Vous êtes sur la page 1sur 11

Neuf principes de gestion des moyens stratégiques

Éric Viardot
Dans
L'Expansion Management Review
2010/4 (N° 139), pages 90 à 97

Article

Focus

Pour produire des biens ou des services les entreprises ont besoin à la fois de
ressources et des compétences pour les mettre en œuvre. Du dépassement du
seuil critique à la flexibilité permanente, en passant par la valorisation ou
l’alignement… les entreprises pérennes optimisent la gestion de leurs moyens
en respectant un certain nombre de principes. Elles sont également engagées
dans un processus d’amélioration continue de ces moyens qui leur permet de
s’ajuster aux évolutions de leur environnement.

L a stratégie d’entreprise se définit communément comme l’art pour le dirigeant


de déterminer des actions cohérentes et d’allouer des moyens qui engagent
l’entreprise dans le long terme afin qu’elle dégage un profit durable qui lui
1

permette de se pérenniser. De ce point de vue, les entreprises ressemblent aux


empires. Ce ne sont pas les plus spectaculaires qui sont toujours les plus efficaces et
qui vivent le plus longtemps. Ainsi l’empire d’Alexandre le Grand n’a duré que douze
ans, comme celui de Hitler, et celui de Napoléon Ier s’est éteint au bout de dix-neuf
ans. A l’inverse, l’empire ottoman a existé pendant près de six cent cinquante ans,
l’empire romano-byzantin a subsisté presque mille cinq cents ans et les empires
chinois et japonais se sont maintenus encore plus longtemps. Pourtant, même si leur
place est quelquefois discrète dans les manuels d’histoire, ce sont ces empires qui
ont imprimé leur marque sur l’espèce humaine.
Pareillement, les entreprises pérennes ne font pas toujours parler d’elles bien qu’elles 2
soient encore nombreuses. Aujourd’hui, quelque 1 700 firmes dans le monde ont plus
de cent cinquante ans d’âge ; parmi elles, environ 250 datent de plus de quatre cents
ans. Certaines entreprises sont restées de taille modeste tandis que d’autres sont
devenues des multinationales très puissantes. Le fait qu’elles aient pu survivre et
prospérer est la meilleure illustration de leur réussite stratégique alors que tant
d’autres ont disparu. Or c’est souvent la bonne gestion des moyens disponibles qui
fait la différence entre les entreprises qui échouent et celles qui durent. Car, pour
réaliser sa stratégie en servant ses clients mieux que ses concurrents, toute
entreprise a besoin de moyens. L’analyse des sociétés pérennes montre que celles-ci
en optimisent la gestion en respectant un petit nombre de principes simples, que
nous allons passer en revue.

Ressources et compétences

Les moyens dont dispose l’entreprise appartiennent à deux types différents : les 3
ressources et les compétences. Les premières représentent ce qu’une entreprise
possède tandis que les secondes correspondent à ce qu’elle sait faire.

Des ressources tangibles et intangibles. Les ressources sont les biens, les actifs, dont 4
disposent les dirigeants d’une firme pour s’exprimer et réaliser leur stratégie. Tout
comme les trois couleurs primaires ou les sept notes de la musique occidentale, il y a
quatre types de ressources fondamentales : l’argent, le personnel, la technologie et
l’information. Parfois s’y ajoutent la localisation géographique et les matières
premières naturelles.

Les ressources sont plus ou moins tangibles et mesurables. Ainsi, les ressources 5
humaines peuvent aisément se décomposer en différentes classes de salariés suivant
leur fonction (ouvriers, employés, cadres…) ou leur rôle dans l’entreprise
(techniciens de production, chercheurs, comptables…). De même, les outils
techniques sont facilement appréhendables selon qu’ils servent, par exemple, à la
fabrication, à la logistique ou à la maintenance.

Les ressources financières sont mesurables, mais leur degré de tangibilité a 6


beaucoup diminué aujourd’hui. En effet, de moins en moins d’argent liquide circule
dans nos économies développées. Désormais, la trésorerie correspond moins à des
billets de banque qu’à de l ‘argent immédiatement disponible et transférable
électroniquement à des tiers. L’argent est moins un bien qu’un signe, une
information.

