' l'écrivain, le
réformé, le céramiste, Mont-de-Marsan, 1992, qui contient une bibliographie précieuse sur les étu-
des palisséennes.
328 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 329

Palissy est né près d'Agen. Selon ce qu'il déclare dans ses écrits, il n'a pas en analyser les sources possibles dans le contexte historique7 . Dès lors, c'est
su lire le latin parce qu'il n'a pas reçu une éducation formelle. Mais il a peut- ce que nous nous proposons de réaliser dans le présent chapitre.
être largement lu des livres et des brochures destinées aux praticiens artisans,
écrits en français. Suivant la coutume des apprentis de son temps, il a beaucoup
2. Le concept de sel générateur et le paracelsisme
voyagé en France. Depuis 1566 ou 1567, il s'est trouvé à Paris au service de
Catherine de Médicis (1519-1589), reine mère. Il nous semble qu'il a acquis Palissy parle de la théorie traditionnelle des alchimistes plutôt favorable-
dans la capitale une notoriété en y organisant des cours privés sur 1'histoire ment et sans grande méfiance dans sa Recepte veritable 8• Pour la formation des
naturelle en 1575. C'est probablement à travers ces cours qu'il a rencontré des métaux, il est d'accord avec les alchimistes traditionnels sur leur principe dou-
savants parisiens, entre autres, Ambroise Paré (1517-1590). Il a survécu au ble, soufre et argent vif. Cependant comme les Paracelsiens, il sent la nécessité
massacre de la saint Barthélemy (1572) bien qu'il soit toujours resté fidèle à d'y ajouter quelque espèce de sel. Il dit: " C'est une regle bien accordee entre
sa foi réformée. Il a été emprisonné à la Bastille de 1588 et ce jusqu'à sa mort. les Philosophes, que les metaux sont engendrez de souphre et d'argent vif, ce
que je leur accorde: ce néantmoins, il y a quelque espece de sel, qui aide à la
Au dix-neuvième siècle, les spécialistes de Palissy dont P.-A. Cap, l'un des congelation ,,9.
premiers éditeurs de son œuvre complète, ont considéré que son influence avait Selon Palissy, ce troisième principe est un agent supérieur au soufre et à
été assez limitée. Mais depuis le début du dernier siècle, quelques historiens l'argent vif. Le sel existe partout dans le monde et sa variété est infinie. Il
ont évoqué l'impact de sa pensée sur la philosophie empirique de Francis réside dans tous les corps naturels. Ce principe suprême est responsable de la
Bacon (1561-1626)2. Quant à P. Duhem, il a cru trouver chez le potier français congélation, la conservation, la solidification et la génération. Le sel relie les
la réminiscence des idées de Léonard de Vinci (1452-1519), transmises via la parties de matières et réalise leur cohésion. Il cause la végétation, la perfection
traduction française (1557) du De subtilitate de Cardan 3. Dès lors, les histo- et la maturation. C'est vraiment l'agent clé pour presque tous les éhangements
riens se sont efforcés d'évaluer la signification historique de Palissy dans les dans la Nature. Bien sûr, le sel existe à l'intérieur du corps des métaux et des
sciences de la Renaissancé. Aujourd'hui, il se place relativement bien dans minéraux. Chez Palissy, ces corps souterrains sont formés par l'action du sel
qui fait le "principal" de la congélationlO • Nous remarquons que ces proprié-
l'histoire des sciences de la Terre où sa pensée géologique ne cesse pas d'être
tés caractéristiques du sel palisséen semblent en partie très proches de celles
étudiée5 . L'histoire de la chimie lui accorde aussi un espace non négligeable, de la quintessence ou de l'élixir de la théorie traditionnelle de l'alchimie
probablement en raison de son empirisme précoce6. En ce qui concerne l'his- médiévale tardive. Cependant pour le moment, nous soulignons simplement ce
toire du concept de semence, seul D.R. Oldroyd a traité de Palissy mais sans point et nous y reviendrons plus tard.
Face à cette théorie du sel générateur, principe spécial, nous devons d'abord
2. Cf. A.B. Hanschmann, Bernard Palissy und Francis Bacon: Bernard Palissy der Künstler,
NatUiforscher und Schriftsteller ais Vata der induktiven Wissenschaftmethode des Bacon von discuter de l'influence possible du paracelsisme sur elle. Bien que Palissy n'ait
Vaulam, Leipzig, 1903; T.C. A11butt, "Palissy, Bacon, and the R~vival of Natural Science", pas mentionné le nom de Paracelse dans la Recepte veritable, il est possible
Proceedings of the British Academy, 6 (1913-1914), 233-247 ; B. Farnngton, Franczs Bacon, New qu'il ait connu quelques aspects de ses doctrines. Mais le problème des sources
York, 1949, 13-15 ; P. Rossi, Francis Bacon, trad. angl. (éd. orig. 1957), London, 1968,8 et n. 30.
3. P. Duhem, Études sur Léonard de Vinci, l. 1, Paris, 1906,245-253. et du degré de ses connaissances paracelsiennes lors de ce premier ouvrage est
4. Voir L. Thomdike, A History of Magic and Experimental Science, l. 5, New York, 1941, encore aujourd'hui une question tout à fait ouverte. Par exemple, suivant
441-442 et 596-599; G. Sarton, Six Wings: Men of Science in the Renaissance, Bloomington, A. France qui n'était pas un historien, P. Rossi a considéré sans fondement
1957, 164-171.
5. Cf. P. Brunet, "Les premiers linéaments de la science géologique: Agricola, Palissy,
solide que Palissy avait lu des brochures sur les idées paracelsiennes l1 . Quant
George Owen ", Revue d' histoire des sciences, 3 (1950), 67-79; H.R. Thompson, "The Geo-
graphical and Geological Observations of Bernard Palissy the Potter", Annals of SCIence, 10 7. D.R.Oldroyd, "Some Neo-Platonic and Stoic Influences on Mineralogy in the Sixteenth
(1954), 149-165; M.-M. Michel, Bernard Palissy, hydrologue et géologue, thèse de doctorat, and Seventeenth Centuries ", Ambix, 21 (1974), 128-156, ici 136-137.
Univ. de Bordeaux, 1951 ; A. La Rocque, "Bernard Palissy", in C.J. Schneer (éd.), Toward a Hzs-
8. Voir comme texte l'édition critique de M.-M. Fragonard et al. (éds), Bernard Palissy,
tory of Geology, Cambridge (MA), 1969, 226-241 ; A.K. Biswas, History of Hydrology, Amster-
Œuvres complètes, Mont-de-Marsan, 1996 (2 vols) ; A. France (éd.), Bernard Palissy, Œuvres,
dam, 1970, 149-155; R. Halleux, "La littérature géologique française de 1500 à 1650 dans s?n
Paris, 1880 (réimpr. Genève, 1969).
contexte européen", Revue d'histoire des sciences, 35 (1982), 111-130; G. Gohau, L!nehlstozre
de la géologie, 2° éd. (éd. orig. 1987), Paris, 1990,41-43 et 70-71 ; F. Ellenberger, Hzstozre de la 9. Recepte veritable (Fragonard, l. 1, 118-119 = France, 71).
géologie, t. 1, Paris, 1988, 131-148. 10. Recepte veritable (Fragonard, l. 1, 97 = France, 53).
6. Voir J.R. Partington, A History ofChemistly, l. 2, London, 1961,69-77; R.P. Multhauf, The 11. P. Rossi, Francis Bacon, op. cit., 8. Cf. W. Kirsop, "The Legend of Bernard Palisssy ",
Origins of Chemistry, London, 1966,259-261. Ambix, 9 (1961), 136-154, ici 147-149.
330 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 331

