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La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective
historique
Wim Dierckxsens Ene.2018 Libros
Dans le présent ouvrage, l’auteur est parvenu à analyser avec un remarquable niveau de
discernement la rationalité économique qui depuis les temps les plus anciens a mené les
cultures humaines à leur apogée et à leur déclin, afin de pouvoir mieux ébaucher une
rationalité économique alternative pour l’avenir, qui offrirait une option différente non
seulement au néolibéralisme mais au capitalisme en général. Le thème central de cet ouvrage
est la rencontre, à la fin du capitalisme, du retour vers l’Histoire et de la récupération d’une
vision utopique sur le futur. C’est en ce sens que l’œuvre constitue une excellente antithèse à
celle de Fukuyama qui considère la fin du socialisme réel comme la fin de l’Histoire qui
déboucherait sur une humanité condamnée à perpétuité à vivre dans les chaines du
néolibéralisme sans autre possibilité d’utopie que le néolibéralisme en lui-même.
Wim Dierckxsens
Dans le présent ouvrage, l’auteur est parvenu à analyser avec un remarquable niveau de
discernement la rationalité économique qui depuis les temps les plus anciens a mené les
cultures humaines à leur apogée et à leur déclin, afin de pouvoir mieux ébaucher une
rationalité économique alternative pour l’avenir, qui offrirait une option différente non
seulement au néolibéralisme mais au capitalisme en général. Le thème central de cet ouvrage
est la rencontre, à la fin du capitalisme, du retour vers l’Histoire et de la récupération d’une
vision utopique sur le futur. C’est en ce sens que l’œuvre constitue une excellente antithèse à
celle de Fukuyama qui considère la fin du socialisme réel comme la fin de l’Histoire qui
déboucherait sur une humanité condamnée à perpétuité à vivre dans les chaines du
néolibéralisme sans autre possibilité d’utopie que le néolibéralisme en lui-même.
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
Dans son œuvre, Dierckxsens – lorsqu’il signale les progrès et souligne les limites du
néolibéralisme – récupère une vision axée sur l’espoir et parvient à ébaucher les premiers
traits d’une utopie. Déjà dans les années 90, il parvient à signaler d’une manière très nette
les limites d’une rationalité économique propre à la mondialisation, annonçant avant l’heure
la crise boursière et financière au niveau international, l’apparition d’un nouveau conflit
mondial visant à contrôler la répartition du marché mondial, le danger latent du
néofascisme et les premières idées liées à une rationalité économique alternative. Il est par
ailleurs quelque peu ironique de pouvoir constater les conséquences du capitalisme globalisé
telles qu’elles avaient été définies par Marx, conséquences flagrantes en 1998, alors que l’on
célèbre les 150 ans du Manifeste du Communisme et que le marxisme ne compte presque
plus de partisans.
À partir de cette étude, l’auteur s’affirme comme chercheur auprès du Forum mondial des
Alternatives et dans ce contexte participe en 1999 à « l’Autre Davos », qui débouchera par la
suite avec d’autres initiatives parallèles sur le Forum Social Mondial. Dès lors, il écrit des
textes sur la rationalité économique alternative, c’est-à-dire sur l’utopie selon laquelle un
autre monde est possible avec une vision de type macro-économique. Nous pouvons
mentionner ici le livre Du néolibéralisme au post-capitalisme édité par le DEI au Costa Rica
ainsi que La transition au post-capitalisme : le socialisme du 21ème siècle, et plusieurs
articles publiés dans la revue Le Monde Diplomatique en espagnol des éditions Desde Abajo
en Colombie.
Dans cet ouvrage cependant, Wim Dierckxsens réussit à démontrer que la transition d’une
rationalité économique à une autre au cours de l’Histoire de l’humanité contient des
éléments très révélateurs non seulement sur le dénouement de la rationalité existante mais
aussi, et tout spécialement, sur la rationalité future à laquelle nous aspirons. Afin d’avoir
une projection vers l’avenir, l’auteur parvient, avec une acuité remarquable, à définir des
expectatives en puisant dans le passé. C’est à partir de cette approche qu’il réussit à
visualiser l’utopie d’un autre monde possible, une perspective en assez grande perte de
vitesse depuis la chute du Mur de Berlin et qui a resurgi, surtout à partir de 2007, avec la
chute de Wall Street. Le livre nous présente des retrouvailles avec l’utopie à partir d’un
projet de changement de civilisation possible et nécessaire. Ce franc regard vers l’avenir fut
possible grâce à une profonde connaissance de ce qui se trouve derrière le caractère
transitoire de l’Histoire. Sans aucun doute, cette œuvre alimentera les discussions sur les
alternatives au capitalisme, discussions qui demeureront d’actualité pendant encore
longtemps en raison de la profonde crise systémique que nous vivons dans ces moments
historiques.
INTRODUCTION
suffisamment de preuves qui indiquent que le capitalisme est arrivé à un tel degré de
développement que les forces productives sociales entrent en contradiction avec les relations
sociales de production telles que nous les connaissons aujourd’hui. De telle sorte qu’en
augmentant la productivité du travail, les relations capitalistes apparaissent chaque fois plus
comme des obstacles à leur propre développement.
La thèse centrale de cette étude sur la rationalité économique est que le capitalisme revêt,
sous le prétexte du néolibéralisme, non seulement une dimension mondiale sans précédents
mais en plus qu’il entre dans une crise sans solution apparente, en démontrant que les
relations actuelles de production menacent son seulement les forces naturelles elles-mêmes
mais qu’elles empêchent également un essor plus conséquent des forces productives sociales.
En d’autres termes, la rationalité du capitalisme traverse une crise qui touche la
maximalisation du taux de profit à partir de la concurrence entre les capitaux privés ; c’est
ainsi que de cette manière, la maximalisation du taux de profit dépend du développement
des forces productives sociales plus que de toute autre chose. Les avancées technologiques
chaque fois plus rapides et le remplacement continuel de produits technologiques par
d’autres plus récents ont été le moteur de la concurrence dans toutes les phases du
capitalisme, surtout durant les cinquante dernières années.
Avec cette logique compétitive, la durée de vie moyenne des produits devient sans cesse plus
courte. Le rythme de la reproduction du capital s’accélère et a dépassé le rythme de
reproduction des forces naturelles, ce qui met en danger la reproduction de ces forces.
Parallèlement, la durée de vie moyenne de la technologie diminue à une telle vitesse que le
coût de l’innovation technologique dans le milieu productif s’accroit de manière
exponentielle. Chacune de ces innovations implique une réduction du coût du travail ; tant
que le rythme de l’augmentation du coût du travail demeurera inférieur aux économies
réalisées sur le coût du travail inhérent à la nouvelle technologie, le taux de profit sera
orienté à la hausse dans le milieu productif. Si le contraire se produit, le taux de profit
s’orientera à la baisse. La première de ces deux tendances fut dominante de l’après-guerre
jusqu’aux années soixante ; par la suite c’est la deuxième qui fut la plus prédominante.
matérielles.
La substitution chaque fois plus rapide des biens en général et de la technologie en
particulier constitue donc une menace non seulement pour la reproduction de la nature mais
aussi pour la reproduction de la rationalité capitaliste en elle-même. Continuer à produire
avec une accélération permanente de l’innovation technologique cesse d’être un facteur
compétitif positif. L’orientation à la baisse du taux de profit est provoquée par la baisse de
productivité du travail elle-même due à l’innovation technologique chaque fois plus rapide.
Conserver les biens en général, et les produits technologiques en particulier, pour plus de
temps avant de les remplacer permet généralement d’obtenir une plus grande productivité
de travail mais freine les rapports de concurrence. Face à la baisse du taux de profit, il n’y a
d’autre solution que de tenter de prolonger la durée de vie utile moyenne des biens.
Cependant avec cet investissement dans les biens, c’est la rationalité du système qui s’en
trouve perturbée. Entrer dans cette nouvelle contradiction suppose une crise pour le
capitalisme mais en aucun cas pour l’humanité. Actuellement, le capital a la possibilité de
lutter pour retarder le plus possible le changement de rationalité économique mais
cependant il ne pourra l’éviter.
Durant toute l’Histoire du capitalisme, le taux de profit oscilla. Au-delà des oscillations
conjoncturelles relativement courtes, il y eut des ondes de choc d’une plus grande amplitude
; les dernières surgirent à partir de la baisse plus ou moins prolongée du taux de profit dans
l’environnement productif, et dans le cas de telles conjonctures le grand capital fuit pour se
réfugier au sein de l’environnement redistributif. Au lieu d’investir dans la création de
nouvelles richesses avec un taux de profit inférieur, le capital investit dans la répartition des
marchés créés avec une concentration de richesse déjà existante. Les cycles improductifs
méritent tout particulièrement notre attention. Leur évolution non seulement revêt des
dimensions temporelles mais également spatiales. Historiquement tout d’abord, ces crises
ont affecté de manière récurrente certains secteurs dans un seul pays, même si elles ont par
la suite acquis un caractère international avec l’expansion du capitalisme à travers divers
secteurs économiques et plus de nations dans le monde. Avec le capitalisme les grands cycles
économiques deviennent plus aigus, plus prolongés et plus vastes dans l’espace. Actuellement
nous nous trouvons face à une crise globale qui touche le monde entier.
La période de l’impérialisme de la fin du 19ème siècle qui déboucha sur la première guerre
mondiale, la crise des années 30 et le deuxième conflit mondial fut caractérisée par un
épisode prolongé et critique de capital improductif. Depuis la fin des années 60 et le début
des années 70 du vingtième siècle, nous nous trouvons une fois de plus dans une période
dominée par le capital improductif. La répartition de la richesse et des marchés déjà
existants au cours de la période impérialiste mena à la profonde crise économique des années
30 mais également à deux conflits mondiaux. Avec le keynésianisme, on commença à
produire à nouveau de la richesse à partir de chaque nation après la seconde guerre
mondiale. On comprit alors que pour pouvoir distribuer de la richesse, il faut qu’il y ait, au
moins temporairement, une nouvelle génération de richesse dans chaque pays. C’est durant
cette période de l’après-guerre que diminuera comme jamais auparavant la durée de vie
moyenne des produits en général et de la technologie en particulier. Durant la première
phase, le taux de profit augmenta avec l’expansion de la production aux dépens de la
diminution de la durée de vie des produits. Dans un deuxième temps, le taux de profit
s’orienta à la baisse avec la diminution de la durée de vie de la technologie, à tel point que
l’innovation technologique devint un handicap concurrentiel.
profits du grand capital aux dépens d’une perte de dynamique dans le secteur productif.
L’exclusion et la perte de revenus pour les plus pauvres dans le monde constituent une
conséquence logique. La demande globale se contracte et la récession économique apparait
comme une séquelle inévitable. Alors que le marché mondial se trouve réparti entre les
grands capitaux et que la récession économique frappe parallèlement, toutes les possibilités
d’avoir du profit se tarissent. Il n’y a pas d’issue que ce soit à travers la croissance
accumulative ou la redistribution de la richesse connue. Dans un tel monde, il n’y a pas de
place pour tous ou pour n’importe quel grand capital. C’est dans un tel contexte que surgit
un nouvel impérialisme mondial. Dès lors, toute redistribution du marché implique une
confrontation croissante entre les puissances et les capitaux les plus forts. Ce conflit extra-
économique ne fait rien d’autre qu’accentuer la répartition du monde aux dépens de
l’environnement productif et des revenus d’une majorité chaque fois plus importante, et par
conséquent aux dépens de la capacité de consommation du monde entier. Cet état de fait
entrainera une accentuation de la crise mondiale qui sera alors chaque fois plus vaste et plus
profonde et à laquelle n’échappera ni le pays ou le capital triomphant. Leur unique victoire
sera d’avoir été le dernier à perdre. La guerre ne fera qu’empirer les choses. Le retour de
l’investissement productif devient alors une nécessité historique renouvelée. Sans cet
investissement, point de salut pour personne, même pas pour le capitalisme triomphant.
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
Si la nouvelle richesse produite chaque année est réduite à la moitié dans les pays du Nord,
ce qui restera désormais est l’argent en tant que capital. Pour ne pas perdre sa valeur à
l’avenir, cet argent va émigrer productivement vers les pays du Sud. L’unique moyen de ne
pas se dévaloriser pour l’argent libéré dans les pays du Nord est d’entrer en relation avec le
système productif des pays du Sud. C’est là que nait une sorte de solidarité inévitable entre
les deux pôles. Les revenus et le travail productif augmenteront dans les pays du Sud alors
qu’ils diminueront dans le Nord. Le résultat sera un équilibre rapide des revenus dans les
deux sens. La coopération internationale consistera à mettre en place l’inévitable connexion
entre l’économie de suffisance dans le Nord et l’économie du nécessaire dans le Sud. Cette
solidarité inévitable entre Nord et Sud constitue l’unique échappatoire pour le Nord afin que
le pouvoir d’achat ne s’envole en fumée. Cependant, à la longue, l’argent perdra sa fonction
de moyen d’accumulation et sera de plus en plus réduit à sa fonction originelle de moyen
d’échange de valeurs équivalentes.
Afin de pouvoir mieux imaginer à quoi pourrait ressembler le futur de l’Humanité sous une
autre rationalité économique, il est utile de nous pencher sur l’Histoire. L’Histoire de la
rationalité économique comme un tout peut nous apporter des éléments importants sur la
rationalité économique à venir. Une autre thèse classique de Marx consiste à affirmer que les
nouvelles relations de production qui prennent naissance sur les anciennes seront plus
développées que ces dernières. Ce plus grand développement des nouvelles relations de
production par rapport aux relations antérieures se traduit par une plus grande liberté de
l’espèce humaine, une liberté croissante qui se présente sur deux fronts : une libération
relative de notre espèce face aux forces naturelles et une autre, relative, face aux êtres
humains eux-mêmes et aux liens communautaires.
Marx évoque cette perspective historique dans L’idéologie allemande(1974, Cultura Popular,
Mexico) mais la développe dans son œuvre Introduction générale à la critique de l’économie
politique (1971, tome 1, Siglo XXI, Mexico) lorsqu’il se réfère aux différents modes de
production qui caractérisent dans l’abstrait l’Histoire de l’Humanité. L’auteur part de la
commune primitive, où s’impose obligatoirement le communisme en raison du manque de
développement des forces sociales productives ; il continue avec le mode de production
tributaire pour révéler la relative liberté des êtres humains de créer des relations sociales de
production à partir d’une division sociale du travail. La libération des êtres humains par
rapport aux forces naturelles, à partir de cette division sociale du travail, libère les êtres
humains de cette obligation de créer des relations allant au-delà de relations communales.
Cette liberté de l’espèce humaine face aux relations communales n’implique pas encore une
plus grande liberté des êtres humains en tant que personnes. La négation absolue de cette
liberté a plutôt été la réalité historique avec l’origine de l’esclavage. En regardant les modes
de production esclavagistes et féodaux, nous constatons que la relation d’exploitation révèle
son caractère individuel et révèle également que la croissante liberté des êtres humains en
tant qu’êtres exploités. Le prochain saut qualitatif conçu dans l’Histoire est l’utopie d’une
société libératrice.
Marx parcourt l’Histoire en abstrait pour y trouver de lois économiques qui projettent le
futur de l’Humanité au-delà du mode de production capitaliste. On devine après le
capitalisme une tendance menant à une société libératrice. Il est possible de discerner un
nouveau communisme distinct du communisme primitif par le plein essor des forces sociales
productives et parce que les êtres humains y bénéficient de la plus grande liberté possible en
tant que personnes. Le socialisme réel qui prédomina au cours de l’histoire récente apparait
comme la négation absolue de l’économie de marché. En remplaçant le marché par la
planification, la nouvelle société devient systémique et non libératrice. Même si elle se base
sur cette utopie, elle n’y correspond pas. La fin du socialisme réel signifia la fin des utopies
comme le signale Fukuyama (1995). L’utopie n’est pas morte ; ce qui a disparu en fait, c’est
l’utopie néolibérale. 150 ans après les écrits de Marx, l’utopie apparait comme une
possibilité et un besoin historiques face à la crise actuelle du néolibéralisme. Il est nécessaire,
afin de développer une plus grande capacité de projection vers la future rationalité
économique de considérer le capitalisme comme un échelon de plus dans l’Histoire de
l’Humanité ; en effet pour comprendre un futur saut qualitatif, il convient de comprendre
les sauts qualitatifs du passé. Faute de prendre de la distance vis-à-vis de l’actualité, on ne
peut imaginer ce pas vers le futur. Un regard qui va au-delà du capitalisme et de la
modernité implique comprendre la rationalité économique sans cesse changeante dans
l’Histoire.
Le processus de libération relative des êtres humains par rapport à la nature et aux êtres
humains entre eux se trouve au centre de l’analyse de l’Histoire telle qu’elle est effectué par
Marx. L’auteur perçoit la possibilité pour l’humanité de se libérer par rapport à la nature
allant au-delà d’une simple domination de cette dernière, et d’une relation sociale simultanée
entre les hommes qui dépasserait la simple exploitation. Ce communisme constituerait le
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
À partir de la libération toute relative de l’Humanité vis-à-vis des forces naturelles, il est
possible de concevoir une libération toute aussi relative des individus face à leurs liens
communautaires. Cette libération de l’être individuel n’entraîne pas nécessairement une
relation harmonieuse entre les humains. Au cours de l’Histoire c’est plutôt le contraire qui
s’est produit. L’Histoire nous montre que la relative libération des individus vis-à-vis des
forces naturelles, libère l’Humanité de son obligation de vivre en communauté et comme un
être solidaire. Cette libération donne donc naissance aux conditions objectives pour
l’exploitation d’êtres humains par d’autres. Il n’est pas non plus possible de comprendre
l’Histoire de l’Humanité à partir de ce point comme étant la substitution d’une forme
d’exploitation par une autre. Marx remarque dans l’histoire des formes d’exploitation de
l’homme par l’homme une tendance à se diriger vers une société libératrice qui affranchit
non seulement les êtres humains des relations d’exploitation mais aussi la nature d’une telle
relation de domination.
Dans le mode de production tributaire (nommé à tort mode de production asiatique), les
liens communautaires au lieu de disparaitre se réaffirment à une plus grande échelle à
travers une division sociale du travail. Ce n’est que par le biais de cette coopération
socialisée et plus vaste que l’Humanité parvient alors à contrôler les forces naturelles. À
partir de grandes œuvres productives, les liens communautaires deviennent plus complexes.
La division du travail en travail intellectuel, développé par une communauté supérieure, et
travail manuel exercé par des communautés inférieures constituent un exemple sans appel
de la domination exercée par l’Humanité sur les forces naturelles. Il n’y a pas d’espace pour
le développement de l’individualité au sein de ces relations sociales. Il n’y a même pas la
possibilité de développer des intérêts privés individuels qui s’éloigneraient des intérêts
communautaires. Cependant, avec cette division du travail entre communauté supérieure et
communautés inférieures, le Bien Commun de la société, tout comme l’unité des
communautés, n’est pas immédiatement repérable. Le Bien Commun ne provient
qu’indirectement et uniquement du résultat obtenu par cette division du travail.
de la base productive de la société prise comme un tout. La division du travail tel qu’elle
existe perd sa légitimité et cela entraîne la perte de la raison d’être de la classe supérieure.
Surgit alors un choc entre l’intérêt privatif du groupe supérieur et les intérêts de la
communauté de base. En d’autres mots, ce choc conserve encore un caractère
communautaire. L’exploitation de l’homme par l’homme ne s’affranchit pas encore des liens
communautaires. La liberté des êtres humains de se lier entre eux à l’intérieur de la société,
au-delà des liens de solidarité, a permis l’exploitation. Cependant, la forme d’exploitation ne
se libère pas encore des liens communaux.
L’histoire postérieure des formations précapitalistes révèle que la relation d’exploitation se
libère par la suite des liens communautaires. L’individualisation des relations sociales
coïncide avec l’individualisation des relations d’exploitation. Pour la réalisation de cette
étude historico- anthropologique (Dierckxsens, 1983) nous aurons recours à des auteurs
comme Anderson, Bartra, Dobb, Duby, Godelier, Hobsbawn, Huberman, Kautsky, Pirenne
et Terray entre autres. À partir de là nous définirons la rationalité économique de chaque
mode de production à travers l’Histoire afin de pouvoir accéder à de meilleures projections
pour l’avenir. Les lois économiques présentes derrière chaque mode de production nous
amènent aux tendances nécessaires sous-jacentes. L’étude comparative nous révèle des
tendances qui s’affirment dans l’Histoire de l’humanité.
à l’époque de l’esclavage, les liens sociaux d’exploitation entre les êtres humains cessent
d’avoir des attaches communales et deviennent individuels. Les intérêts antagoniques
apparaissent alors comme des intérêts de classe. La naissance de l’individualité dans la
relation maître-esclave implique l’affirmation et la négation simultanées de la liberté en tant
que personne. Il est impossible dans cette relation de concilier des intérêts qui sont
ouvertement antagoniques. On ne peut concevoir de Bien Commun dans l’esclavage.
L’intérêt de l’un consiste à nier catégoriquement celui de l’autre. Il s’agit d’une société qui
refuse toute possibilité de développement de l’individualité des exploités. L’esclave, en tant
qu’individu, est réduit au statut d’instrument de travail ; à une force productive sociale
matérielle. Sur la base d’une privation totale de liberté en tant que personne il est impossible
de concevoir une volonté subjective pour que l’esclave développe les autres forces sociales
productives. En d’autres termes, c’est la relation sociale elle-même qui limite leur
développement. La relation de production démarque ainsi ses propres limites.
L’évolution de la relation féodale, qui part de la corvée pour se transformer en rente payée
en argent via la rente en produits, révèle la liberté progressive de l’individu exploité en tant
que personne. Avec cette liberté progressive en tant que personne, la relation d’exploitation
devient alors moins explicite. Dans le rente sous forme de corvée, la séparation entre le
travail pour soi-même et celui pour l’autre est explicite. La relation d’exploitation requiert
encore certains mécanismes extra-économiques pour lier le serf aux terres du seigneur.
Autrement dit, la liberté comme personne demeure limitée. Dans le processus de rente en
produits, le serf travaille toute la terre comme si elle lui appartenait puisque le produit de
son travail semble lui appartenir en entier. Même s’il sait pertinemment qu’il doit céder une
partie du produit de son travail au seigneur. La relation subjective avec les moyens de
production est différente. La distinction entre travail pour soi et travail pour l’autre devient
alors plus abstraite.
La rente en argent s’est développée à partir de la colonisation de terres nouvelles et
lointaines. La colonisation en elle-même avait besoin d’un plus grand degré de liberté
individuelle et l’éloignement entre le serf et le seigneur rendait contre-productif le paiement
de la rente sous forme de travail. C’est avec la rente en argent que nait la division sociale du
travail parmi les serfs : certains se spécialisent dans des produits et d’autres dans des articles
différents, à partir de quoi le seigneur développe le commerce, d’où surgiront les
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
L’esclave croyait que tout travail réalisé était un travail pour l’autre. Il ne percevait même
pas son propre entretien comme un travail pour lui-même. En raison de cette
subjectivisation, il ne travaillait que sous la menace de la force extra-économique. Dans le
système capitaliste, c’est le contraire qui se produit. Le salarié a l’impression d’être payé
pour son travail et pas seulement pour le montant nécessaire qui permettra que resurgisse
cette force de travail sur le marché. Le salarié a l’impression de ne travailler que pour lui et
il ne perçoit pas où réside le travail pour l’autre. Il semblerait que les moyens de production
eux-mêmes travaillent aussi et génèrent des revenus pour leurs propriétaires, que les
machines travaillent et que leur travail ait plus de valeur que celui des ouvriers. Nous
sommes là face à de l’animisme pur ; la forme d’aliénation la plus importante depuis la
naissance de l’Histoire créée à partir d’une relation d’exploitation individuelle.
Avec le capitalisme, la société construite semble être l’opposé de la société primitive. Nous
avons l’impression que la société moderne se construit à partir de l’individualité. Dans une
économie de marché, le point de départ est l’intérêt individuel. Le résultat des liens
commerciaux est présenté comme étant la société. Les intérêts individuels semblent être le
point de départ. Apparemment la société se construirait à partir de l’individualité et non
l’inverse. Cette conception de société constitue l’antithèse du concept de société dans la
communauté primitive. La crise du capitalisme n’est pas seulement la crise d’une rationalité
économique mais c’est aussi la crise de la modernité faute de réussir à construire une société
à partir d’intérêts individuels. Le capitalisme, tout au long de son histoire, révèle une crise
permanente lorsqu’il tente de construire une société à partir d’intérêts individuels. Ces
crises périodiques de la société se manifestent notamment durant les grands cycles
économiques. Avec l’expansion du capital privé dans des secteurs et des pays chaque fois
plus nombreux, la crise s’internationalise jusqu’à devenir une crise de la société capitaliste à
niveau mondial. La construction de la société à partir d’intérêts individuels dans le cadre
d’une économie mondialisée démontrera, à partir de la crise actuelle, que je ne peux réaliser
mon intérêt individuel que si je me solidarise avec l’autre. La solidarité devient inévitable.
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
Et c’est ainsi que, comme dans le mode tributaire où la communauté supérieure définit de
manière centralisée le Bien Commun pour les communautés de base, le socialisme réel fait de
même. Le mode de production tributaire constitua la transition d’une société primitive basée
sur la solidarité nécessaire vers une société basée sur des relations individuelles
d’exploitation. Le socialisme réel représente l’abandon historique des relations individuelles
d’exploitation pour aller vers une société communautaire basée sur une nouvelle solidarité
inévitable. Dans le socialisme réel, le Bien Commun es défini d’une manière centralisée pour
tous les citoyens. La tendance de l’Histoire future sera la définition du Bien Commun avec
une vraie participation à partir d’une démocratie radicale.
La réapparition de l’utopie n’implique pas seulement un épuisement de la rationalité
économique en vigueur mais de la même manière la fin de la modernité. Dans sa phase
dégénérescente, l’accumulation capitaliste non seulement détruit les forces productives
naturelles mais en plus elle anéantit les forces productives sociales. À partir de l’époque de
redistribution des marchés existants, et jusqu’à la seconde guerre mondiale, le capital revint
inévitablement à l’environnement productif. Le taux de profit était alors en hausse en raison
du raccourcissement de la vie utile moyenne des produits en général et de la technologie en
particulier. La richesse naturelle et sociale, de par son contenu, périmait avec une vitesse
accélérée ; cependant la richesse augmentait en termes de valeur et comme capital, et par
conséquent le taux de profit. En augmentant la vitesse de la substitution technologique, c’est
son coût qui augmente avec une rapidité croissante, alors que le coût du travail ne diminue
pas dans les mêmes proportions. De là découle une baisse irréversible du taux de profit.
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
l’horizon une société dans laquelle la solidarité entre les êtres humains dépasse l’exploitation.
Une utopie viable surgit alors.
À Travers l’Histoire, le travail improductif est associé avec le déclin des civilisations, tandis
que le productif va de pair avec leur essor. Autrement dit, l’essor et la chute des élites au
pouvoir dépendent de leur propre caractère productif. Dans chaque crise d’un mode de
production, l’élite devient superflue en raison du caractère improductif qu’elle adopte
durant cette phase. Les grandes civilisations précolombiennes, tout comme la civilisation de
l’ancienne Égypte, de la Mésopotamie, de la Chine ancienne, vont toutes voir surgir et
resurgir des dynasties à la suite l’une de l’autre avec l’apparition de grandes œuvres liées au
culte et qui trouvent leur base économique dans les grandes œuvres productives qui les
précèdent. Chaque expansion des forces hydrauliques crée une ascension des forces
productives sociales et donne lieu à une nouvelle expansion « culturelle ». La dernière a
tendance à contracter la base productive. Les œuvres (re)productives réaffirment le Bien
Commun et légitiment la division du travail tandis que les œuvres liées au culte font
apparaitre un conflit d’intérêts.
Plus les œuvres liées au culte sont somptuaires, et plus elles se développent aux dépens de la
classe productive. Le conflit d’intérêts entre la communauté supérieure et les communautés
de base devient évident en cas de famine, qui fait en outre ressortir le caractère improductif
de l’élite au pouvoir. Le fait que la classe dominante reste au pouvoir met en danger la base
productive des communautés. Cependant, l’absence de classe dominante constitue également
une menace pour la préservation de la classe productive. La conséquence en est une crise
cyclique du système en place. Une crise dans un centre de pouvoir a besoin d’un pouvoir
neuf à même de restaurer les œuvres productives déjà existantes ou pour donner naissance à
d’autres œuvres.
Le régime esclavagiste ne comporte aucun mécanisme naturel pour la reproduction de la
force de travail. La reproduction des esclaves pour les maîtres ne peut être garantie que par
l’existence d’une troisième classe sociale : les citoyens libres. La servitude pour dettes dont
sont victimes historiquement les civils eux-mêmes possède sa limite objective : la menace
pour la reproduction future de la main d’œuvre esclave. Que ce soit en Grèce ou à Rome, il
fut nécessaire d’établir des limites dans le cas de la servitude pour dettes afin de préserver le
remplacement des esclaves dans le temps. La guerre permanente constitue le mécanisme par
excellence pour recruter de la main d’œuvre esclave. La demande ne peut être satisfaite que
s’il existe une offre, et sur le marché personne ne se porte volontaire pour être esclave. La
réduction en esclavage des populations conquises est l’unique modalité permettant de
maintenir une « offre ». Dans la mesure où les esclaves ne se reproduisent pas
biologiquement, la demande revêt un caractère permanent et par conséquent la guerre aussi.
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La guerre est productive aux yeux des conquérants tant que ses coûts sont largement
compensés par le butin et le recrutement forcé d’une main d’œuvre d’esclaves. À l’inverse, le
coût lié à la défense devient improductif. Pour les conquis, le panorama est totalement à
l’opposé. En fait dans la pratique, la capture d’esclaves et le butin ne sont rien d’autre
qu’une redistribution forcée de la richesse déjà existante ; il ne s’agit en aucun cas d’une
création de nouvelle richesse. La demande d’esclaves augmentera à grande échelle au fur et
à mesure que l’empire esclavagiste s’agrandira. Le coût de la guerre grimpe donc en
fonction de l’élargissement de la relation esclavagiste. Un esclavagisme à grande échelle se
nourrit de conquêtes également à grande échelle. Lorsque la durée de vie moyenne des
esclaves raccourcit suite aux mauvais traitements, le retour au champ de bataille s’accélère.
