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RÉSULTATS D’UN ESSAI CONDUIT À L’UNITÉ INRA D’AGRONOMIE PARIS – GRIGNON

UTILISATION DE CULTURES
ASSOCIÉES EN SEMIS DIRECT
La réduction du travail
2 mai 3 juin


du sol est un processus
d’innovation dans lequel
l’agriculteur et les pratiques
qu’il met en œuvre coévoluent
avec l’agrosystème (accroisse-
ment de la matière organique
en surface, augmentation de
la biodiversité…) ; cette évolu-
tion se fait généralement par
étapes, au gré des essais, des
e r re u r s , d e s r é u s s i t e s , d e
l’apprentissage. Ce processus
d’innovation va donc bien au-
delà d’un simple changement
de pratiques de travail du sol :
il reconfigure le fonctionne-
ment de l’agrosystème et sa ges-
tion.
Pour l’agronome, accompagner
ce processus signifie produire
des connaissances et des outils
qui vont aider l’agriculteur à
comprendre le fonctionnement
du champ cultivé et à agir des-
sus, en particulier pour résou-
dre deux problèmes essentiels
rencontrés en non-labour : le 17 septembre

3 juillet ▼
maintien d’un état structural
favorable et le contrôle des Couvert permanent de Lotier. Voici en images l’évolution de la parcelle de blé sur couvert permanent de lotier

S. DE TOURDONNET
adventices sans augmenter (et tout au long de l’année. Le choix d’une légumineuse ou d’une autre variété moins agressive ou plus tardive en
association avec un blé plus feuillu voir un triticale devrait permettre de sécuriser la dominance de la céréale au
même en diminuant) le re-
printemps.
cours aux herbicides.

L’enjeu est de remplacer le sieurs années. Les cultures


Description
LE DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL ▼

contrôle mécanique (travail du commerciales sont semées di-


Une expérimentation a été mise en place en 2002 sol) ou chimique (traitements rectement à travers ce couvert
pour étudier le fonctionnement de 6 plantes de phytosanitaires) par l’utilisa- vivant, ce qui conduit à culti-
couverture associées à une culture de blé en se- tion des régulations biologi- ver deux cultures associées sur
mis direct. Elle se situe sur l’unité expérimentale ques : création de porosité par la parcelle. Après la récolte, la
de Grignon près de Paris, sur un sol argilo-calcaire dont la les racines et les vers de terre, plante de couverture est tou-
profondeur varie entre 40 et 60 cm. La pluviométrie an- étouffement des adventices par jours vivante et peut assurer les
nuelle est en moyenne de 600 mm. Les 6 couverts testés des plantes de couverture, fixa- fonctions d’une culture inter-
sont la fétuque rouge (Festuca rubra), la fétuque ovine tion symbiotique d’azote, etc. médiaire sans avoir besoin de
(Festuca ovina), le trèfle blanc (Trifolium repens), le lo- la semer. On obtient ainsi un
tier corniculé (Lotus corniculatus), la minette (Medicago
Semer directement couvert végétal actif toute l’an-
lupulina) et la luzerne (Medicago sativa). On a donc 2 gra-
dans un couvert vivant née ce qui, potentiellement,
minées et 4 légumineuses qui ont été semées au printemps
2002. Le blé a été semé en direct (semoir Semeato) dans ces
C’est pour contribuer à ré- peut permettre de gagner en ef-
couverts vivants préalablement fauchés en novembre 2002, pondre à cet enjeu que l’unité ficacité pour étouffer les adven-
2003 et 2004. Ces associations sont comparées à deux trai- INRA d’Agronomie Paris-Gri- tices, améliorer l’état structu-
tements témoins : l’un conduit en semis direct sans plante gnon a débuté en 1999 un pro- ral, accroître le taux de matière
de couverture et l’autre en labour conventionnel. Cela fait gramme de recherches sur les organique, lutter contre l’éro-
donc au total 8 traitements qui sont répétés quatre fois. La systèmes en semis direct sous sion, réduire les pollutions et
première année (2002) aucun traitement herbicide n’a été couvert végétal vivant (SCV). augmenter la biodiversité. L’ac-
effectué sur les associations pour étudier l’impact de ces L’idée est de mettre en place tivité biologique de ce couvert
systèmes sur le développement des adventices. une plante de couverture qui vivant peut donc permettre de
peut rester sur la parcelle plu- développer ce que les écolo-

