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2 - Bonbon Palace - Elif Shafak - (2008)
2 - Bonbon Palace - Elif Shafak - (2008)
BONBON PALACE
Traduit du turc par
VALÉRIE GAY-AKSOY
PHÉBUS
Bienvenue à Bonbon Palace ! Elif Shafak nous ouvre grand les portes
de cet immeuble d’Istanbul, jadis bâti par un riche Russe pour son
épouse dont le regard vide ne s’allumait plus qu’à la vue de friandises...
Si l’édifice a gardé une élégance surannée, il est aujourd’hui infesté par
la vermine et les ordures, au grand dam de ses habitants. Les coups de
sang ne sont pas rares à Bonbon Palace ! Appartement après
appartement, nous sommes invités à rencontrer les membres aussi
excentriques qu’attachants de cette petite communauté d’un quartier
populaire : le religieux gérant Hadji Hadji ; la desperate housewife
Nadja ; la cafardeuse Maîtresse bleue ; Meryem, mère de famille
portant la culotte ; Hygiène Tijen, qui n’a pas volé son surnom ; les
jumeaux coiffeurs Djemal et Djelal, au centre de tous les commérages ;
notre narrateur, philosophe dépassé par les femmes...
Fille de diplomate, Elif Shafak est née à Strasbourg en 1971. Elle a passé son
adolescence en Espagne avant de revenir en Turquie. Après des études en Gender
and Women’s Studies et un doctorat en sciences politiques, elle a un temps
enseigné aux États-Unis. Elle vit aujourd’hui à Istanbul. Internationalement
reconnue, elle est l’auteur de neuf livres, dont La Bâtarde d’Istanbul (Phébus,
2007).
TRADUIT DU TURC PAR VALÉRIE GAY-AKSOY
Illustration de couverture : Zane Fix
Titre original de l’ouvrage : Bit Palas
À Shafak,
À ma mère
Le ghetto peut lui aussi être un endroit tranquille et sécurisant,
mais ce qui fait de ce lieu un ghetto est l’obligation que nous
avons d’y vivre. Maintenant que les murs ont commencé à
s’effondrer, je pense que nous avons intérêt à franchir les
décombres et nous confronter à la ville qui est à l’extérieur.
URSULA K. LE GUIN
Femmes, Rêves, Dragons
LES GENS DISENT QUE J’AI BEAUCOUP
D’IMAGINATION. C’est la façon la plus délicate jamais
inventée pour dire : « Tu débites des absurdités ! » Ils ont
peut-être raison. Quand je cède à l’angoisse, quand je ne sais
plus ce qu’il faut dire à certains moments ou dans certaines
circonstances, quand j’ai peur du regard des autres et essaie
de n’en rien laisser paraître, quand je veux me présenter à
quelqu’un que je désire connaître et fais mine de ne pas voir
combien, dans le fond, je me connais mal, quand le passé
me fait souffrir et qu’il m’est difficile d’admettre que l’avenir
ne sera pas meilleur, quand j’ai du mal à digérer d’être là et
qui je suis... je raconte n’importe quoi, je débite des
absurdités. Aussi loin qu’elle soit de la vérité, l’absurdité est
tout aussi éloignée du mensonge. Le mensonge est l’envers
de la vérité. L’absurdité quant à elle amalgame si bien le
mensonge et la vérité qu’on ne peut plus les dissocier. Cela
paraît compliqué, mais en fait, c’est très simple. Tellement
simple qu’on pourrait l’exprimer en un seul trait.
Disons que la vérité est un trait horizontal :
SOUS CE MUR
REPOSE UN SAINT.
NE JETEZ PAS D’ORDURES !
Avec tous les collecteurs qui, comme elle, affluaient sur ses
rives dès que se levait le lodos, Aime Teyze récupérait ce que
la mer rejetait.
Numéro 3 : Le coiffeur Djemal
[←1]
Haksızlık : injustice.
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Jurnal : rapport élaboré par la police politique.
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Arbre à soie (Albizia julibrissin), Gülibrişim en turc, dit aussi acacia de
Constantinople.
[←4]
L’ottoman écrit en alphabet arabe, avant l’adoption des caractères latins
promulguée par Mustafa Kemal Atatürk en 1928.
[←5]
Style jelî : style de calligraphie trouvant son élaboration définitive au XVe
siècle, caractérisé par des ornements abondants et des procédés décoratifs
variés.
[←6]
Kalktigöçeyledi Dede : phrase signifiant mot à mot : « il prit le chemin de
l’exil ». Dede est le qualificatif attribué aux personnages religieux soufis.
[←7]
Paviyon : du français « pavillon », lieu de distraction nocturne fréquenté par
les hommes.
[←8]
En français dans le texte.
[←9]
Israfil : nom de l’un des archanges qui sonneront de la trompette à l’heure
du Jugement dernier.
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Asmalımescit : rue dans le quartier européen de Beyoğlu.
[←11]
Teyze : tante. Mot employé pour s’adresser aux femmes âgées.
[←12]
Musa, Meryem, Muhammet : prénoms des trois membres de la famille.
Moïse, Marie, Mahomet, en français, en référence aux trois religions
monothéistes.
[←13]
Ayran : boisson préparée avec du yaourt, de l’eau et très légèrement salée.
[←14]
Poğaça : sortes de brioches, nature, fourrées au fromage ou à la pomme de
terre.
[←15]
Pide : sorte de pizza à pâte épaisse.
[←16]
Ateşmizacoğlu : littéralement « Fils au caractère enflammé », pouvant être
traduit par « Fils pète-le-feu ». Bitmeztükenmezevhamlaroglu : « Fils de
perpétuels et infinis soupçons ».
[←17]
Kuzguncuk : quartier de la rive asiatique.
[←18]
Su : eau. Bengisu : eau de jouvence.
[←19]
Boşluk : vide, vacuité.
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Osman : fondateur de l’Empire ottoman dont découle le nom.
[←21]
Dede : « grand-père », et titre donné aux derviches ayant terminé leur
initiation.
[←22]
Zikir : mention chantée à voix haute des attributs de Dieu.
[←23]
Istiklal : indépendance. Rue piétonne centrale du quartier européen de
Beyoğlu reliant le Tünel à la place de Taksim.
[←24]
Eyüp : Job.
[←25]
Konak : ancienne demeure ottomane, souvent en bois.
[←26]
En français dans le texte. (NdT)
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Cacık : salade au yogourt et aux concombres hachés.
[←28]
Mumbar : boyau de mouton farci.
[←29]
Hidrellez : fête du printemps sous le signe du prophète Hizir qui, selon la
croyance, intercède pour résoudre les difficultés et exaucer les souhaits.
[←30]
Tarator : sauce à base de yogourt avec de l’ail, de l’huile d’olive, des noix, du
vinaigre...
[←31]
En turc, le mot esrar signifie à la fois mystère et drogue, haschich,
stupéfiant.