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Résumé de l’article 

: Les liens entre les pensées orientées vers


le futur et les comportements prosociaux

Citation : CERNADAS CUROTTO, Patricia. Les liens entre les pensées orientées vers le


futur et les comportements prosociaux. Université de Genève. Master, 2016. https://archive-
ouverte.unige.ch/unige:89626

Penser à notre futur de manière plus générale occupe une place considérable dans notre vie.
Notre esprit serait effectivement traversé par une pensée orientée vers le futur environ toutes
les 16 minutes (D’Argembeau, Renaud & Van der Linden, 2011).

La capacité à simuler mentalement des événements qui pourraient arriver dans notre propre
futur, désignée sous le terme de pensée épisodique orientée vers le futur (Episodic Future
Thinking), a été étudiée par un nombre croissant de recherches en psychologie ces dernières
années (Lehner & D’Argembeau, 2016; Spreng & Levine, 2013).
Plusieurs recherches suggèrent que la manière dont un individu se représente mentalement un
événement dans le futur est en lien avec l’accomplissement de celui-ci Notamment, les
individus réaliseraient environ 80% des événements futurs qu’ils ont imaginé, après un an
(Spreng & Levine, 2013).
En outre, plusieurs études s’intéressant à la prise de décision ont montré que la projection
dans le futur de manière claire et détaillée, en spécifiant le lieu, le moment et la manière de
réaliser une certaine action favoriserait l’accomplissement de buts, via un mécanisme
d’implémentation d’intention (Gollwitzer & Sheeran, 2006).
Néanmoins, à notre connaissance, il n’a pas encore été déterminé si le caractère spécifique et
clair des pensées orientées vers le futur, ou le processus de projection dans le futur en soi, est
responsable de l’augmentation de la réalisation des buts. En outre, une pensée orientée vers le
futur est caractérisée par d’autres paramètres, dont le lien avec la réalisation d’activités n’a
pas encore été étudié à ce jour. Nous pourrions par exemple nous demander si une pensée
orientée vers le futur associée à un fort sentiment de pré-expérience de l’événement imaginé
ou qui s’accompagne de certaines émotions serait plus probable de se réaliser.

La pensée épisodique orientée vers le futur implique deux composantes : la simulation


mentale d’événements dans le futur et la conscience autonoétique (Szpunar, 2011; Tulving,
2005). Se projeter dans le futur nécessite la construction d’une représentation détaillée des
événements qui pourraient se produire (Schacter & Addis, 2007). Des recherches en
psychologie cognitive, en neuropsychologie et en neuro-imagerie ont montré que cette
construction s’opère sur la base de composantes informationnelles provenant de la mémoire
épisodique (i.e. des expériences passées spécifiques) et de la mémoire sémantique (i.e. des
connaissances générales à propos du monde et de soi) (pour une revue de littérature, voir Irish
& Piguet, 2013; Klein, 2013; Schacter et al., 2012). Ainsi, la simulation mentale
d’événements futurs se fonde en partie sur des connaissances générales personnelles,
notamment au sujet des buts personnels (D’Argembeau & Mathy, 2011) et implique
l’association ainsi que la recombinaison flexible d’éléments stockés en mémoire épisodique,
comme des détails à propos de lieux, d’objets ou de personnes (Schacter & Addis, 2007). Ces
données suggèrent donc que la projection dans le futur repose en partie sur la mémoire

