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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique

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La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective
historique
 Wim Dierckxsens  Ene.2018  Libros

Dans le présent ouvrage, l’auteur est parvenu à analyser avec un remarquable niveau de
discernement la rationalité économique qui depuis les temps les plus anciens a mené les
cultures humaines à leur apogée et à leur déclin, afin de pouvoir mieux ébaucher une
rationalité économique alternative pour l’avenir, qui offrirait une option différente non
seulement au néolibéralisme mais au capitalisme en général. Le thème central de cet ouvrage
est la rencontre, à la fin du capitalisme, du retour vers l’Histoire et de la récupération d’une
vision utopique sur le futur. C’est en ce sens que l’œuvre constitue une excellente antithèse à
celle de Fukuyama qui considère la fin du socialisme réel comme la fin de l’Histoire qui
déboucherait sur une humanité condamnée à perpétuité à vivre dans les chaines du
néolibéralisme sans autre possibilité d’utopie que le néolibéralisme en lui-même.

LA TRANSITION VERS UNE CIVILISATION NOUVELLE

L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique

Wim Dierckxsens

Dans le présent ouvrage, l’auteur est parvenu à analyser avec un remarquable niveau de
discernement la rationalité économique qui depuis les temps les plus anciens a mené les
cultures humaines à leur apogée et à leur déclin, afin de pouvoir mieux ébaucher une
rationalité économique alternative pour l’avenir, qui offrirait une option différente non
seulement au néolibéralisme mais au capitalisme en général. Le thème central de cet ouvrage
est la rencontre, à la fin du capitalisme, du retour vers l’Histoire et de la récupération d’une
vision utopique sur le futur. C’est en ce sens que l’œuvre constitue une excellente antithèse à
celle de Fukuyama qui considère la fin du socialisme réel comme la fin de l’Histoire qui
déboucherait sur une humanité condamnée à perpétuité à vivre dans les chaines du
néolibéralisme sans autre possibilité d’utopie que le néolibéralisme en lui-même.

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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique

Dans son œuvre, Dierckxsens – lorsqu’il signale les progrès et souligne les limites du
néolibéralisme – récupère une vision axée sur l’espoir et parvient à ébaucher les premiers
traits d’une utopie. Déjà dans les années 90, il parvient à signaler d’une manière très nette
les limites d’une rationalité économique propre à la mondialisation, annonçant avant l’heure
la crise boursière et financière au niveau international, l’apparition d’un nouveau conflit
mondial visant à contrôler la répartition du marché mondial, le danger latent du
néofascisme et les premières idées liées à une rationalité économique alternative. Il est par
ailleurs quelque peu ironique de pouvoir constater les conséquences du capitalisme globalisé
telles qu’elles avaient été définies par Marx, conséquences flagrantes en 1998, alors que l’on
célèbre les 150 ans du Manifeste du Communisme et que le marxisme ne compte presque
plus de partisans.
À partir de cette étude, l’auteur s’affirme comme chercheur auprès du Forum mondial des
Alternatives et dans ce contexte participe en 1999 à « l’Autre Davos », qui débouchera par la
suite avec d’autres initiatives parallèles sur le Forum Social Mondial. Dès lors, il écrit des
textes sur la rationalité économique alternative, c’est-à-dire sur l’utopie selon laquelle un
autre monde est possible avec une vision de type macro-économique. Nous pouvons
mentionner ici le livre Du néolibéralisme au post-capitalisme édité par le DEI au Costa Rica
ainsi que La transition au post-capitalisme : le socialisme du 21ème siècle, et plusieurs
articles publiés dans la revue Le Monde Diplomatique en espagnol des éditions Desde Abajo
en Colombie.

Dans cet ouvrage cependant, Wim Dierckxsens réussit à démontrer que la transition d’une
rationalité économique à une autre au cours de l’Histoire de l’humanité contient des
éléments très révélateurs non seulement sur le dénouement de la rationalité existante mais
aussi, et tout spécialement, sur la rationalité future à laquelle nous aspirons. Afin d’avoir
une projection vers l’avenir, l’auteur parvient, avec une acuité remarquable, à définir des
expectatives en puisant dans le passé. C’est à partir de cette approche qu’il réussit à
visualiser l’utopie d’un autre monde possible, une perspective en assez grande perte de
vitesse depuis la chute du Mur de Berlin et qui a resurgi, surtout à partir de 2007, avec la
chute de Wall Street. Le livre nous présente des retrouvailles avec l’utopie à partir d’un
projet de changement de civilisation possible et nécessaire. Ce franc regard vers l’avenir fut
possible grâce à une profonde connaissance de ce qui se trouve derrière le caractère
transitoire de l’Histoire. Sans aucun doute, cette œuvre alimentera les discussions sur les
alternatives au capitalisme, discussions qui demeureront d’actualité pendant encore
longtemps en raison de la profonde crise systémique que nous vivons dans ces moments
historiques.

INTRODUCTION

1. Le caractère transitoire de l’Histoire


Il fut quelque peu ironique de constater qu’alors que nous célébrons les 150 ans du
Manifeste du Parti Communiste, les effets d’un capitalisme mondialisé tels qu’ils avaient été
décrits par Karl Marx et Engels il y a plus d’un siècle et demi semblent se concrétiser
lorsque le marxisme ne compte presque plus de partisans. Vingt ans après la désintégration
de l’Union Soviétique et du bloc socialiste, la pensée unique et triomphante du
néolibéralisme est en crise et il ne s’agit pas seulement du néolibéralisme actuel qui se trouve
en danger mais bien de toute la rationalité capitaliste actuellement au pouvoir. Actuellement
reviennent en force les thèses classiques de Karl Marx sur les relations sociales dans la
production, les forces productives sociales et la prise de conscience de ces dernières, des
forces qui peuvent et doivent entrer en contradiction en leur intérieur. Nous disposons de
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suffisamment de preuves qui indiquent que le capitalisme est arrivé à un tel degré de
développement que les forces productives sociales entrent en contradiction avec les relations
sociales de production telles que nous les connaissons aujourd’hui. De telle sorte qu’en
augmentant la productivité du travail, les relations capitalistes apparaissent chaque fois plus
comme des obstacles à leur propre développement.
La thèse centrale de cette étude sur la rationalité économique est que le capitalisme revêt,
sous le prétexte du néolibéralisme, non seulement une dimension mondiale sans précédents
mais en plus qu’il entre dans une crise sans solution apparente, en démontrant que les
relations actuelles de production menacent son seulement les forces naturelles elles-mêmes
mais qu’elles empêchent également un essor plus conséquent des forces productives sociales.
En d’autres termes, la rationalité du capitalisme traverse une crise qui touche la
maximalisation du taux de profit à partir de la concurrence entre les capitaux privés ; c’est
ainsi que de cette manière, la maximalisation du taux de profit dépend du développement
des forces productives sociales plus que de toute autre chose. Les avancées technologiques
chaque fois plus rapides et le remplacement continuel de produits technologiques par
d’autres plus récents ont été le moteur de la concurrence dans toutes les phases du
capitalisme, surtout durant les cinquante dernières années.

Avec cette logique compétitive, la durée de vie moyenne des produits devient sans cesse plus
courte. Le rythme de la reproduction du capital s’accélère et a dépassé le rythme de
reproduction des forces naturelles, ce qui met en danger la reproduction de ces forces.
Parallèlement, la durée de vie moyenne de la technologie diminue à une telle vitesse que le
coût de l’innovation technologique dans le milieu productif s’accroit de manière
exponentielle. Chacune de ces innovations implique une réduction du coût du travail ; tant
que le rythme de l’augmentation du coût du travail demeurera inférieur aux économies
réalisées sur le coût du travail inhérent à la nouvelle technologie, le taux de profit sera
orienté à la hausse dans le milieu productif. Si le contraire se produit, le taux de profit
s’orientera à la baisse. La première de ces deux tendances fut dominante de l’après-guerre
jusqu’aux années soixante ; par la suite c’est la deuxième qui fut la plus prédominante.

Durant le capitalisme, la tendance à la diminution du taux de profit n’est pas un phénomène


récent. Tout au long de l’Histoire du capitalisme, l’évolution du taux de profit fut cyclique.
Après chaque cycle de baisse, surgissait un nouveau cycle durant lequel le taux de profit était
une fois de plus orienté à la hausse. Les périodes de rebond du taux de profit se caractérisent
par une phase expansive de la production de biens et de services et le contraire se produit
dans les époques où le taux de profit s’oriente à la baisse, époques caractérisées par une
concentration de la richesse déjà existante entre les mains des capitaux les plus puissants.
L’investissement dans la concentration de cette richesse mène à une contraction économique,
autrement dit crée une période de récession. La foi des défenseurs du système repose sur le
credo selon lequel le capitalisme parviendra toujours à s’en sortir grâce à une autre phase
d’expansion de la production. Pour ces partisans du capitalisme, surgira bientôt un nouveau
cycle économique expansif. Cette thèse se base simplement sur la conviction qui veut que
comme le capital est toujours parvenu à se relever, il y parviendra encore une fois. Ces
affirmations sont on ne peut plus subjectives et rien d’objectif ne laisse discerner un tel
regain du capital productif.
Notre thèse est que la réduction de la durée de vie moyenne des produits dans leur ensemble
et de la technologie en particulier a atteint un tel degré qu’il n’est désormais plus possible de
développer une concurrence avec une vie utile si courte. Raccourcir encore plus la durée de
vie moyenne de la technologie détériore également le niveau du taux de profit. Et c’est
précisément là que réside la contradiction : la relation de production en elle-même n’offre
plus la possibilité d’augmenter encore plus le développement des forces productives sociales
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matérielles.
La substitution chaque fois plus rapide des biens en général et de la technologie en
particulier constitue donc une menace non seulement pour la reproduction de la nature mais
aussi pour la reproduction de la rationalité capitaliste en elle-même. Continuer à produire
avec une accélération permanente de l’innovation technologique cesse d’être un facteur
compétitif positif. L’orientation à la baisse du taux de profit est provoquée par la baisse de
productivité du travail elle-même due à l’innovation technologique chaque fois plus rapide.
Conserver les biens en général, et les produits technologiques en particulier, pour plus de
temps avant de les remplacer permet généralement d’obtenir une plus grande productivité
de travail mais freine les rapports de concurrence. Face à la baisse du taux de profit, il n’y a
d’autre solution que de tenter de prolonger la durée de vie utile moyenne des biens.
Cependant avec cet investissement dans les biens, c’est la rationalité du système qui s’en
trouve perturbée. Entrer dans cette nouvelle contradiction suppose une crise pour le
capitalisme mais en aucun cas pour l’humanité. Actuellement, le capital a la possibilité de
lutter pour retarder le plus possible le changement de rationalité économique mais
cependant il ne pourra l’éviter.

Durant toute l’Histoire du capitalisme, le taux de profit oscilla. Au-delà des oscillations
conjoncturelles relativement courtes, il y eut des ondes de choc d’une plus grande amplitude
; les dernières surgirent à partir de la baisse plus ou moins prolongée du taux de profit dans
l’environnement productif, et dans le cas de telles conjonctures le grand capital fuit pour se
réfugier au sein de l’environnement redistributif. Au lieu d’investir dans la création de
nouvelles richesses avec un taux de profit inférieur, le capital investit dans la répartition des
marchés créés avec une concentration de richesse déjà existante. Les cycles improductifs
méritent tout particulièrement notre attention. Leur évolution non seulement revêt des
dimensions temporelles mais également spatiales. Historiquement tout d’abord, ces crises
ont affecté de manière récurrente certains secteurs dans un seul pays, même si elles ont par
la suite acquis un caractère international avec l’expansion du capitalisme à travers divers
secteurs économiques et plus de nations dans le monde. Avec le capitalisme les grands cycles
économiques deviennent plus aigus, plus prolongés et plus vastes dans l’espace. Actuellement
nous nous trouvons face à une crise globale qui touche le monde entier.
La période de l’impérialisme de la fin du 19ème siècle qui déboucha sur la première guerre
mondiale, la crise des années 30 et le deuxième conflit mondial fut caractérisée par un
épisode prolongé et critique de capital improductif. Depuis la fin des années 60 et le début
des années 70 du vingtième siècle, nous nous trouvons une fois de plus dans une période
dominée par le capital improductif. La répartition de la richesse et des marchés déjà
existants au cours de la période impérialiste mena à la profonde crise économique des années
30 mais également à deux conflits mondiaux. Avec le keynésianisme, on commença à
produire à nouveau de la richesse à partir de chaque nation après la seconde guerre
mondiale. On comprit alors que pour pouvoir distribuer de la richesse, il faut qu’il y ait, au
moins temporairement, une nouvelle génération de richesse dans chaque pays. C’est durant
cette période de l’après-guerre que diminuera comme jamais auparavant la durée de vie
moyenne des produits en général et de la technologie en particulier. Durant la première
phase, le taux de profit augmenta avec l’expansion de la production aux dépens de la
diminution de la durée de vie des produits. Dans un deuxième temps, le taux de profit
s’orienta à la baisse avec la diminution de la durée de vie de la technologie, à tel point que
l’innovation technologique devint un handicap concurrentiel.

Avec le néolibéralisme, une nouvelle phase de concentration de la richesse se met en place


mais cette fois-ci à échelle mondiale. Investir dans la concentration de la richesse mondiale
existante et qui se trouve concentrée dans moins de mains au fil du temps implique sauver les
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profits du grand capital aux dépens d’une perte de dynamique dans le secteur productif.
L’exclusion et la perte de revenus pour les plus pauvres dans le monde constituent une
conséquence logique. La demande globale se contracte et la récession économique apparait
comme une séquelle inévitable. Alors que le marché mondial se trouve réparti entre les
grands capitaux et que la récession économique frappe parallèlement, toutes les possibilités
d’avoir du profit se tarissent. Il n’y a pas d’issue que ce soit à travers la croissance
accumulative ou la redistribution de la richesse connue. Dans un tel monde, il n’y a pas de
place pour tous ou pour n’importe quel grand capital. C’est dans un tel contexte que surgit
un nouvel impérialisme mondial. Dès lors, toute redistribution du marché implique une
confrontation croissante entre les puissances et les capitaux les plus forts. Ce conflit extra-
économique ne fait rien d’autre qu’accentuer la répartition du monde aux dépens de
l’environnement productif et des revenus d’une majorité chaque fois plus importante, et par
conséquent aux dépens de la capacité de consommation du monde entier. Cet état de fait
entrainera une accentuation de la crise mondiale qui sera alors chaque fois plus vaste et plus
profonde et à laquelle n’échappera ni le pays ou le capital triomphant. Leur unique victoire
sera d’avoir été le dernier à perdre. La guerre ne fera qu’empirer les choses. Le retour de
l’investissement productif devient alors une nécessité historique renouvelée. Sans cet
investissement, point de salut pour personne, même pas pour le capitalisme triomphant.

Accumuler à partir de la concentration progressive de la richesse existante ne fait que la


contracter. Accumuler à partir d’une redistribution des richesses sur le déclin suppose un
travail chaque fois plus agressif et qui apporte des perspectives de croissance toujours plus
mauvaises, y compris pour les vainqueurs. En d’autres termes, une dépression à l’échelle
globale n’apporte aucun espoir de salut ni pour les pays les plus puissants, ni pour les
entreprises les plus renommées et couronnées de succès. Et d’ailleurs, ces entreprises et ces
pays qui ont le plus de succès lors de la conquête du marché mondial connaîtront en fin de
compte la chute la plus forte. Lorsque l’économie mondiale se contractera, le commerce
mondial se contractera le plus. L’unique issue pour chaque localité est d’encourager
l’économie et la demande internes face à la demande externe. Lorsque le commerce
international se contractera, les multinationales sont celles qui souffriront le plus.
L’effondrement des « tours jumelles » WorldCom et Enron constitue en ce sens à peine la
pointe de l’iceberg de l’effondrement économique des grandes multinationales. Une
répartition des marchés existants basée sur la force militaire peut sauver une nation de la
récession mais lui coûtera tout son entourage. Et nous le répétons, lorsque son entourage se
dégrade, même pour cette nation triomphante le salut n’existe pas.

Afin d’éviter un effondrement total de l’économie mondiale, et à partir de là du capital lui-


même, ce dernier devra coûte que coûte revenir sur les chemins de l’environnement
productif. Dès lors que le « gâteau » diminue, il n’y a d’autre solution que de recommencer à
faire un gâteau pour pouvoir accumuler à nouveau. Cependant, il ne sera possible
d’accumuler dans ce domaine productif que si le capital parvient à augmenter le taux de
profit de ce secteur. Lorsque la durée de vie moyenne des produits se réduit jusqu’à
atteindre les limites historiques possibles, le capital se voit empêché d’apparaître comme un
capital de stimulation pour l’espace productif. Autrement dit, un retour du capital vers cet
espace s’avère impossible sans envisager un allongement de la durée de vie moyenne de la
technologie elle-même, détruisant ainsi sa propre rationalité. Tant que le capitalisme
s’accrochera à une redistribution chaque fois plus agressive des marchés, il continuera à
s’enfoncer toujours plus dans la crise. L’unique voie de salut consiste à prolonger la vie de la
technologie et par conséquent des produits en général. Cette politique permettrait de sauver
le profit dans l’immédiat mais pas à moyen terme.

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En augmentant la durée de vie moyenne des produits en général et de la technologie en


particulier, l’investissement devient immédiatement plus rentable. La reproduction
économique prend un rythme plus calme et cela lui permet de se mettre en harmonie avec la
reproduction des forces naturelles, autrement dit elle devient plus durable. Cependant avec
la diminution de la rotation du capital à partir de la prolongation de la durée de vie utile des
produits, se produira également une contraction de la production de valeur dans le Nord.
Les opportunités d’investissement – voire de réinvestissement – de capital dans
l’environnement productif diminuent et parallèlement les opportunités de profit. Par
exemple, si la durée de vie moyenne des produits est multipliée par deux, la création de
nouvelle richesse est divisée par deux tout comme le travail nécessaire pour cela. L’unique
issue pour obtenir une revalorisation de l’argent serait alors son orientation vers
l’investissement productif dans les pays du Sud. Dès lors que la production en fonction de
nouveaux besoins augmente dans le Sud, c’est un nouveau bien-être qui s’y installe. Si la
durée de vie moyenne des produits est multipliée par deux, le travail nécessaire à leur
production dans le Nord peut être réduit. La nouvelle richesse économique créée
annuellement peut être limitée à la moitié sans que se produise une réelle perte de bien-être.
Ce processus libère l’être humain du travail nécessaire pour vivre au quotidien, au lieu de le
condamner au travail à perpétuité.

Si la nouvelle richesse produite chaque année est réduite à la moitié dans les pays du Nord,
ce qui restera désormais est l’argent en tant que capital. Pour ne pas perdre sa valeur à
l’avenir, cet argent va émigrer productivement vers les pays du Sud. L’unique moyen de ne
pas se dévaloriser pour l’argent libéré dans les pays du Nord est d’entrer en relation avec le
système productif des pays du Sud. C’est là que nait une sorte de solidarité inévitable entre
les deux pôles. Les revenus et le travail productif augmenteront dans les pays du Sud alors
qu’ils diminueront dans le Nord. Le résultat sera un équilibre rapide des revenus dans les
deux sens. La coopération internationale consistera à mettre en place l’inévitable connexion
entre l’économie de suffisance dans le Nord et l’économie du nécessaire dans le Sud. Cette
solidarité inévitable entre Nord et Sud constitue l’unique échappatoire pour le Nord afin que
le pouvoir d’achat ne s’envole en fumée. Cependant, à la longue, l’argent perdra sa fonction
de moyen d’accumulation et sera de plus en plus réduit à sa fonction originelle de moyen
d’échange de valeurs équivalentes.

Plus la durée de vie moyenne des produits et de la technologie s’allongera et plus


l’innovation perdra son rôle de moteur de la concurrence. À cet instant-là, le savoir pourra
être proclamé comme patrimoine de l’Humanité. La décision inéluctable de prolonger la
durée de vie moyenne des produits et de la technologie limitera le réinvestissement ou
l’accumulation dans le Nord et contraint à investir de l’argent et du savoir dans le Sud ; avec
le transfert de ces deux facteurs dans l’environnement productif, l’inclusion et les revenus
prendront rapidement leur essor dans le Sud. La seule base éventuelle pour justifier la
concurrence résidera alors dans la qualité des produits. Si l’économie de suffisance continue
à se développer plus que l’économie du nécessaire, la reproduction des forces naturelles sera
plus durable, et la reproduction de l’argent en tant que capital deviendra moins durable. Dès
lors, toute possibilité d’accumuler de l’argent disparaîtra. En d’autres termes, en essayant
de la sauver c’est la rationalité économique à la base qui sera modifiée. Au milieu de la mort
d’une rationalité existante surgiront et se développeront la conscience et la possibilité
simultanée de mettre en place de nouvelles relations sociales de production qui ne seront plus
basées sur la concurrence mais sur une solidarité inévitable. C’est alors que naissent les
retrouvailles avec l’utopie au milieu de ce mouvement contradictoire.

2. Le regard vers le futur de l’Humanité à partir de son passé.


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Afin de pouvoir mieux imaginer à quoi pourrait ressembler le futur de l’Humanité sous une
autre rationalité économique, il est utile de nous pencher sur l’Histoire. L’Histoire de la
rationalité économique comme un tout peut nous apporter des éléments importants sur la
rationalité économique à venir. Une autre thèse classique de Marx consiste à affirmer que les
nouvelles relations de production qui prennent naissance sur les anciennes seront plus
développées que ces dernières. Ce plus grand développement des nouvelles relations de
production par rapport aux relations antérieures se traduit par une plus grande liberté de
l’espèce humaine, une liberté croissante qui se présente sur deux fronts : une libération
relative de notre espèce face aux forces naturelles et une autre, relative, face aux êtres
humains eux-mêmes et aux liens communautaires.
Marx évoque cette perspective historique dans L’idéologie allemande(1974, Cultura Popular,
Mexico) mais la développe dans son œuvre Introduction générale à la critique de l’économie
politique (1971, tome 1, Siglo XXI, Mexico) lorsqu’il se réfère aux différents modes de
production qui caractérisent dans l’abstrait l’Histoire de l’Humanité. L’auteur part de la
commune primitive, où s’impose obligatoirement le communisme en raison du manque de
développement des forces sociales productives ; il continue avec le mode de production
tributaire pour révéler la relative liberté des êtres humains de créer des relations sociales de
production à partir d’une division sociale du travail. La libération des êtres humains par
rapport aux forces naturelles, à partir de cette division sociale du travail, libère les êtres
humains de cette obligation de créer des relations allant au-delà de relations communales.
Cette liberté de l’espèce humaine face aux relations communales n’implique pas encore une
plus grande liberté des êtres humains en tant que personnes. La négation absolue de cette
liberté a plutôt été la réalité historique avec l’origine de l’esclavage. En regardant les modes
de production esclavagistes et féodaux, nous constatons que la relation d’exploitation révèle
son caractère individuel et révèle également que la croissante liberté des êtres humains en
tant qu’êtres exploités. Le prochain saut qualitatif conçu dans l’Histoire est l’utopie d’une
société libératrice.
Marx parcourt l’Histoire en abstrait pour y trouver de lois économiques qui projettent le
futur de l’Humanité au-delà du mode de production capitaliste. On devine après le
capitalisme une tendance menant à une société libératrice. Il est possible de discerner un
nouveau communisme distinct du communisme primitif par le plein essor des forces sociales
productives et parce que les êtres humains y bénéficient de la plus grande liberté possible en
tant que personnes. Le socialisme réel qui prédomina au cours de l’histoire récente apparait
comme la négation absolue de l’économie de marché. En remplaçant le marché par la
planification, la nouvelle société devient systémique et non libératrice. Même si elle se base
sur cette utopie, elle n’y correspond pas. La fin du socialisme réel signifia la fin des utopies
comme le signale Fukuyama (1995). L’utopie n’est pas morte ; ce qui a disparu en fait, c’est
l’utopie néolibérale. 150 ans après les écrits de Marx, l’utopie apparait comme une
possibilité et un besoin historiques face à la crise actuelle du néolibéralisme. Il est nécessaire,
afin de développer une plus grande capacité de projection vers la future rationalité
économique de considérer le capitalisme comme un échelon de plus dans l’Histoire de
l’Humanité ; en effet pour comprendre un futur saut qualitatif, il convient de comprendre
les sauts qualitatifs du passé. Faute de prendre de la distance vis-à-vis de l’actualité, on ne
peut imaginer ce pas vers le futur. Un regard qui va au-delà du capitalisme et de la
modernité implique comprendre la rationalité économique sans cesse changeante dans
l’Histoire.
Le processus de libération relative des êtres humains par rapport à la nature et aux êtres
humains entre eux se trouve au centre de l’analyse de l’Histoire telle qu’elle est effectué par
Marx. L’auteur perçoit la possibilité pour l’humanité de se libérer par rapport à la nature
allant au-delà d’une simple domination de cette dernière, et d’une relation sociale simultanée
entre les hommes qui dépasserait la simple exploitation. Ce communisme constituerait le
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point culminant de l’Histoire de l’Humanité. Le communisme primitif en serait le point de


départ. En raison de la très marge de manœuvre très réduite de l’espèce humaine vis-à-vis
des forces de la nature, son histoire commence avec un développement très fort des liens
communaux. Les relations communautaires sont alors la première grande force productive
qui permet que l’espèce humaine commence de manière primitive à façonner la nature
externe afin de satisfaire ainsi ses besoins. En la façonnant, l’être humain modifie également
sa nature personnelle. À partir de cette liberté réduite de l’espèce humaine face aux forces
naturelles, existe une faible possibilité des êtres humains de se libérer des liens
communautaires. On ne peut être un individu que tant qu’on appartient à une communauté.
L’individu existe uniquement à partir de la société et non l’inverse. Le Bien Commun
devient immédiatement un intérêt individuel. Il n’y a aucune possibilité de contradiction
structurelle entre ces deux concepts.

À partir de la libération toute relative de l’Humanité vis-à-vis des forces naturelles, il est
possible de concevoir une libération toute aussi relative des individus face à leurs liens
communautaires. Cette libération de l’être individuel n’entraîne pas nécessairement une
relation harmonieuse entre les humains. Au cours de l’Histoire c’est plutôt le contraire qui
s’est produit. L’Histoire nous montre que la relative libération des individus vis-à-vis des
forces naturelles, libère l’Humanité de son obligation de vivre en communauté et comme un
être solidaire. Cette libération donne donc naissance aux conditions objectives pour
l’exploitation d’êtres humains par d’autres. Il n’est pas non plus possible de comprendre
l’Histoire de l’Humanité à partir de ce point comme étant la substitution d’une forme
d’exploitation par une autre. Marx remarque dans l’histoire des formes d’exploitation de
l’homme par l’homme une tendance à se diriger vers une société libératrice qui affranchit
non seulement les êtres humains des relations d’exploitation mais aussi la nature d’une telle
relation de domination.

Dans le mode de production tributaire (nommé à tort mode de production asiatique), les
liens communautaires au lieu de disparaitre se réaffirment à une plus grande échelle à
travers une division sociale du travail. Ce n’est que par le biais de cette coopération
socialisée et plus vaste que l’Humanité parvient alors à contrôler les forces naturelles. À
partir de grandes œuvres productives, les liens communautaires deviennent plus complexes.
La division du travail en travail intellectuel, développé par une communauté supérieure, et
travail manuel exercé par des communautés inférieures constituent un exemple sans appel
de la domination exercée par l’Humanité sur les forces naturelles. Il n’y a pas d’espace pour
le développement de l’individualité au sein de ces relations sociales. Il n’y a même pas la
possibilité de développer des intérêts privés individuels qui s’éloigneraient des intérêts
communautaires. Cependant, avec cette division du travail entre communauté supérieure et
communautés inférieures, le Bien Commun de la société, tout comme l’unité des
communautés, n’est pas immédiatement repérable. Le Bien Commun ne provient
qu’indirectement et uniquement du résultat obtenu par cette division du travail.

Le résultat positif qui découle de la division du travail apparait dans le développement de la


productivité du travail. L’augmentation de la productivité légitime la division du travail
tandis que la baisse de productivité entraine une crise de légitimité. La division sociale du
travail entre les communautés inférieures d’un côté la supérieure d’un autre côté crée
l’opportunité d’avoir un conflit graduel d’intérêt au sein de la société. Les grands travaux
liés au culte dans les sociétés théocratiques permettent à la communauté supérieure
d’extraire des excédents des communautés de base. Tant que cet excédent approprié par la
communauté supérieure n’augmente4 pas la base productive des communautés inférieures,
le groupe supérieur est perçu comme improductif. La conséquence en est une détérioration
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de la base productive de la société prise comme un tout. La division du travail tel qu’elle
existe perd sa légitimité et cela entraîne la perte de la raison d’être de la classe supérieure.
Surgit alors un choc entre l’intérêt privatif du groupe supérieur et les intérêts de la
communauté de base. En d’autres mots, ce choc conserve encore un caractère
communautaire. L’exploitation de l’homme par l’homme ne s’affranchit pas encore des liens
communautaires. La liberté des êtres humains de se lier entre eux à l’intérieur de la société,
au-delà des liens de solidarité, a permis l’exploitation. Cependant, la forme d’exploitation ne
se libère pas encore des liens communaux.
L’histoire postérieure des formations précapitalistes révèle que la relation d’exploitation se
libère par la suite des liens communautaires. L’individualisation des relations sociales
coïncide avec l’individualisation des relations d’exploitation. Pour la réalisation de cette
étude historico- anthropologique (Dierckxsens, 1983) nous aurons recours à des auteurs
comme Anderson, Bartra, Dobb, Duby, Godelier, Hobsbawn, Huberman, Kautsky, Pirenne
et Terray entre autres. À partir de là nous définirons la rationalité économique de chaque
mode de production à travers l’Histoire afin de pouvoir accéder à de meilleures projections
pour l’avenir. Les lois économiques présentes derrière chaque mode de production nous
amènent aux tendances nécessaires sous-jacentes. L’étude comparative nous révèle des
tendances qui s’affirment dans l’Histoire de l’humanité.

à l’époque de l’esclavage, les liens sociaux d’exploitation entre les êtres humains cessent
d’avoir des attaches communales et deviennent individuels. Les intérêts antagoniques
apparaissent alors comme des intérêts de classe. La naissance de l’individualité dans la
relation maître-esclave implique l’affirmation et la négation simultanées de la liberté en tant
que personne. Il est impossible dans cette relation de concilier des intérêts qui sont
ouvertement antagoniques. On ne peut concevoir de Bien Commun dans l’esclavage.
L’intérêt de l’un consiste à nier catégoriquement celui de l’autre. Il s’agit d’une société qui
refuse toute possibilité de développement de l’individualité des exploités. L’esclave, en tant
qu’individu, est réduit au statut d’instrument de travail ; à une force productive sociale
matérielle. Sur la base d’une privation totale de liberté en tant que personne il est impossible
de concevoir une volonté subjective pour que l’esclave développe les autres forces sociales
productives. En d’autres termes, c’est la relation sociale elle-même qui limite leur
développement. La relation de production démarque ainsi ses propres limites.

L’évolution de la relation féodale, qui part de la corvée pour se transformer en rente payée
en argent via la rente en produits, révèle la liberté progressive de l’individu exploité en tant
que personne. Avec cette liberté progressive en tant que personne, la relation d’exploitation
devient alors moins explicite. Dans le rente sous forme de corvée, la séparation entre le
travail pour soi-même et celui pour l’autre est explicite. La relation d’exploitation requiert
encore certains mécanismes extra-économiques pour lier le serf aux terres du seigneur.
Autrement dit, la liberté comme personne demeure limitée. Dans le processus de rente en
produits, le serf travaille toute la terre comme si elle lui appartenait puisque le produit de
son travail semble lui appartenir en entier. Même s’il sait pertinemment qu’il doit céder une
partie du produit de son travail au seigneur. La relation subjective avec les moyens de
production est différente. La distinction entre travail pour soi et travail pour l’autre devient
alors plus abstraite.
La rente en argent s’est développée à partir de la colonisation de terres nouvelles et
lointaines. La colonisation en elle-même avait besoin d’un plus grand degré de liberté
individuelle et l’éloignement entre le serf et le seigneur rendait contre-productif le paiement
de la rente sous forme de travail. C’est avec la rente en argent que nait la division sociale du
travail parmi les serfs : certains se spécialisent dans des produits et d’autres dans des articles
différents, à partir de quoi le seigneur développe le commerce, d’où surgiront les
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corporations respectives. Par la suite arrive la spécialisation en objets d’artisanat et nait


alors la ville, libérée des liens seigneuriaux. C’est alors que va se développer l’économie de
marché. Avec l’introduction de la rente payable en argent, le seigneur se libère des aléas du
marché et c’est alors que nait le paysan libéré des liens féodaux. Personne libre, le paysan
vend le produit de son labeur au marché, mais doit payer un loyer en argent au seigneur
pour l’utilisation d’une terre qui ne lui appartient pas. A partir de ce moment-là, le seigneur
féodal acquiert un rôle nettement improductif dans l’économie de marché.
Avec cette relation de paysan libre qui loue la terre monopolisée par la classe improductive,
la relation d’exploitation s’en voit modifiée. Il existe une relation subjective plus ou moins
favorable entre travail pour soi-même ou pour quelqu’un. Le bilan entre les deux dépend
dès lors des résultats obtenus par le paysan au marché. Cette relation devient encore plus
abstraite, un fait qui contribue à rendre plus invisible la relation d’exploitation. Avec le
capitalisme, la relation d’exploitation devient encore plus abstraite ; au niveau subjectif, il
s’agit de l’opposé de l’esclavage. L’individu, en tant que salarié libéré de tout moyen de
production, est à la fois libre mais obligé de vendre sa force de travail. Le salarié se sent non
seulement libre en tant que personne mais aussi libre de vendre son travail où il le souhaite.
Dans les faits cependant, il ne vend que sa force de travail et non son travail. Subjectivement
il semble libre mais objectivement il se trouve au sein d’une nouvelle exploitation. Il est libre
ou privé de tout moyen de production pour travailler, et ainsi obligé de vendre sa force de
travail aux propriétaires qui monopolisent les moyens de production.

L’esclave croyait que tout travail réalisé était un travail pour l’autre. Il ne percevait même
pas son propre entretien comme un travail pour lui-même. En raison de cette
subjectivisation, il ne travaillait que sous la menace de la force extra-économique. Dans le
système capitaliste, c’est le contraire qui se produit. Le salarié a l’impression d’être payé
pour son travail et pas seulement pour le montant nécessaire qui permettra que resurgisse
cette force de travail sur le marché. Le salarié a l’impression de ne travailler que pour lui et
il ne perçoit pas où réside le travail pour l’autre. Il semblerait que les moyens de production
eux-mêmes travaillent aussi et génèrent des revenus pour leurs propriétaires, que les
machines travaillent et que leur travail ait plus de valeur que celui des ouvriers. Nous
sommes là face à de l’animisme pur ; la forme d’aliénation la plus importante depuis la
naissance de l’Histoire créée à partir d’une relation d’exploitation individuelle.

Avec le capitalisme, la société construite semble être l’opposé de la société primitive. Nous
avons l’impression que la société moderne se construit à partir de l’individualité. Dans une
économie de marché, le point de départ est l’intérêt individuel. Le résultat des liens
commerciaux est présenté comme étant la société. Les intérêts individuels semblent être le
point de départ. Apparemment la société se construirait à partir de l’individualité et non
l’inverse. Cette conception de société constitue l’antithèse du concept de société dans la
communauté primitive. La crise du capitalisme n’est pas seulement la crise d’une rationalité
économique mais c’est aussi la crise de la modernité faute de réussir à construire une société
à partir d’intérêts individuels. Le capitalisme, tout au long de son histoire, révèle une crise
permanente lorsqu’il tente de construire une société à partir d’intérêts individuels. Ces
crises périodiques de la société se manifestent notamment durant les grands cycles
économiques. Avec l’expansion du capital privé dans des secteurs et des pays chaque fois
plus nombreux, la crise s’internationalise jusqu’à devenir une crise de la société capitaliste à
niveau mondial. La construction de la société à partir d’intérêts individuels dans le cadre
d’une économie mondialisée démontrera, à partir de la crise actuelle, que je ne peux réaliser
mon intérêt individuel que si je me solidarise avec l’autre. La solidarité devient inévitable.

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La tendance à la négation de l’intérêt privé apparut avec la naissance du socialisme réel. Au


milieu de la première guerre qui éclata pour la répartition du marché mondial, le
capitalisme recula face aux puissances en conflit à partir de la naissance du socialisme réel.
Dans l’histoire de l’Humanité, le socialisme réel constitue une négation absolue de l’intérêt
privé à partir de l’économie de marché, il s’agit de la négation de ce marché global qui sert
les intérêts du grand capital au profit d’une planification centralisée orientée vers les intérêts
de la globalité. Cependant, en définissant le Bien Commun comme une centralisation sans
véritable participation de la communauté des citoyens, la nouvelle société ainsi érigée ne
peut pas non plus se développer en fonction de cette dernière. Le Bien Commun de la société
se définit à partir d’un plan élaboré par l’élite au pouvoir. En d’autres mots, le marché total
a tendance à être remplacé par le plan total. L’absolutisation du libre jeu des marchés
privilégie la persécution de l’intérêt privé avec une telle ampleur que cela provoque une crise
générale. Le socialisme réel inverse cette relation entre totalité et particularité en
subordonnant complétant l’intérêt privé à l’intérêt social. Le Bien Commun ne se définit pas
à partir de la communauté mais au cœur de l’élite dirigeante et pour elle-même. Le résultat
contradictoire en est une société basée sur la planification pour les citoyens mais sans
véritable participation de leur part.

Et c’est ainsi que, comme dans le mode tributaire où la communauté supérieure définit de
manière centralisée le Bien Commun pour les communautés de base, le socialisme réel fait de
même. Le mode de production tributaire constitua la transition d’une société primitive basée
sur la solidarité nécessaire vers une société basée sur des relations individuelles
d’exploitation. Le socialisme réel représente l’abandon historique des relations individuelles
d’exploitation pour aller vers une société communautaire basée sur une nouvelle solidarité
inévitable. Dans le socialisme réel, le Bien Commun es défini d’une manière centralisée pour
tous les citoyens. La tendance de l’Histoire future sera la définition du Bien Commun avec
une vraie participation à partir d’une démocratie radicale.
La réapparition de l’utopie n’implique pas seulement un épuisement de la rationalité
économique en vigueur mais de la même manière la fin de la modernité. Dans sa phase
dégénérescente, l’accumulation capitaliste non seulement détruit les forces productives
naturelles mais en plus elle anéantit les forces productives sociales. À partir de l’époque de
redistribution des marchés existants, et jusqu’à la seconde guerre mondiale, le capital revint
inévitablement à l’environnement productif. Le taux de profit était alors en hausse en raison
du raccourcissement de la vie utile moyenne des produits en général et de la technologie en
particulier. La richesse naturelle et sociale, de par son contenu, périmait avec une vitesse
accélérée ; cependant la richesse augmentait en termes de valeur et comme capital, et par
conséquent le taux de profit. En augmentant la vitesse de la substitution technologique, c’est
son coût qui augmente avec une rapidité croissante, alors que le coût du travail ne diminue
pas dans les mêmes proportions. De là découle une baisse irréversible du taux de profit.

Avec la rationalité actuelle de substitution technologique, les forces productives sociales ne


peuvent plus se développer. La relation sociale en elle-même devient contre-productive pour
le capital. La prolongation de la durée de vie des produits technologiques devient inévitable,
même si cela ne sert qu’à préserver le profit à court terme. Cependant, comme nous l’avons
déjà vu dans le premier point, le faire équivaut à asphyxier la relation capitaliste.
L’économie de la suffisance dans le Nord implique son contraire : l’économie du nécessaire
dans le Sud. Apparait alors une solidarité inévitable au niveau macro-économique. Dans la
lutte quotidienne pour la survie, cette solidarité existe d’ores et déjà dans la micro-économie
dans tous les recoins des pays du Sud. Il est possible de discerner l’utopie d’une société
libératrice en fonction de la vie en elle-même aussi bien humaine que naturelle. Se profile à

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l’horizon une société dans laquelle la solidarité entre les êtres humains dépasse l’exploitation.
Une utopie viable surgit alors.

3. Travail productif et improductif dans la transition historique.

La montée en puissance et la chute des grandes civilisations au cours de l’Histoire sont


étroitement liées au thème du travail productif et improductif. L’énoncé : les relations de
production existantes deviennent à la longue u obstacle au développement des forces
productives et cela se manifeste par le caractère improductif du travail qui devient
prédominant lors de la phase finale d’un mode de production. Les concepts de travail
productif et improductif transcendent le capitalisme. Ils sont présents dans toutes les
cultures de l’Humanité, mais n’acquièrent une modalité spécifique que dans le capitalisme.
Marx élabore cette thématique dans le premier volume de son œuvre Théories sur la plus-
value et dans le deuxième tome du Capital.

À Travers l’Histoire, le travail improductif est associé avec le déclin des civilisations, tandis
que le productif va de pair avec leur essor. Autrement dit, l’essor et la chute des élites au
pouvoir dépendent de leur propre caractère productif. Dans chaque crise d’un mode de
production, l’élite devient superflue en raison du caractère improductif qu’elle adopte
durant cette phase. Les grandes civilisations précolombiennes, tout comme la civilisation de
l’ancienne Égypte, de la Mésopotamie, de la Chine ancienne, vont toutes voir surgir et
resurgir des dynasties à la suite l’une de l’autre avec l’apparition de grandes œuvres liées au
culte et qui trouvent leur base économique dans les grandes œuvres productives qui les
précèdent. Chaque expansion des forces hydrauliques crée une ascension des forces
productives sociales et donne lieu à une nouvelle expansion « culturelle ». La dernière a
tendance à contracter la base productive. Les œuvres (re)productives réaffirment le Bien
Commun et légitiment la division du travail tandis que les œuvres liées au culte font
apparaitre un conflit d’intérêts.

Plus les œuvres liées au culte sont somptuaires, et plus elles se développent aux dépens de la
classe productive. Le conflit d’intérêts entre la communauté supérieure et les communautés
de base devient évident en cas de famine, qui fait en outre ressortir le caractère improductif
de l’élite au pouvoir. Le fait que la classe dominante reste au pouvoir met en danger la base
productive des communautés. Cependant, l’absence de classe dominante constitue également
une menace pour la préservation de la classe productive. La conséquence en est une crise
cyclique du système en place. Une crise dans un centre de pouvoir a besoin d’un pouvoir
neuf à même de restaurer les œuvres productives déjà existantes ou pour donner naissance à
d’autres œuvres.
Le régime esclavagiste ne comporte aucun mécanisme naturel pour la reproduction de la
force de travail. La reproduction des esclaves pour les maîtres ne peut être garantie que par
l’existence d’une troisième classe sociale : les citoyens libres. La servitude pour dettes dont
sont victimes historiquement les civils eux-mêmes possède sa limite objective : la menace
pour la reproduction future de la main d’œuvre esclave. Que ce soit en Grèce ou à Rome, il
fut nécessaire d’établir des limites dans le cas de la servitude pour dettes afin de préserver le
remplacement des esclaves dans le temps. La guerre permanente constitue le mécanisme par
excellence pour recruter de la main d’œuvre esclave. La demande ne peut être satisfaite que
s’il existe une offre, et sur le marché personne ne se porte volontaire pour être esclave. La
réduction en esclavage des populations conquises est l’unique modalité permettant de
maintenir une « offre ». Dans la mesure où les esclaves ne se reproduisent pas
biologiquement, la demande revêt un caractère permanent et par conséquent la guerre aussi.

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La guerre en elle-même constitue un travail improductif ; ce qui pour les conquérants


apparait comme productif est en fait une perte de richesse pour les vaincus.

La guerre est productive aux yeux des conquérants tant que ses coûts sont largement
compensés par le butin et le recrutement forcé d’une main d’œuvre d’esclaves. À l’inverse, le
coût lié à la défense devient improductif. Pour les conquis, le panorama est totalement à
l’opposé. En fait dans la pratique, la capture d’esclaves et le butin ne sont rien d’autre
qu’une redistribution forcée de la richesse déjà existante ; il ne s’agit en aucun cas d’une
création de nouvelle richesse. La demande d’esclaves augmentera à grande échelle au fur et
à mesure que l’empire esclavagiste s’agrandira. Le coût de la guerre grimpe donc en
fonction de l’élargissement de la relation esclavagiste. Un esclavagisme à grande échelle se
nourrit de conquêtes également à grande échelle. Lorsque la durée de vie moyenne des
esclaves raccourcit suite aux mauvais traitements, le retour au champ de bataille s’accélère.
Surgit donc au milieu de tout cela le besoin d’avoir recours à une troisième classe, ceux qui
meurent à la guerre. Les citoyens se reproduisent artificiellement en intégrant parmi eux les
peuples conquis qui leur ont peu ou pas résisté. La reproduction à grande échelle de l’octroi
de la citoyenneté est vitale pour lever des impôts et recruter des guerriers qui s’avèrent
indispensables à la perpétuation de la guerre.

Les coûts de la guerre et de la défense ont tendance à augmenter avec chaque


agrandissement de l’empire. Plus l’empire devient vaste et plus le coût de la guerre croît plus
rapidement que le bénéfice en résultant, l’apport d’esclaves. Si l’offre d’esclaves diminue
face à la demande existante, leur prix est à la hausse. Lorsque le coût du conflit dépasse le
bénéfice à en tirer, nous nous trouvons face à une crise de reproduction de la relation
esclavagiste. L’unique solution est d’encourager la reproduction biologique des esclaves.
Cependant pour cela il est nécessaire que l’esclave ait accès à des conditions objectives de
reproduction de sa vie : il s’agit généralement d’un accès à la terre. Mais pour y parvenir, il
faut leur accorder une plus grande liberté en tant que personnes. Surgissent alors la liberté
et le colon et l’esclave disparait.
Dans cette conjoncture, la rationalité économique change de même que la relation
d’exploitation. Non seulement on s’achemine vers une disparition des esclaves, mais en plus
les esclavagistes eux-mêmes disparaissent. Avec la chute du commerce des esclaves, le travail
lié à la défense de l’empire devient improductif. L’entretien de l’empire en fonction des
patriciens est alors une dépense improductive. L’autosuffisance de chacune des provinces
périphériques devient un besoin inévitable. Alors que l’empire croît en donnant naissance à
des provinces auto-suffisantes de plus en plus nombreuses, le centre de pouvoir perd toute
force unificatrice basée sur l’économie de marché esclavagiste. L’empire se désintègre tout
d’abord dans le secteur qui connait le retard commercial le plus fort : l’Occident.
Durant le féodalisme, le serf de la glèbe se vendait avec les animaux et les terres du seigneur,
et sa liberté ne se distinguait de celle de l’esclave que parce qu’il avait le droit de se
reproduire. Cependant, la plupart des serfs disposait d’une parcelle pour leur usage
personnel en contrepartie de laquelle ils payaient au seigneur un loyer en travail. Avec
l’accroissement de la force productive la plus élémentaire, la population en elle-même, de
nouveaux villages naissaient. Sous la houlette des seigneurs, ces travaux productifs se
réalisaient dans des endroits toujours plus loin et moins accessibles. Le passage de la rente
sous forme de travail à la rente en produit est lié au développement de ces nouveaux villages,
c’est-à-dire à l’élargissement de la base productive.

Les seigneurs encaissaient la rente sous la forme de produits faciles à commercialiser dans
un système en plein essor. Les serfs les plus spécialisés dans les tâches de transport
disposaient de fait d’une plus grande liberté de mouvement. Les commerçants s’installaient
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hors des gros bourgs médiévaux transformés en villes. Les serfs de la glèbe spécialisés dans
l’élaboration d’objets artisanaux pour les cours féodales acquièrent alors une plus grande
liberté en tant que personnes. Au lieu de fournir les cours avec le travail artisanal grossier de
leurs propres serfs, les seigneurs tendent à acheter les objets sur le marché, contribuant ainsi
à accentuer la division régionale du travail artisanal. Avec l’économie de marché, les
habitants des nouvelles villes obtiennent des droits économiques, sociaux et politiques. Nait
alors la bourgeoisie avec son propre gouvernement politique.
D’un autre côté, les villes ont besoin de plus en plus de produits issus de l’agriculture et de
l’élevage et une demande massive de laine mène à la mise en place de clôtures autour des
terres communales qui vont donner naissance aux grandes exploitations agricoles et
d’élevage. Les commerçants organisés en corporations sont les acteurs les plus dynamiques
de l’économie de marché à partir d’une division régionale du travail. Les corporations
d’artisans n’exercent pas de contrôle sur les marchés éloignés. Afin de ne pas être
subordonnés aux commerçants, les artisans ont tendance à être protectionnistes, et pour cela
ils régulent leur production, fixent des limites, introduisent des contrôles de qualité, etc. À
partir du protectionnisme, il devient plus difficile d’acquérir la citoyenneté. La migration
des serfs cers les villes s’en trouve bloquée, fermant ainsi les portes de la liberté. Dans cet
environnement il est possible d’accorder la liberté aux serfs en tant que personnes, une
transition qui se produit avec le passage de la rente sous forme de produits à la rente payée
en argent. Les seigneurs féodaux révoquent le droit à vie sur la terre qui dès lords est louée
au plus offrant. Avec la rente en argent, le rôle des seigneurs féodaux acquiert un caractère
nettement improductif. Les paysans s’intègrent à l’économie de marché comme acteurs
libres. Cependant, le capital commercial et usurier tend à éloigner de leur terre - c’est à dire
des moyens de production – les nouveaux producteurs libres. Avec leur liberté, les personnes
n’ont au bout du compte que leur force de travail à vendre sur le marché.

