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Editions Dalloz

VERS UN RENOUVEAU DE LA THÉORIE DES MARCHÉS PARFAITS : LES MARCHÉS


FINANCIERS
Author(s): Bruno Solnik
Source: Revue d'économie politique, Vol. 82, No. 3 (MAI-JUIN 1972), pp. 472-485
Published by: Editions Dalloz
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24695408
Accessed: 13-06-2019 11:36 UTC

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VERS UN RENOUVEAU DE LA THEORIE
DES MARCHÉS PARFAITS :
LES MARCHES FINANCIERS

Depuis quelques années un nouveau cadre d'analyse a été proposé pour


l'étude des biens financiers : le marché financier efficient. Cet article tente
de montrer quelles sont ses relations avec la théorie des marchés de concur
rence pure et parfaite, ses justifications et ses limites.
De nombreux tests statistiques semblent montrer que les marchés finan
ciers sont, au contraire de nombreux types de marchés, très proches du
modèle de marché parfait. Ces résultats ont d'importantes conséquences
quant au comportement des institutions financières.

L'étude des marchés de biens non financiers n'a apporté jusqu'ici


que peu de justifications en faveur de la théorie de la concurrence
pure et parfaite mais a, au contraire, suscité de développement de
théories plus réalistes telles que celle de l'oligopole. Quant à l'analyse
des marchés financiers, elle s'est souvent limitée à une simple trans
position des théories de la production ou de la consommation, sans
qu'aucune réelle tentative n'ait été faite pour développer une théorie
à la fois synthétique et positive particulière aux actifs financiers.
Or, depuis quelques années, l'étude des marchés financiers prend
un nouvel essor ; c'est notamment le domaine le plus étudié actuelle
ment par les économistes d'Outre Atlantique. Rejoignant le
grand public américain dans son extraordinaire intérêt pour
Wall Street et les marchés financiers, J. Tobin (1), M. Friedman (2),
P. Samuelson (3), F. Modigliani (4), les écoles de Chicago et du

(1) Tobin J., « Liquidity Preference as Behavior towards Risk » Review of Econo
mics and Statistics, Feb. 1958.
(2) Friedman M., « The Utility Analysis of Choices involving Risk » Journal of
Political Economy, LVI (1948).
(3) Samuelson P., « Proof that propely anticipated Earnings fluctuate randomly »
Industrial Management Review, Spring 1965. — « General Proof that Diversifi
cation Pays ». Journal of Financial and Quantitative Analysis, mars 67. — « Efficient
Portfolio Selection for Pareto-Levy Investments ». Journal of Financial and Quan
titative An., juin 1967.
(4) Finance Seminar, Massachusets Institute of Technology, 1970.

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LES MARCHÉS FINANCIERS 473

M. I. T., ... ont contribué au développement d'une théorie propre


aux biens financiers. Cet article tente de mettre en évidence ses
analogies avec la théorie des marchés de concurrence parfaite, ses
justifications et ses limites.

I. — Le marché financier : hypothèses et structure

Il est agréable de penser qu'un français, Louis Bachelier, fut le


précurseur en matière de marché des titres ; publiée en 1900, sa
thèse sur « la Théorie de la Spéculation » proposait une théorie
originale du comportement des marchés financiers dérivée d'un
modèle probabiliste des prix d'actifs financiers, mais tomba rapi
dement dans l'oubli.

Redécouverts par les universitaires américains il y a une


dizaine d'années, après un demi-siècle de recherches sur la bourse et
les différents marchés financiers, ses travaux devaient constituer le
point de départ de la théorie actuelle des marchés de capitaux.
S'appuyant sur la formulation proposée par Samuelson (1),
différents auteurs tels Tobin (2), Fama (3), Sharpe (4) et Lintner (5)
ont dégagé la notion de « marché efficient » (« efficient market »).
Le parallèle avec la théorie des marchés de concurrence parfaite,
telle que l'ont formulée Marshall et Pareto, apparaît très nettement
dès que l'on considère les hypothèses fondamentales de ce modèle de
fonctionnement des marchés financiers :

— tous les biens financiers sont indéfiniment divisibles, l'accès à


l'information est libre et instantané,
— il n'y a pas de coût de transaction ou d'impôts,
— les investisseurs sont nombreux et rationnels, aucun ne
dispose d'une situation de monopole.

