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Penser à notre futur de manière plus générale occupe une place considérable dans notre vie.
Notre esprit serait effectivement traversé par une pensée orientée vers le futur environ toutes
les 16 minutes (D’Argembeau, Renaud & Van der Linden, 2011).
La capacité à simuler mentalement des événements qui pourraient arriver dans notre propre
futur, désignée sous le terme de pensée épisodique orientée vers le futur (Episodic Future
Thinking), a été étudiée par un nombre croissant de recherches en psychologie ces dernières
années (Lehner & D’Argembeau, 2016; Spreng & Levine, 2013).
Plusieurs recherches suggèrent que la manière dont un individu se représente mentalement un
événement dans le futur est en lien avec l’accomplissement de celui-ci Notamment, les
individus réaliseraient environ 80% des événements futurs qu’ils ont imaginé, après un an
(Spreng & Levine, 2013).
En outre, plusieurs études s’intéressant à la prise de décision ont montré que la projection
dans le futur de manière claire et détaillée, en spécifiant le lieu, le moment et la manière de
réaliser une certaine action favoriserait l’accomplissement de buts, via un mécanisme
d’implémentation d’intention (Gollwitzer & Sheeran, 2006).
Néanmoins, à notre connaissance, il n’a pas encore été déterminé si le caractère spécifique et
clair des pensées orientées vers le futur, ou le processus de projection dans le futur en soi, est
responsable de l’augmentation de la réalisation des buts. En outre, une pensée orientée vers le
futur est caractérisée par d’autres paramètres, dont le lien avec la réalisation d’activités n’a
pas encore été étudié à ce jour. Nous pourrions par exemple nous demander si une pensée
orientée vers le futur associée à un fort sentiment de pré-expérience de l’événement imaginé
ou qui s’accompagne de certaines émotions serait plus probable de se réaliser.
Le lien entre la mémoire et la projection dans le futur a d’ailleurs été mis en évidence dans
une série d’études. En recherche clinique, il a été montré que des patients avec des déficits de
mémoire épisodique présentaient également des difficultés à s’imaginer le futur
(D’Argembeau, 2012a). Par exemple, le patient K.C., étudié par Tulving (1985), ne parvenait
plus à récupérer de souvenirs personnels spécifiques de manière consciente, à la suite d’un
traumatisme crânien. En parallèle, ce dernier n’était également plus capable d’imaginer son
futur de manière spécifique et consciente.
En outre, plusieurs études développementales ont montré que ces deux capacités apparaissent
de manière conjointe chez l’enfant, entre l’âge de 3 et 5 ans (Suddendorf, 2010; Suddendorf &
Busby, 2005). Des études sur des jeunes adultes tout-venant ont mis en évidence que certaines
manipulations expérimentales avaient un impact semblable sur la mémoire et sur la projection
dans le futur. À titre d’exemple, les résultats de Williams et al., 12 (1996) suggèrent que
l’induction d’un style de récupération mnésique spécifique (i.e. des évènements uniques,
s’étant déroulés à un moment et dans un lieu précis) ou générique (p.ex. « le type
d’évènements qui vous rend triste ») entraine par la suite davantage de prospections
d’événements futurs spécifiques ou génériques, respectivement.
Pour finir, des données neuroscientifiques laissent penser qu’un réseau cérébral est
responsable à la fois de la remémoration du passé et de la construction du futur. Dénommé «
Core Network », ce réseau comprend notamment le lobe temporal médian et le cortex
préfrontal. Ces mêmes régions sont également activées lorsque les individus effectuent
d’autres opérations mentales, telles que l’imagination d’un événement fictif, l’inférence de
l’état mental d’autrui (D’Argembeau, 2012b), l’imagerie visuelle ou la simulation
d’alternatives (Schacter, Addis & Buckner, 2008).
Bien que les données des études présentées ci-dessus suggèrent un lien étroit entre la
projection dans le futur et la mémoire, ces derniers constitueraient toutefois deux mécanismes
distincts. Ainsi, les capacités à se souvenir et à se projeter dans le futur représenteraient deux
facettes d’une capacité plus générale : le voyage mental dans le temps (Tulving, 2002).
