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NOTE BIBLIOGRAPHIQUE COMPLÉMENTAIRE


SUR L'AFRIQUE DU NORD AUX IVe ET y e SIÈCLE

Nous avons demandé à M. Tadeusz KoTULA de bien vouloir rédiger à l'intention des
lecteurs de cette revue - et en annexe à notre recension - une analyse critique de l'ouvrage
de G. G. DILIGUENSKI. Grâce à cette aimable contribution, on pourra, au moins sommaire-
ment, prendre connaissance d'un livre important, d 'accès difficile.
Le savant historien de Wrodaw était tout particulièrement qualifié pour attirer l'atten-
tion sur ce travail. Ses propres recherches sont, depuis de longues années déjà , orientées vers
l'Afrique et spécialement l'Afrique du Bas-Empire, et elles ont abouti à des publications
importantes , que nous avons signa lées dans nos chroniques bibliographiques. Ajoutons encore
que , jointe à sa compétence de cherch eur, sa bonne connaissance de la langue française lui
assure une large audience. Nous le remercions vivement de sa collaboration.

G.G. DILIGUENSKI, Severnaïa Afrika v IV- V vekakh, Moska, lzd. Akad. Nauk SSSR, 1961,
302 p.
L'ouvrage de l'historien russe G.G. Diliguenski est dans une certaine mesure le fruit
d 'une discussion qui dure depuis bien des années en Union Soviétique, discussion concernant
la chute du système social esclavagiste et la naissance du féodalisme dans le monde méditer-
ranéen. Mais il constitue en même temps le résultat des recherches effectuées depuis longtemps
par l'auteur dans le domaine de l'histoire des provinces africaines de Rome à l'époque du
dominat. G.G. Diliguenski lui a consacré déjà toute une série de travaux, et parmi ceux-ci
des articles sur les cités africaines au Ive siècle de notre ère et sur les sou lèvements populaires
sous le Bas-Empire. L'histoire de l'Afrique du Nord romaine de cette époq ue a été traitée
récemment par B.H. Warmington. Dans son livre , P. Romanelli s'y est également beaucoup
intéressé ( 1). Mais ces deux savants, et particulièrement Romanelli, mettent au premier plan
l'histoire politique. Comme études plus spéciales, mentionnons de nombreux travaux concer-
nant les problèmes sociaux et religieux en Afrique : ainsi se sont tour à tour penchés sur la
question du donatisme qui excite toujours l'intérêt des chercheurs, pour ne citer que les auteurs
des contributions les plus importantes, W.H.C. Frend , J.-P. Brisson , Th. Büttner et derniè-
rement E. Tengstrôm. L'auteur du livre que nous ana lysons s'est fixé pour but - le premier
parmi les historiens marxistes - de présenter la société et l'économie dans leur ensemble, la
lutte des classes dans les provinces africaines de l'Empire aux Ive et ve siècles, y compris la

( 1) Que le problème soit toujours d'actualité, la monographie la plus récente du e à H. J. Diesner, Der
Unlergang der romischen Herrscha(l in Norda(rika, Weimar, 1964, en témo igne.
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période vandale. Il souligne que l'histoire de l'Afrique romaine, qui à cette époque est encore
relativement bien connue grâce aux sources épigraphiques et littéraires, est très instructive
pour l'étude des processus de déclin qui actuellement attirent l'attention de tant de savants.
L'ouvrage se compose d'une introduction et de six chapitres : 1. Esquisse de l'économie
des provinces africaines ; 2. Les cités ; 3. Le problème agraire ; 4.-5. La lutte socio-politique
et religieuse dans la première et la seconde moitié du rve siècle et au début du ve ; 6. Les consé-
quences sociales et économiques de la conquête de l'Afrique par les <<barbares>>; et enfin d'une
conclusion. Y sont joints une liste des abréviations ainsi que les index : 1. des noms propres,
des noms géographiques, et ethniques ; 2. des matières. Le livre est malheureusement dépourvu
d'illustrations et de cartes. On ressent aussi l'absence d'une liste des sources et de toute
bibliographie.