Or, l’information est une ressource intangible, difficile à voir et à mesurer. 7


L’information est ubiquitaire. Elle circule dans l’entreprise dans toutes les formes de
communication du personnel. Elle entre dans les processus de production comme,
par exemple, dans les machines qui fabriquent les produits selon certaines
instructions. Elle réside dans les produits puisque ceux-ci ne sont que de la matière
informée ; elle contribue ainsi à augmenter leur valeur. Quant aux services, eux aussi
immatériels, ils ont tous besoin d’information pour être réalisés. L’information est
ainsi un élément déterminant de la valeur d’une solution proposée par une
entreprise à ses clients. Cette ressource demande une formalisation préalable. C’est
le cas, par exemple, des informations sur les clients ou les concurrents que peuvent
avoir les vendeurs ou les personnels d’installation technique et de maintenance, qui
connaissent beaucoup de choses, mais les formalisent rarement.

Des compétences intellectuelles, techniques, relationnelles. Mais les ressources 8


sont peu utiles s’il n’y a pas de compétences pour les exploiter, car un tas de briques
n’a jamais fait une maison. Les compétences représentent les activités et les
mécanismes à travers lesquels une entreprise se sert de ses ressources. Elles se
rangent en trois catégories différentes. Il y a d’abord les compétences intellectuelles,
définies comme des savoirs basés sur l’analyse, la compréhension, la réflexion ou la
créativité. Il y a ensuite les compétences techniques. Ce sont des savoir-faire qui
permettent des réalisations pratiques. Ce sont, par exemple, les méthodes de
fabrication, les procédures de travail, les formules d’une spécialité, etc. Ces
compétences peuvent être confidentielles ou éventuellement brevetables, ce qui leur
donne alors une valeur commerciale effective. Il y a enfin les compétences
relationnelles. Elles sont fondées sur un savoir être entre les individus et aussi entre
les différentes structures. Ce savoir est d’abord d’ordre comportemental, mais il peut
se décliner en termes opérationnels comme, par exemple, une capacité à travailler
efficacement en équipe.

Une compétence peut être partagée à travers des réseaux plus ou moins structurés. 9
Elle se développe donc par un apprentissage personnel ou collectif. Pour se réaliser,
elle doit combiner une connaissance avec une volonté et une capacité d’agir. Car une
compétence, c’est aussi savoir quand, comment et jusqu’où opérer.

Mais une compétence est toujours abstraite et donc difficile à repérer. En effet, elle 10
ne se voit pas ; seules ses manifestations et ses résultats sont observables. Il existe
ainsi un grand nombre de compétences tacites, non formalisées, ancrées dans la
culture, l’organisation ou même certains individus. Elles sont très difficiles à
codifier. C’est donc un problème pour les transmettre à l’intérieur de l’entreprise,
mais c’est aussi un avantage car elles sont difficilement copiables par un concurrent.

L’identification des compétences se fait d’abord au niveau de chaque fonction de 11


l’entreprise. L’analyse est ensuite élargie à la globalité de la firme, car certaines
compétences résultent de combinaisons de compétences interfonctionnelles. Par
exemple, une articulation unique entre le département de R&D et celui de marketing
va créer une compétence de mise sur le marché rapide et réussie de nouveaux
produits.
D’autres compétences se situent au niveau interdivisionnaire. C’est le cas de la 12
capacité à intégrer avec succès des sociétés rachetées. Un tel savoir-faire est en effet
le fruit de la collaboration entre les services juridiques, financiers, commerciaux et
ressources humaines appartenant à des entités souvent différentes. Enfin, certaines
compétences sont carrément localisées en dehors de l’entreprise, notamment quand
elles s’articulent autour de relations privilégiées avec des partenaires extérieurs.
Ceux-ci peuvent être des distributeurs ou des fournisseurs de solutions
complémentaires qui ajoutent beaucoup de valeur aux solutions proposées aux
clients, mais aussi des médias qui communiquent favorablement sur l’entreprise ou
ses produits.

Bien utiliser ses moyens

Par nature, les ressources et les compétences demandent une gestion différente. 13
Mais la clé du succès réside dans leur combinaison pour en faire de véritables outils
au service de la réalisation du dessein stratégique de la firme.

Les entreprises pérennes administrent leurs moyens selon quelques principes 14


fondamentaux valables dans les périodes de croissance comme de crise.