(1) Samuelson P., voir note (3), p. précédente.


(2) Tobin J., « The theory of portfolio selection » in the Theory of interest rates edts
Hahn and Brechling, McMillan 1965 ; Tobin and Hester eds « Risks Aversion and
Port-folio Choice » J. Wiley, 1967.
(3) Fama E., « Efficient Capital Market ; A Review of Theory and Empirical
Work » Journal of Finance, mai 1970. — « Risk, Return and Equilibrium ; some
clarifying Comments », Journal of Finance, mars 1968.
(4) Sharpe W., « Portfolio Theory and Capital Market » Mc Graw-Hill, 1970 et de
nombreux articles cités dans cet ouvrage.
(5) Lintner J., « Security Prices, Risk and maximal Gains from Diversification ».
Journal of Finance, mars 1968. — « The Valuation of Risk Assets... » Review of
Economics and Statistics, février 1965.

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474 VERS UN RENOUVEAU DE LA THÉORIE DES MARCHÉS PARFAITS :

En d'autres termes, un marché idéal serait celui pour lequel les


prix des biens financiers donnent des indications correctes pour
l'allocation des ressources ; c'est-à-dire un marché dans lequel les
entreprises peuvent prendre des décisions d'investissement-produc
tion et les investisseurs choisir parmi les titres qui représentent
une propriété des activités de l'entreprise sachant que les prix
des titres « reflètent » à chaque instant toutes les informations
disponibles.
Le marché parfait inclut donc instantanément les conséquences
des événements passés et reflète précisément les anticipations
exprimées sur les événements futurs. Ainsi, le prix d'un bien
financier est à tout instant une bonne estimation de sa valeur
intrinsèque. Il est totalement impossible de prévoir ses variations
futures puisque tous les événements connus ou anticipés sont déjà
intégrés dans les prix actuels ; seul un événement imprévisible
pourra le modifier, et ce, instantanément (ce point sera développé
ultérieurement).
Les hypothèses présentées précédemment offrent de nombreuses
ressemblances avec les définitions de la concurrence parfaite qui
suscitèrent l'enthousiasme des économistes contemporains de
L. Bachelier. Certes, il ne s'agit pas du marché d'un bien unique
mais d'un marché plus complexe où, toutefois, la caractéristique de
nombreux de ces biens financiers est leur substituabilité. Si l'on
considère essentiellement les données de l'état de concurrence,
toutes les propriétés d'un marché parfait sont pratiquement réunies
(« fluidité, transparence, atomicité,... »).
Certaines hypothèses sont cependant assez peu réalistes ; le
problème est, dès lors, de savoir si toutes ces hypothèses sont
vraiment nécessaires pour que le marché soit efficient, c'est-à-dire
pour que chaque bien soit traité à sa juste valeur reflétant toutes les
informations disponibles, et donc telle que les variations futures
soient imprévisibles. Ainsi, pour que le prix « reflète » toutes les
informations disponibles, il convient simplement qu'un nombre
« suffisant » d'investisseurs aient accès à cette information et placent
en conséquence. De même, l'existence de frais de transaction élevés
peut diminuer le nombre des transactions ; mais cela ne veut pas
dire que, lorsque les transactions s'effectuent vraiment, les prix ne
vont pas tenir compte de toutes les informations (il s'agit simplement
d'un coût qu'il convient d'intégrer).
La valeur des actifs réels ou tangibles réside dans les services

