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LA REPRÉSENTATION MÉDIATIQUE DU PHÉNOMÈNE TERRORISTE :

QUELQUES ENSEIGNEMENTS DU CAS NORD-IRLANDAIS

Élise Féron

L’Esprit du temps | « Topique »

2003/2 N°83 | pages 135 à 147


ISSN 0040-9375
DOI 10.3917/top.083.0135
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-topique-2003-2-page-135.htm
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La représentation médiatique
du phénomène terroriste :
Quelques enseignements
du cas nord-irlandais

Elise Féron

Le concept de terrorisme, par la diversité des situations qu’il recouvre,


semble peu opérationnel en sciences humaines ; agrégeant des formes d’action
et des groupes très différents (groupes paramilitaires, narcotrafiquants, mais
aussi Etats), ce concept crée une unité artificielle entre des phénomènes en
réalité extrêmement hétérogènes. De plus, l’investissement affectif et émotionnel
dont il fait l’objet court-circuite l’analyse, les médias abordant généralement
ce phénomène sur les registres du fantasme, de la menace, et de l’imaginaire
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de l’insécurité. Ce terme, utilisé afin de disqualifier la violence de l’autre, sert
ainsi d’arme dans un combat politique et symbolique qui voit s’affronter Etats,
détenteurs du monopole de la violence physique légitime et groupes armés
contestant ce monopole. Le caractère extrêmement polémique de ce concept est
rendu encore plus évident par le fait que certains acteurs passent, quasiment
instantanément, du statut peu enviable de “terroristes” aux yeux des médias et
des gouvernements, à celui d’interlocuteurs légitimes, dans des négociations
de paix par exemple. Les exemples célèbres de ce basculement ne manquent
pas : résistants français pendant l’occupation allemande, Fatah de Yasser Arafat,
ANC de Nelson Mandela, groupe Irgoun en Israël, etc.
Dans ces mécanismes de stigmatisation des terroristes, ou de basculement
de leur statut, les médias jouent de toute évidence un rôle central. Dans le
contexte actuel de “lutte mondiale” contre le terrorisme, il paraît donc intéressant
d’étudier l’impact des attentats du 11 septembre 2001 sur la couverture média-
tique des activités de l’IRA en Irlande du Nord, et sur la perception et la
description du phénomène terroriste en général par la presse écrite accessible
à la population nord-irlandaise. A partir de l’étude de quatre quotidiens distribués
en Irlande du Nord (The Guardian, The Daily Telegraph, The Irish Times et The
Belfast Telegraph), et plus particulièrement des articles de ces journaux traitant

Topique, 2003, 83, 135-147.


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de l’IRA ou des attentats du 11 septembre, nous avons ainsi entrepris de repérer


les constantes et les évolutions dans l’emploi du terme terrorisme, et dans la
manière dont ce terme est appliqué à l’IRA.

MÉDIAS ET TERRORISME – QUELQUES POINTS DE REPÈRE

Les relations entre médias et terroristes sont par nature ambiguës, car le
répertoire d’action des terroristes, en particulier lorsqu’il donne une large part
aux actions violentes, semble inconciliable avec celui des sociétés démocra-
tiques ; la violence qu’ils utilisent court-circuite le dialogue, la discussion ou
l’argumentation, et provoque le choc et la panique ; en revanche, elle suscite
de puissantes émotions et des images fortes qui fascinent les médias. En d’autres
termes, et même si les stratégies des groupes terroristes sont multidimension-
nelles et complexes, et ne sauraient être réduites aux seuls attentats, ce qui lie
indissociablement médias et terroristes, c’est la faculté de ces derniers à susciter
des émotions individuelles et collectives dont les médias se font ensuite les
vecteurs et les amplificateurs. Ainsi que l’expliquent Didier Bigo et Daniel
Hermant à propos des attentats, “ils convertissent la matérialité de la violence
en une logique de violence théâtrale”1. La dynamique du phénomène terroriste
procède ainsi de l’interaction entre groupes terroristes et pouvoirs publics, mais
aussi, comme l’ont notamment observé M. Wieviorka et D. Wolton2, avec les
médias. Ces relations inextricables viennent du fait que la lutte entre terrorisme
et pouvoirs publics se joue essentiellement sur le terrain de l’opinion publique.
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Sans ce recours à l’opinion publique, à ses émotions et à ses jugements, les
groupes terroristes perdraient une arme de persuasion importante. Pourtant, le
terrorisme entretient une relation ambiguë à la publicité, dans la mesure où
c’est un phénomène qui s’entoure de secret, de clandestinité, mais dont les
actes ne deviennent importants et efficaces qu’à la condition d’être publics. De
la même manière, il est frappant de constater le décalage existant souvent entre
des actes de propagande en général assez réussis (les actes terroristes eux-
mêmes) dans le sens où ils frappent l’opinion publique, et une communication
politique des groupes terroristes qui, figée dans une langue de bois stéréotypée,
ne parvient pas à convaincre ou émouvoir l’opinion. Ainsi, il arrive souvent que
le sens que les terroristes ont voulu donner à leur acte demeure inconnu, ou
illisible, pour le grand public et les médias. Les groupes terroristes cherchent
avant tout à provoquer un choc dans l’opinion, et pas tellement une interaction
avec celle-ci.
Les médias apparaissent souvent coupables d’entretenir le phénomène terro-
riste, en lui offrant une tribune sans laquelle il n’aurait pas de raison d’être. En