Face à un protectionnisme croissant, les commerçants se spécialisent dans l’achat et la vente


de produits exotiques dont la principale clientèle est la noblesse, mais le commerce se déroule
au-delà du continent. L’Occident a peu de choses à offrir à l’Orient et l’argent a donc
tendance à partir vers l’Est, ce que les états chercheront à freiner avec le pillage de l’or et de
l’argent en Amérique Latine. L’affluence massive de ces métaux générera une inflation
galopante en Europe. Les seigneurs improductifs qui vivaient de rentes plus ou moins fixes
en souffrirent les conséquences et la vente massive de terres par la petite noblesse devint un
phénomène commun qui donna naissance à la grande exploitation agricole orientée vers le
marché et qui se base sur la force du travail salarié. Les commerçants décident de donner de
la matière première aux paysans appauvris et sans accès aux prés communaux. C’est la
naissance de l’industrie à domicile : avec leurs outils rudimentaires qu’ils utilisent pour
tisser leurs propres vêtements, les paysans commencent à travailler pour le compte du
commerçant industriel qui réunit tous les travailleurs dans une seule manufacture, créant
ainsi la relation capitaliste. La noblesse qui vivait de rentes improductives s’éloigne chaque
jour un peu plus de l’économie de marché.
La crise actuelle du capitalisme apparait également à partir de la hausse du travail
improductif par rapport au productif. Après une politique économique axée sur
l’accumulation de capital tiré de la croissance économique, le néolibéralisme s’orienta vers la
croissance du capital transnational et financier aux prix d’une concentration des revenus et
des marchés dans chaque fois mois de mains. Ce modèle accumulatif est mieux connu sous le
nom de mondialisation, une guerre économique pour obtenir les marchés existants entre les
multinationales. Un tel processus de concentration de la richesse n’est pas durable. Avec
l’annonce concrète d’une récession simultanée aux Etats-Unis, en Europe et au Japon à la fin
de 2001, la répartition du marché et des revenus mondiaux atteignirent leur limite. Une
répartition des revenus mondiaux en baisse ne fait qu’accentuer et prolonger la récession
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mondiale qui débouche sur une dépression économique. La croissance de quelques pays aux
dépens de tous les autres ne représente pas une solution durable. À long terme, ce « sauve
qui peut » ne sauvera même pas les triomphateurs car ils minent eux-mêmes leur
environnement économique.

Ce n’est pas la première fois que l’économie mondiale entre en récession. Depuis les débuts
du capitalisme, nous pouvons observer ces crises cycliques. Ces cycles dans les pays
industrialisés sont mois communs et plus récents dans l’Histoire du capitalisme mais ils
semblent coïncider chaque fois plus avec la mondialisation de l’économie. De cette manière,
l’ampleur et l’échelle des récessions tendent à s’accentuer. C’est à la fin du 19ème siècle que
se déclencha la première récession internationale qui toucha simultanément un tiers des pays
centraux. La récession économique de a première guerre mondiale toucha 50% de ces pays
et la Grande Dépression des années trente du vingtième siècle en frappa 75% sans compter
les pays périphériques. En se synchronisant dans l’espace et le temps, les récessions gagnent
en intensité. La récession actuelle, dans une économie mondialisée, n’épargnera
pratiquement personne et promet d’être encore plus désastreuse que jamais dans l’Histoire
du capitalisme.
Au cours de cycles économiques prolongés, les périodes de hausse se caractérisent par des
taux de profit galopants et par leur chute. Une reprise avec une phase expansive du capital
productif découle généralement d’une nouvelle révolution technologique et chaque période
de chute vient habituellement de la redistribution des revenus et du marché existants. Les
cycles économiques semblent continus. Vu de cette manière, le capitalisme se montre capable
de sortir de chaque crise grâce à de nouveaux progrès technologiques. C’est de cette manière
que se maintient l’expectative selon laquelle la technologie sauve toujours le taux de profit.
Avec cela, le capitalisme se renflouerait à la fin de chaque période de récession et seul un
facteur externe pourrait stopper la rationalité capitaliste, une conviction partagée par la
gauche traditionnelle. L’épuisement de la rationalité capitaliste n’est pas conçu comme
pouvant être une transition vers une nouvelle forme d’organisation sociale.

Cependant, de manière paradoxale, la substitution technologique est si rapide que la durée


de vie utile moyenne des produits technologiques est réduite presque à zéro. La réduire
encore plus s’avère impossible. La rapidité de substitution a un coût de production qui n’est
plus compensé par des réductions de coût du travail qui rendraient possible cette innovation.
Par conséquent, le taux de profit ne pourrait qu’augmenter si la durée de vie des produits
s’allongeait. La fuite de capitaux vers des investissements qui encouragent la concentration
des richesses et du marché existant et avantagent le capital transnational d’une nation
hégémonique ne peut être une issue qu’à court terme. Le « sauve qui peut » dérive en
néofascisme. Seul un petit nombre bénéficiera de cette guerre pour se répartir le monde, ce
qui implique une aggravation de la récession mondiale. En agissant ainsi, le pays agressif
mine son propre environnement. Plus sa politique sera unilatérale et plus il devra assumer
seul le coût improductif d’un conflit avec des fronts ouverts contre le monde entier.

C’est dans cette conjoncture et avec beaucoup de souffrance que naitra, y compris chez les
plus réactionnaires, la prise de conscience de que faute d’accorder un espace au
développement des économies nationales et locales nul ne s’en sortira. Si le capital
transnational survit à une récession mondiale en tant que capital, cela dépendra de sa
capacité à se lier une fois de plus au secteur productif. Sans un allongement de la vie de la
technologie, la production ne pourra pas être rentable. En la prolongeant, la possibilité
d’accumuler disparaitra. La croissance économique diminue dans la même proportion que
l’allongement de la durée de vie utile des produits et de la technologie. Le véritable bien-être
augmentera dans un contexte d’accumulation négative du capital. De cette façon celui-ci
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s’annulera et demeurera hors-jeu. Les forces progressives de l’Humanité proclameront la


naissance d’une nouvelle société. L’utopie deviendra alors réalité. Ce saut qualitatif est
proche et si nous ne le distinguons pas encore, cela s’explique par l’obscurité de la nuit dans
les instants qui précèdent l’aube.

CHAPITRE I

RACINES HISTORIQUES DU PROCESSUS DE LIBÉRATION DE L’HUMANITÉ

1. LA LIBERTÉ RELATIVE FACE À LA NATURE, À PARTIR DU BIEN COMMUN.

Sur le plan biologique, l’espèce humaine fait partie de la nature dans la mesure où l’être
humain est un être naturel matériel et concret, issu de processus naturels inconscients. En
tant qu’être naturel vivant, tout comme la vie sauvage, l’espèce humaine ne peut subsister
qu’en entrant en interaction avec son environnement. En tant qu’être naturel actif, tout
comme le règne animal, l’espèce humaine assure son interaction avec la nature grâce à sa
propre activité vitale. Cependant, elle possède une caractéristique générale qui la distingue
des autres espèces animales : l’être humain ne s’approprie pas directement les fruits de la
nature. L’interaction de l’être humain avec la nature consiste en une appropriation par
intermédiaire. Ce processus par intermédiaire, à double aspect, est généralement nommé
production et reproduction de la vie concrète.
L’être humain s’approprie certains fruits de la nature pour les transformer en outils de
travail qu’il utilise par la suite dans son interaction avec la nature afin de s’approprier avec
plus d’efficacité ses moyens de subsistance. Cette appropriation par intermédiaire des fruits
de la nature se nomme le travail. Les instruments de travail, et le processus conscient de
savoir ce que son développement implique, sont des forces productives créées par l’espèce
humaine. L’essor des forces productives, qui suppose savoir et conscience, est un produit de
l’espèce humaine et possède donc un certain caractère social. Ces forces productives sociales
apportent une plus grande productivité au processus d’appropriation, le travail, que lorsque
cet intermédiaire n’existe pas.

Au fur et à mesure que se développa l’Humanité au cours de l’Histoire, ces forces


productives sociales, bien qu’elles aient été primitives à leurs débuts, se distinguèrent
clairement des forces naturelles. L’emploi ou l’utilisation consciente des forces naturelles au
cours du processus de travail les transforme en forces productives naturelles. Parler de
forces productives naturelles sans cette présence intermédiaire et consciente des forces
naturelles, n’a aucun sens. Grâce au développement des forces productives sociales, l’être
humain s’affranchit de sa dépendance initiale absolue vis-à-vis des forces naturelles. À partir
du développement des forces productives sociales, l’espèce humaine obtint une liberté
relative face aux forces naturelles, liberté produite par l’espèce humaine au cours de son
Histoire.
L’action, en ayant recours à des intermédiaires, de l’être humain avec la nature est
inconcevable dans sa phase initiale sans que les êtres humains aient établi d’étroits liens de
coopération entre eux. La production est un processus d’interaction de la communauté, prise
comme un tout, avec la nature. Durant l’Histoire de l’humanité, l’entité communautaire
n’apparait pas comme le résultat mais comme la condition requise pour l’appropriation
collective de la nature. Le comportement très limité des êtres humains face à la nature
conditionne le comportement tout aussi limité des humains en tant qu’êtres individuels.
Historiquement, l’être humain apparait comme grégaire puisqu’il peut uniquement se
reproduire en tant qu’individu à partir et à l’intérieur des étroites limites de la communauté.
L’intérêt individuel ne peut pas encore s’exprimer, et si cela se produisait de manière

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primitive, cela me pourrait être qu’à travers l’intérêt de la communauté prise comme un
ensemble. Autrement dit, le Bien Commun est immédiatement un intérêt individuel. Il
n’existe pas encore de lieu pour séparer les deux intérêts et encore moins pour qu’il existe
une contradiction structurelle entre l’intérêt individuel et le Bien Commun. L’individu, en
tant que catégorie d’analyse, n’existe pas ou existe uniquement comme négation. En d’autres
termes, l’individu n’est a priori pas une catégorie d’analyse dans l’Histoire de l’humanité
mais plutôt son résultat spécifique.

La communauté en elle-même, et la conscience du besoin de coopérer au cours du processus


d’appropriation par intermédiaire de fruits de la nature, apparaissent sous cette forme
comme la première grande force productive sociale. Sans coopération directe et une
conscience du besoin de la nature, il est impossible pour l’individu de survivre dans son
environnement naturel. Sans elle, il n’y a pas de place pour le développement des autres
forces productives sociales. Avec l’essor postérieur des autres forces productives sociales, les
relations sociales primitives tendent à se tarir et à se modifier. Au cours de ce lent processus
historique, l’être individuel se libère de manière relative face à la dépendance absolue de la
communauté. L’individualité est donc le produit de l’histoire de l’Humanité en elle-même et
non son antécédent. Les cérémonies intégratrices dans les communautés primitives
expriment une conscience tout aussi primitive de la libération restreinte de l’être humain par
rapport aux forces de la nature et de la libération limitée de l’être individuel dans le cadre de
sa relation inséparable avec la communauté. Le développement de l’individualité, quelles
que soient ses limites, n’est possible en d’autres termes qu’à partir de la société. Sans société,
il n’existe aucune individualité imaginable.
Les relations entre les êtres humaines sont comme des relations sociales dans un double
processus d’intermédiarité avec la nature : à travers les relations sociales de production et à
travers le développement des forces productives sociales. Les relations existantes entre les
êtres humains dans le cadre de l’appropriation de la nature cessent d’être de simples
relations naturelles et deviennent des relations sociales de production. Les relations
naturelles de parenté, dans leur mode conscient, se constituent en relations sociales qui ont
tendance à se développer et à se modifier. Ces relations sociales s’expriment non seulement
dans le processus d’appropriation indirecte (production) mais aussi dans le processus de
distribution du produit obtenu. De même que l’appropriation d’une portion de territoire par
un groupe (de cueilleurs de fruits sauvages et de chasseurs d’animaux inoffensifs) est
immédiatement collective, la distribution du produit obtenu l’est aussi. La horde, en tant que
la forme de société humaine la plus primitive, fonctionne comme une unité directe de
production et de consommation, sans aucune division du travail. Sans cette dernière, les
unités de production et de distribution du produit obtenu sont généralement les mêmes.
Hautement dépendantes de ce qu’offre la nature, les groupes migrent collectivement et
presque quotidiennement afin de s’approprier les fruits de leur territoire marqué, c’est-à-
dire approprié comme collectif. Il n’y a aucune place pour des membres improductifs. Le
groupe se déplaçant de manière plus ou moins permanente, les naissances ont lieu de forme
consciemment espacée et il n’est pas rare que soit pratiqué l’infanticide en cas de naissances
rapprochées ou de jumeaux. Il n’y a pas non plus de place pour les membres âgés ou
invalides, mais leur abandon s’explique par l’impuissance de l’espèce humaine face aux
forces naturelles et leur faible liberté vis-à-vis de ces dernières. D’où l’infime libération des
membres de la communauté du travail collectif. Il n’y a pas de possibilité de se libérer du
travail collectif, ce qui requerrait un plus grand développement des forces sociales
productives. Les outils de travail sont très rudimentaires et doivent être recherchés et/ou
fabriqués dans chaque endroit. Face à de telles circonstances, il est impossible de
s’affranchir du travail productif quotidien. Il manque un excédent de production
conservable pour que démarre ce processus de libération.
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Toute production humaine est une appropriation de l’individu au sein d’une société
déterminée et par son intermédiaire. Dans le sens le plus littéral, l’être humain est non
seulement un animal social mais également un être social qui ne peut s’individualiser comme
individu, autrement dit se libérer, que lorsqu’il vit en société (Marx, 1971 ; I : 4). Au fur et à
mesure que l’espèce humaine modifie la nature pour produire et reproduire sa vie concrète
par le biais du développement des forces sociales productives, elle se libère peu à peu des
forces naturelles. Le développement des forces productives sociales implique un processus de
libération relative de l’espèce humaine vis-à-vis des forces naturelles, processus qui génère
un autre processus de libération face aux relations sociales initiales. Au cours de ce processus
historique, l’être individuel se libère d’une manière relative de la communauté. Le Bien de la
Communauté, le Bien Commun, cesse immédiatement d’être le Bien Individuel, ou, dit d’une
manière, le Bien Individuel peut se séparer du Bien Commun. La contradiction entre intérêts
privés, et entre l’intérêt privé et le Bien Commun sont, en ce sens, un résultat historique et
non un point de départ de l’Humanité. Il ne s’agit pas là d’un résultat historique qui se fige,
c’est en plus un résultat historique transitoire qui incite à se projeter dans le futur (Marx,
1971 ; I : 3-4). Autrement dit, approfondir l’Histoire permet de voir l’avenir.

Les trois étapes – forces productives sociales, relations de production et prise de conscience
de ces dernières – peuvent et doivent entrer en contradiction (Marx, 1971 ; I : 33).
Lorsqu’elles atteignent un certain degré de développement, les forces productives sociales
entrent en contradiction avec les relations de production existantes. Au lieu d’augmenter la
productivité du travail, ces forces deviennent des obstacles (Marx, 1971 ; 183). De la mort
des relations sociales existantes, naissent et surgissent d’autres relations nouvelles et plus
développées. Plus grand est le développement des nouvelles relations par rapport aux
anciennes, et plus importante est la libération de l’espèce humaine dans les deux sens : une
plus grande liberté face aux forces naturelles et une plus grande liberté en tant que personne
au sein de la société, les deux étant relatives. Marx essaie, tant dans l’Idéologie allemande
que dans les Grundrisse de chercher un fil conducteur dans l’Histoire de l’espèce humaine
qui nous permettrait de nous aventurer dans le futur de l’Humanité. Il ne s’agit pas là d’une
méthode idéaliste, mais de la méthode d’analyse mieux connue sous le nom de matérialisme
historique.

Dans la tradition du socialisme réel, le matérialisme historique perdit beaucoup de sa vitalité


et de sa créativité lorsqu’il acquit un caractère absolu et restrictif. Ceux qui n’adhèrent pas à
notre pensée sont contre nous, le même pêché de la pensée unique et néolibérale. La pensée
fondamentaliste est restrictive et absolue. Face aux récentes et importantes contradictions
qui touchent l’Humanité, nous nous trouvons dans un moment historique pour récupérer la
pensée inclusive et transformatrice que Marx traça. La contradiction entre les forces
productives sociales et les relations de production a lieu tout au long de l’Histoire de
l’Humanité. Approfondir cette contradiction nous permet non seulement de comprendre,
mais aussi de prédire le déroulement et de trouver une certaine logique dans le processus de
destruction et de reconstruction permanentes des relations de production à travers
l’Histoire. Nous pouvons ainsi nous aventurer dans de futures et possibles relations sociales
alternatives. Notre intérêt est de sauvegarder l’utopie à partir des racines de l’Humanité.

Pour que la communauté primitive puisse continuer à exister en tant que telle selon l’ancien
système, il est nécessaire de disposer de la reproduction de conditions subjectives pré-
requises. La seule évolution de la population vers le statut de groupe, c’est-à-dire le
développement quantitatif de cette singulière force productive à l’origine des autres forces
productives sociales, supprime graduellement et obligatoirement ces conditions. La
coopération pour la cueillette exige un nombre minimum d’individus en deçà duquel le
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groupe met en jeu sa survie. Cependant la nature en elle-même se charge de tracer une limite
supérieure. Lorsqu’un groupe dépasse ce chiffre, il y a alors une surpopulation relative par
rapport aux propres forces naturelles. La force productive sociale la plus primitive s’est
tellement développée, dans le cadre de la relation sociale existante (la coopération directe),
que la productivité du travail diminue. La nature et le résultat quotidien obtenus par la
communauté ne se reproduisent pas assez vite pour permettre la reproduction du groupe.
Celui-ci n’a alors pas d’autre solution que de se scinder.
À partir de ce moment abstrait de l’Histoire, nous nous trouvons face à deux groupes ou plus
qui peuvent s’approprier d’un territoire plus vaste. La même modification dans la relation
de production, même si elle nous semble simple, permet une appropriation plus étendue de la
nature. La nouvelle communauté élargie s’approprie de ses fruits de manière séparée mais
complémentaire. Il n’y a pas de droits exclusifs sur les fruits et le territoire plus vaste
L’appropriation des fruits de la nature se fait avec plus d’intermédiarité. Les différents
groupes opèrent séparément dans des territoires différents, mais aucun ne possède des droits
exclusifs ou privatifs sur son secteur et en fait les groupes s’y déplacent sans patrons
privatifs. L’unité de distribution apparait plus vaste que l’unité de production. Ce fait est
évident à travers les échanges cérémoniaux de produits entre groupes, échanges qui
constituent une libération face aux forces naturelles. En temps de pénurie, la coopération
mutuelle sert d’amortisseur contre la disette.

L’indépendantisation relative d’un groupe face à un autre, même si elle est limitée, le rend
relativement indépendant face aux forces naturelles. Cette indépendantisation relative de
chaque groupe vis-à-vis de la nature n’est possible que si le caractère solidaire et réciproque
de la communauté, en tant qu’ensemble, est renforcé. Les nouvelles relations
communautaires devinrent plus complexes, se modifièrent même si elles ne disparurent pas
en tant que telles. Les droits réciproques sur le territoire et le produit obtenu se reflètent
dans des relations de parenté entrainant des droits réciproques. Le groupe se sous-divise en
lignées et leur union se réalise à partir d’échanges matrimoniaux et cérémoniaux. C’est à
travers la complexité croissante de ces relations de parenté que transparait leur plus grand
caractère social. Ce sont ces nouvelles relations sociales qui affranchissent le groupe en tant
que groupe des forces naturelles et de la communauté elle-même en tant que tout. Mais cela
signifie également que cette relative liberté n’est possible qu’à partir de la société considérée
dans son ensemble.
C’est à partir des liens étroits existants entre les groupes d’une communauté plus grande ou
d’une tribu que peut se mettre en place une coopération de travail plus complexe. De cette
manière, le passage de la chasse à une activité à plus grande échelle requiert et permet à la
fois une coopération plus élargie allant au-delà du groupe. Au sein de cette nouvelle relation
sociale, il est possible d’exploiter la nature d’une manière plus intégrale. Cette plus grande
maitrise de la nature permet un état semi-sédentaire de la population, une plus grande
sédentarisation qui permet à son tour un plus grand développement des outils de travail. Cet
essor des forces productives sociales permet quant à lui d’augmenter la population en termes
quantitatifs. Les groupes se séparent et la tribu s’agrandit. Avec les migrations de groupes
au-delà d’une certaine distance, la coopération intensive devient plus difficile. Les contacts
perdent leur caractère régulier et se font sporadiques.

Non seulement les groupes sont non seulement limités dans leur taille, mais c’est aussi le cas
de la tribu ce qui entraîne la formation de différentes tribus, éventuellement mais pas
obligatoirement, réunies au sein d’une confédération. La propriété collective s’arrête là où
commencent les liens tribaux. La propriété collective de la tribu devient privée face à des
tribus qui ne sont pas unies par les liens du sang. Si nous admettons d’un point de vue très
conservateur que l’Humanité existe depuis un million d’années, nous devons conclure que
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depuis 980 000 années, c’est-à-dire 98% de son existence au minimum, elle n’est pas allée au-
delà de ce stade de développement.
Le développement de la pêche ou de la chasse permet un plus grand degré de sédentarisation
à partir duquel une plus grande exploitation de la nature est possible, exploitation rendue
nécessaire en raison des possibilités limitées de cueillette des peuples sédentaires. La chasse
(activité plus masculine) permet la sédentarisation alors que la cueillette (activité féminine)
requiert une plus grande mobilité. Cependant, la même libération relative des peuples
chasseurs ou pêcheurs (avec des échanges matrimoniaux patrilocaux) vis-à-vis de la
cueillette de fruits sauvages (basée sur l’échange matrimonial matrilocal) permet une plus
grande division du travail. Le développement de la chasse et de la pêche permet la migration
de populations vers des régions plus pates pour ces activités et moins propices à la cueillette.
Cela permet également un saut qualitatif de la cueillette vers l’agriculture. Le maintien
relatif des chasseurs et des pêcheurs sur un même territoire permet non seulement la
concentration de plantes et leur culture mais aussi l’exige lorsque les plantes utilisées pour la
cueillette sont épuisées (Dierckxsens, 1983 : 32). Les semailles augmentent tout autant la
possibilité d’occuper la terre que leur exploitation là où les forces naturelles sont moins
développées. Avec l’essor des forces productives sociales, l’espèce humaine se libère de la
nature la soumettant à sa volonté.

Le développement de l’agriculture semi-migratoire, et l’état de semi-sédentarisation en


découlant, rendent possible un accroissement des outils et donc l’augmentation de la
population. Une nouvelle contradiction surgit alors tôt ou tard : une sédentarisation
progressive est nécessaire pour développer l’agriculture alors que pour développer la chasse
une plus grande mobilité est requise. La chasse intensive sur un territoire établi implique la
disparition progressive de la faune. En demeurant dans le même endroit par contre, la
domestication des animaux et l’élevage deviennent avec le temps une possibilité et un besoin.
Historiquement, l’élevage d’animaux remplace la chasse de la même manière que
l’agriculture résulte de la contradiction entre l’humain et l’environnement. La domestication
des animaux rend possible la pratique du pâturage et la migration plus ou moins
permanente vers des terres plus arides, là où l’agriculture est moins prospère. Chaque
nouveau bond dans le développement des forces productives non seulement équivaut une
plus grande liberté de l’espèce humaine face à la nature mais entraine également d’étroites
relations de coopération directe.
Cette évolution dans l’abstrait de l’Histoire de l’Humanité dans son ensemble ne signifie pas
que des cultures concrètes soient passées ou aient dû passer par toutes ces étapes. Après
avoir atteint un certain niveau de développement des forces productives sociales, certaines
cultures se trouvant à un niveau inférieur peuvent tout à fait assimiler des forces productives
sociales qui correspondent à un niveau de développement supérieur. Les faits antérieurs
impliquent que des sauts qualitatifs peuvent se produire dans l’Histoire concrète de certains
peuples. Ce qui nous intéresse ici, c’est tout à la fois une étude anthropologique de cultures
concrètes mais aussi comprendre, dans l’Histoire de l’homme, comment l’être humain a pu
se libérer du caractère absolu des forces naturelles à travers le développement des forces
productives sociales qui ont permis à l’Humanité de migrer durant des milliers d’années vers
des régions plus périphériques où les forces naturelles étaient moins abondantes. Cela reflète
le processus de libération de l’Humanité face aux forces naturelles.

Jusqu’à cette étape de l’Histoire, le processus de libération a été mené à bien grâce à des
relations communales dont les liens deviennent chaque fois plus complexes. Cette complexité
génère plus de liberté pour certaines communautés que pour d’autres, mais elles ne peuvent
exister qu’en faisant partie intégrante de l’ensemble. La liberté communale privée est
uniquement produite par l’appartenance à la société conçue comme l’ensemble des
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communautés. La société n’est pas la somme de toutes les communautés privées mais elle les
transcende et leur donne vie à toutes. Appartenir à une communauté plus complexe est la
condition fondamentale pour s’affranchir en tant que communauté plus petite. Il n’existe
pas encore de différence entre le Bien Commun de la société et l’intérêt individuel ; cela
continue à être directement un intérêt individuel, c’est à dire qu’il n’existe aucune possibilité
de séparation entre les deux et pas d’intérêt privé allant au-delà du Bien Commun.
La solidarité continue à être une condition indispensable pour la reproduction quotidienne
de la vie concrète. Le processus historique qui permet la libération relative de l’individu par
rapport aux liens communaux requiert un certain niveau des forces productives sociales.
C’est précisément à travers la coopération élargie et la division sociale du travail que la
société se divise en son sein. À partir de là, le Bien Commun perd de sa visibilité. Les intérêts
privés de certaines communautés peuvent entrer, et entrent, en conflit avec les intérêts
d’autres groupes comme nous allons le voir. Le processus de libération potentielle de
l’Humanité, dans lequel certaines communautés se libèrent d’autres, et la libération future
des individus des liens communautaires, passe par son contraire : le refus de la libération de
la majorité en échange de la « libération »de quelques minorités. Ce processus de libération,
construit sur le refus de la libération des majorités, marque le processus postérieur de
l’Histoire.

Cependant, au cours de ce processus de négation de la libération des majorités, se détache


une tendance que Marx a déjà rapidement signalée. Le chemin vers la libération individuelle
passe par la négation de la société pour réaffirmer l’individualité. L’inversion de la relation
entre société et individualité s’accomplit complètement avec l’apogée de la modernité, où la
société est perçue comme étant le résultat exclusif de l’individualité. À partir de cette
dernière, la société conduit historiquement vers une individualité sans société. La crise de la
modernité a atteint les limites du possible, et le futur de notre Histoire semble indiquer qu’il
ne pourra y avoir de pleine individualité qu’à partir d’une société libératrice. La réponse
historique du socialisme réel est la négation absolue d’une société construite à partir de
l’individualité et cette inversion conduit à une société sans individualité. Le projet
dialectique du futur de l’Humanité semble nous mener, d’un point de vue axé sur la synthèse
historique, vers l’individualité en partant de la société. L’utopie de la société libératrice
réside en elle-même : c’est comme retourner à l’essence de la relation sociale et solidaire de
la communauté primitive, mais cette fois avec un complet développement des forces
productives sociales.

2. LA LIBERTÉ RELATIVE DE S’ÉLOIGNER DU BIEN COMMUN

Plus l’appropriation des fruits de la nature par l’individu requerra de travail collectif, et
plus les conditions pour la perpétuation des relations communales de production seront
réunies, alors que diminueront les possibilités d’un essor de l’appropriation individuelle et
privative de la terre. A partir de ces conditions, les relations communautaires tendent à se
reproduire, malgré un développement croissant des forces productives sociales. Les
anciennes migrations eurent lieu à partir de terres avec des forces naturelles plus riches vers
des territoires périphériques, plus arides et moins accessibles, c’est à dire vers des terres
possédant moins de forces productives. Pour exploiter ce nouvel environnement moins
accueillant, il est nécessaire de mettre en place une coopération encore plus complexe. Au
lieu de libérer l’être humain des liens communautaires, cela les renforce.
Nous pouvons mentionner des exemples historiques qui se situent tous dans l’actuelle
périphérie de l’économie mondiale : l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine. Les grandes
cultures anciennes se trouvaient loin des pays centraux d’aujourd’hui et de leur Histoire.
C’est une Histoire non axée sur l’Europe, où la négation de l’individualité et de la modernité
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revêt de telles dimensions qu’elle est finalement rejetée par l’Occident. Nous pouvons
souligner l’incursion de peuples néolithiques (qui connaissent déjà l’agriculture) dans la
vallée du Nil, avec toutes ses calamités, ainsi qu’en Mésopotamie ; l’incursion dans la vallée
du Hoang-Ho en Chine ; celle de la vallée de Teotihuacan au Mexique et la migration vers
l’Altiplano des Andes si nous parlons des peuples précolombiens du Pérou. Toutes ces
cultures se sont développées dans des régions possédant des forces naturelles moins
abondantes, c’est-à-dire des régions périphériques, plus difficiles d’accès et plus dures à
mettre en valeur avec l’agriculture. Pour compenser ce moindre développement des forces
productives naturelles, une coopération élargie se développa afin de créer de grandes œuvres
collectives (digues, terrasses, canaux et autres œuvres hydrauliques).

Dans ces conditions, le besoin objectif d’une coopération, au lieu de diminuer, se fait sentir
de façon encore plus aigüe. Cependant, plus le degré de coopération et de développement
simultané des forces sociales deviennent élevé, et moins la division naturelle du travail
s’avère durable. Les obstacles propres à la nature en elle-même rendent nécessaire une
division sociale du travail entre travail manuel d’un côté et intellectuel et de direction d’un
autre côté. Cette division naturelle du travail existe déjà au sein des sociétés communautaires
tribales, avec des excédents plus ou moins permanents, sous la forme du conseil des anciens.
Dans une société ne produisant pas d’excédents de cueillette, les anciens n’avaient pas la
même fonction productive. La connaissance accumulée était encore très limitée. Dans des
sociétés primitives excédentaires, le savoir concernant l’activité productive et de très
complexes relations sociales est concentré par les anciens, gardiens de ce savoir accumulé.
Au lieu d’apparaître comme une population relativement inutile, les anciens deviennent
incontournables.

Cependant, avec une coopération élargie et le développement de grandes œuvres


hydrauliques, le savoir accumulé au cours du passé et confié à la garde des anciens n’est plus
suffisant.il est nécessaire de développer un nouveau savoir et des forces vitales pour la mise
en œuvre de grands travaux collectifs et en d’autres termes nous passons d’une division
naturelle à une autre à caractère social. La nouvelle différenciation dans la classification
technique du travail divise socialement la société en deux parties : les multiples
communautés de base d’un côté, et une communauté qui dirige la construction des grandes
œuvres collectives – autrement dit une communauté supérieure. Cette division du travail
socialise donc les relations de production. Les communautés de base se soumettent à la
direction lors de la réalisation des grands travaux. Pour mener à bien la réalisation de ces
œuvres, les communautés de base versent un tribut sous la forme de travail en déléguant
leurs membres (pour un certain laps de temps et de manière alternée) pour ces grands
chantiers, mais également un tribut en produits en fournissant les matériaux requis pour les
constructions ; elles fournissent aussi le nécessaire à l’entretien quotidien de ceux qui
supervisent. Les relations sociales de production impliquent alors parallèlement des relations
sociales de distribution.

La communauté supérieure, qui conçoit et dirige le mise en œuvre des travaux collectifs,
prête un service qui permet - en le combinant avec le travail manuel et collectif des
communautés – d’élever les forces productives de la société comme un tout. De manière
coordonnée, les deux travaux s’enchainent pour former un produit final qui augmente la
productivité du travail de la société. Les deux travaux sont non seulement nécessaires mais
tout autant productifs.

Cette division sociale du travail modifie donc les relations de production et les rend sociales.
L’ancienne direction naturelle sous la forme du conseil des anciens est remplacée par une
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direction nettement sociale, et les liens de solidarité directe entre les communautés, basée sur
des liens de parenté, sont remplacés par d’autres, axées sur les tributs des communautés de
base pour celles qui leur sont supérieures. La communauté supérieure détermine ce que doit
produire chaque groupe, pour verser un tribut, ainsi que la quantité de travail apportée en
guise de tribut par chaque communauté pour la réalisation des grands travaux.

Les liens sociaux horizontaux entre communautés sont remplacés par d’autres, verticaux,
qui régissent les rapports entre les groupes de base et la communauté supérieure, qui exerce
de facto une domination sur les moyens de production les plus importants, les œuvres
collectives, et qui décide quels produits chaque communauté doit apporter, définissant de
cette manière les besoins de tribut en travail. Cette communauté supérieure devient
finalement la propriétaire des œuvres communales et décide du travail et du produit de
chaque communauté. Elle s’approprie, de fait, de l’excédent économique produit par les
communautés de base. Cette appropriation n’implique pas dans un premier temps une
contradiction avec le Bien Commun, mais cela crée les bases pour une telle contradiction. À
partir de la division sociale du travail, le Bien Commun cesse d’être le résultat direct ou
immédiat du travail et ne peut que découler de son résultat final. La légitimité de la division
sociale du travail dépend de ce résultat final.

Au début, l’excédent est essentiellement investi dans des œuvres productives collectives. Le
résultat de leur achèvement est une productivité du travail plus importante pour la nouvelle
société en tant qu’ensemble. C’est alors que le Bien Commun de la société s’affirme et le
travail de la communauté supérieure trouve une légitimité. Autrement dit, avec la division
sociale du travail, la légitimité des relations sociales existantes devient plus indirecte. Une
fois les œuvres collectives achevées et ne restant plus que des œuvres d’entretien limitées, le
travail de la communauté supérieure devient relativement superflu en termes objectifs. Le
même tribut sous forme de travail ou autre n’est plus nécessaire pour le simple entretien des
œuvres collectives achevées. S’il ne s’agit que de la maintenance des œuvres, une part
importante de la communauté supérieure serait alors superflue, objectivement parlant. Une
réduction de ce groupe réaffirmerait la légitimité de sa présence.

Dans la pratique cependant, nous constatons l’apparition de nouvelles tâches de la


communauté supérieure qui la légitiment, tout d’abord objectivement et plus tard de
manière subjective à partir des nouvelles tâches définies. Une part croissante des excédents
est conservée de manière centralisée, comme réserve ou trésor, pour époques de pénurie dans
n’importe laquelle des communautés de base. C’est là l’origine des premières pyramides. Ce
trésor centralisé remplace l’échange cérémonial entre communautés primitives. Devenue
capable de faire face à des crises se produisant dans des communautés de base, la classe
supérieure se légitimise. Il n’existe pas encore de contradiction entre le pouvoir chaque fois
plus centralisateur et le Bien Commun. Cependant, la légitimité du pouvoir centralisé
devient plus indirecte, et la tendance rend plausible un éloignement des intérêts de la
communauté supérieure par rapport à ceux des groupes de base. Mais une éventuelle crise
de légitimité ne se produira pas dans l’immédiat.

Le temps et les matériaux libérés par la diminution de la construction de grandes œuvres


collectives tendent à être investis dans des temples toujours plus grands, des temples qui
comme trésors perdent leur fonction originelle de redistribution pour des époques de
pénurie. Les temples cessent d’être de simples réserves et deviennent des mécanismes
d’accumulation alors que la légitimation subjective de l’accumulation est transmise à travers
le culte ou la religion. De par leur contenu, les œuvres cultuelles ne constituent en aucun cas
une rupture avec le passé. Il existe déjà chez les peuples primitifs des œuvres liées au culte et
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la prêtrise avec des fonctions spécialisées dans l’intervention face aux forces naturelles, à une
époque où la libération de l’être humain vis-à-vis des forces naturelles était très fragile. Les
forces naturelles dominaient les conditions de reproduction de la société productive, et la
nature ne pouvait apparaitre dans la conscience humaine que comme un être supérieur non
contrôlable par l’être humain. Dans de telles circonstances, la nature se subjectivise et l’être
humain s’objectivise dans le cadre d’une conception fétichiste qui provient du manque de
libération de l’Homme par rapport aux forces naturelles.

Cependant, grâce à la division sociale du travail entre manuel et intellectuel, la communauté


supérieure inclut l’objectivité de certains processus naturels ainsi que les relations sociales de
production en elles-mêmes. En son sein, la subjectivité de la nature perd du terrain au fur et
à mesure que les connaissances sur ce thème se développent. Avec cette division sociale du
travail, la communauté supérieure – en tant que collectif - se réaffirme comme sujet, au
contraire des communautés de base. Dès lors que le savoir objectif est monopolisé et ne
devient plus patrimoine de la société collective, la subjectivité liée à la nature disparait peu à
peu de la communauté supérieure ; il n’en est pas ainsi pour les communautés de base, où
c’est plutôt le contraire se produit.

Proportionnellement à l’augmentation de la productivité du sol pour toutes les communautés


de base grâce aux œuvres productives, les œuvres du culte acquièrent une expression qui va
au–delà de l’environnement local, tout comme les propres œuvres productives. L’unification
économique de toutes les communautés de base permet d’introduire une unification des
représentants des communautés face aux pouvoirs de la nature. À partir de la division
sociale du travail, la représentation de la communauté comme un tout face aux dieux ne peut
se développer que par le biais de la communauté supérieure. Le trésor, où est conservé
l’excédent centralisé pour les époques de disette, devient peu à peu un temple pour remercier
les dieux qui, aux yeux des communautés, apparaissent comme des forces toutes puissantes :
le Soleil, la Lune, la Terre, l’Eau, etc. Dans les faits les relations sociales instaurées à partir
des œuvres productives se divinisent à partir des œuvres du culte.

La séparation de l’intérêt privé de la communauté supérieure par rapport au Bien Commun


peut naître d’une perception distincte des processus naturels. Une telle séparation historique
est la conséquence de la libération de l’être humain, non comme individu mais comme
communauté supérieure, vis-à-vis des forces naturelles et par conséquence de leur libération
exclusive par rapport aux autres groupes. Les intérêts contradictoires au sein de cette société
s’y installent de manière structurelle, et s’expriment culturellement dès lors que les membres
de la communauté supérieure apparaissent comme les représentants des dieux, et cessent
d’être les représentants de la communauté devant les dieux. La naissance de l’Etat
théocratique net symboliquement un terme à l’unité entre intérêt privé et Bien Commun. La
prise de conscience de cette rupture chez les communautés de base ou la crise de légitimité
du pouvoir central n’est pas immédiate et permet aux classes supérieures d’exercer le
pouvoir.

Dans la théocratie, la religion devient une façon perpétuelle de s’approprier de l’excédent


produit par les communautés inférieures. Avec la religion, la communauté supérieure
parvient à légitimer sa présence intergénérationnelle. Le tribut versé par les communautés
de base devient objectivement un impôt, mais d’un point de vue subjectif il demeure un
tribut volontaire versé aux dieux et à leurs représentants devant le peuple. Objectivement, il
s’agit de la naissance de l’exploitation même si subjectivement les œuvres du culte
constituent l’expression divine de l’unification des communautés de base en une seule
société. Cette vision subjective et fétichiste ne se base plus exclusivement sur le manque
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d’emprise de l’être humain sur les forces naturelles (dans les communautés de base) mais
c’est objectivement la conséquence de la monopolisation du savoir sur ces forces naturelles
(par la communauté supérieure), à partir de la division sociale du travail dans les travaux
collectifs.
Avec le temps, les travaux liés au culte revêtent une expression chaque fois plus ostentatrice
aux dépens des œuvres collectives. Le tribut en produit se diversifie. Chaque communauté se
spécialise en un ou plusieurs produits dont elle doit s’acquitter comme tribut. À partir de là,
une division du travail artisanal plus spécialisé se développe dans la communauté
supérieure. C’est alors l’essor de la ville-état, à partir de laquelle augmentent les forces
productives sociales, même si ce n’est pas le cas dans les communautés de base. La seule
force productive sociale à se développer au-delà des travaux collectifs est la population en
elle-même. Si les œuvres productives n’augmentent pas ou, pire encore, si leur conservation
est négligée, avec le temps se produira une surpopulation. Une détérioration des travaux
collectifs, au milieu d’œuvres de culte toujours plus ostentatrices provoque des inondations,
la disette, des épidémies, etc.

D’un point de vue objectif, les œuvres liées au culte ne sont pas reliées à l’économie en tant
que telle ; elle n’augmente pas la production directement, ni même indirectement. Au lieu de
croître, la productivité du travail, en considérant l’économie dans son ensemble, diminue. De
par leur contenu, il s’agit d’œuvres improductives car elles ne contribuent pas au Bien
Commun de la société ; au contraire leur caractère improductif devient visible avec le temps.
Les œuvres n’ont pas de légitimité, et de cette manière le pouvoir central perd lui aussi de la
légitimité. Ce n’est qu’une question de temps pour que sautent aux yeux la contradiction des
intérêts sociaux.
Un conflit latent d’intérêts entre la communauté supérieure et les inférieures devient
perceptible et il ne s’agit plus d’un phénomène isolé au-delà des frontières tribales mais bien
d’un conflit surgissant au sein de la société. Lorsque le Mal Commun des communautés
inférieures se révèle au milieu du luxe de la communauté supérieure, le choc d’intérêts
apparait et la légitimité de la communauté supérieure est alors remise en question, une crise
de légitimité qui devient explicite lorsque se produisent inondations ou famines dont sont
victimes les communautés de base. La communauté supérieure s’avère impuissante face à la
surpopulation ; le recours aux dieux avec des sacrifices humains dans les temples est une
issue de secours classique face à une surpopulation relative. Cependant, si ne démarre pas
une reprise des travaux collectifs, la crise de légitimité dégénèrera tôt ou tard en révoltes
avec une invasion de la cité-état où réside la communauté supérieure. La destruction et
l’incendie des temples accompagnés de la liquidation de la classe supérieure sont des
phénomènes communs de l’Etat théocratique.

Cependant, en éliminant leurs exploiteurs les communautés de base se débarrassent


également d’une direction qui aurait pu potentiellement lancer de nouvelles collectives
productives. Le localisme qui s’ensuit aggrave encore plus la crise existante. La population
diminue et la décadence souligne le besoin objectif d’une nouvelle direction, même si elle ne
sera pas sise au même endroit. De cette manière, cette chaine d’événements peut se
reproduire à travers les siècles, une situation qui est caractéristique de la civilisation maya
par exemple. L’Histoire démontre que l’humanité néolithique a vécu durant des millénaires,
et dans les lieux les plus reculés de la planète, sous cette modalité cyclique de crises et
d’apogées caractéristiques de l’État théocratique.
Les conflits d’intérêt se déroulent non seulement au sein d’une société déterminée mais
également, depuis les époques les plus reculées, entre des sociétés tribales et encore plus
facilement là ou se présente une densité de population élevée pour l’époque. La reproduction
de la société théocratique dans un environnement plus peuplé requiert d’autres œuvres
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collectives : les œuvres de défense. L’association de différentes cités-états se donne en


fonction de ces œuvres défensives de grande envergure. Le versement de tributs pour
réaliser ces œuvres défensives constituaient une fonction encore plus centralisatrice que les
œuvres productives. Des cités-états versaient un tribut sous forme de main d’œuvre à une
autre plus grande qui se chargeait de diriger la supervision complète de l’œuvre de défense
commune. La Grande Muraille de Chine construite contre les peuples nomades (mongols et
huns) est un exemple historique dans ce domaine. Simultanément aux autres travaux
productifs apparaissent de grandes œuvres collectives défensives qui non seulement
requièrent des travaux de construction mais aussi des opérations militaires. De cette façon,
surgit parallèlement aux prêtres une aristocratie militaire.
Le développement inégal non seulement bénéficie aux cités-états sur le plan économique
mais aussi sur le plan militaire. Le tribut n’est plus limité aux seules communautés de base
mais est également imposé aux autres sociétés moins développées, soumises ou unifiées dans
une grande œuvre commune : la défense. De nombreuses cités-états plus petites paient un
tribut au pouvoir centralisateur, en plus des relations d’échange de produits entre les
diverses cités-états. L’existence des échanges commerciaux entre sociétés réaffirme leur
autonomie relative sur la terre et le produit appropriés. L’échange commercial réaffirme la
propriété de la cité-état sur un territoire. Le versement de tributs de cités-états à une cité-
état suprême réaffirme l’appropriation et la défense par cette cité sur un territoire plus
grand. Plus les relations commerciales sont développées et plus l’appropriation privative
d’une cité-état sur une autre s’affirme ; plus le système de versement de tributs par des cités-
états à une autre se développe, plus évident est le refus de l’appropriation privative des cités
inférieures et plus manifeste est leur soumission face à une cité-état supérieure, propriétaire
finale de tout le territoire. Le tribut collectif sous forme de main d’œuvre est proportionnel
au degré de coopération ou de résistance dont font preuve les cités-états dans la constitution
de cette association d’Etats.

Les œuvres de défense ne sont pas productives, tout du moins pas directement, dans la
mesure où elles ne sont pas liées à l’économie de base. Des œuvres défensives comme la
Grande Muraille créent un produit qui n’augmente pas directement la productivité du
travail de l’économie en tant que telle. Il s’agit d’œuvres improductives de par leur contenu
car elles n’augmentent pas les forces productives sociales de la société. Leur construction
implique un sacrifice de richesse pour une finalité économique stérile, et c’est la raison pour
laquelle cela tend à générer une crise économique si elles accaparent de grandes proportions
de la production sociale. Les œuvres défensives collectives génèrent un produit matériel
stérile pour le processus de reproduction à grande échelle de l’économie et elles peuvent
même mener à une reproduction limitée, c’est-à-dire contracter la richesse future. Ce cas
peut être d’ailleurs illustré par la construction de la Grande Muraille de Chine qui eut lieu
pendant une longue période de temps avec des cycles périodiques de crise. Le résultat final
amène indirectement des conditions objectives pour la reproduction dans de meilleures
conditions de la société chinoise préservée des invasions extérieures. Indirectement, les
œuvres défensives augmentent le développement des forces productives sociales de la société
chinoise mais pas nécessairement celles des sociétés environnantes. Sa légitimation par
conséquent a lieu au sein de la société chinoise mais pas à l’extérieur.

Une fois achevées les œuvres défensives et productives, les travaux liés au culte atteignent un
niveau jamais vu dans les états théocratiques antérieurs. Les crises cycliques de
surpopulation existent également dans ces sociétés, accompagnées de crise de légitimité. Le
développement inégal des œuvres défensives dans certaines cités-états plus avancées permet
la conquête et l’imposition de tribut à de nouvelles cités-états soumises. La conquête et
l’augmentation du tribut apporte une solution au problème de la surpopulation. La
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répression militaire et les sacrifices humains de prisonniers de guerre et d’une partie des
cours des cités-états qui résistent constituent un facteur d’amortissement. Le développement
limité des forces productives ne permet néanmoins pas une occupation permanente dont le
coût serait excessif. L’empire se dessine à travers une pyramide de cités-états. Les plus
faibles paient tribut aux cités-états qui leur sont supérieures, et ces dernières font de même,
successivement.
Plus les cités-états sont éloignées du centre du pouvoir impérial et moins leurs économies de
base reçoivent de bénéfices sous forme d’œuvres productives. Elles sont par contre plus
exposées aux menaces d’envahisseurs extérieurs, et par conséquent le tribut qu’elles versent
apparait plus improductif et avec toutes les caractéristiques d’un simple impôt entrainant
une perte de légitimité du système dominant. Face à cette crise de légitimité, il est plus facile
que se brise la chaine des tributs à la périphérie lorsque la communauté supérieure
impériale traverse une crise. Avec l’augmentation de la distance, ses tentacules
s’affaiblissent, ce qui signifie que la reproduction limitée du système impérial favorise la
rébellion en périphérie. La perte de légitimité du pouvoir impérial devient ainsi plus
évidente en périphérie où se nouent généralement des alliances entre les cités-états
inférieures et des peuples vivant hors du contrôle impérial. L’Histoire ancienne montre que
les cités-états inférieures et périphériques se superposent généralement à la cité-état
impériale en décadence. Un nouveau centre impérial surgit alors dans un autre endroit
relativement éloigné et de cette manière se reproduit l’Histoire à travers les siècles : il s’agit
de l’Histoire du mode de production tributaire, erronément appelé « mode de production
asiatique ».