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LES MARCHÉS FINANCIERS 475

physiques qu'ils peuvent rendre. Les actifs financiers, au contraire,


sont acquis pour la réserve de valeur qu'ils représentent ou le
rendement qu'ils permettent de réaliser. De chaque bien financier
l'investisseur espère retirer un certain profit fonction du risque qu'il
encourt ; plus l'investissement est risqué, plus le revenu espéré et
demandé par l'investisseur est élevé (ou symétriquemen le prix
plus bas). La compétition est telle entre les divers investisseurs
que, rapidement, tout bien financier sera coté à son juste prix
dépendant de ses caractéristiques et du risque ; dès lors, même le
plus ignorant des investisseurs peut faire confiance au bon fonc
tionnement du marché et simplement choisir les caractéristiques et
le niveau de risque désiré. Toutefois, nombreux sont ceux qui espè
rent, grâce à des méthodes ou des informations spéciales, « battre » le
marché ; celui qui aurait régulièrement accès à de telles informations
ou aurait élaboré une méthode nouvelle de sélection des investisse
ments jouirait d'un profit anormal comparable à la rente d'origine
monopolistique de la concurrence parfaite. Mais, de même qu'en
concurrence parfaite, ces profits anormaux sont appelés à dispa
raître rapidement. Tout d'abord, la prospérité d'un investisseur
est rapidement remarquée et ses actions imitées (son agent de
change ou son banquier par exemple auront tendance à « placer »
pour eux-mêmes ou à passer le « tuyau » à leurs amis). D'autre part,
il fera appel à des capitaux plus importants et le volume d'investis
sement (comme l'imitation) usera la rente tout en rendant au
marché du titre correspondant sa perfection, quoique d'importants
bénéfices aient peut-être été dégagés au préalable. Ainsi la décou
verte d'une nouvelle méthode de prévision des prix de biens finan
ciers a des conséquences semblables à l'innovation dans un marché
parfait de biens physiques.
Un exemple illustrera cet argument. B. Sprinkel (1) avait cru
remarquer il y a dix ans une relation directe entre l'offre de monnaie
(contrôlée par le Federal Reserve System) et le comportement des
marchés financiers. Selon lui une augmentation de la quantité de
monnaie en circulation entraînait une hausse de la bourse et de
divers marchés avec un délai de 2 à 4 mois. Ce délai, qui pouvait
permettre à un investisseur avisé de réaliser des profits supérieurs, a

(1) Que cette théorie soit fondée ou non elle lui a valu un avancement rapide dans
le milieu bancaire et le succès d'un livre : Beryl Sprinkel, > Money and Stock Prices ».
Irwin Inc, Homewood 111., 1964.
Rev. Econ. Polit. — T. LXXXII 31

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476 VERS UN RENOUVEAU DE LA THÉORIE DES MARCHÉS PARFAITS :

maintenant disparu car la théorie monétaire de l'école de Chicago


est désormais très en vogue parmi les financiers ; dès l'apparition
du moindre signe de changement dans la politique du Federal
Reserve System, les marchés financiers suivent immédiatement sous
l'impulsion des partisans de cette théorie. Il est désormais impos
sible de faire un profit quelconque en utilisant cette information
puisque les prix la reflètent immédiatement.

II. — Le marché financier : modèles statistiques

Il est difficile de vérifier directement la « transparence » des mar


chés financiers ; aussi convient-il de tester cette hypothèse à travers
ses éventuelles conséquences et implications.

II. 1. Une première série de tests économétriques a cherché à


déterminer s'il était possible de démentir la perfection du marché
financier par une simple étude des séries de prix ; est-il possible,
comme le proclament certains analystes financiers, de prévoir les
prix futurs en fonction de leurs variations passées ?
La réponse fournie par d'innombrables tests statistiques semble
formellement négative. Les travaux de Kendall (1), Granger et
Morgenstern (2), Fama (3), Blume (4), Cootner (5), ... semblent
montrer que les variations de prix successives sont totalement
indépendantes. Très simplement, une série de prix n'a pas de
mémoire ; la séquence future des niveaux de prix n'est pas plus
prédictible qu'une série de nombres tirés au hasard et dépend exclusi
vement des nouvelles informations qui « apparaissent » sur le marché.
Tout au plus existe-t-il un « trend » à long terme correspondant au
profit moyen anticipé par l'investisseur. Il semble toutefois que les
prix (et donc le rendement) des valeurs les plus risquées fluctuent
beaucoup plus largement que ceux de placements moins incertains ;
de même pour chaque titre de larges variations ont tendance à être

