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L’autre risque 

; aperçu critique sur la théorie de la fausse conscience


Jean-Baptiste Lamarche
La théorie de la fausse conscience, qui considère que la domination exercée sur la volonté de différentes personnes
peut expliquer les actions irrationnelles qu’elles accomplissent, est largement répandue (elle est utilisée bien au-delà
des cercles intellectuels) et prestigieuse (aussi bien politiquement qu’intellectuellement). Elle demeure néanmoins peu
discutée. Lorsqu’elle est examinée, c’est surtout depuis une perspective étroitement épistémique. En m’appuyant sur
des travaux entrepris par Raymond Boudon (1934-2013), j’esquisse ici une description pragmatiste des usages que
permet cette théorie, des contextes de ces usages et des conséquences de ces usages dans ces contextes. Je porte une
attention particulière à un cas précis : l’explication, dans le contexte québécois d’aujourd’hui, du port du voile par les
musulmanes. L’examen de cet usage de la théorie de la fausse conscience permet de mettre pleinement en lumière les
conséquences potentiellement funestes de cette dernière.
Un diagnostic d’irrationalité
Expliquer la conduite apparemment irrationnelle
Examen épistémique
Examen politique
Un sociocentrisme subtil
L’autre risque
Le double discours des observateurs-ventriloques québécois
J’aimerais remercier Perig Gouanvic pour ses suggestions d’écritures si précieuses.
Depuis la crise des accommodements raisonnables, on entend fréquemment dire que si différentes femmes
musulmanes portent le voile, c’est parce que la domination qui s’exerce sur elles les empêche de prendre leurs propres
décisions. Ce discours n’est pas très éloigné d’un autre, plus ancien : celui des indépendantistes expliquant le
ralliement au fédéralisme des Québécois par une explication du même type (ils souffriraient de fatigue culturelle,
seraient colonisés). Voilà autant de recours à la théorie de la fausse conscience (par la suite : TFC). Ce terme, créé
dans la tradition marxiste, y reçoit un sens précis (Boudon, 1992a : 55 et s.). Je l’utiliserai ici1 dans un sens modifié
pour désigner, bien plus largement, une théorie visant à expliquer les actions apparemment irrationnelles d’une
personne par la contrainte que la domination d’autrui exerce sur sa pensée, sa sensibilité et sa volonté. Cet
élargissement du concept prend compte du fait qu’une multitude de gens, bien au-delà des cercles marxistes, font
appel à la TFC. On les trouve aussi chez une multitude d’individus qui sont loin d’être des intellectuels.
Bien qu’elle soit largement utilisée, la TFC demeure peu débattue. Notre attention est focalisée sur les personnes
visées par cette théorie. La volonté des fédéralistes, des musulmanes, et des autres candidats à la fausse conscience a-
t-elle oui ou non été contrainte par un dominateur ? La discussion parvient difficilement à sortir du cadre de ces
interrogations2.
3La TFC, même si elle reste en arrière-plan où elle ne reçoit qu’une attention subsidiaire, confère tout de même un
prestige aux interventions qui la mettent en œuvre. Un prestige politique certain, puisqu’elle porte une promesse
d’émancipation : dévoiler l’action de la domination, n’est-ce pas le premier pas vers son renversement ? Un prestige
également intellectuel, puisque ce sont fréquemment des penseurs de renom qui en invoquent. Cela nous rend peu
susceptibles d’interroger les usages de cette théorie. Lorsqu’elle est malgré tout remise en question, c’est surtout
depuis une perspective étroitement épistémique, c’est-à-dire depuis une approche intellectualiste qui est incapable de
l’appréhender comme un outil permettant des actions réalisées dans le monde, et qui le transforme, plutôt que comme
une pure théorie.
4Ne serait-ce qu’en raison de la place prise par cette théorie dans l’espace public, il me semble important d’évaluer si
elle est à la hauteur de ses promesses. Le présent article se veut une contribution exploratoire à cet examen.
J’esquisserai un examen critique de la TFC qui portera sur deux plans. Sur le plan épistémique, cette théorie dit-elle
vrai ? Et sur le plan politique, cette théorie contribue-t-elle réellement à l’émancipation de celles et ceux dont elle
prétend expliquer les actions ? À défaut de régler ces deux (vastes) questions, j’aimerais ici faire ressortir certains
risques du recours à la TFC.
5Ma démarche sera inspirée du pragmatisme et de la sociologie : du pragmatisme, puisque j’entreprendrai, pour
contrer l’image intellectualiste d’une théorie développée par un spectateur en retrait des interactions, de décrire les
usages que permet la TFC, les contextes dans lesquels prennent place ces usages et les conséquences pratiques de ces
usages dans ces contextes ; de la sociologie, puisque ce faisant je porterai une attention toute particulière à
l’organisation et à la réorganisation des groupes et des frontières sociales que permet l’interprétation des actions et des
pratiques par la TFC.