La présente recension ne prétend pas être un compte-rendu exhaustif du contenu de
chacun des chapitres. Nous avons principalement concentré notre attention sur les résultats
les plus importants obtenus par G.G. Diliguenskil qui, en bien des points de son intéres-
sant exposé, présente de nouvelles solutions de problèmes complexes, très sujets à discussion.
Après avoir passé en revue la littérature de la question, surtout la littérature récente, et
après une brève introduction historique, l'auteur brosse dans le premier chapitre un tableau
général de la vie économique en Afrique romaine aux rve et ve siècles. Constatant que les
provinces d'Afrique du Nord sont devenues, après la fondation de Constantinople, dans une
mesure encore plus large qu'auparavant, à l'époque du principat, le grenier de Rome, il carac-
térise leur économie agricole qui jouait dans l'économie générale du pays un rôle bien plus
important que l'artisanat et le commerce. En conséquence, l'impôt principal en Afrique était
l'annone, impôt foncier versé en nature. L'A. souligne l'accroissement des impôts, le
renforcement de la fiscalité pendant la période en question. En outre, les abus des percep-
teurs locaux comme ceux de la bureaucratie impériale aggravaient la situation des provinciaux.
Malgré la prépondérance des impôts en nature on ne peut toutefois, selon D., parler d'une
<<naturalisation>> de l'économie africaine au rve siècle bien qu'en principe l'économie << natu-
relle>> fût toujours dominante. La production agricole destinée aux marchés et les échanges
espèces-marchandises jouaient dans l'Afrique du Bas-Empire un rôle assez important. La
prépondérance de l'exportation sur l'importation - et surtout de l'exportation privée des
produits agricoles en tant que marchandises destinées à la vente - y était un phénomène
caractéristique.
Dans le second chapitre, D. reprend les résultats de ses recherches publiés auparavant
dans le << Veslnik Drevneï Isiorii >> (Revue d' H isloire Ancienne), infirmant la théorie sur le
déclin des cités africaines au rve siècle, soi-disant consciemment lésées et freinées dans leur
développement par les empereurs de la période du dominat. Les sources épigraphiques
locales témoignent contre cette thèse : elles démontrent une activité relativement intense dans
la construction d'édifices jusqu'au déclin même du rve siècle, et ce non seulement dans la recons-
truction des bâtiments détruits au cours de la crise du rne siècle mais dans l'érection de
nombreux édifices nouveaux destinés à embellir les cités. Cependant D. constate une difiérence
fondamentale en ce domaine entre le Haut et le Bas-Empire. Elle se situe dans les importants
changements sociaux qui se sont développés du ue au rve siècle. Les cités sont restées en Afrique
les centres des régions agricoles, et la principale occupation de la population ainsi que la source
principale de ses revenus était toujours l'agriculture, mais dans la vie des villes une nouvelle
classe tendait à dominer. Analysant les textes épigraphiques et littéraires (surtout les œuvres
de saint Augustin) D. étudie la structure de la société citadine africaine. Il conclut que la place
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des décurions, classe moyenne qui jusque-là gouvernait collectivement les cités, a été prise
par une oligarchie de grands propriétaires fonciers, les primates municipaux, enrichis princi-
palement grâce à l'exportation des céréales et de l'huile, produits de leurs domaines. Leur
position économique leur permit de prendre la première place dans la vie politique des villes
au désavantage de la masse des curiales qui s'était appauvrie. Soutenus par l'État, ces grands
atteignirent les plus hautes dignités municipales et provinciales, et ce sont justement eux qui
embellirent à leur frais leurs patries, s'ouvrant par cette activité liturgique la voie d'une carrière.
