Vous êtes sur la page 1sur 10

Mise au point

Cahiers de l’association française des enseignants et


chercheurs en cinéma et audiovisuel 
4 | 2012
Tribulations numériques du Cinéma et de l’Audiovisuel
à l’amorce du 21e siècle

Download… Une courte histoire de la


dématérialisation des jeux vidéo
Alexis Blanchet

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/map/642
DOI : 10.4000/map.642
ISSN : 2261-9623

Éditeur
Association française des enseignants et chercheurs en cinéma et audiovisuel

Ce document vous est offert par Bibliothèques de l’Université de Montréal

Référence électronique
Alexis Blanchet, « Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo », Mise au point
[En ligne], 4 | 2012, mis en ligne le 30 août 2012, consulté le 15 janvier 2020. URL : http://
journals.openedition.org/map/642  ; DOI : 10.4000/map.642

Ce document a été généré automatiquement le 15 janvier 2020.

Les contenus de la revue Mise au point sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative
Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 1

Download… Une courte histoire de la


dématérialisation des jeux vidéo
Alexis Blanchet

1 Dans les années 2000, la dématérialisation des logiciels de jeux s’est très largement
développée en bouleversant les circuits de distribution de l’industrie vidéoludique et en
modifiant en profondeur les habitudes de consommation et d’achat des joueurs de jeux
vidéo. Accompagnant un mouvement général de distribution numérique des biens
culturels (fichiers musicaux, vidéo à la demande, livre numérique…), la dématérialisation
des jeux vidéo nous invite à nous interroger sur la restructuration du secteur
vidéoludique, les nouveaux modes de consommation et les potentialités en termes de
créativité et d’innovation du côté des studios de développement. Cet article a donc pour
objet de rappeler l’histoire des formes dématérialisées du jeu vidéo faisant appel à la
connectivité des plates-formes de jeu vidéo et montrer la variété des usages et des
modèles commerciaux que couvre le terme de « dématérialisation » des jeux vidéo. Nous
retracerons dans un premier temps l’histoire des inventions techniques imaginées pour
lier les premières machines domestiques aux serveurs en ligne ainsi que les modèles
commerciaux innovants mis en place dès les années 1980 pour rentabiliser cette nouvelle
forme de distribution. Dans un second temps, nous analyserons les enjeux posés par ces
nouvelles formes de consommation du jeu vidéo tant du point de vue des pratiques
commerciales en vigueur que des questions de créativité du côté des studios.
2 La nature informatique des jeux vidéo pose dès l’origine du domaine la question du lien
entre hardware et software, entre matériel informatique et électronique d’un côté et
logiciel de l’autre. Comme le rappelle Patrice Flichy dans Les industries de l’imaginaire :
Un autre élément distingue radicalement les systèmes audiovisuels de la presse :
l’intervention de ‘machines à communiquer’. Contrairement au lecteur, le
consommateur de produits audiovisuels est obligé pour accéder à l’œuvre d’utiliser
la médiation d’une machine. Cette dualité matériel/programme est fondamentale
pour le développement de l’audiovisuel tant au niveau de la production (ces deux
activités industrielles devront trouver un mode d’association pour assurer leur
commun développement) que de la consommation (l’utilisateur devra faire
l’apprentissage d’une pratique de loisir médiatisée)1.

Mise au point, 4 | 2012


Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 2

L’histoire du domaine vidéoludique pourrait ainsi être observée en suivant l’évolution


croisée de ces deux composantes essentielles, leurs modes de fabrication, leurs évolutions
techniques et leurs modèles de distribution.
3 Mais, cette dichotomie matériel/logiciel devrait être, dans le cas du jeu vidéo, précisée en
trois termes : le code informatique, le support mémoire et la machine informatique
capable de lire le support pour en interpréter le code. En effet, le coût ainsi que les
capacités du support mémoire conditionnent depuis les années 1970 la commercialisation
des jeux vidéo : du logiciel intégré au matériel des bornes d’arcade (circuit imprimé) ou
des premiers Home Pong à connecter à l’écran de télévision, à la séparation des consoles et
des cartouches de jeu interchangeables, les avancées techniques et les choix
commerciaux qui en découlent ont structurer de longue date les filières de production et
de distribution des jeux vidéo. L’introduction d’une séparation entre console domestique
et cartouche de jeu opère ainsi une spécialisation du secteur où peuvent apparaître dès la
fin des années 1970 des sociétés d’édition de jeu vidéo comme Activision qui ne prennent
en charge que la production et la commercialisation de logiciels sur des machines
vendues par d’autres entreprises (Atari, Mattel, Coleco) appelées « constructeurs »2.
4 Le choix de produire des consoles à cartouches interchangeables entraîne la création
d’une filière de distribution pour la vente en magasin des cartouches de jeu. Ce marché de
détail, extrêmement porteur de la fin des années 1970 à 1983, aide à la structuration d’un
réseau de revendeurs installés dans les centres commerciaux, les boutiques
d’électronique et d’informatique ou les magasins de jouets.

