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santé publique
19
juin 1997
Géographie de la santé
Sommaire
II Un bilan XXI De l’observation
contrasté à la décision
II La santé observée : XXI La régulation régionale du
un premier bilan système de santé
VI Disparités départementales XXIII Politiques régionales et
de la mortalité prématurée systèmes d’information
X La santé dans XXVI Les petits hôpitaux et les
le Nord–Pas-de-Calais enjeux de restructuration
XII Santé, société, XXVIII Les inégalités de santé en
inégalités géographiques Grande-Bretagne et en
en France France
XVI Les indicateurs de santé XXXI Tribune
en milieux urbains et zones
XL Bibliographie
rurales aujourd’hui
Adresses utiles
XVIII Climat et santé
Médecins libéraux spécialistes Hébergement collectif pour personnes âgées Enfants handicapés en établissements ou
Au 1er janvier 1995 Au 31 décembre 1992 suivis à domicile (En 1993)
58 164 7,7
Nombre de médecins pour 100 000 habitants Nombre de places pour 1000 personnes de 75 ans ou plus Nombre de jeunes en établissements ou suivis à domicile
pour 1000 jeunes de moins de 20 ans
Moins de 75 75 à 99 100 et plus Moins de 148 148 à 186 187 et plus Moins de 6,8 6,8 à 8,8 8,9 et plus
Sources : Sesi, Insee. Exploitation : Fnors Sources : Sesi, Insee. Exploitation : Fnors Sources : Sesi, Insee. Exploitation : Fnors
223 318
398
140 278 289
315
262 237
246 DOM
262 318
France 53 80
292
métropoli- 400
322 262 50 79
taine : 254
296
308 324 198
160
Nombre de présents pour 100 000 personnes de 20-59 ans Écart du taux de décès comparatif avec la moyenne de la France
Moins de 6,8 6,8 à 8,8 8,9 et plus < –20 % –20 % à –10 % –10 % à 10 % 10 % à 20 % > 20 %
ment différente : au département du Nord le et Aquitaine. Les départements les plus touchés
plus exposé, s’ajoutent la Moselle mais égale- sont, pour les hommes, Paris et les Alpes-Ma-
ment certains départements de la région pari- ritimes et pour les femmes, les Alpes-Mariti-
sienne (Seine–Saint-Denis) ainsi que le Terri- mes, la Seine–Saint-Denis et Paris.
toire de Belfort. Les disparités géographiques concernant le
La mortalité prématurée par cancer du pou- suicide doivent être considérées avec prudence
mon est également particulièrement élevée en du fait du manque d’information provenant des
France. De plus, l’évolution par rapport à instituts médico-légaux dans certaines régions, en
d’autres pays voisins n’est pas favorable et on particulier, la région parisienne, l’Alsace et Midi-
observe actuellement une forte augmentation de Pyrénées (c’est pourquoi les cartes ne figurent
ce type de cancer chez la femme. Pour le sexe pas). À partir des données existantes, on peut
masculin, les zones les plus touchées sont l’en- cependant confirmer certaines tendances : taux
semble des départements du nord (Nord et Pas- de suicide élevé en France, tendance actuelle à
de-Calais) et du nord-est (Meurthe-et-Moselle, l’augmentation chez les jeunes (après une di-
Vosges, Ardennes, Moselle, Haute-Marne, minution à la fin des années quatre-vingt-dix),
Marne) auxquelles s’ajoute le Finistère. Pour taux particulièrement élevés dans les régions du
les femmes la distribution diffère : les dépar- nord-ouest. Les départements les plus touchés
tements les plus atteints sont la Corse du Sud, sont chez les hommes : le Finistère, le Morbi-
les Alpes-de-Haute-Provence, Paris et la Meur- han, les Côtes d’Armor et chez les femmes les
the-et-Moselle. Côtes d’Armor, les Hautes-Alpes et la Sarthe.
Les causes de mortalité prématurée concer-
nant l’appareil circulatoire (cardiopathies
ischémiques, maladies cérébro-vasculaires) L’importance du recensement des
ainsi que les accidents de la circulation sont informations
abordés dans l’article de la Fnors sur la santé
observée dans les régions françaises. On peut Le but de cet article est essentiellement descrip-
juste souligner que pour l’appareil circulatoire, tif et permet de mettre à disposition certaines
la situation de la France est privilégiée et les informations concernant la distribution géogra-
risques en diminution constante. phique des risques de décès prématurés pour
La mortalité par sida particulièrement éle- des pathologies importantes. La fiabilité des
vée en France a une répartition extrêmement comparaisons géographiques effectuées dépend
spécifique avec quatre régions essentiellement de l’homogénéité et de la qualité des pratiques
atteintes : l’Île-de-France, Paca, Rhône-Alpes de certification et de codification des causes
Écart du taux de décès comparatif avec la moyenne de la France Écart du taux de décès comparatif avec la moyenne de la France
< –20 % –20 % à –10 % –10 % à 10 % 10 % à 20 % > 20 % < –20 % –20 % à –10 % –10 % à 10 % 10 % à 20 % > 20 %
Écart du taux de décès comparatif avec la moyenne de la France Écart du taux de décès comparatif avec la moyenne de la France
< –20 % –20 % à –10 % –10 % à 10 % 10 % à 20 % > 20 % < –20 % –20 % à –10 % –10 % à 10 % 10 % à 20 % > 20 %
1
O. Lacoste, L. Spinosi, L’état de la
« Reste » santé dans le Bassin houiller du Nord -
Pas-de-Calais. ORS Nord–Pas-de-Ca-
lais, Lille, 1996, 191 p.
O. Lacoste, Géopolitique de la santé, le
Source : Insee cas du Nord–Pas-de-Calais. Paris, La
Découverte, 1994, 395 p.
2
le poids de cette thèse qui a c’est-à-dire depuis 35 ans fectifs ouvriers demeurent On appelle « enquête de terrain », tous
les procédés d’entretiens directifs, semi-
de plus le mérite de ne pas synchroniquement à l’appari- surreprésentés comme elles directifs ou ouverts, la consultation de
laisser de place à un fatalisme tion du surchômage régional3. le sont aussi ailleurs, en Picar- multiples professionnels locaux (pro-
démotivant, en laissant penser Ce surchômage a affecté de- die, Haute-Normandie ou fessions médicales, élus, travailleurs
qu’il pourrait être « normal » puis lors préférentiellement le Franche-Comté. Mais la pré- sociaux, enseignants…) permettant de
recueillir sur place diverses pistes que
que l’état de santé soit aussi Bassin houiller. sence de cette population ne
l’on pourra éventuellement valider ou
régionalement dégradé. Il semble de plus en plus diffi- peut suffire si l’on entend com- réfuter totalement ou en partie à l’aide
Ainsi, lorsque l’on observe cile de rendre compte de l’état prendre les situations locales. d’indicateurs ou de la littérature dispo-
l’évolution de l’espérance de de santé régional en ne pré- Les familles ouvrières sont nibles.
vie il apparaît clairement, sentant exclusivement que aujourd’hui très minoritaires, 3
P. J. Thumerelle. La mortalité dans le
d’une part, que le Nord–Pas- quelques caractéristiques ré- mais il est certain que les com- Nord–Pas-de-Calais : un exemple de
la stabilité des modèles régionaux de
de-Calais a connu avant 1930 gionales statiques. Certes, le portements des personnes,
mortalité.In : Espaces, Populations,
des indicateurs bien plus favo- Nord–Pas-de-Calais reste un issues de milieu ouvrier en Sociétés, 1911-1, p. 55-72.
rables, et que, d’autre part, la espace où les professions et portent encore, pour combien 4
O. Schwartz. Le monde privé des
surmortalité des âges actifs catégories socioprofession- de temps (?), la marque4. ouvriers, hommes et femmes du Nord,
s’est installée depuis 1962, nelles défavorisées, où les ef- Retracer ce que, individuelle- Paris, PUF, 1990, 531 p.
