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L’islam à livre ouvert

Penser les divisions


Lectures du Coran
Le sens du djihad
D’autres islams

Makram Abbès,
Mohammad Ali Amir-Moezzi,
Bruno Aubert, Hamit Bozarslan,
Jean-Louis Schlegel, Mathieu Terrier

Le paradoxe de la représentation – Myriam Revault d’Allonnes

Donald Trump président  Le dilemme de la gauche espagnole 


Éthique de la frontière  Pour une société décente 
La marchandisation du monde ? 
Yves Bonnefoy, la tâche du poète  L’utopie Bauhaus

No 430 – Décembre 2016


SOMMAIRE

3 L’âge de la défiance. Éditorial. Esprit

À PLUSIEURS VOIX
7 Not my president (Jonathan Chalier). Le dilemme de la gauche
espagnole (Hedwig Marzolf). Une éthique de la frontière ? (Erick
Sourna Loumtouang). La tragicomédie de la politique brésilienne
(Amanda Dias). Visiter Auschwitz en 2016 (Jean-Louis Schlegel).
La pensée de comptoir de Michel Onfray (Nicolas Appelt). L’État
neuronal (Sylvie Trosa). Santé mentale : quel cadre de réflexion
pour quelle action ? (Alain Ehrenberg).

L’ISLAM À LIVRE OUVERT


31 Penser la complexité. Hamit Bozarslan
Les violences de la fondation de l’islam sont-elles effacées par les juristes qui
sacrifient l’idéal d’une société juste au profit de l’unité d’une communauté
asservie au pouvoir ?
39 Étudier l’islam. Entretien avec Mohammad Ali Amir-Moezzi
Le Coran est susceptible d’une pluralité de lectures, selon le contexte historique,
avec des périodes d’essor, ouvertes sur les cultures voisines, et d’autres de
pétrification et de fermeture sur soi. La sagesse et la richesse de l’islam sont
aujourd’hui oubliées au profit de la sécheresse du wahhabisme.
53 L’islam paradoxal. Mathieu Terrier
Le fondamentalisme sunnite a refoulé la spiritualité chiite. Il importe donc
de revenir aux origines des multiples divisions sectaires, leurs mémoires
concurrentes, leurs différentes herméneutiques du Coran, ainsi qu’à leurs
rapports au culte des saints et au politique.
64 Pour un djihad contre le djihadisme. Makram Abbès
La notion de djihad est équivoque : elle renvoie à la fois à la lutte armée et à
la lutte spirituelle. On ne peut toutefois écarter le sens militaire, irréductible à
son élaboration juridico-théologique, au profit du seul effort pour contrôler ses
passions.
76 Daech : le dévoiement. Bruno Aubert
Les tenants du parler-vrai ont raison d’affirmer un rapport du terrorisme islamiste
à la religion : il n’est pourtant pas celui d’une continuité, mais d’un dévoiement
et d’une sinistre caricature.
80 Islam et christianisme : comparer ce qui est comparable.
Jean-Louis Schlegel
Dans un contexte où l’islam fait figure de bouc émissaire, il ne sert à rien de
revenir à la lettre du Coran, qui peut être interprétée de multiples manières,
mais il importe de faire l’histoire des divisions initiales et de prêter attention à
la religion vécue des fidèles.

1 Décembre 2016
Sommaire

VARIA
87 Le paradoxe de la représentation.
Entretien avec Myriam Revault d’Allonnes
Dès l’Antiquité, la représentation est à la fois ce qui relie et qui sépare. La
modernité hérite de ce paradoxe qu’elle tente de résoudre par le concept de
nation, pourtant aussi fictive que le peuple. L’acte de se représenter, aussi fragile
soit-il, permet de retrouver sa puissance d’agir.
100 La société décente ou la politique au temps des catastrophes.
Hugues Lagrange
Le programme d’une société décente, critique du primat kantien du juste sur le
bien, abandonne pourtant la perspective d’un bien commun pour, simplement,
éviter d’humilier. Cela passe par de quoi se nourrir, se loger et les garanties de
l’État de droit.
107 La « marchandisation du monde ». Analyse historique et critique
d’un slogan. Flavien Dupuis
Un examen de la « marchandisation » montre qu’elle s’accompagne d’un
processus inverse de dé-marchandisation, en particulier du travail, des
ressources naturelles, du corps et des échanges, sous l’impulsion de l’État-
Providence, du droit et de la société civile.
117 Yves Bonnefoy. « Comme la tâche le veut ». Cécilia Suzzoni
La tâche du poète consiste à retrouver la présence du monde à travers l’énigme
du langage, accompagnée de réflexion et en dialogue avec les arts. L’Écharpe
rouge, roman familial et récit d’enfance, rappelle que la poésie est indispensable
à une société malade de son langage.