Le principe de dépassement du seuil critique. La gestion des moyens obéit d’abord 15


au principe de dépassement du seuil critique. En effet, un minimum de ressources
est indispensable à réunir pour pouvoir démarrer une activité. Ce seuil dépend de la
complexité des opérations à réaliser pour offrir un produit ou un service donné et du
nombre de clients à servir. Sans ces ressources minimales qui définissent sa ligne de
flottaison, l’entreprise ne peut se maintenir. Il ne s’agit pas seulement du capital de
départ, mais du niveau incompressible pour pouvoir fonctionner.

Or, ce seuil vital peut augmenter de manière imprévue à cause de changements 16


inopinés tels que, par exemple, une crise économique qui assèche soudainement les
liquidités ou une rupture d’approvisionnement paralysant durablement des lignes
de production. Il est alors nécessaire de disposer d’un matelas de ressources
supplémentaires rapidement disponibles. De fait, les cas de banqueroute par
manque de ressources sont très nombreux.

Le principe de dépassement du seuil critique s’applique également à la gestion des 17


compétences. Certaines sont en effet indispensables pour exister. Elles
correspondent aux savoirs minimaux que toute entreprise doit maîtriser pour
évoluer dans son activité et assurer son existence. Mais elles ne sont pas suffisantes.

Le principe de performance. Ce principe concerne la gestion des compétences. Car, 18


au-delà d’un seuil minimal de compétences, une entreprise doit également disposer
de compétences décisives. Celles-ci lui permettront de se pérenniser en apportant le
maximum de valeur à ses clients tout en se distinguant de ses concurrents. Une
compétence décisive doit ainsi conduire à des niveaux de performance plus élevés.

Les compétences décisives font la différence entre les sportifs du dimanche et les 19
champions. Pour naviguer, tout marin doit savoir gréer son bateau, louvoyer et
empanner. Mais pour gagner une régate, il lui faut savoir interpréter la météo,
connaître les courants, maîtriser les règles de la course…

Pour être qualifiée de décisive, une compétence doit évidemment servir le projet 20
stratégique de l’entreprise, de manière directe ou indirecte. Elle doit aussi
contribuer à créer de la valeur pour les clients, sinon elle est inutile. Certaines
entreprises vont jusqu’à cocréer des compétences avec leurs clients en développant
des solutions ou des processus spécifiques.

Le principe de masse. Il s’applique à la gestion des ressources. Il correspond au fait 21


qu’entre deux entreprises ayant un niveau de compétence égal, celle qui a un volume
de ressources plus élevé est la plus puissante. Elle investira plus, produira plus,
possédera plus de canaux de distribution et donc vendra plus. Elle bénéficiera
d’économies d’échelle plus importantes, c’est-à-dire qu’elle diminuera plus
rapidement ses coûts de production unitaires en amortissant ses coûts fixes sur de
plus gros volumes de production. Elle attirera les candidats les plus diplômés en leur
proposant des salaires plus élevés et des perspectives de carrière plus attrayantes.

Ainsi, la taille compte en matière de gestion des ressources. L’accumulation de celles- 22


ci bien au-delà du seuil critique permet d’en faire des armes concurrentielles
redoutables. Mais la gestion de ce volume important nécessite du dynamisme pour
gagner face à ses rivaux. Les entreprises pérennes évitent le syndrome de Goliath : la
taille ne sert à rien si l’on n’est pas capable de se déplacer rapidement face à un
adversaire léger, habile et intrépide.

Le principe d’alignement. Pour obtenir la performance et le succès, les entreprises 23


pérennes assemblent leurs ressources clés et leurs compétences critiques selon le
principe d’alignement. Car ressources et compétences sont indissociables pour
réussir sur le plan stratégique. En effet, une entreprise agit en rentier si elle n’a pas
de compétences et ne vit que de ses ressources. Le jour où celles-ci disparaissent ou
deviennent caduques, elle meurt. Inversement, développer des compétences sans
ressources revient souvent à faire du bricolage sans grande perspective de création
d’une supériorité concurrentielle substantielle et durable, gage d’un développement
important.

Mais si les compétences n’activent pas les ressources disponibles, la combinaison 24


sera sans effet. C’est l’alignement de ces deux catégories de moyens qui permet à
l’entreprise d’utiliser ses savoirs pour faire levier sur ses ressources afin d’être plus
performante dans la réalisation de son objectif stratégique. L’alignement consiste,
par exemple, à diminuer les coûts d’approvisionnement en combinant un effet de
volume sur les quantités achetées avec une compétence de négociation pour obtenir
de meilleures conditions de la part des fournisseurs. De même, l’alignement d’une
compétence de créativité intellectuelle sur des ressources existantes peut déboucher
sur des inventions de produits ou services ou des innovations dans les procédés de
fabrication, les techniques commerciales, ou les opérations de suivi des clients.

