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Le Tao Tö King

Le Tao Tö King du maître Lao-Tseu, Li Eul


Pai Yangs, Le livre de la Voie et de la Vertu.

Sage chinois, auteur de Tao Tö King, dont l’influence est inversement proportionnelle au nombre de
lignes qu’il nous a laissées. Le nom véritable de Lao Tseu, qui signifie « maître vénérable », était Li Eul
Pai Yang ou Lao Tan (570 - 490).

On ne connaît que des légendes sur la vie de ce sage, dont l’influence sur la pensée et la culture
chinoises n’eut d’égale que celle de Confucius. On dit que, originaire du pays de Chu, il fut archiviste
à la cour royale, dispensa quelques enseignements au jeune Confucius, puis partit vers l’ouest, et
disparut après avoir confié au gardien de la frontière son traité, le Tao-tö king (Daode jing).

Ce " Livre de la Voie et de la Vertu " définit les fondements du taoïsme philosophique (Daojia), selon
lequel l’opposition universelle et complémentaire du yin (principe féminin) et du yang (principe
masculin) est régie par un principe suprême, le tao. Le taoïsme enseigne la doctrine du " non-agir ",
qui ne désigne pas l’inertie, mais renvoie à l’idée d’une plénitude de l’activité intérieure, en union
avec le tao.

Le sage parfait est ainsi représenté au centre de la roue cosmique, il la meut par sa seule présence
mais ne participe pas à son mouvement. Le taoïsme religieux (Dojiao) a synthétisé divers courants
mystiques et la pensée de Lao-Tseu.

* *
Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - UN

La voie que l’on peut définir n’est pas le Tao, la Voie éternelle.
Le nom que l’on peut prononcer n’est pas le Nom éternel.
Ce qui ne porte pas de nom, le non-être, est l’origine du ciel et de la
terre.
Ce qui porte un nom est la mère de tout ce que nous percevons, choses
et êtres.
Ainsi à celui qui est sans passion se révèle l’inconnaissable, le
mystère sans nom.
Celui qui est habité par le feu de la passion a une vision bornée.

Commentaires :

Comme tout ce qui s'est le plus approché de la Vérité Absolue, la


sublime Cabbale de Lao Tseu est marquée du sceau de la
Simplicité, à l'image des symboles de Pythagore, ce qui n'exclue
pas l'extrême profondeur et richesse des enseignements qu'elle
véhicule.

Le Tao, que nous occidentaux appelons par commodité de


conversation "Dieu", et qui n'est en réalité, quelle que soit la
latitude, que la plus haute idée que chacun sera capable de s'en
faire, sans que ce soit définitivement la bonne, n'est pas
définissable, car cela reviendrait à Lui donner des limites à ce qui
ne peut en avoir.

Comment donner un "Nom", qui par nature définit une chose ou


une ipséité précise, à ce qui n'est pas définissable et infini...
Personnellement j'ai résolu le problème en le désignant par la
fonction unique qu'Il est le seul à pouvoir exercer, je veux parler du
principe de création... Il est donc pour moi le Divin Créateur dont le
nom indéfinissable n'a plus besoin d'être cherché.

Tout ce qui est, est issu du non-être, et ce qui est, n'est pas le non-
être ; mais le non-être se manifeste dans ce qui est, ce qui fait que
le Tao est Créateur et créature.

Bon, pour être plus accessible à l'humaine nature d'ici-bas, disons


que Dieu est moi, et que je ne suis pas Lui, voilà qui évitera la
sempiternelle tentation du Vizir qui veut être Calife à la place du
Calife. Oui, oui, il y a aussi le péché d'Adam...

Ce qui porte un nom, est donc une chose particulière qui se


différencie des autres, cette chose est forcément enclose dans les
limites qui la définissent et la caractérisent ; elle a donc un
commencement et par voie de conséquence nécessairement une
fin. Ce passage dans le cycle de la vie périssable se fait
nécessairement par le truchement d'une mère, que ce soit par ce
qui est en bas, ou par ce qui est en haut. La première mission
qu'une mère se donne envers sa progéniture, consiste à lui donner
un nom ; y aurait-il comme une analogie dans les fonctions...

Quelle admirable somme de connaissances intemporelles


contenue dans quelques sentences d'une pureté sans égale.

Mais pour avoir une vision aussi pure et aussi clairvoyante de


l'inconnaissable, encore faut-il que cette clairvoyance ne soit pas
troublée par les parasites passionnels. Ici le Maître Lao Tseu nous
indique, dès le premier verset, la première condition que le sage
se doit de remplir... Vaincre ses passions, ses émotions
instinctives, sortir de la domination des puissances qui les
engendrent, c'est-à-dire de la sphère des lois de causalité du
Destin.

Et pour être certain d'être parfaitement compris, et sur la bonne


longueur d'onde, le Maître termine par la sentence couperet sans
appel :
Celui qui est habité par le feu de la passion a une vision bornée.

Plus de 2.500 ans après avoir été édictées les sentences du


Maître Lao Tseu, qui ne sont lues par les profanes incultes, que
comme des évidences qui ne méritent pas plus qu'une lecture
frivole, mais pour peu qu'on prenne la peine de les approfondir et
de les méditer, elles se révèlent d'une incommensurable portée
fécondante.

Ce premier verset, dans sa brièveté, ne renferme rien de moins


que l'essence de la Genèse et la clé de toute sagesse.

*
* *
Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - Deux

Le monde discerne la beauté, et, par là le laid se révèle.


Le monde reconnaît le bien et, par là le mal se révèle.
Car l’être et le non-être s’engendrent sans fin.
Le difficile et le facile s’accomplissent l’un par l’autre.
Le long et le court se complètent.
Le haut et la bas reposent l’un sur l’autre.
Le son et le silence créent l’harmonie.
L’avant et l’après se suivent.
Le tout et le rien ont le même visage.
C’est pourquoi le Sage s’abstient de toute action.
Impassible, il enseigne par son silence.
Les hommes, autour de lui, agissent.
Il ne leur refuse pas son aide.
Il crée sans s’approprier et oeuvre sans rien attendre.
Il ne s’attache pas à ses oeuvres.
Et, par là, il les rend éternelles.

Commentaires :

Dans cet extrait du Tao Tô King, Lao Tseu nous enseigne


sous une forme simple, mais infiniment subtile et puissante,
ce que sont les trois grandes forces de l'univers.

Le monde discerne la beauté, ici nous devons comprendre


l'analogie qui désigne la Divine Providence qui exprime au
travers de ses Lois ce qu'est la perfection et
nécessairement la Beauté, l'harmonie, l'équilibre. Mais
aussi la lumière, la Connaissance, l'Amour Divin.
Nous retrouvons ce principe de beauté et d'harmonie divine
dans le livre X du Corpus Hermeticum dans son verset 9 :

Autour de l’Essence divine rayonne la Beauté qui, en vérité,


habite l’être de Dieu en pureté suprême et immaculée.
Osons le dire, Asclépios, l’être de Dieu, s’il est permis d’en
parler, c’est le Beau et le Bien.

Lorsque deux traditions expriment sous une forme presque


identique, un enseignement initiatique, il est facile d'en
déterminer la source commune, qui est nécessairement la
plus élevée.

Et, par là le laid se révèle... L'ignorant n'a pas le sentiment


ou la conscience de son ignorance tant qu'il se trouve au
milieu de personnes qui sont aussi ignorantes que lui. Le
laid lorsqu'il est au milieu de la laideur a nécessairement le
sentiment d'être "normal". Ce n'est que lorsque le monde
discerne la Beauté, que le laid se révèle, ce n'est qu'en
accédant à la Connaissance que s'estompent les ténèbres
de l'ignorance. Ce n'est qu'en découvrant ce qui est
fondamentalement Juste, que l'injustice devient criante et
insupportable.

Cette première sentence, de ce deuxième verset du Tao,


renferme sous la forme la plus simple, mais aussi la plus
explicite, ce qui sépare la Providence du Destin. Ceux qui
sont dans la sphère du Destin ne le découvrent réellement
qu'à partir du moment où ils s'ouvrent aux lumières de la
Divine Providence. Alors, cette séparation du subtil et de
l'épais, comme l'indique la Table d'Émeraude, permet à la
pensée de s'ajuster pour activer les sens supérieurs de
celui qui s'ouvre à la Providence, en lui donnant accès à la
clairvoyance sans laquelle il n'est pas de discernement
possible. Discernement qui est le propre de la Conscience.