CULTURES
129 Exposition – Le Bauhaus, une utopie fondatrice et festive
(Isabelle Danto)
132 Livres – Saul Friedländer, Où mène le souvenir et Réflexions sur le
nazisme. Christophe Charles et Laurent Jean-Pierre (sous la dir. de),
la Vie intellectuelle en France. Henri Bergson, Histoire de l’idée de
temps. Max Scheler, Trois essais sur l’esprit du capitalisme. Alexandre
Leupin, Édouard Glissant philosophe. Jean Picq, Politique et religion.
Denis Thouard, Pourquoi ce poète ? Le Celan des philosophes. Florent
Guénard, la Démocratie universelle. Laurent Mauvignier, Continuer.
Frédéric Gros, Possédées. Yuri Herrera, Le royaume, le soleil et la
mort.
155 Brèves. En écho.

Abstracts on our website : www.esprit.presse.fr


Couverture : Érudit musulman lisant (fin du xviie siècle).
Allemagne, Berlin, Muséum für Islamische Kunst (Smpk)
Photo © Bpk, Berlin, Dist Rmn-Grand Palais/Georg Niedermeiser

2
L’islam paradoxal

Mathieu Terrier*

La violente poussée du fondamentalisme sunnite et l’exacerbation


du conflit entre sunnites et chiites semblent avoir refoulé dans
l’ombre l’existence d’un islam spirituel, transcendant en partie la
grande division interne de l’islam, qui faisait encore l’objet d’un
vif intérêt en France à la fin du siècle dernier. L’étude de cet autre
islam est pourtant plus que jamais d’actualité car l’objectif du djiha­
disme est moins la soumission de l’Occident non musulman que la
purification de l’islam de ses éléments « hérétiques », nommément
chiites et soufis.
Englober ces courants dans la catégorie d’un islam « hétérodoxe »
reviendrait à attribuer un brevet d’orthodoxie au wahhabisme et au
salafisme qui prononcent contre eux l’anathème (takfîr). On le sait, il
n’existe pas de magistère doctrinal unique reconnu par une majorité
de musulmans ; les notions d’orthodoxie, d’hétérodoxie et d’hérésie,
issues du christianisme et sans équivalents exacts en arabe, prennent
en islam un sens particulièrement relatif et variable. Chaque branche
de cette religion se considère comme l’orthodoxie, au sens étymo­
logique de l’opinion droite, et tient les autres branches pour plus ou
moins déviantes. Si Muhammad b. ‘Abd al-Wahhâb (1792), fondateur
du wahhabisme, qualifiait les chiites d’« infidèles » (kuffâr), plus
nocifs pour la religion que même les juifs et les chrétiens, les chiites
désignent les wahhabites du sobriquet hérésiologique de takfîriyya,

*  Mathieu Terrier est chargé de recherche au Cnrs (Laboratoire d’études sur les mono­
théismes) et auteur de l’ouvrage Histoire de la sagesse et philosophie shi’ite. « L’aimé des cœurs »
de Quṭb al-Dīn Aškevarī, paru en 2016 aux éditions du Cerf.

53 Décembre 2016
Mathieu Terrier

« ceux qui jettent l’anathème1 ». Pour rassembler les courants stig­


matisés par le fondamentalisme sunnite et interroger leurs liens,
je parlerai plutôt d’un « islam paradoxal », l’expression signifiant
leur écart par rapport à l’opinion dominante, la doxa, mais aussi
le caractère étonnant – et philosophiquement stimulant – de leurs
doctrines.
Quel est cet islam « autre » qui fait horreur à l’« islamisme » ? La
connaissance des courants du chiisme – l’imâmisme duodécimain,
l’ismaélisme, le nusayrisme-‘alawisme – et du soufisme, en plus
de son intérêt intrinsèque, permet d’éclairer la tendance sunnite
radicale qui se nourrit de leur exécration et de la remettre à sa juste
place dans l’histoire des idées en islam.