Les expérimentations des années 1980 et 1990


5 Mais dès le début des années 1980, l’arrivée des modems téléphoniques et le
développement des câblo-opérateurs aux Etats-Unis introduisent de nouveaux modes de
consommation des jeux vidéo à domicile. En 1981, le CVC (Control Video Corporation), un
périphérique conçu par un fabricant tiers pour l’Atari 2600, permettait de télécharger
plus de 75 jeux grâce à un serveur à distance joignable par la ligne téléphonique. Au-delà
du simple téléchargement de logiciels, le CVC offrait un accès à différents services
télématiques inédits tels que les forums de discussion ou une messagerie électronique
annonçant les innovations à venir de la télématique. Plusieurs ingénieurs ayant travaillé
sur le projet CVC poursuivront d’ailleurs leur carrière chez le fournisseur d’accès internet
AOL. La même année, le fabricant de jouets Mattel commercialise un add-on PlayCable
(1981-1983) pour sa console domestique Intellivision ; celui-ci innove dans son modèle
commercial en proposant au consommateur un abonnement permettant d’acheter ou de
louer des jeux téléchargeables sur la mémoire interne du périphérique. Le PlayCable fait
long feu en raison de sa limitation en mémoire RAM (4Ko) à une période où la taille des
programmes atteint 8Ko ou 16Ko.
6 Ces expérimentations se poursuivent dans les années 1980 au Japon où le leader du
marché Nintendo commercialise le Famicom Disk System (1986-1992), un périphérique
destiné à son produit star, la console de jeux Famicom. Pour contourner le problème du
coût de la mémoire des cartouches de jeu, le Famicom Disk Sytem fonctionne avec un
système de disque réinscriptible au format propriétaire. Via un réseau de bornes de
chargement accessibles sur les lieux de vente, le consommateur peut charger sur son
support, et à un prix réduit, les derniers jeux du moment. Mais ce système de distribution

Mise au point, 4 | 2012


Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 3

dématérialisé provoque un manque à gagner important du côté des revendeurs qui font
entendre leur mécontentement au constructeur nippon qui délaisse peu à peu ce format
pour se concentrer à nouveau sur la cartouche de jeu. Le Famicom Disk System ne sera
jamais exporté en dehors des frontières de l’archipel nippon.
7 Au milieu des années 1990, SEGA Channel (1994-1998) est un service proposé aux Etats-
Unis par les opérateurs Time Warner Cable et Tele-Communications, Inc. en collaboration
avec le constructeur nippon SEGA. Ce service propose un abonnement mensuel à 14,95 $
donnant accès à une offre de 50 jeux pour la console Genesis. Il nécessite un périphérique
qui se branche sur la console et propose déjà un contrôle parental des contenus qui
permet aux parents de sélectionner les jeux auxquels pourront s’adonner les plus jeunes.
Au Japon, Nintendo commercialise à la même époque le Satellaview (1995-2000), un
périphérique pour sa console Super Famicom. Le Satellaview, qui fait suite au Famicom
Network System (1988), est associé à un service de téléchargement de jeux, de codes et
d’informations via une chaîne satellite (St. GIGA via Broadcast Satellite). Les jeux sont des
remakes de jeux anciens comme le jeu d’aventure BS The Legend of Zelda ou des add-on
(ajouts de quêtes ou de circuit) de jeux plus récents comme la simulation de course BS F-
Zero 2. L’émission de programme pour Satellaview se poursuivra jusqu’en 2000, mais
l’initiative reste un échec en raison du coût d’équipement important compte de tenu de
l’achat des périphériques de jeu et de l’abonnement au satellite. La faible pérennité dans
les années 1990 de ces systèmes de téléchargement de contenus est avant tout liée aux
cycles de vie accélérés des consoles de jeu vidéo. En revanche, ils se révèlent
techniquement très aboutis et préfigurent le mouvement de convergence des contenus
qui marquera les années 2000.