(1) M. G. Kendall, « The Analysis of economic Time series » Journal of the Royal
Statistical Society, 96,1953.
(2) C. W. J. Granger, 0. Morgenstern, « Spectral Analysis of N. Y. stock market
prices » Kyklos 17,1963 voir aussi (5).
(3) E. Fama, « The Behavior of Stock Market Prices » Journal of Business 38,
janvier 1965.
(4) M. Blume, « The assessment of portfolio performance t These de PhD, Uni
versité de Chicago, 1968.
(5) Paul Cootner, éditeur « The Random Character of Stock Market Prices »
MIT Press, Cambridge 1964.

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LES MARCHÉS FINANCIERS 477

suivies par des variations de large amplitude mais de signe imprévi


sible.
Sur le marché des titres qui, par son importance dans le monde
financier et économique américain, constitue un domaine de
recherche privilégié, le profit de l'investisseur est formé essentielle
ment de deux éléments : le dividende et le gain en capital. C'est
l'espérance dans le rendement d'une action qui détermine le
placement.
. Soit rt+1 le revenu de la période t à la période t + 1 (l'unité pou
vant être le jour, le mois, l'année), alors :
Pt+i — Pt + dt+i
rn i =
Pt

où pt — prix du titre à l'époque t,


dt — dividende ou intérêt versés dans l'intervalle.
Tableau 1

Difterents intervalles (jours)


Action
Un Quatre Neuf

Allied Chemical .017 .029 .091


Alcoa .118* .095 .112
American Can — .087* .124* .060
A. T. & T — .039 .010 .009
American Tobacco .111* .175* .033
Anaconda .067* .068 .125
Bethlehem Steel .013 .122 .148
Chrysler .012 .060 .026
Du Pont .013 .069 .043
Eastman Kodak .025 .006 .053
General Electric .011 .020 .004
General Foods .061* .005 .140
General Motors — .004 .128* .009
Goodyear — .123* .001 .037
International Harvester — .017 .068 .244*
International Nickel .096* .038 .124
International Paper .046 .060 .004
Johns Manville .006 .068 .002
Owens Illinois — .021 .006 .003
Procter & Gamble .099* .006 .098
Sears .097* .070 .113
Standard Oil (Calif.) .025 .143* .046
Standard Oil (N. J.) .008 .109 .082
Swift & Co — .004 .072 .118
Texaco .094* .053 .047
Union Carbide .107* .049 .101
United Aircraft .014 .190* .192*
U.S. Steel .040 .006 .056
Westinghouse — .027 .097 .137
Woolworth .028 .033 .112

le coefficient est le double de l'6cart type.

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478 VERS UM RENOUVEAU DE LA THÉORIE DES MARCHÉS PARFAITS :

Alors la théorie du marché efficient implique que les rapports


successifs soient indépendants, c'est-à-dire que :
cov (r<+i, rt) = 0
ou

cov (/•<+„, rt) = 0 quel que soit n .


Toutefois, l'investisseur peut espérer à long terme un certain
taux de rendement (par période) sur son investissement que nou
notons R.
E(r<+11 rt) = E(rt+1) = R .

Ainsi le tableau 1 montre les coefficients de corrélations entre les


variations successives de prix pour chacune des trente actions
construisant l'indice Dow Jones (industriel) pour la période 1957,
1962 (1). Il apparraît très nettement que tous ces coefficients
sont très proches de zéro et en parfait accord statistique avec
l'hypothèse de marché efficient qui postule une distribution
autour de zéro, des tests semblables réalisés par l'auteur sur le
marché Français sont en voie de publication.

