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ESAM 

– B1 Histoire de l'idée européenne
© Nicolas Desrumaux Année universitaire : 2008­2009

Histoire de l'Idée européenne
Bachelor Professionnel Gestion et administration de l'entreprise ­ 1ère année

L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte 
totalitaire (1933­1945)

Sommaire
Bibliographie complémentaire : ...........................................................2

I. Tragique Europe ................................................................................... 3


A – André Siegfried : L'Europe en crise (1935).................................................3
B – Thomas Mann : La fin de l'humanisme européen (1937)...........................4

II. L'Europe avec ou contre les fascistes ? ................................................ 5


C – Carlo Rosselli : l'Europe unie par l'anti-fascisme (1935)............................5
D – Oswald Mosley : l'Europe unie par le fascisme (1936) ..............................6

III. L'Europe est-elle un but de la guerre ? ................................................ 7


E – Pie XII : Les caractères fondamentaux d'une paix juste et pérenne (1939)
.........................................................................................................................7

IV. L'Europe chez les Alliés et dans les Résistances .................................. 8


F – Altiero Spinelli et Ernesto Rossi : Un programme d'action fédéraliste vers
une Europe libre et unie (1941).......................................................................8
G – Jean Monnet : Organiser une identité européenne (1943).........................9

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Histoire de l'Idée européenne
L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

Bibliographie complémentaire :
Bossuat (G.), Les fondateurs de l'Europe unie, Paris, Belin, 2001
Bruneteau (B.), Histoire de l'idée européenne au premier XXe siècle, Armand Colin, Paris, 2008
Duroselle (J.­B.), L'idée européenne à travers l'histoire, Paris, Denoël, 1965
Gilli (M.), L'identité culturelle, laboratoire de la conscience européenne, Paris, les Belles Lettres, 
1965
Sainte Lorette (L. de), L'idée d'union fédérale européenne, Paris, Armand Colin, 1955
Voyenne (B.), « Histoire de l’idée européenne », petite bibliothèque Payot, Paris, 2e édition, 1964

Sur la période 1933-1945

Berl (E.), Histoire de l'Europe, Gallimard, 1983, 3 vol.
Jelen (Ch.), Hitler ou Staline. Le prix de la paix, Paris, Flammarion, 1988
Vaïsse (M., dir.), Le Pacifisme en Europe des années 20 aux années 50, Bruxelles, Bruylant, 1993

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Histoire de l'Idée européenne
L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

HISTOIRE DE L'IDEE EUROPEENE AU DEBUT DU XXe SIECLE 
(1900­1950)

I. Tragique Europe

A – André Siegfried : L'Europe en crise (1935)


