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Fiche de lecture

Patrick Lehingue, Retour sur « Les logiques du recrutement politique »

Patrick Lehingue est un chercheur qui s’intéresse principalement à la sociologie du vote ainsi qu’aux
rapports sociaux à la politique ; le texte soumis à notre étude traite des mutations dans la structure
sociale des représentants et les problématiques sociologiques qu’elles entrainent. L’article part d’un
contrat rétrospectif sur l’importance d’un travail sociologique publié en 1980 par Daniel Gaxie
concernant la morphologie sociale des députés et leur logique de recrutement. Sa pertinence réside
dans la démonstration, à partir d’une sociographie des élus, du fait que les clivages partisans
reflètent les structurations internes propres aux classes dominantes, qui s’incarnent à l’Assemblée
dans l’antagonisme entre le pôle intellectuel (gauche) et le pôle économique (droite). Il introduit
également le concept « d’homologie » qui permet de dépasser l’approche mécaniste qui consiste à
dire que les partis sont par essence l’expression des intérêts d’une telle fraction sociale. En effet, il y
a homologie dans la mesure où les individus se situent politiquement et identifient leurs intérêts à
travers le clivage, cette relation de domination interne à l’assemblée (cette « lutte des classes par
ricochet ») entre le pôle économique et culturel.

Patrick Lehingue analyse ensuite les tendances relatives aux mutations liées au recrutement politique
depuis 1978 et son effet consécutif d’homogénéisation du champ politique. On assiste en effet, à un
recentrage des deux partis gestionnaires (opposition moins nette entre pôle intellectuel et pôle
économique) et parallèlement à un déficit de représentation des classes populaires qui s’accroit,
l’émergence de « purs professionnels de la politique » qui ont toujours vécu « pour » et « de » la
politique (Weber). Ces derniers contribuent, en outre, par leur entrée massive dans les assemblées
représentatives à marginaliser toujours plus la représentation des classes populaires. Tout cela
aboutit à un phénomène de distorsion (constitution d’un microcosme). En outre, même si cette
polarité classique s’incarne toujours (sur le plan des positions sociales des représentants et de leur
milieu de recrutement économique ou intellectuel notamment), ce « recentrage » reste indéniable et
s’illustre notamment par un capital scolaire et un volume d’expériences professionnelles accumulées
à présent sensiblement similaires entre le pôle économique et intellectuel. Ce phénomène est
corrélatif à l’émergence des « purs professionnels de la politique », commençant leurs carrières
politiques précocement souvent à la sortie de leurs études en accédant aux nouveaux postes
rémunérés de militants, de conseillers ou collaborateurs de parlementaires ou de dirigeants
territoriaux (faisant ainsi valoir leurs « titres d’écoles » (Bourdieu)). Cela conduit la sphère politique à
se refermer sur elle-même constituant un « microcosme », à « clôturer » le champ politique (en
homogénéisant davantage le profil statistique dominant dans les assemblées), même si son
objectivation statistique suppose de délimiter les contours de ces nouvelles catégories de
professionnels.

Mais ces questions suscitent des zones d’ombre et des problématiques méthodologiques. Tout
d’abord comment pallier aux limites du coefficient de représentation qui ne permet pas une
approche multidimensionnelle (en prenant en compte dans le même temps des critères tels que le
sexe, les origines, l’âge d’entrée en politique, la trajectoire sociale…) de la morphologie sociale des
représentants. L’étude de Daniel Gaxie se cantonne à l’étude des catégories socio-professionnelles
qui pose d’ailleurs aussi un problème d’ordre méthodologique : quelle profession antérieurement
occupée soumettre à notre étude ; d’autant plus que ce critère perd en pertinence quand
s’estompent les différences socio-professionnelles entre les représentants de gauche et de droite. Il
faudrait ainsi prendre en compte davantage la mobilité intergénérationnelle qui illustrerait mieux ce
lien… En outre, il pose également la question des implications de ces « biais de représentation » :
d’un côté la notion de représentation miroir (représentation statistique parfaite de la société)
renvoie à une conception normative et utopique (mais inefficiente) de la représentation  ; d’un autre
côté elle constitue un idéal vers lequel il faut tendre notamment dans un contexte de défiance, de
délégitimation des représentants et quand les compétences et les intérêts des groupes minoritaires
sont niés.

En somme cette étude illustre des mutations qui sont constitutives de la professionnalisation
politique ; processus qui explique en partie une distorsion croissante entre les représentants et les
représentés et des « biais de représentation » qui induisent des problématiques méthodologiques
aussi bien que politiques. L’étude du renouvellement de l’Assemblée nationale en 2017 dans le post
scrutum et à ce titre intéressant : elle fait suite à la volonté affichée dans la campagne LREM de lutter
contre la professionnalisation du politique et les analyses statistiques démontraient alors une entrée
massive de « profanes » dans l’hémicycle : féminisation, réduction de l’âge, augmentation de la part
des minorités, de salariés du secteur privé…. Néanmoins, il est nécessaire de relativiser cette étude
statistique biaisée en prenant en compte notamment les postes politiques antérieurement occupés
et la proximité avec le cercles du pouvoir de ces nouveaux élus. De plus, il faut également rappeler
que ce « renouvellement » a consacré la disparition des ouvriers de l’Assemblée et que seuls 4,5%
des représentants étaient antérieurement employés.

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