La formation des courants de l’islam


Si le chiisme est le premier adversaire du fondamentalisme
sunnite, mouvement réclamant le retour aux fondements scriptu­
raires et historiques de l’islam, c’est d’abord parce qu’il lui dispute
le titre d’islam originel. Les premiers chiites étaient les partisans
(shî‘a) de ‘Alî Ibn Abi Tâlib (661), jeune cousin et intime du Pro­
phète, devenu son gendre et le père de sa seule descendance mâle.
Ils étaient convaincus que ‘Alî avait été désigné expressément par
Muhammad comme le chef temporel et spirituel des musulmans
après lui. Mais leur champion fut écarté du pouvoir après la mort du
Prophète (632) et son bref califat (656-661) tourna à la guerre civile.
En 680, son deuxième fils al-Husayn, second petit-fils du Prophète
et guide (imâm) des chiites, était tué à Karbala avec la quasi-totalité
des siens par l’armée de la jeune dynastie des Omeyyades. Le
chiisme se cristallisa alors et commença à se diviser entre partisans
du soulèvement politique et tenants d’une pieuse réserve. De tous
les courants chiites apparus à cette période, la plupart ont disparu
sous les persécutions du pouvoir impérial ; subsistent principa­
lement les zaydites, les ismaéliens, les imâmites duodécimains et
les nusayrites-‘alawites, entre lesquels la concurrence fut souvent
féroce. L’imâmisme duodécimain fut le dernier à fixer sa doctrine
après l’« occultation majeure » de son douzième et dernier imâm

1.  Voir Meir Litvak, « More Harmful than the Jews. Anti-Shi‘i Polemics in Modern Radical
Sunni Discourse », dans Mohammad Ali Ami-Moezzi et al. (sous la dir. de), le Shī‘isme imāmite
quarante ans après. Hommage à Etan Kohlberg, Turnhout, Brepols, 2009, p. 293-314.

54
L’islam paradoxal

en 9412. Il ne devint majoritaire au sein du monde chiite qu’avec


l’effondrement de l’ismaélisme politique sous les coups successifs
des Ayyoubides en Égypte (chute des Fatimides en 1171) et des
Mongols en Perse (chute de l’État d’Alamut au nord de l’Iran en
1257)3. Profondément réformé depuis ses débuts, il n’en conserve
pas moins des traditions scripturaires et des croyances doctrinales
remontant au premier islam. Parmi elles, l’annonce du Rédempteur
de la Fin des temps, le Mahdî, identifié au douzième imâm « en
occultation », qui recouvrira la terre de justice comme elle l’aura
été d’injustice4.
L’islamologie occidentale a longtemps conforté la prétention du
sunnisme à représenter l’islam en général. Les progrès de l’histoire
critique ont fini par montrer qu’il s’était formé plus tardivement
que les courants tenus par lui pour « hérétiques », et largement en
réaction à eux. Ce n’est qu’après 848 et l’élimination des rationa­
listes mu‘tazilites que les « gens de la tradition » (ahl al-sunna) ont
défini leur corps de doctrine. La recension et la réfutation des sectes
déviantes, mu‘tazilites, chiites et autres, ont largement participé à
sa construction dogmatique. Les fatwas du juriste hanbalite Ibn
Taymiyya (1328) contre les imâmites, les nusayrites et les soufis,
sur lesquelles se fondent les djihadistes modernes, témoignent
de l’horreur qu’inspirait au monde sunnite la liberté religieuse
régnant en Orient musulman sous souveraineté mongole. Le wahha­
bisme, le réformisme musulman et le salafisme, apparus aux xviiie
et xixe siècles, ont également construit leur identité à l’encontre
des « autres » du soufisme – malgré certaines connexions – et du
chiisme, tout en revendiquant pour eux-mêmes le modèle des « pieux
anciens » (aslâf), parmi lesquels des hommes que les chiites tiennent
pour des traîtres.

2.  Ce dogme veut que l’imâm se soit rendu invisible sans être mort. L’« occultation majeure »
fait suite à une période d’« occultation mineure » (874-941), durant laquelle il communiquait
par le biais de représentants.
3.  Farhad Daftary, A History of Shi’i Islam, Londres, I.B. Tauris, 2013, p. 25-56.
4.  Sur l’évolution du chiisme imâmite, voir Mohammad Ali Ami-Moezzi et Christian Jambet,
Qu’est-ce que le shi’isme, Paris, Fayard, 2006, p. 181-283. Sur le dogme du Mahdî, Abdulaziz
Abdulhussein Sachedina, Islamic Messianism : The Idea of the Mahdi in Twelver Shi‘ism, Albany,
State University of New York Press, 1981 ; M. A. Amir-Moezzi, le Guide divin dans le shî‘isme
originel, Lagrasse, Verdier, 1996, p. 243-301.

