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CECI N'EST PAS UN OBJET-FRONTIÈRE !

Réflexions sur l'origine d'un concept


Susan Leigh Star

S.A.C. | « Revue d'anthropologie des connaissances »

2010/1 Vol 4, n° 1 | pages 18 à 35

Article disponible en ligne à l'adresse :


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Susan Leigh Star, « Ceci n'est pas un objet-frontière ! Réflexions sur l'origine d'un concept »,
Revue d'anthropologie des connaissances 2010/1 (Vol 4, n° 1), p. 18-35.
DOI 10.3917/rac.009.0018
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RETOUR SUR LA NOTION D’OBJET-FRONTIÈRE

CECI N’EST PAS UN OBJET-


FRONTIÈRE !
Réflexions sur l’origine d’un
concept1

SUSAN LEIGH STAR

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RÉSUMÉ

Les objets-frontière décrits dans l’article original de 1989 (Star et


Griesemer) comportent trois éléments : la flexibilité interpréta-
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tive, la structure des besoins et des arrangements du processus


de travail et de l’informatique et la dynamique à l’œuvre entre
des utilisations mal structurées des objets et d’autres plus adap-
tées. L’utilisation de ce concept a surtout concerné la flexibilité
interprétative qui, souvent, a été confondue avec le mouvement
d’aller et retour entre les aspects bien et mal structurés des
arrangements. Les objets-frontière ne sont pas utiles à n’importe
quel niveau d’échelle, non plus sans la sans prise en compte du
modèle dans son ensemble. Cet article examine ces aspects de
l’architecture des objets-frontière. Il présente également une des
façons dont les objets-frontière sont apparus en tant que concept
dans les travaux antérieurs de Star. La conclusion portera sur des
considérations méthodologiques, notamment sur la façon d’étu-
dier les systèmes d’objets-frontière et les infrastructures.

MOTS cLÉS : objet-frontière, infrastructure, catégorie résiduelle,


anomalie, candidat objet-frontière

1 Cet article a été rédigé par Susan L. Star à la suite d’une conférence qu’elle avait
prononcée à l’Université de Grenoble en septembre 2007. Au moment de son décès
le 24 mars 2010, Leigh Star était occupée à finaliser son écriture pour tenir compte
de l’évaluation dont la Revue d’Anthropologie des Connaissances lui avait fait bénéficier.
Article traduit de l’anglais par Mamadou Bassirou Bah et révisé par Dominique Vinck et Rigas
Arvanitis.
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INTRODUCTION

Trois dimensions et un ensemble de dynamiques cruciales forment le modèle


des objets-frontière que j’ai proposé en 1988 et avec Jim Griesemer en 1989
(Star, 1988 ; Star et Griesemer, 1989). Plus tard, le concept a été étendu avec
Browker et Star (1999) sur la manière dont les objets-frontière multiples et les
systèmes d’objets-frontière deviennent ce que nous avons appelé des « infras-
tructures frontière ».
Voyons d’abord l’architecture de l’objet-frontière. Premièrement, il y a l’as-
pect « flexibilité interprétative », comme dans tout objet. Ainsi, comme nous
le signalions Griesemer et moi-même, une feuille de route peut indiquer le
chemin, pour un groupe, vers un lieu de campement ou un espace de récréation.
Pour un autre groupe, la « même » feuille de route peut suivre une série de
sites géologiques importants ou des habitats animaliers pour des scientifiques.

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De telles cartes peuvent avoir l’air similaires, se recouper, voire paraître impos-
sibles à différencier pour un regard extérieur. Leurs différences dépendent de
l’utilisation et de l’interprétation de l’objet. Le parfait endroit pour camper pour
les uns est un site de collecte d’informations sur les espèces pour d’autres. Cet
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aspect des objets-frontière n’est pas vraiment nouveau dans le domaine de la


philosophie ou de l’histoire. Cependant, la flexibilité interprétative a été un
des tournants à l’origine de l’approche « constructiviste » des sciences sociales
récentes. Aussi, c’est certainement l’aspect le plus remarqué et le plus utilisé
des objets-frontière (dans les sciences sociales, médicales, la théorie des orga-
nisations, l’histoire et les théories féministes, dans les nouvelles sciences de
l’information). Parce qu’ils sont arrivés au bon endroit au bon moment, les
objets-frontière sont devenus presque synonymes de flexibilité interprétative.
Les deux autres dimensions des objets-frontière, bien moins cités ou utilisés,
sont 1) la structure matérielle / organisationnelle des différents types d’objets-
frontière et 2) la question d’échelle et de granularité. Les objets-frontière sont
un arrangement qui permet à différents groupes de travailler ensemble sans
consensus préalable. Toutefois, leurs formes ne sont pas arbitraires. Ce sont
essentiellement des infrastructures organiques apparues à cause « des besoins
d’information » comme Jim Griesemer et moi-même les aivons nommés en
1989. J’ajouterai maintenant « les exigences de l’information et du travail »
perçues localement par les groupes qui veulent coopérer. Le « travail » devrait
aussi s’étendre, pour inclure les situations de coopération autour d’activités
sérieuses de jeu comme le ski, le surf et la randonnée (ou le travail et le jeu
forment un continuum). L’important pour les objets-frontière est la façon dont
les pratiques se structurent et la manière dont le vocabulaire émerge, pour faire
des choses ensemble (Becker, 1982).
Les mots « frontière » et « objet » ont eux aussi besoin d’explications.
« Frontière » suggère le plus souvent la notion de limite ou de périphérie,
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comme dans les frontières d’un État ou d’une tumeur. Cependant, dans notre
cas, le mot est utilisé pour désigner un espace partagé, le lieu précis où le sens
de l’ici et du là-bas se rejoignent. Ces objets communs constituent des fron-
tières entre groupes grâce à la flexibilité et à la structure partagée ; ils sont des
ingrédients de l’action. À l’origine, je défendais l’idée de les appeler des « objets
marginaux », ce qui aurait été encore plus déroutant. La marginalité en socio-
logie, surtout à ses origines, se référait à ceux qui appartiennent à plusieurs
groupes sociaux significatifs, comme les personnes ayant un héritage racial
mixte. Cependant, de nos jours, la marginalité évoque l’idée de marge / de péri-
phérie et aussi la fiction d’un centre, bien plus que ne peut le faire la notion de
frontière. Aussi, ai-je décidé d’utiliser le compromis qu’offre ce dernier terme.
Dans le langage courant, un objet est une chose, une entité matérielle
composée d’une matière plus ou moins bien structurée. Dans « objet-fron-
tière », j’utilise le terme objet à la fois dans le sens informatique et pragmatiste
et dans le sens matériel. Un objet est quelque chose sur et avec lequel des
personnes (ou, en informatique, d’autres objets et logiciels) agissent. Sa maté-