Providence, Conscience Destin, nos trois grandes forces


de la Création trouvant en quelques mots leur juste place
dans cette première sentence, ce qui démontre que la
pensée qui en est à l'origine était elle aussi d'une parfaite
justesse, c'est-à-dire totalement épurée.

Le monde reconnaît le bien... Qui dans le monde est


capable de reconnaître le bien, si ce n'est justement la
Conscience qui discerne… Et comment reconnaître le bien
sans en même temps discerner le mal... Cette éminente
fonction de la Conscience qu’est le discernement est la
caractéristique de sa souveraine divinité. Un des tropes
magiques des Tables de la Loi du Sépher de Moïse dit dans
sa plus parfaite exactitude :
Et-vous-serez tels-que Lui-les-Dieux, connaissant-le-
Bien-et-le Mal.

Il y a dans ce trope, comme dans la sentence du Tao, la


quintessence de toute Connaissance, celle qui justement
est capable de distinguer le Bien du Mal, la Vertu du Vice,
le Bon du mauvais, l'évolution de l'involution. Notons au
passage la hiérarchie irréprochable du Tao, qui met d'abord
en tête l'ouverture de la Conscience aux Lois de la Divine
Providence, et ce n'est que lorsque ses lumières de
Connaissance viennent éclairer les ténèbres d'ignorance
de la Conscience, que cette dernière peut commencer à
reconnaître le Bien du Mal.

À ceux qui auraient un manque de discernement, au point


de penser que ces grands principes ne concernent que les
états les plus élevés de la Conscience, je leur signale que
cela induirait un défaut de perception des lumières de la
Providence qui provoquerait une distorsion préjudiciable de
leur clairvoyance. En effet, avant que de pouvoir
s'appliquer aux états les plus élevés de la Conscience, le
discernement du Bien et du Mal doit d'abord se pratiquer
dans les états les moins élevés. Ainsi, si nous prenons
l'habitude de classer chaque évènement, chaque
manifestation, chaque action, chaque parole et chacune de
nos pensées selon la catégorie du Bien et du Mal, cela
impliquera d'une part que nous soyons capables d'avoir
une réflexion journalière sur ces sujets, ce qui ne peut que
développer notre faculté de discernement ; et d'autre part,
nous permettra au fur et à mesure de notre élévation, de
rendre ce discernement de plus en plus subtil et
responsable. Cet exercice qui n'est pas une mince affaire
imposera nécessairement de remettre en question de
nombreuses fausses certitudes, acquises par mécanismes
routiniers, ou par simple paresse intellectuelle, et qui nous
fait prendre trop souvent pour un Bien ce qui après
méditation et réflexion, soit ne l'était pas, ou pire, était
manifestement un Mal... Car, comme pour ce qui était du
laid, ce n'est que lorsque l'on parvient à discerner le Bien
du Mal, qu'il nous est possible de cesser de prendre l'un
pour l'autre ou d'en mélanger les deux pour ne rendre ni le
Bien ni le Mal discernables, afin de prétendre, comme le
font les sophistes raisonneurs, que ni l'un ni l'autre
n'existent.

Discerner le Bien du Mal permet, comme je l'ai dit ci-


dessus, de distinguer le Vice de la Vertu, mais aussi
l'involution de l'évolution, le temporel de l'intemporel et, in
fine, la Providence du Destin, ce qui n'est pas rien pour
ceux qui souhaitent en recevoir les lumières.
Car l'être et le non-être s'engendrent sans fin... Admirable
démonstration d'une pensée parfaitement homogène et en
osmose avec les Lois et les Principes Universels. L'être et
le non-être deux aspects indissociables du Divin Créateur
auxquels est ajouté l'incontournable élément du Ternaire
Divin : l'INFINI. Le chaos et la création, le visible et
l'invisible, les lumières et les ténèbres, le temporel et
l'intemporel étant des aspects (états) d'une même Ipséité
de l'unique Créateur de toutes choses, dans son immuable
Vérité Absolue, nécessairement infinie.

Le difficile et le facile s'accomplissent l'un par l'autre...


Croire que l'on parvient au sommet de la montagne sans
prendre la peine (efforts, endurance, travail), d'en
escalader les flancs c'est violer les Lois de la Création, une
illusion. Croire que l'on parvient au sommet de la
Connaissance (analogiquement traduit par la montagne
dans toutes les grandes traditions), sans faire l'effort d'un
long et laborieux apprentissage, c'est faire preuve
d'ignorance et d'inconséquence. Croire qu'on est capable
de faire le plus, sans avoir saisi la moindre occasion de faire
le moins, c'est une incommensurable vanité. Cette
sentence nous renvoie à l'exercice de discernement du
Bien et du Mal au quotidien. Ne pas être capable de le faire
pour des petites choses, ne permettra pas de le faire pour
des choses plus évoluées et plus subtiles.

Cette illusion, que certain pourraient avoir, qu’il puisse


exister une voie de facilité sans effort, ni travail, n’est
qu’une manifestation de la paresse intellectuelle : un Vice,
qui outre de faire passer son libre arbitre sous
asservissement du Destin, ouvre pour son auteur un
espace d’insignifiance dans lequel il se trouvera
inexorablement plongé, et duquel il aura le plus grand Mal
à sortir.

C'est pourquoi le sage s'abstient de toute action... Il


convient de comprendre le sens infiniment subtil de cette
sentence. L'absence de toute action ne signifie en aucun
cas ne rien faire. Comme d'ailleurs le précisent les
sentences suivantes. S'abstenir de toute action doit
s'entendre dans le sens ou le sage sait qu'il ne doit pas
avoir la vanité de vouloir changer l'ordre souverain des
choses. Cet ordre souverain lui est indiqué par la
Connaissance des Lois de la Divine Providence, qu'il a
longuement reçu, tout au long d'un parcours initiatique, et
en se mettant au service d’une humanité. Le sage n'agit
plus dans la perspective d'un intérêt personnel, mais
uniquement en plaçant sa responsabilité au plus haut degré
qu'il lui soit possible à savoir : celle qui consiste à se
préoccuper des autres, et uniquement que des autres. La
suite de ce deuxième verset en explicite clairement la
pratique sophistiquée, subtile et complexe. L'absence
d'action du sage se fait dans l'action du sage.
*
* *
Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - Trois

Il ne faut pas exalter les hommes de mérite afin de ne pas éveiller de


ressentiments.
Il ne faut ni priser les biens rares, car ce serait inciter au vol, ni exhiber
les choses enviables,
pour ne pas troubler les coeurs.
Aussi, le Sage, dans son gouvernement, fait le vide dans le coeur de ses
sujets.
Il détruit en eux désir et passion qui peuvent les troubler, mais veille à
bien les nourrir.
Il doit affaiblir leur volonté tout en fortifiant leur corps.
Il doit obtenir que le peuple soit ignorant mais satisfait et que la
classe cultivée n’ose agir.
S’il pratique le non-agir, l’harmonie est préservée.
L’ordre est maintenu.
L’empire gardé.

Commentaires :
Très énigmatique que cette troisième sentence du Maître Lao-
Tseu.

Il ne faut pas exalter les hommes de mérite afin de ne pas éveiller


de ressentiments. Éveiller les ressentiments de qui?... Des
hommes qui ne sont pas de mérite... Voilà un regard sur l'ensemble
de la nature humaine qui en dit long sur ce qu'en pensait le Maître...
Manifestement il nous enseigne que l'initiation la plus élevée passe
nécessairement par le sondage et la connaissance du cœur des
êtres humains, et qu'il ne faut pas se faire trop d'illusions sur ce
que le postulant à la sagesse doit s'attendre à y découvrir...

C'est, en plus grossier et plus caricatural, ce qu'exprime la parabole


de la crucifixion de l'avatar Jésus ; et c'est aussi pour cette raison
que celui qui reviendrait dans la fameuse caverne de Platon,
auréolé des lumières extérieures à cette caverne, pour en faire
profiter les cavernicoles velus qui n'auraient pas encore eu ou la
curiosité, ou le courage de jeter un oeil à l'extérieur, se verrait plus
que probablement rejeter par ces esprits simiesques, dans le
meilleur des cas, et dans le pire, assurément étriper par cette
bande de féroces incultes et superstitieux en diable.