Indice comparatif de mortalité Densités de médecins spécialisés libéraux Densités de chirurgiens-dentistes libéraux
Les deux sexes, zones d’emploi, 1990 Nombre pour 100 000 habitants, zones d’em- Nombre pour 100 000 habitants, zones
ploi, 1990 d’emploi, 1990
25,21 %
25,21 % 25,21%
Source : Insee, Inserm, Geos/Credes Source : Credes, Cnamts Source : Credes, Cnamts
Dépenses de prescriptions généralistes de Proportion des « bac+2 » dans la population Part des demandeurs d'emploi non qualifiés
pharmacie (Francs par habitant et par an, zones de 15 ans ou plus (Zones d’emploi, 1990) dans les DEFM (Zones d’emploi, 31 décembre
d’emploi, 1990) 1992)
études peuvent susciter des idées ou des hypo- • L. Lebart, S. Sandier, échelles — régions, départements, zones d’em-
thèses nouvelles : ainsi, l’étiologie des cancers F. Tonnellier. Aspects ploi, cantons — portent sur plus de 200 varia-
géographiques du système
doit beaucoup, à l’origine, à ce genre d’études bles soit 20 000 corrélations estimées. De nom-
de soins médicaux. Analyse
que ce soit pour le cancer de l’oesophage (avec des données breuses associations peuvent être soulignées
la consommation moyenne d’alcool par habi- départementales. entre critères et déterminants possibles des états
tant) ou pour celui du poumon (avec la consom- Consommation, n° 4,1974 de santé.
mation moyenne de cigarettes par habitant). • V. Lucas, F. Tonnellier,
Qui plus est, et cette fois dans une perspec- E. Vigneron. Structures
sociales, emploi et santé. Les corrélations d’ensemble
tive de santé publique, il est utile de distinguer
Credes/ GEOS, Univ.
des zones où se retrouvent associés de mauvais Montpellier III, 1997 (à
indicateurs de santé et telles ou telles variables paraître) À l’échelle nationale, l’espérance de vie fémi-
du contexte économique et social ; des zones nine est d’autant plus élevée que les personnes
qui se signalent par des besoins importants en âgées sont nombreuses, que les densités médi-
tel ou tel domaine de l’offre de soins, des zo- cales sont fortes, particulièrement en matière de
nes où tel problème de santé apparaît plus pres- soins spécialisés et paramédicaux, comme no-
sant qu’ailleurs : c’est ce que Henri Picheral a tamment les soins dentaires, de même que la
appelé des complexes socio-pathogènes. Il consommation de soins hospitaliers est élevée.
n’y a là aucune prétention de découverte On note aussi une forte association avec les
étiologique mais plus simplement volonté de proportions d’artisans-commercants et agricul-
servir à l’aménagement sanitaire du territoire. teurs et de forts niveaux de chômage féminin.
On peut à ce titre estimer que les procédures On retrouve ces mêmes associations en ce qui
régionalisées d’allocation des ressources de- concerne l’espérance de vie masculine, aug-
vront, pour avoir quelque chance de réussir, mentées de corrélations significatives avec les
prendre en compte ces complexes socio-patho- actes de laboratoire et de chirurgie. À l’inverse
gènes ou profils sanitaires régionaux. l’espérance de vie est d’autant plus faible que
Dans tous les cas, ces analyses statistiques les densités et la consommation médicales et
d’association de caractères donnent des résul- paramédicales sont faibles, à l’exception des vi-
tats qui n’ont de sens qu’en regard des données sites à domicile et du nombre d’actes généra-
disponibles (or toutes ne le sont pas, loin de là, listes. Au plan social on retrouve, associés à de
qui permettraient de couvrir la question), de faibles niveaux d’espérance de vie, l’impor-
l’échelle d’observation, de la métrique retenue tance relative des chômeurs masculins, des
pour mesurer les associations. Plus encore, il inactifs, des ouvriers et des personnes bénéfi-
faut toujours rappeller que les résultats de ces ciaires des aides sociales ou de l’aide médicale
études n’ont qu’un caractère probabiliste. gratuite, mais aussi des logements de cinq piè-
Plaide cependant en faveur de ces études un cer- ces et plus. On voit ainsi qu’il serait trop mani-
tain nombre de faits : les types régionaux re- chéen d’associer uniquement le monde ouvrier
connus, formés d’association de caractères for- à la forte mortalité.
ment de grand ensembles régionaux contigus, S’agissant de la mortalité infantile, on note
les études réalisées à d’autres échelles — par peu d’associations significatives sinon avec les
région ou par canton — révèlent des contours visites médicales à domicile, les actes généra-
comparables, ce qui est le signe de la solidité listes, les prescriptions pharmaceutiques, les
des associations observées, les analyses effec- décès féminins liés à l’alcoolisme et les entrées
tuées avec d’autres techniques mathématiques en moyen séjour.
montrent des structures comparables, autre si- Parmi les grandes causes de décès, à partir
gne de la réalité des associations observées. des indicateurs retenus, les associations suivan-
Enfin, dans de nombreux cas, le niveau des tes sont, par exemple, retrouvées :
corrélations traduit bien l’intensité des associa- • maladies liées à l’alcoolisme, chez les
tions, positives ou négatives. femmes : femmes et hommes jeunes, taux de
Quelles sont donc les associations de critè- natalité élevé, grands logements, revenu des
res que l’analyse retrouve entre l’état de santé, généralistes, nombres d’actes, pas de voiture ou
les indicateurs d’offre et de consommation de deux voitures et plus, ouvriers, logements très
soins et les données de contexte socio-écono- anciens ou très récents, aide sociale. Chez les
mique ? Ces questions ne sont cependant pas hommes, mêmes associations augmentées
nouvelles. Les études réalisées à différentes d’une distance élevée au pneumologue.
;;
;;;
sité de la population, secteur II, densités de spé-
cialistes.
• cancers de la trachée, des bronches et du
;;;
;;
poumon : chez les femmes, employés, petits
logements, cadres, locataires, sans voiture ou
deux voitures et plus, densités élevées de spé-
cialistes, PIB par ménage élevé. En revanche,
les mêmes cancers chez les hommes ne sont
significativement associés à aucune variable de
contexte, signe d’un fléau véritablement natio-
nal partagé partout… type
I
II
Les types régionaux
III
IV
Au plan géographique, les associations de cri-
tères sont suffisamment fortes pour révéler des V
;;
structures régionales distinctes. La carte ci-con- VI
tre témoigne de ces types originaux — huit au VIIa
total qui s’individualisent bien — par ordre de
;;
VIIb
problèmes croissant :
VIII
• type I, Paris. Dans toutes les classifica-
tions réalisées, Paris est toujours à part, signe
de la spécificité de la capitale par rapport au
« désert français » : de très fortes densités mé-
dicales et hospitalières, un niveau social élevé
mais pas de mortalité particulière s’agissant des
grandes causes de décès. • type VI, la France médiane : une popula-
• type II, le Midi urbanisé : une forte con- tion moins typée, plus jeune en moyenne, plus
sommation médicale et paramédicale, de for- composite, rurale ou ouvrière, avec une espé-
tes densités de spécialistes et de paramédicaux, rance de vie féminine mais aussi masculine éle-
peu d’ouvriers, peu de ruraux, des logements vée mais assez mal desservie médicalement.
récents, pas de mortalité particulière. • type VII, la France septentrionale de la
• type III, le Midi traditionnel et vieillis- surmortalité, souvent hospitalisée, pour partie
sant : une forte consommation médicale et in- urbaine et ouvrière au sein d’un monde rural
firmière, un population âgée, beaucoup de re- (sous-type VIIa), pour partie plus rurale et agri-
traités, beaucoup d’artisans et de chômeurs cole assez mal desservie par l’offre médicale
masculins, pas de mortalité particulière. (sous-type VIIb)
• type IV, la banlieue parisienne, « Bor- • type VIII, plus encore que les deux sous-
deaux », « Lyon-Grenoble », « Avignon » : types précédents cette classe — celle du Nord
beaucoup de cadres, de professions intermédiai- et du Pas-de-Calais — est d’abord caractérisée
res, d’employés, de locataires, un PIB par mé- par de mauvais niveaux de mortalité mais aussi
nage relativement élevé, de fortes densités de d’inactivité, de chômage et d’aide sociale. On
spécialistes, une mortalité marquée par l’impor- note également une forte proportion d’ouvriers.
tance des cancers féminins du poumon et du On retrouve là aussi des proportions plus éle-
sein. vées qu’ailleurs de grands logements et de
• type V, le monde rural des Centre et Sud- ménages possédant deux voitures et plus, une
Ouest : beaucoup de personnes âgées, un accès préférence pour les visites à domicile, l’impor-
aux soins difficile et des durées moyennes de E. Vigneron. Géographie et
tance des actes de généralistes et des prescrip-
séjours élevées, plus d’hospitalisation en statistique. Paris : Puf, tions pharmaceutiques.
moyen et en long séjour mais aussi une espé- collection Que sais-je ?,
rance de vie masculine élevée. n° 3177, 1997
Conclusions
Les indicateurs de
La typologie obtenue met en évidence des « ré-
gions » sanitaires connaissant des problèmes santé en milieux
spécifiques. Ces contours géographiques pour-
raient constituer la trame d’un découpage in- urbains et zones
termédiaire entre le local et le national aux pro-
blèmes identiques. Ce découpage dans la rurales aujourd’hui
perspective affichée de promotion de la santé
sur tout le territoire national aurait surtout pour
avantage de créer des communautés d’intérêt Existe-t-il des différences d’état de santé et
sanitaire où se discuteraient des problèmes et d’accès aux soins entre milieu urbain et zones
s’échangeraient des expériences plus que ne rurales ? Avant de répondre à cette question, il
pourraient se définir des politiques. La connais- est nécessaire de préciser quelles définitions
sance et la prise en compte de ces profils ré- recouvrent ces formulations.
gionaux spécifiques dans le cours de
l’irremplacable relation médecin-malade serait
également bénéfique à tous, dans l’esprit des Le continuum urbain-rural
« topographies médicales » jadis enseignées à
la Faculté. La distinction urbain/rural est une division très
Il apparaît aussi clairement que les inégali- traditionnelle de la géographie. Elle peut sem-
tés géographiques sont au moins pour une large bler naturelle parce qu’elle oppose le vieux
part des inégalités sociales : de toute évidence monde « agricole » à la « jungle » des villes.