1. D. Bigo, D. Hermant, “La relation terroriste”, Etudes Polémologiques, n°47, 3/88, p. 68.
2. Voir leur ouvrage Terrorisme à la une, Paris, Gallimard, 1987.
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créant une atmosphère d’angoisse et de tension, le terrorisme se sert des moyens


de communication afin de favoriser la mobilisation des militants et de l’opinion
publique. Par ailleurs, plusieurs auteurs ont montré que les caractéristiques
mêmes du système médiatique occidental pouvaient expliquer ses rapports au
terrorisme. Jerry Mander 3 par exemple a mis depuis longtemps en avant l’idée
d’escalade, de surenchère dans les médias, qui aboutit finalement à une violence
aveugle dont le terrorisme est l’une des expressions possibles, tandis que pour
Friedrich Hacker 4 les médias diffusent une culture de la violence qui nourrit
le terrorisme. D’autres auteurs ont également insisté sur l’effet de contagion par
imitation suscité par les médias, ces derniers banalisant l’expérience et les
moyens d’action terroristes, et finalement, en constituant le stimulateur. De la
même manière, au niveau de l’individu, on a relevé les prédispositions à des
carrières terroristes de personnes à personnalité instable, et le rôle des médias
dans la stimulation de ces prédispositions et dans la romantisation du terro-
risme. Dès lors, certains auteurs célèbres comme Marshall McLuhan prônent
la censure totale des actes de terrorisme, grâce au principe du “black out”. Mais
outre que cette censure ne peut être complète, compte-tenu notamment du
caractère souvent international des événements terroristes, cette solution s’avère
insatisfaisante du point de vue démocratique.
D’après Wolton et Wieviorka, les médias adoptent trois types de compor-
tements principaux face aux terroristes, ce qui interdit d’enfermer leurs relations
dans un schéma unique :
- la fascination/répulsion, qui peut faire le jeu des terroristes ;
- l’accent mis sur l’importance de l’indépendance des médias, avec une
prise de distance aussi bien vis-à-vis des pouvoirs publics que des terroristes,
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qu’ils soupçonnent pareillement de vouloir les manipuler ;
- la “solidarité démocratique”, avec l’idée que l’adversaire principal des
médias reste quand même le terrorisme en ce qu’il menace la démocratie et la
liberté d’expression
De la même manière, l’usage stratégique des médias par les groupes terro-
ristes est limité et correspond à des conjonctures précises. Là encore, on peut
distinguer trois phases dans la manière dont les terroristes se comportent vis-
à-vis de médias : d’abord l’indifférence relative, puis une stratégie médiatique
développée par les terroristes, et enfin une phase de rupture et de menaces, les
terroristes assimilant les médias au système combattu. De même, cette stratégie
peut être employée à des niveaux différents simultanément ou non, par exemple
au niveau local et international.
Une réponse adaptée au phénomène terroriste ne peut dès lors découler que
d’une prise en compte attentive de ces relations complexes entre terrorisme,
médias, et opinion publique. L’un des premiers facteurs décisifs est bien entendu
le statut des médias dans les pays étudiés, et leurs rapports aux pouvoirs en place.

3. Jerry Mander, Four arguments for the Elimination of Television, New York, Kill, 1977.
4. Friedrich Hacker, Terreur et terrorisme, Paris, Flammarion, 1976.
138 TOPIQUE

Mais il est également intéressant de constater qu’en règle générale, plus les
pouvoirs publics semblent dépassés et pris de court face au phénomène terro-
riste, plus les médias prennent une place importante dans les débats autour des
actes terroristes. Il est enfin utile de rappeler que l’existence ou non d’une base
sociale et/ou culturelle, religieuse, du phénomène terroriste, détermine en grande
partie non seulement l’ampleur du recours aux médias par ces groupes, mais
également l’efficacité d’une “contre-propagande” des pouvoirs publics. En
particulier, il apparaît que l’absence d’une base sociale solide pousse les terro-
ristes à accentuer le caractère théâtral et médiatique de leurs actions, tandis
que l’existence d’une base sociale importante de ces groupes peut rendre presque
inefficaces les stratégies de communication élaborées par les pouvoirs publics
pour contrer le terrorisme. Certains exemples comme celui de l’Irlande du Nord
montrent ainsi que lorsque l’armée essaie de contrôler l’information, l’impact
du terrorisme ne disparaît pas forcément pour autant (ce dont témoigne l’échec
de la stratégie de criminalisation des membres de l’IRA initiée par le gouver-
nement Thatcher à la fin des années 1970).

