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Fig.

1 Pianoforte Hellen de 1763, Musée de la musique, Paris

L’urgence de la diversité dans la facture des instruments à clavier au 18ème


siècle : l’exemple de l’atelier des frères Hellen à Berne

L’organologie est une discipline de la musicologie, traitant des instruments de


musique et de leur histoire. Elle permet de retracer l’évolution des instruments de
musique et de renouveler notre regard sur le répertoire qu’ils ont suscité et qui est à
la base de la pratique musicale classique aujourd’hui. Il va sans dire que les sonates
pour clavier de W. A. Mozart (1756-1791) n’ont pas été composées pour le Steinway
de concert [Steinway Flügel] tel que nous le voyons aujourd’hui dans nos salles de
concert et sur lequel nous avons pris l’habitude de les entendre. À l’époque de
Mozart, au contraire, les instruments à clavier [Tasteninstrumente] étaient bien
différents du piano [Klavier] moderne et infiniment plus différenciés entre eux, tant du
point de vue de la mécanique et du toucher que des possibilités sonores. Ces
instruments n’étaient pas des pis-aller en attendant le piano moderne et il vaut la
peine de s’y intéresser pour avoir une approche éclairée de la musique du passé.

Dans le cadre de cette contribution musicologique, nous nous pencherons sur les
instruments à clavier produits par un atelier en particulier, celui des frères Hellen à
Berne dans la seconde moitié du 18ème siècle. Particulièrement inventifs, les facteurs
bernois ont joué un rôle précurseur dans l’évolution et la diffusion du pianoforte
[Pianoforte]. Véritable modèle de diversité organologique, leur production, qui
s’échelonne sur une période somme toute relativement courte, de 1759 à 1780,
illustre bien les différentes étapes du processus de substitution du clavecin par le
pianoforte [Pianoforte], à une époque où les changements de goût musical poussent
les facteurs et les musiciens à se tourner vers de nouveaux horizons sonores et à
imaginer des instruments aptes à les produire.

Les instruments Hellen n’étant cependant pas tous signés ni datés, leur chronologie
reste à établir, de même que leur nomenclature, notamment celle des différents
types d’instruments à clavier munis d’une mécanique de pianoforte. Le terme
pianoforte [Pianoforte] désigne en effet un peu indifféremment aujourd’hui tous les
instruments à clavier, dont les cordes sont frappées par des marteaux, au mépris de
leur véritable désignation dans les sources et, en fin de compte, de leur diversité.
Dans cet article, nous nous concentrerons sur les instruments Hellen en forme de
clavecin [in Form eines Cembalos], car c’est dans ces derniers que semblent s’être
cristallisées les recherches sonores des facteurs bernois. De fait, c’est la disposition
[Disposition] sonore de ces instruments, du moins dans leur état d’origine, qui
retiendra ici toute notre attention.

En 19721, seuls deux instruments de l’atelier des frères Hellen à Berne étaient
recensés. Il s’agissait d’une part d’un pianoforte2 carré [Tafelklavier] signé « par
Hellen à Berne 1780 », conservé au Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel, et
d’autre part d’un pianoforte carré non signé et non daté, conservé dans une
collection privée et très semblable au premier. L’existence d’autres instruments à
clavier issus de l’atelier bernois, en particulier des clavecins et même un clavecin
organisé [organisiertes Cembalo] (intégrant un ou plusieurs registres d’orgue), était
attestée par des annonces publiées principalement à Berne et à Fribourg dans les
journaux de l’époque3, bien qu’aucun exemplaire de ce genre n’aient alors été
répertorié.

Depuis une quinzaine d’années à peine, les instruments à clavier signés ou attribués
à l’atelier des Hellen à Berne font l’objet d’un processus de réhabilitation auprès des
musicologues spécialisés en organologie des instruments à clavier au 18ème siècle,
réhabilitation liée au rôle clé joué par l’atelier bernois dans l’évolution du pianoforte
[Pianoforte] dans les pays germaniques et au-delà. Parallèlement, certains musées
ont fait l’acquisition d’instruments Hellen, qui se sont avérés de première importance.
On pense notamment au pianoforte en forme de clavecin [Pianoforte in Form eines
Cembalos auch Hammerflügel genannt], signé « par Hellen à Berne 1763 » et acquis
par le Musée de la musique à Paris en 2000 (cf. fig. 1), ainsi qu’au clavecin portant
sur la barre d’adresse [Vorsatzbrett] l’inscription aujourd’hui à peine lisible « P Hellen
à Berne 1759 »4, acquis par le Württembergisches Landesmuseum de Stuttgart la
                                                                                                               
1
Cf. RINDLISBACHER, Das Klavier in der Schweiz, pp. 110-114.
2
Le pianoforte [Pianoforte] est un instrument à clavier, dont les cordes sont frappées par des
marteaux. Le clavecin, en revanche, est un instrument à clavier et à cordes pincées par des plumes.
3
Cf. notamment la Hoch-Oberkeitlich Privilegiertes Avis-Blättlein de Berne et la Feuille hebdomadaire
des Avis de la Ville et Canton de Fribourg.
4
En raison de cette inscription, le clavecin a été attribué à Peter Hellen (1723-1779). Nous pensons
plutôt que cette inscription signifie « P[ar] Hellen à Berne 1759 », manière usuelle dont les instruments
issus de cet atelier étaient signés. Il serait même plus probablement l’œuvre de Johann Ludwig Hellen
même année. L’instrument de Paris est aujourd’hui le plus ancien pianoforte en
forme de clavecin [Pianoforte in Form eines Cembalos] des collections nationales de
France. Quant à l’instrument de Stuttgart, c’est l’un des très rares clavecins
[Kielflügel auch Cembalo genannt] suisses parvenus jusqu’à nous.

L’atelier Hellen est également connu pour ses instruments combinant une mécanique
de pianoforte et de clavecin. On appelle aujourd’hui ces instruments des pianoforte-
clavecins combinés [Kielhammerflügel, d. h. kombinierte Pianoforte-Cembali]. Ce
sont plus proprement des pianoforte avec registre de clavecin [Pianoforte mit
Cembalozug], comme nous le verrons plus loin. Plusieurs instruments de ce genre
nous sont parvenus, en dépit des modifications subies dans certains cas. Le premier,
un pianoforte [Hammerflügel] signé « par Hellen à Berne 1763 » et conservé à la
Villa Medici Giulini à Briosco5 (cf. fig. 2), disposait à l’origine d’un registre de clavecin
[Cembalozug]. Tel était également le pianoforte [Hammerflügel] attribué à Hellen et
non daté, qui se trouve au Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg6. Enfin, un
troisième et un quatrième pianoforte avec registre de clavecin [Hammerflügel mit
Cembalozug], attribués à Hellen et non datés, nous sont parvenus. Ils se trouvent
dans la collection de l’Association Ad Libitum à Etobon, en France, et au
Musikinstrumenten-Museum de Berlin7. En raison de leur précocité, ces instruments,
de même que le pianoforte [Hammerflügel] de Paris, placent l’atelier Hellen au
premier plan dans l’histoire du pianoforte [Pianoforte] au 18ème siècle, au même titre
que ceux de facteurs tels que Franz Jacob Spath (1714-1786), Johann Andreas
Stein (1728-1792) ou Joseph Merlin (1735-1803), respectivement à Ratisbonne,
Augsbourg et Londres8.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         
(1716-1781) seul, dont la présence est attestée à Berne depuis 1754. Son frère cadet, Peter Hellen,
n’apparaît en effet pas dans les archives bernoises avant 1763. Par précaution, nous préférons donc
ne pas attribuer ce clavecin explicitement à Peter Hellen et nous le mentionnerons comme le clavecin
Hellen de 1759 à Stuttgart, sans autre précision.
5
Cf. GIULINI, Villa Medici Giulini. Un invito all’arte e alla musica, p. 6 (n° cat. 9).
N° inv. MINe 105.  
6
7
Cf. DROYSEN-REBER et RASE, « Historische Kielklaviere bis 1800 », pp. 233-238.
8
Cf. LATCHAM, « The musical instruments en forme de clavecin by, and attributed to, the workshop of
ème
Johann Ludwig Hellen », pp. 68-94. Pour une étude approfondie de l’histoire du pianoforte au 18
siècle, cf. également Michael LATCHAM, « Johann Andreas Stein and the search for the expressive
Clavier », pp. 133-215.
Fig. 2 Pianoforte de 1763, collection particulière, Briosco

Actuellement, dix-sept instruments à clavier ont été recensés, qui sont issus de
l’atelier des frères Hellen ou qui leur sont attribués9. Pour notre part, nous avons
récemment découvert un clavecin à deux claviers attribuable à Hellen (cf. fig. 3),
ainsi que deux pianoforte carrés [Tafelklavier], dont l’un d’eux est signé « Par Hellen
à Berne 1773 ». Cet instrument, de même que le clavecin se trouvent dans des
collections particulières. Quant au troisième, il a été mis en vente aux enchères à
Vichy en mai 2014. Au total, ce sont donc désormais vingt instruments Hellen
existants10.