Le jeu vidéo par le navigateur internet


8 Avec le développement d’internet au début des années 2000 et la popularisation du
format d’animation Flash, de nouvelles formes de pratiques vidéoludiques apparaissent
sur les sites de jeux en ligne liés à des portails généralistes comme Yahoo ou
indépendants comme, en France, Prizee et KadoKado. Leur succès s’explique
principalement par le fait qu’ils se jouent directement dans le navigateur internet
(browser games) facilitant l’accès aux contenus ludiques et s’inscrivant dans les pratiques
en ligne en ligne comme la consultation du webmail, l’utilisation des forums de discussion
ou les achats en ligne. A cette simplicité d’utilisation s’ajoute la dimension sociale de
nombre de ces applications constituant la catégorie des jeux dits sociaux (social game) :
on s’invite à jouer entre pairs, on compare ses scores à ceux de ses relations sociales. Ces
jeux sociaux dématérialisés se développent principalement sur le plus populaire des
réseaux sociaux, Facebook, avec des succès comme FarmVille ou MafiaWars. Ces modes de
production de jeu induisent de nouveaux modèles de commercialisations invitantes aux
micropaiements par carte de crédit, PayPal ou appels surtaxés. Les jeux dits free-to-play ou
freemium proposent ainsi au joueur une expérience de jeu accessible gratuitement, qu’il
peut prolonger ou améliorer en achetant des biens virtuels ou des options de jeu (tour de
jeu supplémentaire, améliorer une compétence de son avatar…). Bien que modeste, la
vente d’espaces publicitaires représente également un complément de revenus : pour le
studio américain Zynga, leader sur ce type de jeux, la publicité représente 6 % des
revenus, alors que la vente de biens virtuels en fournit 94 %.

Mise au point, 4 | 2012


Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 4

9 En France, depuis une dizaine d’années, le studio bordelais Motion Twin s’est ainsi
constitué en spécialiste de ces jeux Free-to-Play. Hordes, La Brute, Miniville fonctionnent
sous ce modèle invitant à prolonger ou enrichir l’expérience de jeu par des
micropaiements (paiement par carte bancaire ou obtention de codes par appels
téléphoniques surtaxés). A la manière de la production télévisée, le studio développe ses
jeux par saisons, modifiant une partie de l’univers de jeu pour renouveler l’expérience
ludique. La dimension sociale et virale est travaillée afin de favoriser la communication
sur les jeux du studio entre joueurs. Motion Twin développe également ses propres outils
de production qui à terme deviennent des middlewares, des logiciels de création de jeu
vidéo, qu’elle entend distribuer à d’autres studios. Par ailleurs, la société s’est constituée
en Société Coopérative Ouvrière de Production à Responsabilité et à Capital Variable
(SCOP). Ce modèle d’entreprise permet à chaque salarié, quelle que soit son ancienneté,
de posséder une part égale de l’entreprise ainsi qu’un droit de vote sur les choix
stratégiques et les orientations prises par le studio. L’économie du jeu dématérialisé
permet à cette structure de penser des alternatives en termes d’organisation du travail et
d’implication du salarié dans l’entreprise.