L'homme de mérite n'a nul besoin d'être exalté, la pratique sereine


de l'humilité sans laquelle il n'est pas de grandeur possible le
préserve d'avoir jamais besoin de la considération des médiocres,
qui lui serait probablement plus une offense qu'une bénédiction.
Que celui qui reconnaît des mérites à cet homme s'en garde donc
d'en manifester un enthousiasme passionnel, car cela n'ajouterait
rien aux mérites de cet homme, mais aurait pour redoutable
conséquence d'exalter les passions de basse intensité chez les
autres, ce qui se traduit invariablement par des émotions sordides,
vicieuses et aveuglantes. Lao-Tseu nous dit, avec son élégance
coutumière, mais sa clairvoyance redoutable, que le ressentiment
chez les hommes de peu de mérites, n'est jamais une bonne
chose, et que le sage qui peut se prévaloir d'une Connaissance
que ne possède pas le profane se doit d'être en la circonstance le
riche qui donne aux pauvres...

Il nous révèle aussi, comme l'indique d'ailleurs avec précision le


reste de cette admirable sentence, que la sagesse ne consiste pas
à s'élever vers un absolu solitaire et indifférent aux autres, mais en
réalité tout le contraire. Le sage, par la Connaissance de sa propre
nature, et par voie de conséquence de la nature de ses frères et
soeurs de mêmes complexions, ayant le privilège de recevoir de la
Divine Providence des richesses exceptionnelles, se doit, pour être
un homme de mérite, de s'efforcer de les répandre avec sagesse,
au sein de cette communauté au service de laquelle il se met,
sachant par ailleurs qu'il ne doit en attendre aucune gratitude, ni
aucune autre récompense que celle qui permettra, quelques fois et
très rarement, de permettre à quelques-uns de ses semblables de
se tourner vers cette Divine Providence ; et aux autres de ne pas
se laisser emporter par le flot si dévastateur de leurs passions
invalidantes.

Lao-Tseu nous enseigne ici, toujours avec cette grande subtilité


que nous retrouvons comme étant la marque des grands initiés,
que les passions des individus qui ne sont pas à mettre au rang
des hommes de mérite, est invariablement une mauvaise chose au
point qu'il convient à un sage de veiller à ne jamais permettre son
développement... Admirable Connaissance intemporelle que celle-
ci, si nous faisons l'effort de constater que depuis qu'elle a été
émise, il y a plus de 2.500 ans, elle se trouve totalement validée,
tant par l'histoire qui s'est écoulée depuis, que par l'actualité la plus
brûlante. Comment ne pas constater qu'à la base des plus grands
fléaux de l'humanité, il n'y a que de sordides passions ayant pour
progénitures des Fois aveugles et des intolérances sectaires et
destructrices.

Les calamités naturelles, malgré leurs ampleurs et leurs


puissances dévastatrices colossales, ont fait moins de victimes au
sein de l'humanité que les passions engendrées par les
nationalismes tribaux, les ardeurs de vaincre ces autres qui sont
invariablement jugés comme des barbares; les passions que l'on
se charge d'exalter dans une population volontairement maintenue
dans la plus grande ignorance, en l'amour d'un dieu vengeur qui
réclame de boire le sang de tous ceux qui refusent de croire en lui
et sa bonté dévorante et destructrice ; les passions de ceux que
l'on a endoctrinés dans la conviction illusoire qu'ils étaient les
civilisateurs de ces peuples inférieurs et dégénérés. Ou encore, ce
qui est hélas, d'une ardente actualité, la passion de porter la bonne
parole d'une vérité que l'on voudrait absolue celle de la
"démocratie", imposée à la force des armes avec la fausse barbe
des interventions militaro-humanitaires, boite de pandore
dangereusement ouverte par des irresponsables et qui travestit le
vice militaire en pseudo vertu humanitaire, comme aime à le faire
l'angélisme benêt des romantiques prosélytes des fallacieux
lendemains qui chantent...
Lao-Tseu dans son infinie sagesse, nous explique dans cette
sentence, que si la passion et les émotions sordides qu'elle
engendre, n'est jamais une bonne chose pour l'individu de peu de
mérite, et par voie de conséquence pour l'humanité dont il est
membre, il convient que ceux qui entendent gouverner cette
humanité, quel que soit l'échelon sur lequel ils se situent, doivent
le faire en jugulant leurs propres passions et celles des sujets qu’ils
administrent; que c'est là, la responsabilité de celui qui gouverne,
et qu'il ne peut y avoir que des troubles et des désordres sans nom,
lorsque le principe de gouvernance repose sur l'exaltation
passionnelle des membres d'une collectivité d'âmes, comme la
réalité le démontre encore si souvent.

Veiller sur le faible en le protégeant du fort, sur l'ignorant en ne lui


permettant pas de nuise à autrui à cause de son ignorance, affaiblir
les velléités des volontés émotionnelles, qu'elles soient politiques,
religieuses, philosophiques ou même culturelles, reste encore,
pour qui a sondé le coeur des hommes, la plus importante action à
mettre au service de cette humanité... En tout cas, l'histoire récente
ou plus lointaine démontre invariablement que la violation de ce
principe n'est jamais profitable, mais toujours calamiteuse.

Il doit obtenir que le peuple soit ignorant, mais satisfait et que la


classe cultivée n’ose agir. Ici, certains pourraient trouver que se
satisfaire de l'ignorance du peuple est contraire à bien des
principes d'une civilisation évoluée, mais ce serait méconnaître une
réalité d'une toute autre amplitude, qui est que : quelle que soit
l'évolution d'une civilisation, le peuple (qui représente ce que
Confucius appelait le plus grand nombre) a toujours été, et sera
toujours ignorant. Cette ignorance se mesurant non pas à l'aune
de ce que savaient les peuples antérieurs qui se trouvaient au
début de la croissance de cette civilisation, mais par rapport aux
plus cultivés de ses membres actuels. On peut dire que suivant ce
critère, les peuples sont toujours ignorants et que c'est là l'ordre
immuable des choses. Lao-Tseu démontre par cette sentence qu'il
est en harmonie avec les Lois de la Divine Providence et qu'il
n'ignore rien de celles du Destin. Notons qu'il fait ici référence à la
classe cultivée, ce qu'il convient de distinguer des Initiés. Être
cultivé, consiste en une accumulation de savoir qui ne confère pas,
et ne conférera jamais la moindre once de sagesse. C'est même
souvent, pour ne pas dire toujours, par la classe dite cultivée que
se déchaînent les pires passions. Alors, le sage qui a autant de
recul envers le peuple ignorant, qu'envers cette classe cultivée,
qu'il ne considère pas comme étant composée par des hommes de
mérite, se garde bien de laisser l'un (le peuple) se laisser dévorer
par les passions de l'autre (la classe cultivée) ... L'harmonie se
trouve bien évidemment toujours sur la voie du juste milieu, ou de
l'analogie des contraires comme le revendiquent les adeptes de
l'hermétisme. Et pour le Maître il s'agit du non-agir... Non-agir qui
ne veut pas dire ne rien faire, comme l'interprète trop souvent ceux
qui font une lecture superficielle de ces admirables sentences,
mais de ne pas permettre aux démons passionnels et émotionnels
de se manifester en réaction à une action inconsidérée ; ce qui
implique la pratique des vertus, mais nous aurons l'occasion de
constater lors des prochaines sentences du Tao comment
s'orchestre cette pratique.

Pour conclure sur cette brève analyse d'une sentence qui contient
tant de richesses subtiles, je voudrais juste attirer l'attention du
lecteur sur le fait que Lao-Tseu, fidèle en cela à sa doctrine
générale, considère qu'avant de parvenir à gouverner un empire, il
faut bien évidemment être capable de parvenir à se gouverner soi-
même... Qui peut le plus, doit pouvoir le moins, ou comme le dit
encore le Maître :

Le difficile et le facile s'accomplissent l'un par l'autre.

Par la destruction des désirs et des passions qui pourraient germer


dans le cœur des êtres de peu de mérites, Lao-Tseu nous
enseigne que les démons du vice utilisent le plus puissant pouvoir
qu’ils ont à leur disposition pour asservir ces individus, et ce
puissant pouvoir a pour nom : L’émotion !

*
* *
Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu — Quatre

Le Tao est le vide, mais le vide est inépuisable.


C’est un abîme vertigineux.
Insondable.
De lui sont sortis tous ceux qui vivent.
Éternellement, il émousse ce qui est aigu, dénoue le fil des existences,
fait jaillir la lumière.
Du rien, crée toute chose.
Sa pureté est indicible.
Il n’a pas de commencement.
Il est.
Nul ne l’a engendré.
Il était déjà là quand naquit le maître du ciel.