                                                                                                               
9
Cf. BATTAULT et GOY, « Les petits pianoforte de Hellen », pp. 48-67.
10 ème
Cf. MONTAN-MISSIRLIAN, « La découverte d’un clavecin suisse du 18 siècle, attribuable aux frères
Hellen (Berne, c. 1763) », pp. 201-226.
Fig. 3 Clavecin attribuable aux frères Hellen, Berne, c. 1763, collection particulière,
Suisse

D’une manière générale, les instruments Hellen reflètent bien les préoccupations
musicales de leur époque, dont le mot d’ordre est assurément la possibilité de varier
le son le plus possible. Les frères Hellen ont mis au point des instruments à clavier
[besaitete Tasteninstrumente] qui permettaient des modifications [Veränderungen] du
son, dans certains cas même pendant le jeu. Ils dotaient notamment leurs pianoforte
[Pianoforte] de registres [Register] actionnés par des leviers de registration
[Registerhebel] ou des genouillères [Kniehebel], permettant ainsi de modifier le son
plus ou moins rapidement, au bénéfice d’une nouvelle forme d’expressivité musicale.

Par certaines caractéristiques organologiques, les instruments [Tasteninstrumente]


des frères Hellen puisent à des sources aussi diverses qu’allemandes méridionales
au sens large y compris alsaciennes (mécanique allemande primitive sans
échappement dite Prellmechanik [frühe Deutsche Mechanik bzw. Prellmechanik
ohne Auslösung] des pianoforte tant en forme de clavecin [Hammerflügel] que carrés
[Tafelklaviere] jusque vers 1775), allemandes du centre (accouplement de type
saxon des claviers [sächsische Schiebekoppel der Manuale] dans les deux clavecins
recensés), françaises et plus exactement parisiennes (décoration et forme générale
des caisses [Korpus]) et anglaise (mécanique anglaise sans échappement dite
Stossmechanik [einfache Englische Mechanik bzw. Stossmechanik ohne Auslösung]
des pianoforte [ihrer Pianoforte überhaupt] dès 1775 environ). En l’état actuel de la
recherche, il est difficile de savoir où les frères Hellen ont acquis leur formation.
Il est nécessaire de rappeler ici dans les grandes lignes les débuts du pianoforte.
C’est à Bartolomeo Cristofori (1655-1731), facteur à la cour des Medicis à Florence,
que revient l’invention du pianoforte [Pianoforte]. Conçu initialement comme un
clavecin à marteaux (cembalo a marteletti), le pianoforte de Cristofori [Pianoforte des
Cristofori (eigentlich ein Hammerflügel)] a été décrit par Scipione Maffei (1675-1755)
dans un article publié à Venise en 171111. Il s’agit d’un clavecin susceptible de
rendre non seulement le piano et le forte (gravicembalo col piano e forte), mais
également les gradations et les nuances de la voix (la degradazione, e diversità della
voce). Trois pianoforte [Hammerflügel] de Cristofori nous sont parvenus. Ils sont
datés de 1720, 1722 et 1726 et sont conservés respectivement au Metropolitan
Museum de New York, au Museo degli antichi strumenti musicali de Rome et au
Musikinstrumenten-Museum de Leipzig.

Le pianoforte [Hammerflügel] de Cristofori a rapidement séduit certaines cours,


notamment celle de João V (1689-1750), roi du Portugal. Sous la recommandation
probable de Domenico Scarlatti (1685-1757)12, qui avait fréquenté la cour des
Medicis à deux reprises dans la première décennie du 18ème siècle, le roi du Portugal
s’était procuré les fameux cembali a marteletti du facteur florentin, dont se sont
inspirés par la suite des facteurs indigènes tels que Manuel Antunes (1707-1796) et
José Calisto (fl. c. 1780).

Dans le monde germanique, Gottfried Silbermann (1683-1753), facteur d’orgues


établi à Freiberg en Saxe, est la figure marquante dans le domaine du pianoforte13
[Pianoforte]. Parallèlement à son activité de facteur d’orgues, il a repris l’invention de
Cristofori, qu’il a perfectionnée, en dotant ses instruments [Hammerflügel] de
registres actionnés manuellement par des leviers de registration. L’un d’eux
consistait à imiter le son brillant du clavecin, par le biais de petites palettes
[Plättchen] d’ivoire qu’on pouvait abaisser contre les cordes, ce qui donnait un son
brillant et cristallin. Un autre registre consistait à lever tous les étouffoirs
[Dämpfungsaufhebung] d’un coup. Ces deux registres étaient divisés entre les
basses et les dessus [zwischen Bass- und Diskantbereich geteilt]. On pouvait ainsi
actionner ces registres soit pour les basses, soit pour les dessus, soit pour les
basses et les dessus ensemble. Mais on ne pouvait pas changer le son par le biais
de ces registres sans que les mains ne quittent pour cela le clavier. Frédéric II (1712-
1786), roi de Prusse, possédait trois pianoforte [Hammerflügel] de Silbermann, dont
deux, de 1746 et de 1747, sont conservés. L’un d’entre eux a sans doute été joué
par Johann Sebastian Bach (1685-1750), lors de la fameuse visite à Potsdam en
1747, dont le récit nous a été transmis par l’organiste, facteur d’instruments

                                                                                                               
11
Cf. MAFFEI, Nuova invenzione d’un gravicembalo col piano e forte, pp. 144-159.
12
Dès son arrivée au Portugal en 1719, Domenico Scarlatti avait la charge de maître de musique de
la cour et enseignait à l’infante Maria Barbara de Bragance (1711-1758), future reine d’Espagne, ainsi
qu’à son oncle, l’infant Dom Antonio, dédicataire de la toute première publication de l’histoire pour le
pianoforte [Pianoforte], les douze Sonate da Cimbalo di piano e forte, detto volgarmente di marteletti
de Lodovico Giustini (Florence, 1732).
13
Cf. RESTLE, « Gottfried Silbermann und die Hammerflügel für den Preußischen Hof in Potsdam »,
pp. 189-203. Il n’est toutefois pas le seul à s’être intéressé très tôt au pianoforte. Christian Ernst
Friederici (1709-1780) a développé de son côté de nouveaux instruments avec une mécanique de
marteaux. Il a notamment inventé le pianoforte vertical [Pyramidenflügel], dont trois exemplaires nous
sont parvenus, deux de 1745 et un de 1750.
[Instrumentenmacher] et théoricien Jacob Adlung (1699-1762), visite à l’origine de
l’Offrande musicale BWV 107914.

Formé en partie à l’atelier de son oncle entre 1742 et 1743, Johann Heinrich
Silbermann (1727-1799) a construit dans l’atelier familial de Strasbourg des
clavecins, des épinettes en aile d’oiseau [Querspinette], des clavicordes
[Clavichorde], des pianoforte en forme de clavecin [Hammerflügel] ainsi que des
pianoforte carrés [Tafelklaviere], dont plusieurs sont conservés. Deux pianoforte en
forme de clavecin [Tafelklaviere] sont conservés de ce facteur, l’un de c. 1776 dans
une collection particulière en France et l’autre de 1776 au Germanisches
Nationalmuseum de Nuremberg. Ils sont construits sur le modèle des pianoforte
[Hammerflügel] de Gottfried Silbermann et leurs registres ne peuvent être actionnés
que manuellement par des leviers de registration. L’influence de Johann Heinrich
Silbermann a été déterminante pour la facture instrumentale en Suisse dans la
deuxième moitié du 18ème siècle, comme en témoignent les instruments de facteurs
tels que Peter Friedrich Brosi (1700-1764) et Joseph Anton Moser (1731-1792), tous
deux formés dans l’atelier des Silbermann à Strasbourg15. On peut se demander si
les Hellen n’ont pas été également en lien avec cet atelier.

Le premier instrument Hellen parvenu jusqu’à nous est le clavecin de 1759 conservé
à Stuttgart. Cet instrument a trois rangs de cordes [drei Saitenchöre], le grand jeu
[der vordere 8’, eigentlich das Grundregister] et l’octave [der 4’, eine Oktave höher
klingend] au grand clavier [auf dem Untermanual] et le petit jeu [der hintere 8’] au
petit clavier [auf dem Obermanual], ou pour reprendre la terminologie actuelle, un 8’
et un 4’ au clavier inférieur et un autre 8’ au clavier supérieur. Sur le sommier
[Stimmstock] ils partagent un sillet [Stimmstocksteg] commun et sur la table
d’harmonie [Resonanzboden] un chevalet [Resonanzbodensteg] commun, les cordes
du petit jeu [des hinteren 8’] sont cependant pincées plus près du sillet
[Stimmstocksteg] que celles du grand jeu [des vorderen 8’]. Le son du petit jeu est
donc plus riche en harmoniques supérieures [obertonreicher] que celui du grand jeu.
Inversement, le son du grand jeu est plus riche en fondamentales que celui du petit
jeu. Les deux jeux sonnent à l’unisson, mais avec un timbre différent. Le petit jeu est
plus nasal [nasal] que le grand jeu. On les dit de contraste. Les registres du grand
clavier [Untermanual] sont mobiles, c’est-à-dire que l’on peut les actionner par des
leviers de registration [Registerhebel] situés de part et d’autre de la gorge
[Vorsatzbrett] juste au-dessus du petit clavier [Obermanual]. Le registre [Register] du
petit clavier [Obermanual] quant à lui est fixe. Il n’a donc pas de levier de registration
[Registerhebel].