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Mathieu Terrier

L’histoire interdite de l’islam majoritaire


L’aspect le plus détestable du chiisme aux yeux des fondamenta­
listes sunnites est sans doute la mémoire têtue des conflits politiques
primitifs, une mémoire des vaincus qui contredit toute la version des
origines écrite par le parti vainqueur et longtemps accréditée par
l’islamologie. Les plus anciennes sources chiites, rédigées à une
période proche des faits, rapportent que Muhammad fut empêché
sur son lit de mort d’écrire un testament en faveur de ‘Alî ; que
quelques heures après sa mort, des compagnons se réunirent en
secret pour désigner Abû Bakr comme calife à sa place ; que la fille
du Prophète et épouse de ‘Alî, Fâtima, fut spoliée de ses droits et
subit des violences mortelles sous les ordres d’Abû Bakr et de ‘Umar,
futur deuxième calife. Autant d’affirmations intolérables pour la
majorité des sunnites5. C’est que les savants de la majorité au pouvoir
au ixe siècle ont écrit l’histoire d’une succession consensuelle du
Prophète et procédé à la canonisation des quatre premiers califes,
y compris ‘Alî le quatrième, sous le titre de « bien guidés ». Cet
amalgame glorieux permettait de récupérer la figure charismatique
de ‘Alî et de condamner comme hérétique la rancune des chiites
à l’égard des trois premiers. Pour Ibn Hanbal (855), fondateur de
l’école juridique hanbalite, quiconque critique l’un de ces « califes
bien guidés » doit être châtié par le pouvoir étatique. Mais pour les
chiites duodécimains en particulier, la détestation des ennemis des
imâms est indissociable de l’amour dû à ceux-ci, et la malédiction des
trois premiers califes, tenus pour des « guides de l’enfer », demeure
un rite incontournable, y compris lors du pèlerinage à La Mecque,
au grand dam des wahhabites gardiens des lieux.
L’affaire de la succession du Prophète est indissociable de celle,
encore plus sensible, de l’établissement du Coran comme texte
canonique. Celui-ci, à la mort de Muhammad, n’avait pas la forme
d’un livre : les versets « descendus » sur le Prophète avaient été
mémorisés par des compagnons et inscrits sur des supports divers.
Selon les traditions chiites, ‘Alî avait rassemblé le Coran intégral
mais ne put le remettre aux musulmans à cause de l’opposition de
‘Umar ; le Livre de Dieu dans sa version authentique devait rester en
la possession des imâms pour n’être restauré au grand jour que par
le Mahdî à la Fin des temps. Du côté du pouvoir sunnite, on forgea
ce qu’il faut bien appeler le mythe d’une recension consensuelle

5.  M. A. Amir-Moezzi, le Coran silencieux et le Coran parlant, Paris, Cnrs Éditions, 2011,
p. 27-61 ; Hela Ouardi, les Derniers Jours de Muhammad, Paris, Albin Michel, 2016.

56
L’islam paradoxal

et scientifique du Livre de Dieu sous le troisième calife ‘Uthmân


(656). Mais selon toute vraisemblance, la version officielle du Coran
ne vit le jour que sous le règne (685-705) du calife omeyyade ‘Abd
al-Malik, plus d’un demi-siècle après la mort du Prophète et plus
d’une décennie après le massacre de Karbala. Et d’anciennes sources
chiites soutiennent que le Livre de Dieu a été falsifié, amputé des
mentions explicites de l’élection de ‘Alî et de l’hostilité des membres
de la tribu du Prophète6. Une accusation gravissime pour le parti
majoritaire. Sous les Omeyyades, les autres recensions du Coran
furent détruites et les chiites persécutés. Sous les Abbassides, après
la chute des mu‘tazilites qui avaient voulu imposer la thèse du Coran
créé, le parti d’Ibn Hanbal fixa le dogme du Coran incréé, parole
éternelle de Dieu. Dès lors, toute critique du texte canonique officiel
devenait un blasphème. L’islamologie occidentale s’en est longtemps
accommodée pour fonder son étude de cette religion du Livre sur
un textus receptus7. Les chiites, eux, ont massivement abandonné
depuis le Moyen Âge la thèse de la falsification du Coran, mais les
fondamentalistes sunnites continuent de la leur imputer, comme pour
conjurer le retour d’un refoulé historique.

La religion de l’interprétation du Livre


Les imâms descendants de ‘Alî ont tôt renoncé à la contestation
formelle pour adopter une position herméneutique. Ils ont développé
l’idée que le Coran possède une face apparente exotérique (zâhir), sa
lettre, et une dimension intérieure ésotérique (bâtin), son esprit. Pour
les ismaéliens, le Coran n’est pas une parole de Dieu incréée mais une
émanation de l’Intellect-Logos, premier être instauré, à travers l’Âme
universelle, deuxième être instauré, sur le prophète Muhammad ;
et la lettre du Livre est une simple coquille recouvrant un fruit qui
en est l’esprit8. Les chiites imâmites insistent sur la nécessité d’un
herméneute pour faire parler le Livre dont la lettre seule demeure
muette ; l’imâm, doté par Dieu d’infaillibilité, est celui-ci, le seul
interprète qualifié du Livre saint, le « Coran parlant » lui-même9.
En ce sens, le chiisme imâmite n’est pas seulement une religion