Le principe d’exclusivité. Il est la garantie que les moyens utilisés par une firme ne 25
bénéficieront pas à ses concurrents. Appliqué aux ressources, ce principe
d’exclusivité consiste à s’assurer qu’une ressource ne soit pas captée par d’autres
acteurs économiques afin d’obtenir une situation monopolistique ou très
dominante. Cela permet d’obtenir un effet de rente valorisable sur le marché. Car
l’exploitation d’une ressource rare, mais significative pour les clients, lui confère de
la valeur et permet de fixer un prix de vente élevé. L’exclusivité d’une ressource
s’obtient en contrôlant l’accès à une position géographique privilégiée ou en
négociant un droit exclusif de propriété ou d’exploitation.

Utilisé pour la gestion des compétences, le principe d’exclusivité se traduit par la 26


volonté de les protéger afin de les rendre rares et difficilement imitables ou
substituables. Aussi le secret, la complexité, la protection légale, la répartition entre
plusieurs individus, l’ancrage dans la culture interne sont autant de moyens de
s’assurer qu’une compétence ne sera pas vendue, divulguée ni propagée à l’extérieur.

Le principe d’économie des moyens. L’abus de richesse génère souvent le gaspillage, 27


la paresse, la frilosité et le manque de remise en cause nécessaire pour s’adapter.
C’est ainsi qu’on estime que, en moyenne, plus d’un tiers des actifs d’une firme
apporte une contribution marginale ou nulle, voire négative aux résultats.
Conscientes de cela, les entreprises pérennes préfèrent donc la frugalité et
appliquent le principe d’économie des moyens. Elles cherchent un emploi optimal de
ces derniers pour atteindre leur objectif stratégique : ni trop, ni trop peu.

De fait, elles restreignent ou ne reconduisent pas automatiquement à leurs 28


managers l’accès à certaines ressources financières, techniques ou humaines ; cela
contraint ces derniers à être plus imaginatifs, organisés, focalisés et sobres pour
arriver à développer de nouvelles compétences sous la contrainte et à remplir leurs
objectifs. D’autre part, les ressources non distribuées peuvent être conservées pour
le futur ou réaffectées à des activités nouvelles de développement. Plus précisément,
au nom du principe d’économie des moyens, le dirigeant contrôle en permanence le
niveau de ressources consommées à l’aide d’un certain nombre d’indicateurs (niveau
de trésorerie, degré de rentabilité, ratio d’endettement par rapport aux fonds
propres).

Le principe d’économie appliqué aux ressources humaines conduit le dirigeant à 29


suivre plus particulièrement les niveaux de rotation et de satisfaction interne des
employés. Un turnover élevé ou parfois insuffisant indique un problème dans la
gestion des ressources humaines. A côté de cet indicateur quantitatif, l’indicateur
qualitatif qu’est l’évaluation de la satisfaction du personnel constitue un excellent
moyen de diagnostic complémentaire.

En ce qui concerne les ressources techniques, le dirigeant suit surtout le degré 30


d’obsolescence des machines. L’application du principe d’économie des moyens se
traduit par le fait qu’il ne sert à rien de disposer en permanence de la dernière
nouveauté technologique, si celle-ci n’apporte pas un gain de performance
significatif en termes d’efficacité dans la création de valeur pour les clients, en
comparaison avec ce que font les concurrents.

L’application aux compétences du principe d’économie se traduit, dans les 31


entreprises pérennes, par la recherche permanente de la simplicité et de l’efficacité
dans leurs processus, de la frugalité dans leur structure hiérarchique, la remise en
cause systématique des savoirs grâce à l’apprentissage permanent, le recours réfléchi
à la sous-traitance et aux échanges avec l’extérieur pour faire réaliser les opérations
secondaires et, enfin, un système de contrôle responsabilisant et non
bureaucratique.

Le principe de valorisation. L’application de ce principe est à la base de la réussite de 32


bien des entreprises pérennes. Dans la logique de l’économie de moyens, ce principe
consiste à démultiplier systématiquement les effets d’une ressource ou d’une
compétence pour générer le maximum de valeur pour les clients et faire la différence
avec les concurrents.

