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Ces critiques dessinent les contours du travail pédagogique en classe. Elles esquissent
également le cadre dans lequel la pédagogie Freinet situe l’enseignement. Comme nous avons pu le
montrer (cf. G. Schlemminger 1996), elles sont également le point de départ pour aborder la classe
de langue, son organisation et les apprentissages. Ainsi, dans un premier temps, nous préciserons le
concept du projet dans l’approche Freinet. Ensuite, nous illustrerons notre propos par quelques
exemples concrets, les projets de débutants et la réalisation d’un journal. Enfin, nous montrerons les
questions didactiques que soulèvent l’utilisation des techniques Freinet en classe de langue ; il s’agit
en l’occurrence de la transposition didactique et de la médiation.
1
C. Freinet n’est pas le seul à critiquer d’une manière fondamentale les manuels. Pour
l’enseignement de langue, rappelons la critique ancienne de G. Alvarez face au « double
autoritarisme » des manuels de type audiovisuel : « […] celui de la méthode sur le maître, à
qui elle dictait un certain nombre de démarches canoniques et rituelles ; celui du professeur
sur l’élève, qui devait retrouver un à un les comportements édictés dans la méthode. » (G.
ALVAREZ 1979 : 50) ; voire également H. Besse (1992). M. Barré (1998) renouvelle la
critique de la pédagogie Freinet par rapport aux manuels. Pour plus d’information sur la
pédagogie Freinet, voir entre autres, L. Bruliard / G. Schlemminger (1996).
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En pédagogie Freinet, le projet peut se définir de la manière suivante2 :
• le sujet du projet part des centres d’intérêt de l’élève, il a la plupart du temps un caractère
pluridisciplinaire ;
• elle conduit nécessairement à une production - présentation sous les formes les plus variées :
écrites (journal, album, affiche…), orales (exposé, jeu théâtral, radio…), visuelles (exposition,
diaporama…), multimédia (correspondance scolaire, publication Web, CD-Rom…). En
pédagogie Freinet, on parle alors de « chef d’œuvre », dans la tradition du compagnonnage
(cf. C. Freinet 1949).
L´esquisse de cette approche ressemble aux démarches préconisées dans les « Travaux
croisés » du collègue et les « TPE » (« travaux personnels encadrés ») du lycée, introduits
respectivement en 1999 et en 2000 dans les instructions officielles. Cette similitude devient encore
plus évidente lorsque, pour le suivi du projet, des concepts et pratiques analogues se manifestent : le
« carnet de bord » ou le « plan de travail » en pédagogie Freinet3, la fiche d’évaluation, etc. Les
concepteurs des TPE et des « Travaux croisés » se sont certainement inspirés des pratiques Freinet,
entre autres. Ces similitudes sont appréciable ; notre propos n’est pas de vouloir introduire des
différences où elles n’ont pas lieu d’être . Notre objectif est de décrire des expériences qui apportent
une nouvelle façon de voir la classe de langue, de nouveaux concepts d’apprentissage.
2
Le projet comme outil pédagogique n’est pas l’apanage de la pédagogie Freinet. Il doit être
situé dans le cadre de l’Éducation Nouvelle, voir par exemple les apports américain comme
W. H. Kilpatrick. (1918), J. Dewey (1902) qui ont influencés C. Freinet.
3
Les deux outils ont été certainement inspirés par H. Parkhurst et son contrat de travail
(« Work Schedule ») ainsi que le plan Dalton que cette enseignante a développés dans les
années vingt.
4
Cf. également l’analyse de R. Favry (2002).