à A.G. Debus, spécialiste du paracelsisme, il est allé beaucoup plus loin en bles vertus de l'or-potable (Lyon et Paris, 1575) du paracelsien Alexandre de
cherchant les aspects similaires des doctrines de Paracelse et du potier français. La Tourrette. Comme E. Dupuy l'a déjà remarqué, Palissy critique l'écrit de La
Et il a qualifié ce dernier de "Paracelsien ,,12. Or, il est vrai que la publication Tourrette dans ses Discours admirables l8 . Or, dans la préface de ce dernier
de la Recepte veritable a coïncidé avec le commencement de la diffusion du ouvrage, le potier français avoue qu'il a en vain cherché la vérité cachée pen-
paracelsisme en France. Comme nous l'avons dit dans les chapitres sur Séverin dant plus de quarante ans dans la littérature alchimique. Si nous prenons à la
et Du Chesne, après le " renouveau paracelsien " activé aux alentours de 1560, lettre cette déclaration, il a commencé sa recherche alchimique vers la fin des
la philosophie chymique de Paracelse a considérablement attiré l'attention non années 1530. C'est dans cette longue quête qu'il aurait pu être en contact avec
seulement des Allemands mais aussi des Français. Le nombre grandissant de les idées paracelsiennes. Mais sa relation éventuelle avec Gohory ou les pro-
publications relatives à ce mouvement des années 1560 atteste cet intérêt inter- ches de celui-ci avant la publication de la Recepte veritable n'a pas encore été
national fiévreux 13 . Selon H. Trevor-Roper, outre les livres, les idées paracel- exploitée par les historiens.
siennes ont probablement été introduites en France par les médecins (protes-
tants) qui circulaient en particulier par les voies de la guerre ou de la cour. La Outre le paracelsisme, nous pouvons évoquer l'impact de ses expériences
cour de Catherine de Médicis que servait Palissy était l'un des premiers centres personnelles pour la genèse de sa théorie du sel générateur. Palissy a travaillé
paracelsiens français l4 . Il est alors possible de supposer qu'il a acquis des con- en Saintonge dans l'industrie du sel marin. De plus, il reconnaissait l'impor-
naissances sur les doctrines du médecin suisse par cette voie. Mais ce propos tance indéniable des sels pour son art céramique. Mais à ce propos, par exem-
ple, le travail de R.P. Multhauf sur l'histoire de l'industrie du sel marin nous
doit néanmoins être relativisé, compte tenu de la récente étude détaillée de D.
aide peu l9 . Cette piste nous pose beaucoup de difficultés surtout au niveau de
Kahn sur le paracelsisme français car le cercle de la reine mère ne se montre
pas aussi important dans le mouvement paracelsienl5 . Par contre, l'académie la documentation. Nous nous demandons également dans quelle mesure les
privée de Jacques Gohory (1520-1576) était active en matière de paracel- pratiques ont nourri l'aspect spéculatif de la théorie palisséenne.
sisme l6 . Il a publié deux ouvrages importants pour la première introduction
paracelsienne en France dont l'un est écrit, sous le pseudonyme de Leo Sua-
vius en latin savant, Theophrasti Paracelsi philosophiae et medicinae utriusque 3. Les semences dans le pan-vitalisme de la Terre
universae Compendium (Paris, 1567) et l'autre, signé par L.S.S. et composé en
vernaculaire, Discours responsif à celui d'Alexandre de la Tourrete sur les Nous remarquons dans la Recepte veritable que Palissy est fort influencé par
secrets de l'art chymique & confection de l'Or-potable... (Paris, 1575)17. Ce des idées pan-vitalistes telles que les ont avancées Ficin et Cardan de même
deuxième traité est une réfutation dirigée contre le Bref Discours des admira- que les alchimistes médiévaux tardifs. Nous avons observé que les Néoplato-
niciens et les Paracelsiens ont souvent considéré que l'Univers était animé
12. A.G. Debus, "Palissy, Plat and English Agricultural Chemistry in the 16 th and 17th comme un être vivant. Il n'est donc pas étonnant d'entendre le potier français
Centuries ", Archives internationales d' histoire des sciences, 21 (1968), 67-88; The Chemical assurer que la Terre conçoit et engendre journellement toutes les espèces de
Philosophy, New York, 1977,89, 154 et 411-419.
13. Voir K. Sudhoff, Bibliographia paracelsica, Berlin, 1894 (réimpr. Graz, 1956),60-365. minéraux et de terres argileuses. Il dit: " Or faut yci noter, que tout ainsi que
14. Voir H. Trevor-Roper, "The Paracelsian Movement", Renaissance Essays, London, 1985, l'exterieur de la terre se travaille pour enfanter quelque chose; pareillement le
149-199, ici 167; "Paracelsianism Made Political, 1600-1650", in a.p. Grell (éd.), Paracelsus, dedans et matrice de la terre se travaille aussi à produire... ,,20.
Leyde, 1998, 191-133, ici 120-128. Cf aussi P. Béhar, Les langues occultes de la Renaissance,
Paris, 1996, 63-89. Sur le paracelsisme en France, voir H. Guerlac, "Guy de La Brosse and the
French Paraselcians", in A.G. Debus (éd.), Science, Medicine and Society in the Renaissance, t. 1, 18. E. Dupuy, Bernard Palissy..., op. cit., 139-148. Cf J. Céard, "Bernard Palissy et
New York, 1972, 177-199; H. Trevor-Roper, "The Sieur de La Rivière, Paracelsian Physician of l'alchimie", op. cit., 156. Sur de La Tourrette, voir D. Kalm, "Le paracelsisme de Jacques
Henry IV", in A.G. Debus (éd.), Science, Medicine and Society in the Renaissance, t. 2, op. cit., Gohory", op. cit., 96-105 et 129-130; A.G. Debus, The French Paracelsians, op. cit., 30-31.
227-250; A.G. Debus, The French Paracelsians, Cambridge, 1991 ; B. Joly, "L'ambiguïté des 19. R.P. Multhauf, Neptune's Gif!: A History ofCommon Salt, Baltimore, 1978, 10, 23-24 et
Paracelsiens face à la médecine galénique", in A. Debru (éd.), Galen on Pharmacology : Philos- 127. Cf R.P. Multhauf, The Origins ofChemistry, op. cit., 328-348. Sur le sel dans la philosophie
ophy, History and Medicine, Leyde, 1997,301-322. chymique, voir K.W.F. Ahonen, Johann Rudolph Glauber, thèse de doctorat, Univ. de Michigan,
15. Voir D. Kalm, Paracelsisme et alchimie en France à lafin de la Renaissance (1567-1625), 1972,84-117; B. Joly, La rationalité de l'alchimie au XVIf siècle, Paris, 1992,280-281. Il man-
thèse de doctorat, Univ. de Paris IV, 1998. Il est dommage qu'il n'ait pas traité davantage du que une monographie à ce sujet.
" problème palisséen ". 20. Recepte veritable (Fragonard, t. 1, 91 = France, 48). Cf notre ch. Cardan, § 5 ; D.R.
16. Sur Gohory, voir notre ch. Séverin, § 8-3. Sur sa relation possible avec Palissy, voir Oldroyd, " Sorne Neo-Platonic and Stoic Influences ... ", op. cit., 136-137 ; A. Daubré, " La géné-
W. Kirsop, "The Legend of Bernard Palisssy", op. cit., 147-149 et 153; J. Céard, "Bernard ration des minéraux métalliques dans la pratique des mineurs du Moyen Âge", Journal des
Palissy et l'alchimie", in F. Lestringant (éd.), Bernard Palissy..., op. cit., 155-166, ici 156 et 160- savants, 1890, 379-392 et 441-452, ici 382-383; G. Bachelard, La Terre et les rêveries de la
161. volonté, Paris, 1948,93,247,255,263 et 265 ; M. Eliade, Forgerons et alchimistes, Paris, 1956,
17. Voir D. Kalm," Le paracelsisme de Jacques Gohory", Aries, 19 (1995), 81-130. 47 et 49.
332 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 333

Palissy affirme naturellement que ces corps souterrains se forment et aug- que je ne sache bien que l'or & l'argent & tous autres metaux sont une euvre
mentent sans cesse, même après la première Création du monde. Pour lui divine, & que c'est temerairement entrepris contre la gloire de Dieu, de vouloir
comme pour Cardan, il n'y a aucune différence entre les plantes et les métaux usurper sur ce qui est de son estat. Or tout ce qui est donné à l'homme de pou-
sur le fait qu'ils vivent. Ces corps sont donc tous végétatifs. Mais à la diffé- voir faire envers les metaux, c'est d'en tirer les excrements, & les purifier, &
rence du philosophe milanais ou des alchimistes médiévaux, il affirme que le examiner, & en former telles especes de vaisseaux ou monnoyes que bon luy
sel est nécessaire pour leur végétation. Quoiqu'il ne considère pas que les semblera... ,,22.
métaux possèdent une âme, il va plus loin dans les Discours admirables. Par Par rapport à la puissance absolue de Dieu le Créateur, l'homme est misé-
Practique qui exprime ses propres idées, il compare les métaux avec les fruits rablement inapte à fabriquer nouvellement quelque chose. Cet acte est unique-
végétaux qui possèdent l'âme végétative et qui proviennent des semences pro- ment réservé à Dieu. Ce qui est permis aux hommes" est chose semblable aux
pres à chaque espèce. Théorique, représentant de l'opinion généralement cueillettes et cultivement des semences ,,23. Il s'agit en fait de l'image des agri-
répandue, voire aristotélicienne, conteste celui-ci puisqu'il croit, en revanche, culteurs, image qui reflète celle des hommes pieux de l'église évangélique.
que les métaux sont des corps morts. Palissy répond par Practique: " ...car Cependant il nous faudrait rappeler aussi que cette image des "semeurs
tout ainsi que je t'ay dit que les semences ou matieres de toutes choses vege- pieux" est partagée par les alchimistes médiévaux tardifs qui, d'ailleurs, con-
tatives, estoyent crées des le commencement du monde avec la terre : Aussi sidéraient que l'homme ne sait pas " créer" les semences mais seulement les
t'ay je dit que toutes les matieres minerales (que tu appelles cors mors) furent trouver, les semer et recueillir ce qu'il a semé. Cette idée de " semeurs pieux"
aussi crées comme les vegetatives, se travaillent à produire semences pour en a été accentuée par le courant joachimiste24. Sur ce point, malgré qu'il critique
engendrer d'autres. Aussi les minerales ne sont pas tellement mortes qu'elles les grands adeptes comme Geber et Arnaud, Palissy nous semble suivre le
n'enfantent & produisent de degré en degré choses plus excellentes, & pour mode d'argumentation assez commun aux alchimistes médiévaux.
mieux te le faire entendre, les matieres minerales sont entremeslées & incon- En tout cas, bien qu'il réfute les chymistes, Practique adopte leur terme
nues parroy les eaux, en la matrice de la terre, ainsi que toute humaine creature " semence". Théorique lui en demande la raison. En décrivant les travaux des
& brutale est engendrée souz espece d'eau en sa formation ... ,,21. chymistes, Palissy explique par Practique leur usage du terme " semence" :
Palissy considère que les minéraux et les métaux, en tant que choses végé- " .. .ils disent que tout en cas pareil que le laboureur attend patiemment le
tatives et créées par Dieu, se reproduisent et vivent d'une manière insensible. temps & saison de la cueillette, apres avoir semé: aussi faut qu'ils attendent,
Ses convictions reflètent sans doute l'idée de Cardan. En tout cas, une telle & que cela se peut faire qu'avec la generation qu'ils ont conclud faire dedans
vision des choses est le point de départ indispensable pour le concept de leurs vaisseaux, qu'ils ont destinez à besongner & servir comme une matrice à
semence. Il ne faut pas séparer les trois règnes de la Nature mais les concevoir la generation des metaux. Et cela disent ils a esté bien consideré & preveu par
sous la loi uniforme puisqu'ils constituent une grande échelle des êtres qui a les philosophes antiques : car tout ainsi que l'on jette la semence du bled pour
été fixée par Dieu dès la première Création. Or, nous remarquons que le potier causer l'augmentation en sa seconde generation... ils mettent lesdites choses
français ne parle pratiquement pas de semences, excepté de celles des plantes en un feu fort lent, voulant imiter la matrice de la femme ou de la beste:
dans la Recepte veritable. Dix-sept ans plus tard, comme nous venons de le sachant bien que la generation se fait par une lente chaleur... telles gens ne
voir, il introduit explicitement dans les Discours admirables le concept de dorment gueres & ont beaucoup de pensées en leurs poitrines, & tourments
semence pour les corps souterrains. À ce propos, la partie la plus importante d'esprit, languissans apres le temps de la visitation de la couvée. Voilà l'un des
pour nous serait le Traité des metaux et alchimie. Nous allons l'examiner en points par lequel je preuve que les Alchimistes usent de ce mot de semence et
détail. autres termes ,,25.
Dans ce traité, Palissy explique d'abord la vanité des alchimistes. Après la Il est naturel de supposer que Palissy ait acquis plus d'expériences et de
défense des alchimistes par Théorique, Palissy dit par Pratique: "Et vray connaissances que seize ans auparavant. Par conséquent, son attitude à l'égard
Dieu ! és tu encores si ignorant de croire cela ? cuides tu que les hommes du de l'alchimie a changé. Elle n'est plus la même. Il se montre surtout plus
temps passé n'eussent en eux quelque mensonge pour sçavoir attirer l'argent
par falace, aussi bien que ceux du jourd'huy ? ... Cuides tu que je vueille croire 22. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 105-106 = France, 235).
un Gebert, un Arnauld de Vileneufve ou un Romant de la Rose, en ce qu'ils 23. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 106 = France, 235).
24. Sur le joachimisme dans l'alchimie médiévale, voir A. Calvel, " Alchimie el joachimisme
auront parlé contre les euvres de Dieu ? Et cuides tu que je sois si mal instruit dans les alchimica pseudo-arna1diens ", in J.-C. Margolin el S. Matton (éds), Alchimie et philoso-
phie, Paris, 1993, 92-107.
21. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 124 = France, 249). 25. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 106-108 = France, 236-237).
334 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 335