Chapitre II

Libération historique de l’individu aux dépens du Bien Commun

1. Individualité sans liberté ou négation absolue de la liberté en tant que personne

La libération relative de l’individu en société nait historiquement avec la vie en société, et


non l’inverse. La conception de la modernité selon laquelle les individus constituent la
société réfute le développement historique de la société humaine et empêche de voir l’avenir.
C’est bien la vie en société qui permet l’apparition de l’individu en son sein. La construction
d’une société à partir d’intérêts individuels n’est rien d’autre qu’une étape dans l’histoire de
l’humanité avec une origine et une conclusion. Cette conclusion de la modernité est
aujourd’hui évidente. En comprenant l’historicité de la modernité, il est possible de
comprendre le futur probable de l’Humanité à partir de la conclusion de la modernité.
L’Histoire de l’Occident est l’Histoire de l’individualité en société, vers une société construite
à partir de l’individualité. Tant que nous considérerons l’Histoire Occidentale comme
l’Histoire universelle, autrement dit l’Histoire unique, nous ne pourrons pas comprendre
l’Histoire de l’Humanité ou être capables de regarder l’avenir.

L’apparition de l’individu en société ne se produit que dans les derniers millénaires de


l’Histoire de l’Humanité. Au contraire, la libération de l’individu en société nait et se
développe historiquement à partir du Bien Commun de la société prise comme un ensemble,
et non l’inverse. Cependant, la libération de l’individu en société, et les intérêts privés qui
surgissent historiquement de ce processus, créent l’espace structurel pour s’éloigner du Bien
Commun. La libération individuelle de certains se trouvant dans une position structurelle ou
de classe peut se développer en contradiction ouverte avec la négation absolue de la
libération d’autres se situant dans une autre position. C’est un processus de libération
individuel excluant et absolu. L’affirmation de la liberté individuelle se renforce à partir de

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la négation absolue de cette liberté pour la classe opprimée puisqu’on lui ôte sa condition
humaine. La transition de l’affirmation et la négation simultanée de l’individu en société à
partir d’un conflit ouvert d’intérêts de classe sans aucune médiation possible avec le Bien
Commun prend naissance à partir des relations esclavagistes.
Le développement de la relation esclavagiste de travail, comme relation de production
dominante ne doit pas être cherchée au centre du mode de production asiatique, où d’une
manière plus ou moins permanente est requis un haut degré de coopération communautaire
durant le processus du travail. Pour les historiens occidentaux, le tribut collectif peut passer
pour une relation esclavagiste. Son essence est toute autre : l’individualité est assujettie à la
communauté, qu’elle soit supérieure ou de base. Tant que la coopération élargie persiste
comme condition objective du travail, les relations communautaires ne se désintègrent dans
aucune communauté. La périphérie de ce qu’on appelle « mode de production asiatique » est
caractérisée, en termes analytiques, par un environnement où le processus du travail en lui-
même requiert un degré de coopération moins important. Cette situation ne se présente pas
uniquement là où fonctionna le « mode de production tributaire ». C’est une conception
erronée que de penser que chaque société concrète traverse un processus historique
déterminé. Ce que nous voulons affirmer, c’est qu’au cours de l’Histoire de l’Humanité prise
comme un tout, le mode de production esclavagiste prit naissance dans la périphérie du «
mode de production tributaire » et après lui.

Dans la société où nait la relation esclavagiste, les relations communautaires tendent à être
substituées auparavant par d’autres, nettement sociales de production. Marx nomme « mode
de production antique » cette phase de production antique durant laquelle les relations de
parenté en tant que relations naturelles de travail se désintègrent. La libération de ces
relations constitue une libération de l’être humain vis-à-vis de sa propre nature : il cesse
d’être un être grégaire. Ce dépassement historique ne signifie pas l’ouverture d’une voie
directe vers la naissance d’une société en meilleure harmonie avec le Bien Commun. C’est
plutôt le contraire qui devient possible : la libération de l’espèce humaine de ses liens
communaux permet la confrontation ouverte d’intérêts individuels la plus forte dans
l’Histoire de l´Humanité. La naissance historique de l’individu affranchi des relations
communales implique à la fois l’affirmation et la négation de l’être humain en tant que
personne au sein d’une relation esclavagiste.

Pour que surgisse la relation esclavagiste proprement dite, il est nécessaire qu’apparaisse
l’appropriation privative et individuelle de la terre, à partir de laquelle nait historiquement
l’appropriation individuelle sur d’autres êtres humains. La désintégration des relations
communautaires dans le processus de travail ou l’appropriation de la nature est le pré-
requis pour l’apparition de la propriété privée et individuelle sur la terre. La Grèce antique
vit le jour dans la sphère d’influence de l’Egypte, de la Perse et de la Crète, des cultures où
régnait le mode de production asiatique. Vers l’an 1100 avant notre ère, les Doriens, peuple
nomade d’éleveurs originaires de la péninsule balkanique, se déplacent vers la Grèce
centrale et par la suite vers le sud (Messénie) où ils se heurtent à un peuple d’agriculteurs
(les ilotes). Les Spartes (Doriens) étant une communauté de guerriers, de nomades et
d’éleveurs, tout comme les huns ou les mongols en Chine, soumettaient les peuples
agriculteurs. Ils imposaient un tribut collectif aux agriculteurs vaincus sans détruire les
relations communautaires. Il s’agit de la même servitude collective d’une communauté
envers une autre que celle que nous avons déjà étudiée dans le mode de production asiatique.
Nous ne pouvons pas encore parler de relations esclavagistes dans la mesure où il y a
soumission et exploitation de quelques communautés qui versent un tribut sous forme de
produit et de travail. La relation communautaire ne disparait ni chez les exploiteurs ni chez
les exploités.
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Certaines régions de Grèce, notamment l’Attique qui est naturellement isolée et un grand
nombre d’îles de la mer Egée, occupées par les Ioniens depuis l’an 2000 avant notre ère, ne
furent pas victimes de l’invasion des Doriens grâce à des « œuvres défensives » naturelles.
Pour l’occupation, l’exploitation et la défense de ces territoires nul besoin d’une grande
muraille, comme ce fut le cas pour la Chine pour se protéger des Huns et des Mongols.
Grâce aux forces défensives naturelles, les œuvres sociales de défense sont moins importantes
et de moindre envergure, ce qui permet la sédentarisation de la population et le
développement de l’agriculture. Dès le début, l’activité dominante liée aux pâtures est peu à
peu remplacée par l’agriculture, déjà connue par leurs ancêtres. L’ajout des animaux
domestiqués et l’utilisation de la charrue dans l’agriculture font que l’exploitation
quotidienne de la terre requiert de moins en moins la coopération supplémentaire d’une
famille.

Grâce au développement de ces forces productives au sein des communautés locales


l’exploitation quotidienne et l’appropriation privée de la parcelle agricole se sépare de fait de
l’exploitation et de l’appropriation communale des pâturages et des forêts. Le produit
obtenu à partir de la parcelle est automatiquement approprié, sans qu’il soit nécessaire de
faire intervenir le travail communal. Lors de la distribution du produit de la parcelle,
l’intermédiation de la communauté n’est plus nécessaire. L’appropriation du produit tend à
être immédiate et individualisée. La redistribution du produit part de la parcelle individuelle
ou familiale et revêt les caractéristiques du troc à l’intérieur de la communauté. Avec la
diversification des produits agricoles dans l’espace, leur échange a lieu au sein de la
communauté au cours de foires périodiques. Ce développement des échanges dans la
communauté permet un plus grand essor de la division sociale du travail. La propriété
privée et individuelle de la terre nait à l’intérieur de la communauté en même temps que la
propriété communale sur les pâturages et les forêts.

Cependant, la reproduction des propriétaires privés de parcelles ne peut être en danger


qu’en cas de perte de la terre communautaire. La défense du territoire communale est par
conséquent le travail qui renforce les liens communautaires et être membre du groupe
continue à être un prérequis pour l’appropriation du sol, même si ce citoyen apparait comme
propriétaire privé. La communauté de familles individuelles, avec à leur tête le père de
famille, titulaire du droit de propriété privée sur la parcelle (héréditaire pour la descendance
masculine) s’organise tout d’abord pour la défense du territoire. Face à une menace latente,
apparait la direction militaire et la construction des premières polis, des citadelles servant de
refuge et de centre de la vie communautaire. C’est là que s’installe le marché et le conseil des
anciens (les patriciens) ou boulè, ensemble de patriciens qui administrent les terres
publiques. Pour les décisions importantes, une assemblée populaire est convoquée, en
représentation de tous les citoyens de plein droit : les hommes adultes mobilisables pour a
défense du territoire (àgora). Le chef de guerre est à la tête de la polis et rend la justice sur la
place publique en ce qui concerne des litiges sur des terres publiques, entre autres. Les
anciens sont des juges sages.

Cette division sociale du travail entre champ et citadelle requiert un tribut sous forme de
travail et de produit versé par les propriétaires individuels. La communauté apparait ici
comme unie à travers le concept de citoyenneté. Ils sont des citoyens non parce qu’ils vivent
au sein de la ville mais à cause de leur union avec cette dernière en tant que leur Etat,
s’agissant d’une relation réciproque entre propriétaires égaux et libres (leur lien avec
l’intérieur) et en même temps de leur garantie face à l’extérieur. Le Bien Commun des
propriétaires individuels à la campagne est garanti par l’Etat sans lequel n’existeraient pas
les conditions objectives pour que les propriétaires individuels se reproduisent, c’est à dire
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leur citoyenneté. C’est l’époque de la démocratie militaire : militaire parce que la défense
représente une part essentielle de la vie des citoyens, et démocratie parce que l’assemblée
populaire constitue l’organe de pouvoir de dernière instance.

Dans ce « mode de production antique », la reproduction simple des paysans en tant que
propriétaires privés est basée sur la communauté de guerriers, des hommes adultes capables
de prendre les armes, transformés en citoyens avec le droit de participer à la vie publique.
Les relations familiales ont tendance à être remplacées par des relations sociales entre
citoyens. Les terres et la citoyenneté sont héréditaires pour les membres masculins du groupe
et de cette façon le patriarcat remplace peu à peu le matriarcat. La seule croissance de la
population, l’augmentation de cette force productive de manière quantitative, épuisent les
relations de productions existantes. La croissance de la population conduit à la reproduction
limitée de l’économie paysanne suite au fractionnement des parcelles des propriétaires
individuelles. La pression sur la terre qui s’ensuit débouche sur un mouvement social qui
oblige le commandant militaire à faire un choix : permettre que la population occupe les
terres publiques ou coloniser de nouvelles terres.

La colonisation légitimise la présence de la direction militaire, alors que la préservation du


contrôle des terres publiques par les patriciens lui ôte sa légitimité. La colonisation des grecs
de l’Asie mineure revêt un caractère pacifique jusqu’au 6ème siècle. Les relations
commerciales prospères entre la métropole et ses colonies en sont le meilleur exemple.
Cependant, la colonisation de territoires fortement peuplés dans le sud-ouest de la
Méditerranée fomente les guerres de colonisation et de conquête. Le commandant en chef,
les chefs des gens (les patriciens) et les conseillers militaires en arrivent à exercer le contrôle
non seulement sur les nouveaux territoires mais aussi sur de grandes quantités de
prisonniers de guerre. Au lieu d’être sacrifiés, ces derniers perdent leur liberté en tant
qu’individus et tout lien avec leur communauté.

Dans la communauté citoyenne, on commence à distinguer une aristocratie qui contrôle non
seulement la terre communale mais également la terre collective, conquise ainsi que les
esclaves. La production esclavagiste sur les terres communales est dirigée par les patriciens
et les conseillers militaires qui reçoivent le contrôle individualisé sur de nouvelles terres
communales et les esclaves s’y trouvant. Le produit résultant de cette forme d’exploitation
est destiné à l’entretien de la classe gouvernante, et le contrôle individuel de facto sur le
produit se transforme au fil du temps en appropriation individuelle de plein droit et il en est
de même concernant les terres et les esclaves. Cette appropriation privative des terres
communales et des esclaves par les patriciens transforme ces derniers en une classe
d’esclavagistes qui affronte de mani`1dre antagonique et ouverte une nouvelle classe
d’esclaves.

Les esclaves appartiennent à leur maître, tout comme les outils de travail. Légalement,
l’esclave est un instrument doué de parole, ce qui le place juste au-dessus du bétail considéré
comme instrument semi-parlant et deux échelons au-dessus du matériel agricole,
instruments muets ; ils sont achetés et vendus sur les marchés comme toute autre
marchandise. Il s’agit de la naissance de l’exploitation d’un individu par un autre, à partir
de relations découlant de la division nettement sociale du travail et non plus sur la base de
relations communautaires ; nous avons là pour une minorité la libération historique de
l’individu vis-à-vis des relations communales, au prix de la négation absolue de la liberté en
tant que personne pour une grande majorité. L’esclavage représente l’apparition de
l’individualité basée sur la négation de la condition humaine la plus radicale jamais vue dans
l’Histoire. Lorsqu’ils perdent leur condition d’êtres humains pour devenir des outils inertes
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de production, privés de tout droit économique et social, les esclaves sont exclus de la société
bien qu’ils fassent partie de son appareil productif. Les formes d’exploitation postérieures à
l’esclavage révèlent juste la lente récupération de la liberté en tant que personne, et c’est
dans ce sens que Marx les considère comme supérieures.

La simple reproduction des relations esclavagistes requiert le remplacement permanent des


esclaves, objets de vente individuelle et sans liens familiaux. En les réduisant à de simples
marchandises, il n’existe aucun mécanisme naturel de reproduction des esclaves qui ne se
présentent pas volontairement sur les marchés, la guerre de conquête devenant permanente
pour garantir ainsi la reproduction. La conquête et la colonisation cessent d’être de servir
exclusivement les intérêts des citoyens libres. Les intérêts des patriciens et ceux des citoyens
libres commencent à entrer en conflit en ce qui concerne l’occupation des terres
communales. Cette polémique enfle au fur et à mesure qu’augmente les besoins des civils
pour augmenter la superficie des terres communales ; les conquêtes ne peuvent légitimer les
patriciens aux yeux des citoyens que s’il existe une certaine convergence d’idées au sujet des
nouvelles terres publiques. Et c’est sur ce point que différent l’Histoire de Rome et celle de la
Grèce antique.

En Grèce, les relations esclavagistes se développent sur la base de multitude de petites cités-
états dispersées qui ne se disputent que l’hégémonie. Les avantages relatifs offerts par les
défenses naturelles favorisent l’émergence de multiples citadelles grecques, relativement
isolées les unes des autres, et qui par la suite se heurtent entre elles lors de leurs phases
d’expansion. Les conditions de départ ne permettent pas que surgisse en Grèce un empire
esclavagiste tel que celui que nous connaissons à Rome, où les Apennins, de par leur
accessibilité, constituent un faible rempart naturel, ce qui empêche l’isolement des citadelles
protégées par la nature. Dès le début, les cités-états italiques se voient contraintes à forger
des alliances qui permettent la défense du territoire commun face aux peuples envahisseurs.
Un système fédératif se met en place à partir de cette stratégie de défense entre le 6ème et le
4ème siècle avant notre ère. Rome devient ainsi la cité-état hégémonique de la ligue de cités,
avec une unification politique et économique de l’Italie centrale et méridionale. Les citoyens
des différentes cités-états acquièrent la citoyenneté « romaine ». De plus, les cités-états qui
contestèrent l’hégémonie de Rome, comme Véies (Étrurie) furent détruites (396 avant notre
ère) et leur population réduite en esclavage.

L’esclavage, basé sur la propriété privée des moyens de production et des esclaves, rend
possible la division du travail et la production à grande échelle. Le produit du travail de
l’esclave est redistribué par le biais du commerce, un fait qui permet de développer
progressivement la division du travail social. L’essor de la force productive sociale dans le
système de production esclavagiste est surtout caractérisé par la spécialisation, c’est à dire la
division du travail basée sur le commerce agricole, et dans une moindre mesure entre
agriculture et industrie. Les relations esclavagistes de production mettent un terme au
développement des forces de production matérielles. L’absence absolue de liberté en tant que
personne fait que l’esclave n’est absolument pas motivé pour travailler ; il ne le fait que sous
la menace et à cause de l’utilisation de la force brutale. Son travail est absolu et ouvertement
aliéné. S’agissant d’un instrument intentionnel, la technique est incompatible avec le travail
forcé. Les esclaves abiment et détruisent les outils de travail. Pour la même raison, leur
emploi en dehors de l’agriculture et de la mine est très rare. L’utilisation d’outils
rudimentaires, lourds et peu développés sont la conséquence des relations de production. En
d’autres mots, les relations esclavagistes imposent des limites au développement des forces
productives matérielles.

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Dans le cadre de relations esclavagistes de production, la croissance économique ne provient


pas du développement des forces productives matérielles. L’expansion économique du
marché dépend alors principalement de l’expansion du territoire et des esclaves avec une
division sociale du travail, mais pas du développement qualitatif des forces productives
matérielles. La reproduction élargie de l’économie civile dépend de l’accroissement de la
population civile qui a besoin de l’intégration progressive de terrains communaux. Dans la
mesure où de plus en plus de ces terrains sont accaparés par les patriciens, l’accroissement
de la population implique la division des parcelles et l’appauvrissement progressif des
paysans. Les petits producteurs voient leurs revenus chuter et leur état de paupérisation les
contrant à demander des prêts aux patriciens. Ne pouvant faire face à leurs obligations, ils
perdent leurs terres. Lorsque ce n’est pas suffisant pour payer leurs dettes, les paysans et
leurs familles se voient réduits en esclavage.

L’esclavage pour dettes montre cependant très rapidement ses limites : il n’est pas freiné par
les rebellions populaires, qui existent en Grèce mais pas à Rome qui dispose de plus de
territoire. L’esclavage pour dettes trouve sa limite objective dans le fait qu’il met en péril la
reproduction à grande échelle de la relation esclavagiste à court terme. La population civile
diminuant à cause de l’esclavagisme, la population capable de combattre et nécessaire pour
la conquête et la colonisation de nouvelles terres diminue également. Le besoin objectif des
paysans-soldats, comme troisième classe sociale, est particulièrement visible lors de menaces
externes. La menace perse sur les colonies grecques d’Asie mineure et celle de Sparte sur
Athènes mettent en évidence le besoin immédiat de cette troisième classe ; la menace Samnite
sur Rome aura les mêmes conséquences.

L’abolition de l’esclavage pour dettes et l’imposition de taux d’intérêts maximum avec les
réformes de Solon et par la suite de Clisthène à Athènes au 6ème siècle, les politiques
réformistes à Rome (4ème siècle) ont lieu alors que des menaces extérieures planent sur ces
villes. C’est à partir de là que nait la démocratie esclavagiste en Grèce qui consolide la
troisième classe avec les pleins droits de citoyens sur les terres. À Rome par contre, les
patriciens ne perdent pas le pouvoir sur l’ager publicus. Cette démocratie esclavagiste ne
parvient pas à s’y installer, les tentatives de réforme ayant échouées et la contradiction
interne entre patriciens et plébéiens se résout par la naissance de l’empire basé sur la guerre
permanente et la conquête de nouvelles terres et d’esclaves. Il n’y aucune coïncidence
d’intérêts entre patriciens et citoyens, ou d’espace pour que fonctionne alors une démocratie
esclavagiste. La citoyenneté romaine n’arrive pas à la hauteur des droits économiques et
sociaux de Grèce.

La guerre permanente et la création d’un empire obéissent à la même logique de


reproduction de la relation esclavagiste. En raison du caractère de cette relation sociale, le
travail de l’esclave est essentiellement manuel basé sur de précaires outils de travail. Sa
présence est prédominante dans l’agriculture et l’extraction minière et surtout masculine.
Les esclavagistes n’achètent des esclaves qu’avec un critère défini : s’ils ont besoin
d’hommes, ils n’achètent pas de femmes. Les femmes esclaves sont une minorité. Entre
esclave s’il ne peut y avoir d’autre relation qu’une cohabitation temporaire, tout au plus un
phénomène sporadique. En d’autres mots, la simple reproduction des relations esclavagistes
ne peut être garantie par la reproduction biologique ou compensée par un plus grand
développement des forces productives sociales matérielles. L’esclavage pour dettes n’est pas
non plus une solution durable comme nous l’avons déjà vu. Le commerce des esclaves parait
être à première la clé du problème. L’offre d’esclaves sur le marché dépend, faute de conflit,
d’un marché externe, peu sûr et qui ne correspond pas exactement au besoin permanent de
remplacement. Les esclaves n’arrivent pas sur le marché comme les marchandises : ils
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doivent être capturés. Pour garantir cette offre de manière permanente et massive il n’y a
d’autre solution que la guerre institutionnalisée.

L’expansion économique et la reproduction élargie de la relation esclavagiste augmentent le


besoin objectif de guerre au lieu de le réduire. Le remplacement croissant des esclaves mène
ainsi au conflit permanent. La guerre constitue un mécanisme de base permettant de
reproduire la force de travail esclave. Le travail des civils comme guerriers plus ou moins
permanents et le conflit en lui-même constituent le travail socialement nécessaire pour
maintenir le niveau de la force de travail esclave. Avec l’expansion de l’empire, le besoin
objectif de la troisième classe pour la reproduction des relations esclavagistes est encore plus
clair. Cette guerre permanente s’introduit en Grèce à partir des guerres médiques (contre les
Perses) au 5ème et au 4ème siècles, l’âge d’or de la Grèce classique. À Rome, la guerre
permanente débute avec les guerres puniques (contre Carthage) au 3ème siècle et dure
pendant trois cents ans.

Avec les guerres incessantes, le flux d’esclaves est permanent et abondant. Les prix des
esclaves baissent de manière substantielle et par conséquent le coût de leur remplacement
aussi. Le résultat est une augmentation de la brutalité dans l’exploitation de l’homme, à un
niveau sans précédent dans l’Histoire de l’Humanité. Durant cette période, la vie utile
moyenne d’un esclave diminue drastiquement. Face à une mort certaine, les fuites
s’intensifient ainsi que les révoltes qui deviennent plus fréquentes et moins locales. Les plus
fortes confrontations de classe se produisent juste dans la période où l’esclavage est à son
apogée, et non à la fin de la période esclavagiste. Un nombre non négligeable de révoltes
s’achève par des succès. Mais l’utopie esclave est de revenir aux anciennes relations de
paysans libres dans un cadre local. Ce dernier permet leur liquidation sans aucune pitié. Les
crucifixions massives en sont le meilleur exemple. La révolte historique la plus importante
fut celle de Spartacus entre les années 73 et 71, qui réussit à former une armée de plus de 120
000 hommes et qui au lieu de poursuivre sa progression sur Rome se retire en Sicile. Là, les
troupes romaines les massacrent, et les survivants iront mourir comme gladiateurs,
combattant entre eux dans les cirques romains.

2. Négation de la négation absolue de la liberté en tant que personne

La reproduction élargie de la relation esclavagiste a besoin et suppose une reproduction


amplifiée de la troisième classe, qui se voit menacée par les guerres permanentes. Avec les
guerres médiques de la Grèce et les guerres puniques de Rome, la population civile est
décimée. La perte de paysans soldats et leur absence prolongée des terres ruinent la petite
propriété et donnent naissance à la plèbe urbaine.la concurrence avec les prix des produits
issus de la grande propriété esclavagiste est un autre facteur déstabilisateur de l’économie
paysanne. L’intérêt des patriciens en guerre permanente ne correspond pas à celui de la
troisième classe : cela ne mène pas au Bien Commun. La politique de guerre permanente des
patriciens heurte les intérêts des citoyens. Le résultat est des révoltes populaires qui créent
des conjonctures favorables à des révoltes d’esclaves. La façon dont sont résolues ces
contradictions de classe est différente en Grèce et à Rome.

En Grèce, la reproduction élargie de la troisième classe requiert le renforcement de la


démocratie esclavagiste des cités-états où l’accès aux terres communales est garanti.
L’augmentation du nombre de citoyens va de pair avec une politique d’alliances entre les
cités-états, alliances qui impliquent une lutte simultanée pour l’hégémonie, ce qui implique
ensuite une subordination des cités-états envers la plus puissante. Les tributs inégaux qui
découlent de cette situation mènent à l’éternel problème de consolidation de l’hégémonie.

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L’empire se développe sans Etat unifié. Les faibles ressources humaines de la cité-état
dominante constituent une limite déterminante à l’expansion de l’empire. Au fur et à mesure
de son expansion, sa faiblesse interne devient plus évidente. L’empire athénien s’écroule
durant la guerre intestine du Péloponnèse et Rome s’impose aux Grecs.

Lorsque la paupérisation et l’expropriation du paysan romain se développent, celui-ci se


transforme en plèbe urbaine, le pouvoir des patriciens perd alors de sa légitimité et les
révoltes populaires augmentent. Cette reproduction limitée de la troisième classe met en
danger la reproduction élargie de la relation esclavagiste. Les tentatives de Tibère Gracchus
en l’an 133, et de son frère cadet Caius quelques années après, de restaurer la démocratie
esclavagiste s’achèvent sur des échecs. Tous deux sont assassinés, et les révoltes populaires
qui s’ensuivent sont réprimées par une armée chaque fois plus professionnelle. Rome trouve
une solution au problème de la reproduction élargie de la troisième classe en accordant la
citoyenneté à d’autres peuples italiens à partir de l’an 90. Cette reproduction élargie sur un
vaste territoire uni aux dépens de la démocratie put transformer Rome en véritable empire
qui surpassa la Grèce.

Le mode de production esclavagiste ne dispose pas de mécanismes naturels et internes lui


permettant de se reproduire par lui-même, et dépend de l’offre continue d’esclaves, qui à son
tour dépend des conquêtes à l’étranger, qui dépendent elles-mêmes de la reproduction de la
troisième classe, alors que celle-ci diminue à cause des morts causées par la guerre et la ruine
des champs abandonnés. L’accès élargi de la citoyenneté romaine aux provinces constitue un
facteur amortisseur mais exige également des guerres et des conquêtes chaque fois plus
lointaines. Les forces productives matérielles très peu développées imposent des limites aux
déplacements rapides. Le résultat est l’entretien d’une armée de plus en plus nombreuse et
présente partout. Les coûts de la guerre augmentent proportionnellement avec l’expansion
de l’empire, tandis que les bénéfices diminuent. Les conquêtes sont chaque fois plus rares, et
le flux d’esclaves diminue. Le coût de substitution des esclaves est à la hausse. Au 1er et au
2ème siècle, le prix des esclaves est 8 à 10 fois supérieur aux prix du 2ème et du 1er siècle
avant notre ère.

C’est dans cette conjoncture qu’apparait la pax romana sous le règne d’Auguste. Le coût
improductif de l’armée permanente sans l’empire est évident. Cette paix épuise les
possibilités de reproduction artificielle des esclaves et démontre son caractère improductif ;
non seulement elle améliore de manière substantielle les conditions de vie des esclaves mais
en plus se développe leur reproduction naturelle. La reproduction naturelle des esclaves
s’avère être la seule option mais suppose et exige une plus grande liberté de la personne.
L’émancipation des esclaves comme « affranchis » dans les villes ou « colons » à la campagne
équivaut à un saut qualitatif dans l’Histoire de l’Humanité vers cette liberté personnelle plus
importante, qui découle de l’épuisement de la relation de production existante, et il ne s’agit
pas tellement d’une conquête subjective de la classe subordonnée. Les propriétaires ne se
préoccupent plus de l’entretien direct des esclaves. Pour permettre la reproduction de la
main d’œuvre servile, de petites parcelles de terre sont données en location ; et les colons
attachés à la terre travaillent certains jours sur les terres du seigneur en guise de tribut.

Cette nouvelle relation de production, la servitude, permet un plus grand degré de liberté
personnelle ; pas le libre déplacement de la personne, mais la reproduction biologique et
matérielle sur la base d el’accès à la terre. La nouvelle relation de production crée une plus
grande liberté pour la personne et a besoin, pour la même raison, un moindre degré de
coercition extra-économique pour que les serfs génèrent un travail supplémentaire pour le
seigneur. La servitude ne libère pas encore l’être humaindu travail forcé ou de la terre. Les
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colons appartiennent au domaine du seigneur et ne peuvent être vendus séparément. Une


telle relation de servitude ne se développe pas au cœur de l’empire ou dans ses lointaines
périphéries mais plutôt dans sa proche périphérie.

En Scandinavie, en Allemagne et en Grande-Bretagne, là où la domination romaine ne fut


jamais complète. Les relations esclavagistes n’eurent jamais une grande importance, et la
transition vers la servitude fut tardive, et dans le sens strict ne fut jamais appliquée en Suède
par exemple. En effet, la relation centrale du féodalisme européen est celle (la France) où
s’installent les relations esclavagistes sans jamais pouvoir être prédominantes. Au fur et à
mesure que la relation esclavagiste devient plus coûteuse, c’est d’abord dans la périphérie –
maillon faible de l’économie de marché impériale - que le coût improductif de la défense est
réduit. Le résultat est une chute des relations commerciales. Des ventes plus difficles,
ajoutées à un coût élevé des esclaves, poussent à introduire la servitude. Les colons sont
recrutables indifféremment parmi les anciens esclaves, des citoyens libres à la recherche
d’un refuge dans des époques chaque fois moins sûres, ou des barbares (des tribus) installés
dans ces régions à la chute de l’empire : leur origine importe peu. Cette diversité de relations
sociales permet un passage plus rapide de la reproduction articielle à la reproduction
naturelle.

Dans le centre de l’Italie par contre, la relation commerciale et esclavagiste continue encore
longtemps. Les esclaves cessent d’être des marchandises conventionnelles lorsque Valentin I,
dernier empereur d’Occident, interdit formellement leur vente séparée des terres sur
lesquelles ils travaillent. L’arrêt de la relation esclavagiste implique une chute des relations
comerciales qui entraine la disparition des grandes propriétés foncières, producteurs pour le
marché. Les monastères, qui apparaissent partout aux 3ème et 4ème siècles, acquierent
beaucoup de terres abandonnées et remplacent le travail des esclaves par celui de leurs
propres membres, avec un concept d’autosuffisance ; par la suite ils incorporent également
des serfs. C’est alors que surgit peu à peu une bureaucratie congrégationnelle, dirigée par de
nouveaux fonctionnaires : les évêques, réunis en synodes, qui unissent des communautés
chrétiennes jusqu’alors isolées pour en faire une organisation centralisatrice que Constantin
essaiera d’intégrer à la bureaucratie impériale à la fin de l’empire.
La crise commerciale signifie par ailleurs la désintégration économique du régime
esclavagiste. Avec la perte de la production esclavagiste, l’économie de marché se contracte.
La spécialisation agricole et le grand commerce qui en découle perdent du terrain. Chaque
région s’oriente vers l’autosuffisance, et l’économie devient alors plus locale et décentralisée.
C’est ainsi que, subitement, l’empire se désintègre en tant qu’unité économique, devant ainsi
une dépense improductive dès lors que la guerre cesse d’être le moteur de l’économie. Sans
esclaves, les dépenses liées à la défense perdent tout raison d’être économique. L’armée
diminue peu à peu et le contrôle sur l’empire s’affaiblit depuis la périphérie, où les grands
seigneurs s’affranchissent chaque jour un peu plus de la tutelle de Rome, qui cesse alors de
recevoir les tributs. L’effondrement de l’empire romain est proche.

L’invasion de l’Italie par les germains n’est pas une conquête économique réalisée par ses
dirigeants dans le but d’accumuler des richesses, comme l’affirment de nombreux historiens.
Ce qui se passe est beaucoup plus simple : des populations qui vivent dans un statut
économique inférieur se lancent à l’attaque, de la même façon qu’elles avaient auparavant
conquis de nouvelles terres cultivables et des pâturages. Les premiers temps amènent
différentes vagues migratoires. Les besoins objectifs de demeurer sous la « protection » d’un
seigneur sont toujours d’actualité. Parallèlement aux monastères, des fortifications rurales
s’érigent partout. Les grands seigneurs accordent des terres à des seigneurs moins puissants,
et ces derniers rendent des services militaires au titre de compensations. C’est ainsi que
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prend naissance une pyramide de positions sociales seigneuriales avec au sommet la figure
du roi qui se distingue comme étant le seigneur suprême d’un territoire plus ou moins
étendu.

Chapitre III

La transition vers l’individualité avec une liberté en tant que personne

Les relations de production en elles-mêmes constituent une force productive sociale, à partir
de laquelle se définissent les limites du développement possible de toutes les autres forces
productives sociales : le développement quantitatif de la population et celui des forces
productives matérielles. Les relations féodales de production apparaissent en même temps
que l’esclavage, un retour en arrière dans l’Histoire comme le signalent de nombreux
historiens occidentaux qui l’affirment avec force, à partir d’une économie de marché
développé qui n’existe pas dans les premiers siècles du féodalisme, ce qui contraste avec
l’esclavage. Ils ne perçoivent pas le potentiel du développement des relations commerciales
en elles-mêmes et le développement potentiel des forces productives à partir des nouvelles
relations de production créées ; ils se centrent sur la liberté et la démocratie des minorités et
omettent les esclaves eux-mêmes, dépourvus de toute liberté comme personne. Ils analysent
la société esclavagiste comme si les esclaves n’en faisaient pas partie. Il s’agit là de l’Histoire
écrite par les dominateurs.

C’est précisément dans la récupération de la liberté en tant que personne de la classe


exploitée que réside un nouveau chapitre dans l’Histoire de l’Humanité ; nous avons là un
saut qualitatif. Le chemin vers la liberté en tant que personne commence avec la négation
absolue de celle des majorités. Avec la relation féodale, nous avons une plus grande liberté en
tant que personne pour les exploités, ancrée dans la relation de production en elle-même.
C’est à partir de là que surgit le potentiel de développement des autres forces productives
sociales, c’est-à-dire une plus grande libération de l’espèce humaine face aux forces
naturelles. C’est dans cette liberté personnelle inhérente à la relation de production que se
trouve le caractère supérieure du mode de production féodale. Dans le féodalisme, la liberté
comme personne n’est pas totale mais ouvertement partielle. Au fur et à mesure que se
développe le féodalisme, à partir de ses contradictions internes, la liberté individuelle
s’approfondit ainsi que le développement des forces productives sociales.

Dans les premiers temps du féodalisme, la plupart des terres en Europe centrale et
occidentale est divisée en domaines ou fiefs autosuffisants. L’économie naturelle domine,
c’est à dire que presque tout ce qui est nécessaire est produit sur place sans besoin de
commerce. Un fief est formé d’une villa ou d’un village avec une quantité de terres
cultivables et une superficie encore plus grande de pâturages, de prairies et de bois pour
l’utilisation commune qui fournissent toutes les matières premières de cette économie sans
marché. La terre cultivable est divisée en deux parties : la première (en général un tiers)
appartient au seigneur ; l’autre est répartie entre les serfs. L’entretien d’une seule famille de
la petite aristocratie exige le contrôle de plusieurs domaines pour se ravitailler de différents
produits.
Une minorité de la main d’œuvre des serfs est utilisée uniquement pour travailler les terres
du seigneur et/ou pour des services et travaux artisanaux dans sa demeure, restant ainsi
continuellement unie à la maison du maître. Ces serfs de la glèbe, qui peuvent se marier,
appartiennent totalement au domaine ainsi que leur descendance et leurs biens, avec devoir
d’obéissance illimitée au seigneur en échange de nourriture et de l’habillement. Dans leur
majorité les serfs vivent dans des parcelles indépendantes qu’ils ont reçues, et travaillent

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certains jours de la semaine les terres du seigneur, en guise de tribut versé pour l’occupation
de la parcelle. Ce loyer sous forme de travail ne concerne pas uniquement le travail agricole
; dans l’économie naturelle et autosuffisante, les produits artisanaux et les services de
transport vont s’intégrer au canon et aux prestations personnelles exigées des serfs. À
l’époque du Haut Moyen-Âge, le domaine se suffit à lui-même. Il existe à l’intérieur du
domaine un échange commercial limité à l’occasion d’un marché hebdomadaire à l’extérieur
du monastère, du château ou dans un village proche. Le transport de produits d’un domaine
à l’autre est plus fréquent que la circulation de marchandises. C’est surtout le cas des serfs
qui appartiennent à des monastères ou à des châteaux de rang supérieur. L’autarcie a besoin
de domaines dans des régions très différentes, pour s’assurer de cette manière tous les
produits nécessaires. La plupart des seigneurs se déplacent régulièrement avec l’ensemble de
leur cour d’un domaine à l’autre.

Après la période des invasions migratoires, le premier développement des forces productives
est l’augmentation de la population, une augmentation qui devient surtout notable à partir
de l’année 700. À l’époque carolingienne (750-814), les villages étaient souvent surpeuplés. Il
est possible d’observer depuis le 7ème siècle, dans les territoires les plus densément peuplés,
l’adoption d’un triple système d’alternance des cultures, au lieu du double système commun
depuis l’Empire romain. Au 9ème siècle, la pratique de la jachère pour un an pour un tiers
des terres est déjà très répandue. On dispose ainsi de suffisamment de fourrage pour
alimenter plus de chevaux et la surface requise par famille peut être réduite. Au 10ème
siècle, le harnachement et l’attelage des chevaux sont améliorés mais il n’est plus possible de
diminuer la surface de terre par famille. À partir du 10ème siècle, la colonisation de
nouvelles terres devient nécessaire.
Le loyer sous forme de travail constitue un frein objectif à ce processus de colonisation qui a
besoin d’un plus grand degré de liberté comme personne. Les œuvres organisées par les
monastères ou les grands seigneurs féodaux, pour créer de nouveaux domaines avec le
déboisement ou les travaux d’assèchement, requièrent des efforts communaux qui vont au-
delà d’un simple domaine. Il faut entretenir une grande quantité de gens pour un temps
déterminé jusqu’à ce que la terre produise ses premiers fruits. Seuls les plus puissants
seigneurs ou les monastères les plus grands sont capables d’organiser de telles œuvres
collectives. Avec l’apparition de nouveaux villages, chaque fois plus éloignés des bourgs
existants, le loyer sous forme de travail tend à se transformer en loyer sous forme de
produits. Cette tendance apparait tout d’abord dans la nouvelle périphérie, puis se
généralise.

L’apparition du loyer en nature est un changement qualitatif significatif dans les relations de
servitude. Le serf de la glèbe se distingue de l’esclave par son « droit » à se reproduire et
parce qu’il cesse d’être une marchandise séparée de la terre. Le serf est vendu avec la terre
du domaine et les animaux. Son travail lui semble, à son niveau de conscience, un travail
encore aliéné. Avec le loyer sous forme de travail, et tant que sa parcelle produit, le serf
perçoit son travail comme un travail pour lui-même ; et lorsqu’il travaille les terres du
seigneur cela lui semble un travail forcé et aliéné. Il n’est donc pas étrange, à partir de là, de
constater que l’amélioration des forces de production matérielles a lieu sur les parcelles
individuelles et non sur les terres du seigneur. Avec l’introduction du loyer en produits, le
serf considère qu’il travaille toute la terre pour lui, et il le fait avec la même intensité
partout. Le travail aliéné pour les autres ne se reflète que dans le fruit du travail, pas dans le
travail direct en lui-même. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le loyer en produits,
avec des rendements beaucoup plus hauts, remplace le loyer sous forme de travail. La
productivité du travail augmente en raison du changement qualitatif dans la relation de

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production existante, un changement qui apporte une plus grande liberté en tant que
personne.

Dans la mesure où le surplus de produit augmente ainsi au 11ème et au 12ème siècle, les
seigneurs sont chaque fois plus intéressés pour échanger une part croissante de ces excédents
pour d’autres produits qu’ils ne peuvent obtenir sur leurs terres. Le service de transport
d’un domaine à l’autre tend à se caractériser de plus en plus par le transport de produits, et
il s’ensuit des achats et des ventes supérieures sur des marchés plus éloignés. Les seigneurs
exigent en guise de loyer des produits aisément transportables et négociables, comme par
exemple le blé, le vin ou le bétail. Ils concentrent ainsi en leur pouvoir les productions les
plus précieuses et les plus considérables pour le marché. Après plusieurs siècles, le commerce
est à nouveau prospère.
Acheter et vendre des produits pour les seigneurs féodaux requiert une plus grande liberté
en tant que personne que leur simple transport d’un domaine à l’autre. Pour se défendre
contre tout type de malandrins, les transporteurs-négociants doivent s’installer en dehors
des bourgs où sont construites de nouvelles murailles pour leur protection. Ces bourgeois
s’organisent en corporations et encaissent des taxes aux membres afin de construire des
remparts et organier la surveillance. C’est ainsi que nait le citoyen libre, ou encore appelé
bourgeois, en parallèle avec les serfs des campagnes. Avec ces citoyens libres, les seigneurs
parviennent à vendre leurs produits et à transformer le loyer sous forme de produits en
revenu monétaire, avec lequel ils peuvent à leur tour acquérir d’autres produits. Les rois
introduisent la monnaie de métal car ils sont les plus intéressés par l’unification des fiefs en
de vastes régions.
À partir des échanges commerciaux, il est possible d’approfondir la division sociale du
travail entre les régions. Avec l’essor du commerce, les seigneurs les plus élevés en rang
autorisent un nombre plus important de leurs artisans à se spécialiser en échange d’une
rétribution. Le résultat en est la diminution de leur effectif de serfs, apparait alors un
nouveau groupe de citoyens libres. Dans toutes les régions, le bourg actif d’un grand
seigneur, d’un monastère ou d’un évêque, devient le centre de l’activité artisanale et
commerciale pour des régions chaque fois plus étendues. Ils sont les plus intéressés à
organiser l’activité artisanale et à accorder la liberté comme personnes aux artisans. Ils les
organisent en guildes et définissent des exigences à la qualité de la production artisanale,
règlementent le marché et interdisent la vente en dehors de celui-ci. Les métiers à tisser des
cours, à usage domestique, sont abandonnés. Les seigneurs deviennent les clients principaux
des ateliers urbains. Un échange commercial croissant se développe entre les seigneurs
féodaux et les villes en expansion. Un marché pour des produits artisanaux, agricoles et des
matières premières venant de régions toujours plus éloignées se met en place. Les marchés
locaux et les foires régionales prospèrent à partir de cette période.

Sans liberté individuelle - sans la possibilité de se déplacer d’un lieu à l’autre et de disposer
de ses biens – le commerce et l’activité artisanale ne peuvent se développer. La liberté en tant
que personne devient une condition inhérente au secteur urbain et constitue le début d’une
lutte acharnée. La simple croissance quantitative de la bourgeoisie naissante crée des
tensions de plus en plus fortes entre la nouvelle classe sociale et les princes séculiers ou
ecclésiastiques sur le domaine desquels est construit le bourg. Au cours du 11ème siècle, les
luttes sociales pour la gestion de la ville prennent des formes plus ou moins violentes dans
toute l’Europe. Parfois, les nobles fuient ou sont expulsés des bourgs (Allemagne), se fondent
avec la bourgeoisie naissante (Italie et sud de la France), se rendent pacifiquement (Grande-
Bretagne), ou bien le Roi, c’est-à-dire la partie la plus intéressée, joue le rôle de médiateur
dans le conflit (Nord de la France et Flandres). Les villes se libèrent du joug seigneurial ; la
terre citoyenne se libère de tout tribut, et obtient une complète liberté. Elle peut être vendue
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ou louée, sans limite et sans dépendance. S’installer en ville équivaut à recevoir la


citoyenneté après un an de résidence.
Le Moyen-Âge surgit de la terre qui est la base de son histoire. Le serf n’est pas citoyen de
l’Etat, c’est à dire qu’il n’est pas un habitant de la ville qui vit à la campagne, comme dans le
cas de la Grèce et de Rome. Le ‘développement de la ville médiévale est postérieur et surgit
en opposition à la campagne en tant qu’espace de liberté. Le flux migratoire de la campagne
vers la ville signifie une véritable libération des individus (les serfs) comme personnes. La
division du travail entre la campagne et la ville, et entre les villes elles-mêmes et les guildes,
augmente la spécialisation, permet la croissance accélérée des villes et avec elle l’absorption
des serfs à la recherche de la liberté. À la fin du 11ème siècle et au début du 12ème siècle, le
nombre de guildes d’artisans se multiplie, ce qui va permettre un caractère relativement
ouvert des corporations qui regroupent les différents ateliers d’un même secteur d’activité.
Le maître est propriétaire de l’atelier, des outils et des matières premières. L’expansion de
l’économie urbaine permet que le poste de maître soit accessible aux aides salariés,
démontrant la structure ouverte de la corporation, soumise à l’autorité d’une direction
collégiale de membres, choisis par leurs compagnons pour une ou deux années. Les conseils
des municipalités sont régis par des procédures analogues à ceux des guildes.
L’individualité libératrice s’installe dans les villes médiévales à partir d’une société
démocratique alors qu’à la campagne règne le servage. La citoyenneté médiévale ressemble
encore à la citoyenneté de la polis du « mode de production antique » en Grèce et à Rome. La
démocratie de la polis à Rome et en Grèce est la phase de transition vers une économie de
marché basée sur la relation esclavagiste, alors que la démocratie bourgeoise des villes
médiévales constitue une transition vers l’économie de marché basée sur le capitalisme. La
différence est que les citoyennetés grecque et romaine se basent sur toute la population
paysanne libre et unifiée à partir de la polis alors que la citoyenneté médiévale est exclusive
et privilégie la population urbaine différenciée de la population agricole encore sous le
régime du servage. Le « mode de production antique » constitue une phase de transition des
relations communales vers les individuelles, sur la base desquelles nait une relation sociale
qui prive les exploités de toute liberté en tant que personne et de tout moyen de production.
La cité médiévale constitue une phase de transition des relations individuelles sous le servage
vers la liberté individuelle en tant que personne dans les villas, sur la base de laquelle surgit
une relation sociale qui libère comme personnes les exploités en les libérant de tout moyen de
production.

Chapitre IV

Une société à partir de l’individualité dans la modernité

1. La renaissance de l’économie de marché et de la liberté individuelle aliénée

Le capital nait et se développe au milieu de relations non capitalistes et à leurs dépens. La


naissance du capital productif suppose la généralisation des relations de marché, même s’il
ne s’agit pas là d’une condition suffisante. La généralisation des relations commerciales est le
prérequis pour ce développement qui s’obtiendra, comme nous le verrons, par l’introduction
et la généralisation du loyer en numéraire. C’est sur cette base que surgit le capital
commercial et usurier avant le capital productif. Le mercantilisme, ou la renaissance de
l’économie de marché, représente une période d’accumulation de capital, sans la présence
d’un processus capitaliste de production. Les gains commerciaux dérivent d’un échange de
produits de valeur inégale, à partir d’une position d’achat et/ou de vente en situation de
monopole sur le marché. À ses débuts, l’économie des guildes d’artisans est une économie de
marché avec échanges de produits équivalents en valeur à travers l’argent. Des relations
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salariées existent ainsi au sein des corporations et elles ne constituent pas encore une forme
capitaliste de production dans la mesure où le maître-artisan ne s’enrichit pas avec le travail
non payé de ses ouvriers ou apprentis, et ces derniers n’ont pas accès aux moyens de
production, à travers les cycles de vie. L’objectif est plutôt le contraire.

Ce n’est qu’avec la séparation de la masse des petits producteurs indépendants de leurs


moyens de production, ou le blocage à leur accès dans une économie de marché, que nait
l’individu libre en tant que personne mais dépourvu de tout moyen de production. L’accès
aux moyens de vie n’est alors possible qu’à travers la vente de la force de travail. Lorsque les
travailleurs sont isolés des moyens de production, ils n’ont d’autre « liberté » que de vendre
leur force de travail à ceux qui en sont propriétaires. Celui qui vend sa force de travail n’a
que la liberté de se vendre sur le marché du travail, ou de refuser de le faire et mourir de
faim. Il ne s’agit pas là d’une véritable option si cela ne permet pas aux personnes sans
moyen de production de vendre leur force de travail, dans une situation où ils n’exercent pas
de monopole, aux propriétaires de ces instruments qui décident quoi produire et qui
embaucher. Dans cette conjoncture qui leur est favorable, les propriétaires des moyens de
production peuvent embaucher les travailleurs selon la valeur de leur force de travail et non
en se basant sur la valeur créée par leur travail. Historiquement, la valeur de la force de
travail est déterminée, comme nous le verrons par la suite.
Dans la relation esclavagiste, la personne est réduite à l’état de marchandise. Pour l’esclave,
tout travail est aliéné et il ne perçoit pas le travail requis pour son entretien comme un
travail nécessaire pour lui. Dans le capitalisme, la situation est à l’opposé : le salarié sent
qu’il est payé pour son travail, alors que dans les faits on le paye pour qu’il reproduise sa
force de travail. En apparence, il n’y a pas de sur-travail, et de la même façon le contraire se
produisait avec l’esclavage où, de manière erronée, tout travail semblait être du sur-travail.
Le salarié est libre en tant que personne, mais il est en même temps contraint, afin de
pouvoir survivre, de vendre sa force de travail. C’est une forme de liberté comme personne
qui ne permet pas de se réaliser comme personne ; une liberté sans autre alternative que de
mettre en place une nouvelle relation d’exploitation ; une liberté aliénée. Ce processus
d’aliénation est graduel dans l’histoire de la transition du féodalisme vers le capitalisme.