Le lien entre la mémoire et la projection dans le futur a d’ailleurs été mis en évidence dans
une série d’études. En recherche clinique, il a été montré que des patients avec des déficits de
mémoire épisodique présentaient également des difficultés à s’imaginer le futur
(D’Argembeau, 2012a). Par exemple, le patient K.C., étudié par Tulving (1985), ne parvenait
plus à récupérer de souvenirs personnels spécifiques de manière consciente, à la suite d’un
traumatisme crânien. En parallèle, ce dernier n’était également plus capable d’imaginer son
futur de manière spécifique et consciente.
En outre, plusieurs études développementales ont montré que ces deux capacités apparaissent
de manière conjointe chez l’enfant, entre l’âge de 3 et 5 ans (Suddendorf, 2010; Suddendorf &
Busby, 2005). Des études sur des jeunes adultes tout-venant ont mis en évidence que certaines
manipulations expérimentales avaient un impact semblable sur la mémoire et sur la projection
dans le futur. À titre d’exemple, les résultats de Williams et al., 12 (1996) suggèrent que
l’induction d’un style de récupération mnésique spécifique (i.e. des évènements uniques,
s’étant déroulés à un moment et dans un lieu précis) ou générique (p.ex. « le type
d’évènements qui vous rend triste ») entraine par la suite davantage de prospections
d’événements futurs spécifiques ou génériques, respectivement.
Pour finir, des données neuroscientifiques laissent penser qu’un réseau cérébral est
responsable à la fois de la remémoration du passé et de la construction du futur. Dénommé «
Core Network », ce réseau comprend notamment le lobe temporal médian et le cortex
préfrontal. Ces mêmes régions sont également activées lorsque les individus effectuent
d’autres opérations mentales, telles que l’imagination d’un événement fictif, l’inférence de
l’état mental d’autrui (D’Argembeau, 2012b), l’imagerie visuelle ou la simulation
d’alternatives (Schacter, Addis & Buckner, 2008).
Bien que les données des études présentées ci-dessus suggèrent un lien étroit entre la
projection dans le futur et la mémoire, ces derniers constitueraient toutefois deux mécanismes
distincts. Ainsi, les capacités à se souvenir et à se projeter dans le futur représenteraient deux
facettes d’une capacité plus générale : le voyage mental dans le temps (Tulving, 2002).
Cette faculté de penser au passé ou au futur servirait une fonction cruciale dans la cognition humaine.
En plus de procurer une vie intérieure riche et stimulante, elle doterait également les individus de
compétences sociales et cognitives importantes, leur permettant de modifier leurs comportements, afin
de remplir les défis de la vie quotidienne (Schacter, et al., 2008). Par exemple, lorsque les individus
sont confrontés à des jugements complexes, la simulation des conséquences futures (i.e. la
prospection) sur la base d’expériences préalables (i.e. la rétrospection) est une stratégie qui optimise
les prises de décisions et la sélection comportementale (Boyer, 2008; Gilbert, & Wilson, 2007; 2009).
Ainsi, la capacité à revisiter mentalement le passé et à anticiper le futur donne l’opportunité
d’apprendre de ses expériences passées et de guider les comportements subséquents (Kahneman &
Miller, 1986). Le voyage mental dans le temps nécessite une conscience subjective du temps (i.e. la
chronesthésie) ainsi qu’une conscience de soi dans le temps (i.e. la conscience autonoétique) (Tulving,
2002). Plus précisément, la conscience autonoétique est définie comme « le type de conscience qui
médiatise la conscience d’un individu de son existence et de son identité dans un temps subjectif
s’étendant du passé personnel, à travers le présent et jusqu’au futur personnel » (Tulving, 1985, p.1).
La conscience autonoétique est influencée par certains facteurs, dont les caractéristiques
phénoménologiques des prospections. Par exemple, les personnes rapportent davantage de sentiments
autonoétiques lorsqu’ils imaginent des événements futurs temporellement proches que distants
(D’Argembeau & Van der Linden, 2004). De plus, des événements futurs imaginés dans un contexte
familier (p.ex. à la maison) sont davantage associés à un sentiment de pré-expérience et de voyage
mental dans le temps que les événements imaginés dans un contexte non-familier (p.ex. dans la jungle)
(Szpunar & McDermott, 2008).