Surgit donc au milieu de tout cela le besoin d’avoir recours à une troisième classe, ceux qui
meurent à la guerre. Les citoyens se reproduisent artificiellement en intégrant parmi eux les
peuples conquis qui leur ont peu ou pas résisté. La reproduction à grande échelle de l’octroi
de la citoyenneté est vitale pour lever des impôts et recruter des guerriers qui s’avèrent
indispensables à la perpétuation de la guerre.
Les seigneurs encaissaient la rente sous la forme de produits faciles à commercialiser dans
un système en plein essor. Les serfs les plus spécialisés dans les tâches de transport
disposaient de fait d’une plus grande liberté de mouvement. Les commerçants s’installaient
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hors des gros bourgs médiévaux transformés en villes. Les serfs de la glèbe spécialisés dans
l’élaboration d’objets artisanaux pour les cours féodales acquièrent alors une plus grande
liberté en tant que personnes. Au lieu de fournir les cours avec le travail artisanal grossier de
leurs propres serfs, les seigneurs tendent à acheter les objets sur le marché, contribuant ainsi
à accentuer la division régionale du travail artisanal. Avec l’économie de marché, les
habitants des nouvelles villes obtiennent des droits économiques, sociaux et politiques. Nait
alors la bourgeoisie avec son propre gouvernement politique.
D’un autre côté, les villes ont besoin de plus en plus de produits issus de l’agriculture et de
l’élevage et une demande massive de laine mène à la mise en place de clôtures autour des
terres communales qui vont donner naissance aux grandes exploitations agricoles et
d’élevage. Les commerçants organisés en corporations sont les acteurs les plus dynamiques
de l’économie de marché à partir d’une division régionale du travail. Les corporations
d’artisans n’exercent pas de contrôle sur les marchés éloignés. Afin de ne pas être
subordonnés aux commerçants, les artisans ont tendance à être protectionnistes, et pour cela
ils régulent leur production, fixent des limites, introduisent des contrôles de qualité, etc. À
partir du protectionnisme, il devient plus difficile d’acquérir la citoyenneté. La migration
des serfs cers les villes s’en trouve bloquée, fermant ainsi les portes de la liberté. Dans cet
environnement il est possible d’accorder la liberté aux serfs en tant que personnes, une
transition qui se produit avec le passage de la rente sous forme de produits à la rente payée
en argent. Les seigneurs féodaux révoquent le droit à vie sur la terre qui dès lords est louée
au plus offrant. Avec la rente en argent, le rôle des seigneurs féodaux acquiert un caractère
nettement improductif. Les paysans s’intègrent à l’économie de marché comme acteurs
libres. Cependant, le capital commercial et usurier tend à éloigner de leur terre - c’est à dire
des moyens de production – les nouveaux producteurs libres. Avec leur liberté, les personnes
n’ont au bout du compte que leur force de travail à vendre sur le marché.
mondiale qui débouche sur une dépression économique. La croissance de quelques pays aux
dépens de tous les autres ne représente pas une solution durable. À long terme, ce « sauve
qui peut » ne sauvera même pas les triomphateurs car ils minent eux-mêmes leur
environnement économique.
Ce n’est pas la première fois que l’économie mondiale entre en récession. Depuis les débuts
du capitalisme, nous pouvons observer ces crises cycliques. Ces cycles dans les pays
industrialisés sont mois communs et plus récents dans l’Histoire du capitalisme mais ils
semblent coïncider chaque fois plus avec la mondialisation de l’économie. De cette manière,
l’ampleur et l’échelle des récessions tendent à s’accentuer. C’est à la fin du 19ème siècle que
se déclencha la première récession internationale qui toucha simultanément un tiers des pays
centraux. La récession économique de a première guerre mondiale toucha 50% de ces pays
et la Grande Dépression des années trente du vingtième siècle en frappa 75% sans compter
les pays périphériques. En se synchronisant dans l’espace et le temps, les récessions gagnent
en intensité. La récession actuelle, dans une économie mondialisée, n’épargnera
pratiquement personne et promet d’être encore plus désastreuse que jamais dans l’Histoire
du capitalisme.
Au cours de cycles économiques prolongés, les périodes de hausse se caractérisent par des
taux de profit galopants et par leur chute. Une reprise avec une phase expansive du capital
productif découle généralement d’une nouvelle révolution technologique et chaque période
de chute vient habituellement de la redistribution des revenus et du marché existants. Les
cycles économiques semblent continus. Vu de cette manière, le capitalisme se montre capable
de sortir de chaque crise grâce à de nouveaux progrès technologiques. C’est de cette manière
que se maintient l’expectative selon laquelle la technologie sauve toujours le taux de profit.
Avec cela, le capitalisme se renflouerait à la fin de chaque période de récession et seul un
facteur externe pourrait stopper la rationalité capitaliste, une conviction partagée par la
gauche traditionnelle. L’épuisement de la rationalité capitaliste n’est pas conçu comme
pouvant être une transition vers une nouvelle forme d’organisation sociale.
C’est dans cette conjoncture et avec beaucoup de souffrance que naitra, y compris chez les
plus réactionnaires, la prise de conscience de que faute d’accorder un espace au
développement des économies nationales et locales nul ne s’en sortira. Si le capital
transnational survit à une récession mondiale en tant que capital, cela dépendra de sa
capacité à se lier une fois de plus au secteur productif. Sans un allongement de la vie de la
technologie, la production ne pourra pas être rentable. En la prolongeant, la possibilité
d’accumuler disparaitra. La croissance économique diminue dans la même proportion que
l’allongement de la durée de vie utile des produits et de la technologie. Le véritable bien-être
augmentera dans un contexte d’accumulation négative du capital. De cette façon celui-ci
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CHAPITRE I
Sur le plan biologique, l’espèce humaine fait partie de la nature dans la mesure où l’être
humain est un être naturel matériel et concret, issu de processus naturels inconscients. En
tant qu’être naturel vivant, tout comme la vie sauvage, l’espèce humaine ne peut subsister
qu’en entrant en interaction avec son environnement. En tant qu’être naturel actif, tout
comme le règne animal, l’espèce humaine assure son interaction avec la nature grâce à sa
propre activité vitale. Cependant, elle possède une caractéristique générale qui la distingue
des autres espèces animales : l’être humain ne s’approprie pas directement les fruits de la
nature. L’interaction de l’être humain avec la nature consiste en une appropriation par
intermédiaire. Ce processus par intermédiaire, à double aspect, est généralement nommé
production et reproduction de la vie concrète.
L’être humain s’approprie certains fruits de la nature pour les transformer en outils de
travail qu’il utilise par la suite dans son interaction avec la nature afin de s’approprier avec
plus d’efficacité ses moyens de subsistance. Cette appropriation par intermédiaire des fruits
de la nature se nomme le travail. Les instruments de travail, et le processus conscient de
savoir ce que son développement implique, sont des forces productives créées par l’espèce
humaine. L’essor des forces productives, qui suppose savoir et conscience, est un produit de
l’espèce humaine et possède donc un certain caractère social. Ces forces productives sociales
apportent une plus grande productivité au processus d’appropriation, le travail, que lorsque
cet intermédiaire n’existe pas.
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primitive, cela me pourrait être qu’à travers l’intérêt de la communauté prise comme un
ensemble. Autrement dit, le Bien Commun est immédiatement un intérêt individuel. Il
n’existe pas encore de lieu pour séparer les deux intérêts et encore moins pour qu’il existe
une contradiction structurelle entre l’intérêt individuel et le Bien Commun. L’individu, en
tant que catégorie d’analyse, n’existe pas ou existe uniquement comme négation. En d’autres
termes, l’individu n’est a priori pas une catégorie d’analyse dans l’Histoire de l’humanité
mais plutôt son résultat spécifique.
Toute production humaine est une appropriation de l’individu au sein d’une société
déterminée et par son intermédiaire. Dans le sens le plus littéral, l’être humain est non
seulement un animal social mais également un être social qui ne peut s’individualiser comme
individu, autrement dit se libérer, que lorsqu’il vit en société (Marx, 1971 ; I : 4). Au fur et à
mesure que l’espèce humaine modifie la nature pour produire et reproduire sa vie concrète
par le biais du développement des forces sociales productives, elle se libère peu à peu des
forces naturelles. Le développement des forces productives sociales implique un processus de
libération relative de l’espèce humaine vis-à-vis des forces naturelles, processus qui génère
un autre processus de libération face aux relations sociales initiales. Au cours de ce processus
historique, l’être individuel se libère d’une manière relative de la communauté. Le Bien de la
Communauté, le Bien Commun, cesse immédiatement d’être le Bien Individuel, ou, dit d’une
manière, le Bien Individuel peut se séparer du Bien Commun. La contradiction entre intérêts
privés, et entre l’intérêt privé et le Bien Commun sont, en ce sens, un résultat historique et
non un point de départ de l’Humanité. Il ne s’agit pas là d’un résultat historique qui se fige,
c’est en plus un résultat historique transitoire qui incite à se projeter dans le futur (Marx,
1971 ; I : 3-4). Autrement dit, approfondir l’Histoire permet de voir l’avenir.
Les trois étapes – forces productives sociales, relations de production et prise de conscience
de ces dernières – peuvent et doivent entrer en contradiction (Marx, 1971 ; I : 33).
Lorsqu’elles atteignent un certain degré de développement, les forces productives sociales
entrent en contradiction avec les relations de production existantes. Au lieu d’augmenter la
productivité du travail, ces forces deviennent des obstacles (Marx, 1971 ; 183). De la mort
des relations sociales existantes, naissent et surgissent d’autres relations nouvelles et plus
développées. Plus grand est le développement des nouvelles relations par rapport aux
anciennes, et plus importante est la libération de l’espèce humaine dans les deux sens : une
plus grande liberté face aux forces naturelles et une plus grande liberté en tant que personne
au sein de la société, les deux étant relatives. Marx essaie, tant dans l’Idéologie allemande
que dans les Grundrisse de chercher un fil conducteur dans l’Histoire de l’espèce humaine
qui nous permettrait de nous aventurer dans le futur de l’Humanité. Il ne s’agit pas là d’une
méthode idéaliste, mais de la méthode d’analyse mieux connue sous le nom de matérialisme
historique.
Pour que la communauté primitive puisse continuer à exister en tant que telle selon l’ancien
système, il est nécessaire de disposer de la reproduction de conditions subjectives pré-
requises. La seule évolution de la population vers le statut de groupe, c’est-à-dire le
développement quantitatif de cette singulière force productive à l’origine des autres forces
productives sociales, supprime graduellement et obligatoirement ces conditions. La
coopération pour la cueillette exige un nombre minimum d’individus en deçà duquel le
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groupe met en jeu sa survie. Cependant la nature en elle-même se charge de tracer une limite
supérieure. Lorsqu’un groupe dépasse ce chiffre, il y a alors une surpopulation relative par
rapport aux propres forces naturelles. La force productive sociale la plus primitive s’est
tellement développée, dans le cadre de la relation sociale existante (la coopération directe),
que la productivité du travail diminue. La nature et le résultat quotidien obtenus par la
communauté ne se reproduisent pas assez vite pour permettre la reproduction du groupe.
Celui-ci n’a alors pas d’autre solution que de se scinder.
À partir de ce moment abstrait de l’Histoire, nous nous trouvons face à deux groupes ou plus
qui peuvent s’approprier d’un territoire plus vaste. La même modification dans la relation
de production, même si elle nous semble simple, permet une appropriation plus étendue de la
nature. La nouvelle communauté élargie s’approprie de ses fruits de manière séparée mais
complémentaire. Il n’y a pas de droits exclusifs sur les fruits et le territoire plus vaste
L’appropriation des fruits de la nature se fait avec plus d’intermédiarité. Les différents
groupes opèrent séparément dans des territoires différents, mais aucun ne possède des droits
exclusifs ou privatifs sur son secteur et en fait les groupes s’y déplacent sans patrons
privatifs. L’unité de distribution apparait plus vaste que l’unité de production. Ce fait est
évident à travers les échanges cérémoniaux de produits entre groupes, échanges qui
constituent une libération face aux forces naturelles. En temps de pénurie, la coopération
mutuelle sert d’amortisseur contre la disette.
L’indépendantisation relative d’un groupe face à un autre, même si elle est limitée, le rend
relativement indépendant face aux forces naturelles. Cette indépendantisation relative de
chaque groupe vis-à-vis de la nature n’est possible que si le caractère solidaire et réciproque
de la communauté, en tant qu’ensemble, est renforcé. Les nouvelles relations
communautaires devinrent plus complexes, se modifièrent même si elles ne disparurent pas
en tant que telles. Les droits réciproques sur le territoire et le produit obtenu se reflètent
dans des relations de parenté entrainant des droits réciproques. Le groupe se sous-divise en
lignées et leur union se réalise à partir d’échanges matrimoniaux et cérémoniaux. C’est à
travers la complexité croissante de ces relations de parenté que transparait leur plus grand
caractère social. Ce sont ces nouvelles relations sociales qui affranchissent le groupe en tant
que groupe des forces naturelles et de la communauté elle-même en tant que tout. Mais cela
signifie également que cette relative liberté n’est possible qu’à partir de la société considérée
dans son ensemble.
C’est à partir des liens étroits existants entre les groupes d’une communauté plus grande ou
d’une tribu que peut se mettre en place une coopération de travail plus complexe. De cette
manière, le passage de la chasse à une activité à plus grande échelle requiert et permet à la
fois une coopération plus élargie allant au-delà du groupe. Au sein de cette nouvelle relation
sociale, il est possible d’exploiter la nature d’une manière plus intégrale. Cette plus grande
maitrise de la nature permet un état semi-sédentaire de la population, une plus grande
sédentarisation qui permet à son tour un plus grand développement des outils de travail. Cet
essor des forces productives sociales permet quant à lui d’augmenter la population en termes
quantitatifs. Les groupes se séparent et la tribu s’agrandit. Avec les migrations de groupes
au-delà d’une certaine distance, la coopération intensive devient plus difficile. Les contacts
perdent leur caractère régulier et se font sporadiques.
Non seulement les groupes sont non seulement limités dans leur taille, mais c’est aussi le cas
de la tribu ce qui entraîne la formation de différentes tribus, éventuellement mais pas
obligatoirement, réunies au sein d’une confédération. La propriété collective s’arrête là où
commencent les liens tribaux. La propriété collective de la tribu devient privée face à des
tribus qui ne sont pas unies par les liens du sang. Si nous admettons d’un point de vue très
conservateur que l’Humanité existe depuis un million d’années, nous devons conclure que
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depuis 980 000 années, c’est-à-dire 98% de son existence au minimum, elle n’est pas allée au-
delà de ce stade de développement.
Le développement de la pêche ou de la chasse permet un plus grand degré de sédentarisation
à partir duquel une plus grande exploitation de la nature est possible, exploitation rendue
nécessaire en raison des possibilités limitées de cueillette des peuples sédentaires. La chasse
(activité plus masculine) permet la sédentarisation alors que la cueillette (activité féminine)
requiert une plus grande mobilité. Cependant, la même libération relative des peuples
chasseurs ou pêcheurs (avec des échanges matrimoniaux patrilocaux) vis-à-vis de la
cueillette de fruits sauvages (basée sur l’échange matrimonial matrilocal) permet une plus
grande division du travail. Le développement de la chasse et de la pêche permet la migration
de populations vers des régions plus pates pour ces activités et moins propices à la cueillette.
Cela permet également un saut qualitatif de la cueillette vers l’agriculture. Le maintien
relatif des chasseurs et des pêcheurs sur un même territoire permet non seulement la
concentration de plantes et leur culture mais aussi l’exige lorsque les plantes utilisées pour la
cueillette sont épuisées (Dierckxsens, 1983 : 32). Les semailles augmentent tout autant la
possibilité d’occuper la terre que leur exploitation là où les forces naturelles sont moins
développées. Avec l’essor des forces productives sociales, l’espèce humaine se libère de la
nature la soumettant à sa volonté.
Jusqu’à cette étape de l’Histoire, le processus de libération a été mené à bien grâce à des
relations communales dont les liens deviennent chaque fois plus complexes. Cette complexité
génère plus de liberté pour certaines communautés que pour d’autres, mais elles ne peuvent
exister qu’en faisant partie intégrante de l’ensemble. La liberté communale privée est
uniquement produite par l’appartenance à la société conçue comme l’ensemble des
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communautés. La société n’est pas la somme de toutes les communautés privées mais elle les
transcende et leur donne vie à toutes. Appartenir à une communauté plus complexe est la
condition fondamentale pour s’affranchir en tant que communauté plus petite. Il n’existe
pas encore de différence entre le Bien Commun de la société et l’intérêt individuel ; cela
continue à être directement un intérêt individuel, c’est à dire qu’il n’existe aucune possibilité
de séparation entre les deux et pas d’intérêt privé allant au-delà du Bien Commun.
La solidarité continue à être une condition indispensable pour la reproduction quotidienne
de la vie concrète. Le processus historique qui permet la libération relative de l’individu par
rapport aux liens communaux requiert un certain niveau des forces productives sociales.
C’est précisément à travers la coopération élargie et la division sociale du travail que la
société se divise en son sein. À partir de là, le Bien Commun perd de sa visibilité. Les intérêts
privés de certaines communautés peuvent entrer, et entrent, en conflit avec les intérêts
d’autres groupes comme nous allons le voir. Le processus de libération potentielle de
l’Humanité, dans lequel certaines communautés se libèrent d’autres, et la libération future
des individus des liens communautaires, passe par son contraire : le refus de la libération de
la majorité en échange de la « libération »de quelques minorités. Ce processus de libération,
construit sur le refus de la libération des majorités, marque le processus postérieur de
l’Histoire.
Plus l’appropriation des fruits de la nature par l’individu requerra de travail collectif, et
plus les conditions pour la perpétuation des relations communales de production seront
réunies, alors que diminueront les possibilités d’un essor de l’appropriation individuelle et
privative de la terre. A partir de ces conditions, les relations communautaires tendent à se
reproduire, malgré un développement croissant des forces productives sociales. Les
anciennes migrations eurent lieu à partir de terres avec des forces naturelles plus riches vers
des territoires périphériques, plus arides et moins accessibles, c’est à dire vers des terres
possédant moins de forces productives. Pour exploiter ce nouvel environnement moins
accueillant, il est nécessaire de mettre en place une coopération encore plus complexe. Au
lieu de libérer l’être humain des liens communautaires, cela les renforce.
Nous pouvons mentionner des exemples historiques qui se situent tous dans l’actuelle
périphérie de l’économie mondiale : l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine. Les grandes
cultures anciennes se trouvaient loin des pays centraux d’aujourd’hui et de leur Histoire.
C’est une Histoire non axée sur l’Europe, où la négation de l’individualité et de la modernité
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revêt de telles dimensions qu’elle est finalement rejetée par l’Occident. Nous pouvons
souligner l’incursion de peuples néolithiques (qui connaissent déjà l’agriculture) dans la
vallée du Nil, avec toutes ses calamités, ainsi qu’en Mésopotamie ; l’incursion dans la vallée
du Hoang-Ho en Chine ; celle de la vallée de Teotihuacan au Mexique et la migration vers
l’Altiplano des Andes si nous parlons des peuples précolombiens du Pérou. Toutes ces
cultures se sont développées dans des régions possédant des forces naturelles moins
abondantes, c’est-à-dire des régions périphériques, plus difficiles d’accès et plus dures à
mettre en valeur avec l’agriculture. Pour compenser ce moindre développement des forces
productives naturelles, une coopération élargie se développa afin de créer de grandes œuvres
collectives (digues, terrasses, canaux et autres œuvres hydrauliques).
Dans ces conditions, le besoin objectif d’une coopération, au lieu de diminuer, se fait sentir
de façon encore plus aigüe. Cependant, plus le degré de coopération et de développement
simultané des forces sociales deviennent élevé, et moins la division naturelle du travail
s’avère durable. Les obstacles propres à la nature en elle-même rendent nécessaire une
division sociale du travail entre travail manuel d’un côté et intellectuel et de direction d’un
autre côté. Cette division naturelle du travail existe déjà au sein des sociétés communautaires
tribales, avec des excédents plus ou moins permanents, sous la forme du conseil des anciens.
Dans une société ne produisant pas d’excédents de cueillette, les anciens n’avaient pas la
même fonction productive. La connaissance accumulée était encore très limitée. Dans des
sociétés primitives excédentaires, le savoir concernant l’activité productive et de très
complexes relations sociales est concentré par les anciens, gardiens de ce savoir accumulé.
Au lieu d’apparaître comme une population relativement inutile, les anciens deviennent
incontournables.
La communauté supérieure, qui conçoit et dirige le mise en œuvre des travaux collectifs,
prête un service qui permet - en le combinant avec le travail manuel et collectif des
communautés – d’élever les forces productives de la société comme un tout. De manière
coordonnée, les deux travaux s’enchainent pour former un produit final qui augmente la
productivité du travail de la société. Les deux travaux sont non seulement nécessaires mais
tout autant productifs.
Cette division sociale du travail modifie donc les relations de production et les rend sociales.
L’ancienne direction naturelle sous la forme du conseil des anciens est remplacée par une
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
direction nettement sociale, et les liens de solidarité directe entre les communautés, basée sur
des liens de parenté, sont remplacés par d’autres, axées sur les tributs des communautés de
base pour celles qui leur sont supérieures. La communauté supérieure détermine ce que doit
produire chaque groupe, pour verser un tribut, ainsi que la quantité de travail apportée en
guise de tribut par chaque communauté pour la réalisation des grands travaux.
Les liens sociaux horizontaux entre communautés sont remplacés par d’autres, verticaux,
qui régissent les rapports entre les groupes de base et la communauté supérieure, qui exerce
de facto une domination sur les moyens de production les plus importants, les œuvres
collectives, et qui décide quels produits chaque communauté doit apporter, définissant de
cette manière les besoins de tribut en travail. Cette communauté supérieure devient
finalement la propriétaire des œuvres communales et décide du travail et du produit de
chaque communauté. Elle s’approprie, de fait, de l’excédent économique produit par les
communautés de base. Cette appropriation n’implique pas dans un premier temps une
contradiction avec le Bien Commun, mais cela crée les bases pour une telle contradiction. À
partir de la division sociale du travail, le Bien Commun cesse d’être le résultat direct ou
immédiat du travail et ne peut que découler de son résultat final. La légitimité de la division
sociale du travail dépend de ce résultat final.
Au début, l’excédent est essentiellement investi dans des œuvres productives collectives. Le
résultat de leur achèvement est une productivité du travail plus importante pour la nouvelle
société en tant qu’ensemble. C’est alors que le Bien Commun de la société s’affirme et le
travail de la communauté supérieure trouve une légitimité. Autrement dit, avec la division
sociale du travail, la légitimité des relations sociales existantes devient plus indirecte. Une
fois les œuvres collectives achevées et ne restant plus que des œuvres d’entretien limitées, le
travail de la communauté supérieure devient relativement superflu en termes objectifs. Le
même tribut sous forme de travail ou autre n’est plus nécessaire pour le simple entretien des
œuvres collectives achevées. S’il ne s’agit que de la maintenance des œuvres, une part
importante de la communauté supérieure serait alors superflue, objectivement parlant. Une
réduction de ce groupe réaffirmerait la légitimité de sa présence.
la prêtrise avec des fonctions spécialisées dans l’intervention face aux forces naturelles, à une
époque où la libération de l’être humain vis-à-vis des forces naturelles était très fragile. Les
forces naturelles dominaient les conditions de reproduction de la société productive, et la
nature ne pouvait apparaitre dans la conscience humaine que comme un être supérieur non
contrôlable par l’être humain. Dans de telles circonstances, la nature se subjectivise et l’être
humain s’objectivise dans le cadre d’une conception fétichiste qui provient du manque de
libération de l’Homme par rapport aux forces naturelles.
d’emprise de l’être humain sur les forces naturelles (dans les communautés de base) mais
c’est objectivement la conséquence de la monopolisation du savoir sur ces forces naturelles
(par la communauté supérieure), à partir de la division sociale du travail dans les travaux
collectifs.
Avec le temps, les travaux liés au culte revêtent une expression chaque fois plus ostentatrice
aux dépens des œuvres collectives. Le tribut en produit se diversifie. Chaque communauté se
spécialise en un ou plusieurs produits dont elle doit s’acquitter comme tribut. À partir de là,
une division du travail artisanal plus spécialisé se développe dans la communauté
supérieure. C’est alors l’essor de la ville-état, à partir de laquelle augmentent les forces
productives sociales, même si ce n’est pas le cas dans les communautés de base. La seule
force productive sociale à se développer au-delà des travaux collectifs est la population en
elle-même. Si les œuvres productives n’augmentent pas ou, pire encore, si leur conservation
est négligée, avec le temps se produira une surpopulation. Une détérioration des travaux
collectifs, au milieu d’œuvres de culte toujours plus ostentatrices provoque des inondations,
la disette, des épidémies, etc.
D’un point de vue objectif, les œuvres liées au culte ne sont pas reliées à l’économie en tant
que telle ; elle n’augmente pas la production directement, ni même indirectement. Au lieu de
croître, la productivité du travail, en considérant l’économie dans son ensemble, diminue. De
par leur contenu, il s’agit d’œuvres improductives car elles ne contribuent pas au Bien
Commun de la société ; au contraire leur caractère improductif devient visible avec le temps.
Les œuvres n’ont pas de légitimité, et de cette manière le pouvoir central perd lui aussi de la
légitimité. Ce n’est qu’une question de temps pour que sautent aux yeux la contradiction des
intérêts sociaux.
Un conflit latent d’intérêts entre la communauté supérieure et les inférieures devient
perceptible et il ne s’agit plus d’un phénomène isolé au-delà des frontières tribales mais bien
d’un conflit surgissant au sein de la société. Lorsque le Mal Commun des communautés
inférieures se révèle au milieu du luxe de la communauté supérieure, le choc d’intérêts
apparait et la légitimité de la communauté supérieure est alors remise en question, une crise
de légitimité qui devient explicite lorsque se produisent inondations ou famines dont sont
victimes les communautés de base. La communauté supérieure s’avère impuissante face à la
surpopulation ; le recours aux dieux avec des sacrifices humains dans les temples est une
issue de secours classique face à une surpopulation relative. Cependant, si ne démarre pas
une reprise des travaux collectifs, la crise de légitimité dégénèrera tôt ou tard en révoltes
avec une invasion de la cité-état où réside la communauté supérieure. La destruction et
l’incendie des temples accompagnés de la liquidation de la classe supérieure sont des
phénomènes communs de l’Etat théocratique.
Les œuvres de défense ne sont pas productives, tout du moins pas directement, dans la
mesure où elles ne sont pas liées à l’économie de base. Des œuvres défensives comme la
Grande Muraille créent un produit qui n’augmente pas directement la productivité du
travail de l’économie en tant que telle. Il s’agit d’œuvres improductives de par leur contenu
car elles n’augmentent pas les forces productives sociales de la société. Leur construction
implique un sacrifice de richesse pour une finalité économique stérile, et c’est la raison pour
laquelle cela tend à générer une crise économique si elles accaparent de grandes proportions
de la production sociale. Les œuvres défensives collectives génèrent un produit matériel
stérile pour le processus de reproduction à grande échelle de l’économie et elles peuvent
même mener à une reproduction limitée, c’est-à-dire contracter la richesse future. Ce cas
peut être d’ailleurs illustré par la construction de la Grande Muraille de Chine qui eut lieu
pendant une longue période de temps avec des cycles périodiques de crise. Le résultat final
amène indirectement des conditions objectives pour la reproduction dans de meilleures
conditions de la société chinoise préservée des invasions extérieures. Indirectement, les
œuvres défensives augmentent le développement des forces productives sociales de la société
chinoise mais pas nécessairement celles des sociétés environnantes. Sa légitimation par
conséquent a lieu au sein de la société chinoise mais pas à l’extérieur.
Une fois achevées les œuvres défensives et productives, les travaux liés au culte atteignent un
niveau jamais vu dans les états théocratiques antérieurs. Les crises cycliques de
surpopulation existent également dans ces sociétés, accompagnées de crise de légitimité. Le
développement inégal des œuvres défensives dans certaines cités-états plus avancées permet
la conquête et l’imposition de tribut à de nouvelles cités-états soumises. La conquête et
l’augmentation du tribut apporte une solution au problème de la surpopulation. La
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répression militaire et les sacrifices humains de prisonniers de guerre et d’une partie des
cours des cités-états qui résistent constituent un facteur d’amortissement. Le développement
limité des forces productives ne permet néanmoins pas une occupation permanente dont le
coût serait excessif. L’empire se dessine à travers une pyramide de cités-états. Les plus
faibles paient tribut aux cités-états qui leur sont supérieures, et ces dernières font de même,
successivement.
Plus les cités-états sont éloignées du centre du pouvoir impérial et moins leurs économies de
base reçoivent de bénéfices sous forme d’œuvres productives. Elles sont par contre plus
exposées aux menaces d’envahisseurs extérieurs, et par conséquent le tribut qu’elles versent
apparait plus improductif et avec toutes les caractéristiques d’un simple impôt entrainant
une perte de légitimité du système dominant. Face à cette crise de légitimité, il est plus facile
que se brise la chaine des tributs à la périphérie lorsque la communauté supérieure
impériale traverse une crise. Avec l’augmentation de la distance, ses tentacules
s’affaiblissent, ce qui signifie que la reproduction limitée du système impérial favorise la
rébellion en périphérie. La perte de légitimité du pouvoir impérial devient ainsi plus
évidente en périphérie où se nouent généralement des alliances entre les cités-états
inférieures et des peuples vivant hors du contrôle impérial. L’Histoire ancienne montre que
les cités-états inférieures et périphériques se superposent généralement à la cité-état
impériale en décadence. Un nouveau centre impérial surgit alors dans un autre endroit
relativement éloigné et de cette manière se reproduit l’Histoire à travers les siècles : il s’agit
de l’Histoire du mode de production tributaire, erronément appelé « mode de production
asiatique ».
Chapitre II
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la négation absolue de cette liberté pour la classe opprimée puisqu’on lui ôte sa condition
humaine. La transition de l’affirmation et la négation simultanée de l’individu en société à
partir d’un conflit ouvert d’intérêts de classe sans aucune médiation possible avec le Bien
Commun prend naissance à partir des relations esclavagistes.