Concrètement, mon analyse trouve son point de départ dans des réflexions éparses du sociologue Raymond Boudon
sur cette théorie3, dont il se méfiait farouchement (sans doute trop, on le verra). La reconstruction critique minutieuse
de la genèse de certains usages de la TFC par Boudon peut nous aider à voir pourquoi cette théorie n’explique pas tous
les gestes qu’elle semble expliquer et comment, bien qu’elle se présente avec des allures libératrices, elle contribue
parfois à accabler ceux-là mêmes qu’elle semble contribuer à libérer. Cette reconstruction démontre que dans
plusieurs cas le recours à la TFC en dit bien moins sur la personne dont on prétend expliquer l’action que sur celle qui
avance l’explication. Car alors cette dernière, sans bien s’en rendre compte, est impliquée de tout son être dans son
diagnostic, dans lequel on peut retrouver ses valeurs, ses aspirations et ce qu’on pourrait appeler sa carte imaginaire du
monde social (sur ce point, je suis redevable à l’analyse, par Louis Dumont, du sociocentrisme subtil des modernes).
La présentation et le développement de l’analyse critique esquissée par Boudon rendra possible l’examen d’un cas
propre à mettre pleinement en lumière les conséquences potentiellement funestes de la TFC : celui de l’attribution
d’une fausse conscience aux membres d’une minorité stigmatisée, par des membres d’un groupe majoritaire.
Un diagnostic d’irrationalité
Boudon remarque qu’on trouve bien souvent, au départ du processus qui mène à l’attribution d’une fausse conscience,
un observateur embarrassé par une action qui lui semble dépourvue de raison recevable. Il émet un diagnostic : la
personne que j’observe agit d’une manière irrationnelle. Voyons cela en partant de l’analyse d’un cas concret sur
lequel Boudon revient à quelques reprises :
Dans une étude classique, Chinoy4 avait été intrigué par le fait que les ouvriers de l’industrie automobile américaine
qu’il avait observés paraissaient optimistes sur leur avenir et satisfaits de leur sort, alors qu’objectivement, ils se
trouvaient dans une situation entièrement bloquée : pratiquement aucune chance de promotion sérieuse ni aucun espoir
de sortir de la condition modeste qui était la leur. Malgré cela, ils avaient l’impression – du moins le déclaraient-ils
quand on leur posait la question – de pouvoir « réussir » ou améliorer sensiblement leur condition.
Mais « réussir », cela voulait dire pour eux : gagner quelques dollars de plus, avoir la possibilité d’améliorer leur
maison, leur mobilier, gagner un échelon d’ancienneté un peu plus rapidement que prévu, ou pouvoir sortir un peu
plus fréquemment.
Chinoy en tira l’idée que lorsque ces ouvriers parlaient de réussite, ils se jouaient inconsciemment une sorte de
comédie à eux-mêmes, quoiqu’avec sincérité : pour éviter d’avoir à se rendre à l’évidence et de prendre acte du fait
que leur avenir était objectivement bloqué, ils auraient accordé une importance artificielle – en tout cas démesurée –
aux maigres avantages qu’ils pouvaient espérer. (Boudon, 1992a : 147)
8On doit distinguer deux étapes dans le raisonnement d’Eli Chinoy. Dans un premier temps, il pose un diagnostic, en
affirmant que l’ouvrier de l’industrie automobile agit d’une manière irrationnelle. Dans un second temps, il élabore
une TFC pour expliquer cet agir irrationnel.
9La pénétration de l’analyse effectuée par Boudon découle largement de l’attention qu’il accorde à la première étape :
la description du comportement de l’observé par l’observateur.
10Dans bien des cas, la description adéquate du geste, de la réaction ou de la conduite d’autrui ne pose aucun
problème :
J’observe que ce piéton regarde à droite et à gauche avant de traverser. Si j’interprète ce comportement comme une
manifestation de prudence, il est vraisemblable que je ne serai contredit par personne. Mon interprétation est d’une
solidité à toute épreuve. (Boudon, 2009 : 289)
11Dans le cas qui nous occupe, cette compréhension fait défaut. Chinoy ne parvient pas à établir les raisons d’agir de
l’ouvrier de l’industrie automobile, à lui trouver des raisons d’agir satisfaisantes. La conduite de cet ouvrier lui
apparaît donc irrationnelle.
12Le geste paraît irrationnel à l’observateur parce que lui-même ne l’accomplirait pas ; d’ailleurs, il ne parvient pas à
se mettre à la place de l’observé, à imaginer ses raisons (Boudon, 1992b : 31). Cela revient à dire que « l’observateur
prend une position égocentrique », qu’il tend implicitement à mesurer le comportement à partir de celui que lui-même
adopterait, et qu’ainsi il « projette sa propre expérience » (Boudon, 1992a : 148-149) : « Pour moi, Chinoy, professeur
d’université, il est dérisoire de prêter attention à une augmentation de salaire de quelque cents ou au fait de pouvoir
repeindre ma maison » (Boudon, 2009 : 292). Un tel diagnostic d’irrationalité « traduit typiquement un effet de
distance » (Boudon, 1992a : 147) ; c’est en effet « l’éloignement qu’éprouve l’observateur à l’égard du comportement
de l’observé » qui « l’incite à se prendre lui-même comme pôle de comparaison et, naturellement, à conclure à
l’irrationalité de l’observé » (Boudon, 1992a :148). Alors, l’observateur ne parvient qu’à « décrire (éventuellement à
son insu) ses propres croyances et passions sous couleur d’analyser une réalité sociale qui en fait lui échappe »
(Boudon, 2009 : 293).