Puis D. passe à la politique de l'État, et donc des empereurs, envers les cités, politique qui
s'est entièrement adaptée aux transformations sociales en question. Il souligne qu'en aucun
cas les souverains ne pouvaient adopter une attitude négative envers les villes en tant qu'insti-
tutions, car elles constituaient une des principales bases du système fiscal de l'Empire. A ces
facteurs économiques s'ajoutèrent des facteurs politiques : le gouvernement central vit dans
les cités un rempart contre le danger barbare. C'est ainsi que D. explique les nombreux exemples
de soutien de leur développement par les autorités, exemples oubliés par les savants qui datent
trop tôt le déclin de la vie urbaine. Bien entendu, les citadins devaient supporter en tant que
collectivité des charges fiscales de plus en plus lourdes, et, malgré toute leur bonne volonté,
les empereurs ne pouvaient freiner ce processus à mesure que s'aggravait la crise générale
qui, à partir de la fin du rve siècle, atteignait l'État. L'Empire ne pouvait exister sans les cités.
mais en accordant à un petit groupe des privilèges, il écrasait la masse des curiales. L'exploi-
tation du peuple par l'oligarchie des principales rendit en fin de compte la crise sociale interne
plus aiguë, et plus graves ses répercussions sur le destin des cités mêmes.
Dans le troisième chapitre du livre, D. revient aux conditions de l' agriculture qui, à son
avis, déterminaient non seulement l'économie de l'Afrique, mais aussi les traits spécifiques de
son système social et de la lutte des classes. Il commence par l'analyse de la structure de la
propriété foncière, de chacune de ses catégories, c'est-à-dire le sol municipal, les latifundia
sénatoriaux et impériaux, les terres appartenant aux genies - les tribus africaines - , les petits
et moyens lots privés et enfin les terres données à l'Église chrétienne. La catégorie la plus dyna-
mique dans son développement était la grande propriété sénatoriale. D' après les sources
épigraphiques et littéraires (notamment les œuvres de Symmaque), D. dresse une liste exhaus-
tive des sources concernant cette propriété à partir du ne siècle de notre ère. Son accroissement
n'a pas été enrayé par la crise du me siècle, elle continua à se développer sans entraves au
détriment des petits et moyens propriétaires pour atteindre au rve siècle l'apogée de son expan-
sion en Afrique romaine. Mais comme la forme caractéristique de l'organisation et de l'exploi-
tation des domaines sénatoriaux était le colonat -- système de fermage de petits lots de terre-
il convient plutôt de parler d'une concentration des revenus que d'une concentration des
terres. En ce qui concerne l'aspect politique, il faut attirer l'attention sur les remarques de
D. au sujet de l'absentéisme croissant des sénateurs africains. Quant aux lalifundia impériaux ,
ils ne s'accroissaient pas à l'époque étudiée; on peut au contraire observer la distribution ou
la vente des terres du domaine public dont une grande partie était constituée par le sol en
friche. Pour y remédier, l'État prêtait son appui à de nouvelles formes du fermage des terres
impériales, avantageuses pour les bénéficiaires, telles que l'emphytéose. A partir du rve siècle,
le trait spécifique de l'époque est le développement de la propriété foncière de l' Église
chrétienne, nouvelle catégorie privilégiée de terres constituant dans un certain sens un État
dans l'État.
Passant à l'analyse détaillée du problème de la main-d'œuvre dans l'agriculture africaine,
D. constate les progrès continus du colonat en Afrique du Bas-Empire. Mais il s'oppose à la

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thèse (Ch . Saumagn e, A. P. Kashdan ) selon laquelle la situation des colons africain s s' amélio-
rait graduellement en sorte qu'ils d evenaient de fait les petits propriétaires des lots qui leur
étaient donnés en fermage. Démontrant qu 'il en était tout autrement, D. étudie scrupuleuse-
sement la situation des colons à partir du Haut-Empire en se fondant principalement sur les
gra ndes inscriptions des sallus dans la vallée du Bagr adas. Ce qui est surtout intéressant, ce
sont ses dédu ctions sur la co nsu eludo, à savoir l'opinion que les devoirs des colons étaient
réglés en Afriqu e non par des actes juridiques de l'État (lex) m ais plutôt par la tradition - la
consueludo dont la consu eludo Manciana connue par une inscription constitue un exemple.
