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‫امجلهورية اجلزائرية ادلميقراطية الشعبية‬

‫وزارة التعلمي العايل و البحث العلمي‬


‫جامعة وهران للعلوم و التكنولوجيا محمد بوضياف‬

Présenté par : TEHAMI Mohamed

Intitulé
La qualité Architecturale entre conception et construction: cas
des cités d’habitation algériennes de Fernand Pouillon

Faculté : Architecture et Génie civil


Département : Architecture

Domaine : Architecture, ville et métier de la ville

Filière : Architecture

Intitulé de la Formation : Architecture, ville et patrimoine

Devant le Jury Composé de :

Membres de Jury Grade Qualité Domiciliation


NASSER Bachir Professeur Président USTO-MB

ANOUCHE Karima Professeur Rapporteur USTO-MB


BENKOULA Sidi Mohammed el Ha-
MCA USTO-MB
bib
OUZAA Kheira MCA Examinateurs USTO-MB
ABDESSEMED- FOUFA Amina MCA U. Blida-1-

Année Universitaire : 2017-2018


Remerciement :

En préambule à ce mémoire je remercie ALLAH, le tout puissant, de m’avoir aidé, donné la


patience et le courage pour dépasser toutes les difficultés et achever ce modeste travail.
J’adresse de vifs remerciements à Madame Anouche Karima, la directrice de thèse, qui a dirigé
ce travail avec rigueur et enthousiasme. Je la remercie pour sa modestie, sa disponibilité, sa
confiance, et son œil critique qui m’ont été très précieux, et constitué un apport considérable
sans lequel ce travail n’aurait pas pu être mené à bien.
Mes remerciements s’étendent également à Monsieur Giulio Massimo Barazzetta, co-directeur
de cette thèse, professeur au politecnico di Milano, qui m’a accueilli à bras ouverts au sein d’un
groupe de recherche constitué à mon honneur. Je le remercie tout d’abord d’avoir accepté de
codirigé ce travail de recherche. Je serai toujours reconnaissant pour le temps que vous m’avez
consacré tout au long de l’expérience enrichissante que vous m’avez permis. J’en profite pour
remercier aussi les membres du groupe de recherche : Madame Martina Elena Landsberger pour
ces précieux conseils et Mr Emilio Moussa pour son support technique. Je remercie aussi
l’administration du département d’architecture du polimi pour leurs disponibilités et leurs
gentillesses, je tiens à remercier en particulier Mr Enrico De Angeles, Mme Cristina
Marchegiani et Mr Alessandro Alfredo Martinelli.
Des remerciements spéciaux vont à Madame Catherine Sayen, élève et dernière compagne de
Fernand Pouillon, et présidente de l’association des Pierres sauvages de Belcastel, pour son
encouragement, son soutien moral ainsi que pour l’accès aux archives numériques de
l’association.
Nombreux ont été les chercheurs qui ont pris le temps de lire mes travaux et de m’apporter leurs
conseils et leurs remarques constructives. Je tiens à les remercier, et en particulier, Mr Attilio
Petruccioli et Mr Jacques Lucan.
Je tiens aussi à remercier mesdames et messieurs les membres du jury de m’avoir fait l’honneur
de bien vouloir lire et examiner mon travail : Mr Nasser Bachir pour avoir accepté de présider
le jury de soutenance, Mme Foufa Amina, Mme Ouzaa Kheira et Mr BENKOULA Sidi
Mohammed el Habib pour avoir accepté d’être les examinateurs de cette thèse.

Enfin, aucun mot ne peut exprimer ma reconnaissance à mes chers parents, qui m’ont toujours
encouragé dans la poursuite de mes études, ainsi que pour leur amour inestimable, leur
confiance, leur soutien. Je tiens à remercier aussi mes frères et sœurs pour leur soutien et
encouragement, ainsi que ma fiancée pour sa compréhension, sa patience et ses encouragements
constants.
J’ai également une pensée pour tous ceux qui m’ont aidé de près ou de loin à accomplir ce
travail, tous mes proches famille et amis, ainsi que tous mes collègues de la post graduation.
Résumé :

La question de la qualité est depuis longtemps au centre des problématiques architecturales et


urbaines. Depuis les âges préhistoriques jusqu’aux temps modernes, l’évolution des techniques
constructives a eu un impact direct sur l’évolution de l’architecture et sur sa question
qualitative. Cette évolution prend une autre dimension à partir de la grande crise mondiale du
logement d’après-guerre. La recherche quantitative a poussé à l’industrialisation des procédés
de construction du logement à l’image de l’industrie de fabrication en série. Cette évolution
technologique s’est accompagnée par un changement d’intérêt dans la question qualitative.
C’est la gestion de la qualité qui est visée maintenant, en s’inspirant des approches de
management de qualité du monde industriel, le logement est considéré beaucoup plus comme
produit industriel plutôt que comme un objet architectural.
En parallèle à cette vision industrielle, Fernand Pouillon a proposé dans les années cinquante
des logements sociaux avec une qualité architecturale qui témoignent d’une nouvelle vision,
dont la divergence avec celle du mouvement moderne a démarré à partir du choix de
l’industrialisation des procédés de construction par éléments simples, et s’est poursuivi par une
conception architecturale qui puise ses principes dans l’architecture traditionnelle des villes
médiévales.
En Algérie, l’agrandissement du parc de logement social a exigé la recherche d’un équilibre
entre qualité et quantité. Dans cette quête, le gouvernement a établi en 2007 des prescriptions
applicables aux logements sociaux sous forme de critères de qualité, dont le maitre d’œuvre
doit respecter afin de répondre qualitativement à la production du logement. Malgré ces efforts,
le résultat est loin d’être concluant. Ce constat est soulevé par plusieurs recherches académiques
qui ne cessent de proposer des solutions suivant différentes interprétations de la question
qualitative. Les plus répandues sont celles basées sur les méthodes d’évaluation de la qualité
du produit ainsi que de son processus de production.
En considérant le logement comme objet architectural plutôt qu’un produit industriel, cette
recherche s’interroge sur l’éventualité d’un nouveau regard sur la qualité architecturale auprès
de la vision de Fernand Pouillon. L’objectif de cette recherche est de proposer des éléments
(leçons) qui peuvent améliorer la qualité architecturale du logement social en Algérie. Fernand
Pouillon étant la référence clés de cette recherche, les éléments proposés seront sous forme de
leçons tirées de l’architecture de Fernand Pouillon.

Mots clés : qualité architecturale, conception, construction, logement social, objet


architectural, Fernand Pouillon, composition architecturale.
‫ملخص‪:‬‬

‫تعد مسألة الجودة مند وقت طويل موضوعا حساسا تضمنته القضايا المعمارية والحضرية‪ .‬وال شك ان تطور تقنيات البناء‬
‫ابتداء من عصور ما قبل التاريخ إلى العصر الحديث كان له تأثير مباشر على تطور فن العمارة وكدا جودتها‪ .‬بحيث هدا‬
‫التطور أخد افاقا أخرى نتيجة بروز االزمة العالمية للسكن ما بعد الحرب العالمية الثانية‪ .‬وقد أدى البحث الكمي في مجال‬
‫السكن إلى تصنيع عمليات بناء المساكن طبق منهج الصناعة الثقيلة‪ ،‬بحيث انه من نتائج هذا التطور التكنولوجي‪ ،‬تغير في‬
‫اهتمامات مسألة الجودة وميلها الى علم إدارة الجودة‪ .‬هده األخيرة‪ ،‬كونها مستوحاة من نهج إدارة الجودة في مجال الصناعة‪،‬‬
‫جعلت السكن يعتبر كمنتج صناعي أكثر مما هو موضوع معماري‪.‬‬
‫وبالتوازي مع هذه الرؤية الصناعية‪ ،‬اقترح فرناند بويلون في الخمسينيات مساكن اجتماعية بجودة معمارية مقتضبة من‬
‫رؤية جديدة‪ .‬هده الرؤية ابدة اختالفها مع الحركة المعمارية الحديثة من حيث تفضيل عملية تصنيع البناء بالعنصر البسيط‬
‫بدال من التصنيع الثقيل‪ ،‬وكدا تصميمها المعماري الدي استمد مبادئه من فن العمارة التقليدية لمدن العصور الوسطى‪.‬‬

‫تطلب التوسع المستمر في مخزون اإلسكان االجتماعي في الجزائر البحث عن توازن بين النوعية والكمية‪ .‬في هذا المسعى‪،‬‬
‫سطرت الحكومة في عام ‪ 7002‬متطلبات اإلسكان االجتماعي على شكل معايير الجودة‪ ،‬والتي يجب على سيد العمل‬
‫احترامها من أجل تحسين نوعية وجودة إنتاج المساكن‪ .‬على الرغم من هذا المجهود المبذول لتحسين الجودة‪ ،‬فإن النتيجة لم‬
‫تكن على حسب التطلعات‪ .‬هذا ما دفع العديد من البحوث األكاديمية للتطرق الى مسالة جودة المسكن مقترحة باستمرار‬
‫حلوال متعددة وفقا لمفهوم الجودة المعتمد في البحث‪ .‬معظم هده البحوث هي تلك التي تقوم على مناهج تقييم جودة المنتج‬
‫وكذا سياق إنتاجه‪.‬‬
‫باعتبار المسكن كموضوع معماري أكثر مما هو منتج صناعي‪ ،‬فإن هذه االطروحة تقترح إمكانية إلقاء رؤية جديدة على‬
‫الجودة المعمارية معتمدة في دلك على رؤية فرناند بويلون‪ .‬الهدف من هذا البحث هو اقتراح عناصر (دروس) يمكن أن‬
‫تحسن الجودة المعمارية لمسكن االجتماعي في الجزائر‪ .‬بكون المهندس المعماري فرناند بويلون المرجع الرئيسي لهذا‬
‫البحث‪ ،‬فإن العناصر المقترحة ستكون في شكل "الدروس" المقتضبة من معمار فرناند بويلون‪.‬‬

‫كلمات البحث‪ :‬الجودة المعمارية‪ ،‬التصميم‪ ،‬البناء‪ ،‬المسكن االجتماعي‪ ،‬الموضوع المعماري‪ ،‬فرناند بويلون‪ ،‬التركيب المعماري‬
Abstract:

The question of quality was a long time in the center of architectural and urban issues. From
prehistoric times to modern times, the evolution of construction techniques had a direct impact
on the evolution of architecture and its qualitative issue. This evolution took another dimension
after the post-war global housing crisis. The inadequate supply of housing had led to the
industrialization of the construction processes in the image of the mass production industry.
This technological evolution has been accompanied by a change of interest in the qualitative
issue. Inspired by the quality measurement approaches, the housing quality issue concerns its
quality management; housing is considered much more as an industrial product rather than an
architectural object.
In the fifties, Fernand Pouillon handled this housing crisis with the construction of housing
estates with an architectural quality that testify to a new vision, whose divergence with that of
the modern movement began with the choice of the industrialization of construction processes
by simple elements, and continued with an architectural design that draws its principles from
the traditional architecture of medieval cities.
In Algeria, the expansion of the social housing stock required solutions to ensure a balance
between quality and quantity. In this quest, the government established in 2007 requirements
for social housing in the form of quality criteria, which the project managers must respect in
order to respond qualitatively to the production of housing. Despite these efforts, the result is
far from conclusive. This finding has been a subject of several academic studies that constantly
propose solutions according to different interpretations of the qualitative issue. The most ones
are those based on the quality methods evaluation of the product and its production process.
By taking the housing as an architectural object rather than an industrial product, this research
suggests to consider the possibility of a new focus on the architectural quality based on the
vision of Fernand Pouillon. The objective of this research is to propose elements (lessons) that
can improve the architectural quality of social housing in Algeria. As Fernand Pouillon being
the key reference of this research, the proposed elements will be in the form of lessons learned
from Fernand Pouillon architecture.

Keywords: architectural quality, design, construction, social housing, architectural object,


Fernand Pouillon, architectural composition.
Table des matières :

INTRODUCTION générale .................................................................. 9

Intérêt de la recherche : ......................................................................... 10

Objet de la recherche : ........................................................................... 13

Présentation de la problématique : ........................................................ 14

Hypothèse et Objectifs de la recherche ............................................... 19

Méthodologie de la recherche ................................................................ 20

Champs d’investigation : .............................................................................................................. 20

Démarche de la recherche : ......................................................................................................... 20

Structure de la recherche : ........................................................................................................... 21

Partie I :Le logement et sa problématique qualitative .......................... 23

Chapitre 1 : parler de logement ou d’habitat ? Deux concepts totalement


différents .................................................................................... 24

Introduction : ............................................................................................ 25

1.1. L’habitat et le logement : une relation de prolongement ......... 26

1.1.1. Le logement avec ses différents sens : ......................................................................... 26

1.1.2. L’habitat : ...................................................................................................................... 28

1.2. Habitation et le chez-soi : .............................................................. 30

1.3. Habiter et loger : deux notions différentes : ............................. 32

Conclusion : ............................................................................................... 35

Chapitre 2 : La recherche de la qualité, l’apparition de la crise du


logement et l’industrialisation de la construction ............................. 37

Introduction : ............................................................................................ 38

2.1. La recherche de la qualité et l’émergence de la crise de


logement : ................................................................................................... 39

1
2.2.1. Dans les pays développés : ........................................................................................... 39

2.2.2. Dans les pays en voie de développement : ................................................................... 42

2.2. L’industrialisation et la construction massive comme une


réponse à la crise du logement : ............................................................ 46

2.2.1. L’emprunt de la voie d’industrialisation dans le domaine de la construction : ............. 46

2.2.2. Adaptation de l’industrialisation au bâtiment : ............................................................ 47

2.2.3. Le support théorique de l’industrialisation du logement : ............................................ 53

2.2.4. L’industrialisation de la construction de logement en Algérie : .................................... 55

Conclusion : ............................................................................................... 58

Chapitre 3 : La qualité architecturale .............................................. 60

Introduction : ............................................................................................ 61

3.2. La notion de « qualité » dans le bâtiment : .................................. 62

3.2.1. Les leçons tirées de l’industrie de fabrication en série : ............................................... 62

3.2.2. Le management de qualité et le contrôle de la qualité de production : ....................... 64

3.2.3. Les démarches d’évaluation de la qualité, certifications et labels : .............................. 65

3.3. L’objet architectural et sa problématique qualité : .................. 74

3.3.1. La qualité entre objet architectural et objet industriel : ............................................... 75

3.3.2. La qualité « architecturale » ou la qualité de « l’architecture » :.................................. 78

Partie II :Fernand Pouillon, une nouvelle vision pour un nouveau regard


sur la qualité architecturale .......................................................... 90

Chapitre 4 : la vision de Fernand Pouillon ........................................ 91

Introduction : ............................................................................................ 92

4.1. Pouillon dans son époque : ............................................................ 92

4.1.1. Fernand Pouillon, un début de carrière plutôt mouvementé : ..................................... 92

4.1.2. L’après-guerre et la reconstruction en France : ............................................................ 97

4.2. L’architecture de Pouillon, une affirmation d’une nouvelle


vision :....................................................................................................... 121

2
4.2.1. Son enseignement : .................................................................................................... 123

4.2.2. Premières opérations de logement : Première application de sa nouvelle vision ...... 136

Conclusion : ............................................................................................. 151

Chapitre 5 : l’analyse des cas d’étude ........................................... 153

Introduction : .......................................................................................... 154

5.1. Méthode d’analyse : ....................................................................... 155

5.1.1. Le processus de conception architecturale : ............................................................... 157

5.1.2. L’élaboration de la méthode d’analyse : ..................................................................... 162

5.2. L’analyse des cas d’étude : les cités d’Alger de Pouillon : .... 164

5.2.3. Contexte historique de la construction des cités : ...................................................... 164

5.2.2. L’analyse des cités d’habitation de Pouillon : ............................................................. 166

Conclusion : ............................................................................................. 225

Chapitre 6 : Les éléments d’un nouveau regard sur la qualité


architecturale : Fernand Pouillon et la nouvelle interprétation de la
composition architecturale ........................................................... 227

Introduction : .......................................................................................... 228

Pierre Pinon quant à lui, considère la composition comme une technique de mise en forme ;
« elle donne un ordre formel à un édifice, elle fait qu’un objet architectural a une forme maitrisée
et appréhendable, qui n’est pas due à un phénomène aléatoire » ............................................. 229

6.1. Symétrie et pittoresque comme deux principes de la composition


architecturale dans la fin du 19eme siècle : ..................................... 229

Il est clair que donner une définition précise à la composition architecturale est totalement
illusoire, cependant, les différentes acceptions de la composition architecturale renvoient à
deux principes : celui de la symétrie bilatérale, et celui de la symétrie perspective, ce qui est
appelé aussi le principe pittoresque de la composition architecturale. ..................................... 229

6.1.1. La composition architecturale comme synonyme de symétrie bilatérale : ................ 229

6.1.2. Le pittoresque et la pondération des masses : ........................................................... 235

6.1.3. Fernand Pouillon et la nouvelle interprétation de la composition architecturale : .... 244

6.2. Les dispositifs de la composition architecturale : ................... 246

3
6.2.1. Eléments, parties et entraxe : ..................................................................................... 246

6.2.2. Module et travée comme deux dispositifs de la composition architecturale chez


Pouillon : ………………………………………………………………………………………………………………………………248

Conclusion générale : .................................................................. 249

1. Résultats de la recherche : ......................................................... 251

1.1. Le lien entre la crise quantitative du logement, son industrialisation et sa question


qualitative : ................................................................................................................................ 251

1.2. L’impact de l’industrialisation du logement sur le changement d’intérêt dans la


recherche qualitative :................................................................................................................ 251

1.4. Les leçons tirées de l’architecture de Fernand Pouillon pour améliorer la qualité
architecturale du logement social : ............................................................................................ 253

1.4.1. Assurer la continuité entre conception-construction : ................................................ 253

1.4.2. L’approche des angles de vision comme un moyen pour améliorer la qualité
architecturale du logement social : ............................................................................................ 254

1.4.3. Concevoir la cité d’habitation comme une « petite ville » ou comme une « grande
maison » : ................................................................................................................................... 256

2. Limites et perspectives de la recherche : .................................. 259

Bibliographie .............................................................................. 260

4
Liste des figures :

- Figure 2.1 : Le Corbusier, « libérer les villes de la contrainte, de la tyrannie de la rue »………………54

- Figure 3.1 : Critères de performances pour le modèle de la POE……………………………………….68


- Figure 3.2 : Modèle du processus d’évaluation des performances des bâtiments BPE…………………70
- Figure 3.3 : Modèle du processus d’évaluation universelle du design (UDE) : critères d’évaluation….71
- Figure 3.4 : la basilique de « Maxence »...........................................................................................…...84
- Figure 3.5 : la voute du Panthéon ………………………………………………………………………84

- Figure 4.1 : Ammerschwihr (Haut-Rhin). Plan parcellaire de l’ilot de la place de la Sinn avant la
reconstruction et plan tel que prévu par la reconstruction……………………………………………..101
- Figure 4.2 : Ammerschwihr (Haut-Rhin). Vue en perspective de la place de la Sinn aujourd’hui……102
- Figure 4.3 : Plan d’ensemble de Maubeuge 1947……………………………………………………...103
- Figure 4.4 : Plan parcellaire avant la reconstruction et plan tel que prévu par la reconstruction……...104
- Figure 4.5 : Le mail de la Sambre. Mairie de Maubeuge, reportage d’André Di Nola……………......104
- Figure 4.6 : Dessin d’ensemble d’immeubles qui entourent la place de l’Hôtel-de-ville……………...106
- Figure 4.7 : Carte postale Le Havre - L'Avenue Foch CPSM - Colorisée - Circulé à découvert en
1955…………………………………………………………………………………………………….107
- Figure 4.8 : Orleans, zone bombardées en 1940 en rouge……………………………………………..109
- Figure 4.9 : Prototype de mur réalisé avec le procédé “Croisat et Angeli”……………………………109
- Figure 4.10 : Plan de la reconstruction de la ville. Le Corbusier, architecte, 1945-1946. Plan du centre
civique………………………………………………………………………………………………….112
- Figure 4.11 : Plan d’E. Beaudouin (lauréat)…………………………………………………………...119

- Figure 4.12 : Plan des autres


candidats………………………………………………………………...119
- Figure 4.13 : la cité Rotterdam
aujourd’hui……………………………………………………………120
- Figure 4.14 : Vue en plan du Meidan d’Ispahan en Iran………………………………………………127

- Figure 4.15 : Projet d’aménagement de l’arrivée de l’autoroute nord jusqu’à la porte d’Aix,
l’aménagement du secteur des jardins Saint-Charles, 1943……………………………………………129
- Figure 4.16 : La cité de la Muette avant de devenir le camp de Drancy………………………………130
- Figure 4.17 : Etude concernant la traversée nord-sud de la ville et aménagement du quartier du Vieux-
Port, du Forum et de la butte Saint-Charles. Dessin de R.-H. Expert, 1946…………………………...138
- Figure 4.18 : Ensemble la Tourette aujourd’hui……………………………………………………….141

- Figure 4.19 : Axonométrie de principe pour la "pierre banchée", F. Pouillon………………………...142

- Figure 4.20 : le Vieux Port vue de ciel aujourd’hui…………………………………………………...144

5
- Figure 4.21 : Plan de masse général modifié par André Devin et Fernand Pouillon avec le phasage des
chantiers et l’attribution (non définitive) des « îlots » aux différentes équipes d’architectes chefs de
groupe………………………………………………………………………………………………….145
- Figure 4.22 : Comparaison entre les façades des immeubles du quai proposées par André Leconte et
Fernand Pouillon en 1950. En haut : dessin de l’atelier Leconte. AD 13, 75 J 583. En bas : gouache de
l’atelier Pouillon. Collection particulière………………………………………………………………146
- Figure 4.23 : L’ensemble des 200 logements d’Aix-en-Provence……………………………………..149

- Figure 5.1 : Processus de projet architectural et urbain………………………………………….…….155


- Figure 5.2 : Schématisation du paradoxe de la construction d’Adolphe Luc………………….………156
- Figure 5.3 : La boite de cristal (verre) et la boite noir dans le processus de conception
architecturale………………………………………………………………………….………………..159
- Figure 5.4 : Climat de France plan de masse……………………………………….…………………167
- Figure 5.5 : Climat de France, la première proposition…………………………………….………….171
- Figure 5.6 : Climat de France, la proposition finale…………………………………………………...171
- Figure 5.7 : Climat de France, plan de masse avec les deux axes de perspectives et les différentes
places…………………………………………………………………………………………………...172
- Figure 5.8 : Climat de France, le parcours architectural avec les différents points de vue……………173
- Figure 5.9 : Climat de France, plan d’un appartement traversant avec une ou deux chambres……….174
- Figure 5.10 : Climat de France, plan d’un appartement simple (mono-exposition)…………………...174
- Figure 5.11 : Climat de France, plan des logements dans un bâtiment avec système patio…………...175
- Figure 5.12 : Climat de France, plan bâtiment des deux cent colonnes……………………………….177
- Figure 5.13 : Climat de France, rapports de proportion dans la composition du bâtiment des deux cent
colonnes ……………………………………………………………………………………………….182
- Figure 5.14 : Diar-El-Mahçoul, plan de situation……………………………………………………...186
- Figure 5.15 : Diar El Mahçoul, les deux parties confort moyen et simple confort…………………….187
- Figure 5.16 : Diar El Mahçoul simple confort : l’axe de perspective, les places et les escaliers……...188
- Figure 5.17 : Diar-El-Mahçoul, moyen confort, plan d’un appartement………………………………190
- Figure 5.18 : Diar-El-Mahçoul, confort moyen, combinaison de typologies (un 2 pièces avec un 3
pièces)…………………………………………………...……………………………………………..190
- Figure 5.19 : Diar-El-Mahçoul, simple confort, appartements avec patio……………………………..191
- Figure 5.20 : La courette Pouillon……………………………………………………………………..192
- Figure 5.21 : Coupe sur le plancher Pouillon………………………………………………………….194
- Figure 5.22 : système constructif Pouillon, Diar-El-Mahçoul simple confort bâtiment 16…………...194
- Figure 5.23 : Diar El Mahçoul simple confort (partie musulmane) avec la symétrie visuelle suivant l’axe
principal de perspective ……………………………………………………………………………….201
- Figure 5.24 : Diar Es Saada, plan de masse……………………………………………………………203
- Figure 5.25 : Diar Es Saada, morphologie du terrain………………………………………………….205
- Figure 5.26 : Diar Es Saada, plan de masse……………………………………………………………206

6
- Figure 5.27 : Diar-Es-Saada, combinaisons des différentes typologies……………………………….208
- Figure 5.28 : Diar-Es-Saadal, plan d’un 01 pièce combiné à un 02 pièces…………………………....210
- Figure 5.29 : la composition d’une façade d’un immeuble en barre…………………………………..214
- Figure 5.30 : Diar Es Saada, symétrie visuelle suivant l’axe principal de perspective………………..218
- Figure 5.31 : Symétrie visuelle (36°) à partir du point de vue (A)…………………………………….219
- Figure 5.32 : Symétrie visuelle (30°) à partir du point (A)…………………………………………….220
- Figure 5.33 : Equilibre visuel (22.5°) à partir du point de vue (B)…………………………………….221
- Figure 5.34 : Equilibre visuel (36°) à partir du point de vue (C)………………………………………222
- Figure 5.35 : Equilibre visuel (30° and 22.5°) à partir du point de vue (D)…………………………...223

- Figure 6.1 : Pierre François Léonard Fontaine et Charles Percier, plan du projet de réunion du Louvre et
des Tuileries (projet soumis à Louis-Philippe, reprenant celui présenté à Napoléon Ier)……………..232
- Figure 6.2 : John pennethorne, plan de l’Acropole d’Athenes, partie 1, planche 5……………………236
- Figure 6.3 : plan de l’Acropole d’Athènes …………………………………………………………….238
- Figure 6.4 : Le Propylée de l’acropole d’Athènes……...……………………………………………...239
- Figure 6.5: Système des coordonnées………………………………………………………………….241
- Figure 6.6 : Système des coordonnées polaires……………………...………………………………...241
- Figure 6.7 : Plan de l’acropole d’Athenes III, après 450 a.j. « logique de de disposition des bâtiments de
l’acropole d’Athènes »…………………………………………………………………………………242
- Figure 6.8 : Figure 6.8 : Le Corbusier-Saugnier, « Trois rappels à MM. Les architectes »………...…243
- Figure 6.9 : la maison de campagne en brique de Mies van der Rohe…………………………………244
- « Marche à suivre dans la composition d'un projet quelconque »……………………………………..247

Liste des photos :

- Photo 4.1 : Le-camp-grand-arénas-de-Marseille………………………………………………………..94


- Photo 4.2 : Usine Sopad-Nestlé de saint-Menet à Marseille, 1947-1953……………………………….96
- Photo 4.3 : îlot 5 angle rue Bannier/rue de la Cerche ; état en 1950 et état actuel…………………….110
- Photo 4.4 : l’Unité d’habitation de Marseille aujourd’hui……………………………………………..115
- Photo 4.5 : Maquette en plâtre de Plan de Rome au 4eme siècle, Paul Bigot…………………………...125
- Photo 4.6 : Usine Sopad-Nestlé de Saint-Menet à Mrseille, 1947-1953………………………………135
- Photo 4.7 : Les terrains de la vieille ville et le Lacydon vus depuis la butte de la Tourette après le
déblaiement des gravats et la destruction par les services techniques de la ville des immeubles anciens
du quai, photographe anonyme, vers 1946…………………………………………………………….137
- Photo 4.8 : Une façade d’un bâtiment de la cité de la Croix des oiseaux en Avignon………………...140
- Photo 4.9 : Façade en pierre banchée d’un immeuble de l’ensemble de la Tourette…………………..143

7
- Photo 4.10 : les bâtiments du front Port aujourd’hui, à gauche en arrière-plan le bâtiment en U
d’Expert………………………………………………………………………………………………...147
- Photo 4.11 : Maquette de l’ensemble des 200 logements d’Aix-en-Provence (seule la partie inferieur a
été réalisée……………………………………………………………………………………………...150

- Photo 5.1 : Les drains obliques à Climat de France…………………………………………….……..169


- Photo 5.2 : Climat de France, le bâtiment de 200 colonnes…………………………………….……...176
- Photo 5.3 : Climat de France, terrasse du bâtiment des deux cent colonnes…………………………..178
- Photo 5.4 : Climat de France, le bâtiment des 200 colonnes par la grande place……………………...179
- Photo 5.5 : Climat de France, le bâtiment des 200 colonnes par la gallérie…………………………...180
- Photo 5.6 : Climat de France, traitement de façade du bâtiment des 200 colonnes……………………183
- Photo 5.7 : Climat de France, le bâtiment des 200 colonnes, murs extérieurs en pierre taillée……….184
- Photo 5.8 : Climat de France, le bâtiment des 200 colonnes, murs intérieurs et arcades en brique…...184
- Photo 5.9 : Diar El Mahçoul simple confort : la place du marché……………………………………..188
- Photo 5.10 : Diar El Mahçoul, confort normal : la place de la mer……………………………………196
- Photo 5.11 : Diar El Mahçoul, simple confort…………………………………………………………197
- Photo 5.12 : Diar El Mahçoul, vue aérienne de l’ensemble, en premier plan le quartier confort moyen,
en scond plan la partie simple confort…………………………………………………………………197
- Photo 5.12 : Diar El Mahçoul simple confort, ordonnance de la façade de la grande place : un bâtiment
rythmé par une succession de pilastres……………………………………………….………………..200
- Photo 5.13 : Diar El Mahçoul simple confort, ordonnance de la façade de la grande place : un bâtiment
rythmé par une succession de cage d’escalier……………………………………………….…………200
- Photo 5.14 : Diar-Es-Saada, vue aérienne qui date des années cinquante……………………………..204
- Photo 5.15 : Diar-Es-Saada, vue à partir du croisement de l’avenue Diar Es Saada et le chemin des
crêtes…………………………………………………………………………………………………...207
- Photo 5.16 : La disposition des cloisons en briques sur le plancher en marmites……………...……...211
- Photo 5.17 : Diar-Es-Saada, la place des palmiers…………………………………………………….213
- Photo 5.18 : Diar-Es-Saada, la cascade d’eau…………………………………………………………216
- Photo 5.19 : Diar-Es-Saada, une vue dégagée à partir du carrefour du chemin des crêtes en 1956…224

- Photo 6.1 : Château de Versailles……………………………………………………………………...233


- Photo 6.2 : La place Vendôme, Paris………...………………………………………………………...234
- Photo 6.3 : La place Bellcour, Lyon………...…………………………………………………………234

Liste des Tableaux :

- Tab.2.1 : Evolution du confort sanitaire des résidences principales, 1954-2004……………………….45

8
INTRODUCTION générale

1. Intérêt de la recherche

2. Objet de la recherche

3. Présentation de la problématique

4. Hypothèse et Objectifs de la recherche

5. Méthodologie de la recherche

5.1. Champ d’investigation

5.2. Démarche de la recherche

5.3. Structure de la recherche

9
Intérêt de la recherche :

Avec l’agrandissement du parc du logement social en Algérie, et la demande qui ne cesse

d’augmenter, les maitres d’œuvre se sont opposés à un défi, celui de trouver des solutions afin

d’assurer un équilibre entre qualité et quantité dans la construction du logement.

Le gouvernement a essayé de gérer la situation en établissant des prescriptions1 applicables aux

logements sociaux, dont l’objectif est d’orienter les maîtres de l’œuvre afin de trouver les

meilleures solutions de manière à répondre qualitativement à une production de logements.

Ces prescriptions techniques et fonctionnelles sur le logement s’inscrivent dans la stratégie de

réalisation de 2 millions de logements comme une volonté politique d’améliorer la qualité du

logement social en Algérie. Les prescriptions sont devisées en deux parties : techniques et

fonctionnelles. La partie fonctionnelle concerne des orientations en termes de composition

urbaine et conception architecturale, alors que la partie technique donne des orientations par

rapport aux dimensions des pièces, des ouvertures, système constructif, équipements de

logements, menuiserie, normes d’étanchéité et de confort…etc.

Malgré ces efforts du gouvernement, en établissant des prescriptions qui peuvent être

considérées comme des critères de qualité pour la maitrise de la production du logement, le

résultat est loin d’être concluant. Ce qui nous laisse à penser que l’élaboration des critères de

qualité ne constitue pas à elle seule une réponse au problème de la qualité architecturale des

logements sociaux en Algérie. Raison pour laquelle cette étude cherchera à aborder la question

qualitative du logement d’un autre angle.

1
La DIRECTION DES PROGRAMMES D’HABITAT ET DE LA PROMOTION IMMOBILIERE établit des
PRESCRIPTIONS TECHNIQUES et FONCTIONNELLES applicables aux logements sociaux (octobre 2007).

10
Le problème de la qualité du logement dit social ne date pas d’aujourd’hui, cette question a

connu diverses évolutions à travers l’histoire. Cette problématique de qualité est née suite à un

contexte particulier. En effet, après la deuxième guerre mondiale, le logement a subi une

industrialisation de ses procédés de production afin de faire face à la crise de quantité ; plusieurs

CIAM2 ont vu le jour en vue d’y remédier. L’Algérie n’échappe pas à cette crise de logement,

elle voit une activité intense de construction de logements en vue de se débarrasser des

bidonvilles qui envahissaient la capitale. La réponse apportée par les architectes du mouvement

moderne à l’époque était la standardisation et l’industrialisation lourde du logement de masse

à l’image de l’industrie de fabrication en série. Depuis, La gestion de la qualité du logement

s’inspire des approches de management de qualité du monde industriel. Plusieurs approches ont

été proposées pour assurer cette qualité à travers le contrôle du processus de production en

quantifiant la qualité et la rendant mesurable suivant des indicateurs. Par conséquent, la gestion

de la qualité concerne le bâtiment beaucoup plus comme un objet industriel plutôt qu’un objet

architectural. Cette problématique touche le logement beaucoup plus que les bâtiments de

services.

Dorénavant, les approches développées dans la fin des années 90 et le début des années 2000

visaient le contrôle et l’amélioration du processus de production afin d’améliorer la qualité de

la construction. Ce changement d’intérêt dans la question qualitative a fait que la plupart des

recherches menées dans ce domaine, même pour celles qui ont pris en considération l’aspect

architectural de la qualité, préfèrent appréhender la qualité en cernant les différents paramètres

participants à sa « mesure », en se basant sur des méthodes et des approches d’évaluation qui

tentent de quantifier cette qualité à travers des indicateurs.

2
La charte d’Athènes du 4ème Congrès international d’architecture moderne de 1933 constitue le support
théorique de l’industrialisation du logement.

11
En parallèle à cette vision industrielle, Fernand Pouillon a introduit de nouvelles idées et une

nouvelle vision pour l’avenir de la construction de masse du logement dans les années

cinquante ; ses propositions étaient critiquées par la plupart de ses confrères, du moment que

ce dernier contredisait et remettait en cause ce que les maitres du mouvement moderne voyaient

comme l’unique voie vers une architecture moderne.

Il a concrétisé ses idées grâce à Jacques Chevalier fraichement élu maire d’Alger à l’époque,

qui lui confie la réalisation de plus de 7000 logements devisés en trois ensembles ; Diar-Es-

Saada, Diar-El-Mahçoul et Climat de France. Ce dernier voulait donner une nouvelle image à

la ville ; Alors Il choisit pour son opération Fernand Pouillon qui a déjà fait ses preuves avec

deux opérations importantes ; l’ensemble du vieux port de Marseille et les 200 logements d’Aix

en Provence.

Il a repris toutes les questions discutées à leurs origines par le mouvement moderne ; la plus

fondamentale, c’est la question de la production massive du logement ; « j’ai lutté seul afin que

la partie négligée de l’architecture retrouve la vie, l’esprit et l’amour. Et cette partie représente

98% de la chose habitée dans le monde. L’unique Le Corbusier suffit-il à combler le besoin de

beauté du monde ? […] Non, sans doute. Et pourtant nous en somme la » 3.

À la lumière de la vision architecturale de Fernand Pouillon, et en parallèle aux approches

d’évaluation de la qualité du produit et de son processus de production issues de la vision du

monde industriel, l’intérêt de cette recherche réside dans l’éventualité d’un nouveau regard sur

la qualité architecturale du logement social.

Fernand Pouillon est connu comme un maitre d’œuvre bâtisseur qui a emporté la bataille du

logement des années cinquante en réduisant les prix et les délais, tout en proposant des

3
Texte de Fernand Pouillon cité par Huet. B, « La modernité de Fernand Pouillon », in Bonillo. J. L (dir),
« Fernand Pouillon, architecte méditerranéen », éditions Imbernon, Marseille, 2001, p31.

12
logements de qualité supérieur par rapport à la concurrence4. L’une des critiques apportées à

cet exploit est qu’il a bénéficié des avantages administratifs qui lui ont facilité les choses et par

conséquent, ont rendu la bataille déloyale. Même s’il existe une réponse plus objective à cette

rapidité d’exécution et à la réduction des prix, dont le contrôle de la chaine de production est

l’élément principal, cette recherche s’intéressera seulement à la qualité architecturale des

logements sociaux de Pouillon pour éviter toute subjectivité.

Objet de la recherche :

Cette présente recherche aura pour objet de proposer des éléments qui peuvent améliorer la

qualité architecturale du logement social en Algérie. L’architecte Fernand Pouillon sera une

référence clé dans cette recherche. Notre intervention se focalisera sur le rapport de continuité

entre conception-construction comme générateur de la qualité architecturale dans le logement

social5.