Il est intéressant de constater que le Maître Lao-Tseu n’utilise pas


le vocable de « Dieu » pour désigner le Divin Créateur, mais il
l’appelle le Tao. Ainsi, par cette appellation spécifique il échappe à
ce que redoutent le plus les Sages et les Hiérophantes de toutes
les traditions, je veux parler de l’anthropomorphisme, de l’idolâtrie
et la déification dogmatique des symboles et puissances. C’est
aussi la grande difficulté que doit parvenir à surmonter le véritable
Initié sur le chemin de probation, ou celui de la Connaissance
éprouvée. La parabole du Coran concernant le pont de Shira, et
que j’ai déjà évoqué lors d’un précédent article dans le Grand
Œuvre d’Hermès Trismégiste, est une des meilleures analogies qui
mettent en garde contre les deux perversions que sont les gouffres
de la raison et de la superstition. Tout au long de ses subtiles et
sublimes sentences, Lao-Tseu se garde bien de sortir de l’étroit
chemin du juste milieu, le seul sur lequel se trouve la Vérité,
comme le disait si justement Fabre d’Olivet. Quoi de plus facile que
de transformer de réelles Connaissances spirituelles pour en faire
des dogmes religieux, philosophiques, scientifiques, dans lesquels
ne demandent qu’à s’enfermer les ignorants et les égarés de toutes
catégories. Quoi de plus facile que de se servir de ces
Connaissances pour s’attribuer de vains et dérisoires mérites, qui
ne seront en réalité que des impostures et des trahisons envers les
puissances qui ont eu la générosité d’accorder leurs lumières à
celui qui n’a pas su épurer ses pensées des vices qui ne
demandent qu’à prendre leur revanche à la première occasion...
C’est aussi ce qui guette, à chaque pas sur le chemin de son
évolution, le sage qui sera constamment soumis à la tentation de
s’attribuer avec ingratitude, des mérites dont il n’est que le gardien
temporaire. Comme le dit si bien Eliphas Lévi, le sorcier se donne
au diable, et le diable se donne au Mage. Que la pratique des
vertus du Mage soit réellement constante, car sinon il se
transformerait rapidement en sorcier de la pire espèce. Ou encore
comme l'exprime si injustement certaines prières chrétiennes, par
la formule : ne nous soumet pas à la tentation.

Je dis injustement, car ne pas être soumis à la tentation, c'est aussi


perdre la faculté d'exercer son libre arbitre, et donc d'accéder à la
maîtrise de ses pouvoirs divins qui passe par l'épreuve de la
Connaissance.

Les Théosophes Tibétains aiment à dire, comme l’écrivait le Maître


Koot Hoomi Lal Singh, que « Dieu » pour eux n’existe pas, et n’est
donc pas un paramètre qu’ils ont à considérer. Aussi déroutant que
cela puisse paraître, venant de la part de mystiques de si haute et
si juste élévation, cela rejoint pourtant parfaitement ce qu’en dit
Lao-Tseu lorsqu’il parle du Tao. Il est d’ailleurs aisé de constater
que les enseignements que nous ont laissés ces Tibétains, par
leurs nombreux écrits, ou par le truchement des ouvrages de la
grande H.P. Blavatsky dont sa célèbre Doctrine Secrète, qui nous
indique que si « Dieu » au sens anthropomorphique n’existe pas,
l’abondance des manifestations de la Force supérieure centrale qui
inonde l’ensemble de la création, implique manifestement la réalité
de cette Force, et qu’elle trône au sommet de toutes les
hiérarchies. Le Divin Créateur n’existe pas en tant que tel, mais il
se manifeste, voilà qui exclut toute possibilité de n’en pas tenir
compte, ce qui ne veut pas dire qu’il faille pour autant lui attribuer
des fonctions qui ne sont pas et ne seront jamais les siennes. Ainsi,
le fait d’exclure un « Dieu » comme paramètre indispensable à
toute Métaphysique, n’est pas si absurde que cela. Ceci nous
renvoie aux précédents articles traitant du sujet de la Nature de «
Dieu » ... Cette Vérité Absolue est nécessairement immuable, et
ses Lois étant par nature parfaites, Il n’a donc jamais la nécessité
d’intervenir pour en assurer la bonne application. Ces Lois
s’imposent à l’ensemble de la Création, et par voie de
conséquence elles s’imposent à Lui-même, sinon cela reviendrait
à considérer qu’Il ait pu commettre une imperfection qui l’amènerait
à ne pas respecter ou faire respecter une seule de ses Lois. De ce
qui précède, découle donc forcément que le Divin Créateur n’ayant
pas le besoin d’intervenir, il n’est pas utile de le considérer comme
un paramètre Métaphysique pour accéder à la Connaissance.
Comme l’expliquent d’ailleurs fort justement les Tables de la Loi du
Sépher de Moïse, au septième jour de la Genèse, Lui-les-Dieux,
après avoir accompli l’acte souverain (celui qui donne les Lois
permettant, le fait Créateur) se restitue dans son ineffable Lumière
Universelle.

Le Tao est le vide, mais le vide est inépuisable... Relevons ici que
Lao-Tseu ne dit pas que le Tao est le néant, comme le font les
Kabbalistes hébraïques avec leur principe de Aïn (le néant) duquel
ils font sortir tant de paradoxes ingérables. Le Tao est le vide, un
vide de formes précises, mais qui contient en contingence d’être
les Lois des Principes de la Divine Providence, qui se
manifesteront autant-que-possible et au moment voulu . Ce vide
de l’infini non manifesté, mais qui est qualifié par Lao-Tseu
d’inépuisable, ne peut donc pas être un néant, car le néant, ce n’est
rien, absolument rien, même pas le vide. Le néant n’a aucun
attribut concret ou abstrait il est simplement l’absence de quoi que
ce soit ne supportant aucune exception sous peine de ne plus être
le néant ; alors que le vide a pour lui la faculté d’être infini, ce qui
laisse une large possibilité de place au temps et à l’espace pour
qu’ils se manifestent, et comme ce vide est inépuisable et que c’est
de lui que proviennent toutes choses, comme l’indique la sentence
: De lui sont sortis tous ceux qui vivent, il est donc impossible de le
confondre avec le néant. Rien que sur ce point, et il y en a hélas
beaucoup d’autres, la Kabbale hébraïque introduit une profonde
distorsion dans la justesse de sa pensée, qui induira une
déformation dans la pureté d’une vision spirituelle, et qui, de mon
humble avis, lui enlève toute prétention à être la voie la plus
mystique d'évolution et de connaissances, que pourtant elle
revendique fort.

Le vide dont il est ici question n’est pas quelque chose, mais cette
absence de manifestation n’en fait pas rien (un néant) pour autant,
pour prendre un exemple concret, ce sera dans l’expression
Numérale des puissances, celui qui portera le Nombre zéro. Le
Nombre zéro n’est rien lorsqu’il est seul, et il n'a aucune
signification propre, mais c’est celui qui élève en puissance tous
les autres Nombres. Ce Nombre zéro est par nature différent de
tous autres Nombres, ce n’est pas naturellement qu’il s’est imposé
à l’humanité, et il a fallu attendre les mérites de la religion hindoue,
qui intègre parfaitement et dans une pensée nettement plus juste
que les autres de l’époque, la notion de vide et d’infini comme une
réalité objective au point de lui accorder un Nombre spécifique si
utile depuis, à nos mathématiques.

Le Nombre zéro est aux autres Nombres, ce que l'Eternel Moment


Présent est au temps. N'étant ni le passé, ni le futur, il est donc
hors du temps, tout en étant ce qui le manifeste.

Éternellement, il émousse ce qui est aigu, dénoue le fil des


existences... Ici Lao-Tseu nous résume, avec une simplicité
remarquable, le principe des cycles dans la sphère de
manifestations temporelles nourri par l’intemporel, ceci nous
renvoie à l’article concernant les deux éternités que nous
retrouvons dans l’ancienne Égypte, et qui ne s’expliquent que par
un Intemporel contenant Tout en simultané, et une sphère
temporelle qui manifeste tout en mode successif et cyclique. C’est
l’éternel Tao qui donne l’éternité aux cycles de manifestations
temporelles.

