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Cours L1 La Ville
Cours L1 La Ville
1
C'est
pourquoi
dans
cette
initiation
à
l'histoire
ancienne
que
vous
allez
recevoir
dans
ce
cours,
nous
nous
fixons
deux
objectifs
d'ailleurs
étroitement
liés
:
• essayer
de
vous
donner
à
voir
un
peu
de
la
réalité
particulière
de
ce
monde
antique,
autour
d'un
thème
central
qui
est
celui
de
la
ville
et
de
la
cité
• vous
conduire
à
une
première
approche
des
sources
anciennes
et
vous
faire
sentir
le
caractère
primordial
du
document
en
histoire.
Tout
d'abord
quelques
précisions
sur
le
déroulement
de
cette
UE.
UE
double
Ancienne/Médiévale.
Cours
et
TD
en
alternance
sur
deux
semaines.
Programme
en
histoire
ancienne
sur
les
deux
semestres
:
La
ville
antique
:
phénomène
urbain
et
modèle
civique.
Évaluation
1er
semestre
:
contrôle
continu
100%,
un
contrôle
en
TD
ancienne
+
un
en
médiévale
2e
semestre
:
contrôle
continu
50%,
un
contrôle
en
TD
ancienne
+
un
en
médiévale
;
examen
terminal
50%
:
une
épreuve
double
de
deux
heures
en
amphi
ancienne/médiévale.
L'HISTOIRE
ANCIENNE
:
DEFINITION
ET
SOURCES
A-‐
Définition
chronologique
Rappel
:
les
quatre
périodes
de
l'histoire
(Antiquité,
Moyen
âge,
Temps
modernes,
Époque
contemporaine),
un
découpage
académique,
daté
et
européocentriste.
Dans
ce
découpage,
l'Antiquité
est
la
première
période
de
l'histoire.
Quand
commence-‐t-‐
telle
?
Où
?
Comment
?
Pourquoi
?
La
division
traditionnelle
est
simple
:
Préhistoire
(paléolithique/néolithique)
-‐>
protohistoire
-‐>
histoire
ancienne
Il
est
un
peu
plus
compliqué
de
comprendre
la
logique
de
cette
évolution.
Première
rupture
:
la
fin
de
la
préhistoire
et
le
néolithique
(Dia
1)
Dans
l'histoire
du
monde,
la
préhistoire
commence
avec
l'apparition
de
l'homme.
Quand
se
termine-‐t-‐elle?
Autour
de
10
000
a.C.,
un
ensemble
de
facteurs
qui
induisent
un
changement
étagé
et
progressif
:
• réchauffement
climatique
;
fin
du
glaciaire
;
changements
dans
la
faune
et
la
végétation
;
disparition
des
conditions
de
subsistance
de
l'homme
préhistorique
et
apparition
de
nouvelles
possibilités
• l'homme
s'y
adapte,
parce
que
la
lenteur
de
ces
transformations
le
lui
permet
et
parce
que
l'humanité
préhistorique
était
arrivée
à
un
stade
technologique
et
culturel
qui
l'y
préparait.
On
passe
donc
progressivement
du
paléolithique
au
néolithique,
à
travers
ce
qu'on
appelle
la
"Révolution
néolithique"
(attention
au
terme
de
«
révolution
»!!).
• Passage
d'une
économie
de
prédation
à
une
économie
de
production
;
de
chasseur-‐
cueilleur,
l'homme
devient
agriculteur
et
éleveur
;
désormais
il
investit
et
prévoit
2
(semailles),
touche
(récoltes),
épargne
(provisions),
s'agrandit
(défrichements),
s'enrichit
(surplus),
échange
(troc,
commerce).
• Transformations
des
rapports
avec
la
nature
et
la
faune
;
la
terre
devient
la
grande
nourricière.
• Transformations
de
l'outillage
:
faucille,
houe,
récipient
(céramique).
• Transformation
de
la
vie
sociale
:
sédentarisation,
socialisation
accrue,
différenciation
et
hiérarchisation
sociale,
premières
formes
de
développement
urbain
et
de
pouvoir
administratif/centralisé.
Les
villes
n’existent
pas
au
Néolithique.
Jusqu’à
la
fin
de
l’âge
du
Bronze,
on
parle
plutôt
d’agglomérations,
même
si
elles
sont
grandes.
L’urbanisation
qui
apparaît
en
Mésopotamie
coïncide
avec
l’apparition
de
l’écriture
et
de
l’État.
Au
Néolithique
ancien
et
moyen,
on
observe
des
sociétés
égalitaires
(on
le
voit
dans
les
sépultures)
;
les
inégalités
et
la
hiérarchisation
sociale
surgissent
dans
la
dernière
phase
du
Néolithique
(Néolithique
final,
vers
3000
BC
en
Europe)
et
coïncide
avec
les
débuts
de
la
métallurgie
(or
et
cuivre)
et
les
premiers
villages
fortifiés.
Dans
l'ensemble
Afrique-‐Europe-‐Asie,
le
foyer
de
cette
transformation
est
le
Proche-‐Orient
autour
de
8000-‐6000,
avec
diffusion
vers
l'Europe
centrale
et
les
Balkans
vers
6000-‐4000
et
l'Europe
occidentale
vers
3000.
Deuxième
rupture
:
la
protohistoire
(Dia
2)
Dans
la
seconde
moitié
du
XXe
siècle,
des
archéologues
et
des
historiens
ont
forgé
le
concept
de
«
protohistoire
»
pour
désigner
la
période
de
transition
entre
la
préhistoire
et
l'histoire.
Comment
se
définit
ce
moment
?
• Chose
essentielle
:
il
est
variable
selon
les
endroits.
Toutes
les
civilisations
ne
se
développent
pas
au
même
rythme.
• La
Protohistoire
correspond
aux
âges
des
métaux
(cuivre,
bronze,
fer)
notamment
en
Europe
occidentale.
• On
l'a
utilisé
aussi
pour
qualifier
la
situation
de
peuples/civilisations
ne
connaissant
pas
l'écriture
mais
contemporains
d'autres
qui
la
connaissent
et
dont
éventuellement
les
écrits
les
mentionnent.
Ce
critère
se
rattache
à
celui
qui
fait
de
l'écriture
le
critère
essentiel
de
l'entrée
dans
l'histoire.
Critère
qui
est
en
gros
toujours
admis.
Aujourd'hui,
la
plupart
des
chercheurs
donnent
à
la
protohistoire
une
définition
plus
large,
jusqu'à
la
faire
débuter
avec
le
Néolithique.
La
protohistoire
correspondrait
donc
alors
à
la
période
qui
voit
la
mise
en
place
d'une
économie
de
production
et
une
structuration
de
la
société
(avec
l’apparition
des
premiers
états),
et
sur
le
plan
technique
une
maîtrise
croissante
de
la
métallurgie
(la
création
de
routes
et
de
réseaux
d’échanges
à
longue
distance).
Troisième
rupture
:
la
fin
de
la
protohistoire
et
l'entrée
dans
l'histoire
La
définition
de
la
protohistoire
telle
qu'on
vient
de
la
résumer
et
telle
qu'elle
est
admise
aujourd'hui
est
donc
essentiellement
économique,
écologique
et
sociale.
Modification
profonde
des
rapports
entre
l'homme
et
son
environnement
et
modification
aussi
de
la
société
humaine.
Quant
à
la
fin
de
la
protohistoire
et
à
l'entrée
dans
l'histoire,
comme
je
l'ai
dit
plus
haut,
elle
est
traditionnellement
définie
par
la
maîtrise
de
l'écriture.
On
considère
qu'une
civilisation
entre
dans
l'histoire
lorsqu'elle
capable
d'écrire
la
sienne.
3
À
la
différence
du
critère
essentiellement
économique
et
social
qui
définit
la
protohistoire,
celui-‐ci
est
avant
tout
culturel.
Dans
le
détail,
la
réalité
est
souvent
plus
complexe.
Prenons
l'exemple
de
la
Gaule
celtique.
• On
considère
généralement
qu'elle
entre
dans
l'histoire
avec
la
conquête
romaine,
en
52
a.C.
(reddition
de
Vercingétorix).
• Cependant,
si
les
Gaulois
vivaient
dans
une
civilisation
orale,
ils
connaissaient
l'écriture
et
utilisaient
l'alphabet
grec.
Ils
avaient
aussi
des
pratiques
administratives
qui
supposaient
la
maîtrise
de
l'écriture,
de
méthodes
comptables
et
de
gestion
d'archives
(affermage
des
douanes
chez
les
Héduens,
recensements
chez
les
Helvètes).
• Au
plan
économique
et
social,
la
conquête
ne
provoque
pas
de
rupture
;
les
liens
commerciaux
avec
le
monde
méditerranéen
étaient
anciens
et
importants
;
le
processus
d'urbanisation
était
largement
amorcé
;
la
conquête
romaine
provoque
seulement
une
accélération.
• En
fait,
la
conquête
a
pour
effet
d'intégrer
la
Gaule
à
Rome
et
au
monde
romain
qui
est
une
civilisation
de
l'écrit.
Ce
critère
est
donc
discutable,
mais
il
faut
bien
un
et
celui-‐ci
est
à
peu
près
unanimement
admis.
Cela
dit,
il
ne
faut
pas
être
dupe.
La
valorisation
de
l'écriture
tient
pour
beaucoup
au
modèle
de
notre
culture
classique
hérité
de
l'Antiquité
grecque
et
romaine.
Pour
ne
prendre
qu'un
exemple
bien
connu,
l'Empire
Inca,
sur
la
Cordillère
des
Andes,
aux
XIVe-‐XVe
siècle
p.C.,
avait
développé
un
système
administratif
extrêmement
sophistiqué
en
ne
connaissant
pas
d'écriture
à
proprement
parler.
En
Europe,
d'ailleurs,
l'histoire
ancienne
est
surtout
celle
de
la
Grèce
et
de
Rome,
les
autres
civilisations
antiques
sont
le
plus
souvent
négligées
(Dias
3,
4,
5).
Pour
s'en
tenir
néanmoins
à
ces
deux
civilisations,
étroitement
liée
(civilisation
«
gréco-‐
romaine
»),
on
peut
considérer
que
leur
entrée
dans
l'histoire
se
produit
avec
les
premières
écritures
minoennes
en
Crète
(linéaire
A,
début
du
IIe
millénaire)
et
surtout
mycénienne
en
Grèce
(linéaire
B,
dernier
tiers
du
IIe
millénaire).
Pour
mémoire,
la
tradition
place
Homère
à
la
fin
du
VIIIe
siècle.
Et
l'histoire?
Vers
une
nouvelle
périodisation
?
Si
l'on
considère
l'histoire
depuis
la
fin
du
Néolithique,
on
peut
opposer
deux
ou
trois
larges
périodes
qui
correspondent
à
des
moments
d'évolution
des
sociétés
humaines.
• La
période
préindustrielle
;
elle
inclut
les
sociétés
protohistoriques,
anciennes
et
médiévales.
Cette
période
est
marquée
par
le
développement
de
la
ville,
l'émergence
et
la
maturation
de
l'État
—
autour
des
deux
dynamiques
de
la
cité
et
de
l'empire,
dont
Rome
réalise
la
synthèse
—,
la
prégnance
du
statut
et
des
valeurs
agraires
dans
la
société,
l'omniprésence
du
divin
et
la
sophistication/individualisation
du
sentiment
religieux.
• La
période
industrielle
commence
avec
la
révolution
du
même
nom,
dont
les
effets
ont
une
ampleur
comparable
à
ceux
de
la
"révolution
néolithique".
Elle
se
caractérise,
plus
encore
que
par
l'industrialisation
proprement
dite,
par
un
système
nouveau
de
relations
économiques
et
sociales,
avec
une
intense
mobilité,
la
massification
en
toutes
choses,
l'ouverture
des
marchés,
une
organisation
du
travail
en
constant
renouvellement,
marqué
aussi
par
la
démocratie
et
le
suffrage
universel,
la
remise
en
4
cause
des
religions,
par
le
développement
des
idéologies
socialistes,
socialisme
communal
(Charles
Fourier,
Robert
Owen)
ou
étatiste
(Louis
Blanc,
Constantin
Pecqueur)
puis
marxiste,
et
des
nationalismes...
• Entre
ces
deux
périodes,
le
Moyen
âge
justifie
complètement
sa
définition
traditionnelle
d'âge
médian.
Débutant
par
un
net
phénomène
de
«
démodernisation
»
par
rapport
au
degré
élevé
de
fonctionnement
politique,
économique
et
social
atteint
par
l'Antiquité,
il
reste
attaché
à
celle-‐ci
par
de
multiples
liens
au
monde
antique
(le
christianisme,
la
culture
lettrée,
les
modèles
étatiques)
tout
en
laissant
cheminer
des
forces
innovantes
qui
l'entraînent
finalement
vers
la
Modernité
historique
(=
Les
temps
modernes),
pas
tant
celle
de
la
Renaissance
qui
n'est
qu'un
retour
à
l'Antique,
sauf
dans
le
domaine
pictural,
que
celle
de
l'ouverture
au
monde
par
les
découvertes
géographiques
et
l'imprimerie.
Tout
cela
prépare
la
grande
mutation,
celle
qui
voit
se
mettre
en
place
une
«
structure
de
changement
de
structure
»,
entre
1750
et
1800.
Dans
ce
cadre
chronologique,
on
voit
bien
l'intérêt
de
l'étude
de
la
ville
dans
le
cadre
de
la
période
antique.
Nous
nous
concentrerons
sur
ce
point
dans
la
prochaine
séance.
B-‐
Les
sources
À
voir
dans
la
première
séance
de
TD.
INTRODUCTION
AU
THÈME
DU
COURS
La
ville
est
née
en
Orient,
sur
les
bords
du
Tigre,
de
l'Euphrate
et
du
Nil
dans
le
courant
du
IIIe
millénaire
a.C.
Elle
n'apparaît
que
plus
tardivement,
à
partir
du
Ier
millénaire,
autour
de
la
Méditerranée,
en
Grèce
puis
en
Italie
et
plus
tard
encore
au
nord
de
la
Méditerranée.
Pourtant
elle
devient
rapidement
un
cadre
primordial
de
la
civilisation
méditerranéenne
et
européenne.
Il
faut
insister
sur
ce
point
car
c'est
une
des
raisons
du
choix
du
thème
du
cours
:
la
ville
est
certainement
la
réalité
la
plus
importante
de
l'histoire
ancienne
;
la
Grèce
et
Rome
sont
des
civilisations
fondamentalement
urbaines,
ce
qui
les
distingue
des
civilisations
orientales
plus
anciennes,
même
si
celles-‐ci
avaient
pu
connaître
le
phénomène
urbain.
Une
différence
essentielle
:
la
Grèce
et
Rome
ont
développé
une
culture
de
la
ville
et
cette
culture
a
été
dominante,
ce
qui
était
inconnu
jusqu'alors.
Cette
culture,
elles
l'ont
légué
aux
sociétés
européennes
postérieures
et,
aujourd'hui
encore,
notre
modèle
urbain
doit
tout
à
l'expérience
gréco-‐romaine
de
la
ville.
A-‐
Définitions
urbaines
Tout
cours
sur
la
ville
doit
commencer
par
une
définition
et
c'est
ce
que
nous
allons
faire,
à
travers
deux
questions,
et
en
nous
efforçant
de
distinguer
entre
réalité
et
concept.
La
ville
antique
a
été
une
réalité,
que
l'historien
doit
s'efforcer
d'approcher
et
de
comprendre
;
elle
est
aussi
et
dans
le
même
temps
un
objet
de
réflexion,
une
construction
intellectuelle,
un
concept
historique
et
historiographique.
—
Qu'est-‐ce
qu'une
ville
(antique)
?
La
ville
en
tant
que
réalité
physique
et
subjective
5
Beaucoup
d'historiens
ont
réfléchi
sur
cette
question,
notamment
Max
Weber
ou
Gordon
Childe,
l'inventeur
des
expressions
«
révolution
néolithique
»
et
«
révolution
urbaine
».
Plus
récemment,
les
travaux
des
archéologues
protohistoriens
de
la
péninsule
italienne
et
des
spécialistes
de
la
Gaule
protohistorique,
comme
Olivier
Buchsenschutz,
ont
beaucoup
apporté
en
réfléchissant
sur
la
question
des
critères
qui
permettent
de
définir
des
seuils
d'urbanité
:
qu'est-‐ce
qui
définit
la
ville
?
à
quel
moment
apparaît
la
ville
?
à
quel
moment
peut-‐on
dire
qu'une
civilisation
entre
dans
une
phase
urbaine
?
Il
y
a
des
critères
objectifs
:
• la
taille
et
le
nombre
d'habitants
(plusieurs
milliers…)
• l'unité
d'agglomération
• le
tissu
d'habitat
caractérisé
par
une
implantation
dense
et
compacte
• la
présence
d'une
architecture
monumentale
;
l'existence
d'une
acropole,
d'un
mur
d'enceinte,
de
bâtiments
publics.
Aussi
des
critères
socio-‐économiques
et
politiques
:
• division
du
travail,
spécialisation
des
activités
• concentration
et
redistribution
des
surplus
• développement
commercial
à
diverses
échelles
• différenciation
sociale
• formation
d'une
classe
dirigeante
• développement
d'une
administration,
élaboration
de
systèmes
d'écritures
servant
d'abord
à
l'administration
• fonction
de
place
centrale
par
rapport
à
la
région
avoisinante
;
ce
point
est
spécialement
important
dans
le
monde
antique
où
la
ville,
la
cité,
est
indissociable
de
son
territoire
:
polis
=
astu/khôra,
ciuitas
=
urbs/ager.
La
cité
inclut
donc
une
forte
composante
rurale.
Enfin
des
critères
subjectifs
:
• le
mode
de
vie
urbain
• l'anonymat
:
une
ville
est
un
endroit
où
l'on
rencontre
des
gens
que
l'on
ne
connaît
pas
• le
sentiment
d'être
en
ville
• une
conscience
et
une
mémoire
de
l'identité
urbaine.
—
Qu'est
ce
qui
fait
la
ville
?
La
ville
en
tant
que
concept
historique
Il
faut
commencer
par
voir
ce
qu'il
en
est
chez
les
Anciens
eux-‐mêmes.
Deux
choses
apparaissent
:
• d'une
part,
il
n'y
a
pas
de
réflexion
sur
la
ville
elle-‐même
que
phénomène
urbain
• d'autre
part,
et
c'est
lié
à
ce
qui
vient
d'être
dit,
il
y
a
une
confusion
entre
la
ville
et
la
cité.
Chez
Aristote
par
exemple,
la
réflexion
se
porte
sur
la
naissance
de
la
cité
en
tant
que
phénomène
historique
et
non
sur
le
développement
des
agglomérations
urbaines.
C'est
la
même
chose
chez
les
Romains.
La
ville
est
vue
comme
un
phénomène
politique
—
la
cité
—
avec
son
corps
civique
et
ses
institutions,
et
non
comme
un
phénomène
économique
et
social.
D'autre
part,
la
ville
est
assimilée
à
la
civilisation.
C'est
un
topos
(=
un
lieu
commun)
des
auteurs
anciens
depuis
Thucydide.
6
Cf.
Arrien
de
Nicomédie
(Anabase,
VII,
9,
1-‐6)
dans
un
discours
prêté
à
Alexandre
:
"Philippe,
vous
ayant
trouvés
errants,
indigents,
la
plupart
vêtus
de
peaux
de
bêtes,
et
faisant
paître
sur
les
pentes
des
montagnes
de
maigres
troupeaux
pour
lesquels
vous
livriez
aux
Illyriens,
aux
Triballes
et
aux
Thraces
frontaliers
des
combats
malheureux,
Philippe,
dis-‐je,
vous
a
donné
des
chlamydes
à
porter,
à
la
place
de
vos
peaux
de
bêtes,
vous
a
fait
descendre
des
montagnes
dans
les
plaines
[…],
il
a
fait
de
vous
les
habitants
des
cités,
vous
permettant
de
vivre
dans
l'ordre,
grâce
à
de
bonnes
lois
et
de
bonnes
coutumes".
Cf.
aussi
Strabon,
4,
1,
5,
à
propos
de
Marseille.
Mais
comme,
par
le
bienfait
de
la
domination
romaine,
les
Barbares
qui
les
entourent
se
civilisent
chaque
jour
davantage
et
renoncent
à
leurs
habitudes
guerrières
pour
se
tourner
vers
la
vie
publique
et
l'agriculture,
le
goût
dont
nous
parlons
n'aurait
plus
eu,
à
proprement
parler,
d'objet;
ils
ont
donc
compris
qu'ils
devaient
donner
eux
aussi
un
autre
cours
à
leur
activité.
En
conséquence,
tout
ce
qu'ils
comptent
aujourd'hui
de
beaux
esprits
se
porte
avec
ardeur
vers
l'étude
de
la
rhétorique
et
de
la
philosophie;
et,
non
contents
d'avoir
fait
dès
longtemps
de
leur
ville
la
grande
école
des
Barbares
et
d'avoir
su
rendre
leurs
voisins
philhellènes
au
point
que
ceux-‐ci
ne
rédigeaient
plus
leurs
contrats
autrement
qu'en
grec,
ils
ont
réussi
à
persuader
aux
jeunes
patriciens
de
Rome
eux-‐mêmes
de
renoncer
désormais
au
voyage
d'Athènes
pour
venir
au
milieu
d'eux
perfectionner
leurs
études.
Puis,
l'exemple
des
Romains
ayant
gagné
de
proche
en
proche,
les
populations
de
la
Gaule
entière,
obligées
d'ailleurs
maintenant
à
une
vie
toute
pacifique,
se
sont
vouées
à
leur
tour
à
ce
genre
d'occupations,
et
notez
que
ce
goût
chez
elles
n'est
pas
seulement
individuel,
mais
qu'il
a
passé
en
quelque
sorte
dans
l'esprit
public,
puisque
nous
voyons
particuliers
et
communautés
à
l'envi
appeler
et
entretenir
richement
nos
sophistes
et
nos
médecins.
Tacite
surtout
(Agricola,
21),
à
propos
de
la
conquête
et
de
la
romanisation
de
la
Bretagne
(=
Angleterre
actuelle)
par
les
Romains
:
L'hiver
suivant
fut
employé
tout
entier
aux
mesures
les
plus
salutaires
:
pour
habituer
par
l'attrait
des
plaisirs
des
hommes
disséminés,
sauvages
et
par
là-‐même
disposés
à
guerroyer,
à
la
paix
et
au
calme,
il
(Agricola)
exhortait
les
particuliers,
il
aidait
les
collectivités
à
édifier
temples,
forums,
maisons,
félicitant
ceux
qui
se
montraient
zélés,
réprimandant
ceux
qui
l'étaient
moins
;
ainsi
l'émulation
dans
la
recherche
de
la
considération
remplaçait
la
contrainte.
(…)
On
en
vint
même
à
apprécier
notre
costume
et
à
porter
souvent
la
toge
;
peu
à
peu
on
se
laissa
séduire
par
nos
vices,
par
le
goût
des
portiques,
des
bains
et
des
festins
raffinés.
Dans
leur
inexpérience,
ils
appelaient
civilisation
ce
qui
contribuait
à
leur
asservissement.
Et
toujours
Tacite,
Germanie,
16,
à
propos
des
Germains
:
"[16]
XVI.
On
sait
assez
que
les
Germains
ne
bâtissent
point
de
villes
;
ils
ne
souffrent
pas
même
d'habitations
réunies.
Leurs
demeures
sont
éparses,
isolées,
selon
qu'une
fontaine,
un
champ,
un
bocage,
ont
déterminé
leur
choix.
Leurs
villages
ne
sont
pas,
comme
les
nôtres,
formés
d'édifices
contigus
:
chacun
laisse
un
espace
vide
autour
de
sa
maison,
soit
pour
prévenir
le
danger
des
incendies,
soit
par
ignorance
dans
l'art
de
bâtir.
Ils
n'emploient
ni
pierres
ni
tuiles
;
ils
se
servent
uniquement
de
bois
brut,
sans
penser
à
la
décoration
ni
à
l'agrément.
Toutefois
ils
enduisent
certaines
parties
d'une
terre
fine
et
luisante,
dont
les
veines
nuancées
imitent
la
peinture.
Ils
se
creusent
aussi
des
souterrains,
qu'ils
chargent
en
dessus
d'une
épaisse
couche
de
fumier.
C'est
là
qu'ils
se
retirent
l'hiver,
et
qu'ils
déposent
leurs
grains.
Ils
y
sentent
moins
la
rigueur
du
froid
;
et,
si
l'ennemi
fait
une
incursion,
il
pille
les
lieux
découverts,
tandis
que
cette
proie
cachée
sous
la
terre
reste
ignorée
de
lui,
ou
le
déroute
par
les
recherches
mêmes
qu'il
fait
pour
la
trouver."
7
L'historiographie
moderne
a
été
durablement
marquée
par
cette
façon
de
voir.
Elle
a
surévalué
le
politique
aux
dépens
de
l'économique
et
du
social,
et
elle
a
surévalué
aussi,
dans
son
approche
des
sociétés
anciennes,
le
phénomène
urbain.
En
réalité,
on
sait
aujourd'hui
que
les
sociétés
anciennes
ont
certes
une
culture
dominée
par
la
ville,
mais
cela
n'empêche
pas
qu'elles
sont
aussi
très
rurales
dans
leurs
structures
démographiques,
économiques
et
sociales.
Quelles
sont
les
grandes
étapes
de
l'histoire
de
la
ville
antique
?
Numa
Denis
Fustel
de
Coulanges
(La
cité
antique,
1866)
;
succès
de
librairie,
livre
régulièrement
distribué
comme
prix
dans
les
lycées.
La
thèse
:
le
culte
des
morts
est
à
l'origine
des
croyances
de
l'humanité,
c'est-‐à-‐dire
de
la
religion
;
c'est
aussi
le
principe
de
la
famille
qui
se
constitue
autour
de
l'autel
du
foyer
et
des
tombeaux
des
ancêtres
;
la
famille
a
constitué
la
cité
avec
ses
institutions
et
ses
cultes
civiques.
Max
Weber
(La
ville
[Die
Stadt,
1921],
tr.
fr.
1982)
sociologue
Cherche
à
caractériser
les
différents
types
de
villes
dans
l'histoire
;
définit
la
ville
antique
comme
une
"ville
de
consommateurs",
très
liée
à
la
rente
foncière
(par
rapport
à
la
ville
médiévale,
davantage
proche
du
modèle
"ville
de
producteurs").
Ce
sont
deux
œuvres
pionnières,
embrassant
l'ensemble
de
l'histoire
ancienne.
L'historiographie
récente
est
encore
assez
largement
tributaire
de
ces
approches
théoriques.
Ensuite,
travaux
davantage
centrés
sur
l'histoire
politique
et
institutionnelle
:
Gustave
Glotz
(La
cité
grecque,
1928)
Victor
Ehrenberg
(L'État
grec
:
la
cité,
l'État
fédéral,
la
monarchie
hellénistique,
1982
[1ère
éd.
allemande
1960]).
Dans
l'ensemble,
l'historiographie
du
XIXe
et
de
la
première
moitié
du
XXe
siècle
ignore
presque
totalement
l'aspect
urbanistique.
Il
faut
la
conjonction
de
deux
phénomènes
pour
que
les
historiens
s'approprient
cette
approche.
• Le
développement
du
concept
d'urbanisme
et
des
premières
études
sur
la
morphologie
urbaine
(Ildefons
Cerdà,
l'urbaniste
de
Barcelone,
Teoría
General
de
la
Urbanización,
1859
;
Camilio
Sitte,
L'art
de
bâtir
les
villes.
L'urbanisme
selon
ses
fondements
artistiques,
1889).
• Les
premiers
grands
dégagements
et
les
premières
fouilles
importantes
de
sites
urbains
:
Pompéi,
Troie,
Délos,
Pergame,
etc.
Progressivement,
les
concepts
d'urbanisme
et
d'aménagement
urbain
font
leur
apparition
dans
les
ouvrages
sur
les
villes
anciennes
:
• Léon
Homo,
Rome
impériale
et
l'urbanisme
dans
l'Antiquité,
Paris,
1951.
• Roland
Martin,
L'urbanisme
dans
la
Grèce
ancienne,
Paris,
1956.
Cette
tendance
s'est
renforcée
par
la
suite
avec
la
fouille
de
nouveaux
sites
:
• sites
de
la
haute
période
archaïque
qui
ont
permis
de
mieux
connaître
les
premiers
développements
urbains,
par
exemple
en
Sicile,
le
site
de
Megara
Hyblaea,
sur
la
côte
est
de
la
Sicile,
fouillé
à
partir
de
1949
• sites
des
régions
plus
périphériques
du
monde
antique,
qui
ont
permis
de
connaître
la
diffusion
des
modèles
grecs
et
romains
et
leurs
adaptations
locales,
en
particulier
8
dans
le
cadre
de
l'Empire
romain,
par
exemple
en
Gaule,
le
site
de
Samarobriva
(Amiens).
Donc,
il
y
a
eu
deux
phases
dans
l'historiographie
de
la
ville
antique.
La
première,
centrée
sur
les
aspects
politiques
et
institutionnels
et
ignorant
les
aspects
urbanistiques,
la
seconde
prenant
pleinement
ceux-‐ci
en
compte
et
intégrant
les
données
de
l'archéologie.
La
ville
antique
est
désormais
étudiée
dans
sa
globalité
politique,
sociale,
économique
et
matérielle.
Cela
dit,
bien
des
problèmes
demeurent
dans
notre
documentation,
qui
reste
fragmentaire
et
hétéroclite.
• Les
sources
historiques
sont
ponctuelles,
concentrées
sur
une
période
ou
un
site
particulier,
Athènes,
Rome…
;
il
est
impossible
d'en
tirer
une
chronologie
ou
une
typologie
d'ensemble.
• Il
en
est
de
même
pour
la
documentation
archéologique
qui
n'a
exploré,
et
encore
très
partiellement,
que
quelques
sites
sur
des
milliers.
Qui
plus
est,
la
fouille
met
au
jour
des
séquences
chronologiques
complexes
en
milieu
urbain
;
ce
sont
les
couches
les
plus
récentes
qui
apparaissent
d'abord
et
elles
sont
le
produit
de
toute
une
succession
de
niveaux,
une
histoire
séculaire,
voire
millénaire.
Il
faut
donc
énormément
de
précision,
de
finesse
et
d'expérience
pour
en
retracer
l'évolution.
Le
risque
est
grand
d'associer
dans
une
même
phase
des
états
qui
se
sont
succédé.
Il
faut
faire
bien
attention
à
ne
jamais
surévaluer
ni
généraliser
les
exemples
que
nous
connaissons.