13Le diagnostic, reposant implicitement sur une comparaison entre les décisions de l’observé et celles de
l’observateur, se fonde moins sur « un type de comportement » que sur « un type de relation entre l’observateur et
l’observé » (Boudon, 1992a : 96-97).
Expliquer la conduite apparemment irrationnelle
14C’est ce diagnostic qui suscite le besoin d’expliquer l’irrationalité du geste : ce que permettra la TFC. C’est une
explication qui réunit trois traits : elle est contrefactuelle, égocentrique et ouvre la porte à une action correctrice.
15Elle est contrefactuelle, puisqu’on nous dit que si la volonté et la pensée de la personne observée n’avaient pas été
contraintes, elle penserait et désirerait autre chose. Ainsi, si la volonté et la pensée de l’ouvrier de l’industrie
automobile n’avaient pas été contraintes par une situation sans issue, il aspirerait à autre chose, serait insatisfait des
options qui se présentent à lui.
16Nous avons vu que le diagnostic d’irrationalité porte la marque de l’égocentrisme de l’observateur. C’est aussi le
cas de l’explication fournie par la TFC pour expliquer cette supposée irrationalité. Si la pensée et la volonté de
l’observé n’avaient pas été contraintes, il penserait et désirerait comme l’observateur.
17Enfin, la TFC suscite l’espoir d’un mouvement qui mettrait fin à la contrainte exercée sur la volonté et permettrait à
l’observé de retrouver sa volonté individuelle. Ainsi, on est portés à penser que la volonté individuelle de l’observé ne
serait pas un simple phénomène du passé, qu’elle subsisterait en lui, attendant en quelque sorte d’être éveillée.
Intérieurement, l’observé serait traversé par un conflit des volontés.
De cette manière, l’observateur transpose à l’intérieur de l’esprit de l’observé le différend (virtuel ou déclaré) entre
eux. Car le désaccord intérieur supposé des voix, dans l’esprit de l’observé, est une copie conforme du différend entre
les deux personnes (la fausse conscience « caractérise d’abord – de manière négative – une relation entre l’observateur
et l’observé » [Boudon, 1998 : 183]). Notons que l’analyse que Boudon livre ici est remarquablement proche de celle
qu’un auteur théoriquement et politiquement très éloigné (le marxiste Valentin N. Vološinov) avait proposée, dès
1927, pour comprendre la théorie freudienne du refoulement : les récits des conflits entre la volonté consciente du
patient et la contre-volonté inconsciente que lui attribue son psychanalyste pour expliquer différentes conduites,
écrivait-il, « ne sont rien d’autre qu’une projection de rapports sociaux au sein d’une âme individuelle », puisque les
rapports entre les volontés refoulante et refoulée redoublent ceux entre le patient et son psychanalyste (Vološinov,
1980 : 176)5.
Examen épistémique
19L’explication fournie par la TFC permet-elle réellement de comprendre l’action qu’elle vise ?
Boudon formule plusieurs objections à cette théorie. Il soutient entre autres que son pouvoir explicatif serait faible,
voire inexistant : en disant que tel geste irrationnel est le fruit de la fausse conscience, on proposerait une explication
purement verbale, n’offrant en réalité qu’une reformulation de la description du phénomène à expliquer (Boudon,
1992b : 42). Celui qui prétend expliquer un geste irrationnel en affirmant qu’il est produit par la fausse conscience
dont est victime son porteur ne serait alors pas très différent du docte personnage auquel Molière faisait dire :
« L’opium fait dormir, parce qu’il y a en lui une vertu dormitive, dont la nature est d’assoupir les sens6 ». Le
phénomène à expliquer attendrait toujours une vraie explication.
21La critique qui se dégage de l’analyse boudonienne du cas de Chinoy est plus radicale encore. Avant même toute
explication, c’est la description proposée qui apparaît erronée : l’irrationalité que prétend expliquer la TFC, dans ce
cas, n’existe que dans l’œil de l’observateur. En effet, une fois qu’on a reconstruit et analysé la manière dont le
diagnostic est posé par l’observateur, le comportement de l’observé n’apparaît plus irrationnel ; le besoin de
l’expliquer, par le fait même, disparaît.
Examen politique
22Passons à l’examen politique de la démarche entreprise par l’observateur qui recourt à la TFC.
23Je l’ai dit, la TFC se présente comme une théorie émancipatrice, qui interpelle le militant et le citoyen. C’est parce
qu’elle n’accorde pas une égale dignité aux deux volontés, l’individuelle et la domestiquée, qui tirailleraient l’observé.