Le développement de la relation esclavagiste de travail, comme relation de production
dominante ne doit pas être cherchée au centre du mode de production asiatique, où d’une
manière plus ou moins permanente est requis un haut degré de coopération communautaire
durant le processus du travail. Pour les historiens occidentaux, le tribut collectif peut passer
pour une relation esclavagiste. Son essence est toute autre : l’individualité est assujettie à la
communauté, qu’elle soit supérieure ou de base. Tant que la coopération élargie persiste
comme condition objective du travail, les relations communautaires ne se désintègrent dans
aucune communauté. La périphérie de ce qu’on appelle « mode de production asiatique » est
caractérisée, en termes analytiques, par un environnement où le processus du travail en lui-
même requiert un degré de coopération moins important. Cette situation ne se présente pas
uniquement là où fonctionna le « mode de production tributaire ». C’est une conception
erronée que de penser que chaque société concrète traverse un processus historique
déterminé. Ce que nous voulons affirmer, c’est qu’au cours de l’Histoire de l’Humanité prise
comme un tout, le mode de production esclavagiste prit naissance dans la périphérie du «
mode de production tributaire » et après lui.
Dans la société où nait la relation esclavagiste, les relations communautaires tendent à être
substituées auparavant par d’autres, nettement sociales de production. Marx nomme « mode
de production antique » cette phase de production antique durant laquelle les relations de
parenté en tant que relations naturelles de travail se désintègrent. La libération de ces
relations constitue une libération de l’être humain vis-à-vis de sa propre nature : il cesse
d’être un être grégaire. Ce dépassement historique ne signifie pas l’ouverture d’une voie
directe vers la naissance d’une société en meilleure harmonie avec le Bien Commun. C’est
plutôt le contraire qui devient possible : la libération de l’espèce humaine de ses liens
communaux permet la confrontation ouverte d’intérêts individuels la plus forte dans
l’Histoire de l´Humanité. La naissance historique de l’individu affranchi des relations
communales implique à la fois l’affirmation et la négation de l’être humain en tant que
personne au sein d’une relation esclavagiste.
Pour que surgisse la relation esclavagiste proprement dite, il est nécessaire qu’apparaisse
l’appropriation privative et individuelle de la terre, à partir de laquelle nait historiquement
l’appropriation individuelle sur d’autres êtres humains. La désintégration des relations
communautaires dans le processus de travail ou l’appropriation de la nature est le pré-
requis pour l’apparition de la propriété privée et individuelle sur la terre. La Grèce antique
vit le jour dans la sphère d’influence de l’Egypte, de la Perse et de la Crète, des cultures où
régnait le mode de production asiatique. Vers l’an 1100 avant notre ère, les Doriens, peuple
nomade d’éleveurs originaires de la péninsule balkanique, se déplacent vers la Grèce
centrale et par la suite vers le sud (Messénie) où ils se heurtent à un peuple d’agriculteurs
(les ilotes). Les Spartes (Doriens) étant une communauté de guerriers, de nomades et
d’éleveurs, tout comme les huns ou les mongols en Chine, soumettaient les peuples
agriculteurs. Ils imposaient un tribut collectif aux agriculteurs vaincus sans détruire les
relations communautaires. Il s’agit de la même servitude collective d’une communauté
envers une autre que celle que nous avons déjà étudiée dans le mode de production asiatique.
Nous ne pouvons pas encore parler de relations esclavagistes dans la mesure où il y a
soumission et exploitation de quelques communautés qui versent un tribut sous forme de
produit et de travail. La relation communautaire ne disparait ni chez les exploiteurs ni chez
les exploités.
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Certaines régions de Grèce, notamment l’Attique qui est naturellement isolée et un grand
nombre d’îles de la mer Egée, occupées par les Ioniens depuis l’an 2000 avant notre ère, ne
furent pas victimes de l’invasion des Doriens grâce à des « œuvres défensives » naturelles.
Pour l’occupation, l’exploitation et la défense de ces territoires nul besoin d’une grande
muraille, comme ce fut le cas pour la Chine pour se protéger des Huns et des Mongols.
Grâce aux forces défensives naturelles, les œuvres sociales de défense sont moins importantes
et de moindre envergure, ce qui permet la sédentarisation de la population et le
développement de l’agriculture. Dès le début, l’activité dominante liée aux pâtures est peu à
peu remplacée par l’agriculture, déjà connue par leurs ancêtres. L’ajout des animaux
domestiqués et l’utilisation de la charrue dans l’agriculture font que l’exploitation
quotidienne de la terre requiert de moins en moins la coopération supplémentaire d’une
famille.
Cette division sociale du travail entre champ et citadelle requiert un tribut sous forme de
travail et de produit versé par les propriétaires individuels. La communauté apparait ici
comme unie à travers le concept de citoyenneté. Ils sont des citoyens non parce qu’ils vivent
au sein de la ville mais à cause de leur union avec cette dernière en tant que leur Etat,
s’agissant d’une relation réciproque entre propriétaires égaux et libres (leur lien avec
l’intérieur) et en même temps de leur garantie face à l’extérieur. Le Bien Commun des
propriétaires individuels à la campagne est garanti par l’Etat sans lequel n’existeraient pas
les conditions objectives pour que les propriétaires individuels se reproduisent, c’est à dire
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leur citoyenneté. C’est l’époque de la démocratie militaire : militaire parce que la défense
représente une part essentielle de la vie des citoyens, et démocratie parce que l’assemblée
populaire constitue l’organe de pouvoir de dernière instance.
Dans ce « mode de production antique », la reproduction simple des paysans en tant que
propriétaires privés est basée sur la communauté de guerriers, des hommes adultes capables
de prendre les armes, transformés en citoyens avec le droit de participer à la vie publique.
Les relations familiales ont tendance à être remplacées par des relations sociales entre
citoyens. Les terres et la citoyenneté sont héréditaires pour les membres masculins du groupe
et de cette façon le patriarcat remplace peu à peu le matriarcat. La seule croissance de la
population, l’augmentation de cette force productive de manière quantitative, épuisent les
relations de productions existantes. La croissance de la population conduit à la reproduction
limitée de l’économie paysanne suite au fractionnement des parcelles des propriétaires
individuelles. La pression sur la terre qui s’ensuit débouche sur un mouvement social qui
oblige le commandant militaire à faire un choix : permettre que la population occupe les
terres publiques ou coloniser de nouvelles terres.
Dans la communauté citoyenne, on commence à distinguer une aristocratie qui contrôle non
seulement la terre communale mais également la terre collective, conquise ainsi que les
esclaves. La production esclavagiste sur les terres communales est dirigée par les patriciens
et les conseillers militaires qui reçoivent le contrôle individualisé sur de nouvelles terres
communales et les esclaves s’y trouvant. Le produit résultant de cette forme d’exploitation
est destiné à l’entretien de la classe gouvernante, et le contrôle individuel de facto sur le
produit se transforme au fil du temps en appropriation individuelle de plein droit et il en est
de même concernant les terres et les esclaves. Cette appropriation privative des terres
communales et des esclaves par les patriciens transforme ces derniers en une classe
d’esclavagistes qui affronte de mani`1dre antagonique et ouverte une nouvelle classe
d’esclaves.
Les esclaves appartiennent à leur maître, tout comme les outils de travail. Légalement,
l’esclave est un instrument doué de parole, ce qui le place juste au-dessus du bétail considéré
comme instrument semi-parlant et deux échelons au-dessus du matériel agricole,
instruments muets ; ils sont achetés et vendus sur les marchés comme toute autre
marchandise. Il s’agit de la naissance de l’exploitation d’un individu par un autre, à partir
de relations découlant de la division nettement sociale du travail et non plus sur la base de
relations communautaires ; nous avons là pour une minorité la libération historique de
l’individu vis-à-vis des relations communales, au prix de la négation absolue de la liberté en
tant que personne pour une grande majorité. L’esclavage représente l’apparition de
l’individualité basée sur la négation de la condition humaine la plus radicale jamais vue dans
l’Histoire. Lorsqu’ils perdent leur condition d’êtres humains pour devenir des outils inertes
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de production, privés de tout droit économique et social, les esclaves sont exclus de la société
bien qu’ils fassent partie de son appareil productif. Les formes d’exploitation postérieures à
l’esclavage révèlent juste la lente récupération de la liberté en tant que personne, et c’est
dans ce sens que Marx les considère comme supérieures.
En Grèce, les relations esclavagistes se développent sur la base de multitude de petites cités-
états dispersées qui ne se disputent que l’hégémonie. Les avantages relatifs offerts par les
défenses naturelles favorisent l’émergence de multiples citadelles grecques, relativement
isolées les unes des autres, et qui par la suite se heurtent entre elles lors de leurs phases
d’expansion. Les conditions de départ ne permettent pas que surgisse en Grèce un empire
esclavagiste tel que celui que nous connaissons à Rome, où les Apennins, de par leur
accessibilité, constituent un faible rempart naturel, ce qui empêche l’isolement des citadelles
protégées par la nature. Dès le début, les cités-états italiques se voient contraintes à forger
des alliances qui permettent la défense du territoire commun face aux peuples envahisseurs.
Un système fédératif se met en place à partir de cette stratégie de défense entre le 6ème et le
4ème siècle avant notre ère. Rome devient ainsi la cité-état hégémonique de la ligue de cités,
avec une unification politique et économique de l’Italie centrale et méridionale. Les citoyens
des différentes cités-états acquièrent la citoyenneté « romaine ». De plus, les cités-états qui
contestèrent l’hégémonie de Rome, comme Véies (Étrurie) furent détruites (396 avant notre
ère) et leur population réduite en esclavage.
L’esclavage, basé sur la propriété privée des moyens de production et des esclaves, rend
possible la division du travail et la production à grande échelle. Le produit du travail de
l’esclave est redistribué par le biais du commerce, un fait qui permet de développer
progressivement la division du travail social. L’essor de la force productive sociale dans le
système de production esclavagiste est surtout caractérisé par la spécialisation, c’est à dire la
division du travail basée sur le commerce agricole, et dans une moindre mesure entre
agriculture et industrie. Les relations esclavagistes de production mettent un terme au
développement des forces de production matérielles. L’absence absolue de liberté en tant que
personne fait que l’esclave n’est absolument pas motivé pour travailler ; il ne le fait que sous
la menace et à cause de l’utilisation de la force brutale. Son travail est absolu et ouvertement
aliéné. S’agissant d’un instrument intentionnel, la technique est incompatible avec le travail
forcé. Les esclaves abiment et détruisent les outils de travail. Pour la même raison, leur
emploi en dehors de l’agriculture et de la mine est très rare. L’utilisation d’outils
rudimentaires, lourds et peu développés sont la conséquence des relations de production. En
d’autres mots, les relations esclavagistes imposent des limites au développement des forces
productives matérielles.
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L’esclavage pour dettes montre cependant très rapidement ses limites : il n’est pas freiné par
les rebellions populaires, qui existent en Grèce mais pas à Rome qui dispose de plus de
territoire. L’esclavage pour dettes trouve sa limite objective dans le fait qu’il met en péril la
reproduction à grande échelle de la relation esclavagiste à court terme. La population civile
diminuant à cause de l’esclavagisme, la population capable de combattre et nécessaire pour
la conquête et la colonisation de nouvelles terres diminue également. Le besoin objectif des
paysans-soldats, comme troisième classe sociale, est particulièrement visible lors de menaces
externes. La menace perse sur les colonies grecques d’Asie mineure et celle de Sparte sur
Athènes mettent en évidence le besoin immédiat de cette troisième classe ; la menace Samnite
sur Rome aura les mêmes conséquences.
L’abolition de l’esclavage pour dettes et l’imposition de taux d’intérêts maximum avec les
réformes de Solon et par la suite de Clisthène à Athènes au 6ème siècle, les politiques
réformistes à Rome (4ème siècle) ont lieu alors que des menaces extérieures planent sur ces
villes. C’est à partir de là que nait la démocratie esclavagiste en Grèce qui consolide la
troisième classe avec les pleins droits de citoyens sur les terres. À Rome par contre, les
patriciens ne perdent pas le pouvoir sur l’ager publicus. Cette démocratie esclavagiste ne
parvient pas à s’y installer, les tentatives de réforme ayant échouées et la contradiction
interne entre patriciens et plébéiens se résout par la naissance de l’empire basé sur la guerre
permanente et la conquête de nouvelles terres et d’esclaves. Il n’y aucune coïncidence
d’intérêts entre patriciens et citoyens, ou d’espace pour que fonctionne alors une démocratie
esclavagiste. La citoyenneté romaine n’arrive pas à la hauteur des droits économiques et
sociaux de Grèce.
doivent être capturés. Pour garantir cette offre de manière permanente et massive il n’y a
d’autre solution que la guerre institutionnalisée.
Avec les guerres incessantes, le flux d’esclaves est permanent et abondant. Les prix des
esclaves baissent de manière substantielle et par conséquent le coût de leur remplacement
aussi. Le résultat est une augmentation de la brutalité dans l’exploitation de l’homme, à un
niveau sans précédent dans l’Histoire de l’Humanité. Durant cette période, la vie utile
moyenne d’un esclave diminue drastiquement. Face à une mort certaine, les fuites
s’intensifient ainsi que les révoltes qui deviennent plus fréquentes et moins locales. Les plus
fortes confrontations de classe se produisent juste dans la période où l’esclavage est à son
apogée, et non à la fin de la période esclavagiste. Un nombre non négligeable de révoltes
s’achève par des succès. Mais l’utopie esclave est de revenir aux anciennes relations de
paysans libres dans un cadre local. Ce dernier permet leur liquidation sans aucune pitié. Les
crucifixions massives en sont le meilleur exemple. La révolte historique la plus importante
fut celle de Spartacus entre les années 73 et 71, qui réussit à former une armée de plus de 120
000 hommes et qui au lieu de poursuivre sa progression sur Rome se retire en Sicile. Là, les
troupes romaines les massacrent, et les survivants iront mourir comme gladiateurs,
combattant entre eux dans les cirques romains.
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L’empire se développe sans Etat unifié. Les faibles ressources humaines de la cité-état
dominante constituent une limite déterminante à l’expansion de l’empire. Au fur et à mesure
de son expansion, sa faiblesse interne devient plus évidente. L’empire athénien s’écroule
durant la guerre intestine du Péloponnèse et Rome s’impose aux Grecs.
C’est dans cette conjoncture qu’apparait la pax romana sous le règne d’Auguste. Le coût
improductif de l’armée permanente sans l’empire est évident. Cette paix épuise les
possibilités de reproduction artificielle des esclaves et démontre son caractère improductif ;
non seulement elle améliore de manière substantielle les conditions de vie des esclaves mais
en plus se développe leur reproduction naturelle. La reproduction naturelle des esclaves
s’avère être la seule option mais suppose et exige une plus grande liberté de la personne.
L’émancipation des esclaves comme « affranchis » dans les villes ou « colons » à la campagne
équivaut à un saut qualitatif dans l’Histoire de l’Humanité vers cette liberté personnelle plus
importante, qui découle de l’épuisement de la relation de production existante, et il ne s’agit
pas tellement d’une conquête subjective de la classe subordonnée. Les propriétaires ne se
préoccupent plus de l’entretien direct des esclaves. Pour permettre la reproduction de la
main d’œuvre servile, de petites parcelles de terre sont données en location ; et les colons
attachés à la terre travaillent certains jours sur les terres du seigneur en guise de tribut.
Cette nouvelle relation de production, la servitude, permet un plus grand degré de liberté
personnelle ; pas le libre déplacement de la personne, mais la reproduction biologique et
matérielle sur la base d el’accès à la terre. La nouvelle relation de production crée une plus
grande liberté pour la personne et a besoin, pour la même raison, un moindre degré de
coercition extra-économique pour que les serfs génèrent un travail supplémentaire pour le
seigneur. La servitude ne libère pas encore l’être humaindu travail forcé ou de la terre. Les
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Dans le centre de l’Italie par contre, la relation commerciale et esclavagiste continue encore
longtemps. Les esclaves cessent d’être des marchandises conventionnelles lorsque Valentin I,
dernier empereur d’Occident, interdit formellement leur vente séparée des terres sur
lesquelles ils travaillent. L’arrêt de la relation esclavagiste implique une chute des relations
comerciales qui entraine la disparition des grandes propriétés foncières, producteurs pour le
marché. Les monastères, qui apparaissent partout aux 3ème et 4ème siècles, acquierent
beaucoup de terres abandonnées et remplacent le travail des esclaves par celui de leurs
propres membres, avec un concept d’autosuffisance ; par la suite ils incorporent également
des serfs. C’est alors que surgit peu à peu une bureaucratie congrégationnelle, dirigée par de
nouveaux fonctionnaires : les évêques, réunis en synodes, qui unissent des communautés
chrétiennes jusqu’alors isolées pour en faire une organisation centralisatrice que Constantin
essaiera d’intégrer à la bureaucratie impériale à la fin de l’empire.
La crise commerciale signifie par ailleurs la désintégration économique du régime
esclavagiste. Avec la perte de la production esclavagiste, l’économie de marché se contracte.
La spécialisation agricole et le grand commerce qui en découle perdent du terrain. Chaque
région s’oriente vers l’autosuffisance, et l’économie devient alors plus locale et décentralisée.
C’est ainsi que, subitement, l’empire se désintègre en tant qu’unité économique, devant ainsi
une dépense improductive dès lors que la guerre cesse d’être le moteur de l’économie. Sans
esclaves, les dépenses liées à la défense perdent tout raison d’être économique. L’armée
diminue peu à peu et le contrôle sur l’empire s’affaiblit depuis la périphérie, où les grands
seigneurs s’affranchissent chaque jour un peu plus de la tutelle de Rome, qui cesse alors de
recevoir les tributs. L’effondrement de l’empire romain est proche.
L’invasion de l’Italie par les germains n’est pas une conquête économique réalisée par ses
dirigeants dans le but d’accumuler des richesses, comme l’affirment de nombreux historiens.
Ce qui se passe est beaucoup plus simple : des populations qui vivent dans un statut
économique inférieur se lancent à l’attaque, de la même façon qu’elles avaient auparavant
conquis de nouvelles terres cultivables et des pâturages. Les premiers temps amènent
différentes vagues migratoires. Les besoins objectifs de demeurer sous la « protection » d’un
seigneur sont toujours d’actualité. Parallèlement aux monastères, des fortifications rurales
s’érigent partout. Les grands seigneurs accordent des terres à des seigneurs moins puissants,
et ces derniers rendent des services militaires au titre de compensations. C’est ainsi que
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
prend naissance une pyramide de positions sociales seigneuriales avec au sommet la figure
du roi qui se distingue comme étant le seigneur suprême d’un territoire plus ou moins
étendu.
Chapitre III
Les relations de production en elles-mêmes constituent une force productive sociale, à partir
de laquelle se définissent les limites du développement possible de toutes les autres forces
productives sociales : le développement quantitatif de la population et celui des forces
productives matérielles. Les relations féodales de production apparaissent en même temps
que l’esclavage, un retour en arrière dans l’Histoire comme le signalent de nombreux
historiens occidentaux qui l’affirment avec force, à partir d’une économie de marché
développé qui n’existe pas dans les premiers siècles du féodalisme, ce qui contraste avec
l’esclavage. Ils ne perçoivent pas le potentiel du développement des relations commerciales
en elles-mêmes et le développement potentiel des forces productives à partir des nouvelles
relations de production créées ; ils se centrent sur la liberté et la démocratie des minorités et
omettent les esclaves eux-mêmes, dépourvus de toute liberté comme personne. Ils analysent
la société esclavagiste comme si les esclaves n’en faisaient pas partie. Il s’agit là de l’Histoire
écrite par les dominateurs.
Dans les premiers temps du féodalisme, la plupart des terres en Europe centrale et
occidentale est divisée en domaines ou fiefs autosuffisants. L’économie naturelle domine,
c’est à dire que presque tout ce qui est nécessaire est produit sur place sans besoin de
commerce. Un fief est formé d’une villa ou d’un village avec une quantité de terres
cultivables et une superficie encore plus grande de pâturages, de prairies et de bois pour
l’utilisation commune qui fournissent toutes les matières premières de cette économie sans
marché. La terre cultivable est divisée en deux parties : la première (en général un tiers)
appartient au seigneur ; l’autre est répartie entre les serfs. L’entretien d’une seule famille de
la petite aristocratie exige le contrôle de plusieurs domaines pour se ravitailler de différents
produits.
Une minorité de la main d’œuvre des serfs est utilisée uniquement pour travailler les terres
du seigneur et/ou pour des services et travaux artisanaux dans sa demeure, restant ainsi
continuellement unie à la maison du maître. Ces serfs de la glèbe, qui peuvent se marier,
appartiennent totalement au domaine ainsi que leur descendance et leurs biens, avec devoir
d’obéissance illimitée au seigneur en échange de nourriture et de l’habillement. Dans leur
majorité les serfs vivent dans des parcelles indépendantes qu’ils ont reçues, et travaillent
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
certains jours de la semaine les terres du seigneur, en guise de tribut versé pour l’occupation
de la parcelle. Ce loyer sous forme de travail ne concerne pas uniquement le travail agricole
; dans l’économie naturelle et autosuffisante, les produits artisanaux et les services de
transport vont s’intégrer au canon et aux prestations personnelles exigées des serfs. À
l’époque du Haut Moyen-Âge, le domaine se suffit à lui-même. Il existe à l’intérieur du
domaine un échange commercial limité à l’occasion d’un marché hebdomadaire à l’extérieur
du monastère, du château ou dans un village proche. Le transport de produits d’un domaine
à l’autre est plus fréquent que la circulation de marchandises. C’est surtout le cas des serfs
qui appartiennent à des monastères ou à des châteaux de rang supérieur. L’autarcie a besoin
de domaines dans des régions très différentes, pour s’assurer de cette manière tous les
produits nécessaires. La plupart des seigneurs se déplacent régulièrement avec l’ensemble de
leur cour d’un domaine à l’autre.
Après la période des invasions migratoires, le premier développement des forces productives
est l’augmentation de la population, une augmentation qui devient surtout notable à partir
de l’année 700. À l’époque carolingienne (750-814), les villages étaient souvent surpeuplés. Il
est possible d’observer depuis le 7ème siècle, dans les territoires les plus densément peuplés,
l’adoption d’un triple système d’alternance des cultures, au lieu du double système commun
depuis l’Empire romain. Au 9ème siècle, la pratique de la jachère pour un an pour un tiers
des terres est déjà très répandue. On dispose ainsi de suffisamment de fourrage pour
alimenter plus de chevaux et la surface requise par famille peut être réduite. Au 10ème
siècle, le harnachement et l’attelage des chevaux sont améliorés mais il n’est plus possible de
diminuer la surface de terre par famille. À partir du 10ème siècle, la colonisation de
nouvelles terres devient nécessaire.
Le loyer sous forme de travail constitue un frein objectif à ce processus de colonisation qui a
besoin d’un plus grand degré de liberté comme personne. Les œuvres organisées par les
monastères ou les grands seigneurs féodaux, pour créer de nouveaux domaines avec le
déboisement ou les travaux d’assèchement, requièrent des efforts communaux qui vont au-
delà d’un simple domaine. Il faut entretenir une grande quantité de gens pour un temps
déterminé jusqu’à ce que la terre produise ses premiers fruits. Seuls les plus puissants
seigneurs ou les monastères les plus grands sont capables d’organiser de telles œuvres
collectives. Avec l’apparition de nouveaux villages, chaque fois plus éloignés des bourgs
existants, le loyer sous forme de travail tend à se transformer en loyer sous forme de
produits. Cette tendance apparait tout d’abord dans la nouvelle périphérie, puis se
généralise.
L’apparition du loyer en nature est un changement qualitatif significatif dans les relations de
servitude. Le serf de la glèbe se distingue de l’esclave par son « droit » à se reproduire et
parce qu’il cesse d’être une marchandise séparée de la terre. Le serf est vendu avec la terre
du domaine et les animaux. Son travail lui semble, à son niveau de conscience, un travail
encore aliéné. Avec le loyer sous forme de travail, et tant que sa parcelle produit, le serf
perçoit son travail comme un travail pour lui-même ; et lorsqu’il travaille les terres du
seigneur cela lui semble un travail forcé et aliéné. Il n’est donc pas étrange, à partir de là, de
constater que l’amélioration des forces de production matérielles a lieu sur les parcelles
individuelles et non sur les terres du seigneur. Avec l’introduction du loyer en produits, le
serf considère qu’il travaille toute la terre pour lui, et il le fait avec la même intensité
partout. Le travail aliéné pour les autres ne se reflète que dans le fruit du travail, pas dans le
travail direct en lui-même. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le loyer en produits,
avec des rendements beaucoup plus hauts, remplace le loyer sous forme de travail. La
productivité du travail augmente en raison du changement qualitatif dans la relation de
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
production existante, un changement qui apporte une plus grande liberté en tant que
personne.
Dans la mesure où le surplus de produit augmente ainsi au 11ème et au 12ème siècle, les
seigneurs sont chaque fois plus intéressés pour échanger une part croissante de ces excédents
pour d’autres produits qu’ils ne peuvent obtenir sur leurs terres. Le service de transport
d’un domaine à l’autre tend à se caractériser de plus en plus par le transport de produits, et
il s’ensuit des achats et des ventes supérieures sur des marchés plus éloignés. Les seigneurs
exigent en guise de loyer des produits aisément transportables et négociables, comme par
exemple le blé, le vin ou le bétail. Ils concentrent ainsi en leur pouvoir les productions les
plus précieuses et les plus considérables pour le marché. Après plusieurs siècles, le commerce
est à nouveau prospère.
Acheter et vendre des produits pour les seigneurs féodaux requiert une plus grande liberté
en tant que personne que leur simple transport d’un domaine à l’autre. Pour se défendre
contre tout type de malandrins, les transporteurs-négociants doivent s’installer en dehors
des bourgs où sont construites de nouvelles murailles pour leur protection. Ces bourgeois
s’organisent en corporations et encaissent des taxes aux membres afin de construire des
remparts et organier la surveillance. C’est ainsi que nait le citoyen libre, ou encore appelé
bourgeois, en parallèle avec les serfs des campagnes. Avec ces citoyens libres, les seigneurs
parviennent à vendre leurs produits et à transformer le loyer sous forme de produits en
revenu monétaire, avec lequel ils peuvent à leur tour acquérir d’autres produits. Les rois
introduisent la monnaie de métal car ils sont les plus intéressés par l’unification des fiefs en
de vastes régions.
À partir des échanges commerciaux, il est possible d’approfondir la division sociale du
travail entre les régions. Avec l’essor du commerce, les seigneurs les plus élevés en rang
autorisent un nombre plus important de leurs artisans à se spécialiser en échange d’une
rétribution. Le résultat en est la diminution de leur effectif de serfs, apparait alors un
nouveau groupe de citoyens libres. Dans toutes les régions, le bourg actif d’un grand
seigneur, d’un monastère ou d’un évêque, devient le centre de l’activité artisanale et
commerciale pour des régions chaque fois plus étendues. Ils sont les plus intéressés à
organiser l’activité artisanale et à accorder la liberté comme personnes aux artisans. Ils les
organisent en guildes et définissent des exigences à la qualité de la production artisanale,
règlementent le marché et interdisent la vente en dehors de celui-ci. Les métiers à tisser des
cours, à usage domestique, sont abandonnés. Les seigneurs deviennent les clients principaux
des ateliers urbains. Un échange commercial croissant se développe entre les seigneurs
féodaux et les villes en expansion. Un marché pour des produits artisanaux, agricoles et des
matières premières venant de régions toujours plus éloignées se met en place. Les marchés
locaux et les foires régionales prospèrent à partir de cette période.
Sans liberté individuelle - sans la possibilité de se déplacer d’un lieu à l’autre et de disposer
de ses biens – le commerce et l’activité artisanale ne peuvent se développer. La liberté en tant
que personne devient une condition inhérente au secteur urbain et constitue le début d’une
lutte acharnée. La simple croissance quantitative de la bourgeoisie naissante crée des
tensions de plus en plus fortes entre la nouvelle classe sociale et les princes séculiers ou
ecclésiastiques sur le domaine desquels est construit le bourg. Au cours du 11ème siècle, les
luttes sociales pour la gestion de la ville prennent des formes plus ou moins violentes dans
toute l’Europe. Parfois, les nobles fuient ou sont expulsés des bourgs (Allemagne), se fondent
avec la bourgeoisie naissante (Italie et sud de la France), se rendent pacifiquement (Grande-
Bretagne), ou bien le Roi, c’est-à-dire la partie la plus intéressée, joue le rôle de médiateur
dans le conflit (Nord de la France et Flandres). Les villes se libèrent du joug seigneurial ; la
terre citoyenne se libère de tout tribut, et obtient une complète liberté. Elle peut être vendue
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
Chapitre IV
salariées existent ainsi au sein des corporations et elles ne constituent pas encore une forme
capitaliste de production dans la mesure où le maître-artisan ne s’enrichit pas avec le travail
non payé de ses ouvriers ou apprentis, et ces derniers n’ont pas accès aux moyens de
production, à travers les cycles de vie. L’objectif est plutôt le contraire.
Dans le féodalisme, tant que prédomine le loyer sous forme de travail, les serfs travaillent
certains jours les parcelles qui leur ont été attribuées et les autres jours les terres du
seigneur. Il y a ici une nette séparation entre travail pour soi-même et travail obligé pour les
autres. Les serfs ne sont pas libres de se déplacer ; ils ne peuvent pas non plus être vendus
séparément des moyens de production (le domaine). Ils sont uniquement libres de se
reproduire et de pourvoir à leur entretien dans les limites du domaine et sur les parcelles
assignées. Avec le loyer sous forme de produits, les serfs travaillent leurs parcelles et sont
obligés de verser une partie de la récolte au seigneur comme tribut. Dans ce processus, tout
semble être du travail pour soi, une perception qui permet d’augmenter la productivité du
travail. L’aliénation du travail n’apparait déjà plus dans le travail mais dans le produit du
travail. En travaillant avec la même intensité sur toute la parcelle, un loyer basé sur un
pourcentage de la récolte relève parallèlement la part de travail aliéné.
Avec le loyer en numéraire, le serf obtient une complète liberté en tant que personne pour
vendre lui-même son produit. Le seigneur est totalement libéré du processus de production
et de commercialisation, et se contente de recevoir un loyer versé en argent, correspondant à
son monopole improductif sur les moyens de production. L’aliénation du travail n’apparait
plus directement dans le travail, ou dans le produit du travail, mais dans la valeur du
produit sur le marché. Si cette valeur n’est pas suffisante pour s’acquitter du loyer en
argent, le producteur n’a d’autre solution que d’abandonner la parcelle. La séparation du
petit producteur de son moyen de production semble être le résultat des aléas du marché ; la
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main visible du seigneur devient invisible ; c’est le marché qui sépare les petits producteurs
de leur moyen de production. Face à l’absence d’alternatives, le producteur « libéré » de tout
moyen de production et libre comme personne ne peut que vendre sa force de travail. Pour
voir en détail ce processus de prolétarisation, et qui sont ceux qui finissent par être
propriétaires des moyens de production, revenons vers l’Histoire.
que la migration vers les villes est, elle aussi, compromise. Dans cette conjoncture, les
seigneurs octroient la liberté comme personnes aux serfs et louent leurs terres à celui qui
offre le plus. Ils octroient cette liberté pour s’affranchir des aléas du marché. Le seigneur
féodal se retire de toute intervention dans le processus de production et de commercialisation
du produit agricole, devenant ainsi un simple loueur improductif sans aucune fonction dans
le processus de production et de distribution des biens agricoles. Les intermédiaires sont
ceux qui monopolisent l’achat des produits agricoles et la vente d’intrants aux paysans
libres.