Dans le féodalisme, tant que prédomine le loyer sous forme de travail, les serfs travaillent
certains jours les parcelles qui leur ont été attribuées et les autres jours les terres du
seigneur. Il y a ici une nette séparation entre travail pour soi-même et travail obligé pour les
autres. Les serfs ne sont pas libres de se déplacer ; ils ne peuvent pas non plus être vendus
séparément des moyens de production (le domaine). Ils sont uniquement libres de se
reproduire et de pourvoir à leur entretien dans les limites du domaine et sur les parcelles
assignées. Avec le loyer sous forme de produits, les serfs travaillent leurs parcelles et sont
obligés de verser une partie de la récolte au seigneur comme tribut. Dans ce processus, tout
semble être du travail pour soi, une perception qui permet d’augmenter la productivité du
travail. L’aliénation du travail n’apparait déjà plus dans le travail mais dans le produit du
travail. En travaillant avec la même intensité sur toute la parcelle, un loyer basé sur un
pourcentage de la récolte relève parallèlement la part de travail aliéné.
Avec le loyer en numéraire, le serf obtient une complète liberté en tant que personne pour
vendre lui-même son produit. Le seigneur est totalement libéré du processus de production
et de commercialisation, et se contente de recevoir un loyer versé en argent, correspondant à
son monopole improductif sur les moyens de production. L’aliénation du travail n’apparait
plus directement dans le travail, ou dans le produit du travail, mais dans la valeur du
produit sur le marché. Si cette valeur n’est pas suffisante pour s’acquitter du loyer en
argent, le producteur n’a d’autre solution que d’abandonner la parcelle. La séparation du
petit producteur de son moyen de production semble être le résultat des aléas du marché ; la
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main visible du seigneur devient invisible ; c’est le marché qui sépare les petits producteurs
de leur moyen de production. Face à l’absence d’alternatives, le producteur « libéré » de tout
moyen de production et libre comme personne ne peut que vendre sa force de travail. Pour
voir en détail ce processus de prolétarisation, et qui sont ceux qui finissent par être
propriétaires des moyens de production, revenons vers l’Histoire.

À la longue, l’expansion continue de la production corporatiste, c’est à dire sa reproduction


élargie, ne trouve pas de compensation dans un marché relativement étroit. Pour sortir de
cette crise de réalisation, les cités s’efforcent de trouver des marchés plus lointains ; ce sont
les guildes commerciales qui parviennent à obtenir des droits exclusifs de vente dans des
villes étrangères. Généralement tout s’opère sur la base de la réciprocité, à partir d’une
division régionale du travail. Ces nouvelles associations de guildes de marchands entre
différentes villes s’appellent généralement des hanses. La division régionale du travail
artisanal signifie que les corporations respectives dépendent de plus en plus du monopole
commercial de ceux qui ont accès à des marchés extérieurs à la ville. Les guildes
commerciales obtiennent de fait et de droit un monopole d’achat et de vente des produits
artisanaux. La conséquence en est la subordination progressive de la production artisanale
aux guildes commerciales.
Dans les villes dont les produits sont de haute qualité (drap à Florence, dans les Flandres et à
Londres par exemple), le développement des corporations est considérable et elles exportent
du drap vers des régions très lointaines. L’assujettissement des guildes artisanales aux
corporations commerciales rend plus fort le pouvoir de négociation des marchands qui
peuvent acheter et vendre à des prix de monopole, une situation qui permet aux artisans
d’obtenir des prix adéquats pour reproduire leur force de travail, tandis que les
commerçants accumulent de l’argent. La production artisanale se subordonne à un capital
commercial naissant, et les commerçants endossent alors le rôle d’entrepreneurs dans les
corporations artisanales, décidant quoi, quand et comment produire. Fournisseurs des
matières premières, ils contrôlent également le prix des matériaux, et de facto tout le
processus de production et de commercialisation. Dans les faits, les guildes artisanales
vendent chaque fois moins le produit de leur travail et tendent de plus en plus à recevoir un
paiement en échange de leur force de travail, perdant peu à peu le contrôle de leurs moyens
de production. Nous nous trouvons ici face à un processus d’assujettissement indirect du
travail au capital.

A la campagne, un processus similaire commence à prendre forme. Le développement de


l’activité industrielle et de la construction dans les villes créent une demande croissante de
produits agricoles et de matières premières, générés à la campagne et commercialisés dans
les villes ; en d’autres mots, l’intégration du marché entre la campagne et la ville s’accroit.
Dans l’ensemble des bénéfices du seigneur, la part provenant de la vente de bois augmente
sans cesse. La demande permanente de laine mène à l’introduction massive d’ovins, et
démarre alors le processus consistant à clôturer les terres communales les plus
périphériques. Ce sont non seulement les seigneurs qui s’intéressent à ce processus mais
également la bourgeoisie qui achète ou loue des terres. L’opposition des serfs aux clôtures est
très forte dans les zones les plus peuplées. Le processus débute dans les secteurs de la
périphérie pour ensuite se rapprocher peu à peu des zones centrales.

Au fur et à mesure de l’avancée de ce processus de construction de clôture, le système de la


triple alternance règlementée chez les serfs se généralise. Ces derniers regroupent les terres
en jachère et en profitent mieux pour les utiliser comme terres de pâturage pour le bétail.
Avec la monopolisation croissante de la terre, les serfs ne peuvent plus se réfugier dans les
friches pour échapper à la servitude. Avec le protectionnisme urbain croissant, nous verrons
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que la migration vers les villes est, elle aussi, compromise. Dans cette conjoncture, les
seigneurs octroient la liberté comme personnes aux serfs et louent leurs terres à celui qui
offre le plus. Ils octroient cette liberté pour s’affranchir des aléas du marché. Le seigneur
féodal se retire de toute intervention dans le processus de production et de commercialisation
du produit agricole, devenant ainsi un simple loueur improductif sans aucune fonction dans
le processus de production et de distribution des biens agricoles. Les intermédiaires sont
ceux qui monopolisent l’achat des produits agricoles et la vente d’intrants aux paysans
libres.

Les concessions de terres cessent d’être héréditaires et sont révocables selon le bon vouloir
du seigneur (tenance at will). De cette manière, il peut réajuster périodiquement le loyer en
argent en fonction de la productivité ou du rendement économique du sol. Les paysans se
trouvent dans une situation encore moins avantageuse pour vendre leurs produits que celle
du seigneur féodal. L’atomisation de l’offre, face à une demande monopolisée, réduit le prix
de vente des paysans libres. L’inverse se produit avec le prix des intrants. Avec les clôtures,
les matières premières, les vêtements et même la laine gagnent en prix. Ce double monopole
touche négativement les revenus des paysans libres. Les prêteurs usuriers profitent de la
conjoncture et il s’agit généralement des commerçants eux-mêmes qui remplissent cette
fonction. Les taux d’intérêt usuriers compliquent encore plus la capacité économique du
paysan pour payer le loyer en argent. Le résultat : abandon forcé de la parcelle. Un nombre
toujours plus important de paysans appauvris se voit ainsi « libéré » de tout moyen de
production et de tout moyen de subsistance. Face à cette situation, les paysans n’ont pas
d’autre choix que de vendre leur force de travail comme ouvriers agricoles sur les terres
clôturées. Cette paupérisation et cette lente prolétarisation de la campagne provoque des
jacqueries.
Dans les villes, le choc entre corporations d’artisans et marchands ne se fait pas attendre, et
encore moins là où prospère l’industrie textile. La révolution classique éclate en Flandres et
les guildes artisanales en sortent victorieuses. Comme conséquence, le protectionnisme dans
les villes limite volontairement la production des guildes elles-mêmes, pour ainsi pouvoir
contrôler les ventes et avoir un prix « juste » des produits. Les corporations commerciales se
voient obligées de se spécialiser dans des produits « exotiques » qui ne sont pas élaborés dans
les villes. Leur espace d’opération demeure limité à quelques produits, ce qui les contraint à
chercher des marchés plus vastes. En acquérant le droit exclusif de vente de ces produits
exotiques, la conséquence logique est le protectionnisme de leur propre corporation dans un
territoire élargi. Les politiques protectionnistes limitent la croissance de la population
urbaine mais également l’affluence d’étrangers (serfs ou paysans appauvris) vers les villes.
L’acquisition de la citoyenneté est règlementée avec l’introduction de certificats d’origine et
de naissance. L’augmentation constante du droit à payer pour obtenir la citoyenneté freine la
migration de la campagne vers la ville.

Avec le protectionnisme, les possibilités de devenir maître-artisan sont restreintes. Les


corporations d’artisans se referment complètement sur elles-mêmes, non seulement face à
l’extérieur mais aussi face à leurs membres. Les droits élevés à acquitter sont un obstacle
pour les ouvriers qui souhaitent ouvrir un autre atelier. Exclus des moyens de production, les
ouvriers deviennent d’éternels salariés. Les intérêts entre maîtres-artisans et ouvriers
deviennent opposés. Les groupes d’ouvriers et de journaliers en position de monopole de
travail prennent forme, des sortes de syndicats de travailleurs que les maîtres tentent de
briser en remplaçant les rebelles par des travailleurs non organisés et moins chers. Face au
manque croissant de possibilités dans un environnement protectionniste, il y a une grande
offre de travailleurs disposés à accepter n’importe quel prix. Les révoltes de journaliers sont

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à l’ordre du jour vers la fin du 14ème siècle dans une grande partie de l’Europe médiévale.
C’est l’époque de la lutte sociale qui marque la fin du féodalisme.

Le pouvoir des villes libres se referme, comme le renfermement des corporations. Les
maîtres-artisans les plus puissants gouvernent la cité, mais leur pouvoir se limite à
l’environnement local de l’économie artisanale. Les corporations de marchands qui se
spécialisent dans certains produits exotiques, provenant de terres toujours plus lointaines,
ont par contre besoin d’un marché et de déplacements plus faciles mais avec des droits
exclusifs sur la vente. Dans ce but, ils s’allient à un roi ou à un prince pour créer un
protectionnisme commercial sur un territoire qui regroupe de nombreuses cités. C’est ainsi
que surgit l’Etat national pour le renforcement duquel les corporations commerçantes
versent des tributs afin d’obtenir la formation d’une armée royale. L’Etat national issu du
mercantilisme lève des tributs sur la circulation et le commerce interne tout en protégeant le
marché national contre les commerçants étrangers. Avec la formation du marché national, le
mercantilisme remplace le protectionnisme des guildes artisanales dans les villes par un
autre, mercantile et d’ordre national.

Le premier monopole commercial est établi sur des routes empruntées par des produits
exotiques qui partent de Chine par voie terrestre, passent par la Mer noire et Constantinople
pour être récupérés par des marchands génois. L’autre route traverse l’Océan indien et se
divise : un tronçon passe par Bagdad et Damas pour s’achever aux portes de la Palestine,
tandis que l’autre passe par la Mer Rouge et Alexandrie où les Vénitiens récupèrent les
marchandises. Pour rompre ce monopole italien, le Portugal cherche une route alterne
maritime en passant par les Açores (1431), le Cap de Bonne Espérance (1487) et l’Inde
(1498). L’Espagne souhaite trouver la route des Indes par l’Atlantique et débarque en
Amérique (1492). Au 16ème siècle la France, la Hollande et la Grande-Bretagne entrent en
scène. En réalité, la participation européenne au commerce asiatique n’est rien d’autre que
la reprise du commerce asiatique et arabe vers l’Europe, des échanges beaucoup plus
développés depuis très longtemps, sans que le Vieux Continent ait quelque chose de nouveau
à offrir en échange.

La clientèle européenne pour ce marché de produits somptuaires est très réduite et consiste
essentiellement en l’aristocratie rurale et la bourgeoisie naissante. Lorsque l’aristocratie
rurale est la principale cliente, le loyer en argent constitue la limite concrète à
l’accumulation de capital commercial sur la base du monopole à la vente. Ce revenu en
argent est exporté vers l’Orient. Au lieu de stimuler la création de richesse matérielle en
Europe, le capital commercial est ainsi drainé. Face à ce drainage permanent d’argent sous
la forme de métaux précieux, il est aisé de comprendre les raisons du pillage de l’or et de
l’argent mené à bien par les européens, tout d’abord en Afrique occidentale puis au Mexique
et au Pérou. L’organisation du travail se base sur l’autosuffisance des communautés de base
et la coexistence simultanée du travail forcé. Face aux yeux européens il s’agit d’une relation
esclavagiste ; et la reproduction des communautés de base est perçue comme une menace
potentielle de rébellion. Avec la désarticulation des communautés de base, avec une
redistribution territoriale forcée, l’instauration de relations esclavagistes en fonction du
pillage implique la destruction objective de l’organisation économique existante, une
destruction qui, plus que les massacres directs, sera la cause principale d’un ethnocide sans
précédent. La population est décimée en moins d’un demi-siècle, et la baisse démographique
entraine l’abolition de l’esclavage pour les Indiens et le début de la traite des esclaves en
provenance des côtes africaines.

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Le pillage de l’or et de l’argent provoque en Europe une inflation permanente qui touche
ceux qui vivent exclusivement de loyers en numéraire, c’est-à-dire la petite noblesse. La
vente massive de terres effectuée par cette classe improductive en est la conséquence.
L’augmentation du loyer en argent ne peut rivaliser avec le taux d’inflation, et le pouvoir
d’achat de l’aristocratie diminue de manière visible à partir de 1620. Face à une demande
subissant une contraction, les bénéfices des Compagnies des Indes chutent sans cesse
jusqu’en 1670. Le mercantilisme atteint ses limites en raison de la contraction de la demande
interne en produits somptuaires. Cependant, lorsque se produit une telle contraction, un
marché interne dynamique pour les produits de base se développe. Depuis que l’économie de
marché inclut les paysans et avec la naissance d’un grand nombre de journaliers dans les
villes, la demande de produits bon marché et de matières premières augmente sans cesse. Se
forme alors un marché populaire interne aux dépens du marché du luxe de la classe
seigneuriale improductive.

L’agriculture à grande échelle dans les fermes, avec une force de travail salariée, se spécialise
dans des produits populaires comme le blé, la pomme de terre, la laine et le cuir. La ruine de
la petite noblesse a pour conséquence une vente toujours plus « libre » de terres sur le
marché. Dès lors, de grandes exploitations agricoles se forment avec une main d’œuvre
journalière. La spécialisation de l’agriculture populaire à grande échelle devient plus aigüe,
et la productivité du travail augmente. Avec cette production spécialisée, les prix des céréales
et de la laine diminuent. Les petits producteurs ne peuvent plus rivaliser et se voient
contraints de chercher du travail comme ouvriers agricoles journaliers. Ce processus de
formation du marché interne débute aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, et beaucoup plus
tard en France et en Europe orientale et méridionale. En Grande-Bretagne, aucun lieu ne se
trouve éloigné de la mer et aux Pays-Bas, la mer et les voies fluviales fournissent
l’infrastructure naturelle pour la création d’un marché interne national. Le transport à bas
prix mène à la formation et à l’intégration du marché de tout un pays.

Avec la formation du marché intérieur, la production d’articles de consommation courante


se développe, non seulement dans les nouveaux centres hégémoniques mais aussi dans les
périphéries. À partir de la seconde moitié du 17ème siècle, la production de sucre à grande
échelle, avec une main d’œuvre esclave aux Antilles et au Brésil, remplace le commerce des
biens somptuaires pour le marché européen. La division du travail entre centre et périphérie
permet son introduction historique suite à une initiative britannique et hollandaise. Face au
manque de main d’œuvre en Amérique, les européens ont recours aux plus anciennes
relations de production pour exploiter les plantations coloniales. Entre le 17ème et le 19ème
siècle, un million d’esclaves est transporté vers l’Amérique sans compter ceux qui meurent
sur les côtes africaines après leur capture ou ceux qui meurent durant le transfert. Après
1660, les importations britanniques de sucre dépassent toutes les importations combinées des
autres produits coloniaux. La spécialisation agricole devient internationale, en fonction d’un
marché populaire. Elle se produit également en Europe. L’Irlande fournit des pommes de
terre aux britanniques. Le prix du produit chute tellement que cela n’est pas suffisant pour
payer le loyer en argent des paysans qui vivent sur les pires terres de Grande-Bretagne. La
monoculture produit à son tour des maladies périodiques. Les crises de la pomme de terre
provoquent ainsi des vagues migratoires de paysans irlandais ruinés.

C’est une chose d’élaborer de objets somptuaires de haute qualité avec une force de travail
qualifiée pour un marché relativement réduit et stable, et c’en est une autre de produire des
articles populaires (draps, cuirs) plus standardisés et plus simples. Ces derniers ne
demandent pas de travail qualifié, et par conséquent pas de corporations non plus. Un
produit moins spécialisé est mieux pour la division sociale du travail. Le drap est moins cher
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lorsqu’une personne carde, une autre file, une autre tisse, une autre étire, une autre ajuste,
une autre presse et une autre emballe que lorsque c’est la même personne qui réalise toutes
ces opérations. Face à un marché avec ce type de procédure de production, le
protectionnisme des guildes devient obsolète. Ces tâches peuvent être effectuées par la
population paysanne qui possède par tradition des métiers à tisser pour fabriquer ses
propres vêtements. Avec les rapprochements, les paysans se voient obligés à acheter toujours
plus la matière première dont ils ont besoin pour fabriquer leurs habits. Les entrepreneurs
intermédiaires remettent ces matières au paysan appauvri, ou à leurs femmes, et viennent
ensuite récupérer le produit terminé pour le vendre au marché ; il s’agit là de la fameuse
industrie à domicile qui transforme le commerçant en entrepreneur et indirectement lie la
famille paysanne au capital, la transformant en réalité en un salarié qui travaille à la tâche
pour lui. Ce que le capital commercial ne parvient pas à instaurer avec les corporations
artisanales bien organisées, il y réussit avec une paysannerie atomisée.
Le regroupement ultérieur de journaliers (femmes et enfants surtout) dans un seul endroit,
la manufacture, permet une spécialisation encore plus grande dans le processus de
production et implique la subordination formelle du travail au capital. Le travailleur se
trouve séparé de facto de ses moyens de production et n’a d’autre option que de vendre sa
force de travail. Avec une division sociale du travail plus importante dans une manufacture,
la productivité professionnelle dépasse les chiffres de l’industrie à domicile, qui par
conséquent ne peut plus rivaliser avec la manufacture. Les premières coopératives
historiques de tisserands, celles qui sont mentionnées dès 1761 en Grande-Bretagne et à
partir de 1835 en France, ont pour objectif de faire face à la concurrence mortelle des
manufactures (Bulgarelli et Fallas, 1990 : 116). La disparition de l’industrie à domicile se fait
peu à peu et provoque une surpopulation paysanne. Face au manque de terres disponibles,
l’unique issue est l’émigration massive vers le Nouveau Monde, surtout à destination des
Etats-Unis. Le processus de destruction et de reconstitution de producteurs indépendants
dans l’espace persiste jusqu’à ce que la terre soit complètement monopolisée. Les vagues
migratoires suivantes chercheront à aller encore plus loin. Les processus de reconstitution et
de destruction de producteurs indépendants à la recherche de terres disponibles se
dirigeront au fil du temps vers de nouveaux horizons : le Canada, l’Argentine, le Brésil,
l’Uruguay, l’Australie et l’Afrique du Sud.

Les échanges commerciaux portent en eux-mêmes leur propre rationalité et ont par
conséquent un caractère séculier. Le marché est, de manière claire et visible, le fruit de
l’activité humaine spécialisée et non de la volonté du seigneur ou de l’Être suprême. Le Dieu
tout puissant devient avec la Réforme à partir de 1500 un Dieu diversifié (Houtard, 2001 :
37,61 et 64). Les pouvoirs de création autrefois attribués exclusivement aux cieux descendent
désormais vers la Terre et l’Humanité prend possession de Dieu (Hardt et Negri, 2002 : 80-
84). L’économie de marché apparaît alors comme le résultat de relations d’acteurs libres sur
le marché. Dans la modernité, la société est le résultat final des activités individuelles des
acteurs, aboutissement de l’inverse de la pensée primitive, où l’individu en tant que tel
n’existe que comme membre de la société. Partir de l’individualité équivaut à partir de la
subjectivité. Descartes pose les bases de cette pensée lorsqu’il écrit dans son essai Le Monde
(1629-1634) que nous avons une connaissance indubitable de notre vie interne mais pas du
monde qui nous entoure.

La construction d’une société, à partir de l’individualité dans la modernité, présente


cependant un dilemme de gouvernabilité. Hugo de Groot affirme en 1625 aux Pays-Bas que
tout individu est bon par nature et a le droit naturel à la survie, en concluant que la
solidarité face à l’autre est la garante de mon droit naturel et que c’est l’unique moyen pour
l’individu de vivre en société. Ce concept humaniste se réfère à l’idéal démocratique qui
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règne dans les cités médiévales mais qui se heurte aux intérêts du mercantilisme en plein
essor. De Groot échappe de justesse à la peine de mort dans la jeune république des Pays-Bas
(Tuck, 1989 : 36-39). Hobbes (1588 - 1679), plus engagé avec le mercantilisme britannique,
définit une société où la liberté en tant que personne, dans le cadre du Droit naturel, serait
utilisée de manière rationnelle. Sans raison juste, aucun individu ne peut être libre sauf sous
un régime déterminé. Les êtres individuels doivent faire un pacte, par le biais d’un contrat
social, qui assigne au pouvoir souverain le droit absolu d’agir passant outre les volontés
individuelles. Cette théorie de la souveraineté, élaborée ensuite par Rousseau, présente la
première solution politique à la gouvernabilité d’une société construite à partir de
l’individualité (Hardt et Negri, 2000 : 88-89).

2. Libéralisme et protectionnisme : unité contraire de société à partir de l’individualité

Le mode de production capitaliste proprement dit ne devient réalité que lorsque se


concrétise le processus de subordination du travail au capital. Ce n’est que sous cette
condition que débute la concurrence entre capitaux productifs individuels à partir d’une
révolution technologique. Pour la première fois dans l’Histoire, la relation de production
mène au développement des moyens de production comme étant le moteur de l’économie. Le
développement des forces productives sociales matérielles constitue le véhicule de la
concurrence capitaliste. Cependant, ce développement apparait comme une force productive
du capital et non comme force productive du travail, ou uniquement comme force productive
du travail dans la mesure où celui-ci est subordonné au capital. Il n’apparait pas comme
force productive du travailleur individuel, qui dans son travail est subordonné aux intérêts
privés du capital, des intérêts qui ne sont pas orientés en fonction de la vie de la population
qui travaille. Ce travail n’est pas libérateur pour le travailleur mais le condamne plutôt à la
vente à perpétuité de sa force de travail au capital privé. Le processus de « libération »
individuelle débouche ainsi sur un résultat opposé.

Tant qu’existe la soumission formelle du travail au capital (la manufacture), la concurrence


inter-capitaliste dépend essentiellement de la prolongation et de l’intensification de la
journée de travail et de la réduction du salaire au plus bas niveau possible. C’est l’époque où
abonde le travail féminin et infantile en raison de sa grande capacité de remplacement. Le
gain et le taux de profit (expression du gain par rapport au capital investi) augmentent en
outre avec l’introduction d’équipes diurnes et nocturnes. Dans un tel contexte, le travail
infantile et féminin, les journées prolongées de jour comme de nuit prospèrent. Avec la
disparition de l’industrie à domicile, cette pratique se généralise parmi les entreprises et les
avantages concurrentiels d’un capital sur l’autre s’évanouissent. Le résultat est une tendance
à l’égalité des taux de profit. En d’autres termes, le taux de profit extraordinaire diminue
chez les entreprises qui à l’origine étaient leaders dans le secteur. La première crise
concernant le profit du capital industriel a lieu en Grande-Bretagne entre 1780 et 1793.
Après des décennies d’expansion, le taux de profit diminue et le capital perd son attrait en
tant qu’investissement (Imbert, 1971 : 321). La première récession capitaliste se produit
donc en Grande-Bretagne.

La concurrence sur le marché exige d’autres sources de profit extraordinaire. La


mécanisation fait son entrée historique avec la machine à vapeur (fin du 18ème siècle) qui
favorise la soumission réelle du travail au capital. La technologie devient le moteur de la
concurrence, et avec son essor le capitalisme mature commence. Le capital se répand dans
des secteurs où s’élaborent des moyens de production, comme la métallurgie et le charbon, et
se diversifie dans plus de biens de consommation, c’est-à-dire des articles de consommation
courante comme le cuir et les chaussures. C’est ainsi que débute le développement capitaliste
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consacré non seulement à la fabrication de produits de consommation mais aussi, et surtout,


à celle de moyens de production. Comme la concurrence capitaliste dépend du degré de
développement de ces derniers, ils sont glorifiés. Les forces productives sociales déplacent les
forces naturelles, à une époque où apparait la glorification des inventions technologiques.
L’homme domine la Terre comme jamais auparavant. Une nouvelle période d’ascension
économique se produit à partir de cette spécificité. Les moyens de production les plus
développés, comme la machine à vapeur, réduisent le coût de production et constituent une
source de profits extraordinaires pour les entreprises qui sont les premières à les utiliser.
Surgit alors une nouvelle source de profit extraordinaire, qui semble inépuisable en
apparence.

L’innovation technologique en tant que facteur de concurrence n’empêche pas encore que les
salaires demeurent bas ou que les journées de travail soient très longues, et ne font pas
disparaitre le travail infantile et féminin. C’est l’époque où toutes les formes d’exploitations
coexistent ; selon Marx, la période orgiaque du capital. En raison de la plus grande
productivité du travail atteinte grâce à la mécanisation, le prix des produits courants
diminue. Cela permet de baisser encore plus le niveau des salaires. Ce que le travailleur
perçoit est inférieur à la valeur que produit son travail pendant une journée, et de cette
façon la partie de la journée durant laquelle il travaille exclusivement pour le capital
augmente. Ce système est généralement appelé plus-value relative. Aux yeux du capital, la
technologie en elle-même génère cette plus-value qui apparait comme faisant partie de la
productivité du capital. Dans les faits, la productivité du travail raccourcit le temps de
travail nécessaire au travailleur pour produire ce qui permet de payer son salaire. Nous
avons là la forme d’exploitation la plus invisible de toute l’Histoire de l’Humanité. Tant que
la capacité de substitution de la force de travail ne diminue pas, le salaire réel n’augmente
pas malgré le développement technologique. Le salaire ne dépend pas du travail mais de la
capacité de substitution des travailleurs. Celle-ci est en fonction de l’ampleur relative du lien
non capitaliste en dissolution. Tandis qu’une majorité de la population travaille sous un
régime de relations non capitalistes de production en dissolution, les petits producteurs
indépendants et leurs familles, face à la misère croissante, sont disposés à remplacer d’autres
salariés si l’occasion se présente. C’est uniquement à partir de la généralisation de la relation
salariale, c’est-à-dire lorsque la grande majorité de la population active travaille en échange
d’un salaire, que la capacité de substitution devient limitée. Tant qu’il existe une capacité
adéquate de substitution de la force de travail salariée par une autre dérivée du lien non
capitaliste en dissolution (paysans, petits producteurs indépendants, petits vendeurs), la
classe ouvrière se reproduit pour le capital, même si avec le salaire perçu elle ne peut se
reproduire individuellement ou familialement. Bien que les salaires ne le permettent pas, la
capacité de substitution des malades, des handicapés ou des contestataires permet au capital
de prospérer avec le processus de reproduction au milieu de la misère. Il n’y pas uniquement
une exploitation des travailleurs dans le travail en lui-même sinon qu’en plus, ces derniers
sont obligés d’acheter dans les magasins du fabricant ce dont ils ont besoin pour subsister.
Afin de briser le monopole des magasins situés dans les usines, les premières coopératives de
produits de consommation font leur apparition entre 1827 et 1833 en Grande-Bretagne
(Bulgarelli et Fallas, 1990 : 114 et 115).

Dès lors que la classe salariée dépasse quantitativement la population active dans une
relation non capitaliste, la capacité de substitution de la force de travail salariée diminue.
Les salariés ne pouvant remplacés facilement, la durée de vie active moyenne du travailleur
augmente ainsi que sa stabilité professionnelle, même si cela se fait dans plusieurs
entreprises. Les possibilités de remplacer la force de travail âgée ou de moindre rendement
diminuent. Dans de telles circonstances, la reproduction de la force de travail de l’ouvrier à
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niveau individuel et familial à travers différents cycles de vie est indispensable pour la
reproduction du capital. Sans reproduction de la classe ouvrière, individuellement et dans le
cadre familial, la classe ouvrière ne se reproduit que comme classe pour le capital. À partir
de la nouvelle situation, la position de négociation de la classe ouvrière augmente, et ses
luttes sociales pour obtenir de meilleurs salaires et la régulation des journées de travail
seront couronnées de succès.

En 1848, plus de 80% de la population active britannique travaille déjà en échange d’un
salaire, contre 55% en France et aux Pays-Bas, ses concurrents les plus proches à l’époque
(Semjenov, 1973 : 184). Dans ce contexte, la capacité revendicatrice de la classe ouvrière
britannique augmente par rapport à ses homologues du continent où la capacité de
substitution des salariés est encore élevée. La reproduction de la classe ouvrière en tant que
classe pour le capital est toujours possible grâce à sa forte capacité de substitution. Mais en
Grande-Bretagne, la reproduction de la classe ouvrière pour le capital requiert sa
reproduction individuelle et familiale, c’est à dire une meilleure reproduction pour elle-
même afin de permettre sa reproduction pour le capital. C’est dans ce contexte que
surgissent les premières politiques réformistes. Alors qu’avant 1800 il n’existe aucune
législation qui règlemente le travail, entre 1802 et 1833 le Parlement britannique (où domine
encore la noblesse) émet 5 lois qui règlementent l’âge minimum pour le travail, le travail de
nuit pour les enfants et les femmes, la durée maximale de la journée de travail et
l’interdiction du travail des femmes et des enfants dans les mines de charbon. Ces lois restent
lettre morte jusqu’en 1832. Lorsque la bourgeoisie obtient le contrôle du Parlement,
l’inspection devient réelle.

Face à la moindre capacité de substitution de la force de travail, la bourgeoisie britannique


se voit contrainte de conserver cette force de travail afin de soutenir la productivité de son
travail ; le cas échéant, elle diminuerait. La source de plus-value absolue se voit restreinte en
Grande-Bretagne avec l’obligation de respecter la Loi dans les années 30. Au cours de la
même décennie, la journée de travail maximale pour les hommes est fixée à 12 heures. En
1840, la durée de travail hebdomadaire moyenne en Grande-Bretagne est de 69 heures, 78
aux Etats-Unis et en France, et 83 en Allemagne (Bulgarelli et Fallas, 1990 : 104). Face à une
capacité de substitution inférieure des ouvriers britanniques, les salaires s’orientent à la
hausse. Alors que l’indice des salaires réels est de 43 en Grande-Bretagne pour la période
1809-1918 (avec une base de 100 en 1900), il atteint 57 entre 1849 et 1858. En France par
contre, l’indice ne connait pas d’augmentation pour la même période. Alors qu’il est de 54
entre 1789 et 1799, il ne dépasse pas 55 de 1852 à 1858. La cause en est une lente
généralisation de la relation salariale dans ce pays (Lesourd et Gérard, 1964 : 76-78).

Avec de meilleures rémunérations pour le travail salarié, la Grande-Bretagne perd sa source


de profit traditionnelle basée sur la plus-value absolue. D’ailleurs le taux de profit s’oriente à
la baisse à partir des années 30. Pour ne pas perdre le combat face à la concurrence de ses
adversaires du continent, où la plus-value absolue est encore de mise, la généralisation de la
nouvelle technologie (machines à vapeur) est plus nécessaire que jamais. Les petits capitaux,
incapables d’y accéder, disparaissent avec les lois sur la protection sociale dont l’application
leur ôte leur unique avantage concurrentiel. Avec l’exclusion de la concurrence non
mécanisée, la présence d’équipements mécaniques devient commune dans le secteur textile.
Cependant, les profits extraordinaires liés à sa mise en place s’évanouissent. La tendance à la
baisse du taux de profit est une conséquence qui apparait entre 1835 et 1848. Le capital perd
de l’attrait pour être investi dans le remplacement d’équipements. La demande
d’équipements diminue et avec elle la production de capital fixe (machines et bâtiments). La
surproduction relative d’équipements face à la chute de la demande fait baisser les prix, et
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de la même façon les profits dans le secteur des moyens de production. Une nouvelle crise du
profit du capital (britannique) éclate alors.

Le capital industriel cherche une issue à la seconde crise des bénéfices du capitalisme
britannique, surtout dans le secteur des moyens de production. Une situation difficile de ce
secteur mettrait en danger la future capacité concurrentielle de la nation. La production
privée des chemins de fer de 1840 à 1850, financée avec des fonds de l’Etat, doit pouvoir
apporter une solution à la crise de la grosse industrie. Sans une baisse simultanée des
salaires, le secteur textile serait lui aussi en danger. Sans expansion dans ce secteur de biens
de consommation, celui qui fabrique des moyens de production s’épuise. Sous la pression de
Manchester, qui concentre l’industrie textile de l’époque, il est possible de revendiquer le
libre marché des grains de base pour baisser les salaires. La politique libérale consistant à
abolir les corn laws en Grande-Bretagne en 1846 permet de faire baisser le coût des grains et
par conséquent les salaires. À partir de cette politique, un réajustement du taux de profit
s’avère possible pour l’industrie. La Grande-Bretagne sacrifie ainsi l’agriculture, c’est-à-
dire les petits paysans et les propriétaires terriens, considérés improductifs selon l’optique
du capital, pour le plus grand bénéfice de l’industrie britannique. D’un point de vue
politique cela signifie la déroute du rentier improductif contre le capital productif. La
paysannerie reçoit ainsi un nouveau coup mortel face à la concurrence étrangère, et le
résultat est une cague migratoire composée de paysans.

3. L’internationalisation de l’unité des contraires à partir du marché mondial

Avec le libéralisme (manchestérianisme), la division internationale du travail devient plus


profonde. L’agriculture extensive d’exportation de produits traditionnellement britanniques
(surtout blé et viande) peut se développer dans des exploitations très étendues dans des pays
d’outremer encore peu peuplés (les Etats-Unis et par la suite le Canada, l’Australie,
l’Argentine et l’Uruguay). La fabrication de grands navires à vapeur donne un nouvel élan à
l’industrie lourde. Grâce à ces vaisseaux à vapeur, les distances deviennent plus courtes et les
coûts du transport des produits agricoles et des matières premières diminuent. Avec la mise
en place d’une politique libérale, l’intérêt pour les lointaines colonies, en baisse depuis la
deuxième moitié du 17ème siècle, se réactive dès 1840. La demande de matières premières et
de produits agricoles bon marché se développe, ainsi que l’intégration du marché mondial.
La culture du coton, du café et du tabac pour le marché international fleurit à partir de ce
moment-là. Le même phénomène se produit pour le cuivre, l’étain, le caoutchouc et le
salpêtre. La production capitaliste pénètre dans ses anciennes colonies. L’esclavage devient
obsolète pour les Britanniques puisque la production capitaliste produit de meilleurs taux de
profit. Le marché mondial se construit essentiellement autour de manufactures situées au
centre, autour de produits échangés contre des matières premières de la périphérie, ces
dernières servant d’intrant pour cette industrie. Ce commerce va quintupler entre 1830 et
1870.

Le quart de siècle qui suit 1850 ne se caractérise pas par des transformations technologiques
radicales mais plutôt par l’application de la machine à vapeur dans plus de secteurs de
l’économie centrale, notamment les chemins de fer et les navires. Le développement du
chemin de fer permet une meilleure intégration des marchés dans les pays centraux, et la
marine à vapeur permet la même chose entre ceux du centre et ceux de la périphérie, au
profit des premiers. Par ailleurs, alors que le libre commerce se déroule entre le centre et la
périphérie, le protectionnisme règne entre les pays centraux. La Grande-Bretagne réussit à
imposer la politique du libre-échange pour ses colonies, mais pas en Europe et aux Etats-
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Unis, qui sont indépendants depuis le siècle précédent. C’est précisément le protectionnisme
industriel dans ces pays qui permet non seulement la formation d’un marché interne mais
aussi en même temps le développement de leur propre industrie lourde.

En Europe nord-occidentale, le libre-échange ne s’applique que pour les produits agricoles.


C’est pour ces mêmes raisons que la Grande-Bretagne sacrifie son agriculture au profit de
l’industrie. En Europe de l’Est, au Portugal et en Espagne, et dans une moindre mesure en
France, le protectionnisme agricole est maintenu. La forte capacité de substitution de la
force de travail, et un moindre développement des forces productives, obligèrent ces pays à
avoir recours à leur unique source de plus-value : l’absolue. Dans les pays nordiques où la
capacité de substitution de la force de travail diminue également, le libre-échange de
produits agricoles est mis en place. C’est alors la ruine de la paysannerie avec l’émigration
paysanne à la recherche de nouvelles terres dans les pays d’outremer.
Avec la généralisation de la machine à vapeur dans les différents secteurs de l’économie, la
brèche technologique diminue entre les pays centraux, ainsi que les différences liées aux
conditions économiques et sociales des travailleurs, produit en outre par la généralisation de
la relation salariale. Aux alentours de 1875, les deux tiers de la population active des Etats-
Unis et d’Allemagne travaillent dans le cadre d’une relation salariale (Semjenow, 1973 :
183). La transition est plus lente en France où la production de vins sur des parcelles permet
la survie prolongée du petit producteur, un fait qui constitue un obstacle à la généralisation
du salaire. Le protectionnisme agricole freine encore plus ce processus de prolétarisation.
Pour la même raison, l’Histoire de France du 19ème siècle est marquée par une forte
capacité de substitution de la force de travail et par des luttes sociales plus radicales. Dans ce
pays, les réformes ne trouveront de conditions favorables à leur épanouissement que vers la
fin du 19ème siècle.
La capacité de substitution de la force de travail salariée tend à diminuer dans les pays les
plus industrialisés. En Allemagne, tout comme aux Etats-Unis, les deux tiers de la population
économiquement active sont salariés à la fin du troisième quart du 19ème siècle. Le résultat
en est une capacité de substitution de la main d’œuvre en chute libre et une durée de vie en
tant que salarié plus longue pour la population active. La reproduction de la classe ouvrière
comme classe pour le capital suppose également ici une meilleure conservation de la force de
travail individuelle et familiale. Sur le plan international, la capacité revendicatrice de la
classe ouvrière prend de la force afin de revendiquer sa reproduction comme classe pour
elle-même. Avec la création de la première Internationale Ouvrière en 1862, la conscience de
classe se manifeste au-delà des frontières britanniques. Les entrepreneurs, face aux
difficultés croissantes pour substituer la force de travail en général et notamment la plus
combative, acceptent la présence légale de syndicats, jusqu’alors réprimée.

Devant le besoin évident de sauver la productivité du travail. Les entrepreneurs n’ont pas
d’autre possibilité que de réguler la durée des journées de travail et de payer des salaires qui
permettent de reproduire la force de travail individuelle et familiale des ouvriers. Ce n’est
qu’ainsi que peut se reproduire la classe ouvrière comme une classe productive pour le
capital. L’indice du salaire réel (avec une base de 100 pour 1900) grimpe en Allemagne de 66
à 79, entre 1852-1858 et 1868-1878 ; aux Etats-Unis il passe de 72 à 87 entre 1859-1867 et
1868-1878 ; et en Grande-Bretagne il passe de 57 à 74 au cours de la même période. En
France, cet indice qui atteignait 55 en 1790 ne progresse vraiment que dans le dernier tiers
du 19ème siècle lorsque la relation salariale se généralise (Lesourd et Gérard : 78). Les
mesures de santé publique sont rares avant cette date mais à partir de cette époque, elles
sont méthodiquement introduites et les premières assurances contre les accidents du travail
se mettent place dans les pays nordiques. Le tout dans le but de mieux conserver la force de

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travail. La mortalité commence à diminuer et c’est le début de la transition démographique


dans le Nord.

4. L’internationalisation de la lutte des contraires contre les crises capitalistes

À partir de 1875, on remarque que les nouvelles technologies se généralisent dans tous les
secteurs des principales puissances industrielles de l’époque, alors que simultanément les
salaires réels progressent. La conséquence en est un taux de bénéfice orienté à la baisse et,
pour la première fois, simultanément dans plusieurs pays industrialisés. La crise économique
devient une crise de bénéfice pour le capital. Le mouvement du capital s’internationalisant,
la crise du taux de profit a tendance à se synchroniser dans le temps et l’espace. Les crises
autrefois nationales deviennent internationales, et finissent par être globales comme nous le
découvrirons par la suite. Face à cette tendance, il existe des réponses possibles dans un pays
pour en limiter les conséquences, ce qui peut également être fait sur un plan international,
mais, face à ce phénomène global, la crise devient, comme nous le verrons, critique.

Dès 1875, l’investissement dans la production diminue, la croissance économique s’affiche en


perte de vitesse et le commerce international stagne. Même si le produit industriel
britannique continue à croître entre 1848 et 1875 à un rythme annuel moyen de 4,6%, ce
chiffre baisse à 1,2% entre 1876 et 1893. En Allemagne, ce chiffre passe de 4,5% à 2,5%
pour la même période (Mandel, 1972 : 111). La même chose se produit en France et en
général dans le nord-est européen. De nouvelles vagues migratoires se mettent en marche,
mais cette fois ce sont essentiellement des ouvriers au chômage qui émigrent, et plus
tellement des paysans appauvris. Aux Etats-Unis, au Canada et en Australie, la crise est plus
courte (Maddison, 1991 : 208-211). Le produit industriel des Etats-Unis croit à un rythme
annuel de 5,4% entre 1849 et 1873 et de 4,9% entre 1874 et 1893. Les Etats-Unis disposent
d’un espace intérieur suffisant pour réorienter leur économie vers le marché domestique,
sous le concept d’une économie d’échelle. Cependant, durant la période intermédiaire, le
commerce mondial est à la baisse passant d’un taux moyen de 5,5% annuels à 2,2%
(Mandel, 1972:112). La contraction économique dans l’Europe industrielle provoque la
faillite des plus petites entreprises capitalistes. Seules les plus grandes parviennent à obtenir
des bénéfices en investissant dans l’expansion économique et en cherchant une redistribution
du marché intérieur à leur avantage, aux dépens de la faillite d’entreprises plus petites. Avec
cette répartition du marché interne existant et la destruction du capital à petite échelle, les
entreprises les plus grandes triomphent et elles établissent une économie d’échelle. La
conséquence des investissements dans des fusions et des acquisitions est que les plus grandes
entreprises étendent leur marché sans que le marché en lui-même n’augmente. Cet
investissement redistributif et improductif provoque une perte de dynamisme de l’économie
nationale. Aux Etats-Unis, l’économie d’échelle existe depuis le début et il n’est pas
nécessaire de passer par l’étape redistributive pour se maintenir face à la concurrence
internationale.

Dans la répartition du marché européen intérieur, des armées d’ouvriers de plus en plus
nombreuses se concentrent dans des entreprises chaque fois moins nombreuses, et un
nombre chaque fois moins nombreux de capitalistes contrôle tout un secteur. Les fusions et
les acquisitions ne se produisent pas uniquement dans la branche industrielle mais aussi à
l’intérieur du système bancaire, et entre ce dernier et la sphère industrielle. Avec les
dernières fusions, on parle de développement du capital financier. Au lieu de s’en tenir au
credo de la libre concurrence à l’intérieur de la nation, les grandes entreprises cherchent à
limiter la production par le biais d’accords afin d’éviter que les prix ne baissent. Le bénéfice
dans des secteurs ainsi monopolisés se fait aux dépens de secteurs non monopolisés en faillite.
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Les premiers peuvent parvenir à des ententes sur les quotas et les prix, mais pas les seconds.
Cette tendance implique que l’agriculture se soumette à l’industrie agro-alimentaire
monopolistique. Pour faire face, au moins en partie, à ces monopoles, les agriculteurs se
réunissent pour créer des coopératives agro-industrielles, qui fonctionnent comme celles
d’épargne et de crédit. Cependant, la constitution de monopoles implique la suppression
progressive de la concurrence dans l’économie nationale, alors qu’elle s’accentue et
s’amplifie entre les capitaux monopolistiques des différentes nations.

Dans la concurrence pour le marché mondial, le capital monopolistique ne s’oriente en


général pas vers une compétition directe avec ses concurrents. Le protectionnisme ne laisse
pas beaucoup d’espace pour pouvoir le faire mais oblige plutôt à déplacer le combat
économique sur un autre terrain : les pays périphériques, où a lieu tout particulièrement
l’investissement productif de l’époque. Les chemins de fer des pays centraux mènent à bien
l’intégration de leurs marchés intérieurs, et les navires à vapeur font de même pour
l’international. Prochaine étape : l’ouverture des marchés périphériques au cours de
l’époque baptisée époque d’exportation de capital productif ou financier. Nous ne nions
certes pas cette tendance, mais nous croyons comme Hinkelammert que ce phénomène fut
surestimé par Hilferding à son époque. Le développement du capital productif surgit
effectivement à la périphérie, même si pas nécessairement à partir de l’exportation de capital
productif ou financier.

Les entreprises étrangères donnent de l’élan au développement ferroviaire de la périphérie,


mais son financement s’obtient non seulement à travers des prêts de la banque privée
étrangère mais aussi avec des crédits de la banque privée naissante dans ces pays de la
périphérie ou avec des impôts perçus localement. La même chose se passe avec le capital
productif étranger investi dans des matières premières ou des produits primaires. En raison
de l’absence relative de concurrence, les bénéfices des monopoles – obtenus dans la
construction des chemins de fer périphériques et la production de matières premières –
tendent à être supérieurs à ceux qui sont réalisés dans les pays centraux eux-mêmes. Plus la
concurrence des autres entreprises de la périphérie sera faible et plus le caractère de
monopole de la production périphérique pour le marché mondial sera fort. D’où l’intérêt des
colonies qui offrent des droits exclusifs aux monopoles du pays central respectif.

Les monopoles des plus vieux pays centraux, qui ont déjà tissé des liens coloniaux, atteignent
une meilleure position dans la répartition du monde. Les nouvelles économies industrielles
s’orientent encore plus vers la constitution de leur marché intérieur. Avec cet élargissement
de l’investissement productif en interne, la croissance économique s’améliore. Aux Etats-
Unis, en Australie, en Allemagne, au Japon et en Italie, le Produit Intérieur Brut double
entre 1890 et 1914 : et il triple même carrément au Canada, en Uruguay et en Argentine. Les
économies les plus avancées et avec un développement colonial important - Grande-
Bretagne, Belgique, Pays-Bas – croissent pas contre à un rythme inférieur (50% pour la
période mentionnée). La France réussit presque à doubler son produit intérieur, en
participant aux investissements étrangers et elle parvient à se mettre au niveau de la
Grande-Bretagne (Maddison, 1991 : 198).

L’utopie du développement du potentiel individuel maximum, selon le principe humaniste de


la subjectivité dans la modernité, se limite dans la pratique au développement maximum du
potentiel de l’intérêt privé du capital. La modernité évolue à partir des intérêts du capital.
Le problème croissant de la modernité est : comment construire une société à partir de
l’individualité ? Dans son œuvre The wealth of nations, Adam Smith parvient à synthétiser
la contradiction entre l’intérêt privé et l’intérêt général en fonction du développement du
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capital même à niveau national. Le capitaliste individuel ne cherche qu’à obtenir le plus
grand profit possible, mais une main invisible le guide vers la croissance économique, c’est-
à-dire vers la prospérité. Dans cette rationalité, l’intervention de l’Etat doit être minime et
favorable à l’intérêt général. Smith parle de l’intérêt général comme étant l’intérêt commun
de tout le capital ; il assimile l’intérêt général avec l’intérêt public ou le Bien Commun. Ce
qui importe à son époque c’est que la synthèse satisfasse les intérêts dominants. Cette
synthèse fait coïncider l’intérêt privé (de chaque capitaliste) avec l’intérêt public (de tous les
capitalistes), et rien d’autre n’existe en dehors de cela. Avec cette théorie, il supprime tout
contenu humaniste à la modernité originelle.
Au fur et à mesure que le capitalisme s’enfonce dans son étape impérialiste, de nouvelles
contradictions surgissent. De nouveaux philosophes apparaissent, qui avec leur vision
actualisée font face à la crise de la modernité, caractérisée non seulement par une
contradiction entre le particulier et le général mais aussi par la tension présente entre les
forces opposées. Chez Kant, tout comme chez Hegel, l’humanité est le centre de l’univers. La
libération de l’humanité, selon les mots d’Hegel, ne peut se produire qu’en fonction de sa
domination de la nature et d’autres nations. Avec cet argument, aux dépens de la nature et
de la périphérie, il accorde une légitimité à l’expansion capitaliste du centre. De la même
façon il réfute le potentiel de développement des nations périphériques, et dénie en outre le
potentiel de la multitude à s’organiser de manière spontanée et à exprimer sa créativité de
manière autonome. Pour Hegel, l’Etat, en lui-même et par lui-même, est le tout-éthique, et la
paix et la justice règnent dans une nation souveraine sous la domination de l’Etat. De cette
manière, Hegel établit un appareil transcendent qui ôte à la multitude son droit à s’organiser
et à s’exprimer (Hardt et Negri, 2000 : 88-92).