Caractéristiques phénoménologiques des prospections


Les prospections peuvent faire preuve de plus ou moins de clarté, en fonction de la netteté de
la représentation mentale des lieux, des personnes et des objets impliqués (p.ex. Rebetez,
Barsics, Rochat, D’Argembeau & Van der Linden, 2016). La richesse des détails sensoriels,
(i.e. l’association à des éléments visuels, tactiles, olfactifs, auditifs et/ou gustatifs) varie
également (D’Argembeau & Van der Linden, 2006). D’ailleurs, une étude de Weiler, et al.
(2010) comparant les prospections d’événements s’étant déroulés ou ne s’étant pas déroulés a
montré que la quantité de détails augmente de manière linéaire entre les événements qui ne se
sont pas déroulés, ceux qui se sont produits en partie et ceux qui sont arrivés.
En outre, un événement imaginé dans le futur est accompagné d’une estimation de probabilité
d’occurrence, c’est-à-dire que les individus perçoivent que l’événement imaginé a plus ou
moins de chances de réellement se réaliser. Les individus estimeraient de manière réaliste la
probabilité de leurs prospections (Weiler et al., 2010).
La valence affective (i.e. la signification personnelle positive ou négative qu’un individu
donne à un événement) influencerait les caractéristiques phénoménologiques des pensées
orientées vers le futur. En effet, les prospections associées à des émotions négatives
comprendraient moins de détails sensoriels que les événements futurs positifs. De plus, un
événement imaginé dans le futur associé à une valence affective négative serait évalué comme
subjectivement plus éloigné dans le temps qu’un événement futur positif (D’Argembeau &
Van der Linden, 2004). Deux tiers des pensées quotidiennes orientées vers le futur sont
associés à un vécu émotionnel positif ou négatif plus chargé (D’Argembeau et al., 2011).
Celles-ci sont 14 considérées par les individus comme plus importantes qu’une pensée neutre.
Deux formes d’émotions orientées vers le futur peuvent être distinguées : les émotions
anticipées et les émotions attendues (Baumgartner, Pieters & Bagozzi, 2008). Les émotions
anticipées se réfèrent aux émotions réellement ressenties, lors de l’imagination d’un
événement futur. Par exemple, une personne peut se sentir anxieuse, au moment où elle pense
à un examen dans le futur. Les pensées orientées vers le futur seraient en majorité
accompagnées d’émotions anticipées de joie ou d’enthousiasme (49%), puis de peur, stress ou
anxiété (38%), de tristesse (13%), de fierté (10%), de colère (9%) et finalement de honte (4%)
(Barsics, Van der Linden & D’Argembeau, 2016). Les émotions anticipées seraient liées à
l’estimation de la probabilité d’un comportement, autrement dit, à l’attente subjective qu’une
action se réalise réellement. Cette estimation s’effectue en considérant les facteurs
situationnels, l’expérience passée, et en anticipant les changements d’intentions ou les limites
de contrôle.
Par exemple, plus une personne s’attend à ressentir fortement de la joie, plus son intention
d’effectuer un comportement à risque dans le futur augmente (Carrera, Caballero, & Muños,
2012).
Émotions attendues Pour leur part, les émotions attendues représentent les réactions affectives
qu’une personne s’attend à ressentir dans le futur, au moment où l’événement se produirait.
Par exemple, un individu peut s’attendre à ressentir de la joie, le jour où il se mariera. Les
émotions attendues sont en majorité décrites comme de la joie ou de l’enthousiasme (63%),
puis comme de la fierté (18%), de la peur, du stress ou de l’anxiété (17%), de la tristesse
(13%), de la colère (9%) et finalement de la honte (6%) (Barsics et al., 2016). Les émotions
attendues seraient en lien avec les intentions comportementales, en d’autres mots, la
motivation à effectuer un certain comportement. Par exemple, plus un individu ressent de la
joie de manière anticipée, plus son estimation de la probabilité d’effectuer ce comportement
dans le futur est élevée (Carrera et al., 2012). Les émotions orientées vers le futur
constitueraient donc à la fois un processus d’estimation de la probabilité et un processus
motivationnel, qui inclut les tendances à l’action envers un but (Frijda, 1986).

