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Éric Viardot
Dans
L'Expansion Management Review
2010/4 (N° 139), pages 90 à 97
Article
Focus
Pour produire des biens ou des services les entreprises ont besoin à la fois de
ressources et des compétences pour les mettre en œuvre. Du dépassement du
seuil critique à la flexibilité permanente, en passant par la valorisation ou
l’alignement… les entreprises pérennes optimisent la gestion de leurs moyens
en respectant un certain nombre de principes. Elles sont également engagées
dans un processus d’amélioration continue de ces moyens qui leur permet de
s’ajuster aux évolutions de leur environnement.
Ressources et compétences
Les moyens dont dispose l’entreprise appartiennent à deux types différents : les 3
ressources et les compétences. Les premières représentent ce qu’une entreprise
possède tandis que les secondes correspondent à ce qu’elle sait faire.
Des ressources tangibles et intangibles. Les ressources sont les biens, les actifs, dont 4
disposent les dirigeants d’une firme pour s’exprimer et réaliser leur stratégie. Tout
comme les trois couleurs primaires ou les sept notes de la musique occidentale, il y a
quatre types de ressources fondamentales : l’argent, le personnel, la technologie et
l’information. Parfois s’y ajoutent la localisation géographique et les matières
premières naturelles.
Les ressources sont plus ou moins tangibles et mesurables. Ainsi, les ressources 5
humaines peuvent aisément se décomposer en différentes classes de salariés suivant
leur fonction (ouvriers, employés, cadres…) ou leur rôle dans l’entreprise
(techniciens de production, chercheurs, comptables…). De même, les outils
techniques sont facilement appréhendables selon qu’ils servent, par exemple, à la
fabrication, à la logistique ou à la maintenance.
Une compétence peut être partagée à travers des réseaux plus ou moins structurés. 9
Elle se développe donc par un apprentissage personnel ou collectif. Pour se réaliser,
elle doit combiner une connaissance avec une volonté et une capacité d’agir. Car une
compétence, c’est aussi savoir quand, comment et jusqu’où opérer.
Mais une compétence est toujours abstraite et donc difficile à repérer. En effet, elle 10
ne se voit pas ; seules ses manifestations et ses résultats sont observables. Il existe
ainsi un grand nombre de compétences tacites, non formalisées, ancrées dans la
culture, l’organisation ou même certains individus. Elles sont très difficiles à
codifier. C’est donc un problème pour les transmettre à l’intérieur de l’entreprise,
mais c’est aussi un avantage car elles sont difficilement copiables par un concurrent.
Par nature, les ressources et les compétences demandent une gestion différente. 13
Mais la clé du succès réside dans leur combinaison pour en faire de véritables outils
au service de la réalisation du dessein stratégique de la firme.
Les compétences décisives font la différence entre les sportifs du dimanche et les 19
champions. Pour naviguer, tout marin doit savoir gréer son bateau, louvoyer et
empanner. Mais pour gagner une régate, il lui faut savoir interpréter la météo,
connaître les courants, maîtriser les règles de la course…
Pour être qualifiée de décisive, une compétence doit évidemment servir le projet 20
stratégique de l’entreprise, de manière directe ou indirecte. Elle doit aussi
contribuer à créer de la valeur pour les clients, sinon elle est inutile. Certaines
entreprises vont jusqu’à cocréer des compétences avec leurs clients en développant
des solutions ou des processus spécifiques.
Le principe d’exclusivité. Il est la garantie que les moyens utilisés par une firme ne 25
bénéficieront pas à ses concurrents. Appliqué aux ressources, ce principe
d’exclusivité consiste à s’assurer qu’une ressource ne soit pas captée par d’autres
acteurs économiques afin d’obtenir une situation monopolistique ou très
dominante. Cela permet d’obtenir un effet de rente valorisable sur le marché. Car
l’exploitation d’une ressource rare, mais significative pour les clients, lui confère de
la valeur et permet de fixer un prix de vente élevé. L’exclusivité d’une ressource
s’obtient en contrôlant l’accès à une position géographique privilégiée ou en
négociant un droit exclusif de propriété ou d’exploitation.
Les applications de ce principe sont nombreuses. Par exemple, pour les ressources 33
financières, c’est « l’effet de levier » obtenu par l’endettement qui va permettre de
générer des revenus supplémentaires à un coût inférieur à celui d’une augmentation
de capital. Pour les ressources humaines, ce sont les gains de productivité qui vont
accroître la quantité de produits ou de services fournis par chacun des employés de
la société. Pour les ressources techniques, c’est un investissement dans des machines
permettant de réaliser des produits nouveaux et attendus par le marché, mais
jusque-là impossibles à fabriquer. Pour la communication, c’est une campagne de
publicité très créative dont tout le monde parle, générant un maximum de notoriété
sans obligatoirement requérir une couverture large et dispendieuse dans les médias.