6.  M. A. Amir-Moezzi, le Coran silencieux et le Coran parlant, op. cit., p. 63-100.


7.  Texte reçu et accepté par tous comme canonique.
8.  Daniel De Smet, « Le Coran : son origine, sa nature et sa falsification. Positions ismaé­
liennes controversées », dans D. De Smet et M. A. Amir-Moezzi (sous la dir. de), Controverses
sur les écritures canoniques de l’islam, Paris, Cerf, 2014, p. 231-263.
9.  M. A. Amir-Moezzi, le Coran silencieux et le Coran parlant, op. cit., p. 101-125.

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Mathieu Terrier

du Livre ; il est une religion de l’interprétation du Livre, mieux dit


une religion de l’herméneute, au double sens subjectif et objectif
du génitif : ayant l’herméneute pour sujet fondateur et pour objet
dévotionnel. C’est pourquoi les Saintes Écritures imâmites se com­
posent indissociablement du Coran et du Hadith de leurs imâms, qui
en est l’exégèse. Selon leur interprétation, radicalement divergente
de la tradition sunnite, la révélation faite au prophète Muhammad
concernait essentiellement la gloire des gens de sa famille, le statut
suréminent de ‘Alî, l’ami de Dieu (walî), et la dénonciation de leurs
ennemis.
Les docteurs de la loi sunnites les plus influents se sont tôt
opposés à l’interprétation ésotérique du Coran pour n’autoriser qu’un
commentaire linguistique et historique visant notamment à en tirer
des lois normatives. Ils s’appuient sur une lecture du verset III, 7 :
Nul autre que Dieu ne connaît l’interprétation du Livre. Ceux qui
sont enracinés dans la Science disent : « Nous y croyons ! Tout vient
de notre Seigneur10 ! »
Les hanbalites refusent d’interpréter les versets attribuant à Dieu
des traits anthropomorphiques et tiennent qu’il faut les admettre
« sans demander comment ». Les chiites, mais aussi des mystiques
et des philosophes sunnites comme Averroès, lisent le même verset
autrement :
Nul n’a la science de son interprétation sinon Dieu et ceux qui sont
ancrés dans la science. Ils disent : « Nous y croyons11… »
Pour les chiites, ces hommes aptes à l’interprétation sont d’abord les
imâms. Le premier commentaire ésotérique du Coran est d’ailleurs
attribué à l’imâm Ja‘far al-Sâdiq (765), maillon commun des prin­
cipaux courants chiites et de nombreuses confréries soufies. Chez les
ismaéliens d’abord, chez les duodécimains ensuite, des philosophes
ont fini par se substituer à l’imâm pour interpréter le Coran en termes
métaphysiques, bien loin des préoccupations des docteurs de la loi.
Des mystiques sunnites, partageant la distinction du zâhir et du
bâtin sans être soumis à l’autorité d’un imâm, explorèrent aussi la
voie herméneutique ; le genre du « commentaire par dévoilement »
apparut dès le ixe siècle et prospéra entre le xiiie et le xve siècle, à
une époque où les relations entre soufisme et chiisme étaient parti­
culièrement étroites.

10.  Le Coran, trad. Denise Masson, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1967.
11. Averroès, Discours décisif, trad. Marc Geoffroy, Paris, Flammarion, 1996, p. 123 et 127.