L’IRLANDE DU NORD AU MOMENT DES ATTENTATS DU


11 SEPTEMBRE : UN CONTEXTE SPÉCIFIQUE

Du point de vue de l’appréhension du phénomène terroriste, l’Irlande du


Nord possède plusieurs caractéristiques spécifiques :
- D’abord, l’Irlande, la Grande-Bretagne aussi bien que l’Irlande du Nord
ont un rapport particulier au phénomène terroriste, puisque en raison du conflit
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nord-irlandais ces populations ont été familiarisées depuis de nombreuses
années avec les attentats et les autres actes terroristes ; le terrorisme occupe
ainsi dans ces pays, depuis les années 1970, une place importante dans les
médias. Cette proximité du terrorisme peut expliquer une certaine empathie
des Irlandais et Britanniques vis-à-vis des Américains au moment des attentats
du 11 septembre, qui, ajoutée aux différents liens, notamment démographiques,
qui existent entre ces peuples, leur donne l’impression de parler en connaissance
de cause.
- Le contexte est spécifique aussi en raison du processus de paix entamé en
Irlande du Nord depuis près de 10 ans, et qui s’est matérialisé en 1998 par la
signature d’un accord de paix entre les différents représentants politiques de la
province. Cette relative pacification de la situation nord-irlandaise a contribué
à éloigner la menace terroriste des esprits des habitants. Néanmoins, certains
attentats ayant eu lieu relativement récemment, comme l’attentat d’Omagh en
août 1998, qui avait fait 29 morts, font que le terrorisme continue à incarner
une grande peur populaire en Irlande et en Grande-Bretagne. D’un autre côté,
le processus de paix a également créé une attente, celle du désarmement des
différents groupes terroristes nord-irlandais, et en particulier de l’IRA. Cette
dernière avait gagné en respectabilité en participant, par le biais de sa branche
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TERRORISTE : QUELQUES ENSEIGNEMENTS DU CAS NORD-IRLANDAIS

politique le Sinn Féin, aux négociations de paix, mais les attentats du


11 septembre ont apparemment accru la pression sur les dirigeants de l’IRA pour
qu’ils procèdent le plus rapidement possible à son désarmement total.
- Enfin, troisième facteur important, la scène médiatique nord-irlandaise est
très complexe, puisqu’elle est clivée en fonction des appartenances commu-
nautaires de la population (catholiques/protestants), et que les médias protestants
et catholiques proposent la plupart du temps des interprétations différentes du
terrorisme, selon que celui-ci émane de leur communauté ou pas 5. Il existe
aussi un autre clivage, qu’on peut appeler de “classe”, entre journaux populaires
et journaux s’adressant aux classes plus élevées. Par exemple, dans les journaux
populaires, les militants de l’IRA sont les “boys”, les gars, tandis que dans les
classes plus élevées ce sont au mieux des bandits, au pire des criminels. Ces
visions différentes du phénomène paramilitaire et terroriste interdisent donc
de tirer des conclusions simplistes sur l’attitude de la population nord-irlandaise
à l’encontre du terrorisme.
Cette familiarité vis-à-vis des actes terroristes, ainsi que la nouvelle respec-
tabilité gagnée par les principaux groupes paramilitaires après la signature des
accords de paix de 1998, et avant les attentats du 11 septembre, font que la
situation nord-irlandaise est particulièrement intéressante pour l’étude de
l’impact de ces attentats sur les relations entre médias et terrorisme.

AVANT LES ACCORDS DE PAIX DE 1998 : LA STIGMATISATION DES


TERRORISTES
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Le discours des médias britanniques et irlandais vis-à-vis du phénomène
terroriste en Irlande du Nord depuis qu’il s’est fait extrêmement virulent, c’est-
à-dire depuis le début des années 1970, était, jusqu’à une période récente,
fortement marqué par les prises de position officielles des gouvernements
britannique et irlandais. Ce discours, qui peut être qualifié de sécuritaire, vise
à répondre au terrorisme et au sentiment d’insécurité ressenti par les popula-
tions ; ses caractéristiques principales sont en conséquence d’être un appel à
l’ordre, axé contre la violence, et trouvant dans les terroristes de tous bords, et
plus particulièrement de l’IRA, sa cible idéale. Ce discours d’origine officielle
a été assez constamment relayé par les médias, avec toutefois une certaine
tendance à la distanciation depuis le début des années 1980 et jusqu’en
septembre 2001. Néanmoins, il convient de constater que puisque les allocu-
tions des hommes politiques sont retransmises ou retranscrites à l’opinion
publique par le biais des médias, ces derniers se trouvent en quelque sorte

5. Dans le cadre de cette étude, nous avons concentré notre attention sur trois journaux “inter-
nationaux”, The Daily Telegraph, The Irish Times et The Guardian, et un seul journal
spécifiquement nord-irlandais, le Belfast Telegraph, journal habituellement étiqueté unioniste
modéré.
140 TOPIQUE

mécaniquement porteurs de cette thématique sécuritaire.


