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Analyse :
Du drame familial au conte fantastique, il n’y a qu’un pas. Lorsqu’on franchit ce pas décisif
qui fait passer de la réalité à la fiction, on élude l’aspect douloureux de la souffrance
personnelle et familiale, pour s’immerger dans l’imaginaire débordant des œuvres
romanesques. Là, tout devient possible, et le temps lui-même est sans limite, puisque
pendant mille et une nuits, Sharâzâd a commencé des contes qu’au matin elle n’avait
toujours pas terminés. Et l’aube chassant la nuit, Sharâzâd dut interrompre son récit. Grâce à
quoi, Sharâzâd a la vie sauve.
Dans l’histoire de Sharâzâd et du sultan, la tragédie a pu, au fil des nuits, se transformer en
histoire d’amour et de volupté. Dans le cas de certaines erreurs judiciares, comme dans le
procès de Patrick Dils, la fiction s’est transformée en tragédie, et le héros en victime.
Tragédie, le mot est lancé, avec sa connotation dramatique qui, lorsqu’elle s’inscrit dans le
réel, devient lourde de conséquences. Retrouvons le philosophe Michel Serres, et écoutons-
le nous parler de la relation entre la victime et la tragédie : "Le mot victime signifie la
substitution; de la même origine que vice-versa ou vice-amiral, vicaire ou vicariant, il indique
la lieutenance. *…+ La victime, pendant le processus, lie le représentant au représenté. Voici
l'origine de la tragédie, de tout théâtre en général, de toute représentation: le mot grec
tragos signifie le bouc ou la bête que l'on sacrifie de façon substitutive. Sur le marbre de
l'autel ou les planches de la scène, qui va mourir en remplacement de qui? Nul n'a jamais vu
- Me Jacques Parisot, avocat de la partie civile : Vous n'êtes pas crédible, Dils ! On n'agit pas
comme çà !
- Patrick Dils : Ça, c'est votre caractère ! Demandez à mes parents qui j'étais.
- L'avocat général : Au fond, vous nous expliquez que vous avez joué un rôle. J'ai le
sentiment d'être en face de celui qui joue l'innocent qui joue le rôle d'un coupable. Avec un
scénario aussi terrible, comprenez-vous que vous ayez été condamné par deux cours
d'assises ?
- Patrick Dils : Aujourd'hui, oui. Mais sur le moment, non.
Si Patrick Dils a joué un rôle, ce fut bien inconsciemment, et sans que personne n’ait pu, à
l’époque, l’aider à sortir de ce rôle. Mais je pense plutôt que Me Parisot voit juste, lorsqu’il
qualifie Dils de personnage en quête d'une vérité insaisissable. Que ce jeune-homme soit
directement sorti d’un roman de Patrick Modiano, cela ne fait aucun doute. Comme la
plupart des « héros » de Modiano, Patrick Dils est à la fois en quête de reconnaissance,
incertain de la trouver un jour, et se voit investi d’un rôle étonnant, distribué au hasard, celui
Nous retrouvons dans plusieurs romans des personnages dont la description physique ou
psychologique sont très proches de Patrick Dils. Nous connaissons tous des personnes,
hommes et femmes, qui auraient pu tout aussi bien passer aux aveux, se rétracter et se
laisser emprisonner à tort, parce que la personnalité, parce que le physique et l’apparence,
parce que l’éducation, parce que l’angoisse ou la certitude de n’être rien, parce que la
crainte de décevoir, parce que les traumatismes, parce que la pression sociale, parce que…
Voici quelques portraits littéraires de ces personnages décalés, ordinaires, pris dans un
quotidien, mais qui se révèlent être d’une extrême complexité et, souvent, d’une grande
intelligence et finesse d’esprit. Patrick Modiano, dans son roman Des inconnues brosse le
portrait d’une personne banale : « De toute façon, ce serait toujours les mêmes gestes. Les
mêmes saisons. Les mêmes lacs. Les mêmes cars du dimanche soir. Lundi. Mardi. Vendredi.
Janvier. Février. Mars. Les mêmes jours. Les mêmes gens. Aux mêmes heures. Comme lui, je
brouillais les pistes. Je me disais qu'une fille aussi simple que moi, qui n'avait qu'un seul nom
et qu'un seul prénom, et qui venait de Lyon, ne pouvait pas vraiment l'intéresser. »
Telle est l’écriture de Patrick Modiano: une écriture claire et factuelle, pour mieux traduire
l'ambiguïté des sentiments et des personnages. Ces derniers sont généralement des gens
simples, des gens de tous les jours, mais décalés, qui apparaissent et se rencontrent sans
que l'on sache vraiment ce qu'ils pensent, ballottés entre présent et passé.