C'est
le
grand
problème
de
l'histoire
urbaine
de
l'antiquité:
il
est
très
difficile
et
souvent
impossible
d'élaborer
des
raisonnements
d'ensemble.
B-‐
Repères
chronologiques
—
La
naissance
de
la
ville
On
l'a
déjà
dit,
la
ville
n'apparaît
pas
avec
la
civilisation
grecque.
Ce
qu'on
appelle
la
«
révolution
urbaine
»
s'applique
d'abord
aux
civilisations
des
régions
comprises
entre
l'Anatolie
et
la
vallée
de
l'Indus,
notamment
dans
la
zone
du
Croissant
fertile.
Dès
l'époque
néolithique
on
connaît
des
agglomérations
comme
Çatal
Huyuk
ou
Jéricho.
Cependant
le
développement
de
grandes
agglomérations
pouvant
être
qualifiées
d'urbaines
intervient
avec
l'âge
du
bronze,
en
Mésopotamie,
dans
la
vallée
du
Nil,
en
Palestine,
Syrie,
Anatolie
et
vallée
de
l'Indus.
Dans
le
monde
grec,
les
premières
agglomérations
apparaissent
durant
l'âge
du
bronze,
qui
commence
vers
3200
a.C.
et
se
prolonge
jusqu'à
la
fin
du
IIe
millénaire,
vers
1050.
Les
régions
pionnières
sont
la
Crète
et
les
Cyclades.
Cependant,
il
est
difficile
pour
cette
période
de
trancher
sur
l'existence
d'un
phénomène
urbain
sur
tel
ou
tel
site.
Par
exemple,
le
site
de
Troie
I-‐V
(v.
2600
-‐
v.
1850)
était
entouré
d'une
enceinte
mais
il
s'agit
certainement
d'une
forteresse
et
non
d'une
ville.
C'est
pourquoi
on
considère
qu'une
agglomération
ne
peut
guère
être
qualifiée
de
ville
avant
le
Bronze
moyen
(v.
2000).
À
partir
de
ce
moment,
nous
distinguons
des
agglomérations
présentant
des
caractéristiques
urbaines
dans
le
cadre
de
la
civilisation
minoenne,
en
Crète
et
dans
les
Cyclades,
et
dans
le
monde
mycénien,
en
Grèce
continentale
(Mycènes,
Pylos,
Tirynthe).
9
Dans
un
cas
comme
dans
l'autre,
il
y
a
une
rupture
entre
ces
civilisations
et
ces
villes,
qui
disparaissent
à
la
fin
de
l'âge
du
bronze,
et
les
premières
agglomérations
de
l'âge
du
fer
qui
apparaissent
plusieurs
siècles
plus
tard
et
sur
d'autres
sites.
D'une
manière
générale,
la
ville
naît
en
Orient,
c'est
de
là
que
vient
l'impulsion
première.
Ensuite
cette
impulsion
trouve
un
cadre
et
un
contexte
favorables
dans
le
développement
général
du
monde
méditerranéen.
—
Le
monde
de
la
cité
C'est
à
peu
près
à
ce
moment-‐là
que
notre
cours
commence,
vers
900-‐800,
avec
la
naissance
de
la
cité
;
il
se
termine
vers
la
fin
du
Haut-‐Empire
;
ce
n'est
pas
la
fin
de
la
ville
antique,
mais
son
apogée.
En
raison
des
contraintes
horaires,
il
n'est
pas
possible
de
traiter
la
fin
de
la
ville
antique.
Dans
ce
cadre,
le
plan
du
cours
s'articulera
en
fonction
de
deux
grandes
phases
:
• (1er
semestre)
:
Les
premiers
développements
urbains
à
la
mise
en
place
de
la
cité
classique
(v.
900
–
v.
300
a.C.)
• (2e
semestre)
:
L’apogée
de
la
civilisation
urbaine
de
l’Antiquité
(v.
300
a.C.
-‐
v.
300
p.C.).
Quant
à
l'espace
que
nous
prenons
en
compte,
c'est
celui
du
monde
méditerranéen,
centré
sur
la
Grèce
et
sur
Rome
(en
négligeant
le
monde
phénicien).
Dans
le
cadre
de
l'Empire
romain,
nous
serons
naturellement
conduits
à
aborder
des
terres
non
méditerranéennes,
au
nord
et
à
l'ouest
de
l'Europe,
dans
le
monde
celte.
10
Séance
2
LES
DÉBUTS
DU
PHÉNOMÈNE
URBAIN
ET
LA
NAISSANCE
DES
CITÉS
À
L'ÉPOQUE
ARCHAÏQUE
(II)
(v.
900
-‐
v.
500
a.C.)
Il
est
très
difficile
de
se
faire
une
idée
de
ce
qu'ont
pu
être
les
débuts
du
phénomène
urbain
durant
l'époque
archaïque
(VIIIe
-‐
VIe
siècles
=
v.
900
-‐
v.
500
a.C.).
Comme
on
l'ai
dit
dans
la
séance
précédente,
la
grosse
difficulté
est
de
définir
à
partir
de
quel
moment
une
agglomération
devient
une
ville,
et
quels
sont
les
éléments
qui
permettent
à
l'historien
d'en
décider.
C'est
un
problème
de
méthode
et
d'interprétation
des
données.
Un
bon
exemple
avec
le
site
de
Zagora
sur
l'île
d'Andros
en
Égée.
C'est
un
site
de
l'époque
géométrique
(Xe-‐VIIIe
siècles),
fouillé
dans
les
années
1960-‐1970.
Il
présente
les
caractéristiques
suivantes
:
• site
de
plateau
escarpé
en
bordure
de
mer
• accès
vers
l'intérieur
de
l'île
barré
par
une
enceinte
fortifiée
de
110m
long
• à
l'intérieur,
habitat
qui
paraît
organisé
autour
d'un
axe
directeur
NW/SE
(maisons,
magasins?)
• au
centre,
zone
cultuelle
avec
un
autel
Est-‐ce
une
ville?
Difficile
à
dire
:
• le
site
se
distingue
des
places
fortifiées
temporaires,
sites
de
refuge
articulés
avec
le
monde
rural
• mais
il
n'y
a
pas
d'agora
clairement
visible,
et
pas
de
distinction
claire
entre
domaines
public
et
privé
• pas
de
voirie
organisée
et
de
planification
de
l'habitat
;
l'organisation
de
l'habitat
relève
d'une
implantation
empirique.
A-‐
Le
contexte
Il
y
a
un
autre
problème
:
quelles
sont
les
causes
?
Les
faits
à
l'origine
du
phénomène
urbain
?
Dans
le
monde
méditerranéen,
les
historiens
sont
d'accord
pour
placer
le
début
de
ce
phénomène
vers
900
a.C.
Que
se
passe-‐t-‐il
à
ce
moment-‐là
qui
puisse
expliquer
l'émergence
des
premières
villes
?
—
Un
phénomène
politique
Il
s'agit
d'un
mouvement
de
multiplication
et
de
morcellement
en
petites
entités.
Peut-‐être
favorisé
par
le
morcellement
de
l'espace
méditerranéen
et
l'abondance
des
îles,
en
particulier
dans
le
monde
grec
(Cyclades).
Ces
petites
entités,
se
constituent
en
petites
unités
politiques
autonomes
autour
de
leurs
habitants
regroupés
en
communauté
(dèmos/populus).
C'est
le
premier
élément
du
processus
de
naissance
des
cités.
Ce
mouvement
n'est
pas
seulement
politique,
il
est
aussi
territorial
:
la
cité
se
constitue
comme
un
corps
civique
mais
aussi
comme
un
territoire
polarisé
sur
un
chef-‐lieu.
—
Un
élément
religieux
On
peut
le
décomposer
en
deux.
11
D'une
part,
le
développement
de
divinités
et
de
cultes
liés
à
la
communauté
(poliades),
qui
remplacent
et/ou
s'ajoutent
aux
anciennes
pratiques
familiales
et
tribales
(chasses,
sacrifices,
banquets).
Cependant,
c'est
peut-‐être
plus
une
conséquence
qu'une
cause
du
mouvement
vers
la
cité.
D'autre
part,
le
développement
des
grands
sanctuaires
panhelléniques
(Olympie,
Delphes),
qui
dépassent
le
cadre
local.
L'articulation
de
ce
dernier
élément
avec
la
naissance
de
la
cité
est
toutefois
difficile
à
apprécier.
—
Une
évolution
économique
et
sociale
Là
aussi,
les
choses
sont
difficiles
à
cerner.
Il
y
a
visiblement
une
croissance
démographique
que
montre
l'augmentation
des
sites,
et
donc
de
la
densité
d'occupation
sur
les
territoires.
On
ne
sait
rien
de
l'évolution
des
structures
foncières
et
très
peu
de
choses
des
structures
sociales.
Le
plus
clair
est
l'évolution
des
aristocraties
rurales
qui
se
concentrent
au
chef-‐lieu
tout
en
conservant
leur
assise
foncière
;
mais
ce
phénomène
ne
se
déroule
pas
partout
de
la
même
manière
façon
ni
au
même
rythme.
Donc,
on
discerne
un
mouvement
général
mais
on
a
beaucoup
de
difficultés
à
l'analyser
et
à
l'interpréter
dans
son
ensemble.
Il
faut
bien
insister
sur
le
fait
que
ce
mouvement
n'est
pas
spécifique
au
monde
grec
;
il
concerne
aussi
le
monde
phénicien
et
le
Proche-‐Orient,
cf.
le
royaume
de
Juda
et
Jérusalem
qui
devient
une
véritable
ville
vers
la
fin
du
VIIIe
siècle.
C'est
un
mouvement
général
dans
cette
partie
du
monde.
B-‐
Les
synœcismes
Le
synœcisme
est
l'explication
que
les
Anciens
eux-‐mêmes
ont
donnée
à
ce
phénomène.
Ils
le
voyaient
comme
un
regroupement
volontaire
et
décisif
aboutissant
à
une
création
urbaine.
Aujourd'hui,
il
est
difficile
d'accepter
telle
quelle
cette
vision
qui
était
pour
les
Anciens
une
façon
de
reconstruire
leur
passé.
Cela
dit,
le
contenu
des
récits
qu'ils
nous
ont
transmis
donne
à
l'historien
des
informations
très
précieuses
sur
la
naissance
du
phénomène
urbain
dans
le
monde
grec
et
aussi
romain.
Chez
les
Anciens,
le
terme
de
synœcisme
recouvre
deux
réalités
différentes
:
• regroupement
politique
avec
continuité
des
formes
anciennes
d'habitat,
cf.
Athènes
• fondation
ex
nihilo
par
des
habitants
venus
d'horizons
divers,
cf.
Rome.
—
Le
cas
de
Rome
et
de
l'Italie
centrale
En
Italie
centrale
(Étrurie,
Latium,
Campanie),
l'élément
essentiel
semble
être
le
passage
de
communautés
pastorales
relativement
égalitaires
à
une
société
dominée
par
l'aristocratie,
passage
qui
s'opère
dès
la
fin
de
l'âge
du
bronze,
entre
le
Xe
et
le
IXe
siècles.
L'agriculture
se
développe,
et
avec
elle
une
concentration
foncière
dans
les
mains
de
personnages
importants.
Des
villages
se
forment,
quelques
dizaines
de
maisons,
une
nécropole,
un
lieu
de
rassemblement
des
hommes
en
état
de
porter
les
armes
:
la
curia
(co
—wirya)
;
c'est
aussi
un
lieu
de
culte
communautaire.
12
Dans
chacun
de
ces
villages
domine
un
chef
de
clan
;
les
habitants
sont
ses
dépendants.
C'est
ce
que
l'on
voit
par
exemple
sur
le
site
de
Tarquinia
:
dans
un
rayon
de
5
km,
12
villages
d'une
trentaine
de
maisons,
sur
une
superficie
de
2
ha
en
moyenne.
Au
cours
du
VIIIe
siècle,
on
observe
sur
certains
sites
une
concentration
de
ces
villages
en
un
seul
bourg,
avec
une
ou
au
maximum
deux
nécropoles
(rassemblement
des
vivants
et
aussi
des
morts).
C'est
le
cas
à
Tarquinia,
à
Véies
et
aussi
à
Rome.
Une
chose
importante
:
les
sites
où
se
produit
cette
évolution
vers
la
ville
sont
prioritairement
ceux
qui
peuvent
profiter
d'un
apport
de
ressources
non
agricoles,
c'est-‐à-‐
dire
:
• l'accès
à
des
ressources
minières
(fer
en
Étrurie)
• l'accès
aux
échanges
aves
les
mondes
grec
et
phénicien
(sites
littoraux
du
Latium,
Rome).
Il
y
a
donc
dans
ces
agglomérations
une
dimension
artisanale
et
commerçante.
À
l'inverse,
les
régions
qui
ne
profitent
pas
de
cet
apport
restent
durablement
ancrées
dans
des
structures
à
dominante
rurales,
avec
des
villages
et
des
chefs
de
village.
Toute
l'Italie
n'avance
pas
au
même
rythme.
À
Rome,
la
légende
rapportée
notamment
par
Tite
Live
(I,
6-‐8,
cf.
livret),
raconte
cette
concentration
sous
la
forme
d'une
fondation
effectuée
par
les
deux
jumeaux,
Romulus
et
Rémus,
en
753.
La
date
de
la
légende
correspond
à
la
chronologie
mise
en
évidence
par
l'archéologie
(VIIIe
siècle)
toutefois
les
éléments
du
récit
ont
été
élaborés
plus
tard.
—
Le
cas
d'Athènes
D'après
les
Anciens,
notamment
Thucydide
(II,
15,
2,
cf.
livret),
voilà
ce
qui
s'est
passé
à
Athènes
:
une
association
volontaire
de
différentes
entités
(des
villages)
qui
choisissent
de
mettre
en
commun
leurs
magistrats
sans
déplacer
la
population.
C'est
un
processus
d'abord
politique.
Ce
processus
n'a
donc
pas
d'effet
immédiat
sur
l'occupation
de
l'espace.
Pas
d'exode
rural,
pas
de
croissance
démographique
brusque
du
chef-‐lieu.
L'occupation
du
sol
demeure
fondée
sur
un
tissu
de
villages
et
de
bourgs
dispersés.
La
population
reste
liée
au
travail
de
la
terre.
Un
moment-‐clé
:
au
début
du
VIe
siècle,
les
réformes
de
Solon
(594)
et
notamment
la
remise
des
dettes
et
la
fin
de
l'esclavage
pour
dettes.
Cet
aspect
de
la
réforme
montre
que
l'on
est
dans
une
société
rurale
dans
laquelle
s'était
développée
une
mainmise
sur
la
terre
par
l'aristocratie
(les
eupatrides)
et
un
mouvement
d'endettement
de
la
petite
et
moyenne
paysannerie.
On
devine
des
conflits
qui
aboutissent
aux
réformes
de
Solon.
Cependant,
Solon
ne
procède
pas
à
une
véritable
réforme
agraire
qui
aurait
permis
une
redistribution
des
terres.
En
conséquence,
une
partie
de
la
population
rurale,
libérée
des
dettes
et
de
l'esclavage
pour
dettes,
mais
sans
terre,
gagne
le
chef-‐lieu.
C'est
l'origine
de
l'accroissement
de
la
population
urbaine
et
du
développement
urbain
d'Athènes.
C-‐
La
colonisation
et
les
fondations
coloniales
13
—
Généralités
Dès
le
VIIIe
siècle
commence
un
mouvement
de
migrations
à
l'échelle
de
l'ensemble
de
la
Méditerranée,
qui
concerne
les
Grecs
mais
aussi
les
Phéniciens.
C'est
ce
que
les
historiens
appellent
la
«
colonisation
»
(le
terme
est
anachronique,
avec
une
connotation
impérialiste,
mais
on
continue
à
l'utiliser
par
commodité).
Il
y
a
plusieurs
raisons
à
ce
mouvement
:
• commerciales
avec
fondation
de
comptoirs
(emporia)
• accroissement
démographique
et
recherche
de
nouvelles
terres
(sténochôria)
• conflits
internes
(stasis)
• il
faut
tenir
compte
aussi
des
progrès
de
la
navigation.
C'est
un
mouvement
de
longue
durée
qui
s'étale
en
plusieurs
temps
jusqu'au
VIe
siècle.
Il
se
traduit
par
la
fondation
de
nombreux
établissements
sur
le
pourtour
de
la
Méditerranée
et
dans
les
îles,
dont
beaucoup
deviennent
des
villes
importantes.
D'une
manière
générale,
ce
mouvement
est
important
à
plusieurs
titres
:
• il
entraîne
une
diffusion
du
phénomène
urbain
• il
implique
un
programme
:
la
migration
et
la
fondation
coloniale
supposent
un
plan
élaboré
et
une
organisation
de
l'avenir
Cela
peut
d'ailleurs
échouer,
et
il
y
a
eu
de
nombreux
échecs,
mais,
en
tout
état
de
cause,
cette
faculté
d'anticipation
et
ce
souci
de
planification
nécessitent
et
traduisent
un
minimum
d'organisation
qui
ne
peut
s'expliquer
que
par
la
structuration
en
cours
du
phénomène
civique.
—
Mégara
Hyblaea
Il
n'est
pas
question
de
donner
ici
la
liste
des
«
métropoles
»,
c'est-‐à-‐dire
des
cités
de
départ,
et
encore
moins
des
colonies
fondées,
ni
la
chronologie
de
l'ensemble.
On
peut
se
référer
à
la
bibliographie
et
même
à
la
page
"Colonisation
grecque"
de
Wikipédia.
On
se
contentera
de
citer
un
site
spécialement
connu
pour
avoir
fait
l'objet
de
fouilles
importantes,
et
qui
passe
pour
être
un
modèle
d'établissement
colonial,
ce
qui
est
sans
doute
exagéré.
Il
s'agit
de
Mégara
Hyblaea,
en
Sicile,
fondée
par
Mégare
à
la
fin
du
VIIIe
siècle.
• Les
nécropoles
sont
nettement
séparées
• il
y
a
des
zones
affectées
aux
activités
collectives
:
agora,
sanctuaires
• un
plan
régulier,
visible
dans
les
fouilles
du
secteur
de
l'agora
;
il
ne
résulte
pas
forcément
d'un
projet
initial
d'urbanisme
mais
peut-‐être
simplement
d'une
implantation
de
bon
sens.
On
peut
faire
la
différence
avec
Zagora
;
ici,
la
qualification
urbaine
ne
fait
guère
de
doute.
14
Séance
3
LES
DÉBUTS
DU
PHÉNOMÈNE
URBAIN
ET
LA
NAISSANCE
DES
CITÉS
À
L'ÉPOQUE
ARCHAÏQUE
(II)
(v.
900
-‐
v.
500
a.C.)
On
a
vu
dans
la
séance
précédente
que
la
cité
en
tant
que
système
d'organisation
politique
commence
à
se
développer
à
partir
du
VIIIe
siècle,
dans
la
période
archaïque.
Dans
cette
même
période,
qu'en
est-‐il
de
la
ville,
d'une
part
en
tant
qu'espace
aggloméré,
et
d'autre
part
en
tant
que
société
particulière,
présentant
des
caractéristiques
que
l'on
peut
présenter
comme
urbaines
?
A-‐
L'affirmation
de
l'espace
urbain
Elle
se
marque
à
plusieurs
niveaux.
—
Les
enceintes
urbaines
À
l'âge
du
Bronze,
dans
le
monde
grec,
il
y
avait
eu
d'importants
sites
fortifiés
dans
le
cadre
des
civilisations
palatiales
de
Mycènes
ou
Tirynthe.
Mais
ces
civilisations
ont
disparu
à
la
fin
du
bronze.
Ensuite,
au
début
de
l'âge
du
fer,
durant
ce
qu'on
appelle
les
âges
sombres
de
la
Grèce,
on
a
surtout
des
sites
fortifiés
de
petite
taille
(moins
d'un
hectare)
qui
ne
sont
pas
des
villes.
À
partir
du
VIIIe
siècle,
on
voit
apparaître
de
nouveau
des
grands
sites
fortifiés,
notamment
dans
le
monde
colonial,
pour
des
raisons
de
sécurité.
Ce
sont
souvent
des
enceintes
de
briques
crues,
qui
ont
laissé
peu
de
traces,
ce
qui
fait
que
les
archéologues
n'ont
commencé
à
les
repérer
que
récemment,
grâce
aux
progrès
des
techniques
de
fouille.
Au
VIe
siècle,
toujours
dans
le
monde
colonial,
on
voit
ces
enceintes
devenir
plus
élaborées
et
plus
puissantes,
avec
l'utilisation
de
la
pierre,
l'apparition
de
tours
en
saillie,
des
dispositifs
de
protection
des
portes.
À
Rome,
c'est
au
VIe
siècle
qu'est
édifiée
la
première
grande
enceinte
en
dur
de
la
ville,
celle
du
roi
Servius
Tullius.
Elle
remplace
un
mur
en
terre
longé
d'un
fossé.
Comme
dans
beaucoup
d'autres
sites,
la
muraille
dépasse
largement
le
bâti
urbain,
afin
de
prévoir
son
extension
et
de
protéger
aussi
des
vergers
et
des
jardins,
voire
des
champs.
Le
pomerium
primitif
a
été
étendu
;
c'était
la
limite
religieuse
et
sacrée
de
la
ville,
au
delà
de
laquelle
se
trouvaient
les
nécropoles.
Dans
l'île
de
Thasos,
une
grande
enceinte
est
mise
en
place
au
milieu
du
VIe
siècle.
Là
aussi,
l'enceinte
excède
l'espace
bâti.
Et
comme
c'est
souvent
le
cas
ailleurs,
l'édification
de
l'enceinte
s'est
accompagnée
d'une
redéfinition
de
l'organisation
de
l'espace
de
la
ville
:
de
nouveaux
grands
axes
de
circulation
sont
mis
en
place,
de
nouveaux
quartiers
apparaissent,
on
relie
des
éléments,
le
port,
des
quartiers,
des
sanctuaires.
—
L'aménagement
des
rues
et
l'habitat
Faute
de
fouilles
sur
de
grandes
superficies,
on
en
sait
encore
assez
peu
sur
l'aspect
des
villes
de
l'époque
archaïque.
L'important
est
l'apparition
d'une
hiérarchisation
de
la
voirie
autour
de
deux
catégories
• les
voies
principales
• les
autres
voies,
beaucoup
plus
étroites
et
sans
aménagement
(pas
de
draînage)
15
Les
rues
sont
bordées
par
des
maisons
en
général
assez
basses
(pas
plus
d'un
étage)
et
avec
très
peu
d'ouverture
sur
la
rue,
souvent
une
seule,
la
porte.
On
observe
un
peu
partout
une
densification
de
l'habitat
à
l'intérieur
des
villes
;
les
espaces
libres
à
l'intérieur
des
enceintes
diminuent.
Cela
résulte
d'une
augmentation
de
la
population
urbaine,
au
chef-‐lieu
de
la
cité,
par
rapport
à
celle
de
la
campagne.
Il
y
a
encore
des
maisons
en
bois,
mais
le
plus
souvent
elles
sont
construites
sur
des
assises
en
pierres
sèches
surmontées
de
murs
en
brique
crue.
La
surface
au
sol
est
le
plus
souvent
inférieure
à
20
m2.
L'aménagement
interne
se
complexifie
:
on
passe
de
la
pièce
unique
à
des
espaces
plus
différenciés.
On
a
par
exemple
des
pièces
pourvues
de
silos
creusés
dans
le
sol
à
côté
de
pièces
qui
en
sont
dépourvues.
—
L'apparition
de
l'espace
public
C'est
un
élément
essentiel
de
la
ville
antique
qui
est
lié
à
la
dimension
religieuse
et
collective
de
l'évolution
des
sociétés
civiques.
La
définition
d'un
espace
public
est
d'abord
religieuse
:
c'est
la
définition
d'un
espace
lié
à
un
culte
collectif,
d'abord
autour
d'un
autel,
où
l'on
procède
aux
sacrifices
et
autour
duquel
ont
lieu
les
grands
banquets
rassemblant
les
citoyens.
Cet
espace
est
bientôt
défini
et
protégé
par
la
cité,
c'est-‐à-‐dire
par
l'autorité
publique
(les
magistrats)
;
on
plante
des
bornes
qui
délimitent
l'espace
sacré
(templum/temenos).
Dans
la
ville,
ces
espaces
sacrés
se
trouvent
sur
deux
types
de
situation
topographique
:
• en
bordure
de
la
place
centrale,
forum
ou
agora
• sur
des
points
hauts
de
la
ville,
à
Rome
le
Capitole,
à
Athènes
l'acropole.
Dans
la
seconde
moitié
du
VIe
siècle,
des
espaces
publics
apparaissent
qui
ne
sont
pas
liés
exclusivement
à
une
dimension
et
un
usage
sacrés.
On
en
trouve
la
trace
dans
les
textes
mais
l'archéologie
peine
à
les
mettre
en
évidence.
À
Athènes,
une
source
tardive
mentionne
une
première
agora,
le
Pandèmon,
([lieu
de]
l'ensemble
du
peuple),
mais
les
fouilles
ne
l'ont
pas
trouvé.
À
Rome,
nous
savons
qu'il
existait
un
espace
réservé
à
l'affichage
des
textes
publics,
comme
sans
doute
dans
la
plupart
des
cités
;
nous
savons
aussi
qu'il
y
avait
un
lieu
de
réunion,
le
comitium,
et
une
curie,
mais
la
topographie
du
forum
archaïque
demeure
mal
connue.
B-‐
Les
premiers
grands
monuments
et
équipements
urbains
—
La
tyrannie
et
les
grands
travaux
La
construction
de
grands
monuments
est
liée
à
un
phénomène
politique
plus
qu’à
une
logique
de
développement
urbain
ou
un
besoin
de
la
population.
Ce
phénomène,
c'est
la
tyrannie.
La
tyrannie
est
une
forme
de
gouvernement
exercée
par
un
individu,
le
«
tyran
»
(tyrannos),
qui
peut
porter
d'autres
titres,
comme
par
exemple
celui
de
roi
(à
Rome).
Ce
gouvernement
est
un
pouvoir
personnel
qui
s'appuie
généralement
sur
le
peuple
contre
les
tenants
et
les
intérêts
de
l'aristocratie
;
ce
sont
par
exemple
:
• les
Pisistratides
à
Athènes
• les
Tarquins
à
Rome
• les
Deinoménides
à
Syracuse…
Le
tyran
a
besoin
à
la
fois
:
• d'affirmer
son
pouvoir
sur
la
cité
et
dans
l'espace
de
la
cité
16
• d'exalter
les
dieux
de
la
cité
• de
faire
travailler
une
nouvelle
catégorie
sociale,
sur
laquelle
il
s'appuie,
celle
des
artisans.
Une
politique
de
grands
travaux
permet
de
répondre
à
ces
trois
objectifs.
Cette
politique
de
grands
travaux
s'exprime
dans
deux
domaines
:
l'architecture
religieuse
et
les
grands
travaux
d'équipement,
à
la
fois
utilitaires
et
ostentatoires,
comme
l'hydraulique.
—
Les
temples
C'est
dans
cette
période
que
l'on
voit
apparaître
le
modèle
du
temple
classique
périptère,
c'est-‐à-‐dire
entouré
de
colonnes
libres,
dégagées
de
la
paroi
(ou
dans
la
tradition
italique,
pseudo-‐périptère,
c'est-‐à-‐dire
que
les
colonnes
n'en
font
pas
le
tour).
Ce
modèle
architectural
est
largement
inspiré
de
l'Orient
et
de
l'Égypte.
S'il
y
a
eu
des
temples
de
ce
genre
en
bois,
il
semble
que
rapidement
c'est
la
pierre
qui
s'est
imposée
comme
le
matériau
convenant
à
ces
réalisations
de
prestige.
Ces
temples
étaient
décorés
et
colorés,
notamment
grâce
à
des
éléments
d'ornementation
en
terre
cuite.
À
Athènes,
une
intense
activité
architecturale
se
déploie
sur
l'acropole
à
l'époque
des
Pisistratides,
entre
le
dernier
quart
du
VIe
siècle
et
le
début
du
Ve.
Plusieurs
édifices
sont
construits
et
un
grand
temple
est
édifié.
À
Rome,
ce
sont
les
rois
étrusques
et
d'abord
le
premier
d'entre
eux,
Tarquin
l'Ancien,
qui
font
venir
des
artisans
grecs,
et
notamment
des
coroplastes,
pour
édifier
le
grand
temple
de
Jupiter
sur
le
Capitole.
—
Les
grands
travaux
hydrauliques
Les
grands
travaux
d'équipement
urbain
dans
cette
période
concernent
surtout
l'approvisionnement
et
la
distribution
de
l'eau.
Dès
le
VIe
siècle,
Marseille
est
équipée
d'un
système
d'adduction
et
de
distribution,
avec
des
réservoirs
et
des
puits
publics.
C'est
aussi
le
cas
à
Athènes.
Au
même
moment,
les
Tarquins
font
aménager
la
Cloaca
maxima,
le
grand
égout
de
Rome.
—
Une
chose
importante
:
tous
ces
travaux
sont
en
général
réalisés
très
lentement.
Il
n'est
pas
rare
qu'il
s'écoule
plusieurs
dizaines
d'années
entre
la
décision
et
l'achèvement
d'un
projet.
La
ville
antique
est
toujours
en
chantier.
C-‐
Économie,
société
et
cultures
urbaines
—
Économie
et
société
L'évolution
urbaine
de
la
période
archaïque
s'inscrit
dans
un
contexte
de
mutations
économiques
et
sociales
qui
touche
toutes
les
sociétés
antiques,
avec
des
décalages
chronologiques.
Il
y
a
certes
des
continuités
:
la
terre
reste
et
restera
toujours
le
fondement
économique
et
la
référence
sociale
par
excellence
;
la
société
antique
est
dominée
par
l'aristocratie
foncière.
D'ailleurs
les
luttes
sociales
dont
nous
percevons
les
échos
dans
les
textes
concernent
exclusivement
des
sociétés
rurales
:
les
enjeux
en
sont
les
dettes,
l'esclavage
pour
dettes
et
la
possession
des
terres
agricoles.
Il
y
a
aussi
des
nouveautés
:
on
devine
l'émergence
de
nouvelles
catégories,
artisans
et
commerçants.
Mais
attention
:
la
consommation
des
biens
manufacturés
demeure
faible.
17
Dans
les
milieux
populaires
ruraux
et
aussi
urbains,
l'autoconsommation
prédomine
toujours
;
pour
l'essentiel,
la
production
artisanale
est
tournée
vers
l'aristocratie
et
on
ignore
si
les
artisans
sont
autonomes
ou
dépendants
de
cette
clientèle
de
riches
commanditaires.
De
la
même
manière,
le
commerce
est
limité
à
des
matières
premières
précieuses
et
à
des
produits
de
luxe
qui
font
l'objet
d'échanges
à
longue
distance.