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rialité provient de l’action et non d’un sens préfabriqué de la matière ou de sa
qualité de chose. Aussi, une théorie peut être un objet très puissant. Bien qu’elle
soit incarnée, exprimée, imprimée, dansée et nommée, ce n’est pas exactement
pareil qu’une voiture sur ses quatre roues. Une voiture pourrait être un objet-
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frontière mais seulement lorsqu’elle est utilisée entre plusieurs groupes, comme
cela est décrit plus haut.
Avec Bowker, nous avons examiné le sens complexe et quatri-dimensionnel
des deux termes « frontière » et « objet » dans le chapitre 9 de notre livre :
Sorting things out: Classification and its consequences (1999). Nous étions bloqués
comme si nous utilisions un langage Newtonien pour traiter de phénomènes
quantiques. Cela devient plus simple, je l’espère, lorsque chaque terme est
expliqué en rapport aux actions et à la coopération. Mais, les objets-frontière
sont à la fois temporels, encastrés dans l’action, sujet à réflexion et à l’adapta-
tion locale, mais aussi distribués dans chacune de ces trois dimensions. En ce
sens, ils sont n-dimensionnels.
C’est dans l’article original rédigé avec Griesemer sur les objets-frontière
que nous avions suggérés quatre formes possibles que peuvent prendre ces
objets, basés sur certaines formes d’action et de coopération. Elles ne devaient
pas être exclusives mais plutôt le point de départ d’un catalogue plus général !
Par exemple, nous avions suggéré qu’un objet, comme un inventaire, prenait
la forme d’un ensemble de choses modulaires qui peuvent être enlevées indi-
viduellement sans altérer ni changer la structure de l’ensemble. Une biblio-
thèque ou une collection d’études de cas (comme dans certains domaines de
la médecine ou dans le Talmud) sont un répertoire.
Un inventaire de ce genre est nécessaire pour rassembler des choses
conçues de manière itérative. Il permet que l’hétérogénéité (interne) d’une
chose à l’autre soit maintenue sans que cela ne devienne conflictuel. Dans un
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inventaire, l’avantage heuristique est l’encapsulation d’unités internes (les pages


d’un livre sont reliées par une couverture ou des conventions électroniques, les
limites d’un site web par l’URL initiale)2.

Ce travail fondé sur des catalogues de cas et les besoins de structurer l’in-
formation, cette ontologie de l’inventaire permet de mener de manière satis-
faisante des enquêtes privées (individuelles ou en petits groupes) et contrôler
la nature du commentaire ou du débat. Ce n’est pas un travail formel qui laisse
de côté ce qui est particulier mais plutôt un genre itératif qui, au contraire,
préserve ce qui est spécifique.
D’autres formes d’objets-frontière existent, certaines permettant des
caprices partagés, quand l’hétérogénéité est introduite « clandestinement » par
des groupes sans le mentionner aux autres, laissant ainsi flotter un flou sur le
« table virtuelle » du travail coopératif.
Depuis la publication de l’article originel sur les objets-frontière, il y a environ
vingt ans, bien d’autres formes ont été suggérées : les manuels scolaires, les

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représentations, les systèmes d’opération informatiques et différents aspects
liés à la conception. Je n’ai jamais fait aucune tentative pour dicter ou empêcher
l’utilisation de ce concept à quiconque. Cela m’est apparu un peu déplacé, voire
contraire à l’esprit original du développement même du concept. Pourtant, dans
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les dizaines de conférences et de présentations que j’ai pu faire, on me demande


à chaque fois « oui bon, mais qu’est-ce qui n’est pas un objet-frontière ? » (ou
bien, dans le même ordre d’idée, « mais alors, tout pourrait être un objet-fron-
tière ? »). Je reviendrai sur ces questions plus loin, dans le cadre d’une évaluation
de mes propres pratiques et valeurs de recherche.

Enfin, examinons comme promis, le troisième élément : le processus que


suppose la description des objets-frontière. Ma façon d’élaborer le concept au
départ a été motivée par le désir d’analyser la nature du travail coopératif en
l’absence de consensus. À la fin des années 1980 et toujours aujourd’hui, de
nombreux modèles de coopération ont été créés conceptuellement selon l’idée
qu’en premier lieu un consensus doit être obtenu pour que la coopération
puisse commencer. Il m’a semblé, à partir de mon propre travail sur le terrain
parmi des scientifiques ou d’autres personnes qui coopèrent par-delà les fron-
tières disciplinaires et après avoir réalisé deux analyses historiques de groupes
hétérogènes qui coopéraient mais qui ne s’entendaient pas au niveau local, que
ce modèle axé sur le consensus ne convenait pas. Le consensus n’était que
très rarement obtenu et, quand il l’était, restait très fragile alors même que
la coopération continuait, bien souvent sans problème. Comment pouvait-on
expliquer cela ?

2 Bien entendu, les frontières d’un site sont plus facilement et rapidement transgressées /
traversées / passées outre / détournées que dans un livre, comme nous commençons à le faire et
à le comprendre. Mais, voir Star (1998), sur théorie ancrée et classification multi facettes pour un
examen des premières tentatives de création de nombreux types de frontières.
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La dynamique contenue dans cette explication est au centre de la notion


d’objet-frontière. Griesemer et moi-même avons défini ces derniers comme
suit :
• L’objet (lisez ceci comme un ensemble d’arrangements de travail à
la fois matériels et procéduraux) se situe entre plusieurs mondes
sociaux (ou communautés de pratiques) où il est mal structuré.
• Quand c’est nécessaire, des groupes locaux travaillent sur l’objet,
qui conserve sa vague identité d’objet ordinaire, tandis qu’ils le ren-
dent plus spécifique et plus adapté à une utilisation locale, au sein
d’un monde social, et ainsi plus utile à un travail qui n’est PAS
interdisciplinaire.
• Les groupes qui coopèrent sans consensus alternent entre ces deux
formes de l’objet.
Cette dernière dynamique a souvent été ignorée dans les articles utilisant le

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concept d’objet-frontière, sauf quand s’il est mentionné comme la solution à un
type particulier de problèmes. Que se soit en 1988, 1989 ou 1999, je n’ai jamais
suggéré que ceci devait être le dernier mot. Par exemple, si le mouvement
entre les deux formes augmente ou s’il devient standard, les objets-frontière
commencent à se modifier et se transformer en infrastructure, en standards (en
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particulier en standards méthodologiques) et en d’autres choses ou procédés


qui n’ont pas encore été complètement étudiés en tant que tels.

