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Revue de Pneumologie clinique (2012) 68, 351—360

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE

Le syndrome des antisynthétases : à propos de


quatre observations et revue de la littérature
Antisynthetase syndrome: A report of four cases and literature review

F. Frikha a,∗, N. Saidi a, M. Snoussi a, R. Ben Salah a,


M. Ben Ayed b, E. Daoud c, Y. Hentati c, S. Makni d,
Z. Mnif c, T. Boudawara d, H. Masmoudi b, Z. Bahloul a

a
Service de médecine interne, CHU Hédi-Chaker, 3029 Sfax, Tunisie
b
Laboratoire d’immunologie, CHU Habib-Bourguiba, 3029 Sfax, Tunisie
c
Service de radiologie, CHU Hédi-Chaker, 3029 Sfax, Tunisie
d
Laboratoire d’anatomie pathologique, CHU Habib-Bourguiba, 3029 Sfax, Tunisie

Disponible sur Internet le 10 octobre 2012

MOTS CLÉS Résumé Le syndrome des antisynthétases est un syndrome associant une myopathie inflam-
Syndrome des matoire (polymyosite ou dermatomyosite), une pneumopathie interstitielle diffuse, une
antisynthétases ; polyarthrite, un phénomène de Raynaud et une atteinte cutanée type « mains de mécaniciens »
Myopathie associés à des auto-anticorps (AAC) antiaminoacyl transfert RNA synthétases, le chef de file
inflammatoire ; étant l’anti-Jo1 (anti-histidyl-tRNAsynthétase). À travers ce travail, nous décrirons les particu-
Pneumopathie larités cliniques, thérapeutiques, évolutives et les facteurs pronostiques de cette entité au sein
interstitielle ; des myosites. Il s’agit de quatre femmes, âgées en moyenne de 42 ans (28—62 ans). L’atteinte
Anti-Jo1 ; pulmonaire était retrouvée dans tous les cas à type de pneumopathie interstitielle objecti-
Corticoïdes vée par l’examen tomodensitométrique. Les anticorps anti-Jo1 étaient positifs chez les quatre
patientes. La symptomatologie pulmonaire révélatrice de la pneumopathie interstitielle était
sous forme de dyspnée (un cas) et sous forme d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (un
cas). Chez ces deux femmes, la pneumopathie interstitielle était elle-même révélatrice du syn-
drome des antisynthétases. Toutes nos patientes ont été traitées par une corticothérapie. Un
traitement immunosuppresseur à base de bolus mensuels de cyclophosphamide était indiqué
chez deux patientes devant la sévérité de l’atteinte pulmonaire. L’évolution était favorable
chez deux patientes, partiellement favorable chez une patiente qui a évolué vers la fibrose
pulmonaire. Un décès était déploré chez la quatrième patiente par la survenue de multiples
abcès cérébraux.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : fetenfrikha@yahoo.fr (F. Frikha).
0761-8417/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2012.07.002
352 F. Frikha et al.

KEYWORDS Summary The antisynthetase syndrome (ASS) includes inflammatory myopathy (polymyosi-
Antisynthetase tis or dermatomyositis), interstitial lung disease (ILD), arthritis, Raynaud’s phenomenon, and
syndrome; mechanic’s hands, associated with antibodies against aminoacyl-tRNA-synthetases, the most
Inflammatory well-recognized being the anti-Jo1 antibody (anti-histidyl-tRNAsynthetase). We report four
myopathy; cases of antisynthetase syndrome and review the clinical characteristics and prognosis fac-
Intertitial lung tors dominated by ILD. We report the cases of four women with a mean age of 42 years (28—62
disease; years). The interstitial lung disease was found in four cases and was objectified by CT-scan
Anti-Jo1; in all cases. The pulmonary symptoms were consisted of dyspnea (one case) and respiratory
Corticosteroid distress (one case). The anti-Jo1 antibodies were present in the four patients. The myopathy
was concomitant with pulmonary involvement (two cases), preceded it in 6 months (one case)
and in the course of evolution and after 1 month (one case). All patients received corticoste-
roid treatment. The immunosuppressive treatment was necessary for two patients because of
the severity of the pulmonary involvement. The outcome was favorable in two patients, par-
tially favorable in a patient who presented pulmonary fibrosis. However, one patient died after
developing brain abscesses.
© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction première heure et la protéine C réactive (CRP) était élevée