Fais jaillir la lumière. Du rien, crée toute chose. Sa pureté est


indicible.... Après nous avoir dit que le Tao est le vide inépuisable,
Lao-Tseu nous indique qu’il fait sortir du rien toute chose. Le rien
n’est donc pas le néant, mais le non manifesté ; rien, qui vient juste
après le jaillissement de la lumière, exactement comme le
décrivent les Tables de la Loi du Sépher de Moïse. Et si nous
suivons le même raisonnement parallèle qui est à l’origine de ces
deux enseignements, alors la lumière n’est pas ici une chose en
elle-même, mais l’expression de l’Intelligence la plus pure de
l’Esprit du Tout, qui deviendra lumière lorsque ce Feu pénètrera les
ténèbres de la Nature humide, comme l’indique le Corpus
Hermeticum.

Sa pureté est indicible... Comment ce qui n’est pas parfait, pourrait-


il percevoir la perfection absolue ... Lao-Tseu, dans sa définition du
Tao, lui donne exactement les mêmes attributs que ceux que l’on
peut attribuer à la plus haute idée qu’il nous soit donnés de nous
faire du Divin Créateur, Cette Vérité Absolue immuable de laquelle
il est possible de s’approcher sans cesse, mais qui comme la ligne
de l’horizon, recule d’autant que nous avançons. Comment le fini
pourrait-il entrevoir ce qu’est l’infini ? En vérité il ne peut pas et il
ne le pourra jamais, mais la perfectibilité infinie du fini n’est possible
qu’en ayant pour but de parvenir à entrevoir cet Eternel infini...

Il n’a pas de commencement. Il est. Nul ne l’a engendré...


Remarquable vision du Maître Lao-Tseu qui dans une formulation
d’une simplicité incompressible, nous indique que le Tao est dans
tout ce qui se manifeste, comme le peintre est dans ses toiles, bien
qu'aucune de ses toiles ne soient le peintre, le Tao n'étant pas
engendré, n'est pas son oeuvre ... Le Tao est et n’est pas en même
temps, sans que cela soit pour autant contradictoire. De surcroît,
n’ayant pas de commencement il ne peut donc pas avoir de fin,
principe même de l’immortalité.

Il était déjà là quand naquit le maître du ciel... Là encore, Lao-Tseu


rejoint les grands Enseignements intemporels comme celui des
Tables de la Loi du Sépher de Moîse, lorsqu’il indique subtilement
que le Tao n’est pas le Créateur en lui-même, mais qu’il est la
cause même de cette création en étant le Principe Créateur. Les
maîtres du ciel, desquels proviendront les manifestations de ce
Principe Créateur, ne feront que le manifester dans son infinie
diversité, et selon l’expression qui leur sera propre et conforme à
leur nature spirituelle. Le Divin Créateur (le Tao) est donc celui qui
rend la Création possible, il est l’unique fait créateur, rien ni
personne dans l’Univers ne possède cette faculté unique, mais ce
qui manifeste les Lumières (les Lois) de ce fait créateur n’est pas
le Tao (Divin Créateur), mais les Maîtres du ciel, une tout autre
histoire que nous aurons l’occasion d’aborder par ailleurs.

Dans ce que nous dit, d’ores et déjà, Lao-Tseu du Tao, nous


pouvons discerner qu’Il possède les attributs de l’éternité, de
l’omniscience et de l’ubiquité, ce qui caractérise le Divin Créateur
que d’autres, pour des raisons de commodités de communication,
appellent «Dieu».

*
* *
Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - Cinq

Le ciel et la terre sont indifférents aux passions humaines.


Pour eux, les vivants ne sont que chiens de paille.
Éphémères.
Le Sage n’a pas d’affection.
Pour lui aussi, les hommes ne sont que chiens de paille.
Entre le ciel et la terre, l’espace est comme un soufflet de forge.
Il est vide mais pas épuisé.
Soit qu’il s’enfle, soit qu’il s’abaisse, il est toujours prêt à servir,
toujours inépuisable.
L’homme qui veut saisir l’espace n’étreint que le vide.
Mieux vaut se fondre dans ce vide, dans ce vide immense, dans ce vide
merveilleux.
C’est le vide sublime, c’est le Tao.

Commentaires :

Grande, immense leçon de lucidité, de clairvoyance et d'humilité


que nous délivre Lao-Tseu dans cette cinquième sentence.

Le ciel et la terre sont indifférents aux passions humaines... J'ai


déjà eu maintes fois l'occasion de dire, lors des précédents articles
dans l'e Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste, combien les passions
sont à considérer comme étant du domaine du vice et non de celui
de la Vertu. Voilà qui est clairement dit dans le livre de la Voie et
de la Vertu du vénérable Maître. Le ciel et la terre qui sont des
puissances, je devrais dire pour être plus juste, des Entités
spirituelles d'une tout autre élévation que l'humaine nature, qui se
manifeste dans ses passions sordides et insignifiantes, ne peuvent
accorder aucune attention ni aucune considération aux turpitudes
frivoles et futiles de ces passions si proches de l'enfantillage.

Pour eux, les vivants ne sont que chiens de paille... Éphémères...


Non seulement ils sont éphémères, mais en même temps si peu
vivant pendant le temps fugace de leur illusoire apparence qu'ils
sont comparables, pour ces Entités Divines, à des chiens empaillés
; ce que nous devons entendre comme cette humanité terrestre qui
se manifeste dans son aspect de la plus basse condition qu'il lui
soit possible: celle de l'animalité. Les passions de cette animalité
sont celles des cinq sens organiques qui s'expriment dans les
désirs égotiques primaires et grossiers ; juste de quoi satisfaire la
bête passionnelle le temps de son existence, sans qu'il n'en reste
rien, après cette existence, qui soit digne d'intérêt d'un point de vue
supérieur, celui qui justement dépasse les limites du périssable.

Le Sage n’a pas d’affection... j'ai souvent entendu et vu des


commentaires, de la part des profanes ignorants, qui manifestaient
une grande perplexité devant cette pourtant noble et sage
affirmation. Elle a pour effet (cette affirmation) de dérouter, pour ne
pas dire déstabiliser ceux qui fondent leur postulat intellectuel et/ou
spirituel sur l'émotion. Nous retrouvons les adeptes de l'émotion
dans cet immense courant qu'est le romantisme et qui a été pour
l'humanité une des causes, pour ne pas dire la principale, des pires
catastrophes qu'elle a été capable d'engendrer. L'angélisme benêt
des adeptes du romantisme émotionnel, se retrouve parmi ceux
qui ont été à l'origine de ces fameux lendemains qui chantent, et
qui devaient faire qu'il n'y ait plus de damnés de la terre, après bien
évidemment une terrible lutte finale... Conformément au principe
de discernement qu'il convient de juger l'arbre à ses fruits, l'homme
à son parcours et une idéologie à son histoire ; celle du romantisme
des lendemains qui chantent, n'a donné que les fruits amers de la
misère généralisée, du goulag et de la terreur de la dictature
populaire, qui n'est que l'alignement sur le plus petit dénominateur
commun : celui de la médiocrité... Dans un même ordre d'idée,
nous retrouvons les romantiques, dans ceux qui prétendaient
détenir les lumières de la civilisation, qu'il convenait d'apporter aux
peuples barbares, sauvages et incultes, par la force si nécessaire
d'une colonisation, et elle fut toujours nécessaire... Nous
retrouvons encore le même romantisme émotionnel et passionnel
chez ceux, pour l'amour d'une certaine idée de ce qu'ils se font d'un
dieu, sont prêts à mourir pour lui, mais se traduisant surtout dans
la réalité par le fait qu'ils sont surtout prêts à faire mourir ceux qui
n'ont pas « l'intelligence » de partager leurs croyances sectaires et
intolérantes. Car c'est aussi là, les marques indélébiles de la
passion et de l'émotion des romantiques, elles sont sectaires et
intolérantes, sous l'aspect d'un angélisme bonasse et rarement
vertueux.

Lorsque Lao-Tseu nous enseigne que le sage n'a pas d'affection ;


après avoir fait état des passions humaines, il entend nous faire
comprendre les méfaits de l'émotion, de l'émotivité et des
sensibleries qui sont autant d'aveuglement pour celui qui cherche
la Vérité au travers d'une pensée juste en Vertus. L'émotion, la
passion, le désir, lorsqu'ils sont livrés à eux-mêmes, ne sont que
des voies de perdition, des asservissements et des dominations de
la part des puissances vicieuses qui n'attendent que la faiblesse
de celui qui succombe à ces travers, pour mieux l'enchaîner à leur
dépendance... Le sage n'a pas d'affection, car s'il venait à dire qu'il
aime ceci ou cela, il rendrait sa pensée automatiquement
hétérogène et discriminante, puisque selon le principe qui veut que
ce que l'on dit, dit aussi ce que l'on ne dit pas, il manifesterait
implicitement une détestation pour ce qui n'entre pas dans la
catégorie de ce qu'il aime. La pensée la plus universelle, à laquelle
il soit possible à la nature humaine d'accéder, est celle qui veut que
Tout soit Vrai, et que rien de ce qui existe n'est étranger au Divin
Créateur, partant de ces postulats irréductibles, tout est à
considérer, comme le disent les théosophes Tibétains, comme
étant des fils de la nécessité.