Des personnages qui sont loin d’être des héros, car ils nous ressemblent, dans un quotidien
incertain, fait de doutes et de lueurs, de souvenirs partiels qu’il faut à tout prix coudre et
recoudre pour qu’ils ne s’effilochent pas. La petite Bijou a vu un manteau jaune, elle cherche
sa mère, elle arpente comme un automate les couloirs du métro, elle sait sans savoir, elle ne
peut rien dire. Elle se couvre d’un manteau de silence.
Lourd comme un chagrin d’enfant, le soldat de plomb, jouet minuscule dans le monde des
grands, s’éloigne sur le quai. Il a perdu la légèreté qu’il n’avait sans doute jamais eue.
Comment percer le secret de tels êtres ? Quel romancier voudrait leur prêter ses mots pour
dessiner leur portrait à grands coups de crayon, sans retouche ? Aucun, certes, et surtout
pas Modiano, qui respecte avec délicatesse, leurs hésitations et leurs trous de mémoire.
Avec le personnage de Plume, nous entrons dans l’univers surréaliste de Michaux. Si paisible,
Plume, qu’on ne sait s’il vit ou s’il rêve, s’il est simple d’esprit ou s’il est intelligent et qu’il
joue à tenir le rôle de benêt. Plume est lui aussi un être incompris, inadapté, au
comportement étrange face aux multiples situations auxquelles Henri Michaux le confronte
avec philosophie et humour.
Une autre scène, au restaurant, est encore plus plausible. Dans sa naïveté, Plume suscite,
sans le vouloir, la colère du garçon, puis du restaurateur, de la police, etc.
Plume déjeunait au restaurant, quand le maître d’hôtel s’approcha, le regarda sévèrement
et lui dit d’une voix basse et mystérieuse : Ce que vous avez là dans votre assiette ne figure
pas sur la carte. Plume s’excusa aussitôt.
• L’Idiot, de Dostoievski.
Écoutons, en écho au personnage de Dostoievski, les propos de Patrick Dils, deux jours après
sa sortie de prison, et nous retrouvons à la fois l’émerveillement candide devant le spectacle
de la nature, et la difficulté à trouver les mots pour dire l’émotion, aussi bien la joie que la
souffrance :
Ce que j’ai le plus apprécié depuis ma sortie de prison, ce sont ces quelques instants où je
me suis retrouvé tout seul dans un petit jardin. J’ai levé la tête et regardé le ciel étoilé avec
la lune. C’était magique, un émerveillement, quelque chose que je n’avais pas vu depuis
quinze ans. Je ne savais plus ce que c’était. C’est extraordinaire. J’étais comme un enfant qui
ouvre ses cadeaux à son premier Noël. Je vais avoir 32 ans, mais j’ai toujours un regard
d’enfant. J’ai également bu un digestif. C’était tellement subtil, tellement fin. C’est magique,
tout est tellement magique !
"Schneider m'avoua la très étrange pensée qui lui était venue. Il me dit avoir acquis la
conviction que j'étais moi-même un véritable enfant, un enfant dans toute l'acception du
terme. Selon lui, je n'avais d'un adulte que la taille et le visage; mais, quant au
développement, à l'âme, au caractère et peut-être même à l'intelligence, je n'étais pas un
homme; je ne le serais jamais, ajoutait-il, même si je devais vivre jusqu'à soixante ans. *…+ Ce
qui est vrai, c'est que je n'aime pas la société des adultes, des hommes, des grandes
personnes; je n'aime pas cette société parce que je ne sais pas comment m'y comporter. *…+
Mon destin me portait vers les enfants. Il se peut que mon sort change du tout au tout; mais
ce n'est pas là l'essentiel. L'essentiel, c'est le changement qui s'est déjà produit dans ma vie.