André Siegfried, La Crise de l'Europe, Calmann­Levy, Paris, 1935, pp. 112­115, 119­120
(...)   Il   est   hors   de   doute   que,   sur   un   certain   nombre   de   terrains,   l'Europe,   dans   les   conditions 
présentes de la concurrence mondiale, est battue.
Elle l'est, en Orient et en Extrême­Orient, par le machinisme automatique doublé du bas salaire. On 
nous   a   pris   notre  outil,  que nous   nous   étions   du reste  empressés   de  vendre  partout,  sans   nous 
socucier le moins du monde des conséquences loinaines du geste. De fait, munie de cette arme 
nouvelle,   l'Asie   renchérit   sur   nous   par   sa   misère   même,   puisqu'elle   met   en   oeuvre   une   armée 
innombrable d'ouvriers à la rétribution infime, travaillant souvent sans garantie contre le surmenage. 
(...) Cela veut dire – et ce n'est que trop vrai à certains étages de la production que, comme dans la 
loi de Gresham où la mauvaise monnaie chasse la bonne, ce n'est pas, dans la concurrence de deux 
races,   la   plus   avancée   qui   triomphe,   mais   la   plus   misérable   qui   survit :   le   plus   apte, 
économiquement, je devrais presque dire biologiquement, n'est pas nécessairement le meilleur. Il est 
en effet tels types de fabrication où le fardeau social de la civilisation devient trop lourd à porter. 
Celui qui se présente, à cet égard, léger et sans besoins possède alors une indiscutable avance. 
Unfair  competition, proteste l'ouvrier de  standard of living  élevé, dont nous devons  compter   le 
confort, la santé, les amusements dans le prix de revient ! Qui de nous ne souhaite de pouvoir lui 
donner raison ? Mais la concurrence internationale ignore ces arguments, elle ne connaît qu'une 
inexorable balance de droit et avoir, où l'élimination est automatique. Depuis dix ans, l'industrie 
textile de l'Europe occidentale ne le sait que trop bien, quand elle considère les régions dévastées de 
son commerce d'exportation, aux Indes et en Chine. C'est comme un gigantesque glissement, où le 
sol nous manque sous le pied et qui risque de nous faire perdre les marchés de tout un continent (...)
Nous sommes battus, en Amérique, à l'autre extrémité de cet immense champ de bataille, pour des 
raisons exactements contraires. Le super­outillage qui, là­bas, dans un certain nombre d'industries, 
donne à l'homme tout son rendement, permettant ainsi de payer très cher, c'est le nôtre, et l'invention 
qui   l'a   créé,   c'est   notre   génie   même   qui   l'a   rendue   possible.   Race   blanche,   des   deux   côtés   de 
l'Atlantique ! Il n'y a rien dans les réalisations américaines que l'Europe n'eût pu accomplir, si le 
problème fût resté simplement un problème d'organisation, de technique et d'ingéniosité. Ce qui est 
nouveau en Amérique, et hors de notre portée, c'est le théâtre à la fois élargi et simplifié où, dans un 
cadre de proportions géographiques plus vastes, l'organisation peut produire des effets qui nous sont 
interdits. La population de l'Europe est plus nombreuse que celle des Etats­Unis et les richesses 
naturelles   du   vieux   continent   ne   sont   nullement   négligeables   par   comparaison   avec   celles   du 
nouveau, mais nous sommes si divisés politiquement, si chargés des hérédités haineuses de notre 
passé que la réalisation d'un marché continental unique demeure, pour longtemps peut­être, une 
utopie (...)

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Histoire de l'Idée européenne
L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

La réaction d'hostilité qui se manifeste actuellement dans le monde, non seulement contre l'Europe 
mais contre la race blanche, est pour nous une leçon. Notre conquête matérielle de la planète se 
retourne contre nous, justement dans la mesure où elle est immatérielle. Pour l'Europe, au moins, la 
phase   de   la   domination   sans   contrepoids   semble   bien   dépassée.   Le   triomphalisme   économique 
chanté par Dilke est aussi périmé que la fable d'où il l'a tiré : nos anciens tributaires, qu'ils fussent 
ou non volontaires, refusent de nous servir davantage, cependant que nous­mêmes avons perdu la foi 
dans notre toute­puissance, parfois même jusqu'à cet orgueil qui, s'il ne nous faisait aimer, nous 
ferait craindre. La suprématie européenne est sans doute susceptible de durer longtemps encore en 
Afrique, même en Asie occidentale, mais en Extrême­Orient ses jours sont dès maintenant comptés. 
Il faut donc que l'Europe révise les conditions de son influence sur le monde. 

B – Thomas Mann : La fin de l'humanisme européen (1937)