L’ORIGINE DES OBJETS-FRONTIÈRES DANS


MES PREMIERS TRAVAUX

Selon John Dewey, une enquête commence dans le doute et finit lorsque cette
tension est relâchée. Au départ, mes interrogations sur la nature du savoir
scientifique ont débuté comme des voyages ethnographiques, examinant la fa-
çon dont les scientifiques travaillent ensemble, dans le contexte de leurs alliés et
institutions. Puisque je viens d’une tradition de la sociologie qui a eu tendance à
étudier les gens ayant eu toutes sortes de parcours de vie, j’étais prédisposée à
observer l’écologie de l’espace de travail : tout ce qui est impliqué dans la média-
tion des connaissances, du concierge jusqu’au prix Nobel. (L’interactionnisme
symbolique et/ou la sociologie de l’École de Chicago considèrent ceci comme
des marques.)

J’enseigne à mes étudiants, dans les cours de recherche de terrain, à


écouter et regarder deux choses : d’abord, le langage spécifique utilisé selon
le lieu, les métaphores, les mots justes, les tournures de phrases, les codes
particuliers utilisés par un groupe et non par un autre. Ensuite, tout ce qui leur
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semble étrange, bizarre, anormal. Qu’est-ce qui les fait douter ? Comment
est-ce que ça peut se transformer en questionnement ? En cela, la force de la
recherche sur le terrain est son étrangeté anthropologique, et ceci est d’autant
plus important dans les premières étapes du questionnement.

Au cours de ces dernières années, j’ai souvent éprouvé, en étudiant divers


groupes de scientifiques, techniciens, docteurs et infirmiers/ères, et patients,
cette étrange sensation de trouver une anomalie, parfois ancrée dans le langage
spécifique d’un lieu de travail ou de soins. C’est une sensation un peu irritante,
comme avant l’éternuement, mais aussi palpitante. Apprendre à faire confiance
à ce message-là est la chose la plus difficile que j’ai à enseigner à mes étudiants
autant qu’à moi-même.

Je vais maintenant mettre en évidence cinq anomalies qui ont attiré mon
attention et m’en servir pour jeter la base d’une analyse de l’infrastructure et
des objets-frontière, ainsi que du programme de recherche sur les standards
que j’ai développé au cours de ces dernières années.

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Les trois premières anomalies proviennent d’une étude que j’ai menée il y
a quelques années sur la neurophysiologie et la chirurgie cérébrale. Après une
étude de cas dans un laboratoire d’électroencéphalographie (EEG), j’ai écrit un
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livre d’histoire sur un groupe de chercheurs, d’administrateurs et de patients


britanniques du 19e siècle qui essayaient de situer des zones fonctionnelles du
cerveau (Star, 1989). En fait, ensemble, ils ont inventé la chirurgie cérébrale
moderne : dans la période de quarante ans que j’ai étudiée, le taux de mortalité
était initialement de 100% ; elle était à moins de 60% à la fin. J’ai lu les archives
d’hôpitaux, les lettres des patients et de leurs familles, les notes de laboratoires,
les archives administratives, des notes sur la patience des physiciens et des
chirurgiens et aussi les documents publiés.

La première anomalie m’est apparue lorsque j’analysais un des carnets du


médecin physiologiste David Ferrier dans les archives du Collège Royal de
Médecine de Londres. Les archives sont conservées royalement dans un impo-
sant bâtiment qui donne sur Hyde Park, doté de luxueux tapis rouge foncé et
d’étagères remplies de livres à reliure en cuir doré. Après m’être soigneuse-
ment débarrassée de tout objet toxique, comme un stylo ou de la nourriture
qui pourrait endommager le matériel, je me suis installée à une table d’ébène
où on m’a apporté les carnets de Ferrier, littéralement, sur un plateau d’argent.
Je les ai soulevés avec précaution (en espérant que je ne transpirais pas ou ne
faisais rien de ce que ferait un primate) et les ai ouverts. J’ai trouvé l’expérience
où Ferrier rapporte sa tentative de mesure de l’effet d’une lésion qu’il avait
provoqué au cerveau d’un singe plus tôt dans la journée. Le singe n’est pas
vraiment coopératif ; l’écriture de Ferrier déborde parfois des pages, tremble
et glisse pendant ce qui a tout l’air d’une poursuite du pauvre animal à travers la
pièce. Les pages, en parfait contraste avec l’environnement digne d’une chapelle
dans lequel je me trouvais, étaient tâchées de sang, de conservateurs de tissus
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et d’autres fluides non-identifiés. Par contre, et c’est quelque chose que l’on
retrouve systématiquement en sociologie des sciences dans les années 1980,
le rapport de l’expérience est propre et ne fait pas mention des vicissitudes
du contexte de l’expérience. Cette anomalie a attiré mon attention sur deux
aspects : l’ampleur du travail invisible qui sous-tend toute expérience scientifique
et la matérialité qui agit comme médiateur dans la conduite de la science. Le
travail invisible, un concept que j’avais rencontré en tant que militante féministe,
se réfère à l’origine aux tâches ménagères non payées (voir Star et Strauss,
1999). J’en suis venue à développer des modèles de travail invisible pour étudier
le développement des systèmes informatiques et pour rendre compte de la
matérialité des représentations exposées.

Dans tout ceci, l’écart entre les représentations formelles, y compris les
publications, et le travail « en coulisse », non rapporté, est devenu en lui-même
un lieu important d’analyse. Ceci a subtilement influencé le développement des
objets-frontière pour permettre de saisir l’adaptation locale en tant que forme
de travail invisible au groupe dans son ensemble et la façon dont une représen-

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tation commune peut être assez vague et tout en étant utile.