Il souligne en m ême temps les nombreux autres traits spécifiques du colonat africain, difTérant
du colonat en Italie qui était basé sur un contrat juridique de lo caiio-co nduclio engageant
les deux parties. Il démontre égalem ent l'a ccroissem ent continu des charges p esant sur les
petits fermiers et met en évidence l'évolution de leur situation jusqu'à leur fixati on sur la
terre qu'ils travaillaient et à leur entière assimilation aux colons des a utres provinces de
l'Empire. D. consacre enfin quelques pages à la main-d 'œuvre servile dans l'agriculture. En
effet les sources témoignent que les esclaves étaient asse z généralement employés dans les
grand es et moyennes propriétés et même sur les petits lots. Mais à notre avis , dans un pays de
colons et de libres paysans comme l'était l'Afrique , il serait difficile de parler d'une prédo-
minance quantitative des esclaves, même sur les terres municipales. Ceci concerne également
la période du Bas-Empire.
Si dans la première moitié de son livre, dans les chapitres l-Ill , D. se concentre plutôt
sur les problèmes économiqu es , dans les deu x amples chapitres de la seconde moitié, les chapi-
tres IV et V, il se consacre avant t out à la question sociale en étudiant les conflits sociaux et
religieux en Afriqu e du rve siècle a u début du ve. Il voit dans ces conflits le résultat d 'une
lutte croissante des classes dans la société africaine. Le trait caractéristique des nombreu ses
formes et étapes de cette lutte fut son lien étroit avec le schisme dans l'Église africaine. A
mesure que l'É glise officielle, orthodoxe, se liait de plus en plu s fortement à l'État, passant
ainsi à une position collab orationniste, le mouvement de protestation des masses opprimées
conduisit au schisme, appelé donatiste. Mais suivant le fil du développement du donatisme
dans la première moitié du rve siècle, l'auteur démontre que le h aut clergé donatiste exploitait
les sentiments anti-romains des m asses croyantes uniqu ement pour les buts personn els de sa
lutte contre l'Église orthodoxe. On ne peut donc donner au dona tisme le nom de << religion
des pauvres>>comme le font certains savants . En fin de compte le schisme à son tour se scinda
en deux parties, les dirigeants opportunistes et les masses radicales de la base dont le méconten-
tement s'est exprimé de manière aiguë dans les mouvements de la plèbe municipale exploitée.
Dans cette optique, D. se penche sur les circoncellions ou agonistiques (l'auteur préfère cette
dernière appellation ). Il voit en eux une secte religieu se démocratique liée au donatisme, et
comme un groupement de moines schismatiqu es aux opinions religieuses et sociales très radi-
cales. Il s'oppose franchement à la théorie de Ch. Saumagne et d 'autres savants selon laqu elle
les circoncellions constitu aient un groupe social homogène d 'o uvriers agricoles saisonniers,
théorie fondée sur le décret d'Honorius de 412 (C. Th. XV I , 5, 52). Cette opinion n e peut en effet
être soutenue : elle a contre elle plusieurs t émoignages des sources littéraires lo cales, surtout
dans les œ uvres de saint Augustin qui combattait violemment les agonistiques. Constatant
une contradiction entre le décret d'Honorius mentionné plus h aut et le tableau des circoncel-
lions brossé par les écrivains africains ecclésiastiques, l'auteur a dmet, avec raison semble-t-il
- malgré le parti pris et les préventions du camp des adversaires catholiques - leur conception
de cette secte. Le tableau si suggestif de groupes de vagabonds agonistiques quittant la terre
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et terrorisant par leurs agressions les partisans de l'orthodoxie, combattant l'oppression et
l'inéga lité sociale, est si fréquent dans la littérature patristique ancienne qu'il ne semble pas
être une fiction tendancieuse. Très convaincante est l'argumentation de D. sur la composition
fort complexe de la secte des agonistiques (parmi lesquels ne devait toutefois pas manquer
une certaine quantité d'ouvriers agricoles ). Mais rejetant le point de vue de Saumagne, il
n'éclaircit pas d'une manière satisfaisante une question , avouons-le , très obscure : pourquoi
le décret de 412 a-t-il distingué les circoncellions en tant que catégorie à part parmi les dona-
tistes punis d'une amende en argent? Dans l'édit impérial en tout cas, on les considérait sans
aucun doute comme des gens que les percepteurs pouvaient atteindre, des gens solvables.