dédaigneux et méfiant des" convoiteurs ". Selon lui, les alchimistes essayent les métaux naissent donc tous les jours de leurs semences divines comme les
de produire les métaux par le feu qui n'est que le destructeu?6. C'est pourquoi animaux et les plantes réalisent quotidiennement leur reproduction. Mais
il les conteste avec ferveur. En fait, les semences des métaux sont, pour lui, si l'homme ne peut pas savoir concrètement comment une semence métallique
divines que les hommes ne peuvent pas les trouver par l'œuvre manuelle. Les s'épanouit parce que c'est une œuvre divine qui se réalise invisiblement.
hommes ne peuvent pas non plus produire les métaux. Il ne leur reste qu'à L'homme n'a jamais été autorisé à la comprendre. Il dit: " Je t'ay donné seu-
" les recueillir, purifier et examiner, fondre et mallier, pour les mettre en telle lement cest exemple, afin qu'il ne te prenne jamais envie de chercher genera-
forme que bon leur semblera, pour leur service ,,27. Nous remarquons cepen- tion, augmentation ny congelation des metaux : parce aussi que c'est une euvre
dant que les alchimistes médiévaux, eux-mêmes en tant qu'élite savante, qui se fait par le commandement de Dieu, invisiblement & par une nature si
s'écartaient des" vulgaires fraudeurs ". De même, la limitation de la capacité tresocculte qu'il ne fut jamais donné à l'homme de le connoistre ,,30.
humaine et l'obéissance à la Nature sont comprises dans la rhétorique habi-
tuelle des alchimistes savants. À ce propos, nous retrouvons une idée très similaire chez Lazare Ercker
(1528/30-1594), inspecteur des mines de l'empereur Rodolphe II. En écrivant
sous l'influence d'Agricola son célèbre ouvrage métallurgique, publié à Prague
4. L'origine des semences en 1574 et puis à Francfort en 1580, il n'a cependant exposé aucune théorie
sur la formation minérale31 . Chez Ercker, cette limitation est soutenue par une
Chez Palissy, les semences des métaux sont avant tout divines. Elles pro- forte motivation religieuse. Il dit: "Sur la génération des minerais et des
viennent directement de Dieu. Ce qui est plus important pour nous, c'est que métaux de laquelle les philosophes naturels ont écrit et discuté abondamment,
ces semences sont, pour lui, les" matières" elles-mêmes des métaux. Il existe je dois la laisser de côté ainsi que les idées et les opinions des mineurs, excepté
ainsi de telles semences dans le monde. Mais pourquoi n'aperçoit-on pas leur ce qui est important. Non seulement leurs pensées et fantaisies ne sont pas
existence? C'est parce qu'elles sont si divines que Dieu les a rendues invisi- prouvées et souvent loin de la vérité mais elles ne peuvent pas se réconcilier
bles. Palissy dit par Practique : "Tu as beaucoup mieux dit que tu ne pensois, l'une avec l'autre. Au lieu de cela, je dois croire modestement que Dieu le
que les matiere des metaux sont semences divines. Je di tellement divines Créateur tout puissant a voulu la laisser comme le secret de son omnipotence
qu'elles sont inconnues aux hommes: voire invisibles ... ,,28. Lors de la Créa- et que l'or, l'argent et tous les métaux sont créés comme les fils de Dieu par le
tion originelle, Dieu a jeté les semences des métaux dans la Terre. Bien Verbe éternel dans lequel le Ciel, la Terre et tout ce qu'il embrasse ont leur ori-
entendu, cette première Création est celle de la Genèse. Dieu a créé les semen- gine et par lequel ils sont conservés jusqu'aujourd'hui, se multiplient et sont
ces des métaux en même temps que les eaux et la Terre. Palissy dit : " Il faut maintenant mis et dévoilés à la lumière brillante du jour pour sa grande gloire
donc que tu tiennes pour chose certaine que toutes les eaux qui sont au monde et révélation. Pour ce magnifique don, chacun de nous devrait remercier le Sei-
qui ont esté & seront, furent toutes crées en un mesme jour, & si ainsi est des gneur avec tout son cœur et devrait diriger en conséquence ses efforts et con-
eaux, je te di que les semences des metaux & de tous mineraux & de toutes naissances pour utiliser n'importe quels bénéfices possibles du travail des
pierres ont esté crées aussi en un mesme jour. .. ,,29. ressources minérales pour la louange du Seigneur et pour le profit, secours et
avantage de ses voisins. Dieu le tout puissant va alors bénir telle entreprise et
Nous remarquons que le troisième jour de la Création (Genèse, l, 9-13) est la fera croître et prospérer en raison du bien de l'âme du propriétaire ,,32.
important pour l'origine des semences chez le potier français. Pour lui, Dieu le
souverain Créateur est parfait et aucune de ses créatures n'est imparfaite ni Quant à la forme de la semence, nous remarquons que, chez Palissy, bien
oisive. Dieu a commandé aux créatures de travailler, de produire, de consom- qu'elle soit invisible, elle possède une nature liquide comme la semence des
mer et de dissiper journellement et sans cesse. Après cette Création originelle,
30. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 120 = France, 246).
26. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 112 = France, 240). Sur le statut du feu à la Renais- 31. Ercker, Beschreibung alleifürnemisten mineralischen Ertzt, 2e éd. Francfort, 1580. Nous
sance, voir A.G. Debus, " Fire Analysis and the Elements in the Sixteenth and the Seventeenth avons utilisé comme texte la trad. d'A.G. Sisco et C.S. Smith, Lazarus Ercker' s Treatise on Ores
Centuries ", Annals of Science, 23 (1967), 127-147; R. Love, " Sorne Sources of Herman Boer- and Assaying, Chicago, 1951. Sur Ercker, voir DSB, 4 (1971), 393-394; E.V. Armstrong et
haave's Concept of Fire ", Ambix, 19 (1972), 157-174. Pour le prolongement, voir B. Joly, "La H.S. Lukens, " Lazarus Ercker and his Probierbuch, Sir John Pettus and his Fleta Minor ", Journal
question de la nature du feu dans la chimie de la première moitié du xvrne siècle ", Corpus, 36 of Chemical Education, 16 (1939), 553-562; C.S. Smith et R.J. Forbes, "Metallurgy and
(1999),41-63. Assaying ", in C. Singer et al. (éds), A History of Technology, t. 3, Oxford, 1957, 27-71, ici 28,
27. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 108 = France, 237). 34, 37 et 50 ; J.R. Partington, A History of Chemistry, t. 2, op. cit., 104-107; L. Kubâtovâ et al.,
Lazarus Ercker : Probierer, Berg- und Münzmeister in Sachsen, Braunschweig und Bohmen, Stu-
28. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 108 = France, 237). ttgart, 1994.
29. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 109 = France, 238). 32. Ercker, Beschreibung, Conclusion, 135r-v (Sisco et Smith, 315).
336 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 337

animaux plutôt que celle des plantes qui est souvent protégée par des écorces philosophes ayent conclud que l'or est fait de souphre & argent vif, je main-
solides. Malgré son origine divine et son invisibilité, nous comprenons que, tiens que le souphre que nous voyons, ne se sçauroit mesler avec les matieres
depuis le début, la notion palisséenne de la semence s'inscrit dans une orien- minerales ou semences d'icelles. Bien confesserai-je que parmy les eaux il y a
tation tout à fait matérialiste. Car elle est la matière elle-même des métaux, quelque genre d'huile, lequel estant meslé avec l'eau & le sel mineraI, ayde à
étant conçue comme la cause matérielle des Scolastiques. Là, il n'y a aucune la generation des metaux, & les metaux estans parvenuz en leur perfaite decoc-
tendance spirituelle. En effet, comme nous le remarquons facilement, dans son tion, 1'huile est lors congelée parmy le metal, & prend le nom de souphre ,,35.
système de la Nature, il n'y a guère de rôle à jouer pour le spiritus tel que le Notons que l'identification du soufre à une certaine huile spéciale est une
conçoivent les Néoplatoniciens ou les Paracelsiens. Dans peu d'endroits où chose courante chez les alchimistes comme nous l'avons vu chez Agricola et
nous trouvons son utilisation du terme" esprit", nous comprenons qu'ill'uti- Cardan. Palissy adopte volontairement cette idée. Selon lui, lorsque 1'huile
lise plutôt dans un sens traditionnel de l'alchimie médiévale. Par exemple, il natale des métaux est congelée en métal, elle prend le nom de soufre. Cepen-
dit: " Je n'en sçaurois dire autre chose sinon que le sel est un corps fixe, pal- dant il insiste sur son rôle secondaire. Cette congélation de 1'huile en métal est
pable, & conneu en son particulier, conservateur & generateur de toutes cho- faite, bien entendu, par l'action du sel générateur. Ici, son intention est de mon-
ses, & en autruy, comme és bois & en toutes especes de plantes & mineraux. trer que cette huile est aidée par le principe suprême. D'ailleurs, il ne s'inté-
C'est un corps inconneu et invisible, comme un esprit, & toutesfois tenant lieu, resse pas à identifier cette huile matériellement. Il dit simplement que " ce ne
& soustenant la chose en laquelle il est enclos ,,33. Son " esprit" est proche du POUVOIt. estre qu ,une huile Inconnue...
. ,,36 . A'msr,
. nous voyons que, chez Pa-
sel générateur. Palissy dit encore: " [Les alchimistes] appellent" espris " tou- lissy, c'est encore le sel qui est responsable de la formation des choses. Le sou-
tes matieres exalatiques, et singulierement le vif argent qui est une eau qui fre n'est que l'excrément dont la substance originale a servi à la génération des
s'exale comme l'eau commune, quand elle est pressée du feu ... ,,34. Comme métaux. C'est après leur génération que les métaux engendrent cet excrément
nous l'avons observé jusqu'à présent, la doctrine du spiritus mundi, d'une inutile, identifié au soufre37 . À notre avis, cette idée reflète sans dçlUte la théo-
manière ficinienne, se répandait largement à la deuxième moitié du seizième rie geberienne du " mercure seul " selon laquelle le soufre est conçu comme
siècle. D'après cette doctrine, on concevait le spiritus comme une substance une matière externe et inutile. Nous comprenons donc que Palissy dépend lar-
qui fait l'intermédiaire en même temps entre le corps et l'âme en l'homme gement des idées alchimiques en adoptant le terme" semence". Bien que la
(microcosme) et entre le Créateur (ou l'âme du monde) et le monde (macro- semence palisséenne ne s'identifie pas au soufre alchimique, son sel générateur
cosme). Ce double lien est appelé "corps astral" résidant dans le corps en elle joue le rôle du soufre principie!.
humain chez Ficin, Fernel, Paracelse, Séverin ou Crol!. C'est une substance à
la fois spirituelle et corporelle. Mais nous ne voyons pas que la semence palis- Un autre point important de la théorie de Palissy est la fixité de l'espèce des
séenne est véhiculée par une substance qui relie Dieu et les hommes comme le choses naturelles. Chaque génération dès la Création peut toujours conserver
spiritus ficinien ou paracelsien. De plus, Palissy ne nous semble guère inté- la forme et la qualité individuelle ou la quiddité de l'espèce. Chaque objet a sa
semence spécifique. Celle-ci est le véhicule de l'individualité des choses. Elle
ressé à insérer une certaine substance spirituelle ni à l'intérieur ni à l'extérieur
assure la fixité de l'espèce comme chez les Néoplatoniciens et les Paracelsiens.
de la semence. Il n'y a donc aucun agent démiurgique et spirituel, quasi per-
Cette fixité est due au divin plan qui existait dans l'intelligence de Dieu avant
sonnifié en tant que" ouvrier", pour la semence comme l'archée des Paracel-
la Création et que Dieu a réalisé lors de la Création. Dans la mesure où la
siens. D'ailleurs, elle n'est pas identique à la raison séminale ou au séminaire
semence garde le caractère de son espèce, 1'" évolution " qui dépasse la limite
que Ficin a conçus en s'inspirant de Plotin et que Fernel et Séverin ont accep-
des espèces ne peut se faire. Pour cette raison, la transmutation des métaux est
tés de Ficin.
impossible pour Palissy.
Pour la formation des métaux, Palissy ne conçoit pas le soufre comme prin-
cipe suivant l'idée traditionnelle du double principe, soufre et mercure, des
alchimistes médiévaux ou la théorie paracelsienne des tria prima. Pour lui, le
soufre n'est pas du tout principiel mais plutôt un produit. Dans un passage, il
affirme clairement qu'il voit le soufre comme étant dérivé d'une sorte d'huile
qui est mélangée avec l'eau et le sel minéral. Il dit: "Et combien que tous les
35. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 130-131 = France, 255-256).
33. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 199 = France, 305). 36. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 133 = France, 257).
34. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 149 = France, 271). 37. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 132 = France, 257).