Ce type de discours s’appuie sur trois registres interdépendants: d’abord
une idéologie sécuritaire, puis un imaginaire de l’insécurité, et enfin une identi-
fication de la démocratie et de la sécurité. Ce discours part ainsi du présupposé
que tout trouble de l’ordre public est illégitime, et qu’il faut en conséquence
employer tous les moyens possibles pour y remédier, dans l’intérêt de tous. Ce
thème marque l’enclenchement d’un processus de stigmatisation des terro-
ristes, et plus particulièrement des paramilitaires républicains, en “fauteurs de
troubles”, afin de leur ôter toute prétention de légitimité. Le but politique de
leurs actions et attentats est donc effacé au profit d’un trouble de l’ordre public,
comme s’il s’agissait de hooligans. C’est ainsi que John Major, à la suite d’un
attentat de l’IRA en février 1996, au milieu du processus de paix, dénonce la
violence de l’IRA comme s’il s’agissait uniquement d’une violence gratuite et
sans objet, et réaffirme l’impératif majeur de sécurité : “Nous serons vigilants
quant à la sécurité à la fois en Grande-Bretagne et en Irlande du Nord. Nous
allons évaluer prudemment et calmement ce défi au processus de paix”6. Ce
faisant, il court-circuite complètement les explications éventuelles de cet
attentat, et les raisons qui ont poussé l’IRA à rompre un processus de paix
qu’elle a elle-même en grande partie initié. Ainsi, en ôtant aux terroristes toute
motivation rationnelle, ce discours sécuritaire en fait des fous dangereux pour
les fondements de la société civile, contre lesquels il est donc légitime de
prendre toutes les mesures possibles, même celles qui réduisent la liberté indivi-
duelle, comme ce fut le cas en Novembre 1974 : “L’éloignement de la
Grande-Bretagne vis-à-vis de l’Irlande du Nord fut illustré avec éclat en
Novembre 1974 quand, à la suite de l’explosion d’une bombe de l’IRA à
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Birmingham, le gouvernement fit adopter à Westminster une “Loi de Prévention
du Terrorisme” qui, ainsi que l’admit en privé un ministre du cabinet travailliste,
était “équivalente à bannir des citoyens britanniques” d’Irlande du Nord, qui
était pourtant supposée faire partie du Royaume Uni” 7. Ce type de discours
s’appuie donc avant tout sur une constatation d’un trouble de l’ordre public,
appelant une remise en ordre rapide, et une élimination des fauteurs de trouble,
sans lesquels la société nord-irlandaise pourra reprendre toutes les apparences
d’un Etat de droit.
Le deuxième registre de l’imaginaire sur lequel se fonde ce premier
ensemble de discours est un imaginaire de l’insécurité, qui insiste non plus sur
le thème de l’ordre et du désordre, mais sur celui du danger et de la menace.
Ce registre imaginaire joue sur un vocabulaire spécifique, stigmatisateur et
manichéen. En particulier, il existe depuis la fin des années 1960 un enjeu
autour de l’utilisation du terme “terroristes” pour désigner les militants de
l’IRA, comme c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des pays confrontés à ce

6. John Major, cité par le Sunday Times, 11 février 1996, p. 2.


7. D.G. Boyce, The Irish Question and British Politics 1868-1986, Basingstoke, Macmillan,
1988, p. 115.
ELISE FÉRON – LA REPRÉSENTATION MÉDIATIQUE DU PHÉNOMÈNE 141
TERRORISTE : QUELQUES ENSEIGNEMENTS DU CAS NORD-IRLANDAIS

phénomène : “La qualification du terroriste est donc l’enjeu d’une lutte symbo-
lique pour convaincre les tiers. Elle repose sur une argumentation à propos de
la légitimité de la cause, mais aussi sur une instrumentation visant à l’assi-
gnation du sens par la monopolisation de la parole dite légitime, avec la tentation
corrélative de la monopolisation des discours répercutés par les médias, ce qui
explique les pressions sur ces derniers”8. Ainsi, le gouvernement britannique,
jusqu’à la signature des accords de paix de 1998, tend à utiliser presque exclu-
sivement le terme de “terroristes” pour désigner l’IRA, tandis que ce terme est
employé avec plus de précautions par les autres gouvernements, à commencer
par le gouvernement de la République du Sud, ainsi que par les journalistes.
On constate d’ailleurs que chez ces derniers, le terme “terroristes” est utilisé
surtout en Grande-Bretagne, et beaucoup moins en Irlande, aux Etats-Unis, en
Europe et dans le reste du monde9. Ceci s’explique par un phénomène naturel
de mimétisme (reprise des propos des hommes politiques britanniques), par un
réflexe de soutien de la politique et de la rhétorique gouvernementale, aussi bien
que par une politique d’incitation, sinon de censure, menée par le gouvernement
britannique, relayée par des mesures de contrôle des sources d’information
journalistiques10. Toutefois, même si cette acceptation du terme “terroristes”
semblait quasiment unanime dans la presse britannique, certains journaux,
comme The Independent, avaient commencé plusieurs années avant la signature
des accords de paix à prendre leurs distances avec le vocabulaire officiel :
“Terroriste est un mot employé abusivement, mais qui a encore une signifi-
cation précise. Le terrorisme est une action violente visant à créer de la terreur
parmi une population civile afin de déstabiliser un gouvernement. Ainsi, un
membre de l’IRA qui plante une bombe dans un lieu public agit comme un
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terroriste ; mais celui qui tue un soldat britannique ne l’est pas… Il faut résister
à l’habitude irréfléchie de toujours désigner l’IRA par le terme ‘terroristes’ ” 11.
Enfin, le troisième thème principal sur lequel s’appuie ce discours sécuri-
taire est celui de l’identification de la démocratie et de la sécurité, des terroristes
et des anti-démocrates. Il s’agit en fait d’une sorte de détournement ou de
perversion de l’idéologie démocratique, qui accuse les paramilitaires de réduire
les libertés individuelles et donc de nuire à la démocratie par leurs actes
menaçant la sécurité publique. Puisque démocratie et sécurité sont amalgamées,
toutes les mesures en vue de rétablir une meilleure sécurité sont également
légitimées par avance, puisqu’il s’agit de protéger ou de rétablir un régime
démocratique, même celles qui aboutissent à restreindre la liberté de la presse :