Aujourd’hui, dans le logement, et plus encore dans le logement social, la notion de qualité,

héritée d’une vision industrielle, a un rapport intrinsèque avec le coût. Le budget d’un logement

social est limité par rapport à d’autres catégories à savoir ; le promotionnel simple ou haut

standing. Par conséquent, les attentes qualitatives ne sont pas les mêmes dans ces deux

différentes catégories. Dans les logements hauts standing, le prix compte peu par rapport à la

qualité architecturale et constructive visée. Alors que dans le logement social, on cherche

toujours des initiatives peu couteuses qui n’explosent pas le budget, et qui assurent une qualité

digne d’un logement. Cette difficulté budgétaire restreint les solutions qualitatives pour le

4
A Diar Es Saada, l’une des critiques apportées à cet ensemble est que Pouillon a construit des logements de
Bourgois pour la classe la plus défavorisée de la population, et ça c’est par rapport à la qualité des espaces et de
l’aménagement extérieur, au confort thermique (l’installation de la plus grande chaudière en Europe à l’époque)
et l’emploi des matériaux nobles comme la pierre, le bois et la céramique.
5
Par logement social, cette recherche cible toutes les formules de logements aidés par l’Etat et qui sont destinés
à la population de revenu moyen ainsi qu’à la population défavorisée.

13
logement social en tant que produit, et constitue dans la plupart des cas, une excuse pour la

médiocrité architecturale qu’on retrouve aujourd’hui dans cette catégorie de logement en

Algérie. C’est parce que la qualité recherchée est une qualité qui s’intéresse au logement en tant

que produit et à son processus de production. Raison pour laquelle cette recherche s’interroge

sur l’éventualité d’un nouveau regard sur la qualité architecturale en essayant de répondre à

cette question : Quelle qualité architecturale pour le logement social en Algérie ?

Présentation de la problématique :

On sait que la question de la qualité architecturale ne date pas d’aujourd’hui, ainsi, les approches

et les méthodes développées pour améliorer cette dernière, que ce soit par des chercheurs dans

le milieu académique ou par des architectes exerçants, sont le résultat de l’évolution du concept

de « qualité » à travers l’histoire. Ce fait nous a poussé à restituer le contexte historique dans

lequel s’est développée cette dernière.

En remontant jusqu’au 19e siècle, la recherche de la qualité architecturale en France passait par

le choix d’un « bon architecte » adapté à un programme précis6. Par exemple à Renne, on parlait

« d’architecte de fonction », où chacun selon sa spécialité, doit entretenir et même construire

les bâtiments spécifiques attribués à son corps : sous-préfecture, casernes, bâtiments religieux,

lycées, palais de justice, etc. ce système de spécialité a duré jusqu’aux années soixante. L’un

des avantages de ce système est que chaque domaine avait des spécialistes et des professionnels

compétents. Par contre, l’inconvénient se trouvait dans le conservatisme des solutions

architecturales apportées.7

6
Dehan. P, « Pertinence d'une approche globale de la qualité architecturale dans l'optique de la construction d'un
jugement critique raisonné ». Thèse de doctorat. Université Paris-Est, 2016, p70
7
Ibid. p71

14
Après la deuxième guerre mondiale, et avec les nouveaux procédés constructifs utilisés dans la

période de la reconstruction en France, issus de l’industrialisation de la construction, le

gouvernement, les maitres d’œuvre ainsi que les entreprises s’intéressaient beaucoup plus à la

qualité technique en instaurant des normes. Les années cinquante témoignent de la création du

CSTB (centre scientifique et technique du bâtiment) et la publication du « Recueil des éléments

utiles à l’Etablissement et à l’Exécution des projets de bâtiment en France » (Reef). Ces

prescriptifs étaient utiles dans le plan technique, mais elles ne concernaient pas la conception

architecturale et l’usage de l’espace.8

Toujours dans une vision industrielle, l’Etat essayait de gérer la qualité architecturale du

logement social. Il met en place la politique des modèles à partir de 1968, qui a permis d’assurer

la quantité ainsi que le contrôle du coût de la production. Cette politique consistait à reproduire

de manière systématique des modèles validés par l’Etat sur tout le territoire sans aucune

modification. Cette politique a été rapidement contestée de par le fait que le rôle de l’architecte

a été rétréci à un simple designer dominé par l’entreprise de réalisation. Françoise Choay,

mandatée par l’Etat, a monté une équipe avec Christopher Alexander, Jacques Boulet, et

Philippe Gresset pour faire un bilan sept ans après le lancement de la politique des modèles.

Leur rapport très critique a été enterré et resté confidentiel jusqu’à ce que les chercheurs

publient eux même leurs travaux.9

Après la politique des modèles, d’autres alternatives ont été adoptées pour contrôler la qualité,

à savoir les architectes conseils. Cette alternative consiste au recrutement de l’Etat des

8
Ibidem
9
Ibid. p73

15
architectes conseils de la construction capables d’évaluer et de contrôler les projets

d’architecture10.

A la fin des années quatre-vingts, on assiste à la création de la norme qualité ISO 9001. Cette

norme pousse à la publication de référentiels et manuels méthodologiques sur la qualité. On ne

parle que du management de qualité et du contrôle du processus de production. Ça devient le

centre de toutes les recherches de qualité. Des leçons ont été tirées de l’industrie de fabrication,

Bernard Froman illustre bien ça dans son « Manuel qualité »11. Alors qu’au Royaume Uni, on

s’inspire de la littérature de « lean production and Japanese approaches to quality

management », ça concernait beaucoup plus des mesures de la qualité de production, coût et

délai12. Les Etats Unis, l’Australie et le Japon avaient les mêmes préoccupations. Pour eux,

faire évoluer la qualité et la valeur du bâtiment consiste à évoluer plutôt le processus de

conception13. En France, Jean-Jacques Terrin publie en 1996 avec François Pellegrin et Hervé

Debaveye « 10 outils pour la qualité dans le bâtiment »14. Et en 2001 sera publié : «

Management des processus de réalisation opérationnels architectes », un référentiel qui a été

préparé par l’Unsfa, premier syndicat des architectes, avec le CSTB et l’AFAQ. 15

Dorénavant, les approches développées dans la fin des années 90 et le début des années 2000

visaient le contrôle et l’amélioration du processus de production afin d’améliorer la qualité de

la construction. Ces approches ont donné des résultats satisfaisants en termes de quantité,

respect du délai et même en termes de qualité technique de la réalisation. Mais le problème avec

10
Ibid. p74
11
Froman B., « Le manuel qualité, outil stratégique d’une démarche qualité », Afnor, 2eme Edition, 1995, cité
par Dehan. P, op.cit. p79
12
Gann, D.M., et al, “Design Quality Indicators: Tools for Thinking”, Building Research & Information, Design
Quality Special Issue, (2003) 31(5), September–October, 318–333, Taylor & Francis, p 319
13
Gann, D.M., et al, Ibidem
14
Debaveye H., Pélegrin F., Terrin J.-J., « 10 outils pour la qualité dans le bâtiment », Le Moniteur, Paris, 1996
15
Dehan . P, op.cit. p78

16
ces approches c’était la négligence de la qualité de la conception en rapport avec l’espace et le

paysage architectural.

Ce changement d’intérêt pour la qualité a fait que la plupart des recherches menées dans ce

domaine, même pour celles qui ont pris en considération l’aspect architectural de la qualité,

préfèrent appréhender la qualité en cernant les différents paramètres participants à sa

« mesure », en se basant sur des méthodes et des approches d’évaluation qui tentent de

quantifier cette qualité à travers des indicateurs.

On peut retenir le DQI (design quality indicator), développé par le gouvernement du Royaume-

Uni comme une extension de son agenda de Rethinking Construction (Egan 1998). C’est un

outil pour mesurer la qualité du bâtiment pendant la phase de conception en se basant sur les

avis des différents utilisateurs du bâtiment y compris le client. Cet outil a été développé par un

groupe de chercheur en collaboration avec le CIC (Conseil de l'industrie de la construction).

En France, le réseau « Ramau » (réseaux activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme

-France-) a mené des travaux de recherche sur l’évaluation de la qualité dans les opérations de

logement commandités par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) en France

publiés dans un ouvrage nommé « La qualité architecturale acteurs et enjeux »16

Nous retenons entre autres, les travaux de Stephan Hanrot qui propose une approche

d’évaluation de la qualité architecturale du logement et de son espace extérieur. Elle est basée

sur le recueil d’expériences menées auparavant par des maitres d’œuvres et d’ouvrage dans

l’Europe, afin d’explorer les critères et les enjeux relatifs à la question de la qualité que chaque

acteur revendique dans son produit.17 Son approche se base principalement sur le concept de

16
RAMAU, sous la direction de V. Biau et F. Lautier, Cahier n5, Paris, 2009
17
Merad. Y, et al, « Objectivité évaluative et absence de qualité architecturale. Cas des espaces extérieurs dans
l’habitat collectif à Biskra (Algérie) », Courrier du Savoir – N°15, Mars 2013, pp.73-86

17
la relativité et la comparaison de l’évaluation de la qualité par les points de vue, tout en prenant

en considération leur variabilité dans le temps18. L’auteur a conçu un modèle qu’il appel :

MATEA (modèles pour l’analyse, la théorie et l’expérimentation architecturale)19 qui s’appuie

sur des outils à l’image d’Excel et du schéma radar, complémentaires aux modèles graphiques

et numériques traditionnels de l’architecte, facilitant ainsi l’analyse et l’expérimentation

architecturale.

En Algérie, des recherches académiques ont abordé la question qualitative du logement de ce

même point de vue, c’est-à-dire en s’intéressant au logement en tant que produit et à son

processus de production, à travers l’adaptation de ces méthodes d’évaluation de la qualité

suivant le contexte algérien. Pour n’en citer qu’une seule recherche, Merad Yacine20 a proposé

justement une méthode d’évaluation de la qualité du logement basée sur la méthode MATEA

de Stéphane Hanrot.

Mais est-ce cela suffisant pour maitriser la qualité du logement ? Pour Philippe Dehan,

professeur à ENSA-Paris et qui fait partie du programme « qualité architecturale et innovation »

lancé par PUCA en France, à la différence de l’objet industriel dont la qualité peut être maitrisée

par des règles et des procédures type ISO 9001 et le management de la qualité, l’objet

architectural fait sa problématique qualité par le fait « qu’on ne peut limiter la réflexion sur la

qualité à celle de ses processus de production »21. Parce que au contraire de l’objet industriel

où la gestion des différentes parties permet d’avoir une gestion globale, le tout architectural ne

signifie pas la somme de ses parties22.

18
Ibidem
19
Hanrot .S, « Evaluation relative de la qualité architecturale : Une approche par le point de vue des acteurs »,
Article présenté aux journées RAMAU n5 octobre, Paris-la Défense, 2009.
20
Merad. Y, « pour une meilleure qualité spatiale. Cas des espaces extérieurs dans l’habitat collectif à Biskra »,
thèse de doctorat, université de Biskra, 2017
21
Dehan. P, « La qualité architecturale entre art et usage », dans « qualité architecturale acteur et enjeux », sous
la direction de Véronique Biau et François Lautier, Ramau, Cahier n5, Paris, 2009, p88
22
Ibidem

18
Cette réflexion a poussé la présente recherche à s’interroger sur l’éventualité d’une

reconsidération de la nature de l’objet concerné par cette qualité, qui est le logement, en se

posant la question suivante : quelle qualité architecturale pour un logement social considéré

comme un objet architectural plutôt qu’un objet industriel ?

Hypothèse et Objectifs de la recherche

La qualité architecturale d’un logement social, considéré comme un objet architectural plutôt

qu’un objet industriel, pourrait concerner le rapport de continuité entre conception-

construction. Il est à penser que l’industrialisation de la construction à l’image de l’industrie de

fabrication en série est l’un des facteurs importants qui a causé cette rupture de continuité, ce

qui a exigé par la suite un changement d’intérêt dans la recherche de qualité dans le logement.

De ce fait, un retour à l’architecture des villes traditionnelles, auprès de la vision de Fernand

Pouillon, pourrait constituer une solution pour assurer à nouveau cette continuité, en

s’intéressant au processus de conception, plus précisément, aux dispositifs ainsi qu’aux

principes de la composition architecturale, qui unissent la conception architecturale à la

conception structurelle.

En s’interrogeant sur la possibilité d’un nouveau regard sur la qualité architecturale du logement

social, l’objectif de cette recherche est de proposer des éléments (leçons) qui peuvent améliorer

la qualité architecturale du logement social considéré comme objet architectural plutôt qu’objet

industriel. Fernand Pouillon étant la référence clé de cette recherche, les éléments proposés

seront sous forme de leçons tirées de l’architecture de Fernand Pouillon.

Afin d’arriver à notre objectif principal, il était nécessaire de fixer des objectifs secondaires qui

permettent d’éclairer et de consolider le raisonnement hypothétique à l’origine de cette étude :

19
1. Explorer le lien entre la crise quantitative du logement, son industrialisation et sa question

qualitative.

2. Voir l’impact de l’industrialisation du logement sur le changement d’intérêt dans la

recherche qualitative.

3. Retracer la nouvelle vision de Pouillon de la qualité architecturale pour le logement social

en tant qu’objet architectural plutôt qu’un objet industriel.

Méthodologie de la recherche

Champs d’investigation :

Cette recherche a pris comme cas d’étude la production architecturale en logement social de

Fernand Pouillon en Algérie, plus précisément les cités Diar-Es-Saada, Diar-El-Mahçoul et

Climat de France.

Démarche de la recherche :

Cette recherche s’organisera en trois phases :

- La première phase consiste en un état de l’art des études et recherches scientifiques pour

définir le cadre conceptuel et théorique de cette recherche. Cette recherche documentaire est

devisée en deux volets, d’un côté, ça concerne toutes les notions qui se rapportent à la qualité

architecturale, et d’autre coté, une enquête documentaire de tous ce qui concerne et les cités

d’habitation et la vision architecturale de Fernand Pouillon.

- La deuxième phase c’est une phase analytique qui consiste à analyser en premier temps, la

littérature qui concerne la qualité architecturale afin de cerner la problématique de la recherche,

20
et en deuxième temps, élaborer une méthodologie d’analyse afin d’analyser les cités

d’habitation de Fernand Pouillon.

- La troisième phase concerne les leçons de Pouillon qui représentent l’éventualité d’une

nouvelle initiative de qualité architecturale pour le logement social en Algérie.

Structure de la recherche :

Cette recherche est devisée en deux parties et six chapitres, chaque partie contient trois

chapitres. La première partie représente le cadre conceptuel et théorique de la recherche, elle

permettra de cerner la problématique du changement d’intérêt dans la question qualitative du

logement à partir de son industrialisation lourde, tout en explorant le lien de causalité qui existe

entre la question quantitative du logement, son industrialisation lourde et l’évolution de sa

problématique qualitative. La deuxième partie quant à elle, propose les éléments d’un nouveau

regard sur la qualité architecturale à travers la vision qu’avait Fernand Pouillon dans les années

cinquante pour l’architecture du logement social en parallèle à la vision industrielle.

De manière plus spécifique :

- Le premier chapitre concerne le concept de l’habitat et du logement. L’intérêt de ce

chapitre n’était pas de définir les deux concepts logement et habitat vu la complexité de

la question et le nombre des études et recherches faites dessus, mais de démêler plus

aux moins cette ambiguïté, et attribuer un contenu à chaque terme en s’appuyant sur des

études faites dans le domaine.

- Le deuxième chapitre met en évidence la relation qui existe entre la recherche de la

qualité à travers l’histoire et l’apparition de la crise mondiale du logement. L’accent est

21
mis sur l’impact de l’industrialisation lourde de la construction sur le changement

d’intérêt de la question qualitative du logement.

- Le troisième chapitre se consacre à la notion de « qualité » et son développement dans

les temps modernes, tout en retraçant les leçons tirées de l’industrie ; ça sera à travers

une lecture analytique de l’histoire de la qualité en architecture en parallèle à l’histoire

de la qualité dans le domaine de l’industrie.

- Le quatrième chapitre trace la vision de Fernand Pouillon dans les années cinquante

pour la construction du logement, ainsi que l’actualité de ses réponses à la crise du

logement et leur impact sur la qualité architecturale.

- Le cinquième chapitre est la partie analytique, il contient l’élaboration de la

méthodologie d’analyse, ainsi que l’analyse des cas d’études, à savoir les trois cités

Diar-Es-Saada, Diar-El-Mahçoul et Climat de France.

- Le sixième chapitre explore les principes et dispositifs de la composition architecturale

auprès des grands maitres de l’architecture. Ce chapitre représente le support théorique

de la qualité architecturale pour le logement social visée par cette recherche.

22
Partie I :
Le logement et sa problématique
qualitative

23
Chapitre 1 : parler de logement ou
d’habitat ? Deux concepts totalement
différents

Introduction
1.1. L’habitat et le logement : une relation de prolongement
1.1.1. Le logement avec ses différents sens
1.1.1.1. Le Sens d’usage
1.1.1.2. Le sens social
1.1.1.3. Le sens économique
1.1.2. L’Habitat
1.1.2.1. L’habitat d’un point de vue anthropologique et ethnologique
1.1.2.2. L’habitat d’un point de vue géographique
1.1.2.3. L’habitat d’un point de vue architectural
1.2. Habitation et le chez-soi
1.3. Habiter et loger : deux notions différentes

Conclusion

24
Introduction :

Parler de logement ou plutôt d’habitat ? C’est une question que n’importe quel lecteur peut se

poser lorsqu’il entame la lecture de ce mémoire qui traite la question qualitative du logement

social. C’est pourquoi il nous a paru évident de commencer, avant toute chose, par démêler

l’ambiguïté qui existe entre les deux concepts « habitat » et « logement ».

Il est clair que parler de « logement » revient à évoquer les différents termes qui sont utilisés

généralement pour décrire ce même concept sans pour autant qu’ils soient tout à fait

synonymes, on parle de : logement, habitat, habitation, chez-soi, logis, ainsi que les

verbes correspondant à ces termes ; loger, habiter. Dans ce chapitre théorique, on a essayé

d’attribuer un contenu à chacun de ces termes pour les différencier en s’appuyant sur des études

de chercheurs et spécialistes.

L’objet de ce chapitre n’étant pas de définir les deux concepts « logement » et « habitat » vu la

complexité de la question et le nombre des études et recherches faites dessus, mais plutôt de

démêler plus-au-moins cette ambiguïté, avoir une vision globale et attribuer un contenu à

chaque terme en s’appuyant sur des études faites dans le domaine.

Témoignage de la complexité d’attribuer une définition exacte aux deux termes habitat et

logement qui semblent si proches, l’existence des ouvrages de synthèse 23 que sur ces deux

concepts pour arriver plus au moins à les distinguer.

23
Voir Segaud. M et al, « Logement et habitat : l’état des savoirs », édition La découverte, 1998

25
1.1. L’habitat et le logement : une relation de prolongement

Selon Trouillard Emmanuel ; « l’habitat est au logement ce que le territoire est à l’espace :

l’habitat, c’est le logement qui aurait été prolongé »24. Cette phrase met en évidence plus ou

moins la différence entre les deux termes, en étant le logement comme unité de l’habitat qui la

constitue. C’est donc une question de différence de dimension de définition d’un même objet

(immobilier).

Fréquemment, le terme « habitat » est remplacé par celui de « logement » alors que selon

Bernard Salignon, ce dernier n’en est qu’une composante de l’habitat ; « on ne peut pas réduire

les problèmes posés par la construction de l’habitat à de simples questions de logement »25.

Maschio Nicolas ajoute qu’on peut considérer le logement comme habitat si seulement si ce

dernier est étudié dans son environnement comme une composante avec d’autres composantes

urbaines.

Pour éclairer encore plus cette différence, on va se baser sur des recherches menées dans le

sujet.

1.1.1. Le logement avec ses différents sens :

La plupart des chercheurs sont d’accord sur le fait que le logement est un concept plus concret

que l’habitat, plus technique s’intéressant aux aspects matériels de son objet d’étude qui est le

bâtiment. Pour Bernard Nicolas ; « le logement au sens strict du terme est généralement défini

comme la partie du bâtiment destinée à l’habitation d’un ou plusieurs ménages où se

concentrent les fonctions liées à la vie privée : Manger, dormir, se distraire »26.

24
Trouillard. E, « Logement et habitat (ion) : De l'espace géométrique au ‘home, sweet home’ », rendu dans le
cadre du cours de M. Christian Grataloup, M2 Carthagéo
25
Salignon. B, « qu’est-ce que habiter », édition de la villette, Paris, 2010
26
Nicolas. B, « J'habite donc je suis : Pour un nouveau rapport au logement », édition LABOR SH, 2005

26
De ce fait, le logement peut être défini et avoir plusieurs sens qui correspondent aux fonctions

de la vie privée de l’habitant.

1.1.1.1. Le Sens d’usage :

Un sens d’usage peut être d’un point de vue physiologique matérialisé par sa fonction

protectrice des intempéries (vend, pluie, neige) et de l’intimité des usagers en assurant une

ambiance qui correspond aux besoins biologiques de ces derniers. D’un point de vue

psychologique, le logement assure la sensation de chez-soi en permettant l’expression de la

personnalité des usagers pour s’identifier dans cette espace. Sa fonction d’usage peut être

identifiée aussi par le paiement d’un loyer qui le rend un bien de consommation ainsi que sa

valeur patrimoniale transmissible suivant les générations.

1.1.1.2. Le sens social :

Un sens social tout d’abord par le biais d’une dimension symbolique dû à l’architecture du

logement (façade, style architectural de l’intérieur) où les habitants apprennent à vivre et

s’approprient l’espace matériel de leur logement. Le fait social du logement est aussi le résultat

des pratiques et de la vie sociale d’une famille du même logement, ou bien des habitants du

même bâtiment, ou du même tissu urbain, par les relations d’échange et les interactions qui

peuvent résulter de la manière dont les logements sont conçus et articulés dans le tissu urbain.

Pierre Merlin et Françoise Choay définissent le logement de son sens social en se focalisant sur

l’usager ; « le logement est un local ou ensemble de locaux formant un tout, destiné à

l’habitation et où habitent ensemble plusieurs personnes, qu’elles aient des liens de parenté

entre elles qui constituent un ménage. Il peut être unifamilial, s’il abrite uniquement les

membres d’une même famille constituée par le couple et ses enfants (noyau familial) et

éventuellement par des ascendants. Il peut aussi être occupé par plusieurs noyaux familiaux

27
liés ou non par des liens de parenté ou par plusieurs personnes isolées : on parle alors de

cohabitation »27.

Segaud. M ajoute à ça, la fonction symbolique relative à l’adresse du logement dans le repérage

social.

1.1.1.3. Le sens économique :

Un sens économique du logement peut être appréhendé par deux aspects ; aspect d’usage qu’on

a cité précédemment à travers le loyer qui le rend un bien de consommation et sa valeur

patrimoniale transmissible selon les générations, et un deuxième aspect relatif à son ancrage

territorial et le fond économique immobiliser à sa production.

Un troisième aspect peut être ajouté selon Radkowski. G qui concerne sa valeur économique

qui varie suivant sa localisation et l’environnement dans lequel est intégré.

1.1.2. L’habitat :

Si le logement est un concept plus concret et plus technique, l’habitat est plus enrichi

conceptuellement par la diversité des domaines dont il prend en compte. En plus d’être composé

de plusieurs éléments dont le logement avec son paysage intérieur, Bernard Salignon le définit

comme l’ensemble des usages et pratiques qui définissent un mode de vie, ce qui fait que

l’habitat soit le thème le plus riche d’architecture et qu’elle doit le permettre en étant à l’écoute

des attentes de ses usagers28.

La notion d’habitat est complexe et ne peut être définit sans évoquer le champ d’étude dans

laquelle on veut la définir. De Radkowski l’explique très bien en disant : « Le concept

27
Merlin. P, Choay. F et al, “ Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement”, édition PUF, Paris, 1996
28
Salignon. B, « qu’est-ce que habiter », op.cit.

28
« habitat » est un concept de base d’une série de sciences humaines. Il est pourtant difficilement

définissable. C’est un concept de base de toute une série de discipline : Ethnologie, sociologie,

géographie humaine, histoire…etc. »29

1.1.2.1. L’habitat d’un point de vue anthropologique et ethnologique :

D’un point de vue anthropologique, l’habitat est un objet complexe répondant aux besoins

matériels, physiologiques et spirituels de ses habitants. Sa fonction relève de la protection

contre les forces de la nature ainsi que de la sauvegarde des provisions. Cette notion d’habitat

s’intéresse aux types d’habitations, modes de localisation, dispositifs architecturaux et de

distribution des espaces intérieurs ainsi qu’aux variations dans l’utilisation des matériaux. D’un

point de vu anthropologique, L’ensemble des éléments de l’habitat relève aussi bien d’une

traduction d’un modèle culturel de vie sociale que d’une conception utilitaire.

L’étude de Ph. Boudon sur la cité de Pessac (1969)30 s’inscrit dans ce point de vue

anthropologique de l’habitat. Dans son étude, il a découvert que les habitants de cette cité ont

procédés à des modifications des pavillons conçu par le Corbusier suivant leurs conceptions des

pratiques acceptables du chez-soi. Cette situation met en évidence l’écart qui existe entre

l’habitat généré par les pratiques de tradition de l’habitant et l’habitat généré par des

organisations spatiales étrangères à la culture des habitants31.

29
De Radkowski .G.H, « Anthropologie de l'habiter : Vers le nomadisme », 2002
30
Boudon. Ph, « Pessac de Le Corbusier. 1927-1967 Etude socio-architecturale », Dunod, Paris, 1969
31
Wolff. Ph, « Philippe Boudon, Pessac de Le Corbusier ». In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 25ᵉ
année, N. 4, 1970. pp. 1207-1208

29
1.1.2.2. L’habitat d’un point de vue géographique :

D’un point de vue géographique, l’habitat comme concept dépasse la notion du logement et

renvoie beaucoup plus à l’arrangement des habitations dans un espace donné32. Il recouvre aussi

le paysage, les espaces urbains ainsi que le mode de vie des habitants.

L’habitat pour la géographie signifie un lieu pratiqué par des habitants selon leurs modes de vie

ce qui engendre un espace investi de sens et de valeur et qui va produire par la suite le territoire.

1.1.2.3. L’habitat d’un point de vue architectural :

En architecture, l’habitat constitue son objet d’étude, donc sa définition ne peut être qu’en

rapport aux différentes disciplines à savoir la géographie, la sociologie, l’anthropologie…etc.

Duplay Claire met en évidence ce point en disant « l’objet de l’architecture est de concevoir le

cadre de la vie quotidienne, c’est-à-dire l’habitat. D’un point de vue fonctionnel, l’habitat est

l’ensemble formé par le logement, ses prolongements extérieurs, les équipements et leurs

prolongements extérieurs, les lieux de travail secondaire ou tertiaires. D’un point de vie

morphologique, l’habitat est l’ensemble des systèmes en évolution qui créent le lieu de ses

différents activités »33.

1.2. Habitation et le chez-soi :

On a vu précédemment que le concept d’habitat est d’une dimension globalisante et un sens

très élargi, Michel Lussault cité par Trouillard. E le définit comme : « organisation des espaces

de vie des individus et des groupes »34 ou encore « cadre de vie des hommes en société »35.

32
Brunet. R et al. « Les mots de la géographie. Dictionnaire critique », Reclus. La Documentation française,
1992
33
Duplay. C et Michel, « Méthode illustrée de création architecturale », édition le moniteur, 1982, Paris, p205
34
Lussault. M, « Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés », article « habitat », in Levy. J et
Lussault. M (dir.), Belin, 2003, p437-438
35
ibidem

30
Alors que « habitation » constitue l’aspect physique et matériel de l’espace, c’est le cœur et le

centre de l’habitat, c’est le bâti, le lieu de résidence avec son caractère social et économique,

c’est comme le définit Trouillard « le logement couplé à l’habitat »36. C’est-à-dire l’habitation

c’est le logement avec son aspect technique et matériel couplé à l’aspect sociologique et

économique de l’habitat.

De ce fait l’habitation est étudiée dans ses deux aspects ; de l’intérieur comme de l’extérieur.

L’étude de son aspects extérieur est du domaine de la géographie classique en la considérant

comme révélateur du mode de vie, de paysage ou comme un moyen pour décrypter l’interaction

homme/milieu37. Alors que l’étude de son intérieur, c’est-à-dire comme espace domestique qui

révèle l’interaction des habitants avec leurs espaces de vie intérieur est réservée à la sociologie

et l’ethnologie.

Le « chez-soi » selon Yvonne Bernard et Segaud Marion est un concept qui permet d’exprimer

une interrelation entre un lieu et une identité. Le terme « chez » vient du latin « casa » qui

signifie « maison », alors que « soi » exprime l’unicité de la personne38.

Flamant Jean Paul ajoute que : « le chez-soi participe à l’estime de soi et au besoin d’un statut

aux yeux des autres, de même, il participe à l’accomplissement de soi par l’appropriation. Le

chez-soi, c’est la maison, la demeure où l’on réside, envisagée dans sa dimension la plus

marquée d’affectivité. C’est le lieu de l’intimité individuelle et familiale, mais aussi de la pleine

indépendance et autonomie à l’écart du reste du monde »39.

36
Trouillard. E, « Rendu dans le cadre du cours de M. Christian Grataloup », op.cit.
37
ibidem
38
Segaud. M et al, « Logement et habitat : l’état des savoirs », op.cit.
39
Flamant J. P, « l’abécédaire de la maison », édition de la villette, 2004, Paris, p 524

31
De ce fait on peut comprendre que le chez-soi concerne l’espace dans lequel vie

quotidiennement une personne, c’est-à-dire la maison, mais selon Segaud. M, le terme « chez »

ne limite pas l’espace à seulement la maison, mais plutôt ce lien entre le lieu et l’identité peut

concerner le logement comme il peut s’étendre à la dimension d’un quartier, d’une ville ou

même d’un pays. Donc ça concerne plutôt le sentiment de bien-être, de liberté qu’on ne retrouve

pas n’importe où.

Donc la différence entre l’habitation et le chez-soi est que d’un côté, le chez-soi peut dépasser

la dimension de l’habitation et s’étendre à l’habitat avec son environnement, d’autre coté ce

n’est pas toute habitation qui peut constituer automatiquement un chez-soi pour son occupant.

C’est ce que Eleb Monique affirme en disant que ; le « chez-soi » concerne l’espace qui vous

valorise et que tout ce qui renvoie à l’idée de monotonie, de répétition et d’anonymat joue un

rôle dans le rejet de certain type d’habitat et de ce fait ne peut constituer un chez-soi40.

1.3. Habiter et loger : deux notions différentes :

Etymologiquement, « habiter » vient du latin « habitare » qui a le même sens que « habiter »

qui signifie se tenir souvent en un lieu, demeuré. « habitare » est le fréquentatif de « habere »

qui signifie « avoir et posséder ». Alors que « loger » est le dénominal de « loge » du vieux-

français “laubja” qui signifie « abri de feuillage »41 .Donc même étymologiquement, la notion

d’habiter est plus complexe et contient plusieurs sens que celle de « loger ».

« Habiter » et « loger » sont deux verbes fréquemment confondus dans leur utilisation, ils

représentent deux notions différentes comme les deux termes « habitat » et « logement » qu’on

a pu voir précédemment. Bernard Salignon fait la distinction des deux notions en affirmant

40
Eleb. M, Debarre. A, « architecture de la vie privée XVII et XIX siècle », édition AAM, Paris, 1999
41
Source Wikipedia

32
qu’habiter n’est pas se loger ou s’abriter, c’est plus grand que ça, habiter concerne l’histoire, le

vécu, le rapport à l’espace, le bien-être et le chez-soi. Bernard Nicolas ajoute que « se loger

implique une recherche d’isolement, l’habitat, au contraire demande d’être avec les autres,

d’être présent au monde, habiter, c’est être en relation avec les voisins notamment »42.

Donc « habiter » dépasse la notion de « se loger », qui est un simple acte fonctionnel43 en

rapport avec les besoins fonctionnalistes du mouvement moderne comme l’a défini Le

Corbusier dans la charte d’Athènes : « une maison est une machine à habiter, bains, soleil, eau

chaude, eau froide, température à volonté, hygiène, beauté par proportion ». On voit bien que

le verbe « habiter » dans ce texte signifie « se bien loger » suivant les normes et les standards

d’hygiènes. Par contre habiter, en plus de « se loger », a un rapport avec le lieu ou plus

précisément « l’espace habité », ainsi qu’avec les pratiques habitantes issues du mode de vie et

des traditions culturelles que Hubert Tonka les qualifie comme façon et fait d’habiter.

Henri Lefebvre rejoint cette définition et dit que : « habiter, n’est pas simple, il n’existe pas de

recette pour bien habiter, pas de manières, de façons, de modes qui conseilleraient à n’importe

quel individu de les adopter pour aussitôt, comme par enchantement, il puisse habiter. Habiter

ne se décrète pas, ne s’apprend pas. C’est l’apprentissage qui donne à habiter un peu de sens.

C’est parce qu’habiter est le propre des humains,… »44

On peut constater que deux choses différencient le fait de « se loger » et « habiter » ; l’espace

habité et les pratiques habitantes. Maldiney Henri Younes dit que « être logé, c’est être casé

dans un espace, la notion de loge, d’urne, c’est une notion dépourvue de rythme… »45. Alors

qu’habiter, selon Norberg Schultz implique un rapport entre l’être humain et son environnement

qui se concrétise en un acte d’identification (faire partie d’un lieu).

42
Bernard. N, « J'habite donc je suis : Pour un nouveau rapport au logement », op.cit., p32
43
Heidegger. M, « bâtir, habiter, penser », essais et conférences, édition Gallimard, Paris, 1958
44
Lefebvre. H, « le droit à la ville, espace et politique », édition Anthrops, Paris, 1968
45
Maldiney. H. Y, Nys. P et al, « l’architecture au corps », collection recueil, édition Ousia, Bruxelles, 1996

33
On a pu remarquer que parler de l’habitat et d’habiter consiste à tenir compte des usagers et de

leurs pratiques socio-culturelles. Ces facteurs apportent une autre dimension à l’habitat et au

fait d’habiter, ce qui a fait apparaitre un nouveau concept que les chercheurs comme Henri

Lefebvre et Christian Norberg Schulz appellent « l’habiter », qui est selon Hubert tonka comme

un espace existentiel que le groupe modifie pour assurer du mieux possible sa protection face

au monde extérieur. De cette définition on peut le confondre avec « l’habitation », mais Henri

Lefebvre démêle plus ou moins cette ambiguïté dans les années soixante en le considérant

comme un système à deux niveaux ; sémiologique et sémantique. Un système sémiologique par

les objets placés dans l’habitation et système sémantique par les activités et les pratiques qui se

déroulent dans l’habitation.

Ce qui fait que l’habité est concerné par l’espace et par le temps, c’est-à-dire l’habité est

l’habitation avec son aménagement plus les pratiques habitantes. Ce qui a poussé Bernard

Nicolas à dire que l’habité est le produit de l’habitant qui s’élabore en fonction des pratiques

sociales et de l’organisation familiale46. Beatrice Collignon éclaire encore plus « l’habité » en

le distinguant du « loger » et de « l’habitat », elle dit qu’il ne se réduit pas au loger et qu’il n’est

pas assimilable aux caractéristiques de l’habitat (localisation, conception, esthétique), plutôt le

fruit de la relation qu’entretien le sujet (l’habitant) avec son objet (habitat)47.

46
Bernard. N, « J'habite donc je suis : Pour un nouveau rapport au logement », op.cit., p149
47
Collignon. B et Staszak J. F, « espaces domestiques (construire, habiter, représenter) », acte du colloque sur
les espaces domestiques, institut de géographie, Paris, 2002

34
Conclusion :

Rappelons que l’objet de ce chapitre était de répondre à cette question : « Parler de logement

ou d’habitat ? ». Tout fois, il est à rappeler qu’il n’était pas question de définir les deux concepts

de « logement » et « habitat » vu la complexité de la question et le nombre des études et

recherches faites dessus, mais à travers l’état de l’art réalisé précédemment, on a pu plus ou

moins démêler cette ambiguïté, avoir une vision globale et attribuer un contenu à chaque terme

en s’appuyant sur des études faites dans le domaine.

On a pu voir que logement et habitat son deux concepts inséparables et que l’un est le

prolongement de l’autre, la différence entre eux est une différence de dimension de définition

du même objet qui est l’immobilier. Le logement est d’un caractère plus technique et plus

concret qui concerne le bâtiment, alors que l’habitat est plus riche de par la multiplicité des

composants dont il prend en considération, ainsi des dimensions dont il prend en compte à

savoir la dimension sociale et économique. En d’autres mots, l’habitat est l’ensemble dont

l’unité principale est le logement.

On a vu par la suite que parler de logement et d’habitat nous a conduit à parler d’habitation, du

chez-soi et du concept de l’habité. Habitation comme le cœur et le centre de l’habitat, c’est

l’aspect physique et matériel de l’espace avec son caractère social et économique, bref c’est

« le logement couplé à l’habitat ». Alors que le chez-soi s’exprime du lien qui existe entre

l’identité de l’habitant et le lieu qu’il occupe ; ce lien peut concerner une habitation comme il

peut s’étendre vers l’habitat, le quartier, la ville ou même le pays. Par conte le concept de

l’habité est plus complexe et concerné par l’espace et le temps, c’est l’habitation avec son

aménagement intérieur ainsi que les pratiques habitantes.