Chapitre V

Une société à partir de l’individualité ou une individualité sans société

1. Conflit des intérêts privés et entre particularité et totalité à l’échelle du monde

Dans leur désir d’intégrer le marché mondial, dans les pays centraux les services financiers,
commerciaux, de transport et de communication se développent plus que le capital industriel
à proprement parler. Ces capitaux, dans une plus grande mesure que le capital industriel,
ajoutent d’autres conditions à la préparation de la force de travail. La logique
d’accumulation de capital ne pousse pas uniquement à la généralisation de la relation
salariale mais en plus le développement quantitatif de la classe ouvrière conduit à sa
différenciation qualitative. La généralisation de la relation salariale, autrement dit
l’émancipation de la classe ouvrière en tant que classe, débouche sur sa différentiation en
distinguant le travailleur qualifié de celui qui ne l’est pas. La concurrence requiert la
mécanisation et plus la possibilité d’obtenir une plus-value absolue s’éloigne et plus la
mécanisation et la préparation de la force de travail sont requises. En 1820, la durée
moyenne de scolarité de la population dans les pays centraux n’est pas supérieure à deux
ans. En 1914, elle est déjà de six années en France et aux Pays-Bas, et de sept années en
Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, des chiffres qui comparés avec un niveau
moyen de 12 années en 1989 permettent de situer historiquement le processus évoqué
(Maddison, 1991 : 64).

Le salarié n’est pas rétribué pour son travail mais pour le coût nécessaire à la reproduction
de sa force de travail. La main d’œuvre qualifiée est rémunérée pour qu’elle se reproduise
comme qualifiée, et la main d’œuvre non qualifiée est payée pour se reproduire à l’identique.

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D’où la différentiation salariale selon le niveau de qualification obtenue. Plus l’expérience est
grande, plus le travail qualifié est difficile à remplacer. La même logique ne s’applique pas
pour les ouvriers non qualifiés. L’expérience ne contribue pas à diminuer leur capacité à être
remplacés, bien au contraire. La capacité à être substituée de la force de travail qualifiée
diminue avec l’augmentation de la qualification et de l’expérience. Avec la différentiation
dans la formation et l’expérience des travailleurs qualifiés, la capacité à négocier augmente.
Cela ne mène pas seulement à une différentiation salariale toujours plus forte, mais aussi à
un éloignement subjectif entre les deux catégories de travailleurs.

L’expansion des services crée une demande de force de travail qualifiée supérieure à ce que
la reproduction biologique des classes moyennes est capable de générer. L’ascension sociale
croissante offre des opportunités avec de grands sacrifices à niveau individuel mais ne
propose pas de solution satisfaisante au niveau macro. L’effort réalisé pour s’élever
socialement porte ses fruits en mettant un frein à la reproduction biologique, et avec le
temps, la force de travail qualifiée a tendance à moins se reproduire. La brèche entre l’offre
et la demande de force de travail qualifiée s’élargit encore plus. L’Etat doit s’employer à la
réduire et l’éducation publique apparait donc comme un besoin objectif afin de garantir
pour le capital la reproduction de la force de travail qualifiée à travers les générations.
Plus la qualification est élevée, et plus le coût investi dans le « capital humain » est élevé, et
plus la perte en cas de maladie, d’accident, d’handicap ou de mort est conséquente. Les
caisses d’assurance maladie, incapacités, vieillesse et mort font leur apparition dans les pays
centraux. La sécurité sociale se limite à prendre en charge la force de travail qualifiée, plus
coûteuse et moins facilement remplaçable. Elle est d’abord introduite en Allemagne (1883)
pour ensuite s’étendre aux autres pays industrialisés. Sa couverture est restreinte jusqu’aux
débuts du 20ème siècle à la main d’œuvre qualifiée ; la force de travail non qualifiée, et plus
aisément remplaçable, n’est pas encore couverte. Avant la première guerre mondiale, la
couverture sociale concerne un peu plus d’un tiers de la population allemande, suédoise,
britannique et danoise ; un cinquième des Belges et des Norvégiens, et à peine un dixième de
la population française (Alber, 1982 : 152).

La classe ouvrière a tendance à se diviser à l’intérieur des pays centraux. Les « cols blancs »
se différencient des « cols bleus ». Avant la première guerre mondiale, les premiers
représentent en France un septième de la population active, plus de 20% aux Etats-Unis,
près d’un tiers en Allemagne et plus d’un tiers en Grande-Bretagne (Landry, 1949 : 151;
Edwards, 1972 : 178 ; et Semjenow, 1973 : 184-191). Il n’y a pas seulement une ségrégation
du marché du travail selon la qualification ; il existe encore une plus grande capacité
substitutive de la force de travail féminine. Leurs opportunités sont moindres, quel que soit
leur niveau d’éducation. Cela implique une différenciation salariale même pour un niveau de
préparation identique, et une différenciation dans la couverture sociale selon le sexe. La
nouvelle classe moyenne, surtout les hommes, sent un potentiel de se développer en tant
qu’individu dans la société moderne. Sa reproduction comme faction de classe pour le
capital semble chaque fois plus être une réalisation personnelle comme personne et non
comme fraction de classe en soi. L’utopie de la modernité semble être à portée de main.

Étant moins remplaçables, les classes moyennes ont un pouvoir de négociation plus élevé et
elles sont plus enclines à négocier qu’à faire la grève. La lutte des classes subit l’interférence
d’une division interne de la classe ouvrière elle-même, et en raison de l’atomisation de la
nouvelle classe moyenne. Cela permet à la démocratie bourgeoise de donner le droit de vote
à la fraction de la classe moyenne. Avant la première guerre mondiale, l’électorat représente
en moyenne, dans les pays industrialisés, 18% de la population, et dans quelques pays ce
chiffre dépasse 25% (France, Danemark, Allemagne et Suisse). Mais dans d’autres pays, ce
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chiffre est inférieur à 10% (Belgique, Pays-Bas, Italie, Norvège et Suède) (Maddison 1991 :
77).

Au cours des décennies qui précèdent la première guerre mondiale, les sources de profit du
capital dépendent plus du succès de la nation dans le partage du monde que du
développement de l’économie intérieure. Et la division de la classe ouvrière existe non
seulement dans les nations centrales mais également entre elles. Cette division apparait lors
de la Deuxième Internationale, qui commence en 1889. Des méthodes de lutte comme la
grève générale sont abandonnées ainsi que tout appui à l’insurrection de la Commune de
Paris (1870). Dès lors, le centre du mouvement ouvrier combattant se déplace dans des pays
plus périphériques. La Russie arrive en retard au rendez-vous historique lui permettant de
développer sa propre industrie, mais elle est à temps pour reprendre le flambeau de la lutte
des classes. Avec 50% de population salariée au début du 20ème siècle, l’économie de marché
fonctionne avec une capacité de substitution beaucoup plus forte. Les salaires sont
misérables, et les journées de travail démesurées. Les conditions favorables au réformisme
n’existent pas, mais la proximité des pays centraux transforme le pays en lieu de prédilection
pour l’investissement étranger.

Au début du 20ème siècle, les nations se sont réparti la planète. La Grande-Bretagne et la


France sont clairement les vainqueurs. Le combat pour une nouvelle répartition
impliquerait une confrontation plus directe entre les puissances mondiales. L’Allemagne et
l’Autriche sont en retard au rendez-vous et cherchent à modifier la division du monde, un
fait qui débouchera finalement sur la première guerre mondiale. Les énormes dépenses
qu’impliquent l’industrie de guerre et la guerre en elle-même augmentent dramatiquement
les frais des gouvernements entrainés dans le conflit. Ces frais de l’industrie militaire sont
improductifs car leurs produits finaux ne sont pas liés à l’économie civile, c’est-à-dire qu’ils
ne génèrent ni le capital fixe ni les moyens de consommation nécessaires pour la future force
de travail, afin de s’enchainer par la suite à la croissance économique. Par conséquent, les
économies en conflit souffrent plus d’une récession, comme la France et la Belgique où le
PIB perd un tiers de son niveau d’avant-guerre en quatre ans de conflit. En Allemagne et en
Autriche, le PIB perd un quart de sa valeur par rapport à 1913. Les pays neutres les plus
proches (Pays-Bas, Suisse et Norvège) traversent une dépression économique plus légère ; les
plus éloignés par contre, obtiennent des bénéfices du conflit en devenant des fournisseurs
suppléants et en étant obligés de remplacer les importations en provenance des pays en
guerre.

Pour financer l’économie de guerre, les gouvernements en conflit suspendent la


convertibilité de leur monnaie en or, et émettent des billets sans aucune restriction. Cette
émission massive, sans être garantie par des réserves d’or, provoque une forte inflation qui
entraine une dévaluation de la monnaie. C’est ainsi que disparait la stabilité monétaire qui
avait existé de 1726 à 1914. Le fait est que durant la première guerre mondiale, la monnaie-
or, le billet convertible en or, cesse d’exister, ainsi que les taux de change fixes, dont la remise
en œuvre définitive ne se fera pas avant la fin de la seconde guerre mondiale. La règle d’or
selon laquelle la masse monétaire doit être liée au volume de production cesse d’être en
vigueur. D’ores et déjà, le recul de la production et les destructions provoquent à eux seuls
un déséquilibre entre production et monnaie, et cela entraine une spirale inflationniste dans
les pays en conflit. Le financement de la guerre aggrave encore plus la situation.

La vague d’inflation frappe les revenus fixes des salariés des pays en conflit. Ayant été
investies comme capital financier ou boursier, les réserves du système de capitalisation des
premiers fonds de retraite pour incapacité, vieillesse et décès partent en fumée. Le régime de
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capitalisation doit être remplacé par celui de la répartition, afin de ne pas laisser à la dérive
les pensions de la classe moyenne (Gordon, 1990 : 66). Dans ce contexte de revenus en chute,
les journées de travail se rallongent et les femmes arrivent massivement sur le marché du
travail, dont les journées et les équipes se mélangent avec le travail infantile en masse. Le
taux d’exploitation augmente, et parallèlement le taux de profit du capital monopolistique.
Au milieu de la guerre et de la contraction économique, le capital monopolistique parvient à
se consolider.

Au cours de la guerre de 1914-1918, de grands producteurs d’articles industriels éloignés des


zones de conflit (Etats-Unis, Japon et même Grande-Bretagne) augmentent leur capacité de
production en étant fournisseurs suppléants ou complémentaires pour les commandes qui ne
peuvent être honorées par les belligérants. Ces pays connaissent, grâce à une guerre à
laquelle ils ne participent pas, une forte expansion économique. L’excédent de la balance
commerciale et les revenus en or découlant de prêts accordés permettent aux Etats-Unis
d’accumuler la moitié des réserves en or de la planète. Les pays d’outremer, habitués à
acquérir des produits manufacturés en provenance d’Europe se voient contraints, et ont la
possibilité, de développer leur propre industrie (Argentine et Brésil entre autres).
Cependant, cette politique de remplacement des importations ne mène pas à l’expansion
économique dans la mesure où dans le même temps leurs exportations traditionnelles se
réduisent. Toutefois, le développement du marché interne sauve ces pays de graves
récessions.

La Russie en pleine guerre souffre non seulement des destructions causées par la guerre,
mais en plus son économie se désarticule. C’est dans ce contexte que le gouvernement
demande des aides économiques substantielles aux autres pays européens. En 1916,
l’offensive de l’armée est en passe de liquider définitivement l’armée allemande. Dès lors, la
guerre russe contre l’impérialisme se transforme en une guerre civile contre le tsarisme, et
en février 1917 le tsar est chassé du pouvoir. Le gouvernement soviétique invite toutes les
nations à négocier la paix. Les pays alliés refusent, ce qui débouche sur une révolte populaire
et un mouvement de la paix qui s’étend à toute l’Europe. La révolution soviétique décide de
ne pas honorer la dette extérieure et isole la Russie comme futur marché du reste du monde
(Lesourd et Gérard, 1964 : 329). Les Etats-Unis, préoccupés par les conséquences de la
révolution russe déclarent la guerre à l’Allemagne en avril 1917, un conflit qui durera un an.
Le bilan s’élève à 10 millions de soldats morts outre les innombrables victimes civiles.

2. Mondialisation de la contradiction entre le privé et le social

L’économie de guerre entraine des séquelles pour l’économie civile, et pas seulement à cause
des destructions. L’investissement de guerre, même s’il n’est pas utilisé, est une reproduction
qui limite l’économie civile ; c’est-à-dire que l’appareil productif se restreint et il mettra des
années à récupérer son rythme productif. À partir de 1918, la récupération économique des
pays belligérants va tarder jusqu’au début des années 20. L’Autriche retrouve à peine son
PIB de 1913 en 1928 ; l’Allemagne et la Grande-Bretagne en 1925, la France en 1923 et la
Belgique en 1922. Les petites économies industrialisées, neutres dans la guerre (Pays-Bas,
Danemark et Norvège) retrouvent leur niveau d’avant-guerre à la fin du conflit et il en est de
même pour l’Australie, le Canada et l’Argentine. Le Japon et les Etats-Unis ne connaissent
pas de récession pendant la guerre ou après (Maddison, 1991 : 212-215). En tant que
fournisseurs suppléants, ils ont au contraire prospéré durant et après le conflit.

Entre 1924 et 1926, lorsque les pays centraux retrouvent leurs niveaux de production
d’avant-guerre, ils essayent d’avoir à nouveau la stabilité nécessaire pour réactiver le

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commerce international. On propose alors d’utiliser l’or pour les transactions


internationales et plus pour le commerce intérieur. Dans la pratique, cette modalité existe
depuis la fin du 19ème siècle dans les relations commerciales avec les pays latino-américains
et d’autres qui sont périphériques. Face à l’énorme dette économique des pays du conflit, les
Etats-Unis constituent le principal prêteur durant la guerre, mais également après afin de
réactiver l’économie et le commerce internationaux. Les investissements étrangers
américains en portefeuille sont multipliés par trois tandis que les investissements directs
étrangers doublent. Les flux de capitaux américains se dirigent surtout vers les pays
centraux touchés par la guerre comme la France, la Belgique, l’Allemagne et l’Autriche.

Jusqu’en 1926, l’exportation de capitaux américains vers l’Allemagne et l’Autriche est en


équilibre avec les paiements, mais à partir de 1927 les crédits cessent et les taux d’intérêt
grimpent aux Etats-Unis. L’Allemagne et l’Autriche ne sont alors plus en mesure de
s’acquitter de leurs dettes puisqu’elles ne disposent pas de réserves en or suffisantes. Les
deux nations doivent verser plus de 24% de leurs exportations annuelles pour rembourser
leur dette (Henry, 2000 : 24-25). Avec l’arrêt des crédits, les réserves en or diminuent
rapidement et la production est paralysée. Les exportations baissent, la monnaie se dévalue,
beaucoup de banques font faillite et en 1927 la Bourse de Berlin s’écroule (Henry, 2000 : 72).
En 1931, l’Allemagne suspend le paiement de sa dette extérieure et abandonne la
convertibilité de sa monnaie (Lesourd et Gérard, 1964 : 365).

Dans la périphérie, mais surtout en Amérique Latine, la doctrine Monroe inaugure une
nouvelle répartition du marché mondial dont profitent les Etats-Unis. Le capital américain
pénètre tout particulièrement en Argentine et au Brésil, sous la forme de prêts ou
d’investissements dans l’après-guerre, afin d’encourager le remplacement des importations,
traditionnellement européennes, par un processus d’industrialisation intérieure sous
l’influence de la puissance nord-américaine. La même tendance est observée en Asie,
notamment en Inde. Le processus de prolétarisation, qui a démarré dans le Cône Sud dans le
dernier quart du 19ème siècle s’approfondit. Au début des années 20, plus des deux tiers de
la population active argentine, chilienne et uruguayenne est salariée, et deux décennies plus
tard la proportion atteint même les trois quarts.
La capacité de remplacement de la force de travail dans ces pays diminue tellement que la
sécurité sociale est instaurée, et sa couverture, tout comme en Europe, est positive pour la
force de travail qualifiée et moins facilement remplaçable (Mesa-Lago, 1978 : 265-266). La
transition démographique débute en Amérique Latine. À partir de 1926 cependant, les taux
d’intérêt augmentent aux Etats-Unis et le crédit cesse, avec une inversion du flux de
capitaux. Le résultat en est une détérioration de la balance des paiements. Les banques
centrales se voient contraintes de mettre en place une politique d’austérité, et les premiers
pays périphériques entrent en récession. Pour l’atténuer, et diminuer les attaques
spéculatives, ils abandonnent la convertibilité de leur monnaie (Henry, 2000 : 85).

Avec une telle conjoncture internationale, caractérisée par une faible croissance et une lente
expansion commerciale tant dans la plupart des pays centraux que dans les périphériques, la
prospérité économique américaine semble extraordinaire. Le taux de croissance moyen des
Etats-Unis entre 1922 et 1929 est de 4,7%. Les industries de base européennes diminuent
leur participation dans le commerce mondial en raison du protectionnisme américain, de la
fermeture du marché de la Russie soviétique, de la substitution des importations en
Amérique Latine et de la hausse des droits de douane en Europe. Le capitalisme nord-
américain semble triompher au milieu d’un environnement économique mondial stagnant.
Entre 1921 et 1925, le commerce des produits industriels dans le monde ne représente que
82% de son niveau de 1913, et entre 1926 et 1930, il ne dépasse 110%. Entre 1926 et 1930, la
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demande mondiale de matières premières est toujours à la baisse et arrive à peine à 86% de
son niveau de 1913 (Lesourd et Gérard, 1964 : 457). Les Etats-Unis semblent être une île de
prospérité dans un monde qui fait naufrage, mais ses revenus extérieurs ne se doivent pas
tant au commerce qu’aux crédits accordés aux pays étrangers.
La prospérité économique américaine jusqu’en 1928 ne se base pas uniquement sur le crédit
international et local. Une grande expansion du crédit au consommateur a eu lieu dans le
cadre de la « nouvelle économie », surtout en ce qui concerne de nouveaux biens de
consommation durables. La production en masse d’automobiles, d’appareils
électroménagers, d’équipements audio, de radios, exige l’élargissement du crédit à la
consommation. En Europe, ces biens continuent à être des articles de luxe pour un marché
très réduit, mais aux Etats-Unis les ventes de véhicules augmentent à un rythme
spectaculaire, passant de deux millions d’unités en 1919 à plus de cinq en 1929. Les bénéfices
des entreprises de la « nouvelle économie » grimpent sans cesse. Les expectatives de ventes et
de profits sont colossales, tout comme la spéculation en Bourse. Les crédits pour acquérir des
actions sont très souples et leur nombre explose. Jusqu’au milieu des années 20, les profits et
les prix des actions évoluent au même rythme, mais par la suite les prix des actions du Dow
Jones monte plus vite que les bénéfices des entreprises (Henry, 2000 : 62-68).

La concentration du revenu américain s’accentue avec la spéculation boursière. En 1929, 1%


de la population possède 36% de la richesse totale du pays, contre 28% au début du siècle
(Bartra, 1988 : 125). La concentration des revenus influe de manière négative sur la
demande réelle. En 1929, les ventes et les profits de la « nouvelle économie » perdent du
rythme entre juillet et octobre. L’augmentation de la production et la vente des nouveaux
biens de consommation durable se contractent et se limitent au pouvoir d’achat d’une classe
moyenne réduite. La concentration des revenus joue négativement sur le pouvoir d’achat de
cette partie du marché. Afin de freiner la spéculation à bas prix, les taux d’intérêt à court
terme augmentent de 1,5% à 3,5%, mais cela provoque une chute immédiate de la demande
d’automobiles. Les expectatives de vente se réduisent brusquement et les bénéfices partent
en fumée. La chute brutale des actions a lieu en octobre 1929 (Henry; 2000 : 111 et 120).
Dans les années qui suivent, la faillite de banques se multiplie. Des usines endettées auprès
des banques par de grands investissements d’expansion effectués dans le passé ferment leurs
portes en raison de la chute de leurs revenus et de l’augmentation de leurs obligations. Avec
la fermeture des entreprises, la banque subit de lourdes pertes et entre en crise. Suite à cet
enchainement de krachs, l’activité économique nationale se contracte fortement et le
chômage monte en flèche pour atteindre 25% au début des années 30, ce qui provoquera une
baisse encore plus forte de la demande. La dépression économique est désormais un fait. En
1933, le PIB des Etats-Unis représente à peine 70% de celui de 1929 (Maddison, 1991 : 215).
Les réserves en or n’ont aucun rapport avec le plus petit produit national. Le dollar est
surévalué. Commence alors la spéculation contre cette devise. La conversion de dollars en or
augmente depuis l’étranger. Face à cette attaque spéculative, les Etats-Unis décident en 1933
d’adopter la non-convertibilité du dollar en or et dévaluent leur monnaie de 40%, en plus
d’élever les droits de douane, à la recherche d’une plus grande autarcie pour se remettre à
flot.

Comme les Etats-Unis représentent un tiers de la demande mondiale, leur contraction génère
le même phénomène pour la demande mondiale. La déflation ou baisse des prix devient
mondiale et la récession s’internationalise. Sur 16 pays centraux disposant d’informations
statistiques, 14 se trouvent en récession au début des années 30, sans parler de la récession
dans les pays périphériques, une récession qui freine brusquement les migrations
internationales. Il n’y a pas d’endroit au monde qui ne soit pas frappé par la crise (Gordon
1990 : 291-299 et Landry, 1949 : 421-433). À toutes les frontières, marchandises et personnes
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se heurtent à des barrières. Entre 1931 et 1934, la valeur du commerce mondial se réduit à
74% de son niveau de 1913 (Lesourd y Gérard, 1964 : 457). Non seulement les pays
récepteurs (Etats-Unis, Canada, Australie, Argentine) refusent d’accueillir de nouveaux
migrants, mais en plus dans la première moitié des années 30 on constate des flux de retour.
Les pays se renferment à l’intérieur de leurs frontières et en 1932 l’autarcie nationaliste se
répand jusqu’en Grande-Bretagne. Face à l’incapacité d’acquérir des produits industriels,
les pays périphériques se voient également contraints de mettre en place une plus grande
autarcie. L’industrie nationale se substitue aux importations.

À la veille de la seconde guerre mondiale, plus aucune monnaie n’est convertible en or. Les
grandes devises ont été dévaluées, et l’insécurité économique et sociale est générale.
L’immunité de la Russie face à cette dépression mondiale renforce l’image du socialisme
dans le monde entier. À partir de la dépression, le commerce entre l’Occident et l’URSS
augmente de manière significative, s’agissant du seul marché en expansion. Entre 1931 et
1933, 55% des exportations américaines d’équipements se dirigent vers l’Union Soviétique
(Henry, 2000 : 5-6). Le développement industriel en Russie fait un bond prodigieux au milieu
d’un monde plongé dans la crise mondiale. L’insécurité économique et sociale généralisée en
Occident rallume la combativité de la classe ouvrière dans tous les pays. Le socialisme
soviétique apparait comme une option légitime. C’est dans ce contexte que Staline annonce
en 1934 la « fin de l’Histoire », se référant au capitalisme.

En réalité, la modernité chancèle sur ses bases. À partir de l’individualité, il semble


impossible de construire une société sans une crise profonde et forte. La réponse historique
qui consiste à refuser totalement l’intérêt privé comme point de départ pour construire une
société semble avoir une certaine logique. La planification centralisée hisse le drapeau de
l’utopie socialiste, caractérisée par l’épanouissement total de la personne, en partant d’une
société libératrice. Dans la dialectique de l’Histoire, la planification absolue remplace le
marché total, mais en raison de la négation absolue de son contraire, elle ne parvient pas à
élaborer la synthèse de l’utopie socialiste : c’est le refus absolu de la thèse moderne qui
consiste à construire une société à partir de l’individualité. La transition, en partant de la
société de la communauté primitive vers son contraire incarné par l’esclavage, passe par
l’autoritarisme de la planification centralisée du « mode de production tributaire ».
Historiquement, il est possible d’évaluer le socialisme réel comme une transition semblable
vers une nouvelle individualité à partir de la société, mais cette fois en se basant sur un
niveau élevé de développement des forces productives. Le socialisme réel apparait comme
une antithèse de la modernité. La question que nous poserons désormais est de savoir quelle
en est la synthèse.

Chapitre VI

Individualité sans société contre société sans individualité

1. La bataille pour le marché et la lutte entre particularité et totalité

Face au régime d’accumulation de capital basé sur le libre jeu du marché, l’Union Soviétique
constitue une réponse dialectique historique. Le socialisme réel nait comme l’antithèse de
l’économie de libre jeu du marché en fonction de l’appropriation privée du capital. La
première tentative de mettre en place le communisme russe entre 1917 et 1921 liquide la
propriété féodale mais fait reculer la production agricole et industrielle. La NEP, Nouvelle
Politique Économique (1922 – 1928) restitue certaines libertés commerciales et stabilise
temporairement la petite propriété. L’introduction de formes économiques plus libérales
réactive la production agricole, surtout l’industrielle, et le niveau atteint est supérieur à ceux
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de 1914. À partir de la récession mondiale, le système socialiste est mis en place avec une
planification centralisée. En 1928, les terres sont collectivisées à 20% ; en 1930 à 50% et en
1940 à 90%. Le sous-sol, les usines avec leurs machines, les chemins de fer, les moyens de
transport, les banques, les télécommunications, le commerce, etc., passent aux mains de
l’Etat (Lesourd et Gérard, 1964 : 354).

Le régime de production socialiste soviétique soumet toute la production à un système de


planification centralisée qui vise à la croissance économique. En déterminant cette croissance
comme l’objectif principal, l’économie revêt la nature d’une accumulation planifiée. Sur le
plan national, des plans sont définis par région et par produit et fixent des objectifs et des
buts de production. Les prix et les salaires sont périodiquement établis. La banque de l’Etat
a le monopole du crédit, se charge de l’émission de monnaie et sert de banque de
compensation pour les banques spécialisées par secteur. Toutes ses opérations fonctionnent
dans le cadre du plan principal. Et c’est précisément lorsque le monde qui fonctionne selon
les règles de l’économie de marché entre en crise que l’Union Soviétique connait une forte
expansion industrielle. La production double entre 1923 et 1930, et le fait encore de 1930 à
1940 (Lesourd et Gérard, 1964 : 354). Cependant, la production agricole stagne
relativement. La concurrence entre les systèmes socialiste et capitaliste pour la croissance
économique saute aux yeux. C’est une concurrence antagonique axée sur une rationalité
basée sur un totalitarisme du plan, dirigée par une « bourgeoisie d’Etat », contre le
totalitarisme du marché, mené à bien par le capital privé, avec le soutien de l’Etat.

La nouvelle citoyenneté soviétique paye la facture de cette austérité absolue en fonction de


cette course accumulative et antagonique. Tout est sacrifié pour la réalisation des objectifs
principaux. La citoyenneté russe n’a pas voix au chapitre dans ce processus ; elle est sacrifiée
collectivement pour atteindre l’utopie de la « communauté supérieure » : parvenir à
dépasser économiquement le capitalisme. L’utopie d’une société libératrice, construite par et
pour les citoyens, part en fumée à partir de l’utopie du comité central et du parti. Le
sacrifice collectif est décidé en fonction de l’accumulation nationale et ne s’oriente pas vers le
bien-être réel de la citoyenneté. Le progrès de la nation est mesuré selon le degré de
compétition économique et politique avec le capitalisme.

Dans les années trente, le capitalisme basé sur le libre jeu du marché conduit de manière
paradoxale à son contraire, le protectionnisme nationaliste. L’échec de la Conférence
Économique de 1933 met un terme à l’époque des accords multilatéraux qui devaient sauver
le libre jeu du marché. Le libéralisme à outrance, avec son attitude « sauve qui peut » aboutit
à l’opposé : un protectionnisme croissant qui débouche sur l’autarcie (Lesourd et Gérard,
1964 : 337). L’URSS s’inscrit dans la même philosophie antagonique et excluante. Face à la
dépression économique du capitalisme, on pense même que ce dernier peut être mis en
déroute par le socialisme. Une autarcie planifiée centralement, sous un gouvernement
nettement autoritaire, permet apparemment qu’une seule nation puisse dépasser toutes les
autres. La stratégie du « sauve qui peut » inspire les pays centraux. L’inclination vers le
fascisme et le national-socialisme constitue la réponse d’un capital en crise, dans un monde
où il n’y a même pas de place pour tout le capital et encore moins pour le socialisme. Les
antagonismes excluants entre nations capitalistes s’inscrivent dans la lutte exclusive entre
capitalisme et socialisme réel.

L’intervention autoritaire de l’Etat dans l’économie capitaliste se produit après la dépression


économique, notamment où le national-socialisme est vainqueur : l’Allemagne et l’Italie.
Quelques secteurs indispensables à la reproduction du capital en général – lignes de chemins
de fer, système postal, téléphones et routes – sont victimes de grandes pertes. Comme dans le
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socialisme réel, les entreprises en crise sont nationalisées. Le processus de nationalisation de


l’infrastructure se produit plusieurs années après (à la fin de la guerre) dans de spays
centraux, ainsi que dans des pays périphériques comme l’Amérique Latine. La grande
industrie et les grandes banques allemandes soutiennent Hitler dans son projet d’un Etat
fort, avec une planification centralisée mais en fonction du marché et du grand capital. Le
développement de l’industrie militaire et la construction de routes et d’infrastructures
militaires sont réalisés avec des emprunts publics qui augmentent le déficit public. L’emploi
remonte rapidement et il existe une certaine redistribution des revenus, ce qui vaut au
régime l’appui de la classe des travailleurs.
En Allemagne, l’économie de guerre permet de surmonter la dépression. Mais sans
enchainer la plupart de ces investissements avec l’économie civile, l’Allemagne doit se lancer
dans la guerre pour imposer sa politique de marché au reste du monde capitaliste. Si elle ne
le fait pas, l’énorme coût improductif de l’économie de guerre retombera sur elle-même et la
récession intérieure serait très profonde. La logique de « sauver la nation élue », aux dépens
des autres, place l’Allemagne au-dessus de tous les autres pour ainsi « légitimer » la guerre.
Cette politique fasciste ne vise pas la croissance économique - comme on le dit parfois
lorsqu’on parle du « keynésianisme de guerre » - mais vise la répartition par la guerre des
marchés existants. Face à la menace de guerre et la répartition des marchés mondiaux qui
s’ensuivrait, les Etats-Unis justifient l’industrie de guerre avec la politique du New Deal.

Au cours de la guerre, les pays occupés subissent une récession. La guerre crée des espaces
pour que des pays éloignés du conflit, comme par exemple les pays latino-américains ou
l’Inde, puissent et doivent remplacer encore plus leurs importations industrielles.
D’importateurs nets, ils deviennent des fournisseurs nets avec un gros excédent de leur
balance commerciale. Cependant, lorsque la guerre se termine, les vainqueurs et les vaincus
entrent dans une période de récession comme on n’en a jamais vue dans l’Histoire du
capitalisme. La croissance négative des 16 économies centrales atteint 11% (Maddison, 1991
: 113-117). Cette récession mondiale ne se doit pas tant à la destruction massive ou au
caractère improductif de l’économie de guerre ; elle est surtout le résultat de la politique du
« sauve qui peut » dans la répartition du marché mondial. La répartition par la guerre de ce
dernier ne fait rien d’autre que de le rétrécir encore plus. Dans la période de l’après-guerre,
il est clair qu’avec le « sauve qui peut » personne ne sera épargné.

La récession de 1945 – 1946 est une crise économique d’une profondeur et d’une portée
géographique jamais vues dans le capitalisme, qui fait prendre conscience que
l’accumulation de capital, à partir de la répartition du marché mondial existant, est arrivée
à sa limite maximale. Poursuivre dans cette logique, née avant la première guerre mondiale,
non seulement provoque des pertes de capital partout, mais en plus met en danger la
rationalité capitaliste elle-même. Cette prise de conscience se développe encore plus face aux
avancées du socialisme réel, et pointe le besoin que l’autre nation se développe
économiquement pour que le grand capital puisse se développer dans son propre pays, et à
partir de là, aller plus loin. Cette conception mène à une approche de la croissance régulée
mondialement à partir des nations individuelles. La nouvelle politique économique est le
keynésianisme. La création de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds Monétaire
International (FMI) par Bretton Woods, ainsi que des Nations Unies, doivent apporter le
cadre institutionnel qui favorisera cette nouvelle politique économique.

2. La médiation entre particularité et totalité, et la subordination du plan au marché

2.1. La subordination absolue de la nature envers l’intérêt privé

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Une caractéristique essentielle du keynésianisme est le rattachement de l’investissement à


l’environnement productif au sein de chaque nation. Sans lui, il est impossible de restimuler
la croissance, condition impérative pour sauver la rationalité capitaliste, ce qui implique de
renoncer au moins temporairement à la répartition du marché existant, option pour
l’accumulation qui est en vigueur depuis la fin du 19ème siècle. L’Etat assume le contrôle du
système bancaire et contrôle le crédit afin d’éviter l’investissement spéculatif. Toute
intervention de l’Etat est orientée vers la demande effective et cherche à améliorer la
distribution du revenu, de telle sorte que soit garantie la demande des moyens de
consommation. Les mesures concrètes pour atteindre cet objectif sont très variées. Pour
éviter la fuite de l’investissement vers l’environnement improductif et spéculatif, l’Etat
limite le crédit à court terme et sépare les banques d’affaires des banques de dépôts ; il
contrôle en outre l’usage fait des dépôts bancaires afin qu’ils ne soient pas utilisés sans limite
dans les affaires et s’assure que les hypothèques sont surtout rattachées à la construction en
cours et moins à des immeubles déjà existants, avec de possibles fins improductives, etc.

Avec les accords de Bretton Woods (1944) un nouvel ordre monétaire est créé pour éviter la
spéculation sur les devises. Le crédit international est régulé pour stimuler le commerce au-
delà des frontières. On cherche à fixer des taux de change qui freineront la spéculation sur
les devises. Pour que l’Etat ait plus de marge de manœuvre dans sa politique économique
intérieure, le taux de change basé sur l’étalon-or est abandonné et le taux de change fixe
mais ajustable est adopté. Le système se base sur l’établissement d’une parité fixe entre le
dollar et l’or. Les autres monnaies fixeront leur parité par rapport au dollar et indirectement
par rapport à l’or. Pour cela, les pays constituent le FMI où chaque pays dépose une
cotisation proportionnelle à ses ressources internes. Les Etats-Unis, qui disposent des plus
grandes réserves à la fin de la guerre, apportent la plus grande partie du fonds. De
nombreux pays centraux endettés par la guerre ne peuvent contribuer avec ce qui leur est
demandé. La BM, financée en grande partie par les Etats-Unis, verse en dollars les prêts
nécessaires à cet effet, dans la mesure où elle est intéressée par la nouvelle politique. C’est
seulement ainsi qu’il sera possible de réactiver le commerce des Etats-Unis.

Cependant, la stabilité monétaire et le contrôle du crédit sont insuffisants pour rattacher


l’investissement à l’environnement productif. Le grand capital ne revient pas vers
l’environnement productif s’il ne peut pas obtenir un taux de profit appétissant. La crise de
1929 a démontré que la production en masse de biens de consommation durables atteint ses
limites avec le pouvoir d’achat limité de la plupart des gens, et avec la longue durée de vie
moyenne des produits. Le marché de l’occasion constitue un obstacle à la vente permanente
de voitures neuves. La solution keynésienne pour augmenter la demande effective est double
: obtenir une meilleure distribution du revenu et diminuer la durée de vie moyenne des biens
de consommation durable et des moyens de production eux-mêmes. La demande effective
s’obtient non seulement avec une meilleure distribution du revenu mais en plus elle a besoin
d’un revenu plus sûr. Le plan Beveridge restructure la sécurité sociale après la guerre. Il n’y
a pas que l’assurance chômage qui a droit à une attention toute spéciale. C’est aussi le cas de
la sécurité sociale (maladie, vieillesse et décès, allocations familiales, etc.) qui démontre un
changement qualitatif et quantitatif. La couverture en Europe passe de 40% en 1930 à 71%
en 1960. Les pays les plus petits (la Scandinavie en particulier) obtiennent une couverture
pratiquement universelle (Alber, 1982 : 152).

La redistribution du revenu avec l’intervention de l’Etat amène une hausse relative des
salaires réels, directs et indirects, des travailleurs non qualifiés, plus importante que celle des
travailleurs qualifiés. Les impôts directs deviennent plus progressifs, contribuant à une
meilleure distribution du revenu. L’impôt sur les investissements improductifs (terres non
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utilisées, maisons à louer) tend à augmenter, plus la taille du pays industrialisé est petite,
plus la redistribution du revenu est équitable. Dans des contextes de peu de millions
d’habitants, comme en Scandinavie, le nivellement du revenu entraine une plus grande
demande effective de biens de consommation durable. Sans cette mise à niveau, il serait
impossible de générer une demande effective suffisante pour la production massive dans les
petits pays centraux. La classe des travailleurs se reproduit ainsi comme classe en fonction
des besoins de reproduction du grand capital. Cette nouvelle modalité de reproduction de la
force de travail pour le grand capital constitue la base objective pour obtenir un plus grand
pouvoir d’achat de la classe des travailleurs. La société capitaliste se présente comme celle
où il y a de la place pour tous. La modernité semble être à portée de main. C’est ainsi que le
réformisme gagne en profondeur avec la social-démocratie dans ces pays.

Dans des grands pays, comme les Etats-Unis, ce nivellement des salaires ne s’avère pas
nécessaire pour générer la demande effective requise pour la production et la consommation
de masse. La production et la vente massives sont possibles au milieu d’inégalités
importantes. La concentration du revenu aux Etats-Unis diminue beaucoup après la seconde
guerre mondiale. En 1949, à peine 1% des familles nord-américaines reçoit 20% du revenu
national, au lieu de 36% en 1929 (Bartra, 1988 : 125). Mais ce nivellement n’obtient pas la
même profondeur que dans les pays scandinaves, ce qui explique la nature relativement
libérale de l’économie des Etats-Unis durant l’après-guerre. Au milieu d’une inégalité sociale
plus grande, il est possible dans cette nation que se reproduise le grand capital basé sur la
production et la vente massives. L’Allemagne occupe ici une position intermédiaire entre le
réformisme profond de la social-démocratie des pays nordiques et le libéralisme relatif des
Etats-Unis.

À partir de la demande effective croissante, la production de masse est garantie, mais il n’est
pas encore clair d’où provient la nouvelle hausse du taux de profit dans l’environnement
productif. Jusqu’à cette phase du capitalisme, la fabrication de produits de consommation
durable et de la technologie est caractérisée par une durée de vie moyenne plus ou moins
longue. Cette durée de vie moyenne des bâtiments dans les années 20 oscille entre 50 (pour
les usines) et 100 (pour les exploitations agricoles). En 1965, cette moyenne baisse à 70 ans
pour les bâtiments dans l’agriculture et à 30 pour l’industrie. Les équipements ont dans les
années 20 une durée de vie de plus de 30 ans. En 1965, elle oscille entre 16 (agriculture) et 17
(industrie) (Mandel, 1972 : 183 y Kozlik, 1968 : 142). Avec la nouvelle ère de la mécanisation
et de la substitution technologique, l’investissement en machinerie dépasse bientôt
l’investissement en bâtiments. Entre 1910 et 1930, de 100 dollars investis en capital fixe, 70
sont destinés aux bâtiments et seulement 30 aux équipements ; à partir de 1960, plus de 50
dollars investis correspondent aux équipements (Kozlik, 1968 : 193). A partir de là, le
moteur de la concurrence consiste à disposer de la toute dernière technologie, ce qui
implique raccourcir sans arrêt la durée de vie du capital fixe.

La réalisation des produits finaux s’accélère au fur et à mesure que leur durée de vie utile
diminue. La richesse, perçue comme le contenu et le présent dans la vie concrète, disparait
avec une vitesse croissante pour que la richesse produite augmente sans cesse en termes de
valeur. Ce consumérisme ne se définit pas en fonction des besoins de la population dans la
vie concrète mais exclusivement en fonction de la réalisation du profit du capital. Un produit
vendu démontre son utilité pour le capital par le simple fait qu’il soit vendu, même si après il
est jeté ou non utilisé. La marchandise vendue démontre son utilité en permettant un profit
même si elle n’a pas d’utilité dans la vie concrète. La vie des travailleurs n’est pas seulement
subordonnée au travail mais aussi à la consommation. Les attaques contre la nature et
l’utilisation d’énergie acquièrent une dimension jamais vue dans l’Histoire de l’Humanité.
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Les ressources naturelles non renouvelables s’épuisent et l’environnement est sans cesse
pollué. C’est la subordination totale de la nature, sans autre rationalité que celle
d’accumuler.

La substitution technologique accélérée dans l’économie civile stimule la croissance


économique qui caractérise l’après-guerre mais aussi implique son frein à moyen terme.
Lorsque la substitution technologique et son coût vont plus vite que le réduction du coût du
travail qui dérive de l’innovation technologique, le taux de profit s’oriente à la baisse. Cette
baisse, pour l’ensemble des pays capitalistes, intervient à partir de la seconde moitié des
années 60 et continue dans les années 70 (Leyva, 1987 : 278). La conséquence en est un
abandon relatif de l’investissement dans le secteur productif, et les pressions pour un
investissement redistributif ou spéculatif augmentent à nouveau. Cette politique exige une
nouvelle et plus grande libéralisation de l’économie. Le taux d’investissement productif dans
les pays centraux diminue à partir des années 70, et le capital cherche des espaces
d’investissement plus rentables dans les finances (Leyva, 1987 : 278). Avec la baisse du taux
de bénéfice du productif, les investissements dans ce secteur baissent dans les pays
capitalistes, une conjoncture qui se produit avant et avec plus de force aux Etats-Unis, ce qui
se doit à l’antérieure diminution du taux de profit produite par les dépenses de défense
élevées dans ce pays.

2.2 La subordination du plan total au marché total

Ces pays centraux qui ont moins investi moins dans les dépenses militaires (Allemagne et
Japon, les vaincus de la guerre) voient croitre leur économie civile. Ils n’ont pas d’autre
option étant sérieusement limités dans leur participation à l’économie militaire. Dans le
cadre de la Guerre froide, les Etats-Unis investissent un pourcentage relativement élevé dans
le secteur militaire : 9 % du PIB en moyenne entre 1950 et 1970 (Nadal, 1991 : 229). Par
contre le Japon a des frais liés à la défense qui ne dépassent pas 1% jusqu’en 1985 (Nadal,
1991 : 229). Les bénéfices du complexe militaro-industriel sont en général supérieurs à ceux
de l’économie civile (14% contre 11%) (Nadal, 1991 : 261). Les investissements militaires
sont plus lucratifs pour les entreprises privées, mais pour l’économie prise dans son
ensemble, ils représentent une dépense improductive. Le produit final n’étant pas rattaché à
l’économie civile, les taux de croissance de l’économie dans son ensemble tendent à traîner.
C’est comme si la productivité n’avait pas autant progressé. La croissance annuelle moyenne
de la productivité aux Etats-Unis est très en dessous de celle observée pour le Japon : 2,4%
face à 5,8% pour la période 1960 – 1973, et 0,3% contre 3,2% entre 1973 et 1980 (Nadal,
1991 : 229).

Les exportations annuelles d’armes, même si elles constituent une petite fraction des
dépenses militaires, sont un mécanisme pour transférer à d’autres nations leur effet
improductif sur une économie productrice. Mais pour exporter des armes, il faut un marché
et cela implique un environnement avec une menace de conflit. La guerre froide constitue le
motif idéal pour ce transfert. De 1960 à 1987, les exportations annuelles d’armes dans le
monde passent de 2,5 à 40 milliards de dollars pour ensuite baisser à la moitié de chiffre en
1996 (Aguirre et Taibo, 1989 : 288 et 289 et Alternatives Sud, 1998 : 13). De toutes les
importations d’armes, les pays du Sud assument une part croissante au fil des ans. Si en
1960, le Sud en absorbe 44%, à la moitié des années 80 il en reçoit pratiquement 80%, une
valeur égale au montant de l’aide attribuée pour le développement (Aguirre et Taibo, 1989 :
88-89). Le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, avec les hausses des prix du pétrole des
années 70, absorbe dans les années 80, 40% des exportations d’armes vers le Sud

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(Alternatives Sud, 1998 : 19). La concentration de conflits durant la guerre froide autour des
pays du Moyen Orient sert de mécanisme de recyclage des pétrodollars.

Les dépenses militaires sont improductives de par leur contenu, quelle que soit la relation de
production sous laquelle ils sont générés. Les Etats-Unis aussi bien que l’URSS doivent
assumer cette dépense improductive aux dépens de leur économie civile. La course à
l’armement entre les deux puissances influe plus le développement de l’économie civile de
l’URSS que celle des Etats-Unis, et freine de plus en plus la croissance économique des
premiers. Avant la seconde guerre mondiale et pendant la crise des années 30, l’économie
soviétique prospère comme aucune autre nation. Pendant le conflit, les forces alliées
capitalistes non seulement ne parviennent pas à détruire le premier socialisme réel, mais en
plus l’URSS s’agrandit à l’ouest et à l’est. Comme si ce n’était pas suffisant, un autre maillon
faible se brise avec la Révolution chinoise et ensuite la Corée du Nord, le Vietnam et Cuba
s’incorporent au socialisme dont l’expansion signifie non seulement un fractionnement
progressif du marché mondial pour le capital mais aussi les avancées d’une rationalité
économique sur une autre. La guerre froide reflète la lutte des contraires de deux rationalités
économiques exclusives.

Avec un PIB de l’URSS estimé à entre un tiers et une moitié de celui des Etats-Unis, des
dépenses militaires égales entre les deux puissances (Aguirre et Taibo, 1989 : 290-292) cela
équivaut à un coût improductif relatif pour l’URSS de deux à trois supérieur à celui des
Etats-Unis, qui en 1984 dépensent 6,4% de leur PIB en défense, alors que pour l’URSS cela
représente entre 14% et 17% (Nadal Ega, 1991 : 235). Cette proportion n’est pas équilibrée
par rapport à l’économie civile de l’URSS. Cette situation entraine une austérité portant sur
les biens de consommation pour les soviétiques, ainsi que des investissements limités pour
l’équipement de son économie civile. C’est de là que vient le retard technologique dans ce
domaine en URSS. Kozlik (1968 : 289) affirme 20 ans avant la chute du Mur de Berlin que la
politique des Etats-Unis consistant à maintenir un niveau élevé de dépenses militaires
détruira tôt ou tard l’économie civile de l’URSS qui - selon l’auteur – avec une accélération
de la course aux armements cherchera désespérément à obtenir un accord portant sur le
désarmement. L’accélération de la course aux armements dans les années 80, sous
l’administration Reagan, accompagnée du même phénomène dans l’URSS de Brejnev,
implique la lente décomposition de l’économie civile soviétique, comme cela se reflète dans
ses taux négatifs de croissance. Augmenter les dépenses militaires dans une économie aux
chiffres de croissance si mauvais résulte être suicidaire. L’accord de désarmement et la
perestroika, à l’époque de Gorbatchev, ont pour objectif de réactiver l’économie civile
soviétique. Toutefois, la politique arrive trop tard. Après des décennies d’assujettissement
des économies nationales à un plan central et la stagnation simultanée de l’économie civile, la
politique de décentralisation qui avait pour objectif de restimuler l’économie civile entraine
nationalismes et séparatismes. Le résultat en est la décomposition du bloc soviétique, et par
conséquent la fin du socialisme réel en tant qu’option face au capitalisme. L’Occident, avec
Fukuyama (1995) peut revendiquer la « fin d el’Histoire ». Il n’y a plus d’autre chemin que
le néolibéralisme. On annonce victorieusement la fin des utopies.

Avec la course aux armements, l’économie civile des Etats-Unis perd également de son
dynamisme face à ses concurrents occidentaux. La productivité du travail diminue dans ce
pays plus que dans toute autre puissance industrielle. Cependant, à partir de la fin des
années 70, la tendance à la baisse de la productivité est présente dans tous les pays centraux.
Chaque fois plus rapide, l’innovation technologique permanente, qui découle de la
concurrence, augmente les coûts de la substitution technologique. En raison de cette
innovation, les coûts du travail diminuent, mais à un rythme inférieur aux coûts de cette
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innovation. Le résultat en est une diminution des bénéfices dans la productivité du travail.
C’est comme si l’innovation technologique cessait de stimuler la productivité. Ce que l’on
gagne avec l’innovation est perdu par la vitesse croissante de la substitution qu’elle suppose.
Baisse alors peu à peu la rentabilité de l’investissement réalisé. Dans tous les pays du G-7,
une diminution de la productivité est constatée à partir de la seconde moitié des années 60,
mais aux Etats-Unis cela se produit plusieurs décennies avant. La combinaison de dépenses
militaires élevées et improductives avec une substitution technologique accélérée fait que les
bénéfices, par rapport à la productivité du travail, ne dépassent pas 2,2% pour la période
1950 – 1973 alors que les chiffres sont de 5,2% pour le G-7 dans son ensemble (Maddison,
1991 : 150).