c’est à la résorption de celles-ci qu’il convient Cette séparation avait un sens dans une société
de s’attaquer en ciblant auprès des populations où l’activité agricole était importante et où le
concernées les actions de promotion et d’édu- périmètre des villes et de leurs banlieues était
cation pour la santé. Il apparaît également que restreint en raison des moyens de communica-
l’intensité de l’offre de soins compte peut-être tion. Aujourd’hui la rapidité des transports et
moins que la qualité de l’environnement le développement des infrastructures ont pro-
comme le montre la situation des régions rura- fondément changé le paysage. En suivant les
les du centre-ouest et des Midis. mots d’un humoriste, les villes se sont dévelop-
Il reste toutefois que les inégalités départe- pées à la campagne…
mentales ici présentées sont probablement par- En France, comme dans d’autres pays, une
tielles car envisagées sous l’angle de quelques commune rurale est par définition une com-
unes des seules grandes causes de décès seule- mune qui compte moins de 2 000 habitants. Au-
ment. De même, elles recouvrent d’autres iné- dessus de ce seuil, une commune appartient à
galités géographiques plus fines et peut-être en- V. Lucas, F. Tonnellier, une unité urbaine. En 1990, les unités urbaines
core plus criantes qu’une allocation régionale E. Vigneron. Structures représentaient 74 % de la population pour 15 %
des ressources ne peut négliger au profit d’une sociales, emploi et santé. du territoire, et les communes rurales comp-
dangereuse conception globalisante de l’espace Credes/ GEOS, Univ. taient 26 % de la population pour 85 % de la
Montpellier III, 1997 (à
régional. surface du territoire, ce qui donne donc une
paraître)
Emmanuel Vigneron première idée de la concentration urbaine à
partir d’une définition assez simple de « l’ur-
bain » . Notons que rural et agricole ne sont pas
synonymes : la définition donnée plus haut pour
les communes rurales ne fait aucune référence
à l’activité : dans les communes rurales, l’acti-
vité dominante était, en 1990, l’industrie !
Un seuil de population (quel qu’il soit) fixe
une limite arbitraire entre le milieu urbain et
l’espace rural. En réalité, il n’y a pas de rup-
ture franche mais un « continuum » avec des
zones intermédiaires entre les grandes agglo-
mérations urbaines et les communes à basses
suite de la page XVII V. Lucas, F. Tonnellier. de l’espace entre groupes sociaux posent les
distances d’accès aux soins (généralistes Géographie de l’offre de questions de l’efficacité et de l’évaluation du
soins : tendances et
comme hôpitaux) sont élevées, alors que la système de soins.
inégalités. Données sociales
population comporte une proportion forte de 1996, Insee
personnes âgées. Ceci pose une question clas-
sique à l’aménagement du territoire qui doit Espérance de vie et urbanisation,
essayer de combattre ce processus de déserti- reflet de la composition sociale.
En utilisant le taux comparatif
fication. Mais pour la santé comme pour les de mortalité, qui est une
autres services, les solutions sont loin d’être moyenne des taux de Il reste la question principale concernant le
simples. mortalité pour chaque milieu urbain/rural : quelle influence sur la
tranche d’âge. santé ? On ne dispose que d’indicateurs de
mortalité pour répondre à cette question.
Inégalités d’accès et inégalités de • M.-H. Bouvier-Colle. Depuis longtemps, de nombreux travaux
La mortalité urbaine en
santé : disponibilité des soins et montrent que la mortalité est, en France, plus
France. Courrier du CNRS,
recours aux soins n° 81, 1994.
élevée en milieu rural qu’en milieu urbain. Plus
• H. Picheral. Géographie précisément, la mortalité épouse la hiérarchie
Dans l’accès aux soins, il est nécessaire de dis- dans l’ouvrage de G. Brucker urbaine car elle diminue lorsque la taille des
tinguer entre la disponibilité (présence du ser- et D. Fassin : Santé publique, agglomérations augmente. On constate que le
vice), l’accès effectif et l’accès efficace (utili- Ellipses 1989 degré d’urbanisation augmente les inégalités de
sation de soins appropriés). Tout ce qui précède mortalité entre classes sociales : les différences
concerne la disponibilité géographique des de mortalité entre manœuvres et cadres supé-
soins — avec l’idée implicite que la distance rieurs sont beaucoup plus marquées dans les
représente un frein ou un obstacle à une utili- H. Picheral. ibidem grandes agglomérations que dans les commu-
sation efficace du système de soins. nes rurales. Globalement, la moindre mortalité
Mais la distance n’a pas le même effet dis- en milieu urbain apparaît en partie comme une
suasif pour tout le monde : la possession d’un conséquence de la composition sociale plus
véhicule diminue le temps d’accès. La distance favorable des grandes agglomérations. Mais la
d’accès réellement parcourue varie fortement composition sociale n’explique pas tout, deux
selon le niveau d’instruction : 33 km pour les V. Lucas, F. Tonnellier. villes au profil identique (Béziers et Cambrai
hospitalisés ayant un niveau d’instruction su- ibidem. par exemple) ont des taux de mortalité (à âge
périeur au bac contre 23 km en moyenne. Ces égal) élevés pour celle qui est au Nord, et bas
différences existent quel que soit le degré d’ur- pour la cité du Midi. Les comportements face
banisation, ce qui est particulièrement remar- à la santé, les modes de vie, l’alimentation, des
quable dans les grandes villes où toutes les dis- différences culturelles sont des hypothèses qui
ciplines sont disponibles et où l’éloignement expliquent en partie ces variations. Mais la re-
n’est plus une difficulté. cherche reste ouverte…
Cette différence de comportement peut si- Pour les communes de plus de 20 000 habi-
gnifier une recherche de qualité des soins : les tants, on sait déjà que les écarts d’espérance de
catégories sociales de statut élevé recherche- vie dans la première couronne de l’Île-de
raient les services les plus spécialisés, les plus France sont aussi importants que pour l’ensem-
adaptés ou les plus renommés sans tenir compte ble de la France. Un autre champ de recherche
du déplacement. À l’opposé, les autres catégo- est aussi très prometteur : celui des inégalités
ries sociales utiliseraient les hôpitaux les plus infra urbaines, à l’échelle des quartiers. Aux
proches (mais peut-être pas la filière la plus États-Unis, pays où la ségrégation sociale de
efficace). l’espace est très marquée, les différences d’es-
Mais ces disparités sont peut-être sans rela- pérance de vie entre quartiers sont considéra-
tion avec l’état de santé et la recherche de spé- bles. C’est dans cette direction que devraient
cialistes de haut niveau, et peuvent résulter sim- se développer maintenant les études, en même
plement de pratiques spatiales différentes selon temps que l’analyse d’un nouveau découpage
les groupes sociaux. Les cadres sont plus mo- du territoire défini par l’Insee : le zonage en
biles, et cette mobilité se retrouve dans le re- aires urbaines. Ce concept apporte une nouvelle
cours aux soins ce qui souligne le rôle des mi- approche de la ville et de son espace périurbain
grations et de la mobilité dans l’accès aux autour de la notion de pôle urbain.
services. Les différences de pratique et d’usage Véronique Lucas, François Tonnellier
Les indicateurs de santé étant fort variables d’une région à l’autre, les politiques
de santé doivent aboutir à une répartition optimale des ressources selon les
besoins de chaque région. Elles se traduisent par des démarches de planification
et de programmation qui nécessitent des besoins spécifiques d’information.
exerce sa demande pour ces produits en arbitrant qui limitera le nombre de nouveaux diplômés.
ses choix en fonction de ses préférences subjec- Parallèlement, la loi définit le service public
tives et d’un classement des utilités ressenties. hospitalier dont les principes sont l’accès pour
Dans le modèle de planification l’offreur est tous à des soins de qualité, le libre choix des
une institution et non une entreprise. Les carac- patients entre hôpital public et privé sur l’en-
téristiques de produit sont les mêmes que pré- semble du territoire. La répartition des ressour-
cédemment, mais le mobile n’est pas le profit ces sur le territoire se fait au moyen de la carte
ou le revenu. La détermination des demandes sanitaire. Des indicateurs de besoins doivent
procède de processus de concertation entre les permettre de réguler la demande de création de
producteurs et l’État, aboutissant à la détermi- services nouveaux en fonction des caractéris-
nation de besoins qualifiés de sociaux. Pour ce tiques de la population (âge, état de santé, re-
faire, il est nécessaire de disposer d’études sta- venu, etc.). Mais cette procédure, trop globale,
tistiques et épidémiologiques, censées révéler sera détournée de son sens pour devenir un outil
les « vrais » besoins et pas seulement la mor- de maîtrise de l’offre de soins.