35
Maintenant il est clair que par rapport à notre objet de recherche, qui consiste à proposer des

éléments qui peuvent améliorer la qualité architecturale du logement social tout en se focalisant sur

le rapport de continuité entre conception-construction comme générateur de la qualité

architecturale, parler de « logement » plutôt que « d’habitat » apparait plus évident, étant donné

que notre réflexion sur la question qualitative du logement ne prend pas en considération la

dimension sociale et culturelle.

36
Chapitre 2 : La recherche de la qualité,
l’apparition de la crise du logement et
l’industrialisation de la construction

Introduction
2.1. La recherche de la qualité et l’émergence de la crise de logement
2.1.1. Dans les pays développés
2.1.2. Dans les pays en voie de développement
2.1.2.1. En Algérie
2.1.2.1.1. Période coloniale
2.1.2.1.2. Apres l’indépendance
2.2. L'industrialisation et la construction massive comme réponse à la crise du logement
2.2.1. L’emprunt de la voie d’industrialisation dans le domaine de la construction
2.2.2. Adaptation de l'industrialisation au bâtiment
2.2.2.1. La logique du produit et la logique du projet
2.2.2.2. Les principaux procédés technologiques appliqués au bâtiment
2.2.2.3. Application de l’industrialisation dans le domaine de la construction
2.2.3. Le support théorique de l’industrialisation du logement
2.2.4. L’industrialisation de la construction de logement en Algérie

Conclusion

37
Introduction :

Etudier la question de la crise mondiale de logement consiste à prendre en considération tous

les faits et les facteurs qui ont influencé le développement de cette dernière. Etant donné

l’étendue du thème, nous allons se focaliser seulement sur l’un des faits initiateurs de la crise

qui nous semble indispensable pour notre étude.

L’apparition de la crise mondiale de logement remonte en fait au 19eme siècle, coïncidant avec

la révolution industrielle. Les villes médiévales n’étaient pas conçues pour accueillir les

infrastructures des zones industrielles. L’installation de ces industries dans la ville s’est

accompagnée par un exode rural jamais vu auparavant qui a fait grimper la population urbaine

en un temps record. Les paysans qui se sont déplacés en masse vers la ville sont devenus des

ouvriers du secteur industriel. Leur installation dans la périphérie d’une manière anarchique a

rendu cette partie de la ville insalubre et une source de maladies contagieuses.

Le développement des villes ainsi que l’augmentation de la population urbaine suivaient le taux

d’industrialisation des pays. La grande Bretagne passe d’une ville de huit cent mille habitants

en 1801 à une ville de plus de quatre millions habitants en moins d’un siècle. Et le nombre de

ville de plus de cent mille habitants est passé de 2 à 30 entre 1800 et 1895. Pour la même

période, il est passé de 9 à 28 en Allemagne et de 3 à 12 en France.48

Ce développement rapide de la taille des villes touchées par l’industrialisation est le résultat

d’une extension vers la périphérie et l’apparition des cités ouvrières, où les ouvriers se sont

entassés dans des espaces délimités. Cette situation a été dénoncée par de nombreux penseurs

tels que Proudhon, Engels, Considerant. V concernant l’hygiène physique déplorable des

48
Choay F, « L'urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie », Edition du seuil, Paris, 1965, cité par Mokhtar.
A, « Le logement social en Algérie- Les objectifs et les moyens de production », mémoire de magistère, Université
Mentouri de Constantine. P16

38
grandes villes industrielles : « Habitat ouvrier insalubre fréquemment comparé à des tanières,

distances épuisantes qui séparent les lieux de travail et d’habitation, voirie fétide et absence de

jardins publics dans les quartiers populaires »49.

Des mouvements de revendication pour amélioration des conditions de vie se sont développés

au sein de cette classe ouvrière. La construction de logements dits « sociaux » est l’une des

réponses de l’Etat en se basant sur une vision progressiste pour l’amélioration des conditions

de vie de l’homme. Pour les progressistes, c’est la révolution industrielle en elle-même la

solution pour le devenir humain : « La Révolution industrielle est l’événement historique clef

qui apportera le bien- être et entraînera le devenir humain » ; « Etant donné l’Homme, avec

ses besoins, ses goûts, ses penchants natifs, il est possible de déterminer les conditions du

système de construction le mieux approprié à sa nature »50 .

2.1. La recherche de la qualité et l’émergence de la crise de logement :

L’arrivée des deux guerres mondiales a accentué cette crise de logement. Le parc de logement

existant est soit détruit soit devenu vétuste. D’autres facteurs interviendront dans la

reconstruction de logement d’après-guerre. En plus de la quantité, la recherche de la qualité

sera l’un des objectifs visés.

2.2.1. Dans les pays développés :

Il faut mentionner que cette crise de logement ne touchait qu’une portion de population. C’est

la population exploitées et dominées. Après la deuxième guerre mondiale, en France, le

logement est un bien relativement rare, la classe moyenne était majoritairement locataire. Certes

le loyer était peu couteux mais de qualité médiocre. « En 1948, le loyer légal était tombé, pour

49
Ibidem
50
Ibidem

39
le français moyen, en dessous de sa dépense de tabac »51. Ce prix bas de location est dû en gros

à la vétusté des logements de l’époque. Dans le recensement de 1954, moins de 10.4% des

logements disposent d’une baignoire ou une douche, et seulement 26.6% des ménages

disposaient de toilettes à l’intérieur du logement.52

La plupart de ces logements vétustes se localisaient dans le centre de la ville. Le prix bas de

loyer attirait la population ouvrière qui était la plus défavorisée. L’entassement de cette

population dans ces logements a provoqué des maladies contagieuses comme la tuberculose.

L’Etat lance les programmes HLM dans la périphérie de la ville avec un confort et une qualité 53

bien meilleurs mais tout en augmentant le prix du loyer. Cette extension des villes par la

construction des HLM dans les périphéries va donner aux terrains localisés au centre une valeur

artificielle démesurée par rapport aux petites maisonnettes qui y sont bâties. La population qui

occupait ces maisonnettes est contrainte de quitter les lieux vers les HLM de meilleure qualité

avec un loyer élevé et de céder la place aux grands magasins, bâtiment publics… ; la crise

devient alors une crise de moyens et non une crise de logement.54

La crise s’est développée davantage avec l’avènement du mode de production capitaliste. L’état

de vétusté du parc de logement de 1950 touché par les deux guerres mondiales a poussé à la

libéralisation des loyers par les politiques du logement, ce qui a rendu l’investissement

immobilier très attractif. Les investisseurs ont opté pour la construction de grands logements

avec un confort des temps moderne en insistant sur la qualité constructive et sanitaire tout en

augmentant le prix du loyer.

51
Fack.G, « Formation des inégalités, politiques du logement et ségrégation résidentielle », thèse de doctorat,
EHESS, Paris, 2007, p20
52
Ibidem
53
Par le terme qualité, on fait référence à la qualité sanitaire due au problème d’hygiène à cette époque.
54
Laaha Tarache.A, « Politique de l’habitat et contraintes de la construction du logement en Algérie : Analyse
comparative avec la Tunisie et le Maroc », thèse de doctorat, Université Mentouri Constantine, 2009-2010, p14

40
Cette crise de logement a généré le marché de logement. Ce dernier est devenu une marchandise

comme les autres qui obéie à la loi de l’offre et la demande. L’habitant n’est plus propriétaire

de son logement mais seulement un locataire. Il profite de la jouissance d’un appartement dans

un temps déterminé. Cette jouissance coûte de plus en plus au locataire du moment que le prix

du loyer recouvre : « les frais de construction, les réparations et la perte de revenus résultant

de mauvaises dettes, les loyers non payés, comme de locaux restés éventuellement vacants, et

enfin l'amortissement du capital investi dans la construction d'un immeuble qui n'est pas éternel

... » ainsi que « l’augmentation de valeur du terrain sur lequel s’élevé la maison »55.

Comme on l’a déjà mentionné précédemment, le libéralisme a transformé le logement en

marchandise. Devenir propriétaire d’un logement est devenu de plus en plus rare pour la classe

défavorisée ainsi que pour la classe moyenne. A présent, on ne parle plus d’un pouvoir d’achat

d’un logement mais plutôt d’un pouvoir de location pour une durée déterminée. Par conséquent

celui qui possède un logement, possède une source de revenue incontestable.

Donc, malgré le plan important de construction entrepris dans les années cinquante pour

répondre au déficit de logement (il manquait en France en 1954 près de 4 millions de logements,

et 90% des logements existants étaient inconfortables56), le problème reste toujours aussi

important du moment qu’à présent, la crise ne concerne plus un déficit de construction, mais la

solvabilité de la population concernée. Le parc de logement locatif qui existait était destiné en

gros à la classe moyenne. Cet état de fait a obligé l’Etat français le recours à la mixité sociale,

où chaque agglomération de plus de 50 000 habitants doit obligatoirement détenir au moins

55
Marx, K, Engels, F., « La question du logement », œuvres choisies, tome II, Edition du progrès, Moscou, 1970,
p325, cité par Laaha Tarache.A, « Politique de l’habitat et contraintes de la construction du logement en
Algérie : Analyse comparative avec la Tunisie et le Maroc », op.cit. p15
56
"Crise de logement ou du capitalisme", extrait du CS N° 314, www.cnt-p.org/ SPIP. Cité par Laaha
Tarache.A, « Politique de l’habitat et contraintes de la construction du logement en Algérie : Analyse
comparative avec la Tunisie et le Maroc », op.cit. p18

41
20% de logements sociaux dans son parc immobilier. Cependant, plusieurs agglomérations ont

refusé cette mixité sociale en préférant payer des amendes plutôt que de construire du social.57

En gros, c’est l’augmentation du loyer qui a accentué la crise du logement pour la classe

défavorisée. Cette augmentation est certes certifiée par l’amélioration de la qualité, ainsi que

du confort des nouveaux logements qui ont remplacé le parc du logement détruit par la guerre,

mais c’est aussi la lenteur du rythme des travaux de construction, causé par les systèmes de

constructions traditionnelles et le manque de main d’œuvre qualifiée, qui a fait grimper les prix

aussi. C’était le cas de plusieurs pays de l’Europe dont la destruction de la guerre n’était pas la

vraie cause de la crise de logement. On peut citer la Suède et l’Italie, dont le rythme de

construction durant l’entre-deux-guerres n’avait pas pu absorber l’accroissement rapide de la

population urbaine. Tandis que d’autres pays comme le Danemark, a pu résoudre la crise de

logement très rapidement grâce à un rythme de construction très élevé avant et après la seconde

guerre mondiale.58

Ce problème de ralentissement du rythme des travaux, ainsi que la pénurie de matériaux et de

main d’œuvre, vont pousser la plupart des pays d’Europe au recours à d’autres systèmes

constructifs plus modernes qui favorisent le gain en délai et en coût de construction.

2.2.2. Dans les pays en voie de développement :

Dans ces pays, la crise de logement se reflète sur l’image de la ville. Les centres urbains de ces

pays sont des pôles d’attraction de population en quête d’emploi. Cette population est

majoritairement d’origine rurale qui constitue une main d’œuvre importante à bas prix pour le

57
Laaha Tarache.A, « Politique de l’habitat et contraintes de la construction du logement en Algérie », op.cit.
58
Comité national coopératif de logement (Paris), Coopératives d’habitation dans le monde, Paris, Comité
National coopératif de logement, 1952, 39 pp., p.12, cité par Christel Frapier in : « La production de logements
après la seconde guerre mondiale en Europe : quels modèles pour quelle politique ? », conférence SicyUrb,
Lisbonne 11-14 octobre 2011.

42
milieu industriel. Cette population qui a besoin de se loger, va se regrouper à la périphérie des

centres urbains en formant des bidonvilles. Par conséquent, le tissu urbain de la ville va paraitre

anarchique et déséquilibré donnant une image beaucoup plus rurale qu’urbaine.

Il est à noter que cette situation dont vivaient les pays en voie de développement est semblable

à celle que vivaient les pays développés dans le passé : « Le monde en développement connaît

maintenant une urbanisation assez semblable à celle que les pays développés ont connu dans

le passé avec un doublement ou un triplement de la population urbaine en une ou deux

décennies. La différence, c’est que le citadin des pays en développement ne gagne parfois pas

plus que 200 dollars par an contre 2000 dollars aux Etats-Unis. »59

2.2.2.1. En Algérie :

2.2.2.1.1. Période coloniale :

Les aspects de la crise du logement en Algérie s’approchent de ceux de la crise mondiale. C’est

toujours l’état de vétusté du parc de logement causé par la guerre (le colonialisme français dans

le cas de l’Algérie) qui est le grand facteur de la crise. Les solutions étaient les mêmes comme

en France, on reconstruisait des logements HLM avec une qualité meilleure. Le problème c’est

que cette reconstruction touchait les européens et les musulmans de manière disproportionnée.

Il y avait de la ségrégation sociale dans la politique de reconstruction de logement.60 Ces

chiffres peuvent le confirmer61 :

▪ 1 000 000 Européens pour 262 000 logements, soit 26 logements pour 100 Européens.
▪ 8 455 000 Musulmans pour 209 000 logements soit 2,4 logements pour 100
Musulmans.

59
Rapport sur "La situation des établissements humains dans le monde", Document d’information n° 1, 1996,
Centre des Nations Unies pour les établissements humains, cité par Laaha Tarache.A, « Politique de l’habitat et
contraintes de la construction du logement en Algérie », op.cit., p23
60
Laaha Tarache.A, ibidem, p24
61
BENAMRANE, D., "Crise de l’habitat : perspective de développement socialiste en Algérie", CREA, Alger,
1980, cité par Laaha Tarache.A, « Politique de l’habitat et contraintes de la construction du logement en
Algérie », op.cit., p24

43
Et avec la localisation des activités commerciales et industrielles dans la ville, l’exode rural va

accroitre la population urbaine, ce qui accentue beaucoup plus la crise de logement pour les

musulmans. Le plan de Constantine va proposer des solutions pour alléger la population

urbaine. Il sera question de projeter des zones industrielles et des unités de commerces dans

les villes secondaires à l’intérieur du pays. Ces villes bénéficieront même d’une extension par

la construction de logement pour les cadres dirigeants des industries.

Cependant, avec l’accroissement de la révolte algérienne dans les années cinquante, le logement

devient un outil de réconciliation avec la population musulmane. Par exemple à Alger, le maire

Jacques Chevalier lance en 1953 un programme d’HLM de trois cités d’habitations pour les

deux communautés européenne et musulmane. Les musulmans seront avantagés dans le nombre

de logement attribué. Près de 1400 logements pour les européens et plus de 2000 logements

pour les musulmans. Il sera question des trois cités d’Alger de Fernand Pouillon.

Même si en termes de surface habitable, les européens étaient plus avantagés, on pense que les

petites surfaces des logements des musulmans étaient inspirées des maisons de la Casbah

d’Alger et du mode de vie des musulmans. Il faut mentionner aussi qu’en termes de qualité et

de confort sanitaire, les logements de ces ensembles remplissaient largement les critères de

l’époque. Pour le confirmer, il suffit de se fier au recensement de 1954 en France : moins de

10.4% des logements sont alors équipés d’une baignoire ou une douche, et seuls 26,6% des

ménages déclarent disposer de toilettes à l’intérieur du logement. Les logements avec

installation sanitaires, toilettes et chauffage central ne représentent finalement que 5,6% de

l’ensemble des logements de cette date.62

62
Fack. G, « Formation des inégalités, politiques du logement et ségrégation résidentielle », op.cit., p21

44
Tab.2.1 : Evolution du confort sanitaire des résidences principales, 1954-2004
Source : INSEE, Recensement – Tiré de Gabrielle Fack (2007), tableau 2.1, p21

2.2.2.1.2. Apres l’indépendance :

Après l’indépendance, tous les chantiers en cours, laissés par les colons, qui concerne la

reconstruction de logement ont été laissés à l’abandon. L’Etat considérait que les logements

abandonnés par les européens suffisaient comme parc de logement pour l’instant. Mais l’exode

rural a dépassé toutes les attentes. Tentée par un mode de vie semblable à celui des colons, la

population rurale s’orientée vers les villes principales pour une espérance de vie meilleure. Par

conséquent, les compagnes se vidaient et la population urbaine dépassait le parc de logement

disponible. Même avec cette situation alarmante, dans le programme de Tripoli de 1962,

l’habitat reste toujours une priorité secondaire parmi d’autres secteurs qui nécessitaient plus

d’attention à lendemain de l’indépendance. Dans ce programme, il était question « d’une

politique sociale au profit des masses, pour élever le niveau de vie des travailleurs, accélérer

l’émancipation de la femme, liquider l’analphabétisme, développer la culture nationale,

améliorer l’habitat et la situation sanitaire. »63

C’est seulement en 1965 que les chantiers de construction de logements abandonnés après

l’indépendance ont été repris. Mais c’est seulement dans la Charte Nationale de 1976 que l’Etat

confirme son intérêt pour le logement. En 1980, l’habitat s’accorde une priorité dans la politique

de l’Etat avec une prévision de 100 000 logements par an.64 Ce seuil sera même dépasser dans

la décennie 80-90 en développant les procédés et les systèmes constructifs.

63
BENAMRANE, D, « Crise de l’habitat : perspective de développement socialiste en Algérie », op cit., cité par
Laaha Tarache.A, « Politique de l’habitat et contraintes de la construction du logement en Algérie », op.cit., p27
64
Laaha Tarache.A, ibidem, p29

45
2.2. L’industrialisation et la construction massive comme une réponse à
la crise du logement :

2.2.1. L’emprunt de la voie d’industrialisation dans le domaine de la


construction :

La crise de logement des années cinquante a favorisé l’emprunt de la voie de l’industrialisation

pour répondre au problème de la quantité. L’industrialisation du bâtiment a commencé après la

première guerre de 1914-1918 avec quelques pionniers, architectes et constructeurs,

impressionnés par les résultats atteints dans l’industrie automobile et aéronautique comme

Walter Gropius, Voisin (constructeur d’aéroplane), les constructeurs Henri Sauvage et Jean

Prouvé, les architectes Le Corbusier, Marcel Lods (Sociétés des architectes préfabricateurs),

Beaudoin et Auguste Perret.65

En France, la situation désastreuse en 1945 après la deuxième guerre mondiale a accéléré le

processus de l’industrialisation du bâtiment. Plusieurs facteurs ont poussé les architectes à cette

voie d’industrialisation à savoir ; le prix élevé du mètre carré qui dépassait le revenu des

français, le manque de matériaux et de matériel de construction, insuffisance de main d’œuvre

qualifiée, et la productivité faible des procédés constructifs traditionnels en maçonnerie et en

pierre.66

La solution absolue pour construire beaucoup, vite et à moindre coût était la préfabrication en

usine à l’image de l’industrie automobile avec le béton armé comme matériau de prédilection.

Le recours à ce nouveau matériau et système constructif est dû aux limites que représentait le

système constructif traditionnel de pierre de taille et de terre cuite. La nécessité de construire

beaucoup et plus vite a obligé les architectes du mouvement moderne à trouver d’autre

65
Chemillier. P, « L’époque de l’industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-1945 ». Comité d’histoire du
ministère, France. Juin 2002
66
Ibidem

46
alternative pour répondre à la demande. Ce constat a favorisé la recherche de nouveaux

paradigmes qui vont avec cette voie d’industrialisation. Le Corbusier invente le plan libre avec

le système constructif en domino et l’oppose au plan paralysé issue du système constructif en

mur porteur.67

2.2.2. Adaptation de l’industrialisation au bâtiment :

2.2.2.1. La logique du produit et la logique du projet :

Selon Chemillier. P68, l’industrie fonctionne dans une logique de produit, ce qui consiste à ce

que l’industriel conçoit et fabrique des produits suivant la demande et les attentes du marché.

La fabrication se fait suivant un processus continue et intégré, dont le contrôle de la chaine de

production est total. En plus, la production se fait dans le même lieu (usine fixe), ce qui permet

l’utilisation des machines servies par une main d’œuvre spécialisée sans être qualifiée. Tous

ces paramètres qui semblent fixes et indépendants des autres facteurs imprévisibles, permettent

le contrôle et la prévision du délai ainsi que du prix de la production. A la fin, ce produit sera

vendu suivant une stratégie commerciale bien étudiée.

Alors que dans le domaine de la construction il est question d’une logique de projet. Chaque

projet dépend de son programme, de son terrain et en fonction des attentes du client. Autrement

dit, le programme et le terrain sont spécifiques pour chaque projet. De plus, le maitre d’œuvre

ne contrôle pas la chaine de production. La production se fait suivant un processus éclaté à

l’encontre du produit industriel. D’un côté, la fabrication des éléments constructifs ne se fait

pas dans le chantier (fabrication lourde). D’autre côté, même si la commande est importante en

quantité, la production n’est pas regroupée, elle est dispersée suivant la localisation des terrains.

Ajoutant que l’unité de production finale, qui est le chantier, est toujours nouvelle et éphémère.

67
Le Corbusier, J. P, « Précision sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme 1930 », Paris : G. Crès et
Cie, 1994, p123
68
Chemillier. P, « L’époque de l’industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-1945 », op.cit.

47
Ainsi, les paramètres de production ne peuvent jamais être les mêmes dans deux chantiers

différents même si la conception demeure la même (dans le cas d’un projet type). Et enfin, le

contrôle de production n’est jamais total, l’étude des délais et des prix ne peut pas être définitif

à cause des facteurs imprévisibles, dont obéi le chantier, comme les intempéries.

Donc faire passer l’architecture par l’industrie consiste inévitablement à se rapprocher de la

logique du produit, ce qui conduit à considérer le bâtiment beaucoup plus comme objet

industriel plutôt qu’un objet architectural. Cependant, cette industrialisation de la construction

se retrouve confrontée à des contraintes en rapport à la nature du domaine de la construction.

La principale contrainte concerne la taille des opérations de construction. Comme on l’a vu

précédemment, la logique du produit industriel est basée sur la production en grande quantité

suivant un processus continu et intégré. Tandis que dans le domaine de la construction, on a

affaire à un processus éclaté avec des opérations dans des terrains plus ou moins éloignés.

Selon Chemillier. P, malgré les évolutions technologiques dans le sens d’industrialisation du

bâtiment, on n’a jamais pu faire passer la construction par la logique du produit. Selon lui, « On

ne fabrique toujours pas un bâtiment comme une automobile (sauf cas très particulier de petits

bâtiments tels que des abris), et on ne construit pas non plus par simple assemblage de

composants vendus sur le marché »69. En revanche, l’industrialisation du bâtiment peut être

considérée par la simple introduction des nouveaux produits et procédés de construction 70. On

est toujours dans une logique de projet, mais le bâtiment est passé d’un objet architectural à un

objet industriel.

69
Ibidem
70
Ibidem

48
2.2.2.2. Les principaux procédés technologiques appliqués au bâtiment :

Selon Laaha Tarache.A71, une étude publiée par le CNAT 72 a pu regrouper les procédés

technologiques utilisés dans le monde pour la construction en quatre grandes familles. La

définition de ces familles technologiques est en fonction des procédés utilisés pour la réalisation

de la structure porteuse. Ces quatre familles sont devisées en deux grands groupes : « le groupe

mécanisation » et le « groupe préfabrication »

- La famille technologique n° 1 : elle regroupe les procédés de construction par bétonnage

en œuvre au moyen du coffrage outil. Elle est représentée par les techniques du tunnel

transversal semi coquille utilisées dans la réalisation des murs transversaux, les dalles-

plancher et dalle-toiture, associées à un jeu de banches pour la réalisation des murs de

façade. Cette famille fait partie du « groupe mécanisation ».

- La famille technologique n°2 : elle regroupe les procédés de construction par

assemblage composants fonctionnels plan en béton armé. Appelée aussi « préfabrication

par composant plan », les panneaux peuvent être de grande taille (préfabrication lourde)

et de petite taille (préfabrication légère), fait en usine fixe ou foraine. Cette famille de

procédés, qui fait partie du « groupe préfabrication », touche la réalisation de la quasi-

totalité du bâtiment à savoir : la structure, l’enveloppe et la partition.

- La famille technologique n°3 : Faisant partie du « groupe préfabrication », cette famille

de procédés regroupe les procédés de construction par assemblage d’ensembles

fonctionnels volumiques à structure en béton armé.

- Famille technologique n°4 : comme la famille technologique n°1, elle fait partie du

« groupe mécanisation », et regroupe les procédés de construction par bétonnage en

71
Laaha Tarache.A, « Politique de l’habitat et contraintes de la construction du logement en Algérie », op.cit.
p33-34
72
Ministère de l’urbanisme, de la construction et de l’habitat : « Présentation des techniques et familles
technologiques ». Centre national d’étude et d’animation de l’entreprise de travaux, Alger, 1979.

49
œuvre au moyen du coffrage outil. Cette famille de procédés touche généralement la

structure du bâtiment. Appelée également « système hybride », elle repose sur

l’association de constructions traditionnelles et l’assemblage de certains éléments

préfabriqués en usine.

2.2.2.3. Application de l’industrialisation dans le domaine de la construction :

La crise de logement d’après-guerre est devenue incontrôlable de par la demande qui dépasse

largement l’offre de logement. Les techniques et procédés traditionnelles de construction sont

jugés dépassés par le temps. L’augmentation de taux de production reposait sur une croissance

considérable en nombre d’effectifs. Mais la pénurie de main d’œuvre qualifiée a accentué

encore plus la crise. Cette dernière a été réduite à cause de la grande guerre. Les entreprises

n’ont pas formé la relève. De plus, cette main d’œuvre qualifiée « est attirée vers d’autres

secteurs mieux payés, moins pénible, alors que la construction pâtit, surtout auprès des jeunes,

d’une image négative »73.

L’industrialisation du bâtiment est devenue la solution ultime dans ces circonstances. Des

expériences sont menées par plusieurs architectes et ingénieurs pour offrir des solutions

d’urgence. On peut citer « la maison des jours meilleurs » de Jean Prouvé réalisée en 1956 en

seulement six semaines près de la place de la Concorde. Ses composants étaient fabriqués

entièrement en atelier. Il y a aussi l’ensemble d’Argenteuil de 190 logements réalisé dans la

même année par ATIC (l’atelier pour l’industrialisation de la construction) composé par les

73
Chaumont. E. D, « Culture d'entreprise et stratégie économique », 1987, cité par JAMBARD. P. « Chapitre
VII. La première grande entreprise française de bâtiment In : Un constructeur de la France du XXe siècle :
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-
1974) », Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008

50
architectes : Roger Aujame, Édith Schreiber-Aujame, Nikos Chatzidakis et Pirkko Hirvela-

Chatzidakis. Ce sont des anciens architectes du groupe ATBAT de Le Corbusier74.

Marcel Lods de son coté, réclame que les moyens industriels poussés comme l’unique solution

pour satisfaire les exigences de la vie moderne75. Son projet de « Sotteville-lès-Rouen » (1945-

1955) composé de six grands immeubles accompagnés d’équipements (école, centre

administratif, commerces…), fait appel à l’utilisation de la préfabrication lourde, même si

après, il ne cessera de prôner, plutôt qu’une « préfabrication lourde », une « préfabrication

légère »76. Ce choix de procédé d’industrialisation est lié à sa pensé fonctionnaliste et ses

préoccupations du futur de la plastique de l’architecture : « nous quittons le monde de la

construction pétrifiée, pour aborder celui de la construction montée. [ ... ] D'où cette

conséquence importante : les règles de la plastique de l'Architecture future ne sauraient se

référer à aucun canon connu.»77

Mais l’une des opérations qui ont marqué l’application de la préfabrication industrielle dans le

bâtiment est le « Shape Village » (1951-1952) conçu par Félix Dumail et Jean Dubuisson à

Saint-Germain-en-Laye. Sa construction est basée sur le procédé CAMUS de Raymond Camus

qui permet une économie de main d’œuvre et une rapidité d’exécution grâce aux composants

fabriqués entièrement en usine (panneaux porteurs, escaliers, planchers...)78.

Même si l’application du procédé Camus a fait des progrès dans l’économie de construction et

de main-d’œuvre, l’industrialisation du bâtiment reste toujours partielle de par les

caractéristiques propres du logement. La réussite de l’industrialisation dans le domaine

automobile est basée sur le contrôle de la chaine de production, la quantité importante de

74
Lucan .J, « Architecture en France 1940-2000 », Moniteur, Paris, 2001, p67
75
Lods. M, « L’industrialisation du bâtiment », AA, n l, Mai-juin 1945, cité par Lucan. J, « Architecture en
France 1940-2000 », op.cit. p67
76
Ibidem
77
Lods. M, « Le problème. Produire industriellement les bâtiments. Dessiner le pays ». T&A, 17eme série,
n5, « L'industrialisation du bâtiment », novembre 1957, cité par Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 »,
op.cit.
78
Lucan. J, ibidem, p70

51
production et la continuité du processus de production dans le même lieu. Dans le bâtiment, les

deux derniers éléments faisaient une problématique. Du moment où la quantité du logement

construit était importante mais dispersée dans plusieurs sites. Pour résoudre ce problème, les

français lancent l’opération des ZUP (zones à urbaniser en priorité) qui permet de regrouper un

nombre important de logements à construire dans un seul site pour se rapprocher encore plus à

l’image de l’industrialisation automobile.79

Les ZUP sont basées sur un urbanisme de grands plans de masse établie suivant le chemin de

grue pour faciliter l’utilisation des deux procédés d’industrialisation que ce soit la préfabrication

lourde ou le coffrage-outils métallique. La charte d’Athènes de 1933 était le support théorique

de ce principe de construction de logement avec Le Corbusier comme pionnier principal.

Toute opération d’au moins 100 logements devait être implantée dans une ZUP. Il faut noter

que cette voie d’industrialisation était efficace en termes de quantité. La production annuelle de

logement en France passe de 46 000 unités en 1951 à 360 000 en 1964.80

Dans la fin des années 60, la demande de logement en France diminue fortement ce qui oblige

l’Etat à arrêter les grandes opérations. La solution échange est le groupement des commandes

(en 1969 un seuil de 200 logements fut imposé pour les HLM) et l’utilisation des modèles (un

projet-type établie par un architecte et entrepreneur qui est agréé par l’Etat et qui sera utilisé

pour assurer une commande importante de logements).81

79
Monnier, G., Klein, R, « Les années ZUP, architectures de la croissance (1960-1973) », Paris : Picard, 2002
80
Chemillier. P, « L’époque de l’industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-1945 », op.cit.
81
Ibidem

52
2.2.3. Le support théorique de l’industrialisation du logement :

L’industrialisation de la construction dans son début nécessitait un support théorique du

moment que c’était quelque chose de nouveau. Les principes de l’architecture traditionnelle de

la ville médiévale, basés sur la rue et la cour, sont jugés obsolètes et n’étant plus d’actualité.

Eugene Claudius-Petit, ministre de la reconstruction et de l’urbanisme en 1948 en France,

encourage le développement d’une nouvelle manière de concevoir le logement : « [Demander

à l'architecture] de ne plus être fragmentée par la largeur des parcelles en bordure de rue, et,

tout au contraire, de régner sur un ensemble que l'œil peut embrasser d'un coup, c'est faire

œuvre de réaliste, c'est donner une valeur certaine à l'ensemble des terrains envisagés, c'est

permettre la vie de notre temps avec les voitures dans la cité, c'est permettre à l'homme de

reprendre contact avec la nature, les arbres et le soleil, c'est construire des logements pour

éviter de construire des sanas . Faire œuvre d'architecte autrement qu'entre deux murs mitoyens

paraît chose nouvelle et quasi révolutionnaires »82. Il défend plus précisément le principe

hygiéniste basé sur la conception suivant l’axe héliothermique, un principe inventé par

Augustin Rey83 selon lequel, les constructions doivent être implantées suivant la course du

soleil pour bénéficier de la lumière et des rayons solaires toute la journée afin que la

construction reste seine (raison hygiéniste).

Le Corbusier adopte le principe d’implantation suivant la course du soleil et le considère comme

le plan de symétrie thermique de l’espace, et que les façades doivent être alignées parallèlement

à cet axe84. Il rejette par conséquent la rue et la cour intérieure des logements (figure 2.1) au

détriment de ce qui est appelé par la suite « l’ordre ouvert », où le sol est libéré de tout

82
Eugène Claudius-Petit, introduction à AA, n° 32, « Reconstruction France 1950 », octobre-novembre 1950,
cité par Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit. p39
83
A.-Augusrin Rey, Justin Pidoux, Charles Barde, La Science des plans de viIIe", Lausanne-Paris, Payot/Dunod,
1928, p. 22, cité par Lucan. J, ibidem, p40
84
André Hermant, « Ensoleillement direct et orientation », T&A, 3eme année, n° 7-8, « Le soleil », juillet-aout
1943, cité par Lucan. J, ibidem

53
découpage parcellaire.85 Ce principe de l’ordre ouvert s’accompagne de nouveaux principes

urbanistiques fonctionnalistes dont les grandes lignes ont été définies dans le quatrième Congrès

international d’architecture moderne CIAM IV 1933 à Athènes, sous la direction de Le

Corbusier, et publié après comme « La Charte d’Athènes ».86

Figure 2.1 : Le Corbusier, « libérer les villes de la contrainte, de la tyrannie de la rue ».


Source : figure extraite de Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », Moniteur, Paris, 2001, p41

L’application de cet ordre ouvert est rejetée dans le projet de la reconstruction de la ville de

Saint-Dié par le conseil municipal à la fin de l’année 1946. Le projet veut être totalement ouvert

en rompant avec toute forme traditionnelle de rue et d’ilot. C’était un changement brutal par

85
Le Corbusier, « Propos d'urbanisme », Éditions Bourrelier et Cie, Paris, 1946, p86.
86
Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit.

54
rapport à ce qu’a proposé Auguste Perret avec le centre-ville du Havre (1945-1964) et André

Lurçat avec le centre-ville de Maubeuge (1948-1958). Dans ces deux projets, la cour et l’ilot

sont plus au moins présents. C’est Marseille qui accueillera la première application de Le

Corbusier de ses principes sous la forme des unités d’habitation grandeur conforme (1945-

1952). Ce modèle sera après reproduit à Rezé-lès Nantes (1949-1955), Berlin (1956-1958),

Briey-en-Forêt (1956-1963) et Firminy (1959-1967). Les bâtiments sont rangés parallèlement

suivant la direction Nord-Sud tout en libérant le sol avec une construction sur pilotis.

2.2.4. L’industrialisation de la construction de logement en Algérie :

Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie se retrouve avec un parc de logement considérable

laissé par les colons en plus de 42 000 logements non achevés. L’Etat a considéré l’habitat

comme une préoccupation secondaire par rapport à d’autres secteurs économiques. Mais

l’exode rural massif a vite saturé le parc de logement existant. De plus, l’occupation des

logements ne respectait pas le mode de vie pour lequel ont été construits. Le mode de vie rural

ou semi rural des nouveaux habitants a très vite détérioré le patrimoine immobilier existant.87

D’autre part, la raison pour laquelle la construction de logement n’a pas été reprise juste après

l’indépendance, est qu’il y avait un manque de moyens techniques et humains de la construction

immobilière. Cette situation a obligé l’Etat à définir une politique sélective et progressive pour

répondre aux besoins en matière de logement. La première tâche était d’achevait à partir de

1965 les constructions laissées en cours par les colons. Parallèlement, on favorisait la

construction au milieu rural pour limiter l’exode. Un programme de 34 000 logements a été

prévu dans le cadre de l’habitat rural.88

87
Laaha Tarache.A, « Politique de l’habitat et contraintes de la construction du logement en Algérie », op.cit.,
p116
88
Ibidem, p118

55
C’est seulement à partir des années 70 que l’industrialisation du bâtiment a pu démarrer en

Algérie. L’augmentation du programme de logement du 2eme plan quadriennal (1970-1973) a

poussé au recours aux techniques industrielles pour satisfaire la demande en logement et

améliorer le trinôme : Coût- Qualité-Délai.

Dans l’urgence, l’industrialisation de la construction a été importée telle qu’elle y était dans les

pays développés ; des procédés technologiques avec des plans types standards implantés

directement, sans aucune intervention, dans tout le territoire national de la même façon. La

composition de ces cités d’habitations est basée sur le chemin de la grue avec des

parallélépipèdes identiques disposés parallèlement. Le paysage intérieur de ces cités est fait de

vides laissés entre ces parallélépipèdes. Tous les bâtiments se ressemblent, aucun moyen de

repérage n’est possible, à l’exception des modifications sur façades apportées par les usagers.89

Des sociétés étatiques ont été créées pour appliquer l’industrialisation lourde dans le secteur de

la construction. Ils ont procédé par l’achat des technologies d’industrialisation de sociétés

étrangères tout en appliquant quelque modification. On peut citer le SONATIBA (Société

Nationale de Travaux et d'infrastructures de bâtiment) qui s’intéressait au système français

« PASCAL », un système basé sur l’utilisation des panneaux lourds préfabriqués en béton.

Alors que ECOTEC acheta un système suisse tridimensionnel appelé « VARIAL », qui après

quelque modification devint « VARECO ». Bien que ces systèmes permissent une certaine

rapidité dans l’exécution, ils causaient des problèmes de maitrise et de gestion du stockage. 90

Afin d’appliquer cette industrialisation du bâtiment, il fallait lancer un programme d’habitat qui

va avec les exigences des procédés d’industrialisation. L’une des exigences primaires est le

regroupement de la production pour assurer la continuité de la chaine de production. En France,

89
Ibidem, p123
90
Ibidem, p124

56
on a vu précédemment que les ZUP (zones à urbaniser en priorité) étaient la solution, où toute

opération d’au moins 100 logements devait être partie de ce programme. En Algérie c’est les

ZHUN (zones d’habitat urbain nouvelles), c’est le même programme, on a changé seulement

son appellation. Le problème c’est que les ZUP, qui ont vu le jour dans les années cinquante en

Europe, n’ont pas permis d’avoir le résultat espéré. Le regroupement massif des logements

suivant un plan de masse tracé à la grue s’est avéré inadapté au mode de vie de la majorité des

usagers.