Consoliers et éditeurs à l’assaut du dématérialisé


10 Avec la généralisation des disques durs pour les consoles de salon désormais connectées
au réseau – ces machines domestiques sont de fait pensées sur le modèle du PC (Xbox,
puis Xbox360 et PlayStation 3) –, les grands consoliers (Microsoft, Sony et Nintendo)
proposent à partir du milieu des années 2000 des services permettant la mise en relation
de joueurs pour la pratique de jeux en ligne. A ces infrastructures sont rapidement
ajoutés des services de téléchargement de contenus : jeux vidéo, mises à jour pour les
logiciels vendus en boîte, vidéo à la demande, bandes originales de jeu, making of de jeux,
fonds d’écran. Ces services sont régionalisés selon trois grandes zones géographiques qui
correspondent aux trois grands marchés internationaux : Etats-Unis, Japon, Europe.
Chaque plate-forme dispose de ses propres outils de développement et chaque consolier
propose des jeux exclusifs à son catalogue de titres en ligne comme Flower sur PlayStation
3 ou Lost Winds pour Nintendo Wii pour valoriser son offre éditoriale dématérialisée. De
son côté, Microsoft fait depuis quelques années la promotion d’une sélection estivale de
titres dématérialisés temporairement exclusifs à sa console Xbox360, Summer of Arcade,
pendant une période de l’année réputée creuse de l’édition de jeux vidéo. Le
positionnement éditorial de ces plates-formes de téléchargement vise des joueurs en
recherche de jeux à implication modérée par rapport aux jeux vendus en boîte : les jeux
dématérialisés sont ici des propositions alternatives aux jeux plus ambitieux proposés à la
vente au détail aux caractéristiques simples (durée de jeu réduite, formules génériques
inhabituelles, performances graphiques réduites…). Elles répondent au développement du
jeu occasionnel (casual gaming), proposition marketing qui émerge avec l’arrivée de la
Nintendo Wii à la fin 2006 et désigne la pratique du jeu vidéo par un nouveau public de
joueurs s’étant éloigné du jeu vidéo en raison de sa trop grande complexité.
11 Cette nouvelle forme de distribution numérique engage également une réorganisation
complète de la filière et certains acteurs du marché PC – studios, éditeurs ou distributeurs
– lancent dans les années 2000 leur propre portail de vente de jeux dématérialisés comme
Steam chez Valve ou Origin chez Electronic Arts. Une politique de prix très agressive y est
pratiquée, à la fois sur des jeux exclusivement dématérialisés et sur des jeux

Mise au point, 4 | 2012


Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 5

commercialisés simultanément sous forme dématérialisée et en boîte. L’arrivée de ses


nouveaux acteurs numériques dans le domaine de la distribution de jeux vidéo interpelle
la filière traditionnelle qui s’interroge sur sa réorganisation et les évolutions des
pratiques d’achat des consommateurs : une chute brutale des ventes physiques n’est-elle
pas désormais à envisager ? La distribution dématérialisée vient également perturber les
filières de revente de jeux d’occasion mis en place par les enseignes spécialisées (en
France, Game et Micromania), mais également par les grandes surfaces culturelles (Okaz
Gaming à la Fnac).
12 Du côté de la téléphonie mobile, avec le développement de la 3G et l’arrivée des
smartphones connectés à internet au milieu des années 2000, les constructeurs comme
Apple ont intégré le jeu vidéo à leurs plates-formes de téléchargement d’applications.
iStore pour iOs d’Apple ou l’Androïd Market pour les terminaux unifiés autour du système
d’exploitation Android, proposent une large sélection de jeux vidéo qu’approvisionnent
un nombre important de studios à travers le monde. Le développement Java pour la
génération précédente de téléphones portables avait fait émerger des spécialistes du jeu
pour mobile comme Gameloft (aujourd’hui propriété d’Ubisoft) ou les filiales mobiles
d’éditeurs comme Vivendi Games Mobile, Konami ou Electronic Arts. Avec les « stores »
des smartphones, des studios de développement s’affranchissent de la tutelle d’un éditeur
pour s’affirmer comme des acteurs incontournables du secteur comme la société
finlandaise Rovio Mobile (Angry Birds) ou le studio Lima Sky créé par les Croates Igor et
Marko Pusenjak (Doodle Jump). Les pratiques vidéoludiques liées à la téléphonie mobile
induisent des jeux aux principes simples, aux mécaniques efficaces et aux parties rapides
et répétées qui peuvent se déployer dans un court temps d’attente ou de trajet. Comme le
souligne le cofondateur du studio parisien The Game Atelier, Fabien Demeulenaere3 :
Je pense que ce sont tout d’abord des jeux qui ont parfaitement répondu à la
demande du public et qui sont bien adaptés à leur plateforme : les parties sont
courtes, ils ne demandent pas de contrôles trop orientés action et peuvent donc
être joués dans le métro. (...) Il n’y a pas de bonne ou mauvaise formule pour faire
un jeu tant qu’il répond déjà à un certain critère de qualité. Les développeurs
suscités n’en étaient certainement pas à leur premier titre et leur expérience ainsi
que leur dévotion ont fini par payer.
Les contraintes d’utilisation des téléphones mobiles dessinent un cadre dans lequel doit
s’exprimer la créativité des studios.