bidité diagnostiquée. Depuis la loi hospitalière de 1991 jusqu’aux
La seconde différence majeure entre ces ordonnances de 1996, le législateur va s’efforcer
deux modes de régulation tient à l’importance de perfectionner ce dispositif de régulation en in-
accordée aux prix dans la coordination des ac- troduisant un schéma régional d’organisation sa-
tions entre les agents. La valeur accordée au nitaire qui sera la référence pour toute transfor-
produit permet de définir un prix d’équilibre où mation de l’hôpital. Il tentera aussi d’unifier les
les quantités demandées correspondent aux règles du jeu pour le secteur public et le secteur
quantités offertes et donc aux quantités échan- privé. La notion d’établissement de santé assure
gées. Ce prix permet d’atteindre un état où la cette unité, les obligations sont les mêmes pour
satisfaction des acteurs est maximale. Dans le tous : informer les malades, développer une poli-
modèle de la planification, l’ajustement se fait tique d’évaluation, remplir des « conditions tech-
d’abord principalement par le contrôle des niques » de fonctionnement (normes) pour certai-
quantités physiques (nombre de postes de pra- nes activités : procréation médicalement assistée,
ticiens hospitaliers, lits d’hospitalisation, scan- chirurgie cardiaque, suivre la même procédure
ner, etc.), le prix nécessaire pour la gestion et d’autorisation pour les installations en lits et pla-
le recouvrement des coûts est déterminé en ces, les équipements matériels lourds, les activi-
fonction d’objectifs économiques et sociaux tés de soins d’un coût élevé. La décision est prise
prédéfinis (par exemple favoriser le dévelop- par le directeur de l’Agence à partir du schéma
pement d’une hôpital assurant des urgences, régional d’organisation sanitaire (Sros) qui est une
rendre les soins de cancérologie accessibles). véritable étude de marché régionale et son annexe
La situation actuelle est caractérisée par la indique les créations, regroupements, transforma-
coexistence de ces modes de régulation, aux- tions ou suppressions d’installations ou d’activi-
quels viennent se superposer des mécanismes de tés à prévoir dans les établissements.
contractualisation, reposant en amont sur un en- Pendant cette période, le système des envelop-
semble de compromis, d’échanges permettant de pes s’étend progressivement à tous les secteurs.
définir les « conventions » qui permettront aux Depuis les ordonnances de 1996, l’enveloppe ré-
acteurs de fonder une coopération entre eux. gionale limitative est composée de quatre parties
distinctes : hôpital public et participant au service
public, cliniques privées, honoraires des généra-
La régulation régionale listes, honoraires des spécialistes. À l’hôpital pu-
du système de santé blic ce mode de régulation prend un second souf-
fle suite à la généralisation du programme de
Les méthodes de régulation du système de santé médicalisation des systèmes d’information
français se sont construites pendant deux pé- (PMSI) qui donne une statistique détaillée sur le
riodes. diagnostic posé en hôpital et les interventions réa-
Dans les années soixante-dix apparaît un lisées, l’indice synthétique d’activité (ISA) per-
modèle de régulation de la médecine libérale met de relier le budget d’un hôpital avec sa pro-
par une convention médicale qui fixe le mon- duction. L’acheteur public qui détermine les
tant des honoraires remboursés par la sécurité budgets peut comparer les performances des éta-
sociale et introduit l’idée d’un numerus clausus blissements comme sur un marché.
Ainsi la mise en œuvre d’une politique de tion de longue durée — bénéficiaires d’alloca-
santé au niveau d’une région se traduit princi- tion pour les personnes handicapées.
palement par deux types de démarche engen- Ainsi, c’est un ensemble très diversifié de
drant des besoins spécifiques d’information : sources de données qui est sollicité : diversité
• schéma régional de l’organisation sani- par les objectifs allant de l’observation à l’aide
taire (Sros), créé par la loi hospitalière de 1991, à la décision, ou l’évaluation, par la méthodo-
principalement centré sur l’offre de soins hos- logie, recueil permanent ou enquêtes spécifi-
pitalière qu’il analyse dans son ensemble et vise ques, par l’hétérogénéité des classifications et
à restructurer ; il constitue un acte juridique, nomenclatures utilisées, enfin par la multipli-
opposable, et utilise un outil normatif, la carte cité des organismes producteurs : Inserm, Ined,
sanitaire, basée sur des indices de besoins. Il Sesi, observatoires régionaux de la santé, as-
nécessite des données précises concernant les surance maladie, Réseau national de santé pu-
caractéristiques de l’offre de soins tant pour le blique, collectivités locales, services de santé
public que pour le privé, mais aussi des don- scolaire, Creai, etc.
nées démographiques ; En matière d’offre :
• la programmation stratégique d’actions de • les systèmes nationaux de recueil des don-
santé (Psas) : prioritairement axée sur l’amélio- nées gérés par le Sesi, dont la plupart sont per-
ration de la santé de la population, généralement manents et exhaustifs, fournissent des données
centrée sur un seul thème (conduites d’alcoolisa- disponibles au plan régional sur l’offre ; ils ne
tion à risque, santé et précarité, périnatalité, can- reflètent qu’indirectement les besoins, notam-
cers, etc.) dans une dynamique préventive ; c’est ment dans le secteur médico-social et social car
une démarche contractuelle entre des partenaires les personnes accueillies en établissement pro-
d’horizons variés, impulsée et coordonnée par les viennent pour partie d’autres régions. Ils four-
services déconcentrés de l’État. nissent des données selon trois principaux axes :
Elle s’appuie sur une connaissance régionale – les moyens : le répertoire des établisse-
des problèmes de santé, mais aussi des déter- ments, équipements sanitaires et sociaux Finess
minants sociaux, environnementaux, sociologi- et le répertoire des professionnels de santé,
ques, économiques, en regard des ressources du Adeli, assurent l’identification des établisse-
dispositif de soins, notamment dans le secteur ments et professionnels pour l’ensemble des
ambulatoire. partenaires du secteur,
Dans ces deux démarches, Sros et Psas, des – la production, l’activité : la statistique an-
indicateurs du recours à l’offre tels que la con- nuelle des établissements de santé, SAE (voir
sommation de soins, de services, l’ouverture de encadré), et le PMSI en complément, l’enquête
droits à des prestations particulières, sont éga- Samu-Smur, l’enquête psychiatrie recensent
lement utiles pour une appréciation de la situa- l’activité et les personnels des établissements
tion régionale. de santé ; dans le secteur social et médico-so-
cial, l’enquête auprès des établissements d’hé-
bergement pour personnes âgées (EHPA) et
Des sources de données déjà l’enquête auprès des établissements pour en-
disponibles fants et adultes handicapés (ES) sont les prin-
cipales sources d’information,
En matière socio-démographique et d’état de – les ressources financières : le PMSI, l’en-
santé : quête sur les dotations globales hospitalières
• les statistiques nationales disponibles au apportent des informations au plan local, sur les
plan régional : données socio-démographiques établissements publics et participant au service
— mortalité — déclarations obligatoires de ma- public hospitalier (PSPH) ; sur les établisse-
ladies transmissibles — état de santé des en- ments publics, on dispose de plus de données
fants de deux ans, etc. Certaines enquêtes na- concernant les dépenses et les recettes par ré-
tionales apportent des données de cadrage, sans gion pour les opérations d’exploitation et d’in-
sorties régionales telles l’enquête décennale de vestissement ; les comptes de la santé fournis-
santé et l’enquête de morbidité hospitalière. sant des données nationales de cadrage ;
• des enquêtes ou sources de données régio- • les études et enquêtes menées ponctuelle-
nales : données du PMSI (voir encadré) sur la ment, principalement par les Drass pour les Sros,
morbidité hospitalière — admissions en affec- approfondissent des thèmes jugés prioritaires
leur accessibilité et à la qualité, la neutralité et analyse menée de 1994 à 1997 par trois cher-
l’homogénéité des informations. cheurs américain (sociologue de formation) et
De récentes dispositions confirment ces français (spécialistes de santé publique). Nous
orientations : partirons du cas concernant un petit centre hos-
• l’ordonnance du 24 avril 1996 instaure pitalier desservant une ville de 6 000 habitants
(art. L. 710.7) un système d’informations com- (Clamecy) située en milieu rural de la Nièvre,
mun à l’État et aux organismes d’assurance dont la maternité était menacée de fermeture.
maladie, sous le contrôle de l’État au plan na- Le devenir particulier de cette situation de crise
tional et des agences au plan régional ; va permettre d’éclairer la nature des politiques
• le nouveau schéma directeur du ministère de rationalisation du secteur sanitaire et leurs
chargé de la Santé et des Affaires sociales sou- liens avec l’amélioration de l’accès et de l’ef-
tient l’émergence du concept de systèmes d’in- ficacité des dispositifs sanitaires sous contrainte
formation en santé et leur développement en les financière. Nous en tirerons quelques pistes de
déclinant à deux niveaux complémentaires, un réflexion utiles pour penser le devenir des pe-
niveau local et régional, et un niveau national ; tites structures isolées.