8. Didier Bigo, Daniel Hermant, “La Relation Terroriste”, in Etudes Polémologiques, n°47,
opus cité p. 54.
9. Voir à ce sujet le livre de David Miller, Don’t Mention the War, Northern Ireland,
Propaganda and the Media, London, Pluto Press, 1994, pp. 160-201.
10. Voir également à ce sujet le livre de Liz Curtis, Ireland : The Propaganda War, The
British Media and the Battle for Hearts and Minds, London, Pluto Press, 1984, 336 p.
11. Guy Keleny (éd.), The Independent Style Book 1992, London, The Independent, 1992,
pp. 60-61.
142 TOPIQUE

“La légitimation de l’activité du gouvernement s’appuie principalement sur sa


prétention à être démocratique et ainsi à avoir le contrôle du monopole de la
violence légitime. Les tentatives pour relancer la censure en tant que “restric-
tions” dans l’intérêt de “la sécurité nationale” sont en conséquence un thème
central dans la rhétorique du gouvernement”12. Ce type de discours fournit donc
une série de représentations, d’archétypes et de stéréotypes quant au conflit et
à ses différents protagonistes, construite à partir d’un imaginaire de l’insécurité
et du danger. Ainsi, l’image du conflit en général qui se dégage de ces discours
est celle d’un combat pour ou contre la démocratie, de l’ordre contre le désordre.
L’Etat prend de cette manière la position du défenseur des libertés individuelles
et de l’Etat de droit contre des terroristes violents et sanguinaires, en un schéma
manichéen qui est volontiers repris par les médias : “Le gouvernement a
tendance à essayer d’incorporer et de coopter les médias comme parties d’un
dispositif de sécurité nationale – simplement comme une autre arme dans le
“combat contre le terrorisme”. Cette stratégie a connu un certain succès en ce
que (…) les reporters ont dans l’ensemble accepté la définition étatique du
conflit en Irlande comme celui du “terrorisme” contre la “démocratie””13. De
la même manière, les acteurs du conflit prennent dans ce discours un rôle bien
précis qui détermine leur caractère bon ou mauvais, et la nature noble ou non
de leur tâche ; on peut distinguer d’abord les terroristes, qui représentent les
“méchants”14, les soldats britanniques et les forces de l’ordre qui au contraire
n’ont que de bonnes intentions, les peuples britannique, irlandais et nord
irlandais qui sont à la fois innocents et victimes des atrocités commises par
une “minorité agissante”, et les gouvernements britannique et irlandais qui sont
eux aussi victimes de la politique et de l’Histoire. L’image du rôle et de la
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position des Etats britannique et irlandais occupe d’ailleurs logiquement une
place centrale dans ces discours, avec une insistance sur sa mission de préser-
vation de la démocratie, de l’Etat de droit, et sa politique de lutte pour le
maintien de la sécurité contre les terroristes.
Ces trois registres aident à la constitution d’un discours journalistique relati-
vement cohérent à l’encontre du terrorisme ; toute légitimité est niée aux
activités terroristes, qui sont présentées tout à la fois comme irrationnelles,
destructrices de sens et de modernité.