Si l’observé ne désire et ne pense pas comme l’observateur, c’est que sa nature première a été contrainte par une
volonté étrangère. Ainsi, la voix que fait réellement entendre l’observé, lorsqu’il s’explique sur ses choix et ses
actions, est déconsidérée, traitée comme une voix fausse. La voix réelle de l’observé, sa voix plus authentique et la
plus personnelle, serait celle que l’observateur parvient à révéler grâce à la TFC.
24Cette prétention émancipatrice de la théorie repose, on s’en aperçoit, sur la solidité de l’explication fournie. Or,
nous venons de le voir, il se présente des cas où nous avons toutes les raisons de douter de cette solidité : si le
diagnostic d’irrationalité n’est alors basé que sur une comparaison égocentrique avec les décisions de l’observateur, le
besoin d’expliquer ce diagnostic est superflu et l’explication fournie par la TFC est fausse. Il faut donc dire, dans de
tels cas, que l’observateur qui recourt à cette théorie ne parvient pas réellement à rapporter la parole intérieure de celui
qu’il observe.
25Mais alors, que fait cet observateur ? Nous avons vu qu’en s’appuyant sur cette théorie, il transpose à l’intérieur de
l’observé le différend (virtuel ou déclaré) qui les oppose. Nous avons aussi vu que dans ce conflit intérieur supposé, la
voix supposée être la plus authentique est celle qui ne parvient pas à se rendre jusqu’aux lèvres de l’observé mais que
fait entendre l’observateur. Cela revient à dire que l’observateur fait ici valoir une prétention : celle de parler au nom
de la volonté la plus libre et la plus authentique de celui dont il prétend expliquer le comportement. Se faisant
ventriloque, il prétend porter par la parole la libre volonté d’autrui. Celui qui se fait attribuer cette fausse conscience
se trouve par le fait même dépossédé de la capacité de dire ce qu’il pense, sent et veut réellement.
Un sociocentrisme subtil
Sans doute, l’analyse critique proposée par Boudon suscitera une contre-critique : n’est-elle pas une
critique conservatrice ? Ne vise-t-elle pas à protéger le statu quo contre le changement, auquel contribue pour sa part
Chinoy ? Cette contre-critique présuppose le caractère révolutionnaire de cet usage. Or l’analyse de la démarche de
Chinoy montre justement qu’elle n’est pas révolutionnaire de part en part. L’usage de cette théorie ici examiné
suppose que chacun penserait et désirerait spontanément comme l’observateur, s’il n’était pas par malheur dominé.
L’analyse proposée par Chinoy « n’est convaincante que si on admet que les sentiments et évaluations des professeurs
d’université constituent une sorte de mesure universelle » (Boudon et Bourricaud, 2002 : 427). Ainsi, dans cet usage
de la TFC, il y a, d’une part un bouleversement souhaité et appelé, celui de la vie de l’observé, de l’autre un statu
quo renforcé, celui de la vie de l’observateur. Celui qui recourt ainsi à cette théorie sera donc porté à vouloir
révolutionner la vie des autres. Sa propre vie, servant de fondement à cette critique, est ipso facto placée au-delà de sa
portée.
Il est possible d’approfondir l’analyse, sur ce point, en s’intéressant au recours à la TFC par Theodor W. Adorno. Cet
universitaire, grand amateur de musique classique, s’étonnait que l’on puisse aimer la musique populaire (notamment
le jazz), qu’il n’appréciait pas du tout. Or il était aussi un penseur révolutionnaire, qui tentait d’élaborer une critique
radicale du capitalisme. Il en vint à se dire que ceux qui écoutaient de la musique populaire n’y trouvaient
pas réellement de plaisir : ils y étaient contraints par un système capitaliste, victimes d’une fausse conscience (Müller-
Doohm, 2004 : 252-253). L’égocentrisme du raisonnement d’Adorno est frappant : si lui-même ne trouvait pas de
plaisir à cette musique, comment les autres le pouvaient-ils ? Notons ici que la remise en question de l’authenticité des
choix d’autrui lui offrait l’occasion de manifester à la dérobée une prétention prodigieuse : mes choix à moi,
contrairement à ceux de mes contemporains aliénés, émanent du plus profond de ma nature. Car chez des intellectuels
comme lui, on rencontrait, prétendait-il par ailleurs, une authenticité profonde, ce qu’il appelait « la simultanéité de
l’intérieur et de l’extérieur » (Müller-Doohm, 2004 : 170). Dans cette dernière déclaration, Adorno met de l’avant un
sociocentrisme. C’est là un sociocentrisme indirect : cet utilisateur de la TFC n’affirme pas simplement, comme le
ferait un sociocentriste ordinaire, que son groupe est supérieur aux autres. Bien plus subtilement, Adorno affirme, en
suivant une manière typique des modernes, que le groupe auquel il appartient est plus immédiatement humain que les
autres groupes, lesquels seraient au contraire fondés sur la répression de la nature humaine. Lorsqu’il contemple son
reflet dans le miroir, celui qui adhère à une telle idée aperçoit un individu transparent, fidèle à sa nature profonde. En
comparaison, l’étranger au groupe qu’il observe au travers des lunettes de la TFC lui apparaît comme un être étouffé
par le poids de son éducation et de sa culture (qui l’empêcheraient d’exprimer sa voix intérieure). Voilà qui permet à
cet observateur de définir son groupe par les valeurs qu’il serait parvenu à réaliser (authenticité, autonomie), contre les
autres groupes qui, à l’inverse, brimeraient ces valeurs. Ainsi, ce sociocentrisme se présente à première vue comme
une forme d’universalisme. En reprenant les remarques très justes de Louis Dumont, on dira qu’aux yeux de celui qui
affirme un sociocentrisme de cette manière indirecte, la culture de son groupe constitue à la fois « une culture comme
les autres » et « une sorte de méta-culture » ; en ce sens, cet individu avance un « discours à deux niveaux » (Dumont,
1991 : 19), que du reste il ne distingue pas clairement, puisqu’il « tend à identifier naïvement sa propre culture et la
culture universelle » (Dumont, 1991 : 251). Dumont note encore que la culture qui s’identifie à une méta-culture « ne
peut qu’inférioriser ou sous-estimer les autres manières d’être collectives qu’elle rencontre » et traiter ce qui s’écarte
d’elle comme « insuffisance, ou bizarrerie » (1991 : 16 et 251).