TECHNIQUES CULTURALES SIMPLIFIÉES. N°46. JANVIER/FÉVRIER 2008 21



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gues appellent la facilitation,
c’est-à-dire une modifica- RENDEMENT DU BLÉ
tion du milieu dans un sens
favorable pour la culture 2002-2003 2003-2004 2004-2005
commerciale : davantage de 1000 a
porosité, moins d’adventi- 900
ab
a ab
800 ab
ces etc. À l’inverse, ce cou- 700
ab b c bc bc
cd cd
vert végétal peut entrer en 600 a d

Rendement (g m-2)
a
compétition avec la cultu- 500
400 c
re commerciale et réduire b bc bc
c
c

AGROPARISTECH/INRA AGRONOMIE PARIS-GRIGNON


300 bcd
ainsi le rendement obtenu. 200 cd d
Tout se joue donc autour de 100
cet équilibre entre compéti- 0
CT NT F o F r Lc MI Ms Tr CT NT F o F r Lc MI Ms Tr CT NT F o F r Lc MI Ms Tr
tion et facilitation : comment
choisir et gérer une plante de Figure 1. Rendements du blé obtenus sur les trois années d’expérimentation pour différents traitements : Labour
conventionnel (CT), Semis direct (NT), Semis direct avec couvert vivant de Fétuque ovine (Fo), Fétuque rouge (Fr),
couverture pour augmenter la
Lotier corniculé (Lc), Minette (Ml), Luzerne (Ms) ou trèfle blanc (Tr). La stratégie de contrôle des couverts vivants
facilitation et diminuer la com- s’est affinée durant cette expérimentation, permettant d’améliorer les performances des légumineuses notam-
pétition ? ment (en vert foncé).

Des résultats encourageants en raison de la compétition sur


Les rendements de blé obtenus le blé qu’a exercée ce couvert le rendement du blé associé négligeable alors que le lotier
sur cet essai sont très variables vivant. Cette compétition s’est à des couverts vivants, qui a est beaucoup moins compétitif
selon les traitements et les an- également exercée sur les ad- atteint plus de 60 q/ha sur du fait de son architecture aé-
nées (Figure 1). Les résultats ventices dont l’infestation en plusieurs traitements en 2004 rienne moins compacte. Cela
obtenus sur les traitements absence d’herbicide a été forte- et 2005 (Figure 1). explique en grande partie les
témoins (labour et semis di- ment réduite par certains cou- Une des clés de la réussite est différences de rendements ob-
rect sans plante de couverture) verts, notamment les légumi- donc d’arriver à gérer les com- tenues en 2003-2004 entre ces
montrent que, le non-travail neuses (Figure 2). Ces résultats pétitions qui s’exercent entre deux traitements. Pour rendre
du sol n’a pas eu d’impact sur ont permis d’affiner une straté- le blé, la plante de couverture ces systèmes plus performants,
le rendement du blé qui tour- gie herbicide selon deux objec- et les adventices. Il s’agit en il faut donc piloter cette com-
ne autour de 80 q/ha en 2004 tifs : lutter contre les adventices particulier d’une compétition pétition au cours du temps en
et 2005. Ils sont plus faibles lorsque la plante de couverture pour la lumière comme le jouant sur plusieurs leviers :
sur la campagne 2002-2003 n’y parvenait pas ou freiner la montre la figure 3 représentant le choix de la plante de cou-
en raison d’une sécheresse au plante de couverture lorsqu’el- l’évolution de l’interception verture (variétés, espèces) et
printemps (un mois sans pré- le devenait trop compétitive du rayonnement par le blé et sa gestion au cours du temps
cipitation en mars-avril) qui pour le blé au moyen d’herbi- le lotier associés ou par le blé (fauche avant semis, herbicides
a entraîné un stress hydrique cides spécifiques à faible dose et la luzerne associés. On voit non létaux au printemps…)
important sur ces terres assez pour limiter leur croissance que dans les deux situations, le mais également le choix des
superficielles. L’association sans les tuer. Sur légumineuses blé est dominant sur la plante blés cultivés (variétés plus hau-
avec une plante de couverture par exemple, une application de couverture : il intercepte tes et plus feuillues) ou encore
a entraîné de fortes baisses de d’Allié à 10 g/ha réalisée mi- la majeure partie du rayonne- d’autres espèces (comme le tri-
rendement dans certains cas, mars a donné de bons résul- ment. Toutefois, la part inter- ticale et le seigle).
notamment la première année, tats. Cela a permis d’améliorer ceptée par la luzerne n’est pas

BIOMASSE SÈCHE
Biomasse sèche d’adventices (g/m2)