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En effet, le projet dans une classe Freinet n’est pas un élément supplémentaire dans la panoplie des
procédés et techniques didactiques possibles ; son scénario pédagogique n’est pas implicite en ce
qui concerne l’articulation des activités d’apprentissage avec la quête du savoir ; il n’est pas réservé
à des plages horaires spécifiques (comme les deux heures prévues pour les TPE et les Travaux
croisés) ou à des activités particulières. En pédagogie Freinet, le projet constitue la base même du
travail, il est le point de départ des apprentissages et de l’acquisition des compétences disciplinaires
et transversales ; il les motive. Le travail de projet est considéré comme une activité de coopération
et de collaboration entre élèves et avec des personnes de référence ; ce rôle socialisant du groupe est
déterminant pour la réussite tant des apprentissages que du projet. De ces prémisses pédagogiques
en découlent un scénario pédagogique précis, une organisation sociale complexe du groupe-classe
et une rigueur dans le travail.5 Ces éléments sont d’autant plus nécessaire lorsque la discipline, ici
l’enseignement des langues, dispose d’un cadre restreint (en général trois heures hebdomadaires).
Cette conception de la classe met en jeu des outils particuliers.
1. Des outils de la gestion des apprentissages afin que chacun puisse organiser et suivre son
travail :
• le plan de travail individuel et collectif (voir un exemple pour la classe d’anglais, illustration
n° 1) ;
• des grilles d’évaluation individuels et / ou collectifs (en pédagogie Freinet, on connaît les
types suivants : les « brevets », les « couleurs de compétence », les « chefs-d’œuvre », les
« arbres de connaissances »…) ;
5
Les pédagogues Freinet parlent ici de « discipline de travail » qu’il distingue de la « discipline
de caserne » qui caractérise, selon eux, le plus souvent l’école, car l’élève suit un travail
imposé et non choisi. – Pour le rapport entre TPE et la pédagogie Freinet, voir également les
articles de C. Mazurie (2002), H. Bourdel (2002) et J. Vigouroux (2002).
6
Les outils qui nous permettent de mettre en place un tel lieu coopératif sont d’ordre
pédagogique et proviennent essentiellement du mouvement de l’Éducation Nouvelle des
années vingt. Voir par exemple les pratiques de classes dans : F. Karsen (1923). Ces
techniques de la dynamique de groupe ont été perfectionnées plus tard, particulièrement par la
pédagogie Freinet et la pédagogie institutionnelle.
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• une mise en place de fonctions et de rôles : le président de séance, le secrétaire ; le chef
d’équipe / d’atelier, le responsable (… du courrier, d’un groupe, de la bibliothèque de classe,
des fichiers…), etc. ;
• une définition des lieux et des limites pour les moments collectifs et individuels de production
et d’apprentissage : les moments de recherche et de découverte des documents, les moments
de l’exposé - débat, les temps du travail individuel / de groupe, etc. ;
• la création d’un lieu de décision abordant les question de l’organisation du travail : le conseil ;
c’est le lieu de régulation et de médiation, le lieu de définition des règles du groupe-classe.
Illustration n° 1 : Plan de travail au premier cycle (reproduction réduite) utilisé par M. Bertrand7
TRAVAIL INDIVIDUALISE
Exposé(s) préparé(s) :
Magnéto. AI:
A II :
A III :
Lectures :
Trav. autocorrectifs Grammaire :
Traduction :
Recherches personnelles :
7
Cf. M. Bertrand 1967 : 32). Pour consulter des plans de travail plus récents pour le collègue,
voir J. et E. Lèmery (1997), cf. également D. Vaupel (1995).
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Le professeur : Les parents :
Rappelons que dans le cadre du projet, les outils de communication et d’échanges suivants (appelés
« techniques Freinet ») sont souvent utilisés8 :
• le journal de classe ;
• la bibliothèque de classe.
Les étapes de réalisation d’un projet en classe de Freinet sont généralement les suivantes :
• la publication des travaux finis sous différentes formes : exposé, présentation en ligne,
exposition…
Cet aperçu général et théorique nécessite des exemples pour illustrer cette approche9. Nous
présenterons un projet de débutants (niveau collège) et un autre niveau lycée.
8
Pour une présentation détaillée, voir G. Schlemminger (1995 a), (2001).