Le résultat est une diminution de la présence des Etats-Unis dans le commerce mondial,
surtout face à l’Europe et au Japon. Le déficit de la balance des paiements des Etats-Unis ne
cesse d’augmenter entre 1950 et 1970, et les réserves d’or et de devises se concentrent dans
les autres pays capitalistes. Face à une dévaluation attendue du dollar, l’Europe et le Japon
s’efforcent de transformer les billets verts en or. En 1971, les Etats-Unis proclament la non-
convertibilité du dollar en or, rompant ainsi les accords de Bretton Woods. Dès lors, les taux
de change commencent à flotter et le néolibéralisme est en route (Paz, 1983 : 134-135). Mais
la substitution chaque fois plus rapide de la technologie touche également les autres pays
centraux, qui souffrent d’une diminution de la productivité du travail, avec 10 ans de retard.
La situation aux Etats-Unis empire encore plus, avec des bénéfices de 0% par rapport à la
productivité (Maddison, 1991 : 150). Face à ce phénomène, le capital tend à se déplacer vers
le champ financier et surtout vers le secteur spéculatif. Pour préserver les bénéfices du
grand capital, des pressions suffisamment fortes sont exercées pour que soient mises en place
des politiques néolibérales, propices au transfert des investissements vers l’environnement
redistributif, financier et spéculatif, que nous analyserons par la suite.

2.3. La subordination de la périphérie au centre, à partir du marché

Voyons comment la nouvelle politique économique, avec la substitution croissante de


produits et de la technologie dans les années 1950 à 1973, touche les pays périphériques. Afin
d’éviter toute sorte d’attaques spéculatives entre les années 50 et le début des années 70, la
banque internationale privée ne jouait pas un rôle très important dans les flux
internationaux de capital (Paz, 1983 : 157). Pour cette raison, les pays périphériques en
général, et l’Amérique Latine en particulier, n’avaient pas accès aux marchés financiers
privés internationaux. Au cours de cette période, les uniques flux de capitaux étrangers qui
existaient étaient de caractères multilatéraux, provenant de la Banque Mondiale ou de la
Banque Interaméricaine de Développement (BID) (Edwards, 1999 : 8). À l’ exception de
quelques rares flux de capitaux privés, l’investissement direct étranger qui se développe au
cours de ces décennies n’a pas d’autre origine que le capital interne, originaire de la région
latino-américaine elle-même.
Au cours de la même période, les taux de change étaient fixes mais ajustables. Les autorités
de chaque pays s’engageaient à maintenir fixe une certaine parité, achetant et vendant des
dollars selon leur besoin en fonction des excédents ou des déficits de la balance commerciale.
Si un pays avait un excédent de ce genre, ses réserves en devises (dollars) augmentaient, et
avec un déficit, elles diminuaient. Si la balance présentait un déséquilibre chronique, le taux
de change pouvait être ajusté. Une réévaluation s’appliquait avec un excédent chronique de
la balance commerciale et une dévaluation avec un déficit chronique, afin d’augmenter la
capacité compétitive à l’étranger. En principe, ce système permettait d’avoir des balances
commerciales plus ou moins stables et évitait la spéculation. Les dollars, également en
principe, étaient convertibles en or et avec cela il n’était pas nécessaire de disposer de
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réserves en or monétaire. Le FMI était l’instance chargée de veiller à la stabilité de ce


système monétaire international.

Dans la période de l’après-guerre, le modèle de substitution des importations de produits


industriels dans les pays périphériques se renforce. La vitesse croissante de substitution de la
technologie des pays centraux s’introduit également chez les pays périphériques, mais avec
des conséquences néfastes pour ceux-ci. Le capital fixe est généralement importé des pays
centraux ayant un caractère de monopole sur la production de la technologie de pointe. La
substitution technologique accélérée se reflète dans une croissance incessante du capital fixe,
et par conséquent des importations. Depuis le milieu des années 50, ce capital fixe croît trois
ou quatre fois plus vite qu’au cours des deux décennies antérieures. Cependant, le résultat
est que le capital variable (emploi et masse salariale) ne grandit presque pas. Cette situation
contraste avec les décennies antérieures, au cours desquelles ces investissements allaient de
pair avec l’augmentation du capital variable (Peralta, 1987 : 34). La substitution des
importations se caractérise par une hausse chaque fois plus rapide des importations
technologiques, sans créer de nombreux emplois et avec une impossibilité de paiement
galopante à cause d’une évolution plus lente des exportations de matières premières et de
produits agricoles.

Un premier résultat est la stagnation de la capacité d’absorption de la population active sous


relation salariale. Le pourcentage de salariés en Amérique Latine passe à peine de 54% à
59% entre 1950 et 1970. La force de travail employée dans l’industrie, comme pourcentage
de la population active non agricole diminue de 31% à 27% entre 1950 et 1970 (PREALC,
1982 : 34 et 35). Le processus de modernisation de l’économie s’accompagne alors d’un
phénomène de blocage, la marginalité. En effet, le capital pénètre suffisamment le continent
pour que la relation salariale domine et prédomine, mais son expansion finit par stagner. La
lente destruction des opportunités de travail dans le domaine de l’agro n’est pas compensée
par l’expansion de la relation salariale dans les villes et encore moins dans l’industrie. À
partir de l’après-guerre, les pays latino-américains passent d’une forte immigration et
urbanisation internes à une émigration vers les pays nordiques et surtout à destination des
Etats-Unis, phénomène qui va s’accentuer. Alors qu’autrefois le continent servait de refuge
pour la surpopulation européenne, il est maintenant une terre d’expulsion.

Dans les pays qui disposaient déjà depuis leur processus d’industrialisation plus ancien
d’une capacité substitutive, comme par exemple l’Argentine, le Chili et l’Uruguay, la
proportion de salariés stagne complètement de 1950 à 1970. Le niveau de salariés se
maintient à 72%, voire recule (PREALC, 1982 : 35). La conséquence de ce recul est un
réformisme à reculons à partir de l’après-guerre. Même si le Cône Sud échappe à ce
processus dans les années 30 et 40, il subira par la suite cette tendance. La situation de
réformisme à reculons mène à l’option socialiste par la voie des urnes au Chili en 1970. La
foi institutionnelle née au cours de décennies de réformisme mène à cette issue, unique dans
l’Histoire, dans un environnement de guerre froide hostile au socialisme. Avec l’intervention
des Etats-Unis, cette expérience unique et axée vers une démocratie orientée vers le
socialisme tourne court suite à l’usage de la violence par les forces militaires. Face au
réformisme en cours, la réponse conservatrice est une politique répressive dans le Cône Sud,
avec les mêmes pratiques que celles du fascisme.

Peu de pays latino-américains avancent vers un réformisme plus important dans la période
d’après-guerre. Il y a toutefois quelques exceptions. Au Costa Rica, le pourcentage de
salariés passe de 66% à 73% pour la période 1950 – 1970. Avec une population aux trois
quarts salariée, la capacité de remplacement de la force de travail diminue à tel point que le
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temps moyen de présence d’un salarié dans une entreprise se prolonge inévitablement. C’est
ainsi que se créent les conditions nécessaires pour un réformisme caractérisé par son ample
couverture de la sécurité sociale. (81% de la population en 1980), une réduction effective de
la journée professionnelle et des hausses de salaires. La stabilité professionnelle et la sécurité
économique et sociale augmentent. De ce point de vue, le pays atteint les niveaux du Cône
Sud avec un demi-siècle de différence. Panama et quelques petites îles des Caraïbes – Trinité
et Tobago, les Bermudes, les Barbades et dans une moindre mesure la Jamaïque – présentent
le même panorama.
La plupart des autres pays latino-américains se caractérise par 50% de salariés, par une
forte capacité substitutive de la force de travail, qui se maintient pratiquement inchangée
dans une grande partie de ces pays durant cette période, avec des exceptions comme la
Colombie, le Mexique et le Honduras. Dans les pays où la relation salariale concerne la
moitié de la population, mais sans perspectives croissantes d’inclusion, les conditions pour
améliorer les conditions de travail ou pour une couverture significative de la sécurité sociale
n’existent pas. Par exemple en 1980, la couverture sociale est inférieure à 10% en Equateur,
au Salvador, au Honduras et au Nicaragua. Et elle concerne entre 105 et 20% de la
population en Colombie, au Guatemala, au Paraguay et au Pérou (Mesa-Lago, 1990 : 23). Si
la mortalité diminue dans le continent depuis l’après-guerre, elle ne s’explique pas dans la
plupart des pays d’Amérique Latine par un essor de la sécurité sociale, mais par la politique
de santé publique et des campagnes de vaccination qui se développent depuis la seconde
guerre mondiale. Dans ces pays sans sécurité sociale et économique, la fécondité ne diminue
pas en raison d’une dynamique intérieure mais en raison de politiques antinatalistes
imposées depuis l’étranger.

Au milieu de l’instabilité professionnelle et d’une insécurité économique et sociale


persistantes sans perspectives d’amélioration, la lutte politique s’accentue et elle est souvent
armée, anticapitaliste, comme nous le constatons au Nicaragua ou au Salvador de manière
plus claire. En ce qui concerne Cuba, on sait que dans les années 50, la pénétration est
avancée, mais il y a des manques de données statistiques pour les années antérieures à la
révolution afin de pouvoir analyser la stagnation relative de la relation salariale. La
référence de Cuba inspire l’Amérique Latine de l’époque, justement pour le manque
d’expectatives dans les conditions économiques et professionnelles. La lutte sociale a beau
revendiquer des améliorations, la capacité de remplacement de la force de travail ne produit
aucun résultat, mais par contre la répression devient chronique. Les gouvernements
militaires et les coups d’état, bénéficiant souvent du soutien des Etats-Unis, sont plus la règle
que l’exception. Dans cet environnement, la lutte révolutionnaire pour l’option socialiste
trouve terrain fertile.

Comment est la situation sur les autres continents ? En Afrique, la capacité de remplacement
dans des pays méditerranéens comme l’Algérie, l’Egypte et la Lybie, ressemble à la moyenne
latino-américaine, avec 50% de salariés dans les années 50. Cependant, dans ces trois pays la
relation salariale s’étend plus ou moins rapidement dans la période 1950 – 1970 : en Algérie
elle passe de 40% à 60%, en Egypte de 50% à 60%, et en Lybie de 50% à 70%. Il s’agit là de
situations qui partent d’une forte capacité de substitution de la force de travail mais avec des
opportunités croissantes d’emploi dans le temps. Face aux opportunités d’emploi, les
occasions d’inclusion sont plus à la portée des gens et la lutte sociale est par conséquent
moins radicale que lorsque la relation salariale stagne. En Afrique du Sud, le pourcentage de
salariés est de 63% en 1960 et de 90% en 1985. C’est-à-dire que la capacité de remplacement
diminue rapidement. L’inclusion atteint la plupart de la population en quelques décennies,
une inclusion accélérée qui sans aucun doute contribue au démantèlement de l’apartheid
dans ce pays.
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Dans les pays sub-sahariens, la relation salariale en est à ses débuts, y compris au début du
21ème siècle, et n’est comparable en Amérique Latine qu’avec Haïti. La timide pénétration
de capital dans ces pays commence à peine avec l’après-guerre. La plupart de ces nations ne
comptent qu’à peine 10% de salariés, y compris l’appareil étatique, civil et militaire. Le
capital, en d’autres termes, n’a pratiquement pas pénétré cette partie du monde. Il n’y a pas
de classe ouvrière plus ou moins organisée. Les luttes sociales et politiques pour des voies
alternatives ont donc elles aussi un autre caractère. Par contre, la situation en Angola et au
Mozambique est différente. En 1960, 50% de la population active de l’Angola est sous
relation salariale, et le pourcentage est de 40% pour le Mozambique en 1970 (OIT, 1990,
tableau N°2). Il n’y a pas de statistiques disponibles pour mesurer la stagnation de la relation
salariale au fil du temps. Cependant, le fait qu’en Angola entre 1950 et 1970, 70% de la
population active occupe un travail dans le domaine de l’agriculture, et 80% au
Mozambique (OIT, 2000 : 204 et 310) révèle que la relation salariale continue de stagner.
Une forte lutte sociale pour une option plus inclusive répond à cette situation objective.

En Asie, l’éventail de la capacité de remplacement est plus ouvert et dynamique. On


remarque des populations salariées qui dépassent 80% et même 90% de la population active
dans de petits pays pétroliers comme le Koweït, le Qatar ou les Emirats Arabes Unis, mais
aussi chez ceux qui ont été baptisés les « Tigres » comme Hong Kong et Singapour. La
première compte en 1960 79% de salariés et 85% en 1980. La deuxième 70% en 1960 et 80%
en 1980. L’Iraq des années 70 a 60% de salariés, l’Iran 45%, l’Indonésie et les Philippines
30%, la Thaïlande, l’Inde et la Pakistan 20%, et enfin 10% pour le Népal et le Bengladesh
(OIT, 1990, tableau N°2). Les nations de petites tailles et moins peuplées ont tendance à
incorporer plus rapidement la population active dans la relation salariale. Une masse
identique de capital investi (par exemple autour du pétrole) dans un petit pays (Koweït)
implique une expansion plus rapide de la relation salariale que dans un pays plus grand et
plus peuplé (Iran). Dans des nations très peuplées comme l’Inde, l’expansion de la relation
salariale résulte plus lente et difficile car elle exige la pénétration de capital dans un
territoire plus vaste.

Cela serait s’éloigner de nos objectifs que d’analyser, pays par pays, les raisons et les
conséquences de la pénétration ou de la stagnation de la relation salariale dans les différents
états de la périphérie, dans la période de l’après-guerre. Voyons tout d’abord les causes et les
résultats de la stagnation de la relation salariale en Amérique Latine comme un ensemble.
Ensuite, nous tenterons de contraster cette stagnation avec le dynamisme économique en
Asie. Nous avons déjà signalé qu’entre 1950 et 1970, il n’y a pas de flux de capitaux privé
nord-sud. La caractéristique de cette période est une importation accélérée de capital fixe
dans le processus d’industrialisation basé sur la substitution des importations. Nous avons
vu que cette substitution technologique accélérée freine l’expansion de l’emploi industriel.
La capacité substitutive de la force de travail se maintient à certains niveaux, ou augmente,
comme dans le Cône Sud. Au milieu d’une capacité substitutive soutenue ou en
augmentation, les salaires réels ont tendance à diminuer. Cela s’applique surtout à la force
de travail non qualifiée et la plus facilement substituable, qui gagne souvent le salaire
minimum.

L’indice des salaires minimums réels sur le continent passe entre 1965 et 1980 (avec une base
100 en 1970) de 129 à 55 en Argentine, de 188 à 102 au Brésil, de 130 à 96 en Colombie
(1979), de 108 à 81 au Chili, de 108 à 85 au Guatemala, de 114 à 76 au Nicaragua, de 108 à 88
à Panama, de 107 à 66 au Paraguay, de 80 à 75 au Pérou, et de 99 à 83 en République
Dominicaine (1978). Peu nombreux sont les pays où le salaire minimum augmente durant
cette période. Cette amélioration salariale existe généralement là où la relation salariale
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devient plus forte comme le Costa Rica, le Mexique ou le Venezuela. Au Costa Rica, le salaire
minimum réel passe de 100 a 113 entre 1965 et 1980 ; au Mexique de 80 à 110, et au
Venezuela de 89 à 106 (PREALC, 1982 : 150 et 151).
L’accélération de la substitution technologique à des vélocités croissantes en Amérique
Latine s’effectue sur la base de l’importation obligée de biens de capital auprès de
fournisseurs en position de monopole. Cela permet un contrôle effectif sur la reproduction
de ces capitaux par une partie du capital transnational. Avec des contrats de vente obligée
d’équipement et de savoir-faire, les multinationales en position de monopole de vente
parviennent à s’approprier l’industrie de pointe en Amérique Latine sans avoir besoin de
transférer des capitaux. Avec ces « livraisons sous conditions » d’équipements, commence la
première exportation de profits selon des mécanismes de surfacturation du capital fixe. Le
pas suivant consiste à livrer des équipements tout aussi surfacturés sous le concept de co-
investissement pour « alléger » la charge. Cependant, il s’agit d’investissements étrangers
déjà payés. Le flux de profits commence à apparaitre avec nom et prénom, mais sans le
transfert d’un seul centime (Peralta, 1978 : 333). De cette manière, il est possible d’expliquer
l’apparition d’investissements étrangers directs sur le continent durant la période de l’après-
guerre. Il s’agit clairement d’investissements étrangers financés avec l’argent et les épargnes
nationales.

Le développement du capitalisme au Japon et chez les « Tigres » asiatiques se doit


précisément à l’exclusion de l’investissement étranger. S’il n’en avait pas été ainsi, le Japon
serait aujourd’hui un pays périphérique. C’est là que réside la grande différence entre
l’Amérique Latine et quelques pays asiatiques, comme nous le constaterons. Grâce à la
surfacturation de capital fixe exporté par les multinationales, celles-ci parviennent à
transférer des profits colossaux, obtenus sur le continent vers les pays centraux, surtout vers
les Etats-Unis. Entre 1950 et 1983, se met en place un flux de profits transférés au centre,
équivalent à 65 milliards de dollars. L’investissement direct étranger réel (entrée réelle de
devises) au cours de cette période n’est que de 8,2 milliards de dollars, soit un huitième des
profits, investissement qui se concentre, en outre, dans la dernière décennie (Hinkelammert,
1988 : 24).
Dans les années 50 et 60, l’investissement étranger direct ainsi constitué provoque de
constantes sorties de devises du continent et qui ne sont cependant pas effectuées par le
transfert de devises obtenues à partir du solde positif de la balance commerciale de
l’Amérique Latine, mais à partir de prêts étrangers. Dans les années 60, les intérêts
augmentent, et en 1972, ils dépassent le montant des profits dus. De 1950 à 1982, la dette
latino-américaine augmente parce que les intérêts ne sont pas payés mais financés par de
nouveaux crédits, les obligations revêtant une tendance exponentielle dont le développement
futur dépend de la magnitude des taux d’intérêt. Si les taux explosent, la dette le fait aussi.

En raison de la substitution accélérée de la technologie, les importations vont à un rythme


plus rapide que les exportations de produits primaires. Consommation et demande de
capital fixe évoluent, en d’autres mots, plus vite que la consommation et la demande de
produits d’agriculture et d’élevage, ou de matières premières. Ces produits de l’agro se
caractérisent par une demande non élastique, et la demande de matières premières est liée à
la substitution de produits finaux selon que ces derniers ont tendance à être plus léger et
jetables. Pour maintenir l’importation de capital fixe, il n’y a pas d’autre solution que
d’encourager les exportations traditionnelles. Le grand effort simultané pour augmenter le
volume des exportations donne comme résultat une baisse de leur prix, ce qui empire les
conditions de l’échange.
Face à l’inévitable substitution technologique, les importations augmentent sans cesse, alors
que les exportations prennent du retard. Dès lors, la balance commerciale latino-américaine
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devient négative à partir de 1974. Entre cette année-là et 1982, son solde négatif s’élève à
environ 60 milliards de dollars. C’est au cours de cette période qu’a lieu au niveau
international la libéralisation du système financier. La banque privée internationale gagne
des parts de marché pour accorder des prêts dans le monde entier. Il faut ajouter à cela le
recyclage des pétrodollars qui entrent en circulation par le biais de la banque occidentale, en
raison de la forte hausse des prix du pétrole au cours des années 70. Ces crédits privés
avaient été très contrôlés afin d’éviter l’instabilité monétaire. La banque privée commence
alors à accorder des crédits pour permettre de régler les dettes provoquées par le déficit de
la balance commerciale, et la dette extérieure explose.

En outre, l’augmentation des taux d’intérêt sur le plan international, à partir de 1982,
provoque une crise dans la dette. La hausse des taux sous la présidence de Reagan est «
justifiée » par les besoins des Etats-Unis à cause de la course aux armements qui plonge
l’URSS dans des difficultés économiques comme nous l’avons déjà vu. Les dépenses
militaires de la puissance capitaliste dans les années 80 représentent plus du double de la
dette extérieure du Sud (Nadal, 1991 : 233). Afin de financer ce gouffre militaire, les Etats-
Unis attirent des fonds de l’extérieur, et pour cela augmentent les taux d’intérêt à long
terme. La banque internationale privée tout entière s’efforce d’accorder des emprunts aux
Etats-Unis. Face à la chute du taux de profit dans le secteur productif, les intérêts deviennent
une option intéressante. Au lieu de prêter plus à l’Amérique Latine, les prêteurs
commencent à encaisser la dette. Le continent ne peut plus y faire face et c’est alors
qu’éclate la crise de la dette.
Avec la crise de la dette, dévaluations et inflations sont à l’ordre du jour, ce qui provoque
l’instabilité monétaire qui menace le continent jusqu’à aujourd’hui. Revient alors l’époque
du capital improductif et spéculatif. Avec l’ancienne structure économique basée sur la
substitution des importations, il n’y a aucune possibilité de payer la dette extérieure. La
structure de l’économie en elle-même doit être modifiée. Ã partir de ce constat débutent,
sous le contrôle croisé du FMI et de la Banque Mondiale, les « politiques de réajustement
structurel ».L’économie de marché se radicalise. L’époque de la répartition du marché
mondial est réinaugurée en Amérique Latine. Le démantèlement des barrières commerciales
et la privatisation du secteur public sont à l’ordre du jour. C’est sur cette base et dans ce but
que s’instaure le néolibéralisme dans tout le continent, bien que ses racines historiques soient
plus anciennes.

Chapitre VII

Les limites de l’individualité sans société

1. La planification des Etats privés et la répartition du marché mondial

Après la seconde guerre mondiale, deux périodes qui mènent à l’interdépendance


économique internationale du processus de mondialisation vont se détacher. La première se
caractérise par une croissance forte provoquée par la grande impulsion que reçoivent les
secteurs productifs à partir d’une intervention claire de l’Etat. Cette période dure jusqu’à la
fin des années 60 et début des années 70. Dans la seconde période, les investissements tendent
à abandonner peu à peu la sphère productive tout en s’orientant vers la redistribution du
marché et des richesses existantes. La raison du changement de politique est la baisse du
taux de profit de l’appareil productif. Chez les pays du G-7 entre 1966 et 1982, le taux de
profit passe de 25% à 12,5%, soit la moitié (Leyva, 1987 : 278). Par conséquent
l’investissement diminue dans le secteur productif. Si entre 1960 et 1965, la formation du

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capital fixe dans les pays de l’OCDE croit encore à un rythme annuel de 7%, ce chiffre
descend ensuite jusqu’à peine 1,8% entre 1989 et 1995 (Shutt, 1998 : 38).

L’abandon relatif de l’investissement dans la sphère productive touche la croissance


économique. Alors qu’entre 1960 et 1965, la croissance du PIB dans les pays de l’OCDE
évoluait encore au rythme annuel de 5,3%, après 1965 le chiffre descend peu à peu jusqu’à
atteindre seulement 1,8% entre 1989 et 1995 (Shutt, 1998 : 38). À partir de la perte de
dynamisme de l’économie, le commerce mondial s’affaiblit. Alors que le volume du
commerce mondial augmentait entre 1950 et 1973 de 7,7%, entre 19991 et 1994 il ne le faisait
plus que de 3,8% à peine. En termes de valeur, la chute est encore plus dramatique. Entre
1950 et 9173, le commerce mondial croit encore à un rythme annuel de 10% mais entre 1991
et 1994 le taux est négatif (-0,7%) (Paz, 1983 : 134; OIT, 1995 : 35). La diminution en valeur
du commerce mondial porte atteinte surtout aux pays du Sud dont la participation dans la
valeur du commerce mondial diminue, entre 1972 et 1992, de 55% à 44% malgré
l’augmentation de son volume. Cela provoque une détérioration en termes d’échanges pour
le Sud. Par contre, la participation relative du Nord dans la valeur du commerce mondiale
augmente de 45 à 56% (CEPII, 1995 : tableau N°4).

Alors que la première période de l’après-guerre signifie une reproduction élargie du capital
productif, et de là une croissance économique, la seconde entraîne une moindre création de
richesse mais accentue ses mécanismes de redistribution et de concentration. Le
néolibéralisme consiste précisément en une libéralisation des mécanismes qui permettent la
concentration de la richesse mondiale. Il ne s’agit plus de la main invisible, dont parle Adam
Smith, qui fait migrer l’investissement vers le redistributif (commercial et financier) et
l’improductif (spéculatif) mais de la planification privée du capital financier et transnational
qui cherche à améliorer ses positions « compétitives » pour accaparer une plus grande part
du marché mondial. La stagnation économique est une conséquence logique, ce qui conduit à
une politique encore plus agressive de la répartition du marché mondial. L’efficacité
économique n’est rien d’autre que de savoir se placer dans la meilleure position possible
pour participer au partage du marché mondial.

En raison de la dette extérieure, les pays périphériques, comme les latino-américains, se


voient contraints de démanteler les barrières douanières et d’ouvrir leurs frontières, alors
que le protectionnisme (surtout agricole) est florissant comme jamais en Europe et aux
Etats-Unis. Depuis l’autarcie atteinte jusqu’à la seconde guerre mondiale, le protectionnisme
agricole est un fait et devient plus fort à partir des années 60. L’ouverture de marchés
périphériques implique la substitution de marchés nationaux et locaux par d’autres
transnationaux. Au début des années 90, plus de 60% des exportations des pays centraux
sont générés par les 500 entreprises multinationales les plus grandes du monde, et le chiffre
est de 70% en 1997 (Kaplan, 1997). Parallèlement, les multinationales des Etats-Unis
regroupent plus de 50% des exportations, et celles du Royaume Uni 80%. (Andreff, 1996 :
79). A la moitié des années 90, les mille multinationales les plus importantes génèrent 80%
du produit industriel dans le monde (Kaplan, 1997).
Les multinationales non seulement contrôlent de plus en plus le marché mondial, mais en
plus elles planifient leur production au même niveau. Plus de 40% de tout le commerce
mondial et plus de 50% du commerce entre les Etats-Unis et le Japon ne se réalise plus à
travers le marché « libre » mais sous la forme de transactions intra-entreprise (Dieterich,
1995 : 49 ; Ostry, 1992 : 9). La pénétration des multinationales dans le marché du Sud se
reflète dans l’augmentation des opérations Nord-Sud aux dépens des opérations Sud-Nord.
Entre 1972 et 1992, le commerce Nord-Sud passe de 20% à 26% dans l’environnement
mondial, tandis que celui de Sud-Nord, comme fraction du commerce international passe de
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29% à 25%. Le commerce Nord-Nord (sans inclure le commerce interne dans l’Union
Européenne) passe de 25% à 30% du montant global pour la période observée. Le commerce
Sud-Sud ne représente pas non plus d’option pour le Sud, en reculant de 26% à 19% pour la
même période (CEPII, 1995 : tableau N°4). Au milieu de cette stagnation progressive du laps
de temps étudié, le commerce international réussit à améliorer sa position au détriment du
Sud.

Avec les exportations, les multinationales accaparent le marché mondial. Près de 50% des
ventes transnationales sont des exportations (Andreff, 1996 : 79). Si la croissance
économique diminue constamment, la politique consistant à accaparer des marchés déjà
existants deviendra plus âpre. La richesse et les bénéfices produits dans le monde reflètent la
stagnation économique. De cette manière, le bénéfice transnational dépend chaque fois plus
exclusivement de son avancée sur le marché. En 1982, les 200 plus grandes entreprises
transnationales du monde parviennent à réaliser des ventes qui équivalent à 24% du Produit
Mondial Brut (PMB), un chiffre qui arrive à 35% en 1999. Les ventes de toutes les
multinationales prises en commun dépassent 50% du PMB (Andreff, 1996 : 77 ; Beinstein,
1999 : 60). Par essence, ces chiffres révèlent une répartition progressive du marché mondial
entre les principales multinationales, face à la stagnation galopante de la croissance
économique (Wolman-Colamosca, 1997 : 85).
Le processus de globalisation apparait alors comme une bataille économique pour la
répartition du marché mondial existant. La bataille n’est pas d’un seul empire, comme le
suggèrent de manière erronée Hardt et Negri (2000), mais une guerre économique entre les
multinationales de la triade Amérique du Nord, Union Européenne et Japon. Dans cette
dispute pour la répartition du marché mondial, les Investissements Directs Etrangers (IDE)
créent des tissus économiques qui vont au-delà des frontières. 90% des IDE proviennent des
pays du G-7 plus la Suisse et les Pays-Bas. 1% des multinationales de ces pays détiennent
plus de 50% du stock des IDE à l’étranger (Andreff, 1996 : 77; OIT, 1993 : 293). À partir des
années 80, ces derniers augmentent de manière exponentielle, et plus de 75% se concentre au
sein de la Triade. Entre 1975 et 1997, le stock des IDE maintenu à l’étranger passe de 229
milliard à 2945 milliards de dollars (ONU, 1993: 111, 1999 : 12). Cet investissement direct
étranger se développe pour améliorer la position concurrentielle des multinationales dans le
marché par le biais de fusions et d’acquisitions.
Le processus croissant de fusions et d’acquisitions se reflète dans le transfert des
investissements étrangers de l’environnement productif au financier, où l’achat et la vente
d’actions explosent. Entre 1975 et 1997, les IDE dans le secteur tertiaire augmentent dans la
Triade de 24% à 60%. 80% des investissements directs étrangers dans le secteur tertiaire
correspondent aux finances. Les opérations directes dans les secteurs productifs de la Triade,
c’est-à-dire les investissements, productifs à proprement parler, passent de 76% à 40% entre
1975 et 1997. Une concentration de l’investissement direct dans les services, bien que moins
accentuée, se produit également dans la périphérie. Si en 1975, 77% des investissements
étrangers se concentrent dans les secteurs productifs, en 1997 il n’en reste qu’à peine 64%.
En d’autres termes, durant la période étudiée, l’investissement direct dans le secteur
tertiaire augmente de 23 à 36%, c’est à dire une hausse relative de 60%, reflet du processus
d’acquisitions d’entreprises privées et de la privatisation des entreprises publiques dans le
Sud (ONU, ibid).

La distribution inégale de l’investissement étranger entre les trois pôles de la Triade modifie
les relations commerciales entre les blocs économiques. En 1979, avant la forte vague
d’investissement étranger, les Etats-Unis gèrent 43% des exportations intra-Triade ; l’Union
Européenne (sans prendre en compte le commerce interne) en gère 33% et le Japon 25%. E
1993, le Japon atteint 34%, les Etats-Unis 36% et l’UE 30%. C’est ainsi que le Japon
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apparait comme le grand vainqueur de la Triade, aux dépens des Etats-Unis et de l’union
européenne (UE). Tout cela est la conséquence de l’évolution différente de l’investissement
étranger des puissances à l’intérieur de la Triade. Le stock d’investissement étranger du
Japon aux Etats-Unis est 10 fois plus important que celui des Etats-Unis au Japon. Une
situation similaire se produit entre le Japon et l’UE. Le résultat final est que de tout le
commerce effectué au sein de la Triade, le Japon en possède 20% aux Etats-Unis et 14 dans
l’UE. Alors que les Etats-Unis n’ont que 11% au Japon et l’UE 6%. À eux deux les Etats-
Unis et l’UE ne placent que Japon que la moitié de ce que ce dernier a dans l’ensemble des
deux blocs.
Les investissements étrangers montrent une pénétration commerciale croissante du Japon
dans les marchés de ses principaux concurrents, ce qui reflète une balance commerciale
favorable pour le Japon face à ses rivaux. Face à ce déséquilibre croissant, le commerce
équilibré entre les Etats-Unis et l’UE attire l’attention. Les premiers exportent 24% vers
l’UE, et cette dernière 25 % vers les Etats-Unis (CEPII, 1995, tableau N°4). Ce fort
déséquilibre intra-Triade des deux puissances avec le Japon contraste avec l’équilibre
transatlantique, symptôme qu’une force économique relative du Japon et l’équilibre
commercial simultané entre les Etats-Unis et l’UE génèrent une alliance transatlantique
pour planifier l’occidentalisation du processus de mondialisation.

Jusqu’en 1970, le Japon est hostile aux investissements étrangers, alors qu’il ne se heurte pas
aux mêmes obstacles pour investir en Occident. Le Japon doit cette situation à son avancée à
l’intérieur de la Triade. Lorsque le Japon est contraint par l’OCDE d’ouvrir ses frontières
aux investissements étrangers, les obstacles formels sont remplacés par d’autres réels sous la
forme des stock cross holdings entre groupes de corporations japonaises. Cette politique
oblige à acquérir des actions d’autres entreprises afin de pouvoir acheter celles d’une
multinationale déterminée (Lawrence, 1992 : 50-63). La réponse face à l’avancée japonaise
dans la répartition du marché intra-Triade dans les années 80 est double. Après la chute du
Mur de Berlin, les blocs économiques déplacent temporairement les IDE vers les périphéries.
Le partage du marché mondial s’oriente vers le Sud sans aucune restriction (Morrison-Roth,
1993 : 37 et Beulens, 1995 : 518).

L’intégration de l’Amérique Latine au processus de régionalisation s’accélère dans les


années 90 avec les traités de libre-échange. La région prise comme un ensemble, en ouvrant
ses marchés, augmente ses importations plus rapidement que ses exportations. Le résultat :
une hausse conséquente du solde négatif de la balance commerciale. Les Etats-Unis gagnent
une position hégémonique dans le commerce avec le continent, rassemblant les deux tiers des
exportations vers la région. Les exportations européennes et japonaises vers l’Amérique
Latine diminuent. Cette percée américaine sur le continent s’accompagne d’une avalanche
d’investissements. Alors que dans la seconde moitié des années 80, l’UE possède encore 54%
des investissements étrangers dans la région, les Etats-Unis en possèdent les trois quarts
contre 22% provenant de l’UE (IRIELA, 1996 : 109-114).
Les IDE américaines se concentrent surtout au Mexique à partir de la signature du Traité de
Libre-Echange (TLC) entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada, mais pénètrent
également en force au Brésil, et dans une moindre mesure en Argentine, en Colombie et au
Chili. La privatisation d’entreprise, à des prix dérisoires face à la dette extérieure croissante,
occupe une place de choix. Le transfert de titres de propriétés que la privatisation implique
est une modalité supplémentaire de l’investissement improductif, tout comme l’acquisition
d’entreprises privées latino-américaines qui capitulent face à la concurrence de
multinationales. En ce qui concerne le secteur privé, ces acquisition sont des investissements
mais, en regardant l’économie dans son ensemble, il s’agit d’un transfert de titres de
propriété d’entreprises nationales aux multinationales ; en d’autres termes, du transfert
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d’une partie du marché avec sa clientèle déjà existante, de propriétaires à d’autres. Il ne


s’agit pas de la création d’un produit ou de nouveaux services.

Les IDE en Amérique Latine représentent seulement 25% de tout l’investissement étranger
sur le continent. 75% d’entre elles sont des investissements de portefeuille à court terme.
Celles-ci affluent vers la région en raison de taux d’intérêt élevés. Face au déficit croissant de
la balance commerciale, les pays latino-américains parviennent à équilibrer leurs balances
de paiement avec l’arrivée d’investissements de portefeuille (CEPII, 1996 : 107; IRIELA,
1996 : 109 et 114). Le flux de ces capitaux flottants sont cependant extrêmement volatile et ils
peuvent s’envoler dès le moindre doute sur l’économie nationale, comme le montre la crise
mexicaine de 1995, à partir de la laquelle la politique étrangère, face à la composition des
investissements étrangers sur le continent, s’oriente vers moins d’investissements de
portefeuille et à plus d’investissements directs. Ce changement de politique implique une
privatisation progressive.
Toutefois, la politique d’occidentalisation du processus de mondialisation trouve son front de
bataille principal en Asie. La rapide croissance économique des pays du sud-est asiatique se
base sur une économie d’exportation, processus qui trouve son origine dans la Guerre froide.
Les « Tigres » asiatiques, encore appelés « Dragons de l’Est » (Hong-Kong, la Corée, Taïwan
et Singapour) s’intègrent au marché mondial grâce à la politique occidentale consistant à
encourager des modèles qui doivent se détacher face aux économies voisines socialistes. Pour
y parvenir, les grandes puissances, et en premier lieu les Etats-Unis, ouvrent délibérément
leurs marchés à ces petites nations. Avec une telle ouverture, dès les années 60, ces économies
modifient leurs politiques de substitution des importations pour à la place promouvoir les
exportations à partir de l’épargne intérieure et avec une politique occidentale souple en
matière de droits de propriété intellectuelle (Millán, 1992 : 31-34). Avec cette optique, les
trajectoires des économies périphériques du sud-est asiatique sont différentes des situations
vécues par l’Amérique Latine.

La motivation pour promouvoir l’intégration économique du sud-est asiatique, tout comme


celle de l’UE, n’est pas d’ordre économique mais politique. Avec l’intégration économique,
on cherche à empêcher en Europe un nouveau conflit militaire interne, tout en voulant
freiner toute percée du bloc soviétique en Occident, ou sur l’Est lui-même (Lennep, 1995 :
508). Dans les années 70, alors que l’Occident perd du dynamisme économique en
investissant dans la redistribution du marché mondial, le sud-est asiatique conserve un taux
élevé d’investissement productif. Dans les années 80, la décennie perdue de l’Amérique
Latine, le PIB per capita de Hong-Kong, de Singapour, de la Corée et de Taïwan est multiplié
par six, triple en Corée et à Taïwan, et double à Singapour et à Hong-Kong (Millán 1992 :
27). Le sud-est asiatique (y compris le Japon) augmente sa participation dans le commerce
mondial, passant de 14% à plus de 22% entre 1979 et 1992. La moitié des exportations de la
région se dirige vers les Etats-Unis et l’Europe, et 1,40% se commercialise à l’intérieur de la
région elle-même (CEPII, 1995 : tableau N° 4).
Cependant, dans les années 90, les importations des pays centraux diminuent. Rien que de
1994 à 1996, le rythme de croissance des importations du Japon descend de 13,6% à 3,5%.
Aux Etats-Unis les chiffres passent de 12% à 6,4%, et de 9,1% à 5,3% pour l’Union
Européenne (Kregel, 1998 : 46). Lorsque l’économie et le commerce mondial commencent à
stagner dans les années 90, la production du sud-est asiatique, basée sur les marchés
extérieurs, se trouve confrontée à de sérieux obstacles. A la fin de la guerre froide, toute
médiation politique afin que le sud-est asiatique participe à la répartition du marché
mondial disparait. Il n’y a tout simplement plus de place pour participer à une forme
d’accumulation si exclusive. La position occidentale se durcit vis-à-vis de la concurrence
croissante des « Tigres ». Au début des années 90, lors du Cycle d’Uruguay et depuis la
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création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les droits de propriété


intellectuelle sont protégés très strictement, et le statut préférentiel est supprimé, des
mesures qui mettent un frein à l’essor des exportations des « Dragons de l’Est ».

L’intégration économique accélérée du Pacifique Asiatique dans les années 90 se doit à la


lente contraction du commerce mondial, et également aux mesures protectionnistes de plus
en plus nombreuses des pays centraux. Au cours de la même décennie, un processus de
régionalisation encore plus visible se dessine dans le sud-est asiatique, processus qui
incorpore des pays avec un moindre degré de développement, une balance de paiements plus
défavorable et une plus grande ouverture aux investissements étrangers. Dès lors,
l’investissement étranger se développe dans toute la région, vers des pays comme la Malaisie,
les Philippines, la Thaïlande et l’Indonésie, ainsi que vers la Chine qui avec sa structure
verticale de pouvoir et une planification centralisée caractéristique du socialisme réel,
impulse sa propre économie de marché orientée vers l’exportation. L’investissement en
général, et étranger en particulier, grimpe sans précédent dans la région, à la recherche de
salaires très compétitifs. Le Japon n’est pas le principal investisseur dans chacune des
nations du bloc asiatique mais il s’agit globalement du principal investisseur dans la région.
Ainsi, les investissements Taiwanais prédominent en Malaisie, les Coréens en Indonésie, et
ceux de Hong-Kong en Chine. Mais le Japon est fortement représenté dans chacun de ces
pays (Margolin, 1994 : 93).
L’investissement étranger se dirige principalement vers le secteur industriel. L’expansion
productive continue de la région asiatique jusqu’en 1997 la rend partie prenante de la moitié
de la croissance mondiale et des deux tiers de la croissance du commerce mondial (Rohwer,
1998 : 375). Même s’il n’est pas facile d’acquérir des entreprises asiatiques en raison des
mesures protectionnistes en vigueur, la banque internationale privée prête avec beaucoup de
facilités à l’économie privée. La générosité de ces prêts dépasse de loin les possibilités de
placement dans le secteur productif. Une partie importante est investie à des fins
spéculatives, dans des actions d’entreprises régionales, dans des biens immobiliers ou des
produits de consommation somptuaires (Sundaram, 1998 : 36). Avec l’explosion de ce type
de consommation, les importations s’accélèrent. Face aux expectatives élevées de bénéfices
réels dans la production, la spéculation boursière prend de l’ampleur. La combinaison d’une
forte croissance de l’offre asiatique de production industrielle avec un marché extérieur en
pleine contraction crée une crise de surinvestissement et de surproduction dans la région
(Gréau, 1998 : 474).

Alors que les exportations de la région stagnent, les importations explosent. La situation de
la balance commerciale empire et en 1996 elle présente des chiffres négatifs en Corée, à
Hong-Kong, aux Philippines, en Thaïlande, en Indonésie et en Malaisie. La Chine, dont les
coûts de production sont plus bas que n’importe où ailleurs, maintient ses exportations
pendant un temps, un avenir qui dépend essentiellement de l’état de l’économie mondiale.
La conséquence logique pour la plupart des pays du sud-est asiatique est une perte de leurs
réserves internationales, d’où le début d’une spéculation contre les monnaies asiatiques qui
ont maintenu une parité fixe. La fuite de capitaux à des fins spéculatives oblige à augmenter
les taux d’intérêt et à utiliser les réserves en devise avant de dévaluer. Le FMI permet
consciemment que les réserves internationales s’épuisent et que les monnaies locales soient
dévaluées avant d’intervenir. Il recommande alors des politiques de réajustement structurel
qui permettent au capital transnational, surtout en provenance des Etats-Unis, d’acquérir
des entreprises nationales (Feldstein, 1998). L’accumulation de capital basée sur la
répartition du marché dépasse le capital productif. Cet investissement improductif crée une
récession régionale qui ôte du dynamisme à l’économie mondiale. La bataille pour la
répartition du marché mondial se poursuit, et les Etats-Unis s’annoncent comme les
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gagnants dans une économie mondiale sur le déclin.


Bientôt, c’est en Russie qu’apparait une crise qui s’inscrit également dans cette logique de
répartition mondiale du marché. La corruption financière dans ce pays est sans précédent
dans l’Histoire de l’accumulation dans le capitalisme. Le FMI apparait de nouveau comme
co-responsable. En moins de huit ans, les compagnies multinationales et la nouvelle
oligarchie russe corrompue parviennent à se répartir la richesse et le marché intérieur. La
dérégulation économique permet que les multinationales et les nouveaux riches laissent fuir
entre 200 et 250 milliards de dollars. C’est dans ce contexte que débute la spéculation contre
le rouble. Les réserves internationales passent de 20 milliards de dollars à moins de 11
milliards en un an, à partir de 1997. Ensuite, la Bourse russe perd 86% de sa valeur en un an
et demi, plus fort que la Malaisie (80%) et les Philippines (74%). Entre août 1998 et janvier
1999, la devise nationale passe de six à vingt roubles pour un dollars. Des entreprises
multinationales acquièrent les anciennes entreprises publiques à des prix défiant toute
concurrence (Clairmont, 1999 : 18).

Après la Russie, c’est le Brésil qui entre en crise, un exemple de l’effronterie de plus en plus
grande du FMI. En Asie, il négocie uniquement après l’éclatement de la crise alors qu’au
Brésil, il la prépare (Chossudovsky, 1999 : 20). En effet, après avoir annoncé en novembre
1998 un prêt de 41,5 milliards de dollars à condition que le gouvernement maintienne une
parité fixe durant les deux prochains mois (une période électorale), il prépare la conjoncture
por la spéculation. Lorsque le 15 janvier 1999, le FMI approuve le flottement du réal, le
pillage a déjà eu lieu avec la fuite de 20 milliards de dollars. Entre juin 1997 et janvier 1999,
les réserves en devise baissent de 75 milliards de dollars à 27 milliards, et le réal perd 40%
de sa valeur. La recette préconisée alors par le FMI est la privatisation de la banque et des
entreprises publiques d’énergie et d’infrastructure. Face aux conditions déplorables de
négociation, le résultat est une honteuse vente aux enchères du patrimoine national
(Chossudovsky, 1999 : 20).

2. Les contradictions de la planification privée sans citoyenneté.

L’accaparement des marchés par des multinationales chaque fois moins nombreuses permet
que ces dernières prospèrent au milieu de la stagnation économique mondiale, aux dépens du
dynamisme économique dans la périphérie. Entre 1982 et 1992, la croissance annuelle du
PIB de 150 pays non-membres de l’OCDE est encore de l’ordre de 9%, mais se réduit à
5,2% pour la période 1992-1995, et à seulement 2,3% de 1995 à 1998. Cela implique que le
dynamisme économique de la périphérie s’est réduit de 75% en moins de 10 ans. L’ouverture
des marchés périphériques bénéficie aux multinationales, qui voient augmenter leurs ventes
de 10,3% annuels entre 1992 et 1995 (Clairmont, 1999 : 19). Un monde sans croissance
économique, mais avec une forte expansion simultanée des multinationales, stimule la
spéculation boursière. Les paris sur les seuls triomphateurs dans le monde provoquent la
plus grande hausse de la Bourse en Occident. Vers la fin des années 90, l’investissement dans
l’économie-casino en Occident attire 80% de l’épargne mondiale (Clairmont, 2001 : 3).

Cependant, la plus grande spéculation ne se développe pas à partir d’une épargne constituée
d’argent économisé mais à partir de crédits. Parier sur une redistribution plus inégale à
l’avenir avec de l’argent économisé, c’est investir de la richesse sous forme d’argent dans des
activités improductives. Avec un tel investissement, on ne crée pas de nouvelle richesse mais
on parie sur une plus grande concentration de la richesse dans le futur. Au fur et à mesure
qu’augmente l’investissement sur des paris, il se concentre de moins en moins dans
l’environnement productif et la richesse produite tend à rétrécir. Parier sur la concentration
d’une richesse future en diminution revient à dévaloriser l’argent. Parier sur une
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concentration de la richesse avec de l’argent économisé à partir d’une richesse générée dans
le passé revient à la dévaloriser. Spéculer à crédit équivaut à hypothéquer l’avenir avec des
obligations croissantes sans garantie de richesse produite. Une masse toujours plus grande
d’argent et de crédit investis dans des actions de la Bourse n’est pas garantie avec une
richesse nouvelle. Cela veut dire qu’une masse toujours plus grande d’argent engagé dans la
spéculation devient virtuelle. Mais cette particularité n’apparait pas tout de suite. Cela
viendra, tôt ou tard, au cours d’un crack. Etudions cela de plus près.

Entre 1995 et 1997, le crédit privé croît à un rythme annuel de 6,2%, c’est-à-dire le triple de
la croissance du PIB mondial et presque 150% de plus que le taux de croissance des ventes
transnationales (4,4%) (Clairmont, 2001). Les investissements sur l’avenir, sans croissance
globale, encouragent chaque fois plus les expectatives autour des bénéfices attendus par les
uniques gagnants de l’économie-casino. Dans ce jeu de casino mondial, la capitalisation
boursière explose, triplant entre 1990 et 1999. La capitalisation est calculée à partir de la
côte des actions multipliée par la quantité d’actions en circulation. Entre 1990 et 1999, la
capitalisation boursière est donc multipliée par trois. En 1999, les Etats-Unis occupent la
première place de ce palmarès, avec 50% de la capitalisation mondiale (Hale, 1999 : 104). Le
Dow Jones, où sont côtées les entreprises les plus importantes de la Bourse de New York,
grimpe de 500 à 1000 entre 1956 et 1972, soit la multiplication de la valeur des actions en
l’espace de 16 ans, conformément à la croissance réelle de l’économie. À partir de cette
période, la côte grimpe surtout dans les années 80. En huit ans, de 1987 à 1995, l’indice Dow
Jones passe de 2000 à 4000 et grimpe ensuite jusqu’à 8000 en moins de deux ans, entre
novembre 1995 et juillet 1997. Au cours de la décennie 1987 – 1997, alors que la stagnation
de l’économie s’accentue, la valeur des actions est multipliée par 4 alors que les gains des
multinationales ne font qu’un peu plus que doubler, passant de 333 à 818 milliards de dollars
(The Wall Street Journal, 1999 : 259).