J'ai laissé là-bas bien des choses, trop de choses. Quand j'étais en wagon, je pensais: je vais
maintenant entrer dans la société des hommes; je ne sais peut-être rien, mais une vie
nouvelle a commencé pour moi. Je me suis promis d'accomplir ma tâche avec honnêteté et
fermeté. *…+ Tout le monde me considère comme un idiot. Je ne sais pourquoi. J'ai été si
malade, il est vrai, que cela m'a donné l'air d'un idiot. Mais suis-je un idiot, à présent que je
Oui, certains se sont arrêtés aux apparences et ont pris Patrick Dils pour un idiot, oui,
comme le personnage de Dostoievski, c’est aussi ce que pense Patrick en entrant quelque
part. Mais oui aussi, Patrick Dils est un être que l’on a pas fini de découvrir, un homme
profond, sensible et intelligent, un homme sensé, et ces gens-là ne s’en doutent pas !
Quant à ce qui sépare l’enfant de la société des adultes, Saint-Exupéry l’avait déjà bien mis
en scène à travers les remarques aigres-douces du Petit Prince. Nous l’oublions si vite !
Comment après avoir connu cette face éhontée des adultes tout-puissants, épais dans leurs
convictions sans faille, Patrick Dils ne revendiquerait-il pas de pouvoir garder son âme
d’enfant ?
J’étais comme un enfant qui ouvre ses cadeaux à son premier Noël. Je vais avoir 32 ans, mais
j’ai toujours un regard d’enfant.
Dans l’interview de Julien Courbet pour Télé 7 jours, nous retrouvons comment Patrick Dils
sait garder l’émerveillement de l’enfant et l’articuler avec la maturité de l’adulte : « Je lui ai
demandé ce qu’il lui ferait plaisir de manger. Il voulait des fraises et du foie gras. Il a gardé
les fraises pour la fin de l’émission. Il ne voulait gaspiller aucun plaisir. Il a demandé s’il
pouvait voir le Stade de France. Quand on lui a expliqué que toutes les émissions de télé se
tournaient dans les studios de la Plaine St-Denis, il a voulu visiter le décor de Bigdil. Il était
ravi. Moi, j’ai été bluffé par la façon de s’exprimer de Patrick. Son recul. La maturité de ses
propos. Cette façon de réfléchir pour trouver le bon mot. Pendant l’émission, quand on
diffusait les images des retrouvailles avec ses parents, il tournait la tête. Comme s’il avait
peur de rêver, et qu’à la sortie, un fourgon l’attende pour le ramener en prison. A la fin de
l’enregistrement, tout le monde a craqué. Des affaires de cette intensité motivent une
équipe et font la fierté d’une rédaction. »
Marcovaldo, personnage créé par Italo Calvino, est un ouvrier ayant bien du mal à assurer le
quotidien de sa famille. Pour s’échapper du réel sordide de pauvreté et de béton dans lequel
il travaille comme manœuvre, il trouve une porte de sortie : la rêverie. Entre fantasme et
réalité, la vie lui devient alors plus supportable, mais lui apparaît aux yeux des autres comme
étrange et décalé.
« Il avait, ce Marcovaldo, un œil peu fait pour la vie citadine : les panneaux publicitaires, les
feux de signalisation, les enseignes lumineuses, les affiches n’arrêtaient jamais son regard
qui semblait glisser comme sur les sables du désert. Par contre, qu’une feuille jaunît sur une
branche, qu’une plume s’accrochât à une tuile, il les remarquait aussitôt ; il n’était pas de
taon sur le dos d’un cheval, de trou de ver dans une table, de peau de figue écrasée sur le
trottoir que Marcovaldo ne notât et n’en fît l’objet de ses réflexions, découvrant ainsi les
changements de la saison, les désirs de son âme et les misères de son existence. »
• Thomas Mann
Les personnages de Thomas Mann sont, eux aussi, des êtres étranges, en quête d’identité,
Tous ces personnages littéraires ont des zones communes avec Patrick Dils. Tous sont des
êtres méconnus, sur lesquels on se méprend, et à qui il arrive des mésaventures plus ou
moins graves. Tous sont à la recherche de leur identité, pour tenter de comprendre leurs
bizarreries ; ils vont jusqu’à l’extrême, pour tenter une confrontation avec l’insolite et entrer
en relation avec des parties inconnues d’eux-mêmes.
En décalage avec la société, en rupture avec le temps habituel et ses exigences, ils
privilégient l’introspection ou la rêverie, avec un besoin d’aller toujours voir au-delà.
Nous pourrions trouver dans les œuvres de fiction, littérature, cinéma, théâtre, d’autres «
héros » du drame ordinaire, d’autres personnages, candidats à l’erreur judiciaire. Proches de
Patrick Dils dans ce qui a perturbé la compréhension de sa personnalité par les différents
intervenants des procès, à savoir le décalage avec des réactions attendues, une insécurité et
une distance, une dépendance et une forme d’indifférence affective, autant de
contradictions qui n’en sont pas, mais qui déconcertent… lorsqu’il s’agit d’un homme qui ne
sort pas de l’imagination d’un romancier, et qui…est en situation d’avoir à défendre son
innocence.