à 93,3 mg/L. La numération formule sanguine (NFS) mon-
Le syndrome des antisynthétases (SAS) est un syndrome trait une anémie microcytaire à 10 g/dL. À l’électrophorèse
associant une myopathie inflammatoire (polymyosite PM ou des protéines sanguines (EPP), il existait une hypergamma-
dermatomyosite DM), une pneumopathie interstitielle dif- globulinémie polyclonale à 21 g/L. La fonction rénale était
fuse (PID), une polyarthrite, un phénomène de Raynaud normale et la protéinurie des 24 heures était nulle. Le bilan
et une atteinte cutanée type hyperkératose fissuraire des hépatique révélait des ASAT à 147 UI/L (N : < 40 UI/L) et des
doigts (appelée « mains de mécaniciens ») associés à des ALAT à 161 UI/L (N : < 40 UI/L). On notait une élévation des
auto-anticorps (AAC) anti-aminoacyl transfert RNA synthé- enzymes musculaires avec des CPK à 5290 UI/L, soit 31 fois
tases dont le plus fréquent et le plus connu est l’anticorps la normale (N : < 170 UI/L) et des LDH à 2580 UI/L soit 7 fois
anti-Jo1 [1—5]. Les mécanismes pathogéniques de ce syn- la normale (N : 190—390 UI/L). Les anticorps antinucléaires
drome ne sont pas bien connus, mais feraient intervenir (AAN) étaient dépistés par immunofluorescence indirecte
l’immunité à médiation cellulaire. Le traitement n’est (IFI) sur cellules Hep2 (Biorad® ) et caractérisés par immuno
pas codifié ; les corticostéroïdes ont une efficacité incons- dot (Euroimmun® ). Le bilan immunologique ne trouvait pas
tante sur les lésions pulmonaires, faisant discuter d’autres d’AAN ; cependant, les anticorps anti-Jo1 étaient positifs.
traitements immunosuppresseurs. Dans cette étude, nous La tomodensitométrie (TDM) thoracique montrait des signes
rapportons quatre observations de patients présentant un d’atteinte interstitielle prédominante au niveau des bases
SAS parmi une cohorte de 78 cas de myopathies inflam- pulmonaires avec des stigmates de fibrose constituée. La
matoires (DM et PM) colligés dans le service de médecine fibroscopie bronchique, la biopsie bronchique ainsi que
interne de l’hôpital Hédi-Chaker de Sfax, durant la période le lavage bronchoalvéolaire (LBA) étaient sans anomalies.
entre janvier 1996 et décembre 2010. À travers ces obser- L’électromyogramme (EMG) montrait un tracé myogène. La
vations et une revue de la littérature, nous proposons biopsie musculaire était compatible avec une PM active
d’étudier les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, assez sévère avec présence de fibres atrophiques arrondies,
paracliniques, thérapeutiques, évolutives et les facteurs plusieurs fibres nécrotiques en voie de résorption macro-
pronostiques du SAS. phagique avec quelques fibres basophiles de régénération
et un infiltrat inflammatoire lympho-plasmocytaire périvas-
culaire, septal et en intrafasciculaire. Le diagnostic d’un
SAS était retenu associant une PM, une atteinte pulmo-
Observations naire interstitielle et des anticorps anti-Jo1. Le traitement
comportait une corticothérapie à forte dose (prednisone
Cas no 1
1 mg/kg par jour) maintenue pendant six semaines comme
Madame M.L., âgée de 32 ans, était hospitalisée en durée d’attaque. L’évolution initiale était favorable sur le
décembre 2001 pour un déficit musculaire des ceintures plan clinique et biologique avec un nettoyage des lésions
associé à une dyspnée d’effort d’aggravation progressive radiologiques. Après cinq ans d’évolution jugée favorable,
dans un contexte fébrile. À l’examen, on constatait un la patiente était hospitalisée pour une dyspnée d’effort
œdème du visage, un déficit musculaire des deux ceintures d’installation et d’aggravation rapide (stade III-IV de la
scapulaires et pelviennes et des râles crépitants au niveau NYHA). L’examen clinique mettait en évidence un essouf-
de la base pulmonaire gauche. Les examens abdominal, flement rapide et des râles crépitant bilatéraux aux deux
ostéoarticulaire et neurologique étaient sans anomalie. À la bases. La radiographie thoracique montrait un syndrome
biologie, la vitesse de sédimentation (VS) était à 30 mm la interstitiel diffus des deux champs pulmonaires (Fig. 1).
Le syndrome des antisynthétases 353

Figure 1. Radiographie thoracique de face (cas no 1) : syndrome


interstitiel diffus des deux champs pulmonaires.

Figure 3. TDM thoracique (cas no 2) : multiples foyers de conden-


La TDM thoracique objectivait une atteinte interstitielle sation alvéolaire.
bilatérale en verre dépoli des deux champs pulmonaires
(Fig. 2). Les explorations fonctionnelles respiratoires (EFR)
objectivaient un syndrome restrictif avec une capacité pul- Cas no 2
monaire totale (CPT) à 2,54 L (56 %/th), une capacité vitale
fonctionnelle (CVF) à 1,47 L (48 %/th) et un volume expi- La patiente B.S., âgée de 28 ans, était hospitalisée en juin
ratoire maximal seconde (VEMS) à 1,2 L (46 %/th). Devant 2006 pour une dyspnée avec des opacités alvéolaires en rap-
l’évolutivité de l’atteinte pulmonaire, la corticothérapie port avec une hémorragie intra-alvéolaire. L’histoire de la
était rehaussée à la dose de 1 mg/kg par jour, associée à maladie remontait au mois d’avril 2006 quand elle était hos-
un traitement immunosuppresseur à base de cyclophospha- pitalisée pour une dyspnée d’installation et d’aggravation
mide. La patiente bénéficiait de 16 bolus (12 bolus mensuels rapide avec orthopnée. Une TDM thoracique montrait des
et quatre bolus trimestriels de 1 g chacun). Ce traitement foyers plurifocaux de condensation alvéolaire avec une pleu-
entraînait une amélioration partielle de la fonction pulmo- résie bilatérale (Fig. 3). L’évolution était marquée par une
naire et de la fibrose. Aucune rechute de sa myosite n’est aggravation rapide de son état nécessitant son hospitali-
survenue après dix ans de suivi. sation en milieu de réanimation et une intubation urgente
pour un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) dans
un contexte fébrile. À l’entrée dans notre service après
son extubation, la patiente était subfébrile à 37,8 ◦ C, poly-
pnéique avec une fréquence respiratoire à 20 cycles/mn. À
l’auscultation pulmonaire, il existait des râles crépitants
aux deux bases pulmonaires. L’examen clinique objecti-
vait un déficit musculaire très important des ceintures
scapulaires et pelviennes. Le bilan biologique révélait un
syndrome inflammatoire avec une VS à 90 mm la première
heure, une CRP à 70 mg/L. On notait une élévation des
enzymes musculaires avec un taux de CPK à 1652 UI/L et
de LDH à 838 UI/L, les ASAT étaient à 97 UI/L et les ALAT à
144 UI/L. La fonction rénale était normale et la protéinurie
des 24 heures était nulle. Le bilan immunologique trouvait
des AAN négatifs mais les anticorps anti-Jo1 étaient positifs
(même méthode que dans l’observation no 1). Les anticorps
anticytoplasmes des polynucléaires neutrophiles (ANCA), le
facteur rhumatoïde ainsi que les complexes immuns cir-
culants et la cryoglobulinémie étaient négatifs. L’enquête
infectieuse était négative (hémocultures, sérologies des
hépatites virales, sérologie du CMV, ponction lombaire). Une
échographie cardiaque mettait en évidence une hyperten-
sion artérielle pulmonaire (HTAP) à 45 mmHg et un discret
Figure 2. TDM thoracique (cas no 1). Syndrome interstitiel des épanchement péricardique. L’EMG des quatre membres
deux bases, avec un aspect en verre dépoli. trouvait une atteinte de type myogène. La biopsie du muscle
354 F. Frikha et al.