À partir de la deuxième moitié des années 90, le rythme de ventes des multinationales
diminue. Alors qu’entre 1992 et 1995 elles croissent à un rythme annuel de 10,3%, ce chiffre
est descendu à seulement 4,4% entre 1995 et 1998 (Clairmont, 1999 : 19). Le marché
mondial semble être réparti. Une nouvelle distribution du marché impliquerait une
confrontation d’intérêts du grand capital. Il n’y a pas assez de place pour tout le capital
multinational dans une économie mondiale en voie de stagnation. La nouvelle répartition du
monde exige une intervention plus agressive. L’occidentalisation du processus de
mondialisation n’est plus suffisante. Les Bourses occidentales, et surtout celle de New York,
sont temporairement à l’abri grâce à l’occidentalisation de ce processus de mondialisation.
Le Dow Jones atteint son record historique en mars 2000 avec un indice situé à 11700 points.
Cependant, cette dernière hausse n’a pas lieu sans une altération de la comptabilité (comme
cela sera démontré par le cas d’Enron en 2002) et sans l’achat massif d’actions appartenant
aux entreprises elles-mêmes à l’aide de crédits bancaires, dans le seul but de montrer les
fantastiques rendements boursiers des multinationales.

Dans le scenario de la répartition du marché mondial, il n’y a qu’un nouveau secteur qui
promet une forte expansion économique dans le domaine productif : la nouvelle économie
essentiellement basée sur l’informatique et la communication. De 1991 à 1997,
l’investissement de capital dans ce secteur croît rapidement, surtout aux Etats-Unis
(Beinstein, 1999 : 207). Les ventes et les bénéfices de la nouvelle économie semblent
promettre des possibilités jusque-là inconnues. Le développement de cette nouvelle
technologie produit d’énormes bénéfices aux entreprises qui y sont liées. Mais dans les autres
secteurs, et notamment dans le secteur financier, la productivité générale du travail montre
des chiffres décevants. Que se passe-t-il ?
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La perte de productivité du travail dans les autres secteurs de la production entraîne la


diminution du taux de profit productif. Alors que ce taux, chez les entreprises nord-
américaines non financières, oscille de 1950 à 1970 entre 15% et 20% du PIB (non financier),
entre 1970 et 1990 il fluctue autour de 10% pour baisser ensuite à seulement 7,5% en 2001
(The Economist, 8-XII-2001 : 65). La réponse consiste en un repli progressif du capital vers
le secteur redistributif, financier et spéculatif. La prolongation et l’élargissement des droits
de propriété intellectuelle, à partir de brevets et par le biais de la socialisation simultanée des
coûts d’innovation, sont une autre mesure pour défendre le bénéfice multinational productif.
Cependant, la substitution de marchés de produits sans brevet par d’autres avec des brevets
constitue une modalité supplémentaire de la substitution de marchés locaux et nationaux par
d’autres qui sont multinationaux. Autrement dit, il s’agit d’une modalité supplémentaire de
répartition du marché mondial déjà existant et qui ne contribue pas à son expansion.

L’unique moyen d’échapper à la baisse continue du taux de profit dans le secteur productif
consiste à augmenter la productivité du travail. Tout l’espoir d’y parvenir est placé dans une
nouvelle technologie. Au début des années 90, la « nouvelle économie » de la communication
et de l’informatique apporte de nouvelles expectatives. Entre 1991 et 1997, l’investissement
brut fixe recommence à augmenter, surtout aux Etats-Unis. Les bénéfices dans le nouveau
secteur de l’économie sont élevées et s’appliquent à tous les secteurs de l’économie. Mais la
nouvelle technologie se généralisant rapidement dans tous les secteurs économiques, les
bénéfices extraordinaires qu’elle peut apporter partent en fumée. Avec la généralisation de
la nouvelle technologie dans d’autres secteurs, la durée de vie moyenne de la technologie se
raccourcit. La rapidité de la substitution atteint de nouveaux niveaux historiques. Entre
1987 et 1999, la durée de vie moyenne du capital fixe (y compris les bâtiments) raccourcit
aux Etats-Unis de 14 à 7 ans, et au Japon elle passe de 11 à 5 ans (Passet, 2000 : 255). Tout
bénéfice dans la productivité du travail engendré par les dernières innovations
technologiques disparait automatiquement à cause du coût croissant de la substitution. C’est
ainsi que, contradictoirement, l’ère technologique ne produit pas une véritable croissance de
la productivité du travail. À la fin des années 90, l’investissement dans le capital fixe baisse à
nouveau (Wolman y Colamosca, 1997 : 83 y The Economist, 8.IX.2001 : 90).

Au début du nouveau millénaire, les possibilités de redistribution de la richesse semblent se


tarir, alors que la généralisation de la nouvelle technologie n’apporte pas de nouvelles
expectatives de profit. Avec les expectatives de profits réels à la baisse, la Bourse chute. Entre
mars 2000 et mars 2001, bien avant le 11 septembre, le Dow Jones perd 27% de sa valeur. Le
Nasdaq, où sont cotées les entreprises de la nouvelle économie, chute de 65%. Les
perspectives élevées de profit provoquent une très forte spéculation dans ce secteur
économique. Au cours de la même période, la Bourse de Paris perd 27%, celle d’Allemagne
35% et le Japon enregistre une perte cumulée de 46% (The Economist, 2001; 24 mars : 98).
Dans le monde entier, c’est une richesse équivalente à 30% du PMB qui se volatilise en 2000
(ibid, 24.III.2001 : 98). Une nouvelle récession est annoncée, et pour la première fois elle sera
mondiale. Aucun pays n’est épargné, car tous sont liés et interconnectés comme jamais au
sein du marché mondial.

Dans un monde sans croissance et avec un marché réparti entre les multinationales, tout
essai du capital transnational pour triompher implique un affrontement inévitable entre les
principales puissances pour cette nouvelle répartition. Le profit ne vient plus de la croissance
économique, et la réalisation de cette dernière à partir de la répartition du marché mondial
montre ses limites. L’occidentalisation du processus de mondialisation, inauguré avec la crise
asiatique, entraîne des contradictions croissantes au sein de la Triade. Toute nouvelle
répartition touche alors les multinationales d’un bloc ou d’un autre. Les confrontations entre
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les pays centraux quant à la répartition du marché mondial apparaissent pour la première
fois lors de la réunion de l’OCDE qui se tint à Paris en avril 1998 au sujet de l’Accord
Multilatéral sur l’Investissement (AMI). Un an après eut lieu le choc à Seattle (Etats-Unis)
durant la réunion de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Dans les deux réunions, les principales puissances tombent uniquement d’accord sur le fait
qu’elles ne sont plus d’accord. C’est alors la fin de facto du Consensus de Washington entre
les trois blocs économiques, au sujet de la répartition du marché mondial. Au cours de cette
confrontation, une crise de légitimité du modèle néolibéral apparait. De violentes critiques
naissent à partir des rangs mêmes du camp néolibéral envers des institutions multilatérales
comme le FMI, la BM et l’OMC. Au milieu des contradictions du grand capital surgit alors
un mouvement social mondial qui revendique qu’un autre monde est possible. Ce
mouvement acquiert sa plus large expression lors du premier Forum Social Mondial à Porto
Alegre (Brésil), en janvier 2001. Le néolibéralisme montre ses fissures ; son caractère limité
est perceptible. Les luttes sociales surgissent dès lors de toutes parts. Chaque lutte locale
attire l’intérêt du monde entier. Ce qui est local devient automatiquement mondial, Le rêve
qu’une utopie est possible prend forme.

La politique de négociations multilatérales avec le consensus des grandes puissances touche à


sa fin. Une nouvelle répartition du marché mondial impliquerait à partir de ce jour
l’imposition de positions déterminées avec l’utilisation de forces extra-économiques. La
bataille pour la répartition du marché revêt des dimensions idéologico-militaires.
Huntington, dans un article intitulé « the clash of civilizations » (1993 : 41), et dont les idées
seront par la suite développées dans un livre du même titre (1996), légitime le processus
d’exclusion de la civilisation orientale. Il est intéressant de voir que l’auteur démontre par
des arguments l’existence d’une rivalité entre blocs économiques avec des civilisations, des
cultures et des religions différentes. Face à la multiplication des obstacles pour la répartition
du marché mondial, l’auteur annonce un conflit inévitable (ibid, 27). La confrontation entre
Occident et Orient se justifierait avec la menace constituée par les religions fondamentalistes
de l’Orient (l’Islam mais également le Confucianisme) pour l’Occident, centre de la doctrine
fondamentaliste néolibérale. Hungtinton apporte ainsi la base idéologique pour l’exclusion
de l’Orient sur des bases extra-économiques.
Ce n’est alors plus la peur de l’économie de marché qui se charge d’exclure la grande
majorité de la population mondiale mais le terrorisme officiel avec des traits idéologiques
qui prétendent légitimer l’exclusion. D’après le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à
l’alimentation, Jean Ziegler, le génocide silencieux, conséquence de l’exclusion économique,
étrangle peu à peu des peuples entiers (La Nación, 16-X-2001 : 26A). Le terrorisme du
marché tend à être remplacé par un terrorisme d’exclusion plus visible et manifeste, instauré
sur des bases culturelles, ethniques, nationalistes, etc. Le génocide silencieux du libre jeu du
marché devient une politique d’exclusion expresse qui peut déboucher sur une politique
d’élimination méthodique ; sur un néofascisme (Forrester, 1996). Pour faire face à « l’autre
», il est nécessaire de montrer qu’il y a une menace extérieure qui pèse sur « nous », une
menace qui vient de « l’autre ».

La destruction des tours jumelles du Word Trade Center (WTC) de New York le 11
septembre 2001 suscite des doutes y compris au sein du Sénat des Etats-Unis quant à la
version officielle des faits. Le FBI disposait d’information avant les événements, ce qui
inquiète les sénateurs quant aux véritables causes de cet événement. La comparaison entre la
destruction des tours et celle d’immeubles résidentiels à Moscou avant l’invasion russe de la
Tchétchénie est révélatrice. Le gouvernement russe attribuait l’attentat à des terroristes
musulmans soutenus par l’apparemment tout puissant Osama Ben Laden lui-même,
également impliqué dans les attentats contre l’ambassade des Etats-Unis à Nairobi (1998).
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Rien n’a jamais pu être prouvé, mais le lien présumé entre des terroristes musulmans permit
de légitimer l’intervention militaire de la Russie en Tchétchénie et celle des Etats-Unis en
Afghanistan. L’ambigüité entourant l’ennemi défini dans la guerre contre le terrorisme
multiplie les opportunités d’affrontement dans n’importe quel endroit (Pineda, 2002 : 35-
36). Dans les deux cas, c’est la sensation de menace extérieure qui est exploitée,
conjointement à un sentiment d’humiliation nationale, des ingrédients suffisants pour
encourager le nationalisme et ainsi pouvoir justifier une guerre sans but défini.

Le capital spéculatif touche le jackpot avec l’attentat. Dans les 6 jours qui l’ont précédé, les
actions d’United Airlines chutèrent de 42% et celles d’American Airlines de 39%. Les
options de ventes de titres de compagnies d’assurance comme Munich Re, Swiss Re et Axa
sont multipliées par 12 au cours de la semaine qui précède dans les bureaux Morgan Stanley
Dean Witter and Co. (qui occupe 22 étages dans le WTC) et par 25 chez Merrill Lynch and
Co. (dont les bureaux sont situés dans un immeuble attenant) (Meyssan, 2002 : 59-60). Une
enquête du gouvernement des Etats-Unis pour voir si Ben Laden avait joué un rôle dans
cette spéculation à la baisse n’ont pas permis de trouver la moindre preuve. Il est ainsi
indirectement clair que de gros capitaux ont agi disposant d’informations préalables (Ego
Ducrot, 2001 : 33-35). Peu de temps avant l’attentat, alors qu’elle commentait le budget
militaire sans précédent demandé au Congrès par la Maison Blanche, la revue Z-Net se
référait à la disproportion entre les fonds demandés et l’absence de menace concrète, et
soutient que « l’origine de la demande devait être recherchée dans l’histoire interdite des
liens entre Washington et Osama Ben Laden, ou comment se fabriquer un ennemi pour
justifier un budget de 334 milliards de dollars » (Ego Ducrot, 2001 : 49).

Aux yeux de Ducrot, l’attentat apparait comme un acte terroriste réalisé à la demande pour
justifier une augmentation des dépenses militaires en plein milieu de la récession économique
aux Etats-Unis. Il s’agirait d’un terrorisme fabriqué pour légitimer le terrorisme officiel. Le
message terroriste à transmettre est clair : s’il n’y a pas de place ou de vie dans le monde
pour cette culture, cette religion ou cette civilisation, il n’y aura aucun lieu sûr ou de vie
possible dans ce monde pour cette culture, cette religion ou cette civilisation dominante, ni
même pour ceux supposés intouchables. Cet acte terroriste devait justifier la guerre contre le
terrorisme, c’est-à-dire fournir un espace au terrorisme officiel. Les deux réaffirment
l’exclusion, et aucun des deux n’apporte d’option inclusive. C’est précisément cette spirale
terroriste qui sert au grand capital en crise. Face à la déclaration de guerre au terrorisme
par les Etats-Unis, on évite consciemment d’enquêter sur les causes de ce phénomène dans la
mesure où il leur sert. La guerre contre le terrorisme constitue un outil pour continuer avec
la répartition du marché mondial par le biais de l’usage de la force, quel que soit l’endroit.
L’antiterrorisme, tout comme l’antisémitisme à l’époque du fascisme, sert de véhicule pour
intervenir là où cela peut s’avérer intéressant.

Avec la guerre contre le terrorisme, la bataille pour le marché acquiert un caractère


idéologique et militaire. Le génocide silencieux, à travers la main invisible du libre jeu du
marché, est remplacé par une main visible qui exclut ouvertement certaines civilisations,
races ou cultures. La politique d’exclusion planifiée peut devenir plus brutale envers ces
ethnies, ces cultures ou ces nations périphériques où le lien avec le marché est le plus tenu, ce
qui implique que la confrontation des centres de pouvoir aura plus facilement lieu depuis la
périphérie. Les peuples qui ne sont pas liés au marché n’ont pas de droits économiques ou
sociaux, autrement dit, ils ne disposent pas d’une citoyenneté. Du point de vue de l’économie
de marché global, les peuples qui vivent en dehors du système de marché, comme les peuples
indigènes, ne parviennent pas à au statut de citoyen. Et s’ils n’ont pas de citoyenneté, ils
n’ont donc pas de droits humains. Par conséquent, si le progrès du marché implique leur
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élimination, on ne viole donc aucun droit. Avec un marché devenu global, les peuples
indigènes, tout comme les peuples de l’Afrique subsaharienne, totalement isolés du marché,
n’ont aucun droit citoyen et constituent un obstacle pour le marché. Ils sont les premières
victimes de l’ethnocide et une proie facile pour un néofascisme en plein ascension (Amin,
1998 : 102-103).

Une population appartenant à une ethnie « minoritaire », dans une nation périphérique et
faisant partie d’une culture ou d’une civilisation non-occidentale, n’obtient dans l’économie
de marché que de rares droits sociaux-économiques, et plus sont lien avec le marché à
l’intérieur de sa nation est faible, plus frêle est sa citoyenneté. Plus le nombre de lignes
d’exclusion est important (femme, jeune ou âgée, appartenant à une minorité ethnique, de la
campagne, d’un pays périphérique et d’une culture non occidentale), plus sa citoyenneté est
fragile. Dans une économie de marché exclusive, l’insécurité économique et sociale augmente
aussi, et la citoyenneté s’étiole. Les exclus deviennent des sous-hommes, sans même le droit à
la vie. La répartition agressive du marché mondial entre les multinationales anéantit ces
peuples sans valeur. Dans leur lutte pour l’inclusion, les peuples sans citoyenneté n’ont
d’autre choix que de revendiquer un monde dans lequel ils auraient une place, se séparer
complètement de ce monde qui les exclut, ou l’ethnocide entre peuples indigènes.
Le fondamentalisme islamique encourage la rupture de l’Orient avec l’économie de marché,
alors que le cri du Chiapas revendique un autre monde possible (Casanova, 2001). Les deux
positions ont en commun le fractionnement de l’économie de marché, tout en bloquant
l’accès libre aux ressources naturelles. Aucune de ces options n’est utile au capital dominant.
La lutte pour l’inclusion aux dépens d’autres, dans un ethnocide éventuel, comme c’est le cas
en Afrique subsaharienne, est utile au marché. Dans la politique du « sauve qui peut », seuls
les plus forts triompheront, une idéologie en accord avec la logique de la répartition
mondiale du marché. La réponse terroriste constitue la négation rebelle la plus claire de
toutes les options inclusives. En réaffirmant que s’il n’y a pas de place pour nous, alors dans
ce monde il n’y en aura même pas pour les plus intouchables de la planète, tout option
inclusive est rejetée. C’est justement cette logique terroriste qui rejette toute solution. Cela
justifie la guerre contre le terrorisme. Cette lutte n’est pas tant dirigée contre le terrorisme
en lui-même, mais contre toute lutte pour une option inclusive. La philosophie est claire : s’il
n’y a pas de place dans ce monde pour le capital multinational dominant, il n’y en aura pour
personne.

La population blanche d’une nation située au centre de l’économie de marché, à la culture


occidentale, est généralement plus liée à l’économie de marché et possède de meilleurs droits
économiques et sociaux. Plus la position occupée par cette nation dans ce marché est bonne
(homme, adulte, bien formé, etc.), et plus elle possèdera de droits relatifs. Les personnes
s’attribuent elles-mêmes une citoyenneté de première catégorie, avec plus de droits que
quiconque d’être sur cette planète. Ils sont les vrais citoyens de la Terre, comme à l’époque
de l’Empire romain. Face aux risques de perdre des droits économiques et sociaux à cause
d’une récession économique mondiale, ces citoyens ont tendance à se placer sur la défensive
face à ceux de rang inférieur, sans parler des barbares ! Ils tirent leur droit de la logique, du
marché total, et de l’idée que s’il n’y a pas de place dans ce monde, qu’il y en ait au moins
pour les citoyens de première catégorie. La xénophobie croissante des pays centraux et la
lutte contre l’immigration sont tout juste un premier témoignage. Au sein de la nation, les
hommes considèrent qu’ils ont plus de droits de maintenir leur relation avec le marché que
les femmes, les adultes que les jeunes, les blancs plus que les minorités ethniques, les
immigrants légaux plus que les illégaux, et les natifs plus que les immigrants. Dans un
environnement de plus en plus exclusif, la lutte pour l’inclusion suit les règles du « sauve qui
peut ». Les attitudes xénophobes, nationalistes, racistes, régionalistes, sexistes, et finalement
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néofascistes, surgissent, nées de ces lignes d’exclusion. Les victimes situent du côté des plus
exclus ; les agresseurs du côté opposé.

Dans l’environnement du « sauve qui peut », les multinationales elles-mêmes agissent comme
les uniques et seuls citoyens du monde. Avec leur personne juridique, elles obtiennent plus de
droits que personne dans cet univers régi par le marché. Le droit à la « vie » des
multinationales passe avant le droit à la vie de toute autre personne naturelle. La vie de
l’Humanité toute entière est subordonnée en dernière instance à la vie future des
multinationales, et non l’inverse. La politique néolibérale d’exclusion tend à affaiblir le lien
de tous les citoyens naturels du monde avec le marché. C’est ainsi que périclitent leurs droits
économiques et sociaux. Avec le chômage à la hausse, la capacité de remplacement de la
force de travail diminue partout, et les droits économiques e sociaux ont tendance à
s’écrouler dans le monde entier avec le démantèlement constant de l’Etat-intervenant social
y compris dans les pays centraux. À l’époque de la mondialisation, la force de travail se
reproduit à l’échelle mondiale pour le capital transnational, et non l’inverse. C’est l’ère de la
perte de citoyenneté au niveau global ; l’ère de l’émancipation à l’envers ; l’ère de la
modernité à outrance.

Face à une dépression mondiale, le chômage explose. Nationalisme, xénophobie et racisme


deviennent la solution par excellence pour le « sauve qui peut » des multinationales. C’est
sur cette base que se stimule politiquement et idéologiquement la bataille finale pour le
marché mondial en chute. Le 11 septembre a servi de catalyseur au nationalisme nécessaire
pour justifier la nord-américanisation de la mondialisation. À partir de ce nationalisme
cultivé, la nation ayant le plus de poids dans le marché mondial sent qu’elle a plus de droits
pour défendre sa position sur ce marché. Les siens sont les véritables citoyens de l’Empire.
Mais la menace exclusive de l’Empire pour le reste du monde s’inverse. La menace
d’exclusion vient de l’extérieur ; celle du terrorisme consiste à dire qu’il n’y aura pas de
place pour les citoyens avec des droits au maximum. S’opposer au terrorisme, c’est cultiver
officiellement le « sauve qui peut », c’est à dire le terrorisme d’état, et par conséquent le
néofascisme. Continuer de cette manière, et par tous les moyens, la répartition du marché
mondial, mène à une concentration progressive du revenu. C’est ainsi que la croissance
économique s’enraye. Le résultat de la répartition du monde sera que la nation ou la culture
triomphante, y compris grâce à la force militaire, sera la dernière à perdre. Finalement, dans
cette politique de « sauve qui eut » personne n’est sauf.

La concentration progressive du revenu mondial freine la demande globale et la capacité


productive se contracte. La production plus faible crée un produit final moindre, et c’est
ainsi qu’une spirale de récession se met en place, qui conduit directement à une dépression
planétaire. De 1985 à 1995, les 100 pays les plus pauvres voient leur revenu per capita
diminuer de presque 15%, alors que le PIB par habitant des pays du G-7 grimpe de 22%
(Beinstein, 1999 : 58). Cette hausse n’est pas due à l’augmentation de la productivité du
travail dans les pays centraux mais à la répartition du marché mondial. La substitution des
marchés locaux et nationaux par des marchés transnationaux, la privatisation d’entreprises,
les fusions et les acquisitions, la spéculation contre les économies dynamiques du sud-est
asiatique, la Russie, le Brésil, l’Equateur, l’Argentine, etc., impliquent d’immenses transferts
de valeurs du Sud au Nord, ce qui cause en même temps une concentration de la richesse du
monde en faveur des minorités du Nord, et la stagnation économique dans des régions de la
Terre toujours plus nombreuses.
La concentration progressive du revenu mondial freine la demande globale. Les 20% les plus
riches du monde consomment une fraction de leur revenu, tandis que les 20% les plus
pauvres consomment l’intégralité de leur revenu et vivent encore dans la pauvreté. La
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brèche de revenus entre le cinquième le plus riche du monde qui vit dans les pays centraux et
le cinquième le plus pauvre qui vit dans les pays périphériques s’est aggravé entre 1960 et
1998, cette relation précaire passant de 30-1 à 78-1. Le premier cinquième consomme 86%
des biens et des services alors que le deuxième consomme à peine un plus de 1% (ONU,
1999). Mais cette concentration progressive n’existe pas seulement entre les pays mais
également à l’intérieur. Aux Etats-Unis, les 10% les plus pauvres de la population ont vu leur
revenu reculer entre 1973 et 1993 de presque 40%, alors que les 10% les plus riches l’ont vu
croître de 25% (Beinstein, 1999 : 74). La concentration inter et intra-pays contribue à ce que
la fortune des 475 personnes les plus riches du monde soit supérieure au revenu combiné de
50% des plus pauvres de la Terre (ONU, 1999). À la fin des années 90, la répartition du
monde stagne alors que la croissance économique mondiale menace d’être négative. Vers la
fin 2001, les économies des trois blocs de pouvoir de la Triade sont en récession, bien que les
Etats-Unis ne l’admettent que le 1er août 2002 en présentant des chiffres macroéconomiques
corrigés (NRC-Handelsblad, 1-8-2002). Continuer à accumuler requiert une répartition plus
agressive de l’économie mondiale sur le déclin. Le cercle vicieux et l’insoutenabilité du
modèle sautent aux yeux.

Approfondir à outrance la conquête du marché existant n’apporte pas de véritable


alternative pour la récupération économique du monde ou pour le capital transnational
triomphant mais accentue la spirale négative de la croissance économique de la planète.
Dans une guerre pour la répartition du marché global, qui se livre essentiellement pour le
bénéfice du grand capital d’une nation précise, cela n’est possible qu’aux dépens des
économies les plus faibles. En détruisant ainsi son environnement économique, même la
nation triomphante ne sera pas épargnée par la récession. La course à l’armement reprend à
nouveau. L’augmentation des dépenses de défense peut accroitre la demande intérieure à
court terme, mais les investissements civils diminueront. Un moindre investissement civil
freine la croissance économique à moyen terme. Actuellement, c’est presque un tiers de
l’activité économique des Etats-Unis qui dépend directement ou indirectement du complexe
militaro-industriel, une proportion que l’URSS de Brejnev fut la seule à atteindre (Amin,
2002 : 6). Poursuivre plus en avant dans cette spirale équivaudra à moyen terme à un suicide
économique et exigera une nouvelle perestroika, mais cette fois-ci à niveau mondial
(Dierckxsens, 1992 :176).
Dans le passé, des dépenses militaires plus élevées pouvaient avoir un impact positif sur la
Bourse car justement les multinationales nord-américaines tiraient profit de cette demande
ajoutée. La guerre du Golfe servit de substitut à la guerre froide pour transférer les dépenses
militaires (Dierckxsens, 1994). Le capital financier affluait vers l’endroit le plus sûr du
monde avant un conflit militaire. Mais une nouvelle guerre du Golfe n’aurait pas forcément
le même effet. Le monde n’est plus dans la phase du boom spéculatif. Les alliés européens
ont plus de réserves qu’à cette époque. La pression des Etats-Unis va si loin qu’ils menacent
de quitter l’OTAN si ces alliés n’augmentent pas leur budget consacré à la défense (De
Volkskrant, 31-7-2002). Plus l’objectif de l’économie de guerre est unilatéral, et plus faible
sera la capacité de transférer des dépenses improductives à des nations tierces. Lorsque la
capacité de transférer des dépenses militaires diminuera, leur effet récessif sera encore plus
direct sur l’économie.

Il n’y a pas de place pour penser à un nouveau keynésianisme de guerre, comme lors de la
seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis ne seront pas les fournisseurs de produits civils ou
d’équipements militaires pour un monde éloigné en guerre. En résumé, une nouvelle
économie de guerre peut remplacer la demande de capital fixe d’une société civile en
récession, mais dans la mesure où son produit final n’est pas lié à l’économie civile à moyen
terme, elle ne peut éviter son effet récessif sur cette société civile. La rétro-alimentation
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technologique du complexe militaro-industriel envers la société civile (spinn off) a servi


d’argument classique pour démontrer la contribution indirecte du complexe militaro-
industriel à l’économie civile. Cette thèse a été rejetée avant la nouvelle technologie. Au
cours des dernières décennies, il s’est plutôt produit un plus grand transfert technologique
de l’économie civile vers la militaire, que le contraire (Nadal Ega, 1991 : 251–259). Par
conséquent, si nous devons évaluer l’effet de la communication et de l’informatique sur
l’économie civile, nous devons conclure que cela a contribué à la diminution de la durée de
vie moyenne de la technologie. Le coût de l’innovation technologique est chaque fois moins
compensé par une réduction du coût du travail qui dérive d’une plus grande productivité du
travail créée par la technologie. Cela fonctionne comme si la productivité du travail ne
pouvait plus être accrue à partir de l’innovation technologique.

Chapitre VIII

L’utopie: l’individualité à partir d’une société libératrice

1. L’inversion de la modernité : l’individualité à partir de la société

Face à l’impossibilité de trouver une issue à la nouvelle répartition du monde, la première


réponse du « sauve qui peut » est le protectionnisme des économies les plus fortes et le
néolibéralisme tourné vers l’extérieur. L’imposition de droits de douane à l’acier et au bois,
et des subventions plus importantes pour les produits agricoles des Etats-Unis au cours des
premiers mois de 2002, sont une preuve évidente de ce protectionnisme. L’imposition
simultanée du libre jeu du marché aux autres nations, avec d’éventuelles menaces de guerre,
est le revers de la même médaille. Dans cette nouvelle répartition du monde, il n’y a pas de
place pour toutes les multinationales. Les contradictions entre les principales puissances
tendent à s’accentuer. Des réponses protectionnistes se développeront entre elles et des
désaccords majeurs surgiront lors de négociations multilatérales (The Economist, 2.III. 2002
: 13). Un protectionnisme au nationalisme croissant ne peut que bloquer la répartition du
marché au sein de la Triade. La conséquence la plus immédiate : une contraction généralisée
de la demande transnationale. Alors, la politique est d’éviter ou de repousser à plus tard la
confrontation directe entre les blocs économiques.

Pour éviter cette confrontation directe, la bataille pour la périphérie se renforce pour
superposer ainsi, indirectement, un bloc sur l’autre. La bataille pour la répartition du
marché mondial dans la périphérie se fait avec des mesures économiques et extra-
économiques. La tendance est d’aller vers une répartition plus directe des économies
périphériques, ce qui implique de la même façon une attaque plus directe contre la
souveraineté nationale des pays périphériques. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre
le Plan Colombie pour l’Amérique Latine. Sous le prétexte de l’anarchie et de
l’ingouvernabilité du pays (en raison du trafic de drogue et de la guérilla), une opération «
d’aide humanitaire » est mise en place, style guerre du Kosovo (Dierckxsens, 2000 : 71 – 88)
pour intervenir dans le pays. Avec l’argument que les Colombiens sont incapables de
gouverner leur propre pays, ils demeureront sous une tutelle externe. L’objectif est
clairement unilatéral mais sous une couverture multilatérale. Continue alors le processus
consistant à diviser le pays en petits états, selon leurs ressources naturelles et en fonction des
différents groupes de multinationales. C’est ainsi que disparaitrait le premier Etat souverain
en Amérique Latine. Après la Colombie, le Plan s’étendrait à d’autres nations. Résultat : la
balkanisation de l’Amérique Latine, c’est-à-dire le fractionnement des pays en une mosaïque
de mini-états, partagés entre des multinationales en fonction de leurs ressources naturelles.

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L’objectif politique n’est pas de s’approprier la Colombie en soi, mais plutôt une répartition
plus directe de tout le continent. Mais l’effet domino à partir de ce pays sud-américain
présente plus de complications qu’un processus lancé à partir de l’extorsion économique,
comme en Argentine. Suite à une attaque spéculative contre la devise brésilienne fin 1999, le
réal est dévalué au début de l’année 2000. L’Argentine, qui maintenait obligatoirement la
parité du peso avec le dollar, se voit alors confrontée à des importations croissantes en
provenance du Brésil, sans pouvoir augmenter ses exportations. Elle n’a donc d’autre option
que de diminuer les dépenses publiques et adopter une politique nettement récessive. Ce
n’était alors plus qu’une question de temps jusqu’à l’effondrement économique du pays. Le
pays n’eut pas d’autre choix en 2001 que de se déclarer incapable de continuer à faire face à
ses obligations financières, et de dévaluer sa monnaie. Le FM, consciemment, n’aide pas le
gouvernement avec ses finances. Après une succession de plusieurs gouvernements dans un
court laps de temps, le pays sombre dans l’anarchie.

L’objectif se laisse deviner : démontrer l’ingouvernabilité de l’Argentine à partir du chaos


politique et social et provoquer une opération « d’aide humanitaire » multilatérale afin de
diviser le pays en plusieurs petits états (La-Rouche, 17-V-2002). Après l’Argentine, viendrait
le tour de l’Uruguay, du Paraguay et du Brésil. En avril 2002, l’Uruguay est déclaré
destination poubelle pour l’investissement étranger par Standard and Poor. Le résultat est
une fuite de capitaux, le tarissement des réserves internationales et la fermeture de banques.
Les autres pays du Cône Sud, en premier lieu le Brésil resteraient en liste d’attente. Objectif
: que le Cône Sud demeure sous le contrôle des Etats-Unis, une réserve pour les intérêts des
multinationales nord-américaines. Les Etats-Unis parviennent à avoir ce plus grand contrôle
par le biais de la politique d’étranglement du FMI, comme associé majoritaire, ou par le
biais d’interventions financières ou militaires directes. L’objectif est de laisser le capital
européen à l’écart, jusqu’ici bien présent dans la région.

La répartition du marché mondial dans l’arrière-cour est en marche. Ce contrôle sur


l’Amérique Latine serait nécessaire pour mettre en place la répartition du reste du monde.
Dans a bataille de l’OMC, les pays périphériques devraient se contenter de petites réussites
en faveur des pays centraux. Dans le même temps, les désaccords entre ces derniers seront
plus fréquents que les accords. L’UE s’efforce d’agrandir son arrière-cour avec l’inclusion
de dix pays supplémentaires. L’intention est claire : agrandir et protéger son espace
économique. Toute tentative d’inclure la Russie mènerait à un conflit armé entre les deux
blocs. Entre-temps, les désaccords au sein de l’OMC provoqueront une plus grande autarcie
entre les blocs. Des mesures protectionnistes succèderont à d’autres. Le commerce mondial
s’orientera encore plus à la baisse, et par conséquent les conflits pour se répartir le monde en
périphérie s’intensifieront, en faveur d’un bloc ou de l’autre. Le choc contre le monde
islamique, surtout au Moyen-Orient, est le premier à se dessiner, et ensuite contre l’Extrême-
Orient. Les européens prennent chaque plus leurs distances vis-à-vis de la position des Etats-
Unis pour de telles aventures guerrières (La-Rouche, 17.V.2002).
Dans cette politique de « sauve qui peut », le monde entier se dirige vers un affrontement
plus ouvert. La prolifération de plusieurs fronts de conflits simultanés impliquera l’isolation
de la politique des Etats-Unis dans le monde. Un succès militaire paraitrait plausible en
raison de la suprématie militaire des Etats-Unis. Mais le succès politique non seulement
dépend de cette suprématie, mais aussi, et plus encore, de sa légitimité. Intérieurement, les
Etats-Unis se heurtent à un obstacle : l’opinion publique n’accepte qu’une guerre sans
risques (zéro morts nord-américains). À l’extérieur, et plus leur unilatéralité s’accentue, les
Etats-Unis ont tendance à s’isoler sur le plan politique. La perte de légitimité devient aigue
avec les résultats économiques qui empirent dans le monde. C’est l’ère du capitalisme sénile !
(Amin, 2002 : 5). Le résultat de la dépression mondiale tend à être une plus grande autarcie.
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Faute d’exportations, les pays périphériques ne peuvent pas non plus importer. La
mondialisation du marché transnational penche dialectiquement vers son contraire : la
désintégration du marché mondial aux dépens des multinationales.

Dans cet environnement, les politiques alternatives verront leurs voix s’enfler de plus en
plus. Des revendications à court et moyen terme surgiront avec plus de force et seront plus
radicaux, questionnant la rationalité du capitalisme en crise. Nous pouvons mentionner
quelques options, dont certaines sont déjà en campagne et d’autres qui surgiront en chemin.
Nous ne prétendons en aucune manière être exhaustifs mais nous signalerons ceux qui
s’orientent vers des alternatives pour les pays périphériques :

Revendication d’un moratoire


Gel du paiement de toute dette extérieure er débat sur la légitimité des obligations en
cours
Récupération des institutions publiques privatisées, sans compensation
Désindexation des devises nationales par rapport au dollar, sans dévaluation ou
obligations vis-à-vis du système financier dominant
Introduction de mesures de contrôle des changes, des flux et des fuites de capitaux
Elimination des paradis fiscaux dans le monde entier
Introduction d’un impôt sur la fortune des 10% plus riches du monde pour contribuir au
développement du Sud
Politique fiscale internationale progressive et redistributive du Nord vers le Sud
Création de banques nationales et internationales qui accordent des crédits sans
contraintes, à long terme et avec de faibles taux d’intérêt, pour permettre à la périphérie de
produire localement et nationalement tout ce qu’elle peut
Déclaration de la propriété intellectuelle comme patrimoine mondial et suppression des
brevets, surtout dans les domaines liés aux besoins élémentaires des personnes
Réorganisation du système économique, commercial et financier international, d’une
manière favorable aux pays périphériques et mise en place d’une politique commerciale
destinée à améliorer les conditions des échanges pour le Sud
(La Rouche, 2002:2; Grupo de Copenhague, 2002:12).

Tant que la répartition du marché mondial se poursuivra aux dépens de chaque fois plus de
nations, il se fractionnera, aggravant la crise économique dans toujours plus de pays. Cela
sera la récession mondialisée, transformée en première dépression mondiale de l’Histoire du
capitalisme. Si tout l’environnement économique entre en récession, le pays triomphant aura
la maigre consolation d’être le dernier perdant. Dans une dépression mondiale, le commerce
international perd toute sa dynamique. Les pays aux revenus en chute cessent d’importer, et
provoquent donc une baisse du commerce mondial. Chaque nation cherchera une plus
grande autarcie. Avec la chute du commerce mondial, les plus touchées seront les
multinationales, dont les ventes – prenons les 200 compagnies les plus importantes –
proviennent à plus de 50% des exportations (27,5% du PMB). Un fort déclin dans ce
domaine équivaudrait donc à une grave contraction des ventes internationales, mais
également des prix. Avec des ventes moins élevées et des prix en baisse, les profits
diminueront de manière substantielle. La faillite de grandes entreprises multinationales
deviendra chose commune, et ce qui s’est passé avec Enron, Tyco, WorldCom n’est que la
pointe de l’iceberg (The Economist, 22-VI-2002:71).

Les faillites des multinationales seront la caractéristique des temps à venir accompagnées de
licenciements massifs. L’insécurité économique s’accentue dans les foyers. Non seulement
beaucoup ont perdu leurs économies en Bourse, mais en outre le chômage menace. Une plus
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grande austérité s’avèrera nécessaire afin de produire de nouvelles économies pour un futur
qui s’annonce plus incertain. Ces antécédents ne feront que diminuer les ventes et par
conséquent les bénéfices réels des entreprises. L’activité boursière s’effondrera dans le
monde entier, surtout là où la capitalisation fur la plus importante : la Bourse de New York.
Nocera (1998) et Pickford (The Economist, 22-VI-2002 : 78) estiment que le Dow Jones
devrait baisser à 5300 points pour atteindre sa véritable valeur. À cause de cela, la perte de
confiance et la spéculation peuvent l’entrainer jusqu’à 4000 points, soit le tiers de son record
historique de 11700 points, atteint en mars 2000. La destruction massive du capital virtuel
sera le premier pas vers une redistribution plus équitable du revenu.

La crise boursière touchera de nombreux foyers qui ont investi leur épargne et leurs crédits
en Bourse. La colère se dirigera alors vers les intermédiaires, les auditeurs malhonnêtes, les
gérants mais, en devenant plus profonde, la crise provoquera une perte totale de légitimité
des multinationales qui entrainent le monde dans la crise. La banqueroute des grandes
banques qui ont accordé d’énormes crédits pour des fusions et des acquisitions, mais aussi
pour spéculer, sera l’étape suivante. La faillite des fonds de pension qui ont investi plus de
50% de leurs avoirs en Bourse sera chose commune, à moins qu’ils ne se retirent à temps,
mais un retrait massif provoquerait un effondrement sans précédent dans l’histoire des
institutions boursières (Nikonoff, 1999 : 5). La pression politique pour que de telles choses
n’aient pas lieu n’évitera pas la tendance à la baisse des ventes et des bénéfices réels des
multinationales. Tout n’est que question de temps. La chute absolue ne peut qu’être
reportée. À ces faillites s’ajouteront celles des banques, pour en rajouter à la perte de
légitimité du grand capital aux yeux des citoyens en général et du monde.

La perte de légitimité de l’intérêt suprême privé du capital financier et transnational


deviendra apparente avec l’activité boursière désastreuse, et surtout avec la révélation de la
corruption dans l’administration des entreprises elles-mêmes. La perte de légitimité du
secteur financier provoquée par la faillite des banques, la perte massive des fonds des
épargnants, et l’indignation suscitée par la banqueroute des fonds de pension seront uniques
dans toute l’Histoire. L’aggravation du « Sauve qui peut » montrera que personne ne sort
indemne de cette situation, et encore moins le grand capital (Robin, 2002 : 26). De la douleur
naitra la prise de conscience selon laquelle il n’y aucune issue possible sans faire passer
l’intérêt des citoyens avant celui du grand capital. Les mesures d’intervention économique
iront loin en termes de couverture géographique et de profondeur. Au cours de la prochaine
médiation entre le marché et le plan, les frontières voleront en éclat. La régulation
économique nationale et la (re)privatisation des entreprises vitales pour l’infrastructure
économique nationale seront insuffisantes, et une régulation économique planétaire qui
subordonnera l’intérêt multinational et financier à l’intérêt social qui aujourd’hui va au-
delà des limites nationales. Le contrôle social sur les entreprises multinationales ne sera plus
entre les mains d’investisseurs privés. L’avenir et l’orientation des entreprises dépendront
d’une politique de planification supranationale, ce qui implique le besoin et la possibilité
historiques d’inverser la modernité.

2. Liberté individuelle et liberté face à la nature, à partir de la société

Une proposition alternative au néolibéralisme est plus stratégique dans la mesure où elle met
l’accent sur la contradiction fondamentale au sein de la rationalité actuelle. Pour orienter la
rationalité alternative à long terme, il est nécessaire que la contradiction fondamentale
devienne visible. Cela consiste en l’incapacité à développer les forces productives avec les
relations de production actuelles. En effet, dans la rationalité économique actuelle, le
capitalisme arrive au moment historique où il est impossible de relier l’investissement avec
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la production de manière rentable. Autrement dit, avec la rationalité économique et les


relations sociales de production actuelles, il n’est plus possible d’obtenir un plus grand
développement des forces productives. Cette contradiction deviendra réellement visible lors
du vain processus visant à trouver une solution.

Actuellement, le grand capital est clairement conscient de ce dilemme, mais il pense pouvoir
résoudre la contradiction. Mais ce n’est pas la même chose que d’être conscient de son
caractère insoluble. Afin d’essayer de trouver une solution, le grand capital tente, d’un côté,
de répartir socialement chaque fois plus les coûts d’innovation et de développement
technologique à travers des subventions de l’Etat toujours plus importantes ; d’un autre
côté, il privatise simultanément les bénéfices avec une appropriation plus longue des droits
de propriété intellectuelle. La politique consistant à déposer des brevets dans chaque fois
plus de secteurs productifs et pour des durées toujours plus longues, à travers les Trips,
constitue en réalité un protectionnisme pour les multinationales, aux dépens de nombreuses
entreprises locales ou nationales. Le libre jeu du marché s’applique uniquement vers
l’extérieur. Cette option protectionniste amène une solution à court terme ; à moyen terme,
la contradiction de départ n’est toujours pas résolue mais plutôt plus aigüe.

Avec la généralisation du système des brevets dans de plus nombreux domaines et la


conservation des droits de propriété intellectuelle pour plus de temps, la concentration du
capital et des marchés dans les mains de moins en moins d’entreprises multinationales
augmente. Le grand capital s’approprie même des droits de propriété intellectuelle de
connaissances sociales pas encore développées. Les brevets sur la médecine naturelle des
amérindiens est peut-être le cas le plus pathétique, où l’appropriation privée d’une
connaissance historique et sociale ouvre le voie au remplacement des marchés locaux sans
brevets, par d’autres transnationaux possédant un monopole privé sur la propriété
intellectuelle. Cette politique vorace aiguise l’appropriation de marchés déjà existants ; elle
amène à concentrer les revenus, et parallèlement cela contracte la demande globale et par
conséquent l’économie de marché. Autrement dit, la modalité privative de prolonger la
durée de vie moyenne de la technologie grâce à des brevets accentue la récession économique
dans le monde. Résultat : une plus grande surproduction ou une sous-consommation relative
de produits. La contraction de la demande conduit à la sous-utilisation de la capacité
technologique installée ; une production moindre, avec le même investissement
technologique équivaut à une rentabilité moindre. Ce que gagnent les multinationales à
court terme en rentabilité, grâce à la prolongation de la durée de vie moyenne de la
technologie par le truchement des brevets, elles le perdent à moyen terme à cause de la sous-
utilisation de la technologie. À court terme également, la politique de brevets ne garantit pas
la croissance du profit qu’elle permet à court terme. Et elle n’apporte pas de solution
durable au dilemme. Les brevets correspondent à une politique à court terme du « Sauve qui
peut » en faveur du grand capital. À moyen terme, cela provoque la récession mondiale et la
chute des bénéfices transnationaux.

Afin de surmonter la récession mondiale, même sous la rationalité économique en vigueur, il


ne reste pas d’autre option que de restimuler la production dans chaque localité et nation, ce
qui implique abandonner le système des brevets et déclarer la propriété intellectuelle
patrimoine de l’Humanité, une proposition qui était déjà formulée au milieu du 20ème siècle
par Keynes. L’occasion de la revendiquer et de lui donner de l’élan se présentera avec
l’écroulement général des multinationales. La lutte pour le démantèlement des brevets est
déjà en marche. La lutte concrète concernant les médicaments qui permettent de combattre
le sida ne montre que la pointe de l’iceberg de la lutte sociale qui s’annonce dans ce domaine.
Son triomphe arrive dans la conjoncture qui suit le 11 septembre 2001. Les Etats-Unis eux-
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mêmes font pression sur la compagnie allemande Bayer pour qu’elle diminue les droits de
propriété sur un médicament contre l’anthrax. Les prochaines lois anti-brevets auront la
même origine et les mêmes objectifs que les lois anti-trust de la fin du 19ème siècle aux Etats-
Unis. Ces lois parvinrent à briser les prix de monopole fixés par des accords entre les
entreprises qui contrôlaient le marché.

À première vue, un nouveau keynésianisme semble possible, mondial cette fois-ci, qui ne
devrait pas uniquement se développer dans les pays centraux mais surtout dans les
périphériques. Cependant, une telle démarche entrerait en conflit avec les limites historiques
atteintes dans la vitesse de la substitution technologique avec des bases rentables. Il n’y a
d’autre solution que de réguler de manière planifiée et avec une portée planétaire la
prolongation de la durée de vie moyenne de la technologie. Cette politique requiert une
application simultanée dans les pays centraux ; dans le cas contraire, cela entrainerait une
plus grande récession. Ce type de politique fonctionne comme un keynésianisme à l’envers.
C’est comme inverser les turbines qui mènent à l’accélération de l’innovation technologique.
Inverser le logique signifie augmenter la rentabilité de l’investissement en limitant les
possibilités de concurrence à partir de la nouvelle technologie. L’intérêt social cherche à
remplacer l’intérêt privé, même si c’est pour sauver la rationalité économique. Le moteur de
l’économie de marché, la concurrence de l’intérêt privé à partir de la nouvelle technologie,
tend à se subordonner à l’intérêt social et non le contraire. Le frein à la réduction
permanente de la vie technologique constitue une tendance irréversible liée à la baisse du
taux de profit. Avec le keynésianisme à l’envers, la durée de vie moyenne de la technologie
s’allongerait avec des contrôles régulateurs mondiaux. Ainsi, le cycle de reproduction du
capital deviendrait plus long, élevant le taux de profit de façon immédiate, mais limitant à
moyen terme la croissance économique, ce qui mettrait un terme à l’accumulation
permanente de capital.
Avec l’allongement de la durée de vie moyenne de la technologie par le biais d’accords et de
contrôles mondiaux, la demande effective de technologie dans le Nord diminuera
rapidement, ce qui ne se verra pas dans les secteurs productifs générateurs de biens de
consommation finaux. Apparemment, réduire la durée de vie moyenne des produits de
consommation durable n’a pas de limites dans la rationalité économique actuelle. Avec cette
politique, la masse et le taux de profit seront supérieurs dans le secteur. La réponse logique
sera l’abandon peu à peu du capital dans le secteur technologique et sa migration vers les
biens de consommation durable, ce qui provoque un déséquilibre structurel entre production
de moyens de production et production de biens de consommation. Face à la crise évidente
qui en découle, la solution est également réguler la durée de vie moyenne des biens de
consommation durable ou une intervention directe nationale ou mondiale sur les biens de
production. Une fois sauvé le mécanisme de marché, l’unique possibilité est de réguler la
durée de vie moyenne des biens de consommation durable.