Là est le drame. Celui que Patrick Dils a mis beaucoup de temps à comprendre. Celui dont il
est finalement sorti, grâce à l’aide de ses avocats.
A toutes les époques, policiers, gendarmes et juges ont été tournés en dérision et sont
même devenus des marionnettes dans le fameux théâtre de Guignol ! La certitude de leur
autorité, la conscience du bien-fondé de leur mission et le vêtement avec ses accessoires
impressionnants et dérisoires, rendent ces personnages facilement caricaturaux.
Dans l’art de la caricature, Honoré Daumier nous offre sur le XIXème siècle, d’extraordinaires
lithographies. Les figures du procureur, du président du tribunal et des juges, celles du
greffier ou de l’huissier sont marquées avec autant de force que les figures d’avocats sans
causes, ou des avocats propriétaires de leurs clients comme d’un terrain et d’un capital !
Daumier a fréquenté le Palais de Justice, et ne recule pas devant la cruauté de portraits-
charge, ceux de l’avocat Dupin aîné, ceux des juges du tribunal civil de Versailles ou du
procureur général Plougoulm. Il y a eu quelques caricatures, lors du procès Dils, elles ont
surtout porté sur l’accusé lui-même… Autres temps, autres mœurs !
En 1981, Michel Del Castillo construit son treizième roman sur une singulière enquête, celle
que mène discrètement un jeune inspecteur de police au sujet de son chef hiérarchique, le
Directeur de la Sûreté, personnage énigmatique et cruel, fascinant dans sa traversée de
l’horreur.
Avec La nuit du Décret, on s’interroge sur les motivations profondes qui conduisent un
homme à devenir policier, on comprend mieux l’attitude soupçonneuse, la quête jouissive
des aveux, et on découvre au fil de l’histoire la collection de manies propres à chacun des
personnages. Souvent, les romans policiers mettent en scène des inspecteurs à la
personnalité intéressante, c’est le cas des célèbres romans ou des séries télévisées, mais
l’intrigue concerne le coupable. Là, nous avons un roman entièrement fondé sur la police, et
tous ses avatars.
« Vous aimez les dossiers, n’est-ce pas ? Rien de tel que le papier pour ficeler un homme.
Voici la véritable essence de la police, son œil dormant. Tenez, dit-il en saisissant un dossier
et en l’ouvrant, une première feuille, blanche, avec les renseignements d’état civil, une
seconde, verte, pour la vie professionnelle, carrière, activités, finances, bref ce qui, avec le
nom et l’origine, enracine un individu. Voulez-vous savoir ce que vaut un homme ? Examinez
son compte en banque. Au-dessus d’une certaine somme, c’est une crapule ; au-dessous,
c’est une loque ; entre les deux c’est un couard. Une troisième, rose, pour les mœurs : aime-
t-il se faire fouetter, ramper sur le plancher, jouit-il à brutaliser les femmes, ne bande-t-il
que s’il profère des insanités ? Dans tous les cas, vous le tenez. Un homme qui sait qu’on a
percé ses secrets d’alcôve n’est pas tout à fait un homme. *…+ Le rouge enfin, la politique et
le social, c’est-à-dire les rêves absurdes et les théories fumeuses qui font mourir tant
La technique du scénario qui permet aux policiers de faire avouer a quelque chose
d’hallucinant. Il ne s’agit pas à proprement parler de violence, comme dans les cas
d’entretiens musclés, mais d’une technique qui repose sur la tromperie et sur la mise en
scène. Ainsi, lorsqu’un ancien officier du SRPJ raconte comment se déroulent des aveux, on
comprend qu’il y ait de plus en plus de méfiance à accorder autant de crédit aux aveux
consignés sur procès-verbal.
On sait, en effet, que la mise en confiance et le rapport personnel que le policier menant
l'audition parvient à établir avec le suspect jouent un rôle essentiel.
Il faut adapter notre méthode à chaque personnalité. On n'interroge pas de la même
manière un individu fiché au grand banditisme, en général peu bavard, ou qui ne reconnaît
que ce qu'il ne peut absolument pas nier, et l'auteur d'un crime passionnel. Il faut être
patient. Là aussi, les vieilles méthodes restent efficaces : on peut interroger à deux, l'un
jouant le rôle du méchant, l'autre du gentil.
