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NOTORIÉTÉ INTERNATIONALE
Jérôme Champagne
2012/3 n° 62 | pages 67 à 80
ISSN 1620-9869
ISBN 9782362590405
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-geoeconomie-2012-3-page-67.htm
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Jérôme CHAMPAGNE
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Ce que fait le Qatar est davantage une « diplomatie par le sport » mais
cette forme de diplomatie n’est en rien une nouveauté car de tout temps,
le sport a été instrumentalisé par les pays et leurs autorités et ce pour trois
types de raisons et d’objectifs :
En fait, cette action du Qatar fusionne ces trois objectifs, même si elle
n’est pas non plus une nouveauté dans sa région de la Péninsule arabique.
Les premiers dans la région du Golfe, ayant compris ce que le sport pouvait
apporter à leur nouvelle richesse pétrolière, étaient les Koweitiens et les
Saoudiens.
1. Les Maccabiades sont une rencontre sportive juive organisée tous les quatre ans en Israël
par la Maccabi World Union, à l’image des Jeux olympiques. La première édition de cette
compétition a eu lieu en 1932.
La diplomatie sportive du Qatar, instrument d’une nouvelle notoriété
Le Qatar entreprend ce que ses voisins n’ont pas osé faire, affecte des
moyens considérables à cette politique et joue bien sûr à plein des synergies
avec son activisme télévisuel.
J. C. – Il est à mon sens bien trop tôt pour en tirer un enseignement. On
voit bien d’ailleurs que les réactions en France sont mixtes. Il y a ceux qui,
comme le président de la Ligue de football professionnel (LFP) française,
M. Frédéric Thiriez, y voient un moyen de renforcer la visibilité de la Ligue 1
et donc d’en accroître les revenus et la notoriété. Ceux qui aimeraient peut-
être pour leurs propres clubs de football trouver un parrain qatari ou un
autre aussi généreux que celui du Paris Saint-Germain.
Mais émergent des avis plus nuancés, telle l’opinion émise par Noël le
Graët, président de la Fédération française de football (FFF), invitant le PSG
à « acheter français » afin d’éviter que l’effectif du club ne devienne une sorte
d’Inter de Milan français sans joueurs français, déconnecté du formidable
bassin de jeunes talents de la région parisienne, ni sans beaucoup d’identité
locale. Sans omettre les craintes que le PSG, renforcé de joueurs transférés
à prix d’or sur fonds qataris comme Ibrahimovic, ne transforme une Ligue 1
reconnue jusque-là comme une des premières divisions européennes les plus
équilibrées en une compétition à l’incertitude sportive amoindrie.
La diplomatie sportive du Qatar, instrument d’une nouvelle notoriété
Enfin, il faudra observer avec prudence les connexions, voire les conflits
d’intérêt, entre le sportif (le PSG), le rôle de la télévision (Be In Sport),
l’acheteur de droits (Lagardère Sport avec la montée en puissance de
l’actionnariat qatari), les médias (via la participation du groupe Lagardère
dans ASO et le groupe Amaury contrôlant L’Équipe et France-Football et
bientôt la chaîne sportive de la TNT), etc.
Enfin, relevons – même s’il est trop tôt pour y voir pleinement clair – 73
que l’on peut s’attendre à une « correction » par le nouveau président de la
République, François Hollande, du « tropisme » qatari de son prédécesseur
Nicolas Sarkozy. Ce dernier, pour le sport comme pour d’autres secteurs
économiques, avait largement encouragé les investissements qataris et il se
dit qu’il s’était engagé afin d’obtenir le vote de Michel Platini, président de
l’UEFA et vice-président de la FIFA, en faveur de la candidature du Qatar
pour la Coupe du monde 2022.