Extrait de Thomas Mann, Avertissement à l'Europe, 1937
(...) Il a été réservé au type d'homme dont je parle, d'introniser le mensonge comme seul créateur de 
vie, comme seule force de l'histoire. Il s'est fait une philosophie en abolissant toute différence entre 
la vérité et le mensonge. Il a fait triompher en Europe un pragmatisme honteux qui nie l'esprit même 
pour l'amour du profit, qui accomplit ou approuve sans scrupule tous les crimes, s'ils servent ses 
buts. Il n'hésite pas à se faire faussaire parce que la fausseté, si elle lui sert, est pour lui aussi 
précieuse que la vérité. Je ne veux pas aller trop loin et identifier ce type d'homme avec l'homme 
des temps modernes en général. Mais c'est un type très répandu dans la masse, et si je dis de lui qu'il 
détermine notre temps, j'exprime tout au moins sa propre conviction – cette conviction qui lui donne 
l'élan impétueux avec lequel il s'apprête à envahir et à dominer un monde que le scrupule moral met, 
à son égard, en état d'infériorité. 
Le résultat de tout cela, nous le voyons clairement : ce sera la guerre, la catastrophe la plus totale, la 
fin   de   la   civilisation.   Je   suis   profondément   convaincu   que   c'est   la   conséquence   fatale   de   la 
philosophe combative de ce type d'homme, et c'est cela qui m'impose le devoir de dénoncer ainsi la 
menace effroyable qu'il porte en lui. La faiblesse du vieux monde cultivé qui recule, hésitant et 
surpris, devant ces Huns, est en vérité très inquiétante. Il abandonne ses positions l'une après l'autre, 
ne sachant ce qui lui arrive ; intimidé et comme frappé de stupeur, il semble faire l'aveu « qu'il ne 
comprend plus le monde ». Nous le voyons s'abaisser au niveau spirituel et moral de son ennemi, 
reprendre ses expressions stupides, s'accomoder de ses lamentables catégories de pensée, accepter 
des alternatives où se cachent des pièges mortels. Et de tout cela il n'a même pas conscience. Le 
monde est peut­être déjà perdu. Il l'est sûrement s'il ne parvient pas à s'arracher à cette hypnose, à 
reprendre conscience de lui­même. 
Dans tout humanisme il y a un élément de faiblesse qui vient de sa répugnance pour tout fanatisme, 
de sa tolérance et de son penchant pour un scepticisme indulgent, en un mot de sa bonté naturelle. 
Et cela peut, en certaines circonstances, lui devenir fatal. Ce dont nous aurions besoin aujourd'hui, 
ce serait un humanisme militant, un humanisme qui affirmerai sa virilité et qui serait convaincu que 
le principe de la liberté, de la tolérance et du libre examen n'a pas le droit de se laisser exploiter par 
le fanatisme sans vergogne de ses ennemis. L'humanisme européen est­il devenu incapable d'une 
résurrection qui rendrait à ses principes leur valeur de combat ? S'il n'est plus capable de prendre 
conscience de lui­même, de se préparer à la lutte dans un renouveau de ses forces vitales, alors il 
périra et avec lui l'Europe, dont le nom ne sera plus qu'une expression purement géographique et 

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Histoire de l'Idée européenne
L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

historique. Et il ne nous restera plus qu'à chercher dès maintenant un refuge hors du temps et de 
l'espace. 

II. L'Europe avec ou contre les fascistes ?

C – Carlo Rosselli : l'Europe unie par l'anti-fascisme (1935)


Extrait de Carlo Rosseli, Europeismo o fascismo ?, Giustizia e Liberta, 17 mai 1935 (trad. Eric Vial)
(...) Le triomphe nazi en Allemagne a bouleversé l'Europe. Vu les potentialités de la révolution 
hitlérienne, la chose n'est pas étonnante. Ce qui l'est, ce qui semble à peine croyable, c'est la panique 
qui s'empare des Etats européens l'un après l'autre, et maintenant tous ensemble. 
(...) Le nazisme a un principe ; une politique ; un but visible ; donc un formidable potentiel politique 
et   guerrier.   Il   croit   dans   le   destin   de   la   race   élue   et   dans   sa   mission   de   domination ;   il   veut 
réellement l'égalité, l'unité du Deutschum et la revanche ; sa politique est conséquente, même si un 
jour elle se résoudra en politique de Sanson. 
Mais   la   coalition   anti­allemande   n'a   ni   principe,   ni   politique,  ni   but   visible.   A   Paris,   Londres, 
Prague, la coalition arbore la bannière de la démocratie ; à Moscou, le drapeau communiste ; tandis 
qu'à Rome flotte la girouette fasciste. 
(...) Nous osons soutenir que contre l'Allemagne hitlérienne une seule politique est possible, un 
seule politique gagne : une politique de principes. 
(...) La passion se vainc par une autre passion plus puissante, juste et lucide. Seul nous sauvera un 
mouvement   de   révolte   de   la   conscience   européenne.   Révolte   sociale   et   politique ;   ligue   des 
révolutionnaires   européens   et,   dans   les   pays   encore   relativement   indemnes,   effort   d'idéalistes 
pratiques pour porter cette passion, avec un langage simple et humain qui exprime les aspirations 
confuses de millions et millions [de personnes] (...)
Il faut dire peu de choses, mais essentielles. 
En premier lieu pour rassurer : l'Allemagne est encore  beaucoup  plus faible que ses adversaires, 
même que les seules France et Angleterre car la France et l'Angleterre entraînent derrière elles le 
reste du monde. 
En second lieu pour éduquer : la force de l'Allemagne ne réside pas tant dans les armes que dans la 
mystique à laquelle elle s'accroche, dans le désespoir et la misère, dans les injustices – réelles ou 
supposées – qui la frappent. 
En troisième lieu pour menacer : quiconque viole la paix – vous aussi Italie fasciste – doit savoir 
qu'il aura affaire dans l'instant non aux cabinets des diplomates, non aux unanimités contractuelles 
et impuissantes des Conseils de la Ligue [des Nations], mais à tout le poids de la puissance des Etats 
non   fascistes   –   deux   suffiraient :   la   France   et   l'Angleterre,   pourvu   qu'elles   soient   entièrement 
rénovées. 
En quatrième lieu pour proclamer un principe : que le seul gouvernement légitime reconnu soit le 
gouvernement fondé sur le consensus et sur les libertés fondamentales. Pour être alliés de la France 
et de l'Angleterre, pour jouir de leur appui matériel et moral, il faut renoncer aux dictatures. Cette 