Les applications de ce principe sont nombreuses. Par exemple, pour les ressources 33
financières, c’est « l’effet de levier » obtenu par l’endettement qui va permettre de
générer des revenus supplémentaires à un coût inférieur à celui d’une augmentation
de capital. Pour les ressources humaines, ce sont les gains de productivité qui vont
accroître la quantité de produits ou de services fournis par chacun des employés de
la société. Pour les ressources techniques, c’est un investissement dans des machines
permettant de réaliser des produits nouveaux et attendus par le marché, mais
jusque-là impossibles à fabriquer. Pour la communication, c’est une campagne de
publicité très créative dont tout le monde parle, générant un maximum de notoriété
sans obligatoirement requérir une couverture large et dispendieuse dans les médias.

Le principe de flexibilité permanente. Ce principe consiste pour le dirigeant à 34


garder de la souplesse dans la gestion de ses moyens afin d’avoir la rapidité d’action
nécessaire pour mieux coller aux évolutions de son environnement. Il lui sert en
période de crise comme en phase de croissance.

Quand la tempête approche, le pilote ne change pas son parcours mais il réduit la 35
toile afin d’éviter de casser son mât et d’immobiliser ou de couler son entreprise. A
l’inverse, il peut avoir besoin de réserves supplémentaires rapidement mobilisables,
comme un général confronté à un assaut inattendu d’un rival sur le champ de
bataille. Il peut aussi avoir des moyens additionnels pour répondre plus rapidement
que ses concurrents à une augmentation soudaine de la demande des clients.

Une des applications du principe de flexibilité est la transformation des coûts fixes 36
en coûts variables. En cas de diminution importante des revenus, la firme peut
moduler facilement ses coûts variables à la baisse pour préserver sa rentabilité, donc
sa capacité d’investissement stratégique et sa survie à moyen terme. A l’inverse, si les
coûts sont essentiellement fixes et ne peuvent être rapidement réduits, une baisse de
revenu se traduira immédiatement par des pertes ; si celles-ci se répètent, elles
peuvent mener l’entreprise à sa fin.

Les entreprises pérennes gèrent donc leurs moyens avec souplesse grâce à la sous- 37
traitance d’une partie de leur personnel, de leurs outils de production, de la
logistique, de leurs services généraux et de maintenance.

Paradoxalement, l’application du principe de flexibilité a conduit certaines 38


entreprises à abandonner la fabrication complètement automatisée. Ces dernières
ont découvert que, même s’ils ne tombent jamais malades, les robots manquent de
souplesse pour s’adapter rapidement aux différentes contraintes de production
imposées par les marchés. Certaines tâches préalablement automatisées ont ainsi
été redonnées à du personnel salarié.

C’est également au nom du principe de flexibilité que les dirigeants avisés licencient 39
parcimonieusement en temps de crise. Car ils savent que ce sera cher et compliqué
de retrouver une main-d’œuvre compétente et bien formée quand viendra la reprise.

Le principe de singularité. Enfin, dans les entreprises pérennes, les divers principes 40
de gestion des moyens s’effacent largement devant le principe de singularité. Celui-
ci veut que les ressources clés et les compétences décisives soient toujours sous le
contrôle des dirigeants pour préserver ce qui confère un caractère unique à
l’entreprise aux yeux de ses clients et face à ses concurrents. Ce principe évite de
perdre un avantage compétitif ou de laisser filer à l’extérieur une compétence
décisive dont la perte peut condamner l’existence même de la firme, à plus ou moins
long terme.

Par exemple, une application trop stricte du principe de masse dans la gestion des 41
ressources peut conduire à des déséconomies d’échelle et des rendements
décroissants. Ceux-ci se traduisent alors par une augmentation, et non plus une
diminution, des coûts unitaires. En effet, ces déséconomies se produisent quand la
taille d’une structure génère trop de complexité organisationnelle. Celle-ci ralentit
ou bloque la prise de décision et l’initiative, freine l’innovation, exige des coûts de
contrôle excessifs ou, au contraire, génère du chaos improductif. Finalement, elle
dilue le projet stratégique originel ou sa perception par les employés.
Les dirigeants des entreprises pérennes évitent aussi une surspécialisation des 42
moyens à cause du risque d’obsolescence qui peut se manifester à la suite d’un
chamboulement dans l’environnement, la demande des clients ou l’offre des
concurrents. Parfois, des équipements techniques, des catégories de spécialistes ou
des modes de financement qui ont fait le succès d’une entreprise se retrouvent
démodés le lendemain. Cela peut conduire à la catastrophe si l’on n’a pas de solution
de rechange pour les remplacer rapidement.