Figure 5. TDM thoracique (cas no 2) montrant des lésions de


fibrose pulmonaire diffuse assez sévères.
Figure 4. TDM thoracique (cas no 2) 18 mois après le début du
traitement : lésions évolutives de fibrose associant un aspect en
rayon de miel périphérique et des signes de distorsion bronchique Cas no 3
avec un épaississement des septa interlobulaires et par endroit un
aspect en verre dépoli. Madame J.N, âgée de 62 ans, était hospitalisée en janvier
2007 pour un érythro-œdème de la face évoluant depuis
huit mois, associé à une asthénie et un amaigrissement
non chiffré. À l’interrogatoire, la patiente se plaignait de
deltoïde concluait à une PM avec présence de fibres nécro- polyarthralgies inflammatoires touchant les poignets et les
tiques en voie de résorption et d’autres fibres basophiles en genoux. Elle signalait la notion de sécheresse oculaire et
voie de régénération et l’existence d’un infiltrat inflamma- salivaire. L’examen cutané objectivait un érythro-œdème
toire mononucléé endomysial. Le diagnostic d’un SAS était des paupières ainsi que des lésions érythémateuses au
retenu devant l’atteinte pulmonaire de type PID, la PM et niveau des faces d’extension des coudes, des articula-
la positivité des anticorps anti-Jo1. La patiente était traitée tions métacarpo-phalangiens (MCP) et interphalangiennes
par trois bolus de méthylprednisolone relayés par une cor- proximales (IPP) des mains. Il existait une polyarthrite bila-
ticothérapie à forte dose (prednisone à la dose de 1 mg/kg térale et symétrique touchant les poignets, les articulations
par jour) maintenue durant six semaines suivie d’une dégres- IPP des deuxième et troisième doigts. L’examen ophtal-
sion de 5 mg/semaine. Cette corticothérapie était associée mologique objectivait une kératite ponctuée superficielle
à des bolus mensuels de cyclophosphamide. Une TDM tho- (KPS) bilatérale. À la biologie, la VS était à 35 mm à la
racique réalisée quatre mois après le début du traitement première heure et la CRP était normale. Le bilan hépa-
objectivait une régression des opacités alvéolaires, une tique montrait des ASAT à 120 UI/L (3 N) et des ALAT à
amélioration partielle des opacités interstitielles et la per- 96 UI/L (2 N). Les taux de CPK et de LDH étaient nor-
sistance de l’épaississement des septas au niveau des bases. maux. Le bilan rénal était normal. La recherche des AAN
Les EFR confirmaient l’atteinte pulmonaire de type res- était positive à 1/320 avec des anticorps anti-Jo1 positifs
trictif avec une CPT à 2,79 L (52 %/th), une CVF à 1,05 L et des anti-Ro52 positifs. La radiographie du thorax et les
(30 %/th) et un VEMS à 1 L. La gazométrie artérielle objecti- EFR étaient normales. L’EMG était normal. L’analyse histo-
vait une hypoxie (PO2 à 63 mmHg), une normocapnie (PCO2 à logique musculaire, faite après biopsie musculaire pratiquée
38 mmHg) et une SpO2 à 91 %. Après 12 bolus mensuels et au muscle deltoïde, était aussi normale. La biopsie des
quatre bolus trimestriels de cyclophosphamide, l’évolution glandes salivaires accessoires montrait une sialadénite chro-
n’était que partiellement favorable. Cliniquement, il persis- nique discrète. Les radiographies des mains étaient sans
tait une gêne respiratoire comportant une dyspnée d’effort anomalies décelables. L’échographie abdomino-pelvienne,
(stade III) et une toux sèche permanente. Une TDM tho- l’écho-mammographie, les marqueurs tumoraux étaient
racique, réalisée 18 mois après le début du traitement, normaux. Le diagnostic d’un SAS était retenu devant la
objectivait une fibrose pulmonaire évolutive avec des lésions polyarthrite et la présence d’anticorps anti-Jo1, les lésions
associant un aspect en rayon de miel périphérique et des cutanées typiques de DM mais sans atteinte musculaire. Un
signes de distorsion bronchique, un épaississement des syndrome de Goujerot-Sjögren (SGS) secondaire était retenu
septas interlobulaires et par endroit un aspect en verre aussi devant la xérostomie, la xérophtalmie avec KPS et les
dépoli (Fig. 4). L’évolution s’est faite vers une fibrose pul- anti-Ro52 positifs. Le traitement comportait une corticothé-
monaire très sévère (Fig. 5) avec une gêne respiratoire rapie (prednisone 0,5 mg/kg/jour, maintenue pendant six
permanente, nécessitant le recours à une oxygénothérapie semaines puis dégressive par palier de 5 mg/semaine), asso-
continue. ciée à la chloroquine (Nivaquine® à 200 mg/j) permettant
Le syndrome des antisynthétases 355

Figure 6. Lésions anatomopathologiques de DM (cas no 4) (HES). A. Inégalité de la taille des fibres musculaires avec atrophie périfascicu-
laire. B et C : infiltrat inflammatoire périvasculaire. D : processus de nécrose des fibres musculaires avec infiltrat inflammatoire périmysial,
périvasculaire.