N’est-ce pas la technique du psychodrame thérapeutique, où deux thérapeutes tiennent les
rôles que le patient a du mal à incarner. Quand l’un joue la défense, l’autre met en scène la
pulsion, le passage à l’acte.
Dans d’autres situations, le thérapeute peut employer la technique de « doublage », afin
d’exprimer à la fois les aspects verbaux et non verbaux d’un alter ego familial. Ainsi, les deux
thérapeutes peuvent décider de rejouer devant le couple en thérapie, un aspect de leur
interaction, chaque thérapeute devenant l’alter ego d’un des partenaires. Cette technique
utilisée ouvertement, permet aux partenaires du couple de mieux prendre conscience de ce
qui gêne leur communication de couple.
Mais le cadre est différent de celui d’un commissariat de police, et il s’agit d’un lieu
thérapeutique. Dans la mise en condition pour faciliter à quelqu’un le passage aux aveux –ou
pour les lui extorquer- il y a duperie. Le gentil n’est pas vraiment gentil, et le méchant
cherche à faire peur.
Ainsi, au cours du procès de Lyon, Patrick Dils ose rejouer son face à face avec l'inspecteur
Bernard Varlet, sans craindre les représailles :
Allez, dis la vérité. Imaginons que tu voies les vélos, tu montes sur le talus, tu vois les deux
petits garçons, on peut imaginer qu'ils se moquent de toi. Alors, tu prends une pierre pour
leur faire peur et malheureusement tu en blesses un, il tombe à terre. Paniqué, tu prends
une autre pierre et tu frappes le deuxième garçon. Complètement paniqué, tu cherches une
grosse pierre pour terminer le travail. Mais ce n'est pas grave, c'est un accident, on peut
comprendre.
Patrick Dils ajoute alors : Pour moi, c'était un scénario, rien d'autre.
On croit rêver ! Si cela s’est vraiment déroulé de la sorte, et c’est tout à fait plausible, on ne
voit pas vraiment de différence entre le scénario surréaliste et aboutissant à une situation
Après une psychothérapie ou une analyse, les fantasmes inconscients sont dépouillés de leur
poids de culpabilité et d’angoisse, et peuvent servir de moteur à une œuvre de fiction. C’est
ainsi, par exemple, que certains grands cinéastes comme David Lynch, Hitchcock, Pedro
Almodovar et quelques autres, conduisent le spectateur dans un univers fantastique, où l’on
navigue sans cesse entre fantasme et réalité.
Qu’ils aient l’expérience d’une psychanalyse personnelle, ou qu’ils n’aient pas effectué ce
voyage intérieur, les créateurs savent puiser dans leur réservoir fantasmatique, et utilisent
des fantasmes plutôt que de les mettre en actes.
Ainsi, ce bel extrait de Michel Leiris dans l’Age d’homme :
« Car une femme, pour moi, c’est toujours plus ou moins la Méduse ou le radeau de la
Méduse. J’entends par là que, si son regard ne me glace pas le sang, il faut alors que tout se
passe comme si l’on y suppléait en s’entre-déchirant. *…+ Donc, s’il y a des femmes qui
m’attirent dans la mesure où elles m’échappent ou bien me paralysent et me font peur –
telle Judith- il y a aussi de douces Lucrèces qui sont mes sœurs consolatrices. Et si, rêvant
Judith, je ne puis conquérir que Lucrèce, j’en retire une telle sensation de faiblesse, que j’en
suis mortellement humilié. Une seule voie, alors, me restera pour remonter à ce tragique
auquel lâchement je me suis dérobé ; ce sera, afin de mieux aimer Lucrèce, de la martyriser.
Il en résulte que, pratiquement, si la femme avec laquelle je vis ne m’inspire pas une sainte
terreur (j’écris « sainte » parce que ici intervient nettement la notion du sacré) je tends à
remplacer cette terreur absente par la pitié ; ce qui revient à dire, en termes plus précis, que
je suis toujours obscurément porté à provoquer en moi la pitié pour la femme en question
par des moyens artificiels, à l’aide d’une sorte de déchirement moral que je cherche à
introduire au sein de la vie quotidienne, tentant de la changer un peu, grâce à ces affres
répétées, en un « radeau de la Méduse » où se lamentent et se dévorent une poignée
d’affamés. »
• Devant Méduse
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