Le clavecin en question avait à l’origine un dispositif d’accouplement des claviers de


type saxon [sächsische Schiebekoppel der Manuale]. Celui-ci permettait de faire
jouer le petit jeu sur le grand clavier, par le biais de talons d’accouplement, fixés à
l’extrémité de chacun des leviers des deux claviers et qui communiquaient, une fois
le grand clavier repoussé [Durch Einschieben des Untermanuals ermöglichten
ursprünglich zwei übereinanderliegende Böckchen das Zusammengehen beider
Manuale]. Inversement, en tirant à soi le grand clavier alors en position
d’accouplement, les talons en question ne communiquaient plus et les claviers
                                                                                                               
14
Cf. ADLUNG, Musica mechanica organoedi, pp. 116-117.
15 ème
Cf. MONTAN (-MISSIRLIAN) et DE ANDRES, « La découverte d’un orgue suisse du 18 siècle
attribuable à Joseph Anton Moser (Fribourg, c. 1767) », pp. 193-212.
étaient indépendants l’un de l’autre16. Actuellement, le mécanisme d’accouplement
des claviers est à la française [Französische Schiebekoppel der Manuale], c’est-à-
dire que c’est le petit clavier qui est mobile [wird eingeschoben], le grand clavier, lui,
est fixe. Dans un cas comme dans l’autre, un tel dispositif ne permet pas de
changement de couleur [keine Klangveränderung] pendant le jeu, autrement que par
le changement de clavier.

Le clavecin attribuable à Hellen, récemment découvert et datant de c. 1763, n’est


pas en état de jeu et n’a jamais été restauré. Il a la même disposition sonore que
celui de 1759, mais des différences notoires dans les proportions générales ont pu
être constatées, qui impliquent des mesures de cordes et un diapason différents
[eine andere Mensur und eine andere Stimmtonhöhe] d’un instrument à l’autre. Ainsi,
les dimensions générales du clavecin de 1759 sont ramassées et celles du clavecin
de c. 1763 élancées. De fait, les mesures des longueurs de cordes [die Mensur]
déterminées par le facteur diffèrent considérablement d’un instrument à l’autre. Les
cordes du clavecin de c. 1763 étant plus longues que celles du clavecin de 1759, on
en déduit que le diapason du clavecin de c. 1763 était plus grave [tiefer] que celui du
clavecin de 1759. Par conséquent, l’un et l’autre clavecin ont nécessité un choix
différent de cordes [einen anderen Saitenbezug].

D’une manière générale, les cordes sont pincées plus près des sillets
[Stimmstockstege] dans le clavecin de c. 1763 que dans celui de 1759, et ce pour les
trois registres. Mais la différence entre le rapport en pourcent du grand jeu [des
vorderen 8’] et celui du petit jeu [des hinteren 8’] est presque la même dans le
clavecin de c. 1763 que dans celui de 1759, respectivement 5,6 (21,5%-15,9%) et
5,8 (23,0%-17,2%). Par conséquent, outre un diapason plus grave, on peut
également supposer que le clavecin de c. 1763 a un grand jeu et un petit jeu plus
riches en harmoniques supérieures [obertonreicher] que celui de 1759. Mais l’effet
de contraste entre les deux claviers était sans doute le même dans chacun des deux
clavecins. Inversement, le grand jeu et le petit jeu du clavecin de 1759, dont le
diapason est plus aigu que celui de c. 1763, sont probablement plus riches en
fondamentales [grundtonreicher] que les mêmes registres de ce dernier.

Mais ce que la comparaison des deux clavecins révèle avant tout, c’est un tournant
décisif dans l’esthétique sonore, déterminé par le nouvel instrument, attesté dès
1763 au moins, soit peu après le clavecin de 1759 et sans doute peu avant celui de
c. 1763 également. Comme nous le verrons à propos des pianoforte avec registre de
clavecin [Hammerflügel mit Cembalozug], les Hellen ont joué un rôle décisif en ce qui
concerne la question des mesures des longueurs de cordes [Mensur] appropriées
pour le pianoforte [Pianoforte] et pour le clavecin [Cembalozug].

Mais reprenons la chronologie et considérons précisément le pianoforte


[Hammerflügel] de 1763 de Paris. À notre connaissance, cet instrument est le plus
ancien pianoforte en forme de clavecin muni d’une mécanique primitive de type
allemande (Prellmechanik) [das älteste Pianoforte in Form eines Cembalos mit einer
frühen Prellmechanik überhaupt]. L’état actuel de conservation de l’instrument ne
permet pas de connaître la disposition sonore originale [ursprüngliche
Klangdisposition] avec précision. De nombreuses traces de passages de mécanisme

                                                                                                               
16
Cf. DROYSEN-REBER et RASE, « Historische Kielklaviere bis 1800 », pp. 105-109.
(transmissions de rappel, ressorts et autres) subsistent, qui laissent supposer que ce
pianoforte [Hammerflügel] disposait de registres permettant de modifier [verändern]
le son, notamment un jeu de harpe [Harfenzug], actionné manuellement par un levier
de registration [Registerhebel] ainsi qu’un modérateur [Moderator], actionné par une
genouillère [Kniehebel].

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il n’était pas muni d’étouffoirs [keine Dämpfer].
La résonance des cordes non étouffées évoque l’influence du grand tympanon
[Hackbrett] inventé par le musicien et compositeur allemand Pantaleon Hebenstreit
(1667-1750). Il se servait de maillets [Hämmerchen] tenus en mains pour en jouer.
Cet instrument, présenté vers 1705 dans toutes les cours d’Europe, est réputé avoir
inspiré la facture des pianoforte [Pianoforte], en particulier en Allemagne. En
témoigne le dispositif permettant de lever les étouffoirs d’un coup
[Dämpfungsaufhebung], pour laisser résonner librement les cordes, comme on l’a vu
dans les pianoforte des Silbermann [die Silbermannschen Hammerflügel]. Dans les
sources, ce registre portait précisément le nom de pantal(e)on [Pantal(e)on],
orthographié de différentes manières, parfois aussi tympanon [Tympanon]. Un article
du 23 octobre 173117 publié dans les Leipziger Post-Zeitungen nous informe que le
facteur Wahl Friedrich Fickert, près de Leipzig, est l’auteur d’un Cymbal-Clavir qui
revendique explicitement la filiation avec l’instrument inventé par Pantaleon
Hebenstreit :

Cet instrument, que l’on peut se procurer à bon prix, a les propriétés du fameux
Clavier [Clavier] inventé par le très fameux Pantaléon.
Dieses Instrument, welches um einen civilen Preiss zu haben, hat die Eigenschafft
des von dem hochberühmten Pandalon erfundenen Cymbals.

Les petits pianoforte en forme de harpe couchée [Die Tafelkaviere in Form einer
liegenden Harfe] du facteur d’Ulm Johann Matthäus Schmahl (1734-1793), étaient
également munis de registres et n’avaient pas d’étouffoirs18.

D’après Jacob Adlung19, le facteur [Instrumentenbauer] de Ratisbonne Franz Jacob


Spath aurait présenté quant à lui un nouvel instrument au Prince électeur de Bonn,
capable de trente registrations différentes [Veränderungen]20, parmi lesquelles le
registre dit Pandaleon [Pandaleon-Zug] :

De Jacob Spath, facteur d’instruments de Ratisbonne, a été présenté en 1751 au


Prince électeur de Bonn un instrument à clavier de 30 registrations possibles. Il en a
été largement gratifié pour cela. Entre autres registres, on y trouvait le jeu forte, le
jeu piano, le jeu pianissimo, un écho, le jeu de harpe, le jeu de luth, le jeu de
pantaléon et une flûte traversière ordinaire.
Von Jacob Spath, einem Instrumentenmacher aus Regenspurg, wurde 1751 dem
Kurfürsten zu Bonn ein Clavier vorgestellt mit 30 Veränderungen, welcher ihn

                                                                                                               
17
Cf. LATCHAM, « Johann Andreas Stein and the search for the expressive Clavier », p. 160.
18
La collection de M. Michael Günther (château de Homburg) compte un grand nombre d’instruments
ème
à clavier [besaitete Tasteninstrumente] du 18 siècle, dont plusieurs exemplaires de petits pianoforte
en forme de harpe couchée [Tafelklaviere in Form einer liegenden Harfe].
19
Cf. ADLUNG, Anleitung zur musikalischen Gelahrtheit, pp. 690-691.
20
Le terme « Veränderung » désigne moins le nombre de registres que le nombre de combinaisons
de registres possibles, permettant de faire varier le son.
reichlich beschenkte. Unter solchen Verändeungen waren forte, piano, pianissimo,
ein Echo, Harfe, Laute, Pandaleon und ordentliche Flaute traver befindlich.

Ce dernier registre [Register] suppose que l’instrument, probablement un pianoforte


[ein organisiertes Pianoforte], était organisé. Mais ni l’instrument de Fickert ni celui
de Spath dans l’annonce de 1751 en question n’ont été conservés21.