• la circulaire du 27 janvier 1997 relative voir la rubrique législation &
aux missions des Drass et des Ddass insiste sur réglementation p. 28
le rôle pivot des Drass pour assurer un rôle Le cadre des événements
d’animateur et de fédérateur des systèmes d’in-
formation. En 1994, le centre hospitalier de Clamecy em-
Mission capitale pour les Drass, à l’heure où ployait 200 agents et comptait 240 lits tous sec-
se multiplient les acteurs dans le dispositif sa- teurs confondus, dont 60 de court séjour et 7
nitaire et social, et où s’ouvrent de nouvelles d’obstétrique. L’enveloppe budgétaire se mon-
perspectives à travers le réseau santé social, tait à 56,3 millions de francs dont 38,8 pour les
réseau fédérateur, véritable plateforme pour secteurs de court et moyen séjour, 3,6 millions
l’ensemble des applications du secteur sani- pour le long séjour et 13,9 millions pour la
taire, s’appuyant sur les standards Internet, et maison médicalisée. L’établissement ayant été
qui permettra l’accueil de partenaires indus- rénové en 1989, le plateau technique opératoire,
triels et de prestataires de services : à l’avenir, les salles d’accueil d’urgence ainsi que la ma-
un paysage considérablement modifié par les ternité étaient fonctionnels. Le centre hospita-
nouvelles technologies, et des mutations cultu- lier offrait une gamme de services de base pour
relles à anticiper. Direction régionale des la population de la ville (6 000 habitants) et de
Claudine Parayre affaires sanitaires et sociales son bassin d’attraction (25 000 habitants).
de Bourgogne. Carte
Sanitaire, Schéma Régional :
L’histoire débute en novembre 1993 avec
Urgences Chirurgie l’apparition de l’avant-projet du schéma de res-
Naissance, Drass, tructuration des services hospitaliers de la
Dijon, 10 novembre 1993. Bourgogne proposé par la Drass. La logique du
Les petits hôpitaux et schéma est fondée sur deux principes de base :
• l’existence et la proximité d’un établisse-
les enjeux de ment n’en garantissent pas la sécurité ;
• la population acceptera de se déplacer pour
restructuration se faire soigner ou accoucher. Il est donc pro-
posé la fermeture de la maternité et des urgen-
ces. Dès l’annonce de ces propositions, une
La nécessité de restructurer le parc hospitalier série de réactions se déclenchent en réponse à
et notamment les petits hôpitaux en milieu ru- ce qui est interprété comme présageant la fer-
ral s’impose à tous les pays développés. Cette meture de l’hôpital. Le point culminant est at-
restructuration entraîne parfois des réactions teint en février 1994 : un cortège de 1 500 ha-
d’incompréhension de la part du public, des S. Mick. Un Américain à bitants défile dans une « ville morte ». Le
notables et des élus sur le plan local, gênant les Clamecy : la fermeture des directeur nouvellement nommé, entame une
petits hôpitaux en France.
décideurs dans leur politique de rationalisation Cahiers de Sociologie et de
concertation avec les médecins de ville et de-
de l’offre. Pour mieux préciser les enjeux, en Démographie Médicales, mande une première étude qui conclut à la né-
termes de santé publique et d’aménagement du 36 (2) : 105-140, avril-juin cessité du maintien de l’hôpital mais selon un
territoire, nous résumerons les résultats d’une 1996. dispositif rénové. Il est proposé aux tutelles ré-
Contrôle,
ambiocontrôle et santé
a relation entre la santé, le milieu auxquelles elles sont soumises2. Les per- sente la « complexité socioculturelle »
L et le mode de vie, qui est l’idée au
centre de la géographie de la santé, est
sonnes se trouvant au bas de l’échelle
socio-économique feraient face en
du milieu ; il correspond à des milieux
où on trouve une population d’origine
connue depuis fort longtemps : au VIe siè- général à de plus grandes exigences et de langue diverses, une proportion
cle avant notre ère, Alcméon de Crotonne environnementales (physiques et socia- relativement élevée de familles mono-
disait que la maladie « peut apparaître les) tout en disposant de moins de res- parentales, une population instruite,
dans certaines parties, comme le sang, la sources (matérielles, sociales, psycholo- une faible pratique religieuse… Ce type
moelle ou le cerveau ; mais ces parties giques). Citons quelques études dont les de milieu se retrouve dans les grandes
sont aussi parfois affectées par des cau- résultats pourraient trouver leur explica- villes, et particulièrement (suivant le
ses externes, comme certaines eaux, ou tion dans cette perspective. modèle urbain nord-américain) au cen-
un lieu particulier, de la fatigue, une con- À Porto-Rico, une étude regroupant tre de celles-ci. L’autre indice, plus
trainte ou une autre raison semblable. La les 100 municipios en trois grandes zo- classique, est lié au revenu, à l’emploi,
santé, c’est le mélange harmonieux des nes socio-économiques montre que la à la scolarisation ; il représente le « sta-
qualités »1. Plus spécifiquement, la rela- zone rurale traditionnelle, située dans tut socio-économique ». Le niveau de
tion entre la santé et le niveau socio- le centre montagneux et agricole de santé et de bien-être, tel qu’exprimé par
économique est reconnue depuis le XIIe l’île, qui est la plus pauvre, la moins une série d’indicateurs (santé physique
siècle2 ; elle a été confirmée par de nom- scolarisée, la moins équipée en infra- et santé mentale) est apparu comme
breuses études depuis, dans des milieux structures publiques, où la natalité est bien plus lié à la « complexité sociocul-
très divers et pour des maladies variées, la plus élevée, connaît une mortalité gé- turelle » (qui affecte négativement la
pour la morbidité comme pour la morta- nérale plus élevée que la partie très santé et s’accompagne d’un faible sup-
lité. aisée de la capitale San-Juan, mais net- port social, d’un taux élevé de consom-
tement plus faible que la zone de la mation de drogues) qu’au statut socio-
périphérie de l’île, pourtant mieux équi- économique4.
Relation entre santé et pée (égouts, aqueduc, économie diver- Une analyse des données de l’enquête
niveau socio-économique sifiée, population plus scolarisée, Santé-Québec suivante5 a conduit à des
meilleurs revenus, zone qui peut être résultats comparables ; en particulier, on
On observe le phénomène, mais on ne qualifiée, en un mot, de « en voie de a pu établir que les classes défavorisées
l’explique pas très bien, et il n’offre pas modernisation »3. des grandes villes (Montréal et Québec)
non plus une plateforme d’action bien Au Québec, dans une analyse des avaient un niveau de santé nettement in-
claire (comment, où agir dans le champ données de l’enquête générale de santé férieur à celui des classes urbaines plus
socio-économique, pour obtenir un ef- de 1987 menée par l’organisme « Santé aisées, mais aussi inférieur à celui de
fet sur la santé publique ?). Développant Québec », on a mis en rapport une sé- groupes de niveau socio-économique
la réflexion, on a fait l’hypothèse que rie d’indicateurs de santé avec deux également faible habitant les zones ru-
dans la relation entre la santé et le niveau grands indices (obtenus par analyse rales. Ces derniers se trouvaient dans
socio-économique, le facteur clef, sous- factorielle) mesurés dans les 32 dépar- une bien meilleure situation, tout en
jacent, serait le rapport entre les res- tements de santé communautaire (DSC) ayant moins recours au système de
sources des personnes et les exigences du Québec. Un premier indice repré- santé6.
La « complexité du milieu » : vie de la personne 7, 8. Les travaux de récentes le montrent, le système immu-
facteur interférant Rotter s’inscrivent dans la même veine. nitaire13) où ont lieu les phénomènes dé-
Rotter a créé le concept de locus du con- crits dans le paragraphe précédent), le
Qu’ont en commun les études citées ? trôle et une échelle permettant de l’éva- milieu, le groupe, la culture. Au plan de
Elles ne contredisent pas la relation éta- luer chez les individus ; cette échelle (I- l’action, ce modèle suggère quelques
blie entre le statut socio-économique et E scale) permet de classer les individus pistes ; les mots-clefs en seraient intégra-
le niveau de santé, mais elles font appa- selon qu’ils ont un locus du contrôle plus tion et support social, (auto-)contrôle,
raître un autre facteur, qui peut se conju- ou moins interne ou externe. Les indivi- ambiocontrôle et aussi responsabilisation
guer avec le statut socio-économique, dus dont le locus est interne ont tendance des personnes face à leur santé. Voilà
mais n’y est pas corrélé, déterminant le à croire qu’ils peuvent orienter leur des- peut-être des jalons incontournables.
niveau de santé observé dans les zones à tinée, que leurs actions ont un effet déci-
l’étude. Nous avançons le concept de sif sur le cours de leur vie, alors qu’un Références
« complexité » du milieu, qui s’oppose- locus externe caractérise les personnes 1. R. Dubos. Man Adapting. New Haven : Yale Uni-
rait à l’intégration sociale et au sentiment qui ont plutôt le sentiment que d’autres versity Press, 1965.