Les raisons d’un fort développement dans les années


2000
13 Le développement de l’internet haut débit et la banalisation des paiements sécurisés en
ligne ont mis en place un contexte favorable à l’émergence de ces plateformes de
distribution numérique de jeux vidéo. La hausse constante des budgets de production de
jeux vidéo a également été un facteur déterminant qui a poussé certaines structures
fragiles ou incapables de rassembler de tels fonds à se tourner vers le développement en
dématérialisé moins onéreux et donc, plus abordable et plus sécurisé. Fabien
Demeulenaere rappelle que
le marché du jeu dématérialisé est très loin de son homologue sur support
physique. Il ne nécessite pas obligatoirement d’éditeur, libérant déjà les contraintes
de ligne éditoriale dictées par ces derniers. Notre volonté d’être apparenté à un
Atelier de création de jeux est simple : nous désirons rassembler plusieurs artistes

Mise au point, 4 | 2012


Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 6

qui n’auraient pas forcément l’occasion de travailler ensemble sur un même projet
donné. Ils travaillent donc avec nous en freelance de manière ponctuelle et sont
rémunérés comme auteurs par royalties en fonction des ventes que font les jeux. Si
le titre fonctionne, alors tout le monde doit y trouver son compte. Notre manière de
fonctionner est donc très à contre-courant des schémas classiques des studios qui
engagent des salariés à temps plein ou partiel.
14 Dans son dernier bilan du marché du jeu vidéo publié à l’occasion de la 6ème édition de
l’IDEF (Interactive & Digital Entertainment Festival), le SELL (Syndicat des Editeurs de
Logiciels de Loisirs) estime à 60 milliards de dollars le poids du marché mondial du jeu
vidéo (ventes physiques et dématérialisées), soit 5 % d’augmentation par rapport à
l’année précédente. Avec 31 % du marché et 18 milliards de dollars, les ventes
dématérialisées sont en nette progression sur 2011. Cette progression de la part du
dématérialisé est beaucoup plus forte pour le jeu vidéo que pour les autres biens
culturels : le secteur du jeu vidéo préfigure-t-il les usages à venir des biens culturels ?

Tableau 1 : Marché physique et dématérialisé en France (chiffres en millions d’euros)

Source : Bilan du marché de l’Entertainment 2010, Institut GfK Retail and Technology France, février
2011.

15 En France, 5,7 millions de joueurs jouent à des jeux vidéo en payant sur internet et 12,8
millions jouent sur leur téléphone mobile. Un best-seller dématérialisé comme Angry Birds
revendique ainsi 350 millions de téléchargements dans le monde en 3 ans d’exploitation 4.
Un téléchargement n’équivaut cependant pas à un achat comme le souligne Fabien
Demeulenaere à propos de son jeu Flying Hamster :
Apple ou Sony ne communiquent pas les données des utilisateurs de leur service
auprès des développeurs. Nous ne connaissons que le ratio des ventes en fonction
des pays et c’est sans conteste les États-Unis qui ont été les plus grands acheteurs
de Flying Hamster, viennent ensuite l’Australie, l’Allemagne et la France. A noter que

Mise au point, 4 | 2012


Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 7

la Chine est le second pays ayant le plus téléchargé la version gratuite du jeu… sans
passer forcément à l’achat de la version payante.
16 Cette économie du jeu vidéo dématérialisé est très porteuse pour le secteur français du
jeu vidéo qui, comme l’illustrent les chiffres ci-après, choisit majoritairement de
développer pour les plates-formes dématérialisées, iPhone et iPad en tête. Le manque de
moyens financiers d’envergure des studios installés en France explique probablement
cette orientation vers des productions nécessitant des budgets plus modestes.