,
LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE
BERNARD PALISSY 339
338

5. L'eau et les semences quons que cette solution est finalement très proche de celle de Paracelse. C'est
toujours à partir d'une eau spéciale que les métaux naissent. Nous comprenons
Palissy identifie en même temps la matière des métaux à la semence et à que le " cinquième élément" palisséen qui équivaut à l'origine de toutes cho-
l'eau. Mais celle-ci n'est pas une eau commune. Selon lui, les métaux sont ses naturelles n'est rien d'autre que la substance de la semence liquide et invi-
engendrés" de l'eau salée" ou plutôt" d'un sel dissout ,,38. TI y a donc deux sible des métaux. Nous nous rappelons très bien que chez Cardan, l'humeur
sortes d'eau. L'une est" exalative ", c'est-à-dire l'eau commune, et l'autre est grasse qui reçoit la chaleur astrale et qui fertilise le sol, est une matière indis-
" essencive, congelative et generative ,,39. Pour Palissy, celle-ci est le commen- pensable pour la génération de toutes choses naturelles y compris les métaux
cement et l'origine de toutes choses naturelles. Mais puisque les deux eaux et les minéraux. Par contre, Palissy ne distingue pas en particulier l'humeur
sont tout à fait entremêlées et possèdent la même couleur, il est impossible de aqueuse de l'humeur grasse comme Cardan. TI affirme simplement que, pour
distinguer l'une de l'autre par les yeux corporels des hommes. Nous remar- que le sel commence à travailler, il faut l'humidité, puisque" jamais ne se peut
quons qu'une telle idée de l'eau spéciale est un développement naturel de son faire de generation sans qu'il y ait une humeur eschaufée par putrefaction ,43.
propre concept de sel générateur exposé dans la Recepte veritable. Ce qui est Nous remarquons que c'est la réminiscence d'une ancienne doctrine selon
important pour nous, c'est que Palissy appelle cette deuxième sorte d'eau laquelle la putréfaction de la semence est nécessaire pour la génération. Par
générative" cinquième élément". TI s'agit de la quintessence alchimique plutôt exemple, dans la littérature alchimique en français, nous retrouvons déjà cette
que de l'aether céleste d'Aristote. TI nous faut noter qu'à cette époque, il y a idée dans Lafontaine des amoureux de science, composée en 1413 par Jean de
eu en France une large diffusion de l'idée alchimique de la quintessence par la La Fontaine (1381-ap. 1413) et publiée à plusieurs reprises (Paris, v. 1506;
traduction française de Jean de Rupescissa, La vertu et propriété de la quinte v. 1521 ; v. 1527; 1561 ; Lyon, 1547; 1571) à l'époque de Palissy. Le traité
essence de toutes choses (Lyon, 1549) et de Philippe Ulstade, Le Ciel des phi- (ps.-)paracelsien De natura rerum exposait aussi une idée similaire44 .
losophes (Paris, 1546 et 1550)40. Cependant si le sel palisséen est l'adaptation Pour la génération des choses naturelles, la chaleur céleste est aussi impor-
de la quintessence alchimique, l'identification de la divine semence à cette eau tante à discuter que l'humeur grasse. Avant tout, elle est traditionnellement
spéciale impose une conséquence tout à fait remarquable. Car la divine quin- conçue comme un agent capital pour la génération des animaux chez les Aris-
tessence séminale doit déterminer la spécificité de toutes choses dans leur for- totéliciens. Nous avons vu chez Fernel, Cardan et Séverin qu'Aristote lui-
mation. Pouvons-nous trouver un tel développement du concept alchimique de même avait dit que la matière des semences contenaient une substance chaude
semence en dehors du paracelsisme ? analogue à l'élément stellairé5. C'est notamment Cardan qui a attribué à la
Palissy enseigne que cette eau générative, qui réside aussi dans la semence chaleur céleste un rôle irréversible. Mais à la différence du philosophe mila-
humaine et animale, joue un grand rôle. Selon lui, toutes choses végétatives ne nais, Palissy n'admet pas l'influence des astres sur le monde sublunaire. La rai-
41 son qu'il nous donne est toute simple. Comme il le confesse, c'est parce qu'il
peuvent pas végéter sans l'action du sel qui est dans la semence . Comme
nous venons de le voir, les métaux et les minéraux sont aussi conçus comme n'avait" point estudié en l'astrologie pour contempler les astres ,46. Cepen-
des choses végétatives. Pareillement, les matières se relient et se congèlent dant il est difficile de juger par ces mots si le potier français utilise cette con-
sous forme de métaux par la vertu de cette semence liquide mélangée avec les fession comme simple excuse ou si ce refus est basé sur sa conviction théo-
eaux communes. De là, Palissy aboutit à la conclusion suivante: "toutes rique. Nous avons pourtant une clé pour répondre à cette question. Non seule-
matieres metalliques sont aqueuses et se forment dedans l'eau ,42. Donc, il ment Palissy exclut les influences sidérales mais il refuse aussi d'attribuer" le
n'est pas étonnant qu'il y ait toujours plein d'eau dans les mines. Nous remar- total de la force végétative" à la chaleur externe. Car, selon lui, le sel est inté-
rieurement chaud et aide à la génération47 . Outre le sel générateur quintessen-
38. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 112 = France, 240).
39. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 143 = France, 266). 43. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 199 = France, 305).
40. Voir E.R. Atkinson et A.H. Hughes, "The Coelum philosophorum of Philipp Ulstad ", 44. Voir Jean de La Fontaine, La fontaine des amoureux de science.' poème hermétique du xv"
Journal of Chemical Education, 16 (1939), 103-107; L. Thorndike, A History of Magic and siècle, Milan, 1974, 41 ; D. Kahn, "Recherches sur la tradition imprimée de La Fontaine des
Experimental Science, t. 5, op. cit., 541-542; J.R. Partington, A History ofChemistry, t. 2, op. cit., amoureux de science de Jean de La Fontaine (1413) ", Chlysopœia, 5 (1992-1996), 323-385. Voir
84-86; R. Halleux, " Les ouvrages alchimiques de Jean de Rupeseissa ", Histoire littéraire de la aussi (ps.-)paracelse, De natura rerum, 1 (Sudhoff, t. Il, 312-320) ; nos ch. Cardan, § 2 et Para-
France, 41 (1981), 241-277, iei 268-269 et 275 ; M.M. Fontaine, "Banalisation de l'alchimie à celse, § 4-8.
Lyon au milieu du XVIe siècle et contre-attaque parisienne ", in A. Possenti et G. Mastrangelo 45. Aristote, De la génération des animaux, II, 3, 736 b-737 a. Cf nos ch. Fernel, § 3, Cardan,
(éds), Il Rinascimento a Lione, t. l, Rome, 1988, 261-322, ici 265; S. Colnort-Bodet, Le code § 3 et Séverin, § 3-1.
alchimique dévoilé, Paris, 1989, 187-190. Cf notre ch. Fiein, § 5.
46. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 222 = France, 321).
41. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 144 = France, 267).
47. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 325 = France, 403).
42. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 138 = France, 261).
340 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 341

cié, la cause externe comme agent efficient n'est pas nécessaire car son sel est semence de Paracelse52 . Nous pouvons dire la même chose dans le cas
en même temps la cause matérielle, formelle et efficiente. d'Alexandre de La Tourrette. L'étude sur le paracelsisme français de D. Kahn
ne nous révèle d'ailleurs pas la réponse.