9
Des exemples de projets anciens, mais très instructifs sont M. Bertrand (1967), (1969) ; pour
des publications plus récentes, voir C. Saindon (2001), S. Chancelier (2001), X. Gaillon
(2000) ; pour une bibliographie complète, voir : G. Schlemminger (1996).
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cartonnée, « l’album ». Puis, à l’aide de quelques illustrations, elle l’a présenté à la classe. D’autres
recherches ont également été présentées. La sienne a été retenue et a servi de base de
l’apprentissage. De part la présentation, l’essentiel des nouvelles structures étaient déjà connues. Vu
le support, le procédé audiovisuel a été adopté pour travailler avec toute la classe ce dialogue,
l’élève jouant l’un des deux rôles, l’enseignant l’autre. Les dialogues ont été ensuite repris par des
groupes d’élèves. Par la suite, d’autres saynètes aussi saugrenues ont été créées, au plaisir de tous…
Entre-temps, le dialogue original a été polycopié pour tous les élèves et affiché en grand format au
mur. Par ailleurs, chaque groupe a envoyé son dialogue aux correspondants allemands en leur
demandant d’en créer également.
Illustration n° 2 : L’album « Dracula hat Zahnweh » (classe de 4e, collège de Peujard, Gironde)
Manifestement, le dialogue original s’inspire d’une saynète d’un manuel allemand connu. Le
contenu, tout farfelu qu’il soit, est d’une grande banalité.10 Cela dit, l’objectif premier des textes
10
À propos de la banalité des productions d’élèves, voir également P. Clanché (1988).
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personnels n’est pas la promotion d’un quelconque idéal de spontanéité ou de créativité. Pour
l’élève, cette recherche et cette création modestes donnent du sens ; elle joue avec les moyens
linguistiques dont elle dispose pour tourner en dérision une prise de rendez-vous chez le dentiste.
De par l’organisation pédagogique de la classe11 cette petite production s’insère dans un circuit
d’échanges12 et de coopération ; elle fait donc partie d’un processus plus large de socialisation par le
travail.
- la mise en page,
- l´agrafage,
11
En pédagogie Freinet, on parle « d’nstitutionnalisation » de la classe.
12
La linguistique nous a fait prendre conscience que les échanges verbaux liés à des situations
précises (les „actes de paroles“) sont très ritualisés. Il s’avère que les élèves parlent, à propos
des différentes activités de la classes, rapidement dans la langue cible.
13
L'auteur reste maître de son écrit ; il peut refuser sa présentation devant la classe, des
corrections proposées et sa publication. Tout texte publié porte la signature de l'auteur. Le
contenu peut parfois mettre en cause d'autres personnes. Le conseil du groupe-classe discutera
alors de l'opportunité de la publication d'un tel texte. En dernier ressort, c'est l'enseignant qui
en porte la responsabilité.
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- la distribution (vente)
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Illustration n° 4 : Extrait du journal « Der Journalist », 4 pages (classe de 2e, lycée de Talence,
Gironde, mai 1992)14
Ce processus de réalisation du projet commun implique l’élève quant aux décisions à prendre,
des responsabilités à assumer. Ce travail doit se faire en amont des présentations et du choix des
textes. Il s'effectue lors du conseil, réunion mensuelle coordonnant le travail du groupe-classe. Le
14
La classe a opté pour une édition bilingue comprenant le résumé ou la traduction de certains articles afin que le
journal puisse être lu par des non-germanistes.
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groupe doit savoir pour quelles raisons il édite un journal et à qui celui-ci s'adresse. Il désigne les
responsables, répartit les tâches ; il détermine le titre de la publication, le nombre de pages, le
tirage, le coût de la production et éventuellement le prix du journal, il fixer les délais des différentes
phases de production. La création du journal réussira sous condition que la phase de production ait
été organisée rigoureusement auparavant et qu’il y ait un réel groupe-cible de lecteur.