une amélioration temporaire de la symptomatologie cuta- sans signes cytologique de malignité et la biopsie bron-
née et articulaire. Quatre mois après, la patiente présentait chique était sans anomalies décelables. Au cours de son
une poussée de sa maladie avec aggravation des lésions éry- hospitalisation, l’évolution était rapidement défavorable et
thémateuses du visage et des faces d’extension des coudes la patiente présentait un état de mal convulsif dans un
et apparition de signes musculaires à type de myalgies au contexte fébrile. Une IRM cérébrale trouvait des lésions
niveau des cuisses et des bras. Sur le plan biologique, il per- d’abcès cérébraux. Malgré une réanimation adaptée et un
sistait une légère élévation des ASAT à 96 UI/L et des ALAT à traitement anti-épileptique, la patiente décédait.
54 UI/L. Une IRM musculaire des quatre membres était pra-
tiquée avec des coupes coronales et axiales en spin-écho Cas no 4
pondéré T2, spin-écho pondérée T1 sans et après saturation
de graisse et après injection de gadolinium. Elle montrait un Madame B.Z, âgée de 47 ans, était hospitalisée en juillet
aspect en faveur d’une myopathie inflammatoire touchant 2010 pour polyarthralgies inflammatoires avec une alté-
les muscles vastes latéraux des deux cuisses, la loge pos- ration modérée de l’état général. À l’interrogatoire, la
térieure des muscles des bras et les deux muscles deltoïdes patiente se plaignait de polyarthralgies inflammatoires tou-
(présence d’anomalies de signal en hypersignal T1 et T2 avec chant de façon bilatérale et symétrique les genoux, les
un rehaussement manifeste après injection de gadolinium). poignets, les articulations MCP et les articulations IPP évo-
Un traitement à base de méthotrexate (10 mg/semaine) luant depuis quatre ans. Elle signalait un phénomène de
était instauré, associé à la corticothérapie et à la chloro- Raynaud des deux mains apparu depuis deux ans et une
quine. L’évolution était partiellement favorable marqué par sécheresse oculaire et buccale. Elle se plaignait d’une
la régression des arthralgies et la persistance des lésions dyspnée d’effort d’installation progressive stade III de
cutanées. Elle développait, en août 2007, une symptoma- NYHA. L’examen cutané objectivait un érythème desquama-
tologie respiratoire avec une dyspnée d’effort associée à tif photosensible du visage surtout en périorbitaire et une
une toux sèche. L’auscultation pulmonaire objectivait des hyperkératose avec des fissures au niveau des mains don-
râles crépitant prédominant au niveau de la base pulmo- nant l’aspect de mains de mécanicien. On trouvait aussi
naire droite. La radiographie du thorax montrait des lésions une sclérose cutanée de la face, des avant-bras, des mains,
micronodulaires au niveau des deux champs pulmonaires des jambes et des pieds, un aspect effilé du nez avec
avec un comblement du cul-de-sac droit. La TDM thora- des lèvres amincies et une réduction de l’ouverture buc-
cique objectivait un aspect de fibrose débutante du lobe cale évoquant une sclérodermie. L’examen ostéoarticulaire
supérieur et inférieur droit et du lobe inférieur gauche mettait en évidence une arthrite des deux chevilles et un
associant un épaississement des septas par endroit à une flessum du coude droit à 15◦ non réductible. L’examen oph-
distorsion bronchique. Le LBA était riche en macrophage talmologique objectivait un syndrome sec oculaire avec une
356 F. Frikha et al.

Tableau 1 Principales données démographiques, cliniques, paracliniques, thérapeutiques et évolutives des quatre
patientes avec syndrome des antisynthétases (SAS).
Observation no 1 2 3 4
Sexe F F F F
Âge (ans) 32 28 62 47
Atteinte clinique PM PM DM DM
+ P. interst + P. interst + Polyarthrite + Polyarthrite
+ P. interst + P. interst
Raynaud
Mains de
mécaniciens
Bilan immunologique Anti-Jo1 (+) Anti-Jo1 (+) Anti-Jo1 (+) Anti-Jo1 (+)
AAN (—) AAN (—) AAN (+) 1/320 AAN (+)
Anti-Ro52 (+) 1/1280
Anti-SSA (+)
Anti-SSB (+)
Traitement Pred 3 bolus de MP Pred Pred
1 mg/kg/j (1 g/j/3 j) 0,5 mg/kg/j 1 mg/kg/j
(6 sem puis ) puis Pred (6 sem puis ) (6 sem puis )
+ cyclophosphamide 1 mg/kg/j + chloroquine
(6 sem puis ) + MTX
+ cyclophosphamide (2e ligne)
Évolution Amélioration Amélioration Défavorable Favorable sur
partielle de la myosite, Malade le plan
Guérison de la mais décédée par articulaire,
myosite aggravation de des abcès musculaire et
Aggravation l’atteinte cérébraux pulmonaire
secondaire de pulmonaire Absence de
l’atteinte évoluant vers rechute
pulmonaire la fibrose
Oxygénothérapie
Recul 10 ans 63 mois 10 mois 11 mois
F : femme ; PM : polymyosite ; DM : dermatomyosite ; P. interst : pneumopathie interstitielle ; Pred : prednisone ; sem : semaines ; MP :
méthylprednisolone ; MTX : méthotrexate.