Du fait de l’absence d’étouffoirs, le pianoforte Hellen en forme de clavecin


[Hammerflügel] de 1763 peut être considéré également comme un Pandaleon-
Clavecin [Pandaleon-Clavecin], au même titre que le pianoforte [Hammerflügel] signé
Frantz Jacob Spath Regenspurg 1767, de quatre ans son cadet, et qui est conservé
au National Music Museum, Vermillion (n° cat. 13010). À Berne, on appelait
probablement ce genre d’instrument un tympanon. Ce terme apparaît en effet parfois
dans les annonces de journaux :

Un tinpanon de feu M. Hellen, de la plus grande et belle espèce, avec son piètement.
Ein von Hrn. Hehlen sel. Verfertigtes Timpanum von der grössten und schönsten Art,
in einem dazu gemachten Tisch22.

À propos des pianoforte de Spath en forme de clavecin et sans étouffoirs


[Hammerflügel ohne Dämpfer], il faut ici citer la lettre écrite d’Augsbourg le 17
octobre 1777 par Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) à son père, peu de temps
après sa visite au fameux facteur établi dans cette ville, dans laquelle il reconnaît sa
préférence des pianoforte [Hammerflügel] de Stein à ceux de Spath23 :

Mon très cher Père ! Je dois à présent me mettre immédiatement aux pianoforte de
Stein. Avant que je ne voie le travail de Stein, mes instruments préférés étaient ceux
de Spath ; mais maintenant ma préférence va à ceux de Stein ; car ils étouffent
encore mieux que ceux du facteur de Ratisbonne.
Mon trés cher Pére ! Nun muß ich gleich beÿ die steinischen Piano forte anfangen.
Ehe ich noch vom stein seiner arbeit etwas gesehen habe, waren mir die spättischen
Clavier die liebsten; Nun muß ich aber den steinischen den vorzug lassen; denn sie
dämpfen noch viell besser, als die Regensburger.

Le pianoforte en forme de clavecin [Hammerflügel], conservé au Musée historique de


Berne, est attribué à Hellen et daté de c. 1775, en raison des documents d’archives
de la famille Charrière de Sévery, à qui il a appartenu. L’instrument nous est parvenu
dans un état qui n’est assurément pas celui d’origine, au point que l’on ne saurait

                                                                                                               
21
Deux pianoforte carrés sans étouffoirs [Tafelklaviere ohne Dämpfer] de la collection de M. Michael
Günther sont considérés comme des Pandaleon-Claviere [Pandaleon-Claviere] (n° inv. 15 et n° inv.
16). Ils sont attribués respectivement à Johann Heinrich Harrass ou Georg Nicolas Deckert
ème
(Grossbreitenbrach, Thuringe, milieu 18 siècle) et à Georg Ludwig Krämer (Bamberg, c. 1770).
22
Cf. Hoch-Oberkeitlich Privilegiertes Avis-Blättlein, 2. Heumonat, 1791.
23
L’ensemble de la correspondance de Mozart et des documents en lien avec sa famille, provenant
des fonds de la Mozart Stiftung Salzburg sont disponibles sous le lien suivant :
http://dme.mozarteum.at/DME/briefe/doclist.php. Les spättischen Clavier [sic] en question pourraient
aussi bien être des pianoforte à tangentes [Tangentenflügel]. Le pianoforte à tangentes a un son
proche du clavecin, mais est capable de gradations dynamiques, les cordes étant frappées au moyen
de tangentes, sortes de sautereaux non garnis de cuir. L’instrument est muni d’étouffoirs et dispose
d’un jeu de moderator, qui modifie le son vers un son de pianoforte. Cf. LATCHAM, « Franz Jacob
Spath and the Tangentenflügel : an eighteenth-century tradition », pp. 150-170.
dire s’il s’agit vraiment d’un pianoforte [Hammerflügel] dès l’origine. Ses registres
[Register] actuels ne sont peut-être pas non plus originaux. Il s’agit de deux
genouillères actionnant un registre soulevant tous les étouffoirs et un modérateur
(Moderator) [Moderator]. Le pianoforte en forme de clavecin [Hammerflügel] de 1763
à Paris serait donc le seul Pandaleon-Clavecin, autrement dit Timpanum [das einzige
erhaltene Pandaleon-Clavecin, auch Timpanon gennant], de l’atelier Hellen parvenu
jusqu’à nous.

L’atelier Hellen a construit des pianoforte carrés [Tafelklaviere] dès 1769 et ce


jusqu’en 1780. Ils étaient également munis de registres [Register], au nombre de
quatre au maximum, mus par des leviers de registration [Registerhebel] et dans
certains cas par des genouillères [Kniehebel] au nombre de deux. Il s’agissait tout
d’abord du jeu imitant le tympanon [Tympanon], actionné par un ou deux leviers de
registration [Registerhebel], situés de part et d’autre du châssis supportant les
étouffoirs, qui maintiennent ces derniers en position levée, pour laisser les cordes
librement résonner à l’instar du tympanon [Tympanon] ou pantalon [Pantalon].
Certains pianoforte carrés [Tafelklaviere] sont équipés de deux genouillères
[Kniehebel], dont l’une, couplée au registre imitant le tympanon [Tympanonzug],
soulève l’ensemble des étouffoirs. C’est le jeu de forte [Fortezug]. Cette genouillère
[Kniehebel] permet donc d’actionner le jeu imitant le tympanon [Tympanonzug]
pendant le jeu, sans que les mains ne quittent le clavier24.

Les pianoforte carrés [Tafelklaviere] possèdent également un jeu de moderator


[Moderatorzug], actionné par un bouton en bois fixé à une baguette mobile sur
laquelle est collée une bande dentelée de soie ou d’étoffe qui se loge entre les
marteaux et leur point de frappe, atténuant le son. Dans certains pianoforte
[Pianoforte], le moderator [Moderator] est également mû par une genouillère
[Kniehebel], tout comme le jeu imitant le tympanon [Tympanonzug], permettant ainsi
d’employer le registre en question pendant le jeu, sans que les mains ne quittent le
clavier.

Enfin, le jeu de harpe [Harfenzug], quant à lui, est toujours actionné manuellement
par un levier de registration [Registerhebel]. Il s’agit d’une bande de peau, qui entre
en contact avec les cordes près du sillet [Stimmstocksteg], suivant le même principe
que le jeu de luth [Lautenzug] dans les clavecins25. Si les pianoforte carrés
[Tafelklaviere] étaient dotés de quatre registres [Register] au maximum, actionnés
par des leviers de registration [Registerhebel] ou par des genouillères [Kniehebel],
les pianoforte en forme de clavecin [Hammerflügel] pouvaient en contenir un autre,
que les pianoforte carrés [Tafelklaver] ne pouvaient avoir, faisant toute la différence :
le registre de clavecin [Cembalozug].

La combinaison d’une mécanique de clavecin et de pianoforte [die Kombinierung


einer Kielflügel- und Hammerflügelmechanik] est avérée depuis les débuts mêmes
du pianoforte [Pianoforte]. C’est un élève de Bartolomeo Cristofori, Giovanni Ferini
(c. 1690-1758), qui a construit le plus ancien pianoforte-clavecin combiné [der älteste
kombinierte Hammer- und Kielflügel] conservé. L’instrument date de 1746 et il est
                                                                                                               
24
Cf. GOY, « Un pianoforte de Johann Ludwig Hellen, Berne 1773 », pp. 42-45.
25
À cet égard, il est étonnant que les deux clavecins Hellen conservés n’aient pas été munis de jeu de
ème
luth [Lautenzug], très courant depuis le 17 siècle déjà, ce d’autant plus que les Hellen
recherchaient une grande diversité de son dans leurs instruments.
conservé dans la collection de Luigi Ferdinando Tagliavini à Bologne26. L’instrument
dispose de deux claviers [Manuale], le supérieur [das obere] actionnant les marteaux
du pianoforte [die Hämmer des Pianoforte] et l’inférieur [das untere] les sautereaux
du clavecin [die Springer des Cembalos]. Dans ce type d’instrument, le pianoforte
[Pianoforte] et le clavecin [Cembalo] se partagent les mêmes deux rangs de cordes
de 8’ [die Saiten beider 8’ Register], mais ils ne peuvent pas être combinés sur l’un
ou l’autre clavier.

Dans les pays germaniques, la combinaison d’un instrument à cordes frappées par
des marteaux et pincées par des sautereaux remonte à 1765 au moins et c’est le
facteur de Ratisbonne Franz Jacob Spath qui en serait le créateur. Un tel instrument
est décrit en effet dans une annonce des Leipziger Zeitungen du 10 septembre
176527 :

Le sieur Spath, lequel est bien connu pour ses clavecins, en raison de leur son
majestueux et de leur précision, est à présent en mesure d’offrir, pour le plus grand
bonheur des amateurs, le dit forte-piano en forme de clavecin avec un clavecin
monté en plumes, au moyen de deux claviers superposés, pour une plus agréable
variété de sons encore, le tout fort bien accommodé.
Gedachter Hr. Spath, welcher bekanntermassen seinen Clavecins, puncto des
silberhaften majestätischen Klanges und der Accuratesse, ohnstreitig sehr vieles
zum Voraus besitzet, hat noch zu grössrem Vergnügen gedachtes Forte-piano-
Clavecin mit dem bekielten Flügel vermittelst zweyer Manuallen zu vergnügter
Abwechslung in schönster Einrichtung verbunden.

Muni de deux claviers [Zweimanualig], l’instrument de Spath évoque celui de Ferini.