Les concessions de terres cessent d’être héréditaires et sont révocables selon le bon vouloir
du seigneur (tenance at will). De cette manière, il peut réajuster périodiquement le loyer en
argent en fonction de la productivité ou du rendement économique du sol. Les paysans se
trouvent dans une situation encore moins avantageuse pour vendre leurs produits que celle
du seigneur féodal. L’atomisation de l’offre, face à une demande monopolisée, réduit le prix
de vente des paysans libres. L’inverse se produit avec le prix des intrants. Avec les clôtures,
les matières premières, les vêtements et même la laine gagnent en prix. Ce double monopole
touche négativement les revenus des paysans libres. Les prêteurs usuriers profitent de la
conjoncture et il s’agit généralement des commerçants eux-mêmes qui remplissent cette
fonction. Les taux d’intérêt usuriers compliquent encore plus la capacité économique du
paysan pour payer le loyer en argent. Le résultat : abandon forcé de la parcelle. Un nombre
toujours plus important de paysans appauvris se voit ainsi « libéré » de tout moyen de
production et de tout moyen de subsistance. Face à cette situation, les paysans n’ont pas
d’autre choix que de vendre leur force de travail comme ouvriers agricoles sur les terres
clôturées. Cette paupérisation et cette lente prolétarisation de la campagne provoque des
jacqueries.
Dans les villes, le choc entre corporations d’artisans et marchands ne se fait pas attendre, et
encore moins là où prospère l’industrie textile. La révolution classique éclate en Flandres et
les guildes artisanales en sortent victorieuses. Comme conséquence, le protectionnisme dans
les villes limite volontairement la production des guildes elles-mêmes, pour ainsi pouvoir
contrôler les ventes et avoir un prix « juste » des produits. Les corporations commerciales se
voient obligées de se spécialiser dans des produits « exotiques » qui ne sont pas élaborés dans
les villes. Leur espace d’opération demeure limité à quelques produits, ce qui les contraint à
chercher des marchés plus vastes. En acquérant le droit exclusif de vente de ces produits
exotiques, la conséquence logique est le protectionnisme de leur propre corporation dans un
territoire élargi. Les politiques protectionnistes limitent la croissance de la population
urbaine mais également l’affluence d’étrangers (serfs ou paysans appauvris) vers les villes.
L’acquisition de la citoyenneté est règlementée avec l’introduction de certificats d’origine et
de naissance. L’augmentation constante du droit à payer pour obtenir la citoyenneté freine la
migration de la campagne vers la ville.
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à l’ordre du jour vers la fin du 14ème siècle dans une grande partie de l’Europe médiévale.
C’est l’époque de la lutte sociale qui marque la fin du féodalisme.
Le pouvoir des villes libres se referme, comme le renfermement des corporations. Les
maîtres-artisans les plus puissants gouvernent la cité, mais leur pouvoir se limite à
l’environnement local de l’économie artisanale. Les corporations de marchands qui se
spécialisent dans certains produits exotiques, provenant de terres toujours plus lointaines,
ont par contre besoin d’un marché et de déplacements plus faciles mais avec des droits
exclusifs sur la vente. Dans ce but, ils s’allient à un roi ou à un prince pour créer un
protectionnisme commercial sur un territoire qui regroupe de nombreuses cités. C’est ainsi
que surgit l’Etat national pour le renforcement duquel les corporations commerçantes
versent des tributs afin d’obtenir la formation d’une armée royale. L’Etat national issu du
mercantilisme lève des tributs sur la circulation et le commerce interne tout en protégeant le
marché national contre les commerçants étrangers. Avec la formation du marché national, le
mercantilisme remplace le protectionnisme des guildes artisanales dans les villes par un
autre, mercantile et d’ordre national.
Le premier monopole commercial est établi sur des routes empruntées par des produits
exotiques qui partent de Chine par voie terrestre, passent par la Mer noire et Constantinople
pour être récupérés par des marchands génois. L’autre route traverse l’Océan indien et se
divise : un tronçon passe par Bagdad et Damas pour s’achever aux portes de la Palestine,
tandis que l’autre passe par la Mer Rouge et Alexandrie où les Vénitiens récupèrent les
marchandises. Pour rompre ce monopole italien, le Portugal cherche une route alterne
maritime en passant par les Açores (1431), le Cap de Bonne Espérance (1487) et l’Inde
(1498). L’Espagne souhaite trouver la route des Indes par l’Atlantique et débarque en
Amérique (1492). Au 16ème siècle la France, la Hollande et la Grande-Bretagne entrent en
scène. En réalité, la participation européenne au commerce asiatique n’est rien d’autre que
la reprise du commerce asiatique et arabe vers l’Europe, des échanges beaucoup plus
développés depuis très longtemps, sans que le Vieux Continent ait quelque chose de nouveau
à offrir en échange.
La clientèle européenne pour ce marché de produits somptuaires est très réduite et consiste
essentiellement en l’aristocratie rurale et la bourgeoisie naissante. Lorsque l’aristocratie
rurale est la principale cliente, le loyer en argent constitue la limite concrète à
l’accumulation de capital commercial sur la base du monopole à la vente. Ce revenu en
argent est exporté vers l’Orient. Au lieu de stimuler la création de richesse matérielle en
Europe, le capital commercial est ainsi drainé. Face à ce drainage permanent d’argent sous
la forme de métaux précieux, il est aisé de comprendre les raisons du pillage de l’or et de
l’argent mené à bien par les européens, tout d’abord en Afrique occidentale puis au Mexique
et au Pérou. L’organisation du travail se base sur l’autosuffisance des communautés de base
et la coexistence simultanée du travail forcé. Face aux yeux européens il s’agit d’une relation
esclavagiste ; et la reproduction des communautés de base est perçue comme une menace
potentielle de rébellion. Avec la désarticulation des communautés de base, avec une
redistribution territoriale forcée, l’instauration de relations esclavagistes en fonction du
pillage implique la destruction objective de l’organisation économique existante, une
destruction qui, plus que les massacres directs, sera la cause principale d’un ethnocide sans
précédent. La population est décimée en moins d’un demi-siècle, et la baisse démographique
entraine l’abolition de l’esclavage pour les Indiens et le début de la traite des esclaves en
provenance des côtes africaines.
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Le pillage de l’or et de l’argent provoque en Europe une inflation permanente qui touche
ceux qui vivent exclusivement de loyers en numéraire, c’est-à-dire la petite noblesse. La
vente massive de terres effectuée par cette classe improductive en est la conséquence.
L’augmentation du loyer en argent ne peut rivaliser avec le taux d’inflation, et le pouvoir
d’achat de l’aristocratie diminue de manière visible à partir de 1620. Face à une demande
subissant une contraction, les bénéfices des Compagnies des Indes chutent sans cesse
jusqu’en 1670. Le mercantilisme atteint ses limites en raison de la contraction de la demande
interne en produits somptuaires. Cependant, lorsque se produit une telle contraction, un
marché interne dynamique pour les produits de base se développe. Depuis que l’économie de
marché inclut les paysans et avec la naissance d’un grand nombre de journaliers dans les
villes, la demande de produits bon marché et de matières premières augmente sans cesse. Se
forme alors un marché populaire interne aux dépens du marché du luxe de la classe
seigneuriale improductive.
L’agriculture à grande échelle dans les fermes, avec une force de travail salariée, se spécialise
dans des produits populaires comme le blé, la pomme de terre, la laine et le cuir. La ruine de
la petite noblesse a pour conséquence une vente toujours plus « libre » de terres sur le
marché. Dès lors, de grandes exploitations agricoles se forment avec une main d’œuvre
journalière. La spécialisation de l’agriculture populaire à grande échelle devient plus aigüe,
et la productivité du travail augmente. Avec cette production spécialisée, les prix des céréales
et de la laine diminuent. Les petits producteurs ne peuvent plus rivaliser et se voient
contraints de chercher du travail comme ouvriers agricoles journaliers. Ce processus de
formation du marché interne débute aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, et beaucoup plus
tard en France et en Europe orientale et méridionale. En Grande-Bretagne, aucun lieu ne se
trouve éloigné de la mer et aux Pays-Bas, la mer et les voies fluviales fournissent
l’infrastructure naturelle pour la création d’un marché interne national. Le transport à bas
prix mène à la formation et à l’intégration du marché de tout un pays.
C’est une chose d’élaborer de objets somptuaires de haute qualité avec une force de travail
qualifiée pour un marché relativement réduit et stable, et c’en est une autre de produire des
articles populaires (draps, cuirs) plus standardisés et plus simples. Ces derniers ne
demandent pas de travail qualifié, et par conséquent pas de corporations non plus. Un
produit moins spécialisé est mieux pour la division sociale du travail. Le drap est moins cher
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lorsqu’une personne carde, une autre file, une autre tisse, une autre étire, une autre ajuste,
une autre presse et une autre emballe que lorsque c’est la même personne qui réalise toutes
ces opérations. Face à un marché avec ce type de procédure de production, le
protectionnisme des guildes devient obsolète. Ces tâches peuvent être effectuées par la
population paysanne qui possède par tradition des métiers à tisser pour fabriquer ses
propres vêtements. Avec les rapprochements, les paysans se voient obligés à acheter toujours
plus la matière première dont ils ont besoin pour fabriquer leurs habits. Les entrepreneurs
intermédiaires remettent ces matières au paysan appauvri, ou à leurs femmes, et viennent
ensuite récupérer le produit terminé pour le vendre au marché ; il s’agit là de la fameuse
industrie à domicile qui transforme le commerçant en entrepreneur et indirectement lie la
famille paysanne au capital, la transformant en réalité en un salarié qui travaille à la tâche
pour lui. Ce que le capital commercial ne parvient pas à instaurer avec les corporations
artisanales bien organisées, il y réussit avec une paysannerie atomisée.
Le regroupement ultérieur de journaliers (femmes et enfants surtout) dans un seul endroit,
la manufacture, permet une spécialisation encore plus grande dans le processus de
production et implique la subordination formelle du travail au capital. Le travailleur se
trouve séparé de facto de ses moyens de production et n’a d’autre option que de vendre sa
force de travail. Avec une division sociale du travail plus importante dans une manufacture,
la productivité professionnelle dépasse les chiffres de l’industrie à domicile, qui par
conséquent ne peut plus rivaliser avec la manufacture. Les premières coopératives
historiques de tisserands, celles qui sont mentionnées dès 1761 en Grande-Bretagne et à
partir de 1835 en France, ont pour objectif de faire face à la concurrence mortelle des
manufactures (Bulgarelli et Fallas, 1990 : 116). La disparition de l’industrie à domicile se fait
peu à peu et provoque une surpopulation paysanne. Face au manque de terres disponibles,
l’unique issue est l’émigration massive vers le Nouveau Monde, surtout à destination des
Etats-Unis. Le processus de destruction et de reconstitution de producteurs indépendants
dans l’espace persiste jusqu’à ce que la terre soit complètement monopolisée. Les vagues
migratoires suivantes chercheront à aller encore plus loin. Les processus de reconstitution et
de destruction de producteurs indépendants à la recherche de terres disponibles se
dirigeront au fil du temps vers de nouveaux horizons : le Canada, l’Argentine, le Brésil,
l’Uruguay, l’Australie et l’Afrique du Sud.
Les échanges commerciaux portent en eux-mêmes leur propre rationalité et ont par
conséquent un caractère séculier. Le marché est, de manière claire et visible, le fruit de
l’activité humaine spécialisée et non de la volonté du seigneur ou de l’Être suprême. Le Dieu
tout puissant devient avec la Réforme à partir de 1500 un Dieu diversifié (Houtard, 2001 :
37,61 et 64). Les pouvoirs de création autrefois attribués exclusivement aux cieux descendent
désormais vers la Terre et l’Humanité prend possession de Dieu (Hardt et Negri, 2002 : 80-
84). L’économie de marché apparaît alors comme le résultat de relations d’acteurs libres sur
le marché. Dans la modernité, la société est le résultat final des activités individuelles des
acteurs, aboutissement de l’inverse de la pensée primitive, où l’individu en tant que tel
n’existe que comme membre de la société. Partir de l’individualité équivaut à partir de la
subjectivité. Descartes pose les bases de cette pensée lorsqu’il écrit dans son essai Le Monde
(1629-1634) que nous avons une connaissance indubitable de notre vie interne mais pas du
monde qui nous entoure.
règne dans les cités médiévales mais qui se heurte aux intérêts du mercantilisme en plein
essor. De Groot échappe de justesse à la peine de mort dans la jeune république des Pays-Bas
(Tuck, 1989 : 36-39). Hobbes (1588 - 1679), plus engagé avec le mercantilisme britannique,
définit une société où la liberté en tant que personne, dans le cadre du Droit naturel, serait
utilisée de manière rationnelle. Sans raison juste, aucun individu ne peut être libre sauf sous
un régime déterminé. Les êtres individuels doivent faire un pacte, par le biais d’un contrat
social, qui assigne au pouvoir souverain le droit absolu d’agir passant outre les volontés
individuelles. Cette théorie de la souveraineté, élaborée ensuite par Rousseau, présente la
première solution politique à la gouvernabilité d’une société construite à partir de
l’individualité (Hardt et Negri, 2000 : 88-89).
L’innovation technologique en tant que facteur de concurrence n’empêche pas encore que les
salaires demeurent bas ou que les journées de travail soient très longues, et ne font pas
disparaitre le travail infantile et féminin. C’est l’époque où toutes les formes d’exploitations
coexistent ; selon Marx, la période orgiaque du capital. En raison de la plus grande
productivité du travail atteinte grâce à la mécanisation, le prix des produits courants
diminue. Cela permet de baisser encore plus le niveau des salaires. Ce que le travailleur
perçoit est inférieur à la valeur que produit son travail pendant une journée, et de cette
façon la partie de la journée durant laquelle il travaille exclusivement pour le capital
augmente. Ce système est généralement appelé plus-value relative. Aux yeux du capital, la
technologie en elle-même génère cette plus-value qui apparait comme faisant partie de la
productivité du capital. Dans les faits, la productivité du travail raccourcit le temps de
travail nécessaire au travailleur pour produire ce qui permet de payer son salaire. Nous
avons là la forme d’exploitation la plus invisible de toute l’Histoire de l’Humanité. Tant que
la capacité de substitution de la force de travail ne diminue pas, le salaire réel n’augmente
pas malgré le développement technologique. Le salaire ne dépend pas du travail mais de la
capacité de substitution des travailleurs. Celle-ci est en fonction de l’ampleur relative du lien
non capitaliste en dissolution. Tandis qu’une majorité de la population travaille sous un
régime de relations non capitalistes de production en dissolution, les petits producteurs
indépendants et leurs familles, face à la misère croissante, sont disposés à remplacer d’autres
salariés si l’occasion se présente. C’est uniquement à partir de la généralisation de la relation
salariale, c’est-à-dire lorsque la grande majorité de la population active travaille en échange
d’un salaire, que la capacité de substitution devient limitée. Tant qu’il existe une capacité
adéquate de substitution de la force de travail salariée par une autre dérivée du lien non
capitaliste en dissolution (paysans, petits producteurs indépendants, petits vendeurs), la
classe ouvrière se reproduit pour le capital, même si avec le salaire perçu elle ne peut se
reproduire individuellement ou familialement. Bien que les salaires ne le permettent pas, la
capacité de substitution des malades, des handicapés ou des contestataires permet au capital
de prospérer avec le processus de reproduction au milieu de la misère. Il n’y pas uniquement
une exploitation des travailleurs dans le travail en lui-même sinon qu’en plus, ces derniers
sont obligés d’acheter dans les magasins du fabricant ce dont ils ont besoin pour subsister.
Afin de briser le monopole des magasins situés dans les usines, les premières coopératives de
produits de consommation font leur apparition entre 1827 et 1833 en Grande-Bretagne
(Bulgarelli et Fallas, 1990 : 114 et 115).
Dès lors que la classe salariée dépasse quantitativement la population active dans une
relation non capitaliste, la capacité de substitution de la force de travail salariée diminue.
Les salariés ne pouvant remplacés facilement, la durée de vie active moyenne du travailleur
augmente ainsi que sa stabilité professionnelle, même si cela se fait dans plusieurs
entreprises. Les possibilités de remplacer la force de travail âgée ou de moindre rendement
diminuent. Dans de telles circonstances, la reproduction de la force de travail de l’ouvrier à
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
niveau individuel et familial à travers différents cycles de vie est indispensable pour la
reproduction du capital. Sans reproduction de la classe ouvrière, individuellement et dans le
cadre familial, la classe ouvrière ne se reproduit que comme classe pour le capital. À partir
de la nouvelle situation, la position de négociation de la classe ouvrière augmente, et ses
luttes sociales pour obtenir de meilleurs salaires et la régulation des journées de travail
seront couronnées de succès.
En 1848, plus de 80% de la population active britannique travaille déjà en échange d’un
salaire, contre 55% en France et aux Pays-Bas, ses concurrents les plus proches à l’époque
(Semjenov, 1973 : 184). Dans ce contexte, la capacité revendicatrice de la classe ouvrière
britannique augmente par rapport à ses homologues du continent où la capacité de
substitution des salariés est encore élevée. La reproduction de la classe ouvrière en tant que
classe pour le capital est toujours possible grâce à sa forte capacité de substitution. Mais en
Grande-Bretagne, la reproduction de la classe ouvrière pour le capital requiert sa
reproduction individuelle et familiale, c’est à dire une meilleure reproduction pour elle-
même afin de permettre sa reproduction pour le capital. C’est dans ce contexte que
surgissent les premières politiques réformistes. Alors qu’avant 1800 il n’existe aucune
législation qui règlemente le travail, entre 1802 et 1833 le Parlement britannique (où domine
encore la noblesse) émet 5 lois qui règlementent l’âge minimum pour le travail, le travail de
nuit pour les enfants et les femmes, la durée maximale de la journée de travail et
l’interdiction du travail des femmes et des enfants dans les mines de charbon. Ces lois restent
lettre morte jusqu’en 1832. Lorsque la bourgeoisie obtient le contrôle du Parlement,
l’inspection devient réelle.
de la même façon les profits dans le secteur des moyens de production. Une nouvelle crise du
profit du capital (britannique) éclate alors.
Le capital industriel cherche une issue à la seconde crise des bénéfices du capitalisme
britannique, surtout dans le secteur des moyens de production. Une situation difficile de ce
secteur mettrait en danger la future capacité concurrentielle de la nation. La production
privée des chemins de fer de 1840 à 1850, financée avec des fonds de l’Etat, doit pouvoir
apporter une solution à la crise de la grosse industrie. Sans une baisse simultanée des
salaires, le secteur textile serait lui aussi en danger. Sans expansion dans ce secteur de biens
de consommation, celui qui fabrique des moyens de production s’épuise. Sous la pression de
Manchester, qui concentre l’industrie textile de l’époque, il est possible de revendiquer le
libre marché des grains de base pour baisser les salaires. La politique libérale consistant à
abolir les corn laws en Grande-Bretagne en 1846 permet de faire baisser le coût des grains et
par conséquent les salaires. À partir de cette politique, un réajustement du taux de profit
s’avère possible pour l’industrie. La Grande-Bretagne sacrifie ainsi l’agriculture, c’est-à-
dire les petits paysans et les propriétaires terriens, considérés improductifs selon l’optique
du capital, pour le plus grand bénéfice de l’industrie britannique. D’un point de vue
politique cela signifie la déroute du rentier improductif contre le capital productif. La
paysannerie reçoit ainsi un nouveau coup mortel face à la concurrence étrangère, et le
résultat est une cague migratoire composée de paysans.
Le quart de siècle qui suit 1850 ne se caractérise pas par des transformations technologiques
radicales mais plutôt par l’application de la machine à vapeur dans plus de secteurs de
l’économie centrale, notamment les chemins de fer et les navires. Le développement du
chemin de fer permet une meilleure intégration des marchés dans les pays centraux, et la
marine à vapeur permet la même chose entre ceux du centre et ceux de la périphérie, au
profit des premiers. Par ailleurs, alors que le libre commerce se déroule entre le centre et la
périphérie, le protectionnisme règne entre les pays centraux. La Grande-Bretagne réussit à
imposer la politique du libre-échange pour ses colonies, mais pas en Europe et aux Etats-
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
Unis, qui sont indépendants depuis le siècle précédent. C’est précisément le protectionnisme
industriel dans ces pays qui permet non seulement la formation d’un marché interne mais
aussi en même temps le développement de leur propre industrie lourde.
Devant le besoin évident de sauver la productivité du travail. Les entrepreneurs n’ont pas
d’autre possibilité que de réguler la durée des journées de travail et de payer des salaires qui
permettent de reproduire la force de travail individuelle et familiale des ouvriers. Ce n’est
qu’ainsi que peut se reproduire la classe ouvrière comme une classe productive pour le
capital. L’indice du salaire réel (avec une base de 100 pour 1900) grimpe en Allemagne de 66
à 79, entre 1852-1858 et 1868-1878 ; aux Etats-Unis il passe de 72 à 87 entre 1859-1867 et
1868-1878 ; et en Grande-Bretagne il passe de 57 à 74 au cours de la même période. En
France, cet indice qui atteignait 55 en 1790 ne progresse vraiment que dans le dernier tiers
du 19ème siècle lorsque la relation salariale se généralise (Lesourd et Gérard : 78). Les
mesures de santé publique sont rares avant cette date mais à partir de cette époque, elles
sont méthodiquement introduites et les premières assurances contre les accidents du travail
se mettent place dans les pays nordiques. Le tout dans le but de mieux conserver la force de
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
À partir de 1875, on remarque que les nouvelles technologies se généralisent dans tous les
secteurs des principales puissances industrielles de l’époque, alors que simultanément les
salaires réels progressent. La conséquence en est un taux de bénéfice orienté à la baisse et,
pour la première fois, simultanément dans plusieurs pays industrialisés. La crise économique
devient une crise de bénéfice pour le capital. Le mouvement du capital s’internationalisant,
la crise du taux de profit a tendance à se synchroniser dans le temps et l’espace. Les crises
autrefois nationales deviennent internationales, et finissent par être globales comme nous le
découvrirons par la suite. Face à cette tendance, il existe des réponses possibles dans un pays
pour en limiter les conséquences, ce qui peut également être fait sur un plan international,
mais, face à ce phénomène global, la crise devient, comme nous le verrons, critique.
Dans la répartition du marché européen intérieur, des armées d’ouvriers de plus en plus
nombreuses se concentrent dans des entreprises chaque fois moins nombreuses, et un
nombre chaque fois moins nombreux de capitalistes contrôle tout un secteur. Les fusions et
les acquisitions ne se produisent pas uniquement dans la branche industrielle mais aussi à
l’intérieur du système bancaire, et entre ce dernier et la sphère industrielle. Avec les
dernières fusions, on parle de développement du capital financier. Au lieu de s’en tenir au
credo de la libre concurrence à l’intérieur de la nation, les grandes entreprises cherchent à
limiter la production par le biais d’accords afin d’éviter que les prix ne baissent. Le bénéfice
dans des secteurs ainsi monopolisés se fait aux dépens de secteurs non monopolisés en faillite.
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
Les premiers peuvent parvenir à des ententes sur les quotas et les prix, mais pas les seconds.
Cette tendance implique que l’agriculture se soumette à l’industrie agro-alimentaire
monopolistique. Pour faire face, au moins en partie, à ces monopoles, les agriculteurs se
réunissent pour créer des coopératives agro-industrielles, qui fonctionnent comme celles
d’épargne et de crédit. Cependant, la constitution de monopoles implique la suppression
progressive de la concurrence dans l’économie nationale, alors qu’elle s’accentue et
s’amplifie entre les capitaux monopolistiques des différentes nations.
Les monopoles des plus vieux pays centraux, qui ont déjà tissé des liens coloniaux, atteignent
une meilleure position dans la répartition du monde. Les nouvelles économies industrielles
s’orientent encore plus vers la constitution de leur marché intérieur. Avec cet élargissement
de l’investissement productif en interne, la croissance économique s’améliore. Aux Etats-
Unis, en Australie, en Allemagne, au Japon et en Italie, le Produit Intérieur Brut double
entre 1890 et 1914 : et il triple même carrément au Canada, en Uruguay et en Argentine. Les
économies les plus avancées et avec un développement colonial important - Grande-
Bretagne, Belgique, Pays-Bas – croissent pas contre à un rythme inférieur (50% pour la
période mentionnée). La France réussit presque à doubler son produit intérieur, en
participant aux investissements étrangers et elle parvient à se mettre au niveau de la
Grande-Bretagne (Maddison, 1991 : 198).
capital même à niveau national. Le capitaliste individuel ne cherche qu’à obtenir le plus
grand profit possible, mais une main invisible le guide vers la croissance économique, c’est-
à-dire vers la prospérité. Dans cette rationalité, l’intervention de l’Etat doit être minime et
favorable à l’intérêt général. Smith parle de l’intérêt général comme étant l’intérêt commun
de tout le capital ; il assimile l’intérêt général avec l’intérêt public ou le Bien Commun. Ce
qui importe à son époque c’est que la synthèse satisfasse les intérêts dominants. Cette
synthèse fait coïncider l’intérêt privé (de chaque capitaliste) avec l’intérêt public (de tous les
capitalistes), et rien d’autre n’existe en dehors de cela. Avec cette théorie, il supprime tout
contenu humaniste à la modernité originelle.
Au fur et à mesure que le capitalisme s’enfonce dans son étape impérialiste, de nouvelles
contradictions surgissent. De nouveaux philosophes apparaissent, qui avec leur vision
actualisée font face à la crise de la modernité, caractérisée non seulement par une
contradiction entre le particulier et le général mais aussi par la tension présente entre les
forces opposées. Chez Kant, tout comme chez Hegel, l’humanité est le centre de l’univers. La
libération de l’humanité, selon les mots d’Hegel, ne peut se produire qu’en fonction de sa
domination de la nature et d’autres nations. Avec cet argument, aux dépens de la nature et
de la périphérie, il accorde une légitimité à l’expansion capitaliste du centre. De la même
façon il réfute le potentiel de développement des nations périphériques, et dénie en outre le
potentiel de la multitude à s’organiser de manière spontanée et à exprimer sa créativité de
manière autonome. Pour Hegel, l’Etat, en lui-même et par lui-même, est le tout-éthique, et la
paix et la justice règnent dans une nation souveraine sous la domination de l’Etat. De cette
manière, Hegel établit un appareil transcendent qui ôte à la multitude son droit à s’organiser
et à s’exprimer (Hardt et Negri, 2000 : 88-92).
Chapitre V
Dans leur désir d’intégrer le marché mondial, dans les pays centraux les services financiers,
commerciaux, de transport et de communication se développent plus que le capital industriel
à proprement parler. Ces capitaux, dans une plus grande mesure que le capital industriel,
ajoutent d’autres conditions à la préparation de la force de travail. La logique
d’accumulation de capital ne pousse pas uniquement à la généralisation de la relation
salariale mais en plus le développement quantitatif de la classe ouvrière conduit à sa
différenciation qualitative. La généralisation de la relation salariale, autrement dit
l’émancipation de la classe ouvrière en tant que classe, débouche sur sa différentiation en
distinguant le travailleur qualifié de celui qui ne l’est pas. La concurrence requiert la
mécanisation et plus la possibilité d’obtenir une plus-value absolue s’éloigne et plus la
mécanisation et la préparation de la force de travail sont requises. En 1820, la durée
moyenne de scolarité de la population dans les pays centraux n’est pas supérieure à deux
ans. En 1914, elle est déjà de six années en France et aux Pays-Bas, et de sept années en
Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, des chiffres qui comparés avec un niveau
moyen de 12 années en 1989 permettent de situer historiquement le processus évoqué
(Maddison, 1991 : 64).
Le salarié n’est pas rétribué pour son travail mais pour le coût nécessaire à la reproduction
de sa force de travail. La main d’œuvre qualifiée est rémunérée pour qu’elle se reproduise
comme qualifiée, et la main d’œuvre non qualifiée est payée pour se reproduire à l’identique.
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
D’où la différentiation salariale selon le niveau de qualification obtenue. Plus l’expérience est
grande, plus le travail qualifié est difficile à remplacer. La même logique ne s’applique pas
pour les ouvriers non qualifiés. L’expérience ne contribue pas à diminuer leur capacité à être
remplacés, bien au contraire. La capacité à être substituée de la force de travail qualifiée
diminue avec l’augmentation de la qualification et de l’expérience. Avec la différentiation
dans la formation et l’expérience des travailleurs qualifiés, la capacité à négocier augmente.
Cela ne mène pas seulement à une différentiation salariale toujours plus forte, mais aussi à
un éloignement subjectif entre les deux catégories de travailleurs.
L’expansion des services crée une demande de force de travail qualifiée supérieure à ce que
la reproduction biologique des classes moyennes est capable de générer. L’ascension sociale
croissante offre des opportunités avec de grands sacrifices à niveau individuel mais ne
propose pas de solution satisfaisante au niveau macro. L’effort réalisé pour s’élever
socialement porte ses fruits en mettant un frein à la reproduction biologique, et avec le
temps, la force de travail qualifiée a tendance à moins se reproduire. La brèche entre l’offre
et la demande de force de travail qualifiée s’élargit encore plus. L’Etat doit s’employer à la
réduire et l’éducation publique apparait donc comme un besoin objectif afin de garantir
pour le capital la reproduction de la force de travail qualifiée à travers les générations.