Avec ces mesures, la demande effective de produits en général diminue dans les pays
centraux. Si leur durée de vie moyenne est disons multipliée par deux, la demande de
produits industriels et d’emplois sera divisée par deux. Mais en doublant leur durée de vie,
on ne diminue pas le bien-être authentique. Avec la moitié du revenu et de travail, nous
aurions les mêmes produits mais plus durables. L’excédent, en termes relatifs du Nord, c’est
de l’argent. Il en existe une masse qui n’a aucune proportion avec le produit annuellement
fabriqué. Pour que l’argent ne perde pas son futur pouvoir d’achat, cet excédent doit se
diriger vers le Sud, où se trouve l’unique possibilité de produire plus de richesse matérielle.
Si la décélération économique du Nord, en termes de valeur, est compensée avec une
accélération économique proportionnelle dans le Sud, l’argent du Nord ne perdra pas son
futur pouvoir d’achat. Moins il y aura d’argent qui ira vers le Sud pour stimuler l’économie,
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et plus grande sera la perte du pouvoir d’achat de l’argent du Nord. Plus l’argent affluera de
manière productive vers le Sud, et plus le pouvoir d’achat de cet argent sera maintenu. Le
développement du Sud devient un sujet d’intérêt pour le Nord, et bien évidemment pour le
Sud. Il s’agit donc là d’un intérêt commun à toute l’Humanité. Le taux d’intérêt zéro devient
possible et nécessaire. Nait alors la conscience qui nous dit que nous vivons dans une même
société planétaire. L’intérêt commun l’emporte sur le privé, et non le contraire. Le cycle
historique de l’Humanité se referme. Nous comprenons à nouveau que nous ne pouvons être
des individus qu’à partir de la société, et non l’inverse. C’est la fin de la rationalité moderne.
Avec la diffusion de la connaissance comme patrimoine de l’Humanité et le flux d’argent
vers le Sud, les bases structurelles sur lesquelles est construit le développement inégal Nord-
Sud disparaitront rapidement. La redistribution du revenu devient Bien Commun. Ce
nivèlement du revenu s’accélère depuis les deux pôles : l’économie du suffisant du Nord
combinée avec l’économie du nécessaire au Sud. La concurrence basée sur la technologie
étant terminée, les possibilités d’être en concurrence à cause des inégalités de revenu
disparaitront également. À moyen terme, l’unique option de rivalité sera par rapport à la
qualité du produit. La concurrence sera régie plus par la valeur à l’usage que par le
changement. Résultat : la production s’orientera de moins en moins vers l’aspect de la
valeur, et plus vers son contenu. D’une manière générale, la richesse se mesurera chaque fois
moins en termes de valeur et plus en termes de valeur à l’usage.

Le bien-être se mesure plus comme la richesse présente et moins comme celle qui est
produite annuellement. Ce que nous possédons est plus important que ce que nous pouvons
acheter demain. Une économie du suffisant se met en place. À partir de là, la croissance
économique comme indicateur de richesse se subordonnera peu à peu au concept de bien-
être authentique, plus envisageable si on le conçoit avec une croissance économique négative.
C’est ainsi que nait la conscience selon laquelle la tendance à la croissance négative est
inévitable pour avoir un bien-être authentique plus important. L’accumulation d’argent
cesse d’être un moteur économique. L’argent devient un moyen d’échange pour obtenir les
marchandises nécessaires dans la vie. Cette nouvelle rationalité tend à placer l’économie en
fonction de la vie elle-même, et non l’inverse, c’est-à-dire qu’il y a un changement dans la
rationalité économique à proprement parler.
La durée de vie moyenne des produits en général se prolongeant, des ressources naturelles se
libèreront dans le Nord (destination de plus de 85% de la planète pour 20% de la
population) sans perte de bien-être authentique et avec une meilleure conservation de la
richesse présente, y compris la nature et l’environnement. Si la durée de vie moyenne des
produits du Nord était multipliée par deux, par exemple, plus de 40% des ressources
naturelles exploitées sur la planète se libéreraient. Cet investissement de la rationalité
redéfinira les besoins en eux-mêmes. Une « économie du suffisant » se met en place dans le
Nord, associée à une « économie du nécessaire » dans le Sud. Le Nord et le Sud ont intérêt au
développement simultané des deux économies. La première inversera le consumérisme. La
production se définira peu à peu en fonction des besoins, au lieu que ceux-ci croissent sans
cesse en fonction d’un processus de valorisation privée et supposée infinie. Vivre est chaque
fois moins synonyme de consommer, c’est à dire que la vie devient plus agréable et moins
aliénante. La combinaison de la prolongation de la durée de vie moyenne des produits à «
l’économie du suffisant » libèrera les ressources naturelles requises pour développer «
l’économie du nécessaire » dans le Sud.

Le bien-être authentique ne dépend pas d’un niveau de consommation élevé mais de la


qualité de la vie. Avec cela, les priorités de la production se définiront à travers l’optique des
besoins de la vie concrète et non à partir des centres de production et d’accumulation.
Orienter l’économie en fonction de la vie concrète implique une politique de décentralisation
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de la production ; associée à une plus grande démocratisation du processus de prise de


décisions sur ce qu’on produit et où. Le premier dépend plus des particularités locales,
nationales et régionales, et ne peut pas être uniquement en fonction de l’intérêt privé de
quelques entreprises multinationales, ce qui signifie également que le ralentissement
économique au Nord devient possible et nécessaire, au-delà de l’allongement de la durée de
vie moyenne des produits. « L’économie du suffisant » et celle du « nécessaire » seront plus
sélectives que la propre économie de marché quant à ce qui se consomme et ce qui se produit.
Le lien entre les deux économies demande une planification du bien-être authentique
mondial à partir de consensus ; cela génère une citoyenneté mondiale, c’est-à-dire avoir
conscience que nous vivons dans une même société mondiale. C’est uniquement en ce sens
qu’il est possible de construire une société libératrice mondiale.

3. Liberté en société, à partir d’une société libératrice

Dans l’après-guerre qui suivit la seconde guerre mondiale, la citoyenneté, c’est à dire,
l’élargissement de droits économiques et sociaux, dérivent de la logique du marché. Dans le
keynésianisme, l’Etat-Providence se développe dans les pays centraux avec une politique
d’inclusion plus ou moins généralisée. L’élargissement de l’emploi rémunéré et le plein
emploi sont ses drapeaux. Avec une telle politique d’inclusion, la stabilité professionnelle, la
stabilité salariale et la sécurité économique et sociale progressent. Mais dans de nombreuses
zones de la périphérie, l’exclusion structurelle du travail rémunéré prédomine. La division
mondiale du travail entre centre et périphérie empêche que le plein emploi s’instaure dans
cette dernière. Les droits économiques et sociaux qui dérivent du rattachement au marché y
demeurent à la traîne. Le résultat de cette situation est qu’une minorité de l’Humanité est
embauchée pour travailler 40 heures hebdomadaires pour une moyenne de 47 semaines
annuelles, pendant presque 40 ans de leur vie. Cependant, les gens, dans leur grande
majorité, n’ont pas accès à des opportunités régulières sur le marché du travail, et ils ont
beau travailler à leur compte ou à la maison, de l’enfance à la vieillesse, toute l’année et sans
aucune limitation régulant leur journée de travail, ils ne parviennent pas à acquérir de
prérogatives économiques et sociales, et par conséquent se voient privés de citoyenneté
(Passet, 2000 : 244).

Cela dit, le néolibéralisme s’introduit juste au moment où l’intérêt privé abandonne le


secteur productif puisque le taux de profit dans cet environnement économique diminue. Cet
abandon et le soudain passage de l’investissement vers le secteur financier et spéculatif
enlèvent du dynamisme à l’expansion de l’économie et par conséquent à la création
d’emplois. En outre, le secteur financier absorbe relativement moins de force de travail que
l’industrie. Le néolibéralisme délaisse le credo du plein emploi et au contraire parle de
flexibilisation du travail, ce qui signifie moins de sécurité économique et sociale, une perte de
droits économiques et sociaux, et le démantèlement de l’Etat-Providence. En résumé, le
néolibéralisme démantèle la citoyenneté telle que Keynes l’a élaborée. Le néolibéralisme
défend les droits des personnes juridiques (Les multinationales) aux dépens des personnes
naturelles. Les multinationales apparaissent comme les seuls sujets disposant d’une
citoyenneté entière. Les vrais citoyens cessent d’être des sujets de plein droit (Hinkelammert-
Mora, 2001 : 320). Finalement, le néolibéralisme fit du monde une humanité sans
citoyenneté.

Le droit d’accéder à des produits et à des services, c’est-à-dire le droit à un statut de citoyen,
dépend de l’insertion de la personne dans le marché et non de son appartenance à la race
humaine. Le droit économique et social, et même le droit à la vie, c’est-à-dire le fait d’être un
citoyen, n’est pas une condition humaine à priori. Dans la rationalité capitaliste, l’être
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humain n’a pas de droits sauf, directement, ou indirectement, à partir du marché. La


citoyenneté découle uniquement de son lien avec le marché et de sa position au sein de ce
dernier. Dans cette rationalité, le temps libre est issu du travail rémunéré et sa fonction le
définit ; en outre, il augmente selon la productivité et l’intensité du travail, dans la mesure
où il garantit le remplacement de la force de travail. Une plus forte intensité durant les
années les plus productives suppose un départ plus tôt pour les moins productifs (invalides,
handicapés, retraités). Dans les deux cas, cela est valable tant que le coût du temps libéré
croit à un rythme inférieur à la productivité lors de la phase active, et la logique se
maintient. Autrement dit, le temps libre est perçu par rapport à l’amélioration de la qualité
du temps payé et non par rapport à celle du temps non rémunéré ; souvent, ce temps
implique du temps libéré afin de réaliser du travail non payé lors d’activités non rémunérées
dans le foyer, la communauté, les études, etc. ; cela correspond à la reproduction de la vie.
En outre, temps libre est assimilé à consommation. Profiter de la vie acquiert alors le statut
d’un bien. Le loisir sans valeur cesse d’avoir de la valeur et revêt même une forme de travail.

Dans le capitalisme, le développement des forces productives a connu une évolution sans
précédents. Mais cette libération de l’Humanité des forces naturelles ne l’a pas libérée des
chaînes du travail, y compris aux pôles du développement. La productivité du travail
augmente en fonction du développement des forces productives ; en principe, cela permet de
libérer le temps requis pour la production des moyens de vie nécessaires ; concrètement, cela
permet de réduire la durée de la journée de travail, la semaine de travail et le cycle de la vie
active. Si la génération née au début du 20ème siècle dans les pays centraux a travaillé plus
de 80000 heures au cours de sa vie, ceux qui sont nait dans les années 70 ne le feront peut-
être que pendant 50000 heures environ. La question logique est donc de savoir pourquoi ne
pas réduire ce temps à 30000 (Passet, 2000 ; 260). Quel obstacle empêche la rupture de cette
chaîne ? Qu’est-ce qui bloque la libération citoyenne ?

Avec la diminution de la durée de vie moyenne des valeurs d’usage, le temps de travail requis
pour produire un bien, réduit en raison du développement technologique, doit se répéter
avec une fréquence plus courte. Considérée à partir du contenu, la richesse produite dans la
société requiert moins de temps de travail grâce au développement technologique, mais il
faut le reproduire plus rapidement en raison de la baisse permanente de la durée de vie des
valeurs d’utilisation. Considérée globalement, maintenir la richesse actuelle à son niveau
signifie la produire avec une fréquence toujours plus rapprochée. Néanmoins, du point de
vue du marché, on produit plus souvent des produits porteurs de bénéfices afin de maintenir
la même richesse existante. Cette logique permet la croissance en termes de valeur, mais pas
nécessairement en valeur d’usage. L’accumulation de capital dépend d’une spirale croissante
de produits et de services dotés de valeur, pas de la présence de richesse et encore moins
d’une richesse sans valeur, comme la nature. Du point de vue du citoyen, du Bien Commun,
cette rationalité dénature la rationalité du processus reproductif vers la sphère monétaire
aux dépens de la reproduction de la vie concrète.

La rationalité capitaliste se base sur la réalisation de valeurs d’échanges, porteuses de profit,


faisant abstraction de leur essence : la valeur d’usage ou l’utilité pour la vie en elle-même.
Plus la valeur d’usage est courte, et plus vite on doit la reproduire. Une telle rationalité
permet de réaliser plus rapidement des valeurs porteuses de profit, tout en stimulant la
croissance économique nécessaire à la perpétuation de l’accumulation mais fait obstacle à la
rupture des chaînes du travail. Cette logique opère comme si les forces productives ne
s’étaient pas autant développées, ce qui débouche sur une société de consommation et de
gaspillage des ressources naturelles, polluant assez rapidement l’environnement et sans
libérer l’être humain par rapport à l’environnement productif et soumettant la nature à une
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exploitation démesurée. Pour le capital, tout est utile tant que cela peut se vendre et générer
des profits. La consommation en elle-même devient un travail, un « travail aliénant ».
L’utilité d’acquérir des produits et des services marchands pour les consommer durant le
temps libre est claire pour le capital. Acheter pour le plaisir d’acheter - « fun-shopping » - ne
fait que resserrer les chaînes du travail (Hamelink, 1999 : 79). Ce temps libre n’est pas
libérateur ; au contraire, il se transforme en une activité aliénante supplémentaire, dont la
fonction exclusive est la reproduction du capital pour rendre plus agréable la vie des
privilégiés acceptés, mais aux dépens d’opportunités vitales des exclus.

A partir de cette analyse, il semblerait que les chaînes du travail payé, forcé et aliéné, ne se
rompront jamais tant qu’il y aura de la croissance économique. Mais l’historicité de la
rationalité capitaliste se base précisément sur le caractère limité de la croissance
économique. Cependant, raccourcir la durée de vie moyenne des produits en général, et des
produits technologiques en particulier, finit par entrer en conflit avec la rationalité
économique dominante. Au fur et à mesure que le développement technologique augmente,
la productivité du travail fait de même. Cela a permis de réduire la durée de la journée de
travail et de raccourcir la vie active, ce qui fait augmenter la richesse produite aux dépens de
sa présence. Ce qui intéresse le capital c’est le développement technologique, car c’est la
source du profit. Avec le raccourcissement de la durée de vie moyenne de la technologie, le
capital productif écourte de la même façon le temps requis pour avoir de nouveau accès à la
technologie de pointe. C’est uniquement de cette façon qu’il peut maintenir sa place par
rapport à la concurrence.

Toutefois, du point de vue du contenu, l’augmentation de la productivité obtenue avec le


développement technologique est annulée en raison de la durée de vie moyenne, toujours
plus courte. Du point de vue du Bien commun, l’augmentation de la rotation du capital (fixe)
entraine finalement un gaspillage de potentiel productif. La vitalité de l’économie est
sacrifiée en fonction d’une supposée réalisation perpétuelle de valeur. Mais plus la durée de
vie moyenne de la technologie est raccourcie, et plus augmentent les coûts de substitution
qui, s’ils s’accélèrent, impliquent en même temps une innovation technologique, qui en
général s’avère couteuse et sophistiquée. Le coût de substitution avec une innovation
technologique augmente très vite, en tout cas s’il est inversement proportionnel au coût du
travail, en raison de la nouvelle technologie introduite et parce que le taux de profit s’oriente
à la baisse comme nous l’avons vu. L’investissement quitte le secteur productif et se réfugie
dans le domaine redistributif et improductif jusqu’à ce que le gâteau soit partagé. L’unique
option du capital pour survivre comme tel est un retour à la croissance économique, c’est-à-
dire un environnement productif. Sans un allongement de la durée de vie moyenne des
produits en général et de la technologie en particulier, il n’est pas possible, comme nous
l’avons démontré, d’augmenter le taux de profit. Dans cette tentative, c’est la logique
capitaliste elle-même qui s’asphyxie. Il est impossible de développer les forces productives si
ce n’est à partir d’une autre rationalité économique, autrement dit, sans de nouvelles
relations de production.

En bref, la nouvelle rationalité investit la logique dans le contenu de la richesse. La richesse


existante devient indicatrice de bien-être et non une richesse créée année après année. La
qualité et la durabilité des produits prennent plus d’importance que la valeur qu’ils
représentent ; ils sont la combinaison simultanée de l’économie du suffisant (au Nord) et de
l’économie du nécessaire (au Sud) ; la combinaison de l’économie de la libération des chaînes
du travail (au Nord) et de l’économie d’inclusion (au Sud) (Keune-van Heiningen (eds.), 2001
: 4-2-4). Une plus grande durabilité et une meilleure qualité des produits et des services
permettrait et exigerait plus de temps libre pour les inclus et l’inclusion simultanée des
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exclus. La définition de préférences et d’options de consommation cessera d’être


principalement déterminée par l’intérêt privé.

Le droit à un revenu dépend, avec la rationalité capitaliste, du lien avec le marché, et plus
encore de l’insertion dans le marché du travail. Considéré à partir du contenu et du point de
vue de la globalité, les travaux rémunérés et non rémunérés (le travail au foyer, le
volontariat, etc.) sont (re)productifs. Cuisiner à la maison est tout aussi productif que le faire
en tant que salarié dans un restaurant. Les deux travaux dont tout aussi improductifs s’ils se
consacrent à des activités improductives : surveiller un quartier en tant qu’entreprise de
gardiennage est tout aussi improductif que surveiller sa maison. Dans une économie de
marché, le caractère social du travail se manifeste exclusivement à travers le salaire, c’est-à-
dire par la forme. La distinction entre travail productif et improductif, à partir d’une
optique de totalité, ne peut être gouvernée que par le contenu. La richesse présente l’est tout
autant que celle nouvellement créée, et la richesse non exprimée en argent l’est tout autant
que celle qui y est.

Perçu par le contenu, le droit à l’inclusion et les droits économiques et sociaux ne peuvent
pas dériver exclusivement de l’insertion sur le marché du travail. La citoyenneté ne peut
dépendre du lien ou de l’absence de lien avec le marché. Ce n’est pas à partir du marché que
je peux obtenir la citoyenneté. La citoyenneté et les droits dérivés s’obtiennent en vivant en
société, ce qui n’est pas la même chose qu’être sur le marché. Cela cesse d’être un facteur
d’intégration sociale si le principe directeur n’est pas la solidarité. Pour vivre en société, j’ai
le droit de me développer entant que personne et cela me confère des obligations vis-à-vis de
la société. Cette inversion du concept de citoyenneté conduit au revenu citoyen et non selon
un niveau d’insertion ou de non-réinsertion dans le marché. Le droit à un revenu minimum
citoyen brise la discrimination entre travail rémunéré et non rémunéré. À partir du contenu,
il n’y a donc pas de différence entre le travail au sein du foyer ou dans la communauté et le
travail dans le marché. La discrimination contre la jeunesse trouve ses sources dans leur non
appartenance au marché. Les jeunes ne sont pas pris en compte tant qu’ils ne s’y intègrent
pas, et le bon fils est celui qui s’y insère correctement. Le droit au revenu étudiant se base
sur leur lien avec la société. Un revenu sûr pour les jeunes les revaloriserait comme citoyens.
L’Etat cesserait d’avoir un rôle paternaliste et deviendrait un Etat solidaire.

Le droit à l’acceptation citoyenne ne peut être quantifié à priori s’il ne dépend pas de ce
qu’implique un revenu suffisant et nécessaire. L’économie du nécessaire et l’économie du
suffisant ne sont pas définissables à priori mais impliquent sans aucun doute une
redistribution radicale de la richesse, du revenu et des opportunités vers une plus grande
égalité. Cette redistribution en soi constitue une énorme force productive. Mes droits et mes
devoirs en tant que citoyen ne dépendent plus de mon rattachement au marché mais de celui
à la société. Citoyenneté signifie alors mon obligation envers les autres et les leurs vis-à-vis de
moi, en fonction de la plénitude de notre vie à tous. Ce n’est que sous cette nouvelle
rationalité que l’environnement de plénitude de la vie peut passer avant l’environnement
économique. L’emploi devient une option de réalisation dans la vie, tout comme d’autres.

4. Vers un bien-être authentique avec une plénitude vie

a. Économie et comptabilité sociale d’après la forme et le contenu

Une économie exige non seulement un nouveau lien de l’économie formelle avec la
substantive mais en outre la subordination de la première à la seconde. L’axe d’entrée pour
diriger la politique économique et faire la comptabilité sociale tend à être le point de vue du
contenu et déjà plus exclusivement celui de la forme. Ce point de vue implique d’axer les
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politiques sur la reproduction de la vie concrète, au lieu de les centrer sur la reproduction
d’argent comme capital. A partir des relations monétaires, la richesse sociale se limite à la
richesse comptable produite année après année. Ce qui n’est pas comptable et ce qui n’est
pas nouveau ne sont pas regardés comme de la richesse. De cette façon, la richesse présente
est remplacée par une autre, produite, et c’est ainsi que croit l’économie et que nous sommes
supposés trouver le bien-être. En considérant le contenu, la nature est la richesse et le travail
ménager ou volontaire produisent de la richesse même si cette dernière ne parvient pas à
avoir d’expression monétaire. Une grande partie de la richesse sociale existante n’est pas
comptabilisée, ce qui constitue la base du mépris pour la nature, le travail non rémunéré et
les vieilles choses. Tant que l’économie de marché ne comptabilisera pas cette richesse, cette
dernière ne compte pas, ne vaut rien, et aucune richesse ne disparait avec le gaspillage.

Mais aussi, considérant le contenu, les travaux au sein du foyer et volontaires visent à la
reproduction de la vie, et en tant que tels ils produisent de la richesse. À partir du même
point de vue, la nature est une richesse naturelle, une richesse qui ne provient pas du travail.
Selon le regard porté par l’intérêt privé sur l’économie de marché, la richesse se limite à ce
qui est transformable en argent, et le travail réellement productif se limite à ce qui produit
encore plus d’argent, c’est-à-dire du profit. Du point de vue du capital, considéré avec le
regard de la forme ou de la relation sociale dominante de l’économie actuelle, il s’agit de la
vraie définition de la richesse, quels que soient les moyens employés pour obtenir plus
d’argent ou plus de profit. Obtenir cette richesse dans le secteur productif ou improductif,
c’est-à-dire redistributif, n’a pas d’importance. Plus encore à partir du point de vue de la
totalité ou du contenu du processus reproductif, une chose est gagner de l’argent dans le
secteur productif, et une autre là où il se redistribue. Dans la totalité, une chose est la
distribution plus équitable du revenu et son effet sur le bien-être et la croissance de
l’économie, et une autre la concentration de revenus et ses effets négatifs sur cette croissance.
Nous avons déjà vu que le processus de concentration de la richesse, au lieu de stimuler
l’économie, la freine. En revanche, la redistribution plus juste de la richesse stimule
l’économie et lui donne de la vitalité.

Dans quels secteurs la richesse est-elle produite et dans quels secteurs est-elle redistribuée ?
D’après le contenu, l’assurance contre les incendies n’est qu’une redistribution ou une
socialisation des pertes de richesse, quelle que soit l’importance de son utilité pour la société
globalement. Cependant, pour le capital privé il s’agit d’une activité de plus permettant de
faire des profits. La loterie, les casinos, la spéculation en Bourse, ne sont pas des activités qui
visent à la répartition de l’argent et des richesses existantes en faveur des uns et aux dépens
des autres. L’argent gagné par les fabricants d’armes, les réseaux de distribution de drogues,
le blanchiment d’argent, les administrateurs de prisons, les avocats plaidants, les sociétés de
gardiennage, celles qui dépolluent les rivières, n’apparait pas comme une dépense dans la
comptabilité actuelle mais bien comme un revenu économique, comme une partie intégrante
du PIB, comme une richesse nouvelle et non comme un coût improductif. Dans d’autres
publications, nous avons abordé ce thème plus en profondeur (Dierckxsens, 1998) mais nous
voulons en reprendre certains éléments afin d’orienter la politique économique, ainsi que la
comptabilité sociale à partir d’une nouvelle rationalité économique.

Le simple fait qu’il y ait de l’argent qui passe de mains en mains suppose, selon la
comptabilité actuelle, qu’il existe la production de revenu, même si son contenu est vide de
sens. Ce critère purement monétaire ne peut constituer un argument pour définir une
nouvelle comptabilité sociale qui doit intégrer forme et contenu. Nous nous posons une
question : comment arriver à définir et à calculer le bien-être en reliant l’économie
substantive à la formelle ? Refaire la comptabilité sociale implique partir du contenu, c’est-
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à-dire de la totalité et non des parties. Il convient de préciser que la comptabilité sociale, qui
mesure la richesse sociale de l’économie dans sa totalité, est l’héritière de l’économie
socialiste. C’est uniquement après la crise économique des années 30 que le keynésianisme
l’a adapté au capitalisme. Le concept de PIB sert comme premier guide pour orienter la
politique au niveau national. Il atteint pratiquement sa formule actuelle au milieu de la
production de masse de la seconde guerre mondiale (Halstead-Cobb, 1996). Mais la
comptabilité sociale actuelle ne différencie pas les activités productives des improductives,
examinées selon leur contenu. Une nouvelle comptabilité exige de prendre en compte les
deux paramètres : contenu et forme. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra définir les dépenses
improductives impliquées dans une économie.

Le PIB est l’expression statistique de l’économie formelle et monétaire qui, afin de mesurer
la richesse d’une nation, additionne les résultats des entreprises privées, en faisant
abstraction du contenu de la richesse en soi. Il s’agit essentiellement de la mesure de l’output
net (valeur ajoutée) en tant que somme des initiatives privées, et elle assume que tout produit
ou service offert comme marchandise ou sous une modalité monétaire constitue par
définition un apport à la richesse nationale. En suivant cette approche formelle, la demande
du produit ou du service est l’unique preuve du besoin de ces derniers, et ils sont considérés
comme des marchandises ou comme une richesse en raison de sa valeur en argent, sans
prendre en compte l’éventuel vide de leur contenu. Le calcul du PIB, réalisé uniquement en
se basant sur des parties, sans prendre en compte l’apport du point de vue de la totalité,
revient à construire un bilan des revenus sans prendre en compte le facteur coût.

La comptabilité actuelle ne fait pas la différence entre coûts et bénéfices ou entre activités
productives et improductives (voire destructives), ni entre celles qui sont durables et celles
qui ne le sont pas. Elle s’assimile à une calculatrice qui n’additionne que ce qui est exprimé
monétairement, une formule qui explique comment faire de l’argent sans qu’ait
d’importance la manière de l’obtenir ou ce qui en sera fait. C’est un instrument incapable de
soustraire les coûts sociaux et naturels, car il ne voit pas les choses en fonction de leur
contenu ; il n’est donc pas capable d’orienter la vie vers le bien-être authentique ; il
fonctionne comme si tout ce qui se passe sur le marché servait à satisfaire des besoins ; par
conséquent, il promeut les besoins au lieu du bien-être humain
(Hoogendijk, 2000). Finalement il s’agit d’une calculatrice qui ignore tout ce qui se passe en
dehors du champ monétaire, sans prendre en compte l’apport réel au bien-être social ; c’est
une calculatrice de richesse monétaire à venir, sans prendre en compte la véritable richesse,
celle qui nous entoure.

L’actuelle mesure du PIB distorsionne la réalité de multiples façons. Peu nombreux sont les
auteurs qui le signalent plus ou moins systématiquement. Halstead et Cobb (1996) et
Hoogendijk (2000) sont d’heureuses exceptions à la règle. Même si les auteurs ne distinguent
pas explicitement le concept de richesse conçu à partir de l’optique de la forme et du
contenu, ils font implicitement cette différence. La formulation d’une politique économique
alternative doit se baser sur une comptabilité sociale qui intègre le point de vue de la forme
avec le contenu, et où ce dernier sera le point de départ. La forme doit se subordonner au
contenu, et non le contraire. A partir de l’approche simultanée de forme et contenu, le calcul
actuel de la création de richesse met en évidence une série d’éléments qui non seulement
rendent insoutenable le PIB en termes qualitatifs (comme une mesure du bien-être) mais
aussi en termes quantitatifs (comme une mesure de la croissance économique).
- Le PIB ne mesure pas la richesse par son contenu et par conséquent il ne considère pas la
richesse naturelle existante ; il ne prend pas non plus en compte le gaspillage et la
détérioration de l’environnement. Le comble est que le calcul actuel reprend toutes les
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activités qui servent à réparer les dégâts causés par la création de la richesse matérielle, sans
pondérer la perte de richesse naturelle préalablement causée. Le PIB accepte l’extraction de
ressources naturelles comme une création de revenu et de richesse, et non comme une perte
simultanée de richesse et de ressources. Et pour empirer le tout, il le fait même lorsqu’il
s’agit de ressources non renouvelables. Il ne prend pas non plus en compte la détérioration
de la santé chez la population comme une perte, et au contraire considère comme un revenu
et une création de richesse le rétablissement (partiel) hospitalier. Le néolibéralisme va encore
plus loin en concevant comme productif uniquement le gain avec des malades dans des
hôpitaux privés (médecine curative efficace), et en estimant improductives les dépenses dans
des hôpitaux publics pour soigner les populations à faibles revenus. La médecine préventive
est considérée encore plus improductive, prenant en compte un coût assumé par le
gouvernement qui devrait être le plus bas possible. Obtenir des gains avec des malades
constitue un profit alors qu’éviter les maladies grâce à l’investissement public ne rapporte
pas de profits et est dont pour cela considéré improductif. Il y a donc un gouffre entre la
richesse comme bien-être authentique, à partir du contenu, et la richesse vue à partir de la
rationalité du marché.

- En omettant la richesse par contenu ou la substance de sa valeur, le PIB ignore


complètement le travail dont l’argent est absent. Dans la logique reproductive de la richesse,
une part significative de l’économie se développe de par son contenu à partir de travaux non
payés : le travail au foyer et le volontariat (communautaire). En outre, le PIB comptabilise
comme revenu et création de richesse, pour considérer les choses par leur forme, tout travail
dérivant de la redistribution de la richesse existante. Considéré à partir de son contenu, un
tel travail n’ajoute absolument rien à la richesse nationale. La comptabilité actuelle du PIB
voit des revenus et des créations de richesse y compris dans des activités dont l’objectif est de
remédier à la perte de richesse nationale comme par exemple les revenus des entreprises qui
nettoient les rivières contaminées, au lieu de prévenir des désastres. Comptent aussi comme
richesse créée les revenus d’entreprises consacrées aux jeux de hasard, aux casinos et aux
Bourses. Dans l’économie formelle, la manière dont l’activité spéculative produit de la
richesse virtuelle n’est pas claire, sauf dans de fortes crises boursières. C’est uniquement en
marquant la différence entre investissements productifs et redistributifs ou improductifs, de
par leur contenu, qu’on peut définir si un investissement est productif ou pas. C’est là le
point de départ d’une économie et d’une comptabilité sociales qui œuvrent en fonction d’un
bien-être authentique.

- En ignorant l’aspect lié au contenu de la richesse, le PIB ne prend pas en compte comme
une perte le raccourcissement de la durée de vie moyenne des produits et de la technologie. À
cause de cela, suite à un effet de mode ou en raison de leur condition technique, la
(re)production et la vente d’articles (pratiquement identiques) augmente, afin de répondre à
un même besoin ou, pire encore, à des besoins créés (artificiels). Avec une approche axée sur
la forme, cet acte est perçu comme une création de nouvelle richesse ou une augmentation du
PIB. Mais avec une approche axée sur le contenu et le bien-être authentique, raccourcir la
durée de vie moyenne de la richesse produite signifie multiplier le travail nécessaire pour
satisfaire en fin de compte le même besoin ; multiplier par deux le travail requis pour
satisfaire le même bien-être. En raison de son contenu, ce produit implique le double de
travail, de ressources ; c’est une richesse gaspillée qui aurait pu être destinée à satisfaire des
besoins non satisfaits. C’est aussi valable pour la dépréciation toujours plus rapide de la
technologie.

- Le PIB per capita rejette la distribution du revenu. Non seulement il est faux que le fait
d’augmenter l’output augmente la richesse, mais il est également faux que la redistribution
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de la richesse n’a pas de rapport avec le PIB dont la concentration dans un nombre toujours
plus réduit de mains non seulement touche de manière négative le bien-être actuel des
citoyens mais également leur bien-être futur. La concentration du revenu affaiblit la
demande et ainsi la dynamique de production. Vu depuis l’approche formelle de l’économie,
il est impossible de penser à une croissance basée sur la forme à partir d’une répartition
toujours plus inégale de la richesse. De la même manière, nous savons qu’un PIB avec une
redistribution plus équitable non seulement accroit le bien-être immédiat des citoyens mais
c’est également valable pour leur futur, puisque cela active la demande globale et par
conséquent la croissance économique en elle-même. À partir de la rationalité du capital, la
croissance économique infinie est un besoin, tout autant que la demande. Mais si l’on
considère le contenu, les besoins ont des limites définies et leurs priorités sont définissables
en fonction de la vie concrète. Une comptabilité basée sur le contenu permet de concevoir
une augmentation du bien-être authentique avec une croissance qui serait négative.

- Le PIB ne rend pas en compte le coût de la dépendance de vivre aux dépens du futur. Le
principe de la solidarité ne peut se limiter au présent s’il n’existe pas d’engagement
simultané avec l’avenir. De la même manière, le PIB a augmenté au détriment des ressources
naturelles, des générations futures. La rationalité actuelle transforme la libération de
l’Humanité vis-à-vis de la nature à tel point que sa reproduction est en danger, et donc la vie
elle-même dans le futur. Une comptabilité basée sur le contenu permet de conserver la
richesse existante, tandis que la comptabilité axée sur la forme la méprise et s’entête
uniquement à faire plus de richesse uniquement pour en faire. Même lorsqu’hypothéquer le
futur permet, en principe, de produire et de consommer dans l’immédiat, les dettes
contractées devront forcément être payées un jour ou l’autre, ce qui est valable pour
l’économie monétaire et l’économie substantive. Hypothéquer l’avenir d’autres générations,
de manière substantive (agressions contre la nature) ou monétaire (dettes bancaire) ôte du
potentiel au développement d’un bien-être futur et authentique (Halstead-Cobb, 1996 : 201).

b. Economie et comptabilité sociale en fonction de la plénitude de la vie

Halstead et Cobb (1996) proposent un indicateur alterne au PIB qui analyse implicitement le
progrès économique non seulement en se basant sur la forme mais aussi sur le contenu, en
intégrant les deux concepts. Ils l’appellent Indicateur de Progrès Véritable (IPV), aussi
différent du PIB que la forme l’est du contenu. Afin de mesurer la différence, les auteurs
choisissent des aspects quantifiables qui permettent, à partir du PIB, d’arriver à l’IPV.
McMurtry (1999) conteste l’IPV de Halstead et Cobb en argumentant qu’il ne va pas
suffisamment loin et apporte d’autres éléments qui s’intègrent pour mieux arriver à un IPV
où la forme est dominée par le contenu. De cette manière, le qualitatif de la vie l’emporte sur
le quantitatif. L’expérience est déjà connue à partir de l’indice de développement humain de
l’ONU. De nouveaux points de départs pour une nouvelle comptabilité sociale en fonction du
bien-être authentique sont ici élaborés.

Détérioration des ressources naturelles. Les auteurs partent d’une économie durable qui
n’hypothèque pas le futur de nos enfants et petits-enfants, ce qui implique la non-extraction
des ressources au-delà de qui est durable à long terme. Autrement dit, la vitesse de la
reproduction matérielle de l’économie doit s’ajuster à la vitesse de la reproduction de la
nature. Pour cela, l’IPV mesurera la consommation et la détérioration des ressources
naturelles renouvelables et non renouvelables (terres humides, agricoles et minérales, y
compris le pétrole) comme coût, qui sera comparé avec les revenus obtenus à court terme qui
apparaissent dans le PIB. McMurtry (1999 : 161–62) va judicieusement plus loin. Il part de
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l’exigence selon laquelle la biodiversité se trouve au cœur d’une économie orientée vers la
régulation de la vie humaine elle-même. La reforestation de forêts utiles pour l’exploitation
sacrifie non seulement la diversité des forêts, mais aussi tout à la fois la flore et la faune qui y
résident.

Ce problème se présente pour tout type de régénération de ressources non régulées par le
principe de préservation de la biodiversité. La régulation économique non orientée en
fonction de la diversité de la vie naturelle n’est pas orientée par la richesse de son contenu,
c’est-à-dire la vie en elle-même. Dans ce sens, toute perte de vie naturelle est non seulement
une perte de richesse pour les générations d’aujourd’hui mais aussi pour les suivantes, et
cela constitue donc un coût par génération qui doit être comptabilisé avec ce poids relatif. De
cette manière, le coût des ressources non renouvelables sera infini. En choisissant ce type de
comptabilité, l’économie passe après la vie, humaine ou naturelle. Dans ce sens, il est
essentiel que la régulation économique soit orientée vers un équilibre entre la vitesse de
reproduction matérielle de l’économie et celle de la nature. Un déséquilibre entre les deux
processus reviendrait à hypothéquer l’avenir de la vie humaine.

Pollution de l’environnement. Il est incontestable que la reproduction de la vie humaine


dépend de la reproduction de la vie naturelle. De la même manière, la santé publique de
l’espèce humaine dépend de la santé de l’environnement. Selon l’Organisation mondiale de
la Santé (OMS), la mauvaise qualité de l’environnement actuel provoque 25% des problèmes
de santé (McMurtry, 1999 : 157). Il ne s’agit de prendre une décision anthropocentrique ou
non, mais de connecter les cycles de la vie naturelle avec ceux de la vie de l’espèce humaine à
travers le temps. L’IPV ôte au PIB tout coût ayant trait à la pollution de l’eau et de l’air
dans le temps, selon le caractère temporaire ou durable du dégât provoqué, dégât qui non
seulement prend en compte les effets sur les générations humaines futures mais aussi les
effets pour la nature. La consommation d’énergie non renouvelable et la détérioration de la
couche d’ozone provoquent des dommages à long terme pour l’environnement et doivent
être comptés comme coûts élevés par l’IPV et soustraits du PIB.

Durée de vie moyenne des moyens de production et des biens de consommation durable.
L’IPV mesure la richesse présente et non celle produite au cours d’une année déterminée. A
partir de cette rationalité, la prolongation de la durée de vie moyenne des produits et de la
technologie substitue une bonne part de la reproduction perpétuelle de la richesse matérielle.
En comptabilisant en une année la richesse matérielle existante, sa conservation dans le
temps augmentera l’IPV pour les années à venir. Cette tendance encouragera à son tour
l’augmentation de la qualité et de la durabilité. Ce n’est qu’à travers cette modalité qu’il est
possible d’ajuster la vitesse de reproduction de la richesse matérielle produite avec la vitesse
de reproduction de la nature. McMurtry va encore plus loin en considérant l’importance des
benchmarks de consommation qui ne se laissent pas influencer par les penchants
consuméristes. Les benchmarks doivent établir les priorités des produits dans la vie humaine
et leur coût simultané pour la nature et l’environnement. L’auteur est conscient des
difficultés pour définir de telles priorités au-delà des besoins essentiels. C’est un processus
sujet à des modifications permanentes, selon les particularités sociales des populations, selon
leur culture et leur temps (McMurtry, 1999 : 153).

Dépenses improductives. Tout au long de l’Histoire de l’Humanité, il a toujours existé des


travaux ou des dépenses improductives. Nous avons vu que le travail ou dépense
improductive se fait généralement aux dépens de la reproduction de la vie matérielle. Ce sont
des faux frais (en français dans le texte) de l’économie qui n’augmentent pas, sauf
indirectement, la reproduction d’une nouvelle richesse matérielle et spirituelle. Mais il existe
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des travaux improductifs qui accroissent indirectement un bien-être humain authentique,


comme les polices d’assurance en général et la sécurité sociale en particulier. Une assurance
contre les incendies signifie répartir la richesse perdue entre les assurés et éviter que les
dommages soit assumés socialement. La sécurité préventive est plus importante que la
réparation de la perte. La richesse présente mieux préservée requiert moins de réparation de
dommages. Le principe de la prévention d’un désastre est supérieur à celui de la réparation.
Après le principe de la prévention, nous avons celui de la solidarité. Il est solidaire de
réparer socialement les dommages causés aux citoyens, mais il est encore plus solidaire
d’éviter le désastre.
De par son contenu et vu depuis l’angle de la création annuelle de richesse, la santé curative
est un coût improductif parce qu’elle tente de réparer un dommage. Bien que la
comparaison soit vulgaire, la préservation de biens de consommation durable évite leur
réparation et elle est prioritaire. Le besoin de reproduire une richesse endommagée ou
perdue est la dernière priorité. Avec cette approche, les biens jetables obligent à augmenter
la reproduction annuelle de richesse. Avec une approche axée sur le contenu, la comptabilité
mesure la richesse présente, et la meilleure qualité de vie est quelque chose de plus que la
simple prolongation de la durée de vie moyenne. L’IPV mesure non seulement la durabilité
de la vie mais aussi et surtout sa qualité. Dans ce sens, la médecine préventive est plus
prioritaire que la curative. De même, la production d’articles de bonne qualité est plus
prioritaire, afin d’éviter leur réparation. La réparation de produits est aussi plus prioritaire
que leur reproduction pour les remplacer.

Dépense de défense. Il s’agit là d’un faux frais qui ôte de la force à la création de richesse
future. Et qui n’augmente ni directement ni indirectement le bien-être matériel de
l’Humanité, et en plus son utilisation entraine la destruction matérielle, de la vie humaine et
de la vie naturelle. L’appareil militaire, le maintien de l’ordre et la surveillance en général
existeront toujours et impliquent une dépense improductive. Il ne s’agit pas d’éliminer tous
les conflits ou tous les coûts improductifs mais de réaliser des benchmarks des dépenses
improductives en fonction de la nouvelle rationalité économique, où domine la qualité de vie,
à partir du principe de solidarité. Les dépenses improductives qui à partir de tels critères
contribuent à un bien-être authentique futur ne sont pas soustraites du PIB, alors que celles
qui ont des effets négatifs sont déduites pour obtenir l’IPV. Les dépenses qui renforcent le
principe de solidarité ne sont pas soustraites du PIB afin de calculer l’IPV, mais celles qui
l’affaiblissent le sont.

Investissements libérateurs. Lorsque le stock de capital fixe (investissement dans les moyens
de production) diminue (au Nord), et lorsque comme conséquence la production annuelle de
richesse matérielle diminue, la richesse existante peut augmenter suite à une meilleure
durabilité et à une meilleure qualité des produits finaux. Dans de telles conditions, la «
productivité authentique » du travail augmente. La régulation économique mondiale doit
fixer des règles pour augmenter cette « productivité authentique ». Plus le PIB est élevé, plus
forte est la règle consistant à substituer la productivité classique par une autre authentique.
Cela s’obtient avec la prolongation de la durée de vie moyenne des produits et de la
technologie en partant de leur qualité ; en deuxième lieu, en établissant des priorités pour ce
qui se produit à partir de « l’économie du suffisant ». Avec la hausse de la « productivité
authentique », l’IPV augmente. Sa mesure synthétique est obtenue après avoir augmenté le
temps libre. Plus de temps libre signifie un gain de bien-être authentique, et une perte une
diminution. Il s’agit d’investissements libérateurs.

Lorsque la production annuelle de nouvelle richesse diminue, la masse d’argent


annuellement en circulation perd relation avec la nouvelle richesse produite. Si l’argent
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demeure dans la nation, il perd de la valeur. Afin de maintenir son pouvoir d’achat, l’argent
doit affluer sous la forme de prêts à des nations dont la richesse matérielle requiert un
développement, c’est-à-dire où il y a des besoins et des gens qui ont des besoins. Si la
diminution de la création de nouvelle richesse garde relation avec le départ d’argent vers le
Sud, pour y générer une augmentation proportionnelle de richesse matérielle, le taux
d’intérêt peut arriver à zéro ; si l’argent n’est pas proportionnel, le taux sera négatif, et il
sera positif si proportionnellement il sort plus d’argent. Plus la quantité d’argent concentrée
dans un pays est grande, plus il est nécessaire de le transférer au Sud pour qu’il ne perde pas
de son pouvoir d’achat futur. Sinon, l’argent perd de sa valeur de manière accélérée. C’est
ainsi qu’est peu à peu menée à bien une redistribution plus égalitaire du revenu et du travail
mondial. Ce sont là des investissements libérateurs et solidaires.

Rémunération libératrice. Afin de développer de plus grands niveaux de liberté personnelle,


il est nécessaire de séparer le revenu du travail productif, compris comme travail rémunéré
sur le marché. Ce n’est que comme cela qu’existent de véritables options entre travail
rémunéré et travail non rémunéré dans le foyer ou dans la communauté, et ce n’est qu’ainsi
que les études, l’activité culturelle et les loisirs apparaissent comme des options de réalisation
de soi ; il s’agit du seul moyen d’éliminer la discrimination entre travail payé et travail non
payé, tous deux nécessaires à la reproduction de la vie concrète ; il n’y a qu’ainsi que le
domaine de la reproduction de la vie pourra passer avant la vie économique. Avec
l’introduction d’un revenu citoyen, la notion de plein emploi perd de sa signification en tant
que garant de la vie. La différence entre travail rémunéré et travail non rémunéré s’effacera.
Les droits et devoirs des citoyens ne seront plus rattachés au lien avec le marché du travail.
Il n’y aura plus de différence entre les deux catégories de travail. Droits et devoirs
découleront d’un côté des heures consacrées au travail socialement nécessaire sous une
modalité ou une autre, et du temps libre d’un autre côté. Mes droits économiques et sociaux
en tant que citoyen ne dépendent plus du lien avec le marché mais de mon lien, en tant que
citoyen, avec la société. Citoyenneté signifie des autres envers moi, et mes obligations envers
les autres en fonction de la plénitude de la vie.

La discussion de fond sur le revenu citoyen ne porte pas tellement au sujet de sa faisabilité
ou non mais plutôt sur le changement de rationalité économique qu’il suppose. Cela
n’élimine pas la discussion sur la faisabilité financière du revenu citoyen, qui dépend
évidemment de ce que l’on entend par un revenu suffisant pour acquérir produits et services
nécessaires. Ce thème est lié à la redistribution du revenu national et mondial que nous
avons abordé. Et en même temps, la discussion est liée à la distribution entre temps payé et
temps non payé. Tant que ces chaînes ne se briseront pas, le travail payé continuera à être un
facteur d’intégration sociale. Les droits économiques et sociaux, c’est-à-dire la citoyenneté,
continueront à dépendre du lien avec le marché. Le temps libre continuera subordonné à la
qualité du temps de travail payé, et non le contraire. De telles chaînes n’apportent aucune
possibilité de profiter plus de la vie et ne créent pas non plus de grandes possibilités de
développement personnel.

L’intégration généralisée des femmes dans le marché du travail, sous le keynésianisme, fait
ressortir le besoin de couvrir plus d’activités reproductives de la vie. Pendant ce temps, la
capacité de remplacement de la force de travail diminue au cours de l’ère keynésienne et
surgit alors une pression croissante pour se libérer, au moins partiellement, des chaines du
travail payé. Depuis 1948, les prestations sociales augmentent sans cesse, atteignant à la fin
du 20ème siècle une proportion significative du PIB. Parallèlement, une fraction en hausse
du revenu moyen des foyers est obtenue avec une plus grande indépendance du travail
rémunéré. Cependant, beaucoup des prestations sont des droits obtenus à partir du lien
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passé ou futur avec le marché du travail. L’octroi d’un revenu minimum, même pour ceux
qui n’ont jamais travaillé dans leur vie, est conçu de telle manière que l’encouragement au
travail payé ne disparait jamais. Rompre cette chaine perpétuelle du travail rémunéré
suppose rompre avec la logique d’accumulation pour l’accumulation, c’est-à-dire que cela
suppose une autre rationalité économique.

De la même manière, la discussion ne porte pas sur la faisabilité ou non du revenu citoyen
mais sur les changements dans l’intégration sociale. Une rationalité économique où la
logique du marché demeure subordonnée à une régulation économique en fonction du bien-
être authentique est capable de libérer l’Humanité de ces chaînes perpétuelles. Sans
changements de rationalité. Il n’y a pas de faisabilité possible. En ce qui concerne la
faisabilité financière du revenu citoyen, Passet (2000 : 274) calcule le coût d’un revenu
citoyen pour la société française. Il établit le revenu d’une personne ayant plus de 20 ans à la
moitié du revenu moyen (seuil de pauvreté). Il ne parle pas d’un idéal social ajustable mais
d’un revenu garanti que chacun est libre d’améliorer selon le niveau de ses efforts et ses
options personnelles. Le calcul de Passet sur cette dépense ne dépasse pratiquement pas les
coûts actuels de l’assurance chômage, de la caisse de retraite, des allocations familiales et de
l’indemnité de grossesse. Par conséquent, si nous calculons l’économie réalisée avec
l’abolition de la bureaucratie publique, caractéristique du paternalisme de l’état, le coût se
situerait en-dessous du budget aujourd’hui nécessaire pour ce que l’on appelle le bien-être
social.

La chaîne perpétuelle du travail payé pour les uns et la condamnation à une mort lente à
cause de la faim et des privations pour une majorité sont des circonstances inhérentes à la
rationalité existante. Des cendres de la rationalité en vigueur surgiront une nouvelle vie. Une
nouvelle rationalité économique est en vue à l’horizon. Nous nous trouvons actuellement au
plus profond de la nuit. Une obscurité qui effraie. Cependant, dans cette obscurité nous
pouvons déjà apercevoir l’aube. Il ne manque presque rien pour atteindre l’aurore où se
perçoivent les retrouvailles de l’Humanité avec l’utopie. Ce n’est pas la première fois que le
soleil se couche et que surgit un nouveau jour. L’Histoire de l’Humanité nous apprend qu’il
n’y a pas de jours ou de saisons qui se ressemblent, malgré ses cycles. Après un long hiver,
apparaissent les premiers symptômes d’un nouveau printemps. Le futur de l’Humanité
s’entrevoit à partir de la position des étoiles de l’Histoire. L’utopie de la vie n’est pas morte.
Ce qui est en train de mourir est la rationalité de la mort.


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