Dans la seconde moitié du rve siècle la crise interne croissante a conduit en Afrique à
de sérieux troubles politiques, aux insurrections de Firmus et de Gildon. D. s'est occupé de
ces événements dans le cinquième chapitre de son livre, les rattachant étroitem ent à la suite
du développement du donatisme qui y est également présentée. Dans un certain sens, il réduit
les insurrections armées et le schisme africain au même dénominateur, soutenant qu'à la base
des actions de Firmus et de Gildon comme à celle du donatisme se trouvait non un facteur
ethnique - l'antagonisme entre les Berbères et Rome - , mais les con flits sociaux dans les
provinces africaines. Dans cette partie de sa monographie, il s'oppose principalement à l'opi-
nion de W.H.C. Frend. Bien qu'il sou ligne les différences entre les deux insurrections, affirmant
surtout que dans le camp de Gildon les mili eux romanisés de la population provinciale ont
joué un rôle assez important, il essaie de démontrer que du côté des deux chefs se sont dressées
des catégories nombreuses et diverses de provinciaux des villes et de villages africains, caté-
gories de plus en plus opposées à l'autorité centrale, protestant contre la politique sociale et
religieuse romaine (participation des donatistes dans les deux révoltes ). Les tribus berbères
n'ont été, à son avis, que le bras armé des insurrections et, qui plus est, un bras assez peu mena-
çant pour les Romains en raison d'une différenciation sociale de plus en plus profonde parmi
les Maures et des querelles entre les chefs de tribus. Quoiqu'il mette en lumière l'opportunisme
des grands du donatisme, il explique également la propagation de la secte par le crescendo de
la lutte des classes en Afrique, par l'opposition à l'injustice sociale et par l'hostilité envers
Rome.
Toutefois il nous semble qu 'aujourd 'hui il est possible de faire une certaine synthèse de
l'opinion de Frend et de celle de D. et des autres savants dont le point de vue est voisin. Il
est impossible de nier la complexité des mouvements de Firmus et de Gildon qui, sans aucun
doute, exploitai ent adroitement pour leurs fins les diverses co uches de la population et les
courants sociaux et politiques. Cependant on ne peut non plus ignorer un courant croissant
avec les siècles, celui de la résistance des masses berbères non-romanisées dont les chefs portant
les titres de principes et même de reges, à la tête des confédérations de tribus , renouaient
visiblement à partir du me siècle de notre ère avec les anciennes traditions autonomistes de
<<l'éternel Jugurtha>>. Dans cette perspective historique sécu laire que D. perd de vue, Firmus
et Gildon apparaissent avec netteté dans les sources africaines : ils sont so us un éclairage
comm un les prédécesseurs directs des souverains des royaumes berbères indépendants qui
vont apparaître un siècle plus tard, après la chute de l'Empire d ' Occident. Ils mobilisaient,
bien sûr, toutes les forces locales, comme le fera encore au début du vie siècle Masuna, T'ex
genlium Maurorum el Romanorum. Mais profitant de l'affaiblissement de l'Empire et, après
395, de son partage, ils aspiraient déjà à l'indépendance. D . appelle les deux chefs -- à
tort, à notre avis - << Augustes lo caux >>, notamment en se fondant sur une in scription de
Calama que l'on ne rattache plus maintenant à l'insurrection de Firmus (voir I.L.Alg., l,
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253). Dans l'appréciation du schisme africain, on ne peut pas non plus prendre tout à fait à
la légère le facteur ethnique, car la population rurale berbère constituait le soutien principal
du donatisme qui trouvait quantité de partisans, et pas seu lement pour des raisons sociales.
Les colons catholiques, si nombreux dans la Proconsulaire, avaient-ils par exemple plus de
raisons d'être satisfaits de la situation interne que leurs compatriotes deN umidie et de Mauré-
tanie romaine? Il faut se souvenir du fait qu'une partie importante des schismatiques se
recrutait dans un milieu où la roman.isation n'avait que faiblement progressé au cours de quel-
ques siècles. En somme, des facteurs très complexes ont provoqué la crise finale de la domination
romaine en Afrique, et ont entraîné sa conquête par l es Vandales, conquête présentée à la fin
du chapitre.