Plus la qualification est élevée, et plus le coût investi dans le « capital humain » est élevé, et
plus la perte en cas de maladie, d’accident, d’handicap ou de mort est conséquente. Les
caisses d’assurance maladie, incapacités, vieillesse et mort font leur apparition dans les pays
centraux. La sécurité sociale se limite à prendre en charge la force de travail qualifiée, plus
coûteuse et moins facilement remplaçable. Elle est d’abord introduite en Allemagne (1883)
pour ensuite s’étendre aux autres pays industrialisés. Sa couverture est restreinte jusqu’aux
débuts du 20ème siècle à la main d’œuvre qualifiée ; la force de travail non qualifiée, et plus
aisément remplaçable, n’est pas encore couverte. Avant la première guerre mondiale, la
couverture sociale concerne un peu plus d’un tiers de la population allemande, suédoise,
britannique et danoise ; un cinquième des Belges et des Norvégiens, et à peine un dixième de
la population française (Alber, 1982 : 152).
La classe ouvrière a tendance à se diviser à l’intérieur des pays centraux. Les « cols blancs »
se différencient des « cols bleus ». Avant la première guerre mondiale, les premiers
représentent en France un septième de la population active, plus de 20% aux Etats-Unis,
près d’un tiers en Allemagne et plus d’un tiers en Grande-Bretagne (Landry, 1949 : 151;
Edwards, 1972 : 178 ; et Semjenow, 1973 : 184-191). Il n’y a pas seulement une ségrégation
du marché du travail selon la qualification ; il existe encore une plus grande capacité
substitutive de la force de travail féminine. Leurs opportunités sont moindres, quel que soit
leur niveau d’éducation. Cela implique une différenciation salariale même pour un niveau de
préparation identique, et une différenciation dans la couverture sociale selon le sexe. La
nouvelle classe moyenne, surtout les hommes, sent un potentiel de se développer en tant
qu’individu dans la société moderne. Sa reproduction comme faction de classe pour le
capital semble chaque fois plus être une réalisation personnelle comme personne et non
comme fraction de classe en soi. L’utopie de la modernité semble être à portée de main.
Étant moins remplaçables, les classes moyennes ont un pouvoir de négociation plus élevé et
elles sont plus enclines à négocier qu’à faire la grève. La lutte des classes subit l’interférence
d’une division interne de la classe ouvrière elle-même, et en raison de l’atomisation de la
nouvelle classe moyenne. Cela permet à la démocratie bourgeoise de donner le droit de vote
à la fraction de la classe moyenne. Avant la première guerre mondiale, l’électorat représente
en moyenne, dans les pays industrialisés, 18% de la population, et dans quelques pays ce
chiffre dépasse 25% (France, Danemark, Allemagne et Suisse). Mais dans d’autres pays, ce
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
chiffre est inférieur à 10% (Belgique, Pays-Bas, Italie, Norvège et Suède) (Maddison 1991 :
77).
Au cours des décennies qui précèdent la première guerre mondiale, les sources de profit du
capital dépendent plus du succès de la nation dans le partage du monde que du
développement de l’économie intérieure. Et la division de la classe ouvrière existe non
seulement dans les nations centrales mais également entre elles. Cette division apparait lors
de la Deuxième Internationale, qui commence en 1889. Des méthodes de lutte comme la
grève générale sont abandonnées ainsi que tout appui à l’insurrection de la Commune de
Paris (1870). Dès lors, le centre du mouvement ouvrier combattant se déplace dans des pays
plus périphériques. La Russie arrive en retard au rendez-vous historique lui permettant de
développer sa propre industrie, mais elle est à temps pour reprendre le flambeau de la lutte
des classes. Avec 50% de population salariée au début du 20ème siècle, l’économie de marché
fonctionne avec une capacité de substitution beaucoup plus forte. Les salaires sont
misérables, et les journées de travail démesurées. Les conditions favorables au réformisme
n’existent pas, mais la proximité des pays centraux transforme le pays en lieu de prédilection
pour l’investissement étranger.
La vague d’inflation frappe les revenus fixes des salariés des pays en conflit. Ayant été
investies comme capital financier ou boursier, les réserves du système de capitalisation des
premiers fonds de retraite pour incapacité, vieillesse et décès partent en fumée. Le régime de
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capitalisation doit être remplacé par celui de la répartition, afin de ne pas laisser à la dérive
les pensions de la classe moyenne (Gordon, 1990 : 66). Dans ce contexte de revenus en chute,
les journées de travail se rallongent et les femmes arrivent massivement sur le marché du
travail, dont les journées et les équipes se mélangent avec le travail infantile en masse. Le
taux d’exploitation augmente, et parallèlement le taux de profit du capital monopolistique.
Au milieu de la guerre et de la contraction économique, le capital monopolistique parvient à
se consolider.
La Russie en pleine guerre souffre non seulement des destructions causées par la guerre,
mais en plus son économie se désarticule. C’est dans ce contexte que le gouvernement
demande des aides économiques substantielles aux autres pays européens. En 1916,
l’offensive de l’armée est en passe de liquider définitivement l’armée allemande. Dès lors, la
guerre russe contre l’impérialisme se transforme en une guerre civile contre le tsarisme, et
en février 1917 le tsar est chassé du pouvoir. Le gouvernement soviétique invite toutes les
nations à négocier la paix. Les pays alliés refusent, ce qui débouche sur une révolte populaire
et un mouvement de la paix qui s’étend à toute l’Europe. La révolution soviétique décide de
ne pas honorer la dette extérieure et isole la Russie comme futur marché du reste du monde
(Lesourd et Gérard, 1964 : 329). Les Etats-Unis, préoccupés par les conséquences de la
révolution russe déclarent la guerre à l’Allemagne en avril 1917, un conflit qui durera un an.
Le bilan s’élève à 10 millions de soldats morts outre les innombrables victimes civiles.
L’économie de guerre entraine des séquelles pour l’économie civile, et pas seulement à cause
des destructions. L’investissement de guerre, même s’il n’est pas utilisé, est une reproduction
qui limite l’économie civile ; c’est-à-dire que l’appareil productif se restreint et il mettra des
années à récupérer son rythme productif. À partir de 1918, la récupération économique des
pays belligérants va tarder jusqu’au début des années 20. L’Autriche retrouve à peine son
PIB de 1913 en 1928 ; l’Allemagne et la Grande-Bretagne en 1925, la France en 1923 et la
Belgique en 1922. Les petites économies industrialisées, neutres dans la guerre (Pays-Bas,
Danemark et Norvège) retrouvent leur niveau d’avant-guerre à la fin du conflit et il en est de
même pour l’Australie, le Canada et l’Argentine. Le Japon et les Etats-Unis ne connaissent
pas de récession pendant la guerre ou après (Maddison, 1991 : 212-215). En tant que
fournisseurs suppléants, ils ont au contraire prospéré durant et après le conflit.
Entre 1924 et 1926, lorsque les pays centraux retrouvent leurs niveaux de production
d’avant-guerre, ils essayent d’avoir à nouveau la stabilité nécessaire pour réactiver le
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Dans la périphérie, mais surtout en Amérique Latine, la doctrine Monroe inaugure une
nouvelle répartition du marché mondial dont profitent les Etats-Unis. Le capital américain
pénètre tout particulièrement en Argentine et au Brésil, sous la forme de prêts ou
d’investissements dans l’après-guerre, afin d’encourager le remplacement des importations,
traditionnellement européennes, par un processus d’industrialisation intérieure sous
l’influence de la puissance nord-américaine. La même tendance est observée en Asie,
notamment en Inde. Le processus de prolétarisation, qui a démarré dans le Cône Sud dans le
dernier quart du 19ème siècle s’approfondit. Au début des années 20, plus des deux tiers de
la population active argentine, chilienne et uruguayenne est salariée, et deux décennies plus
tard la proportion atteint même les trois quarts.
La capacité de remplacement de la force de travail dans ces pays diminue tellement que la
sécurité sociale est instaurée, et sa couverture, tout comme en Europe, est positive pour la
force de travail qualifiée et moins facilement remplaçable (Mesa-Lago, 1978 : 265-266). La
transition démographique débute en Amérique Latine. À partir de 1926 cependant, les taux
d’intérêt augmentent aux Etats-Unis et le crédit cesse, avec une inversion du flux de
capitaux. Le résultat en est une détérioration de la balance des paiements. Les banques
centrales se voient contraintes de mettre en place une politique d’austérité, et les premiers
pays périphériques entrent en récession. Pour l’atténuer, et diminuer les attaques
spéculatives, ils abandonnent la convertibilité de leur monnaie (Henry, 2000 : 85).
Avec une telle conjoncture internationale, caractérisée par une faible croissance et une lente
expansion commerciale tant dans la plupart des pays centraux que dans les périphériques, la
prospérité économique américaine semble extraordinaire. Le taux de croissance moyen des
Etats-Unis entre 1922 et 1929 est de 4,7%. Les industries de base européennes diminuent
leur participation dans le commerce mondial en raison du protectionnisme américain, de la
fermeture du marché de la Russie soviétique, de la substitution des importations en
Amérique Latine et de la hausse des droits de douane en Europe. Le capitalisme nord-
américain semble triompher au milieu d’un environnement économique mondial stagnant.
Entre 1921 et 1925, le commerce des produits industriels dans le monde ne représente que
82% de son niveau de 1913, et entre 1926 et 1930, il ne dépasse 110%. Entre 1926 et 1930, la
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demande mondiale de matières premières est toujours à la baisse et arrive à peine à 86% de
son niveau de 1913 (Lesourd et Gérard, 1964 : 457). Les Etats-Unis semblent être une île de
prospérité dans un monde qui fait naufrage, mais ses revenus extérieurs ne se doivent pas
tant au commerce qu’aux crédits accordés aux pays étrangers.
La prospérité économique américaine jusqu’en 1928 ne se base pas uniquement sur le crédit
international et local. Une grande expansion du crédit au consommateur a eu lieu dans le
cadre de la « nouvelle économie », surtout en ce qui concerne de nouveaux biens de
consommation durables. La production en masse d’automobiles, d’appareils
électroménagers, d’équipements audio, de radios, exige l’élargissement du crédit à la
consommation. En Europe, ces biens continuent à être des articles de luxe pour un marché
très réduit, mais aux Etats-Unis les ventes de véhicules augmentent à un rythme
spectaculaire, passant de deux millions d’unités en 1919 à plus de cinq en 1929. Les bénéfices
des entreprises de la « nouvelle économie » grimpent sans cesse. Les expectatives de ventes et
de profits sont colossales, tout comme la spéculation en Bourse. Les crédits pour acquérir des
actions sont très souples et leur nombre explose. Jusqu’au milieu des années 20, les profits et
les prix des actions évoluent au même rythme, mais par la suite les prix des actions du Dow
Jones monte plus vite que les bénéfices des entreprises (Henry, 2000 : 62-68).
Comme les Etats-Unis représentent un tiers de la demande mondiale, leur contraction génère
le même phénomène pour la demande mondiale. La déflation ou baisse des prix devient
mondiale et la récession s’internationalise. Sur 16 pays centraux disposant d’informations
statistiques, 14 se trouvent en récession au début des années 30, sans parler de la récession
dans les pays périphériques, une récession qui freine brusquement les migrations
internationales. Il n’y a pas d’endroit au monde qui ne soit pas frappé par la crise (Gordon
1990 : 291-299 et Landry, 1949 : 421-433). À toutes les frontières, marchandises et personnes
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
se heurtent à des barrières. Entre 1931 et 1934, la valeur du commerce mondial se réduit à
74% de son niveau de 1913 (Lesourd y Gérard, 1964 : 457). Non seulement les pays
récepteurs (Etats-Unis, Canada, Australie, Argentine) refusent d’accueillir de nouveaux
migrants, mais en plus dans la première moitié des années 30 on constate des flux de retour.
Les pays se renferment à l’intérieur de leurs frontières et en 1932 l’autarcie nationaliste se
répand jusqu’en Grande-Bretagne. Face à l’incapacité d’acquérir des produits industriels,
les pays périphériques se voient également contraints de mettre en place une plus grande
autarcie. L’industrie nationale se substitue aux importations.
À la veille de la seconde guerre mondiale, plus aucune monnaie n’est convertible en or. Les
grandes devises ont été dévaluées, et l’insécurité économique et sociale est générale.
L’immunité de la Russie face à cette dépression mondiale renforce l’image du socialisme
dans le monde entier. À partir de la dépression, le commerce entre l’Occident et l’URSS
augmente de manière significative, s’agissant du seul marché en expansion. Entre 1931 et
1933, 55% des exportations américaines d’équipements se dirigent vers l’Union Soviétique
(Henry, 2000 : 5-6). Le développement industriel en Russie fait un bond prodigieux au milieu
d’un monde plongé dans la crise mondiale. L’insécurité économique et sociale généralisée en
Occident rallume la combativité de la classe ouvrière dans tous les pays. Le socialisme
soviétique apparait comme une option légitime. C’est dans ce contexte que Staline annonce
en 1934 la « fin de l’Histoire », se référant au capitalisme.
Chapitre VI
Face au régime d’accumulation de capital basé sur le libre jeu du marché, l’Union Soviétique
constitue une réponse dialectique historique. Le socialisme réel nait comme l’antithèse de
l’économie de libre jeu du marché en fonction de l’appropriation privée du capital. La
première tentative de mettre en place le communisme russe entre 1917 et 1921 liquide la
propriété féodale mais fait reculer la production agricole et industrielle. La NEP, Nouvelle
Politique Économique (1922 – 1928) restitue certaines libertés commerciales et stabilise
temporairement la petite propriété. L’introduction de formes économiques plus libérales
réactive la production agricole, surtout l’industrielle, et le niveau atteint est supérieur à ceux
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
de 1914. À partir de la récession mondiale, le système socialiste est mis en place avec une
planification centralisée. En 1928, les terres sont collectivisées à 20% ; en 1930 à 50% et en
1940 à 90%. Le sous-sol, les usines avec leurs machines, les chemins de fer, les moyens de
transport, les banques, les télécommunications, le commerce, etc., passent aux mains de
l’Etat (Lesourd et Gérard, 1964 : 354).
Dans les années trente, le capitalisme basé sur le libre jeu du marché conduit de manière
paradoxale à son contraire, le protectionnisme nationaliste. L’échec de la Conférence
Économique de 1933 met un terme à l’époque des accords multilatéraux qui devaient sauver
le libre jeu du marché. Le libéralisme à outrance, avec son attitude « sauve qui peut » aboutit
à l’opposé : un protectionnisme croissant qui débouche sur l’autarcie (Lesourd et Gérard,
1964 : 337). L’URSS s’inscrit dans la même philosophie antagonique et excluante. Face à la
dépression économique du capitalisme, on pense même que ce dernier peut être mis en
déroute par le socialisme. Une autarcie planifiée centralement, sous un gouvernement
nettement autoritaire, permet apparemment qu’une seule nation puisse dépasser toutes les
autres. La stratégie du « sauve qui peut » inspire les pays centraux. L’inclination vers le
fascisme et le national-socialisme constitue la réponse d’un capital en crise, dans un monde
où il n’y a même pas de place pour tout le capital et encore moins pour le socialisme. Les
antagonismes excluants entre nations capitalistes s’inscrivent dans la lutte exclusive entre
capitalisme et socialisme réel.
Au cours de la guerre, les pays occupés subissent une récession. La guerre crée des espaces
pour que des pays éloignés du conflit, comme par exemple les pays latino-américains ou
l’Inde, puissent et doivent remplacer encore plus leurs importations industrielles.
D’importateurs nets, ils deviennent des fournisseurs nets avec un gros excédent de leur
balance commerciale. Cependant, lorsque la guerre se termine, les vainqueurs et les vaincus
entrent dans une période de récession comme on n’en a jamais vue dans l’Histoire du
capitalisme. La croissance négative des 16 économies centrales atteint 11% (Maddison, 1991
: 113-117). Cette récession mondiale ne se doit pas tant à la destruction massive ou au
caractère improductif de l’économie de guerre ; elle est surtout le résultat de la politique du
« sauve qui peut » dans la répartition du marché mondial. La répartition par la guerre de ce
dernier ne fait rien d’autre que de le rétrécir encore plus. Dans la période de l’après-guerre,
il est clair qu’avec le « sauve qui peut » personne ne sera épargné.
La récession de 1945 – 1946 est une crise économique d’une profondeur et d’une portée
géographique jamais vues dans le capitalisme, qui fait prendre conscience que
l’accumulation de capital, à partir de la répartition du marché mondial existant, est arrivée
à sa limite maximale. Poursuivre dans cette logique, née avant la première guerre mondiale,
non seulement provoque des pertes de capital partout, mais en plus met en danger la
rationalité capitaliste elle-même. Cette prise de conscience se développe encore plus face aux
avancées du socialisme réel, et pointe le besoin que l’autre nation se développe
économiquement pour que le grand capital puisse se développer dans son propre pays, et à
partir de là, aller plus loin. Cette conception mène à une approche de la croissance régulée
mondialement à partir des nations individuelles. La nouvelle politique économique est le
keynésianisme. La création de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds Monétaire
International (FMI) par Bretton Woods, ainsi que des Nations Unies, doivent apporter le
cadre institutionnel qui favorisera cette nouvelle politique économique.
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
Avec les accords de Bretton Woods (1944) un nouvel ordre monétaire est créé pour éviter la
spéculation sur les devises. Le crédit international est régulé pour stimuler le commerce au-
delà des frontières. On cherche à fixer des taux de change qui freineront la spéculation sur
les devises. Pour que l’Etat ait plus de marge de manœuvre dans sa politique économique
intérieure, le taux de change basé sur l’étalon-or est abandonné et le taux de change fixe
mais ajustable est adopté. Le système se base sur l’établissement d’une parité fixe entre le
dollar et l’or. Les autres monnaies fixeront leur parité par rapport au dollar et indirectement
par rapport à l’or. Pour cela, les pays constituent le FMI où chaque pays dépose une
cotisation proportionnelle à ses ressources internes. Les Etats-Unis, qui disposent des plus
grandes réserves à la fin de la guerre, apportent la plus grande partie du fonds. De
nombreux pays centraux endettés par la guerre ne peuvent contribuer avec ce qui leur est
demandé. La BM, financée en grande partie par les Etats-Unis, verse en dollars les prêts
nécessaires à cet effet, dans la mesure où elle est intéressée par la nouvelle politique. C’est
seulement ainsi qu’il sera possible de réactiver le commerce des Etats-Unis.
La redistribution du revenu avec l’intervention de l’Etat amène une hausse relative des
salaires réels, directs et indirects, des travailleurs non qualifiés, plus importante que celle des
travailleurs qualifiés. Les impôts directs deviennent plus progressifs, contribuant à une
meilleure distribution du revenu. L’impôt sur les investissements improductifs (terres non
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
utilisées, maisons à louer) tend à augmenter, plus la taille du pays industrialisé est petite,
plus la redistribution du revenu est équitable. Dans des contextes de peu de millions
d’habitants, comme en Scandinavie, le nivellement du revenu entraine une plus grande
demande effective de biens de consommation durable. Sans cette mise à niveau, il serait
impossible de générer une demande effective suffisante pour la production massive dans les
petits pays centraux. La classe des travailleurs se reproduit ainsi comme classe en fonction
des besoins de reproduction du grand capital. Cette nouvelle modalité de reproduction de la
force de travail pour le grand capital constitue la base objective pour obtenir un plus grand
pouvoir d’achat de la classe des travailleurs. La société capitaliste se présente comme celle
où il y a de la place pour tous. La modernité semble être à portée de main. C’est ainsi que le
réformisme gagne en profondeur avec la social-démocratie dans ces pays.
Dans des grands pays, comme les Etats-Unis, ce nivellement des salaires ne s’avère pas
nécessaire pour générer la demande effective requise pour la production et la consommation
de masse. La production et la vente massives sont possibles au milieu d’inégalités
importantes. La concentration du revenu aux Etats-Unis diminue beaucoup après la seconde
guerre mondiale. En 1949, à peine 1% des familles nord-américaines reçoit 20% du revenu
national, au lieu de 36% en 1929 (Bartra, 1988 : 125). Mais ce nivellement n’obtient pas la
même profondeur que dans les pays scandinaves, ce qui explique la nature relativement
libérale de l’économie des Etats-Unis durant l’après-guerre. Au milieu d’une inégalité sociale
plus grande, il est possible dans cette nation que se reproduise le grand capital basé sur la
production et la vente massives. L’Allemagne occupe ici une position intermédiaire entre le
réformisme profond de la social-démocratie des pays nordiques et le libéralisme relatif des
Etats-Unis.
À partir de la demande effective croissante, la production de masse est garantie, mais il n’est
pas encore clair d’où provient la nouvelle hausse du taux de profit dans l’environnement
productif. Jusqu’à cette phase du capitalisme, la fabrication de produits de consommation
durable et de la technologie est caractérisée par une durée de vie moyenne plus ou moins
longue. Cette durée de vie moyenne des bâtiments dans les années 20 oscille entre 50 (pour
les usines) et 100 (pour les exploitations agricoles). En 1965, cette moyenne baisse à 70 ans
pour les bâtiments dans l’agriculture et à 30 pour l’industrie. Les équipements ont dans les
années 20 une durée de vie de plus de 30 ans. En 1965, elle oscille entre 16 (agriculture) et 17
(industrie) (Mandel, 1972 : 183 y Kozlik, 1968 : 142). Avec la nouvelle ère de la mécanisation
et de la substitution technologique, l’investissement en machinerie dépasse bientôt
l’investissement en bâtiments. Entre 1910 et 1930, de 100 dollars investis en capital fixe, 70
sont destinés aux bâtiments et seulement 30 aux équipements ; à partir de 1960, plus de 50
dollars investis correspondent aux équipements (Kozlik, 1968 : 193). A partir de là, le
moteur de la concurrence consiste à disposer de la toute dernière technologie, ce qui
implique raccourcir sans arrêt la durée de vie du capital fixe.
La réalisation des produits finaux s’accélère au fur et à mesure que leur durée de vie utile
diminue. La richesse, perçue comme le contenu et le présent dans la vie concrète, disparait
avec une vitesse croissante pour que la richesse produite augmente sans cesse en termes de
valeur. Ce consumérisme ne se définit pas en fonction des besoins de la population dans la
vie concrète mais exclusivement en fonction de la réalisation du profit du capital. Un produit
vendu démontre son utilité pour le capital par le simple fait qu’il soit vendu, même si après il
est jeté ou non utilisé. La marchandise vendue démontre son utilité en permettant un profit
même si elle n’a pas d’utilité dans la vie concrète. La vie des travailleurs n’est pas seulement
subordonnée au travail mais aussi à la consommation. Les attaques contre la nature et
l’utilisation d’énergie acquièrent une dimension jamais vue dans l’Histoire de l’Humanité.
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Les ressources naturelles non renouvelables s’épuisent et l’environnement est sans cesse
pollué. C’est la subordination totale de la nature, sans autre rationalité que celle
d’accumuler.
Ces pays centraux qui ont moins investi moins dans les dépenses militaires (Allemagne et
Japon, les vaincus de la guerre) voient croitre leur économie civile. Ils n’ont pas d’autre
option étant sérieusement limités dans leur participation à l’économie militaire. Dans le
cadre de la Guerre froide, les Etats-Unis investissent un pourcentage relativement élevé dans
le secteur militaire : 9 % du PIB en moyenne entre 1950 et 1970 (Nadal, 1991 : 229). Par
contre le Japon a des frais liés à la défense qui ne dépassent pas 1% jusqu’en 1985 (Nadal,
1991 : 229). Les bénéfices du complexe militaro-industriel sont en général supérieurs à ceux
de l’économie civile (14% contre 11%) (Nadal, 1991 : 261). Les investissements militaires
sont plus lucratifs pour les entreprises privées, mais pour l’économie prise dans son
ensemble, ils représentent une dépense improductive. Le produit final n’étant pas rattaché à
l’économie civile, les taux de croissance de l’économie dans son ensemble tendent à traîner.
C’est comme si la productivité n’avait pas autant progressé. La croissance annuelle moyenne
de la productivité aux Etats-Unis est très en dessous de celle observée pour le Japon : 2,4%
face à 5,8% pour la période 1960 – 1973, et 0,3% contre 3,2% entre 1973 et 1980 (Nadal,
1991 : 229).
Les exportations annuelles d’armes, même si elles constituent une petite fraction des
dépenses militaires, sont un mécanisme pour transférer à d’autres nations leur effet
improductif sur une économie productrice. Mais pour exporter des armes, il faut un marché
et cela implique un environnement avec une menace de conflit. La guerre froide constitue le
motif idéal pour ce transfert. De 1960 à 1987, les exportations annuelles d’armes dans le
monde passent de 2,5 à 40 milliards de dollars pour ensuite baisser à la moitié de chiffre en
1996 (Aguirre et Taibo, 1989 : 288 et 289 et Alternatives Sud, 1998 : 13). De toutes les
importations d’armes, les pays du Sud assument une part croissante au fil des ans. Si en
1960, le Sud en absorbe 44%, à la moitié des années 80 il en reçoit pratiquement 80%, une
valeur égale au montant de l’aide attribuée pour le développement (Aguirre et Taibo, 1989 :
88-89). Le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, avec les hausses des prix du pétrole des
années 70, absorbe dans les années 80, 40% des exportations d’armes vers le Sud
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(Alternatives Sud, 1998 : 19). La concentration de conflits durant la guerre froide autour des
pays du Moyen Orient sert de mécanisme de recyclage des pétrodollars.
Les dépenses militaires sont improductives de par leur contenu, quelle que soit la relation de
production sous laquelle ils sont générés. Les Etats-Unis aussi bien que l’URSS doivent
assumer cette dépense improductive aux dépens de leur économie civile. La course à
l’armement entre les deux puissances influe plus le développement de l’économie civile de
l’URSS que celle des Etats-Unis, et freine de plus en plus la croissance économique des
premiers. Avant la seconde guerre mondiale et pendant la crise des années 30, l’économie
soviétique prospère comme aucune autre nation. Pendant le conflit, les forces alliées
capitalistes non seulement ne parviennent pas à détruire le premier socialisme réel, mais en
plus l’URSS s’agrandit à l’ouest et à l’est. Comme si ce n’était pas suffisant, un autre maillon
faible se brise avec la Révolution chinoise et ensuite la Corée du Nord, le Vietnam et Cuba
s’incorporent au socialisme dont l’expansion signifie non seulement un fractionnement
progressif du marché mondial pour le capital mais aussi les avancées d’une rationalité
économique sur une autre. La guerre froide reflète la lutte des contraires de deux rationalités
économiques exclusives.
Avec un PIB de l’URSS estimé à entre un tiers et une moitié de celui des Etats-Unis, des
dépenses militaires égales entre les deux puissances (Aguirre et Taibo, 1989 : 290-292) cela
équivaut à un coût improductif relatif pour l’URSS de deux à trois supérieur à celui des
Etats-Unis, qui en 1984 dépensent 6,4% de leur PIB en défense, alors que pour l’URSS cela
représente entre 14% et 17% (Nadal Ega, 1991 : 235). Cette proportion n’est pas équilibrée
par rapport à l’économie civile de l’URSS. Cette situation entraine une austérité portant sur
les biens de consommation pour les soviétiques, ainsi que des investissements limités pour
l’équipement de son économie civile. C’est de là que vient le retard technologique dans ce
domaine en URSS. Kozlik (1968 : 289) affirme 20 ans avant la chute du Mur de Berlin que la
politique des Etats-Unis consistant à maintenir un niveau élevé de dépenses militaires
détruira tôt ou tard l’économie civile de l’URSS qui - selon l’auteur – avec une accélération
de la course aux armements cherchera désespérément à obtenir un accord portant sur le
désarmement. L’accélération de la course aux armements dans les années 80, sous
l’administration Reagan, accompagnée du même phénomène dans l’URSS de Brejnev,
implique la lente décomposition de l’économie civile soviétique, comme cela se reflète dans
ses taux négatifs de croissance. Augmenter les dépenses militaires dans une économie aux
chiffres de croissance si mauvais résulte être suicidaire. L’accord de désarmement et la
perestroika, à l’époque de Gorbatchev, ont pour objectif de réactiver l’économie civile
soviétique. Toutefois, la politique arrive trop tard. Après des décennies d’assujettissement
des économies nationales à un plan central et la stagnation simultanée de l’économie civile, la
politique de décentralisation qui avait pour objectif de restimuler l’économie civile entraine
nationalismes et séparatismes. Le résultat en est la décomposition du bloc soviétique, et par
conséquent la fin du socialisme réel en tant qu’option face au capitalisme. L’Occident, avec
Fukuyama (1995) peut revendiquer la « fin d el’Histoire ». Il n’y a plus d’autre chemin que
le néolibéralisme. On annonce victorieusement la fin des utopies.
Avec la course aux armements, l’économie civile des Etats-Unis perd également de son
dynamisme face à ses concurrents occidentaux. La productivité du travail diminue dans ce
pays plus que dans toute autre puissance industrielle. Cependant, à partir de la fin des
années 70, la tendance à la baisse de la productivité est présente dans tous les pays centraux.
Chaque fois plus rapide, l’innovation technologique permanente, qui découle de la
concurrence, augmente les coûts de la substitution technologique. En raison de cette
innovation, les coûts du travail diminuent, mais à un rythme inférieur aux coûts de cette
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innovation. Le résultat en est une diminution des bénéfices dans la productivité du travail.
C’est comme si l’innovation technologique cessait de stimuler la productivité. Ce que l’on
gagne avec l’innovation est perdu par la vitesse croissante de la substitution qu’elle suppose.
Baisse alors peu à peu la rentabilité de l’investissement réalisé. Dans tous les pays du G-7,
une diminution de la productivité est constatée à partir de la seconde moitié des années 60,
mais aux Etats-Unis cela se produit plusieurs décennies avant. La combinaison de dépenses
militaires élevées et improductives avec une substitution technologique accélérée fait que les
bénéfices, par rapport à la productivité du travail, ne dépassent pas 2,2% pour la période
1950 – 1973 alors que les chiffres sont de 5,2% pour le G-7 dans son ensemble (Maddison,
1991 : 150).
Le résultat est une diminution de la présence des Etats-Unis dans le commerce mondial,
surtout face à l’Europe et au Japon. Le déficit de la balance des paiements des Etats-Unis ne
cesse d’augmenter entre 1950 et 1970, et les réserves d’or et de devises se concentrent dans
les autres pays capitalistes. Face à une dévaluation attendue du dollar, l’Europe et le Japon
s’efforcent de transformer les billets verts en or. En 1971, les Etats-Unis proclament la non-
convertibilité du dollar en or, rompant ainsi les accords de Bretton Woods. Dès lors, les taux
de change commencent à flotter et le néolibéralisme est en route (Paz, 1983 : 134-135). Mais
la substitution chaque fois plus rapide de la technologie touche également les autres pays
centraux, qui souffrent d’une diminution de la productivité du travail, avec 10 ans de retard.