Tableau 2 : Répartition des plates-formes sur lesquelles les entreprises françaises développent
leurs jeux

iPhone : 54 % Mac : 23 %

PC : 44 % Dématérialisé (Xbox Live, PSN, etc.) : 20 %

iPad : 43 % Wii : 18 %

Web (hors Facebook) : 38 % Nintendo DS : 14 %

Facebook : 35 % Nintendo 3DS : 14 %

Android : 34 % Prestations de services : 12 %

Xbox 360 : 26 % Autres : 10 %

PlayStation 3 : 26 %

Source : Le jeu vidéo en France en 2011 : éléments clés, Syndicat national du jeu vidéo, octobre 2011.

17 Le développement du marché du jeu vidéo dématérialisé risque à l’avenir de redistribuer


les cartes dans le secteur du jeu vidéo. Les grandes majors du domaine ainsi que les géants
de l’internet ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en investissant massivement dans les
studios spécialisés dans les jeux dématérialisés, à l’image de l’investissement estimé entre
100 et 200 millions de dollars de la part de Google dans la levée de fonds de Zynga à l’été
2010. Jeux sociaux, free-to-play et distribution numérique, les enjeux posés par le jeu vidéo
dématérialisé sont nombreux et divers : redistribution des positions de domination dans
l’industrie du jeu vidéo, renouvellement des modes de financement de la production
vidéoludique, remise en cause des filières traditionnelles de la distribution. Mais, les
joueurs regarderont eux du côté de l’élan créatif impulsé par cette nouvelle économie du
dématérialisé, offrant davantage de liberté du côté des studios de développement et
laissant moins les budgets marketing que le plébiscite des joueurs décider du succès des
jeux.

Mise au point, 4 | 2012


Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 8

NOTES
1. Flichy Patrice, Les industries de l’imaginaire (nouvelle édition), Grenoble, Presses Universitaires
de Grenoble, 1991, p. 19.
2. Blanchet Alexis, Des pixels à Hollywood, éd. Pix’n Love, Triel-sur-Seine, 2010, p. 87-91.
3. Propos recueillis lors de la séance du séminaire de recherche du GRECA (Sorbonne Nouvelle
Paris 3) du lundi 28 novembre 2011 à l’Inha, qui avait pour thème « Jeux vidéo dématérialisés et
plateformes de téléchargement : états des lieux et perspectives ».
4. Le jeu vidéo en France en 2011 : éléments clés, Syndicat national du jeu vidéo, octobre 2011.

RÉSUMÉS
Dans les années 2000, la dématérialisation des logiciels de jeux s’est très largement développée en
bouleversant les circuits de distribution de l’industrie vidéoludique et en modifiant en
profondeur les habitudes de consommation et d’achat des joueurs de jeux vidéo. Accompagnant
un mouvement général de distribution numérique des biens culturels (fichiers musicaux, vidéo à
la demande, livre numérique…), la dématérialisation des jeux vidéo nous interroge sur la
restructuration du secteur vidéoludique, les nouveaux modes de consommation et les
potentialités en termes de créativité et d’innovation du côté des studios de développement.

In the 2000s, dematerialization of video game softwares fundamentally changes consumer habits
and games industry’s distribution channels. As an expression of cultural industries digitalization
(music, video on demand, digital book ...), dematerialization gives us the opportunity to analyze
how the game industry is restructuring, producing new consumption patterns and creating new
production spaces of creativity and innovation for game developers.

INDEX
Mots-clés : dématérialisation, jeu vidéo, jeu vidéo indépendant, logiciels, numérique, PSN,
Steam, téléchargement, WiiWare, Xbox Live
Keywords : dematerialization, digitalization, downloading, PSN, software, Steam, videogames,
WiiWare, Xbox Live

AUTEUR
ALEXIS BLANCHET
Maître de conférences à l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle au département Cinéma et
Audiovisuel. Ses thèmes de recherche concernent les relations entre cinéma et jeu vidéo, en

Mise au point, 4 | 2012


Download… Une courte histoire de la dématérialisation des jeux vidéo 9

explorant tout particulièrement leurs dimensions économiques, technologiques et culturelles. Il


est l’auteur du livre Des pixels à Hollywood. Cinéma et jeu vidéo, une histoire économique et culturelle
publié aux éditions Pix’n Love (2010).

Mise au point, 4 | 2012

Vous aimerez peut-être aussi