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L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

seule   déclaration   suffirait   à   faire   capituler   la   dictature   dans   les   petits   Etats.   La   dictature 
mussolinienne capitulerait probablement aussi. En tous cas partout une force immense serait donnée 
aux combattants de la liberté. 
Enfin, pour indiquer aux masses – découragées à la longue par la négation antifasciste – un grand 
objectif positif : faire l'Europe. Voilà le programme. (...)
La gauche européenne devrait s'emparer de ce thème abandonné jusque­là aux diplomates et aux 
Coudenhove­Kalergi.   Le   populariser   parmi   les   masses.   Leur   annoncer   dès   maintenant   la 
convocation d'une assemblée européenne, composée de délégués élus par les peuples qui élabore à 
absolue   parité   de   droits   et   de   devoirs   la   première   constitution   fédérale   européenne,   nomme   le 
premier gouvernement européen, fixe les principes fondamentaux de la coexistence européenne, 
démonétise les frontières et les douanes, organise une force au service du nouveau droit européen, et 
donne vie aux Etats­Unis d'Europe. 
Si   l'Allemagne   refusait   son   adhésion   ou,   avec   l'Italie   et   le   cortège   des   vassaux   fascistes,   ne 
reconnaissait pas la nouvelle charte des droits du citoyen européen, on devrait de même agir et 
conclure.   Ce   seraient   les   autres   peuples   qui   se   proclameraient   premier   noyau   des   Etats­Unis 
d'Europe.   Armés   de   cette   formidable   idée­force,   ils   soulèveraient   une   vague   d'enthousiasme 
religieux en Europe en morcelant le bloc de plomb de l'opinion totalitaire des pays fascistes : alors, 
oui, ils pourraient, avec raison, recourir en dernière analyse à la force. 
Divagons­nous ?   Non.   Les   utopies   d'aujourd'hui   peuvent   être   les   réalités   de   demain.   Les 
mouvements révolutionnaires, qui s'attardent encore à la politique d'hier, doivent oser une politique 
anticipatrice, la politique de demain. 
Dans la moitié de l'Europe, les forces de gauche sont écrasées ou en exil. Là où elles ne sont pas 
écrasées,   elles   marquent   le   pas,   à   la   remorque   de   gouvernements   qui   désormais   combattent 
seulement en paroles. Quelle formidable puissance de suggestion tireraient­elles d'une idée pareille, 
idée simple, grandiose, à lancer aux foules. Quelle révolution dans les esprits et dans les coeurs. Au 
lieu de tant d'oiseuses et inutiles parades antifascistes mondiales, qu'elles étudient et tentent un 
Congrès européen. 
L'imagination  s'est épuisée. Mais que l'on imagine le contraste : d'un côté l'Allemagne nazie et 
l'Italie fasciste qui continuent à s'enivrer (ou dans le cas de l'Italie à faire semblant de s'enivrer) de 
leurs Duces, de leur ersatz, de leurs camps de concentration, de leur misère, de leur aristocratique 
religion nationaliste et guerrière... de l'autre les peuples, grands et petits, portés les uns vers les 
autres par un dynamisme irrésistible, qui proposent à 600 millions d'Européens – première étape 
d'une solidarité plus vaste – de faire l'Europe. (...)