6. Les pierres Parmi les premiers partisans français de la pharmacologie chymique, Loys
de Launay, médecin de La Rochelle, ville où Palissy s'est installé une fois
En ce qui concerne les pierres, bien que Palissy admette leur semence, il avant d'aller à Paris, a publié le De la faculté et vertu admirable de l'Anti-
propose un autre mode de formation que celui des métaux. Il nie non seule- moine (La Rochelle, 1564). Jacques Grévin l'a attaqué par la publication de
ment l'âme végétative mais aussi la nature végétative pour les pierres. Il son Discours sur les vertus et facultez de l'Antimoine (Paris, 1566). De Launay
exprime donc une attitude nuancée envers les idées pan-vitalistes qui forment a répondu par la Response au discours de maistre Jacques Grévin (La Ro-
le fondement de son système de la Naturé8 . Selon lui, les pierres augmentent chelle, 1566). Puis, Grévin a derechef attaqué celui-ci par le Second discours
dans les matrices de la Terre par une addition congélative de la matière pier- sur les vertus et facultez de l'Antimoine (Paris, 1567). Cette guerre de l'anti-
reuse. En l'occurrence, il préfère l'augmentation par la juxtapositio des parties moine est souvent considérée comme une étape importante de l'introduction
externes à la croissance par l'intussusceptio telle qu'elle se fait pour la crois- du paracelsisme en France. Mais il nous faudrait noter que, quoique de Launay
sance des êtres vivants. Il ne s'agit que de la doctrine scolastique des deux expose la théorie de la métallogénie, il le fait, suivant Mattiole, en tant que
modes d'agrandissement des choses naturelles dont nous avons parlé chez Car- galéniste éclectique et non paracelsien. Il n'expose pas le concept paracelsien
dan. De plus, Palissy avoue qu'il croyait autrefois que les eaux communes se de semence53 . La situation n'a pas été améliorée dans le cas de la Brève
réduisent en pierre par " quelque vertu congélative ,.49. Comme nous l'avons réponse à J. Aubert de Du Chesne (Lyon [Genève], 1575). Les matériaux leur
observé chez Césalpin, une telle idée se retrouve dans la tradition aristotéli- manquent.
cienne. Cependant chez Palissy, c'est l'eau générative du sel qui est responsa-
ble de l'augmentation congélative des pierres. Il dit que la semence congélative Quant à Roch Le Baillif (v. 1540-1598), il a publié le célèbre Demosterion
est d'une nature" salsitive". Cette semence n'est rien d'autre qu'un sel qui (Rennes, 1578), puis, pendant son procès à Paris, la Sommaire Defence (Paris,
n'est " jamais oisif ,,50. juillet 1579), ensuite le Premier traicté de l'Homme (Paris, janvier 1580) et
enfin le Traicté du remède à la peste (Paris, juin 1580)54. Il est à noter que,
selon D. Kahn, Palissy a accueilli comme auditeur à son cours (1575) un Nico-
7. La source du concept palisséen dans la chymie française? las Bergeron (?-v. 1584/87). Cet homme que le potier français estime" homme
docte et expert aux mathématiques" devait posséder un exemplaire de la Som-
Si le grand poète français Pierre de Ronsard a chanté les semences de la maire Defence 55 . Il est aussi possible de supposer que Palissy connaissait le
51
Nature, il avait pour source l'œuvre de son idole Marolle et celle de Ficin . fameux procès (1579) de Le Baillif qui a attiré une foule exceptionnelle et qui
Quant à Palissy, devons-nous chercher la source de son concept de semence a provoqué par la suite une bataille de pamphlets. Malgré sa valeur en tant que
chez les Paracelsiens français? Si c'est le cas, nous devons d'abord compter première somme systématique du paracelsisme en France, surtout par l'intro-
les deux ouvrages de Gohory que nous avons cité précédemment. Bien qu'il se duction de la doctrine des tria prima, le Demosterion ne contient pas de dis-
soit intéressé au paracelsisme relativement tôt, voire depuis le début des années
1550, et qu'il lui ait consacré dès lors une longue étude, il ne disposait sans 52. Sur les traités paracelsiens que Gohory a connus, voir surtout G. Zanier, " Platonic Trends
doute pas assez de matériaux afin d'apercevoir l'importance du concept de in Renaissance Medicine", Journal of the History of ldeas, 48 (1987), 509-519, ici 516 n. 24.
53. Voir A.G. Debus, The French Paracelsians, op. cit., 21-26; B. Joly, "L'ambiguïté des
Paracelsiens ... ", op. cit., 305-314 ; D. Kahn, Paracelsisme et alchimie en France..., op. cit., 129-
48. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 219 = France, 319). 133.
49. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 222-224 = France, 321) : " ... & [j']ay esté l'espace 54. Voir H. Trevor-Roper, "The Sieur de La Rivière... ", op. cit. ; A.G. Debus, The French
de dix ans en opinion que les eaux communes se reduisoyent en pierre par quelque vertu congela- Paracelsians, op. cit., 38-40; H. Baudry, Contribution à l'étude du paracelsisme en France au
tive... je me suis mis à penser qui pouroit estre la cause de ce... [par la congelation du salpestre], xvI' siècle (1560-1580) de la naissance du mouvement aux années de maturité: le Demosterion
j'ay conneu que l'eau qui se congele en pierres, ou metaux n'est pas eau commune ... Mais à pre- de Roch Le Baillif (1578), thèse de doctorat, Univ. de Paris-x, 1989; D. Kahn, "La Faculté de
sent, je te di que ce n'est pas l'eau commune, ains une eau de sel, laquelle tu ne sçaurois distinguer médecine de Paris en échec face au paracelsisme : enjeux et dénouement réels du procès de Roch
d'avec la commune... ". Cf notre ch. Césalpin, § 4. Le Baillif", in H. SchOll et 1. Zinguer (éds), Parace/sus und seine internationale Rezeption in der
50. Discours admirables (Fragonard, t. 2, 227 = France, 326). jrühen Neuzeit, Leyde, 1998, 146-221.
51. A-M. Schmidt, La poésie scientifique en France au seizième siècle, Paris, 1938, 100-130. 55. D. Kahn, "La Faculté de médecine de Paris ... ", op. cit., 175 n. 96.
342 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 343

cussion sur le concept de semence. Dans cette situation, la piste paracelsienne voyons aucun développement remarquable qui nous amène à l'identification de
semble quelque peu étouffée pour que nous la poursuivions. la semence à la quintessence ou à l'application de la cosmogonie biblique
Ne nous faut-il pas rappeler qu'il y a eu en France une vogue de publication comme le fait Palissy.
de la littérature alchimique en vernaculaire depuis le milieu du siècle? Palissy
n'a-t-il pas basé son concept de semence sur des idées exposées dans cette lit- Si Zecaire ne parle pas de la semence, nous trouvons une utilisation fré-
térature qu'il a avidement scrutée en l'espace de plus de quarante ans? Ce quente du thème de la semence des métaux dans le Livre du ps.-Bernard le Tré-
mouvement de publication alchimique a été stimulé par la traduction française visan. Il est à noter que R. Hooykaas a étudié une théorie attribuée à Bernard
du Chrysopée d'Augurel (en prose, Lyon, 1548; en vers, Paris, 1550)56. Puis, d'après son Vom gebenedeiten Stein der Weissen (De la Pierre philosophale
57 glorifiante). Selon lui, la théorie bernardienne touche manifestement la cosmo-
nous comptons le Sommaire philosophique, attribué à Nicolas Flame1 . Il a
été publié dans un recueil alchimique De la transformation metallique, trois gonie biblique. Nous résumons son propos: "Selon Bernard, Dieu a créé la
anciens tractez en rithme Françoise (Paris, 1561) avec la Fontaine des amou- "matière chaotique" d'où sont extraits les quatre éléments. Dieu a fait les
reux de science de Jean de La Fontaine et les Remontrances de Nature de Jean semences à partir de ces éléments. La Nature est donc reliée à ces semences.
Perréal (composés en 1516) dont nous avons discuté dans le cadre du cercle de Elles sont les matières premières. La materia prima de l'homme est le sperme
Ficin58 . Ensuite, le célèbre Livre de la philosophie naturelle des métaux, attri- de 1'homme et de la femme. Celles des métaux sont le soufre et le mercure. La
bué à Bernard le Trévisan, a été publié à Anvers en 1567 avec l'Opuscule tres- Nature engendre uniquement les métaux à partir de leurs semences. Les hom-
eccelent du Maistre D. Zecaire, mieux connu comme Denis Zachaire59 . Parmi mes ne peuvent pas aller au-delà de la frontière que Dieu a établie. Ils perfec-
ces ouvrages alchimiques en français, comme nous venons de le dire, la Fon- tionnent les deux principes en les unissant ,,(JI.
taine des amoureux de science était populaire étant donné qu'elle a été publiée
à plusieurs reprises. Mais nous ne trouvons pas de développement significatif L'historien hollandais n'a pas précisé sa source. Selon l'étude cie L. Thorn-
concernant les concepts de sel, de semence et de quintessence dans ce poème dike, Bernard était originaire de Trèves en Allemagne et contemporain de Tho-
médiéval. Quant au Sommaire philosophique ps.-fiamelien, il est aussi une pro- mas de Bologne (fi. milieu du XIVe s.)62. Parmi les traités attribués à ce nom,
duction médiévale60 . Sa métallogénie admet l'idée traditionnelle de la double la Réponse à Thomas de Bologne peut être authentique63 . Sa doctrine alchimi-
semence, masculine (soufre) et féminine (mercure). Ces deux semences com- que semble devoir beaucoup à la théorie geberienne du "mercure seul ". Quant
posées des quatre éléments proviennent du mercure primordial. Par l'union de au Livre du ps.-Bernard, il a eu un vaste succès au seizième siècle d'après le
ces deux semences, divers métaux naissent à partir du plomb selon leur degré nombre d'éditions en plusieurs langues. Il a d'abord été traduit en latin par
de maturation. L'auteur admet aussi la théorie geberienne du "mercure seul ". Guillaume Gratarolo sous le titre du Peri chemeias, opus historicum et dogma-
Ce mercure est conçu comme le réceptacle des deux semences. Mais nous n'y ticum (Strasbourg, 1567) et réédité par le paracelsien Gérard Dom comme De
chymico miraculo (Bâle, 1583)64. Michel Toxites l'a traduit en allemand sous
56. Sur les alchimica Gallica. voir R. Halleux. "L'alchimie ". in D. Poirion (éd.), Grundriss le titre du Von der hermetischenn Philosophia das ist vom Gebenedeiten Stain
der romanischen literaturen des Mittelalters, t. 8-1, Heidelberg. 1988, 336-345; F. Secret.
e
" Situation de la littérature alchimique en Europe à la fm du XVIe et au début du xvn siècle". der Weisen (Strasbourg, 1574). Ainsi, le traité qu'a analysé R. Hooykaas est
XVII' siècle, 30 (1978), 135-144 ; W. Kirsop. "L'exégèse alchimique des textes littéraires à la fin sans doute une variante de la traduction allemande. Par l'investigation critique
du XVIe siècle ", XVII' siècle. 30 (1978), 145-156; D. Kahn. Paracelsisme et alchimie en France...•
op. cit. ; F. Greiner. Les métamOlphoses d'Hermès: tradition alchimique et esthétique littéraire
des manuscrits, D. Kahn a affirmé l'origine française du Livre en mettant sa
dans la France de l'âge baroque (1583-1646), Paris. 2000.
57. Sur Flamel, voir R. Halleux. "Le mythe de Nicolas Flamel ou les mécanismes de la pseu- 61. R. Hooykaas, The Concept of Element, trad. angl. (thèse de doctorat. Univ. d'Utrecht,
dépigraphie alchimique ", Archives internationales d' histoire des ~ciences, 33 (1983). 234-255 ; 1933), s. 1.. 1983,49.
D. Kalm, "Postface: Nicolas Flamel alchimiste? ". in N. Flamel, Ecrits alchimiques. Pans, 1993, 62. Cf DSB. 2 (1970). 22-23 ; L. Thorndike, A History ofMagic and Experimental Science. t. 3.
99-116; C. Gagnon. Nicolas Flamel sous investigation. Québec, 1994. 611-627 et t. 5, op. cit.• 622-623 ; D. Lesourde et M. Préaud, " La Branchette: texte alchimique
58. Voir notre ch. Cercle de Ficin. Appendice. du XIVe siècle attribué à Bernard de Trèves. édité et transposé. d'après le manuscrit de la Biblio-
59. Sur Zecaire. voir R. Crouvizier, Édition critique de l'Opuscule de Maistre D. Zecaire, thèque de l'Arsenal ", Anagrom, 2 (1973). 5-30.
mémoire de maîtrise. Univ. de Tours, 1990; "L'authenticité de l'Opuscule attribué à Maistre 63. Ad Thomam de Bononia... responsio, publiée pour la première fois à Paris en 1564 par
D. Zecaire ". in D. Kalm et S. Matton (éds), Alchimie: art. histoire et mythes. Plllis, 1995. 469- Robert Duval et reprise dans J.-J. Manget (éd.). Bibliotheca chemica, t. 2. 399-409.
484; D. Zecaire, Opuscule tres-eccelent de la vraye philosophie naturelle des metaulx. Paris, 64. Pour la trad. latine. voir L. Zetzner (éd.), Theatrum chemicum, t. 1.683-709; J.-J. Manget
1999. (éd.). Bibliotheca chemica. t. 2, 388-399. Cf L. Thorndike, A History of Magic and Experimental
60. R. Halleux." Le mythe de Nicolas Flamel. .. ". op. cit.• 244, confmne la datation avant la Science. t. 3, op. cit., 619 n. 29-30 et 621-623; R. Zaunick, Der siichsische Parace/sist Georg For-
diffusion du corpus lullien. berger, Wiesbaden, 1977.57-67.
344 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 345