Cette faculté de penser au passé ou au futur servirait une fonction cruciale dans la cognition humaine.
En plus de procurer une vie intérieure riche et stimulante, elle doterait également les individus de
compétences sociales et cognitives importantes, leur permettant de modifier leurs comportements, afin
de remplir les défis de la vie quotidienne (Schacter, et al., 2008). Par exemple, lorsque les individus
sont confrontés à des jugements complexes, la simulation des conséquences futures (i.e. la
prospection) sur la base d’expériences préalables (i.e. la rétrospection) est une stratégie qui optimise
les prises de décisions et la sélection comportementale (Boyer, 2008; Gilbert, & Wilson, 2007; 2009).
Ainsi, la capacité à revisiter mentalement le passé et à anticiper le futur donne l’opportunité
d’apprendre de ses expériences passées et de guider les comportements subséquents (Kahneman &
Miller, 1986). Le voyage mental dans le temps nécessite une conscience subjective du temps (i.e. la
chronesthésie) ainsi qu’une conscience de soi dans le temps (i.e. la conscience autonoétique) (Tulving,
2002). Plus précisément, la conscience autonoétique est définie comme « le type de conscience qui
médiatise la conscience d’un individu de son existence et de son identité dans un temps subjectif
s’étendant du passé personnel, à travers le présent et jusqu’au futur personnel » (Tulving, 1985, p.1).
La conscience autonoétique est influencée par certains facteurs, dont les caractéristiques
phénoménologiques des prospections. Par exemple, les personnes rapportent davantage de sentiments
autonoétiques lorsqu’ils imaginent des événements futurs temporellement proches que distants
(D’Argembeau & Van der Linden, 2004). De plus, des événements futurs imaginés dans un contexte
familier (p.ex. à la maison) sont davantage associés à un sentiment de pré-expérience et de voyage
mental dans le temps que les événements imaginés dans un contexte non-familier (p.ex. dans la jungle)
(Szpunar & McDermott, 2008).
La planification d’une action représenterait le contenu de 52.5% des pensées orientées vers le
futur (D’Argembeau et al., 2011) et 40% des pensées émotionnelles orientées vers le futur
(Barsics et al., 2016). La pensée épisodique orientée vers le futur favoriserait la formation de
plans plus efficaces pour atteindre des buts (Boyer, 2008). D’ailleurs l’atteinte de buts différés
dans le temps serait influencée par la manière dont les individus imaginent leur plan d’action.
Plusieurs études portant sur l’implémentation d’intentions ont montré qu’imaginer et répéter
un plan comprenant un contexte futur spécifique augmente la probabilité de réellement
l’exécuter (Gollwitzer & Sheeran, 2006; Spreng & Levine, 2012). Par ailleurs, la capacité à
imaginer des événements dans le futur améliore la flexibilité comportementale, permet la
considération des potentielles conséquences (Boyer, 2008) et améliore la mémoire
prospective, nécessaire pour se souvenir de faire certaines actions dans le futur (Neroni,
Gamboz & Brandimonte, 2014). Les études présentées ci-dessus suggèrent donc qu’il existe
un lien entre les pensées orientées vers le futur et la réalisation d’activités.
Des recherches antérieures ont suggéré que la manière dont un plan d’action est imaginé
(p.ex. la clarté, les détails du plan) influence la réalisation de l’activité (Gollwitzer & Sheeran,
2006). De plus, les émotions anticipées et les émotions attendues sont liées à l’estimation de
la probabilité ainsi qu’aux intentions comportementales (Carrera et al., 2012), elles pourraient
donc avoir un impact sur la réalisation des activités.
Différences interindividuelles en termes d’attentes (i.e. efficacité de soi, difficulté de la
tâche), de valeur (i.e. l’aversion de la tâche) et de sensibilité au délai (i.e. distance temporelle)
(Steel, 2007). La perception de la nature de l’activité pourrait ainsi avoir un effet sur la
réalisation des activités.