D – Oswald Mosley : l'Europe unie par le fascisme (1936)


Exrait d'Oswald Mosley, Toward a fascist Europe, in Roger Griffin, Fascism, Oxford­New York, 
Oxford University Press, 1995, pp. 174­175 (trad. Bernard Bruneteau)
Les points de vue peuvent varier en ce qui concerne les causes de la division de l'Europe et la 
restauration de l'équilibre des Puissances, mais il ne peut y avoir de discussion pour ce qui est du 
retour d'un système qui a invariablement été porteur de guerre. C'est à la solution de ce problème 
que   ces   quelques   lignes   sont   consacrées,   et   pour   cela   nous   devons   revenir   à   la   conception 

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Histoire de l'Idée européenne
L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

fondamentale de l'union européenne qui animait la génération du front en 1918 et qui a été déçue par 
la transformation de la Société des Nations en exactement l'inverse de ce pourquoi elle avait été 
conçue. 
(...) Tout en désirant seulement la paix, une Europe fasciste pourrait donner une réalité à la sécurité 
collective grâce à un nouvel esprit collectif face à cette menace commune pour l'Europe et l'Empire 
britannique que constituent les intrigues d'un pouvoir soviétique cherchant à gagner du temps, par la 
négociation et les beaux discours, afin de détruire la civilisation occidentale en divisant d'abord les 
grandes nations européennes, en les dressant ensuite les unes contre les autres. 
Le   système   ploutocratique   s'effondre   à   travers   le   monde   et   les   peuples   déroutés   cherchent   une 
alternative   qui   représenterait   un   espoir   de   paix   et   de   sécurité.   L'alternative   d'un   mouvement 
moderne   s'élève   avec   un   réalisme   d'airain   au   milieu   de   la   confusion   politique   ambiante,   non 
seulement comme un roc sur lequel l'humanité pourrait construire quelque chose de neuf mais aussi 
comme une conception du monde illuminée par le plus haut idéal national et universel qui ait jamais 
animé l'âme de l'homme. Le réalisme de la nouvelle foi s'appuie d'abord sur le fait primordial de 
l'accord économique et de la justice pour chaque nation, sans  lequel tout est vain. Il reconnaît 
ensuite que la direction de l'Europe doit reposer sur les grandes puissances et que, concrètement, un 
puissant bloc de quatre nations fascistes peut garantir non seulement la paix de l'Europe mais la paix 
du monde une fois que leurs politiques respectives auront été ramenées à des objectifs communs 
susceptibles d'être synthétisés. Mais le matérialisme seul est insuffisant, et, au­dessus de la réalité 
de base  d'une communauté d'intérêt, l'universalisme du fascisme et du national­socialisme nous 
introduit déjà à l'idée puissante d'un monde nouveau commandant l'esprit de l'homme avec la force 
d'une nouvelle religion. Le vieux monde ne doit plus revenir : ainsi la paix universelle dépend dans 
chaque pays de la mort de celui­ci, et la Grande­Bretagne, par la force matérielle et le pouvoir de 
son leadership moral, devient le lieu du dernier combat entre l'Ancien et le Nouveau, un combat au 
cours duquel l'avenir de la civilisation blanche sera décidé. 