Parmi les suites socio-économiques de l'invasion vandale étudiées dans le dernier chapitre,
D. distingue quelques aspects particulièrement importants. Il constate généralement que les
transformations qui se sont déroulées au cours de la période vandale peuvent être considérées
comme une des étapes décisives de la désintégration du système esclavagiste et de la genèse
d'une nouvelle structure - le féodalisme. Il considère comme un phénomène de ce passage le
déclin des villes en Afrique (définitif seu lement à cette époque), et de la propriété foncière
municipale du type esclavagiste. Analysant les actes de ventes de terres - en l'occurrence
les tablettes Albertini - il arrive à la conclusion que c'est seulement à partir de ce moment
que la petite propriété s'est développée à la place du colonat et au détriment des terres des
riches curiales. Cependant, cette libération des groupes de population rurale jusque là asservis
était un fait éphémère. T ôt ou tard bon nombre de nouveaux petits propriétaires sont retombés
dans la dépendance des polenles. La grande propriété, vandale ou romaine (D. remet en question
les opinions exagérées sur la soi-disant persécution permanente des sénateurs rom ains par les
Vandales), se développait sans obstacle après la chute de la domination romaine en Afrique,
dégagée des limitations qui l'entravaient sous le Bas-Empire. C'était un des éléments de la
nouvelle structure naissante. Malgré ses conflits avec la masse des guerriers vandales établis
sur la terre, l'aristocratie vandale renforçait continuellement sa position dans l'État aux côtés
des rois. On peut observer ce même rôle croissant de l'aristocratie tribale des grands proprié-
taires fonciers chez les Berbères dont D. souligne l'émancipation politique au cours de la période
vandale eL en marge des changements intervenus dans le royaume germanique. C'est de cette
aristocratie que provenaient les rois des États berbères indépendants qui se sont maintenus
en Afrique jusqu'à l'invasion arabe. Ajoutons sur ce chapitre que l'auteur a trop peu, semble-
t-il , utilisé le précieux ouvrage de C. Courtois, Les Vandales el l'Afrique, œuvre fondamentale
a ujourd 'hui sur la période vandale de ce pays.
Le but de la présente recension est d'éveiller l'intérêt des lecteurs occidentaux pour le
livre de D. qui constitue la plus ample monographie jusqu'ici consacrée à la société et à l'écono-
mie de l'Afrique romaine sous le Bas-Empire. La valeur de l'ouvrage n 'est point du tout amoin-
drie par les remarques critiques formulées ici et dont certaines prêtent à discussion, une discus-
sion à laquelle bon nombre d'opinions personnelles et originales de D. nous invitent. Parmi
les erreurs constatées, en partie insignifiantes , nous citerons les suivantes.
A la page 47 une faute répétée deux fois : sacerdos Laurenlium Labilanlium au lieu de
Labinalium. La réduction de la catégorie des honorati à l'aristocratie municipale est inexacte
(p. 54 et suiv. ). La lecture : basilica Pisidiacor(um) incompréhensible dans le contexte de
l'inscription de Cuicul (p. 56 ) doit être plutôt corrigée comme suit : Tisediacor(um) (voir
A.Ep., 1946, 110). Les sacerdotales ne sont pas les délégués des villes aux assemblées provin-
ciales, comme il est indiqué à tort aux p. 68-69 ; l'erreur (certainement typographique ) de
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consilia au lieu de concilia (p. 70) peut également entraîner un malentendu. La composition
de ces assemblées ne se limitait pas sous le Bas-Empire - comme nous le lisons à la p. 71 - aux
primates municipaux. Flavius et Julius dans les noms des limilanei de la basse époque sont
des prénoms et non des gentilices (p. 98 ). Aux p. 230 et 231 enfin , Flavianus (il s'agit sans aucun
doute de Nicomaque Flavien, coryphée bien connu du camp païen dans le Sénat romain ) est
considéré on ne sait trop pourquoi comme donatiste et donc comme chrétien. Le texte de
saint Augustin (AuG., Ep., 87,8 ) n'oblige pas à une telle interprétation.

Tadeusz KoTULA.
Université de Wroclaw (Pologne )

Traduit par Michal MICHALAK.

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