Pour lui aussi, les hommes ne sont que chiens de paille... En cela,
et Lao-Tseu est ici d'une redoutable précision dans ses analogies,
il est indiqué que le sage en partageant les mêmes pensées justes
en Vertus que les Entités divines supérieures, s'est élevé au point
de pouvoir s'identifier à elles... Je souligne encore une fois ce
pouvoir d'identification, que j'ai eu l'occasion d'évoquer lors de
précédents articles... Comprenne qui pourra !
Entre le ciel et la terre, l’espace est comme un soufflet de forge. Il
est vide, mais pas épuisé... Dans cette belle formulation, le Maître
nous fait entendre qu'il y a des aspects visibles, et des aspects
invisibles et que ces derniers comblent le vide qu'il y a dans
l'espace séparant deux choses visibles. De ce vide apparent, pour
ceux qui n'ont pas d'autre facultés pour le voir, il est possible de
puiser une infinité de choses ; comme le révèle la suite de cette
sentence.

Soit qu’il s’enfle, soit qu’il s’abaisse, il est toujours prêt à servir,
toujours inépuisable... Soit qu'il s'enfle, c'est-à-dire soit qu'il évolue
vers le subtil, soit qu'il s'abaisse dans l'épais, la source énergétique
qui est à l'origine des choses est toujours inépuisable, car cette
énergie est infinie et immortelle, (inépuisable).

L’homme qui veut saisir l’espace n’étreint que le vide... L'homme


dont il est ici question est celui qui est classé dans la catégorie des
chiens de paille, éphémère, futile, dérisoire et aux facultés
uniquement organiques, d'avec lesquelles il ne peut espérer saisir
le monde subtil de l'invisible plan Mental, déjà largement évoqué
dans le sujet sur le Kybalion.

Mieux vaut se fondre dans ce vide, dans ce vide immense, dans


ce vide merveilleux. C’est le vide sublime, c’est le Tao... Ce Tao,
cette énergie inépuisable qui est à l'origine du vide, et qu'il convient
de ne pas confondre avec le néant, est l'étendue infinie dans
laquelle se trouvent en contingence d'être, les puissances
invisibles supérieures. L'être humain ne peut pas, par ses moyens
organiques, saisir l'espace de ce monde invisible autrement
qu'avec des facultés qui ne peuvent saisir que l'épais. Seules ses
fonctions subtiles supérieures peuvent lui permettre non pas de se
saisir du subtil, mais de se fondre dans lui pour devenir comme lui,
et ceci nous renvoie encore une fois à ce mystérieux pouvoir
d'identification. La différence entre le sage et l'homme chien de
paille, n'est pas dans l'apparence de ce qu'il manifeste, mais bien
davantage dans ce à quoi il parvient à s'identifier. Entre un Roi et
un gueux, le patrimoine physique est sensiblement de même
valeur, ce qui fait de l'un le supérieur de l'autre, réside
essentiellement dans les différences culturelles et cultuelles qui
permettent à chacun de pouvoir s'identifier à ce qui lui correspond
le mieux spirituellement. Nous ne sommes rien d'autre que des
chiens de paille, tant que nous ne sommes pas capables de
franchir les limites de notre prison égotique, celle qui est constituée
des solides barreaux de nos passions, désirs et émotions. Pour
être autre chose que ces chiens de paille, il faut donc être capables
de s'identifier à des puissances autrement supérieures en subtilité,
durée et dimension afin de parvenir à franchir les limites des
passions humaines pour atteindre dans un premier temps l'état du
sage. Il découle naturellement de ce constat, que nous ne sommes
rien, ou pas grand-chose, tant que nous ne sommes pas parvenus
à nous insérer dans ce Tout Grandiose, que Lao-Tseu appelle le
Tao.

C’est le vide sublime, c’est le Tao... Ce Tao est donc ce vide


sublime qui contient Tout sans être rien de ce qu'il contient, ce qui
correspond, de là où je me tiens, à ce Divin Créateur Immuable
Vérité Absolue. La mission du sage est donc de parvenir à être
quelque chose qui s'intègre (s'identifie) dans ce Grand Tout,
sachant qu'il n'est pas ce Grand Tout.

Ceci rejoint ma petite formule qui dit : Dieu est moi, et je ne suis
pas Dieu.

Enfin, pour conclure cet article sur cette sentence du Vénérable


Maître Lao-Tseu, je voudrais signaler que malgré ses 2.500 ans
d'âge, l'enseignement du Tao Tö King, est d'une ardente actualité
et n'a pas pris la moindre ride, preuve qu'il a acquis cette part
d'intemporalité qui revient à tout ce qui s'approche le plus de
l'Universel... En cela réside la principale propriété d'une pensée
juste en Vertus. Que ceux qui ont des oreilles pour entendre,
entendent !

*
* *
Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - Six

L’esprit de l’Obscurité est immémorial, éternel.


C’est le principe féminin des origines.
Les racines du ciel et de la terre s’élancent de sa porte mystérieuse.
Toujours renouvelé, il se répand dans l’univers.
Indéfiniment.
Il ne s’épuise jamais.

Commentaires :

La simplicité et la profondeur des sentences de Lao-Tseu


démontrent, s'il en était encore besoin, la réelle inspiration divine
qui a été la sienne. Après avoir abordé l'Absolu qu'il appelle le Tao,
(précédente étude sur ce sujet), il nous révèle dans le sixième
paragraphe de son enseignement, ce que contient le vide du Tao.
Ce vide n'étant pas le néant, est une abstraction que nous ne
pouvons désigner que sous la dénomination de l'incréé. Cet incréé,
En Sof pour les Kabbalistes, n'est pas une manifestation, il est
toutes les manifestations en contingence d'être, plus ce qui les
contient ; ce vide inépuisable et infini n'est pas la matière, mais
l'essence des principes permettant à cette matière d'exister. Le
seul concept qui soit compatible avec ce vide contenant Tout, c'est
ce que Pythagore estimait comme la base de l'Harmonie, je veux
parler des Nombres sacrés. Ceci nous renvoie au précédent article
sur la Vibration, et les pensées qui leur servent de véhicule. Le Tao
ce vide inépuisable, est ce qui contient les immuables pensées du
Divin Créateur. Là encore, ce traité de la Science Hermétique
qu'est la Kybalion, a fort bien appréhendé cette nécessité du vide
(absence de manifestation matérielle) par ce concept d'univers
Mental dans lequel se trouve chaque pensée dont l'absence de
forme manifestée les ramène en état de contingence d'être,
comme l’indiquent si judicieusement les Tables de la Loi du Sépher
de Moïse. Dans cet univers Mental du vide, chaque pensée est une
âme, mais c'est aussi un Nombre plus ou moins complexe.

De cet univers Mental, dont le Nombre zéro est l'état de vide et


d'infini, se distinguera le Nombre Un, la Lumière Pouvoir créateur,
et le Nombre Deux l'esprit de l'Obscurité immémorial et éternel.
Nous pouvons là encore rapprocher ce que nous dit Lao-Tseu de
ce que nous dit Hermès dans le Corpus Hermeticum verset 9 :

Peu de temps après, dans une partie de cette lumière, des


ténèbres effrayantes et lugubres descendirent et tournoyèrent en
spirales sinueuses semblables à un serpent, me sembla-t-il. Puis
ces ténèbres se transformèrent en une nature humide et
indiciblement trouble, d'où s’éleva une fumée comme un feu, tandis
qu’elle faisait entendre un bruit pareil à un gémissement
indescriptible.