La situation aux Etats-Unis empire encore plus, avec des bénéfices de 0% par rapport à la
productivité (Maddison, 1991 : 150). Face à ce phénomène, le capital tend à se déplacer vers
le champ financier et surtout vers le secteur spéculatif. Pour préserver les bénéfices du
grand capital, des pressions suffisamment fortes sont exercées pour que soient mises en place
des politiques néolibérales, propices au transfert des investissements vers l’environnement
redistributif, financier et spéculatif, que nous analyserons par la suite.
Dans les pays qui disposaient déjà depuis leur processus d’industrialisation plus ancien
d’une capacité substitutive, comme par exemple l’Argentine, le Chili et l’Uruguay, la
proportion de salariés stagne complètement de 1950 à 1970. Le niveau de salariés se
maintient à 72%, voire recule (PREALC, 1982 : 35). La conséquence de ce recul est un
réformisme à reculons à partir de l’après-guerre. Même si le Cône Sud échappe à ce
processus dans les années 30 et 40, il subira par la suite cette tendance. La situation de
réformisme à reculons mène à l’option socialiste par la voie des urnes au Chili en 1970. La
foi institutionnelle née au cours de décennies de réformisme mène à cette issue, unique dans
l’Histoire, dans un environnement de guerre froide hostile au socialisme. Avec l’intervention
des Etats-Unis, cette expérience unique et axée vers une démocratie orientée vers le
socialisme tourne court suite à l’usage de la violence par les forces militaires. Face au
réformisme en cours, la réponse conservatrice est une politique répressive dans le Cône Sud,
avec les mêmes pratiques que celles du fascisme.
Peu de pays latino-américains avancent vers un réformisme plus important dans la période
d’après-guerre. Il y a toutefois quelques exceptions. Au Costa Rica, le pourcentage de
salariés passe de 66% à 73% pour la période 1950 – 1970. Avec une population aux trois
quarts salariée, la capacité de remplacement de la force de travail diminue à tel point que le
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temps moyen de présence d’un salarié dans une entreprise se prolonge inévitablement. C’est
ainsi que se créent les conditions nécessaires pour un réformisme caractérisé par son ample
couverture de la sécurité sociale. (81% de la population en 1980), une réduction effective de
la journée professionnelle et des hausses de salaires. La stabilité professionnelle et la sécurité
économique et sociale augmentent. De ce point de vue, le pays atteint les niveaux du Cône
Sud avec un demi-siècle de différence. Panama et quelques petites îles des Caraïbes – Trinité
et Tobago, les Bermudes, les Barbades et dans une moindre mesure la Jamaïque – présentent
le même panorama.
La plupart des autres pays latino-américains se caractérise par 50% de salariés, par une
forte capacité substitutive de la force de travail, qui se maintient pratiquement inchangée
dans une grande partie de ces pays durant cette période, avec des exceptions comme la
Colombie, le Mexique et le Honduras. Dans les pays où la relation salariale concerne la
moitié de la population, mais sans perspectives croissantes d’inclusion, les conditions pour
améliorer les conditions de travail ou pour une couverture significative de la sécurité sociale
n’existent pas. Par exemple en 1980, la couverture sociale est inférieure à 10% en Equateur,
au Salvador, au Honduras et au Nicaragua. Et elle concerne entre 105 et 20% de la
population en Colombie, au Guatemala, au Paraguay et au Pérou (Mesa-Lago, 1990 : 23). Si
la mortalité diminue dans le continent depuis l’après-guerre, elle ne s’explique pas dans la
plupart des pays d’Amérique Latine par un essor de la sécurité sociale, mais par la politique
de santé publique et des campagnes de vaccination qui se développent depuis la seconde
guerre mondiale. Dans ces pays sans sécurité sociale et économique, la fécondité ne diminue
pas en raison d’une dynamique intérieure mais en raison de politiques antinatalistes
imposées depuis l’étranger.
Comment est la situation sur les autres continents ? En Afrique, la capacité de remplacement
dans des pays méditerranéens comme l’Algérie, l’Egypte et la Lybie, ressemble à la moyenne
latino-américaine, avec 50% de salariés dans les années 50. Cependant, dans ces trois pays la
relation salariale s’étend plus ou moins rapidement dans la période 1950 – 1970 : en Algérie
elle passe de 40% à 60%, en Egypte de 50% à 60%, et en Lybie de 50% à 70%. Il s’agit là de
situations qui partent d’une forte capacité de substitution de la force de travail mais avec des
opportunités croissantes d’emploi dans le temps. Face aux opportunités d’emploi, les
occasions d’inclusion sont plus à la portée des gens et la lutte sociale est par conséquent
moins radicale que lorsque la relation salariale stagne. En Afrique du Sud, le pourcentage de
salariés est de 63% en 1960 et de 90% en 1985. C’est-à-dire que la capacité de remplacement
diminue rapidement. L’inclusion atteint la plupart de la population en quelques décennies,
une inclusion accélérée qui sans aucun doute contribue au démantèlement de l’apartheid
dans ce pays.
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Dans les pays sub-sahariens, la relation salariale en est à ses débuts, y compris au début du
21ème siècle, et n’est comparable en Amérique Latine qu’avec Haïti. La timide pénétration
de capital dans ces pays commence à peine avec l’après-guerre. La plupart de ces nations ne
comptent qu’à peine 10% de salariés, y compris l’appareil étatique, civil et militaire. Le
capital, en d’autres termes, n’a pratiquement pas pénétré cette partie du monde. Il n’y a pas
de classe ouvrière plus ou moins organisée. Les luttes sociales et politiques pour des voies
alternatives ont donc elles aussi un autre caractère. Par contre, la situation en Angola et au
Mozambique est différente. En 1960, 50% de la population active de l’Angola est sous
relation salariale, et le pourcentage est de 40% pour le Mozambique en 1970 (OIT, 1990,
tableau N°2). Il n’y a pas de statistiques disponibles pour mesurer la stagnation de la relation
salariale au fil du temps. Cependant, le fait qu’en Angola entre 1950 et 1970, 70% de la
population active occupe un travail dans le domaine de l’agriculture, et 80% au
Mozambique (OIT, 2000 : 204 et 310) révèle que la relation salariale continue de stagner.
Une forte lutte sociale pour une option plus inclusive répond à cette situation objective.
Cela serait s’éloigner de nos objectifs que d’analyser, pays par pays, les raisons et les
conséquences de la pénétration ou de la stagnation de la relation salariale dans les différents
états de la périphérie, dans la période de l’après-guerre. Voyons tout d’abord les causes et les
résultats de la stagnation de la relation salariale en Amérique Latine comme un ensemble.
Ensuite, nous tenterons de contraster cette stagnation avec le dynamisme économique en
Asie. Nous avons déjà signalé qu’entre 1950 et 1970, il n’y a pas de flux de capitaux privé
nord-sud. La caractéristique de cette période est une importation accélérée de capital fixe
dans le processus d’industrialisation basé sur la substitution des importations. Nous avons
vu que cette substitution technologique accélérée freine l’expansion de l’emploi industriel.
La capacité substitutive de la force de travail se maintient à certains niveaux, ou augmente,
comme dans le Cône Sud. Au milieu d’une capacité substitutive soutenue ou en
augmentation, les salaires réels ont tendance à diminuer. Cela s’applique surtout à la force
de travail non qualifiée et la plus facilement substituable, qui gagne souvent le salaire
minimum.
L’indice des salaires minimums réels sur le continent passe entre 1965 et 1980 (avec une base
100 en 1970) de 129 à 55 en Argentine, de 188 à 102 au Brésil, de 130 à 96 en Colombie
(1979), de 108 à 81 au Chili, de 108 à 85 au Guatemala, de 114 à 76 au Nicaragua, de 108 à 88
à Panama, de 107 à 66 au Paraguay, de 80 à 75 au Pérou, et de 99 à 83 en République
Dominicaine (1978). Peu nombreux sont les pays où le salaire minimum augmente durant
cette période. Cette amélioration salariale existe généralement là où la relation salariale
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devient plus forte comme le Costa Rica, le Mexique ou le Venezuela. Au Costa Rica, le salaire
minimum réel passe de 100 a 113 entre 1965 et 1980 ; au Mexique de 80 à 110, et au
Venezuela de 89 à 106 (PREALC, 1982 : 150 et 151).
L’accélération de la substitution technologique à des vélocités croissantes en Amérique
Latine s’effectue sur la base de l’importation obligée de biens de capital auprès de
fournisseurs en position de monopole. Cela permet un contrôle effectif sur la reproduction
de ces capitaux par une partie du capital transnational. Avec des contrats de vente obligée
d’équipement et de savoir-faire, les multinationales en position de monopole de vente
parviennent à s’approprier l’industrie de pointe en Amérique Latine sans avoir besoin de
transférer des capitaux. Avec ces « livraisons sous conditions » d’équipements, commence la
première exportation de profits selon des mécanismes de surfacturation du capital fixe. Le
pas suivant consiste à livrer des équipements tout aussi surfacturés sous le concept de co-
investissement pour « alléger » la charge. Cependant, il s’agit d’investissements étrangers
déjà payés. Le flux de profits commence à apparaitre avec nom et prénom, mais sans le
transfert d’un seul centime (Peralta, 1978 : 333). De cette manière, il est possible d’expliquer
l’apparition d’investissements étrangers directs sur le continent durant la période de l’après-
guerre. Il s’agit clairement d’investissements étrangers financés avec l’argent et les épargnes
nationales.
devient négative à partir de 1974. Entre cette année-là et 1982, son solde négatif s’élève à
environ 60 milliards de dollars. C’est au cours de cette période qu’a lieu au niveau
international la libéralisation du système financier. La banque privée internationale gagne
des parts de marché pour accorder des prêts dans le monde entier. Il faut ajouter à cela le
recyclage des pétrodollars qui entrent en circulation par le biais de la banque occidentale, en
raison de la forte hausse des prix du pétrole au cours des années 70. Ces crédits privés
avaient été très contrôlés afin d’éviter l’instabilité monétaire. La banque privée commence
alors à accorder des crédits pour permettre de régler les dettes provoquées par le déficit de
la balance commerciale, et la dette extérieure explose.
En outre, l’augmentation des taux d’intérêt sur le plan international, à partir de 1982,
provoque une crise dans la dette. La hausse des taux sous la présidence de Reagan est «
justifiée » par les besoins des Etats-Unis à cause de la course aux armements qui plonge
l’URSS dans des difficultés économiques comme nous l’avons déjà vu. Les dépenses
militaires de la puissance capitaliste dans les années 80 représentent plus du double de la
dette extérieure du Sud (Nadal, 1991 : 233). Afin de financer ce gouffre militaire, les Etats-
Unis attirent des fonds de l’extérieur, et pour cela augmentent les taux d’intérêt à long
terme. La banque internationale privée tout entière s’efforce d’accorder des emprunts aux
Etats-Unis. Face à la chute du taux de profit dans le secteur productif, les intérêts deviennent
une option intéressante. Au lieu de prêter plus à l’Amérique Latine, les prêteurs
commencent à encaisser la dette. Le continent ne peut plus y faire face et c’est alors
qu’éclate la crise de la dette.
Avec la crise de la dette, dévaluations et inflations sont à l’ordre du jour, ce qui provoque
l’instabilité monétaire qui menace le continent jusqu’à aujourd’hui. Revient alors l’époque
du capital improductif et spéculatif. Avec l’ancienne structure économique basée sur la
substitution des importations, il n’y a aucune possibilité de payer la dette extérieure. La
structure de l’économie en elle-même doit être modifiée. Ã partir de ce constat débutent,
sous le contrôle croisé du FMI et de la Banque Mondiale, les « politiques de réajustement
structurel ».L’économie de marché se radicalise. L’époque de la répartition du marché
mondial est réinaugurée en Amérique Latine. Le démantèlement des barrières commerciales
et la privatisation du secteur public sont à l’ordre du jour. C’est sur cette base et dans ce but
que s’instaure le néolibéralisme dans tout le continent, bien que ses racines historiques soient
plus anciennes.
Chapitre VII
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capital fixe dans les pays de l’OCDE croit encore à un rythme annuel de 7%, ce chiffre
descend ensuite jusqu’à peine 1,8% entre 1989 et 1995 (Shutt, 1998 : 38).
Alors que la première période de l’après-guerre signifie une reproduction élargie du capital
productif, et de là une croissance économique, la seconde entraîne une moindre création de
richesse mais accentue ses mécanismes de redistribution et de concentration. Le
néolibéralisme consiste précisément en une libéralisation des mécanismes qui permettent la
concentration de la richesse mondiale. Il ne s’agit plus de la main invisible, dont parle Adam
Smith, qui fait migrer l’investissement vers le redistributif (commercial et financier) et
l’improductif (spéculatif) mais de la planification privée du capital financier et transnational
qui cherche à améliorer ses positions « compétitives » pour accaparer une plus grande part
du marché mondial. La stagnation économique est une conséquence logique, ce qui conduit à
une politique encore plus agressive de la répartition du marché mondial. L’efficacité
économique n’est rien d’autre que de savoir se placer dans la meilleure position possible
pour participer au partage du marché mondial.
29% à 25%. Le commerce Nord-Nord (sans inclure le commerce interne dans l’Union
Européenne) passe de 25% à 30% du montant global pour la période observée. Le commerce
Sud-Sud ne représente pas non plus d’option pour le Sud, en reculant de 26% à 19% pour la
même période (CEPII, 1995 : tableau N°4). Au milieu de cette stagnation progressive du laps
de temps étudié, le commerce international réussit à améliorer sa position au détriment du
Sud.
Avec les exportations, les multinationales accaparent le marché mondial. Près de 50% des
ventes transnationales sont des exportations (Andreff, 1996 : 79). Si la croissance
économique diminue constamment, la politique consistant à accaparer des marchés déjà
existants deviendra plus âpre. La richesse et les bénéfices produits dans le monde reflètent la
stagnation économique. De cette manière, le bénéfice transnational dépend chaque fois plus
exclusivement de son avancée sur le marché. En 1982, les 200 plus grandes entreprises
transnationales du monde parviennent à réaliser des ventes qui équivalent à 24% du Produit
Mondial Brut (PMB), un chiffre qui arrive à 35% en 1999. Les ventes de toutes les
multinationales prises en commun dépassent 50% du PMB (Andreff, 1996 : 77 ; Beinstein,
1999 : 60). Par essence, ces chiffres révèlent une répartition progressive du marché mondial
entre les principales multinationales, face à la stagnation galopante de la croissance
économique (Wolman-Colamosca, 1997 : 85).
Le processus de globalisation apparait alors comme une bataille économique pour la
répartition du marché mondial existant. La bataille n’est pas d’un seul empire, comme le
suggèrent de manière erronée Hardt et Negri (2000), mais une guerre économique entre les
multinationales de la triade Amérique du Nord, Union Européenne et Japon. Dans cette
dispute pour la répartition du marché mondial, les Investissements Directs Etrangers (IDE)
créent des tissus économiques qui vont au-delà des frontières. 90% des IDE proviennent des
pays du G-7 plus la Suisse et les Pays-Bas. 1% des multinationales de ces pays détiennent
plus de 50% du stock des IDE à l’étranger (Andreff, 1996 : 77; OIT, 1993 : 293). À partir des
années 80, ces derniers augmentent de manière exponentielle, et plus de 75% se concentre au
sein de la Triade. Entre 1975 et 1997, le stock des IDE maintenu à l’étranger passe de 229
milliard à 2945 milliards de dollars (ONU, 1993: 111, 1999 : 12). Cet investissement direct
étranger se développe pour améliorer la position concurrentielle des multinationales dans le
marché par le biais de fusions et d’acquisitions.
Le processus croissant de fusions et d’acquisitions se reflète dans le transfert des
investissements étrangers de l’environnement productif au financier, où l’achat et la vente
d’actions explosent. Entre 1975 et 1997, les IDE dans le secteur tertiaire augmentent dans la
Triade de 24% à 60%. 80% des investissements directs étrangers dans le secteur tertiaire
correspondent aux finances. Les opérations directes dans les secteurs productifs de la Triade,
c’est-à-dire les investissements, productifs à proprement parler, passent de 76% à 40% entre
1975 et 1997. Une concentration de l’investissement direct dans les services, bien que moins
accentuée, se produit également dans la périphérie. Si en 1975, 77% des investissements
étrangers se concentrent dans les secteurs productifs, en 1997 il n’en reste qu’à peine 64%.
En d’autres termes, durant la période étudiée, l’investissement direct dans le secteur
tertiaire augmente de 23 à 36%, c’est à dire une hausse relative de 60%, reflet du processus
d’acquisitions d’entreprises privées et de la privatisation des entreprises publiques dans le
Sud (ONU, ibid).
La distribution inégale de l’investissement étranger entre les trois pôles de la Triade modifie
les relations commerciales entre les blocs économiques. En 1979, avant la forte vague
d’investissement étranger, les Etats-Unis gèrent 43% des exportations intra-Triade ; l’Union
Européenne (sans prendre en compte le commerce interne) en gère 33% et le Japon 25%. E
1993, le Japon atteint 34%, les Etats-Unis 36% et l’UE 30%. C’est ainsi que le Japon
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apparait comme le grand vainqueur de la Triade, aux dépens des Etats-Unis et de l’union
européenne (UE). Tout cela est la conséquence de l’évolution différente de l’investissement
étranger des puissances à l’intérieur de la Triade. Le stock d’investissement étranger du
Japon aux Etats-Unis est 10 fois plus important que celui des Etats-Unis au Japon. Une
situation similaire se produit entre le Japon et l’UE. Le résultat final est que de tout le
commerce effectué au sein de la Triade, le Japon en possède 20% aux Etats-Unis et 14 dans
l’UE. Alors que les Etats-Unis n’ont que 11% au Japon et l’UE 6%. À eux deux les Etats-
Unis et l’UE ne placent que Japon que la moitié de ce que ce dernier a dans l’ensemble des
deux blocs.
Les investissements étrangers montrent une pénétration commerciale croissante du Japon
dans les marchés de ses principaux concurrents, ce qui reflète une balance commerciale
favorable pour le Japon face à ses rivaux. Face à ce déséquilibre croissant, le commerce
équilibré entre les Etats-Unis et l’UE attire l’attention. Les premiers exportent 24% vers
l’UE, et cette dernière 25 % vers les Etats-Unis (CEPII, 1995, tableau N°4). Ce fort
déséquilibre intra-Triade des deux puissances avec le Japon contraste avec l’équilibre
transatlantique, symptôme qu’une force économique relative du Japon et l’équilibre
commercial simultané entre les Etats-Unis et l’UE génèrent une alliance transatlantique
pour planifier l’occidentalisation du processus de mondialisation.
Jusqu’en 1970, le Japon est hostile aux investissements étrangers, alors qu’il ne se heurte pas
aux mêmes obstacles pour investir en Occident. Le Japon doit cette situation à son avancée à
l’intérieur de la Triade. Lorsque le Japon est contraint par l’OCDE d’ouvrir ses frontières
aux investissements étrangers, les obstacles formels sont remplacés par d’autres réels sous la
forme des stock cross holdings entre groupes de corporations japonaises. Cette politique
oblige à acquérir des actions d’autres entreprises afin de pouvoir acheter celles d’une
multinationale déterminée (Lawrence, 1992 : 50-63). La réponse face à l’avancée japonaise
dans la répartition du marché intra-Triade dans les années 80 est double. Après la chute du
Mur de Berlin, les blocs économiques déplacent temporairement les IDE vers les périphéries.
Le partage du marché mondial s’oriente vers le Sud sans aucune restriction (Morrison-Roth,
1993 : 37 et Beulens, 1995 : 518).
Les IDE en Amérique Latine représentent seulement 25% de tout l’investissement étranger
sur le continent. 75% d’entre elles sont des investissements de portefeuille à court terme.
Celles-ci affluent vers la région en raison de taux d’intérêt élevés. Face au déficit croissant de
la balance commerciale, les pays latino-américains parviennent à équilibrer leurs balances
de paiement avec l’arrivée d’investissements de portefeuille (CEPII, 1996 : 107; IRIELA,
1996 : 109 et 114). Le flux de ces capitaux flottants sont cependant extrêmement volatile et ils
peuvent s’envoler dès le moindre doute sur l’économie nationale, comme le montre la crise
mexicaine de 1995, à partir de la laquelle la politique étrangère, face à la composition des
investissements étrangers sur le continent, s’oriente vers moins d’investissements de
portefeuille et à plus d’investissements directs. Ce changement de politique implique une
privatisation progressive.
Toutefois, la politique d’occidentalisation du processus de mondialisation trouve son front de
bataille principal en Asie. La rapide croissance économique des pays du sud-est asiatique se
base sur une économie d’exportation, processus qui trouve son origine dans la Guerre froide.
Les « Tigres » asiatiques, encore appelés « Dragons de l’Est » (Hong-Kong, la Corée, Taïwan
et Singapour) s’intègrent au marché mondial grâce à la politique occidentale consistant à
encourager des modèles qui doivent se détacher face aux économies voisines socialistes. Pour
y parvenir, les grandes puissances, et en premier lieu les Etats-Unis, ouvrent délibérément
leurs marchés à ces petites nations. Avec une telle ouverture, dès les années 60, ces économies
modifient leurs politiques de substitution des importations pour à la place promouvoir les
exportations à partir de l’épargne intérieure et avec une politique occidentale souple en
matière de droits de propriété intellectuelle (Millán, 1992 : 31-34). Avec cette optique, les
trajectoires des économies périphériques du sud-est asiatique sont différentes des situations
vécues par l’Amérique Latine.
Alors que les exportations de la région stagnent, les importations explosent. La situation de
la balance commerciale empire et en 1996 elle présente des chiffres négatifs en Corée, à
Hong-Kong, aux Philippines, en Thaïlande, en Indonésie et en Malaisie. La Chine, dont les
coûts de production sont plus bas que n’importe où ailleurs, maintient ses exportations
pendant un temps, un avenir qui dépend essentiellement de l’état de l’économie mondiale.
La conséquence logique pour la plupart des pays du sud-est asiatique est une perte de leurs
réserves internationales, d’où le début d’une spéculation contre les monnaies asiatiques qui
ont maintenu une parité fixe. La fuite de capitaux à des fins spéculatives oblige à augmenter
les taux d’intérêt et à utiliser les réserves en devise avant de dévaluer. Le FMI permet
consciemment que les réserves internationales s’épuisent et que les monnaies locales soient
dévaluées avant d’intervenir. Il recommande alors des politiques de réajustement structurel
qui permettent au capital transnational, surtout en provenance des Etats-Unis, d’acquérir
des entreprises nationales (Feldstein, 1998). L’accumulation de capital basée sur la
répartition du marché dépasse le capital productif. Cet investissement improductif crée une
récession régionale qui ôte du dynamisme à l’économie mondiale. La bataille pour la
répartition du marché mondial se poursuit, et les Etats-Unis s’annoncent comme les
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Après la Russie, c’est le Brésil qui entre en crise, un exemple de l’effronterie de plus en plus
grande du FMI. En Asie, il négocie uniquement après l’éclatement de la crise alors qu’au
Brésil, il la prépare (Chossudovsky, 1999 : 20). En effet, après avoir annoncé en novembre
1998 un prêt de 41,5 milliards de dollars à condition que le gouvernement maintienne une
parité fixe durant les deux prochains mois (une période électorale), il prépare la conjoncture
por la spéculation. Lorsque le 15 janvier 1999, le FMI approuve le flottement du réal, le
pillage a déjà eu lieu avec la fuite de 20 milliards de dollars. Entre juin 1997 et janvier 1999,
les réserves en devise baissent de 75 milliards de dollars à 27 milliards, et le réal perd 40%
de sa valeur. La recette préconisée alors par le FMI est la privatisation de la banque et des
entreprises publiques d’énergie et d’infrastructure. Face aux conditions déplorables de
négociation, le résultat est une honteuse vente aux enchères du patrimoine national
(Chossudovsky, 1999 : 20).
L’accaparement des marchés par des multinationales chaque fois moins nombreuses permet
que ces dernières prospèrent au milieu de la stagnation économique mondiale, aux dépens du
dynamisme économique dans la périphérie. Entre 1982 et 1992, la croissance annuelle du
PIB de 150 pays non-membres de l’OCDE est encore de l’ordre de 9%, mais se réduit à
5,2% pour la période 1992-1995, et à seulement 2,3% de 1995 à 1998. Cela implique que le
dynamisme économique de la périphérie s’est réduit de 75% en moins de 10 ans. L’ouverture
des marchés périphériques bénéficie aux multinationales, qui voient augmenter leurs ventes
de 10,3% annuels entre 1992 et 1995 (Clairmont, 1999 : 19). Un monde sans croissance
économique, mais avec une forte expansion simultanée des multinationales, stimule la
spéculation boursière. Les paris sur les seuls triomphateurs dans le monde provoquent la
plus grande hausse de la Bourse en Occident. Vers la fin des années 90, l’investissement dans
l’économie-casino en Occident attire 80% de l’épargne mondiale (Clairmont, 2001 : 3).
Cependant, la plus grande spéculation ne se développe pas à partir d’une épargne constituée
d’argent économisé mais à partir de crédits. Parier sur une redistribution plus inégale à
l’avenir avec de l’argent économisé, c’est investir de la richesse sous forme d’argent dans des
activités improductives. Avec un tel investissement, on ne crée pas de nouvelle richesse mais
on parie sur une plus grande concentration de la richesse dans le futur. Au fur et à mesure
qu’augmente l’investissement sur des paris, il se concentre de moins en moins dans
l’environnement productif et la richesse produite tend à rétrécir. Parier sur la concentration
d’une richesse future en diminution revient à dévaloriser l’argent. Parier sur une
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concentration de la richesse avec de l’argent économisé à partir d’une richesse générée dans
le passé revient à la dévaloriser. Spéculer à crédit équivaut à hypothéquer l’avenir avec des
obligations croissantes sans garantie de richesse produite. Une masse toujours plus grande
d’argent et de crédit investis dans des actions de la Bourse n’est pas garantie avec une
richesse nouvelle. Cela veut dire qu’une masse toujours plus grande d’argent engagé dans la
spéculation devient virtuelle. Mais cette particularité n’apparait pas tout de suite. Cela
viendra, tôt ou tard, au cours d’un crack. Etudions cela de plus près.
Entre 1995 et 1997, le crédit privé croît à un rythme annuel de 6,2%, c’est-à-dire le triple de
la croissance du PIB mondial et presque 150% de plus que le taux de croissance des ventes
transnationales (4,4%) (Clairmont, 2001). Les investissements sur l’avenir, sans croissance
globale, encouragent chaque fois plus les expectatives autour des bénéfices attendus par les
uniques gagnants de l’économie-casino. Dans ce jeu de casino mondial, la capitalisation
boursière explose, triplant entre 1990 et 1999. La capitalisation est calculée à partir de la
côte des actions multipliée par la quantité d’actions en circulation. Entre 1990 et 1999, la
capitalisation boursière est donc multipliée par trois. En 1999, les Etats-Unis occupent la
première place de ce palmarès, avec 50% de la capitalisation mondiale (Hale, 1999 : 104). Le
Dow Jones, où sont côtées les entreprises les plus importantes de la Bourse de New York,
grimpe de 500 à 1000 entre 1956 et 1972, soit la multiplication de la valeur des actions en
l’espace de 16 ans, conformément à la croissance réelle de l’économie. À partir de cette
période, la côte grimpe surtout dans les années 80. En huit ans, de 1987 à 1995, l’indice Dow
Jones passe de 2000 à 4000 et grimpe ensuite jusqu’à 8000 en moins de deux ans, entre
novembre 1995 et juillet 1997. Au cours de la décennie 1987 – 1997, alors que la stagnation
de l’économie s’accentue, la valeur des actions est multipliée par 4 alors que les gains des
multinationales ne font qu’un peu plus que doubler, passant de 333 à 818 milliards de dollars
(The Wall Street Journal, 1999 : 259).
À partir de la deuxième moitié des années 90, le rythme de ventes des multinationales
diminue. Alors qu’entre 1992 et 1995 elles croissent à un rythme annuel de 10,3%, ce chiffre
est descendu à seulement 4,4% entre 1995 et 1998 (Clairmont, 1999 : 19). Le marché
mondial semble être réparti. Une nouvelle distribution du marché impliquerait une
confrontation d’intérêts du grand capital. Il n’y a pas assez de place pour tout le capital
multinational dans une économie mondiale en voie de stagnation. La nouvelle répartition du
monde exige une intervention plus agressive. L’occidentalisation du processus de
mondialisation n’est plus suffisante. Les Bourses occidentales, et surtout celle de New York,
sont temporairement à l’abri grâce à l’occidentalisation de ce processus de mondialisation.
Le Dow Jones atteint son record historique en mars 2000 avec un indice situé à 11700 points.
Cependant, cette dernière hausse n’a pas lieu sans une altération de la comptabilité (comme
cela sera démontré par le cas d’Enron en 2002) et sans l’achat massif d’actions appartenant
aux entreprises elles-mêmes à l’aide de crédits bancaires, dans le seul but de montrer les
fantastiques rendements boursiers des multinationales.
Dans le scenario de la répartition du marché mondial, il n’y a qu’un nouveau secteur qui
promet une forte expansion économique dans le domaine productif : la nouvelle économie
essentiellement basée sur l’informatique et la communication. De 1991 à 1997,
l’investissement de capital dans ce secteur croît rapidement, surtout aux Etats-Unis
(Beinstein, 1999 : 207). Les ventes et les bénéfices de la nouvelle économie semblent
promettre des possibilités jusque-là inconnues. Le développement de cette nouvelle
technologie produit d’énormes bénéfices aux entreprises qui y sont liées. Mais dans les autres
secteurs, et notamment dans le secteur financier, la productivité générale du travail montre
des chiffres décevants. Que se passe-t-il ?
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L’unique moyen d’échapper à la baisse continue du taux de profit dans le secteur productif
consiste à augmenter la productivité du travail. Tout l’espoir d’y parvenir est placé dans une
nouvelle technologie. Au début des années 90, la « nouvelle économie » de la communication
et de l’informatique apporte de nouvelles expectatives. Entre 1991 et 1997, l’investissement
brut fixe recommence à augmenter, surtout aux Etats-Unis. Les bénéfices dans le nouveau
secteur de l’économie sont élevées et s’appliquent à tous les secteurs de l’économie. Mais la
nouvelle technologie se généralisant rapidement dans tous les secteurs économiques, les
bénéfices extraordinaires qu’elle peut apporter partent en fumée. Avec la généralisation de
la nouvelle technologie dans d’autres secteurs, la durée de vie moyenne de la technologie se
raccourcit. La rapidité de la substitution atteint de nouveaux niveaux historiques. Entre
1987 et 1999, la durée de vie moyenne du capital fixe (y compris les bâtiments) raccourcit
aux Etats-Unis de 14 à 7 ans, et au Japon elle passe de 11 à 5 ans (Passet, 2000 : 255). Tout
bénéfice dans la productivité du travail engendré par les dernières innovations
technologiques disparait automatiquement à cause du coût croissant de la substitution. C’est
ainsi que, contradictoirement, l’ère technologique ne produit pas une véritable croissance de
la productivité du travail. À la fin des années 90, l’investissement dans le capital fixe baisse à
nouveau (Wolman y Colamosca, 1997 : 83 y The Economist, 8.IX.2001 : 90).