La seconde anomalie provient de la même étude sur le cerveau mais cette


fois à propos d’un ensemble de données cliniques sur des patients épileptiques.
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Les mêmes chercheurs qui faisaient subir aux singes des expériences pénibles
s’occupaient aussi de patients humains atteints de tumeurs cérébrales, l’épi-
lepsie, la syphilis et d’autres « troubles nerveux ». Ils n’avaient pas beaucoup de
subventions et au 19e siècle, la recherche en physiologie animale et humaine était
relativement rare et très contestée en Grande Bretagne. En l’absence de la télé-
métrie médicale moderne, les chercheurs mobilisaient les familles de patients
épileptiques pour recueillir les informations sur les crises en les mentionnant
sur ce qu’ils appelaient « les fiches crises » ou sur des formulaires pré-imprimés
avec des listes de symptômes, la durée ainsi que d’autres données. Les membres
des familles, pauvres et affligés, essayaient désespérément de se soumettre à
l’effort de collecte de données. Les formulaires qu’ils remplissaient sont des
documents émouvants qui révèlent les rapports de classe et la médecine à la
fin du 19e siècle en Angleterre, crayonnés, mal orthographiés et assidûment
rapportés pour les dossiers du médecin. De plus, ils racontent une histoire
supplémentaire : tout autour, dans les marges des documents, sont griffonnés
des messages, à l’intention du médecin, qui n’entrent pas dans le formulaire : « a
mangé trop de soupe hier » ; « exposé à l’air nocturne » ; « a fait un tour de
calèche seul ». Toute une médecine populaire se trouve dans ces commentaires
latéraux, tout au long des formulaires remplis. Mais cette richesse d’information
était écartée et considérée comme sans importance, perdue dans les dossiers,
même si, en un sens, les patients participaient à la recherche comme assistants
des cliniciens.
Cette anomalie a orienté mon attention sur le problème de la collecte, de la
discipline et de la coordination de la connaissance distribuée. Comment le travail
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délégué – ce que Julius Roth a appelé les « chercheurs vacataires »3 – peut-il


affecter la qualité des données ? Comment les formulaires formatent et expri-
ment ce qui peut être appris et collecté ?4 (voir la belle analyse de Thévenot,
1986). Les groupes actuels de patients qui échangent des informations sur le
web rencontrent des problèmes similaires de conception pour la mémoire
collective, les différences dans les langues et l’opposition entre ce qui rentre
dans un formulaire de médecine et ce que les patients savent effectivement
durant leur vie. J’en suis venu à analyser ce problème avec Bowker dans notre
modèle de gestion de la collecte des données en ce qui concerne la classification
internationale des maladies, ainsi que les tensions entre les systèmes tradition-
nels de connaissance médicale et les formulaires distribués par l’OMS (1999).
Puis, plus tard, cette analyse s’est poursuivie avec Martha Lampland (2009) sur la
standardisation. J’ai commencé à concevoir les standards et les objets-frontière
comme inextricablement liés, particulièrement au cours du temps.
La troisième anomalie, et mon dernier exemple sur le cerveau, provient
d’un autre ensemble de documents d’une autre bibliothèque britannique. Dans

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les archives de la Royal Society, aussi dotée de tapis rouge en velours, mais pas
de plateau d’argent, j’ai trouvé un curieux ensemble de rapports d’évaluation
portant sur un article que David Ferrier a soumis à la Society pour être publié.
L’article était basé, en partie, sur les expériences avec les singes que j’ai pu
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examiner. Pour expliquer cette étrangeté, il faut se rappeler que le cerveau du


singe et celui de l’Homme sont très différents en termes de taille et de forme
et, très certainement, aussi en termes de fonctionnement (quoique, pour ce
dernier, ils ne sont peut être pas si différents qu’on le pense). Ferrier a essayé de
transposer, au millimètre près, les différences de fonction quand il administrait
de l’électricité sur la surface du cerveau du singe. L’article parle de la fonction
du cerveau humain. Étant en manque de sujets humains (les expériences bien
connues de Penfield sur les épileptiques n’arrivent que près d’un siècle plus
tard), Ferrier a opté pour la solution simple consistant à prendre la carte céré-
brale du singe et à transposer les cercles indiquant les zones fonctionnelles
directement sur un schéma du cerveau humain. Anatomiquement, cela équivaut
à superposer la carte du métro de Paris sur Cleveland et de l’utiliser pour visiter
Cleveland, selon l’idée que toutes les grandes villes ont le même genre d’infras-

3 « Hired hand research ».


4 Une des plus amusantes anomalies que j’ai pu rencontrer le fut au cours d’un de mes premiers
projets de recherche. J’avais accepté de travailler en tant qu’intervieweuse pour un projet à San
Francisco qui souhaitait documenter, selon un point de vue psychologique, les pratiques sexuelles
des gays et des lesbiennes après 65 ans. Une partie de la collecte de données consistait à remplir des
formulaires avec les informations comme l’âge, le nombre de partenaires sexuels pendant l’année
écoulée, l’emploi, etc. Alors que je codais des données, j’ai entendu une voix dans une autre pièce,
là où les hommes codaient les informations sur les gays. Nous étions dans une pièce différente pour
le codage des informations sur les lesbiennes. La voix en question criait : « qu’est-ce que je fais si j’ai
besoin de trois chiffres ? » J’ai rigolé parce que le nombre maximum de partenaires sexuels du côté
des lesbiennes était deux ; les hommes avaient une vie sexuelle plus variée ! (Ceci se passait à la fin
des années 1970, juste avant que l’épidémie de SIDA n’atteigne San Francisco et change les pratiques
sexuelles.)
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tructure de transport, tout comme les mammifères ou les primates auraient la


même localisation des fonctions dans le cerveau.

L’article de Ferrier fut publié et rencontra un immense succès. Pourquoi ?


Je me le suis demandé moi-même. La réponse semblait provenir du fait qu’une
carte n’avait pas besoin d’être juste pour être utile. Elle pouvait servir de base
pour une conversation, pour partager des données, pour indiquer des choses,
sans même démarquer un territoire réel. C’était un bon outil de communica-
tion entre, par exemple, les mondes de la recherche clinique et de la recherche
fondamentale. Ses qualités de médiation semblaient être de « se trouver au
centre » pour plusieurs groupes, très mal structurée ou schématique dans son
usage conjoint. Par contre, lorsqu’un clinicien ou un physiologiste avait besoin
d’une vraie carte, il utilisait l’ébauche du diagramme de Ferrier et l’adaptait
selon ses propres besoins en chirurgie ou dans l’étude de lésions. Plus tard, dans
une étude connexe à propos d’amateurs et de professionnels dans un musée
zoologique, j’ai pu identifier ce régime d’arrangements qui remplissait une fonc-
tionnalité « d’assemblage » dans l’utilisation des objets-frontière et aussi dans

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l’identification d’un type d’objet-frontière que Griesemer et moi-même avons
appelé la forme platonique.