Les
cités
coloniales,
qui
se
trouvent
à
proximité
du
monde
barbare
bénéficient
de
ce
point
de
vue
d'atouts
non
négligeables,
ainsi
Marseille
qui
commerce
avec
le
monde
celte
(étain
notamment).
—
Cultures
et
identités
urbaines
Plusieurs
éléments
montrent
que
dans
chaque
cité
se
forgent
des
cultures
propres,
faites
notamment
de
légendes
et
mythes
fondateurs.
À
Rome,
la
légende
troyenne
se
forme
dès
le
Ve
siècle
;
à
Athènes,
on
attribue
aux
tyrans
d'avoir
fixé
le
texte
homérique.
Cela
apparaît
aussi
au
niveau
des
styles
architecturaux
ou
décoratifs.
À
Athènes,
par
exemple,
on
choisit
l'ordre
dorique
pour
le
temple
de
Zeus
Olympien,
afin
de
se
distinguer
d'Éphèse
et
de
Milet
en
Ionie,
qui
ont
adopté
l'ordre
dit
ionique.
À
Athènes
encore,
au
VIe
siècle,
la
production
céramique
qui
était
jusque
là
marquée
par
l'influence
corinthienne
s'autonomise
et
affirme
un
style
propre
dont
le
succès
est
ensuite
immense.
Un
témoignage
très
important
de
l'identité
civique
est
la
monnaie.
Dès
le
VIe
siècle,
beaucoup
de
cités
grecques
dispose
de
monnayages
propres.
La
monnaie
est
d’abord
un
instrument
financier.
Son
apparition
traduit
la
nécessité
pour
les
cités
de
disposer
d'un
instrument
de
prélèvement
(revenus,
impôts,
amendes)
et
de
paiement
(travaux,
guerres)
à
la
fois
pratique
et
commun.
À
Rome
et
dans
le
monde
italique,
la
monnaie
n'apparaît
pas
avant
le
IIIe
siècle
a.C.
Cela
marque
sans
doute
un
certain
retard
de
ce
point
de
vue.
La
monnaie
est
aussi
un
vecteur
de
communication
politique
;
elle
porte
un
message
et
joue
un
rôle
dans
l'affirmation
de
l'identité
civique.
Bilan
à
la
fin
de
l'époque
archaïque
—
En
Grèce
comme
en
Italie,
il
existe
encore
peu
de
véritables
villes.
La
différence
entre
la
ville
et
la
campagne
est
encore
assez
peu
marquée.
Il
est
certain
que
la
cité
comme
organe
politique
a
commencé
à
se
développer,
mais
la
ville
comme
agglomération
urbaine
ne
va
pas
à
la
même
allure.
Beaucoup
de
communautés
se
sont
organisées
en
cité
—
on
peut
parler
de
communautés
civiques
—
mais
n'ont
pas
encore
de
vrais
centres
agglomérés,
ce
sont
plutôt
des
gros
villages,
des
bourgs.
—
L'émergence
de
catégories
sociales
spécifiquement
urbaines
est
encore
embryonnaire.
—
Il
faut
tenir
compte
de
différences
régionales
:
certaines
régions
comme
l'Attique,
la
Corinthie,
l'Argolide
ou
la
Sicile
sont
plus
avancées
que
l'Italie
ou
que
l'Europe
celtique.
18
Séance
4
LA
MISE
EN
PLACE
DU
MODELE
CIVIQUE
ET
LE
DÉVELOPPEMENT
URBAIN
À
L'EPOQUE
CLASSIQUE
(I)
(v.
500
-‐
v.
300)
Durant
cette
période,
les
tendances
visibles
durant
la
période
précédente
s'accentuent,
à
travers
trois
mouvements
complémentaires
:
• l'accomplissement
et
la
généralisation
de
la
cité
à
travers
le
modèle
civique
• le
développement
de
l'urbanisation
• le
développement
de
la
ville
en
tant
qu'espace
et
que
société.
Dans
cette
partie,
on
suivra
les
exemples
assez
différents
d'Athènes
et
de
Rome.
A-‐
La
montée
de
l'urbanisation
—
La
population
urbaine
L'augmentation
de
la
population
urbaine
est
un
fait
que
l'on
perçoit
mais
qui
est
impossible
à
chiffrer,
et
difficile
à
expliquer
(facteur
interne
ou
facteurs
externes
?
dynamisme
démographique
interne
ou
exode
rural
et
immigration
?).
Les
phénomènes
d'extension
urbaine
sont
particulièrement
visibles
• par
exemple
dans
le
monde
colonial
grec,
à
Himère
ou
Géla
en
Sicile,
qui
doublent
ou
triplent
leur
superficie
aux
Ve
et
IVe
siècles
;
• dans
le
monde
italique,
citons
le
cas
de
Pompéi
:
le
noyau
primitif
(9
ha)
est
progressivement
élargi,
avec
plusieurs
enceintes
successives,
jusqu'à
63
ha.
L'augmentation
de
la
population
apparaît
aussi
dans
les
très
rares
exemples
de
dénombrement
que
nous
connaissons.
Il
faut
rappeler
que
le
dénombrement
des
citoyens
était
un
des
éléments
de
la
constitution
civique,
notamment
à
Rome
où
le
recensement
est
mis
en
place
par
les
rois
étrusques
;
sous
la
République
il
a
lieu
tous
les
5
ans.
Nous
connaissons
par
les
sources
un
certain
nombre
de
chiffres
:
• 508
:
130
000
• 503
:
120
000
• 498
:
157
700
• 493
:
110
000
• 474
:
103
000
• 465
:
104
714
• 459
:
117
319
• 393
:
152
573
• 340
:
165
000
• 323
:
150
000
• 294
:
262
321
À
Athènes,
on
connaît
le
recensement
de
Démétrios
de
Phalère
en
317
ou
peu
après,
dont
les
chiffres
sont
21
000
citoyens
athéniens,
10
000
métèques,
et
400
000
esclaves
(ce
dernier
chiffre
étant
considéré
comme
exagéré).
Mais
ces
chiffres
sont
difficiles
à
exploiter.
D'une
manière
générale,
ils
ne
concernent
que
les
citoyens
mâles
adultes,
et
ils
ne
font
pas
la
différence
entre
la
population
urbaine
et
celle
de
la
campagne,
parce
que
le
corps
civique
est
unitaire.
19
À
Athènes,
pas
de
données
antérieures
(le
recensement
n'y
est
pas
systématique).
—
Les
fondations
urbaines
Le
mouvement
de
fondation
urbaine
se
poursuit
et
s’amplifie.
D'abord
dans
le
cadre
de
la
colonisation
:
• il
y
a
de
nouvelles
fondations,
par
exemple
en
325/324
a.C.
l'envoi
de
colons
athéniens
à
Adria
à
l'embouchure
du
Pô
(Syll.
I,
153)
pour
sécuriser
la
route
de
l'Adriatique
• la
plaine
du
Pô
où
se
développe
un
mouvement
de
colonisation
étrusque,
stoppé
par
les
invasions
celtiques
au
Ve
siècle
• en
Italie,
entre
350
et
250
a.C.,
Rome
fonde
un
certain
nombre
de
colonies
de
citoyens
romains,
limitées
à
l'installation
de
300
colons
;
ces
premières
colonies
de
droit
romain
ont
d'abord
une
fonction
militaire
:
la
surveillance
des
côtes
du
Latium
(exemple
:
Antium/Anzio
fondée
en
338
a.C.).
Il
y
a
aussi
de
nouvelles
fondations
en
dehors
du
cadre
colonial,
par
exemple
dans
des
cas
de
(ré)organisation
territoriale
:
• en
432
a.C.,
la
fondation
de
la
Ligue
chalcidienne
entraîne
celle
de
la
ville
d'Olinthe
• en
408
a.C.,
les
trois
cités
de
l'île
de
Rhodes
(Camiros,
Ialysos
et
Lindos)
font
un
synœcisme
qui
se
traduit
par
la
création
d'une
nouvelle
cité
qui
prend
le
nom
de
l'île
(Rhodes)
Ou
dans
le
cas
de
fondation
d'un
nouvel
État
:
• en
370
a.C.
après
la
guerre
contre
Thèbes,
les
Hilotes
de
Sparte,
libérés,
créent
la
cité
de
Messène
• en
367
a.C.,
Mégalopolis
est
créée
pour
surveiller
Sparte.
Ou
encore
dans
des
régions
marginales,
reculées
ou
difficiles
qui
y
avaient
jusque
là
échappé,
par
exemple
les
zones
montagneuses
par
exemple,
comme
l'Arcadie,
au
centre
du
Péloponnèse
(Tégée,
Mantinée)
ou
l'Apennin.
—
La
montée
de
l'urbanisation
a
pour
corollaire
une
hiérarchisation
plus
nette
entre
des
centres
urbains
importants
et
d'autres
moyens
et
petits.
B-‐
Le
modèle
civique
classique
Dans
toute
cette
période,
il
y
un
mouvement
d'ensemble
vers
l'organisation
des
communautés
autour
de
leurs
chefs-‐lieux
urbains.
C'est
le
moment
où
les
institutions
civiques
se
développent
et
se
formalisent
;
elles
se
concentrent
dans
les
chefs-‐lieux,
et
de
plus
en
plus
la
ville,
le
centre
urbain,
commande
au
territoire
dans
son
ensemble,
la
chôra,
l'ager,
le
plat
pays.
Ces
institutions
reposent
fondamentalement
sur
trois
organes
:
les
assemblées,
les
magistrats,
les
conseils.
Et
d'abord
sur
les
citoyens.
—
La
citoyenneté
À
la
base,
il
y
a
le
corps
civique,
l'ensemble
des
citoyens,
dèmos
ou
populus.
On
est
citoyen
par
la
naissance
par
la
naturalisation,
ou
par
l'affranchissement.
À
Athènes,
on
est
citoyen
si
on
est
né
d'un
père
athénien,
et
si
on
a
suivi
l'éphébie,
entre
18
et
20
ans,
qui
est
une
formation
militaire
et
civique.
Il
y
a
environ
60
000
citoyens.
20
En
451
a.C.,
une
réforme
de
Périclès
modifie
cette
situation,
il
faut
désormais
être
né
de
deux
ascendants
athéniens
:
le
père
et
une
mère
fille
de
citoyen
athénien.
Cette
«
fermeture
»
du
corps
civique
athénien
s'explique
par
la
volonté
de
protéger
le
caractère
familial
et
limité
de
la
cité
et
de
maintenir
un
équilibre
entre
les
ressources
disponibles
et
les
privilèges
accordés
aux
citoyens
(droit
de
propriété,
droit
de
bénéficier
d'une
aide
financière
pour
les
plus
pauvres).
Les
citoyens
doivent
rester
un
nombre
limité
de
privilégiés.
C'est
un
moyen
de
maintenir
la
concorde
civile.
C'est
pour
cette
raison
aussi
que
la
naturalisation
est
très
rare
à
Athènes,
et
obtenue
seulement
par
des
mérites
et
des
dons
exceptionnels
et
un
vote
de
l'Ecclèsia.
On
retrouve
une
situation
de
ce
genre
dans
nombre
de
cités
grecques
(Rhodes,
Byzance).
À
Rome,
la
situation
a
toujours
été
très
différente.
Dès
la
période
royale,
la
citoyenneté
romaine
a
eu
une
valeur
surtout
juridique
et
abstraite
;
elle
n'est
pas
liée
à
une
vie
en
commun
au
sein
d'une
même
cité
matérielle.
Elle
peut
donc
être
étendue
à
des
individus
ou
des
communautés
vivant
loin
de
Rome,
et
cela
de
manière
infinie.
On
devient
citoyen
en
étant
de
père
citoyen
romain
ou
d'une
mère
romaine
si
l'union
est
illégitime.
On
le
devient
aussi
par
naturalisation,
individuelle
ou
collective,
et
cette
procédure
est
beaucoup
plus
courante
et
importante
qu'à
Athènes.
On
le
devient
encore
par
affranchissement,
et
c'est
là
aussi
un
canal
important
d'accès
au
corps
civique.
Le
roi
Philippe
V
de
Macédoine
(238-‐179)
qui
fut
l'allié
d'Hannibal
contre
les
Romains,
disait
que
leur
force
venait
de
ce
qu'ils
libéraient
les
esclaves
pour
en
faire
des
citoyens.
C'est
pour
cette
raison
que
Rome
est
d'emblée
fondée
sur
un
modèle
civique
beaucoup
plus
assimilationniste.
Le
point
logique
d'aboutissement
de
ce
modèle
est
l'extension
de
la
citoyenneté
romaine
à
tous
les
habitants
de
l'Empire
en
212
p.C.
(édit
de
Caracalla).
—
Les
assemblées
À
la
différence
des
assemblées
modernes,
elles
sont
davantage
caractérisées
par
leur
mode
de
recrutement
que
par
leurs
compétences.
À
Athènes,
l'assemblée
du
peuple
est
l'Ecclèsia.
Elle
réunit
6000
citoyens
selon
Thucydide.
Elle
vote
les
lois
;
ces
votes
se
font
à
main
levée
et
à
la
majorité
simple.
N'importe
quel
citoyen
peut
prendre
la
parole
(isegoria)
et
proposer
une
motion.
Elle
peut
aussi,
pour
se
protéger
de
la
tyrannie,
voter
une
fois
par
an
l’exil
de
10
ans
d'un
citoyen
(ostracisme).
Il
y
a
une
autre
assemblée,
l'Héliée,
qui
est
un
tribunal
populaire
composé
de
6000
citoyens,
âgés
de
plus
de
30
ans
et
répartis
en
dix
classes
de
500
citoyens
(1000
restant
en
réserve)
tirés
au
sort
chaque
année
(héliastes).
À
Rome,
il
y
a
deux
assemblées
importantes,
les
comices
centuriates
et
les
comices
tributes.
Elles
rassemblent
l'ensemble
des
citoyens
mais
selon
un
mode
de
répartition
très
différent.
Elles
se
répartissent
l'élection
des
magistrats
et
le
vote
des
lois
;
elles
ont
des
compétences
judiciaires
en
cas
notamment
d'appel
au
peuple.
—
Les
magistrats
Les
magistrats
gèrent
les
affaires
courantes
et
veillent
à
l'application
des
lois.
Ils
commandent
aussi
l'armée
(pas
de
distinction
entre
pouvoir
civil
et
militaire).
Les
magistratures
sont
collégiales
et
limitées
dans
le
temps,
en
général
à
un
an,
afin
d'éviter
la
dérive
vers
un
pouvoir
personnel.
En
général,
les
magistrats
sont
élus
par
les
assemblées,
mais
ils
peuvent
aussi
désignés
ou
tirés
ou
sort.
21
À
Athènes,
il
y
a
près
de
700
magistrats
(sur
60
000
citoyens
;
c'est
un
cas
exceptionnel)
;
les
plus
importants
sont
les
10
archontes
et
les
10
stratèges.
À
Rome,
les
magistrats
sont
beaucoup
moins
nombreux,
une
cinquantaine
à
la
fin
de
la
République.
Les
plus
importants
sont
les
consuls
et
les
préteurs.
—
Les
conseils
À
Athènes,
il
y
a
deux
conseils.
La
Boulè
(nom
du
conseil
dans
beaucoup
de
cités
grecques).
À
Athènes,
à
partir
des
réformes
de
Clisthène
elle
est
composée
de
500
membres
(bouleutes)
à
raison
de
cinquante
par
tribu.
Ils
sont
tirés
au
sort
parmi
des
listes
dressées
par
chaque
dème
de
citoyens
volontaires
âgés
de
plus
de
trente
ans
et
renouvelés
chaque
année,
un
citoyen
ne
pouvant
être
au
maximum
que
2
fois
bouleute.
Cette
assemblée
siège
de
façon
permanente.
La
présidence
et
la
coordination
du
travail
sont
assurées
par
les
prytanes
Chaque
tribu
assure
pendant
un
dixième
de
l'année
(35-‐36
jours)
la
prytanie,
c'est-‐à-‐dire
la
permanence.
Le
principal
travail
de
la
Boulè
est
de
recueillir
les
propositions
de
loi
présentées
par
les
citoyens,
puis
de
préparer
les
projets
de
loi
pour
pouvoir
ensuite
convoquer
l'Ecclèsia.
L'Aréopage
est
une
institution
très
ancienne.
Depuis
Solon,
ce
conseil
est
formé
des
anciens
archontes,
ce
qui
en
fait
l'institution
la
plus
aristocratique.
Il
est
le
«
gardien
des
lois
»,
ce
qui
veut
dire
qu'il
contrôle
les
magistrats,
y
compris
en
recevant
les
recours
des
citoyens,
et
il
traite
les
accusations
de
crimes
contre
l'État.
Il
juge
aussi
les
crimes
de
sang.
Son
rôle
a
évolué
avec
l'histoire
politique
de
la
cité
:
son
influence
a
été
considérablement
réduite
par
Ephialte
(462-‐461)
à
l'époque
démocratique,
mais
il
renaît
un
siècle
plus
tard.
À
l'époque
hellénistique
et
romaine,
il
l'emporte
sur
l'Ecclèsia.
À
Rome,
le
Sénat
est
un
conseil
formé
exclusivement
des
anciens
magistrats.
Il
comporte
300
membres
puis
600
avec
les
réformes
de
Sylla.
Face
aux
magistrats
dont
le
mandat
est
limité
à
un
an,
il
assure
la
continuité
de
la
direction
politique,
diplomatique
et
militaire
de
la
cité.
Ses
décisions
ont
force
de
loi
;
il
contrôle
les
magistrats
et
il
émet
un
avis
sur
les
projets
de
loi
avant
qu'ils
ne
soient
déposés
devant
le
peuple.
C'est
l'organe
prépondérant
de
la
cité.
D'une
manière
générale,
dans
les
cités,
le
gouvernement
reste
entre
les
mains
d'une
aristocratie,
définie
par
sa
richesse
foncière,
son
prestige
social,
sa
maîtrise
de
la
culture
et
de
la
rhétorique.
Même
dans
les
cités
les
plus
démocratiques,
et
même
à
Athènes
où
la
participation
du
citoyen
au
gouvernement
de
la
cité
a
été
la
plus
poussée,
dans
la
période
de
la
deuxième
moitié
du
Ve
siècle,
les
activités
politiques
restent
dans
la
main
des
élites.
C'est
particulièrement
le
cas
à
Rome,
dont
le
fonctionnement
est
très
peu
démocratique
et
où
le
gouvernement
est
concentrée
entre
les
mains
d'un
petit
nombre
de
famille
sénatoriales.
22
Séance
5
LA
MISE
EN
PLACE
DU
MODELE
CIVIQUE
ET
LE
DÉVELOPPEMENT
URBAIN
À
L'EPOQUE
CLASSIQUE
(II)
(v.
500
-‐
v.
300)
C-‐
Développement
et
transformations
de
l’espace
urbain
—
La
question
de
l'urbanisme
Les
auteurs
anciens
ont
bien
perçu
l'originalité
du
phénomène
urbain.
Ainsi
Thucydide
oppose
fréquemment
le
mode
de
vie
urbain
aux
coutumes
archaïques
et
barbares,
et
il
fait
le
lien
entre
l'urbanisation
et
le
développement
économique.
Hippocrate
puis
Aristote
ont
réfléchi
sur
les
problèmes
posés
par
le
choix
du
site
pour
l'implantation
d'une
ville
(cf.
livret).
Hippodamos
de
Milet,
dont
la
vie
et
l'œuvre
sont
mal
connues,
et
Platon
se
sont
penchés
sur
le
développement
des
villes.
Dans
les
Lois,
Platon
élabore
un
véritable
modèle
urbain
:
emplacement,
organisation,
aménagement
et
propreté.
Du
côté
des
Romains,
la
réflexion
et
les
préceptes
sur
la
fondation
et
l'organisation
des
villes
doit
beaucoup
aux
Étrusques
dont
nous
savons
très
peu
de
choses,
mais
qui
ont
dû
être
marqués
eux-‐mêmes,
comme
les
Gaulois,
par
la
pensée
grecque.
Pour
autant,
il
est
difficile
de
dire
que
l'urbanisme
a
existé
à
cette
époque,
ni
même
qu'aient
existé
de
véritables
préoccupations
urbanistiques.
Certes,
il
y
a
eu
des
plans
réguliers,
dont
on
prête
l'invention
à
Hippodamos
de
Milet,
mais
ils
s'expliquent
surtout
par
une
division
commode
et
de
bon
sens
de
l'espace
disponible,
plus
que
par
une
réflexion
théorique
ou
politique.
D'autre
part,
un
élément
essentiel
de
l'urbanisme
moderne
qui
est
le
souci
de
prévision
urbaine
avec
la
prise
en
compte
de
la
croissance
dans
les
plans
de
développement,
n'existe
pas.
—
Le
développement
de
la
monumentalité
Le
Ve
siècle
est
une
période
de
grande
activité
édilitaire
qui
s'est
poursuivie
au
IVe
siècle
et
plus
encore
à
l'époque
hellénistique.
Cette
activité
s'inscrit
dans
plusieurs
axes.
D'abord
autour
des
places
publiques,
qui
deviennent
de
véritables
centres
civiques
avec
un
double
processus
:
• spécialisation
autour
de
la
fonction
politique
(magistrats,
conseils,
sanctuaires)
• délimitation
de
l'espace
de
la
place
publique
avec
la
construction
de
portiques
(longues
barrières
monumentales)
destinés
à
l'isoler
du
reste
de
la
ville
(cf.
Thasos,
Érétrie
;
Cassopé,
Épire).
Ensuite,
avec
l'enrichissement
de
la
panoplie
architecturale,
surtout
au
IVe
siècle.
C'est
une
époque
de
grande
vitalité
et
de
créativité
pour
l'architecture.
Cela
répond
à
des
nécessités
fonctionnelles
—
il
fallait
mettre
au
point
des
bâtiments
adaptés
aux
nouvelles
exigences
politiques
et
administratives
—
mais
aussi
à
un
besoin
d'ornementation,
pour
exalter
et
magnifier
la
cité,
et
marquer
ainsi
sa
puissance
(a
contrario
:
Sparte
qui
choisit
de
rester
à
l'écart
de
ce
mouvement
et
de
conserver
son
aspect
modeste
et
archaïque).
Cela
concerne
les
édifices
de
l'agora
et
les
temples,
mais
aussi
les
enceintes,
les
édifices
de
spectacles
(début
de
l'architecture
théâtrale),
l'architecture
utilitaire
aussi,
par
exemple
23
toute
l'hydraulique
:
égouts,
aqueducs,
fontaines,
puits,
dont
on
attend
autant
l'utilité
que
l'agrément
et
la
beauté,
ou
encore
les
aménagements
portuaires.
—
La
gestion
de
l'espace
urbain
Un
peu
partout,
les
villes
se
sont
constituées
dans
un
cadre
juridique
et
administratif
très
simple
et
parfois
rudimentaire,
voire
inexistant.
Les
débuts
du
processus
urbain
se
sont
faits
sans
les
infrastructures
qui
deviennent
nécessaires
dès
lors
que
la
ville
atteint
une
certaine
taille
et
une
certaine
population
(adduction
et
évacuation
des
eaux,
propreté
de
la
voirie).
Au
début,
le
seul
élément
qui
a
régulé
un
peu
le
développement
urbain
a
été
le
respect
des
interdits
concernant
les
espaces
sacrés.
Ce
n'est
qu'à
partir
du
Ve
siècle
que
les
choses
commencent
à
se
mettre
en
place,
parce
que
certaines
villes
atteignent
un
seuil
où
il
devient
nécessaire
d'encadrer
la
vie
urbaine.
C'est
l'apparition
des
premières
mesures
de
police.
On
peut
en
donner
un
exemple
très
intéressant
avec
la
Stèle
du
port
à
Thasos.
• Elle
mentionne
des
repères
topographiques
qui
ont
été
retrouvés
sur
le
terrain
;
l'agora
est
désigné
par
une
périphrase
:
«
Depuis
le
sanctuaire
des
Charites
jusqu'aux
bâtiments
où
se
tiennent
et
le
change
et
le
banquet…
»
• Une
série
des
prescriptions
destinées
à
protéger
le
domaine
public,
les
principales
artères
et
l'agora
en
évitant
les
empiètements
(d'où
mis
en
place
de
bornages
qu'on
retrouve
dans
de
nombreuses
villes,
cf.
le
Lapis
Niger
sur
le
forum
romain).
• Mesures
de
police
:
propreté,
éviter
les
dégradations,
racolage.
«
Depuis
la
rue
du
rivage.
[
...
]
du
sanctuaire
d'Héraclès.
Depuis
la
rue
du
sanctuaire
des
Charites.
Dans
cette
rue,
interdiction
de
construire
un
seuil.
Ne
pas
puiser
d'eau
pour
[
...
].
Ne
pas
installer
de
puits
[ou
de
barrières
?].
Ne
pas
placer
de
[
...
].
Ne
pas
faire
de
[
...
].
Celui
qui
agira
en
violation
de
ces
prescriptions
devra
verser
cent
statères
à
Apollon
Pythien
et
cent
statères
à
la
cité.
Les
arkhoi
sous
lesquels
aura
lieu
ce
délit
procéderont
au
recouvrement.
Et
si
en
quelque
façon
l'amende
n'a
pas
été
inscrite
contre
l'auteur
du
délit,
qu'il
ne
la
paie
pas
[
...
].
La
propreté
de
la
rue
sera
assurée
par
l'habitant,
chacun
devant
chez
lui.
Si
personne
n'habite,
elle
sera
à
la
charge
du
propriétaire
du
bâtiment.
Et
les
[épistates]
nettoieront
eux-‐mêmes
chaque
mois.
Et
si
quelque
chose
tombe,
ils
agiront
[
...
].
Depuis
le
sanctuaire
d'Héraclès
jusqu'à
la
mer,
les
épistates
nettoieront
cette
rue.
On
enlèvera
ce
qui
est
hors
des
immeubles
et
ce
qui
est
sur
la
rue,
chaque
fois
que
les
arkhoi
l'ordonneront.
Celui
qui
n'agira
pas
en
quelque
point
conformément
aux
prescriptions
devra
verser
une
hektè
par
jour
à
la
cité.
Les
épistates
procéderont
au
recouvrement
et
garderont
la
moitié
pour
eux-‐mêmes.
Sur
le
toit
des
immeubles
publics
qui
sont
dans
cette
rue,
personne
ne
montera
pour
regarder.
Et
aucune
femme
ne
se
penchera
non
plus
à
la
fenêtre
pour
regarder.
Pour
toute
infraction,
l'habitant
devra
verser
chaque
fois
un
statère
à
la
cité.
Les
épistates
procéderont
au
recouvrement
et
garderont
la
moitié
pour
eux-‐
mêmes.
Depuis
la
saillie
du
balcon,
on
ne
fera
pas
couler
d'eau
dans
cette
rue.
En
cas
d'infraction,
on
devra
verser
une
hèmiektè
par
jour,
moitié
à
la
cité
et
moitié
aux
épistates.
Les
épistates
procéderont
au
recouvrement.
Depuis
le
sanctuaire
des
Charites
jusqu'aux
bâtiments
où
se
tiennent
et
le
change
et
le
banquet,
et
en
suivant
la
rue
qui
longe
le
prytanée,
au
milieu
de
cet
espace,
on
ne
jettera
ni
n'entassera
d'ordures.
Pour
toute
infraction,
on
devra
verser
chaque
fois,
aussi
souvent
que
l'infraction
sera
commise,
une
hèmiektè
à
la
cité.
Les
épistates
procéderont
au
recouvrement
et
garderont
la
moitié
pour
eux-‐mêmes.
Sinon,
ils
devront
verser
le
double
à
Artémis
Hécate.
»
(cité
par
Lafon,
Marc
et
Sartre
2011,
p.
98-‐99).
—
Morphologies
urbaines
Là
aussi,
c'est
à
partir
du
milieu
du
Ve
siècle
que
l'on
voit
la
formule
orthogonale
devenir
un
modèle
théorique
pour
l'établissement
des
plans
urbains.
24
Cf.
la
fondation
de
Thourioi
(façade
occidentale
du
golfe
de
Tarente)
en
446
;
c'est
une
colonie
panhellénique
dont
l'initiative
revient
à
Athènes
qui
cherche
à
ce
moment
à
reprendre
son
expansion
en
Occident.
Diodore
de
Sicile
décrit
cet
épisode
qui
montre
bien
que
désormais
le
découpage
régulier
(qui
serait
dû
à
Hippodamos
de
Milet)
des
rues
et
des
îlots
est
entré
dans
les
mœurs
et
qu'il
est
considéré
comme
une
condition
nécessaire
pour
donner
à
la
ville
une
disposition
harmonieuse.
Cf.
aussi
à
Lattara/Lattes
dans
le
Languedoc.
À
partir
du
milieu
du
Ve
siècle
la
ville
se
dote
d'une
organisation
urbaine
nouvelle,
avec
la
création
de
trois
rues
principales
suivant
les
directions
du
rempart
et
enserrant
un
noyau
central
triangulaire.
Entre
ces
voies
et
l'enceinte
sont
mis
en
place
des
îlots
orthonormés,
séparés
par
des
ruelles,
avec
des
maisons
quadrangulaires
faites
de
pierres
et
de
briques.
L'organisation
rationnelle
du
terrain
ainsi
appliquée
selon
un
schéma
préconçu
trace
des
lignes
fortes
dans
le
paysage
urbain
qui
perdureront
à
travers
les
siècles,
malgré
d'innombrables
transformations
de
détail,
jusqu'à
l'orée
de
l'époque
romaine
L'orthogonalité
devint
à
tel
point
la
norme
qu'on
y
eut
recours
y
compris
sur
des
sites
qui
n'y
étaient
pas
adaptés.
En
revanche,
les
villes
qui
avaient
été
aménagées
depuis
déjà
longtemps
ne
furent
pas
modifiées
(Rome,
Thasos).
—
Espaces
urbains
Premier
point
:
les
réalités
archéologiques
ne
montrent
pas
de
spécialisation
des
espaces.
Les
temples
et
les
sanctuaires
sont
dispersés,
malgré
les
recommandations
des
philosophes.
Les
activités
artisanales
sont
souvent
rejetées
en
dehors
de
la
ville
ou
sur
ses
marges,
surtout
si
elles
sont
polluantes
(textile)
ou
si
elles
ont
besoin
d'eau
et
de
matières
premières
(céramique)
et
cherchent
la
proximité
des
voies
de
circulation.
Le
commerce
est
souvent
disséminé.
Deuxième
point
:
en
ce
qui
concerne
l'aspect
résidentiel,
il
est
clair
qu'il
y
a
une
densification
de
l'habitat.
Beaucoup
d'espaces
laissés
vides
dans
les
îlots
au
moment
de
la
fondation
sont
occupés.