Quand la tempête approche, le pilote ne change pas son parcours mais il réduit la 35
toile afin d’éviter de casser son mât et d’immobiliser ou de couler son entreprise. A
l’inverse, il peut avoir besoin de réserves supplémentaires rapidement mobilisables,
comme un général confronté à un assaut inattendu d’un rival sur le champ de
bataille. Il peut aussi avoir des moyens additionnels pour répondre plus rapidement
que ses concurrents à une augmentation soudaine de la demande des clients.
Une des applications du principe de flexibilité est la transformation des coûts fixes 36
en coûts variables. En cas de diminution importante des revenus, la firme peut
moduler facilement ses coûts variables à la baisse pour préserver sa rentabilité, donc
sa capacité d’investissement stratégique et sa survie à moyen terme. A l’inverse, si les
coûts sont essentiellement fixes et ne peuvent être rapidement réduits, une baisse de
revenu se traduira immédiatement par des pertes ; si celles-ci se répètent, elles
peuvent mener l’entreprise à sa fin.
Les entreprises pérennes gèrent donc leurs moyens avec souplesse grâce à la sous- 37
traitance d’une partie de leur personnel, de leurs outils de production, de la
logistique, de leurs services généraux et de maintenance.
C’est également au nom du principe de flexibilité que les dirigeants avisés licencient 39
parcimonieusement en temps de crise. Car ils savent que ce sera cher et compliqué
de retrouver une main-d’œuvre compétente et bien formée quand viendra la reprise.
Le principe de singularité. Enfin, dans les entreprises pérennes, les divers principes 40
de gestion des moyens s’effacent largement devant le principe de singularité. Celui-
ci veut que les ressources clés et les compétences décisives soient toujours sous le
contrôle des dirigeants pour préserver ce qui confère un caractère unique à
l’entreprise aux yeux de ses clients et face à ses concurrents. Ce principe évite de
perdre un avantage compétitif ou de laisser filer à l’extérieur une compétence
décisive dont la perte peut condamner l’existence même de la firme, à plus ou moins
long terme.
Par exemple, une application trop stricte du principe de masse dans la gestion des 41
ressources peut conduire à des déséconomies d’échelle et des rendements
décroissants. Ceux-ci se traduisent alors par une augmentation, et non plus une
diminution, des coûts unitaires. En effet, ces déséconomies se produisent quand la
taille d’une structure génère trop de complexité organisationnelle. Celle-ci ralentit
ou bloque la prise de décision et l’initiative, freine l’innovation, exige des coûts de
contrôle excessifs ou, au contraire, génère du chaos improductif. Finalement, elle
dilue le projet stratégique originel ou sa perception par les employés.
Les dirigeants des entreprises pérennes évitent aussi une surspécialisation des 42
moyens à cause du risque d’obsolescence qui peut se manifester à la suite d’un
chamboulement dans l’environnement, la demande des clients ou l’offre des
concurrents. Parfois, des équipements techniques, des catégories de spécialistes ou
des modes de financement qui ont fait le succès d’une entreprise se retrouvent
démodés le lendemain. Cela peut conduire à la catastrophe si l’on n’a pas de solution
de rechange pour les remplacer rapidement.
Les entreprises pérennes présentent rarement des faiblesses en interne car elles 43
savent nourrir, enrichir et développer leur portefeuille de ressources et de
compétences. Elles améliorent continuellement la quantité et la qualité des moyens
qu’elles utilisent.
Pour cela, elles ont mis en place des processus continus de mesure et d’évaluation 44
des moyens en termes de performance et d’adéquation par rapport à
l’environnement. De plus, pour progresser, elles étalonnent leurs compétences
décisives par rapport à leurs concurrents et à des entreprises de référence
indépendamment de leur secteur d’activité afin d’identifier les points faibles à
améliorer. Ces comparaisons leur permettent de bâtir un programme d’amélioration
de leurs compétences les plus faibles. Pour le réaliser, elles s’appuient ensuite sur
leurs capacités internes : formation des employés, reconfiguration des procédés de
fabrication, meilleure utilisation des liquidités, réorganisation interne, par exemple.
Résumé
Plan
Ressources et compétences
Auteur
Eric Viardot
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Pour citer cet article
Cairn.info