L’illumination suivante s’est produite quand je travaillais dans une autre


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archive, la bibliothèque Bancroft de l’université de Californie à Berkeley. Dans


cette archive, il y a le même genre de rites de passage silencieux que dans les
archives britanniques ; je devais laisser mon repas, mes stylos et mon sac dans
un casier prévu spécialement à l’entrée. Cette fois-ci, c’était quelques années
plus tard et j’ai été autorisée à prendre un crayon et un ordinateur portable.
Ici en Californie, chacun rempli des petites fiches et fait sa demande pour des
boîtes d’archives qu’il faut ensuite transporter soi-même jusqu’à la table utilisée.
Pas de plateau d’argent, mais l’éclairage est bien meilleur. J’examinais les lettres,
les carnets remplis et les récits du développement du Musée de Zoologie
Vertébrée fondé en 1906. C’était un endroit fascinant pour développer l’idée
d’objet-frontière : des naturalistes amateurs, trappeurs, biologistes profession-
nels, philanthropes et personnel administratif de l’université avaient tous laissé
leur empreinte dans le développement du musée. J’ai pu faire ressortir ici les
questions de triangulation, de médiation, de standardisation et de traduction
de manière bien plus élaborée. Voici donc l’anomalie : un jour, en lisant une
partie particulièrement ennuyante de comptes et reçus d’une expédition au
Mojave, destinée à documenter le comportement des « gophers » (sortes de
rongeurs), j’ai soulevé une des pochettes en papier kraft, l’ai ouverte et, à ma
grande surprise, un oiseau bleu complètement séché en est tombé. Il y avait
aussi une lettre dans cette pochette : « Cher Dr Grinnell, j’ai trouvé ceci dans
mon jardin et je voudrais savoir ce que c’est. Je sais que vous êtes l’homme à qui
il faut s’adresser pour ce genre de choses. Pouvez-vous m’aider ? »
Grinnell, en homme courtois, a certainement dû répondre à cette personne,
j’en suis sûre, bien qu’il n’y ait aucune trace d’une telle réponse dans les archives.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1 27

Je dois dire que la vue de l’oiseau m’a très fortement marquée. Cette chose ne
correspondait pas à ses catégories. En histoire naturelle, si quelque chose est
collecté sans étiquette appropriée ni documentation de son habitat, il est tout
simplement inutilisable pour le biologiste professionnel (ou, comme me l’a dit
un peu abruptement un conservateur du musée : « sans étiquette, c’est juste de
la viande morte »). Mais là, Grinndell était aussi un spécialiste des oiseaux plutôt
actif dans les cercles amateurs. Peut-être connaissait-il la personne qui lui avait
écrit la lettre. Il n’a pas jeté l’oiseau ; au lieu de ça, il l’a mis dans une pochette
qu’il avait trouvée, avec divers reçus. Cette quatrième anomalie a attiré mon
attention sur ces choses qui ne correspondent ni aux catégories ni aux stan-
dards, qui se retrouvent glissées, littéralement ou au figuré, dans le classeur le
plus proche.
Les restrictions et les standards, ainsi que l’utilisation de solutions brutales
aux problèmes que posent les inter-catégories, me fascinent toujours autant.
Ceci s’applique aussi aux personnes que l’on inclut dans la marginalité, à la fois
politiquement et scientifiquement, ou dans la catégorie « autre ». J’ai enseigné et

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écrit sur la marginalité. Les objets inter-catégoriques, les catégories résiduelles
(comme les « non mentionné ailleurs ») et la façon dont les standards font de
« l’autre » un problème sont des sujets que je suis toujours en train d’analyser.
Mon cinquième et dernier exemple provient d’une étude plus récente,
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une étude ethnographique que j’ai menée sur une communauté de biologistes
qui séquençait le génome d’un nématode. J’ai travaillé en partenariat avec un
informaticien, développeur de programmes, pour m’assurer que le système,
un « labo virtuel » de partage et publication de données, correspondait aux
exigences de travail des biologistes. C’était une des premières tentatives
des fondateurs de créer des « co-laboratoires » et d’encourager l’échange
de données entre scientifiques. Nous étions au début des années 1990, aux
balbutiements d’Internet : le projet ne s’appuyait lui-même pas sur Internet.
(Je pourrais même ajouter que j’ai été contactée par cet informaticien après
qu’il ait lu le livre sur le cerveau et reconnu tous les défis des situations de
travail impliqués par la construction d’un système de communication entre les
mondes sociaux !). L’anomalie dont je vais parler maintenant s’est produite
alors que je me rendais dans plus de quarante laboratoires pour interviewer
des nématologues (biologistes des vers) à propos de leur utilisation du système
prototype. Une interaction typique : téléphoner à un laboratoire et dire : « Je
m’appelle Leigh Star et je fais une analyse des besoins et de l’utilisabilité du
système Worm Community. Utilisez-vous le système ? Est-ce que je pour-
rais venir voir votre travail et vous poser quelques questions ? » La plupart
disaient oui bien sûr, on adore le système, venez donc. J’y allais donc, parfois
cela voulait dire voyager d’Angleterre jusqu’à Vancouver, et j’entrais dans le
labo avec le bloc note et le crayon, prête à prendre mes notes de terrain. Je
commençais par demander qu’on me montre comment le système avait été
installé et à quel moment il s’intégrait dans le flux de leur travail. À plusieurs
reprises, l’interaction se déroulait comme suit :
28 Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1