Se
développe
alors
un
élément
essentiel
de
la
vie
en
ville
:
la
mitoyenneté,
voire
la
promiscuité.
Les
murs
sont
en
général
peu
épais
et
faciles
à
percer.
En
431,
surpris
par
une
attaque
des
Thébains,
les
Platéens
font
ainsi
circuler
des
soldats
de
maison
en
maison.
Troisième
point
:
mise
au
point
du
modèle
«
canonique
»
de
la
maison
méditerranéenne,
promis
à
une
grande
postérité.
• Elle
est
centrée
sur
une
cour,
autour
de
laquelle
se
répartissent
les
différentes
pièces
;
ces
pièces
ne
communiquent
généralement
pas
entre
elles
et
la
cour
sert
d'espace
de
circulation
et
de
répartition,
c'est
un
puits
d'air
et
de
lumière.
Cette
cour
devait
accueillir
beaucoup
d'activités
quotidiennes.
• Les
pièces
sont
souvent
polyvalentes
et
accueillent
successivement
des
activités
diverses
:
repos,
travail,
cuisine,
accueil,
etc.
Dans
la
plupart
des
cas,
il
n'y
a
que
trois
ou
quatre
pièces
et
un
étage
;
les
superficies
demeurent
réduites.
Ce
modèle
est
celui
de
la
majorité
des
maisons
antiques.
Seul
l'habitat
aristocratique
et
celui
des
plus
pauvres
en
diffèrent.
On
connaît
encore
peu
au
Ve
siècle
de
grandes
maisons
aristocratiques,
comme
celle
qui
a
été
fouillée
à
Érétrie
(625m2
;
15
pièces
;
mosaïques).
Quatrième
point
:
(mixité
et
identité)
coexistence
de
locataires
et
de
propriétaires.
Dans
un
cas
comme
dans
l'autre
l'éventail
est
très
large
:
le
Phèdre
de
Platon
paie
un
loyer
de
60
drachmes,
et
il
y
a
des
propriétaires
de
quelques
mètres
carrés
dans
une
maison.
25
Il
n'y
a
pas
de
séparation
sociale,
riches
et
pauvres
partagent
les
mêmes
quartiers.
L'identité
de
ces
quartiers
venait
souvent
de
la
présence
d'un
sanctuaire
(à
Thasos,
Hippocrate
désigne
la
résidence
de
ses
patients
d'après
les
grands
sanctuaires),
ou
d'un
culte
commun
:
dans
beaucoup
de
villes,
comme
à
Rome,
il
y
avait
des
autels
aux
carrefours.
26
Séance
6
LA
MISE
EN
PLACE
DU
MODELE
CIVIQUE
ET
LE
DÉVELOPPEMENT
URBAIN
À
L'EPOQUE
CLASSIQUE
(III)
(v.
500
-‐
v.
300)
D-‐
Économie
et
société
urbaines
à
l’âge
classique
On
a
vu
plus
haut
que
le
grand
sociologue
allemand
Max
Weber
(1864-‐1920)
avait
développé
l’idée
que
la
ville
antique
était
essentiellement
une
ville
de
consommateurs.
Cette
idée
a
été
reprise
par
l’historien
anglais
M.
I.
Finley
(1912-‐1986),
qui
l’a
systématisée.
Pour
lui,
les
villes
antiques
n’avaient
qu’un
rôle
économique
limité.
La
production
se
faisait
essentiellement
dans
le
monde
rural
;
la
ressource
essentielle
était
l’agriculture.
Les
villes
vivaient
des
taxes,
rentes
et
produits
qu’elles
tiraient
de
la
campagne,
qu’elles
dominaient.
Elles
comptaient
surtout
des
rentiers
du
sol,
avec
leur
clientèle,
mais
très
peu
de
producteurs,
et
ces
derniers
comptaient
peu
sur
le
plan
politique
et
social.
La
ville
antique
était
donc
un
centre
de
consommation
plus
que
de
manufacture
ou
de
commerce,
et
le
processus
d’urbanisation
résultait
plus
d’un
modèle
culturel
(la
cité,
l’évergétisme)
que
du
développement
économique.
L’artisanat
urbain
était
limité
et
destiné
à
la
consommation
urbaine.
Il
y
a
eu
un
débat
sur
cette
question.
Signalons
quelques
prises
de
position
:
• Christian
Goudineau
(1980)
a
poussé
encore
plus
loin
la
position
de
Finley
:
la
ville
vit
aux
dépens
de
la
campagne,
mais
ne
produit
guère
pour
elle
;
on
peut
parler
de
«
ville
parasite
».
• Philippe
Leveau
(1984)
a
étudié
Césarée
de
Maurétanie
à
l’époque
romaine
;
il
a
élaboré
une
vision
plus
positive
du
rôle
de
la
ville
qui
constitue
et
organise
son
territoire
;
il
parle
de
«
cité
organisatrice
».
• Donald
Engels
(1990)
a
étudié
Corinthe
à
l’époque
romaine
et
a
réévalué
lui
aussi
le
rôle
de
la
ville
:
il
a
développé
l’idée
de
«
ville
de
services
».
• Hinnerk
Bruhns
(1998)
est
revenu
pour
sa
part
sur
les
termes
mêmes
de
ce
débat,
à
travers
la
notion
de
cité
de
consommation
chez
Weber
;
il
montre
que
cet
«
idéaltype
»
correspond
en
fait
à
l’idée
suivante
:
la
cité
ne
considère
pas
ses
ressortissants
comme
des
producteurs
mais
comme
des
consommateurs,
ce
qui
veut
dire
entre
autres
choses
qu’elle
s’occupe
en
priorité
de
leur
approvisionnement.
Aujourd’hui
la
conception
finleyienne
est
largement
abandonnée.
Plus
personne
ne
nie
que
les
villes
antiques,
en
tout
cas
nombre
d’entre
elles,
aient
connu
d’importantes
activités
commerciales,
artisanales
et
de
service.
—
La
montée
du
marché
urbain
et
la
diversification
économique
Par
sa
concentration
d’habitants,
la
ville
constitue
un
marché,
un
«
pôle
de
demande
concentrée
».
Et
durant
la
période
classique,
l’augmentation
de
la
population
urbaine
entraîne
l’accroissement
de
ce
marché
avec
des
conséquences
qualitatives
et
quantitatives.
L’approvisionnement
en
grains
Une
bonne
part
de
l’approvisionnement
provient
de
la
campagne
environnante,
du
territoire
de
la
cité
(chôra,
ager)
mais
cela
ne
suffit
pas
toujours.
Quand
la
population
urbaine
augmentait
rapidement,
l’équilibre
alimentaire
entre
la
ville
et
la
campagne
pouvait
se
trouver
rompu
et
il
fallait
alors
recourir
à
des
importations.
Des
crises
ou
des
mauvaises
récoltes
pouvaient
produire
le
même
effet.
27
L’exemple
d’Athènes
est
bien
connu.
À
l’époque
de
Démosthène
(IVe
siècle),
elle
avait
besoin
de
800
000
médimnes/an
=
environ
32
000
tonnes
(1
médimne
=
6
modii,
soit
c.
52,5
litres
ou
c.
40
kg).
Pour
assurer
ses
besoins,
Athènes
entretient
des
relations
avec
les
régions
productrices
de
blé,
notamment
les
roitelets
du
Bosphore
cimmérien.
D’autre
part,
il
existe
une
législation
assez
contraignante
concernant
la
circulation
et
le
commerce
des
grains,
par
exemple
:
• les
épimélètes
surveillent
la
circulation
des
grains
dans
le
port
du
Pirée
et
veillent
à
ce
que
toute
cargaison
de
grains
en
transit
y
laisse
les
deux
tiers
de
son
chargement
• les
citoyens
et
métèques
n’ont
le
droit
de
transporter
que
des
grains
à
destination
d’Athènes
• les
sitophulakes
contrôlent
les
transactions
de
grains
dans
la
cité
et
veillent
en
particulier
au
respect
des
prix
de
vente.
D’autres
cités,
comme
Milet
ou
Rhoses
ont
développé
le
même
type
de
politique
d’encadrement
concernant
les
subsistances.
Les
autres
produits
commerciaux
et
la
monétarisation
Beaucoup
d’autres
produits
font
l’objet
d’un
commerce,
de
gros
ou
de
détail,
à
plus
ou
moins
longue
distance.
À
Athènes,
il
y
a
plusieurs
agora
(marchés)
:
fromages,
blés,
légumes,
manteaux…
La
croissance
commerciale
s’accompagne
du
développement
de
la
monétarisation
de
l’économie
• hausse
de
la
masse
monétaire
(Athènes
de
ce
point
de
vue
bénéficie
de
la
manne
des
mines
d’argent
du
Laurion
qui
lui
permettent
de
régler
ses
importations)
• dénominations
monétaires
de
plus
en
plus
petites
(monnaies
divisionnaires)
• et
aussi,
développement
de
la
banque
et
du
crédit.
Les
cités
qui
profitent
le
plus
de
tout
ce
mouvement
d’activité
commerciale
sont
celles
qui
disposent
d’une
façade
maritime
et
d’un
port
:
Athènes
bien
sûr,
mais
aussi
Égine,
Corinthe,
Milet,
Rhodes…
Les
activités
de
fabrication
Plusieurs
activités
artisanales
d’importance
sont
attestées
à
Athènes
comme
:
• ateliers
de
métallurgie
(épées,
boucliers,
couteaux…)
• ateliers
textiles
;
l’ensemble
de
la
filière
est
représentée,
pour
la
laine,
le
lin
et
le
chanvre
:
filage,
tissage,
confection
• céramique
• tannerie
et
travail
du
cuir
• activités
liées
à
la
construction
navale
:
charpente,
voiles,
cordages…
Les
ateliers
sont
le
plus
souvent
de
taille
modeste,
dans
un
cadre
familial.
Certains
cependant
étaient
plus
grands,
avec
une
main
d’œuvre
d’esclaves
ou
de
dépendants
(pas
de
salariés).
Les
plus
importants
employaient
jusqu’à
plusieurs
dizaines
d’esclaves
:
• l’atelier
de
couteaux
du
père
de
Démosthène
employait
une
trentaine
de
personnes
• celui
de
boucliers
du
père
de
Lysias,
que
Périclès
fait
venir
de
Syracuse,
employait
120
esclaves
dans
une
maison
du
Pirée.
Les
services
La
ville
se
définit
par
la
fourniture
d’une
économie
de
services,
à
plusieurs
niveaux.
En
tant
que
chef-‐lieu
de
la
chôra,
elle
concentre
les
activités
politiques,
religieuses,
administratives,
qui
attirent
la
population
environnante.
On
peut
ici
développer
l’exemple
28
des
sanctuaires
qui
attiraient
des
foules
importantes,
spécialement
lorsqu’ils
avaient,
une
renommée
s’étendant
à
tout
le
monde
grec
:
• Delphes
(dévotions
à
Apollon,
jeux
Pythiques,
consultation
de
la
Pythie)
• Épidaure
(sanctuaire
d’Esculape,
cure
et
guérison)…
On
trouve
aussi
en
ville
toute
une
gamme
de
métiers
de
service,
depuis
le
médecin,
le
professeur,
tous
les
métiers
liés
au
transport,
les
danseurs,
musiciens,
prostitué(e)s.
Au
total,
le
développement
urbain
a
entraîné
une
diversification
de
son
activité
économique
qui
se
marque
par
un
nombre
de
métiers
de
plus
en
plus
important,
et
dont
les
sources
épigraphiques
et
littéraires
rendent
bien
compte
(cf.
Xénophon,
Cyropédie,
8.2.5).
—
L’apparition
d’une
société
urbaine
Il
faut
peut-‐être
commencer
par
évoquer
le
façonnement
d’un
mode
de
vie
urbain
qui
se
distingue
de
la
vie
à
la
campagne
à
travers
un
certain
nombre
de
caractéristiques
propres
:
• des
lieux
spécifiques
de
la
ville,
comme
l’agora
ou
le
gymnase,
mais
aussi
tout
simplement
la
rue
;
tous
ces
espaces
collectifs
sont
des
endroits
de
promenades,
rencontres,
discussions,
échanges,
où
tout
circule
très
vite
• des
fêtes
et
cérémonies
fréquentes
;
à
Athènes,
au
moins
120
jours
par
an
sont
consacrés
à
des
célébrations
dont
les
plus
connues
sont
les
Panathénées
et
les
Dionysies,
avec
cortèges,
cérémonies
et
banquets
• les
fêtes
religieuses
donnent
lieu
à
l’éclosion
d’une
vie
culturelle
spécifiquement
urbaine,
surtout
avec
les
concours
de
théâtre
;
tout
en
restant
liée
au
rituel
religieux,
l’activité
théâtrale
tend
à
s’autonomiser
et
à
se
professionnaliser
au
IVe
siècle
• la
ville
attire
aussi
les
lettrés
et
les
intellectuels,
et
voit
le
développement
de
l’activité
scientifique
et
de
l’enseignement.
Évolution
du
rapport
ville/campagne
C’est
vers
le
milieu
du
Ve
siècle
que
commence
à
apparaître
dans
les
sources
anciennes,
et
surtout
athéniennes,
un
début
de
prise
de
conscience
d’une
différence
entre
les
citadins
et
les
ruraux,
cf.
les
pièces
d’Aristophane
où
le
campagnard
est
décrit
comme
un
être
un
peu
rustre,
sympathique
et
naïf
—
un
poncif
promis
à
un
grand
avenir.
Le
rapport
social/culturel
entre
la
ville
et
la
campagne
est
en
fait
ambivalent
:
• il
y
a
cette
différence
exprimée
entre
le
campagnard
rustaud
et
l’homme
de
la
ville
plus
ouvert
et
plus
évolué
• en
même
temps,
de
nombreux
urbains
conservent
des
liens
avec
la
campagne,
ne
serait-‐ce
que
par
le
biais
de
la
propriété
foncière
(d’après
Denys
d’Halicarnasse
[Sur
Lysias,
34],
en
403
a.C.
seuls
500
Athéniens
n’étaient
pas
propriétaires
terriens)
• il
existe
aussi
une
valorisation
des
vertus
rurales,
terriennes,
et
de
la
vie
à
la
campagne
(Rome,
Virgile).
Surtout,
il
ne
faut
pas
négliger
que
la
distinction
fondamentale
n’est
pas
celle
qui
oppose
rural
et
urbain
mais
celle
qui
sépare
les
citoyens
des
non-‐citoyens.
Les
transformations
sociales
Les
sociétés
antiques
étaient
fondées
sur
les
statuts
:
citoyens/non
citoyens,
esclaves/libres.
Quelles
étaient
les
autres
lignes
de
partage
?
Les
Anciens
ne
les
ont
guère
exprimées
et
leur
perception/représentation
de
la
société
était
assez
sommaire
et
se
limitait
le
plus
souvent
à
distinguer
les
riches
et
les
pauvres,
«
ceux
qui
ont
le
nécessaire
»
et
ceux
qui
ne
l’ont
pas
(Aristote,
Platon,
Xénophon),
ou
encore
ceux
qui
doivent
travailler
pour
vivre
et
ceux
à
qui
leur
fortune
permet
de
ne
pas
avoir
à
gagner
leur
vie,
et
qui
ont
donc
le
loisir
de
se
consacrer
à
la
vie
publique.
29
Les
historiens
essaient
de
repérer
d’autres
signes
de
différenciation
et
d’évolution
sociale.
La
première
difficulté
est
de
définir
les
critères
de
la
richesse
;
qu’est-‐ce
qu’un
riche
à
Athènes
aux
Ve-‐IVe
siècles
?
• on
peut
proposer
de
considérer
comme
riche,
et
placer
au
sommet
de
la
société
ceux
qui
ont
accès
à
certaines
activités
considérées
comme
«
aristocratiques
»
:
l’accès
au
gymnase
et
aux
concours
gymniques,
la
participation
aux
symposia,
banquets
communs…
• on
peut
aussi
recouper
avec
le
groupe
de
ceux
qui
accèdent
à
certaines
magistratures
comme
les
chorégies
d’Athènes
dont
la
charge
financière
très
importante
(de
20
à
50
mines)
nécessitait
une
fortune
conséquente
;
mais
ce
groupe
est
mal
connu
et
on
ignore
l’origine
de
leur
fortune.
D’autre
part,
on
s’efforce
de
distinguer
la
progression
et
l’enrichissement
de
certains
groupes
dont
l’essor
est
lié
au
développement
urbain
et
à
la
diversification
à
l’œuvre
dans
les
sociétés
urbaine
:
• ainsi,
dans
le
Contre
Apatourios,
Démosthène
défend
un
individu
qui
s’est
suffisamment
enrichi
dans
le
commerce
maritime
pour
pouvoir
se
porter
garant
pour
une
somme
de
30
mines
;
cela
montre
le
développement
de
ce
groupe
dont
les
possibilités
d’enrichissement
étaient
importantes
;
• sur
l’acropole
d’Athènes,
on
a
retrouvé
de
nombreuses
consécrations
faites
par
des
artisans,
foulons,
tanneurs,
bronziers,
charpentiers,
scribes,
peintre…
;
il
y
a
toute
une
gamme
d’offrandes,
depuis
le
vase
de
terre
cuite
jusqu’à
de
coûteux
reliefs
de
marbre
;
on
voit
ici
que
ces
métiers
pouvaient
permettre
d’accéder
à
un
degré
d’aisance
assez
élevé,
voire
à
une
petite
fortune
qui
plaçait
à
un
niveau
plutôt
enviable
de
l’échelle
sociale.
On
le
voit,
il
est
difficile
de
définir
précisément
quels
sont
les
groupes
qui
tiennent
le
haut
du
pavé,
comme
de
mesurer
le
degré
de
mobilité
dans
une
société,
pourtant
assez
bien
documentée,
comme
celle
de
l’Athènes
classique.
La
représentation
sociale
De
plus,
il
faut
aussi
tenir
compte
d’un
élément
important
qui
est
la
représentation
sociale
ou
si
l’on
préfère
l’image
la
société
se
donne
d’elle
même
et
les
critères
sur
lesquels
elle
est
fondée.
L’élément
essentiel
est
la
propriété
foncière.
D’abord
parce
que
le
citoyen
est
par
définition
un
propriétaire,
même
modeste.
Ensuite
parce
que
le
revenu
de
la
terre,
la
rente
foncière,
est
ce
qui
permet
d’assurer
une
existence
de
loisir,
dès
lors
que
l’on
accède
à
un
certain
niveau.
Cela
n’exclut
pas
de
se
livrer
à
une
autre
activité,
comme
le
commerce
ou
l’artisanat.
Le
propriétaire
peut
vendre
sa
production,
il
peut
aussi
installer
des
ateliers
sur
ses
terres
ou
il
fait
travailler
des
dépendants.
Ce
n’est
pas
un
marchand
ou
un
artisan,
mais
un
propriétaire
qui
fait
du
commerce
et
de
l’artisanat.
En
effet,
l’exercice
de
ces
activités
est
considéré
comme
peu
honorable
dès
lors
qu’il
est
la
seule
source
de
revenu
et
surtout
s’il
donne
lieu
à
un
travail
manuel.
Les
étrangers
Certaines
cités,
notamment
les
cités
«
maritimes
»
et
surtout
les
plus
dynamiques
d’entre
elles,
attiraient
beaucoup
d’étrangers,
marchands,
artisans,
artistes,
lettrés…
Beaucoup
venaient
d’autres
cités
grecques,
mais
il
y
avait
aussi
qui
venaient
d’Orient
ou
d’Égypte.
30
Athènes
était
selon
Thucydide
(2.39.1)
une
cité
accueillante
aux
étrangers
(métèques),
dont
beaucoup
à
vrai
dire
résidaient
en
fait
au
Pirée.
Les
autorités
civiques
toléraient
parfois
que
ces
communautés
s’organisent
en
associations
d’entraide,
autour
de
cultes
et
de
sanctuaires
communs.
Au
début
de
la
République
de
Platon,
Socrate
se
rend
au
Pirée
avec
ses
amis
pour
assister
à
une
procession
nocturne
des
Thraces
dévots
de
la
déesse
Bendis.
Dans
le
courant
du
IVe
siècle,
la
cité
accorde
aux
métèques
ou
au
moins
à
certains
d’entre
eux
un
certain
nombre
de
droits
réservés
aux
citoyens,
comme
par
exemple
celui
de
faire
construire
une
maison.
À
cette
époque
d’ailleurs,
certains
hommes
politiques
athéniens
se
montrent
favorables
à
l’installation
d’étrangers
à
Athènes.
Les
esclaves
sont
très
peu
connus.
Aux
dires
des
contemporains,
ils
étaient
très
nombreux
mais
on
ignore
quelle
proportion
de
la
population
ils
pouvaient
représenter.
—
Tensions
et
cohésion
dans
la
société
urbaine
La
société
civique
repose
sur
le
dèmos
(populus),
le
corps
civique,
l’ensemble
des
citoyens.
Mais
ce
n’est
qu’une
construction
juridique
et
institutionnelle.
Dans
sa
réalité,
le
dèmos
est
traversé
par
des
différences
de
richesse
qui
peuvent
être
considérables
et
des
intérêts
divergents,
et
le
supposé
consensus
civique
n’empêche
pas
des
conflits
qui
peuvent
être
violents,
comme
on
le
voit
à
Rome
avec
l’opposition
entre
patriciens
et
plébéiens.
La
question
des
terres
et
celle
des
dettes
constituent
les
enjeux
les
plus
fréquents
dans
les
affrontements
entre
groupes
sociaux.
Dans
les
faits,
s’il
y
a
une
réalité
qui
s’impose
c’est
que
les
cités
sont
dominées
par
les
élites,
qui
se
disputent
le
pouvoir
à
travers
notamment
l’exercice
des
magistratures
les
plus
importantes.
Le
rôle
politique
de
la
masse
du
peuple
se
réduit
souvent
à
être
instrumentalisé
dans
ces
luttes
internes.
Il
existait
des
formes
de
redistribution
dans
les
sociétés
civiques,
afin
de
limiter
les
effets
des
discordes
civiles
et
de
pallier
les
risques
de
désagrégation
du
corps
civique.
En
Grèce,
ils
passaient
par
l’exercice
des
liturgies
et
des
bienfaits
que
la
classe
dirigeante
dispensait
aux
catégories
inférieures.
Cela
permettait
aussi
aux
élites
de
justifier
et
de
légitimer
leur
domination
sociale
et
politique,
et
de
faire
en
sorte
que
l’idéal
civique
d’égalité
politique
ne
soit
(trop)
contredit
par
la
réalité
des
inégalités
sociales.
CONCLUSION
À
la
fin
de
l'époque
classique,
la
cité
s'impose
comme
le
modèle
politique
dominant
dans
le
monde
méditerranéen
et
ses
marges.
Le
monde
grec
en
particulier
est
parcellisé
en
plusieurs
centaines
voire
milliers
de
cités.
La
ville
est
devenue
une
réalité
à
part
entière,
autant
sur
le
plan
matériel
que
sur
celui
de
la
représentation
qu'elle
a
et
donne
d'elle-‐même.
Cependant,
il
ne
faut
pas
confondre
complètement
le
nombre
de
cités
avec
l’urbanisation.
Beaucoup
de
cités
ne
sont
que
de
petits
bourgs
que
seuls
un
territoire
propre
et
l’autonomie
politique
permettent
de
qualifier
de
cité.
Dans
le
processus
de
développement
de
la
cité,
l’historiographie
a
mis
l’accent
mis
sur
la
ville,
mais
cela
ne
doit
pas
faire
négliger
le
rôle
essentiel
qu’y
a
joué
la
campagne.
La
cité
mêle
indissolublement
les
deux,
la
ville
et
la
campagne.
L’économie
repose
largement
sur
la
production
agricole
et
une
large
part
de
la
population
civique
demeure
rurale.
Ainsi,
au
moment
de
l’installation
d’une
large
part
de
la
population
rurale
athénienne
à
l’intérieur
des
Longs
Murs,
Thucydide
insiste
sur
l’attachement
de
cette
population
à
ses
villages.
On
a
31
évoqué
l’ambivalence
de
cette
société
qui
développe
un
mode
de
vie
urbain
tout
en
restant
profondément
attachée
aux
valeurs
terriennes.
32
2e
semestre
L’APOGEE
DE
LA
CIVILISATION
URBAINE
DE
L’ANTIQUITE
Séance
7
UN
MONDE
DE
CITÉS
(v.
300
a.C.-‐v.
300
p.C.)
Cette
deuxième
partie
couvre
un
cadre
chronologique
allant
du
début
de
la
période
hellénistique
et
du
moment
où
la
République
romaine
devient
une
puissance
régionale
en
Méditerranée
occidentale
jusqu’à
la
fin
du
Haut-‐Empire.
Cette
période
voit
le
triomphe
du
modèle
civique/urbain
=
à
la
fois
modèle
politique
et
modèle
d'organisation
territoriale
polarisé
sur
un
centre
urbain.
Le
phénomène
urbain
occupe
alors
une
place
qu'il
n'a
souvent
retrouvée
qu'à
l'époque
contemporaine.
Cela
confère
une
grande
unité
à
toute
cette
période
et
à
cette
région
centrée
sur
le
monde
méditerranéen.
Un
point
très
important
:
le
développement
de
grandes
entités
politiques,
à
la
fois
territoriales
et
monarchiques,
l'Empire
d'Alexandre,
les
royaumes
de
ses
successeurs,
l'Empire
romain
n'ont
absolument
pas
nui
à
ce
modèle,
bien
au
contraire.
Il
en
a
largement
bénéficié
• d'une
part,
parce
ces
entités
sont
elles-‐mêmes
issues
du
modèle
civique
;
Aristote
enseigne
à
Alexandre
:
«
Il
faut
être
pareillement
le
bienfaiteur
des
grandes
et
des
petites
cités
:
les
dieux,
en
effet,
sont
égaux
dans
les
unes
et
dans
les
autres
»
(fr.
656
Rose)
;
Rome
est
d'abord
une
cité
avant
de
devenir
un
Empire
• d'autre
part,
parce
que
ces
entités
dans
leur
fonctionnement
s'appuient
sur
les
cités
;
celles-‐ci
sont
en
fait
constitutives
du
modèle
impérial
antique
lui-‐même.
• enfin,
parce
que
ces
entités
ont
propagé
le
modèle
civique
dans
des
régions
où
il
n'existait
pas
ou
n'était
qu'embryonnaire.
C'est
dans
cette
période
que
se
crée
l'assimilation
entre
la
ville
et
la
civilisation
=
l'idée
que
le
passage
à
la
ville
et
au
modèle
civique
est
synonyme
de
progrès.
Une
conséquence
très
importante
:
le
réseau
urbain
européen
actuel
est
largement
l'héritier
de
celui
de
cette
période
à
la
fois
sur
le
plan
de
la
densité,
des
réseaux
et
de
leur
hiérarchisation.
Trois
parties
dans
le
cours
de
ce
semestre,
qui
est
davantage
tourné
vers
Rome
et
le
monde
romain
• Un
monde
de
cités
:
évaluation
de
la
pesée
globale
du
phénomène
urbain
(séance
7)
• Le
modèle
impérial
romain
et
sa
diffusion
(séances
8
et
9)
• L’apogée
de
la
civilisation
urbaine,
politique,
société,
économie
(séances
10,
11
et
12).
NB-‐
Les
questions
de
l’urbanisme,
des
édifices
civiques
et
de
l'habitat
ne
sont
pas
traitées
en
cours
mais
abordées
en
TD
sur
la
base
d’exemples
concrets.
A-‐
L’urbanisation
du
IIIe
au
Ier
siècle
a.C.
:
données
globales
—
Dans
le
monde
grec
Accélération
et
amplification
du
phénomène
urbain
33
Dans
le
cadre
civique
traditionnel,
où
l'on
a
beaucoup
de
refondations
(par
exemple
à
Cnide,
en
Carie,
sud
de
la
Turquie,
où
la
cité
déménage
sur
un
nouveau
site
plus
propice
à
l'activité
portuaire).
Surtout
dans
les
royaumes
hellénistiques
;
les
souverains
sont
de
grands
incitateurs
et
fondateurs
de
villes,
pour
des
raisons
de
prestige
(les
villes
nouvelles
portent
souvent
leur
nom),
mais
aussi
des
raisons
administratives
et
politiques.
Exemple
type
:
Alexandrie,
fondée
par
Alexandre
en
331.
Devient
la
capitale
du
royaume
lagides
des
Ptolémées.
Ce
mouvement
d'urbanisation
est
particulièrement
impressionnant
en
Asie
mineure
:
au
Ier
siècle
p.C.,
il
y
a
154
cités
frappant
monnaie.
L'entrée
dans
le
mode
romain
ne
freine
en
rien
ce
phénomène
:
il
y
en
a
246
au
IIIe
siècle,
et
au
minimum
300
cités.
Certes,
des
inégalités
existent
entre
des
régions
saturées
de
villes
et
d'autres
beaucoup
moins.
Exemple
:
en
65
a.C.,
lors
de
ses
campagnes
en
Orient,
Pompée
crée
la
nouvelle
province
de
Pont-‐Bithynie
à
partir
de
l’ancien
royaume
du
Pont
:
en
Bithynie,
il
peut
s’appuyer
sur
le
réseau
urbain
et
civique
existant,
mais
dans
le
Pont,
région
plus
rurale,
il
doit
ériger
trois
agglomérations
existantes
en
cités,
en
créer
trois
nouvelles
par
synœcisme
et
poursuivre
l’aménagement
de
la
cité
d’Eupatoria,
fondée
peu
de
temps
auparavant
par
Mithridate
et
qu’il
rebaptise
Magnopolis
(Cn.
Pompeius
Magnus).
Hiérarchisations
Il
y
a
une
hiérarchie
fondée
sur
des
critères
politiques,
économiques,
religieux,
mais
à
cette
époque
d'autres
éléments
interviennent
:
• entre
les
cités-‐États
qui
échappent
complètement
à
l'autorité
des
rois
(Rhodes,
Byzance,
Sparte...),
celles
qui
essaient
de
maintenir
leur
liberté
(Milet,
Éphèse,
Athènes
par
épisode),
celles
qui
ont
perdu
leur
indépendance
et
jouissent
seulement
de
l'autonomie
que
le
roi
(ou
l'empereur)
consent
à
leur
laisser
(les
plus
nombreuses)
;
• dans
cette
dernière
catégorie,
on
distingue
les
"villes-‐têtes",
les
capitales
royales,
puis
les
capitales
de
subdivisions
administratives,
celles
qui
sont
des
cités
de
plein
exercice,
et
celles
qui
ne
sont
qu'une
simple
agglomération
sans
statut,
guère
plus
qu'un
village
;
• il
y
aussi
des
cités
qui
bénéficient
d'un
statut
privilégié
ou
de
faveurs
spéciales,
par
exemple
l'asylie
(=
droit
d'échapper
aux
saisies
et
aux
représailles
en
temps
de
guerre,
qui
ne
vaut
que
si
tous
les
États
le
reconnaissent)
;
immunité
fiscale
;
sanctuaire
du
culte
impérial
(néocorie)
;
siège
de
juridiction
(assises
du
gouverneur
sous
l'Empire
romain,
conventus).