En s'insérant dans un processus de production pour lequel il est motivé, l'élève prend en
charge non seulement la réalisation d'un journal mais en même temps ses apprentissages : il a écrit,
corrigé et retravaillé son texte. Il l'a présenté oralement; il a éventuellement participé à sa mise en
page. Il est certain qu’il maîtrisera un sujet qu'il a traité de si multiples façons. S’y ajoute la
valorisation du travail personnel : il est publié et lu par d'autres. Sa recherche, son savoir ne sont
plus une affaire personnelle ; ils sont devenus un travail socialisé. La production d'un journal de
classe est ainsi – au niveau pédagogique - un projet très complet, suscitant à la fois l'emploi des
capacités intellectuelles, manuelles et artistiques des élèves, insérant ceux – ci dans un processus de
socialisation. C'est un travail exigeant, à tout point de vue, une bonne qualité du produit final.15
15
Rappelons que ce n’est pas uniquement en classe de type Freinet qu’on édite des journaux
scolaires. Les premières expériences remontent aux années 1920 (cf. J. Korczak 1921) dont C.
Freinet s’est d’ailleurs inspirées. Aujourd’hui, le Centre de Liaison de l'Enseignement et des
Moyens d'Information (C.L.E.M.I.) du Ministère de l’Éducation nationale est très actif dans
ce domaine ; voir C.L.E.M.I. (1991), J. Gonnet (1990), O. Chenevez / C.L.E.M.I. (1991). Ses
expériences se situent néanmoins en dehors des disciplines traditionnelles et s’apparentent
davantage aux TPE.
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l’enseignant). C’est le rôle du professeur d’y intervenir comme modèle linguistique et de l’aider,
voire de le suppléer au début, si cela s’avère nécessaire.
La question des matériels pédagogiques est plus délicate. Il est en effet possible de faire
réaliser aux élèves des projets en langue étrangère. Cependant, il faut constater que la tâche
d’approfondir, de fixer les faits de langues, assurée habituellement par les exercices que proposent
les méthodes de langues, devient ici plus difficile. Il y a actuellement encore peu de matériels
linguistiques que l’élève peut utiliser indépendamment d’une progression lexicale (qu’impose le
séquencement des manuels scolaires). Pour le moment, l’enseignant est souvent amené à produire
lui-même ces outils.16
En somme, la pédagogie Freinet dispose donc d’un scénario pédagogique très élaboré mais
celui - ce ne résout pas la transposition didactique des contenus17. En pédagogie Freinet, on peut
dire qu'elle se situe en amont du travail didactique habituel, nommément dans l'importation des
contextes et dans l'instauration du cadre coopératif du travail. La question principale de
l'apprentissage d'une langue est celle de la communication et du sens, du pourquoi parler en langue
étrangère dans la situation de classe. C'est donc le déploiement des procédés et réseaux de
communication (la correspondance, le journal de classe, le texte libre, l'enquête, l'exposé, le
débat…) qui induit le processus de l'apprentissage et dans un moindre degré la préparation de
matériels didactiques. Ainsi, dans l'élaboration de l'objet d'enseignement, la question des
motivations se pose différemment : Ce n'est pas la maîtrise de la langue qui motive l'expression
personnelle, mais les pratiques socialisées de communication. C’est certainement à ce niveau que
les TPE et les Travaux croisés se distinguent des pratiques Freinet ; les premiers se dérobent, en
fait, face à la question du scénario pédagogique et de la transposition didactique ; la pédagogie
Freinet dispose à ce niveau d’une pratique de classe avérée sans toutefois satisfaire à toutes les
interrogations que pose la didactique.
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Barré, Michel (1998) : L’aventure documentaire : une alternative aux manuels scolaires, Nantes,
Éditions I.C.E.M. [2e édition revue et corrigée, 1ère édition : 1983].
16
Il faut néanmoins constater que progressivement il y a de plus en pour de ces outils pour les
langues scolaires courantes ; voir G. Schlemminger (1997a) (1997 b), J. Varenne (2001), cf.
également G. Schlemminger et al. (2001).
17
Cf. également G. Schlemminger (1995 b).
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