58
L’islam paradoxal

Revenons donc au soufisme, souvent défini de manière réductrice


comme la dimension mystique de l’islam sunnite. Ses racines croisent
celles du chiisme aux origines de l’islam. Si le nom est relativement
tardif – son étymologie la plus vraisemblable est ṣûf, « la laine »,
désignant le vêtement grossier des ascètes –, les soufis se réclament
tous, individuellement et collectivement, de la Tradition du Pro­
phète et de certains compagnons en particulier, dont ‘Alî et Salmân
le Perse, figure vénérée par les chiites. Parmi les premiers maîtres
soufis, plusieurs comme Ma‘rûf al-Karkhî (815) étaient disciples
d’imâms descendant de ‘Alî, et ceux-ci apparaissent dans les chaînes
initiatiques de nombreuses confréries soufies déclarées sunnites12.
Des maîtres soufis comme al-Hallâj (922) et Ibn ‘Arabî (1240), cou­
ramment anathémisés en milieu sunnite, ont trouvé chez les chiites
leurs plus ardents disciples. Certaines confréries se déclarent chiites
duodécimaines, comme les ni‘matullâhî, les dhahabî et les khâksâr,
basées en Iran13 ; d’autres encore, sans se déclarer chiites, partagent
la vénération des douze imâms comme les bektâshî d’Albanie et de
Turquie. Par ailleurs, la place du soufisme dans le monde sunnite a
toujours été problématique. Certes, des ascètes soufis ont servi de
combattants aux avant-postes de l’empire musulman ; un certain
soufisme a gagné avec al-Ghazâlî (1111) sa place parmi les sciences
religieuses codifiées par les sunnites ; certaines confréries ont œuvré
à la sunnisation de la société sous les Seldjoukides ­(xie-xiie siècles) ;
et les pères du fondamentalisme moderne comme Jamâl al-Dîn al-
Afghânî (1897) avaient encore des liens avec elles. Mais les prédica­
teurs wahhabites et salafistes n’ont de cesse de vilipender le soufisme
comme une « innovation blâmable » (bid‘a), juste un cran en dessous
de l’« infidélité » (kufr) des chiites14.
L’importance de l’herméneutique rapproche le soufisme et le
chiisme jusqu’au point de fusion chez Haydar Âmolî (après 1385),
disciple imâmite d’Ibn ‘Arabî. Celui-ci déclarait dans l’introduction
de ses Chatons des sagesses (Fuṣûṣ al-Ḥikam) que ce livre lui avait
été livré par le Prophète lors d’une vision spirituelle15. Une allégation

12. Seyyed Ḥossein Naṣr, « Le sh‘isme et le soufisme. Leurs relations principielles et


historiques », dans Toufic Fahd (sous la dir. de), le Shī‘isme imâmite, Paris, Puf, 1970, p. 215-233.
13.  Richard Gramlich, Die schiitischen Derwischorden Persiens, Wiesbaden, Deutsche
Morgenländische Gesellschaft, 1965.
14.  Voir Itzchak Weismann, « Modernity from Within : Islamic Fundamentalism and
Sufism », dans Lloyd Ridgon (sous la dir. de), Sufism and Salafism in the Contemporary Age,
Londres/New Delhi/Sydney, Bloomsbury Academic, 2015, p. 9-31.
15.  Michel Chodkiewicz, le Sceau des saints. Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn
Arabî, Paris, Gallimard, 2012, p. 60-61. Traduction partielle des Chatons des sagesses par Titus
Burckhardt, dans Ibn ‘Arabî, la Sagesse des prophètes, Paris, Albin Michel, 1974.

59
Mathieu Terrier

jugée insupportable par les docteurs de la loi sunnites comme Ibn


Taymiyya et Ibn Khaldûn (1382), qui ordonnaient de brûler ses
livres16. Âmolî, lui, fut convaincu de la parenté des deux livres – le
Coran, révélé au Prophète, les Chatons des sagesses, émané du Pro­
phète – et composa pour chacun d’eux un commentaire ésotérique,
chiite et mystique. Il n’avait pas besoin, comme d’autres auteurs
chiites, de faire d’Ibn ‘Arabî un coreligionnaire ayant dissimulé sa
foi par prudence, car il posait en principe que les véritables soufis
sont des chiites et que les véritables chiites sont des soufis17. Un
œcuménisme qui n’avait rien d’opportuniste mais reposait sur la
découverte d’une vérité commune : l’idée de l’homme théophanique.

La religion des hommes divins


L’un des principaux chefs d’accusation des fondamentalistes
sunnites à l’égard des chiites est de placer leurs imâms, en particulier
‘Alî, au-dessus du prophète Muhammad, dont la figure humaine et
historique a été dogmatisée et érigée en modèle d’imitation exclusif.
Pour les chiites, la vénération des imâms est inséparable de celle du
Prophète. Les imâmites comptent quatorze êtres impeccables et infail­
libles, conçus immaculés dans la prééternité : Muhammad, Fâtima,
‘Alî et les onze imâms de leur descendance. Les nusayrites-‘alawites
vénèrent une trinité composée des personnes de Muhammad, de ‘Alî
et de Salman le Perse, représentant respectivement la Signification
divine, le Nom divin et la Porte divine18. Quant au soufisme d’Ibn
‘Arabî, qu’Ibn Khaldûn jugeait dangereusement contaminé par les
idées chiites, il encourt un grief semblable en faisant des saints
ou « amis de Dieu » (awliyâ’) les « héritiers muhammadiens » et
du « Pôle », sommet de la hiérarchie des saints présent à chaque
époque, « le lieu du regard de Dieu19 ».
Le chiisme et le soufisme sunnite partagent en effet cette idée
que Dieu a besoin d’un homme théophanique pour se révéler aux
hommes, que les hommes ont besoin d’un homme divin pour aimer
Dieu, et que cet homme se manifeste dans d’autres personnes histo­
riques que celle du prophète Muhammad, d’où un culte des saints