date de composition à la fin du quinzième siècle, compte tenu de la datation du affirme que la Nature a créé d'elle-même les" natures spermatiques" qui
manuscrit le plus ancien existant (daté de 1516)65. s'appellent autrement" matières spermatiques ". L'art accomplit leurs conjonc-
tions " suivant la fin et l'intention spermatique naturelle ,,70. Il nous faudrait
Le Livre du ps.-Bemard se divise en quatre parties66 . Dans la préface,
l'auteur prétend que l'alchimie peut guérir toutes les maladies corporelles et remarquer que c'est la Nature qui crée les spermes des choses à partir des qua-
spirituelles. Il cite comme autorités Hermès, Hortulain, la· Tourbe, Rasès, tre éléments. Il y a aussi dans l'art alchimique les deux" matières sperma-
tiques" qui proviennent d'une seule racine, substance et essence. Celle-ci est
Arnaud, Lulle, Geber, Thomas et le Grand Rosaire. La deuxième partie con-
appelée" substance mercurielle, visqueuse et sèche, qui ne se joint à chose qui
tient la fameuse autobiographie romanesque du long voyage à la recherche de
la vérité cachée telle que Palissy l'a volontairement adoptée67 . Quant au côté soit en ce monde, hors du corps ,,71. Cette racine unique est la matière primor-
doctrinal, l'auteur identifie la matière première de l'homme au sperme mascu- diale. Dans ces deux spermes, il y a aussi les quatre qualités élémentaires
lin et au féminin. L'union de ces deux spermes est considérée comme veritable (chaud, froid, sec et humide) puisqu'ils sont faits des quatre éléments. Le mer-
matière première sur laquelle la Nature imprime la forme de l'enfant. Cette cure mûr (sperme masculin), actif, enferme le chaud et le sec qui sont le feu et
l'air tandis que le mercure cru et imparfait (sperme féminin), passif, possède
matière première possède la capacité de recevoir une seule forme spécifique
le froid et l'humide qui sont la terre et l'eau.
puisque chaque chose a sa propre voie de développement. Le ps.-Bemard
affirme que le mercure et le soufre sont produits des quatre éléments et qu'ils Dans la troisième partie, le ps.-Bemard affirme par inspiration biblique que
méritent le nom de matière première des métaux plutôt que les quatre élé- Dieu a créé au commencement une " matière confuse et non ordonnée" qui
ments. Dans son développement de la théorie de la matière première, il intro- était pleine de diverses matières. Dieu en a tiré les quatre éléments desquels il
duit le concept de semence. Il dit d'abord: "Chacune chose a sa principale a façonné toutes les créatures. Le ps.-Bemard divise ces créatures en quatre
semence, de quoi elle se fait et se multiplie d'elle-même, et non pas autre- groupes : les intelligibles, les sensibles, les végétaux et les minéraux. Pour lui,
ment ,,68. Il place alors cette idée pan-spermatique dans le contexte de la cos- les minéraux sont faits de terre et d'eau. Au lieu d'imiter la reprodl,lction natu-
mogonie chrétienne, c'est-à-dire de la Création biblique. Il dit: "Car en la relle quasi biologique, il affirme qu'il faut les convertir en matière première.
Création de l'homme, Dieu fit l'homme et puis la femme, et leur dit : "Faites Les minéraux se font uniquement du mercure" froid et moite crud ". La cha-
de vos substances semblables à vous ". Puis dit des autres qu'il avait faites: leur causée du mouvement céleste, imperceptible, pénètre au fond de la Terre.
" Apporte chacune son fruit, et se multiplie, et fasse son semblable ". Car si Elle" cuit, décocte et digère" cette matière et augmente le sec intemen .
d'une chose eût pu tout être fait, Dieu n'eût pas tant fait de choses; mais il en D'après le degré de ce sec du mercure qui vainc l'humidité, chaque métal se
a fait de chacune sorte, afin que chacun fit son semblable... Ainsi donc, tu vois forme selon son degré de maturation. Le chaud et le sec, qui se réveillent dans
clairement que chacune chose requiert son semblable, pour être faite et le mercure, méritent le nom de " soufre ". Ce soufre n'est pas une chose qui se
engendrée: Car ainsi a créé Dieu les racines des créatures diverses, afin que sépare ou apparaît du mercure mais signifie l'union du chaud et du sec. Il s'agit
chacune multipliât sa substance ,,69. du feu pur73 • Le soufr~ latent réside donc dans le mercure. Le ps.-Bemard
Le ps.-Bemard compare à la "racine" la matière première identifiée à la s'appuie ici sur la Summa perfectionis du ps.-Geber. La forme métallique est
semence (sperme). Il sauvegarde le statut privilégié de ces semences puisqu'il créée par la Nature de cette pure substance mercurielle.
réfute l'idée selon laquelle l'art fait les spermes sans la Nature. Pour lui, celle- Ainsi, malgré la connexion explicite de la Création originelle avec les
ci possède une puissance causale, principale et donc supérieure à l'art. Il semences des choses de la Nature, la discussion du ps.-Bemard reste dans la
voie traditionnelle de l'alchimie médiévale tardive. Le concept palisséen est
65. Voir D. Kahn, "Bernard le Trévisan", Encyclopédie philosophique universelle, ID-I beaucoup plus original au niveau de la christianisation et de l'identification de
(1992),431-432; "Littérature et alchimie au Moyen Âge: de quelques textes alchimiques attri- la semence à la quintessence. À cet égard, il est tentant de rapprocher Palissy
bués à Arthur et Merlin", Micrologus, 3 (1995), 227-262, ici 255 n. 5; "Recherche sur le Livre
attribué au prétendu Bernard le Trévisan (fin du xv e siècle) ", Micrologus, à paraître. Je remercie des Néoplatoniciens, notamment de Feme!. Mais la conquête matérielle de la
D. Kahn d'avoir bien voulu me montrer son manuscrit. semence quintessenciée à l'instar du " sel dissout" ou " eau salsive " semble
66. Faute d'édition critique, nous avons utilisé comme texte: Œuvre chymique de Bernard Le mal se dégager du système femelien. C'est une démarche alchimique, sinon
Trévisan, Paris, 1976.
67. Voir J. Céard, "Bernard Palissy et l'alchimie", op. cit., 165-166. C'est un topos préféré de
70. Livre, II (Œuvre chymique, 34)
l'alchimie de la Renaissance comme il se retrouve chez Zecaire. Cf R. Halleux, "Le mythe de
Nicolas Flamel. .. ", op. cit., 250. 71. Livre, II (Œuvre chymique, 39).
68. Livre, II (Œuvre chymique, 28). n. Livre, ID (Œuvre chymique, 44).
69. Livre, II (Œuvre chymique, 28-29). 73. Livre, ID (Œuvre chymique, 48).
346 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 347