– moi : « Montrez-moi comment vous utilisez le WCS (Worm


Community System). »
– « Et bien, euh, je sais qu’il est par là. Attendez, je vérifie. Ah oui voi-
là, une des post-doctorantes s’en sert. Elle n’est pas là aujourd’hui »
(puis en hurlant : ) « Quelqu’un utilise le WCS ici ? »
Je signalais avec beaucoup de patience qu’ils m’avaient dit qu’ils utilisaient le
système. Alors, où était-il ? Venait ensuite l’anomalie qui éveillait ma curiosité
ou ma sensibilité d’ethnographe : « Oh, oui ! on l’utilise. Mais on commence
à peine à s’en servir. » D’où venait cet amalgame entre présent et futur ?
Essayaient-ils de me rassurer ? Ils n’étaient d’ailleurs pas du genre menteur (ils
étaient même très agréables et sincères) et ils n’hésitaient pas à critiquer le
système ou à me faire part de leur avis. En creusant un peu plus les procédés
de communication entre développeurs et utilisateurs, il devint clair qu’il s’agis-
sait là d’une communication emmêlée. J’ai utilisé le travail de Gregory Bateson,
qui s’est penché sur ce genre de mésaventures en communication sous le titre
« double contraintes ». À l’instar de ce que Bateson appelait, dons son travail

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avec les schizophrènes, le trends-contextual syndrome, les messages venant des
développeurs du système n’étaient pas entendus à ce niveau par les utilisateurs,
et vice versa. Ce qui était évident pour les uns était un mystère pour les autres.
Ce qui était commun pour les uns était un mystère pour les autres. Pourtant,
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clarifier tout ça n’était jamais facile. Les utilisateurs aimaient bien l’interface du
système quand ils étaient installés devant, pourtant, ils ne savaient pas comment
la transformer en une infrastructure fonctionnelle et fiable. Ils demandaient à
l’équipe WCS qui leur répondait avec des termes complètement étrangers. J’ai
commencé à regarder cela comme un problème d’infrastructure.
Ma collègue Karen Ruhleder et moi-même avons utilisé cette énigme pour
élaborer une liste des caractéristiques de l’infrastructure (Star et Ruhleder,
1996)5. Le fait de lier l’infrastructure à la connaissance de communautés de
pratiques particulières et de la redéfinir comme on vient de le faire a nourri
beaucoup d’articles et de projets de recherche qui visent à comprendre la nais-
sance, la maturation et la mort des infrastructures (qu’elles soient réussies ou
défaillantes).
• Encastrement (embeddedness). L’infrastructure est contenue, comme
« coulée » à l’intérieur d’autres structures, arrangements sociaux et
technologies.
• Transparence. L’infrastructure est transparente pour l’usager, c’est-
à-dire qu’il n’y a besoin ni de la réinventer à chaque fois, ni de l’as-
sembler pour chaque tâche, tout en restant un soutien invisible de
ces tâches.
• Portée ou étendue. Elle peut être spatiale ou temporelle ; l’infrastruc-
ture va au-delà d’un événement isolé ou d’une pratique unique.

5 Article traduit et publié dans le présent numéro de la Revue d’Anthropologie des Connaissances.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1 29

• Apprentissage comme bénéfice de l’adhésion. Prendre pour acquis des


artefacts et des arrangements organisationnels est une condition
sine qua non pour faire partie d’une communauté de pratiques (Lave
et Wenger, 1991 ; Star, 1996). Les étrangers et ceux qui viennent
de l’extérieur rencontrent l’infrastructure comme un objet qu’il
faut apprendre à utiliser. Les nouveaux participants acquièrent une
familiarité naturalisée avec ses objets au fur et à mesure qu’ils y
adhèrent.

• Liens avec les conventions pratiques. L’infrastructure est à la fois fa-


çonnée et façonne les conventions d’une communauté de pratiques,
par exemple, la façon dont les cycles de travail diurne-nocturne af-
fectent et sont affectés par les tarifs et par les besoins en électricité.
Des générations de dactylos ont appris le clavier QWERTY ; ses li-
mites sont reprises dans le clavier d’ordinateur et par la conception
du mobilier de bureau d’aujourd’hui (Becker, 1988).

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• Incorporation de normes et standards. L’infrastructure, modifiée par
la portée et souvent par des conventions contradictoires, devient
transparente en puisant dans d’autres infrastructures et outils de
manière standardisée.
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• Construite sur une base installée. L’infrastructure ne vient pas de rien ;


elle lutte contre l’inertie de la base installée et hérite des forces
et limites de cette base. Les fibres optiques longent les anciennes
lignes de chemin de fer : les nouveaux systèmes sont conçus pour
être compatibles avec l’ancien. Ne pas se plier à ces contraintes
pourrait être fatal ou conduire à détourner les nouveaux procédés
de développement (Hanseth, Monteiro et Hatling, 1996).

• Devient visible au moment d’une défaillance. Une infrastructure invisi-


ble quand elle fonctionne devient visible quand elle est défaillante : le
serveur se plante, le pont s’effondre, l’électricité est coupée. Même
lorsqu’il y a des mécanismes ou des procédures de secours, leur
existence ne fait que mettre en lumière l’infrastructure devenue
visible.

• Est réparée par incréments modulaires, pas tous en même temps ni


globalement. À cause de la grande taille, des couches multiples et de
la complexité de l’infrastructure, et aussi à cause des significations
locales différentes, elle n’est jamais changée à partir du haut. Les
changements prennent du temps et supposent des négociations, ain-
si qu’un ajustement avec d’autres aspects des systèmes impliqués

Le fait de lier l’infrastructure à la connaissance de communautés de prati-


ques particulières et de la redéfinir comme on vient de le faire a nourri beau-
coup d’articles et de projets de recherche qui visent à comprendre la nature de
30 Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1

la naissance, de la maturation et de la mort des infrastructures (qu’elles soient


réussies ou défaillantes).
Ces cinq fils sont tous liés dans toutes les études que j’ai menées depuis
l’article original sur les objets-frontière ; ensemble, ils forment un programme
de recherche. Les lieux sont variés, depuis la classification des soins infirmiers
à l’apartheid sud africain, en passant par les standards mentionnés plus haut.
Cependant, ces fils de l’analyse, originellement issus de l’étude des anomalies
rencontrées, se sont révélés très utiles.

QU’EST-CE QUI N’EST PAS UN OBJET


FRONTIÈRE ?