2. G. A. Kaplan, M. N. Haan, S. L. Syme, M. Minkler,
de support social des individus, ainsi qu’à personnes ou des événements détermi- M. Winkleby. Socioeconomic Status and Health. In :
la santé. Notons, par ailleurs, que le mo- nent le cours de leur vie. Or de nombreu- R. W. Amler, H.B. Dull. Closing the Gap. The Burden
dèle duel de Kaplan et col., mettant en ses études ont montré qu’il y a un rapport of Unnecessary Illness. New-York, Oxford : Oxford
rapport exigences et ressources, apparaît entre le locus du contrôle et la santé, par- University Press, 1987.
aussi confirmé : ainsi, dans le dernier ticulièrement la santé mentale (anxiété, 3. L. Loslier. Disparités socio-spatiales de mortalité à
Porto-Rico. Revue canadienne d’études du développe-
exemple donné, si on limite l’observation dépression)11, 12. L’absence de contrôle ment, vol. VIII, n° 1, 1987, p. 117-132.
au milieu métropolitain, une corrélation mène à la confusion et à l’impossibilité 4. L. Loslier. Ambiocontrol as a Primary Factor of
simple apparaît entre les niveaux socio- d’action. Ce genre d’observation est éga- Health. Social Science and Medicine, vol. 37, n° 6,
économique et de santé. Si on étend l’ob- lement à la base de la théorie du learned 1993, p. 735-743.
5. L. Loslier. Ambiostasie, ambiocontrôle, ambiosys-
servation à d’autres milieux, cependant helplessness de Seligman9 et du LHS tème : un modèle pour l’analyse de la relation santé /
(rural, moins « complexe », donc où (learned helplessness syndrome)10 — ce environnement. Application au Québec. Le géographe
change le rapport « exigence environ- que l’on pourrait traduire par « syndrome canadien, 39, n° 3, 1995, p. 235-251.
nementale / ressources »), la corrélation d’incapacité acquise » (SIA). Ces études 6. R. Pampalon, L. Loslier, G. Raymond, P. Proven-
simple disparaît… On voit le relatif de la montrent que les personnes qui sont gé- cher. Variations géographiques de la santé, Rapport de
l’Enquête sociale et de santé 1992-1993, volume 3,
relation entre la santé et le milieu. néralement pessimistes et sentent qu’el- Montréal : ministère de la Santé et des Services so-
Plusieurs théories ou modèles récents les ont peu de prise sur leur vie ont da- ciaux, Gouvernement du Québec, 1995.
convergent vers une explication du rap- vantage tendance à négliger leur santé et 7. A. Antonovsky. Health, Stress and Coping, San-
port d’opposition « complexité / santé. » sont de moins en moins aptes à avoir des Francisco : Jossey-Bass, 1979.
8. A. Antonovsky. The Sense of Coherence as a Deter-
Dans des travaux ayant porté entre autres comportements salutaires. Plus elles ont minant of Health. In : J. D. Matarazzo et al. Behavioral
sur des survivantes de camps de concen- de responsabilités face à elles-mêmes, Health. New York : John Wiley, 1987.
tration nazis, sur des groupes de femmes plus elles deviennent anxieuses et inca- 9. M. E. P. Seligman et al. The alleviation of learned
de différentes origines ethniques en Is- pables d’agir. L’idée qui se dégage, fina- helplessness in the dog. Journal of Abnormal Psycho-
raël, Aaron Antovowsky a étudié l’effet lement, c’est celle de la relation entre le logy, 1968, 78 (16) : 256-262.
10. M. L. Laudenslager et al. Coping and Immunode-
de différents stresseurs sur la santé des degré de contrôle des individus sur le pression : Inescapable Not Escapable Schock Suppres-
sujets. Il a observé que cet effet variait cours et le milieu de leur vie et leur santé, ses Lymphocyte Proliferation. Sciences. 1983, 221, p.
d’abord suivant la représentation du d’où la proposition que nous avons faite 568-570.
monde que se faisait le sujet, suivant sa des concepts d’ambiocontrôle et d’am- 11. B. Lowery et al. Relationship of Locus of Control
to Preoperative Anxiety. Psychological Reports, 1975,
manière de percevoir stimuli et exigen- biostasie comme déterminant et condition 37, p. 1115-1121.
ces lui parvenant du milieu. Ces obser- de la santé5. 12. V. A. Benassi et al. Is there a Relation Between
vations sont à la base de ce qu’il a appelé Locus of Control Orientation and Depression ? Journal
le « sentiment de cohérence » (Sense of of Abnormal Psychology, 1988, 97 (3) : 357-367.
Coherence, SOC), qui se définit essen- Un modèle intégrant l’individu, le 13. M. Anspach, F. Varela. Le système immunitaire :
un « soi » cognitif autonome. In : D. Andler. Introduc-
tiellement par la conviction du sujet que milieu, le groupe et la culture tion aux sciences cognitives. Paris : Gallimard, 514 p.
ses « environnements interne et externe »
ont un sens et une évolution prévisible. Le modèle exposé tente de dépasser l’ob-
Si le SOC est rompu, le monde apparaît servation du rapport entre le statut socio-
inorganisé, les actions à entreprendre ne économique et la santé en proposant une
sont plus claires, finalement, on arrive au hypothèse qui intègre l’individu (et sa Luc Loslier
conflit et à la confusion, ce qui peut avoir partie la plus centrale : le système ner- Professeur, Université du Québec,
des effets majeurs sur la santé et sur la veux, ainsi que, comme les recherches Montréal
haut, autres que le système de soins, ont peut nier l’existence de fortes inégalités die : ceci devrait conduire à une réinter-
un poids sans doute au moins aussi im- interrégionales devant la maladie et la rogation sur la distribution géographique
portant, si ce n’est plus1. Une seconde mort, on est moins affirmatif sur le rôle des ressources, à une meilleure réparti-
raison tient au degré de pertinence des que peut jouer le système de soins dans tion de ces dernières, au plus près des
réponses apportées par le système de la réduction de ces inégalités : comme on réalités du terrain en vue d’une meilleure
soins aux problèmes de santé auxquels il ne connaît pas les liaisons entre état de efficience du système et d’une réponse
est censé répondre : si les réponses appor- santé, offre de soins et recours aux soins, plus adaptée aux besoins de la popula-
tées ne sont pas pertinentes, il n’est pas il n’existe pas de formule indiscutable tion.
sûr qu’une dotation plus importante des permettant de calculer les besoins de vo- Pour intéressants qu’ils soient, les dis-
régions sous-dotées par rapport à la lume de soins et il faut être très prudent positifs d’allocation régionale actuelle-
moyenne nationale apporte une amélio- sur la possibilité de réduire les écarts de ment adoptés souffrent de quelques lacu-
ration de la santé dans les régions consi- santé entre régions par des allocations nes. La critique principale qui peut leur
dérées. En troisième lieu, même si les différentielles de ressources financières. être faite réside dans le caractère frac-
réponses apportées sont appropriées, il À tout le moins peut-on souhaiter que tionné des allocations effectuées : le dis-
convient de considérer l’accès effectif des ledit système n’aggrave pas les inégali- positif prévoit le calcul d’enveloppes
populations aux services offerts, ce qui tés de santé liées aux autres détermi- pour cinq secteurs : l’hospitalisation pu-
suppose d’examiner plusieurs types d’ac- nants : en effet, si une région pâtit d’un blique, l’hospitalisation privée, la méde-
cessibilité : accessibilité géographique mauvais état de santé, ceci donne lieu à cine de ville généraliste, la médecine de
(distance d’accès par rapport aux servi- un surcroît de maladies et de handicaps, ville spécialisée et les institutions
ces ou aux établissements) ; accessibilité qui exigent à leur tour une prise en charge médico-sociales. Ceci ne permet pas la
financière, notamment pour les personnes adéquate, quantitativement et qualitative- détermination d’une enveloppe régionale
à faibles ressources ; accessibilité cultu- ment, par le système de soins. C’est à ce calculée en fonction des besoins, ce qui
relle. Au regard de ce troisième critère, niveau que se pose la question de l’équité risque de rigidifier l’offre et de freiner les
il est possible que dans une région don- dans l’allocation des ressources entre ré- redéploiements souhaitables. Par ailleurs,
née, l’offre de soins soit suffisante mais gions. les critères pris en compte pour détermi-
que l’accès de certaines catégories de ner les montants alloués ne retiennent
population à cette offre soit insuffisante : pas, pour le moment, les éléments liés à
rien ne prouve qu’un surcroît d’offre se- Comment avancer dans la voie la mortalité ; les montants ainsi calculés
rait susceptible de réduire les inégalités de l’allocation régionale des concernent, non pas la population rési-
de santé par un recours plus important de ressources ? dente, mais les services de soins domici-
ces catégories aux soins. liés dans la région, ce qui pose la ques-
Enfin, une quatrième raison peut ren- La plupart des pays qui, après la Grande- tion des flux interrégionaux de patients.