II.2. D'autres types de marchés ont été étudiés, tels les marchés
spéculatifs de denrées et de matières premières. Les études de
corrélation effectuées par Kendall sur les métaux, le coton et
le blé montrent que, là encore, les prix des contrats reflétaient
instantanément toutes les informations disponibles (sur ces marchés
les spéculateurs peuvent vendre ou acheter à terme des contrats
futurs). C'est le rôle prépondérant joué par les institutions finan
cières spéculant sur ce marché ou assumant une fonction d'assu
rance qui donne une dimension essentiellement financière à ces
marchés de contrats futurs : « les séries semblent suivre un mou
vement brownien, comme si chaque semaine le démon de la chance
tirait un nombre au hasard d'une distribution symétrique à disper
sion fixée et l'ajoutait au prix du jour pour déterminer le prix de la
semaine suivante » (op. cit., p. 13). Les travaux de Working pour
la Food Research Institute confirment ces résultats.
Plus rares sont les études portant sur les valeurs à revenu fixe
dont le marché semble intuitivement beaucoup plus proche de la
perfection que le marché des actions. Il convient de citer toutefois

(1) E. Fama, « The Behavior of Stock Market Prices ». Journal of Business,


janvier 1965.

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LES MARCHÉS FINANCIERS 479

l'étude de R. Roll (1) sur les bons du Trésor américains. Son analyse
de la structure des taux d'intérêt utilise successivement les trois
théories désormais classiques de Lutz, Hicks et Kessel (théorie
d'anticipations de la structure des taux d'intérêt, théorie d'antici
pations avec prime de liquidité, théorie des marchés séparés)
et confirme la théorie d'un marché parfait telle qu'elle a été définie
précédemment dans le cas d'un marché financier.
D'autres séries de tests ont tenté d'utiliser des renseignements
supplémentaires pour mettre en évidence des possibilités de profit
anormal ; il a été montré que seule une connaissance anticipée de ces
informations (augmentation des dividendes, distribution d'actions
gratuites ...) pouvait éventuellement être rentabilisée. Il est certain
qu'aucune optimisation a posteriori (procédé statistique trompeur et
pourtant très en faveur) n'a de valeur opérationnelle. En fait,
aucune méthode ou théorie en honneur chez les financiers n'a pu
être vérifiée empiriquement. Ce clivage entre universitaires et
professionnels conduit ces derniers à s'isoler encore plus farouche
ment, rendant plus difficile l'évaluation de leurs arguments.

II.3. Une autre philosophie couramment adoptée par les prati


ciens consiste à rechercher, pour chaque titre, sa « valeur intrin
sèque » déterminée par les qualités et les caractéristiques physiques
et financières de l'entreprise (et non par le marché). En fait, l'ana
lyste financier aura de meilleurs résultats que l'investisseur qui se
contente de garder ses actions une fois qu'il les a achetées (2) aussi
longtemps qu'il peut identifier plus rapidement que les autres
analystes les situations où existent des différences non négligeables
entre le prix actuel et la valeur intrinsèque (ou s'il possède des
capacités spéciales pour prédire des événements importants et
évaluer leurs effets sur les valeurs) ; il pourrait ainsi étudier le poten
tiel du groupe de recherche de la firme, son équipe de direction, les
perspectives de ses produits sur les marchés étrangers, sa situation
financière... Même dans le cadre d'un modèle de marché efficient une

(1) R. Roll, « The Efficient Market Model Applied to the US Treasury Bill Rates ».
Thèse de PhD, Université de Chicago, 1968. — « Investment Diversification and
Bond Maturity » Journal of Finance, mars 1971.
(2) Cette stratégie naive consiste à ne pas spéculer mais simplement conserver sa
position quelle que soit son intuition sur les variations futures des prix, misant
sur l'efficience du marché.