Je renvoie aux commentaires dont je faisais suivre cet extrait


lorsque je l'ai traité dans l'article du Grand Œuvre d'Hermès
Trismégiste. Dans une même vision transcendée de ce principe
abstrait, nous retrouvons une similitude dans un passage du Rig
Véda si évocateur par la puissante vibration de son sens Cachant
:

Il n’existait rien : ni le ciel clair,


Ni la large voûte des cieux étendue au-dessus de nos têtes.
Qu’est-ce qui couvrait tout ? Qu’est-ce qui abritait ?
Qu’est-ce qui cachait ?
Etait-ce l’abîme sans fond des eaux ?
Il n’y avait pas de mort – cependant rien n’était immortel ;
Il n’y avait rien qui divisât le jour de la nuit ;
L’Un seul respirait sans souffle, de lui-même :
Depuis, il n’y a eu rien que Lui.
Les ténèbres régnaient, et tout, au commencement, était voilé
Dans une obscurité profonde – océan sans lumière.
Le germe qui sommeillait encore dans l’enveloppe
S’entrouvrit sous l’influence de la chaleur ardente, en forme de
Nature Une.…..
Qui connaît le secret ? Qui l’a proclamé ici ?
D’où, d’où vint cette création multiple ?
Les Dieux eux-mêmes vinrent plus tard à l’existence.
Qui sait d’où vint cette création immense ?
Qui connaît cela, d’où vint cette grande création,
Si Sa Volonté créa ou s’abstint ?
Le plus haut voyant qui est au sommet des cieux
Le sait sans doute – ou peut-être ne le sait-il pas, lui non plus..."
"Abîmant ton regard dans l’éternité
Avant que les fondations du monde fussent établies.…..
Tu existais. Et lorsque la flamme souterraine
Rompra sa prison et détruira la charpente du monde,
Tu seras encore, comme tu étais autrefois
Tu ne connaîtras aucun changement quand le temps ne sera plus.
O pensée sans fin, divine ETERNITE !
C’est le principe féminin des origines... Si nous devons considérer
que le Nombre Un, ne se multiplie pas, mais se divise, alors le
Nombre Deux sera sa partie féminine (la Papesse dans les
mystérieuses lames du livre de Thot), celle qui sera la polarité
opposée du Feu, la polarité mâle et fécondante. Le Feu et l'Eau,
les Lumières et les Ténèbres, le Féminin et le Masculin, ne sont
que des polarisations du Nombre Un, et comme le disait Saint-Jean
dans son Evangile :

1.5 La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point
reçue.
L'ensemble des manifestations de la Création sera polarisé suivant
d'abord cet aspect Mâle et Femelle, Yin et Yang, chaud ou froid.
Le Nombre Deux est féminin par rapport au Nombre Un, mais il
devient masculin par rapport au Nombre 3 ; chaque Nombre
possédant ces deux aspects (sexes) qu'il manifestera selon qu'il
reçoit de celui qui le précède, ou selon qu'il donne à celui qui lui
succède. Les deux serpents de notre Caducée d'Hermès restent
étroitement et indissociablement entrecroisés, comme le précisent
si justement les enseignements des Tables de la Loi du Sépher de
Moïse, Adam dans sa forme glorieuse est androgyne.
Les racines du ciel et de la terre s’élancent de sa porte
mystérieuse... Rien de ce qui se manifeste dans la sphère
temporelle ne pourrait exister sans avoir pour origine cette Vierge
originelle qui féconde en son sein chaque germe de la Pensée
Divine préexistante, et à l'image du père et de la mère terrestre,
toutes les analogies du contraire que permet le croisement du Feu
et de l'Eau, de la Lumière et des Ténèbres, du Masculin et du
Féminin, du Chaud et du Froid. La dualité originelle marque de son
empreinte héréditaire l'ensemble de ses progénitures.

Toujours renouvelé, il se répand dans l’univers... La Matrice de la


Vierge originelle féconde les luxuriantes arborescences de la
Lumière des Pensées du Divin Créateur qui se répandent dans
l'univers. Ceci est un Principe, et selon l'axiome de la Table
d'Emeraude : ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et
ce qui est bas est comme ce qui est en haut ; pour réaliser les
miracles d’une seule chose. Ce principe est intemporel et nous le
retrouverons sur tous les plans de la création où se manifestera
une chose autant-que-possible, et chaque fois que par déclinaison,
les principes masculin et féminin devront s'unir pour que cette
chose se manifeste. Il convient d'entendre ici le masculin et le
féminin selon le langage analogique, ceci se traduira par des
polarités positives et négatives autant que par la manifestation
sexuée d'un végétal ou d'un animal, qui n'en sont que les formes
manifestées. Sur les plans cosmiques nous devons nous attendre
à retrouver cette polarisation sexuelle, ce que la mythologie
grecque a abusivement anthropomorphisée au point de dénaturer
l'ontologie spirituelle qu'elle avait reçue de civilisations hautement
plus développées que la sienne, et a conduit la civilisation Grecque
à un éphémère éclat historique sans lendemain.

Indéfiniment... Avec très peu de mots, mais toujours une pensée


infiniment juste en Vertus, Lao-Tseu nous délivre des vérités dont
l'intemporalité est comparable aux rares et précieux
enseignements des plus grandes traditions mystiques et
ésotériques. Par cet adverbe, le maître se place résolument au
centre du cercle des manifestations, celui de l'Eternel Moment
Présent qui seul se situe hors du temps. Indéfiniment, c'est
l'absence de temps, ou le temps infini, c'est aussi l'immuable Vérité
Absolue. Ce point fixe sur lequel tout mouvement prendra appuis.

Il ne s’épuise jamais... Les cycles qui se manifesteront à partir de


ce principe féminin des origines, verront le début et la fin de toutes
créations et créatures qui adviendront dans ces cercles, mais les
cycles de manifestations eux ne s'épuiseront jamais. Lavoisier
avait perçu ce principe éternellement cyclique par sa célèbre
formule : rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Ou
encore ce verset de l'Ecclésiaste :

1.9 Ce qui a été, c'est ce qui sera, et ce qui s'est fait, c'est ce qui
se fera, il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

La simplicité des sentences du Tao Tö King est l'expression de la


plus grande sophistication qui soit, comme tous les textes
profondément hermétiques, le Tao Tö King ne délivre ses secrets
que par le sens Cachant, celui de la lecture la plus ésotérique et
mystique qu'il soit possible d'en faire ; pour les lectures Parlantes
et Signifiantes, même s'il est possible d'en extraire un
enseignement relativement primaire, il n'est rien, comparé à ce que
renferme son langage hermétique, dont la puissante densité
vibratoire produit une résonance avec celle des dieux. Ce qui
confirme que le langage analogique est bien celui des divinités
supérieures.

*
* *
Livre du Tao Tö King I, Lao Tseu - Sept

Le ciel et la terre sont éternels.


Ils n’ont pas de vie propre.
Voilà pourquoi ils sont éternels.
Ainsi, la première place revient au Sage qui a su s’effacer.
En oubliant sa personne, il s’impose au monde.
Sans désirs pour lui-même, ce qu’il entreprend est parfait.
Il s’était assis à la dernière place.
C’est pour cela qu’il se retrouve à la première.

Lorsque Lao-Tseu affirme que le ciel et la terre sont éternels, il se réfère bien
évidemment aux Principes spirituels que sont le "ciel" et la "terre", le visible
et l'invisible, le créé et l'incréé. Ils n'ont pas de vie propre, car la vie est ce
qui se manifeste, et qui est caractérisé par le mouvement, la forme et la
durée. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer dans les articles
précédents du Grand Œuvre d'Hermès Trismégiste, ce qui a un début, doit
obligatoirement avoir une fin. Et ce qui se manifeste, le fait toujours dans la
sphère temporelle. Avoir une vie propre reviendrait à être mortel et donc pas
éternel.

Nous retrouvons ce qu'évoque cette sentence, dans le premier chapitre des


Tables de la Loi du Sépher de Moïse, la Genèse où tout se retrouve en
Principe et en contingence d'être. Ces Lois Principes desquelles pourront se
manifester toute vie propre, sont éternelles car hors du temps. C'est ce qui
se situe dans l'Éternel Moment Présent. L'esprit réducteur de l'être humain
sera toujours tenté d'attribuer à la terre, ce qu'il perçoit selon ses sens
organiques, mais c'est oublier que la terre n'est pas que ce qu'il peut toucher
dans la partie la plus dense de la manifestation, comme l'eau n'est pas que
l'élément liquide qui n'est dans cet état que selon un champ de manifestation
extrêmement limité puisqu'il se situe sur une plage de température de plus
273,15°C à plus 373,15°C. Or l'élément Eau n'est pas que cette
manifestation dans cette forme liquide, mais se retrouve sur un nombre infini
de manifestations qui vont du zéro absolu, à une température infinie. Ainsi,
un gaz se liquéfiera en approchant du zéro absolu ; ce sera aussi le cas d'un
métal ou d'une roche soumise à de très fortes températures. L'élément
fluidique ne peut donc pas être uniquement réduit à l'eau liquide, mais
davantage à un principe n'ayant pas de vie propre, mais se manifestant dans
des formes selon les plans et les conditions de cette manifestation. Pour
exemple, je prendrais la terre qui se liquéfie sous forme de boue plus ou
moins épaisse, et pourtant dans son essence la plus profonde, la terre est
essentiellement un feu permanent.