KPS bilatérale. Le reste de l’examen clinique était sans une atteinte myogène diffuse. La biopsie musculaire était
anomalie. Le bilan biologique révélait une VS accélérée à compatible avec une DM très active : à l’hématoxyline-
118 mm à la première heure et une CRP à 25 mg/L. La NFS éosine (HE), il existait une inégalité de la taille des fibres
montrait une anémie normochrome normocytaire à 10 g/dL musculaires avec une atrophie périfasciculaire évidente. Il
d’hémoglobine. À l’EPP, il existait une hypergammaglobu- existait un infiltrat inflammatoire monocucléé intense au
linémie polyclonale à 31,2 g/L. Une élévation des enzymes niveau des septa et des régions périvasculaires. Il y avait
musculaires était notée avec des CPK à 1660 UI/L 9 N et des de rares fibres nécrotiques et pas de fibres basophiles de
LDH à 730 UI/L 2 N. On notait une élévation modérée des régénération (Fig. 6). Le diagnostic d’un SAS était retenu
ASAT à 111 UI/L. Le taux des ALAT était normal, à 9 UI/L. La devant l’association d’une DM, d’une polyarthrite non éro-
fonction rénale était normale et la protéinurie des 24 heures sive, d’un phénomène de Raynaud, d’une hyperkératose des
était nulle. Le bilan immunologique trouvait des AAN positifs mains, d’une pneumopathie interstitielle, et la présence
à 1/1280 de type moucheté avec des anti-SSA positifs et des d’anticorps anti-Jo1. Ce SAS était associé à une sclérodermie
anti-SSB positifs. Les anticorps anti-Jo1 étaient positifs. Les systémique et à un SGS secondaire. La patiente était traitée
anticorps anti-Scl70 étaient négatifs. La radiographie tho- par une corticothérapie à forte dose (prednisone 1 mg/kg
racique objectivait un syndrome interstitiel bilatéral des par jour) maintenue pendant six semaines puis dégressive
bases pulmonaires La TDM thoracique trouvait des signes jusqu’à une dose d’entretien de 10 mg/j. Après trois mois de
d’atteinte interstitielle prédominant au niveau des bases traitement, l’évolution était bonne : disparition des arthral-
pulmonaires. Les EFR mettaient en évidence une atteinte gies, amélioration de la dyspnée d’effort (devenue stade II),
respiratoire restrictive avec une CPT à 2,6 L (50 %/th), une normalisation des enzymes musculaires avec un taux de CPK
CVF à 1,2 L (31 %/th) et un VEMS à 1,1 L. L’EMG montrait à 43 UI/L et un taux de LDH à 292 UI/L.
Le syndrome des antisynthétases 357

Le Tableau 1 résume les principales caractéristiques épi- • une maladie insidieuse, déterminée par l’apparition pro-
démiologiques, cliniques, paracliniques, thérapeutiques et gressive de symptômes respiratoires (60 % des cas) comme
évolutives de nos patientes. dans nos trois autres observations ;
• dans certains cas, l’atteinte pulmonaire peut être asymp-
tomatique et doit être recherchée par les examens
complémentaires (radiographie thoracique, EFR), réalisés
Discussion en présence d’un tableau clinique évocateur associé à la
présence d’anticorps anti-Jo1.
Le syndrome des antisynthétases (SAS) est une entité rare
(quatre cas de SAS parmi 78 cas de myopathie inflamma- L’atteinte pulmonaire fait toute la sévérité du SAS et
toire dans notre étude). Sa prévalence est de 20 à 40 % de conditionne le pronostic [1,4,7]. En fait, plusieurs obser-
l’ensemble des DM et PM mais demeure encore inconnue au vations de SDRA parfois mortels ont été rapportées dans le
sein de la population générale [3]. Elle est estimée à 1,5 cas SAS [7,14] et cette atteinte évolue généralement jusqu’à
pour 100 000 personnes [1,2,6]. Son incidence annuelle varie la fibrose en l’absence de traitement. D’autres atteintes
de 1,2 à 2,5 nouveaux cas par million d’habitants [1,7]. Le pulmonaires secondaires ont été décrites au cours du
SAS peut survenir à tous les âges contrairement aux myosites SAS : pneumonie d’aspiration due aux troubles moteurs
où on observe classiquement deux pics de fréquence (entre pharyngo-œsophagiens, hypoventilation alvéolaire consé-
cinq et 14 ans et entre la cinquième et la sixième décennie) cutive à l’atteinte des muscles respiratoires [15] ou plus
[1,3,7]. L’âge moyen des patients au moment du diagnostic rarement HTAP, pneumothorax spontané ou pneumomé-
du SAS est de 50 ans (extrêmes : de 22 à 82 ans) [1,6]. L’âge diastin [2,11]. L’atteinte pulmonaire était retrouvée chez
moyen de nos patientes était de 42 ans. Il existe dans le SAS toutes nos patientes à type de pneumopathie interstitielle
une prédominance féminine quel que soit l’âge (sex-ratio : objectivée par l’examen tomodensitométrique. Elle était