Le développement continu des moyens

Les entreprises pérennes présentent rarement des faiblesses en interne car elles 43
savent nourrir, enrichir et développer leur portefeuille de ressources et de
compétences. Elles améliorent continuellement la quantité et la qualité des moyens
qu’elles utilisent.

Pour cela, elles ont mis en place des processus continus de mesure et d’évaluation 44
des moyens en termes de performance et d’adéquation par rapport à
l’environnement. De plus, pour progresser, elles étalonnent leurs compétences
décisives par rapport à leurs concurrents et à des entreprises de référence
indépendamment de leur secteur d’activité afin d’identifier les points faibles à
améliorer. Ces comparaisons leur permettent de bâtir un programme d’amélioration
de leurs compétences les plus faibles. Pour le réaliser, elles s’appuient ensuite sur
leurs capacités internes : formation des employés, reconfiguration des procédés de
fabrication, meilleure utilisation des liquidités, réorganisation interne, par exemple.

Néanmoins, elles ne cherchent pas systématiquement à développer elles-mêmes 45


tous les moyens insuffisants ou absents. Elles n’hésitent pas à acquérir des
ressources ou compétences disponibles à l’extérieur si elles en ont besoin
rapidement pour mieux répondre à la demande de leurs marchés ou pour devancer
un concurrent. Elles recrutent alors des personnes extérieures, achètent de nouvelles
machines plus modernes, réalisent un emprunt ou une levée de capitaux, rachètent
d’autres sociétés, etc.

Mais il y a toujours un risque que l’intégration de compétences ou ressources 46


externes se passe mal et que la greffe ne prenne pas. En effet, diverses études
indiquent que plus de la moitié des acquisitions se révèlent un échec et créent plus
de problèmes qu’elles n’apportent de résultats aux entreprises qui les ont réalisées.
Aussi les entreprises pérennes développent une compétence propre d’acquisition
externe, depuis le repérage de la cible en passant par la négociation du prix jusqu’à
l’intégration avec succès dans la structure de l’entreprise existante.

Quant au choix entre le développement interne ou l’acquisition externe de ces 47


moyens, elles le font avec une audace raisonnée selon plusieurs critères qui sont
l’importance stratégique de ces moyens pour l’entreprise, leur complexité et le
niveau de risque associé, leur degré d’urgence, leur disponibilité et, dans le cas des
compétences, le degré d’expertise exigé.

En définitive, toutes ces actions d’évaluation, d’amélioration continue et de 48


développement des moyens leur permettent de s’ajuster en permanence à leur
environnement, d’anticiper sur les besoins et désirs de leurs clients et
éventuellement d’ouvrir de nouveaux champs économiques en ayant un avantage
concurrentiel décisif, durable et défendable. Elles le font au bon moment, en étant ni
en retard ni trop en avance. C’est un autre secret de leur longévité.

Résumé

FrançaisEntre les entreprises durablement prospères et celles qui échouent, la


différence tient bien souvent à l’art d’allouer à leur dessein les moyens dont elles
disposent.

Plan
Ressources et compétences

Bien utiliser ses moyens

Le développement continu des moyens

Auteur
Eric Viardot 

Eric Viardot est professeur de stratégie à l’EADA de Barcelone. Il intervient aussi


comme conseil auprès de direct ions générales de grands groupes. Il a auparavant
occupé différents postes dans des fonctions commerciales, marketing, financières
et stratégiques. Il a publié de nombreux articles et ouvrages dont Dix leçons de
stratégie (TheBookEdition, 2009).

Mis en ligne sur Cairn.info le 14/02/2013


Facebook Twitter Imprimer Plus d'options...
https://doi.org/10.3917/emr.139.0090


Suivant

Pour citer cet article

Distribution électronique Cairn.info pour L'Express - Roularta © L'Express - Roularta.


Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de
l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le
présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au
public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Cairn.info

Vous aimerez peut-être aussi