Tout
cela
entraîne
le
développement
de
l'esprit
de
clocher
(campanilisme
;
patriotisme
municipal)
et
une
situation
de
concurrence
et
de
rivalités
entre
les
cités,
et
surtout
à
vrai
dire
entre
des
couples
de
cité,
par
exemple
Éphèse
et
Pergame.
—
Dans
le
monde
occidental
Entre
le
IVe
et
le
IIIe
siècles,
se
place
la
conquête
de
l'Italie
péninsulaire
par
Rome,
considérée
comme
achevée
dans
les
années
270
(272,
prise
de
Tarente).
Les
Guerres
puniques
ralentissent
un
temps
le
mouvement,
mais
la
victoire
finale
de
Rome
le
relance
et
au
début
du
IIe
siècle,
toute
l'Italie,
y
compris
la
plaine
du
Pô,
est
complètement
conquise
(plus
la
Sicile
et
la
Sardaigne,
qui
ne
font
toutefois
pas
partie
de
l’Italie
et
sont
des
provinces).
La
colonisation
romaine
de
l'Italie
34
Comment
Rome
organise
cette
Italie
«
romaine
»
?
pour
cela,
différentes
formules
de
contrôle
et
d'intégration
sont
mises
en
œuvre.
En
premier
lieu,
mise
en
place
d'un
réseau
urbain
en
grande
partie
nouveau,
celui
des
«
colonies
»,
qui
s'accompagne
de
déplacements
de
population
(plusieurs
dizaines
de
milliers
de
personnes
au
moins,
et
probablement
bien
plus
d'une
centaine
de
milliers).
Il
y
a
deux
sortes
de
colonies
:
• des
fondations
urbaines
autonomes
:
les
colonies
«
latines
»,
qui
reçoivent
un
territoire
assez
étendu
(à
Cosa,
25
x
50
km
=
1250
km2),
des
institutions
propres
(assemblée,
magistrats),
une
population
importante
(plusieurs
milliers
de
citoyens
«
latins
»)
;
elles
sont
établies
dans
les
régions
éloignées
de
Rome
;
• des
fondations
militaires
dépendant
de
Rome
et
n'ayant
aucune
autonomie
politique
:
les
colonies
de
citoyens
romains,
leur
territoire
est
plus
restreint,
tout
comme
leurs
effectifs
(300
colons)
;
ce
sont
avant
tout
des
forteresses
pour
défendre
Rome,
sur
une
position
stratégique,
et
presqu'exclusivement
sur
le
littoral
(cf.
les
clérouquies
athéniennes
du
Ve
siècle).
Tous
ces
établissements
sont
pourvus
d'une
enceinte
;
leur
espace
intérieur
est
organisé
sur
la
base
d'une
voirie
orthogonale
autour
de
deux
axes
principaux,
le
cardo
et
le
decumanus
;
un
espace
public
est
ménagé
où
se
concentrent
les
activités
communes,
le
forum.
Ces
établissements
se
dotent
progressivement
d'une
parure
monumentale
inspirée
du
modèle
romain
(capitole,
basilique…)
et
financée
par
les
élites
locales.
La
«
municipalisation
»
de
l'Italie,
modèle
pour
l'Occident
Au
début
du
Ier
siècle
a.C.,
les
peuples
italiens
soumis
et
«
alliés
»
à
Rome
réclament
de
plus
en
plus
fortement
l'accès
à
la
citoyenneté
romaine,
et
comme
ils
se
heurtent
à
un
refus,
la
guerre
éclate.
C'est
la
Guerre
sociale,
la
Guerre
«
des
alliés
»
(du
latin
socius,
allié),
de
91
à
89.
Rome
soumet
difficilement
les
peuples
révoltés
mais
doit
accorder
la
citoyenneté
aux
Italiens
(loi
Plautia
Papiria
en
89).
En
49
a.C.,
César
l'accorde
aux
habitants
de
la
Gaule
cisalpine
(Italie
padane).
Toutes
les
cités
italiennes
au
sud
du
Rubicon
deviennent
alors
progressivement
des
municipes.
Le
municipium
est
une
petite
communauté
autonome
mais
romaine,
c'est-‐à-‐dire
contrôlée
par
Rome.
C'est
la
solution
imaginée
par
Rome
pour,
à
la
fois
:
—
consolider
son
emprise
sur
l'Italie
;
donc
un
moyen
de
subordination
—
unifier
toutes
ces
communautés
qui
appartenaient
à
des
régions
et
des
traditions
différentes
;
moyen
de
romanisation.
Cette
solution
a
été
ensuite
utilisée
également
pour
de
nombreuses
communautés
pérégrines
de
l'Occident
romain,
en
Gaule,
en
Espagne,
en
Afrique,
avec
le
statut
de
municipe
latin
et
de
municipe
romain.
Les
oppida
de
l'Europe
celtique
Ce
phénomène
concerne
l'ensemble
de
l'Europe
celtique,
de
l'Angleterre
à
l'Ukraine,
mais
plus
spécialement
la
zone
centrale,
entre
la
Hongrie
et
la
France
du
Centre.
Le
terme
oppidum
(au
pluriel
oppida)
est
celui
utilisé
par
les
auteurs
latins,
par
exemple
Pline
l’Ancien,
pour
désigner
un
établissement
urbain
en
général,
et
c’est
celui
qu’utilise
en
particulier
César
pour
ces
«
villes
»
celtiques
en
Gaule.
35
Jusqu'au
début
du
IIe
siècle,
le
monde
celte
avait
connu
des
systèmes
d'habitat
ouverts.
Mais,
à
partir
de
ce
moment,
apparaissent
dans
cette
région
de
nouvelles
formes
d'agglomérations,
caractérisées
par
:
• des
enceintes
• une
superficie
importante,
comprise
en
général
entre
50
et
150
ha.
L'intérieur
de
ces
agglomérations
est
encore
peu
connu,
faute
de
fouilles
archéologiques.
Le
mieux
connu
est
Bibracte,
en
Gaule
(aujourd'hui
Le
Mont
Beuvray,
Saône-‐et-‐Loire),
la
capitale
du
peuple
des
Éduens.
On
sait
seulement
qu'il
y
avait
de
l'habitat,
des
zones
cultuelles
et
des
zones
d'activités
artisanales
et
commerciales.
On
voit
aussi
des
phénomènes
de
hiérarchisation
des
oppida,
comme
dans
le
territoire
du
peuple
des
Bituriges,
dans
le
Berry
actuel,
autour
de
la
capitale,
Avaricum.
Les
oppida
celtiques,
même
s'ils
sont
encore
mal
connus,
traduisent
le
développement
des
sociétés
celtiques,
et
le
début
d'un
processus
d'urbanisation.
Ils
constituent
un
modèle
original
de
phénomène
urbain
sans
système
civique.
Dans
les
régions
conquises
par
Rome,
ils
forment
la
base
de
l'urbanisation,
même
si
nombre
d'entre
eux
sont
abandonnés
et
leur
population
déplacée,
comme
Bibracte
transférée
à
Augustodunum/Autun.
B-‐
Hiérarchies
et
population
urbaines
dans
l’Empire
romain
—
Les
réseaux
civiques
et
urbains
dans
l'Empire
romain
Après
la
conquête
romaine,
se
produisent
un
développement
et
une
complexification
des
réseaux
dans
un
système
original,
à
la
fois
:
• unitaire,
dans
le
cadre
de
l'Empire
• «
fédéral
»,
parce
que
cet
Empire
est
composée
d’une
poussière
de
plus
de
2000
cités
• cosmopolite,
en
raison
de
sa
diversité
ethnique
et
linguistique
(bi-‐
voire
trilinguisme)
On
peut
définir
l'Empire
romain
comme
une
fédération
de
cités,
dont
chacune
entretient
une
relation
bilatérale
avec
Rome.
La
structure
hiérarchique
urbaine
de
l'Empire
romain
est
assez
compliquée
;
elle
est
politique
et
juridique
:
• au
sommet,
Rome
(l'Italie)
et
les
villes
«
romaines
»
disséminées
dans
l'Empire
(colonies,
municipes)
• les
villes
non
romaines,
pérégrines
À
l'intérieur
de
celles-‐ci,
il
faut
aussi
tenir
compte
de
différents
statuts
:
• cités
(colonies,
municipes)
de
droit
latin
• cités
libres,
fédérées,
stipendiaires.
Cette
hiérarchie
est
ouverte,
une
communauté
peut
être
promue
d'une
catégorie
à
une
autre,
sur
décision
de
l'empereur.
Il
y
a
aussi
d'une
hiérarchie
administrative
et
géographique/fonctionnelle
• «
villes-‐têtes
»
1
:
capitales
provinciales
(résidence
du
gouverneur
romain)
• «
villes-‐têtes
»
2
:
chefs-‐lieux/capitales
de
cités
• agglomérations
secondaires
;
plusieurs
niveaux
(cf.
dans
la
cité
de
Nîmes,
on
distingue
deux
niveaux
:
petites
villes,
Uzès
(futur
évêché),
Beaucaire
;
bourgs
et
étapes
routières)
36
—
Démographies
urbaines
La
population
de
l'Empire
D’un
point
de
vue
quantitatif,
les
fourchettes
varient
entre
des
estimations
hautes
et
basses.
Prenons
les
chiffres
de
B.
W.
Frier
(article
«
Demography
»,
Cambridge
Ancient
History,
XI,
2000,
p.
787-‐816),
qui
constituent
une
moyenne
:
• 45
millions
d’habitants
sous
Auguste
(20
en
Orient
et
25
en
Occident)
• 60
millions
d’habitants
vers
160
(23
en
Orient
et
38
en
Occident).
Donc
une
croissance
(probable)
d’un
tiers
durant
le
Haut-‐Empire.
Certaines
estimations
plus
optimistes
vont
jusqu’à
80
millions
d’habitants
à
l’apogée
de
l’Empire.
Au
niveau
local,
les
estimations
varient
aussi
beaucoup.
On
discute
aussi
de
la
part
respective
de
l’Orient
et
de
l’Occident.
La
population
de
l’Italie
et
celle
de
l’Egypte,
les
régions
pour
lesquelles
on
dispose
des
données
les
plus
importantes,
fait
l’objet
de
débats
et
les
estimations
varient
du
simple
au
double
:
• pour
l’Italie,
de
7,5
à
15
millions
• pour
l’Egypte,
de
3,5
à
8
millions.
La
population
urbaine
Le
taux
de
population
urbaine
est
également
inconnu.
La
plupart
des
historiens
estiment
que
la
croissance
démographique
de
l'Empire
romain
a
profité
essentiellement
à
la
population
urbaine.
L'Empire
aurait
donc
connu
un
mouvement
assez
important
de
croissance
de
l'urbanisation
et
de
la
population
urbaine.
On
peut
ici
mettre
en
avant
le
nombre
de
cités,
c'est-‐à-‐dire
de
communautés
autonomes,
estimé
à
plus
de
2000
pour
l'ensemble
de
l'Empire,
dont
1000
en
Orient,
400
en
Italie,
500
en
Espagne
et
Afrique,
100
dans
les
Gaules-‐Germanies,
20
en
Bretagne.
On
y
ajoute
les
agglomérations
qui
ne
jouissent
pas
du
statut
de
cité.
Chiffre
inconnu.
On
peut
mettre
en
avant
aussi
le
nombre
de
très
grandes
villes
(plus
de
100
000
habitants,
infra).
La
densité
urbaine
n'était
évidemment
pas
la
même
dans
tout
l'Empire,
peut-‐être
30%,
ou
plus
localement,
en
Italie,
en
Egypte,
en
Afrique
proconsulaire
;
10%
en
Gaule,
15%
à
20%
en
moyenne
?
Beaucoup
d'incertitudes
aussi
sur
la
question
de
l'étendue
et
de
la
population
des
villes.
La
taille
était
naturellement
très
variable.
Quelques
villes
comme
Antioche
ou
Corinthe
atteignent
ou
dépassent
500
ha,
tandis
que
la
plupart
des
localités
devaient
en
moyenne
tourner
entre
100
et
20
ha.
Il
en
est
de
même
pour
la
population.
On
dispose
de
quelques
chiffres
(recensements)
:
à
Apamée,
une
inscription
donne
le
chiffre
de
117
000
habitants
(mâles
adultes)
en
6
p.C.
Il
faut
ajouter
femmes,
enfants,
étrangers,
esclaves...
soit
entre
400
et
500
000
habitants.
Antioche,
environ
200
000,
idem
pour
Carthage.
Autour
de
100
000
pour
Ephèse,
Athènes,
Corinthe,
Pergame,
Smyrne,
Apamée,
Cyrène.
En
tout
une
douzaine
de
villes
>
100
000
habitants.
Surtout
en
Orient.
En
Gaule,
les
grandes
villes
comme
Nîmes,
Narbonne,
Trèves,
Lyon
tournent
autour
de
20
à
30
000
habitants.
Les
mégapoles
Phénomène
particulier
au
monde
méditerranéen
antique,
ce
sont
des
villes
énormes,
des
"monstres
démographiques",
dont
la
population
atteint
ou
dépasse
le
million
d'habitants,
ce
qui
crée
des
besoins
et
des
caractères
spécifiques.
Cf.
Rome
et
Alexandrie.
37
C-‐
Espaces
et
densités
urbaines
dans
l’Empire
romain
On
peut
aussi
analyser
le
fait
urbain
dans
l’Empire
romain
de
manière
spatiale,
en
fonction
de
la
densité
urbaine
et
de
la
distance
entre
le
centre
urbain
et
son
territoire.
La
carte
tirée
d’Inglebert
(2005,
71-‐72,
cf.
Livret)
montre
bien
ce
phénomène.
Quatre
types
de
régions
peuvent
être
définis,
en
prenant
des
données
moyennes.
—
Intervalle
à
15
km.
Superficie
de
200
à
300
km2
;
type
commun
en
Italie
centrale,
Grèce,
Bétique,
Asie,
Afrique.
Une
partie
importante
de
la
population,
y
compris
agricole,
peut
résider
au
chef-‐lieu.
L’agglomération
pouvait
être
peu
peuplée
et
les
fonctions
limitées,
mais
il
s’agissait
d’un
chef-‐lieu
de
cité
qui
possédait
tous
les
éléments
de
confort
et
de
prestige
urbains
(thermes,
bâtiments
et
monuments
publics)
qui
le
distinguaient
même
d’un
gros
village.
—
Intervalle
à
40
km.
Superficie
de
1000
à
1200
km2
;
Italie
du
Sud
et
du
Nord,
Narbonnaise,
Ibérie,
Grèce
du
Nord,
Asie
mineure,
Égypte
après
200.
Une
partie
des
agriculteurs
réside
au
chef-‐lieu
et
les
autres
dans
la
périphérie
du
territoire
(villages,
hameaux,
fermes).
La
proximité
du
centre
à
la
périphérie
(le
rayon
moyen
est
de
20
km
;
un
jour
pour
faire
l’aller
et
retour)
fait
que
les
habitants
peuvent
régulièrement
se
rendre
en
ville
et
participer
à
la
vie
civique
et
religieuse.
—
Intervalle
à
70
km
et
au-‐delà.
Superficie
de
4000
à
4300
km2
;
des
superficies
plus
importantes,
de
12
à
13
000
km2,
avec
des
intervalles
à
plus
de
100
km,
étaient
courantes
dans
les
régions
non
méditerranéennes
(Gaules,
Bretagne,
régions
danubiennes,
etc).
On
s’éloigne
ici
du
modèle
classique
de
la
cité
;
les
habitants
des
périphéries,
surtout
lointaines,
fréquentaient
peu
le
centre
urbain,
sauf
pour
des
raisons
importantes
(recensement,
fête
religieuse).
Dans
ce
cas,
il
y
avait
des
villes
secondaires,
notamment
dans
les
Gaules
et
en
Bretagne,
ou
des
villages
(Syrie
du
Nord)
qui
avait
leur
propre
zone
d’attraction.
Le
réseau
des
villae
(gros
établissements
agricoles)
était
aussi
plus
dense
et
développé
dans
ces
régions,
et
il
suppléait
aussi
à
la
moindre
densité
urbaine
(Gaule
du
Nord).
—
Zones
sans
cités
Il
faut
tenir
compte
aussi
de
certaines
zones
marginales
où
il
n’y
a
pas
de
villes,
ni
de
cités,
mais
juste
des
communautés
incomplètement
sédentarisées.
Dans
ces
zones,
le
poids
et
le
contrôle
de
l’armée
est
important,
non
seulement
sur
le
plan
militaire
mais
aussi
administratif
(impôts...).
La
politique
de
Rome
pour
créer
et
développer
des
cités
a
cependant
progressivement
réduit
ces
zones.
BONUS
SÉANCE
7
Les
statuts
des
cités
dans
le
monde
romain
1-‐
Généralités
Il
régnait
dans
l’Empire
une
grande
variété
dans
les
statuts
des
personnes
et
aussi
des
communautés.
C’est
l’aboutissement
d’une
longue
histoire
qui
se
confond
avec
celle
de
l’extension
de
la
domination
romaine
en
Italie
puis
dans
les
provinces.
Au
sommet
de
la
hiérarchie,
il
y
avait
les
statuts
romains
qui
constituaient
un
idéal
auquel
aspiraient
les
individus
et
les
communautés,
spécialement
dans
la
partie
occidentale
de
l’Empire.
Dans
la
partie
orientale
en
38
effet,
l’ancienneté
des
cités
et
le
prestige
d’un
grand
nombre
d’entre
elles
rendaient
moins
attractif
le
modèle
romain.
Au-‐dessous,
les
personnes
et
les
cités
de
statut
pérégrin
(non
romain)
vivaient
selon
leur
propre
droit.
NB
:
Cette
variété
et
cette
hiérarchie
entre
des
statuts
différents
avait
pour
conséquence
que
certains
individus
avaient
un
double
statut,
en
étant
à
la
fois
citoyen
romain
et
citoyen
de
leur
cité
d’origine
(cf.
Table
de
Banasa).
Le
droit
romain
était
supérieur
en
raison
de
la
majesté
du
peuple
romain
et
de
l’autorité
de
l’empereur,
mais
cela
entraînait
néanmoins
des
situations
juridiques
compliquées.
Il
y
avait
une
grande
ligne
de
partage
entre
les
cités
de
droit
romain,
de
droit
latin
et
les
cités
pérégrines.
Ces
statuts
étaient
enregistrés
dans
divers
documents
:
lex
provinciae
ou
lex
data,
formula
provinciale
(supra
UE
18,
séance
3)
;
lois
municipales
qui
étaient
des
chartes
précisant
le
statut
et
le
fonctionnement
des
communautés
(la
loi
d’Irni
par
exemple,
découverte
en
Espagne
en
1986),
qui
fait
connaître
l’essentiel
de
la
charte
des
municipes
latins
de
Bétique.
C’est
l’empereur
qui
décide
du
statut
des
cités
:
il
pouvait
les
promouvoir
ou
les
rétrograder,
et
leur
accorder
des
titres
et/ou
des
privilèges.
La
décision
impériale
pouvait
procéder
d’un
acte
unilatéral
du
prince,
mais
elle
répondait
souvent
aux
sollicitations
des
cités,
présentées
par
des
ambassades
et
appuyées
par
des
patrons
(cf.
infra).
Il
y
avait
un
autre
grand
clivage,
qui
séparait
les
cités
des
communautés
sans
statut
civique
(peuples,
tribus,
nationes,
gentes).
Les
Romains
établissaient
une
grande
différence
entre
ces
deux
situations,
la
seconde
étant
considérée
comme
inférieure.
Ces
communautés
étaient
considérées
comme
barbares.
Leur
fluidité
et
leur
instabilité
les
rendaient
difficiles
à
contrôler.
Selon
les
cas,
Rome
laissaient
aux
dynastes
locaux
le
soin
de
gérer
ces
populations,
ou
elle
en
confiait
l’administration
directe
à
des
préfets.
Leur
infériorité
est
bien
traduite
par
la
très
grande
difficulté,
voire
la
quasi
impossibilité,
pour
ses
membres
d’accéder
à
la
citoyenneté
romaine
(cf.
Table
de
Banasa).
Cela
dit,
des
communautés
indigènes
sans
véritable
centre
urbain
furent
rapidement
reconnues
comme
cités
par
la
puissance
romaine,
dès
lors
qu’elles
présentaient
une
organisation
stable,
parce
que
Rome
avait
besoin
de
relais
administratifs
locaux
(ce
fut
en
particulier
le
cas
dans
les
Gaules,
les
Germanies
et
les
provinces
danubiennes).
2-‐
Les
premières
colonies
de
droit
romain
De
350
à
250
a.C.,
Rome
fonde
un
certain
nombre
de
colonies
de
citoyens
romains,
d'abord
limitées
à
l'installation
de
300
colons.
Les
premières
colonies
de
droit
romain
en
Italie
ont
d'abord
une
fonction
militaire
:
la
surveillance
des
côtes
du
Latium.
Ce
sont
les
coloniae
maritimae
de
Ostie,
Terracine,
Minturnes,
Pouzzoles.
Elles
présentent
un
même
plan
de
base
:
—
dimensions
réduites
(300
colons)
;
—
enceinte
quadrangulaire
;
—
trame
orthogonale,
autour
de
deux
axes
perpendiculaires,
le
cardo
maximus
et
le
decumanus
maximus
;
—
au
centre
:
le
temple
du
Capitole
qui
symbolise
le
lien
avec
Rome,
et
devant,
le
forum.
NB
:
le
forum
ne
joue
pas
de
rôle
politique
puisque
c'est
à
Rome
même
que
les
colons-‐citoyens
peuvent
exercer
leurs
droits
politiques.
Ce
qui
est
intéressant,
c'est
que
ces
fondations
sont
le
reflet
de
l'idée
que
l'aristocratie
sénatoriale
se
faisait
alors
du
modèle
romuléen.
En
ce
sens,
le
plan
de
ces
colonies
a
évidemment
d'abord
une
signification
idéologique.
Ce
type
de
fondation
se
retrouve
plus
tard,
en
plus
grand,
notamment
dans
les
colonies
augustéennes
d'Augusta
Praetoria
(Aoste)
ou
de
Caesaraugusta
(Saragosse),
qui
avaient
aussi,
au
moins
au
début,
une
fonction
militaire.
3-‐
Les
colonies
de
droit
latin
La
population
installée
dans
ces
colonies
est
plus
nombreuse
et
différente
des
colonies
romaines
:
elle
se
compose
de
gens
venant
des
communautés
italiennes
alliées
à
Rome,
de
Latins
(issus
des
cités
latines)
et
de
citoyens
romains
pauvres
(prolétaires).
Tous
ces
colons
perdent
leur
citoyenneté
d'origine,
y
compris
les
Romains,
en
échange
des
terres
qu'ils
reçoivent
et
d'une
nouvelle
citoyenneté
dite
de
droit
latin
;
toutefois,
des
liens
très
forts
existent
avec
la
citoyenneté
et
les
citoyens
romains.
En
effet,
le
contenu
de
cette
citoyenneté
d'un
nouveau
style
est
essentiel
:
—
ces
colons
sont
des
citoyens
de
leur
colonie/cité
mais
:
—
s'ils
épousent
un(e)
citoyen(ne)
romain(e),
ils
peuvent
contracter
un
mariage
romain
et
leurs
enfants
sont
alors
citoyens
romains
(ius
conubii
ou
conubium)
39
—
ils
peuvent
acquérir
ou
vendre
des
biens
avec
des
citoyens
romains
et
bénéficient
alors
des
garanties
offertes
par
le
droit
romain
;
ils
peuvent
aussi
hériter
un
employer
un
Romain
(ius
commercii
ou
commercium)
—
s'ils
sont
de
passage
à
Rome,
ils
peuvent
voter
dans
les
comices
tributes,
dans
une
tribu
tirée
au
sort
à
cette
intention
—
ils
peuvent
venir
s'installer
à
Rome
(ius
migrandi)
et
postuler
à
la
citoyenneté
romaine
e
—
au
cours
du
2
siècle
a.C.,
ce
droit
est
supprimé,
surtout
pour
des
raisons
démographiques,
mais
il
est
remplacé
par
un
droit
nouveau,
de
grand
avenir
:
les
magistrats
de
ces
colonies,
à
leur
sortie
de
charge,
reçoivent
la
citoyenneté
romaine
et
la
transmettent
à
leurs
descendants.
Une
formidable
machine
à
intégrer
les
élites.
Ces
colonies
représentent
un
poids
démographique
beaucoup
plus
important
que
les
colonies
de
citoyens
romains
:
en
218,
Crémone
et
Plaisance
ont
chacune
6000
colons.
Le
rôle
de
ces
colonies
est
toujours
militaire
;
il
s'agit
de
surveiller
les
zones
conquises
et
de
garder
les
points
stratégiques.
Les
Latins
doivent
surtout
fournir
à
Rome
des
troupes
et
des
contributions
financières.
En
225,
les
Latins
devaient
fournir
une
centaine
de
milliers
d'hommes.
C'est
une
part
essentielle
de
l'armée
romaine,
à
côté
de
l'élément
proprement
romain
(les
légionnaires)
et
des
contingents
alliés
italiens.
À
la
différence
des
colonies
de
droit
romain
ce
sont
des
cités
autonomes,
avec
leurs
propres
institutions,
mais
elles
sont
inspirées
du
modèle
romain.
Prenons
l'exemple
de
la
colonie
de
Cosa,
fondée
en
273
a.C.
3
parties
notables
dans
l'espace
urbain
:
—
colline/arx
;
Capitole,
avec
des
lieux
sacrés,
comme
à
Rome,
dont
l'auguraculum,
et
des
temples
—
partie
plane
divisée
par
une
grille
orthogonale,
8
cardines,
3
decumani
—
forum
au
croisement
des
voies
qui
joignent
les
portes
de
l'enceinte
;
c'est
une
place
relativement
réduite
e
mais
qui
apparaît
comme
une
reproduction
à
échelle
modeste
du
forum
romain
au
3
siècle
:
—
on
y
trouve
donc
comitium
et
curie,
comme
sur
le
forum
romain,
pour
réunion
des
assemblées
et
sénat
locaux
;
et
aussi
des
installations
de
vote
similaires
à
celles
découvertes
sur
le
Champ
de
Mars
à
Rome.
On
trouve
les
mêmes
installations
dans
les
autres
colonies
latines
de
la
même
époque
:
Alba
Fucens,
Paestum...
La
conclusion
est
simple
:
dans
les
colonies
latines,
Rome
a
imposé
son
modèle
à
la
fois
civique
et
urbain
dans
des
fondations
établies
dans
des
régions
diverses
:
Cosa
est
fondée
sur
un
terrain
vierge
en
Étrurie,
Paestum
est
une
ancienne
cité
grecque
en
Campanie.
4-‐
La
municipalisation
de
l'Italie
Globalement,
c'est
un
succès
:
40
—
le
mouvement
de
municipalisation
intègre
une
large
part
de
la
population
de
l'Italie,
à
commencer
par
les
anciennes
colonies
de
droit
latin
qui
disparaissent
alors
en
Italie,
mais
pour
réapparaître
dans
les
provinces
(dès
89
a.C.
en
Gaule
cisalpine)
—
il
s'accompagne
d'un
développement
de
l'urbanisation
y
compris
là
où
subsistaient
des
organisations
tribales
attachées
à
des
traditions
d'habitat
dispersé.
La
municipalisation
se
marque
aussi
dans
le
paysage
urbain.
Une
activité
édilitaire
intense
se
développe
en
Italie,
et
plus
spécialement
dans
le
Latium
et
en
Campanie.
Le
rôle
de
l'évergétisme
(infra),
c'est-‐à-‐dire
de
l'investissement
(notamment
financier)
des
riches
citoyens
au
service
de
la
communauté,
est
ici
déterminant.
En
arrière-‐plan
de
ce
phénomène,
il
faut
voir
une
transformation
sociale
:
une
nouvelle
catégorie
de
notables
apparaît,
qui
sont
globalement
romanisés.
Certes,
dans
la
formation
de
cette
nouvelle
couche
sociale,
tout
ne
s'est
pas
déroulé
sans
coercition
ni
sans
accrocs.
Rappelons
par
exemple
que
Cicéron
dans
son
plaidoyer
Pour
Sylla
(21)
montre
les
tensions
qui
existaient
encore
à
son
époque
entre
les
colons
installés
par
Sylla
à
Pompéi
et
les
anciennes
élites
osques
de
la
cité.
Dans
bien
des
cas,
d'anciennes
familles
ont
été
supplantées
par
de
nouvelles,
mais
il
y
a
eu
aussi
certainement
des
processus
de
fusions
et
d'alliances.
NB
:
cette
nouvelle
élite
est
rapidement
devenue
celle
dans
laquelle
la
République
finissante
puis
l'Empire
ont
puisé
pour
renouveler
l'aristocratie
romaine.
Quoiqu'il
en
soit,
ces
élites
se
manifestent
par
le
financement
et
la
construction
d'édifices
publics,
religieux
(temples
et
sanctuaires),
civiques
(basiliques,
curies,
thermes),
ou
commerciaux
(marchés,
entrepôts).
Cela
se
fait
par
le
versement
de
la
summa
honoraria,
ou
par
des
initiatives
privées.
C'est
ce
que
les
historiens
appellent
le
phénomène
de
la
«
marmorisation
»
des
centres
urbains.
Un
modèle
urbain
s'impose,
pourvu
d'un
ensemble
d'éléments
de
base
obligés
(un
«
kit
»
romain)
:
—
forum
clos,
avec
capitole
(avec
un
temple
jovien)
et
basilique
—
théâtre
—
thermes
D'une
manière
générale,
développement
aussi,
dans
ce
nouveau
cadre
municipal
d'un
urbanisme
normatif
qui
se
marque
dans
le
texte
de
chartes
municipales
connues
par
des
monuments
épigraphiques.
Cf.
loi
de
Tarente
ou
Table
d'Héraclée,
loi
d'Urso
(colonie
romaine
fondée
par
César
en
Espagne).
Par
exemple,
ces
règlements
obligent
à
un
certain
nombre
de
choses
:
—
réserver
un
espace
nécessaire
pour
les
habitations
—
ne
démolir
les
bâtiments
en
place
que
s'il
y
a
l'intention
et
les
moyens
de
leur
substituer
des
édifices
au
moins
équivalents
—
procéder
au
dallage
et
au
drainage
des
voies,
etc.