III. L'Europe est-elle un but de la guerre ?

E – Pie XII : Les caractères fondamentaux d'une paix juste et


pérenne (1939)
Extrait de la Déclaration aux Cardinaux, 24 décembre 1939, message radio­diffusé
(...) Il est un point, en particulier, sur lequel il faudrait être spécialement attentif, si l'on veut une 
meilleure organisation de l'Europe : c'est celui qui concerne les vrais besoins et les justes requêtes 
des nations et des peuples, comme aussi des minorités ethniques. Si elles ne suffisent pas toujours à 
fonder un droit strict, quand se trouvent en vigueur des traités reconnus ou sanctionnés ou d'autres 
titres juridiques qui s'y opposent, ces requêtes méritent toutefois un bienveillant examen, pour aller 
au­devant d'elles par des voies pacifiques et même, là où cela apparaît nécessaire, par le moyen 
d'une équitable, sage et concordante révision des traités. En rétablissant ainsi un véritable équilibre 
entre les nations, et en reconstituant les bases d'une mutuelle confiance, on éloignerait bien des 
désirs de recourir à la violence. 
(...) En outre, ces règlements meilleurs et plus complets seraient pourtant imparfaits et condamnés 
en définitive à l'insuccès, si ceux qui dirigent les destinées des peuples et les peuples eux­mêmes, ne 
se laissaient pas toujours pénétrer davantage de cet esprit, qui seul peut donner vie, autorité et force 

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Histoire de l'Idée européenne
L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

d'obligation à la lettre morte des paragraphes dans les règlements internationaux ; de ce sentiment 
d'intime et vive responsabilité, qui pèse et mesure les constitutions humaines selon les saintes et 
inébranlables normes du droit divin ; de cette faim et soif de justice, proclamée béatitude dans le 
Sermon   sur   la   montagne,   et   qui  a   comme   présupposé   naturel   la   justice   morale ;   de  cet   amour 
universel, qui est le résumé et le terme le plus élevé de l'idéal chrétien, et qui par là jette un pont 
même vers ceux qui n'ont pas le bonheur de participer à notre foi. (...)

IV. L'Europe chez les Alliés et dans les Résistances

F – Altiero Spinelli et Ernesto Rossi : Un programme d'action


fédéraliste vers une Europe libre et unie (1941)
Extrait du Manifeste pour une Europe libre et unie, dit Manifeste de Ventotene, 1941, disponible sur 
le site European Navigator (http://www.ena.lu)
Le problème qu'il faut résoudre tout d'abord ­ sous peine de rendre vain tout autre progrès éventuel ­ 
c'est   celui   de   l'abolition   définitive   de   la   division   de   l'Europe   en   états   nationaux   souverains. 
L'écroulement de la plupart des états du continent sous le rouleau compresseur allemand a déjà 
unifié  le  destin des peuples européens, appelés  à se soumettre, tous ensemble, à la domination 
hitlérienne   ou   a   connaître,   tous   ensemble   également,   après   la   chute   de   celle­ci,   une   crise 
révolutionnaire face à laquelle ils ne se présenteront pas figés et distincts en de solides structures 
étatiques.   Les   esprits   sont   déjà   beaucoup   mieux   disposés   que   dans   le   passé   à   l'égard   d'une 
réorganisation de type fédéral de l'Europe. La dure expérience des ces dernières dizaines d'années a 
ouvert les yeux à qui ne voulait pas voir et a fait mûrir bien des éléments favorables à notre idéal. 
Tous   les   hommes   raisonnables   admettent   désormais   qu'il   est   aussi   impossible   de   maintenir   un 
équilibre entre états européens parmi lesquels l'Allemagne militariste jouirait des mêmes conditions 
que les autres pays, que de morceler l'Allemagne et de lui tenir le pied sur le cou, une fois vaincue. 
La preuve est faite par ailleurs qu'aucun pays, en Europe, ne peut rester dans son coin pendant que 
les autres se battent, les déclarations de neutralité et les pactes de non­agression n'ayant aucune 
valeur. On a désormais démontré l'inutilité ­ et même la nuisance – d'organismes du type de celui 
des   Nations   Unies   lequel  prétendait  garantir  le   droit   international   sans  une   force   internationale 
capable   d'imposer   ses   décisions   et   en   respectant,   en   outre,   la   souveraineté   absolue   des   Etats 
membres. Le principe de la non­intervention s'est révélé absurde qui voulait que chaque peuple doit 
être laissé libre de se donner le gouvernement despotique de son choix, comme si la constitution 
interne   de   chaque   état   particulier   ne   constituait   pas   un   intérêt   vital   pour   tous   les   autres   pays 
européens.   Les   multiples   problèmes   qui   empoisonnent   la   vie   internationale   du   continent   sont 
devenus insolubles: tracé des frontières dans les zones à population mixte, défense des minorités 
allogènes, débouché sur la mer des pays situés à l'intérieur, question balkanique, question irlandaise, 
etc ... alors que ces mêmes problèmes trouveraient la solution la plus simple dans la Fédération 
Européenne, comme l'ont trouvée, dans le passé, les problèmes analogues des petits états qui sont 
venus se fondre dans la plus vaste unité nationale, ces problèmes ayant perdu leur âcreté du fait 
qu'ils étaient devenus des problèmes de rapports entre les différentes provinces d'une même nation. 
D'autre part, la fin du sentiment de sécurité que la Grande­Bretagne tirait de son inattaquabilité 