16.  Ibn Khaldûn, la Voie et la Loi, trad. René Pérez, Arles, Actes Sud, 1991, p. 251-253.
17.  Henry Corbin, En Islam iranien, Paris, Gallimard, 1972, vol. III, p. 149-213.
18.  Louis Massignon, « Salmân Pak et les prémices spirituelles de l’Islam iranien », Opera
minora, I, 1969, p. 443-483.
19.  M. Chodkiewicz, le Sceau des saints, op. cit., p. 58-69 et passim ; Ibn Khaldûn, le Livre
des Exemples, trad. Abdesselam Cheddadi, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
2002, tome I, p. 918-936.

60
L’islam paradoxal

manifesté dans les visites aux tombeaux. Une dévotion particuliè­


rement abhorrée par les wahhabites, tenants d’un Dieu absolument
transcendant, coupé du monde humain de l’ici-bas, qui détruisirent
de nombreux tombeaux de saints chiites et soufis en Arabie saoudite.
Sur un point crucial pourtant, chiites et soufis diffèrent dans leur
conception de la sainteté : les premiers attribuent l’exclusivité du
statut de « guide divin » (imâm) à des membres de la Sainte Famille
du Prophète, quand les seconds reconnaissent comme « pôles »
ou « roi » des maîtres inspirés en nombre indéfini et sans relation
biologique entre eux, la seule généalogie étant initiatique. Malgré
les efforts de rapprochement venant de penseurs comme Âmolî, la
défiance réciproque fut plus souvent la règle que l’union sacrée,
et dans l’Iran chiite des Safavides (xvie-xviie siècle), les confréries
soufies furent durement persécutées.
L’expression la plus étonnante de cet islam théophanique entre
soufisme et chiisme est un « jeu de langage » très sérieux dans lequel
un saint – autre que le Prophète – s’exprime au nom de Dieu ou, du
point de vue de ces doctrines, dans lequel Dieu parle à travers la
bouche du saint. Dans le soufisme, ce langage prend le nom technique
des shatahât, que Louis Massignon traduit par « locutions théopa­
thiques » et Henry Corbin par « paradoxes des soufis ». L’exemple
le plus connu est attribué à Hallâj : « Je suis le Vrai », c’est-à-dire
Dieu, qui lui aurait valu sa mise à mort en 922. Un autre mystique
iranien, Abu Yazîd al-Bastâmî (848) aurait aussi proclamé : « Gloire
à moi, que ma cause est immense20 ! » Dans le chiisme, des prônes
attribués au premier imâm ‘Alî donnent à lire ceci : « Je suis la face
de Dieu, je suis le flanc de Dieu, je suis la main de Dieu, je suis la
preuve de Dieu, je suis le Premier et le Dernier, je suis l’Apparent et
le Caché », où les dernières propositions reprennent ce qui est dit de
Dieu dans le verset du Coran LVII, 321. Ces énoncés affirment l’exis­
tence de l’homme théophanique et suggèrent une possible suite de la
révélation après Muhammad, pourtant consacré par le dogme sunnite
comme le « sceau des prophètes ». Le chiisme dit « modéré » et le
soufisme dit « sobre » se sont vivement dissociés de tels paradoxes.
Dans le chiisme, ceux qui soutenaient trop explicitement la thèse de
la divinité de ‘Alî ont été taxés d’« exagération » ; dans le soufisme,

20.  Voir à ce sujet Carl Ernst, Words of Ecstasy in Sufism, Albany, State University of
New York Press, 1995 ; Ruzbehan Baqli Shirazi, Commentaire sur les Paradoxes des soufis,
introduction en français et éd. Henry Corbin, Téhéran, Institut français de recherche en Iran,
coll. « Bibliothèque iranienne », 1962.
21.  M. A. Amir-Moezzi, « Remarques sur la divinité de l’Imam », la Religion discrète,
Paris, Vrin, 2006, p. 89-108.

61
Mathieu Terrier

après avoir blâmé Hallâj pour avoir divulgué publiquement des


secrets de la « science du dévoilement », on a intimé le silence à
l’expérience extatique.