3/1) [3,4,8,9]. Cette prédominance féminine était consta- révélatrice du SAS dans 3 cas.
tée dans notre série où on a observé exclusivement des cas La fréquence de l’atteinte musculaire varie de 67 à 90 %
de sexe féminin. des cas selon différentes séries [9,16]. Elle semble moins
La symptomatologie clinique du SAS associe classique- fréquente (41 à 52 %) chez les patients ayant des anticorps
ment une myopathie inflammatoire (PM ou DM), une atteinte anti-PL12 [12]. Elle survient parfois de façon retardée par
pulmonaire à type de PID, une atteinte articulaire à type rapport à l’atteinte pulmonaire ou articulaire, dans des
de polyarthrite, un phénomène de Raynaud et une hyper- délais variables, parfois de plusieurs années. Elle peut être
kératose fissuraire de la pulpe et des faces latérales sévère dans les SAS avec anti-Jo-1, elle est souvent modé-
des doigts appelée mains de mécaniciens ou mechanic’s rée dans les SAS avec anti-PL-7, anti-PL-12 et anti-OJ, voire
hands [1,3,4,7]. Les différents éléments peuvent manquer, asymptomatique et uniquement biologique [7]. L’atteinte
mais l’atteinte pulmonaire en est le plus constant, avec musculaire peut être aussi absente comme le montrent
une incidence supérieure à 70 % dans les principales études certaines observations de pneumopathie interstitielle et
[1,3,10]. Sa fréquence, évaluée entre 50 et 100 % [2,11], anticorps antisynthétases en l’absence de myopathie inflam-
peut atteindre 90 à 100 % dans les séries de patients ayant matoire [17].
des Ac anti-PL12 [9,12] et elle est souvent au premier plan Au cours du SAS, l’atteinte articulaire est fréquente et
au moment du diagnostic. Cette atteinte peut être conco- se voit dans 57 % à 100 % des cas selon les séries [1,4]. Elle
mitante à la myopathie (20—60 % des cas), peut la précéder était retrouvée chez deux de nos patientes (50 % des cas).
(20—46 % des cas) ou peut la suivre dans 18 à 40 % des Elle correspond le plus souvent à une polyarthrite bilatérale
cas [11]. L’atteinte pulmonaire ne diffère pas de celle des symétrique et distale touchant les poignets, les articula-
autres connectivites [8] et consiste typiquement en ce qui a tions MCP et les articulations IP [1,4]. Exceptionnellement,
été individualisé comme une « pneumopathie interstitielle l’atteinte articulaire peut être érosive et destructrice [1,3].
non spécifique » (PINS) dans la classification anatomopa- Le phénomène de Raynaud constitue une manifestation rela-
thologique élaborée par l’American Thoracic Society et tivement fréquente : il est retrouvé en moyenne chez deux
l’European Thoracic Society. Les signes fonctionnels pulmo- tiers des patients [1]. Il est souvent noté à la phase ini-
naires sont variés et non spécifiques ; ils comportent une tiale de la maladie. Il peut précéder de plusieurs années
dyspnée (50 à 100 % des cas), principalement d’effort, une l’apparition de la myosite et lorsqu’il est isolé, il peut poser
toux sèche et persistante (2 à 100 % des cas), des râles crépi- le problème du diagnostic différentiel avec la sclérodermie
tants et plus rarement un hippocratisme digital ou des signes ou une connectivite indifférenciée [1]. L’atteinte cutanée
de dysfonctionnement ventriculaire droit [11]. Son mode est assez caractéristique sous la forme d’une hyperkératose
de présentation peut être trompeur, faisant parfois errer le fissuraire des pulpes et des bords latéraux des doigts « mains
diagnostic [2,4]. La pneumopathie interstitielle peut revêtir de mécanicien ». Cet aspect de « mains de mécanicien »,
ainsi des modes de présentation différents : décrit par plusieurs auteurs, est très évocateur du SAS et
• un début aigu ou subaigu qui associe une symptomatologie représente un élément sémiologique d’orientation [18].
pulmonaire d’apparition brutale (hyperthermie, dyspnée Sur le plan immunolgique, ce sont les anticorps
et toux sèche), s’aggravant rapidement et réalisant un anti-cytoplasmiques dirigés contre les enzymes aminoacyl-t-
SDRA comme dans notre observation no 2 ; Tillie-Leblond RNA-synthétases qui permettent d’évoquer et de confirmer
et al. [13] dénombraient 47 % de dyspnées aiguës dans le diagnostic. Ces anticorps permettent de fixer chaque
le cadre d’atteintes pulmonaires associées au SAS ; les acide aminé à son t-RNA lors de la synthèse protidique
symptômes pulmonaires sont au premier plan, et peuvent cytoplasmique. Il s’agit des anticorps anti-Jo1 (histidyl t-
masquer la symptomatologie musculaire ; RNA) (de loin le plus fréquent), PL7 (thréonyl t-RNA), PL12
358 F. Frikha et al.