dre compte du lien lâche entre le volume Bretagne, se sont lancés dans cette voie Au total, s’il importe d’être prudent
de l’offre de soins et la santé d’une po- ont tenté de répartir les enveloppes régio- quant aux conséquences possibles, sur la
pulation : c’est le degré d’efficience nales en fonction des besoins de soins réduction des inégalités de santé, d’une
(c’est-à-dire la performance en terme de d’une région, ces derniers étant estimés allocation interrégionale de l’offre de soins
santé rapportée au volume de ressources sur la base d’un volume moyen de con- fondée sur les besoins en soins, sans doute
consommées) de cette offre. Si une ré- sommation par tête pondéré en fonction convient-il d’avancer dans cette voie mais
gion est mal située au regard de l’état de de la structure d’âge et de la mortalité en apportant des améliorations par rapport
santé et, simultanément, sous-dotée en spécifiques de la région. aux dispositions actuellement entrevues,
matière d’une offre de soins, par ailleurs La France, qui avait initié en 1991 un notamment par une prise en compte plus
peu efficiente, il n’est pas impossible mouvement en ce sens avec une modu- importante des indicateurs d’état de santé
qu’une dotation supplémentaire d’offre lation de la marge de manœuvre régionale et par une évolution vers la possibilité de
de soins se traduise par une élévation de des seules dotations dévolues au secteur fongibilité des enveloppes.
la rémunération des producteurs de soins hospitalier public, va l’étendre à d’autres
plutôt que par une amélioration de l’état secteurs, suite à la mise en place des or- Référence
de santé de la population. donnances de 1996. Cette perspective 1. Le rapport du HCSP (La Santé en France, rapport
s’inscrit, de façon heureuse, dans un général. La Documentation Française, 1994) évoque
un chiffre de 10 à 20 % comme mesurant la part du
mouvement de régionalisation progres- système de soins dans la réduction de la mortalité dans
Faut-il néanmoins prôner sive de la gestion du système de soins les pays développés depuis 1950.
le statu quo ? avec le jeu combiné des conférences ré-
gionales de santé, des agences régiona- Jean-Claude Sailly
Les développements précédents ont mis les de l’hospitalisation et des unions Membre du Haut Comité de la santé
en lumière les points suivants : si on ne régionales des caisses d’assurance mala- publique
jusqu’aux programmes « Villes/santé » tement, d’un canton, d’une ville, voire moyenne nationale, on a fini par gommer
de l’OMS… cent ans plus tard ! Mais d’un quartier à l’autre, entre citadins et les spécificités locales, régionales des
déjà pointait sous l’hygiénisme une mé- ruraux, devient le préalable de toute po- populations et de leurs besoins de santé
decine sociale (J. Guérin) dans le droit fil litique de santé nationale, régionale, mu- au nom d’une norme prétendument repré-
de Villermé, et s’imposait une médecine nicipale… L’État instaure un système sentative d’une situation idéale. Comme
politique. universel d’assurances sociales et inves- le disait déjà William Farr dans les an-
tit lourdement dans la formation des pro- nées 1840 quand il militait pour la recher-
fessionnels de santé et dans les équipe- che d’une santé « optimale », pourquoi ce
La planification sanitaire ments sanitaires. La localisation et la qui est obtenu ici ne l’est ou ne le serait-
territoriale de la santé répartition géographique du système de il pas ailleurs ? Autrement dit l’objectif
soins, son organisation spatiale apparais- de toute politique de santé serait non de
La question des inégalités de santé prend sent alors comme les clés de son effi- se ranger autour d’une moyenne mais
une nouvelle dimension, plus idéologique cience. S’ouvre le débat inépuisable sur d’atteindre le niveau de la population la
et économique à la fois, avec la diffusion les vertus respectives de la concentration plus « en avance ». Bourgeois-Pichat
des valeurs démocratiques et la mesure et de la décentralisation, du centre et de l’avait d’ailleurs souligné en opposant
des excès du libéralisme et des lois du la périphérie, bref, de la polarisation de des pays en situation d’avant-garde ou
marché. Elle change aussi d’échelle. La l’espace sanitaire. Mais il apparaît que la d’arrière-garde selon leurs niveaux de
prise de conscience d’un double postulat consommation médicale et le recours aux mortalité7. L’égalitarisme n’a jamais ni
amène l’État à réviser et à concevoir soins n’obéissent pas au seul critère de la nulle part contribué à plus d’équité. Dès
autrement son rôle en matière de santé proximité : aux effets dissuasifs de la dis- lors une des voies à suivre ne serait-elle
publique. tance physique s’ajoutent les freins de pas de chercher à comprendre les raisons
Le premier tient à sa volonté de jus- distances sociales et mentales, voire cul- d’une « bonne » santé là où elle se mani-
tice sociale qui implique la nécessité de turelles. N’observe-t-on pas des varia- feste, de cerner les facteurs de santé plu-
garantir une justice spatiale : l’une et tions sensibles de comportements d’une tôt que les facteurs de risque ?
l’autre formant les deux volets de ce que région à l’autre ? La recherche program-
l’on appelle à satiété aujourd’hui l’équité mée d’une équidistribution des ressour- Références
et l’une n’allant pas sans l’autre5. Le mot ces, humaines et matérielles, n’en devient 1. H. Picheral. Le lieu, l’espace et la santé. 1995,
d’ordre « la santé pour tous », perçu dé- que plus utopique. Elle n’en guide pas Espace, Populations, Sociétés, 1 : 19-24
sormais comme un droit, se décline aussi moins les politiques d’aménagement du 2. E. Rodenwaldt, J. Jusa. Seuchen-Atlas. 1942-1945,
Gotha
« partout ». Le second repose sur la ré- territoire qui s’incarnent dans des
vélation des inégalités de santé dans le « cartes sanitaires ». Ce nouvel outil 3. M. F. Rofort. Les topographies médicales. 1987,
Thèse 3e cycle Géographie, Univ. Paris VII
monde et de leurs relations étroites avec règlementaire d’une planification sani-
4. L. Murard, P. Zylberman. L’hygiène dans la Répu-
le niveau de développement. Les diffé- taire, sous des formes différentes, plus ou blique. Paris : 1996, Fayard
rences d’espérance de vie, de causes de moins autoritaires et contraignantes,
5. H. Picheral. Décentralisation des politiques de san-
décès, de ressources sanitaires, de des- aboutit toujours à une territorialisation de té : allocations de ressources, recours aux soins et
serte ou de recours aux soins entre les l’espace : districts et secteurs sanitaires, décision locale. In De l’analyse économique aux poli-
nations dépendent de leur développement zones ou aires d’attraction hospitalière, tiques de santé : la dimension spatiale. Paris : 1993,
autant qu’elles le déterminent. Ce postu- bassins gérontologiques ou autres sché- Credes, p. 19-36
lat, manifeste à l’échelle internationale, mas régionaux d’organisation de la santé 6. C. Meyer, G. de Pouvourville. La répartition régio-
ne vaudrait-il pas alors à l’intérieur du (Sros). La procédure resource allocation nale des dépenses dans les systèmes de soins. Paris :
1996, Sanesco-Mire
territoire national, à des échelles plus fi- working party d’allocation régionale des
7. J. Bourgeois-Pichat. L’évolution de la mortalité
nes, régionales ou locales ? ressources en est l’illustration la plus dans les pays industrialisés. In J. Vallin, A. Lopez. La
Cette vision d’une gestion publique de aboutie6 quand l’État-Providence se sou- lutte contre la mort. Paris : 1985, Ined, p. 489-521
la santé aura été plus ou moins précoce, cie de réguler un système de santé qui
selon les idéologies dominantes et les menace les grands équilibres budgétaires.
systèmes administratifs et politiques
d’organisation du territoire, centralisés ou
non. Mais elle aura été aussi largement L’équité, nouveau mythe de
tributaire des outils de mesure de ces iné- Sisyphe ?
galités et de fait, de la place accordée à
la santé publique. Et l’on sait à cet égard À force, notamment dans des pays de tra- Henri Picheral
le retard accumulé en France… dition centralisatrice comme la France, Vice-président, Université Montpellier III,
La mise en évidence d’inégalités d’étalonner l’état de santé des popula- atelier de Géographie de la santé,
d’états de santé d’une région, d’un dépar- tions et le système de soins à l’aune d’une EA 734
e schéma régional d’organisation a une…). Un plan régional vise à organi- saient un secteur de tout département de
L sanitaire et sociale de la région
Midi-Pyrénées a été arrêté par le Préfet
ser au moindre coût les prises en charge
adaptées aux besoins à venir de la popu-
moins de 200 000 habitants. Tel était le
cas de quatre départements sur huit :
de région en juillet 1994. C’est un docu- lation. S’il veut être efficace, il doit ba- Ariège, Gers, Lot, Tarn-et-Garonne. Par
ment de 400 pages grand format, dont layer l’ensemble du champ sanitaire et extension, le département des Hautes-
seuls certains chapitres sont « opposa- social, sans trop s’attacher aux critères Pyrénées, dont la population dépassait de
bles », ceux qui traitent au sein de la pre- juridiques de l’opposabilité. peu les 200 000 habitants a été traité de
mière partie « orientations régionales » la même façon. Restaient trois départe-
des domaines sanitaires relevant stricte- ments : Haute-Garonne, Tarn et Aveyron,
ment de la loi de 1991. Les autres chapi- Le découpage de la région en qui ont chacun été divisé en deux, mais
tres de cette première partie portent pour secteurs sanitaires pour des raisons différentes, et sans res-
l’essentiel sur les domaines réputés « so- pecter partout le seuil de 200 000 habi-
ciaux » ou « médico-sociaux » : ils ont, Après examen par les quatorze conféren- tants voulu par l’arrêté ministériel.