D’un côté, les objectifs fixés pour ce programme étaient encourageants : Développer les

capacités d’accueil des villes, coordonner la planification des investissements, intégrer les

opérations de l’habitat à l’environnement, qualifier les opérations de production de l’espace et

ce à travers un processus administratif de participation et des organes politiques. Mais sur le

plan architectural, les cités sont des modèles types prédisposés à être implantés dans n’importe

quel site sans se préoccuper ni du contexte ni de l’environnement immédiat. Les cellules

d’habitation sont standards et se ressemblent toutes ; basée sur une distribution simpliste des

espaces, ni le mode de vie, ni la culture des usagers ne sont prises en considération. Cette

monotonie se reflète aussi sur l’enveloppe du bâtiment, où des rangés d’ouvertures se répètent

suivant un rythme constant. Le résultat, c’est des bâtiments qui se ressemblent sans aucun

repérage possible.

57
Conclusion :

A travers l’exploration de l’évolution historique de la production du logement depuis la

première crise mondiale de logement d’après-guerre, que ce soit en Algérie ou en Europe, il

s’est avéré que l’une des principales raisons de cette crise était la recherche d’une qualité

meilleure du mode de vie due à l’état de vétusté du parc existant, ainsi qu’à l’augmentation de

la population urbaine.

La solution à cette crise était la construction massive en recourant à l’industrialisation de la

construction pour gagner en qualité, délai et coût de production. L’introduction de l’industrie

dans le domaine architectural nécessitait un nouveau support théorique pour accompagner cette

évolution dans les techniques constructives, ainsi que dans le processus de production. La charte

d’Athènes de 1933 était la bible des architectes du mouvement moderne, la standardisation était

le principe qui permettait à l’architecture de passer à l’industrialisation, dont la production en

série est l’élément principal qui était censé assurer la réduction du délai, du coût et le contrôle

de la qualité de production. Mais il s’est avéré que le domaine de la construction n’a jamais pu

être industrialisé à l’image de l’industrie de fabrication. Malgré tous les efforts des industriels

et des architectes adeptes de l’industrie, en recourant à l’évolution des moyens techniques, le

logement n’a pas pu passer d’une logique de projet à une logique de produit (sauf dans des cas

exceptionnels), par contre, le logement a passé d’un objet architectural à un objet industriel.

Si la logique du produit était hors de portée dans le domaine du bâtiment, les entreprises de

construction, tout en restant globalement dans une logique de projet, ont pris le contrôle du

processus de projet, en passant par une industrialisation lourde basée sur l’introduction des

nouveaux produits et procédés constructifs. Le logement est par conséquent considéré comme

un objet industriel (standard et universel) plutôt qu’un objet architectural.

58
A travers ce chapitre, un lien de causalité s’est confirmé entre la recherche de la qualité

(beaucoup plus sanitaire) dans les années d’après-guerre, l’apparition de la crise mondiale du

logement due à l’état de vétusté du parc de logement existant, et l’introduction de

l’industrialisation lourde dans la construction pour résoudre la crise quantitative du logement.

Dans le chapitre qui suivra, on essayera de s’étayer sur le rapprochement qui s’est produit entre

architecture et industrie, et son impact sur l’émergence de la notion « qualité » dans le bâtiment,

ainsi que sur le changement d’intérêt de la question qualitative du logement.

59
Chapitre 3 : La qualité architecturale

Introduction
3.1. La notion de « qualité » dans le bâtiment
3.1.1. Les leçons tirées de l’industrie de fabrication en série
3.1.2. Le management de qualité et le contrôle de la qualité de production
3.1.3. Les démarches d’évaluation de la qualité, certifications et labels
3.1.3.1. Les méthodes d’évaluation du bâtiment
3.1.3.1.1. POE : Post-occupancy evaluation
3.1.3.1.2. La BPE (Building performance evaluation) et l’UDE (universal
design evaluation
3.1.3.2. Les méthodes d’évaluation du développement durable : labels et
certifications
3.2. L’objet architectural et sa problématique qualité
3.2.1. La qualité entre objet architectural et objet industriel
3.2.1.1. La qualité architecturale comme usage
3.2.1.2. La qualité architecturale comme œuvre d’art
3.2.2. La qualité « architecturale » ou la qualité de « l’architecture »
3.2.2.1. La qualité de l’architecture selon la triade vitruvienne
3.2.2.2. La qualité de l’architecture et la construction comme l’art de bâtir
3.2.2.3. André Lurçat : La qualité et la composition architecturale

Conclusion

60
Introduction :

La question de la qualité est aujourd’hui centrale et fait la problématique de tous les domaines

de production et de services. Ce qui fait que le terme qualité soit largement utilisé dans le

langage courant et devient très ambigu et parait obéir à la subjectivité. Parfois la qualité devient

l’opposée de la quantité, et elle se rapporte au coût de la production. Ce qui a poussé à ce que

dans le langage scientifique, le terme qualité soit utilisé et défini et peut même être quantifié

selon des normes fixées par la discipline en question. Il est souvent associé à des vocables qui

en diversifient le sens ; « qualité architecturale », « qualité constructive », « haute qualité

environnementale », qualité sanitaire », « qualité de vie », etc.91

Par exemple en Marketing, la qualité d’un produit est définie suivant la norme AFNOR

(Association Française de Normalisation – En France) comme suit : « un produit ou service de

qualité est un produit dont les caractéristiques lui permettent de satisfaire les besoins exprimés

ou implicites des consommateurs ».

Dans la gestion d’entreprise ; « Le terme ‘Qualité’ n'est pas utilisé pour exprimer un degré

d'excellence dans un sens comparatif ; il n'est pas utilisé non plus dans un sens quantitatif pour

des évaluations techniques [...] La qualité d'un produit ou service est influencée par de

nombreuses phases d'activités interdépendantes telles que la conception, la production ou le

service après-vente et la maintenance. »

Par contre, lorsqu’il s’agit des opérations d’architecture et d’urbanisme, la qualité se mesure

par la double dimension de l’objet construit ; comme œuvre et comme service. Comme service

en parlant de son usage par les fonctions qu’il offre à ses usagers que ce soit techniques ou

91
Biau.V, Lautier. F, « Processus d’engendrement de la qualité et négociations entre acteurs de l’architecture »,
sous la direction de V. Biau et F. Lautier, Ramau, Cahier n5, Paris, 2009

61
sociales ; et comme œuvre en se basant sur sa valeur d’art loin de toute dimension

fonctionnelle92.

3.2. La notion de « qualité » dans le bâtiment :

Il est impensable de parler de la notion de qualité en architecture, son développement dans les

temps modernes, sans évoquer son lien avec l’industrie. Même si la notion de qualité en

architecture date en fait des premiers traités de l’architecture (on parle de qualité de

l’architecture plutôt de qualité architecturale), cette notion a connu un élargissement dans sa

signification après l’industrialisation de la construction. Par conséquent, nous supposons

qu’une lecture analytique de l’histoire de la qualité dans le domaine de l’industrie en parallèle

à l’histoire de la qualité en architecture pourra contribuer à atteindre nos objectifs.

3.2.1. Les leçons tirées de l’industrie de fabrication en série :

Sans remonter jusqu’à la préhistoire pour suivre l’évolution de la notion de qualité, il est

supposé que cette notion ait connu une vraie émergence à partir de la révolution industrielle93.

A partir de la fin du 18eme siècle, une époque caractérisée par le passage de la manufacture à la

grande industrie mécanique suite à l’invention de la machine à vapeur et le développement de

la métallurgie94, la recherche de qualité s’intéresse aux nouveaux mécanismes de la production

industrielle relative à la production en série et la réduction du coût. Ce nouveau mode de

production, qui s’appuie sur la fabrication en série, a permis de contrôler les délais ainsi que la

qualité d’exécution. Comme le Royaume–Uni est considéré comme le berceau de la révolution

92
Ibidem
93
Mispelblom-Beyer. F, « Au-delà de la qualité ». Syros, Paris, 1999
94
Froman. B, et al. « Qualité Sécurité Environnement – Construire un système de management intégré »,
AFNOR, Paris 2007, p72

62
industrielle95, c’est l’Exposition Universelle de 1851, qui s’est déroulée à Hyde Park à Londres,

qui fut démontrer la puissance de l’industrie et son apport dans le milieu architectural. Le

Crystal palace de Joseph Paxton (1801-1865), la bâtisse qui abritait cet évènement, était en elle-

même présentée comme un produit de la prouesse industrielle. La construction était fondée sur

un principe d’assemblage et un système structurel répétitif d’éléments préfabriqués en fonte,

fer et bois, dont le remplissage était en verre. Inspiré d’une grande serre, le point le plus haut

du bâtiment de 564m, qui correspondait aux plus hautes nefs, atteignait 39m. C’était quelque

chose de totalement inimaginable à l’époque, où régnait la construction en maçonnerie. Ce

bâtiment annonce le commencement d’une nouvelle ère de l’industrialisation du bâtiment, avec

l’émergence de nouveaux principes organisationnels de la production tirés de l’industrie de

fabrication.

C’est l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915) qui a donné un cadre

scientifique à cette nouvelle organisation du travail à la chaine en publiant sa brochure « The

principles of scientifique management » en 1911. Ces principes appelés « le taylorisme » ont

été repris comme une composante importante dans l’industrie automobile notamment par Henry

Ford.

Après la deuxième guerre mondiale, le taux des destructions causées par la guerre nécessitait

une nouvelle stratégie de reconstruction pour absorber la crise du logement. Avec le succès

qu’avait apporté l’industrialisation de la fabrication dans le domaine automobile, il était temps

d’impliquer à une plus grande échelle, l’industrialisation dans le domaine de la construction.

En parallèle, ce changement dans les procédés constructifs entrainait l’émergence de nouveaux

paradigmes et doctrines architecturaux liés à la standardisation et la rationalisation de la

95
Certains historiens contestent la validité scientifique de cette expression. Pour Werner Sombart (Le
Capitalisme moderne, 1902), la « révolution industrielle » est un phénomène ancien, qui commence en fait à
Florence au 14eme siècle avec l'émergence de la civilisation bourgeoise. Source Wikipédia

63
construction. Ces nouveaux principes, qui étaient liés beaucoup plus à l’industrie qu’à

l’architecture, ont poussé le mouvement moderne à l’invention d’une nouvelle qualité pour

l’architecture inspirée de celle de l’objet industriel96. Le contrôle de cette nouvelle qualité

s’intéressait beaucoup plus au processus de production que celui de la conception architecturale.

On parle de gestion de qualité qui consiste à mettre au point un standard d’une qualité pour

contrôler la chaine de production. Ce contrôle nécessitait une fixité et une pérennité de l’unité

de production97, ce qui consiste à fabriquer en usine le maximum d’éléments qui compose le

bâtiment. La fixité du lieu de production était l’élément clé de l’industrie de fabrication pour

faciliter les études relatives au processus de fabrication, et l’organisation de la répartition des

tâches.

3.2.2. Le management de qualité et le contrôle de la qualité de production :

Dans le domaine industriel, réduire le coût de la production et augmenter la rentabilité, tout en

assurant la qualité du produit, est devenu l’objectif ultime dans les années 40. Cette quête est

aboutie grâce à l’intégration des études statistiques en rapport avec la gestion et le contrôle de

la qualité de production. Il est à croire que la plupart des méthodes de management moderne

ont un lien avec l’organisation militaire américaine pendant la deuxième guerre mondiale 98.

Cette dernière s’est appuyée sur les travaux du Dr Edward Deming (1900-1993) pour la gestion

de la fabrication des minutions et d’autres produits stratégiques dans les Etas Unis. La méthode

d’Edward s’appuie elle-même sur les travaux du physicien statisticien américain Shewhart

Walter. A (1891-1967) qui concerne l’amélioration de la qualité des produits manufacturés de

96
Huet. B, « La modernité de Fernand Pouillon », in Bonillo. J. L (dir), « Fernand Pouillon, architecte
méditerranéen », éditions Imbernon, Marseille, 2001, p32
97
Chemillier. P, « L’époque de l’industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-1945 », texte de conférence,
Comité d’histoire du ministère, 2002, France
98
Terrin. J.J, « Théorie et management des organisations », C45-Initiation à la gestion de projet, Ecole
d’architecture de Versailles, Paris, 2008, p35. – Numilog- www.numilog.com/package/extraits_pdf/e264980.pdf

64
la « BELL Telephone laboratories » dans les années 20. Son approche qui reste d’actualité, se

base sur l’utilisation des mesures statistiques pour le contrôle de la chaine de production99. Des

leçons ont été tirées aussi de la littérature japonaise, notamment des travaux du professeur

Ishikawa, l’auteur de la méthode 5M (matières, moyen, matériel, main d’œuvre et le milieu),

qui consiste en un diagramme de causes et effets utilisé dans la gestion de la qualité.

Après la deuxième guerre mondiale, la naissance de l’organisation internationale de

standardisation ISO en 1947 coïncide avec la grande reconstruction en Europe. Les principes

qualitatifs en rapport à la standardisation et la normalisation trouvent leur écho dans le domaine

de la construction. Ainsi, la production massive du logement s’est appuyée sur les principes

industriels de la production en série, en nouant un nouveau lien avec la qualité de production

basée sur le standard et la répétitivité et en rompant avec la qualité conceptuelle et formelle.

L’une des conséquences de cette nouvelle qualité est l’émergence des grands ensembles, qui

semblent trois décennies plus tard, causer les problèmes socio-spatiaux des villes

européennes100.

3.2.3. Les démarches d’évaluation de la qualité, certifications et labels :

La révolution industrielle et la consommation de masse a engendré de nouvelles problématiques

relatives à la gestion de la qualité de la production. En plus des méthodes statistiques de

management de qualité pendant le processus de production, les outils d’évaluation de la qualité

émergent comme une solution qui permet de gérer la qualité d’un produit en confrontant les

différents points de vue et jugements des concepteurs et des consommateurs. Les démarches

d’évaluation de la qualité permettent en général de mesurer la qualité d’un produit, d’un

99
Merad. Y, « pour une meilleure qualité spatiale. Cas des espaces extérieurs dans l’habitat collectif à Biskra »,
thèse de doctorat, université de Biskra, 2017
100
Benevolo. L, « Histoire de l’architecture moderne », Dunod, Paris, 1980, p161-238, cité par Merad. Y, « pour
une meilleure qualité spatiale », op.cit. p42

65
processus ou d’un système par rapport à des dispositions établies. Mesurer la qualité signifie la

quantifier par des instruments de mesures techniques en se basant sur la définition des critères

d’évaluation et leurs pondérations. La difficulté de ces démarches réside généralement dans la

définition objective de ces critères d’évaluation.

Comme on l’a déjà vu précédemment, à partir du 20eme siècle et avec l’introduction de

l’industrialisation dans le domaine de la construction, la recherche de qualité en architecture

puisait dans l’héritage industriel. Ce dernier, doté d’un cadre théorique et pratique important,

constituait une base de référence pour le développement des démarches pour contrôler et

évaluer la qualité architecturale.

3.2.3.1. Les méthodes d’évaluation du bâtiment :

Aujourd’hui, les méthodes d’évaluation de la qualité dans le domaine du bâtiment sont

nombreuses. Le caractère multidimensionnel de l’architecture a participé amplement dans la

diversité de ces méthodes d’évaluation. Ces méthodes d’évaluation peuvent concerner l’aspect

technique du bâtiment (qualité de la construction) qui regroupe toutes les exigences de base que

ce soit étanchéité, durabilité des matériaux, isolation phonique, isolation thermique,

ventilation ; ainsi qu’un aspect socio-culturel qui concerne le niveau de vie et les exigences

sociales et culturelles. Ce caractère hybride et multidisciplinaire de l’architecture rend plus

complexe son évaluation qualitative.

3.2.3.1.1. POE : Post-occupancy evaluation :

En français c’est l’évaluation post-occupationnelle. Cette méthode tire ses origines des études

académiques de 1960 et 1970 sur la relation entre le comportement de l’homme et la conception

66
du logement101. Mais c’est qu’en 1980 que l’évaluation post occupationnelle est devenue une

discipline à part entière. Il existe plusieurs définitions du POE, Preiser la définit comme « un

outil diagnostique et un système qui permet aux gestionnaires des bâtiments à identifier et à

évaluer systématiquement les aspects essentiels de la performance des bâtiments »102. Selon

Vischer, elle est « toutes les activités qui ont pour origine des intérêts d’apprentissage dans le

bâtiment une fois construit et dans quelle mesure elle a répondu aux attentes »103. Alors que

pour le groupe de recherche RIBA (Royal Institute of British Architects), la POE est « une étude

systématique utilisée pour fournir aux architectes des informations concernant la performance

de la conception des bâtiments, ainsi que pour les maitres d’ouvrages et les utilisateurs, dictant

des lignes directrices pour atteindre le meilleur de ce qu’ils ont »104

La méthode POE se base sur le questionnaire, l’interview et les visites sur sites afin d’offrir une

qualité spatiale qui prend en considération les besoins des usagers105. Preiser a exploré trois

niveaux d’analyse dans son modèle d’application de la POE : indicative, d’investigation et

diagnostique106 (figure 3.1). L’analyse se fait en parallèle des étapes du cycle de vie de l’objet

concerné par l’analyse à savoir : la planification, la réalisation et l’utilisation. L’information

obtenue de cette analyse constitue une base de données de leçons renfermant les qualités et les

défauts des objets analysés.

101
Mazouz. S, Mezrag. H, « l’approche d’évaluation post occupationnelle : un outil diagnostique de la
performance du logement », Courier du savoir- n°15, mars 2013, p87-95
102
Preiser. W.F.E et al, Building evaluation. Basé sur le symposium « advances in building evaluation:
knowledge, methods and applications », 5-8 juillet 1988, université de Delft, Pays Bas, cite par par Mazouz.S,
Mezrag. H , « l’approche d’évaluation post occupationnelle », op.cit.
103
Vischer, “Post Occupancy Evaluation: A multifacetted tool for building improvement”. In learning from our
buildings: A state of the practice summary of postoccupancy evaluation (Federal Facilities Council), p23.
National Academy Press. 2001, p23, cite par Mazouz.S, « l’approche d’évaluation post occupationnelle », op.cit.
104
RIBA, “A research report for the architectural profession, in Duffy, F.W., ed.,
Architectural Knowledge: The idea of a profession”, E. & F.N. Spon, London, 1999, p191, cite par Mazouz.S,
Mezrag. H , « l’approche d’évaluation post occupationnelle », op.cit.
105
Federal Facilities Council, “Learning from our buildings”, report No. 145, National Academy Press,
Washington. 2001, p3, cite par Merad. Y, « pour une meilleure qualité spatiale », op.cit. p109
106
Merad. Y, ibidem, p109

67
Figure 3.1 : Critères de performances pour le modèle de la POE.
Source: Federal Facilities Council; 2001, p.12
Figure extraite de : Merad. Y, 2017, p110

Ces données seront partagées entre les acteurs pour qu’elles puissent être utilisées comme des

leçons pour les nouvelles expériences107. D’ailleurs c’est l’un des avantages de cette méthode

qui consiste à générer des informations importantes en rapport avec l’utilisation des bâtiments

par ses occupants afin d’éviter de reproduire les mêmes erreurs dans les nouveaux projets, et

par conséquent améliorer la qualité de ses derniers108.

Comme toutes les méthodes, la POE présente des limites qui sont dus en gros à la nature elle-

même de la méthode. L’une des limites est que l’efficacité de la méthode est basée sur la

participation forte des différents acteurs du bâtiment pour générer de l’information. Or, la

participation s’est avérée limitée. Ce rejet de la participation est dû à la vulgarisation de

l’information qui concerne les qualités comme les défauts des bâtiments analysés. Ce qui a

poussé les organisations et les professionnels d’éviter de participer dans de tels processus

107
Federal Facilities Council, “Learning from our buildings”, op.cit, p01
108
Mazouz.S, Mezrag. H, « l’approche d’évaluation post occupationnelle », op.cit.

68
d’évaluation qui peuvent exposer les problèmes et les défauts de leurs projets, ce qui revient à

la mauvaise publicité. En plus, les commentaires des occupants pourront obliger le maitre

d’ouvrage comme le maitre d’œuvre à faire des travaux supplémentaires qui couteront plus

d’argent.

3.2.3.1.2. La BPE (Building performance evaluation) et l’UDE (universal

design evaluation):

La BPE en français c’est l’évaluation des performances du bâtiment. Cette méthode s’inscrit

dans la continuité des recherches sur la POE. La BPE est considéré même comme l’évolution

de la POE. L’un des points forts de cette approche est la concentration sur les différentes

exigences variables dans le temps et leurs examens analytiques durant chaque phase du

processus109. Ce modèle s’intéresse à six phases majeures dans le cycle de vie du bâtiment,

alors que le POE représente qu’une de ses phases internes revues en boucle110. L’autre

nouveauté c’est la hiérarchisation des critères de performances en trois niveaux dans le modèle

BPE (niveau 1 : La santé, la sureté et la sécurité ; niveau 2 : la fonctionnalité, l’efficacité et le

flux de travail « work flow » ; le niveau 3 : la psychologie, le social, le culturel et

l’esthétique)111 (figure 3.2). Chaque niveau comprend en lui-même un système de catégories de

critères reformant d’autres sous objectifs mesurables et quantifiables.

109
Merad. Y, « pour une meilleure qualité spatiale », op.cit., p112
110
Preiser. W.F.E. “The habitability framework: A conceptual approach toward linking Human behavior and
physical Environment”, Design Studies, vol. 4, 2, April, 1983, cite par Merad. Y, « pour une meilleure qualité
spatiale », op.cit., p113
111
Ibidem

69
Figure 3.2 : Modèle du processus d’évaluation des performances des bâtiments BPE.
Source: Jay Yocis, University of Cincinnati cite in (PREISER; 1997, p.17)
Figure extraite de : Merad. Y, 2017, p113

Par rapport à la POE, le modèle BPE présente une évolution sur le plan économique (relative

au coût global du produit architectural) ainsi que professionnel (une circulation plus fluide de

l’information entre les différents acteurs). Ça n’empêche que le modèle présente des difficultés

pour une diffusion mondiale. Le modèle d’évaluation n’étant pas universel de par la différence

des critères d’évaluation en rapport aux systèmes socioculturels, économiques et politiques de

chaque pays. Cette différence complexifie davantage l’uniformisation des critères d’évaluation.

Le modèle UDE : the universal design evaluation conçu par the Center for Universal Design

(CUD) est développé pour cette raison d’universaliser l’évaluation. L’objectif de ce modèle

étant de produire un environnement utilisable par la majorité des peuples quelles que soient

70
leurs races, ethnies ou autres caractéristiques112. Ce modèle fonctionnel est une extension du

modèle BPE. Il fonctionne de la même manière, la seule différence est la définition du corpus

des critères d’évaluation universalisés113 (figure 3.3).

Figure 3.3 : Modèle du processus d’évaluation universelle du design (UDE) : critères d’évaluation
Source: Federal Facilities Council; 2001, p.20
Figure extraite de : Merad. Y, 2017, p115

3.2.3.2. Les méthodes d’évaluation du développement durable : labels

et certifications :

Depuis les années 90, les préoccupations environnementales et énergétiques sont intégrées dans

le management de la qualité. Ainsi dans le domaine industriel, on est passé de l’expression de

la qualité totale à la notion de management de la qualité totale et les systèmes de management

intégrés114. Ce passage au management de la qualité totale s’est accompagné de l’intégration

112
Mace, Hardie. G, and Place. J. “Accessible Environments: toward universal design”. In W.F.E. Preiser. J.C,
Vischer and E.T. White, (eds), “Design intervention: toward a more humane architecture”, Van Nostrand
Reinhold, New York, 1991, cite par Merad. Y, « pour une meilleure qualité spatiale », op.cit., p115
113
Merad. Y, « pour une meilleure qualité spatiale », op.cit., p115
114
Ibidem, p45

71
des normes et certifications en rapport avec les enjeux du développement durable. Ainsi, un

nombre important de normes et d’indicateurs de certifications sur les qualités des produits et

services incluant le développement durable ont été intégrés dans les normes ISO (ISO 9000 et

ISO 14000 pour le domaine d’architecture et d’urbanisme). Ces normes se sont multipliées à

travers le temps à tel point ou le professionnel, autant que l’utilisateur, à quelquefois du mal à

s’y retrouver115.

Cette course vers les bâtiments labélisés et certifiés durables a poussé les chercheurs à faire

évoluer les méthodes d’évaluation de la qualité vers les MEEDs : méthodes d’évaluation du

développement durable. Ça consiste à intégrer la philosophie du développement durable dans

l’évaluation qualitative du bâtiment. Une philosophie qui est apparue pendant les années 80,

suite à l’éclatement de la crise du pétrole en 1973, dont le concept est une tentative de concilier

les inquiétudes relatives à l’environnement et celles sociopolitiques liées aux enjeux du

développement humain116. Mais la vraie apparition de ce concept est due à la publication du

rapport « notre avenir à tous » de Brutland à l’occasion de la commission mondiale sur

l’environnement et le développement CMED.

Ces méthodes d’évaluation du développement durable tentent d’évaluer le cadre bâti comme

les systèmes qui le compose (quartier urbain et ville). Dans le domaine du bâtiment, les

méthodes d’évaluations sont baptisées les MEBDs : méthodes d’évaluation du bâtiment

durable. Le nombre est tellement important de ses méthodes à travers le monde qu’il est

impossible de les citer toutes. Cette multiplicité des méthodes d’évaluation, qui ne cesse

d’augmenter, est due d’une part à l’ampleur du marché financier des bâtiments « verts » :

115
https://www.lemoniteur.fr/articles/labels-et-certifications-environnementaux-33419818
116
Robinson, J. “Squaring the circle? Some thoughts on the idea of sustainable development. Ecological
Economics », volume 48, numéro 4, 2004, p. 369-384. Cité par Derghazarian. A, « Les méthodes d’évaluation
du bâtiment et du cadre bâti durable », mémoire de maîtrise en environnement, université de Sherbrooke, 2011,
p6

72
mondialement, la valeur de ce marché atteint au moins 60 milliards de dollars en 2010 117. Ces

méthodes d’évaluation sont devenues d’un caractère beaucoup plus commercial

qu’architectural. Ainsi, les outils les plus évolués dans l’évaluation des impacts

environnementaux globaux d’un produit ou d’une activité, qui se basent sur l’analyse du cycle

de vie ACV, sont utilisés par les entreprises manufacturières et industrielles des matériaux de

construction comme des arguments de vente en évoquant leurs caractères écologiques118. La

valeur du marché des produits de construction écologiques était estimée à 49 milliards de dollars

qu’aux Etats-Unis en 2008119.

Cette prise de conscience des utilisateurs, qui sont de plus en plus attirés par les bâtiments

certifiés et labélisés « durables » ou bâtiments « verts », a fait grimper les prix de ces derniers.

C’est devenu même une marque commerciale qui permet de labéliser un bâtiment suivant un

référentiel conçu par un organisme certificateur.

Parmi les certifications les plus connues : BOMA BEST (Building Environmental Standards);

BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method); CASBEE

(Comprehensive Assessment System for Built Environment Efficiency), HQE (Haute qualité

Environnementale), Green Globes / Green Globes Design Living Building Challenge (LBC);

Novoclimat, CSA – Programme d’aménagement forestier durable (AFD); LEED (Leadership

in Energy and Environmental Design); SBTOOL : (Sustainable Building Tool)120…etc.

En utilisant majoritairement des technologies et des matériaux couteux pour arriver à un

bâtiment labélisé “vert”, les logements pour la population la plus démunie, de par leur budget

limité, sont exclus automatiquement de ces processus d’amélioration de la qualité. La qualité

117
McGraw Hill Construction, Greening of Corporate America Smart Market Report, 2007, cité par
Derghazarian. A, « Les méthodes d’évaluation du bâtiment et du cadre bâti durable », op.cit., p7
118
Boeglin, N., Veuillet, D. « Introduction à l’Analyse de Cycle de Vie (ACV), Note de synthèse externe : mai
2005 ».ADEME, 2006, 13 p. cité par Derghazarian. A, ibidem
119
Green Building Alliance, “Green Building Products & Services Market Analysis for Pennsylvania and
Benchmark States”. Green Building Alliance, 2009, 53 p, cite par Derghazarian. A, ibidem
120
http://www.voirvert.ca/communaute/wiki/categories/Certification%20de%20b%C3%A2timents

73
dans ce sens est devenue un prestige accessible par une portion limitée de population, alors que

les plus défavorisés continuent d’être loger dans des logements dont les principes générateurs

sont hérités de la période industrielle des années 50.

3.3. L’objet architectural et sa problématique qualité :

Après cette brève exploration de l’évolution de la notion de qualité dans le bâtiment, on a pu

voir l’impact des leçons tirées de l’industrie de fabrication, pour augmenter le taux de

construction, sur la qualité architecturale. Ainsi, l’augmentation de la production en

construction a exigé l’évolution de la notion de qualité vers la gestion ou le management de

qualité du produit construit.

C’est une vision industrielle qui consiste à gérer la qualité d’un produit ou d’une activité par

des méthodes d’évaluation à l’aide des outils statistiques et de pondérations.

Sans chercher à simplifier les étapes de l’évolution de l’architecture depuis l’introduction de

l’industrialisation dans le domaine de la construction, le bâtiment s’est retrouvé réduit à un objet

industriel qui nécessitait l’invention d’une nouvelle qualité qui va avec la répétitivité et la

monotonie générées du principe de fabrication en série. Après la prise de conscience des années

60 sur l’impact de l’industrie sur le paysage architectural, et l’insuffisance des propositions du

mouvement moderne pour améliorer la qualité architecturale et urbaine liées à la production du

logement, des chercheurs ont proposé de quantifier la qualité à travers des indicateurs pour la

mesurer et enfin l’évaluer en prenant en considération les besoins des usagers (la méthode

d’évaluation post-occupationnelle). C’est la naissance même des méthodes d’évaluation de la

qualité, qui s’intéresse beaucoup plus au processus de production plutôt qu’à la question de la

conception architecturale. Ces méthodes d’évaluation sont des outils de gestion de la qualité

74
qui se basent sur des critères référentiels, dont certains sont des normes et standards ISO,

permettant de gérer la qualité des composants du bâtiment à l’image d’un objet industriel.

Malheureusement, l’intégration du développement durable dans les démarches qualitatives n’a

rien amélioré pour la population défavorisée. Le coût très élevé des technologies et matériaux

pour certifier un bâtiment « durable » a fait restreindre ce processus d’amélioration de la qualité

sur une catégorie limitée de bâtiment. Les logements sociaux sont exclus du processus à cause

de leur budget restreint.

Même si ces approches d’évaluation de la qualité permettent de gérer la qualité du produit et de

son processus de production, il est clair qu’elles sont confrontées à des limites en rapport avec

la nature de l’objet concerné par cette qualité (le logement). C’est pourquoi cette recherche

considère qu’un retour à la qualité du logement en tant qu’objet architectural semble

indispensable.

3.3.1. La qualité entre objet architectural et objet industriel :

Dans le cadre d’une recherche sur la question de la qualité architecturale des équipements et du

logement commandité par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) en France,

Philippe Dehan se voit chargé d’une recherche sur la question de la qualité avec Anne Debarre,

dont le thème est « qualité architecturale et innovation » qui fait partie du programme de

recherche « Programmer-concevoir » dirigé par Terrin. J.J et Valbrégue. D.

Cette présente recherche s’intéresse seulement aux travaux menés par Philippe Dehan. Sa

recherche se base sur une double approche. La première propose une réflexion globale sur

l’essence de la qualité architecturale construite autour du triptyque vitruvien (Solidité, Utilité

Beauté) et interroge la dimension artistique de la production. La seconde, un peu similaire à

75
celle de Stephane Hanrot121, consiste dans le recueil des facteurs participant dans la production

de qualité. La différence avec celle de Hanrot réside dans la décomposition fine des critères

pour l’évaluation de la qualité intrinsèque de l’objet architectural. L’objectif de cette approche

est de proposer un classement référentiel des critères de qualité permettant la construction d’un

argumentaire partagé de jugement.122

Dans notre étude, on s’est intéressé à la première approche qui s’interroge sur la nature de

l’objet concerné par cette qualité. Il aborde la qualité architecturale en distinguant la différence

entre l’objet industriel et l’objet architectural.

Pour Philippe Dehan, la qualité architecturale est comprise entre art et usage 123, à la différence

de l’objet industriel dont la qualité peut être maitrisée par des règles et des procédures type ISO

9001 et le management de la qualité, l’objet architectural fait sa problématique qualité par le

fait « qu’on ne peut limiter la réflexion sur la qualité à celle de ses processus de production »124.

Parce que au contraire de l’objet industriel où la gestion des différentes parties permet d’avoir

une gestion globale, le tout architectural ne signifie pas la somme de ses parties. Selon P. Dehan,

l’objet architectural se diffère de l’objet industriel par deux spécificités : comme art et comme

usage.

3.3.1.1. La qualité architecturale comme usage :

Comme usage, l’objet architectural est un « produit unique » qui se distingue du produit

industriel par trois points : « sa pluralité fonctionnelle, son ancrage foncier et sa durée de vie

qui dépasse plusieurs décennies voire plusieurs siècle »125. Selon le même auteur, la pluralité

121
La méthode MATEA
122
Dehan. P, « Pertinence d'une approche globale de la qualité architecturale dans l'optique de la construction
d'un jugement critique raisonné ». Thèse de doctorat. Université Paris-Est, 2016, p80
123
Dehan. P, « La qualité architecturale entre art et usage », dans « qualité architecturale acteur et enjeux », sous
la direction de Véronique Biau et François Lautier, Ramau, Cahier n5, Paris, 2009
124
Ibidem
125
Ibidem

76
fonctionnelle signifie que l’architecture n’a pas une fonction mais des usages qui se multiplient

et dépassent même le programme. Son ancrage foncier veut dire que l’objet architectural est

unique par son contexte et par son environnement naturel ou urbain dans lequel est ancré. Alors

que pour la durée de vie, elle dépasse celle de l’objet industriel du moment où l’objet industriel

a une durée de vie limitée dans le temps, les matériaux de l’objet seront après recyclés et non

pas l’objet lui-même. Contrairement en architecture, la durée de vie de l’objet dépasse

largement celle du programme. Le recyclage donc concerne l’espace architectural et non pas

les matériaux en l’adaptant à de nouveaux usages.

3.3.1.2. La qualité architecturale comme œuvre d’art :

Comme œuvre d’art, l’objet architectural constitue une problématique dans son évaluation

qualitative. Qui peut évaluer la valeur artistique de l’objet architectural ? La question est

complexe du fait que c’est une question de jugement qui diffère d’un sujet à un autre suivant

son identité et ses savoirs acquis. Philippe Dehan cite ce qu’a dit M. Segaud 126 concernant la

qualité de l’objet architectural ; que la qualité de ce dernier se distingue des autres arts par le

fait que le client ne cherche pas les qualités formelles et artistiques en priorité dans son édifice,

mais plutôt ses qualités d’usage et de durabilité, sa valeur d’art est la cerise sur le gâteau.

La qualité architecturale ne peut donc se traduire par une équation simple, dit P. Dehan, de ce

fait, il propose dans sa recherche de pousser sa réflexion sur la qualité architecturale en essayant

d’évoluer les termes de la triade Vitruvienne (firmitas, utilitas, venustas) vers : pérennité,

usages, formes. Pour lui, la qualité architecturale se situe à un point d’équilibre entre ces trois

Segaud. M, « Esquisse d’une sociologie du goût en architecture », thèse de doctorat d’état, université Paris-X,
126

Nanterre, 1988

77
parties, ne pas prendre en considération l’un de ses termes revient à diminuer la valeur

architecturale de l’objet en question.

3.3.2. La qualité « architecturale » ou la qualité de « l’architecture » :

Le mot « qualité », selon le Robert, est nait au 12eme siècle du latin « qualis » avec six acceptions

dont : 1- attribut, caractère, propriété ; 2- ce qui rend une chose, une personne, bonne, meilleure.

Il faut mentionner que la question de la qualité en architecture ne date pas d’aujourd’hui. Si

dans le début de ce chapitre, par la notion de « qualité » dans le bâtiment, on s’est focalisé sur

l’évolution de la question qualitative à partir de l’industrialisation du bâtiment, la « qualité de

l’architecture » quant à elle, date du premier traité en architecture. On effet les traités classiques

d’architecture à partir de Vitruve jusqu’à André Lurçat s’intéressent à la « qualité de

l’architecture » plutôt qu’à la « qualité architecturale ». La différence est que la première

renvoie à la définition de ce qu’est l’architecture, à décrire l’Architecture avec un grand A, alors

que la deuxième s’intéresse à ce qui bonifie l’architecture, la rendre « bonne », « meilleure »

voire « excellente »127.

Il nous a semblé indispensable de revenir aux définitions de la « qualité de l’architecture »,

c’est-à-dire revenir aux traités d’architecture qui s’intéressent à la qualité de l’objet

architectural, du moment que les dernières études sur la question de la « qualité architecturale »

semblent se focaliser beaucoup plus sur la gestion de la qualité du produit (processus de

production, qualité constructive) inspirée du modèle industriel. Même si ces approches

qualitatives ont permis de gérer la qualité architecturale à partir des processus liés à des normes

(ISO 9000, 9001) et des standards, ils restent insuffisants pour résoudre les problèmes

qualitatifs liés à la question formelle qui dépend directement de lithique et de la qualité du

concepteur128.