Mais l’annonce ne nous dit pas si le clavecin monté en plumes [das bekielte
Instrument] disposait de son propre rang de cordes [eigenen Saitenbezug], avec ses
propres mesures de longueurs [eigener Mensur] ou si au contraire, le clavecin
[Cembalo] et le pianoforte [Pianoforte] se partageaient les mêmes rangs de cordes
[den gleichen Saitenbezug], à l’instar de l’instrument de Ferini de 1746.

L’invention du pianoforte avec un registre de clavecin disposant de son propre rang


de cordes [Pianoforte mit Cembalozug, welcher über eigenen Saitenbezug verfügt]
reviendrait cependant au facteur [Instrumentenbauer] Johann Andreas Stein
d’Augsbourg à en croire les journaux de l’époque. Pour combiner de manière
satisfaisante le pianoforte [Pianoforte] et le clavecin [Cembalo], il faut que les cordes
du pianoforte [Pianoforte], étant frappées par des marteaux, [durch Hämmer
angeschlagen] soient plus grosses et de fait moins longues que celles du clavecin.
De même, si les cordes du clavecin sont trop grosses, alors elles rendent un son
                                                                                                               
26
Ferini était également l’auteur de l’un des trois instruments préférés de la reine d’Espagne Maria
Barbara, qu’elle légua au castrat Carlo Broschi, mieux connu sous le nom de Farinelli (1705-1782). Il
s’agissait d’un cembalo a marteletti, sans doute sur le modèle des instruments de Cristofori. Il y avait
aussi un cembalo di registro, construit à sa demande par le facteur [Instrumentenbauer] Diego
Fernández (1703-1775), qui devait être capable du plus grand nombre de registrations
[Veränderungen] possibles (cf. SACCHI, Vita del cavaliere Don Carlo Broschi detto il Farinello, pp. 47-
48 : un cembalo di più voci diverse). Enfin, basé sur les deux premiers, le troisième était un instrument
de Paolo Morelatti (1740-1807). Il combinait sans doute les deux mécaniques du pianoforte et du
clavecin [beide Hammerflügel- und Kielflügelmechanik], ainsi qu’un grand nombre de registres
[Veränderungen].
27
Cf. LATCHAM, « The instrument of many colours made by Tadeo Tornel in Murcia, 1777 », p. 313.  
désagréable et se cassent plus facilement. Dans le Anhang zu den wöchentlichen
Nachrichten und Anmerkungen die Musik betreffend, publié à Leipzig le 31 juillet
1769, le compositeur et écrivain Johann Adam Hiller (1728-1804) décrit ainsi le
principe de la différence des mesures de longueurs de cordes [Mensur] pour le
pianoforte [Pianoforte] et le clavecin [Cembalo], à propos d’un nouvel instrument de
l’invention de Johann Andreas Stein, le Poli-Toni-Clavichord [das sogenannte Poli-
Toni-Clavichord], dont aucun exemplaire ne nous est parvenu28. Nous publions in
extenso le paragraphe en question, repris littéralement dans la Augsburger
Intelligenzblatt du 5 octobre 1769 et cité par Michael Latcham29 comme source :

Suite aux nouvelles concernant l’amélioration du pianoforte. Le son quelque peu


sourd du fortepiano a conduit ledit M. Stein à imaginer de le doter d’un registre
brillant et d’une certaine manière de combiner le clavecin au fortepiano. Cette
combinaison ne consiste en rien d’autre que de pouvoir jouer l’un et l’autre sur un
seul clavier ; car chacun d’eux a des dimensions et des cordes particulières. Cet
instrument n’est pas de l’espèce de ceux où les marteaux et les sautereaux se
partagent les mêmes cordes et en tirent une musique abominable, parce que la
frappe des marteaux exige une tout autre mesure et d’autres cordes que les
sautereaux.
Fortsetzung der Nachricht von Verbesserung des Pianoforte. Der etwas stumpfe Ton
des Fortepiano brachte besagten Herrn Stein auf die Gedanken, ihm einen scharfen
Zug zuzugesellen, und gewissermassen den Flügel mit dem Fortepiano zu
verbinden. Diese Verbindung aber bestehet weiter in nichts, als dass beyde auf
einem Claviere gekoppelt werden können ; denn jedes hat seinen besondern Körper
und Saiten. Es ist dieses Werk demnach nicht von der Gattung derjenigen, wo die
Hämmer und Docken einerley Saiten mit einander gemein haben, und eine
abscheuliche Musik hervor bringen, weil der Anschlag der Hämmer eine ganz andere
Mensur, und andere Saiten verlangt, als die Docken.

D’après Johann Adam Hiller, Johann Andreas Stein travaillait en 1769 depuis dix ans
dans le perfectionnement du pianoforte [Pianoforte], ce qui situerait le début de ses
recherches autour de 175930 :

Un habile facteur d’orgues et d’instruments, qui est en même temps organiste de la


Barfüsserkirche d’Augsbourg, M. Johann Andreas Stein, travaille depuis dix ans à
l’amélioration des défauts, que l’on rencontre dans le pianoforte. Il est en mesure à
présent d’offrir un instrument, loué et admiré des connaisseurs.
Ein geschickter Orgel- und Instrumentmacher, der zugleich Organist an der
evangelischen Barfüsserkirche zu Augsburg ist, Herr Johann Andreas Stein, hat an

                                                                                                               
28
Cf. HILLER, Anhang zu den wöchentlichen Nachrichten und Anmerkungen die Musik betreffend, 31
juillet 1769, p. 40.
29
Cf. LATCHAM, « The musical instruments en forme de clavecin by, and attributed to, the workshop of
Johann Ludwig Hellen », pp. 83-84.
30
Cf. HILLER Anhang zu den wöchentlichen Nachrichten und Anmerkungen die Musik betreffend, 24
juillet 1769, p. 32. Durant l’année 1759-1760, Johann Ludwig Hellen semble s’être absenté de Berne,
car il n’apparaît pas dans les comptes de la chambre des bourgeois pour le paiement de la taxe
annuelle, à laquelle il a été soumis pendant toute la durée de son activité de facteur
[Instrumentenbauer] à Berne, à titre de « manant » (Hintersass) [Hintersass], c’est-à-dire de non
bourgeois [Ausburger] (Cf. Burgerkammer Rechnungen Hintersässen, 1754-1781). Cette absence,
coïncidant avec le début des recherches de Stein, semble avoir également été déterminante pour
l’atelier bernois.  
der Verbesserung der Mängel, die sich bey dem Pianoforte finden, seit zehn Jahren
gearbeitet, und ein Instrument zu Stande gebracht, das von Kennern sehr gelobt und
bewundert wird.

Le pianoforte [Hammerflügel] Hellen de 1763 à Briosco était à l’origine muni d’un


registre de clavecin [Cembalozug] et les cordes de ce dernier étaient plus longues
que celles du pianoforte [Pianoforte]. De fait, il y avait sur le sommier [Stimmstock]
deux sillets [Stimmstockstege], l’un pour les cordes du clavecin [Cembalo] et l’autre
pour celles du pianoforte [Pianoforte], mais un seul chevalet [Steg] sur la table
d’harmonie [Resonanzboden] pour toutes les cordes. En ce qui concerne les
registres (Veränderungen) [Veränderungen], il avait sans doute un jeu de harpe
[Harfenzug] et peut-être un moderator [Moderatorzug]. Enfin, l’instrument n’était
probablement pas muni d’étouffoirs [Einzeltondämpfer] à l’origine, comme le
pianoforte [Hammerflügel] de 1763 à Paris. Les pianoforte [Hammerflügel] Hellen
étaient donc en 1763 des Timpanons avec ou sans registre de clavecin [Timpanons
mit oder ohne scharfen Zug].

Le pianoforte avec registre de clavecin [Hammerflügel mit Cembalozug], attribué à


Hellen et non daté, à Etobon, nous donne une meilleure idée des différentes
registrations (Veränderungen) [Veränderungen] dont disposait ce genre d’instrument.
Muni de cordes plus longues pour le registre de clavecin [Cembalozug] que celles du
pianoforte [Pianoforte], cet instrument semble en effet avoir été conçu pour que les
deux mécaniques opèrent simultanément sur le clavier [Manual] unique. La
mécanique de pianoforte [Pianoforte] dispose de ses propres étouffoirs [eigene
Einzeltondämpfer] qui sont indépendants des sautereaux [Springer] du clavecin [des
Cembalos]. En tirant à soi le clavier, on désactive les marteaux. Le pianoforte
[Pianoforte] avait un registre de harpe (Harfenzug) [Harfenzug], actionné par un
levier de registration [Registerhebel] situé à droite sur la gorge [Vorsatzbrett] au-
dessus du clavier. Le levier de registration [Registerhebel] de gauche sert quant à lui
à actionner le moderator [Moderatorzug]. Les étouffoirs [Einzeltondämpfer] du
pianoforte [Pianoforte] peuvent être soulevés manuellement ou par des genouillères
[Kniehebel]. On peut ainsi maintenir l’une des deux moitiés d’étouffoirs soulevés, en
actionnant manuellement l’un des leviers des basses ou des dessus, tout en agissant
à bien plaire sur l’autre moitié des étouffoirs par le biais de la genouillère [Kniehebel].
Le registre de clavecin [Cembalozug] peut être retiré grâce à un levier de registration
[Registerzug] situé à gauche sur le sommier [Stimmstock]. Seuls les registres
actionnés par les genouillères [Kniehebel] permettent de modifier le son pendant le
jeu, sans que les mains ne quittent le clavier.