une originalité de la part du potier français. Pour la réponse définitive, il nous mand en 1599 et puis traduite en latin en 1618 par le célèbre Michel Maier75 .
manque encore des études d'historiens. Il s'agit du premier écrit attribué au mystérieux moine bénédictin Basile Valen-
tin. Il est aujourd'hui unanimement connu que cette figure mythique est une
fiction de la fin du seizième siècle76 . L'auteur semble l'éditeur même du pre-
8. La dernière évaluation mier corpus basilien, J. ThOlde, chymiste proche du cercle de Maurice le
savant de Hesse-Cassel77 .
Le concept palisséen de semence nous montre quelques points significatifs.
D'abord, les semences des minéraux et des métaux sont d'origine divine et ont Dans le De la grande Pierre des Anciens, Basile explique d'abord la géné-
été semées par Dieu le Créateur lors de la première Création du monde. C'est ration de la Pierre des philosophes par l'analogie biologique. Selon lui, afin
ce qui se rapproche des enseignements de Paracelse. Mais contrairement à ce d'obtenir cette Pierre, il faut prendre sa propre semence. Elle provient" de
dernier, pour Palissy, la semence est complètement matérielle. Elle est avant deux et d'une chose qui gardent une troisième cachée" tout comme les
tout l'origine matérielle des métaux, des minéraux et des pierres de même que Anciens ont compris l'homme et la femme comme un dans l'œuvre de la
celle des plantes et des animaux. En réalité, elle est une" eau salée" mélangée Nature puisqu'ils peuvent se perpétuer par l'union de leurs spermes. La
avec les eaux ordinaires. Il l'appelle autrement" cinquième élément", quintes- semence (sperme) de la Pierre peut être enrichie de la même manière. Elle pro-
sence qui incarne le principe vivifiant et conservant. Elle est liquide et douée vient de la racine métallique que Dieu a créée au début du monde et par
d'une force congélative et végétative. Le sel générateur tel qu'il l'a initiale- laquelle les métaux sont destinés à se produire78 . D'ici, la conception tradition-
ment formulé dans sa Recepte veritable prend la forme liquide dans les Dis- nelle de la semence des métaux est impliquée dans le contexte biblique et cos-
cours admirables. Mais il nous faut noter que Palissy n'a aucune intention de mogonique comme chez le ps.-Bernard. Selon Basile, lorsque le spiritus de
révéler concrètement de quel sel naturel il s'agit. Nous remarquons aussi qu'il Dieu était porté sur les eaux primordiales, toutes choses étaient couvertes de
a très bien pu connaître le concept de semence de la tradition alchimique. En ténèbres. En créant du néant le Ciel et la Terre ainsi que toutes choses visibles
effet, la semence palisséenne remplace un aspect de la semence masculine, et invisibles, Dieu a implanté au monde une semence particulière par laquelle
" soufre" des métaux, de l'alchimie médiévale parce que le sel est intérieure- ces choses croissent et se conservent. L'homme ne peut pas produire une nou-
ment chaud et actif. Bien que Palissy manifeste de la méfiance envers des velle semence mais possède seulement la capacité de la propager et de la faire
adeptes alchimiques tels que" un Geber, un Arnaud et un Roman de la rose", croître.
il dépend largement de la littérature de l'alchimie transmutatoire publiée à son Basile enseigne que les métaux sont engendrés dans la condition suivante:
temps. Mais il ne respecte pas ces adeptes en les distinguant des alchimistes D'abord, l'influence céleste descend sur la Terre par l'ordre de Dieu et se mêle
"vulgaires" comme le fera Robert Boyle, sceptical chymist, dont la vraie atti-
tude envers l'alchimie est récemment montrée par L.M. Principe74 . 75. B. Valenti~, Von dem grossen Stein der uhralten Weisen, Eisleben, 1599; 2 e éd. Leipzig,
160~. La trad. latme de Maier, De magno lapide antiquorum sapientum (Francfort, 1618) a été
repnse par H. van Sande (éd.), Musaeum hermeticum, Francfort, 1677, 382-392 et J.-J. Manget
(éd.), Bibliotheca chemica, l. 2,409-413.
APPENDICE
76. Voi~ DSB, 13 (1976), 558-560; Literaturlexikon, 1 (1988), 335-336; J. Ferguson, Biblio-
theca chemlca, l. l, Glasgow, 1906,77-82; J.R. Partiogton, A History ofChemistry, l. 2, op. cit.,
183-203; S. Matton, '.' Introduction ", in B. Valentio, Le Char triomphal de l'antimoine, Paris,
1977, 13-63; L.M. ~rmcipe,."" Chemical Translation" and the Role of Impurities io Alchemy:
BASILE VALENTIN
Ex~ples fr~m. Basil V~le~~me's TTlumph-Wage~", Ambix, 34 (.1987), 21-30;~. Telle, "Astro-
logie et alchiIme au XVI slecle: a propos des poemes astro-alchlmlques de Christoph von Hirs-
chenberg et de Basile Valentin ", Chrysopoeia, 3 (1989), 163-192, ici 182-188 ; J. Halbronn, "Les
Nous avons vu que Palissy dépendait des idées alchimiques médiévales pour ~ésurgen~es du savoir astrologique au seio des textes alchimiques dans la France du xvne siècle ",
la formation de son concept de semence identifiée au sel générateur et à la m F. Gremer (éd.), Aspects de la tradition alchimique au XVIle siècle, Paris, 1998, 193-205.
quintessence. Ici, nous examinons brièvement un exemple de la propagation du 77: Sur Thiilde, voir RG. Lenz, "Der hessische Paracelsist Johann Thoelde", Salzburger
Beltrage zur Paraeelsusforschung, 23 (1982-1983), 89-99 ; C. Priesner, " Johann Thoelde und die
concept de semence dans les textes semi-paracelsiens. Nous choisissons, pour Schriften des Basilius Valentinus ", in C. Meinel (éd.), Die Alchemie in der europiiischen Kultur-
cet objet, le De la grande Pierre des Anciens, partie introductive aux Douze und Wissenschaftsg~schichte, Wiesbaden, 1986, 107-119. Nous n'avons pas su utiliser H.G. Lenz,
clefs de la philosophie, éditée par Johann Thôlde (v. l565-v. 1624) en alle- Johann Thoelde : ,Em Paraeelsist und Chymicus und seine Beziehungen zu Landgraf Moritz von
Hessen-Kas~el, the~e de doctorat, Druv. de Marbourg, 1981. Sur la chyntie basilienne dans le cer-
cle de Maunce, VOIT B.T. Moran, The Alchemical World of the German Court, Stuttgart, 1991.
74. L.M. Principe, The Aspiring Adept: Robert Boyle and his Alchemical Quest, Princeton, 78. De magno lapide (Sande, 383-384 = Manget, l. 2,410 b-411 a).
1998.
348 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE BERNARD PALISSY 349

avec les propriétés astrales de la Terre. Lorsque cette conjonction est réalisée, qu'une certaine conjonction inséparable soit faite de l'âme, de l'esprit et du
" ces deux" font naître une substance terrestre, en quelque sorte" troisième ", corps, il obtiendra cette semence des métaux 83 .
qui est le principe de la semence des métaux. De ces "trois " naissent les
Chez Basile, bien que le ton général soit dans la tradition alchimique médié-
" quatre" éléments traditionnels (feu, air, eau et terre) qui travaillent jusqu'à
vale, nous observons une nouvelle tendance impliquant dans le concept de
ce qu'ils produisent quelque chose de parfaie 9. Nous observons donc la pro-
semence des inspirations qui ont été amenées par les Paracelsiens. Une fois
pagation principielle à partir d'un, puis deux ensuite trois et ce jusqu'aux qua-
structuré dans le contexte de la cosmogonie biblique avec des ornements ter-
tre éléments. Tout comme les Paracelsiens qui ont utilisé le traité (ps.-)para-
minologiques nettement paracelsiens, le concept de semence gagne un nouvel
celsien du De natura rerum pour l'interprétation anthropologique des tria
élan. Et c'est ce qui se passera exactement chez Michel Sendivogius.
prima, Basile affirme qu 'Hermès et les autres qui l'ont suivi ont désigné ces
trois principes comme " âme intrinsèque", "esprit impalpable" et " essence
corporelle visible ,,80. C'est justement cette explication qui a donné aux chy-
mistes, dès le tournant des seizième et dix-septième siècles, une figure concrète
de Basile en tant que précurseur idéal de Paracelse. Par contre, celui-ci est
devenu un simple disciple ou même un plagiaire du moine bénédictin. Mais il
nous faudrait toutefois rappeler que Séverin avançait déjà Paracelse comme un
disciple d'Hermès le fondateur81 . .
Selon Basile, lorsque ces trois substances s'unissent en une masse, par
l'écoulement du temps et l'aide du vulcain, elles deviennent palpables, c'est-
à-dire Mercure, Soufre et Sel. Ces trois substances produisent par la Nature un
corps parfait dont la semence a été choisie et ordonnée par Dieu le Créateu~2.
Là où se trouvent l'âme, le spiritus et la forme des métaux, il y a leur Mercure,
Soufre et Sel qui peuvent fournir un parfait corps métallique. Basile regarde les
tria prima paracelsiens comme substances concrètes et visibles d'où se retire
un corps parfait. Ainsi, selon lui, il n'est pas nécessaire de chercher la semence
des métaux jusque dans les éléments qui sont dans une position inférieure aux
trois principes. La semence des métaux n'est pas aussi éloignée que les élé-
ments mais elle a son séjour stable et son logis dans un lieu plus proche, c'est-
à-dire dans les tria prima. Si un artisan habile rectifie les tria prima jusqu'à ce
/

79. De magno lapide (Sande, 385 = Manget, t. 2, 411 a) : Iam scias de hoc semine à metallis
generato In hunc modum .. quod cœlestis influentia per Dei nut.um & ordina~ion~m sup~rn~ des-
cendat & se comisceat cum astralibus propriétatibus. Quando Jam haec conJuntlO contznglt, tum
haec duo pariunt terrestrem substantiam, tanquam tertium, quod est principium nostri semi~is,
suae primae originis, qua proavos suae generationis demonstrare pOSSlt : Ex qUlbus terms orzun-
tur & proveniunt elementa, utpotè aqua, aer, & terra, quae porro per ignem subterraneum ope-
rantur, donec quid peifectum producant...
80. De magno lapide (Sande, 385 = Manget, t. 2, 411 a): ... quod Hermes & omnes ante me,
quia praeterea nihil invenire possumus ab initio ,!,~gisterii, tria pri~a. p,rincipia apl!ellarunt : Et
inventa sunt, Anima intrinseca, Spiritus impalpabllzs, & corporea Vlslbllzsque essentza... Cf notre
ch. Paracelse, § 4-8.
81. Voir notre ch. Séverin, § 7.
82. De magno lapide (Sande, 385 = Manget, t. 2,411 a) : C;:um jam haec tria sim~l cohabita".t,
progrediuntur copulatione, successu temporis, per Vulcanum zn palpabllem substantlam, nempe zn
argentum vivum, sulphur & sai. Quae tria si per commixtionem in suam indurationem & coagu- 83. De magno lapide (Sande, 387 = Manget, t. 2, 412 a) : Nec vero necesse est, semen tuum in
lationem deducantur, prout natura multipliciter operatur, tum fit inde peifectum corpus, SlCUt Elementis quaerere : Eo usque enim retro nostrum sperma non remotum est .. verum propinquior
natura requirit, ejusque semen à Creatore electum & ordinatum est... locus est, ubi nostrum semen certam suam habitationem & hospitium obtineat, adeo ut si solum-
modo Mercurium, sulphur & sai (intellige Philosophorum) eo usque rectifices, quo ex anima ejus,
spiritu & corpore inseparabilis quaedam conjunctio contingat...
DE DIVERSIS ARTIBUS LE CONCEPT DE SEMENCE
COLLECTION DE TRAVAUX COLLECTION OF STUDIES
DANS
DE L'ACADÉMIE INTERNATIONALE FROM THE INTERNATIONAL ACADEMY LES THÉORIES DE LA
D'HISTOIRE DES SCIENCES OF THE HISTORY OF SCIENCE
MATIÈRE
DIRECTION
À LA RENAISSANCE
EOITORS