Le sport offre au Qatar une réelle plateforme pour son ambition selon les
trois objectifs expliqués plus haut :
J. C. – Sans aucun doute. Le Qatar n’investit pas autant dans le sport
simplement pour les « beaux yeux » de sa renommée. Or son équipe nationale
ne s’est jamais qualifiée pour la Coupe du monde et hormis quelques résultats
sportifs intéressants (champions du Golfe en 1992 et 2004, finaliste de la
Coupe du monde des moins de 20 ans en 1981, deux qualifications aux
Jeux olympiques en 1984 et 1992), le football qatari rencontre très vite
ses limites.
dont les clubs ont reçu en 2003 chacun 10 millions de dollars pour attirer
des grands joueurs tels que l’Argentin Batistuta, l’Espagnol Guardiola, les
frères hollandais de Boer, l’Allemand Effenberg ou le Français Leboeuf avec
un succès très inégal. Les stades sont quasiment vides et l’équipe nationale
oscille au classement FIFA entre les 80 et 100es places ! Et en 2022, le Qatar
devrait devenir le pays qualifié d’office avec le plus faible rang sportif de
l’histoire de la Coupe du monde.
Face à ces dérives des naturalisations que mènent bien d’autres pays
que le Qatar (Bénin, Bahreïn, Togo et Mauritanie à une époque, Guinée
Équatoriale plus récemment), la FIFA n’a pas eu d’autre choix que de
resserrer la réglementation en édictant en 2009 une règle selon laquelle la
naturalisation ne produit d’effet sportif pour l’éligibilité en équipe nationale
qu’après une période de cinq années suivant le 18e anniversaire.
En mai dernier, le magazine belge Les Sports a publié une longue enquête
plaçant Aspire au centre d’une toile de « centres de formation » allant
du Guatemala à la Thaïlande, du Paraguay au Sénégal, du Cameroun au
Vietnam, décrivant l’implication dans ce projet de personnalités diverses du
football connues pour leurs visions, disons, « dé-régulatrices » du football et
avec une forte implication indirecte du FC Barcelone aujourd’hui sponsorisé
par la Qatar Foundation.
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Rendons aussi hommage à la brillance des personnes qui ont conduit cette
candidature notamment Sheikha Mozah bint Nasser Al-Missned, épouse de
l’émir, qui à mon sens, a su symboliser cette modernité traditionnelle, cette
revendication sereine de prendre toute sa place dans la conduite du sport
et cette détermination à changer les choses.
Par ailleurs, les médias ont largement rapporté des allégations sur les
circonstances du vote du comité exécutif de la FIFA du 2 décembre 2010 et
je crois que le Qatar lui-même aurait intérêt à ce que toute la lumière soit
faite, d’autant que le candidat qatari à la présidence de la FIFA cité plus
haut a dû retirer sa candidature trois jours avant l’élection pour tentative
d’achat de votes dans la région caraïbe !
Donc, il est bien difficile de trancher sur l’impact à long terme de cet
activisme sportif qatari. Il reflète un basculement du monde précédemment
unipolaire autour du lien transatlantique vers un monde « apolaire » d’une
géographie politique et économique diversifiée. Mais il n’est en rien sûr
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Le Monde en date du 26-27 février 2012 dédiait une double page à « [c]es
ambitions démesurées d’une micro-monarchie » du Qatar.
Mais si l’on compare – mais y a-t-il un sens de les comparer tant les
pays sont différents – le soft power de la Chine, il est certes moins fort
pour le sport car les Jeux olympiques à Beijing n’auront pas eu un impact
très fort au-delà de l’organisation de l’événement lui-même, mais la Chine
a ô combien plus de moyens pour cette influence. Elle a un modèle de
développement économique mixant un capitalisme assez effréné sans
libéralisation politique. Elle a réussi à nourrir et à loger une population
d’un milliard et demi d’habitants. Elle a engagé depuis plusieurs décennies
une politique de présence (par exemple constructions de stades) sortant
aujourd’hui de ses zones traditionnelles (vers la Caraïbe maintenant avec
un stade à Nassau aux Bahamas). Elle compte des centaines de milliers
d’expatriés au service de ses exportations et de l’accès aux ressources et
matières premières dont son économie a tant besoin.
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