Le pianoforte [Hammerflügel] de Nuremberg attribué à Hellen et non daté était à


l’origine du même type que celui d’Etobon, à savoir un pianoforte avec registre de
clavecin [Hammerflügel mit Cembalozug]. Il avait des cordes plus longues pour le
registre de clavecin [Cembalozug] que celles du pianoforte [Pianoforte], ainsi que
des étouffoirs [Einzeltondämpfer]. Il disposait de deux genouillères [Kniehebel], l’une
d’elles au moins afin de soulever tous les étouffoirs [Einzeltondämpfer] et l’autre
peut-être pour un moderator [Moderator] qui n’est plus en place actuellement. Enfin
l’instrument avait peut-être aussi un jeu de harpe [Harfenzug].

Le pianoforte-clavecin combiné [Der kombinierte Hammer- und Kielflügel] de Berlin


attribué à Hellen et non daté se distingue des autres pianoforte avec registre de
clavecin [Hammerflügel mit Cembalozug] en ce qu’il n’a qu’un sillet [Stimmstocksteg]
pour les deux rangs de cordes de 8’ [beide 8’ Saitenchöre], dont les sautereaux
[Springer] du clavecin [Cembalo] en pincent un et les marteaux [Hämmer] du
pianoforte [Pianoforte] en frappe les deux. Les cordes du pianoforte [Pianoforte] et
celles du registre de clavecin [Cembalozug] ont donc la même longueur. La
mécanique du clavecin et celle du pianoforte [Pianoforte] peuvent être jouées
simultanément sur le clavier. Parmi les registres [Veränderungen], il y a un jeu de
harpe [Harfenzug], qui affecte donc les cordes tant du pianoforte [Pianoforte] que du
clavecin [Cembalo]. Le jeu de harpe [Harfenzug] et le moderator [Moderator] sont
tous deux actionnés par des leviers de registration [Registerhebel]. Le pianoforte
[Pianoforte] est muni d’étouffoirs [Einzeltondämpfer], divisés en basses et dessus
[zwischen Bass und Diskant]. On peut soulever les étouffoirs [Einzeltondämpfer] du
côté des basses ou du côté des dessus manuellement par des leviers de registration
[Registerhebel] situés de part et d’autre. Un levier de registration [Registerhebel]
situé à droite sur la gorge [Vorsatzbrett] au-dessus du clavier permet de désactiver le
registre de clavecin [Cembalozug].

Comme dans les autres pianoforte en forme de clavecin [Hammerflügel], en tirant à


soi le clavier de quelques millimètres, on empêche ce dernier de communiquer avec
la mécanique du pianoforte [Pianoforte] et les marteaux restent au repos. Dans un
instrument tel que le pianoforte [Hammerflügel] de Berlin, le clavecin [Cembalozug]
était probablement monté en peau de buffle [mit peau de buffle bekielt], matériau
plus souple que la plume, et permettait une plus grande nuance dans les
decrescendi, entre le doux [piano] et le silence des marteaux [Stille der Hämmer].
C’est du moins ainsi que Joseph Merlin, facteur [Instrumentenbauer] actif à Londres,
a conçu en 1780 son pianoforte-clavecin combiné [sein kombinierter Hammer- und
Kielflügel]. Le Saitenharmonika [Das Saitenharmonika] et le Vis-à-vis [das Vis-à-Vis]
de Johann Andreas Stein, tous deux de 1783, ont également les mêmes longueurs
de cordes [gleiche Mensur] pour le clavecin [Cembalo] et le pianoforte [Pianoforte], et
le clavecin [Cembalo] est monté en peau de buffle [mit peau de buffle bekielt].

Dans une annonce publiée dans la Hoch-Oberkeitlich Privilegiertes Avis-Blättlein du


8 août 1789, il est question d’un instrument qui pourrait être semblable à celui de
Berlin :

Un pianoforte de M. Hählen, ou d’un autre bon maître, pourvu que l’instrument soit
recommandable par sa bonté & sa perfection ; on le désiroit avec des variations,
avec ou sans harmonica, le plutôt le mieux.
Ein extragutes Pianoforte von Hrn. Hählen, oder sonst einem anderen guten Meister,
mit Variationen und mit oder ohne Hamonica, je ehender je lieber.

Dans ce cas, le pianoforte-clavecin combiné [der kombinierte Hammer-und Kielflügel]


de Berlin serait un pianoforte avec harmonica.

Il ne subsiste dans la production des Hellen aucun exemplaire du premier type de


pianoforte-clavecin combiné [des kombinierten Hammer- und Kielflügels],
comparable à l’instrument de Ferini de 1746 et à celui décrit dans l’annonce des
Leipziger Zeitungen du 10 septembre 1765. À en juger par les instruments
combinant le pianoforte [Pianoforte] avec un registre de clavecin [Cembalozug], qui
nous sont parvenus, les Hellen ont d’emblée adopté des mesures de longueurs de
cordes différentes [andere Mensur] pour le registre de clavecin [Cembalozug] de
leurs pianoforte [Pianoforte], et ce dès 1763. C’est le cas des instruments de 1763 à
Briosco et des deux pianoforte [Hammerflügel] attribués à Hellen et non datés à
Etobon et à Nuremberg.

Quant au pianoforte [Hammerflügel] de Berlin, il appartient toutefois à un troisième


type. Les mesures des cordes [Mensur] sont les mêmes, que celles-ci soient
frappées par les marteaux ou pincées par des sautereaux montés probablement en
peau de buffle, à l’image du Seitenharmonika [Saitenharmonika] et du Vis-à-vis [Vis-
à-vis] de Stein, tous deux de 1783. Dans ce cas, on pourrait nommer l’instrument de
Berlin un pianoforte avec harmonica [ein Pianoforte mit Harmonika], comme dans
l’annonce parue le 8 août 1789 dans la Hoch-Oberkeitlich Privilegiertes Avis-
Blättlein. L’instrument de Berlin intégrerait ainsi l’invention, en 1768, par Pascal
Taskin (1723-1793), facteur à la cour de France, du registre en peau de buffle31. Il
serait donc postérieur à cette date. Le facteur français est également réputé pour
avoir mis au point à cette même date le principe des genouillères [Kniehebel],
permettant des changements de registre [Veränderungen], sans que les mains ne
quittent le clavier.

Dans les instruments Hellen, les genouillères [Kniehebel] font leur apparition dès
1773. Elles ne sont pas présentes sur les deux pianoforte carrés de 1769. On peut
donc supposer que l’instrument de Berlin a été construit après 1769, mais en tout
cas avant 1779, date à laquelle il a subi une réparation en Allemagne32. Enfin, le
registre en peau de buffle, doublé du mécanisme de genouillères pour les autres
registres des clavecins de Taskin, semble avoir contenté le public français en
matière de dynamique [Dynamik]. Dans l’instrument de Berlin attribué à Hellen et non
daté, il est particulièrement efficace pour les decrescendi. Dans la perspective
historique de l’évolution du pianoforte [Pianoforte], l’instrument commandé par la
famille Charrière de Sévery en 1775 et conservé à Berne, semble plus avancé,
puisqu’il n’a jamais été un pianoforte avec registre de clavecin, de type harmonica ou
autre [Hammerflügel mit Cembalozug, bzw. mit oder ohne Harmonika]. Le pianoforte
[Hammerflügel] de Berlin serait donc antérieur à 1775 :

À ce stade, on peut formuler l’hypothèse d’une chronologie et d’une typologie des


instruments en forme de clavecin Hellen [eine Typologie der Hellenschen Flügel],
selon la séquence ci-dessous.

1. Clavecin [Cembalo] de 1759 à Stuttgart

2. Pianoforte en forme de clavecin et sans étouffoirs de 1763 à Paris (Pandaleon-


Clavecin, autrement dit Timpanon) [Hammerflügel ohne Einzeltondämpfer, bzw.
Pandaleon-Clavecin, auch Timpanon genannt]

3. Pianoforte en forme de clavecin, sans étouffoirs, mais avec registre de clavecin de


1763 à Briosco (Pandaleon-Clavecin mit Cembalo ou Timpanon mit scharfem Zug)
[Hammerflügel ohne Einzeltondämpfer, aber mit Cembalozug, bzw. Pandaleon-
Clavecin mit scharfem Zug, auch Timpanon mit scharfem Zug genannt]
                                                                                                               
31
Le récit de cette invention nous est donné dans l’Essai sur la musique ancienne et moderne de
Jean-Benjamin de Laborde (1734-1794), publié à Paris en 1780, pp. 347-351.
32
Cf. DROYSEN-REBER et RASE, « Historische Kielklaviere bis 1800 », p. 236.
4. Clavecin [Cembalo] de c. 1763 en Suisse (collection particulière)

5. Pianoforte en forme de clavecin avec registre de clavecin, étouffoirs et


genouillères à Etobon et Nuremberg, construits probablement après 1769 mais avant
1775 (Pianoforte mit scharfem Zug) [Hammerflügel mit Cembalozug,
Einzeltondämpfer und Kniehebel, bzw. Pianoforte mit scharfem Zug]

6. Pianoforte-clavecin combiné avec registre de clavecin en peau de buffle, étouffoirs


et genouillères à Berlin construit après 1769 mais avant 1775, en tout cas après les
deux instruments d’Etobon et Nuremberg (Pianoforte mit Harmonica) [Kombinierter
Hammer- und Kielflügel mit Cembalozug in peau de buffle, Einzeltondämpfer und
Kniehebel, bzw. Pianoforte mit Harmonika].