tout autant que les chapitres « opposa- ces sanitaires existant dans la région Au total ce découpage, qui comportait
bles », servi de référence pour tous les (qu’il a fallu parfois renommer au seul plusieurs « petits » secteurs n’a pas donné
acteurs et permis d’étayer les décisions effet d’opiner sur leur disparition !), puis lieu à contestation, malgré les craintes de
prises depuis à l’échelon régional. La par le Cross, le découpage de la région la direction des Hôpitaux.
deuxième partie du SrosS donne des pré- en onze secteurs sanitaires a été arrêté dès Un exemple contraire, rencontré ulté-
cisions sur les réseaux à construire dans 1993, sans de trop grands remous sur rieurement lors du découpage de la région
chaque « secteur sanitaire » : ce sont en place. Le résultat ne respecte pas stricte- en secteurs de psychiatrie adulte (à ne pas
fait les « annexes » (non opposables à ment les termes de l’arrêté ministériel confondre avec les secteurs de psychia-
l’époque) prévues par la loi de 1991. publié à peu près à la fin du processus en trie infanto-juvénile qui relèvent d’un
Midi-Pyrénées. Parmi les quatorze sec- troisième découpage !), illustre le bien-
teurs précédents, figurait le plus petit sec- fondé de notre choix initial en faveur des
Un SrosS avec deux S teur de France, regroupant autour de limites administratives. Il s’agissait de
Saint-Girons dans l’Ariège quelque trente rattacher un canton au centre hospitalier
Les distinctions entre les domaines sani- mille — au plus — couzeranais très atta- spécialisé le plus proche, situé dans un
taire, social ou médico-social résultent en chés à leur « autonomie » … La plupart département voisin. A priori tous les ac-
fait des spécificités des financements des des autres secteurs avaient des limites teurs étaient d’accord : maire, directeurs,
prises en charge par les différentes insti- proches des frontières départementales, médecins, préfets… Mais le conseil gé-
tutions : sécurité sociale, collectivités ter- mais la logique sanitaire avait prévalu, en néral du département d’origine y a vu une
ritoriales, État, sans oublier les mutuel- rapprochant certaines communes du pôle amputation et nous avons dû revenir au
les. Quand une personne se présente à sanitaire le plus attractif, fût-il dans un statu quo.
l’une des portes d’entrée d’un établisse- autre département. Pour terminer ce bref aperçu du dé-
ment, par exemple aux urgences, elle ne Nous avons choisi d’emblée de reve- coupage sectoriel, je signalerai une « cu-
sait pas forcément quel est son problème nir par principe aux limites administrati- riosité » géographique qui n’est peut-être
et qui doit financer la solution (s’il y en ves. Les textes nous y invitaient, qui fai- pas propre à la région Midi-Pyrénées. Un
Quelques caractéristi-
ques « géographiques »
de la région
Plus de 104
Le document publié, tiré en 4 000 exem- De 54 à 104
plaires et longtemps vendu dans les prin- Moins de 54
cipales librairies toulousaines, comporte
de très nombreuses cartes. Chaque fois Source : Insee RP90 © IGN
que l’information disponible le rendait
pertinent, c’est le découpage le plus fin
qui a été retenu : à l’échelle communale principales villes, chefs-lieux de dépar- L’âge de la population
le plus souvent. tement notamment, ou villes attractives La région a dès maintenant, dans l’en-
Je me bornerai à commenter ici quel- des quelques grands axes de communi- semble, la structure d’âge que la France
ques cartes parmi celles que j’ai le plus cation, Garonne en particulier. entière aura en 2015. Dans sept départe-
souvent projetées au cours des multiples Cette faible densité moyenne est un ments sur huit (Haute-Garonne exceptée),
réunions organisées à tous les niveaux facteur essentiel de notre schéma : on ne c’est même la structure d’âge que la
pour passer de nos premiers balbutie- peut planifier la prise en charge sanitaire France aura vers 2050. Cette caractéris-
ments (avant-avant-projet du schéma) à et sociale pour 2,4 millions d’habitants de tique, que nous partageons avec d’autres
la version finale du document arrêté par la même façon dans la région Midi-Py- régions du Grand Sud, s’explique par
le préfet. rénées que dans le département du Nord. trois causes combinées : malthusianisme
Alors qu’ils peuvent là-bas accéder à tou- ancestral, attraction du climat pour les
La densité de la population tes les machines dans des délais limités, retraités, espérance de vie très sensible-
Le recensement de 1990 compte environ il faut selon les lieux de notre région une ment plus élevée. Les effets de ce vieillis-
2,4 millions d’habitants. La superficie du heure, ou deux, ou plus pour accéder à sement sur la consommation de soins sont,
Midi-Pyrénées — 45 000 km² — en fait une IRM… je crois, sous-estimés : l’effet de généra-
la plus vaste région de France (métropo- La dialectique sécurité/proximité, qui tion est très sensible, les personnes âgées
litaine du moins : la Guyane est plus éten- nécessite partout des arbitrages difficiles, d’aujourd’hui ayant davantage pris l’ha-
due). En divisant la population par la sur- ne peut-être déclinée de la même façon bitude de se soigner lorsqu’elles étaient
face, on obtient une densité moyenne de en milieu dense ou en milieu dispersé. Par plus jeunes que ne le faisaient les person-
54 habitants par km², contre 101 pour la exemple, nous avons proposé comme nes âgées des générations précédentes.
France entière. La carte en couleur des objectif, d’atteindre au cours des prochai- J’ai longtemps plaidé — en vain jus-
densités par commune, où par convention nes années un minimum de 300 accou- qu’ici — ce dossier, mais j’insisterai plu-
le bleu était attribué à toute commune de chements par an dans chaque maternité, tôt sur la combinaison de ces deux fac-
densité inférieure à 54, montre une région alors que des seuils plus élevés ont été teurs, en montrant ici la carte que j’ai le
quasi uniformément bleue. À l’opposé la retenus ailleurs. Nous ne pouvions tout de plus souvent présentée sur place : celle
densité n’est supérieure à la densité même pas prétendre faire venir toute les qui donne la localisation par commune
moyenne française (104) que dans les parturientes à Toulouse ! des 65 000 personnes âgées de 75 ans et
Femmes Hommes
plus qui ont déclaré vivre seules au recen- zones. Reste à inventer les réseaux locaux gnostic (c’est déjà le cas ici en cardiolo-
sement de 1990. qui combineraient ces moyens dans des gie interventionnelle). À tous les points
Il n’y a pas de désert, ni même de zone dispositifs connus de la population. C’est de vue l’échelle régionale est la bonne.
en voie de désertification en Midi-Pyré- une des priorités de notre schéma. Ce n’est pas depuis la capitale que l’on
nées. Un peu partout se trouvent des per- pourrait arriver à des propositions com-
sonnes âgées qui ont envie de vivre — et prises, étant entendu que si elles ne sont
de mourir — le plus tard possible chez La région, une bonne taille pour pas compréhensibles, elles n’auront
elles. Des coordinations locales restent à la planification sanitaire et aucune chance de s’appliquer. La com-
inventer pour mieux organiser leur prise sociale binaison des échelons territoriaux de
en charge globale, dans des conditions l’État (Drass-Ddass et préfets) est indis-
moins coûteuses pour la collectivité, et À l’époque des premières présentations pensable pour être entendu.
plus agréables pour elles que si elles de l’avant-avant-projet du SrosS, j’ai Il me semble que cela a été le cas en
étaient obligées de vivre en institution. trouvé dans La Dêpèche du Midi un Midi-Pyrénées. Le planificateur que j’ai
Ces coordinations gérontologiques ne résumé, simpliste mais fidèle, des orien- toujours été est heureux d’y avoir contri-
surgiront pas toutes seules du réseau exis- tations proposées : « Il ne s’agit pas de bué au cours des cinq ans et demi que j’ai
tant des seuls établissements sanitaires, soigner tous les habitants au centre hos- passé dans ce merveilleux ministère, qui
même si les hôpitaux locaux, lorsqu’il en pitalier universitaire (CHU) ; il s’agit en- aura toujours deux S, comme les futurs
existe par chance, ont un rôle essentiel de core moins de construire un CHU dans SrosS.
proximité. À défaut, on pourrait s’ap- chaque commune ».
puyer sur les maisons de retraite. Pour il- Il est impossible de planifier la prise
lustrer ces propos, j’ai parfois projeté une en charge dans le Gers sans savoir
carte montrant l’implantation des mai- qu’Auch est à environ une heure de Tou-
sons de retraite dans les « zones blan- louse, de son CHU et de ses cliniques spé-
ches » de prise en charge de proximité, à cialisées. Dans l’Aveyron, où Rodez est
plus de vingt minutes de tout pôle sani- à deux heures de Toulouse, il faut renfor- Jean Daney de Marcillac
taire. Il se trouve qu’il y a aussi des mé- cer davantage l’équipement, mais la Inspecteur général de l’Insee en retraite
decins et des infirmiers dans ces mêmes télémédecine peut aider à conforter le dia- ancien Drass de Midi-Pyrénées