Messianisme politique et religiosité apolitique


Cet islam des théophanies et des hommes théophaniques a pu
prendre la forme d’un messianisme politique à des époques parti­
culièrement agitées, comme aux xiiie et xive siècles, où des courants
chiites et soufis émergèrent de nombreux Mahdîs autoproclamés. La
dynastie iranienne des Safavides, qui fit de l’Iran un État moderne
centralisé de religion officielle imâmite, est issue d’un tel mouvement,
la Safawiyya. Son tout jeune shaykh illuminé avait conquis le pays à
la tête d’une horde de derviches armés en se proclamant le Sauveur
attendu. Par réalisme politique, ses successeurs ont renié cette
prétention pour se reposer sur le charisme de fonction des juristes-
théologiens pratiquant l’« effort d’interprétation de la Loi » (ijtihâd).
C’est ainsi, sur le refoulement du messianisme et de l’ésotérisme,
que se développa le clergé chiite duodécimain, avec son système de
reconnaissance entre pairs et sa hiérarchie polycéphale. Il entend
naturellement représenter l’orthodoxie face au sunnisme, mais aussi
à l’égard des tendances chiites indépendantes comme le soufisme ou
de mouvements religieux dissidents comme le bahaïsme. Sa position,
surtout en Iran, est aujourd’hui plus complexe que jamais : soucieux
d’affirmer les valeurs et traditions de l’islam face à l’Occident, parfois
jusqu’au fanatisme, il n’en défend pas moins, contre le fondamen­
talisme sunnite, le droit à l’existence d’une diversité en islam et
l’intérêt du dialogue interreligieux.
À rebours du processus de politisation du clergé chiite, qui n’a pas
été sans croiser celui du fondamentalisme sunnite, l’islam herméneu­
tique et théophanique a donné lieu à une religiosité apolitique, celle
des imâms du chiisme duodécimain après le drame de Karbala, de
nombreux maîtres soufis des premiers siècles et des ismaéliens après
le xiiie siècle22. Tous ont rejeté la quête du pouvoir temporel et prôné,
à la place du « petit djihad » militaire, le « grand djihad » intérieur
contre les passions de l’âme. Certains courants chiites et soufis sont
allés jusqu’à justifier l’antinomisme, soit l’abandon des prescriptions
légales au nom d’une réalisation spirituelle supérieure. L’ismaélisme

22.  Sur l’évolution de l’ismaélisme, voir F. Daftary, A History of Shi‘i Islam, op. cit.,
p. 105-144.

62
L’islam paradoxal

fut particulièrement stigmatisé sur ce point après la proclamation de


l’imâm de sa branche nizarite, dans sa place forte d’Alamut, en 1164 :
rien moins que l’avènement de la « grande Résurrection » et l’abo­
lition de la Loi (sharî‘a). En milieu sunnite, de nombreux spirituels
comme le poète persan Hâfez de Chiraz (1389 ou 1390) ont suivi la
« voie du blâme », attirant la réprobation sociale pour se rapprocher
de Dieu ; un historien chiite de la sagesse, Qutb al-Dîn Ashkevarî (fin
xviie siècle), les comparait aux disciples de Diogène le cynique dans
l’Antiquité23. Les derviches, les qalandars et des confréries soufies
comme les bektâshî ont perpétué cette véritable tradition anti-esta-
blishment dans l’Orient musulman jusqu’à nos jours.
Cette attitude a un fondement doctrinal ancien, partagé par le
chiisme et le soufisme : une triade conceptuelle composée de la Loi
exotérique (sharî‘a), de la Voie ésotérique (tarîqa) et de la Réalité
suprême (haqîqa). Le théologien et philosophe chiite Ibn Abî Jumhûr
(avant 1501) comparait la Révélation à une amande dont la Loi serait
la coque, la Voie le fruit et la Réalité le cœur du fruit, la vérité cachée
dans le caché24. Sans doute, pour ce penseur modéré comme pour la
majorité des courants examinés ici, l’observance de la Loi est-elle
indispensable au parcours de la Voie conduisant à la Réalité. Mais
comment s’empêcher de penser que celui qui atteint le cœur du
fruit n’a plus rien à faire de la coque ? Pour se défendre contre le
soupçon d’antinomisme, chiites et soufis ont parfois surenchéri dans
l’intégrisme juridique.

p
Les contradictions entre parti majoritaire et courants minori­
taires, littéralisme et herméneutique, religion théophanique et
monothéisme abstrait, légalisme et transgression, qui ne sont pas
propres à l’islam, en font une religion si complexe qu’il conviendrait
de parler d’islams au pluriel, aussi inséparables qu’irréductibles les
uns aux autres. L’islam paradoxal, qui a marqué de bien des manières
l’histoire des idées et des sociétés, n’est pas moins un islam que le
fondamentalisme qui veut aujourd’hui le détruire. Les circonstances
actuelles facilitent sans doute les simplifications ; elles rendent aussi
plus urgent de ne pas y céder.
Mathieu Terrier

23.  Mathieu Terrier, Histoire de la sagesse et philosophie shi’ite, op. cit., p. 565-579.
24.  Ibid., p. 730.

63
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