127
Dehan. P, « Pertinence d'une approche globale de la qualité architecturale dans l'optique de la construction
d'un jugement critique raisonné », op.cit., p90
128
Dehan. P, « qualité dans le champ des systèmes urbains », UR04, Oct 2002

78
3.3.2.1. La qualité de l’architecture selon la triade vitruvienne :

Marcos Vitruvius Polio (Vitruve) est considéré comme le premier à avoir établie la définition

ainsi que les règles de l’architecture. Sa théorie est condensée dans cette triade : firmitas

(solidité), utilitas (utilité), venustas (beauté). Vitruve explique ces trois termes en disant : « tous

ces édifices doivent être exécutés de manière que la solidité, l’utilité et la beauté s’y

rencontrent. Pour la solidité, on doit avoir principalement égard à ce que les fondements soient

creusés jusqu’au solide, et soient bâtis, sans rien épargner avec les meilleurs matériaux que

l’on peut choisir ; L’utilité veut que l’on dispose l’édifice si à propos, que rien n’empêche son

usage ; en sorte que chaque chose soit mise à sa place, et qu’elle ait tout ce qui lui est propre

et nécessaire ; et enfin, pour que la beauté soit accomplie dans un bâtiment, il faut que sa forme

soit agréable et élégante par la juste proportion de toutes ses parties.»129

Cette triade est restée fondamentale à travers le temps et a été repris par d’autres architectes,

bien que chacun des termes l'exprimant ait varié pour mettre l'accent sur d'autres aspects. On

pourra citer : l’architecte de la renaissance Leon Batista Alberti dans le 15eme siècle (necessitas,

commoditas, voluptas) ; François Blondel dans 17eme siècle (distribution, construction,

décoration) ; Jacques François Blondel dans 18eme siècle (commodité, solidité, agrément) ;

Hector Guimard dans la fin du 19eme et début du 20eme siècle (l’harmonie, la logique, le

sentiment) ; Pier Luigi Nervi dans le 20 eme siècle (fonction, structure, forme) ; Henri Ciriani

dans le 20eme siècle (présence, pertinence, permanence) ; Christian de Portzamparc dans la fin

du 20eme et le début du 21eme siècle (perception, production, représentation).

3.3.2.2. La qualité de l’architecture et la construction comme l’art de bâtir :

D’autres définitions de la « qualité de l’architecture » mettent en avant la relation entre

l’architecture et la construction comme l’art de bâtir. Par exemple Les définitions logiques

129
Vitruve, « Les dix livres d’architecture », circa -25 BC, trad. Claude Perrault 1673, Balland 1979, p34

79
comme celles du dictionnaire : « l’architecture est l’art de bâtir les édifices », ou celle de Louis

Kahn « l’architecture est une fabrication pensée d’espace »130. Il y a aussi les définitions

analogiques qui font appel à des métaphores comme celle d’Hugo « l’architecture est un livre

de pierre », celle d’Auguste Perret « l’architecte est un poète qui pense et parle en

construction », celle de Le Corbusier « la construction, c’est pour faire tenir ; l’architecture,

c’est pour émouvoir », ou celle de Schelling « l’architecture c’est la métaphore de la

construction »131.

Si ces définitions, qui sont les plus appréciées par les praticiens, tissent la relation de continuité

qui existe entre l’architecture et la construction comme l’art de bâtir, d’autres architectes

séparent formellement l’architecture de la construction132. Hormis la séparation d’ordre

sémantique entre architecture et construction133, cette séparation peut être le résultat de

l’évolution de la technique depuis l’introduction de l’industrialisation dans le bâtiment et sa

primauté sur l’architecture. On rappelle que l’industrialisation lourde du logement a rétrécie le

rôle de l’architecte à l’avantage de l’entreprise, ce fait a engendré des constructions sans

ambition autres que fonctionnelle. Fernand Pouillon, dans ce même contexte, a qualifiés les

grands ensembles des années cinquante de construction « Sordide »134. Pour ce dernier,

« théorie et pratique », qui sont « confondues dans la construction », sont un binôme à l’origine

de la définition de l’architecture135. Cette définition de Pouillon de l’architecture coïncide avec

celle d’Alberti : « j’appellerai architecte celui qui, avec une méthode sure et parfaite, sait

projeter rationnellement et réaliser pratiquement, à travers le report des charges et au moyen

130
Dehan. P, « Pertinence d'une approche globale de la qualité architecturale dans l'optique de la construction
d'un jugement critique raisonné », op.cit., p211
131
ibidem
132
Voir Simonnet. C, « l’architecture ou la fiction constructive », les Edition de la Passion, Paris, 2001
133
Selon Philippe Dehan, le mot « construction » a plusieurs acceptions, dont celle qui renvoie au terme
« bâtiment ». Cette acception renvoie à tout ce qui serait construit par des architectes, y compris des bâtiments ou
plutôt de simple « constructions » qui ne sont pas qualifiées d’architecture. C’est là où l’opposition entre
architecture est construction peut avoir lieu.
134
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », Edition du Seuil, 1968
135
Barazzetta. G, « exigence de la construction », in Bonillo. J. L, « Fernand Pouillon architecte
méditerranéen », Marseille, éditions Imbernon, 2001, p104

80
de la configuration des corps ». Mies van der Rohe retisse aussi ce lien entre architecture et

construction en disant « l’art de bâtir commence avec la réunion soigneuse de deux briques ».

Pour restituer l’importance de la construction comme « l’art de bâtir », il faut remonter à la fin

du 18eme et début du 19eme siècle où la construction est devenue un nouveau paradigme136 pour

décrire et comprendre l’architecture. Si la composition architecturale était considérée comme

le mécanisme qui permet, à travers l’assemblage ou la combinaison des parties, de fabriquer

l’unité137, autrement dit elle permet de concevoir un bâtiment, les tenants de l’architecture

gothique, quant à eux considéraient la construction comme le générateur de l’unité 138.

L’émergence de cette nouvelle compréhension de la conception de l’architecture est due en

partie aux découvertes archéologiques du 19eme siècle, ainsi qu’à la compréhension des modes

constructifs des monuments historiques139. Eugène Viollet-le-Duc (1814- 1879) est l’un des

architectes qui croyait en systèmes constructifs comme les générateurs de l’unité : « quoi qu’on

puisse dire et faire, c’est […] sur la structure, d’abord, qu’en architecture la loi d’unité

s’établit, qu’il s’agisse d’une cabane ou du Panthéon de Rome »140.

Par contre, cette idée de l’architecture comme résultat de la structure conduit inévitablement à

la problématique de l’imitation de la cabane comme l’origine de l’architecture. Véhiculée par

Vitruve dans son traité de l’architecture, l’idée de la cabane en bois comme l’origine de

l’architecture a été reprise par plusieurs architectes du 18eme et 19eme siècle, dont Marc Antoine

Laugier (1713- 1769) et Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy (1755- 1849)141. Ce

136
Lucan. J, « composition, non-composition ; Architecture et théories, XIX-XXe siècles », PPUR presses
polytechniques, Lausanne, 2009, p251
137
Lucan. J, ibidem, p234
138
Ibidem
139
Ibidem
140
Viollet-le-Duc. E, « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle », vol 9, Édition
BANCE — MOREL de 1854 à 1868, p340, cité par Lucan. J, « composition, non-composition », ibidem
141
Lucan. J, « composition, non-composition », op.cit., p234

81
dernier considérait les temples grecs comme une imitation de la cabane, et par conséquent la

charpente comme modèle à l’architecture grecque : « c’est incontestablement la charpente […]

qui a servi de modèle à l’architecture Grecque »142. Cette idée a été niée par Jean-Nicolas-

Louis Durand (1760- 1834) et Léonce Reynaud (1803- 1880)143. Ce dernier écrit en 1841 dans

« l’encyclopédie nouvelle » : « De ce que quelques-unes des formes du bois ont été transportées

à la pierre, on a voulu conclure que la construction en pierre avait imité la construction en bois

dans toutes ses parties, et qu’elle devait l’imiter à tout jamais. On a composé après coup une

cabane en bois calquée sur les temples de la Grèce, on a prétendu qu’elle avait dû servir de

modèle à ces temples […]. Ce qu’on a donné d’absolu à cette théorie de la cabane nous parait

complètement erroné »144. Julien Guadet (1834- 1908) a rejeté aussi cette théorie de la cabane

en affirmant : « Dites-vous donc bien que toutes les fantaisies qui font dériver les colonnades

antiques du souvenir des forêts, de la cabane en troncs d’arbres, etc., sont de pures

imaginations de poètes ou d’archéologues. La vérité est plus pratique et plus instructive. »145.

Pour affirmer ces propos, Guadet comme Viollet-le-Duc, chacun de son coté, ont eu recours

aux justifications de la présence des éléments qui composent le temple grec en rapport avec les

exigences de l’art de bâtir. C’est-à-dire qu’ils cherchaient à justifier la présence de chaque

élément en évoquant son rôle structurel, en considérant que c’est l’exigence structurelle qui a

dicté la présence et même la forme de chaque élément.

Auguste Choisy quant à lui donne une explication qui va d’un côté repousser la théorie de la

cabane et de l’autre côté, concilier la conception formelle et la conception structurelle. Dans sa

démonstration il choisit le temple dorique et affirme que la forme de ce dernier n’a pas été

dictée par la structure, mais plutôt l’harmonie entre structure et forme qui a donné le résultat

142
Quatremère de Quincy. A, « Encyclopédie méthodique », Architecture, p112, cité par Lucan. J,
« composition, non-composition », op.cit., p235
143
Lucan. J, « composition, non-composition », op.cit. p235
144
Reynaud. L, « Encyclopédie nouvelle », tome 3, 1841, p466, cité par Lucan. J, ibidem
145
Guadet. J, « Eléments et théorie de l’architecture » tome 1 livre 4, p318, cité par Lucan. J, ibidem

82
final : « à l’époque d’archaïsme l’ordre dorique se présente comme une forme construite et non

comme une combinaison de structure imprimant ses exigences à la forme »146. Il ajoute après

que « […] la forme a été le point de départ ; et la structure, loin de lui avoir imposé ses

exigences, ne s’est mise que lentement en harmonie avec elle : ce fut l’honneur du siècle de

Périclès de réaliser cette concordance, qui du reste ne lui survécut guère »147.

Cette nouvelle explication de Choisy suggère qu’un mode de construction ne peut pas à lui seul

produire une forme qui lui soit intrinsèque148 ; ce qui conduit à conclure qu’un mode de

construction ne peut pas constituer un système d’architecture tant qu’il n’y a pas un accord entre

forme et structure149. Mais si la forme est le point de départ dans l’architecture grecque, et la

structure la rattrape après, toujours selon Choisy, chez les romains « c’est le mode de

construction qu’est antécédent aux principes de composition »150. Et c’est le développement de

système de construction des voutes maçonnées qui a permis ce « changement dans la manière

de concevoir le plan d’un édifice »151. La grande salle voutée de la basilique de Maxence (figure

3.4), et la voute gigantesque semi-sphérique du Panthéon (figure 3.5) démontrent très bien ce

point de vue. Selon Choisy, les deux voutes sont des voutes concrètes qui constituent des

monolithes artificiels152. En théorie, on peut concevoir une voute monolithe sans des culées qui

la maintienne, c’est le cas d’un arc de métal, qui se maintient à travers les jeux de forces

élastiques qui se développent dans sa masse en créant un équilibre entre les efforts de

compression et celles d’extension153. Mais cet équilibre n’existe pas dans la maçonnerie de

brique. C’est pour cette raison que les efforts de compression de la brique sont contrés par des

146
Choisy. A, « Histoire de l’architecture », Paris, 1899, p303, cité par Lucan. J, « composition, non-
composition », op.cit. p241
147
Choisy. A, « Histoire de l’architecture », op.cit., p304, cité par Lucan. J, ibidem
148
Lucan. J, ibidem
149
Ibidem
150
Ibidem, p247
151
ibidem
152
Choisy. A, « Histoire de l’architecture », op.cit., p528
153
ibidem

83
éperons de serrage qui brident la voute154. Ils ont l’aspect de nos contreforts, mais ne font jamais

saillie sur les parois d’enceinte155. Plutôt seront sous forme de voute en berceau en abritant un

espace qui sera utilisé et prévu dans la conception de l’édifice 156. Cette exigence constructive a

obligé les romains à changer la configuration spatiale de l’édifice en regroupant les salles, qui

sont abritées par de voutes en berceau, pour contrer les poussées de la voute.

Figure 3.4 : la basilique de « Maxence » Figure 3.5 : la voute du Panthéon


Source : Extraite de Choisy. A, « Histoire Source : Extraite de Choisy. A, « Histoire
d’architecture », p528 d’architecture », p529

Jusqu’au XVe siècle, le plan était le seul document jugé indispensable pour faire construire un

édifice. Il n’existait pas de documents qui prévoyaient l’apparence des bâtiments à priori de

leur construction. Les maîtres bâtisseurs élaboraient « l’image » du bâtiment directement sur le

chantier. La séparation entre le moment de la conception et le moment de la réalisation d’un

bâtiment apparait à la renaissance.

154
ibidem
155
ibidem
156
Ibidem, p529

84
Cette rupture entre conception et construction se suit par une séparation entre le rôle de

l’architecte et de l’ingénieur. L’architecte est devenu responsable seulement de la partie projet

alors que l’ingénieur s’occupe de la partie constructive.

Cette invention du projet permet à l’architecture d’acquérir une autonomie par rapport à la

construction. Dorénavant, les notions architecturales comme la proportion et le style, qui

trouvaient leurs justifications directement dans la construction, sont justifiées dans les tracés

géométriques, dans le dessin loin du terrain. Et c’est l’ingénieur qui s’occupe de la traduction

de ses dessins ou plus précisément du projet en construction réelle.

Ce déphasage entre les deux processus a rétréci le rôle de l’architecte envers l’ouvrage. Et la

notion de maitre d’œuvre perd de sa signification essentielle, vu que l’architecte ne produit plus

des bâtiments comme les maitres bâtisseurs du moyen Age, mais des projets.

Du coup, les connaissances de l’architecte se limitent à la notion du dessin et du projet. Et avec

l’évolution des techniques constructives et leurs industrialisations, les connaissances techniques

de l’architecte deviennent de plus en plus élémentaires. Du coup, il perd de sa capacité à gérer

tout le processus de conception. Delors, il devient beaucoup plus projeteur – en faisant le projet-

que bâtisseur. Ce nouveau rôle de l’architecte a eu des répercussions sur la qualité

architecturale, du moment où l’architecte n’est plus capable de prévoir en construction réelle

ce qu’il est entrain de dessiner. Plutôt se contenter de l’usage instrumental du dessin qui prévoit

seulement la forme, en laissant le soin de la construction à l’ingénieur.

3.3.2.3. André Lurçat : La qualité et la composition architecturale :

André Lurçat (1894-1790), architecte moderne et fondateur des CIAM, a rédigé l’un des

derniers traités classiques de l’architecture : « Formes, composition et lois d’harmonie :

Eléments d’une science de l’esthétique architecturale ». Il pensait que les progrès les plus

85
importants et fructueux sont plutôt à enregistrer dans le domaine de la technique que celui de

l’esthétique157. Pour y remédier à cet état de fait, il propose de renouer avec la tradition, dont le

rôle a été déformé par l’académisme, pour retrouver les connaissances techniques et esthétiques

régissant « la beauté, ou pour être plus exact, le sentiment d’harmonie », dont témoignent les

monuments d’époque158. Dans son traité il confirme l’importance des connaissances techniques

et esthétique dans la création et l’ordonnance des formes159. Ces connaissances couvrent le

savoir constructif comme « la connaissance des propriétés […] géométriques et esthétiques des

formes »160.

Lurçat annonce les techniques que l’architecte doit posséder pour assurer « la qualité de

l’architecture », ou selon l’auteur « les lois qui régissent l’art de l’architecture » : « l’architecte

doit posséder deux techniques : l’une essentiellement constructive […] l’autre ayant […]

comme objet de permettre la résolution des problèmes esthétiques »161. Pour éclaircir cette

deuxième technique relative aux problèmes esthétique, Lurçat met l’accent sur la différence

entre l’architecte et l’ingénieur dans la résolution des problèmes d’un programme constructif.

A l’encontre de l’ingénieur qui est confronté qu’aux problèmes techniques constructifs,

l’architecte doit « en une action simultanée, […] obtenir une réponse à la fois juste et efficace »

au « programme constructif » qui comporte des exigences d’ordre « utilitaire, fonctionnel,

artistique et idéologique »162. Autrement dit, la « technique esthétique » selon Lurçat relève de

l’utilité, de la fonctionnalité et des exigences artistique et idéologique du programme. Dans

cette même optique, Lurçat propose de donner les clés de cette « techniques esthétique » en

157
Lurçat. A, « Formes, composition et lois d’harmonie, Eléments d’une science de l’esthétique architecturale »,
Vincent, Fréal et Cie, Paris, 1955, p318, cité par Dehan. P, « Pertinence d'une approche globale de la qualité
architecturale dans l'optique de la construction d'un jugement critique raisonné », op.cit., p136
158
ibidem
159
Ibidem, p 137
160
Ibidem
161
Ibidem
162
Lurçat. A, op.cit., p319, cité par Dehan. P, ibidem

86
explorant « les lois qui régissent la composition architecturale »163. Mais ces lois ne sont pas

constantes à travers les époques, confirmait Lurçat. Pour chacune des règles, il faut « sans cesse

procéder à une révision de la qualité de chacune d’elle pour en reconnaitre la constance de la

valeur ou au contraire le caractère changeant »164.

Peut-être que le fait de l’intérêt que portent les dernières études qualitatives au processus de

production, pour améliorer la qualité du bâti, est dû à la mystérieuse boite noire qui rend le

processus de conception architecturale beaucoup plus subjectif qu’objectif. Mais ça n’empêche

pas que des études ont tenté d’explorer les facteurs constitutifs de la qualité architecturale,

notamment les recherches des Anglo-Saxons comme celle de Christian Norberg Schulz (1926-

2000)165 et Christopher Alexander sur le « design criteria » ou « critères de conception »166.

Lurçat, quant à lui, a tenté de faire reculer cette boite noire en explorant l’art de la composition :

« bien que le talent de l’architecte ait dans le processus de création une part importante, on

peut affirmer que l’art de composer n’est pas uniquement le fait de cette « mystérieuse »

manifestation qu’est le don de créer »167. De ce fait, il propose de réviser la somme des

connaissances et des valeurs acquises, et d’en extraire ce qui peut être utilisable. Il tisse ainsi

le lien qui existe entre le programme et les modes de compositions que l’architecte doit adopter

après l’étude de ce dernier : « une composition fermée en plan, ramassée sur elle-même, répond

plus directement à l’idée de monumental qu’une composition ouverte s’étendant librement dans

l’espace qui, elle, est plus conforme à une conception utilitaire ou décorative »168.

163
ibidem
164
Lurçat. A, op.cit., p321, cité par Dehan. P, op.cit., p 138
165
Dehan. P pense que les critères de conception de Christian Norberg Schulz, développés dans son livre
« Genius Loci », sont d’une portée générale qui reste souvent à un niveau philosophique, et ne permettant pas
une application immédiate
166
Dehan. P, « qualité architecturale et innovation », 1999, p1-2
167
Lurçat. A, op.cit., tome 4, p13, cité par Dehan. P, op.cit., p 141
168
Lurçat. A, op.cit., tome 4, p55, cité par Dehan. P, op.cit., p 142

87
Conclusion :

Loin de chercher à tracer exhaustivement l’évolution de la notion qualité à travers l’histoire, ce

chapitre visait l’évolution, ou plus précisément, le changement d’intérêt dans la question

qualitative et son lien avec l’industrie. Ainsi, le chapitre a été devisé en deux parties : une

première tentait de retracer l’évolution de la notion de qualité à partir de la révolution

industrielle afin de retrouver les leçons tirées de l’industrie de fabrication. Alors que la

deuxième partie questionnait la qualité auprès des traités classiques de l’architecture (tel que

les dix livres d’architecture de Vitruve) afin d’établir un lien entre qualité architecturale,

composition architecturale et la construction comme l’art de bâtir.

Il s’est avéré qu’évidemment, les leçons tirées de l’industrie de fabrication ont fortement

participé dans le changement d’intérêt dans la question qualitative du logement.

L’industrialisation lourde des procédés de construction et la réorganisation du processus de

production à l’image de la fabrication en série, ont exigé l’établissement d’un nouveau support

théorique, dont les grandes lignes ont été définies dans la charte d’Athènes du 4eme CIAM

1933. Ainsi, de nouveaux paradigmes et doctrines architecturaux liés à la standardisation et la

rationalisation de la construction ont été émergés et nécessitaient l’invention d’une nouvelle

qualité pour faire passer l’architecture vers le système industriel169.

Ce changement s’est poursuivi par l’émergence du management de qualité à partir des années

40, dû en grande partie à la naissance de l’organisation internationale de standardisation ISO

en 1947, en nouant un nouveau lien avec la qualité de production, basée sur le standard et la

répétitivité, et en rompant avec la qualité conceptuelle et formelle. En plus des méthodes

statistiques de management de la qualité pendant le processus de production, les outils

d’évaluation de la qualité ont émergé à partir des années 70 comme une solution qui permet de

169
Huet. B, « La modernité de Fernand Pouillon », in Bonillo. J. L (dir), « Fernand Pouillon, architecte
méditerranéen », éditions Imbernon, Marseille, 2001, p32

88
gérer la qualité d’un produit en confrontant les différents points de vue et jugements des

concepteurs et des consommateurs.

A partir des limites que représentent ces approches de mesures dans le domaine architectural,

qui se focalisaient beaucoup plus sur la gestion de la qualité du produit (processus de

production, qualité constructive) inspirée du modèle industriel, il était indispensable de revenir

aux définitions de la « qualité de l’architecture », c’est-à-dire revenir aux traités d’architecture

qui s’intéressent à la qualité de l’objet architectural. Ainsi un lien s’est établi entre qualité

architecturale, qualité de l’architecture, composition architecturale et la construction comme

l’art de bâtir.

Si cette première partie de la recherche, à travers ses trois chapitres, nous a permis de cerner la

problématique du changement d’intérêt dans la question qualitative du logement à partir de son

industrialisation lourde, où le logement est devenu un objet industriel beaucoup plus qu’un objet

architectural, la deuxième partie quant à elle, va nous permettre de découvrir la nouvelle vision

qu’avait Fernand Pouillon dans les années cinquante pour l’architecture du logement social.

89
Partie II :
Fernand Pouillon, une nouvelle
vision pour un nouveau regard
sur la qualité architecturale

90
Chapitre 4 : la vision de Fernand
Pouillon

Introduction

4.1. Pouillon dans son époque


4.1.1. Fernand Pouillon, un début de carrière plutôt mouvementé
4.1.1.1. Un jeune architecte avec de grandes ambitions
4.1.1.2. Pouillon enfin prêt pour la grande époque de la construction
4.1.2. L’après-guerre et la reconstruction en France
4.1.2.1. La création du MRU 1944
4.1.2.2. Les projets phares de la reconstruction
4.1.2.2.1. Le pittoresque d’Ammerschwihr et Gustave Stoskopf
4.1.2.2.2. Maubeuge et André Lurçat, des principes modernes révisés
4.1.2.2.3. Havre et Auguste Perret, le choix de la modernité
4.1.2.2.4. La reconstruction d’Orléans et Pol Abraham, un chantier
expérimental
4.1.2.2.5. Saint-Dié et Le Corbusier, une modernité rejetée
4.1.2.2.6. L’Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier, la recherche
d’une dualité entre architecture et urbanisme
4.1.2.2.7. Le concours de Strasbourg, Eugene Beaudouin
4.2. L’architecture de Pouillon, une affirmation d’une nouvelle vision
4.2.1. Son enseignement.
4.2.1.1. Parcours académique
4.2.1.2. Parcours professionnel
4.2.1.2.1. Eugene Beaudouin
4.2.1.2.2. Auguste Perret
4.2.2. Premières opérations de logement : Première application de sa nouvelle vision
4.2.2.1. La reconstruction du vieux port de Marseille
4.2.2.2. Les deux cent logements d’Aix en Provence

Conclusion

91
Introduction :

Fernand Pouillon (1912-1986), est née dans une époque très mouvementé. L’architecture passa

à cette époque par une période de transition, entre traditionalisme et aspiration moderne 170. La

destruction causée par la première guerre mondiale joua un grand rôle dans cette phase de

transition dont témoigna la France. L’ampleur des travaux de reconstruction l’entre-deux-

guerres ainsi que la croissance urbaine entre 1921-1931 poussa à l’extension des villes, suivies

par un changement économique et social. Cette situation incita les hommes de l’art de cette

période à la création du mouvement des architectes moderne en France, afin de maitriser la

planification des extensions des villes ainsi que la reconstruction des régions dévastées.171

4.1. Pouillon dans son époque :

4.1.1. Fernand Pouillon, un début de carrière plutôt mouvementé :

Si la période de l’entre-deux-guerres témoigne de la naissance du mouvement des architectes

modernes, l’empreinte de Fernand Pouillon est plutôt restreinte due à son âge à l’époque. Il

faudra attendre jusqu’après la deuxième guerre mondiale pour voir la participation de Pouillon

à l’échelle des problématiques architecturales et urbaines de son époque.

4.1.1.1. Un jeune architecte avec de grandes ambitions :

Né en 1912, à 24 ans il construit son premier immeuble à Aix-en-Provence sans même avoir le

diplôme d’architecte. Un début de carrière, qui coïncide avec le début de la deuxième guerre

170
Fares, K. « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) : De la construction légère et démontable
à la construction lourde et architecturale ». Thèse de doctorat, école doctorale Abbe Grégoire, CNAM, 2012,
p164
171
Ibidem, p165

92
mondiale en 1939, l’a empêché d’exercer pleinement son métier d’architecte. Devenu un

vendeur de meuble et des objets d’art pour faire vivre sa famille, il décida de terminer ses études

d’architecture en ayant son diplôme d’architecte qu’en 1942. C’est ainsi qu’il a connu Eugène

Beaudouin (1898-1983), président du jury des diplômes à l’époque, un grand architecte et

urbaniste à Marseille, où Pouillon travailla pour la ville sous ses ordres jusqu’à 1944.

En quittant Marseille en 1944 sous peine d’être arrêté par les Allemands, il retourna après pour

avoir son premier contrat avec les américains, pour l’aménagement des bureaux de la Delta

base section (immeuble des Dame de France, 40, rue Saint-Férréol). Cette première aventure

va l’initié à un nouvel aspect du milieu de la construction ; c’est le pilotage des travaux comme

étant le premier responsable de tout le chantier. En plus du côté architectural, il va s’occupait

sur tout de la rapidité de l’exécution, le respect du délai et faire face aux contraintes et imprévus

du chantier. Cette première commande va augmenter sa confiance en lui-même et permettre de

révéler d’autres aspects de sa personnalité qui vont être décisifs dans ses réalisations futures.

Dès son début de carrière, il a compris que pour maitriser le coût ainsi que les délais d’un projet,

il faut avoir le contrôle de la chaine de production, en étant le premier décideur, et celui qui

choisit les matériaux ainsi que les procédés de construction adaptés, en ayant bien sur un

minimum de connaissances techniques en ingénierie. C’est dans son premier projet en tant

qu’associer à René Egger (1916-2016) qui va mettre en œuvre cette notion du contrôle total du

projet. Il s’agit des camps de rapatriement des prisonniers de la guerre, Grand Arénas-Saint

pierre, une commande du ministère des prisonniers qu’Egger a pu avoir. Ce projet était

particulier de par son budget très serré, l’urgence de la commande, ainsi que la rareté des

matériaux de construction, indispensable pour ce genre de baraquements, raflés par les

allemands pour leur usage à l’époque.

Sans le génie de Pouillon ainsi que sa volonté, ce projet n’aurait jamais eu lieu. En employant

des fusées-céramiques, matériau inventé par l’architecte marseillais Jacques Couelle (1902-

93
1996), récupérées de la Delta force section (matériau de construction totalement gratuit),

Pouillon a pu construire ces camps de rapatriement des prisonniers en respectant le budget ainsi

que les délais encore une fois.

Photo 4.1 : le-camp-grand-arénas-de-Marseille


Source : http://www.tourisme-marseille.com

Soucieux du coût et le respect des délais, il ne s’arrête pas à chercher de nouvelles alternatives

pour réduire davantage les coûts de réalisation, ainsi que les délais de construction. Cette qualité

va lui permettre d’avancer et de grimper les échelons plus vite que la normale. Mais avec le

recul, il déclare dans ses mémoires, qu’il a compris que construire moins cher et plus rapide

que les autres n’est pas suffisant. En voyant ses deux premières réalisations, l’aménagement du

Delta Base section et la construction des camps de rapatriement des prisonniers, il a réalisé qu’il

manque un troisième caractère essentiel pour la vie des hommes, c’est la qualité de l’espace à

vivre. C’est seulement à partir des réalisations qui suivront, qu’on va reconnaitre la réelle

empreinte de l’architecte par rapport aux problématiques architecturales de son époque.

94
4.1.1.2. Pouillon enfin prêt pour la grande époque de la construction

Après le projet des camps des prisonniers, Pouillon s’est attaqué à plusieurs opérations qui

l’initient davantage à la grande époque de la reconstruction en France ; on peut citer le stade

municipal d’Aix, la construction de l’usine Nestlé, la faculté de lettres et de Droit à Aix, le

building des nouvelles Galeries et le bâtiment de la Santé maritime.

Ces expériences lui ont permis de penser l’organisation des chantiers pour la rendre encore plus

rationnelle et plus efficace, mais aussi de révéler sa vision architecturale et urbaine. L’usine

Nestlé (photo 4.2) constitue un cas unique dans son genre, où Pouillon fait l’impensable pour

obtenir la commande. Grace à son expérience chez Beaudouin, Il a pu dévier le chemin de

l’autoroute pour libérer le terrain de l’usine, en faisant tout une étude, et en proposant une

solution et un plan d’aménagement meilleur que celui établi par l’administration des Ponts et

des chaussées. Il dit dans ses mémoires à propos de ça : « je connaissais le tracé de cette route

pour l’avoir souvent examiné chez Beaudouin. La vie est une chaine : le maillon en question

avait trois ans d’âge, et s’était forgé du temps de l’occupation où je me mêlais d’urbanisme. Je

savais qu’un tracé d’autoroute commence par un trait de fusain, et qu’il se termine par de

minutieux dessins mais, bien souvent le fusain influence le projet définitif »172. Ce nouveau tracé

proposé par Pouillon a permis non seulement de récupérer le terrain pour l’usine Nestlé (une

récupération entre 50 et 100 millions de francs pour l’usine, une somme considérable en 1947),

mais d’économiser plus de 50 millions de francs à l’Etat en frais de remblais et de maisons à

démolir.

C’était le premier grand ensemble projeté par Pouillon, une occasion de faire une architecture

monumentale en béton brut, en utilisant le nouveau procédé du béton précontraint, développé

par l’ingénieur français Eugène Freyssinet (1879-1962)173. Pouillon décrit l’architecture de

172
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », Edition du Seuil, 1968, p66
173
L’étude du système structurel qui a duré un an s’est avéré trop onéreuse, le projet passa par la suite au BET
marseillais Laupies qui opta pour une structure classique en béton armé. Cité par Bédarida. M, « Carnets
d’architecte Fernand Pouillon », Edition du Patrimoine, paris, 2012, p121

95
l’usine en disant : « Pour la première fois, je pouvais projeter un grand ensemble pour des

clients fastueux, élégants comme le sont les suisses dans leurs réalisations : une véritable usine

de verdure implantée au milieu des jardins, cernée par de larges avenues bordées d’arbres

centenaires et de végétations récentes »174.

Photo 4.2 : Usine Sopad-Nestlé de saint-Menet à Marseille, 1947-1953


Source : l’archive de « l’association des pierres sauvages de Belcastel - Fernand Pouillon »

Apres l’usine de Nestlé, le projet de la faculté des lettres et de Droit d’Aix, lancé en 1940 sous

la direction des architectes Sardou et Boet, repris par Pouillon et son associer Egger après la

mort de Boet, est une autre expérience dans laquelle Pouillon économise à l’Etat des sommes

importantes tout en proposant une architecture de qualité : « j’étais certain à présent que

174
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p68

96
chaque fois que je travaillerais pour l’Etat, je lui épargnerais des sommes bien supérieures au

montant de mes honoraires, car je connaissais mon métier, comme celui de l’entreprise »175.

Avec ces expériences, Pouillon s’orientait de plus en plus vers une construction économique et

rapide, en repensant à chaque fois l’organisation du chantier pour la rendre plus rationnelle. En

plus du coût et du délai, il s’est intéressé à la qualité des espaces à vivre, c’est une triade qui va

caractériser l’architecture de Fernand Pouillon : « j’avais à résoudre trois problèmes : les prix,

les délais, le confort. Je sentais venir la grande époque de la construction. Je me tenais

prêt »176.

Mais jusqu’à maintenant, il n’a pas eu l’occasion d’appliquer ses méthodes et son organisation

dans la construction du logement. Il s’enrageait de ne pas pouvoir construire du logement dans

une France en ruine, qui offrait un champ d’expériences inépuisable.

4.1.2. L’après-guerre et la reconstruction en France :

L’immédiat d’après-guerre représente l’origine et la source de la plupart des problématiques

architecturales et urbaines des temps modernes. La reconstruction offrait aux architectes

théoriciens de l’époque une opportunité d’expérimenter leurs théories pour la reconstruction

des villes modernes. Le discours de la table rase du passé était la devise de la plupart des

politiciens, architectes et urbanistes modernistes pour appuyer leurs visions d’une France

moderne.

4.1.2.1. La création du MRU 1944 :

C’est la première fois en France qu’un ministère soit créé exclusivement pour le bâtiment, ce

qui affirme encore une fois l’importance qu’attachait le gouvernement provisoire de la

république française de Vichy à la reconstruction d’après-guerre. Le MRU est conçu comme

175
Ibidem, p78
176
Ibidem, p79

97
un instrument qui permet à l’Etat de contrôler le domaine de la construction et intervenir

directement sur la reconstruction des villes en ruine. La création de l’ordre des architectes en

30 décembre 1940 peut s’inscrire dans cette lignée du contrôle et la maitrise du gouvernement

de Vichy de tous ce qui touche à la construction.

Raul Dautry était le premier ministre de ce ministère ; réputé rapide et efficace de par l’intérêt

qu’a porté à la question sociale, et son rapport à l’habitat et l’aménagement urbain pendant

l’entre-deux-guerres177. Des remaniements dans ce ministère interviendront au gré des

changements politiques, une dizaine de ministres succédèrent Raul Dautry : François Billoux

1946, René Coty (1947-1948), Eugène Claudius-Petit (1948-1952), Pierre Courant (1952-

1953)178. Le MRU continua d’orienter la politique technique de reconstruction et

d’aménagement des villes jusqu’à la fin des années soixante ; il était organisé en plusieurs

directions : la direction du déminage ; la direction du planning de la reconstruction ; la direction

générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction ; la direction générale des travaux179.

Le MRU encourageait dans les projets de reconstruction l’utilisation des techniques

constructives nouvelles. Il reprend ainsi les études théoriques et pratiques de l’AFNOR

(l’association française de normalisation) et celles des laboratoires de recherche du COBTP

(comité d’organisation du bâtiment et des travaux publics) sur la normalisation et la typification

(choix du meilleur type parmi plusieurs éléments normalisés)180. Le but de cette normalisation

est d’élaborer un guide d’industrialisation du bâtiment pour les entrepreneurs et les maitres

d’œuvre, afin d’assurer la continuité de la chaine de production qu’exige le processus

d’industrialisation.

177
Fares, K. « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p200
178
Ibidem, p201
179
Ibidem
180
Ibidem p203

98
Orléans était l’un des premiers chantiers de l’après-guerre où se concrétisait la vision du MRU

sur le plan technologique (procédés constructifs), social, ainsi qu’architectural et urbanistique.

Cette vision s’appliquait à l’identique dans toutes les communes françaises grâce à une politique

de reconstruction et d’aménagement planifiée. Mais cette planification n’empêchait en rien la

diversité d’interprétation selon les personnes, les lieux et les circonstances181. C’était une sorte

de doctrine éclectique qui a été annoncé par le ministre Raoul Dautry182, qui représentera dans

son universalité l’esprit, la science et l’art français, comme le souligne judicieusement Rémi

Baudoui : « Le risque est grand de voir les régions restaurées s'offrir aux regards comme une

exposition d'architecture où se côtoient les styles les plus opposés. Et si, pour remédier à cet

état de choses, on confie à un seul architecte de grande renommée le soin d'unifier les projets,

la reconstruction apparaîtra comme une illustration des théories d'une école, elle ne

représentera pas dans son universalité l'esprit, la science et I’ art français. Elle ne sera pas la

synthèse de la France et de la Libération. Pour échapper à ces deux tendances extrêmes, j'ai

pensé qu'il m'appartenait de m’entourer de quelques-uns des hommes représentant les grands

courants de la pensée architecturale et constructive française, et de leur confier la double

mission, d'une part, de conseiller, lorsqu'il y a lieu, les architectes du ministère, les faisant

profiter de leur expérience et les regroupant selon les affinités d’école, d'autre part,

d'harmoniser par leur travail en équipe les différentes tendances qui doivent se manifester dans

un pays de démocratie souveraine…»183.