EMMANUEL ROBERT DE MARSILE FICIN À PIERRE GASSENDI


POULLE HALLEUX

TOME 72 (N.S. 35)


Rira RIRAI

Publié avec le concours de la Fondation Universitaire de Belgique

@ @
BREPOLS BREPOLS
à la mémoire de
Bobonne de Liège
Hélène Bernard (1904-1998t)

© 2005 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium


AlI rights reserved. No part of this publication may be reproduced,
stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by ilIlY means,
electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise,
without the prior permission of the publisher.
D/2004/0095/19
ISBN 2-503-51561-4
Printed in the E.U. on acid-free paper
TABLE DES MATIÈRES 571

2. Le De abditis rerum causis (1548) 84


3. Les semences provenant du Ciel 85
4. Les semences dans la prisca theologia 88
5. Les semences et le spiritus mundi 96
6. La dernière évaluation 103
TABLE DES MATIÈRES
n. LA TRADITION ARISTOTÉLICIENNE DE LA SCIENCE MINÉRALE

Introduction 107
Avant-propos 7
Introduction générale 13 Chapitre 5 : Georg Agricola III
1. Introduction III
1. MARSILE FICIN ET SON CERCLE 2. Le système minéralogique du De naturafossiiium (1546) 112
3. La relation d'Agricola avec la chymie 113
Chapitre 1 : Le concept de semence avant Ficin 23 4. Le De ortu et causis subterraneorum (1544) 115
1. Les semences dans la philosophie antique et médiévale 23 4-1. La cause matérielle des minéraux et la théorie du suc
2. Les semences dans l'alchimie arabo-latine du Moyen Âge 29 lapidifiant , 116
4-2. La cause efficiente des minéraux et le principe séminal 123
Chapitre 2 : Marsile Ficin · ·.. 33 5. L'influence d'Agricola 132
1. Introduction 33
2. Le Commentaire sur le Banquet de Platon 34 Chapitre 6 : Jérôme Cardan 135
3. Le Commentaire sur le Timée de Platon 37 1. Introduction 135
4. La Théologie platonicienne 41 2. La chaleur céleste et l'âme du monde 138
5. Le De vita cœlitus comparanda 44 3. La physiologie et la psychologie du règne minéral 143
6. Le Commentaire sur les Ennéades de Plotin 50 4. L'humeur grasse 149
7. Les sources du concept ficinien de semence 53 5. L'analogie végétale 151
6. Les pierres 153
Chapitre 3 : Le cercle de Ficin 57 7. La dernière évaluation 155
1. Pic de la Mirandole 57
2. Michel Marulle 59 Chapitre 7 : André Césalpin 157
3. Jean-Aurèle Augurel 62 1. Introduction 157
4. Agrippa de Nettesheim 66 2. Le système minéralogique du De metallicis (1596) 159
5. Jérôme de Fracastor 73 3. Les exhalaisons 162
Appendice: Les Remontrances de Nature à l'Alchymiste 80 4. La nature et la formation des fossiiia 163
5. Les métaux et leurs semences 166
Chapitre 4 : Jean Fernel.. · 83 6. La vie minérale? 171
1. Introduction 83 7. La dernière évaluation 175
572 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE TABLE DES MATIÈRES 573

III. LES PARACELSIENS ET LE CONCEPT DE SEMENCE 8. La génération et les semences 249


8-1. La génération comme flux des semences 249
Chapitre 8 : Paracelse 179
8-2. Les sciences, les dons et les raisons 251
1. Introduction 179
8-3. Les abîmes 253
2. Le concept paracelsien de semence selon W. Pagel.. 181
8-4. Les spiritus mechanici 257
3. La minéralogie du De mineralibus 183
8-5. La génération dans le globe inférieur.. 259
3-1. Le commencement et la fin 184
8-6. La génération des minéraux 261
3-2. L'eau et la Création 186
9. La dernière évaluation 263
3-3. Les semences des minéraux 187
3-4. L'archée des minéraux 190
Chapitre 10 : Joseph Du Chesne 267
3-5. La croissance de l'arbre minéraL 191
1. Introduction 267
3-6. Les fruits 193
2. L'Ad veritatem hermeticae medicinae (1604) 270
3-7. La mort 194
3. La Nature et l'âme du monde 271
4. Le concept de semence à travers divers ouvrages de Paracelse. 195
4-1. Le Volumen medicinae paramirum (v. 1524) 195 4. La théorie quercétanienne de la matière 278
4-2. Le Von den natürlichen Wassern. (v. 1525-1526) 196 4-1. Les semences et les trois principes hypostatiques 278
4-3. Le Paragranum (1530) 197 4-2. Les corps visibles des éléments 283
4-4. L'Opus paramirum (1531) 199 4-3. L'air et le sel armoniac des philosophes .' 284
4-5. Le Labyrinthus medicorum errantium (1537-1538) 204 4-4. La quintessence ou la quartessence 285
4-6. La Philosophia de generationibus quatuor 4-5. La médecine balsamique 289
elementorum (date?) 205 5. Le Ciel dans la philosophie mosaïque herrnétisée 292
4-7. Le De meteoris (date ?) 208 6. La dernière évaluation 293
4-8. Le De natura rerum (date ?) 210
4-9. La Philosophia ad Athenienses (date ?) 213 Chapitre Il : Oswald Croll.. 295
5. La dernière évaluation 215 1. Introduction 295
2. La Préface admonitoire de la Basilica chymica (1609) 297
Chapitre 9 : Pierre Séverin 217 3. Les semences dans le macrocosme 300
1. Introduction 217 4. Les semences dans le microcosme 311
2. L'Idea medicinae philosophicae (1571) 219 5. Les semences et le Verbe de Dieu dans la médecine 316
3. La semence comme élément interne ou baume 223 6. Le De signaturis internis rerum 321
3-1. Le baume 223 7. La dernière évaluation 322
3-2. Le baume végétal et l'humeur radicale 228
3-3. Le baume animal et la chaleur innée 229 IV. " SPECULUM CHYMICUM " : LES IDÉES CHYMIQUES DANS LA SCIENCE
3-4. Le baume minéral 231 MINÉRALE
4. Les spiritus 232
5. Les éléments matriciels 234 Chapitre 12 : Bernard Palissy 327
6. Les semences 237 1. Introduction 327
7. Les principes des corps 244 2. Le concept de sel générateur et le paracelsisme 329
574 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE TABLE DES MATIÈRES 575

3. Les semences dans le pan-vitalisme de la Terre 331 3. Les causes matérielle et efficiente des pierres 411
4. L'origine des semences 334 4. Les semences des pierres 417
5. L'eau et les semences 338 5. De Boodt et de Clave 422
6. Les pierres 340 6. La définition des pierres 426
7. La source du concept palisséen dans la chymie française? 340 7. La nutrition des pierres 428
8. La dernière évaluation 346
8. La dernière évaluation 431
Appendice: Basile Valentin 346
v. VAN HELMONT ET GASSENDI
Chapitre 13 : Michel Sendivogius 351
1. Introduction 351
Introduction : 437
2. La Nouvelle lumière chymique (1604) 353
2-1. La Nature 353
Chapitre 17 : Jean-Baptiste Van Helmont 439
2-2. Le sperme 355
1. Introduction 439
2-3. La matière première 358
2. L'Eisagoge du jeune Van Helmont (1607) 440
2-4. La matière secondaire 363
3. Le Supplementum de Spadanis fontibus (1624) 445
2-5. Résumé 365
4. Les semences dans l'Ortus medicinae (1648) 450
3. Le Tractatus de sulphure (1616) 365
4-1. Le concept de semence comme principe séminal.: 451
3-1. Les quatre éléments 366
4-2. Archeus faber 457
3-2. Les trois principes 371
4-3. L'application du concept au règne minéral 459
4. La dernière évaluation 373
5. La dernière évaluation 461
Chapitre 14: Anselme Boèce de Boodt.. 375
Chapitre 18 : Pierre Gassendi.. 463
1. Introduction 375
1. Introduction 463
2. La Gemmarum et lapidum historia (1609) 376
2. Les semences chez Gassendi d'après O. Bloch 466
2-1. La cause efficiente des pierres 378
2-1. La chymie et Gassendi.. 466
2-2. La cause matérielle des pierres (les quatre éléments
et les tria prima) 382 2-2. L'expérience cristallographique et le rôle de Peiresc .468
2-3. La cause formelle des pierres 385 2-3. Le développement chronologique 469
2-4. La forme substantielle des pierres 387 3. Les semences dans le règne minéral 471
2-5. Les formes accidentelles des pierres 389 3-1. Les semences dans la minéralogie gassendiste 471
3. Les vertus des pierres 394 3-2. Les métaux et leur transmutation 475
4. La dernière évaluation 398 4. Les semences chez les plantes et les animaux 479
5. La" science" des semences et l'influence de Séverin 486
Chapitre 15 : Excursus : Daniel Sennert 401
Conclusion générale 493
Chapitre 16: Etienne de Clave 407
1. Introduction 407
2. Les Paradoxes clavéens (1635) 408
576 LE CONCEPT DE SEMENCE DANS LES THÉORIES DE LA MATIÈRE

VI. ANNEXES

1. Les commentaires sur les Météorologiques


d'Aristote (1546-1600) 501
2. Les chymistes et leurs protecteurs dans le réseau
de Joseph Du Chesne 503
3. Le résumé de l'enseignement principal de l'Idea medicinae
de Séverin par CroU 506

VII. BIBLIOGRAPffiE

1. La liste des abréviations 511


2. Les sources 512
3. Les études consultées 518

Index Général ··.. ·· 559

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