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480 VERS UN RENOUVEAU DE LA THÉORIE DES MARCHÉS PARFAITS :

telle analyse peut être profitable. Toutefois, s'il y a un grand nombre


d'analystes compétents et s'ils disposent de ressources importantes,
ils aideront à réduire les différences entre les prix actuels et les
valeurs intrinsèques des actions, et entraîneront les prix à ajuster
automatiquement à tout changement dans la valeur intrinsèque.
C'est dire que la présence de nombreux analystes qualifiés rend le
marché plus efficient ; ils aideront à établir un marché dans lequel
l'analyse de l'entreprise et de sa valeur intrinsèque est une pro
cédure inutile pour l'analyste moyen ou l'investisseur moyen. Il
faut bien voir qu'un analyste doit produire constamment des résul
tats meilleurs qu'une sélection due au hasard car, par la nature
même de l'incertitude, il dispose à chaque fois d'une probabilité
de 50 % de faire mieux qu'une sélection au hasard, même si ses
capacités d'analyste sont totalement inexistantes. De plus, il
devra non seulement faire mieux qu'une sélection au hasard mais il
devra battre cette sélection par un rendement qui sera au moins
suffisant pour couvrir les coûts des ressources et son salaire.

m. — Conséquences : une nouvelle politique


des institutions financières

Les institutions financières spécialisées dans le réinvestissement


de l'épargne sont particulièrement concernées car la théorie déve
loppée précédemment semble recommander aux professionnels une
politique très différente de celle pratiquée jusqu'à présent.
Plutôt que de vérifier directement si les conditions d'un marché
parfait sont réunies, il est intéressant de voir si ceux qui sont en
mesure de profiter d'éventuelles imperfections du marché en retirent
un bénéfice. Il apparaît dès lors intéressant d'évaluer la producti
vité des informations privilégiées dont disposent les professionnels
du monde financier, en comparant au comportement global du
marché les performances de cette nouvelle classe d'institutions
financières, les sociétés d'investissements (telles que les Mutual Funds
aux Etats-Unis et les SICAV en France). Le but de ces sociétés
d'investissement est d'apporter aux actionnaires à la fois une diversi
fication qu'un « petit » placeur peut plus difficilement acquérir et
une habileté spéciale dans le choix des placements liée à une excel
lente gestion ; en compensation l'investisseur participe aux frais de
gestion et paie une charge fixe correspondant généralement aux
frais de vente et de publicité (de 4 à 8 %).

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LES MARCHÉS FINANCIERS 481

Le premier argument concernant la diversification est extérieur à


nos préoccupations actuelles, toutefois il ne faudrait pas surestimer
sa valeur ; en effet Sharpe (1) a montré qu'un placement consistant
en dix titres (convenablement choisis dans différents secteurs)
donne une diversification supérieure à 90 % et qu'en général un
choix de 5 titres différents apporte une protection de l'ordre de
85 %. Nous nous retrouvons donc face à ce même problème : est-il
inutile, comme le proclame le modèle de marché parfait, de dépenser
de l'argent dans une recherche des « bonnes » actions et de spéculer
avec tous les frais de transaction et de gestion que cela entraîne ?
Pogue (2), dans son rapport pour le Congrès, a montré que pour
l'ensemble des Mutual Funds (près de 200 actuellement), et sur une
période de trente ans, le rendement pour l'actionnaire était en
moyenne nettement inférieur à celui d'un portefeuille choisi au
hasard ou du marché en général (indice des cours ou tout autre
indice). Toutefois, ce résultat, s'il prouve le faible intérêt des sociétés
d'investissement (des résultats comparables (3), mais sur un plus
faible échantillon, ont été trouvés par l'auteur dans le cas des
SICAV), en tant que placement ne contredisent pas vraiment
l'hypothèse du marché parfait ; il convient surtout de savoir si les
spécialistes ont été capables de trouver et d'utiliser de bonnes
informations dans leurs spéculations (indépendamment des dépenses
peut-être énormes engagées dans la quête de ces informations). La
comparaison du marché et des résultats des Mutual Funds avant
déduction des frais de gestion et de marketing est encore une fois
décevante : les extra-profits retirés couvrent à peine les frais de
transaction liés aux spéculations et certainement pas les autres
frais imputés à l'actionnaire. En conclusion, les sociétés d'investis
sement devraient essentiellement chercher à apporter à l'investis
seur une bonne diversification pour un certain niveau de risque,
tout en réduisant les frais de gestion et de transaction au minimum.
Les preuves à l'appui de la théorie du marché financier efficient
semblent abondantes. Ces résultats sont révolutionnaires pour le
monde des affaires. L'administration américaine en a pris conscience