Dans un monde sans croissance et avec un marché réparti entre les multinationales, tout
essai du capital transnational pour triompher implique un affrontement inévitable entre les
principales puissances pour cette nouvelle répartition. Le profit ne vient plus de la croissance
économique, et la réalisation de cette dernière à partir de la répartition du marché mondial
montre ses limites. L’occidentalisation du processus de mondialisation, inauguré avec la crise
asiatique, entraîne des contradictions croissantes au sein de la Triade. Toute nouvelle
répartition touche alors les multinationales d’un bloc ou d’un autre. Les confrontations entre
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les pays centraux quant à la répartition du marché mondial apparaissent pour la première
fois lors de la réunion de l’OCDE qui se tint à Paris en avril 1998 au sujet de l’Accord
Multilatéral sur l’Investissement (AMI). Un an après eut lieu le choc à Seattle (Etats-Unis)
durant la réunion de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Dans les deux réunions, les principales puissances tombent uniquement d’accord sur le fait
qu’elles ne sont plus d’accord. C’est alors la fin de facto du Consensus de Washington entre
les trois blocs économiques, au sujet de la répartition du marché mondial. Au cours de cette
confrontation, une crise de légitimité du modèle néolibéral apparait. De violentes critiques
naissent à partir des rangs mêmes du camp néolibéral envers des institutions multilatérales
comme le FMI, la BM et l’OMC. Au milieu des contradictions du grand capital surgit alors
un mouvement social mondial qui revendique qu’un autre monde est possible. Ce
mouvement acquiert sa plus large expression lors du premier Forum Social Mondial à Porto
Alegre (Brésil), en janvier 2001. Le néolibéralisme montre ses fissures ; son caractère limité
est perceptible. Les luttes sociales surgissent dès lors de toutes parts. Chaque lutte locale
attire l’intérêt du monde entier. Ce qui est local devient automatiquement mondial, Le rêve
qu’une utopie est possible prend forme.
La destruction des tours jumelles du Word Trade Center (WTC) de New York le 11
septembre 2001 suscite des doutes y compris au sein du Sénat des Etats-Unis quant à la
version officielle des faits. Le FBI disposait d’information avant les événements, ce qui
inquiète les sénateurs quant aux véritables causes de cet événement. La comparaison entre la
destruction des tours et celle d’immeubles résidentiels à Moscou avant l’invasion russe de la
Tchétchénie est révélatrice. Le gouvernement russe attribuait l’attentat à des terroristes
musulmans soutenus par l’apparemment tout puissant Osama Ben Laden lui-même,
également impliqué dans les attentats contre l’ambassade des Etats-Unis à Nairobi (1998).
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Rien n’a jamais pu être prouvé, mais le lien présumé entre des terroristes musulmans permit
de légitimer l’intervention militaire de la Russie en Tchétchénie et celle des Etats-Unis en
Afghanistan. L’ambigüité entourant l’ennemi défini dans la guerre contre le terrorisme
multiplie les opportunités d’affrontement dans n’importe quel endroit (Pineda, 2002 : 35-
36). Dans les deux cas, c’est la sensation de menace extérieure qui est exploitée,
conjointement à un sentiment d’humiliation nationale, des ingrédients suffisants pour
encourager le nationalisme et ainsi pouvoir justifier une guerre sans but défini.
Le capital spéculatif touche le jackpot avec l’attentat. Dans les 6 jours qui l’ont précédé, les
actions d’United Airlines chutèrent de 42% et celles d’American Airlines de 39%. Les
options de ventes de titres de compagnies d’assurance comme Munich Re, Swiss Re et Axa
sont multipliées par 12 au cours de la semaine qui précède dans les bureaux Morgan Stanley
Dean Witter and Co. (qui occupe 22 étages dans le WTC) et par 25 chez Merrill Lynch and
Co. (dont les bureaux sont situés dans un immeuble attenant) (Meyssan, 2002 : 59-60). Une
enquête du gouvernement des Etats-Unis pour voir si Ben Laden avait joué un rôle dans
cette spéculation à la baisse n’ont pas permis de trouver la moindre preuve. Il est ainsi
indirectement clair que de gros capitaux ont agi disposant d’informations préalables (Ego
Ducrot, 2001 : 33-35). Peu de temps avant l’attentat, alors qu’elle commentait le budget
militaire sans précédent demandé au Congrès par la Maison Blanche, la revue Z-Net se
référait à la disproportion entre les fonds demandés et l’absence de menace concrète, et
soutient que « l’origine de la demande devait être recherchée dans l’histoire interdite des
liens entre Washington et Osama Ben Laden, ou comment se fabriquer un ennemi pour
justifier un budget de 334 milliards de dollars » (Ego Ducrot, 2001 : 49).
Aux yeux de Ducrot, l’attentat apparait comme un acte terroriste réalisé à la demande pour
justifier une augmentation des dépenses militaires en plein milieu de la récession économique
aux Etats-Unis. Il s’agirait d’un terrorisme fabriqué pour légitimer le terrorisme officiel. Le
message terroriste à transmettre est clair : s’il n’y a pas de place ou de vie dans le monde
pour cette culture, cette religion ou cette civilisation, il n’y aura aucun lieu sûr ou de vie
possible dans ce monde pour cette culture, cette religion ou cette civilisation dominante, ni
même pour ceux supposés intouchables. Cet acte terroriste devait justifier la guerre contre le
terrorisme, c’est-à-dire fournir un espace au terrorisme officiel. Les deux réaffirment
l’exclusion, et aucun des deux n’apporte d’option inclusive. C’est précisément cette spirale
terroriste qui sert au grand capital en crise. Face à la déclaration de guerre au terrorisme
par les Etats-Unis, on évite consciemment d’enquêter sur les causes de ce phénomène dans la
mesure où il leur sert. La guerre contre le terrorisme constitue un outil pour continuer avec
la répartition du marché mondial par le biais de l’usage de la force, quel que soit l’endroit.
L’antiterrorisme, tout comme l’antisémitisme à l’époque du fascisme, sert de véhicule pour
intervenir là où cela peut s’avérer intéressant.
élimination, on ne viole donc aucun droit. Avec un marché devenu global, les peuples
indigènes, tout comme les peuples de l’Afrique subsaharienne, totalement isolés du marché,
n’ont aucun droit citoyen et constituent un obstacle pour le marché. Ils sont les premières
victimes de l’ethnocide et une proie facile pour un néofascisme en plein ascension (Amin,
1998 : 102-103).
Une population appartenant à une ethnie « minoritaire », dans une nation périphérique et
faisant partie d’une culture ou d’une civilisation non-occidentale, n’obtient dans l’économie
de marché que de rares droits sociaux-économiques, et plus sont lien avec le marché à
l’intérieur de sa nation est faible, plus frêle est sa citoyenneté. Plus le nombre de lignes
d’exclusion est important (femme, jeune ou âgée, appartenant à une minorité ethnique, de la
campagne, d’un pays périphérique et d’une culture non occidentale), plus sa citoyenneté est
fragile. Dans une économie de marché exclusive, l’insécurité économique et sociale augmente
aussi, et la citoyenneté s’étiole. Les exclus deviennent des sous-hommes, sans même le droit à
la vie. La répartition agressive du marché mondial entre les multinationales anéantit ces
peuples sans valeur. Dans leur lutte pour l’inclusion, les peuples sans citoyenneté n’ont
d’autre choix que de revendiquer un monde dans lequel ils auraient une place, se séparer
complètement de ce monde qui les exclut, ou l’ethnocide entre peuples indigènes.
Le fondamentalisme islamique encourage la rupture de l’Orient avec l’économie de marché,
alors que le cri du Chiapas revendique un autre monde possible (Casanova, 2001). Les deux
positions ont en commun le fractionnement de l’économie de marché, tout en bloquant
l’accès libre aux ressources naturelles. Aucune de ces options n’est utile au capital dominant.
La lutte pour l’inclusion aux dépens d’autres, dans un ethnocide éventuel, comme c’est le cas
en Afrique subsaharienne, est utile au marché. Dans la politique du « sauve qui peut », seuls
les plus forts triompheront, une idéologie en accord avec la logique de la répartition
mondiale du marché. La réponse terroriste constitue la négation rebelle la plus claire de
toutes les options inclusives. En réaffirmant que s’il n’y a pas de place pour nous, alors dans
ce monde il n’y en aura même pas pour les plus intouchables de la planète, tout option
inclusive est rejetée. C’est justement cette logique terroriste qui rejette toute solution. Cela
justifie la guerre contre le terrorisme. Cette lutte n’est pas tant dirigée contre le terrorisme
en lui-même, mais contre toute lutte pour une option inclusive. La philosophie est claire : s’il
n’y a pas de place dans ce monde pour le capital multinational dominant, il n’y en aura pour
personne.
néofascistes, surgissent, nées de ces lignes d’exclusion. Les victimes situent du côté des plus
exclus ; les agresseurs du côté opposé.
Dans l’environnement du « sauve qui peut », les multinationales elles-mêmes agissent comme
les uniques et seuls citoyens du monde. Avec leur personne juridique, elles obtiennent plus de
droits que personne dans cet univers régi par le marché. Le droit à la « vie » des
multinationales passe avant le droit à la vie de toute autre personne naturelle. La vie de
l’Humanité toute entière est subordonnée en dernière instance à la vie future des
multinationales, et non l’inverse. La politique néolibérale d’exclusion tend à affaiblir le lien
de tous les citoyens naturels du monde avec le marché. C’est ainsi que périclitent leurs droits
économiques et sociaux. Avec le chômage à la hausse, la capacité de remplacement de la
force de travail diminue partout, et les droits économiques e sociaux ont tendance à
s’écrouler dans le monde entier avec le démantèlement constant de l’Etat-intervenant social
y compris dans les pays centraux. À l’époque de la mondialisation, la force de travail se
reproduit à l’échelle mondiale pour le capital transnational, et non l’inverse. C’est l’ère de la
perte de citoyenneté au niveau global ; l’ère de l’émancipation à l’envers ; l’ère de la
modernité à outrance.
brèche de revenus entre le cinquième le plus riche du monde qui vit dans les pays centraux et
le cinquième le plus pauvre qui vit dans les pays périphériques s’est aggravé entre 1960 et
1998, cette relation précaire passant de 30-1 à 78-1. Le premier cinquième consomme 86%
des biens et des services alors que le deuxième consomme à peine un plus de 1% (ONU,
1999). Mais cette concentration progressive n’existe pas seulement entre les pays mais
également à l’intérieur. Aux Etats-Unis, les 10% les plus pauvres de la population ont vu leur
revenu reculer entre 1973 et 1993 de presque 40%, alors que les 10% les plus riches l’ont vu
croître de 25% (Beinstein, 1999 : 74). La concentration inter et intra-pays contribue à ce que
la fortune des 475 personnes les plus riches du monde soit supérieure au revenu combiné de
50% des plus pauvres de la Terre (ONU, 1999). À la fin des années 90, la répartition du
monde stagne alors que la croissance économique mondiale menace d’être négative. Vers la
fin 2001, les économies des trois blocs de pouvoir de la Triade sont en récession, bien que les
Etats-Unis ne l’admettent que le 1er août 2002 en présentant des chiffres macroéconomiques
corrigés (NRC-Handelsblad, 1-8-2002). Continuer à accumuler requiert une répartition plus
agressive de l’économie mondiale sur le déclin. Le cercle vicieux et l’insoutenabilité du
modèle sautent aux yeux.
Il n’y a pas de place pour penser à un nouveau keynésianisme de guerre, comme lors de la
seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis ne seront pas les fournisseurs de produits civils ou
d’équipements militaires pour un monde éloigné en guerre. En résumé, une nouvelle
économie de guerre peut remplacer la demande de capital fixe d’une société civile en
récession, mais dans la mesure où son produit final n’est pas lié à l’économie civile à moyen
terme, elle ne peut éviter son effet récessif sur cette société civile. La rétro-alimentation
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
Chapitre VIII
Pour éviter cette confrontation directe, la bataille pour la périphérie se renforce pour
superposer ainsi, indirectement, un bloc sur l’autre. La bataille pour la répartition du
marché mondial dans la périphérie se fait avec des mesures économiques et extra-
économiques. La tendance est d’aller vers une répartition plus directe des économies
périphériques, ce qui implique de la même façon une attaque plus directe contre la
souveraineté nationale des pays périphériques. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre
le Plan Colombie pour l’Amérique Latine. Sous le prétexte de l’anarchie et de
l’ingouvernabilité du pays (en raison du trafic de drogue et de la guérilla), une opération «
d’aide humanitaire » est mise en place, style guerre du Kosovo (Dierckxsens, 2000 : 71 – 88)
pour intervenir dans le pays. Avec l’argument que les Colombiens sont incapables de
gouverner leur propre pays, ils demeureront sous une tutelle externe. L’objectif est
clairement unilatéral mais sous une couverture multilatérale. Continue alors le processus
consistant à diviser le pays en petits états, selon leurs ressources naturelles et en fonction des
différents groupes de multinationales. C’est ainsi que disparaitrait le premier Etat souverain
en Amérique Latine. Après la Colombie, le Plan s’étendrait à d’autres nations. Résultat : la
balkanisation de l’Amérique Latine, c’est-à-dire le fractionnement des pays en une mosaïque
de mini-états, partagés entre des multinationales en fonction de leurs ressources naturelles.
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
L’objectif politique n’est pas de s’approprier la Colombie en soi, mais plutôt une répartition
plus directe de tout le continent. Mais l’effet domino à partir de ce pays sud-américain
présente plus de complications qu’un processus lancé à partir de l’extorsion économique,
comme en Argentine. Suite à une attaque spéculative contre la devise brésilienne fin 1999, le
réal est dévalué au début de l’année 2000. L’Argentine, qui maintenait obligatoirement la
parité du peso avec le dollar, se voit alors confrontée à des importations croissantes en
provenance du Brésil, sans pouvoir augmenter ses exportations. Elle n’a donc d’autre option
que de diminuer les dépenses publiques et adopter une politique nettement récessive. Ce
n’était alors plus qu’une question de temps jusqu’à l’effondrement économique du pays. Le
pays n’eut pas d’autre choix en 2001 que de se déclarer incapable de continuer à faire face à
ses obligations financières, et de dévaluer sa monnaie. Le FM, consciemment, n’aide pas le
gouvernement avec ses finances. Après une succession de plusieurs gouvernements dans un
court laps de temps, le pays sombre dans l’anarchie.
Faute d’exportations, les pays périphériques ne peuvent pas non plus importer. La
mondialisation du marché transnational penche dialectiquement vers son contraire : la
désintégration du marché mondial aux dépens des multinationales.
Dans cet environnement, les politiques alternatives verront leurs voix s’enfler de plus en
plus. Des revendications à court et moyen terme surgiront avec plus de force et seront plus
radicaux, questionnant la rationalité du capitalisme en crise. Nous pouvons mentionner
quelques options, dont certaines sont déjà en campagne et d’autres qui surgiront en chemin.
Nous ne prétendons en aucune manière être exhaustifs mais nous signalerons ceux qui
s’orientent vers des alternatives pour les pays périphériques :
Tant que la répartition du marché mondial se poursuivra aux dépens de chaque fois plus de
nations, il se fractionnera, aggravant la crise économique dans toujours plus de pays. Cela
sera la récession mondialisée, transformée en première dépression mondiale de l’Histoire du
capitalisme. Si tout l’environnement économique entre en récession, le pays triomphant aura
la maigre consolation d’être le dernier perdant. Dans une dépression mondiale, le commerce
international perd toute sa dynamique. Les pays aux revenus en chute cessent d’importer, et
provoquent donc une baisse du commerce mondial. Chaque nation cherchera une plus
grande autarcie. Avec la chute du commerce mondial, les plus touchées seront les
multinationales, dont les ventes – prenons les 200 compagnies les plus importantes –
proviennent à plus de 50% des exportations (27,5% du PMB). Un fort déclin dans ce
domaine équivaudrait donc à une grave contraction des ventes internationales, mais
également des prix. Avec des ventes moins élevées et des prix en baisse, les profits
diminueront de manière substantielle. La faillite de grandes entreprises multinationales
deviendra chose commune, et ce qui s’est passé avec Enron, Tyco, WorldCom n’est que la
pointe de l’iceberg (The Economist, 22-VI-2002:71).
Les faillites des multinationales seront la caractéristique des temps à venir accompagnées de
licenciements massifs. L’insécurité économique s’accentue dans les foyers. Non seulement
beaucoup ont perdu leurs économies en Bourse, mais en outre le chômage menace. Une plus
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grande austérité s’avèrera nécessaire afin de produire de nouvelles économies pour un futur
qui s’annonce plus incertain. Ces antécédents ne feront que diminuer les ventes et par
conséquent les bénéfices réels des entreprises. L’activité boursière s’effondrera dans le
monde entier, surtout là où la capitalisation fur la plus importante : la Bourse de New York.
Nocera (1998) et Pickford (The Economist, 22-VI-2002 : 78) estiment que le Dow Jones
devrait baisser à 5300 points pour atteindre sa véritable valeur. À cause de cela, la perte de
confiance et la spéculation peuvent l’entrainer jusqu’à 4000 points, soit le tiers de son record
historique de 11700 points, atteint en mars 2000. La destruction massive du capital virtuel
sera le premier pas vers une redistribution plus équitable du revenu.
La crise boursière touchera de nombreux foyers qui ont investi leur épargne et leurs crédits
en Bourse. La colère se dirigera alors vers les intermédiaires, les auditeurs malhonnêtes, les
gérants mais, en devenant plus profonde, la crise provoquera une perte totale de légitimité
des multinationales qui entrainent le monde dans la crise. La banqueroute des grandes
banques qui ont accordé d’énormes crédits pour des fusions et des acquisitions, mais aussi
pour spéculer, sera l’étape suivante. La faillite des fonds de pension qui ont investi plus de
50% de leurs avoirs en Bourse sera chose commune, à moins qu’ils ne se retirent à temps,
mais un retrait massif provoquerait un effondrement sans précédent dans l’histoire des
institutions boursières (Nikonoff, 1999 : 5). La pression politique pour que de telles choses
n’aient pas lieu n’évitera pas la tendance à la baisse des ventes et des bénéfices réels des
multinationales. Tout n’est que question de temps. La chute absolue ne peut qu’être
reportée. À ces faillites s’ajouteront celles des banques, pour en rajouter à la perte de
légitimité du grand capital aux yeux des citoyens en général et du monde.
Une proposition alternative au néolibéralisme est plus stratégique dans la mesure où elle met
l’accent sur la contradiction fondamentale au sein de la rationalité actuelle. Pour orienter la
rationalité alternative à long terme, il est nécessaire que la contradiction fondamentale
devienne visible. Cela consiste en l’incapacité à développer les forces productives avec les
relations de production actuelles. En effet, dans la rationalité économique actuelle, le
capitalisme arrive au moment historique où il est impossible de relier l’investissement avec
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Actuellement, le grand capital est clairement conscient de ce dilemme, mais il pense pouvoir
résoudre la contradiction. Mais ce n’est pas la même chose que d’être conscient de son
caractère insoluble. Afin d’essayer de trouver une solution, le grand capital tente, d’un côté,
de répartir socialement chaque fois plus les coûts d’innovation et de développement
technologique à travers des subventions de l’Etat toujours plus importantes ; d’un autre
côté, il privatise simultanément les bénéfices avec une appropriation plus longue des droits
de propriété intellectuelle. La politique consistant à déposer des brevets dans chaque fois
plus de secteurs productifs et pour des durées toujours plus longues, à travers les Trips,
constitue en réalité un protectionnisme pour les multinationales, aux dépens de nombreuses
entreprises locales ou nationales. Le libre jeu du marché s’applique uniquement vers
l’extérieur. Cette option protectionniste amène une solution à court terme ; à moyen terme,
la contradiction de départ n’est toujours pas résolue mais plutôt plus aigüe.
mêmes font pression sur la compagnie allemande Bayer pour qu’elle diminue les droits de
propriété sur un médicament contre l’anthrax. Les prochaines lois anti-brevets auront la
même origine et les mêmes objectifs que les lois anti-trust de la fin du 19ème siècle aux Etats-
Unis. Ces lois parvinrent à briser les prix de monopole fixés par des accords entre les
entreprises qui contrôlaient le marché.
À première vue, un nouveau keynésianisme semble possible, mondial cette fois-ci, qui ne
devrait pas uniquement se développer dans les pays centraux mais surtout dans les
périphériques. Cependant, une telle démarche entrerait en conflit avec les limites historiques
atteintes dans la vitesse de la substitution technologique avec des bases rentables. Il n’y a
d’autre solution que de réguler de manière planifiée et avec une portée planétaire la
prolongation de la durée de vie moyenne de la technologie. Cette politique requiert une
application simultanée dans les pays centraux ; dans le cas contraire, cela entrainerait une
plus grande récession. Ce type de politique fonctionne comme un keynésianisme à l’envers.
C’est comme inverser les turbines qui mènent à l’accélération de l’innovation technologique.
Inverser le logique signifie augmenter la rentabilité de l’investissement en limitant les
possibilités de concurrence à partir de la nouvelle technologie. L’intérêt social cherche à
remplacer l’intérêt privé, même si c’est pour sauver la rationalité économique. Le moteur de
l’économie de marché, la concurrence de l’intérêt privé à partir de la nouvelle technologie,
tend à se subordonner à l’intérêt social et non le contraire. Le frein à la réduction
permanente de la vie technologique constitue une tendance irréversible liée à la baisse du
taux de profit. Avec le keynésianisme à l’envers, la durée de vie moyenne de la technologie
s’allongerait avec des contrôles régulateurs mondiaux. Ainsi, le cycle de reproduction du
capital deviendrait plus long, élevant le taux de profit de façon immédiate, mais limitant à
moyen terme la croissance économique, ce qui mettrait un terme à l’accumulation
permanente de capital.
Avec l’allongement de la durée de vie moyenne de la technologie par le biais d’accords et de
contrôles mondiaux, la demande effective de technologie dans le Nord diminuera
rapidement, ce qui ne se verra pas dans les secteurs productifs générateurs de biens de
consommation finaux. Apparemment, réduire la durée de vie moyenne des produits de
consommation durable n’a pas de limites dans la rationalité économique actuelle. Avec cette
politique, la masse et le taux de profit seront supérieurs dans le secteur. La réponse logique
sera l’abandon peu à peu du capital dans le secteur technologique et sa migration vers les
biens de consommation durable, ce qui provoque un déséquilibre structurel entre production
de moyens de production et production de biens de consommation. Face à la crise évidente
qui en découle, la solution est également réguler la durée de vie moyenne des biens de
consommation durable ou une intervention directe nationale ou mondiale sur les biens de
production. Une fois sauvé le mécanisme de marché, l’unique possibilité est de réguler la
durée de vie moyenne des biens de consommation durable.
Avec ces mesures, la demande effective de produits en général diminue dans les pays
centraux. Si leur durée de vie moyenne est disons multipliée par deux, la demande de
produits industriels et d’emplois sera divisée par deux. Mais en doublant leur durée de vie,
on ne diminue pas le bien-être authentique. Avec la moitié du revenu et de travail, nous
aurions les mêmes produits mais plus durables. L’excédent, en termes relatifs du Nord, c’est
de l’argent. Il en existe une masse qui n’a aucune proportion avec le produit annuellement
fabriqué. Pour que l’argent ne perde pas son futur pouvoir d’achat, cet excédent doit se
diriger vers le Sud, où se trouve l’unique possibilité de produire plus de richesse matérielle.
Si la décélération économique du Nord, en termes de valeur, est compensée avec une
accélération économique proportionnelle dans le Sud, l’argent du Nord ne perdra pas son
futur pouvoir d’achat. Moins il y aura d’argent qui ira vers le Sud pour stimuler l’économie,
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et plus grande sera la perte du pouvoir d’achat de l’argent du Nord. Plus l’argent affluera de
manière productive vers le Sud, et plus le pouvoir d’achat de cet argent sera maintenu. Le
développement du Sud devient un sujet d’intérêt pour le Nord, et bien évidemment pour le
Sud. Il s’agit donc là d’un intérêt commun à toute l’Humanité. Le taux d’intérêt zéro devient
possible et nécessaire. Nait alors la conscience qui nous dit que nous vivons dans une même
société planétaire. L’intérêt commun l’emporte sur le privé, et non le contraire. Le cycle
historique de l’Humanité se referme. Nous comprenons à nouveau que nous ne pouvons être
des individus qu’à partir de la société, et non l’inverse. C’est la fin de la rationalité moderne.
Avec la diffusion de la connaissance comme patrimoine de l’Humanité et le flux d’argent
vers le Sud, les bases structurelles sur lesquelles est construit le développement inégal Nord-
Sud disparaitront rapidement. La redistribution du revenu devient Bien Commun. Ce
nivèlement du revenu s’accélère depuis les deux pôles : l’économie du suffisant du Nord
combinée avec l’économie du nécessaire au Sud. La concurrence basée sur la technologie
étant terminée, les possibilités d’être en concurrence à cause des inégalités de revenu
disparaitront également. À moyen terme, l’unique option de rivalité sera par rapport à la
qualité du produit. La concurrence sera régie plus par la valeur à l’usage que par le
changement. Résultat : la production s’orientera de moins en moins vers l’aspect de la
valeur, et plus vers son contenu. D’une manière générale, la richesse se mesurera chaque fois
moins en termes de valeur et plus en termes de valeur à l’usage.
Le bien-être se mesure plus comme la richesse présente et moins comme celle qui est
produite annuellement. Ce que nous possédons est plus important que ce que nous pouvons
acheter demain. Une économie du suffisant se met en place. À partir de là, la croissance
économique comme indicateur de richesse se subordonnera peu à peu au concept de bien-
être authentique, plus envisageable si on le conçoit avec une croissance économique négative.
C’est ainsi que nait la conscience selon laquelle la tendance à la croissance négative est
inévitable pour avoir un bien-être authentique plus important. L’accumulation d’argent
cesse d’être un moteur économique. L’argent devient un moyen d’échange pour obtenir les
marchandises nécessaires dans la vie. Cette nouvelle rationalité tend à placer l’économie en
fonction de la vie elle-même, et non l’inverse, c’est-à-dire qu’il y a un changement dans la
rationalité économique à proprement parler.
La durée de vie moyenne des produits en général se prolongeant, des ressources naturelles se
libèreront dans le Nord (destination de plus de 85% de la planète pour 20% de la
population) sans perte de bien-être authentique et avec une meilleure conservation de la
richesse présente, y compris la nature et l’environnement. Si la durée de vie moyenne des
produits du Nord était multipliée par deux, par exemple, plus de 40% des ressources
naturelles exploitées sur la planète se libéreraient. Cet investissement de la rationalité
redéfinira les besoins en eux-mêmes. Une « économie du suffisant » se met en place dans le
Nord, associée à une « économie du nécessaire » dans le Sud. Le Nord et le Sud ont intérêt au
développement simultané des deux économies. La première inversera le consumérisme. La
production se définira peu à peu en fonction des besoins, au lieu que ceux-ci croissent sans
cesse en fonction d’un processus de valorisation privée et supposée infinie. Vivre est chaque
fois moins synonyme de consommer, c’est à dire que la vie devient plus agréable et moins
aliénante. La combinaison de la prolongation de la durée de vie moyenne des produits à «
l’économie du suffisant » libèrera les ressources naturelles requises pour développer «
l’économie du nécessaire » dans le Sud.
Dans l’après-guerre qui suivit la seconde guerre mondiale, la citoyenneté, c’est à dire,
l’élargissement de droits économiques et sociaux, dérivent de la logique du marché. Dans le
keynésianisme, l’Etat-Providence se développe dans les pays centraux avec une politique
d’inclusion plus ou moins généralisée. L’élargissement de l’emploi rémunéré et le plein
emploi sont ses drapeaux. Avec une telle politique d’inclusion, la stabilité professionnelle, la
stabilité salariale et la sécurité économique et sociale progressent. Mais dans de nombreuses
zones de la périphérie, l’exclusion structurelle du travail rémunéré prédomine. La division
mondiale du travail entre centre et périphérie empêche que le plein emploi s’instaure dans
cette dernière. Les droits économiques et sociaux qui dérivent du rattachement au marché y
demeurent à la traîne. Le résultat de cette situation est qu’une minorité de l’Humanité est
embauchée pour travailler 40 heures hebdomadaires pour une moyenne de 47 semaines
annuelles, pendant presque 40 ans de leur vie. Cependant, les gens, dans leur grande
majorité, n’ont pas accès à des opportunités régulières sur le marché du travail, et ils ont
beau travailler à leur compte ou à la maison, de l’enfance à la vieillesse, toute l’année et sans
aucune limitation régulant leur journée de travail, ils ne parviennent pas à acquérir de
prérogatives économiques et sociales, et par conséquent se voient privés de citoyenneté
(Passet, 2000 : 244).
Le droit d’accéder à des produits et à des services, c’est-à-dire le droit à un statut de citoyen,
dépend de l’insertion de la personne dans le marché et non de son appartenance à la race
humaine. Le droit économique et social, et même le droit à la vie, c’est-à-dire le fait d’être un
citoyen, n’est pas une condition humaine à priori. Dans la rationalité capitaliste, l’être
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Dans le capitalisme, le développement des forces productives a connu une évolution sans
précédents. Mais cette libération de l’Humanité des forces naturelles ne l’a pas libérée des
chaînes du travail, y compris aux pôles du développement. La productivité du travail
augmente en fonction du développement des forces productives ; en principe, cela permet de
libérer le temps requis pour la production des moyens de vie nécessaires ; concrètement, cela
permet de réduire la durée de la journée de travail, la semaine de travail et le cycle de la vie
active. Si la génération née au début du 20ème siècle dans les pays centraux a travaillé plus
de 80000 heures au cours de sa vie, ceux qui sont nait dans les années 70 ne le feront peut-
être que pendant 50000 heures environ. La question logique est donc de savoir pourquoi ne
pas réduire ce temps à 30000 (Passet, 2000 ; 260). Quel obstacle empêche la rupture de cette
chaîne ? Qu’est-ce qui bloque la libération citoyenne ?