5-‐
Les
statuts
des
cités
pérégrines
Ce
sont
des
communautés
qui
vivent
selon
leur
propre
droit
civique.
Au
début
de
l’Empire,
la
plupart
des
cités
provinciales
étaient
pérégrines,
c’est-‐à-‐dire,
donc,
étrangères
à
Rome
et
à
son
droit.
Elles
étaient
liées
à
Rome
comme
des
corps
étrangers
et
non
comme
les
parties
d’un
tout
unitaire.
En
principe,
chaque
cité
entretient
d’ailleurs
avec
le
centre
du
pouvoir
romain
une
relation
bilatérale
particulière.
Il
y
a
trois
statuts
de
cités
pérégrines.
La
raison
de
l’appartenance
à
l’une
ou
l’autre
de
ces
catégories
tenait
le
plus
souvent
à
leur
comportement
au
moment
de
la
conquête.
—
Fédérées
Elles
ont
signé
un
traité
avec
Rome
(fœdus).
Certes,
ce
traité
sanctionnait
un
rapport
inégal
entre
les
partenaires,
mais
il
établissait
aussi
très
précisément
la
situation
de
la
cité,
ses
droits
et
obligations,
et
postulait
son
indépendance
théorique
qui
se
manifestait
notamment
par
l’exemption
fiscale.
—
Libres
Leur
situation
relevait
d’un
acte
unilatéral
de
Rome
qui
ne
la
garantissait
cependant
pas
par
un
traité.
Elles
avaient
elles
aussi
leurs
institutions
spécifiques,
et
dans
certains
cas
bénéficiaient
d’une
exemption
fiscale.
En
théorie,
les
cités
de
ces
deux
types
étaient
extérieures
aux
provinces.
—
Stipendiaires
Les
cités
stipendiaires
versaient
l’impôt
provincial
(les
deux
tributs,
foncier
—
tributum
soli,
et
personnel
—
tributum
capitis).
C’était
le
symbole
de
leur
sujétion
à
Rome,
même
si
dans
les
faits
elles
gardaient
leurs
institutions
et
leur
autonomie
pratique.
41
Il
ne
faut
pas
exagérer
la
portée
de
cette
différenciation.
Dans
la
pratique,
les
situations
étaient
assez
proches
et
évoluèrent
vers
une
forme
d’uniformisation.
42
Séance
8
LE
MODÈLE
IMPÉRIAL
ET
SA
DIFFUSION
(v.
30
a.C.-‐v.
300
p.C.)
Cette
partie
du
cours
est
plus
précisément
centrée
sur
le
modèle
urbain
impérial
romain
et
sa
diffusion
dans
l'Empire.
Ce
modèle
n'est
pas
le
seul.
En
Orient,
il
y
a
une
tradition
et
un
modèle
urbain
(plus)
ancien,
en
Grèce
même
mais
aussi
en
Ionie,
ou
en
Égypte,
sans
parler
des
civilisations
proche-‐
orientales.
Les
villes
et
le
fait
civique
y
sont
développés
et
ont
leurs
traditions
et
leurs
modèles
propres,
comme
on
l'a
vu
dans
la
première
partie
du
cours.
Sous
l'Empire
romain,
cette
histoire
continue,
et
l'influence
romaine,
tout
en
étant
réelle,
demeure
limitée.
En
Occident
(Espagne,
Afrique,
Gaule,
Bretagne,
régions
rhénane
et
danubienne)
en
revanche,
le
modèle
romain
a
été
plus
puissant,
parce
que
le
fait
urbain
et
civique
était
beaucoup
moins
avancé
que
dans
la
partie
orientale.
Le
modèle
romain
s'y
est
diffusé
sans
concurrence,
et
l'urbanisation
comme
le
développement
des
cadres
civiques
ont
été
un
des
points
clés
du
processus
de
romanisation.
On
peut
définir
le
modèle
romain
à
partir
des
caractéristiques
suivantes
:
• urbanisation
développée
• réseau
urbain
densifié
• niveau
élevé
de
gestion
et
d'équipement
urbains
• développement
d'une
société
et
d'une
économie
marquées
par
le
fait
urbain
• cohésion
autour
d'un
modèle
central,
celui
de
l'empire
de
Rome,
renforcé
par
le
nouveau
régime
monarchique.
Comment
ce
modèle
urbain
impérial
s'est-‐il
imposé
à
Rome,
en
Italie
et
dans
la
plus
grande
partie
de
l'Empire,
surtout
en
Occident
?
A-‐
Rome
le
centre
du
pouvoir
On
peut
distinguer
deux
étapes
dans
cette
évolution.
—
Le
schéma
augustéen
(27
a.C.
-‐
68
p.C.)
:
remodelage
des
anciens
centres
civiques
Cette
période
recouvre
le
règne
d'Auguste
proprement
dit
et
la
dynastie
julio-‐claudienne.
En
27,
Auguste
met
en
place
le
régime
impérial.
Cette
nouvelle
forme
de
pouvoir
trouve
rapidement
son
expression
à
Rome
et
dans
les
villes
d'Italie
et
des
provinces,
où
les
élites
locales
manifestent
leur
allégeance
au
nouveau
régime.
Partons
d'un
fait
tout
à
fait
essentiel,
le
remodelage
de
l'ancien
centre
civique
républicain
à
Rome.
—
Premier
élément,
la
construction
d'un
nouveau
forum
Le
forum
de
César,
commencé
en
54
a.C.
est
inauguré,
bien
qu'inachevé,
en
46
a.C.
;
c'est
le
premier
des
«
forums
impériaux
».
Le
temple
de
Vénus,
divinité
protectrice
de
César,
domine
la
place
entière.
Ce
qui
est
intéressant,
c'est
la
place
de
la
nouvelle
curie
(siège
du
Sénat),
la
Curia
Julia,
reconstruite
après
l'incendie
de
52
a.C.
:
elle
est
déplacée
et
intégrée
à
l'ensemble
monumental
du
forum,
mais
comme
un
élément
subordonné.
Significatif
du
nouveau
partage
des
pouvoirs.
—
Sur
l'ancien
forum
lui-‐même
qui
était
le
centre
de
la
vie
civique
à
Rome,
deux
nouveaux
édifices.
43
• Côté
sud,
la
Basilica
Julia
a
été
commencée
par
César
en
55
avec
l'argent
du
butin
des
Gaules
;
elle
est
terminée
par
Auguste
qui
lui
donne
le
nom
de
son
père
adoptif.
C'est
un
édifice
à
fonction
administrative,
judiciaire
et
commerciale.
La
nouveauté
est
que
c'est
le
premier
du
genre
à
ouvrir
directement
sur
le
centre
de
la
place,
par
un
vestibule
solennel
et
richement
décoré.
• Côté
est,
le
temple
de
César
divinisé.
Ce
temple
a
été
édifié
à
l'endroit
où
le
corps
de
César
fut
incinéré
après
son
assassinat.
César
fut
divinisé
en
42.
C'était
la
première
fois
que
cette
pratique
des
souverains
hellénistiques
était
utilisée
à
Rome.
Ce
temple
dédié
par
Auguste
en
29
a.C.
commémore
cet
événement.
Le
forum
est
donc
encadré
par
plusieurs
édifices
qui
certes
appartiennent
à
la
panoplie
traditionnelle
de
l'architecture
publique
romaine,
mais
qui
présentent
un
caractère
clairement
dynastique
qui,
lui,
est
complètement
nouveau.
Tout
cela
montre
bien
la
réalité
du
nouveau
régime.
—
Enfin,
dernier
élément,
la
construction
par
Auguste
de
son
propre
forum,
attenant
à
celui
de
César.
En
Italie
et
dans
les
provinces,
durant
la
période
julio-‐claudienne
et
après,
l'exemple
du
remodelage
du
forum
romain
est
abondamment
imité,
autour
des
principes
expérimentés
à
Rome
:
• érection
d'un
ou
de
plusieurs
temples
consacrés
à
César,
Auguste
ou
autres
membres
de
la
famille
impériale
;
• construction
d'une
basilique,
articulée
avec
la
curie
municipale
;
• édification
d'un
théâtre
;
grande
importance
des
théâtres
dans
le
nouveau
vocabulaire
du
dialogue
entre
pouvoir
et
aménagement
urbain.
—
Des
Flaviens
aux
Antonins
(69-‐192
p.C.)
:
évolution
et
apogée
du
modèle
Dans
la
période
suivante,
le
modèle
évolue
avec
le
développement
d'autres
formes
d'expression
monumentale,
celles
du
pouvoir
central
d'une
part,
et
celles
exprimant
l'allégeance
des
communautés
locales
d'autre
part.
Trois
types
d'édifices,
s’ils
ne
sont
pas
nouveaux,
prennent
alors
une
importance
tout
à
fait
particulière.
—
Les
sanctuaires
du
culte
impérial,
dont
la
construction
est
systématisée
dans
les
centres
urbains,
dans
les
capitales
provinciales
mais
aussi
dans
les
cités
plus
secondaires.
Le
temple
du
culte
impérial
devient
fréquemment
l'élément
central
des
nouveaux
centres
civiques.
On
voit
l'édification
de
grands
forums
provinciaux
centrés
sur
la
célébration
de
l'empereur
et
de
la
Maison
impériale,
par
exemple
le
grand
complexe
de
Tarragone
(près
de
8
ha
:
un
quart
de
l'espace
urbain!!).
Avec
ces
grands
ensembles,
on
mesure
l'évolution
depuis
les
formules
augustéennes
qui
respectaient
encore
les
traditions
antérieures
à
travers
les
bâtiments
représentant
les
anciennes
institutions.
En
effet,
ces
grands
ensembles
structurent
maintenant
les
centres
civiques
;
ils
ont
une
logique
autonome.
Ils
sont
fréquemment
édifiés
sans
tenir
compte
des
besoins
réels
des
populations
ni
du
contexte
urbain
qui
est
souvent
profondément
restructuré
pour
leur
faire
place.
—
L'amphithéâtre,
lié
aux
jeux
du
cirque,
combats
de
gladiateurs
et
spectacles
de
bêtes
fauves.
44
À
Rome,
l'amphithéâtre
flavien,
le
Colisée,
est
édifié
par
Vespasien.
Avec
une
capacité
de
50
000
spectateurs,
c’était
le
plus
grand
du
monde
romain
;
il
fut
bientôt
suivi
par
plusieurs
grands
édifices
du
même
genre
dans
tout
l'Empire
:
Thysdrus
(El
Jem),
Puteoli
(Pouzzoles),
Burdigala
(Bordeaux)...
Cf.
un
épisode
révélateur
:
le
tremblement
de
terre
à
Pompéi
en
62
(avant
la
grande
éruption
de
79)
;
il
provoque
d’importantes
destructions
dans
la
cité
;
on
voit
clairement
qu'il
y
a
eu
ensuite
des
priorités
dans
la
politique
de
reconstruction
:
le
temple
de
Jupiter
et
les
bâtiments
juridiques
et
administratifs
n'ont
pas
été
des
urgences,
en
revanche
la
construction
de
nouveaux
thermes,
et
la
restauration
de
l'amphithéâtre
avec
un
ludus
(école
de
gladiateurs)
étaient
pratiquement
achevés
en
79.
Pourquoi
cette
importance
de
l'amphithéâtre
et
des
jeux
?
Pour
trois
raisons
qui
sont
liées
:
• l'évolution
des
goûts
et
besoins
de
la
population,
de
moins
en
moins
préoccupée
par
les
problèmes
politiques
;
• l'idéologie
des
jeux
qui
repose
sur
l'affrontement
entre
les
hommes,
et
avec
les
bêtes,
et
exalte
le
triomphe
de
la
force,
convient
très
bien
à
l'idéologie
impériale
;
• la
récupération
de
cette
pratique
par
les
élites
et
au
sommet
par
l'empereur
;
tous
les
spectacles
commencent
par
un
hommage
collectif
au
prince.
—
Les
thermes
tiennent
une
place
de
plus
en
plus
importante
et
deviennent
une
composante
essentielle
du
mode
de
vie
urbain
que
l'empereur,
comme
les
élites
municipales,
doivent
mettre
à
la
disposition
de
la
population
(évergétisme,
infra).
Il
y
a
une
évolution
quantitative
mais
aussi
qualitative
avec
l'édification
à
Rome
et
dans
les
provinces
de
complexes
thermaux
considérables
et
luxueux,
nécessitant
pour
leur
fonctionnement
l'acheminement
d'énormes
quantités
d'eau
(Thermae
Neronianae,
Thermes
de
Titus,
Thermes
de
Trajan
et,
ultérieurement,
Thermes
de
Caracalla
et
Dioclétien).
Au
IIe
siècle,
les
formules
mises
en
place
à
l'époque
antérieure
évoluent
sur
leur
lancée
et
sans
rupture
notable.
À
Rome,
le
forum
de
Trajan
voit
l'apogée
du
modèle
des
forums
impériaux.
La
basilique
de
170
m
sur
59
m
comptait
cinq
nefs
et
deux
absides
latérales
et
un
vaisseau
central
s’élevait
à
près
de
30
m.
Elle
était
la
plus
grande
jamais
construite
à
Rome
et
se
distinguait
par
le
luxe
de
la
polychromie
de
ses
marbres,
de
ses
ornements
de
bronze.
Elle
est
encadrée
par
:
• la
colonne
Trajane
qui
exalte
la
conquête
de
la
Dacie
par
Trajan.
• la
vaste
place
avec
en
son
centre
la
statue
équestre
de
l'empereur.
NB:
La
représentation
du
plan
du
forum
de
Trajan
a
été
profondément
remise
en
question
à
la
suite
des
travaux
de
R.
Meneghini
depuis
la
fin
des
années
1990.
Les
fouilles
des
années
1996
et
1997
ont
invalidé
pour
beaucoup
de
savants
l'idée
qu'un
temple
monumental
fermait
le
forum
à
l'ouest.
Au
contraire
il
faudrait
plutôt
y
restituer
un
porche
monumental
ouvrant
sur
le
champ
de
Mars.
Avec
le
forum
de
Trajan,
on
voit
bien
comment
le
régime
impérial
s'est
imposé
dans
l'espace
et
le
paysage
urbains,
à
Rome
d'abord,
en
Italie
et
dans
les
provinces,
autour
de
deux
principes
:
• l'exaltation
du
prince,
victorieux,
garant
de
la
paix
et
de
la
prospérité
• l'accueil
du
peuple
dans
un
lieu
qui
lui
est
offert,
où
il
peut
s'abriter,
se
rassembler
et
se
distraire,
et
où
s'exprime
par
excellence
le
lien
entre
le
prince
et
le
peuple.
B-‐
Fondations
urbaines
dans
l'Empire
45
Après
avoir
passé
en
revue
quelques
moments
et
monuments
marquants
du
centre
de
l'Empire,
Rome,
il
est
temps
d'aller
dans
l'Empire
pour
y
prendre
la
mesure
de
la
diffusion
du
modèle
romain
et
de
ce
que
Pierre
Gros
appelle
«
La
pratique
ordinaire
de
la
fondation
urbaine
».
Nous
allons
donc
nous
intéresser
à
l'équipement
de
l'Empire
en
villes
moyennes
et
petites,
qui
constituent
en
fait
—
on
reviendra
sur
cette
idée
—
les
cellules
de
base
de
son
organisme
et
de
son
fonctionnement.
Nous
allons
pour
cela
étudier
deux
exemples.
—
Agricola
en
Bretagne
:
la
romanisation
en
marche
Un
excellent
point
de
départ
:
le
texte
de
Tacite
qui
décrit
l'activité
de
son
beau-‐père
Cn.
Julius
Agricola,
gouverneur
de
la
province
de
Bretagne
sous
l'empereur
Domitien,
entre
77
et
84.
Le
texte
relate
des
événements
de
l'hiver
78-‐79
p.C.
Tacite,
Agricola,
21.
L'hiver
suivant
fut
employé
tout
entier
aux
mesures
les
plus
salutaires
:
pour
habituer
par
l'attrait
des
plaisirs
des
hommes
disséminés,
sauvages
et
par
là-‐même
disposés
à
guerroyer,
à
la
paix
et
au
calme,
il
(Agricola)
exhortait
les
particuliers,
il
aidait
les
collectivités
à
édifier
temples,
forums,
maisons,
félicitant
ceux
qui
se
montraient
zélés,
réprimandant
ceux
qui
l'étaient
moins
;
ainsi
l'émulation
dans
la
recherche
de
la
considération
remplaçait
la
contrainte.
(…)
On
en
vint
même
à
apprécier
notre
costume
et
à
porter
souvent
la
toge
;
peu
à
peu
on
se
laissa
séduire
par
nos
vices,
par
le
goût
des
portiques,
des
bains
et
des
festins
raffinés.
Dans
leur
inexpérience,
ils
appelaient
civilisation
ce
qui
contribuait
à
leur
asservissement.
Il
est
évident
que
le
texte
est
un
raccourci
;
le
phénomène
décrit
a
été
nécessairement
plus
long
qu'un
hiver.
Par
exemple,
le
forum
de
Verulamium
(Saint-‐Albans)
un
municipe
fondé
par
les
Romains
à
côté
de
Londres
en
43
p.C.
n'est
inauguré
qu'en
79,
précisément
par
Agricola.
Les
premières
grandes
résidences
privées
à
la
romaine
(domus)
n'apparaissent
que
sous
le
règne
d'Hadrien,
un
peu
moins
d'un
siècle
après
la
conquête.
Cependant,
que
nous
révèle-‐t-‐il
?
—
La
nécessité
du
ralliement
et
de
la
participation
des
élites
locales,
au
moins
d'une
partie
d'entre
elles.
La
phrase
:
«
félicitant
ceux
qui
se
montraient
zélés,
réprimandant
ceux
qui
l'étaient
moins
»
se
rapporte
évidemment
aux
chefs
de
la
hiérarchie
tribale
traditionnelle.
Certains
ont
rallié
l'ordre
romain
;
leur
autorité
sur
les
populations
en
a
été
renforcée
;
ils
se
sont
engagés
pour
certains
d'entre
eux
dans
de
grandes
entreprises
d'aménagement
urbain
et
la
construction
de
monuments
symboliques
du
nouvel
ordre
:
forums,
basiliques,
sanctuaires
du
culte
impérial
etc.
D'autres
ont
sans
aucun
doute
été
fortement
incités
à
le
faire.
Le
soutien
des
élites
est
nécessaire
sur
le
plan
politique
mais
aussi
financier.
—
La
diffusion
du
mode
de
vie
romain
et
l’importance
du
facteur
culturel
:
«
portiques
»
=
promenades
couvertes
;
«
bains
»
=
thermes
chauffés
;
«
festins
raffinés
»
:
banquets,
et
bien
sûr
pratique
de
l'évergétisme.
Certains
des
aménagements
réalisés
dans
les
nouvelles
agglomérations
étaient
tout
à
fait
considérables.
Le
plus
grand
forum
romain
n'est
pas
celui
de
Rome,
ni
celui
de
Trajan
à
Rome
que
nous
avons
vu
la
dernière
fois,
mais
celui
des
Tours-‐Mirande
(Vendeuvre)
chez
les
Pictons
en
Aquitaine!
46
Certaines
créations
d'ailleurs,
sans
doute
surdimensionnées
à
l'origine,
n'ont
pas
"pris"
et
pas
débouché
sur
un
développement
urbain
important,
par
exemple
dans
la
Gaule
de
l'ouest
(Aragenua
des
Viducasses,
auj.
Vieux,
Calvados).
—
Un
processus
de
création
in
vivo
interrompu
:
Waldgirmes
en
Germanie
Revenons
en
arrière,
sous
le
règne
d'Auguste.
À
partir
de
12
a.C.,
il
engage
une
grande
entreprise
de
conquête
de
la
Germanie,
au
delà
du
Rhin.
Les
premières
offensives
romaines
parviennent
jusqu'à
la
Weser
et
même
jusqu'à
l'Elbe.
La
Germanie
n'est
pas
conquise
mais
les
Romains
tiennent
des
territoires
et
des
axes
de
circulation.
Des
établissements
têtes
de
pont
sont
fondés.
Cf.
ce
qu'en
dit
Cassius
Dion,
un
historien
du
IIIe
siècle
p.C.
Dion
Cassius,
Histoire
romaine,
56.18.
(…)
Les
Romains
y
possédaient
quelques
régions,
non
pas
réunies,
mais
éparses
selon
le
hasard
de
la
conquête
(c'est
pour
cette
raison
qu'il
n'en
est
pas
parlé
dans
l'histoire)
;
des
soldats
y
avaient
leurs
quartiers
d'hiver,
et
y
formaient
des
cités
(poleis)
;
les
barbares
avaient
pris
leurs
usages,
ils
avaient
des
marchés
réguliers
(agora)
et
se
mêlaient
à
eux
dans
des
assemblées
pacifiques.
On
a
longtemps
pensé
que
le
témoignage
de
Dion
Cassius,
notamment
quand
il
parle
de
«
cités
»
en
Germanie,
était
exagéré.
Mais
les
fouilles
récentes
d'un
site
tout
à
fait
extraordinaire
en
Allemagne,
celui
de
Waldgirmes,
ont
montré
qu'il
n'en
était
rien
et
que
Cassius
Dion
décrivait
une
réalité.
Il
se
trouve
dans
la
moyenne
vallée
de
la
Lahn
;
à
90
km
du
confluent
avec
le
Rhin
;
site
de
carrefour
stratégique
entre
le
Rhin
et
la
Weser.
Le
site
est
voisin
d’un
camp
de
marche,
Dorlar.
Il
s’agit
visiblement
d’un
établissement
conçu
et
placé
en
fonction
d’une
expansion
vers
l’est
et
l’Elbe.
47
On
peut
le
définir
comme
un
d’établissement
mixte.
Il
a
probablement
été
construit
par
l’autorité
militaire,
il
a
été
fortifié,
mais
il
a
un
caractère
civil.
C’est
une
sorte
d’habitat
défensif
:
• enceinte
avec
deux
fossés
;
superficie
7,7
ha,
forme
légèrement
trapézoïdale
;
mur
de
terre
et
bois
;
• système
de
voies
orthogonales
avec
drains
sur
modèle
militaire.
Pour
l’instant
on
n’a
pas
retrouvé
de
casernement.
Les
bâtiments
identifiés
sont
de
type
civil
(tabernae,
horrea,
étables,
maisons)
et
sont
en
bois,
torchis
et
colombage,
conformément
à
la
pratique
des
camps
augustéens
(fondations
en
pierre,
construction
à
colombages).
Au
centre,
il
y
a
une
place
qui
évoque
un
forum
(6).
Au
milieu,
5
fosses
dont
la
fonction
n’est
pas
claire.
On
a
retrouvé
des
fragments
de
bronze
qui
laissent
supposer
la
présence
d’une
ou
plusieurs
statues
équestres,
sans
aucun
doute
Auguste
et
des
membres
de
la
famille
impériale
(Drusus,
Tibère...).
Parmi
le
matériel
retrouvé,
beaucoup
de
poteries
romaines
mais
aussi
des
céramiques
de
tradition
germanique
(environ
20%
du
total).
Il
y
avait
aussi
de
nombreux
autres
objets
appartenant
à
la
culture
germanique,
ce
qui
atteste
des
contacts
étroits
entre
Romains
et
Germains
et
indique
la
présence
de
différents
groupes
ethniques
sur
le
site.
Les
trouvailles
monétaires
permettent
de
dater
une
activité
entre
5
a.C.
et
9
p.C.
(fondation
en
4
a.C.,
abandon
en
9
p.C.).
En
effet,
tout
montre
que
le
site
a
été
abandonné
en
9,
après
la
grande
défaite
de
Teutoburg
(Kalkriese)
qui
a
entraîné
l'évacuation
de
tous
les
territoires
situés
sur
la
rive
droite
du
Rhin.
Un
établissement
mixte
:
de
l’extérieur
il
devait
ressembler
à
un
fort
romain,
mais
à
l’intérieur
un
centre
civil
avec
des
activités
commerciales.
Un
établissement
fait
pour
durer,
cf.
le
forum.
Et
qui
concorde
furieusement
avec
le
témoignage
de
Dion.
On
en
ignore
le
statut
:
établissement
sous
administration
militaire,
cité,
colonie
?
Mais
on
a
l’impression
d’une
sorte
de
poste
avancé,
de
noyau
de
colonisation,
destiné
à
devenir
un
48
centre
urbain
(cf.
en
Gaule
après
César,
Samarobriva…).
Peut-‐être
y
avait-‐il
plusieurs
établissements
de
ce
genre
articulés
en
un
plan
d’ensemble.
Ce
qui
est
fascinant
avec
Waldgirmes
c'est
que
l'on
saisit
le
processus
d'urbanisation/romanisation
alors
qu'il
est
en
cours.
C'est
une
situation
unique
car
en
général,
ces
créations
ont
donné
naissance
à
des
villes
dont
le
développement
ultérieur
a
recouvert
les
traces
romaines
et
les
rend
invisibles.
En
tout
cas,
cela
montre
comment
Rome
procédait
pour
édifier
une
nouvelle
société.
49
Séance
9
INSTITUTIONS
ET
GESTION
URBAINES
(v.
30
a.C.-‐v.
300
p.C.)
A-‐
Types
et
fonctions
urbaines
On
peut
dire
qu’il
existait
trois
types
de
villes
romaines.
—
Les
très
grandes
villes
(mégapoles,
voir
supra),
dont
l’influence
dépasse
largement
le
cadre
de
leur
propre
cité,
étaient
peu
nombreuses
;
en
dehors
de
Rome
et
de
Carthage,
elles
étaient
concentrées
en
Orient
et
devaient
leur
importance
à
des
fonctions
politiques
et
à
de
grandes
fonctions
portuaires.
—
Les
chefs-‐lieux
de
cité
constituaient
l’échelon
déterminant
organisationnel
et
fonctionnel.
—
Les
villes
et
agglomérations
secondaires
étaient
surtout
présentes
dans
les
cités
à
vaste
territoire,
et
donc
dans
les
provinces
occidentales
(Gaules).
Elles
avaient
des
fonctions
économiques
(artisanat
et
marché),
religieuses
et
sociales,
et
parfois
administratives
(notamment
pour
les
uici
et
pagi).
Mais
elles
étaient
soumises
au
chef-‐lieu
et
n’avaient
pas
de
personnalité
civique
propre,
cependant
elles
pouvaient
exercer
des
fonctions
et
comporter
des
éléments
urbains.
À
l’époque
tardive,
notamment
en
Gaule,
certaines
d’entre
elles
supplantèrent
d’anciens
chefs-‐lieux.
Attachons
nous
plus
précisément
aux
chefs-‐lieux
de
cité.
Dans
toute
cité
il
y
a
un
chef-‐lieu
urbain
où
l’on
trouve
généralement
les
édifices
nécessaires
à
la
vie
civique
:
monuments
publics
civils
et
religieux
(forum
ou
agora,
curie
ou
boulè,
basilique,
temples,
marchés)
et
les
édifices
de
loisirs
(thermes,
édifices
de
spectacle).
Ce
centre
civique
est
le
lieu
de
résidence
d’une
grande
partie
des
citoyens
et
des
habitants
de
la
cité.
Y
résident
notamment,
durant
une
grande
partie
de
l’année,
les
aristocrates
qui
dirigent
la
cité.
C’est
aussi
une
agglomération
qui
doit
présenter
un
certain
nombre
de
caractéristiques
propres
à
la
vie
urbaine
:
plan
régulier,
voirie
organisée,
matériaux
(pierre,
marbre,
brique,
tuile),
équipements
et
commodités
(fontaines,
aqueducs,
citernes,
égouts,
portiques).
Le
chef-‐lieu
urbain
exerce
un
certain
nombre
de
fonctions
spécifiques
:
• politique
:
lieu
de
la
gestion
des
affaires
publiques
• sociale
:
concentration
des
élites
dirigeantes
et
d’une
partie
des
citoyens
(d’autant
plus
importante
que
la
cité
est
petite
;
dans
les
grosses
cités
la
proportion
de
la
population
résidant
au
chef-‐lieu
était
moins
importante,
peut-‐être
10%
dans
les
cités
gauloises
contre
40%
en
Afrique
proconsulaire).
• économique
:
consommation
et
commerce
(marchés),
dépenses
(en
particulier
honneurs,
évergétisme,
train
de
vie
des
élites),
production
(constructions,
artisanat),
services.
Les
cités
avaient
également
des
fonctions
administratives
dont
la
gestion
était
concentrée
au
chef-‐lieu.
C'est
un
aspect
qui
sera
examiné
plus
loin
(C).
B-‐
Les
institutions
des
cités
Qu'elles
soient
romaines
ou
pérégrines,
toutes
les
cités
ont
leurs
propres
institutions
et
se
gouvernent
elles-‐mêmes.
50
Même
si
les
institutions
des
cités
étaient
très
loin
d’être
uniformes,
elles
étaient
toutes
caractérisées
par
l’existence
de
trois
organes
;
l’assemblée
du
peuple,
un
conseil,
des
magistrats.
NB
:
quel
était
le
modèle
romain
d’organisation
civique,
par
rapport
à
d’autres
modèles,
(grec
par
exemple)
?
Il
était
double.
—
Au
niveau
du
corps
civique
:
le
peuple
des
citoyens
(populus)
était
organisé
en
unités
de
vote
inégalitaires
(centuries
et
tribus)
selon
des
critères
censitaires
(fondés
sur
la
fortune
foncière).
—
Le
conseil
(sénat)
était
formé
d’anciens
magistrats
et
avait
un
rôle
de
gouvernement,
autant
que
d’assistance
des
magistrats
et
de
préparation
des
votes
de
l’assemblée.
Comme
le
rappelle
la
formule
Senatus
populusque
romanus,
c’était
le
Sénat
qui
exerçait
la
souveraineté
avant
le
peuple.
Les
magistratures
étaient
annuelles,
collégiales
et
hiérarchisées
selon
un
ordre
fixé
par
le
cursus
honorum
local.
Dans
les
cités
de
type
romain,
on
avait
:
• la
questure
(finances)
;
• l’édilité
(entretien
et
surveillance
du
domaine
public)
;
• le
duumvirat
(dirigeants)
;
• tous
les
cinq
ans,
les
duumvirs
quinquennaux
effectuaient
le
recensement
local.
Il
y
avait
de
nombreuses
particularités,
à
l’intérieur
même
du
domaine
de
tradition
romaine.
Par
exemple,
dans
la
plupart
des
municipes
italiens
et
dans
beaucoup
de
colonies
latines,
il
existait
des
collèges
de
quattuorvirs
composés
de
deux
édiles
et
de
deux
duumvirs.
D’autre
part,
dans
un
certain
nombre
de
régions
subsistèrent
des
fonctions
et
des
dénominations
locales
(vergobret
dans
certaines
cités
gauloises,
suffète
en
Afrique,
stratège
en
Grèce).