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L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

[sic]­ et qui poussait les Anglais à affecter leur « splendid isolation », la dissolution de l'armée et 
même de la république française sous le premier choc sérieux des forces allemandes (résultat qui – 
il faut l'espérer – aura bien émoussé la conviction chauviniste de la supériorité absolue des Français) 
et,  en   particulier, la conscience de la gravité du danger couru en commun d'un asservissement 
général, représentent un ensemble de circonstances qui joueront en faveur de la constitution d'un 
régime fédéral qui mette fin à l'anarchie actuelle. Et le fait que l'Angleterre ait admis désormais le 
principe de l'indépendance indienne et que la France ait perdu, en perspective, en raison même de 
l'acceptation de sa défaite, tout son empire, sont des facteurs qui rendent plus aisée la recherche 
d'une base d'entente pour un aménagement européen des possessions coloniales. 
A tout cela, il convient d'ajouter enfin la disparition de certaines parmi les principales dynasties et 
la fragilité des bases sur lesquelles reposent celles qui subsistent. Il faut tenir compte, en effet, de ce 
que les dynasties – qui considéraient les différents pays comme leur propre apanage traditionnel – 
représentaient en raison même des intérêts puissants dont elles constituaient le support, un obstacle 
sérieux sur la voie de l'organisation rationnelle des Etats­Unis d'Europe, lesquels ne peuvent se 
fonder que sur la constitution républicaine de tous les pays fédérés.
Et   lorsque,   dépassant   l'horizon   du   vieux   continent,   on   tente   d'embrasser,   dans   une   vision 
d'ensemble,   tous  les  peuples qui constituent l'humanité, il faut pourtant bien reconnaître que  la 
Fédération Européenne est l'unique garantie concevable de ce que les rapports avec les peuples 
asiatiques et américains puissent se dérouler sur une base de coopération pacifique, dans l'optique 
d'un avenir plus lointain qui verrait la possibilité de l'unité politique de tout le globe. 
La ligne de démarcation entre partis progressistes et partis réactionnaires suit donc désormais non 
pas la ligne formelle du stade plus ou moins avancé de démocratie, du niveau plus ou moins élevé 
de socialisme à instaurer, mais la ligne bien plus substantielle et toute nouvelle de séparation entre 
ceux qui conçoivent comme finalité essentielle de la lutte la vieille ambition de la conquête du 
pouvoir politique national – et qui feront par là même, et bien qu'involontairement, le jeu des forces 
réactionnaires, en laissant se solidifier la lave incandescente des passions populaires dans le vieux 
moule, et en permettant que renaissent les vieilles absurdités – et ceux qui verront comme une tâche 
centrale la création d'un état international solide, qui canaliseront vers ce but les forces populaires et 
qui – même après avoir conquis le pouvoir national – s'en serviront, en toute première urgence, 
comme instrument de la réalisation de l'unité internationale. 