(alanine t-RNA), OJ (isoleucil t-RNA), EJ (glycyl t-RNA), Les EFR représentent un élément de dépistage essentiel
KS (asparaginyl t-RNA), anti-JS (glutaminyl t-RNA), anti-ZO de l’atteinte pulmonaire. Elles sont plus sensibles que la
(phenylalanyl t-RNA) et anti-YRS (tyrosyl t-RNA). Ils sont radiographie thoracique pour le dépistage de la pneumo-
détectables en IFI sur cellules Hep-2 sous la forme d’une pathie interstitielle débutante [1,11]. La diminution de la
fluorescence cytoplasmique [1,3]. La technique de réfé- capacité de diffusion du monoxyde de carbone (DLCO) est
rence est l’immuno-précipitation en gélose selon la méthode l’élément le plus précoce, suivi de l’apparition d’un syn-
d’Ouchterlony. Elle est couplée à l’Elisa (enzyme-linked drome restrictif se traduisant par une baisse des volumes
immunosorbent assay) qui permet de détecter ces anticorps pulmonaires [1,4]. Le paramètre important est le rapport
jusqu’à des titres de 1/3,240. On peut utiliser également du taux de diffusion de l’oxyde de carbone (TLCO) au
l’immunoblot (dot-blot et western-blot). Plusieurs auteurs volume alvéolaire (VA), définissant le KCO considéré comme
ont démontré que le spectre clinique du SAS dépend de la pathologique en dessous de 70 % de la valeur théorique.
spécificité de l’anticorps associé [6,9,12]. Dans une étude L’étude de la diffusion du CO n’a pas été réalisée chez nos
rétrospective de 142 cas de SAS, Hervier et al. ont pu malades du fait de l’impossibilité de pratiquer ce paramètre
individualiser deux sous-groupes avec des phénotypes cli- dans notre centre hospitalier. Un autre élément important
niques distincts selon l’anticorps antisynthétase associé. est l’augmentation du gradient alvéolo-capillaire au repos,
Ainsi, les patients avec anti-Jo1 présentaient un SAS plus aggravé à l’effort et l’abaissement consécutif de la DLCO
diffus avec myosite, pneumopathie interstitielle, arthral- qui sont spécifiques d’une atteinte de la membrane alvéolo-
gies, signes de sclérodermie systémique ou de SGS tandis capillaire.
que les patients avec anti-PL12 ou anti-PL7 présentaient un Le LBA permet d’approcher le type d’atteinte histolo-
SAS plus volontiers limité aux poumons [12]. Dans notre gique pulmonaire. En effet, la pneumopathie interstitielle
étude, on retrouvait des anticorps anti-Jo1 positifs chez est caractérisée par la présence d’une alvéolite qui est
toutes nos patientes. Les AAN étaient positifs chez deux déterminée par une élévation de la cellularité totale et par
malades entrant dans le cadre d’une association avec une le type de modifications de la formule cellulaire normale.
autre connectivite (SGS dans un cas ; SGS et sclérodermie On retrouve au stade initial, une alvéolite lymphocytaire,
dans l’autre cas). avec lymphocytose T CD8, de bon pronostic car relative-
La radiographie du thorax constitue un mauvais outil ment cortico-sensible [7]. La présence d’éosinophiles et de
diagnostique de l’atteinte pulmonaire interstitielle au cours polynucléaires neutrophiles est plus rare, pouvant témoi-
du SAS car le syndrome interstitiel radiologique n’apparaît gner d’une atteinte fibrosante de mauvais pronostic. De
qu’à un stade tardif de la fibrose pulmonaire [1]. La même, la disparition de la lymphocytose au LBA pourrait
tomodensitométrie doit être effectuée en haute résolu- témoigner d’une évolution vers la fibrose. Sur le plan ana-
tion (HR) avec des coupes millimétriques (TDM-HR) [1,11]. tomopathologique, les biopsies musculaires réalisées chez
Dans la plupart des cas, elle va mettre en évidence plu- toutes nos patientes ont montré un aspect compatible avec
sieurs types de lésions, en général bilatérales, localisées une DM active (un cas) et PM active (deux cas). Malheu-
aux bases pulmonaires, diffuses ou réparties en nappes. reusement, les données anatomopathologiques des autres
Les lésions rapportées sont : des irrégularités pleurales, un séries sont rarement détaillées [9]. Un seul travail a étudié
épaississement des septas, des opacités en verre dépoli, spécifiquement les lésions anatomopathologiques muscu-
des condensations et des bandes parenchymateuses. Ces laires associées aux anticorps anti-Jo1 [19]. Dans cette
anomalies correspondent généralement au stade d’alvéolite étude, 11 biopsies musculaires étaient réalisées chez des
lymphocytaire, élément classiquement de bon pronostic patients présentant un SAS. L’étude histologique montrait
(cortico-sensibilité) [1]. Ces anomalies ne sont toutefois une atteinte prédominante du tissu de connexion périmysial,
pas spécifiques de la pneumopathie interstitielle du SAS fragmenté, avec un infiltrat inflammatoire à prédominance
et peuvent se rencontrer au cours d’autres affections en macrophagique, épargnant les régions endomysiales et péri-
particulier les infections qui ne sont pas rares sur ce ter- vasculaires. Ce type d’atteinte, bien que non spécifique,
rain [11]. Au stade plus tardif de fibrose pulmonaire, les est différent de l’aspect généralement observé au cours
lésions se traduisent au scanner par des épaississements des myopathies inflammatoires idiopathiques où les lésions
péribroncho-vasculaires, des lignes de Kerley, des opacités inflammatoires siègent dans les régions endomysiales et
réticulo-nodulaires, des bronchectasies et des bronchio- périvasculaires et où le tissu périmysial est rarement frag-
lectasies. Les images « en rayons de miel » traduisent des menté.
lésions de fibrose fixée. Ces lésions sont irréversibles et en Le traitement du SAS n’est pas encore codifié car
général cortico-résistantes. La TDM-HR permet d’apprécier aucune étude contrôlée n’a été réalisée et les recom-
la nature des lésions histologiques de pneumopathie inter- mandations sont basées sur les rapports de cas unique
stitielle [11]. Les hyperdensités en verre dépoli, les opacités et des séries de petite taille. La plupart des cliniciens
linéaires et/ou réticulaires, associées à des bronchectasies utilisent la corticothérapie en première intention comme
seraient évocatrices de PINS. Les zones de condensa- une partie fondamentale du schéma thérapeutique du
tion sous-pleurales et les opacités linéaires traduiraient SAS [1—5,20]. Dans l’étude de Shinjo et al. [3], tous les
une pneumopathie organisée (Organizing Pneumonia [OP], patients étaient traités par des corticoïdes dont l’indication
anciennement BOOP). Les lésions « en rayon de miel », avec était l’atteinte pulmonaire dans la moitié des cas. Cer-
présence de bronchectasies, de destruction/remaniements taines études suggèrent que la réponse aux corticoïdes
parenchymateux, d’hyperdensités « en verre dépoli » et diffère selon le type de l’atteinte respiratoire. En effet,
d’opacités linéaires, correspondraient à une pneumopathie la BOOP et la PINS ont une bonne cortico-sensibilité. En
interstitielle commune (usual interstitial pneumonia [UIP]). revanche, la pneumopathie interstitielle courante et les
Le syndrome des antisynthétases 359