(1) Sharpe, op. cit., p. 150.


(2) G. A. Pogue, Rapport sur i Institutional Investors », Security and Exchange
Commission, avril 1971.
(3) Les résultats semblent toutefois légèrement plus favorables dans le cas des
SICAV ; voir aussi J. G. Me Donald (en voie de publication) Stanford Univer
sity working paper.

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482 VERS UN RENOUVEAU DE LA THÉORIE DES MARCHÉS PARFAITS :

et la Security and Exchange Commission, dont le rôle est prépondérant


sur le marché financier, a financé de nombreuses recherches sur ce
thème et est en passe de proposer au Congrès un certain nombre de
décrets visant à contrôler l'action des institutions financières sur le
marché. De même, les plus importantes firmes d'agents de change
semblent avoir compris l'importance de ces résultats et comparent le
rendement de leurs départements d'analyse financière avec les
standards proposés par le modèle de marché efficient (ainsi Mer
ril Lynch subventionne le Centre d'Etude des Prix de l'Université de
Chicago).

IV. — Vers une théorie d'équilibre général


des marchés financiers

La théorie des marchés efficients décrit le fonctionnement du


marché financier mais n'entre pas dans le détail des déterminants du
comportement de l'investisseur. De nombreux modèles mathé
matiques et probabilistes aux hypothèses souvent critiquables ont
proposé une généralisation de la théorie économique au compor
tement des ménages, des entreprises et des institutions financières.
Le développement de l'approche en terme de portefeuille, dans le
cadre du marché efficient décrit précédemment, conduit à une
théorie d'équilibre général présentée succinctement dans cette
section et qui permet d'expliquer les niveaux des taux d'intérêt et de
rendement et leurs relations.

IV. 1. La théorie de la préférence pour la liquidité chère à Keynes


a constitué le point de départ d'une analyse des comportements de
placements (1).
Dans le schéma keynésien, le motif de spéculation ne peut subsister
que dans un monde d'incertitude et s'analyse en précisant les pré
visions des taux de rendement et des prix des actifs. Le cadre

(1) J. M. Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie.


Voir aussi : J. Denizet, Monnaie et financement, Dunod, 1968 : analyse détaillée
du rôle de la monnaie dans le schéma keynésien.
J. C. Kolm, Les Choix financiers et monétaires, Dunod : ce livre présente un
résumé très sommaire des travaux initiaux des « néokeynésiens », Tobin et Marko
witz.
Pour une présentation des différentes analyses du comportement de placement
publiées avant 1965, le lecteur pourra consulter avec profit l'excellent article de
C. A. Michalet, t Analyse patrimoniale des comportements de placement » Revue
d'Eco. Po. n° 4/1968.

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LES MARCHÉS FINANCIERS 483

d'analyse « espérance mathématique-variance » suggéré dès avant


guerre par Hicks, Lange et Fisher, a été appliqué par J. Tobin (1)
à l'analyse de la liquidité de la Théorie Générale. De même, intro
duisant systématiquement l'analyse en terme de stock (et non de
flux) Markowitz (2) a développé cette théorie de la sélection du
portefeuille dans le contexte plus global du marché des titres et obli
gations.
Ce modèle postule que le consommateur de biens financiers
investit en fonction de deux paramètres : le gain espéré (espérance
mathématique) et le risque encouru (variance). La quantité optimale
d'un tel actif à détenir (par exemple celle de la monnaie) résulte de
l'analyse déterminant la composition optimale des actifs (y compris
la monnaie) qu'un sujet économique détient dans son porte
feuille (3).
Comme nous le verrons ultérieurement, ce modèle est critiquable
et trop simplifié. Toutefois, cette analyse synthétique et globale du
risque révèle une dimension fondamentale des marchés financiers.