12. David Miller, Don’t Mention the War, Northern Ireland, Propaganda and the Media,
opus cité p. 63.
13. David Miller, Don’t Mention the War, Northern Ireland, Propaganda and the Media,
opus cité p. 64.
14. D’ailleurs, la plupart des politiciens britanniques utilisent souvent le terme “evil”
(“mauvais”, “mal”, ou même “diabolique”) pour qualifier les militants républicains et leurs actes.
ELISE FÉRON – LA REPRÉSENTATION MÉDIATIQUE DU PHÉNOMÈNE 143
TERRORISTE : QUELQUES ENSEIGNEMENTS DU CAS NORD-IRLANDAIS

QUAND LES TERRORISTES DEVIENNENT DES INTERLOCUTEURS


LÉGITIMES…

A la suite de la signature des accords de paix de 1998, une évolution dans


le traitement médiatique des activités des groupes paramilitaires nord-irlan-
dais, et notamment de l’IRA, a été perceptible. En effet, le fait que la branche
politique de l’IRA, le Sinn Féin, ait été incluse dans les négociations de paix,
et ait signé l’accord final mettant notamment en place un gouvernement de
partage du pouvoir entre les différents partis politiques de la province, lui a
permis de gagner en respectabilité aussi bien aux yeux des gouvernements
irlandais et britannique que des médias. Une partie de cette nouvelle respec-
tabilité a rejailli sur l’IRA, en ce que cette dernière paraissait soutenir sans
équivoque le processus de paix en cours ; il faut en effet rappeler que depuis
1994, même si elle a refusé de mener un complet désarmement, l’IRA a offi-
ciellement déclaré un cessez-le-feu, ce qui la place parmi les partisans de la
paix, même si bien entendu cela ne signifie pas qu’elle soit inactive. De ce
fait, essentiellement entre 1998 et 2001, les médias ont eu tendance à insister
davantage sur l’impact politique que sur l’aspect terroriste des activités de
l’IRA, même si la question du désarmement de cette dernière est restée sous-
jacente en permanence. De plus, le fait que les accords de paix prévoyaient
explicitement l’inclusion des groupes armés non seulement dans les négocia-
tions, mais aussi et surtout dans le gouvernement de partage du pouvoir mis
en place par ces mêmes accords, a provoqué un glissement à la fois symbo-
lique et sémantique dans le traitement médiatique du terrorisme en Irlande du
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Nord ; en effet, ceux que les journalistes désignaient auparavant comme des
terroristes ou des alliés des terroristes, à savoir les membres du Sinn Féin,
ainsi que des partis politiques protestants comme le Progressive Unionist
Party (PUP) et le Ulster Democratic Party (UDP), soutenant respectivement
les groupes paramilitaires loyalistes UVF et UDA, sont devenus par là même
de respectables et très officiels membres d’une assemblée ou d’un gouverne-
ment reconnus comme légitimes par la Grande-Bretagne aussi bien que la
République d’Irlande.
En ce sens, on a pu assister au passage d’un discours stigmatisant et morali-
sateur à l’égard des groupes paramilitaires, à un discours leur reconnaissant au
moins une certaine légitimité en matière d’action politique, le tout restant en
permanence conditionné par l’accomplissement de leur désarmement. Ce
changement a été perceptible à la fois dans le ton et dans le vocabulaire utilisés
pour évoquer les activités des divers groupes paramilitaires nord-irlandais :
alors que le terme de “terroristes”15 était, ainsi que nous l’avons vu, le plus
fréquemment utilisé, notre échantillon d’articles semble montrer qu’après la

15. En anglais, “terrorists” ou “gunmen”.


144 TOPIQUE

signature des accords de 1998 cet emploi disparaît, pour laisser la place à des
termes plus neutres, les qualificatifs de “républicains” à l’égard des militants
de l’IRA, et de “loyalistes” à l’égard des militants loyalistes, étant les deux
termes les plus fréquemment utilisés. A un mot profondément connoté politi-
quement et moralement, celui de “terroristes”, les journalistes substituent donc
des termes plus descriptifs, et moins polémiques.

APRÈS LE 11 SEPTEMBRE : CONFUSION ET DURCISSEMENT DU DIS-


COURS MÉDIATIQUE

Les attentats du 11 septembre vont néanmoins remettre profondément en


cause cette évolution sémantique, en raison de l’amalgame constant et
immédiat que font les médias entre le terrorisme international du type de
celui d’Al Qaïda, et le terrorisme interne du type de celui de l’IRA. Aucune
distinction n’est opérée, et on perçoit au contraire une tendance des médias
irlandais et britanniques à rechercher des indices d’activités internationales
de l’IRA, tendant à montrer que malgré le cessez-le-feu de cette dernière, on
a affaire au même type de phénomène terroriste, et cela même si leurs
méthodes d’action et objectifs demeurent indéniablement différents. C’est
ce qui amène les journalistes à mettre l’accent sur les activités de l’IRA hors
des îles britanniques, comme part exemple son implication dans l’entraî-
nement et le soutien aux FARC en Colombie. De ce fait, les médias brouillent
un peu plus la perception du phénomène terroriste, et entravent sa compré-
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hension, en amalgamant sous la même étiquette des phénomènes sans doute
tout aussi répréhensibles, mais d’objectifs et de motivations très différents.
Cette tendance est d’ailleurs renforcée par l’attitude des gouvernements
irlandais et britannique, qui se sont servis de la répulsion engendrée dans
l’opinion publique par les attentats d’Al Qaïda afin de faire pression sur l’IRA
pour qu’elle désarme au plus vite. Ainsi John Reid, alors ministre en charge
de l’Irlande du Nord, déclare-t-il après les attentats : “Les attentats-suicide ont
rendu plus clair que jamais le choix qu’il faut faire [en Irlande du Nord] entre
démocratie et terreur, un choix qui ne laisse place à aucune ambiguïté (…).
Les actes terroristes aux Etats-Unis ont souligné toute l’importance qu’il y a
à commencer résolument à résoudre la question des armes des paramilitaires
une fois pour toutes”16. Le retour de l’identification de la démocratie et de la
sécurité, ainsi que d’une idéologie sécuritaire, est par conséquent tout à la fois
frappant et immédiat.
Deuxième enseignement essentiel de cette lecture de la presse irlandaise et
britannique, les attentats du 11 septembre provoquent aussitôt un durcissement