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Tout concept, que ce soit la théorie féministe ou la circulation du capital ou
encore la façon dont les marchés agissent pour structurer la démocratie, est
utile à certains et l’est moins à d’autres ; il est sujet à une utilisation et une ana-
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lyse partielle et se trouve limité en termes d’échelle et de portée. C’est aussi


vrai pour toute idée ou méthode. Comme je l’ai dit plus haut, j’ai toujours évité
les déclarations normatives sur le vrai sens et l’utilisation correcte des objets-
frontière. Comme ces questions m’ont été posées des dizaines de fois lors de
présentations sur les objets-frontière, je voudrais donner ici une réponse à
certaines de ces questions.
L’échelle. Ce qui n’est pas un objet-frontière a beaucoup à voir avec la ques-
tion de l’échelle. Plusieurs fois, on m’a posé des questions concernant ce qui
n’est pas un objet-frontière comme des questions sur l’échelle d’observation.
Ce sont des questions comme : « tout pourrait donc être un objet-frontière ? »
ou « et un mot, alors ? Est-ce qu’un mot pourrait être un objet-frontière ? »
Ma réponse à ces questions a toujours été que les concepts ne sont utiles qu’à
certaines échelles. Je crois que le concept d’objet-frontière est particulièrement
utile au niveau des organisations. Ces questions concernant « tous » les objets
qui pourraient être objet-frontière deviennent plus claires si on tient compte
de l’ambiguïté des objets. Mais il existe de meilleurs concepts pour traiter de
l’ambiguïté des mots qui proviennent des philosophes du langage, comme la
notion du jeu de langage de Wittgenstein ou les expériences linguistiques sur le
développement du langage naturel. Ou par exemple, les tentatives bien connues
pour éclaircir l’ambiguïté de phrases comme : « j’ai tué un éléphant en pyjama »6.
À la lumière de la structure et des dynamiques présentées ci-dessus, la réponse

6 En anglais, Leigh Star utilise l’exemple : « time flies like an arrow ; fruit flies like a banana »
(littéralement, le temps passe aussi vite qu’une flèche, les mouches aiment les bananes, en jouant sur
le mot « fly » qui signifie la mouche et aussi le verbe voler).
Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1 31

est donc « oui, tous les objets peuvent être des objets-frontière sous certaines
conditions ». Par exemple, lorsque archéologues et philologues classiques ont
collaboré pour interpréter certains mots de la pierre de Rosette, il est probable
qu’un petit groupe de mots (voire un seul mot) ait été un objet-frontière, fondé
sur la nature de leurs relations de travail. Mais, par ailleurs, n’importe quel
mot prononcé par n’importe qui comporte autant de flexibilité interprétative
selon les interlocuteurs ou le public à qui on s’adresse que n’a pu l’avoir ce mot
particulier. Toutefois, rares sont les cas où les chercheurs étudient les arrange-
ments de travail eux-mêmes ou tout autre caractéristique des objets-frontière
parmi celles que je viens de signaler ci-dessus. La seule exception serait bien sûr
l’étude de textes sacrés ou toute autre entreprise philologique.
La portée. Un autre genre de questions qu’on me pose souvent à propos
des objets-frontière concerne les objets diffus, distribués qui, comme les mots,
peuvent ou non être rattachés à des arrangements de travail coopératif ou
collectif. Par exemple, une question courante est : « est-ce que les Beatles (ou
autre personnalité très connue) ne seraient pas des objets-frontière ? » Une

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variante de ce type de questions est de savoir si le drapeau national, la Bible, un
film ou autre élément connu ne seraient pas des objets-frontière.
Mes réponses sont similaires à celles données plus haut à propos des échelles.
Dans certaines circonstances, tous ces exemples pourraient devenir des objets-
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frontière. Ils sont tous, c’est certain, sujet à la flexibilité interprétative. Par
contre, je crois que la portée le plus utile de ce concept est plus spécifique. Je
pense qu’il serait plus intéressant d’étudier les gens qui fabriquent, qui font la
publicité et qui distribuent le drapeau américain, ainsi que leurs arrangements
de travail et leur hétérogénéité que de simplement dire que beaucoup de gens
ont une interprétation différente du drapeau américain. Bien que ce soit vrai,
cela ne nous mène pas bien loin en termes d’analyse de la compréhension de la
matérialité et des propriétés infrastructurelles de ce drapeau.

CONCLUSION : NAISSANCE ET MORT DES


OBJETS FRONTIÈRE

Une dernière question sur les frontières des objets-frontière concerne leur
origine, leur développement et, parfois, leur fin ou leur échec. Je crois que
cela concerne trois dimensions : les standards, les méthodes et les catégories
résiduelles. La chose la plus importante dans cette histoire est de dire qu’un
objet-frontière obéit ou répond aux critères décrits plus haut. Avec le temps,
certaines personnes (souvent des administrateurs ou des agences de régulation)
essayent de contrôler ce mouvement d’alternance propre aux objets-frontière
et, en particulier, de standardiser et de rendre équivalent les aspects bien struc-
32 Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1

turés et mal structurés de l’objet-frontière en question. Les exemples abondent


dans le monde informatique ; imaginons le destin de différentes représentations
territoriales sous les régimes de plusieurs SIG (systèmes d’information géo-
graphique). Les représentations cartographiques et qualitatives plus anciennes,
souvent elles-mêmes des objets-frontière, se voient standardisées par rapport
aux coordonnées, aux bases de données qui sous-tendent les cartes du SIG
qui diminuent la différence entre un objet partagé et mal structuré et un objet
ajusté et adapté localement.

Tentatives de Génération de catégories


standardisation du résiduelles, de
mouvement et de la communautés de pratique
fusion de ce qui est mal- d’ « autres » ou
structuré dans ce qui est d'« étrangers » (venant de
bien structuré, souvent l'extérieur). Génération de
administratives ou de nouveaux objets-frontière
régulation, qui au fur et à mesure que les

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conduisent parfois à un alliances et le travail
objet ou à un système coopératif apparaissent.
standardisé.
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Objet(s)-frontière