IV.2. Sharpe et Lintner (4) ont intégré cette analyse dans le


cadre d'un modèle d'équilibre général du marché financier avec des
hypothèses extrêmement restrictives mais des résultats intéres
sants et opérationnels :

Les résultats.

Le placement de chaque investisseur doit être une combinaison de


deux portefeuilles. L'un, un placement dépourvu de risque (bons du
trésor par exemple), l'autre le marché total c'est-à-dire un porte
feuille parfaitement diversifié comprenant l'ensemble des titres
composant le marché dans ces mêmes proportions (tout porte
feuille suffisamment diversifié serait satisfaisant). Chaque investis
seur doit choisir son niveau de risque en variant la part relative de
chacun de ces deux placements dans son épargne et non pas en
sélectionnant les valeurs qui correspondent au degré d'incertitude et

(1) J. Tobin, op. cit.


(2) H. Markowitz, « Portfolio selection : efficient diversification of Investments »
J. Wiley, 1959 (Cowles foundation).
(3) Emil Claassen, Analyse des liquidités et théorie de portefeuille. PUF, 1970.
(4) Sharpe, op. cit.
Lintner J., « Security, Prices, Risk and Maxiaml Gains from Diversification ».
Journal of Finance, mars 1968.

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484 VERS UN RENOUVEAU DE LA THÉORIE DES MARCHÉS PARFAITS I

de rendement qu'il désire (un haut niveau de risque serait atteint par
un placement négatif dans le premier portefeuille, c'est-à-dire en
empruntant).

Des tests statistiques sur le marché américain semblent bien


montrer qu'il s'agit là de la stratégie dominante (la plus rentable).

Critique des hypothèses.

— Tous les investisseurs possèdent les mêmes anticipations sur


chacun des titres dont ils perçoivent identiquement les caractéris
tiques, leurs choix sont totalement rationnels.
— Pour justifier le cadre d'analyse « espérance-variance »
les courbes d'utilité des placeurs sont supposées quadratiques ou
bien la distribution des rapports des portefeuilles est supposée
multinormale.

— Une seule période est considérée ; c'est un modèle statique.

Ainsi cette analyse normative et rationnelle s'inscrit dans la


tradition de l'Homo Œconomicus et n'est pas exempte des mêmes
critiques. Du fait de l'incertitude, un actif financier peut être perçu
différemment par chaque placeur. Dès lors une analyse globale
et rationnelle ignorant cet aspect est, bien plus encore que dans
un marché de biens physiques, vouée à l'utopie ; ses deux points
positifs sont toutefois :
— la prise en compte du risque, dimension fondamentale,
— un modèle aux conclusions opérationnelles développant une
stratégie d'investissement très simple mais permettant de juger
les méthodes de choix actuellement en pratique.

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LES MARCHÉS FINANCIERS 485

V. — Conclusions

Cet article a décrit un cadre d'analyse nouveau pour l'étude


des biens financiers, le marché financier efficient. Les résultats
statistiques semblent montrer que les marchés financiers sont,
au contraire de nombreux marchés, très proches du modèle de
marché parfait.
Diverses analyses en terme de portefeuille ont ensuite été pré
sentées succinctement. Ces modèles de sélection d'investissement
postulent certains comportements rationnels de l'investisseur.
Souvent fort critiquables et irréalistes, ces modèles doivent être
nettement dissociés de la théorie des marchés financiers efficients
qui est une analyse descriptive et non pas normative.

Bruno Solnik.

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