Eugene Claudius-Petit, délégué à l’assemblée consultative, et future ministre de la

reconstruction et de l’urbanisme, affirme les mêmes propos de Dautry, en évitant la

181
Ibidem, p205
182
Lucan .J, « Architecture en France 1940-2000 », Moniteur, Paris, 2001, p37
183
Procès-verbal de la 7ème réunion des commissaires aux travaux, directeurs et chef de service, 19 février
1945, cité par Baudoui. R, « Raoul Dautry 1880-1951. Le technocrate de la Réplique », Edition Balland, 1992,
p305.

99
reconstruction, « comme en 1918, des mêmes petites maisons le long des mêmes petites rues, et

la réédification, au XXe siècle, des villes des XVIIe et XVIIIe siècles »184.

En 1950, Claudio-Petit renforce la politique qualitative de son ministère par la création d’un

corps « d’architecte conseil de l’équipement »185. Ce sont des professionnels qui exercent en

dehors de leur département d’affectation, « liée notamment à la commande publique, à des

opérations d’aménagement et de logements, ce avec une exigence de qualité architecturale »186.

Ils avaient même le droit de redessiner les projets qui leur sont soumis pour évaluation. Ils

participaient à la mise en œuvre des politiques de l’Etat, et prenaient position contre les

politiques officielles, comme celle contre les plans type de 1950 et la politiques des modèles de

1968187.

4.1.2.2. Les projets phares de la reconstruction :

La politique du MRU a engendré une diversité importante dans les projets de reconstruction.

La doctrine éclectique annoncée par cette politique de reconstruction188 a permis une multitude

d’interprétations des principes de la reconstruction suivant le contexte, ainsi que les prises de

positions des maitres d’œuvre quant à l’architecture moderne. Dès lors, des projets phares

peuvent être distingués de par la différence de leurs principes.

4.1.2.2.1. Le pittoresque d’Ammerschwihr et Gustave Stoskopf :

Ce qui distingue le projet de reconstruction du village d’Ammerschwihr, est qu’il a été réalisé

selon les attentes des sinistrés. Ces derniers refusaient une reconstruction suivant les principes

184
Fares, K. « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p209
185
Dehan. P, « Pertinence d'une approche globale de la qualité architecturale dans l'optique de la construction
d'un jugement critique raisonné ». Thèse de doctorat. Université Paris-Est, 2016, p74
186
Les architectes conseils de l’équipement 1950-2000, le sens d’une mission », http://www.architectesconseils.
fr/sites/default/files/publications/036_lesensdunemission.pdf, p50, cité par Dehan, P, op.cit.
187
Dehan, P, « Pertinence d'une approche globale de la qualité architecturale dans l'optique de la construction
d'un jugement critique raisonné », op.cit., p75
188
Ibidem, p43

100
modernes en rompant avec la rue et l’ilot. L’architecte a respecté le choix des usagers en

procédant à un remembrement des propriétés foncières suivant les anciennes lignes du paysage

traditionnel (figure 4.1), apportant cependant les améliorations de confort et d’hygiène189. Le

résultat est un groupe de maisons organisées suivant un tracé irrégulier selon le principe

pittoresque (figure 4.2). Gustave Stoskopf précise : « L'expérience des premières maisons

édifiées a déjà largement démontré que le groupement de volumes, d'importance très variable,

s'opère sans difficulté sur des tracés souples comportant des perspectives fermées, alors qu'une

voierie aux alignements rectilignes exige la mise en place de volumes plus ordonnés »190.

Figure 4.1 : Ammerschwihr (Haut-Rhin). Plan parcellaire de l’ilot de la place de la Sinn avant la reconstruction
et plan tel que prévu par la reconstruction. Gustave Stoskopf, architecte. Vers 1947. Source : Figure extraite de
Lucan . J, « Architecture en France 1940-2000 », Moniteur, Paris, 2001, p41, elle-même extraite de Gustave
Stoskopf, « Ammerschwihr. De la cité détruite à la ville de demain », T&A, 9' année, n' 3-4, 1949.

189
Ibidem, p46
190
Scoskopf, G, « Ammerschwihr. De la cité détruite à la ville de demain », T&A. 9e année, n° 3-4, 1949, cité
par Lucan, J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p46.

101
Figure 4.2 : Ammerschwihr (Haut-Rhin). Vue en perspective de la place de la Sinn aujourd’hui.
Source : Image extraite de Google maps-2017

4.1.2.2.2. Maubeuge et André Lurçat, des principes modernes révisés :

Maubeuge est détruite à 90% en 1940. André Lurçat (1894-1970), nommé urbaniste et

architecte en chef du bassin de la Sambre en fin 1944, va entreprendre une redéfinition de la

ville suivant les principes de l’urbanisme moderne révisés, qui seront publiés dans son traité :

« Formes, composition et lois d’harmonie »191. Il invente la consultation des citoyens dans des

« meetings d’urbanisme ». En procédant par un remembrement des propriétés foncières, il

préfère conserver les fortifications du Vauban, en proposant d’étendre le centre-ville par le sud

en ne supprimant que la partie des remparts située sur la rive droite de la Sambre192 (figure 4.3).

191
Lurçat. A, « Formes, composition et lois d'harmonie. Éléments d'une science de l'esthétique architecturale »,
Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1953 (tome 1), 1954 (tome 2), 1955 (tomes 3 et 4) ,1957 (tome 5).
192
https://fr.wikipedia.org/wiki/Maubeuge#Urbanisme

102
Il a fait table rase des tracés du passé en reconstruisant suivant une maille orthogonale ; la

composition est presque classique, avec des rues, des ilots presque fermés et une place bordée

d’un théâtre193 (figure 4.4). Les bâtiments de faible hauteur (figure 4.5) sont disposés d’une

manière libre dans des espaces verts, constituant ainsi une cité-jardin urbaine.

Ce qui caractérise le projet de Maubeuge, en dehors de la proposition urbaine faite d’une mixité

de principes hérités d’une tradition académique et principe moderne de discontinuité bâtie 194,

c’est la présence des préoccupations de normalisation modulaire et de standardisation des

éléments de construction195. Mais cette normalisation n’est pas suivant une industrialisation

totale (lourde) de la construction, le gros œuvre est réalisé suivant les procédés traditionnels,

alors que les escaliers, travaux de menuiserie et les équipements sanitaires sont préfabriqués en

grande série196.

Figure 4.3 : Plan d’ensemble de Maubeuge 1947.


Source : Figure extraite de Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », Moniteur, Paris, 2001, p48,
elle-même extraite de André Lurçat, « Synthèse d’une collaboration étroite entre technicien et
population », Urbanisme, n°37-38, 1954

193
Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p47
194
Ibidem, p50
195
Ibidem
196
Fares. K, « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p220

103
Figure 4.4 : Plan parcellaire avant la reconstruction et plan tel que prévu par la reconstruction.
Source : Figure extraite de Lucan . J, « Architecture en France 1940-2000 », Moniteur, Paris, 2001, p41,
elle-même extraite de André Lurçat, « Synthèse d’une collaboration étroite entre technicien et
population », Urbanisme, n°37-38, 1954.

Figure 4.5 : Le mail de la Sambre. Mairie de Maubeuge, reportage d’André Di Nola


Source : http://archivesdepartementales.lenord.fr

104
4.1.2.2.3. Le Havre et Auguste Perret, le choix de la modernité :

La ville du Havre a subi une destruction majeure en septembre 1944. Après la fin de la deuxième

guerre mondiale, la reconstruction de la ville est parmi les premières priorités du MRU. Auguste

Perret (1874-1954) sera nommé comme architecte en chef en 1945, regroupant autour de lui

des collaborateurs dans l’atelier de reconstruction du Havre. Le groupe est composé de : Pierre-

Edouard Lambert, Jacques Poirrier, André Hermant, André le Donne, Guy Lagneau et Jose

Imbert.

Le Havre, une ville complètement rasée, présentait une opportunité pour l’application des

théories architecturales de l’Atelier du Havre, ainsi que de nouveau système constructif dit en

« traditionnel évolué »197. Une alternative de la cité contemporaine était revendiquée par

Auguste Perret198, il lance un défi devant le conseil municipal le 26 septembre 1945 : « Nous

allons enfin montrer aux américains ce qu’est une ville moderne »199. Pour cette ville moderne,

Perret propose d’hausser la voie de circulation de 3.50m par rapport au sol naturel200, la rendant

ainsi indépendante de l’ancien tracé. Cette idée, qui s’est avérée trop couteuse en temps et en

argent, a été totalement abandonnée au début de l’année 1946, tandis que la proposition du

module carré de 6.24m de coté comme unité de l’ensemble a été gardée201.

Avec l’application de la nouvelle formule ISAI202, la reconstruction a démarré, comme toujours,

par un remembrement des propriétés foncières, dont Jacques Tournant était l’architecte-conseil

197
C’est un système de construction utilisant des éléments industrialisés de petite ou moyenne dimension, mais
qui nécessitent d’importants travaux sur chantier ; ou bien comme celui pour lequel les matériaux traditionnels
(pierre, brique) sont mis en œuvre de façon rationnelle, selon une organisation planifiée.
198
Bouillot.C, « La Reconstruction en Normandie et en Basse-Saxe après la seconde guerre mondiale - Histoire,
mémoires et patrimoines de deux régions européennes », PU.Rouen, 2014
199
Fares. K, « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p210
200
Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p50
201
Fares. K, « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p210
202
Les ISAI (Immeuble Sans Affectation Individuelle) sont copropriétés privées, appelées ISAI car construites et
financées par l’Etat avant d’être remises aux propriétaires en échange de leurs dommages de guerre. Ils font
partie des premières constructions érigées lors de la reconstruction. ces I.S.A.I. permettaient d’expérimenter de
nouveaux chantiers de préfabrication et permettaient de limiter la création de provisoire qui coûtait très cher à
l’époque.

105
en mars 1947203. La densité a été fixée en moyenne à 750 habitants par hectare. L’unité de base

du plan d’ensemble est l’ilot plutôt que la parcelle. Jacques tournant donne les avantages de

cette unité de base choisi : le plan-masse des immeubles d’état avait prouvé que les besoins

d’ensoleillement et de verdure aussi bien que d’économie et la rapidité de la construction ne

pouvaient être satisfaites que par une composition libre mais coordonnée pour l’ensemble et

dont l’unité ne pouvait être la parcelle, mais l’ilot204. »

Le résultat de ces principes est une ville dont l’architecture présente une unité classique subtile

(figures 4.6- 4.7), se rapportant au « classicisme structurel » dont Perret s’est affirmé comme

son représentant205. Si Perret est considéré comme moderne de par l’utilisation du béton, il n’en

reste pas moins un classique de par la recherche à maintenir l’architecture traditionnelle

française issue de la renaissance, en réinterprétant les formes architecturales telles que les

grandes travées et les pilastres, rendant ainsi la construction monumentale206.

Figure 4.6 : dessin d’ensemble d’immeubles qui entourent la place de l’Hôtel-de-ville


Source : Figure extraite de : http://unesco.lehavre.fr

203
Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p52
204
Jacques Tournant, « Auguste Perret », Architecture d’Aujourd’hui, n°113-114 (un siècle d’architecture),
avril- mai 1964, cité par Lucan. J, ibidem, p52
205
Jacono.G, Arnould. P, « Le Havre, paysage urbain et patrimoine entre béton, discours et images. De la
reconstruction physique à la (re)construction mentale (1945-1995) », Cahier de la méditerranée, vol 60-1, p109-
131, 2000
206
Ibidem

106
Figure 4.7 : Carte postale Le Havre - L'Avenue Foch CPSM - Colorisée - Circulé à
découvert en 1955. Editeur : Bel - Société Nouvelle des Editions Bellevues - Le Havre
Source : Figure extraite de : http://www.cparama.com

4.1.2.2.4. La reconstruction d’Orléans et Pol Abraham, un chantier

expérimental :

La ville d’Orléans a été fortement touchée par les conflits de la deuxième guerre mondiale ;

ravagé par un incendie suite aux bombardements allemands, le centre historique de la ville a

été complètement détruit en juin 1940 (figure 4.8).

Un projet de reconstruction a été initié l’année suivante par l’architecte Jean Royer et

l’ingénieur des Ponts et Chaussées Jean Kérisel. A la fin de l’année 1943, le Commissariat à la

Reconstruction Immobilière CRI organise une série de concours consacrés à l’innovation des

techniques de construction. La ville d’Orléans était identifiée comme chantier prioritaire pour

l’application du REEF « Recueil des éléments utiles à l’Etablissement et à l’Exécution des

projets de bâtiment en France ». L’ilot 04 situé entre la place du Matroi, la rue Bannier et la

rue du Colombier, est l’un des tout premiers chantiers expérimentaux de la reconstruction lancés

par le MRU. Pol Abraham (1891-1966), était désigné comme architecte en chef de la

107
reconstruction de la ville en 1944. Spécialiste reconnu dans l’industrialisation des procédés de

construction, il était l’un des protagonistes de la normalisation et rédacteur incontournable du

REEF207. Suite à la visite du ministre de la reconstruction et de l’urbanisme en aout 1945,

l’expérimentation aux trois ilots voisins, les ilots 1,2 et 5 a été approuvée.

Dans ce projet de reconstruction, Pol Abraham a appliqué, en vraie grandeur, les principes de

« préfabrication-montage » élaborés durant l’occupation au service technique de l’ancien

Commissariat de la Reconstruction208. Il s’agit de l’application de deux procédés ; le premier

est celui de Croizat & Angeli (figure 4.9), qui permet de combiner le savoir-faire traditionnel

du mur banché et l’emploi d’éléments tridimensionnels préfabriqués dénommés « blocs-

tableaux »209. Un béton maigre sera ensuite coulé entre les deux plans de parements intérieurs

et extérieurs pour assurer la stabilité des éléments modulaires montés sans échafaudage 210. Le

deuxième procédé est celui développé par l’ingénieur Eugène Freyssinet ; il consiste à faire

reposer des planchers de hourdis sur des poutrelles en béton précontraint211.

Le programme global prévoit la construction de 200 logements, dont la volumétrie générale est

d’un aspect traditionnel, qui reprend les dispositions de l’ilot fermé. Les cours intérieurs ont

été agrandies, tout comme les porches qui les relient aux rues adjacentes, afin d’apporter plus

de lumière et répondre aux exigences du MRU qui concerne la lutte contre la salubrité 212.

207
Delemontey. Y, « Pol Abraham à Orléans un chantier expérimental », AMC n° 207, juin 2011
208
Fares. K, « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p211
209
Clarke. X, « Le patrimoine de la reconstruction à Orléans : un chantier expérimental en devenir », Pierre
d’angle ; le magazine de l’ANABF, Sept 2016
210
ibidem
211
ibidem
212
ibidem

108
Figure 4.8 : Orleans, zone bombardées en 1940 en rouge
Source : Figure extraite de Clarke. X, « Le patrimoine de la reconstruction à Orléans : un
chantier expérimental en devenir », Pierre d’angle ; le magazine de l’ANABF, Sept 2016

Figure 4.9 : Prototype de mur réalisé avec le procédé “Croisat et Angeli”. © Bibliothèque
Kandinsky, MNAM, Centre Pompidou, Fonds Abraham
Source : Figure extraite de Clarke. X, « Le patrimoine de la reconstruction à Orléans : un
chantier expérimental en devenir », Pierre d’angle ; le magazine de l’ANABF, Sept 2016

109
L’agencement des modules normalisés lui ont permis de créer un ordonnancement qui s’inscrit

dans la continuité de la tradition classique des grandes compositions urbaines du 18eme siècle

du centre ancien d’Orléans, sans renoncer à une rationalisation du bâti et des vois de

circulation213 (Photo 4.3).

Ce chantier expérimental d’Orléans a permis la mise en application des recherches en matière

de l’industrialisation du bâtiment, marquera ainsi une nouvelle aire dans le domaine de la

construction qui transformera en profondeur le paysage urbain de la France de l’après-guerre.

Photo 4.3 : îlot 5 angle rue Bannier/rue de la Cerche ; état en 1950 et état actuel. ©
Bibliothèque Kandinsky, MNAM, Centre Pompidou, Fonds Abraham et Xavier Clarke

Source : Figure extraite de Clarke. X, « Le patrimoine de la reconstruction à Orléans : un


chantier expérimental en devenir », Pierre d’angle ; le magazine de l’ANABF, Sept 2016

213
Ibidem

110
4.1.2.2.5. Saint-Dié et Le Corbusier, une modernité rejetée :

Le centre-ville de Saint-Dié est tombé en ruine en novembre 1944 suite au repli des troupes

allemandes. 10 000 personnes sont sans abris et près de 1500 immeubles sont en ruines.

L’association des sinistrés de la ville de Saint-Dié, dont son représentant est l’industriel Jean-

Jacques Duval, demande à Le Corbusier (1887-1965) d’étudier la reconstruction de la ville,

bien qu’il ne soit pas l’architecte chargé officiellement de la reconstruction214.

Le projet de reconstruction de la ville proposé par Le Corbusier ne ressemble à aucun des projets

de ses confrères lancés par le MRU. Si dans la reconstruction du Havre, ou celle de Maubeuge

on retrouve une composition dans la continuité des tracés des ancien centres historiques avec

des ilots plus ou moins fermés, des rues et des places, « le projet de Saint-Dié rompt

radicalement avec toutes les procédures d’embellissement »215. La proposition de Le Corbusier

regroupe un ensemble de ses unités d’habitations suivant la direction nord-sud dans un ordre

absolument ouvert216 (figure 4.10), qui forme au sud de la rivière, un front continu en lien

directe avec les équipements ferroviaires et la voirie rapide. Alors qu’au nord, le centre

historique, complétement ravagé par les destructions, est redistribué par Le Corbusier en

injectant des bâtiments distincts et singuliers, tant par leurs formes que par leurs fonctions,

constituant le centre civique de la ville217. La circulation mécanique est repoussée à la périphérie

de ce centre.

Malgré le soutien d’André Wogensky et Eugène Claudius-Petit, cette proposition a été rejetée

par le conseil municipal à la fin de l’année 1946, et celle de Raymond Malot a été définitivement

approuvée218. Le projet de Le Corbusier a été jugé, par les représentants de l’association

214
C’est Jacques André qui est nommé comme urbaniste de la reconstruction par le MRU en 1945, il est
remplacé par Raymond Malot à la fin de l’année 1945 après un conflit avec Le Corbusier lors de l’entrevue à
Paris le 6 novembre 1945.
215
Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p54
216
ibidem
217
Fares. K, « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p223
218
Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p54

111
populaire des sinistrés, trop radical et fantaisiste, qui fait « table rase de tout ce qu’est Saint-

Dié »219. Les sinistrés réclamaient des maisons individuelles avec jardins : « nous ne voulons

pas de buildings…nous tenons à des maisons faites en pierres des Vosges »220. Même si le projet

de Saint-Dié n’a jamais vu le jour, c’est une expérience qui a montré le décalage qui existait à

l’époque entre la vision de l’urbanisme moderne, dicté par la charte d’Athènes 1933, et le point

de vue des usagers traumatisés par la guerre.

Figure 4.10 : Plan de la reconstruction de la ville. Le Corbusier, architecte, 1945-1946. Plan du centre
civique.
Source : Figure extraite de Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », Moniteur, Paris, 2001, p54, elle-
même extraite de Willy Boesiger, « Le Corbusier, œuvre complète 1938-1946 », Zurich, Girsberger, 1946.

219
Voldman. D, « la reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d’une politique, Edition
Harmattan, Paris, 1997
220
Architecture d'Aujourd'hui, n°7-8 Urbanisme, septembre-octobre 1946, cité par Fares. K, ibidem

112
4.1.2.2.6. L’Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier, la recherche d’une

dualité entre architecture et urbanisme :

Si la ville de Saint-Dié a rejeté les idées de Le Corbusier, la ville de Marseille servait comme

le premier cobaye pour la concrétisation de ses recherches dont les prémisses datent des années

20. A la fin de l’année 1945, Raoul Dautry, ministre de la reconstruction et d’urbanisme,

demande à Le Corbusier d’étudier un ISAI, qui deviendra après l’Unité d’habitation de

Marseille221.

La mise au point du projet, démarré en 1947, est faite dans le cadre de l’atelier des bâtisseurs

(ATBAT), dirigé par Vladimir Bodiansky, dont l’implication d’un nombre important de

collaborateur comme : Georges Candilis, Shadrach Woods, Roger Aujame, Gérald Hannin. 222

L’Unité d’habitation repose sur l’idée de la cité jardin verticale, une dualité entre la maison

individuelle et les avantages du collectif de forte densité, dont les équipements de services et

de loisirs qui assure la vie en commun comme les commerces, restaurants, crèches, piscine,

auditorium, …etc.

Avec 23 types de cellules différentes adaptées à des populations d’une à dix personnes, l’unité

d’habitation offre 337 logements pour 1600 personnes environ. Un nombre aussi important dans

un seul et unique bâtiment, nécessitait forcement une innovation technique, comme une

nouvelle pratique de l’espace.

L’innovation technique concerne un system de portique en béton armé formant une double file

de pilotis, qui permettent de surélever le bâtiment et libérer le sol naturel (Photo 4.4). Le RDC

abrite les équipements techniques comme le chauffage, les émissaires et récepteurs de fluides.

Au-dessus, une ossature de pilier et de poutre constitue les étages ; les planchers, cloisons et les

221
Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p54
222
Sur l'ATBAT, voir: Marion Tournon-Branly, « History of ATBAT and its Influence on French Architecture »,
Architectural Design, January 1965.

113
plafonds des cellules sont en matériaux isolants sur une ossature de bois totalement

indépendante de la structure du bâtiment.

Alors que la nouvelle pratique de l’espace commence avec une implantation totalement

indépendante de la rue, où l’orientation de l’Unité est suivant la direction nord-sud (axe

d’hygiéniste), afin d’offrir plus de lumière ainsi que pour des raisons hygiéniste. Avec ses

dimensions (165 mètres de long par 24 de large et 56 de hauteur), l’Unité d’habitation évoque

le thème du paquebot urbain ancré dans un parc de quatre hectares.

La conception des appartements poussait les habitants à changer leurs pratiques de l’habiter ;

avec une conception basée sur le concept du « modulor », une notion architecturale dont Le

Corbusier est l’inventeur, cet ensemble de proportions est censé apporter un confort maximal

aux habitants. S’ajoutant à cette nouvelle configuration spatiale, les nombreux « prolongements

du logis », matérialisés dans des rues intérieurs qui mènent vers divers équipements communs

et services collectifs comme des boutiques, un hôtel pour les parents et les visiteurs des

résidents, pressing, salon de coiffure, un médecin , un boulanger, …etc. le dernier niveau ainsi

que le toit terrasse offre un lieu de détente et de loisir avec un gymnase, bassin pour enfant,

aires de jeux et un auditorium en plein-air.

Plus qu’un simple lieu d’habitation, ce projet voulait être comme un village vertical où pouvait

habiter un nombre de famille suffisant pour permettre le fonctionnement des services en

communs à l’image d’un paquebot. C’est ce qu’a affirmé Le Corbusier : « Tous sans exception

sur la terre, nous avons une profonde admiration pour le paquebot. Nous sommes en face d’un

nouveau dimensionnement de la maison ». C’est une dualité entre architecture et urbanisme que

Le Corbusier visé, mais dans cette fusion architecture-urbanisme, c’est l’architecture qui a

dominé en surgissant des problèmes urbains223.

223
Fares. K, « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p222

114
Depuis le lancement du projet jusqu’à son achèvement, une durée de près de sept ans de 1945-

1952, l’Unité d’habitation de Marseille a fait l’objet d’admiration comme de critique224. L’unité

est admirée comme le futur du logement collectif, une ville verticale qui offre un nouveau mode

de vie confortable à une population qui a été longtemps démunie. Alors que d’autres dénoncent

sa monumentalité démesurée à l’échelle humaine. A l’exemple de Lewis Mumford, qui a remis

en cause les grandes dimensions machiniste de l’unité qui obligent les habitants à changer leurs

pratiques d’habiter. Il ajoute à ça : « … la clarté, la précision, la mécanique lisse de l'âge de la

machine, tout ce dont Le Corbusier avait fait l'éloge dans les années vingt, a été semé aux

quatre vents »225.

Photo 4.4 : l’Unité d’habitation de Marseille aujourd’hui.


Source : Image extraite de : http://www.arch-news.net

224
Le Corbusier rappelle ces polémiques dans « L'Unité d'habitation de Marseille », Le Point, 1950.
225
Lewis Mumford, « The Marseille "Folly" », The New York., 1957, repris dans The Highway and the City,
Londres, Secker & Warburg, 1964, p72.

115
4.1.2.2.7. Le concours de Strasbourg, Eugène Beaudouin :

Un nouveau cap est franchi avec le concours de Strasbourg, 800 logements sur 10 hectares, une

première pour le MRU depuis qu’il a lancé les projets de reconstruction en 1945.

C’est un changement d’échelle dans les chantiers de reconstruction que le MRU visait. Après

des années d’expérimentation et d’application, sur petite échelle, des fruits des recherches

entamées depuis les années 20 sur l’industrialisation et la rationalisation de la construction, le

MRU décide de forcer le rythme de la reconstruction par la création d’un contexte politico-

juridique favorable, on parle de concours. L’objectif recherché du lancement des concours et

bien de diminuer le délai ainsi que le coût de la construction, en exigeant aux participants d’être

une équipe constituée d’architectes et d’entreprises de réalisation. Deux concours précédaient

celui de Strasbourg, celui lancé en 1947 pour l’édification des maisons individuelles, et celui

de 1949, les « chantiers d’expérience », dont l’objectif était la construction de trois ensembles

de deux cent logements chacun, deux ensembles d’immeubles collectifs (immeubles de neuf à

douze étages à Villeneuve-Saint-Georges, immeubles de deux à quatre étages à Creil-

Compiègne) et un ensemble de maisons individuelles (ensemble de maisons individuelles à

Chartres)226.

Il semble que le chiffre de 200 logements qui apparait comme très gros en 1949, est devenu

insuffisant pour permettre de rationnaliser davantage l’organisation des chantiers à l’image de

l’industrie de fabrication ; Eugène Claudius-Petit précise l’intérêt du concours de Strasbourg

: « Il est la suite logique des trois concours de Chartres, de Compiègne, de Villeneuve- Saint-

Georges, qui comportaient chacun 200 logements d'un type différent de construction... Le

chiffre de 200 logements, qui semblait très gros en 1949, est nettement apparu insuffisant pour

permettre une organisation du chantier où l'industrialisation ait toute sa part. »227.

226
Pour les résultats du concours avec publication des projets, voir : AF, n' 103-104, « Concours du M.R.U.
(Groupe de 200 logements). Villeneuve-Saint-Georges - Creil-Compiègne Chartres », 1950.
227
T&A, 10e année, n° 11 – 12, « M.R.U. le concours de Strasbourg », novembre 1951 (numéro spécial qui
publie le programme, les résultats et neuf projets), cité par Lucan. J, ibidem, p58

116
Au concours pour la cité Rotterdam à Strasbourg, le coût, le délai ainsi que le programme étaient

fixés au préalable, 800 logements dans 10 hectares pour un délai de 18 mois. Le 15 janvier

1951, sur 64 équipes ayant déposés un dossier, seulement 24 ont été retenus. Parmi les

participants, les grands architectes d’avant-garde comme : Eugène Beaudouin, Bernard

Zehrfuss, Le Corbusier et Marcel Lods.

Bien que le concours donne une liberté dans le choix des procédés de construction, il exige

l’emploi de procédés industriels et encourage la recherche de procédés nouveaux, tout en

écartant les petites entreprises artisanales et les hommes de l’art hostiles à l’architecture

industrialisée228.

Le 26 juillet 1951, le jury de 22 personnes était présidé par Eugène Claudius-Petit, avec parmi

les architectes ; Robert Camelot, Félix Dumail, Paul Herbé, André Leconte, André Le Donne,

André Lurçat, Auguste Perret, Georges-Henry Pingusson, Emmanuel Pontremoli, Pierre

Sonrel ; les constructeurs, Dumont et Prouvé ; et des représentants de divers organismes

officiels comme, Auguste Duval, Pierre Paquet, André Prothin229.

Lauréat du concours était Eugène Beaudouin (figure 4.11) associé avec les entreprises

Boussiron et Forment-Clavier. Alors que le second prix revenait à Bernard Zehrfuss associé à

l’entreprise Balency et Schuhl, avec une proposition de 790 logements répartis en trois barres

de douze étages orientées nord-sud implantées dans un parc (figure 4.12). Tandis que le

troisième prix revenait à Jean-Louis Fayeton, le quatrième prix est attribué à Le Corbusier avec

ses 800 logements répartis en une tour de 50 mètres de haut et deux unités d’habitation comme

celle de Marseille230 (figure 4.12).

Même en appliquant les principes de la charte d’Athènes, en se libérant des contraintes de l’ilot,

avec des bâtiments implantés dans un vaste parc, en recueillant le maximum d’air et de lumière,

228
Fares. K, « L'industrialisation du logement en France (1885-1970) », op.cit., p229
229
Ibidem
230
Pour plus de détail sur les résultats du concours, voir : AF, n° 117-118, « Concours du M.R.U. Groupe de 800
logements. Strasbourg », 1951.

117
la proposition de Beaudouin se distingue des autres propositions par une disposition des

bâtiments qui n’est pas celle d’un ordre ouvert absolu 231. En n’étant pas disposés suivant la

direction nord-sud, comme le cas des autres propositions, les bâtiments de Beaudouin sont

disposés à la périphérie du terrain en libérant un jardin central sans vraiment le refermer (figure

4.13). C’est une conception paysagiste inspirée du plan du parc Monceau à Paris ; Eugene le

précise dans sa présentation du projet : « Il est possible de citer en parallèle le plan du Parc

Monceau et le plan proposé pour Strasbourg ; on peut y constater combien au point de vue de

la superficie et de la forme générale, comme pour l’utilisation du terrain et de ses accès, les

deux compositions sont comparables ; en mettant en regard l’esprit et l’échelle du dessin des

deux jardins, bien des analogies apparaîtront »232.

Dans la préface du livre de Louis Hoym de Marien « Thèmes de jardins italiens », il affirme

son intérêt pour les compositions de logement selon les modèles des parcs et jardins : « Il serait

bon de penser plus souvent nos compositions sur les thèmes de parcs, jardins, squares,

bosquets, mails et avenues, quais plantés, alignements, cours, perspectives d'ordonnances

monumentales ou paysagères et grands bois ou forêts magnifiquement traités »233.

Si le concours de Strasbourgs a choisi la proposition de Beaudouin, qui n’appliquait pas à la

lettre les principes de l’architecture modernes de la charte d’Athènes 1933, il annonce la fin

d’une époque de reconstruction où la composition du logement s’inspirait encore des tracés des

anciennes villes historiques tout en industrialisant les procédés de construction. Dorénavant,

c’est la composition suivant l’ordre ouvert et orthogonal des grands ensembles qui dominera la

construction du logement collectif.

231
Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p58
232
Présentation de l’auteur, texte rapporté in Cahiers du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, 1951,
cité par Koenig. L, « La cité Rotterdam à Strasbourg : des espaces, des publics, un fonctionnement », mémoire
de maitrise d’aménagement du territoire, université Louis Pasteur Strasbourg, juin 2005
233
Cité par Lucan. J, « Architecture en France 1940-2000 », op.cit., p60

118
Figure 4.11 : Plan d’E. Beaudouin (lauréat)
Source : Image extraite de :Koenig. L, « La cité Rotterdam à Strasbourg : des espaces, des publics,
un fonctionnement », mémoire de maitrise d’aménagement du territoire, université Louis Pasteur
Strasbourg, juin 2005

Figure 4.12 : Plan des autres candidats


Source : Image extraite de Image extraite de : Koenig. L, « La cité Rotterdam à Strasbourg : des
espaces, des publics, un fonctionnement », mémoire de maitrise d’aménagement du territoire,
université Louis Pasteur Strasbourg, juin 2005

119
Figure 4.13 : la cité Rotterdam aujourd’hui
Source : Image extraite de Google maps-2017

120
4.2. L’architecture de Pouillon, une affirmation d’une nouvelle vision :

Fernand Pouillon à l’encontre des architectes théoriciens comme Le Corbusier, n’a pas laissé

de documents qui tracent les principes de son architecture. Il croyait en son œuvre comme le

seul moyen pour transmettre sa vision architecturale à travers les temps. N’empêche qu’un

rapprochement a pu être effectué entre l’architecture de Pouillon et ses deux maitres Auguste

Perret et Eugene Beaudouin. En les côtoyant, Pouillon s’est forgé sa propre vision architecturale

pour prendre part dans les grandes problématiques de son époque, à savoir la production

massive du logement, dont découlent d’autres problèmes comme le rapport entre le langage

architectural et le système constructif.

Avec la crise du logement d’après-guerre, la production massive du logement devient l’ultime

problème des temps modernes. L’industrialisation du bâtiment à l’image de l’industrie de

fabrication en série semblait être la réponse adéquate afin de réduire le coût et les délais de

construction. Cependant, l’introduction de l’industrie dans le bâtiment par la production en série

a créé un déséquilibre entre qualité et quantité ; pour y remédier, le mouvement moderne pense

à inventer une nouvelle qualité qui puise dans la qualité de l’objet industriel. De ce fait, le

rapport qualité/quantité dans la production architecturale prend une autre dimension. Les

limites de cette nouvelle qualité calquée de l’industrie de fabrication, qui concernaient « la

question de la monotonie, la question de la répétition, la question finalement fondamentale de

la ville »234, avaient engendré une rupture dans le rapport de continuité entre conception-

construction.

Fernand Pouillon, qui semblait s’écarter des débats du mouvement moderne sur cette

problématique de la production du logement, avait sa propre vision pour l’avenir de la

234
Huet. B, « la modernité de Fernand Pouillon », in Bonillo. J. L, « Fernand Pouillon architecte
méditerranéen », Marseille, éditions Imbernon, 2001, p32

121
production massive du logement. Une architecture qualifiée pendant longtemps

d’anachronique, s’est révélée après une relecture de son œuvre comme la plus moderne et la

plus contemporaine.

Si Pouillon a décidé de ne pas en croire en industrialisation lourde, c’est parce qu’il refusait que

l’entreprise prenne le pas sur l’architecte dans le contrôle du projet. La logique d’assemblage

qui tend vers la standardisation, même si elle permettait de réduire le délai et le coût de la

construction, elle limitait la liberté du concepteur. Le contrôle du projet de l’esquisse à la

réalisation, de la conception à la construction était si cher à Pouillon ; c’était le moyen d’assurer

la qualité du logement en tant qu’objet architectural plutôt qu’un objet industriel.

Le MRU appelait les architectes à l’industrialisation pour accéder aux commandes de logements

à l’époque. Pour accéder à ces commandes, plutôt qu’une industrialisation lourde, Pouillon

optait pour une industrialisation des procédés de construction par éléments simples235 en

recourant à la pierre taillée comme matériau de construction ; ce qui permet tout en

industrialisant la construction, de garder le contrôle sur le rapport de continuité entre

conception-construction. Une industrialisation par élément simple (industrialisation légère)

consistait à industrialiser les éléments constructifs qui pouvaient être intégrés à l’ouvrage sans

subir des modifications. Cette logique sera la base de la politique des « composants »236 que

l’Etat français va entreprendre dans la fin des années 70 après l’échec de la politique des

modèles237 ; cette dernière consistait à reproduire de manière systématique des modèles validés

235
Barazzetta. G, « exigence de la construction », in Bonillo. J. L, « Fernand Pouillon architecte
méditerranéen », op.cit., p104
236
Un composant est défini comme suit : « le composant est un élément du bâtiment fabriqué en atelier
indépendamment d’un projet particulier et intégré à l’ouvrage sans avoir à subir de mise en forme ni de
façonnage sur le chantier ».
237
Chemillier, P. « L’époque de l’industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-1945 », texte de
conférence, Comité d’histoire du ministère, 2002, France.

122
par l’Etat sur tout le territoire sans aucune modification. Elle a été rapidement contestée 238 de

par le fait que le rôle de l’architecte a été rétréci davantage par rapport au début de

l’industrialisation lourde. L’architecte était devenu un simple designer dominé par l’entreprise

de réalisation.

Cette continuité entre l’acte de concevoir et l’acte de construire en vue d’une qualité

architecturale pour le logement social nécessitait l’établissement d’une doctrine. Mais ça ne

voulait pas dire forcément de chercher un positionnement ou un combat d’avant-garde239.

D’ailleurs c’était l’une des particularités de Pouillon de ne vouloir appartenir à un courant ou

un mouvement, mais plutôt s’intéresser à établir une nouvelle pratique pour « accomplir le

grand objectif, le grand idéal du projet de la modernité : la réalisation du logement de

masse »240. Toutefois, ça n’empêchait pas que sa pratique soit guidée par quelques principes,

qui pouvaient être tirés de son enseignement auprès des maitres qu’il a côtoyé. Il sera donc

intéressant de suivre le parcours académique ainsi que professionnel de Pouillon afin de

reconstituer les principes de son architecture qui lui ont permis d’assurer la qualité

architecturale de son logement social.

4.2.1. Son enseignement :

4.2.1.1. Parcours académique :

Si la figure d’un grand architecte était celle de Pouillon dans son parcours professionnel, celui

académique ne faisait pas trop rêver. Quitté le lycée sans obtenir le baccalauréat, il décida de

devenir peintre par amour du dessin. Mais convaincu de son insuffisance en génie picturale,

238
Françoise Choay, mandatée par l’Etat, monte une équipe avec Christopher Alexander, Jacques Boulet, et
Philippe Gresset pour faire un bilan sept ans après le lancement de la politique des modèles. Leurs rapport très
critique a été enterré et resté confidentiel jusqu’à ce que les chercheurs publient eux même leurs travaux.
239
Huet. B, « la modernité de Fernand Pouillon », op.cit., p33
240
ibidem

123
selon ses propres dires241, il s’inscrit dans la section architecture de l’école régionale des beaux-

arts de Marseille le 4 octobre 1927 comme élève de 2eme classe. Le premier atelier qui a rejoint

était celui de Gaston Castel (1886-1971), fils d’un entrepreneur de maçonnerie et second grand

prix de Rome 1913 ; il joua un rôle important dans la formation et le début de carrière de

Fernand Pouillon.