L’autre risque
La TFC est habituellement examinée depuis la perspective de l’observateur qui l’élabore. Or son attention est
focalisée sur l’agir (énigmatique, à ses yeux) de l’observé et sur la relation qui le lie au tiers qui contraindrait sa
volonté. Ainsi, les réflexions sur cette théorie portent habituellement sur les relations entre deux personnes : l’observé
et son supposé dominateur.
Nous sommes généralement sensibles au risque bien réel d’une contrainte de la volonté par ce possible dominateur.
Par exemple, nous reconnaissons le bien-fondé de l’usage du concept de fausse conscience par John Stuart Mill,
dans L’asservissement des femmes. Contre l’idée qu’un grand nombre de femmes « consentent » à « la domination des
hommes », que celle-ci est largement « acceptée volontairement », il affirmait que beaucoup plus de femmes
nourriraient des aspirations à la liberté « si on ne leur apprenait avec tant d’acharnement à réprimer ces aspirations
comme contraires à la nature de leur sexe » (Mill, 2005 : 44-45 [trad. mod.]). La réaction positive des femmes aux
avancées réalisées par le mouvement féministe, depuis le moment où Mill écrivait ces lignes, en 1869, a très
largement donné raison à son raisonnement contrefactuel.
34Ainsi, bien souvent, la TFC permet bel et bien de comprendre différents phénomènes : certains gestes et conduites,
étant réellement irrationnels, appellent bel et bien une élucidation. Examiner les contraintes exercées sur la volonté de
personnes, bien souvent, permet de mieux comprendre leurs désirs et décisions (lesquels se développent en interaction
avec un environnement, en fonction de ce qu’il semble contenir de possibilités). Il n’est enfin pas rare que, tiraillés
entre différentes options, nous voyions se développer en nous un conflit des volontés (conflit intérieur que les romans
de Dostoïevski dépeignent si bien [Bakhtine, 1998 : chap. 5]). La TFC est loin d’être entièrement dépourvue de
mérite.
35Les cas de Chinoy et d’Adorno sont très différents de celui de Mill. Leurs usages de cette théorie ne nous
apprennent à peu près rien sur les gens dont ils prétendent expliquer l’agir.
36Certains cas sont situés entre le cas Chinoy-Adorno et le cas Mill. Prenons par exemple le recours à la TFC par un
marxiste allemand, Wilhelm Reich, pour expliquer la montée du nazisme. Dans un livre rédigé au début des
années 1930, il affirmait que l’ouvrier qui appuyait Hitler le faisait parce qu’il avait refoulé sa volonté individuelle,
laquelle l’aurait plutôt poussé à l’action révolutionnaire. Cet ouvrier réactionnaire « porte en lui-même la
contradiction » entre révolution et réaction (Reich, 1977 : 43), puisque sa volonté révolutionnaire s’opposerait
intérieurement aux décisions réactionnaires prises par sa volonté consciente. Reich avait certainement raison de penser
que l’appui de l’ouvrier à Hitler appelait une explication. Cependant, celle qu’il mettait en avant ne faisait que
transposer l’antagonisme entre lui et le partisan du nazisme à l’intérieur de ce même partisan (Nestor Capdevila note
que sa démarche « pourrait être une illustration de la facilité avec laquelle un observateur projette ses valeurs sur son
objet » [2004 : 45-46]). Avec le recul, on peut se dire que la prise de position de Reich lui-même, qui lui servait de
pôle de comparaison pour aborder celle de l’ouvrier, c’est-à-dire l’appui au Parti communiste allemand, était, elle
aussi, bien irrationnelle (durant les années précédant la prise de pouvoir par les nazis, le Parti communiste allemand,
suivant les directives soviétiques, dirigeait une partie importante de ses forces contre le Parti social-démocrate).