Avec le temps, tous les systèmes standardisés rejettent ou génèrent des


catégories résiduelles. Ces catégories comprennent les « non classé ailleurs »,
« aucune des propositions ci-dessus » ou « non spécifié ailleurs ». Plus ces caté-
gories sont envahies par l’extérieur ou par ce qui est autre, plus les éléments de
ces catégories sont amenés à inventer de nouveaux objets-frontière et c’est ainsi
qu’un cycle est né. Une des choses dont j’ai pu me rendre compte en essayant
de saisir ce phénomène complexe et longitudinal, c’est ce besoin de nouvelles
méthodes pour comprendre chaque aspect : la nature de ce mouvement de
va-et-vient entre ce qui est bien structuré et ce qui est mal-structuré, l’architec-
ture des infrastructures et, surtout, le mouvement interne provenant de ceux
qui habitent les catégories résiduelles, et comment cela forme de nouveaux
objets-frontière. Voici un schéma simplifié qui représente ce cycle :
Considérations méthodologiques. Une des exigences méthodologiques des
dilemmes énoncés ci-dessus concerne la façon de produire des objets à partir
des actions présentées ici, en particulier dans la relation entre la standardisation
et les catégories résiduelles. Busch et Star (2009) ont suggéré que la distribu-
tion des standards se trouve être au centre de bon nombre de problèmes de
justice que pose la standardisation. Ceci comprend les catégories résiduelles
Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1 33

générées par certains régimes de standardisation qui ont été développés in situ.
Gérer les habitants et les objets des espaces résiduels, même les nôtres, est une
autre exigence méthodologique. Comme plusieurs de ces processus se produi-
sent sur des décennies, voire des siècles, il sera nécessaire de traiter ces ques-
tions avec des experts des archives et des historiens. Une combinaison de ces
exigences nous amènerait plus loin dans la compréhension des dynamiques de
base décrites plus haut.
Enfin, une dernière exigence, peut être la plus importante, serait de déve-
lopper un cadre d’analyses sophistiqué pour la compréhension de l’information,
des expériences vécues et de l’infrastructure. Nous vivons dans un monde où
sont conduites continuement des batailles et des drames entre le formel et
l’informel, le bien-structuré et le mal-structuré, le standardisé et le sauvage. Ces
batailles sont parfois bénignes et parfois elles apportent un immense service à
l’humanité, comme la standardisation des données sur les changements clima-
tiques (en tout cas les tentatives s’en approchant). D’un autre côté, les tenta-
tives de sur-standardisation (avec des outils comme la surveillance électronique)

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hantent ceux qui luttent pour la justice sociale. Aujourd’hui, ces combats sont
si imbriqués dans la vie virtuelle et la vie « hors ligne » que nous n’avons plus
de choix possible : si nous ne le faisons pas maintenant, alors quand le ferons-
nous ?
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Remerciements
Tout d’abord, tous mes remerciements vont à mes collaborateurs James Griesemer
et Karen Ruhleder pour leurs contributions considérables à bien des idées présentées
ici. Mes amis de l’université de Grenoble qui m’ont aidé à cadrer cette discussion :
Dominique Vinck, Pascale Trompette et Virginie Tournay. Tous les autres qui ont
contribué de diverses manières : Richard Boland, Geoffrey Bowker, Larry Busch, Anne
Saetnan, Madeleine Akrich et Steve Jackson. De nombreuses années se sont écoulées
depuis la publication de l’article originel sur les objets-frontière et beaucoup de
personnes ont contribué à l’affinement de ce concept. Je ne peux que remercier tous
ceux qui ont insisté avec leurs questions et qui m’ont poussé à clarifier ma pensée.

BIBLIOGRAPHIE
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Bowker G., Star S.L. (1999), Sorting Things Out: Classification and Its Consequences.
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34 Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1

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économiques, Paris : Presses Universitaires de France (Cahiers de Centre d’Etude de


l’Emploi), 21-71.

Susan Leigh STAR (1954-2010) ; sociologue des sciences et des


techniques disciples d’Anselm Strauss. Au moment de son décès, le
24 mars 2010, elle était Professeur à la School of Information Science
de l’Université de Pittsburgh, après avoir enseigné à l’Université
de Californie au Center for Science, Technology and Society de
Santa Clara, à Irvine, à San Diego, à l’University de Caligari (Italie)
et à l’University of Illinois (Champaign-Urban). Elle avait réalisé sa
thèse de sociologie à l’Université de Californie à San Francisco.
Inspirée de l’interactionnisme symbolique, des théories féministes et de la
théorie de l’acteur-réseau, ses recherches ont porté sur les technologies
de l’information et sur les sciences de la vie, en portant particulièrement
sont attention sur les pratiques de production des connaissances dans les
laboratoires de recherche, les musées, les hôpitaux, les bibliothèques.

ADRESSE Doreen Boyce Chair


School of Information
University of Pittsburg
Pennsylvania, USA
Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/1 35

ABSTRACT: THIS IS NOT A BOUNDARY-OBJECT. REFLECTIONS ON


THE ORIGIN OF THE CONCEPT.

There are three components to boundary objects as outlined in


the original 1989 article (Star and Griesemer). Interpretive flex-
ibility, the structure of informatic and work process needs and
arrangements, and, finally, the dynamic between ill-structured and
more tailored uses of the objects. Much of the use of the concept
has concentrated on the aspect of interpretive flexibility, and has
often mistaken or conflated this flexibility with the process of tack-
ing back and forth between the ill-structured and well-structured
aspects of the arrangements. Boundary objects are not useful at
just any level of scale or without full consideration of the entire
model. The paper discusses these aspects of the architecture of
boundary objects, and includes a discussion of one of the ways
that boundary objects appeared as a concept in earlier work done
by Star. It concludes with methodological considerations about
how to study the system of boundary objects and infrastructure.

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KEYWORDS: Boundary Object, Infrastructure, Residual Category,
Anomaly, Boundary Object Candidate
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RESUMEN: ¡ESTO NO ES UN OBJETO-FRONTERA! REFLEXIONES


SOBRE EL ORIGEN DE UN CONCEPTO

Los objetos-frontera descritos en el artículo original de 1989 (Star


y Griesemer) contienen tres elementos: la flexibilidad interpreta-
tiva, la estructura de las necesidades y los arreglos del proceso
informático y de trabajo y la dinámica en obra entre utilizaciones
mal estructuradas de los objetos y otras más adaptadas. La uti-
lización de este concepto concernió sobre todo a la flexibilidad
interpretativa que, a menudo, ha sido confundida con movimiento
de ida y vuelta entre los aspectos bien y mal estructurados por los
arreglos. Los objetos-frontera no tienen utilidad a todos los nive-
les ni sin la consideración del modelo en su conjunto. Este artículo
examina estos aspectos de la arquitectura de los objetos-frontera.
También presenta una manera en que los objetos-frontera apare-
cieron como concepto en los trabajos anteriores de Star. La con-
clusión se referirá a las consideraciones metodológicas, particu-
larmente en el modo de estudiar los sistemas de objetos-frontera
y las infraestructuras.

PALABRAS CLAVES: Objeto frontera, infraestructura, categoria resi-


dual, anomalia, candidato objeto-frontera

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