40

SD
30

SD + Fr

20

SD + Fo

10
SD + Ms
SD + Lc SD + Tr
AGROPARISTECH/INRA AGRONOMIE PARIS-GRIGNON

SD + MI
0

0 50 100 150 200 250

Biomasse sèche de plante de couverture (g/m2)


Figure 2. Relation entre les biomasses de plantes de couverture et d’ad-
ventices sans aucune utilisation d’herbicides au stade « épi 1 cm » du blé
(essai 2002-2003). En termes de salissement, les légumineuses sont très
efficaces pour étouffer les adventices, y compris avec de faibles niveaux
de biomasse.
DR

22 TECHNIQUES CULTURALES SIMPLIFIÉES. N°46. JANVIER/FÉVRIER 2008


■ recherche
Impact
sur la structure du sol COMPÉTITION POUR LA LUMIÈRE
Un autre point essentiel est
d’évaluer l’impact de ces sys- Efficience d’interception du rayonnement
tèmes sur l’évolution de la
porosité du sol. L’observa- Blé + Lotier Blé + Luzerne
tion de coupes de cylindres

Rayonnement intercepté (%)


100 100
de terre imprégnés de résine 90 90
a permis de quantifier la po- 80 80
rosité du sol mais également 70 70
de déterminer l’origine de 60 60
cette porosité à partir d’une 50 50
analyse de la forme des 40 40
pores : les pores tubulaires 30 30
20 20
sont créés par un agent biolo-
10 10
gique (racine, vers de terre…), 0 0
les fissures sont d’origine cli-
0 155 175 200 225 275 0 155 175 200 225 275
matique (humectation/dessic-
cation, gel/dégel) et les pores

AGROPARISTECH/INRA AGRONOMIE PARIS-GRIGNON


Temps (jour après semis)
d’assemblage d’origine mé-
canique (outils de travail du
sol). En novembre, on observe Rayonnement intercepté par le blé
une très forte porosité (34 %) Rayonnement intercepté par le couvert associé
sur la parcelle labourée avec Figure 3 : Efficience d’interception du rayonnement solaire par le blé (en gris) et par la plante de couverture
une forte proportion de pores (en vert) au cours du temps. Le rendement étant généralement proportionnel au rayonnement intercepté : la
d’assemblage créés par la char- luzerne qui intercepte 17 % du rayonnement entre donc en compétition avec le blé ; à l’inverse, le lotier n’a
rue et les outils de reprise su- quasiment pas d’impact avec 3 % du rayonnement intercepté.
perficielle. Sur les traitements
conduits en semis direct, la labouré. La porosité d’origine pouvaient être très efficaces sur les régulations biologiques au
porosité est plus faible et es- biologique représentait 29 % pour recycler de l’azote minéral cœur de ce système pour parve-
sentiellement d’origine clima- de la porosité totale en labour, et fournir de l’azote au système nir à gérer l’équilibre entre com-
tique et biologique. En mai, 45 % en semis direct et 55 % par fixation symbiotique s’il pétition et facilitation. Travailler
l’état structural a évolué. Le en semis direct avec couvert s’agit de légumineuses.Toute- sur des systèmes innovants pour
labour s’est rappuyé pour at- de luzerne. Des résultats si- fois, la connaissance et la maî- fournir des connaissances et des
teindre une macroporosité de milaires ont été obtenus avec trise de ces systèmes ne sont pas méthodes aidant les agriculteurs
l’ordre de 10 % en surface et l’association blé-lotier. Ces encore suffisantes pour éviter la à construire leur propre
4 % dans l’horizon 10-20 cm. résultats illustrent la capacité compétition et les baisses de ren- innovation, tel est bien
La macroporosité a également des plantes de couverture à dement qui en résultent, même un des rôles de la recherche agro-
diminué dans le traitement créer ou maintenir de la po- si dans certains cas, on atteint nomique.
en semis direct sans couvert rosité dans des parcelles en 70 q/ha pour un potentiel de PAR STÉPHANE DE TOURDONNET,
pour atteindre 4 % en sur- semis direct. 80 q/ha de blé. L’enjeu est donc AGROPARISTECH/
face et 5 % en dessous. Par Maintenir un couvert vivant, en de développer les connaissances INRA AGRONOMIE PARIS-GRIGNON
contre, elle a augmenté dans culture associée avec le blé en
le traitement en semis direct semis direct, peut donc contri-
avec couvert vivant de luzerne buer à étouffer les adventices
pour atteindre 9 % en surface et augmenter la porosité du sol.
et 8 % en dessous, des valeurs D’autres résultats obtenus à l’In-
proches ou supérieures à cel- ra de Grignon et Versailles ont
les obtenues sur le traitement montré que ces couverts vivants

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