J’ai concentré mon attention sur les utilisations de la TFC par Chinoy et Adorno, en dépit du fait qu’elles sont à
certains égards peu représentatives, parce que leur examen permet de mettre en lumière un fait généralement peu
compris : un aperçu complet de cette théorie exige de rendre compte des interactions non pas entre deux personnes,
mais bien entre trois. Il faut aussi accorder notre attention à l’observateur et aux rapports qu’il tisse avec l’observé,
ainsi qu’avec d’autres (ceux auxquels il s’adresse), précisément au moyen de cette théorie. Le recours à cette théorie
ne peut pas être compris comme une pure théorie, comme si l’observateur était un pur spectateur, situé à l’extérieur de
la scène sociale. Ce recours est aussi une action réalisée par l’observateur7.
38L’examen par la TFC des rapports entre l’observé et différents partenaires sociaux nous rend sensibles au risque
d’une contrainte de la volonté de cet observé par un dominateur. L’examen ici proposé, en nous faisant voir la relation
entre l’observé et l’observateur configurée par le recours à cette même théorie, pourra nous rendre sensibles à un autre
risque, celui d’une domination de l’observé par un observateur-ventriloque : la domination exercée par celui qui
revendique le droit de parler au nom de l’observé, en cherchant à invalider les propos effectivement tenus par ce
dernier. Ainsi, cette théorie peut très pernicieusement miner la dignité de ceux-là mêmes qu’elle prétend émanciper.
Il est de la plus haute importance de pouvoir distinguer adéquatement les cas où une domination est réellement
exercée des cas où la dénonciation d’une domination sert de prétexte à l’appropriation de la parole d’autrui8. Une
typologie plus détaillée des différentes utilisations de la TFC devrait permettre de réduire le risque d’erreur.
Le présent texte aura atteint son objectif s’il parvient, en attendant que soit développée cette typologie, à nourrir la
prudence devant cette théorie. Comme elle se présente comme un outil d’émancipation, nous ne sommes pas portés à
nous méfier des discours qui les revendiquent. J’espère être parvenu, en développant une approche plus attentive à
l’observateur et à sa démarche, à identifier des conséquences potentiellement dommageables de cette théorie.
41Évidemment, ces conséquences dépendent largement des contextes dans lesquels elle est utilisée.
42Au XXe siècle, bien des intellectuels marxistes en ont élaboré lorsque les ouvriers se sont détournés de la voie de la
révolution. Ce n’est qu’alors que la théorie marxiste de la fausse conscience, à laquelle les théoriciens marxistes
classiques n’avaient jamais accordé trop d’attention, acquit une importance centrale (Kołakowski, 2008). Cette
attention croissante accordée à la TFC témoignait de la marginalisation et de l’impuissance de ces intellectuels devant
les choix de la classe ouvrière. Cette attribution d’une fausse conscience aux ouvriers n’a pas entraîné de
conséquences bien dommageables (les ouvriers visés ignoraient le plus souvent jusqu’à l’existence de ceux qui, dans
des publications confidentielles, leur collaient des diagnostics d’irrationalité).
43Or comme je l’ai mentionné plus haut, la TFC est assez largement répandue, bien au-delà des cercles intellectuels.
L’analyse par Boudon permet notamment de comprendre pourquoi cette théorie, en apparence si savante (on la
retrouve chez des penseurs réputés, comme Freud ou Adorno), peut tout de même être spontanément populaire : celui
qui est placé devant une action qui le déconcerte, pour produire une telle théorie, n’a qu’à suivre sa pente naturelle. Il
est en effet exigeant, par rapport à une telle action, d’écouter les explications des principaux intéressés et de
reconstruire le contexte au sein duquel elle peut faire sens. Il est beaucoup plus intuitif d’y réagir en partant de l’action
que l’on poserait soi-même. Comme l’écrivait candidement Guy Debord, un écrivain qui expliquait une vaste variété
d’actions par la fausse conscience : Rien n’est plus naturel que de considérer toutes choses à partir de soi, choisi
comme centre du monde ; on se trouve par là capable de condamner le monde sans même vouloir entendre ses discours
trompeurs (1989 : 15).
Le double discours des observateurs-ventriloques québécois
44Dans le Québec actuel, cette théorie est fréquemment utilisée pour rendre compte du port du voile par certaines
femmes musulmanes. On sait les réactions collectives viscérales que suscite la simple mention de ce voile. Il est
souvent présenté comme une pratique qui est imposée aux musulmanes. Le démenti des principales intéressées (non,
je porte le voile par choix) ne désarçonne pas les critiques, qui rétorquent volontiers que les Québécoises voilées,
parce que leur esprit a été colonisé, ne sont pas capables d’exercer un libre choix. Ainsi, Lise Payette, dans une
chronique du Devoir portant sur la « commission Bouchard-Taylor », écartait à l’avance cette dénégation :
On me répondra que des femmes sont venues dire aux commissaires qu’elles avaient choisi librement de porter le
hidjab, que personne ne les y forçait. Une femme conditionnée par son milieu depuis sa tendre enfance, élevée avec
l’idée qu’il vaut mieux porter le hidjab, peut-elle exercer un choix vraiment libre ? (2008)
De même, Caroline Beauchamp soutient que l’interdiction du voile offre à la Québécoise voilée « un choix véritable »,
en créant un espace où elle « peut se soustraire aux pressions sociales, culturelles et religieuses » (2013 : 51).