16. Déclaration de John Reid, AFP, 22 septembre 2001.


ELISE FÉRON – LA REPRÉSENTATION MÉDIATIQUE DU PHÉNOMÈNE 145
TERRORISTE : QUELQUES ENSEIGNEMENTS DU CAS NORD-IRLANDAIS

très perceptible du discours médiatique vis-à-vis de l’IRA, qui subit ainsi direc-
tement les conséquences de l’opprobre générale qui s’abat sur le terrorisme. Les
termes de “terroristes”, de “paramilitaires”, de “meurtriers”, ou de “trafiquants
d’armes”, un temps oubliés, réapparaissent dans les articles de journaux. Mais
bien souvent ce durcissement du discours des journalistes n’est que le reflet du
durcissement des discours des pouvoirs publics, dont ils se font donc l’écho.
Ainsi, les attentats du 11 septembre provoquent par ricochet une dramatisation
du phénomène paramilitaire en Irlande du Nord, et la mise en œuvre de mesures
anti-terroristes (par exemple la réactivation ou la réactualisation de lois anti-
terroristes en Grande-Bretagne et en Irlande) qui rappellent les périodes
antérieures de lutte contre l’IRA ; dans les médias, le retour à la diabolisation
du terrorisme est alors immédiat.
Enfin, le troisième enseignement principal de cette étude de la presse
irlandaise et britannique avant et après le 11 septembre montre l’importance
prise par le registre émotionnel dans le traitement médiatique du terrorisme.
Ce registre, qui affleure en permanence, prend une acuité particulière dans le
contexte des attentats contre le World Trade Centre. Tout est fait pour pro-
voquer l’émotion du lecteur, en accentuant la dramatisation des événements
(récits de survivants, reconstitutions “probables” des faits, photos etc.) ainsi
que la diabolisation des terroristes d’Al Qaïda aussi bien que des paramili-
taires nord-irlandais, par l’utilisation d’un vocabulaire stigmatisant et mora-
lisateur, par exemple celui du meurtre et du massacre. Le terrorisme n’est
ainsi évoqué qu’au travers du registre des émotions, de l’insécurité ou de la
menace, ce qui laisse finalement assez peu de place à l’analyse et à la prise
de recul.
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Il est ainsi frappant de constater que deux phénomènes très différents et
éloignés géographiquement, d’une part, le terrorisme international d’Al Qaïda,
et d’autre part, le terrorisme interne à l’Irlande du Nord, sont traités de manière
quasiment similaire par les journalistes. En poussant à son paroxysme un climat
de peur et d’insécurité, les attentats du 11 septembre brouillent les catégories
de perception et substituent l’émotion à l’analyse.

QUELS ENSEIGNEMENTS ET QUESTIONS ?

Cette étude de la presse irlandaise et britannique permet de tirer deux ensei-


gnements essentiels : d’une part, il est nécessaire de préciser et de “durcir”
conceptuellement le terme même de terrorisme ; tel qu’employé à l’heure
actuelle, il désigne en effet de multiples méthodes d’action et situations, et crée
de ce fait une impression d’unité entre des phénomènes en réalité extrêmement
hétérogènes ; en outre, son utilisation dans un contexte de traumatisme
émotionnel tel que celui de l’immédiat après 11 septembre semble liée à un
registre spécifique, celui du fantasme, de la menace, de l’insécurité, qui ne
favorise pas la prise de recul, des journalistes comme de leurs lecteurs, mais
146 TOPIQUE

aussi des chercheurs. D’autre part, l’étude du traitement médiatique des phéno-
mènes terroristes montre qu’il existe un problème évident d’interdépendance
et d’instrumentalisation des médias par les pouvoirs publics, mais aussi par
les groupes terroristes eux-mêmes. L’ambiguïté des relations entre terrorisme,
médias et pouvoirs publics transparaît dans la fascination exercée par les actes
terroristes sur les médias aussi bien que sur l’opinion publique, fascination qui
les conduit à en accentuer l’aspect théâtral. De même, le relatif mimétisme
observé à l’encontre du traitement des phénomènes terroristes entre discours
officiels et discours médiatiques, conduit à s’interroger sur les possibilités de
manipulation de ces derniers, en particulier dans un contexte non démocra-
tique ; entre autres, l’exemple du traitement médiatique par la presse russe
aussi bien qu’internationale du conflit tchétchène, présenté comme un
phénomène terroriste plutôt qu’une guerre d’indépendance, mériterait d’être
approfondi.