Les
sénats
locaux
étaient
formés
d’anciens
magistrats
;
ses
décisions
prennent
la
forme
de
décrets.
En
Occident,
ce
sénat
est
souvent
qualifié
d’«
ordre
»
et
ses
membres
sont
nommés
les
décurions,
ou
les
curiales
parce
qu’ils
se
réunissent
dans
la
curie
locales.
En
Orient,
il
était
appelé
la
boulè,
et
ses
membres
les
bouleutes.
Son
effectif
est
fixé
par
la
loi
locale
et
variait
en
fonction
de
l’importance
de
la
cité
(souvent
autour
de
100,
600
à
Athènes).
Le
peuple
des
citoyens
(populus/dèmos)
était
réuni
en
unités
de
vote
(curies
ou
tribus).
Sa
principale
fonction
était
d’élire
les
magistrats.
Il
semble
qu’à
la
fin
du
Ier
siècle,
ces
élections
étaient
encore
effectives.
On
peut
en
juger
d’après
:
• les
graffiti
électoraux
de
Pompéi
qui
attestent
de
la
réalité
de
la
vie
électorale
• la
lex
Irnitana
qui
montre
une
compétence
réelle
du
peuple
(cf.
Livret).
Il
y
a
cependant
un
débat
sur
ce
point
entre
les
historiens
qui
supposent
un
maintien
de
la
participation
du
peuple
à
la
vie
politique
et
ceux
qui
postulent
au
contraire
son
effacement,
réduit
à
un
rôle
simplement
acclamatif.
Tous
sont
cependant
à
peu
près
d’accord
pour
souligner
deux
choses
:
• le
peuple
était
de
toute
façon
placé
sous
un
étroit
contrôle
des
magistrats
et
du
conseil
;
l’exemple
des
élections
est
significatif,
et
d’autant
plus
qu’il
constituait
l’acte
essentiel
de
l’intervention
du
peuple
dans
la
vie
publique
;
• le
vote
n’était
pas
par
tête
mais
par
unités
de
vote,
ce
qui
atténuait
les
effets
de
masse
et
assurait
une
représentativité
plus
grande
aux
plus
riches.
En
outre,
le
président
de
l’assemblée
avait
le
droit
de
retenir
ou
d’écarter
les
candidats
aux
magistratures,
et
même
d’en
désigner
s’il
n’y
en
avait
pas
assez.
51
Cependant,
le
peuple
pesait
sous
la
forme
de
l’opinion
publique
qui
s’exprimait
au
forum
ou
lors
des
spectacles.
Il
pouvait
donc
constituer
un
groupe
de
pression,
voire
arbitrer
certaines
situations,
mais
le
pouvoir
était
détenu
par
les
élites
locales,
qui
se
considéraient
et
étaient
considérées
comme
les
dirigeants
légitimes
et
naturels
des
cités.
C-‐
Gérer
la
ville
:
principes,
acteurs,
moyens
La
gestion
des
villes
recouvrait
plusieurs
domaines
d’intervention,
certains
relevant
de
la
nécessité
et
d’autres
de
l’agrément
et
du
loisir.
Ces
deux
principes
sont
consubstantiels
de
la
civilisation
urbaine
antique.
—
Les
domaines
d’intervention
L’approvisionnement
Problème
crucial,
surtout
pour
le
blé
et
aussi
pour
l’huile.
Il
existait
dans
certaines
cités
une
organisation
annonaire
:
la
cité
se
procurait
des
produits
de
première
nécessité
qu’elle
distribuait
ensuite
à
une
partie
de
ses
citoyens
(à
Rome,
environ
200
000
citoyens
étaient
bénéficiaires).
Ce
système
pouvait
être
permanent
ou
limité
à
des
épisodes
de
pénurie.
Dans
la
plupart
des
cités,
il
y
avait
des
magistrats
spécialisés
(édiles,
agoranomes,
eleônai).
Leur
rôle
est
d’abord
de
veiller
à
ce
que
les
prix
restent
à
un
niveau
raisonnable
et
donc
de
lutter
contre
la
spéculation
qui
était
fréquente,
notamment
en
cas
de
disette.
Les
gros
propriétaires
et
les
intermédiaires
avaient
en
effet
tendance
à
accaparer
les
stocks
pour
faire
monter
les
prix
et
vendre
à
prix
élevé.
Les
cités
avaient
dans
ce
cas
plusieurs
moyens
d’intervenir
:
• fixation
d’un
prix
maximum
(mais
ne
règle
pas
la
question
de
l’accaparement)
• création
d’un
fonds
spécial
alimenté
par
des
prêts
obligatoires
de
gens
fortunés
ou
des
fondations
évergétiques
;
les
sommes
sont
placées
et
dégagent
un
intérêt
qui
sert
à
acheter
du
blé
sur
un
marché
extérieur
et
à
le
distribuer
ou
le
mettre
en
vente
à
bon
marché
pour
faire
baisser
les
prix
• intervention
personnelle
du
magistrat
qui
achète
du
blé,
y
compris
sur
ses
biens.
Parfois,
comme
à
Antioche
de
Pisidie
en
92
p.C.,
c’est
le
gouverneur
qui
intervient
pour
fixer
un
prix
maximum.
Les
magistrats
devaient
aussi
contrôler
les
prix,
les
poids
et
mesures,
et
éventuellement
veiller
à
la
qualité
des
produits.
La
gestion
de
l’eau
La
présence
d’un
réseau
de
fontaines
et
d’un
approvisionnement
suffisant
pour
les
installations
collectives
que
sont
les
thermes
et
gymnases
est
un
des
signes
majeurs
de
la
personnalité
urbaine
et
ce
qui
distingue
une
ville
d’un
simple
village.
C’est
une
des
réalisations
favorites
des
évergètes.
Pour
cela,
il
était
nécessaire
d’aménager
des
citernes
et
surtout
des
aqueducs,
parfois
sur
des
trajets
de
dizaines
de
kilomètres.
Cette
«
grande
hydraulique
»
est
évidemment
très
coûteuse.
L’empereur
intervient
parfois,
au
moins
pour
une
partie
du
financement,
comme
à
Carthage
en
Afrique,
à
Ilion
en
Troade,
ou
encore,
vraisemblablement,
à
Nîmes
en
Gaule
(le
Pont
du
Gard),
mais
le
plus
souvent
c’est
la
cité
elle-‐même
et
les
évergètes
qui
financent
cet
investissement.
À
côté
de
l’aspect
pratique,
il
entrait
évidemment
une
part
importante
de
prestige
dans
ces
réalisations.
52
Dans
la
ville,
il
faut
aussi
installer
et
entretenir
un
réseau
de
châteaux
d’eau,
de
canalisations
et
d’adductions
aux
bâtiments
publics,
aux
fontaines,
et
aux
maisons
des
riches
particuliers
(cf.
Pompéi).
Cf.
deux
documents
épigraphiques
sur
l’alimentation
hydraulique
en
Gaule
Aquitaine
1-‐
Don
d’équipements
hydrauliques
aux
habitants
de
Burdigala
(Bordeaux,
Gironde)
Corpus
des
inscriptions
latines
(CIL),
XIII,
596-‐600
;
L.
Maurin
et
M.
Navarro
Caballero,
Inscriptions
latines
d’Aquitaine
(ILA),
Bordeaux,
Bordeaux,
2010,
n°
38-‐41b.
Cinq
plaques
calcaires
identiques
portant
le
même
texte.
Datation
:
époque
julio-‐claudienne,
règnes
de
Tibère
ou
Claude.
Texte
:
«
Caius
Julius
Secundus,
préteur,
a
donné
par
testament
les
adductions
d’eau
au
prix
de
deux
millions
de
sesterces.
»
2-‐
Dédicace
d’un
aqueduc
à
Augustoritum
(Limoges,
Haute-‐Vienne)
Année
épigraphique,
1989,
521.
er
Plaque
de
granit
percée
d’un
trou.
Datation
:
premier
tiers
du
I
siècle
après
J.-‐C.
Texte
:
«
Postumus,
fils
de
Dumnorix,
vergobret,
a
offert,
de
ses
deniers,
(l’aqueduc)
de
l’aqua
Marcia
(…).
»
L’entretien
de
la
voirie
et
l’assainissement
(égouts)
font
aussi
partie
des
attributions
des
magistrats,
de
même
que
la
fixation
et
le
respect
des
règles
d’urbanisme.
Les
décharges
publiques
à
la
sortie
des
villes
étaient
interdites,
y
compris
l’abandon
de
cadavres
(Rome).
Dans
la
réalité,
ces
prescriptions
étaient
sans
doute
loin
d’être
respectées
et
l’aspect
des
villes
ne
devait
pas
être
toujours
reluisant.
L’aménagement
et
l’entretien
des
édifices
publics
est
un
autre
aspect
important
de
la
gestion
urbaine.
Édifices
de
loisir
et
d’agrément
:
théâtres,
odéons,
gymnases,
palestres,
bibliothèques,
portiques
;
thermes,
stades,
cirques,
amphithéâtres…
Tous
ces
édifices
constituaient
la
parure
à
laquelle
toutes
les
agglomérations
prétendaient,
parce
qu’elles
étaient
la
marque
de
l’appartenance
au
monde
de
la
ville
et
à
la
civilisation.
Les
habitants
étaient
prêts
à
consentir
d’énormes
efforts
pour
cela.
53
C’est
pour
cette
raison
que
ces
édifices
sont
très
nombreux,
y
compris
dans
les
petites
villes.
Leur
entretien
devait
représenter
une
charge
importante
que
les
cités
n’étaient
d’ailleurs
pas
toujours
capables
d’assumer.
L’évergétisme
jouait
là
aussi
un
rôle
important.
Il
était
assez
courant
d’ailleurs
que
de
grands
programmes
surdimensionnés
soient
lancés
et
demeurent
inachevés
faute
de
financement.
Pline
en
donne
plusieurs
exemples
en
Bithynie
(les
bains
de
Claudiopolis
;
le
théâtre
de
Nicée).
En
Occident,
on
peut
citer
la
basilique
de
Bavay
dans
le
nord
de
la
Gaule,
dont
la
construction
ne
fut
pas
menée
à
terme.
Ces
investissements
avaient
certes
pour
avantage
de
donner
du
travail
à
de
nombreux
corps
de
métier,
mais
ils
n’étaient
évidemment
pas
productifs
(cf.
P.
Gros
:
«
pétrification
des
richesses
»).
Ils
relevaient
de
l’agrément
de
la
vie
urbaine
(amœnitas).
Les
bâtiments
à
usage
économique,
comme
les
marchés,
les
installations
portuaires
ou
les
entrepôts,
n’étaient
cependant
pas
rares,
et
certains
pouvaient
atteindre
des
dimensions
colossales
(les
entrepôts
de
Rome
et
aussi
Vienne,
Isère),
mais
ils
sont
moins
connus
car
ils
ont
laissé
moins
de
traces
dans
l’épigraphie.
Il
en
allait
de
même
pour
les
programmes
de
construction
d’habitat,
de
boutiques
et
d’ateliers.
Ils
accompagnaient
souvent
les
grands
programmes
d’aménagement
et
servaient
à
les
rentabiliser
avec
des
constructions
de
rapport.
Mais
ce
n’était
pas
l’élément
qui
était
mis
en
avant
dans
les
grandes
inscriptions
que
l’on
faisait
graver
pour
commémorer
ces
opérations.
Les
spectacles
Il
en
existe
de
nombreuses
catégories.
Ils
ont
comme
point
commun
d’être
presque
toujours
organisés
à
l’occasion
de
fêtes
publiques
ou
d’événements
collectifs
(fêtes
religieuses,
entrée
en
fonction
de
magistrats,
avènement
d’un
empereur,
célébrations
du
culte
impérial…)
:
• concours
musicaux,
gymniques
• spectacles
de
théâtre
et
de
danse,
récitations,
conférences,
mimes
• jeux
de
l’amphithéâtre
:
combats
de
gladiateurs,
chasses
et
batailles
reconstituées
• courses
de
chars
Dans
tous
ces
spectacles,
le
rôle
de
l’évergétisme
est
essentiel.
La
sécurité
publique
L’État
impérial
ne
dispose
pas
de
forces
de
police,
en
dehors
de
la
garnison
de
Rome
(prétoriens,
vigiles)
et
des
cohortes
urbaines
de
Lyon
et
Carthage.
Quant
à
l’armée,
elle
est
stationnée
pour
l’essentiel
sur
les
frontières.
Ce
sont
donc
les
cités
qui
assument
cette
fonction.
Selon
les
cas,
l’importance,
et
les
moyens
des
cités,
il
y
avait
pour
cela
des
magistrats
particuliers
:
préfets
en
Occident,
irénarques
en
Orient,
qui
commandaient
des
forces
de
police
composées
d’esclaves
ou
d’affranchis
publics.
Parfois,
il
existait
des
unités
plus
importantes
pour
lutter
contre
le
brigandage
et
traquer
les
esclaves
fugitifs.
Des
associations
d’habitants
jouaient
aussi
un
rôle
et,
dans
les
campagnes,
on
avait
souvent
à
pourvoir
à
sa
propre
sécurité.
L’enseignement
Là
encore
selon
leurs
moyens
et
aussi
le
degré
de
standing
auquel
elles
prétendaient,
les
cités
pouvaient
entretenir
des
installations
et
payer
des
«
fonctionnaires
».
Des
écoles
existaient
avec
des
maîtres
de
grammaire,
rhétorique,
philosophie.
Dans
le
monde
grec,
cet
enseignement
se
faisait
plus
spécialement
dans
le
cadre
du
gymnase
et
il
s’y
joignait
un
entraînement
sportif.
Ces
activités
étaient
surtout
destinées
aux
rejetons
des
familles
aisées.
54
Il
pouvait
exister
un
enseignement
de
type
universitaire,
surtout
si
un
évergète
y
pourvoyait
comme
Pline
dans
sa
cité
de
Côme.
On
pouvait
alors
essayer
de
faire
venir
des
maîtres
réputés
ou
des
intellectuels
en
vue.
Des
villes
étaient
connues
pour
la
qualité
de
leur
enseignement
:
• en
Orient,
Rhodes,
Tarse,
Athènes,
Alexandrie,
Pergame
(médecine)…
• en
Occident
:
Autun,
Marseille,
Bordeaux…
Les
cités
pouvaient
encore
fournir
d’autres
services
comme
des
médecins
consultant
gratuitement.
—
Les
moyens
Toutes
les
cités
avaient
leur
trésor
public,
gérés
par
des
magistrats.
Il
était
alimenté
par
les
taxes
municipales
(douanes,
péages,
taxes
sur
les
étrangers,
les
activités
professionnelles…),
les
revenus
des
locations
de
terres
publiques,
des
carrières
et
des
mines
—
lorsqu’elles
en
possédaient
—
,
les
amendes.
Les
cités
disposaient
donc
de
revenus
propres,
qui
leur
permettaient
de
faire
face
à
une
partie
de
leurs
dépenses.
Mais
ce
n’était
pas
suffisant
et
il
était
nécessaire
de
recourir
à
d’autres
sources
de
financement.
Un
autre
élément
important
du
financement
des
cités
résidait
dans
le
système
des
liturgies
ou
munera
(infra
séance
11).
Cela
consistait
à
désigner
un
responsable
pour
chaque
dépense
publique,
par
exemple
le
financement
d’une
fête
ou
d’un
spectacle,
la
levée
d’une
contribution,
un
approvisionnement,
la
réparation
d’un
édifice,
etc.
Bien
sûr,
ces
charges
pesaient
sur
les
plus
riches,
qui
étaient
ainsi
mis
à
contribution
pour
l’entretien
et
le
fonctionnement
de
la
cité,
et
c’était
donc
une
forme
à
peine
déguisée
d’imposition
directe.
Les
notables
avaient
vis-‐à-‐vis
de
ces
charges
une
attitude
ambivalente
:
d’une
part
ils
s’en
plaignaient
et
cherchaient
éventuellement
à
s’en
faire
exempter,
ce
qui
obligea
le
pouvoir
impérial
à
avoir
recours
à
la
contrainte,
d’autre
part
ils
s’en
glorifiaient
et
rivalisaient
les
uns
avec
les
autres
à
qui
ferait
le
plus
et
le
mieux
pour
sa
cité.
La
contribution
honoraire
(summa
honoraria)
versée
par
les
magistrats
à
leur
entrée
en
charge
(infra,
séance
11)
participaient
du
même
principe.
De
la
même
manière,
l’évergétisme
(infra,
séance
11)
était
aussi
un
moyen
de
financement
de
la
cité.
On
désigne
par
ce
néologisme
le
pratique
par
laquelle
des
individus
(évergètes)
manifestaient
leur
générosité
envers
leur
communauté,
par
des
dons
et
des
bienfaits
(évergésies).
Il
se
rapprochait
donc
des
liturgies,
à
la
différence
près
qu’il
était
volontaire,
même
s’il
était
soumis
à
une
pression
sociale,
car
on
attendait
des
riches
qu’ils
consacrent
ainsi
une
partie
de
leur
fortune
à
la
collectivité.
Les
cités
pouvaient
aussi
recourir
à
des
souscriptions
publiques
(là
aussi
surtout
auprès
des
riches)
pour
faire
face
à
des
charges
exceptionnelles,
ou
à
l’emprunt.
Dans
les
derniers
temps
de
l’époque
hellénistique,
nombre
de
cités
abusèrent
de
cette
dernière
pratique
et
se
mirent
en
situation
de
surendettement,
ce
qui
conduisit
les
autorités
romaines
à
encadrer
très
strictement
l’emprunt
par
les
cités,
le
rendant
quasiment
impossible.
Durant
l’Empire
romain,
les
cités
connurent
souvent
des
situations
financières
difficiles,
surtout
lorsqu’elles
se
laissaient
entraîner
à
des
dépenses
d’aménagement
excessives
que
leurs
finances
propres
ne
pouvaient
couvrir
et
que
la
fortune
de
leurs
riches
citoyens
ne
suffisait
pas
non
plus
à
éponger.
C’est
pour
cette
raison
que
le
pouvoir
impérial
se
préoccupa
assez
tôt,
dès
la
fin
du
Ier
siècle
de
remédier
à
cette
situation
(infra,
séance
10).
55
Séance
10
LES
CITÉS
ET
L’EMPIRE
(v.
30
a.C.-‐v.
300
p.C.)
A-‐
Le
pouvoir
impérial
et
les
cités
Quels
étaient
les
rapports
entre
le
pouvoir
impérial
sur
les
cités
?
L’historiographie
a
beaucoup
évolué
sur
cette
question
depuis
la
fin
du
XXe
siècle.
La
vision
traditionnelle
est
héritée
de
Mommsen,
mais
aussi
de
Guizot,
Duruy
et
Lavisse
(contra
toutefois
Fustel
de
Coulanges
et
Jullian).
Elle
repose
sur
l’idée
selon
laquelle
l’autonomie
des
cités
aurait
connu
sous
la
domination
romaine
une
longue
agonie,
provoquée
par
quatre
facteurs.
• La
décadence
des
institutions
municipales
elles-‐mêmes.
• La
centralisation
constante,
amenant
le
pouvoir
impérial,
de
la
République
à
l’Empire
à
battre
en
brèche
les
lois
locales
pour
imposer
ses
propres
règlements
et
ses
administrateurs.
C’est
une
idée
corollaire
de
celle
qui
envisage
l’histoire
de
l’Empire
romain
à
travers
le
prisme
du
développement
constant
de
l’absolutisme
et
le
passage
du
Principat
au
Dominat.
• Le
désordre
et
l’état
déplorable
des
finances
de
beaucoup
de
cités,
obligées
de
s’en
remettre
à
l’intervention
du
pouvoir
central.
• La
démission
des
élites
locales,
qui
auraient
été
de
plus
en
plus
réticentes
à
accomplir
les
fonctions
qui
étaient
traditionnellement
les
leurs
;
devant
l’accroissement
de
leurs
charges,
elles
n’auraient
pas
été
mécontentes
de
s’en
remettre
au
pouvoir
central
et
in
fine,
de
se
replier
sur
les
campagnes.
Au
bout
du
compte,
cette
lente
et
irréversible
décadence
des
cités
serait
une
des
clés
de
la
disparition
de
l’Empire
romain
et
de
la
fin
du
monde
antique.
Depuis
les
travaux
d’historiens
tels
que
Claude
Lepelley
et
François
Jacques,
cette
vision
a
été
considérablement
nuancée.
Tout
d’abord,
elle
ne
correspond
pas
à
la
vision
qui
se
dégage
des
sources
épigraphiques
et
aussi
juridiques,
qui
montrent
au
contraire
le
maintien
de
la
vitalité
de
la
vie
municipale
jusqu’au
IVe
siècle,
en
particulier
dans
certaines
régions
(Afrique).
Ensuite,
il
faut
insister
sur
le
fait
que
si
l’impérialisme
romain
s'est
traduit
évidemment
par
la
perte
de
la
politique
extérieure
et
d’une
partie
de
la
juridiction
(notamment
les
causes
impliquant
des
citoyens
romains)
et
aussi
par
l'assujettissement
à
des
charges
fiscales,
les
cités
ont
toujours
conservé
leurs
institutions
et
la
gestion
de
leurs
affaires,
continuant
de
désigner
leurs
propres
administrateurs,
et
conservant
la
possibilité
de
traiter
directement
avec
Rome
et
avec
l’empereur.
Il
faut
rappeler
enfin
qu'aucune
instance
du
pouvoir
central
n’avait
compétence
en
théorie
pour
intervenir
dans
les
affaires
internes
des
cités
d’Italie
et
dans
les
communautés
provinciales
privilégiées
(colonies
et
municipes
romains/latins,
cités
fédérées
et
libres).
Pour
les
autres
cités
provinciales,
le
gouverneur
en
avait
théoriquement
le
pouvoir,
mais
c’était
matériellement
impossible
en
raison
de
leur
nombre
même
qui
s’opposait
à
un
contrôle
régulier.
À
partir
du
début
du
IIe
siècle
cependant,
la
situation
financière
délicate
d’un
certain
nombre
de
cités,
et
l’incapacité
des
magistrats
et
conseils
locaux
de
maîtriser
les
budgets
et
les
dossiers
de
comptes
et
de
contrôle
des
fonds
et
biens
publics,
amenèrent
l’empereur
à
désigner
des
chargés
de
mission,
aux
titres
et
fonctions
variées.
56
Par
exemple
Pline
reçut
de
Trajan
une
mission
de
ce
genre
en
Bithynie,
en
tant
que
légat
(cf.
Livret).
Toutefois,
la
fonction
la
plus
courante
à
laquelle
le
pouvoir
impérial
eut
recours
fut
celle
de
curateur
(en
grec
logistès)
de
cité.
Il
faut
bien
noter
cependant
qu’ils
ne
constituaient
pas
un
rouage
administratif
permanent,
mais
des
chargés
de
mission
ponctuels,
dont
la
désignation
demeura
irrégulière
jusqu’au
IIIe
siècle.
Pour
Mommsen
et
ses
élèves,
les
curateurs
symbolisent
le
développement
de
la
monarchie
centralisatrice
étouffant
l’autonomie
municipale,
et
traduisent
le
début
du
déclin
des
cités,
lié
à
l’incapacité
et
à
la
démission
des
notables.
Or,
les
études
récentes
ont
radicalement
remis
en
cause
cette
idée.
Ni
l’origine,
ni
les
prérogatives
des
curateurs
ne
les
prédisposaient
à
être
les
fossoyeurs
de
l’autonomie
municipale.
C’étaient
des
notables
très
liés
eux-‐mêmes
aux
intérêts
des
cités.
Leur
rôle
était
seulement
consultatif
et
incitatif.
Ils
étaient
de
toute
façon
trop
peu
nombreux
et
trop
irrégulièrement
nommés
pour
se
substituer
aux
autorités
locales.
Leur
désignation
était
d’abord
une
réponse
aux
problèmes
financiers
des
cités,
dont
l’empereur
devait
se
préoccuper
parce
qu’il
se
devait
de
maintenir
les
conditions
de
la
prospérité
dans
les
communautés,
dans
leur
intérêt
et
aussi
dans
celui
de
l’Empire.
B-‐
Le
rôle
des
cités
dans
le
fonctionnement
de
l'Empire
En
effet,
il
faut
voir
que
les
cités
contribuaient
dans
une
large
mesure
au
fonctionnement
administratif
de
l’Empire.
—
Elles
assuraient
le
recensement
(sous
la
supervision
des
grands
censiteurs
impériaux)
l'établissement
et
la
perception
des
impôts
pesant
sur
les
provinciaux
(les
tributs).
—
Elles
fournissaient
des
recrues
et
assuraient
l'ensemble
des
activités
de
police
et
de
maintien
de
l'ordre,
sous
le
contrôle
des
autorités
romaines.
—
Elles
prenaient
en
charge
toutes
les
affaires
de
justice
de
première
instance
et
l'essentiel
de
la
juridiction
civile
et
criminelle
dans
les
provinces.
Seules
les
affaires
importantes
et/ou
sensibles,
et
celles
mettant
en
cause
des
citoyens
romains
remontaient
au
gouverneur
et
éventuellement
à
l'empereur.
En
fait,
l'Empire
romain
fonctionne
comme
un
système
à
deux
niveaux
:
• l’administration
romaine
forme
une
superstructure
de
gouvernement
• elle
prend
appui
sur
le
réseau
très
dense
des
communautés
locales,
les
cités,
qui
sont
les
cellules
de
base
de
l'Empire
et
constituent
une
infrastructure
locale
de
fonctionnement,
un
relais
entre
le
pouvoir
central
et
la
multitude
des
habitants
de
l'Empire.
Pour
assurer
ce
rôle
de
relais
entre
le
pouvoir
romain
et
les
habitants,
les
cités
devaient
être
stables
et
saines,
et
le
pouvoir
central
devait
y
veiller.
C'est
pourquoi
les
empereurs
ont
toujours
protégé
et
développé
les
cités.
Ils
n'ont
jamais
renoncé
à
en
créer
de
nouvelles
lorsque
cela
paraissait
nécessaire.
Et,
comme
on
l'a
vu
plus
haut,
ils
se
sont
préoccupés
de
leur
situation
financière.
Cf.
Lettre
impériale
organisant
une
cité
à
Tymandus
en
Pisidie
(ILS,
6090)
(Datation
inconnue
[IIIe
ou
IVe
siècle
?].
Le
début
manque
et
les
premières
lignes
sont
très
mutilées)
57
...
nous
avons
constaté,
très
cher
Lepidus,
que
les
Tymandéniens
souhaitent,
avec
un
désir
puissant,
et
même
une
ardeur
extrême,
obtenir
par
notre
injonction
le
droit
et
la
dignité
de
cité.
Comme,
pour
nous,
il
est
naturel
que
l'honneur
et
le
nombre
des
cités
soient
accrus
dans
l'ensemble
de
notre
monde
et
comme
nous
voyons
qu'ils
désirent
d'une
manière
sortant
de
l'ordinaire
le
titre
et
l'honorabilité
de
cité,
nous
avons
cru
bon
d'accepter,
surtout
qu'ils
promettent
qu'il
y
aura
chez
eux
une
quantité
suffisante
de
décurions.
C'est
pourquoi
nous
voulons
que
tu
t'occupes
à
exhorter
ces
mêmes
Tymandéniens,
maintenant
que
leur
désir
a
été
exaucé,
à
ce
qu'ils
s'efforcent,
par
obéissance,
d'accomplir
avec
nos
autres
cités
les
devoirs
liés
au
droit
de
cité.
Donc,
comme
dans
les
autres
cités,
ils
ont
le
droit
de
se
réunir
en
curie,
de
prendre
des
décrets,
de
faire
toutes
les
autres
choses
que
le
droit
permet
ainsi
que
tout
ce
qui
peut
être
accompli
avec
notre
permission.
Ils
devront
créer
des
magistrats,
ainsi
que
des
édiles
et
aussi
des
questeurs,
et
si
d'autres
choses
sont
nécessaires,
qu'elles
soient
faites.
Il
conviendra
de
sauvegarder
à
toujours
cet
ordre
des
choses
pour
le
bien
de
la
cité.
Pour
l'instant,
tu
devras
désigner
50
hommes
comme
décurions.
La
faveur
des
dieux
immortels
leur
concédera
de
pouvoir
en
avoir
une
plus
grande
quantité
une
fois
leurs
forces
et
leur
nombre
accrus.
C'est
aussi
la
raison
pour
laquelle
là
où
les
Romains
ne
trouvèrent
pas
de
cités,
au
cours
de
leur
processus
de
conquête,
ils
les
développèrent,
voire
les
créèrent
de
toutes
pièces.
La
cité
fut
donc
le
modèle
imposé
et
proposé
par
Rome
à
ceux
qui
ne
la
connaissaient
pas,
et
le
plus
souvent
ils
l’acceptèrent,
et
même
le
sollicitèrent.
La
cité
fut
donc
un
puissant
cadre
et
instrument
d’intégration.
58
Séance
11
POUVOIR
POLITIQUE
ET
CONTRÔLE
SOCIAL
DANS
LES
CITÉS
(v.
30
a.C.-‐v.
300
p.C.)
Qui
détenait
le
pouvoir
dans
les
cités
?
Sur
quelles
bases
politiques
mais
aussi
sociales
et
idéologiques
reposait-‐il
?
D’une
manière
générale,
la
participation
à
la
vie
politique
de
la
cité
variait
selon
le
statut
et
la
place
dans
la
hiérarchie
sociale.
Elle
ne
concernait
bien
sûr
que
les
citoyens
et
excluait
les
esclaves,
les
étrangers,
(sauf
les
incolae
=
résidents
domiciliés).
Parmi
les
citoyens,
elle
concernait
les
hommes
plus
que
les
femmes
(pas
de
droit
de
vote
ni
d’accès
aux
magistratures
;
peu
de
participation
aux
affaires
judiciaires
;
une
intervention
plus
importante
en
revanche
dans
la
vie
religieuse
municipale
par
l’appartenance
à
certains
collèges).
Fondamentalement,
ce
sont
les
élites
qui
détiennent
et
exercent
l’essentiel
du
pouvoir
dans
les
cités,
et
l’on
peut
même
qualifier
l’esprit
des
institutions
civiques
d’aristocratique.
C’est
dans
cette
perspective
qu’il
faut
situer
le
rôle
essentiel
tenu
par
le
phénomène
de
l’évergétisme,
qui
est
un
moyen
de
gouvernement
et
de
contrôle
social
en
même
temps
qu’une
forme
de
légitimation
politique.
A-‐
Les
notables
La
vie
civique
était
dominée
par
une
élite
sociale
qui
était
juridiquement
constituée
en
un
ordo,
décurions
en
Occident,
bouleutes
en
Orient.
Les
critères
de
leur
recrutement
englobaient
la
fortune,
la
naissance,
l’honorabilité
et
la
notoriété.