Gaston Castel fut élève à l’école des beaux-arts de Marseille où il rejoint l’atelier de Luis

Bernier242. Après un début de carrière plein d’activités, notamment son déplacement à Rio et à

Santos au Brésil243, il revient à Marseille pour être l’architecte en chef du département de

bouche du Rhône, architecte des bâtiments civils et palais nationaux. De 1922 à 1952, il fut

chef d’atelier à l’école régionale d’architecture de Marseille.

L’un des principes de Castel était d’associer dans ses projets des artistes, peintres et sculpteurs

afin d’enrichir son architecture244. Sans doute ce principe est acquis suite à son enseignement

dans l’école des beaux-arts de Marseille, qui favorisait cette association des différents arts dans

une œuvre. On remarque cette attitude chez Pouillon qui ne manque pas d’associer dans ses

œuvres, des sculpteurs et céramistes, dont on peut citer Philippe Sourdive, céramiste qui a

participé dans la plupart des projets de Pouillon, qui était son camarade dans l’école des beaux-

arts de Marseille.

Parmi ses camarades de l’école qui deviendront ses confrères, Henri Enjouvin – son premier

associer-, Léon Pierre – un futur collaborateur- et François Bart245.

Avant la crise économique des années 30, les écoles régionales d’architecture, dont l’école de

Marseille, entretenaient des liens étroits avec ENSBA (école nationale supérieure des beaux-

arts) de Paris246. Les épreuves et concours auxquels prenaient parts les élèves le long de leur

241
Voldman. D, « Fernand Pouillon architecte », Payot, 2006, Paris, p32
242
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », Edition du Patrimoine, paris, 2012, p34
243
Voldman. D, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p33
244
Ibidem
245
Bedarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », op.cit., p33
246
Voldman. D, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p36

124
cursus étaient jugés par des professeurs de Paris. Ainsi, il était possible de faire transférer son

inscription de son école d’origine à l’école de Paris en remplissant certaines exigences. C’est

dans cette mesure que Pouillon a pu s’inscrire le 7 juillet 1931 en 2 eme classe dans l’atelier de

Paul Bigot (1870-1942) à ENSBA Paris247. Ce passage par l’atelier de Bigot a fait un débat, du

moment que certains auteurs le confirment248 alors que d’autres voient en cette « revendication

d’un supposé passage par l’atelier Paul Bigot -que Pouillon a fait part dans son curriculum-

peut être interprétée de deux façons opposées, qui ne s’excluent pas l’une l’autre. Elle peut

relever de la vantardise, laissant entendre que lui aussi serait passé par la prestigieuse école

des beaux-arts de Paris ou bien que l’enseignement dispensé dans cet atelier marqua

profondément le jeune marseillais lors de visites ou de sa possible fréquentation de ses

élèves »249.

Paul Bigot a étudié l’architecture à ENSBA de Paris dans les ateliers de Louis-Jules André et

de Victor Laloux. Premier grand prix de Rome 1900, il est célèbre sur tout pour ça grande

maquette en plâtre de Plan de Rome au 4eme siècle réalisée en quatre exemplaires entre 1908 et

1942 (photo 4.5).

Photo 4.5 : Maquette


en plâtre de Plan de
Rome au 4eme siècle,
Paul Bigot
Source : Wikipédia

247
Ibidem
248
Daniel Voldman l’a confirmé dans son livre « Fernand Pouillon architecte », op.cit.
249
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », p34-35

125
Marc Bédarida pense que c’est de la que vient peut-être l’intérêt de Pouillon pour ce mode de

simulation à partir des années 50 comme un outil de communication avec le client : « les

maquettes sont rarement un enseignement pour un architecte consciencieux. […] En revanche,

ces engins sont pour les clients de véritables miroirs à alouettes […] sur un point, j’admets

volontiers que pour la représentation d’une structure complexe une maquette détaillée est de

grande utilité »250.

Bigot se spécialise dans la réalisation de monuments commémoratifs, liés à la grande guerre,

dans les espaces publics. On peut citer celui du monument aux morts, réalisé en 1927 à la place

Foch à Caen, le monument aux enfants de Saint-Quentin en 1927, le monument commémoratif

de la première victoire de la Marne, Mondement-Montgivroux entre 1930-1938.

Cette pratique, qui consiste à orner les espaces publiques par des sculptures, on la retrouve chez

Pouillon dans les placettes de ses cités d’habitation.

Avant décembre 1940, il suffisait de dire architecte pour exercer ce métier, pas besoin ni de

diplôme, ni d’être inscrit dans l’ordre des architectes pour construire. Le 31 décembre 1940, le

régime de Vichy instaure une règlementation pour le port de titre d’architecte par une loi

instituant l’ordre des architectes. Pouillon est alors obligé de passer son diplôme en travaillant

sur le thème d’un monastère franciscain251. Le 18 novembre 1941, à l’école de Lyon, son travail

obtient mention très bien, jugé par un jury composé d’Eugène Beaudouin, Pierre Bourdeix,

Gaston Castel, Catelan, Gilet, Papillard et Perrin252. C’était là, la première fois que Pouillon

rencontre Eugène Beaudouin.

250
Pouillon. F, « lettre à un jeune architecte », 20 janvier 1961, manuscrit inédit titré du « cahier jaune », cité par
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », op.cit., p35
251
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », op.cit., p33
252
ibidem

126
4.2.1.2. Parcours professionnel :

4.2.1.2.1. Eugène Beaudouin :

Eugene Elie Beaudouin (1898-1983), architecte et urbaniste français, a fait ses études à ENSBA

de Paris dans l’atelier d’Emmanuel Pontremoli. Il est lauréat du premier grand prix de Rome en

1928. Il s’est intéressé à la composition des grands ensembles monumentaux, notamment ceux

qui entourent le Meidan (la place) d’Ispahan en Iran 253 (figure 4.14), dont Pouillon s’inspire

pour la conception de la cité Climat de France en Algérie.

Figure 4.14 : Vue en plan du Meidan d’Ispahan en Iran


Source : archnet.org

Si Pouillon ne le rencontre qu’en novembre 1941 lors du jury de son diplôme, Beaudouin avait

installé son atelier libre à Marseille en 1940. Cette ville, sous le régime de Vichy, était un vrai

refuge et un foyer pour des artistes et des intellectuels fuyant l’occupation nazie qui s’est

installée au nord. Des groupes d’artistes se sont formés sous l’atelier de Beaudouin, et même si

Pouillon ne faisait pas partie de ces groupes d’une façon formelle, il les côtoyait durant les

années de l’occupation254. L’un des groupes était appelé le groupe des céramistes aixois

253
La revue « Urbanisme » lui consacre 40 pages en janvier 1933 dans son n°10, p8-48, cité par Bédarida. M,
ibidem, p37
254
Voldman. D, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p64

127
constitué autour d’Emilie Decanis, enseignante à l’école des beaux-arts à Marseille. Nombreux

artistes de ce groupe travaillèrent ensuite avec Pouillon en France et en Algérie comme : Jean

Amado, Philippe et Frédérique Sourdive, René Ben Lissa, Jean et Léonie Buffile, Daniel

Beaudou, Carlos Fernandez…etc.255

Eugene Beaudouin a fortement participé dans le début de la reconstruction de la ville de

Marseille. Nommé architecte en chef du gouvernement et urbaniste de la ville de Marseille en

1941, il fut chargé de dresser un nouveau plan d’aménagement, d’extension et d’embellissement

(PAEE) de la ville. Pour cette tache il forme un groupe d’architecte, dont André Dunoyer de

Segonzac, André Chrysochéris, Leon Hoa, Florent Margaritis et Fernand Pouillon faisaient

partie. Ce dernier passa ainsi une partie des années 1941-1944 a travaillé au projet

d’aménagement de Marseille sous l’autorité d’Eugène Beaudouin 256. Après le fameux

dynamitage du quartier du Vieux Port en février 1943, un nouveau projet a été élaboré par

Beaudouin qui couvre une zone bien plus vaste autour de l’hôtel de ville257. Fernand Pouillon

se voit chargé, avec Florent Margaritis, du projet d’aménagement de l’arrivée de l’autoroute

nord jusqu’à la porte d’Aix, l’aménagement du secteur des jardins Saint-Charles258, l’étude du

quartier de Saint-Mauront et celle de la place Gallieni259. Pour l’aménagement du jardin Saint-

Charles (figure 4.15), Pouillon et Margaritis avaient prévus « un jardin traité à la manière des

grands mails classiques », avec une maçonnerie en pierre du Pont du Gard ainsi que la pierre

dure de Cassis260. Pour embellir cet espace, ils avaient prévu deux pièces d’eau et une douzaine

de fontaines261.

255
ibidem
256
ibidem
257
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », op.cit., p37
258
ibidem
259
Voldman. D, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p69
260
Ibidem, p69-71
261
Ibidem, p71

128
Figure 4.15 : Projet d’aménagement de l’arrivée de l’autoroute nord jusqu’à la porte d’Aix,
l’aménagement du secteur des jardins Saint-Charles, 1943
Source : Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », op.cit., p10

C’est de cette expérience que Pouillon s’est initié à la composition architecturale, à l’urbanisme

et à l’art d’organiser une ville. Il le mentionne dans ses mémoires en disant : « De plus,

Beaudouin en m’apprenant beaucoup m’avait donné des ailes. Je voyais mieux et plus loin. La

notion des volumes et des proportions se rencontre rarement chez les architectes. […] Avec

Beaudouin j’avais également étudié l’urbanisme, l’art d’organiser une ville neuve ou de

transformer une vieille cité »262. Dans une interview accordée à Attilio Petruccioli en 1982,

Pouillon confirme son engouement envers son maitre Beaudouin : « c’est lui qui m’a fait un

peu découvrir ce qu’était l’architecture, car ce n’était pas les architectes que j’avais rencontrés

jusque-là qui m’auraient fait comprendre quoi que ce soit. Avec lui, j’ai compris beaucoup de

choses et je me souviens encore de son enseignement qui était hautain, détaché des choses

262
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p33

129
matérielles. Ce n’étais pas un praticien, alors que moi j’étais déjà un praticien, mais j’avais

besoin de connaitre cela »263.

Figure 4.16 : La cité de la Muette avant de devenir le camp de Drancy


Source : Image extraite de : http://martinetienne.com

Si la cité de la Muette à Drancy (figure 4.16), conçue par Beaudouin et Marcel Lods au début

des années trente, est l’une des premières cités d’habitation qui témoigne de l’introduction, à

une plus grande échelle, de l’industrialisation dans le logement, il faut mentionner que les

préoccupations relatives à l’industrialisation appartiennent plutôt à Lods, tandis que Beaudouin

se préoccupait de la composition de l’ensemble264. Ses réflexions se tournaient envers la

question des « vides » qui constituaient des places résultantes de la disposition et l’ordonnance

des bâtiments qui les entourent. Il s’exprime à propos de ça dans un article publié en 1937 :

263
Petruccioli. A, tapuscrit de la version en français de l’interview de Fernand Pouillon du 22 juin 1982, p1,
archive APSB, cité par Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », p35
264
Lucan. J, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p28-29

130
« Dans la fièvre de bâtir pour loger les nouveaux arrivants, on a oublié, pendant plus d’un

siècle que dans une composition quelle qu’elle soit, il faut des pleins et des vides et le Champ-

de-Mars à disparu. Pourtant il est facile de se rendre compte quelle importance extraordinaire

prend un volume vide et « nu » dans la physionomie d’une ville (la place Bellecour à Lyon, la

place Saint-Marc à Venise, l’Esplanade des Invalides à Paris, la place impériale à Ispahan)

quand il s’agit d’une volonté ordonnée et policée »265.

Cet intérêt pour les grandes ordonnances monumentales l’a poussé à refuser les principes de

l’urbanisme du mouvement moderne, dictés par la Charte d’Athènes, qui consistent à faire

tabula rasa des tracés de la ville traditionnelle basés sur l’ilot, la rue et la place. Même si

Beaudouin construit des logements dans un parc -une pratique du mouvement moderne en

raison d’ensoleillement et d’hygiène- il n’obéi pas pour autant à la règle de l’ordre ouvert, qui

consiste à disposer les bâtiments suivant l’axe hygiénique Nord-Sud. Il préfère composer

suivant l’ordre fermé, dont les bâtiments sont disposés toujours autour d’un espace qui peut être

une place, une cour ou un jardin. Par exemple, dans la cité de la Muette à Drancy, la disposition

de l’ensemble obéie à une grille orthogonale, dont la composition est faite suivant un

regroupement d’entités autour de cours et de jardins ouverts d’un côté. Alors que dans la cité

Rotterdam (concours de Strasbourg), Beaudouin rompe avec la disposition orthogonale mais

reste fidèle à l’ordre fermé. Les bâtiments sont disposés à la périphérie du terrain en libérant un

grand jardin au milieu. La nouveauté apportée par Beaudouin c’est qu’il a donné à l’ordre fermé

une interprétation pittoresque, où « les bâtiments se pliant et s’articulant, s’équilibrant les uns

par rapport aux autres, créant le paysage intérieur d’un jardin »266.

Cet intérêt pour l’ensemble que Beaudouin visait dans son architecture est transmis à Pouillon.

Dans l’introduction de son recueil « ordonnance » il affirme cet intérêt en disant : « les

265
Beaudouin. E, « Mystiques et espaces », l'Architecture d’aujourd’hui, n° 5-6, dans « Paris 1937 », 1937, p92
266
Lucan. J, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p31

131
ensembles sont […] plus nécessaires que les chefs-d’œuvre isolés : nécessaires, car ils

participent à la vie humaine de chaque jours ». Ces leçons vont être mises en application dans

les ensembles d’habitations construits par Pouillon, notamment dans ses réalisations algéroises.

Dans les trois cités d’Alger, Pouillon va opter pour la composition suivant l’ordre fermé avec

une interprétation pittoresque tout comme son maitre Beaudouin, la seule différence, c’est que

Pouillon combine ce pittoresque avec la grille orthogonale.

4.2.1.2.2. Auguste Perret :

Auguste Perret (1874-1954), est un architecte français qui s’est initié aux procédés de

constructions modernes au sein de l’entreprise familiale, avant de rejoindre l’atelier de Julien

Guadet dans l’ENSBA de Paris. Ce dernier en étant l’un des théoriciens de l’architecture

contemporaine, lui a transmis la démarche rationaliste et classique des Beaux-arts. Perret quitta

l’école avant même d’obtenir son diplôme pour reprendre l’entreprise familiale avec ses frères

Gustave, architecte aussi, et Claude -qui a repris l’entreprise de maçonnerie fondée par leur

père- pour se spécialiser dans la construction en béton armé.

Si Fernand Pouillon ne fait pas une mystique de la pierre, par l’emploie d’autres matériaux

comme du béton armé ou du métal, Auguste Perret le fait du béton armé267. Bien qu’il s’inscrive

dans la lignée d’un grand père carrier et d’un père tailleur de pierre, il préféra exploiter les

possibilités formelles, constructives et plastiques qu’offre ce nouveau matériau, qui est le béton

armé et de le rendre aussi beau que la pierre. En voulant rendre le béton aussi luxueux, il aborde

la question de la beauté d’un autre angle de vue. Pour Perret, il ne suffit pas qu’un matériau soit

couteux pour qu’il soit beau, c’est plutôt la main de l’homme qui va le rendre si précieux :

« Mon béton, disait-il en 1944, est plus beau que la pierre. Je le travail, je le cisèle. Par des

267
Hugron. J. P, « Fernand Pouillon, la pierre sans mystique », interview de Bonillo. J. L, le courtier de
l’architecte, 27-03-2013

132
agglomérats de caissons de granit ou de grès des Vosges, j'en fais une matière qui dépasse en

beauté les revêtements les plus précieux ».

Perret va plus loin jusqu’a considéré que le « banal » doit être l’objectif de chaque architecte

qui veut être satisfait de son œuvre : « Celui qui, sans trahir les matériaux ni les programmes

modernes, aurait produit une œuvre qui semblerait avoir toujours existé, qui, en un mot, serait

banale, je dis que celui-là pourrait se tenir pour satisfait. Car le but de l'art n'est pas de nous

étonner ni de nous émouvoir. L'étonnement, l'émotion sont des chocs sans durée, des sentiments

contingents, anecdotiques. L'ultime but de l'art est de nous conduire dialectiquement de

satisfaction en satisfaction, par-delà l'admiration, jusqu'à la sereine délectation. »268.

Si Pouillon était aussi fasciné par cette démarche du banal dont revendiquait Perret, il ne peut

pas être autant d’accord avec Perret pour ce qui est de la première impression et de l’émotion

que peut provoquer une œuvre architecturale. Le principe pittoresque de la composition

architecturale, étant basé sur la première impression et le changement de paysage, était un

principe dont Pouillon faisait usage dans la composition de ses cités d’habitation. Auguste

Choisy, dont Pouillon était si impressionné par ses leçons, est celui qui a évoqué la présence de

ce principe dans l’architecture grecque : « Si maintenant nous parcourons la série des tableaux

que l'Acropole nous a offerts, sans exception nous les trouverons combinés en vue de la

première impression. C'est à cette première impression que nos souvenirs nous reportent

invinciblement, les Grecs cherchaient avant tout à se la rendre favorable. »269

De cette idée du « banal » comme largement suffisant pour nos besoins les plus primaires,

l’atelier de Perret va faire de la reconstruction du Havre un chantier exemplaire, dont le rapport

économie/durée est mise en œuvre. L’économie est atteinte en perfectionnant le système

268
Wahl. A, « Auguste Perret, Contribution à une théorie de l'architecture », 1952
269
Choisy. A, « Histoire de l’Architecture », Gauthiers-Villars, Tome 1, 1899, Paris, p. 419.

133
structurel en béton armé (préfabrication), alors que la durabilité est en produisant une œuvre

qui semble existé depuis toujours. Perret est considéré aussi comme le précurseur du plan libre

de par sa maitrise du système structurel en béton armé en décomposant la construction en deux

entités : la structure porteuse (poteaux, poutres et planchers) et les éléments de remplissages

(cloisons).

Moderne qu’il était, ne signifie pas autant qu’il rejoignait les principes les plus extrêmes du

mouvement moderne. Faisant partie de ce qu’on appelle « l'École du classicisme structurel ».

Roberto Gargiani résume ainsi sa démarche : « Nature et classique se reflètent dans un jeu

d'allusions, d'invention de métaphores, de fictions structurales qui animent toujours davantage

son idée de l'architecture. La colonne en béton armé apparent, finement dessinée, bouchardée

de façon à la faire presque ressembler à un monolithe de pierre, devient le modèle capable de

résumer la signification complexe du classicisme tel que le conçoit Perret »270.

Même si Pouillon ne le rencontre qu’en décembre 1950 dans l’affaire du Vieux Port, une

certaine influence de Perret peut être perçue dans les œuvres antérieures de Pouillon.

Notamment dans l’usine de Nestlé construite pour le groupe Suisse SOPAD 271 (photo 4.6).

C’est la première fois que Pouillon s’approprie l’idée de vérité en architecture avec l’emploi

d’un principe constructif en deux composantes : une ossature porteuse et des éléments de

remplissage272. L’adoption de ce principe s’est traduite par un changement dans le rapport entre

le langage architectural et système constructif. Cette charpente en béton armé visible sur les

façades, de par le rythme de sa répétitivité révèle la fonction qui niche derrière chaque bâtiment.

270
Gargiani. R, « Auguste Perret », Milan/Paris, Electa/Gallimard, 1993/1994, p160
271
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », op.cit., p40
272
ibidem

134
Photo 4.6 : Usine Sopad-Nestlé de Saint-Menet à Mrseille, 1947-1953
Source : l’archive de « l’association des pierres sauvages de Belcastel - Fernand Pouillon »

En puisant dans les ouvrages d’Auguste Choisy et d’Eugene Viollet-le-Duc, Auguste Perret

prend part de ce soucie de la structure, un intérêt transmit par son maitre Julien Guadet,

notamment de la travée en apportant une interprétation supplémentaire au-delà du rationalisme

classique. Avec le musée des travaux publics (1936-1946), les grandes colonnes dont Perret a

dressé représentent non seulement le système porteur mais définissent le tracé de l’édifice273.

On retrouve cette interprétation de la travée comme « mesure et répétition » chez Pouillon dans

les portiques de la grande place des deux cents colonnes274. Par contre, si Perret se dévoue

complètement à « la vérité de la construction », Pouillon, quant à lui est indiffèrent à l’écart qui

existent entre la vérité de la construction et l’expression de celle-ci275. Si dans l’usine Nestlé,

la travée est « vérité de la construction », à Meudon-la-Forêt, les piles colossales en pierre, qui

ne portent pas le plancher, ont à voir avec la « tectonique »276 du bâtiment et représentent ainsi

273
Lucan. J, « Fernand Pouillon architecte », op.cit.
274
Ibidem, p45
275
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », op.cit., p41
276
Lucan. J, « Fernand Pouillon architecte », op.cit. p45

135
l’expression de la construction. La travée est ici une expression de solidité et de verticalité.

Cette verticalité est intensifiée par la préférence des ouvertures verticales à celle horizontales,

un point commun avec son maitre Perret, qui considère que celles horizontales ne laissent pas

entrer pleinement la lumière et ne retracent pas « le corps de l’homme » dans le bâtiment.

De ce fait, ce nouveau rapport entre langage architectural et système constructif, dont la

nouvelle interprétation de la travée permet à Pouillon d’échapper au néoclassicisme 277, et à

l’emprunt direct des images d’autres édifices ou monuments.

4.2.2. Premières opérations de logement : Première application de sa nouvelle

vision

4.2.2.1. La reconstruction du Vieux Port de Marseille :

La ville de Marseille est parmi les villes les plus touchées par la guerre. En janvier 1943, une

décision des allemands a fait tomber en ruine 25 hectares de l’ancien quartier du Vieux Port

(Photo 4.7), sous prétexte qu’il était difficile à fouiller, constitué de dédale de rues étroites.

Après la libération, et sous pression des sinistrés, la reconstruction du vieux Port de Marseille

est devenue une priorité absolue.

L’immensité et l’importance de l’opération a fait que plusieurs architectes se succèdent dans la

direction des travaux de reconstruction. Eugène Beaudouin était le premier concerné par cette

reconstruction avant même les démolitions de 1943. Il était chargé du premier PAEE (plan

d’aménagement d’embellissement et d’extension) de la ville de Marseille en 1941. En revanche,

Pouillon ne participe pas dans la première étude, c’est seulement après le dynamitage du vieux

port qui se voit confier, avec Florent Margaritis, le projet de l’arrivée de l’autoroute nord jusqu’à

la porte d’Aix et l’aménagement du secteur des jardins Saint-Charles278.

277
ibidem
278
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », op.cit., p37

136
Photo 4.7 : Les terrains de la vieille ville et le Lacydon vus depuis la butte de la Tourette après le
déblaiement des gravats et la destruction par les services techniques de la ville des immeubles anciens
du quai, photographe anonyme, vers 1946. Collection D. Pierre.
Source : Figure extraite de : « Architectures de la Reconstruction à Marseille- Le quartier du Vieux-
Port 1940-1960 » Exposition du 2 juin au 11 août 2007, ABD Gaston Deffere, Marseille, commissaire
de l’exposition : Bonillo. J. L

Rendu responsable de la destruction du vieux port de 1943, Beaudouin a été écarté du poste de

l’architecte en chef de la ville. En 1946, le projet de la reconstruction du Vieux Port a été lancé

sous la direction de Sasportès, installé comme un commissaire à la reconstruction par le ministre

Dautry279. Mais c’est Roger-Henri Expert qui a été désigné comme architecte de la

reconstruction.

Après des travaux de terrassement pour aplanir la légère pente du site tout en construisant un

mur de soutènement de 10 mètres de haut, allant du clocher des Accoules jusqu’à l’extrémité

ouest, Expert a proposé une composition qui s’aligne sur l’axe de l’hôtel de ville totalement en

rupture avec la morphologie et la densité de l’ancien quartier280 (figure 4.17). C’était une

proposition de style beaux-arts où règne la symétrie, mais basée sur la vision hygiéniste de

l’architecture moderne, avec de grands axes aérés et suffisamment ensoleillés281. L’ensemble

comporte un immeuble en forme de barre posé le long du front du port, interrompu juste pour

279
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p85
280
Bonillo. J. L, « Architectures de la Reconstruction à Marseille- Le quartier du Vieux-Port 1940-1960 »,
Exposition du 2 juin au 11 août 2007, ABD Gaston Deffere, Marseille
281
ibidem

137
laisser apparaitre la mairie avec ses extensions latérales. Dans les ilots situés derrière, d’autres

barres étaient prévues en plus de quatre tours en U de 13 ou 14 étages sous forme de « gratte-

ciel néo-classique », qui servaient comme contrepoint à la ligne horizontale des immeubles de

front du port.

Figure 4.17 : Etude concernant la traversée nord-sud de la ville et aménagement du quartier du


Vieux-Port, du Forum et de la butte Saint-Charles. Dessin de R.-H. Expert, 1946. Archives nationales.
Source : Figure extraite de : « Architectures de la Reconstruction à Marseille- Le quartier du Vieux-
Port 1940-1960 » Exposition du 2 juin au 11 août 2007, ABD Gaston Deffere, Marseille, commissaire
de l’exposition : Bonillo. J. L

En 1948, Expert est remplacé après que sa proposition a été approuvé est lancé, dont la

réalisation de deux bâtiments en U en sept et huit étages (prévu de 14 étages au début). La cause

principale était le coût élevé de la construction déjà avancée de ces deux immeubles en U, ainsi

138
que le nombre de mètres carrés d’appartements inferieur au programme que prévoyait sa

proposition282.

C’est André Leconte qui succéda Expert comme architecte chargé de la construction du quartier

du Vieux Port. Les points forts de sa proposition consistent en réduction du gabarit des

immeubles par rapport à la proposition d’Expert, en respect de l’échelle de l’ancienne ville,

ainsi qu’un plan de masse qui reprend la composition de la ville traditionnelle constituée d’ilots,

des places et des rues283.

Vue l’immensité de l’opération, le périmètre de reconstruction était devisé en 15 groupes.

Expert s’est réservé la partie la plus prestigieuse du quartier, celle encadrant l’hôtel de ville

(groupes 6 et7) Pouillon avec Egger, étaient chargés du groupe huit qui concerne l’ensemble de

la Tourette de 260 logements, et le groupe quatre qui concerne un immeuble de la façade du

vieux port284.

Comme dans les autres projets de reconstruction, afin de réduire les délais et le prix, le ministère

a exigé la rationalisation des chantiers de construction et le recours à l’industrialisation des

composants du bâtiment, ainsi que la normalisation des travaux de second œuvre ; Il s’agit des

commandes groupées, comme la normalisation des dimensions des portes et fenêtres.

Pouillon ne croyait pas que la normalisation de menuiserie peut faire d’économie énorme en

prix et délai285, comme il ne croyait pas à l’industrialisation de la construction par la

préfabrication des composants de bâtiments286. Cette logique permettait aux entreprises de

construction d’avoir plus de contrôle sur le projet que l’architecte. Ce dernier est alors obligé à

réduire sa conception à un jeu d’assemblage d’éléments préfabriqués pour satisfaire les

282
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p87
283
Bonillo. J. L, « Architectures de la Reconstruction à Marseille », op.cit.
284
Voldman. D, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p95
285
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p94
286
Il le prouve dans l’opération de la Tourette en proposant de construire, sans recours à la préfabrication, des
immeubles équipés, avec cuisines installées, pour la moitié du prix de revient par mètre carré que coutaient les
deux immeubles en U d’Expert.

139
entreprises. A ce sujet, Pouillon a fait l’expérience de la préfabrication lourde en béton dans

l’opération la Croix des oiseaux en Avignon (photo 4.8), dont il regrette d’être laissé imposer

le choix de l’industrialisation lourde. D’ailleurs ses craintes vis-à-vis de l’industrie du bâtiment

se sont confirmées en voyant l’état de dégradation dans lequel s’est retrouvé la cité de la Croix

des oiseaux d’Avignon, devenue a ghetto, c’est la seule cité, parmi celles construites par

l’architecte, à avoir été détruite en partie287.

Photo 4.8 : Une façade d’un bâtiment de la cité de la Croix des oiseaux en Avignon
Source : Figure extraite de : http://avignonsudblock84.skyrock.com

En parallèle, et à cause de la pénurie des matériaux de construction d’après la guerre, et face à

une crise de logement, l’Etat encourageait l’industrialisation de la pierre pré-taillée pour en

faire un composant industriel sur des bases normalisées288. Pouillon a donc emprunté cette voie

pour échapper aux exigences du ministère pour l’industrialisation289. En plus d’être un choix

lié à un contexte historique, la pierre faisait partie de sa vision architecturale et constructive,

elle lui permettait plus de liberté dans la conception, plus de contrôle dans l’organisation des

espaces, et un moyen d’assurer la continuité entre les principes de la ville traditionnelle

historique et les principes de l’urbanisme moderne.

287
Hugron. J. P, « Fernand Pouillon, la pierre sans mystique », interview de Bonillo. J. L, op.cit.
288
ibidem
289
ibidem

140
Dans l’ensemble de la Tourette (figure 4.18), en reprenant en partie le plan masse en U qui

s’ouvre sur l’église Saint-Laurent, dessiné par André Leconte, Pouillon a dressé deux

imposantes barres, une de sept niveaux sur rez-de-chaussée perpendiculaire à l’église Saint-

Laurent ; en face d’elle, une autre moins haute, de quatre niveaux sur rez-de-chaussée, tronqué

par un escalier monumental pour ne pas masquer le soleil et la vue. L’ensemble, en enfermant

une esplanade oblongue, est lié par une tour de quinze étages. L’ordonnance des bâtiments,

quant à elle, marque une qualité architecturale et constructive qui se distingue par rapport à ce

qui se construisait en logement à l’époque.

Figure 4.18 : Ensemble la Tourette aujourd’hui


Source : Figure extraite de : Google maps 2017

Pouillon décrit l’architecture de l’ensemble ainsi : « Méthodiquement, je recherchai une trame.

Je déterminai la disposition des logements. Je m’imposai une travée, je m’inventai un système

de construction pour les murs, un autre pour les planchers. Pour la première fois, était prévue

une gaine complète alimentant et évacuant la salle de bain, la buanderie, la cuisine, les eaux

141
pluviales, le gaz et le vidoir. Les plans s’organisèrent simultanément avec les études du prix290,

l’architecture des façades avec la matière et le système de construction des murs,… »291

Dans sa description, Pouillon met en évidence ce rapport de continuité entre conception-

construction, comme générateur de la qualité architecturale de l’ensemble, lorsqu’il évoque le

lien entre la trame (avec un module qui organise toute la composition), la travée (qui règle

l’ordonnance des façades), et leur lien avec le système constructif (dont la travée règle le

système de murs porteur, et le module règle le système constructif du plancher). Un système

constructif a été mis au point par Pouillon afin d’assurer cette continuité entre conception

architecturale et conception structurelle. C’est un système fait de murs porteurs en béton banché

avec des planchers en module de ciment préfabriqué (figure 4.19- photo 4.9). Il le décrit dans

ses mémoires : « Le système de structure était simple. Je n’avais aucune structure en béton

armé verticale, seuls les planchers étaient en ciment préfabriqué. Les murs des façades et le

mur de refend longitudinal, étaient en béton banché, c’est-à-dire coulé ou moulé dans des

panneaux de bois. Le coffrage des façades était remplacé par des plaques de pierre dure

magnifique : le système de la pierre banchée était né. »292

Figure 4.19 : Axonométrie de principe


pour la "pierre banchée", F. Pouillon.

1. Dalle de pierre ; 2. Crocher en fer


galvanisé ; 3. Béton ; 4. Coffre
métallique ; 5. Volet roulant ; 6.
Guidage du volet roulant ; 7.
Carrelage ; 8. Mortier de pose ; 9.
Dalle de béton ; 10. Poutrelle
préfabriquée ; 11. Lambourde ; 12.
Laine de verre

Source : /www.atelier-petra.com

290
Pouillon invente la SET (société d’études techniques) qui se charge de la coordination entre les différentes
entreprises, ce qui permet de contrôler la chaine de production, ainsi que la réduction du prix et des délais de
réalisation
291
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p101
292
Ibidem, p101

142
Photo 4.9 : Façade
en pierre banchée
d’un immeuble de
l’ensemble de la
Tourette

Source : l’archive
de « l’association
des pierres
sauvages de
Belcastel - Fernand
Pouillon »

Si la composition du plan masse de l’ensemble ne reflète pas l’empreinte de l’architecte qu’on

retrouvera dans ses projets ultérieurs, notamment aux deux cent logements d’Aix en Provence

et les trois cités d’Alger, elle témoigne néanmoins d’une grande maitrise de l’échelle urbaine

de l’ensemble. Situé dans la partie haute du site, l’ensemble de la Tourette domine le quartier

du vieux Port par la tour de 15 étages et le protège du mistral par la longue et haute barre

orientée est-ouest, qui voit sa hauteur se dégrader pour laisser la dominance à l’église Saint-

Laurent (figure 4.20). Cette proposition d’une nouvelle échelle urbaine du quartier n’échappe

pas à une intense critique ; face au débat généré, Pouillon défend sa composition en disant : « A

la tour appartement de 11 étages appartient le rôle capital d’ajouter, dans la composition, un

élément hardi, élégant, ajouré. Tour carrée, tour ronde de Saint-Jean qui gardent, tour clocher

143
qui prie, tour habitée qui vit, elles sont les notations humaines dont le prestige est si grand à

Sienne comme à San Gimignano »293.

Figure 4.20 : le Vieux Port vue de ciel aujourd’hui


Source : Figure extraite de : Google maps 2017

Dans le plan d’ensemble projeté par André Leconte, si la composition du quartier du vieux Port,

qui renoue avec l’ilot, la place et la rue, a pu avoir l’approbation de la commission des sites et

du ministère de la Reconstruction, les façades des immeubles du front du port étaient déplorées

par leur esprit trop moderne. Selon le maire Michel Carlini, les immeubles du front du port

devaient s’inspirer de : « la lourde mais belle architecture louis-quatorzième des bâtiments de

l’Arsenal des galères [sic ! ces édifices de la fin du XVIIIe siècle sont réputés être inspirés des

immeubles génois et de l’architecte C. N. Ledoux], la façade du pavillon de l’hôtel de ville, les

arcades de l’Hôtel-Dieu dessinées d’après Mansard »294. Après des mois de réticences,

Leconte sera remplacé par Fernand Pouillon et A. Devin, nommés en l’occurrence architectes

adjoints en chef de la reconstruction, placés sous la tutelle bienveillante d’Auguste Perret,

nommé comme architecte en chef de la reconstruction.

Avant qu’il prenne en charge le projet de la reconstruction du vieux Port, Fernand Pouillon

avait présenté un contre-projet au ministère de la Reconstruction. Avec un appui des

collaborateurs les plus proches du ministère, dont celui de Pierre Dalloz et Auguste Perret, le

contre-projet Pouillon remplaça celui de Leconte295.

293
René Egger et Fernand Pouillon, février 1948, p63. Le texte de cet article non signé est à l’évidence rédigé
par Pouillon, tiré de Bédarida. M, op.cit., p94
294
Bonillo. J. L, « Architectures de la Reconstruction à Marseille- Le quartier du Vieux-Port 1940-1960 », op.
cit.
295
ibidem

144
Figure 4.21 : Plan de masse général modifié par André Devin et Fernand Pouillon avec le phasage des
chantiers et l’attribution (non définitive) des « îlots » aux différentes équipes d’architectes chefs de
groupe.
Auguste Perret, architecte en chef, 1951. AD 13, 148 W 474.
Source : Figure extraite de : « Architectures de la Reconstruction à Marseille- Le quartier du Vieux-
Port 1940-1960 » Exposition du 2 juin au 11 août 2007, ABD Gaston Deffere, Marseille, commissaire
de l’exposition : Bonillo. J. L

La proposition de Pouillon, comparée à celle de Leconte (figures 4.21-4.22), était plus aérée,

par des immeubles franchement interrompus avec des passages au rez-de-chaussée renforçant

le lien avec le cœur du quartier, au lieu d’immeubles continues tronqué seulement par des

passages guichets constituant une barrière visuelle pour les ilots intérieurs. Pour les façades,

Pouillon les a donné une ordonnance monumentale par des murs épais de la pierre du Pont du

Gard, allégées par des baies et des loggias ouvrant sur le plan d’eau.

La grande innovation par rapport au plan de Leconte se trouve au rez-de-chaussée des

immeubles du front du port, où Pouillon propose un avancement de quatre mètres, un

empiètement gagné sur le domaine maritime, qui permettra de créer une promenade sous

arcades devant les boutiques (Photo 4.10).

Avec une volumétrie simple, la proposition de Pouillon était rationnelle tout en étant

monumentale à l’échelle de la valeur historique du site du Vieux Port.