Le "ciel" et la "terre", ne sont donc pas autre chose que des Principes éternels
qu'il est possible de percevoir imparfaitement sur les plans les plus denses,
comme sur les plans les plus éthériques. Ils n'ont donc pas de vie propre,
mais ils sont ce grâce à quoi la vie est possible. Ils sont en outre, dans
n'importe quel texte ésotérique, ce qui symbolise l'Air, le subtil, l'esprit, le
spirituel, et la Terre, ce qui est physique, dense, lourd, épais, matériel. Dans
la tradition orientale, nous retrouvons ces Principes sous les noms de Puruha
et la Prakriti, ces deux Puissances spirituelles sont les polarités
indissociables de la moindre manifestation.

Pour les alchimistes, le "ciel" et la terre" ont pour correspondance deux vertus
cardinales que sont la Justice et la Prudence dont chacune nécessiterait un
ouvrage complet pour en faire sommairement l'inventaire.

Ainsi, la première place revient au Sage qui a su s’effacer... Énigmatique


formule que celle-ci. On pourrait se demander légitimement le rapport qu'elle
peut avoir avec ce qui précède, si l'on oublie de suivre les déclinaisons des
Principes jusqu'à leur manifestation intellectuelle et spirituelle. C'est parce
qu'un Principe ne souhaite pas être une forme spécifique, qu'il conquiert son
statut d'éternité en occupant la position la plus universelle qui soit. Il en est
de même pour le Sage, - toutes choses étant égales par ailleurs -, pour qui
l'abandon de la forme dans ce qu'elle a de plus égotique lui permet de
s'élever à la première place à laquelle l'être humain peut se hisser, et qui est
la première, celle du Sage.

En oubliant sa personne, il s’impose au monde... Ce que le Sage est capable


de faire pour s'extraire de sa pensée-forme égotique n'est que ce que font le
"ciel" et la "terre" qui s'abstiennent d'avoir une vie propre, c'est-à-dire une
pensée-forme égotique spécifique. Le Sage n'est plus une personne
physique, il est celui qui s'identifie volontairement à un principe plus vaste
qui est celui d'une humanité en tant que groupe, vis-à-vis duquel il se met
librement au service, avec un altruisme convaincu et sincère. C'est parce que
le "ciel" et la "terre" sont des Principes universels qu'ils s'imposent comme
fondement de la Divine Création, et non parce qu'ils sont une chose précise,
délimitée et tangible. En vertu de la loi de la Table d'Émeraude qui veut que
ce qui est en bas soit comme ce qui est en haut, le Sage ne s'impose pas au
monde par la manifestation de sa personnalité, mais davantage par sa
préoccupation des autres avec générosité et désintéressement, et le respect
de l'ordre souverain des choses Lao-Tseu nous révèle dans cet extrait,
l'étendu et l'universalité d'une pensée dont le Justesse en vertus est en
parfaite conformité avec celle des lois de la Divine Providence. C'est
d'ailleurs pour cela que son analogie entre les Principes du "ciel" et de la
"terre", se révèle parfaitement pertinente avec celle du Sage et devient par
la même intemporelle.

Sans désirs pour lui-même, ce qu’il entreprend est parfait... Après avoir
abondamment abordé les sujets que sont les désirs, les émotions et les
passions dans mes différents articles, il ne sera pas difficile aux lecteurs de
comprendre le sens ésotérique de cette formule si pleine de véritable
sagesse. Notons un enseignement que nous transmet ici le maître en nous
indiquant que la quête de perfection d'un état de manifestation n'est
accessible qu'en parvenant à l'épuration de ses pensées, dont les
contaminations pernicieuses proviennent essentiellement des désirs, des
passions et des émotions. Bien que très édulcorée, nous retrouvons cette
préoccupation de pensées épurées, dans le domaine de la justice humaine,
qui ne peut prétendre à remplir sa fonction qu'à la condition d'être sereine,
c'est-à-dire en dehors des passions et des émotions, ce qu'elle ne parvient
à faire que très imparfaitement.

Il s’était assis à la dernière place... Le maître nous indique par cette


formulation, que le plus haut degré de sagesse n'est accessible que par la
pratique de la plus importante des vertus, je veux parler de l'Humilité, que
j’aie précédemment abordé dans certains articles. L'humilité n'est pas la
fausse modestie dont se pare la plus extrême des vanités pour se donner
encore plus de prétention, ni davantage l'humiliation qui n'est qu'un manque
certain de discernement subtil. L'humilité est la juste vision des proportions
et des puissances du "ciel" et de la "terre". Elle implique un discernement
subtil, qui ne peut provenir que d'un haut niveau de Connaissance. La
pratique de l'Humilité n'est pas une servitude, sauf pour les egos arrogants,
suffisants et profondément ignorants, bien au contraire l'humilité est une
vertu infiniment libératrice. En nous donnant une juste vision des choses, des
réalités et des fonctions de notre complexion humaine, par rapport à celles
des infinies puissances desquelles nous sommes tributaires, l'Humilité
permet de comprendre que nous n'avons pas la faculté et encore moins le
pouvoir de changer quoi que ce soit dans l'ordre souverain des choses, mais
que c'est cet ordre souverain qui est là pour nous permettre de nous changer,
si nous en manifestons la volonté. L'Humilité ne nous fait pas assumer le
lourd fardeau de faux devoirs que d'habiles flatteries extérieures voudraient
nous imposer en profitant de nos faiblesses égotiques. L'Humilité nous rend
clairvoyants en nous faisant comprendre que nos émotions qui nous
pousseraient à protéger la gazelle de l'appétit du lion, priveraient aussi ce
dernier de son indispensable repas... Tout comme la tentation sentimentale
de vouloir soulager le malheur d'autrui, sans tenir compte du fait que chacun
est l'unique artisan de son propre malheur, peut avoir pour conséquence de
repousser la salutaire sanction susceptible d'engendrer une rédemption,
pour une sanction ultérieure encore plus pénible et douloureuse. L'Humilité
n'est pas une absence de responsabilité, mais un sens très élevé des
responsabilités, qui tient compte des règles qui fondent la Justice Divine.
Enfin, l'Humilité est ce qui fait prendre véritablement Conscience de ce que
nous sommes, de ce que nous ne sommes pas, et du chemin qui reste à
parcourir pour y parvenir. Elle nous fait aussi prendre Conscience de nos
pouvoirs, de ceux des puissances supérieures, et de la perversité que
provoque le moindre sentiment de vanité qui en général ne repose que sur
ceux que nous croyons dépasser, mais rarement sur tout ce qui nous
dépasse et qui est de loin infiniment supérieur. C'est encore l'Humilité qui
permet de comprendre que ce qui sépare ceux que nous croyons dépasser
(inférieurs) de ce que nous sommes, n'est en réalité qu'une question de
temps. C'est aussi l'espérance que nous offre cette vertu, car ce qui nous
sépare de ceux qui nous dépassent de beaucoup, n'est pas autre chose que
cette question de temps. S'asseoir à la dernière place, c'est faire la
démonstration de son élévation intellectuelle et spirituelle en ne considérant
pas les hiérarchies sur le plan physique de l'humanité comme autre chose
que des enfantillages.

C’est pour cela qu’il se retrouve à la première... Car comme le dit si justement
l'Évangile de Saint Thomas : les premiers se feront les derniers et ils seront
Un. Il n'y a que chez les ignorants que la première place est occupée par
celui qui se vante le plus d'en être digne. Invariablement, et l'histoire est là
pour le démontrer, ce sont les plus vaniteux, mais rarement les plus
compétents qui occupent le trône du pouvoir temporel. Enfin, il convient de
souligner qu'il n'y a pas de grandeur sans Humilité et celui qui est
véritablement capable de pratiquer cette vertu se retrouve au niveau de
grandeur qui le rend digne de cette première place comme l’entend la Divine
Providence.

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