7. Pianoforte en forme de clavecin avec étouffoirs et sans registre de clavecin de


1775 à Berne [Hammerflügel mit Einzeltondämpfer und ohne Cembalozug, bzw.
Pianoforte ohne Harmonika, einfach Pianoforte]

Le dernier instrument Hellen en forme de clavecin serait dans ce cas un pianoforte


sans registre de clavecin [Hammerflügel ohne Cembalozug]. En ce sens, la
production tout entière de l’atelier Hellen illustre bien les différentes étapes de
l’évolution du pianoforte [Pianoforte] vers un instrument où les modulations du son
(Veränderungen) [Veränderungen] sont placées désormais dans le jeu du musicien
et non plus dans l’action des registres. Ceux-ci persisteront toutefois dans les
pianoforte carrés [Tafelklaviere] que l’atelier produisait dès 1769 au moins et
jusqu’en 1780. Il aura ainsi fallu une douzaine d’années aux Hellen, entre 1763 et
1775 environ, pour mettre au point des instruments capables de satisfaire une
clientèle aristocratique éclairée et curieuse des dernières nouveautés instrumentales
et musicales33. Enfin, la variété des instruments produits en un temps finalement
assez court, traduit bien l’urgence ressentie de se mettre sans cesse à de nouveaux
instruments, selon le mot de Mozart lui-même en 1777, cité plus haut.

En véritables précurseurs, les Hellen ont clairement dirigé leurs efforts dans le
domaine du pianoforte sans registre [Hammerflügel ohne Register], autrement dit le
Hammerflügel en devenir. Ils n’ont pas jugé utile de perfectionner leurs clavecins,
contrairement à certains facteurs anglais tels Joseph Merlin ou le Suisse d’origine
Burkat Shudi (1702-1773), qui ont équipé leurs clavecins de machine stop [machine
stop], Venetian swell [Venetian swell, eine Art Jalousieschweller] et autres dispositifs
destinés à rendre expressif l’instrument à cordes pincées34. Ils ne semblent pas non
plus s’être intéressés au pianoforte à tangentes (Tangentenflügel) [Tangentenflügel],
développé par Franz Jacob Spath.

                                                                                                               
33
La famille patricienne bernoise des Stettler est tout à fait exemplaire à cet égard. Cf. MONTAN-
ème
MISSIRLIAN, « La découverte d’un clavecin suisse du 18 siècle, attribuable aux frères Hellen (Berne,
c. 1763) », pp. 201-226.
34
Introduit dans certains clavecins anglais dès 1765, le dispositif dit de machine stop enclenchait un
mécanisme permettant de désengager un à un l’ensemble des registres du clavecin, en opérant pour
cela sur une pédale. Patenté en 1769 par Shudi sous l’appellation de Venetian swell, ce dispositif
permettait quant à lui des effets de crescendo et decrescendo en agissant également sur une pédale.
Enfin, pour compléter la typologie des instruments Hellen, il faut encore mentionner
un dernier type d’instrument qui ne nous est connu que par une annonce parue dans
le Supplément aux Nouvelles de divers endroits (Gazette de Berne) du 25 avril 1778
(n°33), en l’occurrence un clavecin organisé [organisiertes Cembalo]35 :

On offre à vendre ici un grand Clavesin organisé & à grand ravalement, ouvrage
parfait et construit par le celebre Hellen, & consistant en un clavesin de double
clavier, trois registres, & le son imitant la harpe ; le couvercle avec une jolie peinture
& toute la garniture de laiton doré ; le pied dudit Clavesin contient deux & demi
registres de flute, on peut jouer le tout à part ou accompagné comme on le juge à
propos, ce qui fait une harmonie des plus agréables, le tout à un prix honnete.

Patrick Montan-Missirlian
Romainmôtier 2014

Sources :

Anonyme, Hoch-Oberkeitlich Privilegiertes Avis-Blättlein, 8 août 1789.

Anonyme, Hoch-Oberkeitlich Privilegiertes Avis-Blättlein, 2. Heumonat 1791.

Anonyme, Leipziger Postzeitungen, 23 octobre 1731.

Anonyme, Leipziger Zeitungen, 10 septembre 1765.

Anonyme, Supplément aux Nouvelles de divers endroits (Gazette de Berne), 25 avril 1778
(n°33).

Jacob ADLUNG, Anleitung zur musikalischen Gelahrtheit, Dresden et Leipzig, 1783.

Jacob ADLUNG, Musica mechanica organoedi. Das ist : Gründlicher Unterricht von der
Struktur, Gebrauch und Erhaltung, etc. der Orgeln, Clavicymbel, Clavichordien und anderer
Instrumente, in so fern einem Organisten von solchen Sachen etwas zu wissen nöthig ist,
Berlin, 1768, pp. 116-117 (R, Cassel, Bärenreiter, 1931). Postface de Christhard
Mahrenholz.

Dom François BEDOS De CELLES, L’art du Facteur d’Orgues, Paris, 1766-1778 (R, Genève,
Slatkine, 2004). Préface de Jean Barraud.

Johann Adam HILLER, Anhang zu den wöchentlichen Nachrichten und Anmerkungen die
Musik betreffend, Leipzig, 24 juillet 1769.

Johann Adam HILLER, Anhang zu den wöchentlichen Nachrichten und Anmerkungen die
                                                                                                               
35
Un tel instrument est décrit et illustré dans L’art du Facteur d’Orgues de dom François Bedos de
Celles (pp. 641-643, planches CXXXIV-CXXXV). S’il est vrai que le pianoforte organisé également
décrit et illustré dans l’ouvrage du moine bénédictin et facteur d’orgues évoque de près les pianoforte
carrés Hellen, on ne peut en dire autant pour le clavecin organisé dans L’art du Facteur d’Orgues. Cf.
ème
MONTAN-MISSIRLIAN, « La découverte d’un clavecin suisse du 18 siècle, attribuable aux frères
Hellen (Berne, c. 1763) », pp. 201-226.
Musik betreffend, Leipzig, 31 juillet 1769.

Jean-Benjamin de LABORDE, Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, 1780 (R,
Minkoff, 1972).

Scipione MAFFEI, « Nuova invenzione d’un gravicembalo col piano e forte ; aggiunte alcune
considerazioni sopra gli strumenti musicali » in Giornale de’ letterati d’Italia, vol. V, Venise,
1711.

Giovenale SACCHI, Vita del cavaliere Don Carlo Broschi detto il Farinello, Venise, 1784;
Flavio Pagano éd., Naples, 1994.

Staatsarchiv Bern, B XIII 44-47 : Burgerkammer Rechnungen Hintersässen, 1754-1781

Littérature critique :

Jean-Claude BATTAULT et Pierre GOY, « Les petits pianoforte de Hellen » in Musique.


Images. Instruments. Écoles et traditions régionales, 1ère partie, CNRS Éditions, Paris,
2004.

Dagmar DROYSEN-REBER et Horst RASE, « Historische Kielklaviere bis 1800. Beschreibung


der Instrumente, Teil 1. Cembalo. Gottfried (?) Silbermann zugeschrieben. Sachsen, um
1740. Kat.-Nr. 5 », in Kielklaviere. Cembali, Spinette, Virginale, Staatliches Institut für
Musikforschung Preussischer Kulturbesitz, Berlin, 1991.

Dagmar DROYSEN-REBER et Horst RASE, « Historische Kielklaviere bis 1800, Beschreibung


der Instrumente, Teil 1. Kiel-Hammerflügel. Johann Ludwig Hellen zugeschrieben. Bern, vor
1779. Kat.-Nr. 2167 », in Kielklaviere. Cembali, Spinette, Virginale, Staatliches Institut für
Musikforschung Preussischer Kulturbesitz, Berlin, 1991.

Fernanda GIULINI, Villa Medici Giulini. Un invito all’arte e alla musica, Briosco, 2008.

Pierre GOY, « Un pianoforte de Johann Ludwig Hellen, Berne 1773 », in Bulletin annuel,
Société des Amis du Château de la Sarraz, 2003.

Michael LATCHAM, « Franz Jacob Spath and the Tangentenflügel : an eighteenth-century


tradition » in The Galpin Society Journal, vol. 57, 2004.

Michael LATCHAM, « Johann Andreas Stein and the search for the expressive Clavier » in
Cordes et Claviers au temps de Mozart. Bowed and Keyboard Instruments in the Age of
Mozart, Thomas Steiner éd., Peter Lang, Berne, 2010.

Michael LATCHAM, « The instrument of many colours made by Tadeo Tornel in Murcia,
1777 » in Verdolay. Revista del Museo Arqueológicode Murcia, n° 10, 2007.  