Mais beaucoup de questions soulevées par le traitement médiatique du


terrorisme restent pour l’heure encore sans réponse. Outre le nécessaire tra-
vail de théorisation du concept même de terrorisme, évoqué plus haut, il
semble ainsi fondamental de s’interroger sur l’évolution des relations entre
médias, groupes terroristes et pouvoirs publics à la suite des attentats contre
le World Trade Centre : les développements récents de la “guerre psycholo-
gique” influent-ils sur la nature profonde des rapports entre médias et terro-
risme ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils lutter efficacement contre
l’utilisation des médias par des mouvements terroristes ? En particulier, com-
ment lutter contre l’effet de contagion par imitation suscité par les médias,
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ces derniers banalisant l’expérience et les moyens d’action terroristes ? En ce
sens, la psychanalyse et la psychologie ont beaucoup à apporter à l’étude du
terrorisme, non seulement en ce qui concerne la compréhension des terro-
ristes eux-mêmes, mais aussi bien entendu des retombées de leurs actes.
N’existe-t-il pas, au niveau de l’individu, des prédispositions à des carrières
terroristes ? Quel est le rôle exact des médias dans la stimulation de ces pré-
dispositions ? En clair, quelle est la capacité de dissuasion réelle des médias,
ou au contraire, leur rôle dans le passage à l’acte ? De la même manière, les
conséquences psychologiques sur les victimes, mais aussi sur les “specta-
teurs” d’actes terroristes demeurent encore aujourd’hui très mal connues :
quelle peut être l’influence de la connaissance et de la proximité des phéno-
mènes terroristes, pour les Nord-Irlandais par exemple, sur leur perception et
leur compréhension des phénomènes terroristes touchant d’autres pays ? Y a-
t-il des phénomènes d’empathie, non seulement avec les victimes, mais aussi
avec les groupes terroristes eux-mêmes ? Y a-t-il des phénomènes de réacti-
vation du traumatisme pour d’anciennes victimes d’actes de terrorisme ?
Enfin, on peut se demander quelle prise de recul vis-à-vis du terrorisme est
possible pour les individus, lorsque l’émotionnel envahit le champ du rai-
sonnement et de la réflexion ? Autant de pistes de réflexion et de recherche
ELISE FÉRON – LA REPRÉSENTATION MÉDIATIQUE DU PHÉNOMÈNE 147
TERRORISTE : QUELQUES ENSEIGNEMENTS DU CAS NORD-IRLANDAIS

qui indiquent que bien loin d’être un domaine d’étude totalement exploré, le
terrorisme demeure au contraire un champ encore très largement en friche,
pour toutes les disciplines des sciences humaines et sociales.

Élise FÉRON
Centre Interdisciplinaire de Recherches, Paris
Centre d’Etudes Politiques sur l’Europe du Nord, IEP de Lille
8 rue Roger Salengro
59116 Houplines
<e.feron@free.fr>

Elise Féron – La représentation médiatique du phénomène terroriste : quelques ensei-


gnements du cas nord-irlandais

Résumé : La situation nord-irlandaise possède un intérêt évident pour une étude du


traitement médiatique du phénomène terroriste, et de l’impact des attentats du 11 septembre
sur ce traitement. Notre étude révèle que si, durant les quelques années précédant les atten-
tats du World Trade Centre, le discours médiatique à l’encontre des groupes paramilitaires
nord-irlandais s’était considérablement adouci, à la faveur de leur inclusion dans le pro-
cessus de paix, les attentats du 11 septembre ont, par amalgame, provoqué le retour d’une
condamnation sans appel. Depuis lors, les représentations médiatiques du phénomène ter-
roriste demeurent marquées par le registre du fantasme et de l’émotionnel, et surtout par
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un mimétisme évident vis-à-vis des discours officiels des gouvernements.
Mots-clés : Terrorisme – Médias – Irlande Du Nord – Insécurité.

Elise Féron – Reports in the Media of the Terrorist Phenomenon ; What Can We Learn
from the Northern Ireland Case ?

Summary : The Northern Ireland situation is of obvious interest for a study of the treat-
ment by the media of terrorism and of the impact of the September 11th attacks on this
treatment. This study will show how, during the years just preceding the attacks on the
World Trade Centre, the language used by the media with reference to the paramilitary
groups in Northern Ireland had somewhat softened, especially when they became invol-
ved in the peace process. However the September 11th attacks have, by amalgam, turned
the tables round on them once and for all. Now, presentations by the media of terrorism are
marked by highly emotional language from the field of our worst fantasies and moreover,
this language has become again a mirror of the official government position.
Key-words : Terrorism – the Media – Northern Ireland – Insecurity.

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