En esquissant ces portraits dépréciateurs d’autrui, Payette et Beauchamp parviennent, à la manière d’Adorno, à
proposer furtivement des autoportraits aussi favorables qu’invraisemblables. Car le choix véritablement libre dont
elles parlent ici, c’est évidemment leurs choix à elles ; le contraste ici esquissé en est un entre la Québécoise
musulmane qui, vivant dans un environnement social, est « conditionnée par son milieu », et Payette et Beauchamp,
qui, elles l’impliquent clairement, vivraient dans un monde en apesanteur, soustrait aux contraintes sociales ; ainsi,
leurs décisions seraient celles que choisirait tout esprit parvenant à se libérer du carcan social. En tenant ce discours
orgueilleux (et sociologiquement aberrant, faut-il le dire), Beauchamp et Payette identifient leur propre culture à une
sorte de méta-culture universelle ; le recours à ce discours à deux niveaux leur donne l’occasion, en imaginant que leur
culture est le lieu où s’incarnent les idéaux d’autonomie et d’authenticité si caractéristiques de nos sociétés modernes,
de reprendre et d’enrichir un imaginaire social bien moderne (Dumont note que dans nos sociétés, où les
revendications de l’individualisme moral se radicalisent, on en vient parfois « à croire possible la réalisation d’une
société qui serait entièrement conforme à l’individualisme » [1991 : 20]). Ce déploiement si libre de l’imagination
permet même à Beauchamp de présenter une contrainte concrète (l’interdiction du voile) comme une non-contrainte.
Ainsi, ce recours à la TFC en dit bien plus sur ses utilisatrices que sur celles dont elles prétendent expliquer l’action9.
48Lorsqu’on s’arrête au contexte au sein duquel ces déclarations ont été lancées, on aperçoit clairement les
conséquences politiques potentiellement néfastes de la démarche explicative égocentrique décortiquée par Boudon.
Depuis la crise des accommodements raisonnables, une rumeur anonyme répète inlassablement que les Québécois
musulmans, comme d’autres minorités religieuses du reste, seraient enclins au fanatisme, que leurs demandes seraient
insatiables, qu’ils voudraient au fond nous imposer leur loi. Cette rumeur obsédante, qui alimente la peur et la colère,
puis se nourrit d’elles en retour, en pousse plusieurs, rendus méfiants, à refuser de prêter davantage l’oreille à ces
minorités et à les sommer de se plier à nos manières. Nous assistons à une mobilisation de la majorité « autour de la
défense de la culture canadienne-française traditionnelle », au moyen de « la marginalisation des communautés
minoritaires » (Anctil, 2016 : 45) : à une redéfinition du « nous » québécois contre ces minorités, en particulier les
musulmans.
Cette utilisation de la TFC est bien plus inquiétante que celle réalisée par des intellectuels marginalisés. Les ouvriers
visés par les intellectuels marxistes ignoraient sans doute jusqu’à l’existence de ces derniers. On peut se demander
jusqu’à quel point les Québécoises musulmanes, dans le contexte actuel, peuvent se permettre d’ignorer ceux qui leur
collent l’étiquette de fausse conscience. Durant des épisodes névralgiques récurrents10, les passions contre elles se
déchaînent avec une virulence saisissante : les interventions dirigées contre les Québécois musulmans pullulent (dans
les lettres ouvertes aux journaux, les chroniques d’opinion, les commentaires sur les réseaux sociaux) ; chaque
témoignage public par des femmes porteuses de voile suscite des attaques personnelles, visant leur crédibilité ;
plusieurs d’entre elles se font agresser verbalement ou physiquement (crachats, arrachage du voile, etc.) dans la rue,
par des quidams (Potvin, 2016). Ainsi, bien avant l’attentat terroriste dirigé contre le Centre culturel islamique de
Québec, en janvier 2017, les Québécoises musulmanes pouvaient difficilement ignorer les discours les prenant à
partie.
Assurément, les esprits féministes émancipateurs qui expliquent le choix des porteuses de voile par la fausse
conscience sont loin de se confondre avec ce mouvement de repli identitaire. Et pourtant, l’explication qu’ils mettent
en avant tend curieusement à les en rapprocher. Lorsque j’attribue une fausse conscience aux Québécoises voilées, je
suis porté à ne pas vouloir entendre leurs discours trompeurs, ce qui contribue à les exclure de notre conversation
démocratique. Par ailleurs, dans la mesure où l’explication que je mets alors de l’avant traite implicitement mes choix
de vie comme un modèle universel, où le portrait de l’humain libéré que cette explication implique est au fond mon
portrait, l’exhortation que j’adresse à ces femmes – soyez libre ! – se confond, dans la pratique, avec l’exigence des
tenants du repli identitaire – soyez comme nous ! Ainsi, le discours à deux niveaux qui est impliqué dans cette
attribution de fausse conscience contribue à l’habile « double discours » (Anctil, 2016 : 60), courant au moins depuis
l’épisode de la Charte des valeurs, qui sous couvert d’un généreux discours universaliste glorifie en douce la
supériorité du groupe majoritaire.