Avec la diminution de la durée de vie moyenne des valeurs d’usage, le temps de travail requis
pour produire un bien, réduit en raison du développement technologique, doit se répéter
avec une fréquence plus courte. Considérée à partir du contenu, la richesse produite dans la
société requiert moins de temps de travail grâce au développement technologique, mais il
faut le reproduire plus rapidement en raison de la baisse permanente de la durée de vie des
valeurs d’utilisation. Considérée globalement, maintenir la richesse actuelle à son niveau
signifie la produire avec une fréquence toujours plus rapprochée. Néanmoins, du point de
vue du marché, on produit plus souvent des produits porteurs de bénéfices afin de maintenir
la même richesse existante. Cette logique permet la croissance en termes de valeur, mais pas
nécessairement en valeur d’usage. L’accumulation de capital dépend d’une spirale croissante
de produits et de services dotés de valeur, pas de la présence de richesse et encore moins
d’une richesse sans valeur, comme la nature. Du point de vue du citoyen, du Bien Commun,
cette rationalité dénature la rationalité du processus reproductif vers la sphère monétaire
aux dépens de la reproduction de la vie concrète.
exploitation démesurée. Pour le capital, tout est utile tant que cela peut se vendre et générer
des profits. La consommation en elle-même devient un travail, un « travail aliénant ».
L’utilité d’acquérir des produits et des services marchands pour les consommer durant le
temps libre est claire pour le capital. Acheter pour le plaisir d’acheter - « fun-shopping » - ne
fait que resserrer les chaînes du travail (Hamelink, 1999 : 79). Ce temps libre n’est pas
libérateur ; au contraire, il se transforme en une activité aliénante supplémentaire, dont la
fonction exclusive est la reproduction du capital pour rendre plus agréable la vie des
privilégiés acceptés, mais aux dépens d’opportunités vitales des exclus.
A partir de cette analyse, il semblerait que les chaînes du travail payé, forcé et aliéné, ne se
rompront jamais tant qu’il y aura de la croissance économique. Mais l’historicité de la
rationalité capitaliste se base précisément sur le caractère limité de la croissance
économique. Cependant, raccourcir la durée de vie moyenne des produits en général, et des
produits technologiques en particulier, finit par entrer en conflit avec la rationalité
économique dominante. Au fur et à mesure que le développement technologique augmente,
la productivité du travail fait de même. Cela a permis de réduire la durée de la journée de
travail et de raccourcir la vie active, ce qui fait augmenter la richesse produite aux dépens de
sa présence. Ce qui intéresse le capital c’est le développement technologique, car c’est la
source du profit. Avec le raccourcissement de la durée de vie moyenne de la technologie, le
capital productif écourte de la même façon le temps requis pour avoir de nouveau accès à la
technologie de pointe. C’est uniquement de cette façon qu’il peut maintenir sa place par
rapport à la concurrence.
Le droit à un revenu dépend, avec la rationalité capitaliste, du lien avec le marché, et plus
encore de l’insertion dans le marché du travail. Considéré à partir du contenu et du point de
vue de la globalité, les travaux rémunérés et non rémunérés (le travail au foyer, le
volontariat, etc.) sont (re)productifs. Cuisiner à la maison est tout aussi productif que le faire
en tant que salarié dans un restaurant. Les deux travaux dont tout aussi improductifs s’ils se
consacrent à des activités improductives : surveiller un quartier en tant qu’entreprise de
gardiennage est tout aussi improductif que surveiller sa maison. Dans une économie de
marché, le caractère social du travail se manifeste exclusivement à travers le salaire, c’est-à-
dire par la forme. La distinction entre travail productif et improductif, à partir d’une
optique de totalité, ne peut être gouvernée que par le contenu. La richesse présente l’est tout
autant que celle nouvellement créée, et la richesse non exprimée en argent l’est tout autant
que celle qui y est.
Perçu par le contenu, le droit à l’inclusion et les droits économiques et sociaux ne peuvent
pas dériver exclusivement de l’insertion sur le marché du travail. La citoyenneté ne peut
dépendre du lien ou de l’absence de lien avec le marché. Ce n’est pas à partir du marché que
je peux obtenir la citoyenneté. La citoyenneté et les droits dérivés s’obtiennent en vivant en
société, ce qui n’est pas la même chose qu’être sur le marché. Cela cesse d’être un facteur
d’intégration sociale si le principe directeur n’est pas la solidarité. Pour vivre en société, j’ai
le droit de me développer entant que personne et cela me confère des obligations vis-à-vis de
la société. Cette inversion du concept de citoyenneté conduit au revenu citoyen et non selon
un niveau d’insertion ou de non-réinsertion dans le marché. Le droit à un revenu minimum
citoyen brise la discrimination entre travail rémunéré et non rémunéré. À partir du contenu,
il n’y a donc pas de différence entre le travail au sein du foyer ou dans la communauté et le
travail dans le marché. La discrimination contre la jeunesse trouve ses sources dans leur non
appartenance au marché. Les jeunes ne sont pas pris en compte tant qu’ils ne s’y intègrent
pas, et le bon fils est celui qui s’y insère correctement. Le droit au revenu étudiant se base
sur leur lien avec la société. Un revenu sûr pour les jeunes les revaloriserait comme citoyens.
L’Etat cesserait d’avoir un rôle paternaliste et deviendrait un Etat solidaire.
Le droit à l’acceptation citoyenne ne peut être quantifié à priori s’il ne dépend pas de ce
qu’implique un revenu suffisant et nécessaire. L’économie du nécessaire et l’économie du
suffisant ne sont pas définissables à priori mais impliquent sans aucun doute une
redistribution radicale de la richesse, du revenu et des opportunités vers une plus grande
égalité. Cette redistribution en soi constitue une énorme force productive. Mes droits et mes
devoirs en tant que citoyen ne dépendent plus de mon rattachement au marché mais de celui
à la société. Citoyenneté signifie alors mon obligation envers les autres et les leurs vis-à-vis de
moi, en fonction de la plénitude de notre vie à tous. Ce n’est que sous cette nouvelle
rationalité que l’environnement de plénitude de la vie peut passer avant l’environnement
économique. L’emploi devient une option de réalisation dans la vie, tout comme d’autres.
Une économie exige non seulement un nouveau lien de l’économie formelle avec la
substantive mais en outre la subordination de la première à la seconde. L’axe d’entrée pour
diriger la politique économique et faire la comptabilité sociale tend à être le point de vue du
contenu et déjà plus exclusivement celui de la forme. Ce point de vue implique d’axer les
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politiques sur la reproduction de la vie concrète, au lieu de les centrer sur la reproduction
d’argent comme capital. A partir des relations monétaires, la richesse sociale se limite à la
richesse comptable produite année après année. Ce qui n’est pas comptable et ce qui n’est
pas nouveau ne sont pas regardés comme de la richesse. De cette façon, la richesse présente
est remplacée par une autre, produite, et c’est ainsi que croit l’économie et que nous sommes
supposés trouver le bien-être. En considérant le contenu, la nature est la richesse et le travail
ménager ou volontaire produisent de la richesse même si cette dernière ne parvient pas à
avoir d’expression monétaire. Une grande partie de la richesse sociale existante n’est pas
comptabilisée, ce qui constitue la base du mépris pour la nature, le travail non rémunéré et
les vieilles choses. Tant que l’économie de marché ne comptabilisera pas cette richesse, cette
dernière ne compte pas, ne vaut rien, et aucune richesse ne disparait avec le gaspillage.
Mais aussi, considérant le contenu, les travaux au sein du foyer et volontaires visent à la
reproduction de la vie, et en tant que tels ils produisent de la richesse. À partir du même
point de vue, la nature est une richesse naturelle, une richesse qui ne provient pas du travail.
Selon le regard porté par l’intérêt privé sur l’économie de marché, la richesse se limite à ce
qui est transformable en argent, et le travail réellement productif se limite à ce qui produit
encore plus d’argent, c’est-à-dire du profit. Du point de vue du capital, considéré avec le
regard de la forme ou de la relation sociale dominante de l’économie actuelle, il s’agit de la
vraie définition de la richesse, quels que soient les moyens employés pour obtenir plus
d’argent ou plus de profit. Obtenir cette richesse dans le secteur productif ou improductif,
c’est-à-dire redistributif, n’a pas d’importance. Plus encore à partir du point de vue de la
totalité ou du contenu du processus reproductif, une chose est gagner de l’argent dans le
secteur productif, et une autre là où il se redistribue. Dans la totalité, une chose est la
distribution plus équitable du revenu et son effet sur le bien-être et la croissance de
l’économie, et une autre la concentration de revenus et ses effets négatifs sur cette croissance.
Nous avons déjà vu que le processus de concentration de la richesse, au lieu de stimuler
l’économie, la freine. En revanche, la redistribution plus juste de la richesse stimule
l’économie et lui donne de la vitalité.
Dans quels secteurs la richesse est-elle produite et dans quels secteurs est-elle redistribuée ?
D’après le contenu, l’assurance contre les incendies n’est qu’une redistribution ou une
socialisation des pertes de richesse, quelle que soit l’importance de son utilité pour la société
globalement. Cependant, pour le capital privé il s’agit d’une activité de plus permettant de
faire des profits. La loterie, les casinos, la spéculation en Bourse, ne sont pas des activités qui
visent à la répartition de l’argent et des richesses existantes en faveur des uns et aux dépens
des autres. L’argent gagné par les fabricants d’armes, les réseaux de distribution de drogues,
le blanchiment d’argent, les administrateurs de prisons, les avocats plaidants, les sociétés de
gardiennage, celles qui dépolluent les rivières, n’apparait pas comme une dépense dans la
comptabilité actuelle mais bien comme un revenu économique, comme une partie intégrante
du PIB, comme une richesse nouvelle et non comme un coût improductif. Dans d’autres
publications, nous avons abordé ce thème plus en profondeur (Dierckxsens, 1998) mais nous
voulons en reprendre certains éléments afin d’orienter la politique économique, ainsi que la
comptabilité sociale à partir d’une nouvelle rationalité économique.
Le simple fait qu’il y ait de l’argent qui passe de mains en mains suppose, selon la
comptabilité actuelle, qu’il existe la production de revenu, même si son contenu est vide de
sens. Ce critère purement monétaire ne peut constituer un argument pour définir une
nouvelle comptabilité sociale qui doit intégrer forme et contenu. Nous nous posons une
question : comment arriver à définir et à calculer le bien-être en reliant l’économie
substantive à la formelle ? Refaire la comptabilité sociale implique partir du contenu, c’est-
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
à-dire de la totalité et non des parties. Il convient de préciser que la comptabilité sociale, qui
mesure la richesse sociale de l’économie dans sa totalité, est l’héritière de l’économie
socialiste. C’est uniquement après la crise économique des années 30 que le keynésianisme
l’a adapté au capitalisme. Le concept de PIB sert comme premier guide pour orienter la
politique au niveau national. Il atteint pratiquement sa formule actuelle au milieu de la
production de masse de la seconde guerre mondiale (Halstead-Cobb, 1996). Mais la
comptabilité sociale actuelle ne différencie pas les activités productives des improductives,
examinées selon leur contenu. Une nouvelle comptabilité exige de prendre en compte les
deux paramètres : contenu et forme. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra définir les dépenses
improductives impliquées dans une économie.
Le PIB est l’expression statistique de l’économie formelle et monétaire qui, afin de mesurer
la richesse d’une nation, additionne les résultats des entreprises privées, en faisant
abstraction du contenu de la richesse en soi. Il s’agit essentiellement de la mesure de l’output
net (valeur ajoutée) en tant que somme des initiatives privées, et elle assume que tout produit
ou service offert comme marchandise ou sous une modalité monétaire constitue par
définition un apport à la richesse nationale. En suivant cette approche formelle, la demande
du produit ou du service est l’unique preuve du besoin de ces derniers, et ils sont considérés
comme des marchandises ou comme une richesse en raison de sa valeur en argent, sans
prendre en compte l’éventuel vide de leur contenu. Le calcul du PIB, réalisé uniquement en
se basant sur des parties, sans prendre en compte l’apport du point de vue de la totalité,
revient à construire un bilan des revenus sans prendre en compte le facteur coût.
La comptabilité actuelle ne fait pas la différence entre coûts et bénéfices ou entre activités
productives et improductives (voire destructives), ni entre celles qui sont durables et celles
qui ne le sont pas. Elle s’assimile à une calculatrice qui n’additionne que ce qui est exprimé
monétairement, une formule qui explique comment faire de l’argent sans qu’ait
d’importance la manière de l’obtenir ou ce qui en sera fait. C’est un instrument incapable de
soustraire les coûts sociaux et naturels, car il ne voit pas les choses en fonction de leur
contenu ; il n’est donc pas capable d’orienter la vie vers le bien-être authentique ; il
fonctionne comme si tout ce qui se passe sur le marché servait à satisfaire des besoins ; par
conséquent, il promeut les besoins au lieu du bien-être humain
(Hoogendijk, 2000). Finalement il s’agit d’une calculatrice qui ignore tout ce qui se passe en
dehors du champ monétaire, sans prendre en compte l’apport réel au bien-être social ; c’est
une calculatrice de richesse monétaire à venir, sans prendre en compte la véritable richesse,
celle qui nous entoure.
L’actuelle mesure du PIB distorsionne la réalité de multiples façons. Peu nombreux sont les
auteurs qui le signalent plus ou moins systématiquement. Halstead et Cobb (1996) et
Hoogendijk (2000) sont d’heureuses exceptions à la règle. Même si les auteurs ne distinguent
pas explicitement le concept de richesse conçu à partir de l’optique de la forme et du
contenu, ils font implicitement cette différence. La formulation d’une politique économique
alternative doit se baser sur une comptabilité sociale qui intègre le point de vue de la forme
avec le contenu, et où ce dernier sera le point de départ. La forme doit se subordonner au
contenu, et non le contraire. A partir de l’approche simultanée de forme et contenu, le calcul
actuel de la création de richesse met en évidence une série d’éléments qui non seulement
rendent insoutenable le PIB en termes qualitatifs (comme une mesure du bien-être) mais
aussi en termes quantitatifs (comme une mesure de la croissance économique).
- Le PIB ne mesure pas la richesse par son contenu et par conséquent il ne considère pas la
richesse naturelle existante ; il ne prend pas non plus en compte le gaspillage et la
détérioration de l’environnement. Le comble est que le calcul actuel reprend toutes les
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29/01/2018 La Página de Wim Dierckxsens » La Transition vers une civilisation nouvelle L’avenir de l’Humanité dans une perspective historique
activités qui servent à réparer les dégâts causés par la création de la richesse matérielle, sans
pondérer la perte de richesse naturelle préalablement causée. Le PIB accepte l’extraction de
ressources naturelles comme une création de revenu et de richesse, et non comme une perte
simultanée de richesse et de ressources. Et pour empirer le tout, il le fait même lorsqu’il
s’agit de ressources non renouvelables. Il ne prend pas non plus en compte la détérioration
de la santé chez la population comme une perte, et au contraire considère comme un revenu
et une création de richesse le rétablissement (partiel) hospitalier. Le néolibéralisme va encore
plus loin en concevant comme productif uniquement le gain avec des malades dans des
hôpitaux privés (médecine curative efficace), et en estimant improductives les dépenses dans
des hôpitaux publics pour soigner les populations à faibles revenus. La médecine préventive
est considérée encore plus improductive, prenant en compte un coût assumé par le
gouvernement qui devrait être le plus bas possible. Obtenir des gains avec des malades
constitue un profit alors qu’éviter les maladies grâce à l’investissement public ne rapporte
pas de profits et est dont pour cela considéré improductif. Il y a donc un gouffre entre la
richesse comme bien-être authentique, à partir du contenu, et la richesse vue à partir de la
rationalité du marché.
- En ignorant l’aspect lié au contenu de la richesse, le PIB ne prend pas en compte comme
une perte le raccourcissement de la durée de vie moyenne des produits et de la technologie. À
cause de cela, suite à un effet de mode ou en raison de leur condition technique, la
(re)production et la vente d’articles (pratiquement identiques) augmente, afin de répondre à
un même besoin ou, pire encore, à des besoins créés (artificiels). Avec une approche axée sur
la forme, cet acte est perçu comme une création de nouvelle richesse ou une augmentation du
PIB. Mais avec une approche axée sur le contenu et le bien-être authentique, raccourcir la
durée de vie moyenne de la richesse produite signifie multiplier le travail nécessaire pour
satisfaire en fin de compte le même besoin ; multiplier par deux le travail requis pour
satisfaire le même bien-être. En raison de son contenu, ce produit implique le double de
travail, de ressources ; c’est une richesse gaspillée qui aurait pu être destinée à satisfaire des
besoins non satisfaits. C’est aussi valable pour la dépréciation toujours plus rapide de la
technologie.
- Le PIB per capita rejette la distribution du revenu. Non seulement il est faux que le fait
d’augmenter l’output augmente la richesse, mais il est également faux que la redistribution
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de la richesse n’a pas de rapport avec le PIB dont la concentration dans un nombre toujours
plus réduit de mains non seulement touche de manière négative le bien-être actuel des
citoyens mais également leur bien-être futur. La concentration du revenu affaiblit la
demande et ainsi la dynamique de production. Vu depuis l’approche formelle de l’économie,
il est impossible de penser à une croissance basée sur la forme à partir d’une répartition
toujours plus inégale de la richesse. De la même manière, nous savons qu’un PIB avec une
redistribution plus équitable non seulement accroit le bien-être immédiat des citoyens mais
c’est également valable pour leur futur, puisque cela active la demande globale et par
conséquent la croissance économique en elle-même. À partir de la rationalité du capital, la
croissance économique infinie est un besoin, tout autant que la demande. Mais si l’on
considère le contenu, les besoins ont des limites définies et leurs priorités sont définissables
en fonction de la vie concrète. Une comptabilité basée sur le contenu permet de concevoir
une augmentation du bien-être authentique avec une croissance qui serait négative.
- Le PIB ne rend pas en compte le coût de la dépendance de vivre aux dépens du futur. Le
principe de la solidarité ne peut se limiter au présent s’il n’existe pas d’engagement
simultané avec l’avenir. De la même manière, le PIB a augmenté au détriment des ressources
naturelles, des générations futures. La rationalité actuelle transforme la libération de
l’Humanité vis-à-vis de la nature à tel point que sa reproduction est en danger, et donc la vie
elle-même dans le futur. Une comptabilité basée sur le contenu permet de conserver la
richesse existante, tandis que la comptabilité axée sur la forme la méprise et s’entête
uniquement à faire plus de richesse uniquement pour en faire. Même lorsqu’hypothéquer le
futur permet, en principe, de produire et de consommer dans l’immédiat, les dettes
contractées devront forcément être payées un jour ou l’autre, ce qui est valable pour
l’économie monétaire et l’économie substantive. Hypothéquer l’avenir d’autres générations,
de manière substantive (agressions contre la nature) ou monétaire (dettes bancaire) ôte du
potentiel au développement d’un bien-être futur et authentique (Halstead-Cobb, 1996 : 201).
Halstead et Cobb (1996) proposent un indicateur alterne au PIB qui analyse implicitement le
progrès économique non seulement en se basant sur la forme mais aussi sur le contenu, en
intégrant les deux concepts. Ils l’appellent Indicateur de Progrès Véritable (IPV), aussi
différent du PIB que la forme l’est du contenu. Afin de mesurer la différence, les auteurs
choisissent des aspects quantifiables qui permettent, à partir du PIB, d’arriver à l’IPV.
McMurtry (1999) conteste l’IPV de Halstead et Cobb en argumentant qu’il ne va pas
suffisamment loin et apporte d’autres éléments qui s’intègrent pour mieux arriver à un IPV
où la forme est dominée par le contenu. De cette manière, le qualitatif de la vie l’emporte sur
le quantitatif. L’expérience est déjà connue à partir de l’indice de développement humain de
l’ONU. De nouveaux points de départs pour une nouvelle comptabilité sociale en fonction du
bien-être authentique sont ici élaborés.
Détérioration des ressources naturelles. Les auteurs partent d’une économie durable qui
n’hypothèque pas le futur de nos enfants et petits-enfants, ce qui implique la non-extraction
des ressources au-delà de qui est durable à long terme. Autrement dit, la vitesse de la
reproduction matérielle de l’économie doit s’ajuster à la vitesse de la reproduction de la
nature. Pour cela, l’IPV mesurera la consommation et la détérioration des ressources
naturelles renouvelables et non renouvelables (terres humides, agricoles et minérales, y
compris le pétrole) comme coût, qui sera comparé avec les revenus obtenus à court terme qui
apparaissent dans le PIB. McMurtry (1999 : 161–62) va judicieusement plus loin. Il part de
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l’exigence selon laquelle la biodiversité se trouve au cœur d’une économie orientée vers la
régulation de la vie humaine elle-même. La reforestation de forêts utiles pour l’exploitation
sacrifie non seulement la diversité des forêts, mais aussi tout à la fois la flore et la faune qui y
résident.
Ce problème se présente pour tout type de régénération de ressources non régulées par le
principe de préservation de la biodiversité. La régulation économique non orientée en
fonction de la diversité de la vie naturelle n’est pas orientée par la richesse de son contenu,
c’est-à-dire la vie en elle-même. Dans ce sens, toute perte de vie naturelle est non seulement
une perte de richesse pour les générations d’aujourd’hui mais aussi pour les suivantes, et
cela constitue donc un coût par génération qui doit être comptabilisé avec ce poids relatif. De
cette manière, le coût des ressources non renouvelables sera infini. En choisissant ce type de
comptabilité, l’économie passe après la vie, humaine ou naturelle. Dans ce sens, il est
essentiel que la régulation économique soit orientée vers un équilibre entre la vitesse de
reproduction matérielle de l’économie et celle de la nature. Un déséquilibre entre les deux
processus reviendrait à hypothéquer l’avenir de la vie humaine.
Durée de vie moyenne des moyens de production et des biens de consommation durable.
L’IPV mesure la richesse présente et non celle produite au cours d’une année déterminée. A
partir de cette rationalité, la prolongation de la durée de vie moyenne des produits et de la
technologie substitue une bonne part de la reproduction perpétuelle de la richesse matérielle.
En comptabilisant en une année la richesse matérielle existante, sa conservation dans le
temps augmentera l’IPV pour les années à venir. Cette tendance encouragera à son tour
l’augmentation de la qualité et de la durabilité. Ce n’est qu’à travers cette modalité qu’il est
possible d’ajuster la vitesse de reproduction de la richesse matérielle produite avec la vitesse
de reproduction de la nature. McMurtry va encore plus loin en considérant l’importance des
benchmarks de consommation qui ne se laissent pas influencer par les penchants
consuméristes. Les benchmarks doivent établir les priorités des produits dans la vie humaine
et leur coût simultané pour la nature et l’environnement. L’auteur est conscient des
difficultés pour définir de telles priorités au-delà des besoins essentiels. C’est un processus
sujet à des modifications permanentes, selon les particularités sociales des populations, selon
leur culture et leur temps (McMurtry, 1999 : 153).
Dépense de défense. Il s’agit là d’un faux frais qui ôte de la force à la création de richesse
future. Et qui n’augmente ni directement ni indirectement le bien-être matériel de
l’Humanité, et en plus son utilisation entraine la destruction matérielle, de la vie humaine et
de la vie naturelle. L’appareil militaire, le maintien de l’ordre et la surveillance en général
existeront toujours et impliquent une dépense improductive. Il ne s’agit pas d’éliminer tous
les conflits ou tous les coûts improductifs mais de réaliser des benchmarks des dépenses
improductives en fonction de la nouvelle rationalité économique, où domine la qualité de vie,
à partir du principe de solidarité. Les dépenses improductives qui à partir de tels critères
contribuent à un bien-être authentique futur ne sont pas soustraites du PIB, alors que celles
qui ont des effets négatifs sont déduites pour obtenir l’IPV. Les dépenses qui renforcent le
principe de solidarité ne sont pas soustraites du PIB afin de calculer l’IPV, mais celles qui
l’affaiblissent le sont.
Investissements libérateurs. Lorsque le stock de capital fixe (investissement dans les moyens
de production) diminue (au Nord), et lorsque comme conséquence la production annuelle de
richesse matérielle diminue, la richesse existante peut augmenter suite à une meilleure
durabilité et à une meilleure qualité des produits finaux. Dans de telles conditions, la «
productivité authentique » du travail augmente. La régulation économique mondiale doit
fixer des règles pour augmenter cette « productivité authentique ». Plus le PIB est élevé, plus
forte est la règle consistant à substituer la productivité classique par une autre authentique.
Cela s’obtient avec la prolongation de la durée de vie moyenne des produits et de la
technologie en partant de leur qualité ; en deuxième lieu, en établissant des priorités pour ce
qui se produit à partir de « l’économie du suffisant ». Avec la hausse de la « productivité
authentique », l’IPV augmente. Sa mesure synthétique est obtenue après avoir augmenté le
temps libre. Plus de temps libre signifie un gain de bien-être authentique, et une perte une
diminution. Il s’agit d’investissements libérateurs.
demeure dans la nation, il perd de la valeur. Afin de maintenir son pouvoir d’achat, l’argent
doit affluer sous la forme de prêts à des nations dont la richesse matérielle requiert un
développement, c’est-à-dire où il y a des besoins et des gens qui ont des besoins. Si la
diminution de la création de nouvelle richesse garde relation avec le départ d’argent vers le
Sud, pour y générer une augmentation proportionnelle de richesse matérielle, le taux
d’intérêt peut arriver à zéro ; si l’argent n’est pas proportionnel, le taux sera négatif, et il
sera positif si proportionnellement il sort plus d’argent. Plus la quantité d’argent concentrée
dans un pays est grande, plus il est nécessaire de le transférer au Sud pour qu’il ne perde pas
de son pouvoir d’achat futur. Sinon, l’argent perd de sa valeur de manière accélérée. C’est
ainsi qu’est peu à peu menée à bien une redistribution plus égalitaire du revenu et du travail
mondial. Ce sont là des investissements libérateurs et solidaires.
La discussion de fond sur le revenu citoyen ne porte pas tellement au sujet de sa faisabilité
ou non mais plutôt sur le changement de rationalité économique qu’il suppose. Cela
n’élimine pas la discussion sur la faisabilité financière du revenu citoyen, qui dépend
évidemment de ce que l’on entend par un revenu suffisant pour acquérir produits et services
nécessaires. Ce thème est lié à la redistribution du revenu national et mondial que nous
avons abordé. Et en même temps, la discussion est liée à la distribution entre temps payé et
temps non payé. Tant que ces chaînes ne se briseront pas, le travail payé continuera à être un
facteur d’intégration sociale. Les droits économiques et sociaux, c’est-à-dire la citoyenneté,
continueront à dépendre du lien avec le marché. Le temps libre continuera subordonné à la
qualité du temps de travail payé, et non le contraire. De telles chaînes n’apportent aucune
possibilité de profiter plus de la vie et ne créent pas non plus de grandes possibilités de
développement personnel.
L’intégration généralisée des femmes dans le marché du travail, sous le keynésianisme, fait
ressortir le besoin de couvrir plus d’activités reproductives de la vie. Pendant ce temps, la
capacité de remplacement de la force de travail diminue au cours de l’ère keynésienne et
surgit alors une pression croissante pour se libérer, au moins partiellement, des chaines du
travail payé. Depuis 1948, les prestations sociales augmentent sans cesse, atteignant à la fin
du 20ème siècle une proportion significative du PIB. Parallèlement, une fraction en hausse
du revenu moyen des foyers est obtenue avec une plus grande indépendance du travail
rémunéré. Cependant, beaucoup des prestations sont des droits obtenus à partir du lien
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passé ou futur avec le marché du travail. L’octroi d’un revenu minimum, même pour ceux
qui n’ont jamais travaillé dans leur vie, est conçu de telle manière que l’encouragement au
travail payé ne disparait jamais. Rompre cette chaine perpétuelle du travail rémunéré
suppose rompre avec la logique d’accumulation pour l’accumulation, c’est-à-dire que cela
suppose une autre rationalité économique.
De la même manière, la discussion ne porte pas sur la faisabilité ou non du revenu citoyen
mais sur les changements dans l’intégration sociale. Une rationalité économique où la
logique du marché demeure subordonnée à une régulation économique en fonction du bien-
être authentique est capable de libérer l’Humanité de ces chaînes perpétuelles. Sans
changements de rationalité. Il n’y a pas de faisabilité possible. En ce qui concerne la
faisabilité financière du revenu citoyen, Passet (2000 : 274) calcule le coût d’un revenu
citoyen pour la société française. Il établit le revenu d’une personne ayant plus de 20 ans à la
moitié du revenu moyen (seuil de pauvreté). Il ne parle pas d’un idéal social ajustable mais
d’un revenu garanti que chacun est libre d’améliorer selon le niveau de ses efforts et ses
options personnelles. Le calcul de Passet sur cette dépense ne dépasse pratiquement pas les
coûts actuels de l’assurance chômage, de la caisse de retraite, des allocations familiales et de
l’indemnité de grossesse. Par conséquent, si nous calculons l’économie réalisée avec
l’abolition de la bureaucratie publique, caractéristique du paternalisme de l’état, le coût se
situerait en-dessous du budget aujourd’hui nécessaire pour ce que l’on appelle le bien-être
social.
La chaîne perpétuelle du travail payé pour les uns et la condamnation à une mort lente à
cause de la faim et des privations pour une majorité sont des circonstances inhérentes à la
rationalité existante. Des cendres de la rationalité en vigueur surgiront une nouvelle vie. Une
nouvelle rationalité économique est en vue à l’horizon. Nous nous trouvons actuellement au
plus profond de la nuit. Une obscurité qui effraie. Cependant, dans cette obscurité nous
pouvons déjà apercevoir l’aube. Il ne manque presque rien pour atteindre l’aurore où se
perçoivent les retrouvailles de l’Humanité avec l’utopie. Ce n’est pas la première fois que le
soleil se couche et que surgit un nouveau jour. L’Histoire de l’Humanité nous apprend qu’il
n’y a pas de jours ou de saisons qui se ressemblent, malgré ses cycles. Après un long hiver,
apparaissent les premiers symptômes d’un nouveau printemps. Le futur de l’Humanité
s’entrevoit à partir de la position des étoiles de l’Histoire. L’utopie de la vie n’est pas morte.
Ce qui est en train de mourir est la rationalité de la mort.
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