lésions de destruction alvéolaire diffuse (DAD) sont souvent Contribution des auteurs : tous les auteurs ont participé
cortico-résistantes, nécessitant l’utilisation des immuno- à la prise en charge des patients et à la rédaction du manus-
suppresseurs. Dans notre série, et au moment du diagnostic crit.
du SAS, toutes nos malades étaient traitées par corticothé-
rapie générale (forte dose dans trois cas, dose moyenne dans
un cas). Cette corticothérapie était initiée par trois bolus de
Références
méthylprednisolone dans un cas (observation no 2) devant la
sévérité du tableau initial. La réponse était bonne sur le plan [1] Imbert-Masseau A, Hamidou M, Agard C, Grolleau J, Chérin P.
musculaire dans tous les cas. On assistait à une évolutivité Antisynthetase syndrome. Joint Bone Spine 2003;70:161—8.
de l’atteinte pulmonaire dans trois cas. En cas de résistance [2] Jordan Greco AS, Métrailler JC, Dayer E. Syndrome des
ou de dépendance aux corticoïdes, différentes alterna- anti-synthétases : une cause de pneumopathie intersti-
tives thérapeutiques peuvent être proposées. Au cours du tielle rapidement progressive. Rev Med Suisse 2007;21:
SAS, plusieurs arguments comme la mauvaise réponse aux 2675—6.
corticoïdes de l’atteinte pulmonaire interstitielle qui est [3] Shinjo SK, Levy-Neto M. Anti-Jo-1 antisynthetase syndrome.
souvent cortico-résistante ainsi que l’identification précoce Rev Bras Reumatol 2010;50:492—500.
[4] Legout L, Fauchais AL, Hachulla E, Queyrel V, Michon-Pasturel
des anticorps anti-Jo1, incitent à proposer rapidement un
U, Lambert M, et al. Le syndrome des anti-synthétases : un
traitement plus agressif à base d’immunosuppresseurs [1,3].
sous-groupe des myopathies inflammatoires à ne pas mécon-
Les immunosuppresseurs les plus couramment utilisés sont naître. Rev Med Interne 2002;23:273—82.
le cyclophosphamide, l’azathioprine, le méthotrexate, le [5] Katzap E, Barilla-LaBarca ML, Marder G. Antisynthetase syn-
mycophénolate mofétil (MMF), la ciclosporine et le tacro- drome. Curr Rheumatol Rep 2011;13:175—81.
limus. Dans la pratique courante, le choix du traitement [6] Solomon J, Swigris JJ, Brown KK. Myositis-related interstitial
dépend de la gravité et de l’étendue des atteintes. Le lung disease and antisynthetase syndrome. J Bras Pneumol
cyclophosphamide ou la ciclosporine sont indiqués surtout 2011;37:100—9.
dans les cas d’atteintes pulmonaires et sont potentiellement [7] Fagedet D, Bernard S, Colombe B, Bosseray A, Baudet A,
efficaces dans la stabilisation de la fonction pulmonaire. Bouillet L, et al. Pneumopathie aiguë sévère révélatrice d’un
syndrome des anticorps anti-synthétases. Rev Med Interne
L’azathioprine ou le méthotrexate, agents d’épargne stéroï-
2009;30:634—6.
dienne dans les myopathies inflammatoires, sont efficaces
[8] Hochberg MC, Feldman D, Stevens MB, Arnett FC, Reichlin
pour l’atteinte musculaire et articulaire au cours du SAS [2]. M. Antibody to Jo-1 in polymyositis/dermatomyositis: asso-
Enfin, et malgré un traitement par glucocorticoïdes et immu- ciation with interstitial pulmonary disease. J Rheumatol
nosuppresseur, le SAS peut rester actif chez 30 % des malades 1984;11:663—5.
[1,20]. Dans notre étude, on a eu recours à un traite- [9] Dugar M, Cox S, Limaye V, Blumbergs P, Roberts-Thomson PJ.
ment immunosuppresseur dans trois cas : d’emblée chez une Clinical heterogeneity and prognosis features of south austra-
patiente (observation no 2) et en seconde intention chez les lian patients with anti-synthetase autoantibodies. Intern Med
deux autres patientes (observations no 1 et 3). Ce traitement J 2011;41:674—9.
était à base de cyclophosphamide (deux cas) et de métho- [10] Bernstein RM, Morgan SH, Chapman J, Bunn ML, Mathews
MB, Turner-Warwick M, et al. Anti-Jo-1 antibody: a marker
trexate (un cas). Au cours du SAS, les immunoglobulines
for myositis with interstitial lung disease. Br Med J 1984;289:
intraveineuses (IgIV) ont montré une efficacité sur l’atteinte
151—2.
musculaire avec normalisation des enzymes musculaires [11] Marie I, Stéphane Dominique S. Atteinte pulmonaire au cours
[20]. En revanche, elles n’ont pas fait l’objet d’études des polymyosites et des dermatomyosites: la pneumopathie
spécifiques dans l’atteinte pulmonaire de ce syndrome. interstitielle. Presse Med 2006;35:683—95.
Le rituximab, anticorps monoclonal chimérique anti-CD20, [12] Hervier B, Devilliers H, Stanciu R, Hachulla E, Uzunhand Y, Mus-
a fait preuve de son efficacité à la fois sur l’atteinte set L. Le spectre clinique mais pas l’évolution du syndrome des
musculaire, cutanée, pulmonaire et cardiaque [20]. Comme anti-synthétases dépend de la spécificité de l’anticorps asso-
le laissent suggérer certaines études [21], le rituximab pour- cié. Analyse rétrospective de 142 patients. Rev Med Interne
rait être efficace pour le traitement du SAS réfractaire. 2011;32S:S252—312.
[13] Tillie-Leblond I, Wislez M, Valeyre D, Crestani B, Rabbat
A, Israel-Biet D, et al. Interstitial lung disease and anti-Jo-
1 antibodies: difference between acute and gradual onset.
Conclusion Thorax 2008;63:53—9.
[14] Bizien N, Renault A, Boles JM, Delluc A. Pneumopathie inter-
La pneumopathie interstitielle au cours du SAS est un des stitielle aiguë révélatrice d’un syndrome des anti-synthétases.
éléments de mauvais pronostic et elle constitue un déter- Rev Pneumol Clin 2011;67:367—70.
minant majeur de morbidité et de mortalité. À l’heure [15] Dejardin-Botelho A, Perez T, Pouwels S, Wallaert B, Hachulla
actuelle, le taux annuel de mortalité des SAS ne peut pas E, Tillie-Leblond I. Myopathie des muscles inspiratoires au
être exactement évalué, mais il peut être conclu que la cours du syndrome des anti-synthétases. Rev Med Interne
pneumopathie interstitielle est associée à un excès de mor- 2008;29:325—7.
[16] Späth M, Schröder M, Schlotter-Weigel B, Walter MC, Hautmann
talité.
H, Leinsinger G, et al. The long-term outcome of anti-Jo-1-
positive inflammatory myopathies. J Neurol 2004;251:859—64.
[17] Navarro EJ, Carretero MM, Jiménez GF. Antisynthetase
Déclaration d’intérêts syndrome without muscle involvement. Rheumatol Clin
2007;3:276—7.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en [18] Blanco S, Rodríguez E, Galache C, Cosme Alvarez-Cuesta C,
relation avec cet article. Nosti D. Mechanic’s hands: a characteristic cutaneous sign
360 F. Frikha et al.

of antisynthetase syndrome. Actas Dermosifiliogr 2005;96: [20] Tournadre A, Dubost JJ, Soubrier M. Treatment of inflammatory
241—4. muscle disease in adults. Joint Bone Spine 2010;77:390—4.
[19] Mozaffar T, Pestronk A. Myopathy with anti-Jo-1 antibodies: [21] Sem M, Molberg O, Lund MB, Gran JT. Rituximab treatment
pathology in perimysium and neighbouring muscle fibres. J of the antisynthetases syndrome: a retrospective case series.
Neurol Neurosurg Psychiatry 2000;68:472—8. Rheumatology 2009;48:968—71.

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