Bibliographie
ANCTIL, Pierre (2016), « La charte de la confusion : réflexions au sujet du processus de consultation entourant la Charte des valeurs », dans
Alain-G. GAGNON et Jean-Charles ST-LOUIS (dir.), Les Conditions du dialogue au Québec : laïcité, réciprocité, pluralisme, Montréal, Québec
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PAYETTE, Lise (2008), « La fragile égalité hommes-femmes », Le Devoir, 23 mai, [en ligne] http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-
societe/190839/la-fragile-egalite-hommes-femmes (25 novembre 2016).
POTVIN, Maryse (2016), « Interethnic Relations and Racism in Québec » dans Jarrett RUDY, Stephan GERVAIS et
Christopher KIRKEY (dir.), Quebec Questions: Quebec Studies for the Twenty-First Century, Oxford, Oxford University Press, p. 271-296.
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VOLOŠINOV, Valentin Nikolaievich (1980), « Le freudisme ; essai critique », dans Mikhaïl BAKHTINE, Écrits sur le freudisme, Paris, L’âge
d’homme, p. 79-212.
Notes
1 J’utiliserai ce terme, de préférence à « idéologie » ; ce dernier terme, s’étant fait accorder des significations extrêmement variées, risquerait de
susciter des malentendus.
2 La réaction d’un lecteur anonyme à la version précédente du présent texte illustre bien cette difficulté : selon lui, cet article viserait les « débats
entourant le port du voile au Québec », voire « la pratique religieuse du port du voile ».
3 Cette reconstruction critique est largement méconnue. Même un ouvrage proposant une discussion approfondie du programme boudonien de
sociologie de la croyance (Capdevila, 2004) ne mentionne pas cette analyse. Il faut dire que Boudon est surtout connu pour sa défense d’une
philosophie sociale atomiste et d’une politique libérale.
J’aborderai cette reconstruction critique sans m’intéresser à ces dernières positions. Nous sommes portés à traiter les théories des intellectuels
comme des systèmes théoriques soigneusement assemblés, où les différents éléments s’appellent nécessairement les uns les autres. Or l’analyse
critique qui nous intéresse est logiquement indépendante de l’individualisme méthodologique et de la position politique libérale de Boudon, ce
que démontre notamment le fait qu’une critique remarquablement convergente a été esquissée par des auteurs (Valentin N. Vološinov et Nestor
Capdevila) adhérant à des philosophies sociales et à des programmes politiques on ne peut plus divergents.
4 Boudon fait ici référence à Chinoy, 1952 (note de J.-B. L.).
5 Malheureusement, Vološinov n’approfondit pas cette hypothèse (il n’analyse pas d’utilisations concrètes de cette théorie du refoulement, ne
confronte pas son hypothèse aux textes de Freud, etc.). Dans La Grammaire intérieure ; une sociologie historique de la
psychanalyse (Lamarche, 2016), j’ai proposé une analyse plus détaillée de ces transpositions psychanalytiques.
6 Dans le troisième intermède de Le malade imaginaire (Molière, 2013 : 245).
7 Boudon souligne que la connaissance sociale est « le fait non pas d’acteurs désincarnés, capables de contempler la réalité comme de
l’extérieur, mais, au contraire, d’acteurs socialement situés » (1992a : 107). Peut-être s’inspire-t-il ici de John Dewey, qui s’oppose à la
conception « intellectualiste » du connaître, celle qui le conçoit comme « l’acte d’un spectateur se tenant en dehors de la scène naturelle et
sociale » (2014 : 21). Or Dewey ne rappelle pas simplement, comme Boudon, l’importance de situer la connaissance ; il écrit aussi qu’il faut
l’appréhender comme « l’acte d’un participant » de la scène sociale, qui transforme réellement celle-ci (2014 : 212).
8 On peut imaginer d’autres cas, mixtes, par exemple lorsque ces deux formes de dominations coexistent : des gens réellement victimes de la
fausse conscience sont alors simultanément victimes de ceux-là qui prétendent les en libérer.
9 Que nous disent ici Payette et Beauchamp sur ces Québécoises voilées ? Des évidences (comme tout être humain, elles vivent des pressions
sociales) et des présomptions (car que savent réellement Payette et Beauchamp des positions et actions de l’entourage de ces Québécoises ?).
10 Durant la Crise des accommodements raisonnables (en 2006-2007), celle de la Charte des valeurs (en 2013-2014) et peut-être aussi durant le
débat public sur le projet de Loi 21 (en 2019).

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