Fonctions des pensées orientées vers le futur


Les pensées orientées vers le futur rempliraient plusieurs fonctions revêtant une valeur
adaptative (Boyer, 2008). Notamment, elles seraient impliquées dans la régulation
émotionnelle, la planification, la prise de décisions ainsi que la gestion des comportements
orientés vers un but (Schacter et al., 2008).
La régulation des émotions se réfère à la modification des composantes émotionnelles, par des
stratégies conscientes et inconscientes (Gross, 2001). Ces composantes émotionnelles sont
spécifiées dans le modèle des processus composants, qui postule que l’évaluation cognitive
d’une situation, dit « appraisal », serait à l’origine d’une réponse émotionnelle, caractérisée
par des changements synchronisés, au sein de différents sous-systèmes (Scherer, 2009). Les
individus évaluent que 17% de leurs pensées émotionnelles orientées vers le futur ont un rôle
de régulation de l’émotion avec un focus sur le futur (i.e. se préparer à gérer les émotions)
(Barsics et al., 2016). De plus, la régulation de l’émotion avec un focus sur le présent (i.e. se
rassurer ou se sentir mieux) concernerait 10% des pensées orientées vers le futur
(D’Argembeau et al., 2011) et 21% des pensées émotionnelles orientées vers le futur (Barsics
et al., 2016). Se projeter dans le futur peut permettre de réguler ses émotions, par la
diminution des inquiétudes vis-à-vis d’un événement futur, lorsqu’une personne imagine cet
événement à l’avance. Également, envisager un résultat positif peut entrainer un soulagement
et imaginer une situation stressante augmenterait les stratégies de gestion du stress et la
recherche de soutien social (Schacter et al., 2008). En outre, la simulation mentale procure la
possibilité d’envisager des états émotionnels futurs et de développer des plans, afin d’altérer
ces ressentis (Taylor, Pham, Rivkin & Armor, 1998).
La prise de décisions et la mise en place d’un but concernerait 17.5% des pensées orientées
vers le futur (D’Argembeau et al., 2011) et 21% des pensées émotionnelles orientées vers le
futur (Barsics et al., 2016). D’ailleurs, la prise de décisions serait influencée par la pensée
épisodique orientée vers le futur (Bechara & Damasio, 2005), car ce processus permet de
prendre des décisions avec des bénéfices à long-terme (Atance & O’Neill, 2001) et atténue le
biais de gratification immédiate (« delay discounting ») (Daniel, Stanton & Epstein, 2013).
Ce biais se réfère à la préférence d’une récompense immédiate, malgré la possibilité d’obtenir
une récompense plus importante dans le futur (Bickel & Marsch, 2001). La gestion des buts,
qui se définit par la capacité à maintenir activement et si nécessaire à réactiver les buts à
court-terme et à long-terme pour guider efficacement les comportements (Gustavson, Miyake,
Hewitt, & Friedman, 2014), est une composante importante de la pensée épisodique orientée
vers le futur (Lehner & D’Argembeau, 2016). En effet, les buts personnels facilitent sa
construction (D’Argembeau & Mathy, 2011) et façonnent le contenu des simulations futures,
de telle manière que les paramètres pertinents pour les buts deviennent plus saillants
(Christian, Miles, Fung, Best & Macrae, 2013). Ils favorisent également le lien et
l’organisation des événements imaginés, dans des séquences et des thèmes cohérents
(D’Argembeau & Demblon, 2012; Demblon & D’Argembeau, 2014). Pour finir, les buts
personnels contribuent à l’expérience subjective associée à la pensée épisodique orientée vers
le futur (i.e. le sentiment de voyage mental dans le temps) (Lehner & D’Argembeau, 2016)

La planification d’une action représenterait le contenu de 52.5% des pensées orientées vers le
futur (D’Argembeau et al., 2011) et 40% des pensées émotionnelles orientées vers le futur
(Barsics et al., 2016). La pensée épisodique orientée vers le futur favoriserait la formation de
plans plus efficaces pour atteindre des buts (Boyer, 2008). D’ailleurs l’atteinte de buts différés
dans le temps serait influencée par la manière dont les individus imaginent leur plan d’action.
Plusieurs études portant sur l’implémentation d’intentions ont montré qu’imaginer et répéter
un plan comprenant un contexte futur spécifique augmente la probabilité de réellement
l’exécuter (Gollwitzer & Sheeran, 2006; Spreng & Levine, 2012). Par ailleurs, la capacité à
imaginer des événements dans le futur améliore la flexibilité comportementale, permet la
considération des potentielles conséquences (Boyer, 2008) et améliore la mémoire
prospective, nécessaire pour se souvenir de faire certaines actions dans le futur (Neroni,
Gamboz & Brandimonte, 2014). Les études présentées ci-dessus suggèrent donc qu’il existe
un lien entre les pensées orientées vers le futur et la réalisation d’activités.

Des recherches antérieures ont suggéré que la manière dont un plan d’action est imaginé
(p.ex. la clarté, les détails du plan) influence la réalisation de l’activité (Gollwitzer & Sheeran,
2006). De plus, les émotions anticipées et les émotions attendues sont liées à l’estimation de
la probabilité ainsi qu’aux intentions comportementales (Carrera et al., 2012), elles pourraient
donc avoir un impact sur la réalisation des activités.
Différences interindividuelles en termes d’attentes (i.e. efficacité de soi, difficulté de la
tâche), de valeur (i.e. l’aversion de la tâche) et de sensibilité au délai (i.e. distance temporelle)
(Steel, 2007). La perception de la nature de l’activité pourrait ainsi avoir un effet sur la
réalisation des activités.

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