G – Jean Monnet : Organiser une identité européenne (1943)


Jean Monnet, Note de réflexion, Alger, 5 août 1943, disponible sur le site European Navigator 
(http://www.ena.lu), et pour partie extrait de Gérard Bossuat, D'Alger à Rome, 1943­1957. Choix de 
documents, Louvain­la­Neuve, Ciaco, 1989, pp. 42­46
Le développement de la guerre est tel que l'on peut imaginer sa fin prochaine. L'Italie est à la veille 
d'abandonner la lutte, et l'Allemagne donne des signes évidents de faiblesse... (...)
Dans ces conditions, il est indispensable de prévoir les mesures essentielles qui empêcheront le 
continent   d'Europe   d'entrer   dans   un   chaos   et   poseront   les   bases   qui   en   permettront   la 
reconstruction... 
Sans   participation   effective   de   la   France   au   rétablissement   de   la   Paix   en   Europe,   il   n'y   aura 

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L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

qu'anarchie (...)
La France seule des alliés est européenne, et c'est de la solution du problème européen qu'il s'agit : 
les autres, Anglais, Américains, Russes, ont des mondes à eux dans lesquels temporairement ils 
peuvent se retirer. La France est liée à l'Europe. Elle ne peut s'évader. De la solution du problème 
européen dépend la vie de la France. Or nous avons vu que nécessairement le développement de la 
situation  européenne suivant une libération prochaine entraînera nécessairement les trois grands 
pays à se protéger contre l'Europe, par conséquent contre la France. Car aucun accord auquel la 
France pourrait se trouver entraînée par l'Angleterre, l'Amérique ou la Russie ne pourra la dissocier 
de l'Europe avec laquelle, intellectuellement, matériellement, militairement, elle est liée... 
C'est   donc   de   la   France   que   peut   seule   venir   la   conception   de   l'ordre   nouveau   européen   et 
l'impulsion   qui   peut   permettre   sinon   d'espérer   la   réalisation   complète,   tout   au   moins   de 
l'entreprendre et de réussir en partie... 
Il faut donc agir avant que l’ennemi s’écroule. Il faut agir maintenant. C’est là le devoir du Comité 
français de la libération nationale. Il doit arrêter une ligne de conduite, sonder les Alliés non pas 
pour avoir nécessairement leur agrément, mais pour tenir compte, dans la forme finale de la position 
qu’il prendra, des points essentiels de divergence avec leur point de vue, car leur collaboration – ou 
tout au moins celle de certains d’entre eux ­ est nécessaire au succès de notre entreprise. Il doit alors 
parler à la France et parler au monde. 
Les buts à atteindre sont : le rétablissement ou l’établissement en Europe du régime démocratique, 
et l’organisation économique et politique d’une « entité européenne ». Ces deux conditions sont 
essentielles à l’établissement de conditions qui fassent de la paix en Europe un état normal. (...)
Le plan envisagé pour cette période provisoire n’aura de chances de succès que s’il est réaliste. Il 
devra   tenir   compte   des   expériences   historiques   propres   à   chaque   pays.   Il   ne   devra   pas   séparer 
artificiellement l’élément politique et l’élément économique, car cette distinction est contraire à 
l’enseignement de l’histoire et aux nécessités de la vie gouvernementale. (...)
Enfin, le mécanisme des élections et plus généralement des institutions démocratiques suppose un 
agencement administratif dont il serait peu recommandable d’improviser la structure sans se référer 
aux précédents de l’époque libérale. 
Dans ces conditions, il apparaît que la première étape doit consister à créer immédiatement des 
pouvoirs   politiques  provisoires  à base  démocratique dans  chaque Etat ;   à maintenir  l’économie 
européenne dans cette période transitoire, sans que des droits de douane, etc., soient établis ; à ne 
tenir le congrès de la paix que lorsque pourront s’y réunir les gouvernements provisoires dûment 
mandatés des différents pays européens. (...)
La deuxième étape est essentiellement le congrès de la paix.
– Plan de reconstruction politique et économique de l’Europe ;
– Situation de l’Europe par rapport aux Etats­Unis, U­K, URSS ; 
– Programme du règlement de la question allemande, mouvements de population ; 
– Constitution d’un Etat européen de la grosse métallurgie ; 
– Contrôle par l’autorité européenne des fabrications et des lignes d’avion ; 
– Association de l’URSS, U­K, USA à ces systèmes et contrôles ; 

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Histoire de l'Idée européenne
L'idée européenne en guerre : l'européanisme sous la botte totalitaire (1933-1945)

– Organisation politique et financière de l’Europe ; 
– Organisation d’un Conseil mondial avec participation européenne.

© Nicolas Desrumaux 11 / 11

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