Leur
statut
était
généralement
viager.
Ils
étaient
classés
sur
une
liste,
l’album,
qui
était
révisée
lors
du
census
tous
les
cinq
ans.
Le
caractère
héréditaire
de
cette
élite
fut
de
plus
en
plus
marqué.
La
fortune
était
un
élément
essentiel
et
plus
encore
la
nature
de
cette
fortune
qui
devait
être
foncière.
La
terre
était
en
effet
un
signe
de
dignitas.
C’était
aussi
le
meilleur
moyen
de
garantir
la
solvabilité
des
magistrats,
qui
étaient
responsables
sur
leurs
biens
de
l’argent
public
qui
leur
était
confié.
On
rappellera
aussi
que
les
magistrats
élus
devaient
acquitter
une
somme
dite
honoraire
ou
légitime
en
prenant
leurs
fonctions
(summa
honoraria).
Dans
les
petites
cités
cette
somme
était
relativement
modeste,
mais
dans
les
plus
grandes
elle
pouvait
atteindre
plusieurs
dizaines
de
milliers
de
sesterces.
Cela
excluait
les
pauvres
mais
aussi
les
marchands
et
les
artisans
qui
n’avaient
qu’une
fortune
mobilière.
Le
seuil
censitaire
variait
selon
les
cités.
On
connaît
celui
de
Côme,
cité
par
Pline
:
100
000
sesterces,
mais
il
ne
donne
qu’un
ordre
d’idée.
Beaucoup
de
cités
ne
pouvaient
exiger
un
tel
niveau
de
richesse,
et
inversement
le
cens
exigé
dans
de
grandes
cités
devait
être
beaucoup
plus
élevé
et
équivaloir
au
cens
équestre.
La
nature
foncière
de
la
fortune
des
notables
municipaux
fait
qu’il
est
impropre
de
les
qualifier,
comme
on
le
fait
parfois,
de
«
bourgeoisie
municipale
».
Le
terme
de
«
notables
»
est
préférable.
Quelques
remarques
doivent
encore
être
faites
à
propos
de
ces
notables,
dont
le
rôle
était
essentiel
dans
la
vie
de
l’Empire,
et
qui
nous
sont
connus
par
une
importante
documentation
épigraphique.
D’abord
concernant
leur
composition.
59
• En
Italie,
il
y
a
eu
un
certain
renouvellement
au
moment
des
guerres
civiles.
• Dans
les
provinces,
les
élites
d’origine
locale,
qui
ont
accepté
de
coopérer
avec
le
pouvoir
romain,
restent
en
place.
Elles
sont
confortées
par
le
pouvoir
romain
qui
s’appuie
sur
elles
tant
qu’elles
acceptent
et
relaient
le
principe
de
la
domination
romaine.
• Dans
les
colonies,
elles
coexistent
avec
les
élites
qui
sont
installées
par
le
droit
du
vainqueur,
et
finissent
le
plus
souvent
par
se
mélanger.
Ensuite
concernant
leur
hiérarchie
:
il
existe
plusieurs
strates
dans
ces
élites.
Au
sommet,
on
trouve
des
grands
notables
locaux
dont
certains
sont
sénateurs
et
chevaliers
romains.
Souvent,
ces
sénateurs
«
provinciaux
»
étaient
issus
de
familles
italiennes
qui
avaient
émigré
au
cours
des
générations
précédentes.
On
a
ensuite
des
notables
de
niveau
intermédiaire,
et/ou
des
notables
de
cités
moyennes.
C’était
ce
milieu
qui
constituait
un
des
viviers
de
recrutement
de
l’ordre
équestre.
Il
y
avait
ici
deux
situations
possibles
:
• notable
en
fin
de
carrière
municipale
qui
reçoit
avec
le
brevet
équestre
une
sorte
de
«
bâton
de
maréchal
»,
et
passe
le
relais
à
ses
fils
• jeune
notable
qui
se
lance
dans
une
carrière
équestre.
Au
niveau
inférieur,
il
y
a
les
petits
notables
et
les
notables
des
petites
cités.
B-‐
L’évergétisme
—
Généralités
Toujours
dans
l’idée
de
comprendre
l’esprit
du
système,
il
faut
aussi
essayer
d’en
définir
les
fondements
politiques
et
idéologiques.
Le
pouvoir
des
notables
était
à
la
fois
politique,
économique,
social
et
culturel.
Il
ne
reposait
pas
tant
sur
la
contrainte
(d’ailleurs,
il
y
avait
peu
de
moyens
pour
cela)
que
sur
son
acceptation
par
le
peuple.
Cette
acceptation,
concordia,
consensus
ou
homonoia
dans
les
cités
grecques,
reposait
elle-‐même
sur
un
certain
nombre
de
conditions.
Les
citoyens
attendaient
que
les
magistrats
puissent
leur
éviter
la
famine
et
l’insécurité,
autant
vis-‐à-‐vis
des
troubles
et
atteintes
à
l’ordre
public,
que
vis-‐à-‐vis
du
pouvoir
impérial
et
de
ses
représentants
(abus
de
pouvoir).
Ils
attendaient
aussi
qu’ils
pourvoient
à
un
certain
nombre
d’aménagements
aptes
à
leur
apporter
les
bienfaits
de
la
vie
civilisée
(aqueducs,
thermes,
fontaines
;
édifices
de
loisirs
et
de
spectacle).
Cette
mission
dévolue
aux
magistrats,
et
de
manière
générale
aux
notables,
pouvait
être
remplie
dans
le
cadre
de
leurs
attributions
institutionnelles.
Elle
l’était
aussi
dans
celui
des
munera
ou
liturgies
(supra
séance
9),
c’est-‐à-‐dire
des
charges
qui
incombaient
aux
citoyens,
en
particulier
aux
plus
riches
d’entre
eux,
en
raison
et
en
proportion
de
leur
richesse.
Par
exemple
:
• ambassades
auprès
du
gouverneur
ou
à
Rome
• défense
de
la
cité
dans
des
procès
• responsabilité
sur
leur
fortune
de
la
réalisation
des
travaux
publics
• responsabilité
de
charges
impériales
:
levée
des
impôts,
entretien
des
routes
et
du
cursus
publicus
(service
de
transport
de
l’État).
Cette
mission
se
faisait
aussi,
plus
largement,
dans
le
cadre
de
l’évergétisme.
Une
partie
de
la
fortune
des
aristocrates
était
destinée
à
être
dépensée
sous
la
forme
de
bienfaits
pour
la
60
collectivité,
pour
manifester
la
supériorité
de
leur
statut
social
et
acquérir
la
gloire
civique
sous
la
forme
d’honneurs
dédiés
par
la
communauté.
On
peut
donc
définir
l’évergétisme
comme
«
un
modèle
aristocratique
particulier
qui
visait
l’obtention
d’un
consensus
civique
par
un
usage
original
des
surplus
de
la
rente
foncière
»
(H.
Inglebert).
On
évoque
souvent
l’expression
panem
et
circenses
à
propos
de
l’évergétisme,
mais
sans
toujours
la
comprendre.
En
fait,
il
ne
s’agit
pas
tant
de
dépolitiser
le
peuple
en
l’achetant
par
du
pain
et
des
jeux,
que
de
renforcer
le
consensus
qui
fonde
la
légitimité
du
pouvoir
(dans
le
cadre
spécifique
de
la
plèbe
romaine,
il
s’agit
aussi
de
verser
sous
cette
forme
au
peuple-‐roi
la
rente
qui
lui
revient).
Il
faut
bien
différencier
l’évergétisme
du
clientélisme
(destiné
aux
dépendants),
du
mécénat
(artistes),
et
de
la
charité
(pauvres).
Il
y
avait
plusieurs
formes
d’évergésies
:
• matérielles
:
constructions,
réfections
(thermes,
fontaines,
édifices
de
spectacle
et
de
jeux)
• créations
de
fondations
(orphelins,
boursiers)
• jeux,
banquets
• prise
en
charge
de
certains
besoins
(blé),
spécialement
en
cas
de
disette.
• prise
en
charge
de
certaines
obligations
de
la
cité
(impôts).
• donations
testamentaires
d’un
capital
dont
les
intérêts
étaient
affectés
à
un
objet
bien
précis
(spectacles,
banquets,
entretien
de
bâtiments
publics...).
L’évergétisme
a
favorisé
le
développement
du
cadre
urbain.
Il
a
été
un
puissant
incitateur
économique
(constructions),
spécialement
compte
tenu
des
moyens
limités
qui
étaient
ceux
de
beaucoup
de
cités.
Il
révèle
la
force
du
sentiment
municipal,
qui
est
consubstantiel
de
la
civilisation
antique.
C’est
aussi
pour
l’historien
une
source
de
documentation
importante,
tant
par
le
nombre
des
dédicaces
accompagnant
des
évergésies,
que
par
celui
des
remerciements
et
des
honneurs
(dédicaces,
statues,
souvent
financés
par
le
bénéficiaire)
attribués
par
la
cité.
—
L’exemple
de
Périgueux
(Vesunna),
chef-‐lieu
de
la
cité
des
Pétrucores
(Gaule
Aquitaine)
cf.
J.-‐P.
Bost
et
G.
Fabre,
«
Épigraphie
monumentale
et
histoire
urbaine
à
Vesunna/Périgueux
»,
Documents
d’archéologie
et
d’histoire
périgourdines,
20,
2005,
p.
63-‐
78).
L’archéologie
de
Périgueux
a
beaucoup
progressé
depuis
une
trentaine
d’années
(cf.
nouveau
musée
inauguré
en
2003),
ce
qui
permet
d’avoir
aujourd’hui
une
vue
plus
précise
de
la
ville
et
de
son
histoire
sous
le
Haut-‐Empire.
La
ville
antique
s’étend
dans
une
boucle
de
l’Isle,
au
pied
de
l’oppidum
de
La
Curade,
sur
une
superficie
de
60
ha
environ.
La
limite
nord
de
la
ville
est
marquée
par
l’amphithéâtre
(nécropoles).
Il
était
entouré
de
carrières
exploitées
à
ciel
ouvert.
Il
existait
un
carroyage
régulier,
dont
des
portions
de
rue
ont
été
reconnues.
Le
centre
monumental
se
compose
de
deux
ensembles
dont
les
façades
s’ouvraient
sur
le
cardo
maximus
:
• le
forum
• un
grand
complexe
au
milieu
duquel
s’élevait
un
temple
circulaire,
aujourd’hui
la
«
Tour
de
Vésone
»
:
c’était
le
sanctuaire
de
la
Tutela
Augusta
Vesuna.
Autour
de
ces
monuments
se
trouvaient
de
riches
demeures
qui
étaient
les
résidences
de
l’aristocratie
locale.
61
Le
dossier
épigraphique
de
la
ville
permet
d’identifier
un
certain
nombre
d’évergésies
concernant
l’amphithéâtre,
le
temple
de
la
Tutelle,
des
thermes,
des
adductions
et
distributions
d’eau
(bien
sûr,
cette
liste
n’est
pas
limitative,
elle
ne
dit
rien
notamment
du
forum).
Il
permet
aussi
d’identifier
un
certain
nombre,
et
des
profils
différents,
de
commanditaires.
Quelques
grandes
familles,
peu
nombreuses.
Celle
qui
apparaît
le
plus
est
la
gens
Pompeia
[Dias
:
plan
et
inscription]
:
sur
les
11
noms
d’évergètes
connus
à
Périgueux,
7
sont
des
Pompei.
Une
branche
de
la
gens
a
accédé
à
l’ordre
équestre,
et
deux
de
ses
membres,
et
peut-‐être
plus,
ont
été
élevés
au
sacerdoce
fédéral
du
culte
de
Rome
et
d’Auguste
au
sanctuaire
des
Trois
Gaules
à
Lyon.
Cette
charge
était
«
le
test
du
prestige
et
de
la
puissance,
la
consécration
réservée
à
l’élite
de
l’élite
»
(J.
-‐P.
Bost
et
G.
Fabre).
Cette
famille
a
porté,
durant
tout
le
Haut-‐Empire,
la
charge
de
plusieurs
grands
chantiers
de
construction,
d’embellissement
ou
de
restauration,
à
l’amphithéâtre,
au
temple
de
la
Tutelle,
et
dans
des
thermes
publics.
On
voit
apparaître
aussi
d’autres
habitants
pérégrins
ou
citoyens
romains
de
fraîche
date.
Par
exemple
les
Marulli,
qui
ont
célébré
leur
naturalisation
en
établissant
un
réseau
de
fontaines
;
deux
personnages
Bellicus
et
Bello,
membres
probables
d’un
collège
de
dévots
de
la
Tutelle
;
un
affranchi
de
pérégrin,
Ponticus,
donateur
d’une
statue
à
Mercure.
On
se
situe
ici
à
un
moindre
niveau
de
fortune
et
de
notabilité
:
des
gens
qui
ont
une
aisance
certaine,
qui
appartiennent
à
l’élite,
au
moins
économique
si
ce
n’est
politique,
de
la
cité.
Ils
désirent
s’affirmer
à
travers
des
réalisations
rapides
et
moyennement
coûteuses.
C’est
une
sorte
de
«
classe
moyenne
»
de
la
cité
qui
calque
son
comportement
sur
celui
de
l’élite.
62
À
Périgueux
comme
ailleurs,
les
motivations
des
évergètes
se
laissent
bien
cerner.
• Affirmation
de
l’attachement
à
Rome
et
de
l’adhésion
à
la
romanité.
• Affirmation
et
illustration
de
la
puissance
sociale
des
commanditaires.
• Constitution
d’un
capital
de
reconnaissance
publique
qui
se
matérialise
par
des
honneurs
(statues,
dédicaces
)
décernés
par
la
cité,
à
travers
son
ordo,
aux
évergètes.
• Reproduction
d’un
modèle
dont
l’exemple
était
donné
à
Rome
même
par
l’empereur
qui
construisait
pour
le
peuple.
• Moyen
de
limiter
les
tensions
au
sein
de
la
population
urbaine
en
atténuant
les
énormes
disparités
sociales
que
connaissait
la
société
antique.
Les
notables
donnent
du
travail,
par
des
chantiers
quasi
permanents
;
ils
donnent
du
confort
(l’eau),
et
des
agréments
(spectacles,
thermes,
décoration
des
monuments).
Ils
permettent
donc
à
la
population
de
jouir
d’un
luxe
public,
puisqu’ils
n’ont
pas
les
moyens
de
se
l’offrir
dans
le
privé.
Les
notables
investissent
donc
dans
la
cohésion
de
la
cité,
et
par
là
de
l’Empire.
63
Séance
12
ÉCONOMIES
ET
SOCIÉTÉS
URBAINES
À
L’ÂGE
IMPÉRIAL
(v.
30
a.C.-‐v.
300
p.C.)
Il
est
inutile
de
revenir
sur
le
débat
concernant
l’économie
urbaine
qui
a
été
évoqué
plus
haut
(séance
6).
Le
schéma
finleyien
de
la
cité
antique
comme
ville
de
consommation,
voire
ville
«
parasite
»
(Chr.
Goudineau)
est
aujourd’hui
largement
dépassé
et
a
cédé
la
place
à
des
visions
plus
positives
et
plus
complexes
aussi
du
rôle
économique
de
la
ville
et
des
rapports
entre
villes
et
campagnes.
Quant
à
la
société
urbaine,
les
historiens
ont
tendance
aujourd’hui
à
dépasser
un
peu
les
catégories
juridiques
et
à
faire
toute
leur
place
à
des
schémas
où
interviennent
davantage
des
critères
économiques
et
sociaux.
A-‐
L'activité
et
le
rôle
économique
de
la
ville
—
Les
liens
avec
la
campagne
Il
est
clair
que
les
élites,
à
commencer
par
l’empereur
lui-‐même
en
tant
que
percepteur
et
propriétaire
foncier,
dépensaient
en
ville
une
bonne
partie
du
revenu
qu’elles
tiraient
de
leurs
domaines
fonciers
(ce
qu’on
appelle
la
rente
foncière),
sous
la
forme
de
réalisations
évergétiques
et
de
dépenses
ostentatoires.
Nous
l’avons
dit,
cette
dépense
est
consacrée
à
l’embellissement
du
cadre
urbain,
à
l’agrément
des
citadins
et
à
la
satisfaction
de
leur
amour-‐propre.
C’est
une
dépense
improductive
pour
une
part,
et
qui
parfois
confine
au
gaspillage,
par
imprévoyance
ou
par
incurie.
Mais,
en
même
temps,
cela
créait
une
activité
qui
stimulait
d'importants
secteurs,
notamment
le
bâtiment
et
les
secteurs
qui
en
dépendaient,
comme
la
fabrication
de
briques
et
tuiles
par
exemple.
Avec
la
construction
en
pierre,
par
exemple,
les
carrières
locales
se
développent
et
un
milieu
d’artisans
spécialisés
apparaît.
—
Prenons
l'exemple
des
briques.
C’était
une
production
considérable
dont,
et
c’est
rare,
on
connaît
un
peu
l’organisation.
En
Italie,
où
il
y
avait
des
centres
de
production
très
importants,
notamment
autour
de
Rome,
les
briques
étaient
souvent
estampées,
ce
qui
donne
des
informations
sur
leur
production
et
leur
distribution.
En
effet,
sur
beaucoup
de
briques,
il
y
a
deux
noms
:
• celui
du
dominus,
propriétaire
de
la
figlina
(carrière
d’argile)
• celui
de
l’officinator,
le
producteur
de
la
brique
(officina
:
atelier,
fabrique).
Le
plus
souvent,
la
fourniture
de
la
matière
première
(argile)
et
l’organisation
de
la
fabrication
étaient
séparées.
L’argile
provenait
de
domaines
ruraux,
et
sa
production
était
distincte
de
la
fabrication
proprement
dite
des
briques.
Dans
bien
des
cas,
le
schéma
de
production
devait
être
le
suivant
:
• le
maître
possédant
d’importantes
figlinae
• il
en
confiait
l’exploitation
et
la
fabrication
des
briques
à
un
officinator
qui
les
fabriquait
et
les
vendait.
Parmi
les
propriétaires
de
figlinae,
il
y
avait
en
Italie,
comme
dans
les
provinces,
de
très
riches
personnes,
y
compris
des
membres
de
l’aristocratie
sénatoriale,
et
l’empereur
lui-‐
même
ainsi
que
des
membres
de
sa
famille.
64
Les
officinatores
quant
à
eux
étaient
souvent
des
gens
d’un
rang
plus
modeste,
parfois
des
affranchis
des
propriétaires.
Souvent,
le
lieu
de
provenance
de
l’argile
et
celui
où
les
briques
étaient
fabriquées
n’étaient
pas
très
éloignés,
voire
se
trouvaient
au
même
endroit,
et
étaient
proches
eux-‐mêmes
de
la
ville.
C’était
donc
une
fabrication
en
grande
partie
destinée
au
marché
urbain
mais
qui
se
faisait
souvent
en
milieu
rural.
La
ville
fait
travailler
la
campagne.
—
Autre
exemple,
celui
des
amphores
Là,
c’est
plutôt
la
production
agricole,
et
spécialement
celle
des
cultures
spéculatives
de
la
vigne
et
de
l’olivier
qui
favorise
une
activité
liée
à
la
commercialisation
du
vin
et
de
l’huile
:
construction
navale,
équipements
portuaires
et
surtout
fabrication
d’amphores.
C’est
une
production
céramique
qui
était
destinée
au
transport.
Pour
prendre
la
mesure
de
cette
production,
il
suffit
d’évoquer
le
mont
Testaccio,
à
Rome
:
c’est
une
colline
artificielle
de
36
m
de
haut,
à
l’arrière
de
la
zone
portuaire
du
Tibre,
qui
s’est
formée
par
les
tessons
des
amphores
à
huile
importées
principalement
de
Bétique,
qu’on
empilait
en
terrasses.
On
estime
le
nombre
d’individus
à
53
millions
;
sa
chronologie
se
place
entre
le
règne
d’Auguste
et
le
milieu
du
3e
siècle
:
il
n’est
plus
en
service
à
partir
de
260,
date
de
la
construction
de
la
muraille
aurélienne
et
du
déplacement
du
port.
Les
amphores
servaient
au
transport
surtout
maritime
et
fluvial
de
trois
produits
majeurs
:
le
vin,
l’huile,
et
le
poisson
salé
avec
ses
dérivés,
garum
:
sauce
de
poisson
et
allec
:
sorte
de
préparation
à
base
de
poisson
décomposé
;
il
y
avait
d’autres
produits
:
des
fruits,
de
l’alun
(utilisé
pour
fixer
les
teintures),
mais
en
quantités
beaucoup
plus
faibles.
La
fabrication
des
amphores
pouvait
se
faire
dans
les
campagnes,
à
proximité
des
centres
de
production
dans
les
domaines.
Mais
en
général,
il
semble
que
le
gros
de
la
production
d’amphores
était
fabriqué
par
des
artisans
indépendants
qui
fournissaient
les
domaines
producteurs
de
vin
et
d’huile
comme
les
usines
de
garum,
et
qui
se
trouvaient
dans
des
zones
urbaines
et
péri-‐urbaines,
le
plus
souvent
à
proximité
des
ports
d'embarquement.
On
le
voit
en
Egypte,
où
la
documentation
papyrologique
a
conservé
des
contrats
de
commande
d’amphores
pour
des
domaines
viticoles.
Autre
exemple
à
Leptiminus,
une
ville
portuaire
et
commerciale
de
taille
moyenne
sur
la
côte
africaine.
Elle
servait
de
port
d’exportation
à
une
région
productrice
d’huile
et
de
sauce
de
poisson
(garum).
On
y
trouve
des
ateliers
de
production
d’amphores.
L’huile
devait
transportée
des
environs
dans
des
outres
jusqu’au
port,
puis
transvasée
dans
des
amphores
pour
le
transport
maritime.
En
fait,
plutôt
que
d'opposer
d'activités
économiques
urbaines
d'un
côté
(artisanat),
rurales
de
l'autre
(agriculture),
il
est
préférable
de
voir
que
les
unes
comme
les
autres
en
termes
de
complémentarité,
avec
un
effet
d'entraînement
sur
la
fabrication
qui
pouvait
se
faire
à
la
ville
comme
à
la
campagne,
en
fonction
des
besoins
et
opportunités.
—
L’artisanat
urbain
Il
y
avait
aussi
des
activités
artisanales
plus
spécifiquement
urbaines,
comme
le
textile
(fabrication
mais
aussi
ravaudage,
nettoyage
et
teinture
;
cf.
étiquettes
de
plomb
[Siscia]),
la
céramique,
l’orfèvrerie,
etc.
L’épigraphie
fait
connaître
beaucoup
de
métiers
et
de
collèges
professionnels
:
charpentiers,
tanneurs,
tisserands,
teinturiers,
orfèvres,
fabricants
d’outres…
65
Certains
produits
étaient
réputés
et
indiquent
des
fabrications
liées
à
des
villes
particulières
:
vaisselle
d’Arezzo,
verre
de
Sidon,
tissus
de
laine
de
Milet,
lin
de
Tarse
et
pourpre
de
Tyr
et
Sidon,
tentures
brodées
de
Pergame,
terres
cuites
de
Myrina
et
Tanagra.
Il
est
possible
d’ailleurs
qu’une
partie
de
ces
productions
ait
été
réalisée
dans
le
cadre
rural.
On
peut
penser
par
exemple
à
la
sigillée
gauloise
des
ateliers
de
Lezoux
ou
La
Graufesenque
réalisée
dans
le
cadre
d’agglomérations
secondaires.
L’importance
de
l’activité
artisanale
urbaine
est
parfois
révélée
par
des
épisodes
historiques
ou
par
l’archéologie.
On
peut
penser
par
exemple
aux
fabricants
de
souvenirs
et
d’objets
de
piété
à
Éphèse,
particulièrement
actifs
autour
du
culte
et
du
pèlerinage
du
temple
d’Artémis,
qui
s’en
prennent
violemment
à
l’apôtre
Paul
lorsque
celui-‐ci
vient
prêcher
la
parole
du
Christ.
Autre
exemple,
les
ateliers
de
production
de
sculptures
à
Aphrodisias
en
Carie,
qui
étaient
exportées
dans
toute
l’Asie
Mineure.
—
Le
marché
urbain
et
les
échanges
La
question
de
l'approvisionnement
était
essentielle,
dans
un
monde
où
la
population
urbaine
se
développait
et
où
certains
centres
urbains
nécessitaient
d'énormes
quantités
de
denrées
alimentaires.
C'est
ce
qui
fait
que
cette
économie
était
en
grande
partie
fondée
sur
des
transferts
en
direction
de
la
ville,
assurée
par
l'État
d'abord
(empereur,
cités)
mais
aussi
par
les
élites
(évergétisme).
En
général
les
villes
tiraient
une
bonne
part
de
leur
approvisionnement
de
leur
territoire,
sauf
en
cas
de
mauvaise
récolte
où
il
fallait
aller
chercher
plus
loin.
Compte
tenu
de
l’étendue
de
l’Empire
et
du
caractère
du
climat
méditerranéen,
il
y
avait
toujours
des
situations
de
pénurie
locale
et
donc
des
transferts
interrégionaux
de
grains.
Parallèlement
à
cela,
il
y
avait
de
larges
secteurs
de
la
demande
urbaine
qui
n’étaient
pas
satisfaits
localement,
en
particulier
pour
des
denrées
qui
ne
pouvaient
être
produites
partout
(vin,
huile,
garum…)
ou
pour
les
objets
manufacturés
(sigillée…).
Certaines
très
grandes
villes
avaient
une
aire
d’approvisionnement
très
large
:
Rome
bien
sûr,
et
aussi
Alexandrie,
Antioche,
Trêves,
Lyon,
Milan…
Les
villes
n’étaient
pas
seulement
des
centres
d’importation
et
de
consommation
;
elles
pouvaient
aussi
exporter
des
produits
qui
y
étaient
récoltés/fabriqués
ou
qui
l’étaient
dans
leur
hinterland.
Il
n’existait
pas
dans
l’Empire
romain
d’endroit
complètement
isolé,
auto-‐suffisant.
C’était
un
espace
largement
intégré,
et
dans
lequel
le
système
de
distribution
et
de
transfert
était
développé.
B-‐
Les
évolutions
de
la
société
urbaine
Les
lignes
de
clivage
héritées
de
l’époque
classique,
essentiellement
fondées
sur
des
critères
juridiques,
subsistent,
entre
citoyens
et
non-‐citoyens,
libres
et
non-‐libres.
Toutefois,
elles
perdent
un
peu
de
leur
force.
Par
exemple,
on
voit
que
les
règles
qui
interdisaient
la
propriété
du
sol
aux
non-‐citoyens
tendent
à
disparaître,
d’abord,
il
est
vrai,
au
profit
des
Romains
qui
possèdent
de
nombreuses
terres
dans
les
cités
pérégrines.
De
même,
la
législation
concernant
les
esclaves
tend
à
s’assouplir.
Et
puis,
dès
la
fin
de
l’époque
hellénistique
et
celle
de
la
République
romaine
apparaissent
d’autres
critères
de
hiérarchisation,
davantage
fondées
sur
des
différenciations
économiques
et
sociales.
66
C’est
ainsi
que
l'attention
des
historiens
est
de
plus
en
plus
attirée
par
l'existence
d'une
catégorie
intermédiaire.
Une
sorte
de
classe
moyenne,
«
plèbe
moyenne
»
pour
reprendre
l'expression
de
Paul
Veyne,
à
l'échelle
de
l'ensemble
de
l'Empire.
En
ville
c’est
un
groupe
urbain
formé
par
des
artisans,
commerçants
de
bon
rang,
riches
affranchis,
petits
propriétaires
et
entrepreneurs,
publicains.
Cette
catégorie
est
influencée
par
les
comportements
et
les
goûts
des
élites.
Elle
en
est
imprégnée
et
les
imite,
de
la
même
manière
qu'au
XXe
siècle
en
Angleterre
la
petite
bourgeoisie
et
les
ouvriers
les
plus
aisés
vivaient
dans
un
décor
et
avec
des
objets
inspirés
de
l'aristocratie
et
de
la
haute
bourgeoisie.
Quelles
sont
les
raisons
de
ce
phénomène
?
• accroissement
de
la
population
• enrichissement
relatif
sur
une
longue
période
• urbanisation
À
partir
du
IIe
siècle
p.C.,
on
commence
à
voir
s’affirmer
une
structure
binaire
entre
• la
petite
minorité
des
puissants
• l’écrasante
masse
des
dominés.
C'est
le
partage
entre
honestiores
et
humiliores
qui
commence
à
apparaître
dans
les
sources,
notamment
juridiques,
dès
cette
période
et
qui
remplace
les
anciens
clivages
tels
que
plèbe/patriciat,
citoyens/non
citoyens.
Les
honestiores
regroupent
les
membres
des
ordres
supérieurs,
ordre
sénatorial
et
ordre
équestre,
et
aussi
les
membres
des
ordres
de
décurions
et
de
bouleutes
de
toutes
les
cités
de
l'Empire.
C'est
une
large
classe
dirigeante,
dont
les
fondements
économiques
et
sociaux
sont
homogènes
(fortune
foncière)
et
largement
convergents,
et
qui
se
définit
par
son
homogénéité
à
l'échelle
de
l'ensemble
de
l'Empire.
Une
aristocratie
impériale.
On
peut
y
placer
aussi
les
vétérans
et
surtout
les
centurions.
C'est
un
groupe
privilégié,
dont
les
membres
jouissent
d'un
grand
prestige.
Par
exemple,
ils
ne
peuvent
être
détenus
ni
fouettés.
Les
humiliores
sont
les
«
humbles
»
des
villes
(et
des
campagnes),
ceux
qui
ne
jouissent
pas
de
ces
privilèges.
67
CONCLUSION
Le
Haut-‐Empire
est
traditionnellement
considéré
comme
l’apogée
de
l’histoire
de
Rome
—
si
cette
notion
a
un
sens.
En
ce
qui
concerne
l’histoire
de
la
ville
antique,
cette
période
apparaît
plus
encore
comme
celui
de
la
première
urbanisation
et
de
l’idéal
civique
qui
était
le
cœur
de
la
civilisation
de
l’Antiquité
grecque
et
romaine.
C’est
l’Empire
romain,
en
effet,
avec
ses
ombres
et
ses
lumières,
qui
porta
à
son
sommet
ce
puissant
modèle
de
développement
et
d'intégration
que
fut
la
cité
antique.
Comment
et
pourquoi
s'acheva
cette
civilisation
est
une
autre
question.
Mais
il
est
indéniable
que
ce
qu’on
appelle
d’ordinaire
le
déclin
de
l’Empire
romain
coïncida
en
fait
largement
avec
l’effacement
de
ce
monde
de
la
cité.
68