Michael LATCHAM, « The musical instruments en forme de clavecin by, and attributed to, the
workshop of Johann Ludwig Hellen » in Musique. Images. Instruments. Écoles et traditions
régionales, 2ème partie, CNRS Éditions, Paris, 2004.

Patrick MONTAN-MISSIRLIAN, « La découverte d’un clavecin suisse du 18ème siècle, attribuable


aux frères Hellen (Berne, c. 1763) » in Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und
Kunstgeschichte, vol. 71, fasc. 2-3, Zurich, 2014.
Patrick MONTAN (-MISSIRLIAN) et Alberto de ANDRES, « La découverte d’un orgue suisse du
18ème siècle attribuable à Joseph Anton Moser (Fribourg, c. 1767) » in Zeitschrift für
Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, vol. 67, fasc. 3, Zurich, 2010.

Conny RESTLE, « Gottfried Silbermann und die Hammerflügel für den Preußischen Hof in
Potsdam », in Jahrbuch des Staatlichen Instituts für Musikforschung, Preußischer
Kulturbesitz. Merseburger, Berlin, 2001.

Otto RINDLISBACHER, Das Klavier in der Schweiz. Klavichord, Spinett, Cembalo, Pianoforte.
Geschichte des schweizerischen Klavierbaus 1700–1900, Berne/Munich, 1972.

GLOSSAR

Achtfuss oder 8’ : der 8’ ist die Angabe zur Normalstimmlage und kommt aus der Sprache der
Orgelbauer. Die offene Pfeife für das C der grossen Oktave ist acht Fuss (= ca. 240 cmm) lang

Auslösung : Auskopplung des Hammers von der Tastenbewegung kurz vor dem Anschlag

Bezug : Synonym für Chor

Cembalo : Kielklavier in Flügelform, dessen Saiten gezupft werden. Synonym für Kielflügel

Cembalozug : bei Kombinationsinstrumenten der Registerhebel für den Bezug der gezupften Saiten

Chor : Anzahl der Saiten pro Taste. Ein Cembalo mit der Besaitung 8’ 8’ 4’ ist ein dreichöriges
Instrument. Gilt auch für alle Saiten einer zusammengehenden Springerreihe. Synonym für Bezug

Clavichord : rechteckiges besaitetes Tasteninstrument, dessen Saiten durch Tangenten geschlagen


werden. Aus dem Clavichord wurde das Tafelklavier entwickelt

Dämpfer : bei der Fähnchendämpfung, ein oder zwei in den Springer oben eingeklemmte weiche Filz-
oder Lederstückchen, die beim Rückfall des Springers die Saitenschwingung dämpfen

Dämpfungsaufhebung : bei besaiteten Tasteninstrumenten mit Hammermechanik, die Vorrrichtung,


welche ermöglicht, entweder alle Dämpfer auf einmal zu heben, oder nur jene im Bass- oder
Diskantbereich

Docke : Synonym für Springer

Einfache Deutsche Mechanik : Synonym für Prellmechanik

Einfache Englische Mechanik : Synonym für Stossmechanik

Einzeltondämpfung : Vorrichtung bei besaiteten Tasteninstrumenten mit Hammermechanik, bei


welcher jeder einzelne Ton gedämpft wird, unabgehängt von den anderen

Frontschieber : durch das Vorsatzbrett geführter Schalthebel. Er dient der Registerschaltung

Frontzug : durch das Vorsatzbrett geführter Zug. Er dient der Registerschaltung

Gehäuse : Unterboden und Wände des Instruments

Harfenzug : die mit Lederstreifen besetzte Leiste, welche die Saiten unmittelbar hinter dem
Stimmstocksteg abdämpft

Hinterer 8’ Register : der Bezug in 8’, der vom oberen Manual gespielt wird

Jalousieschweller : über dem Saitenbezug liegende Jalousie, deren Lamellen durch ein Pedal mehr
oder weniger aufgestellt werden können und damit eine dynamische Differenzierung ermöglichen.
Auch « Venetian swell » genannt.

Jeu de luth : französische Bezeichnung für Lautenzug

Kiel : in die Zunge eingesetztes Plektrum aus Rabenfederkiel (oder heutzutage einem Ersatzmaterial
wie Delrin)

Kielflügel : Deutscher Ausdruck für Cembalo

Kielhammerflügel : Kombinationsinstrument mit Kiel- und Hammermechanik

Kielklavier : Oberbegriff für Cembalo, Spinett und Virginal

Klaviatur : die Gesamtheit der Tasten, fallweise in einem Manual oder zwei Manualen. Auch als
Synoym für Manual gebraucht

Klaviaturumfang : Synoym für Tastenumfang

Kniehebel : unter dem Unterboden montierter Hebel, der mit den Knien bedient wird. Er dient der
Registerschaltung

Koppel : Einrichtung, die beim Spielen des Untermanuals das Mitgehen der Register des
Obermanuals ermöglicht. Es gibt die Manualkoppel, auch Schiebekoppel oder französische
Schiebekoppel genannt, und die Springerkoppel

Korpus : Synonym für Gehäuse

Lautenzug : eine mit Filz – oder Lederstückchen besetzte Leiste, die die Saiten eines Registers
unmittelbar hinter dem Stimmstocksteg abdämpft

Machine stop : eine Pedal- oder Kniehebelschaltung, die mehrere Register gleichzeitig schaltet

Manual : die auf einer Ebene liegenden Tasten der Klaviatur

Manualkoppel : Einrichtung, die beim Spielen des Untermanuals das Mitgehen der Register des
Obermanuals ermöglicht, wobei die Tasten des Obermanuals sich mitbwegen. Synonym für
Schiebekoppel

Mensur : die schwingende Saitenlänge, gemessen in mm

Moderator : zwischen Hämmer und Saiten die bewegliche Leiste, auf der ein dünner gezahnter
Seiden- oder Tuchstreifen aufgeleimt ist, um die Saiten abzudämpfen

Obermanual : bei zweimanualigen Cembali die obere Klaviatur

Organisiertes Cembalo : Kombinationsinstrument mit Kielmechanik und Orgelregister

Organologie : historische Musikinstrumentenkunde

Peau de buffle : um 1769 eingeführtes Register, bei dem die Plektren aus weichem Büffel-Leder
bestehen. Ausschliesslich französische Cembali haben ein solches Register

Plektrum : das zurechtgeschnittene Stück Federkiel, Leder oder (heutzutage) Kunststoff, das in der
Zunge des Springers steckt und die Saite anzupft

Prellmechanik : Oberbegriff für frühe Deutsche Mechanik bei Tafelklavieren und Hammerflügeln

Querspinett : Spinett mit einer schräg zur Rückwand verlaufenden Klaviatur


Register : ein zusammenhängende Springerreihe sowie die sich auf einen gesamten Saitenchor
beziehende Klangveränderung

Registerhebel : Vorrichtung, welche die Registerschaltung ermöglicht

Registerschaltung : Vorrichtung zum Schalten einer Springerreihe oder eine Klangveränderung

Resonanzboden : die dünne schwingende Holzplatte, über der die Saiten verlaufen

Resonanzbodensteg : die auf dem Resonanzboden aufgeleimtem annährend parallel zum


Anhangleiste verlaufende Leiste, über die die Saiten geführt werden

Schiebekoppel : Kopplung der Manuale durch Einschieben eines der Manuale

Springer : das auf dem hinteren Ende des Tastenhebels stehende, durch den Rechen geführte
schmale Holzstäbchen, an dessen oberem Teil die Zunge mit dem Plektrum (Kiel) befestigt ist.
Synonym für Docke

Springerkoppel : Sonderform der Koppel, bei der getreppte Springer das Koppeln der Register
ermöglichen. Das Koppeln erfolgt hierbei durch Einschieben des Untermanuals unter die getreppten
Springer. Beim Spielen auf dem Untermanual gehen jedoch die Tasten des Obermanuals nicht mit.
Synonym für Sächsische Springerkoppel

Steg : Oberbegriff für Resonanzbodensteg und Stimmstocksteg. Eine Leiste, über die der Saitenbezug
gespannt ist und die die schwingende Saitenlänge begrenzt.

Stimmstock : das Holzbrett, in das die Wirbel eingeschlagen oder eingedreht sind

Stimmstocksteg : auf dem Stimmstock befestigter Steg

Stossmechanik : Oberbegriff für frühe Englische Mechanik bei Tafelaklavieren und Hammerflügeln

Tastenhebel : gesamte Tastenlänge

Tastenumfang : Angabe des tiefsten und höchsten Ton auf der Klaviatur, bezogen auf das 8’-Register

Tempanonzug : Vorrichtung, bei der alle Einzeltondämpfer aufgehebt werden, so dass die Saiten
nachklingen

Untermanual : bei zweimanualigen Cembali die untere Klaviatur

Venetian swell : s. Jalousieschweller

Vierfuss oder 4’ : Saitenbezug, der eine Oktave höher klingt als der 8’

Vorderer 8’ Register : der Bezug in 8’, der vom unteren Manual gespielt wird

Vorsatzbrett : hinter der Klaviatur stehendes, die Vorderseite des Instruments nach oben
abschliessbares Brett

Wirbel : drehbarer Stift, um den die Saite gewickelt ist, so dass durch Drehen des Wirbels im
Stimmstock die Saite gestimmt wird

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