145
Figure 4.22 : Comparaison entre les façades des immeubles du quai proposées par André Leconte et
Fernand Pouillon en 1950.
En haut : dessin de l’atelier Leconte. AD 13, 75 J 583.
En bas : gouache de l’atelier Pouillon. Collection particulière.
Source : Figure extraite de : « Architectures de la Reconstruction à Marseille- Le quartier du Vieux-
Port 1940-1960 » Exposition du 2 juin au 11 août 2007, ABD Gaston Deffere, Marseille, commissaire
de l’exposition : Bonillo. J. L

146
Photo 4.10 : les bâtiments du front Port aujourd’hui, à gauche en arrière-plan le bâtiment en U
d’Expert
Source : Photo extraite de : Google maps 2017

La reconstruction du vieux Port, lancée en 1946 et livrée en 1954, coïncide avec d’autres projets

lancés par le MRU. C’était les trois premiers et plus importants projets de la reconstruction à

Marseille. Ces opérations dites ISAI (immeuble sans affectation individuelle) concernaient

l’Unité d’habitation de Marseille confiée à Le Corbusier, le quartier du vieux Port, ainsi qu’une

cité de logement à Saint-Just296.

Les deux projets avaient un caractère diffèrent, celui de Pouillon, dans un site historique, ne

pouvait que s’inscrire dans une logique de continuité, alors que celui de Le Corbusier, un projet

dans un parc, était un champ pour l’expérimentation de nouvelle théorie que ce soit sur le plan

technique que sur la manière d’habiter. Pouillon s’exprime à propos de cette dualité en

disant : « Je ne pouvais pas ressembler à un Le Corbusier, parce que nos interventions sont de

nature différente. Lui fut un inventeur, je suis moi un continuateur ».297

296
Hugron. J. P, « Fernand Pouillon, la pierre sans mystique », interview de Bonillo. J. L, op.cit.
297
Sbriglio. J, « Guide d’architecture : Marseille, 1945-1993 », Edition Parenthèse, 1994, p40

147
4.1.1.1. Les deux cent logements d’Aix en Provence :

Le projet de deux cent logements d’Aix est la première opération de logement social entrepris

par Pouillon en 1951. Il s’enrageait du fait de ne pas pouvoir mettre en œuvre sa vision pour

améliorer l’architecture des logements de la population la plus défavorisée. La communauté

d’Aix offrait cette opportunité à Pouillon de réaliser des logements sociaux à bas prix sur un

terrain qu’elle a acquis. Très ambitieux au début, le maire Mouret a demandé à Pouillon de

construire un millier de logement dans ce terrain acquis près du centre-ville. Rattrapé par la

réalité de la crise financière de l’époque, ce chiffre a été réduit à 200 logements en location-

vente sur 25 ans à partir de 1953. Ainsi, en quelques jours, Pouillon inventa l’opération, « deux

cents logements à deux cents mètres de la villes, construits en deux cents jours, pour deux cents

millions »298

Le projet d’Aix (figure 4.23) a permis à Pouillon de renforcer ce rapport conception-

construction qu’il a testé dans l’ensemble de la Tourette. Les deux dispositifs de la composition

architecturale, le module et la travée, seront davantage les éléments clés qui lient le principe

conceptuel au système structurel de l’ensemble. En reprenant le même système structurel en

murs porteurs, en pierre taillée cette fois-ci, il a développé un système de plancher Pouillon299,

des cloisons en briques porteuses Pouillon et des voutes charpentes système Pouillon.

Le module de la composition, qui était aussi l’élément constructif du plancher, était de 1 mètre,

représente une demi mesure de la canne de 1.98 mètre, la mesure de la ville d’Aix-en-Provence

du 13eme siècle jusqu’à l’instauration du mètre sous Napoléon 1er 300. La travée, quant à elle,

qui représente la distance de l’axe d’une fenêtre à l’axe de la fenêtre suivante, correspond à 4

modules. En plus d’offrir un ensemble rationnel et cohérent, ces deux dispositifs permettaient

à eux seuls de mesurer tout l’ensemble sans avoir besoin d’un mètre. C’était très pratique pour

298
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p141
299
Le plancher est composé des éléments en staff (composition de plâtre et de fibres) qu’il préfère appeler des
« marmites », à travers les quelles est disposée une armature en acier.
300
Sayen. C, « l’architecture par Fernand Pouillon », Edition Transversales, 2014, p44

148
les dessinateurs comme pour les entreprises de réalisation : « A Aix sur le chantier, tout le

monde savait que, partout, une travée était égale à quatre unités de marmites. Tout le monde

savait que 2 était la largeur de toutes les cages d’escaliers, 3 la largeur de toutes les chambres

d’enfants ou d’extension du salon, 4 la largeur des autres pièces et 4 aussi la profondeur de

toutes les pièces, excepté des cas particuliers de cuisine. L’épaisseur des immeubles était donc

de dix marmites. Impossible de se tromper »301.

Si dans l’opération de la Tourette, la nature du site historique a exigé une composition qui

reprend les tracés de la ville traditionnelle, à Aix, Pouillon l’a fait de son plein gré. Et si à

Marseille, l’œuvre était métropolitaine à l’échelle de la ville, à Aix, son œuvre est à une échelle

plus humaine intimement liée à son recueil de relevés et dessins d’Ordonnance. Les dimensions

et les proportions des places de l’ensemble des 200 logements sont identiques à celle de la

vieille ville d’Aix302.

Figure 4.23 : L’ensemble des 200 logements d’Aix-en-Provence


Source : Figure extraite de : Google maps 2017

301
Ibidem, p46
302
Bonillo. J. L, « Architectures de la Reconstruction à Marseille- Le quartier du Vieux-Port 1940-1960 », op.
cit.

149
L’ensemble est composé de 9 bâtiments disposés de part et d’autre de la voie mécanique en

trois sous-ensembles, chaque ensemble est aligné suivant une grille orthogonale. A l’encontre

des principes de l’architecture du mouvement moderne, dont les bâtiments, en se détachant de

la rue, sont alignés suivant l’axe hygiénique nord-sud, Pouillon renoue avec la rue et la place,

en offrant une composition suivant un ordre fermé, mais qui s’ouvre par des percés visuels sur

l’extérieur, tout en préservant l’intimité de son paysage intérieur.

C’est une composition pittoresque qu’offrait Pouillon aux aixois, qui s’inscrit dans la continuité

de la tradition aixoise de l’âge classique, avec des toitures à pan légèrement incliné qui reposent

sur des voutes minces de briques, maintenues par des tirants en acier scellés dans un chainage

de béton303. Si le projet final, de par sa taille réduite ne le montre pas assez, l’avant-projet qui

prévoyait un millier de logement montre clairement cette composition pittoresque (photo 4.11) ;

les bâtiments s’articulent entre eux dans une grille orthogonale en générant des passages, qui

tout en débouchant dans des placettes, vous permet de passer d'un paysage à un autre. D’ailleurs,

c’est le même principe de composition qu’on retrouvera après dans les deux cités algéroises

Diar-Es-Saada et Diar-El-Mahçoul.

Photo 4.11 : Maquette


de l’ensemble des 200
logements d’Aix-en-
Provence (seule la
partie inferieur a été
réalisée

Source : photo extraite


de : Bédarida. M, «
Carnets d’architecte
Fernand Pouillon »,
op.cit., p62

303
Voldman. D, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p 165

150
Conclusion :

Dans les chapitres précèdent (2 et 3), on a pu voir que le changement d’intérêt dans la recherche

qualitative (de la qualité de l’objet architectural à celle de l’objet industriel) a un lien avec

l’adoption de l’industrialisation lourde du bâtiment comme solution à la crise du logement

d’après-guerre. Par conséquent, l’intérêt de ce chapitre était de voir l’autre vision qu’avait

Fernand Pouillon pour faire face à cette crise de logement tout en optant pour une qualité de

logement, considéré comme un objet architectural plutôt qu’un produit industriel.

De ce fait, le chapitre a été devisé en trois grandes parties : la première consistait à remonter

jusqu’au début de carrière de Pouillon afin de retrouver son initiation dans le métier

d’architecte ; tandis que la deuxième partie consistait à voir en parallèle les projets phares de la

reconstruction d’après-guerre et leurs propositions pour faire face à la crise de logement. Alors

que la troisième partie, qui est la plus importante, consistait à retrouver les premiers jalons de

sa vision architecturale en évoquant ses références, ses maitres et patrons, ainsi que ses premiers

ensembles de logement dans lesquels à concrétiser, pour la première fois, sa vision pour

l’architecture du logement social.

On a pu conclure que cette vision architecturale de Pouillon se base d’un côté, sur un lien fort

entre principes conceptuels et systèmes constructifs, et de l’autre côté, sur un lien de continuité

entre le logement et son paysage intérieur. Cette vision renoue avec la composition

architecturale comme le mécanisme générateur de la forme architecturale, mais aussi avec le

choix des matériaux de construction et le système constructif comme un tout dans le processus

de conception architecturale.

Si l’industrialisation lourde du bâtiment à l’image de l’industrie de fabrication en série était la

réponse des architectes du mouvement modernes afin de réduire les délais et coût de production,

la qualité du logement a été elle aussi réduite à une qualité d’un objet industriel. Ce sont les

151
entreprises de réalisation qui ont pris le contrôle du projet architectural (devenue plutôt un

produit industriel en voulant passer l’architecture de la logique du projet à la logique du

produit), tandis que l’architecte était devenu un simple dessinateur. La réponse de Pouillon,

quant à elle, était une industrialisation des procédés de construction par éléments simples, ce

qui permet à l’architecte, tout en s’inscrivant dans une approche rationnelle de production de

logement, de garder toujours le contrôle du processus de projet architectural.

Afin d’explorer davantage cette vision architecturale de Pouillon, le prochain chapitre sera

consacré entièrement à une analyse plus détaillée des trois cités d’Alger de Fernand Pouillon,

en se focalisant sur ce lien de continuité entre conception-construction et son impact sur la

qualité du logement.

152
Chapitre 5 : l’analyse des cas d’étude

Introduction
5.1. Méthode d’analyse

5.1.1. Le processus de conception architecturale

5.2.2.1. Définition de la conception

5.2.2.2. Le processus de conception entre donnée objectifs et subjectifs

5.2.2.3. Le Processus de conception entre problème et solution

5.2.2.4. L’évolution du processus de conception

5.1.2. L’élaboration de la méthode d’analyse

5.2. L’analyse des cas d’étude : les cités d’Alger de Pouillon :

5.2.1. Contexte historique de la construction des cités

5.2.2. Analyse des cités d’habitation de Pouillon

5.2.2.1. Climat de France

5.2.2.2. Diar-El-Mahçoul

5.2.2.3. Diar-Es-Saada

153
Introduction :

Il faut rappeler que l’intérêt de cette analyse est de retrouver les éléments de la vision

architecturale de Fernand Pouillon qui lui ont permis d’assurer la qualité du logement en tant

qu’objet architectural plutôt qu’un objet industriel. En se basant sur les chapitres précédents

(notamment le chapitre 3), il s’est avéré que la qualité de l’objet architectural a un lien avec la

manière de sa conception architecturale. Si la composition architecturale était considérée par

l’école des beaux-arts comme le seul mécanisme qui permet de concevoir un bâtiment,

l’émergence du paradigme de construction, quant à lui, considérait la construction (la structure)

comme générateur de la forme du bâti. Mais une conciliation entre conception formelle et

conception structurelle était possible grâce à Auguste Choisy304. De ce fait, cette analyse, qui

se focalisera sur le rapport de continuité entre conception et construction dans l’architecture de

Fernand Pouillon, nécessite une méthode d’analyse qui permettra de mettre l’accent sur le

rapport entre les choix conceptuels et constructifs de l’architecte et leurs impacts sur la qualité

de l’objet architectural.

Le terme « analyse », selon Motta. G et Pizzigoni. A, possède plusieurs acceptions notamment

lorsqu’il est en relation au projet d’architecture. Dans cette recherche, le terme analyse prend

la signification « d’un procédé spéculaire par rapport à celui du projet, une sorte de

dévoilement des rapports complexes entre analyse et projet, […] ». Toujours selon Motta. G et

Pizzigoni. A, « Entre analyse et projet s’instaure une circularité ; les liens et les relations qui

les unissent rendent impossible la distinction nette entre ces deux moments »305.

Voir chapitre 3, section 3.3.2.2. La qualité de l’architecture et la construction comme l’art de bâtir
304

Motta.G, Pizzigoni.A, , « les machines du projet, L’horloge de Vitruve et autres écrits », Anthropos –
305

Economica, Paris, 2006, p104

154
De ce fait, et en considérant analyse et projet comme deux disciplines qui s’entrelacent à

l’intérieur d’un double système qui nous renvoie de l’un à l’autre306, la méthode d’analyse peut

concerner les phases du processus de projet.

5.1. Méthode d’analyse :

Selon Robert Prost, le processus du projet est devisé en quatre étapes : formulation de problème,

formulation de solution, concrétisation de solution et appropriation de solution307. Pour

permettre de décrire clairement ces quatre étapes dans le domaine de l’architecture, Pierre

Fernandez308 les a mis en parallèle avec les quatre grandes étapes du projet d’architecture qui

sont : programme, conception, réalisation et utilisation (figure 5.1) 309.

Figure 5.1 : Processus de projet architectural et urbain

Source : Figure Extraite de : Fernandez. L, « Transposition en architecture des connaissances


d’ingénierie environnementale et des savoirs relatifs au choix des matériaux », Thèse de doctorat,
Université de Toulouse. 2010, p58

La méthode d’analyse visée a pour objectif de cibler le rapport de continuité entre conception

et construction, ce qui nous ramène aux deux étapes du projet architectural : conception et

réalisation. Mais la mise en parallèle des différentes étapes du processus de conception

architecturale avec le « paradoxe de la construction » d’Adolphe Luc310 nous renvoie aux

306
Ibidem, p105
307
Prost. R, « Conception architecturale », l’Harmatant, Paris, 1992.
308
Fernandez. P, « De l’architecture bioclimatique au développement urbain durable », Habilitation à Diriger des
Recherches, Institut National Polytechnique de Toulouse, 2007.
309
Fernandez. L, « Transposition en architecture des connaissances d’ingénierie environnementale et des savoirs
relatifs au choix des matériaux », Thèse de doctorat, Université de Toulouse. 2010, p58
310
Adolphe. L, « L’aide à la décision technique dans la conception architecturale : application à l’énergétique du
bâtiment », Thèse de doctorat en énergétique de l’Ecole des Mines de Paris. 1991, cité par Fernandez. L, ibidem,
p58

155
premières phases du processus de conception (ESQ et APS), comme les phases dans lesquelles

s’accomplissent les choix conceptuels décisifs pour le projet d’architecture311. En effet, le

« paradoxe de la construction » d’Adolphe Luc permet de voir que les choix de conception

s’accomplissent au moment où les concepteurs ont le moins d’informations disponibles (figure

5.2), c’est-à-dire dans le démarrage de la phase de conception (phase d’esquisse) ; et que ce

choix se diminue au fur et à mesure qu’on avance dans le processus de conception312, arrivant

à un point où le poids des choix conceptuels n’aura pas d’impact sur la transformation ou

l’amélioration du projet. C’est pour cette raison qu’il est indispensable que l’analyse des cités

d’habitation de Fernand Pouillon concernera les premières phases du processus de conception

architectural, phases décisives dans les choix conceptuels et constructifs.

Phases décisives dans


les choix conceptuels
et constructifs

Esquisse Avant-projet Avant-projet Etude de Dossier de


sommaire détaillé projet consultation des
entreprises

Figure 5.2 : Schématisation du paradoxe de la construction d’Adolphe Luc

Source : Figure Extraite de : Fernandez. L, « Transposition en architecture des connaissances


d’ingénierie environnementale et des savoirs relatifs au choix des matériaux », Thèse de doctorat,
Université de Toulouse. 2010, p61

311
Fernandez. L, ibidem
312
ibidem

156
Avant d’élaborer la méthode d’analyse, il est indispensable d’avoir une vision globale sur le

processus de conception en architecture. Il est à noter que l’objectif de cette section n’étant pas

de s’étaler sur le processus de conception étant donné la complexité de la question et le nombre

des recherches faites dessus, mais plutôt toucher aux points essentiels en relation avec

l’élaboration de la méthode d’analyse.

5.1.1. Le processus de conception architecturale :

Le développent des connaissances scientifiques et technologiques a eu de grandes conséquences

sur la compréhension de la conception architecturale. Cette dernière, en étant envahie par des

connaissances étrangères tel que la sémiotique, les sciences de l’artificiel et les sciences

cognitives (l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la linguistique, l’informatique, etc.)313, a

connu un élargissement dans son champ d’investigation, ce qui a rendu sa définition plus

complexe.

5.1.2.3. Définition de la conception :

La conception peut être définit d’une manière générale comme « un processus dirigé vers un

résultat qui n’existe pas encore »314, ce qui renvoie à une création originale de quelque chose

de nouveau. H. Simon315 quant à lui a défini la conception en l’opposant à la science : si la

science étudie les lois de la nature en vue d’accroître la connaissance sur la réalité, la conception

agit sur les artefacts humains pour contrôler cette réalité316.

313
Prost. R, p11
314
Borillo, M. et Goulette, J.P. (ed.), « Cognition et création ; explorations cognitives des processus de
conception », Mardaga, Sprimont, 2002
315
Simon, H. (1969) The sciences of the artificial, The Mit Press, Cambridge, MA
316
Silvestri. C, « Perception et conception en architecture non-standard. Une approche expérimentale pour
l’étude des processus de conception spatiale des formes complexes » Thèse de doctorat, Université Montpellier
II, 2009, p 29

157
En anglais, le processus de conception signifie « design », qui n’a pas de traduction directe en

français317. Le mot « design » à plusieurs acceptions ; comme verbe, John Chris Jones considère

design comme un processus qui vise à « amorcer un changement dans les artefacts humains

»318. Alors que comme nom, il désigne le résultat de cette action, c’est à dire « le projet »319.

Tandis qu’en Italien, le verbe design est traduit par « progettazione » et le nom design par

« progetto », qui signifie en français « projet »320.

5.1.2.3. Le processus de conception entre données objectives et subjectives :

D’après les études menées sur le processus de conception321, il s’est avéré que la conception est

un mélange de raisonnement technique et rationnel (qui concerne les données objectives telles

que le lieu, le site, le climat, le programme, la réglementation, les exigences attendues) et une

sorte d’intuition (ça concerne les données subjectives qui correspondent aux choix des

concepteurs, au parti, aux références et à la façon de les analyser 322.

D’un côté, les données objectives renvoient à la théorie de « la boite de cristal »323, dont un

grand nombre d’architecte préfère à cause de son caractère rationnel324. Cette dimension

rationnelle est bâtie sur le triptyque : Analyse, Synthèse, Evaluation (figure 5.3). Tandis que les

données subjectives renvoient à la théorie de « la boite noire »325 qui représente la partie

créative et obscure du processus de conception. Cette dimension irrationnelle dépend du

317
Ibidem
318
Jones. C.J, “Design Methods: Seeds of Human Futures”, Wiley-Interscience, London, UK, 1992, cite par
Silvestri. C, ibidem
319
Silvestri. C, ibidem
320
Ibidem
321
Voir Chupin. J-P, « La Mariée mise à nu… », à propos de l’enseignabilité des modèles de la conception, in
Cognition et Création, Edition Mardaga, Belgique, 2002
322
Fernandez. L, « Transposition en architecture des connaissances d’ingénierie environnementale et des savoirs
relatifs au choix des matériaux », op.cit., p62
323
Glass box Theory
324
Mazouz. S, « Eléments de conception architecturale », OPU Alger, 2014, p 9
325
The Black Box Theory

158
concepteur, de ce qu’il comprend ainsi que de son mode de raisonnement et de ses références

(figure 5.3)326.

Figure 5.3 : La boite de cristal (verre) et la boite noir dans le processus de conception architecturale

Source : Figure Extraite de : Fernandez. L, « Transposition en architecture des connaissances


d’ingénierie environnementale et des savoirs relatifs au choix des matériaux », Thèse de doctorat,
Université de Toulouse. 2010, p62

5.1.2.3. Le Processus de conception entre problème et solution, naissance des

méthodes de conception :

La conception comme processus de résolution de problème est née dans les années soixante

comme la première génération de méthodes pour étudier la conception. Ces méthodes sont

basées sur l’application de méthodes systématiques, rationnelles et scientifiques. Christopher

Alexander et Serge Chemayeff sont parmi les premiers à avoir étudié la conception de cet angle.

Leur méthode de résolution de problème est basée sur une subdivision du problème en plusieurs

parties pour être traitées séparément, ensuite elles seront synthétisées comme solution totale au

problème327. Il faut noter que cette méthode a reçu beaucoup de critiques à cause de son

caractère rationnel et cartésien. A cause de leur caractère linéaire, ces méthodes fournissaient

326
Fernandez. L, « Transposition en architecture des connaissances d’ingénierie environnementale et des savoirs
relatifs au choix des matériaux », op.cit., p62
327
Mazouz. S, « Eléments de conception architecturale », op.cit., p 11

159
peu d’information pour dire comment concevoir un bâtiment. Jones a dit à ce propos : « Dans

les années 70, j'ai réagi contre les méthodes de conception. Je déteste le langage de la machine,

le behaviorisme, la tentative continuelle pour mettre toute la vie dans un cadre logique »328.

5.1.2.3. L’évolution des méthodes de conception :

La conférence de 1962 sur les « design méthodes » tenue à « l’imperial College » à Londres a

marqué le début d’un mouvement pour la systématisation de la conception architecturale à

travers des méthodes. La première génération est née dans un contexte de reconstruction

d’après-guerre (après la deuxième guerre mondiale) qui favorisait les méthodes rationnelles et

systématiques comme la méthode d’Asinow (1962), d’Alexander (1964) et de Jones (1970).

Toutefois, dans les années 70, ces méthodes de première génération ont connu un rejet pour

laisser place à une deuxième génération de méthodes qui s’orientaient vers les solutions

satisfaisantes. Mais selon Dorst et Dijkhuis, bien que les méthodes de deuxième génération

aient pris en considération le lien entre le processus de conception et le contenu, « le caractère

dialectique de la conception comme une conversation réflective perd la clarté et la rigueur du

paradigme de la résolution rationnelle de problème »329

Alors une troisième génération basée sur la combinaison des deux générations précédentes est

apparue dans la fin des années 70, inspirée des travaux de Karl Popper330 et de son modèle de

méthode scientifique : conjecture et réfutation331. Le modèle de Popper est basé sur le fait que

dans toute œuvre de création et d’invention ce n’est pas le processus analytique de laboratoire

qui permet l’invention, mais plutôt une conjecture (une idée, un concept, un stéréotype) dans la

tête du concepteur qui sert de point de départ au processus de réflexion, et que le processus

328
Cross. N, “Forty Years of Design Research”, Design Research Society, Wonder ground, 2007.
329
Laaroussi. A, « Assister la Conduite de la Conception en Architecture : Vers un système d’information
Orienté », thèse de doctorat, Institut National Polytechnique de Lorraine, 2007, p60
330
Popper. K, « conjecture and refutations : the growth of scientific knowledge », Routledge & Kegan Paul,
Londre, 1963
331
Mazouz. S, « Eléments de conception architecturale », op.cit., p 16

160
analytique ne fait que confirmer ou infirmer en aval 332 . L’avantage de ces méthodes par rapport

à celles de première génération est la multitude de solutions générées qui seront analysées et

traitées pour en sélectionner une.333

En parallèle à ces méthodes scientifiques et systématiques de conception, l’influence des

modes, tendances et courants de pensée ont augmenté la complexité du processus de conception

en architecture. Par conséquent, l’évolution du processus de conception a été influencée par les

enjeux et les choix politiques et idéologiques de la société de l’époque 334. Said Mazouz335 a pu

retenir quatre comme les plus importants de ces mouvements de pensée :

L’école des beaux-arts qui a privilégié les canons esthétiques et la notion de parti architectural

en évitant toute rationalité à l’exception d’une rationalité stylistique et esthétique ;

L’école du Bauhaus qui a construit le soubassement du style international à travers l’unicité de

la pensée créatrice de l’art et de l’industrie ;

Le fonctionnalisme du mouvement moderne qui s’intéressait aux méthodes rationnelles de

conception et à l’intégration des produits innovants dans le projet architectural ;

Le post-modernisme et l’intérêt qui portait sur la société et les programmes d’habitat tout en

revenant à la ville dans sa configuration traditionnelle.

332
Ibidem
333
Ibidem, p17
334
Ibidem, p 10
335
Ibidem

161
5.1.2. L’élaboration de la méthode d’analyse :

En s’appuyant sur la section précédente, l’élaboration de la méthode d’analyse sera en rapport

avec le processus de conception architecturale. On a vu que les méthodes de conception

architecturale, bâtis comme processus de résolution de problème, s’appuient sur la génération

d’une solution architecturale finale en synthétisant des solutions partielles.

Parmi les problèmes auxquels se heurtaient les méthodes de conception, la manière de

subdiviser le savoir architectural pour pouvoir analyser les solutions partielles. Angyal (1967),

cité par Broadbent, propose une subdivision suivant le principe de l’articulation structurelle (en

se rapportant aux écosystèmes et aux systèmes holistiques) qui tient en compte les jonctions

naturelles existantes entre les sous-systèmes et leurs rapports avec la totalité336.

Les études de B.P.R.U de Thomas Markus (1971) et de Broadbent (1973) sur les méthodes de

conception, qui s’inscrivent dans une approche systémique et rationnelle, ont tenté de subdiviser

le savoir architectural en entités séparées (en famille de facteurs générateurs de forme

architecturale) 337 pour tirer des solutions partielles de chaque entité afin de synthétiser ensuite

une solution finale. Pour résoudre le problème de subdivision, cette approche s’appuie sur le

principe d’articulation structurelle d’Angyal pour gérer les interactions entre les parties338.

Une deuxième difficulté auquel se heurtait cette approche, selon Mazouz. S, concerne la

participation de chaque entité dans le processus de conception. Pour expliquer ce point on va

utiliser le même exemple de Mazouz. S, celui de la forme d’une unité de bâti, qui peut être

générée par plusieurs entités du savoir architectural qui contribuent simultanément à sa genèse.

La forme de l’unité de bâti en question peut être générée de manière simultanée par l’aspect

environnemental et l’aspect planning spatial. La solution à cette difficulté se trouve dans « le

336
Ibidem, p 19
337
Ibidem, p 30
338
Ibidem

162
concept « d’héritage » entre les diffèrent ‘concepts’ de forme dégagés par chaque entité de

savoir »339.

De ce fait, la méthode d’analyse des cas d’étude de cette recherche sera guidée par cette

subdivision du savoir architectural. On a utilisé la même subdivision de Mazouz. S en quatre

familles de facteurs générateurs de la forme architecturale qui s’articulent structurellement entre

eux pour former l’entité. Constituée par l’interaction homme-bâtiment-environnement, cette

subdivision comprend quatre éléments : l’environnement physique et urbain qui concerne les

éléments se rapportant à l’environnement, au climat, au terrain, aux rapports à l’urbain et au

site. Le Planning spatial qui concerne le programme et l’organisation spatial. Environnement

socioculturel (conceptuel) qui se rapporte aux idées génératrices, paradigme et principes de

composition. Les ressources qui regroupent l’état d’art en matière de technologies

constructives et système et procédés de construction. Cette dernière famille de facteurs ne sera

pas étudiée séparément mais plutôt intégrée dans les trois autres familles, pour mettre l’accent

sur la relation qui existe entre conception et construction dans l'architecture de Pouillon.

339
Ibidem

163
5.2. L’analyse des cas d’étude : les cités d’Alger de Pouillon :

Elles sont trois cités, construites entre 1953-1957 sur les hauts d’Alger avec une vue sur mer

dans des sites choisis exclusivement par Fernand Pouillon. Les trois ensembles s’inscrivent

dans une volonté politique pour une égalité citoyenne entre les musulmans et les européens. Ils

font partie d’un programme HLM (habitations à loyer modéré) pour d’un côté, répondre au

déficit de logements dans la capitale et de l’autre côté, redonner une nouvelle image urbaine en

vue de se débarrasser des bidonvilles qui envahissaient la capitale.

5.2.3. Contexte historique de la construction des cités :

Si l’arrivée de Jacques Chevallier à la tête de la mairie d’Alger le 26 avril 1953 était l’élément

déclencheur de la construction des trois cités, le besoin de logements pour la population

musulmane est plus ancien. En effet en 1933, lors du lancement d’une grande enquête sur la

Casbah d’Alger, cette dernière, qui constituait le premier refuge des indigènes, était déclarée

bonne à détruire selon les hygiénistes, à cause de son insalubrité340. Heureusement, et grâce à

l’association « Les amis d’Alger » qui plaidait pour la conservation du patrimoine musulman,

la décision finale des enquêteurs était de conserver et de restaurer les bâtiments qui présentaient

une valeur esthétique et de détruire le reste341. Cette décision impliquait qu’un nombre

important de musulmans s’est retrouvé sans logement. Cette recherche qualitative a engendré

enfin de compte une crise de logement, ce qui nécessitait de prévoir la construction des cités

d’habitation pour accueillir cette population indigène.

Les HBM (habitations à bon marché) créées en 1921 étaient la première solution adoptée pour

lutter contre les bidonvilles qui n’arrêtaient pas d’entourer la ville d’Alger. Une quinzaine de

340
Voldman. D, « Fernand Pouillon architecte », Payot, 2006, Paris, p168
341
Ibidem

164
bidonvilles se sont créées à la périphérie de la ville, dont celui de Mahieddine342, l’un des plus

importants et plus anciens d’Alger. Ce dernier fera l’objet d’étude sur les bidonvilles en 1952

pour le groupe d’Alger - constitué notamment de Léon Claro, Pierre Bourlier, Louis Miquel,

Pierre-André Emery et Roland Simounet- en vue de préparer le 9eme CIAM sur l’habitat prévu

à Aix-en-Provence en 1953.

En 1949, la formule HBM deviendra les HLM après la deuxième guerre mondiale. La principale

nouveauté par rapport à la première formule c’est l’industrialisation du chantier afin

d’augmenter la quantité, démineur le coût et les délais de réalisation. Jacques Chevalier profite

de cette nouvelle formule HLM pour concrétiser son objectif, celui de rendre la ville d’Alger

« l’une des villes les plus modernes de la Méditerranée »343. Derrière cet objectif se cachait une

ambition politique, celle de promouvoir l’image de l’Algérie française en associant les

musulmans à ce projet. Cette grande ambition nécessitait à la fois une architecture monumentale

de style méditerranéen et une architecture urbaine inspirée des traditions locales344. En plus de

la qualité architecturale requise, il était indispensable que ce projet voie le jour le plutôt

possible, tout en respectant l’enveloppe financière très serrée de l’époque. Or, les architectes

qui exerçaient à Alger à l’époque ne remplissaient pas ces conditions. Déçu par les logements

sociaux réalisés en 1950 dans le quartier du Champ de Manœuvre par Bernard Zerfuss et Jean

Sabag, Jacques Chevalier, sur les conseils de Georges Blachette et d’Eugene Claudius-Petit,

s’adresse à Fernand Pouillon pour réaliser mille logements HLM dans une durée d’une année345.

L’architecte était déjà réputé par sa vitesse d’exécution, et surtout, par son architecture de

qualité tout en étant la plus économique du marché : « vous avez la réputation d’aller vite, vous

342
Celik. Z, « Bidonvilles, CIAM et grands ensembles », in Cohen. J. L, Oulesbir. N et Kanoun. Y (dir), « Alger.
Paysage urbain et architecture, 1800‐2000 », Paris, Les éditions de l'imprimeur, 2003, p186-227, cité par
Voldman. D, op.cit., p168
343
Malverti. X, « La saga Algérienne », in Bonillo. J. L, «Fernand Pouillon, architecte méditerranéen »,
Marseille, éditions Imbernon, 2001.p 64
344
Ibidem
345
Ibidem

165
faites des miracles »346. Trois mois seulement, après la première rencontre entre Chevallier et

Pouillon, étaient suffisants pour poser la première pierre de la cité Diar-Es-Saada en 04 aout

1953. Diar-El-Mahçoul et Climat de France seront lancées en parallèle en 1954.

5.2.2. L’analyse des cités d’habitation de Pouillon :

L’analyse démarrera avec la cité de Climat de France comme premier cas d’étude même si de

point de vue chronologique, c'est le dernier des trois ensembles construits par Pouillon.

L’ensemble de Climat de France a fait l’objet de plusieurs études, il est le plus connu de toutes

les réalisations de Pouillon, raison pour laquelle il sera le premier cas d’étude à analyser ; ça

sera comme une introduction qui permettra de se familiariser avec l'architecte. Ensuite,

l’analyse sera plus approfondie dans le cas de Diar-El-Mahçoul, on s’attardera sur les citations

de Pouillon qui expliquent davantage sa vision architecturale. Enfin, l’analyse se terminera avec

l’ensemble de Diar-Es-Saada, dans lequel sera question de retrouver les éléments de la vision

architecturale de Pouillon développés dans les deux premiers ensembles.

5.2.2.1. Climat de France

5.2.2.1.1. Environnement physique et urbain :

Climat de France est le plus grand ensemble construit par Pouillon en Algérie entre 1954 et

1957 à Alger (figure 5.4), dans le quartier populaire de Bab-el-Oued. L’ensemble est divisé en

deux grandes parties : une partie basse limitée du haut par le bâtiment des deux cent colonnes,

et du bas par un bâtiment de forme fluide qui embrasse la forme du terrain ; tandis que la partie

haute est constituée de différents bâtiments qui s’articulent entre eux suivant une grille

346
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », Edition Seuil, Paris, 1968, p 168

166
orthogonale. Vu que l’ensemble est en dégradé suivant la pente du terrain, chaque partie est

traversée par un axe de perspective matérialisé en un grand escalier qui desserve les différents

bâtiments.

Figure 5.4 : Climat de France plan de masse

Source : l’archive de « l’association des pierres sauvages de Belcastel - Fernand Pouillon » / Editée
par l’auteur

167
Climat de France peut être considéré comme l’exemple parfait de l’intégration réussite du

bâtiment dans le site. Aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de construire du logement social dans un

terrain en pente (irrégulier), un grand nombre d’architectes ont recours aux moyens mécaniques

en procédant à un terrassement total pour travailler sur un terrain plat. Il est à croire que pour

eux, c’est un moyen de gain de temps en considérant le terrain comme plat et de travailler

l’implantation qu’en deux dimensions (vue aérienne). Ça permet aussi d’insérer n’importe

quelle forme, généralement déjà prête (un projet type), sans se préoccuper de la nature du

terrain. Malheureusement, dans la plupart des cas, le résultat est un ensemble sans âme et sans

aucun rapport ni avec le site ni avec l’environnement immédiat. C’est en quelque sorte l’une

des conséquences du mouvement moderne et la standardisation du bâtiment avec les nouveaux

moyens technologiques et le béton armé comme matériau de prédilection.

A Climat de France, le site de trente hectares était jugé inconstructible vu ses reliefs et sa

consistance en marne très altérée due aux infiltrations des eaux de pluie. Donc le terrain était

instable à cause de cette couche épaisse d’argile qui couvrait le terrain sur une profondeur

importante (environ 100 mètres)347. Mais ce n’était pas tout, un problème plus consistant se

trouvait dans les profondeurs du terrain. Cette couche épaisse d’argile était tout le temps humide

due aux eaux de l’impluvium filtrant à travers le plateau molassique supérieur, et se glissait un

centimètre par an sur les parois résistantes du ravin348. Si le premier problème pouvait être

résolu en construisant sur pilotis ou en dégageant la couche d’argile, même si elle était

importante mais c’était faisable selon Pouillon, le deuxième problème était de l’ordre de

l’impossible. Comment arrêter le glissement du terrain dû aux eaux de l’impluvium ? Même

Pouillon n’imaginait pas vaincre cette contrainte naturelle qui était d’ordre géologique et qui

347
Ibidem, p199
348
Ibidem

168
ne faisait pas partie de ses connaissances acquises, d’où la nécessité de designer une

commission technique pour trouver une solution349.

Photo 5.1 : Les drains obliques à Climat de France

Source : l’archive de « l’association des pierres sauvages de Belcastel - Fernand Pouillon »

F
La commission technique a conclu que la solution au deuxième problème était de maitriser et

de canaliser le débit de cet impluvium avec des drains verticaux et obliques dans la partie

supérieure du terrain. Ces drains sont de simples forages traditionnels ; les verticaux

permettront de déverser l’eau dans les graviers à cent mètres de profondeur, et les obliques

(photo 5.1) servent à récolter l’eau dévalant sur le versant EST. Après, l’eau sera pompée en

des points préférentiels350.

Ça c’était la partie technique de la solution, la partie architecturale consistait à une masse qui

doit être positionnée dans le bas du terrain pour bloquer le mouvement des marnes supérieures.

349
Pour plus de détails voir : Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit. p, 200 - 203
350
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p 201-202

169
C’est-à-dire que le plan de la cité sera en fonction de la contrainte technique pour permettre de

stabiliser le terrain et le rendre constructible. Une première proposition architecturale a été

proposée par Pouillon en se basant sur les données techniques récoltées. Ça a donné un

ensemble de bâtiment moins dense et plus léger en masse que le climat de France qu’on connait

aujourd’hui (figures 5.5 - 5.6). Mais pendant les travaux de terrassement, il s’est apparu que le

terrain est plus fragile et qu’il nécessitait un ensemble plus dense et plus lourd pour bloquer son

mouvement. Ainsi, une répartition différente des bâtiments a été entreprise, ils seront la plupart

du temps encastrés du côté le plus haut du terrain vu que le travail de terrassement a été effectué

en talus doux plutôt qu’en dégradé comme dans la première proposition.

Il faut mentionner que ce changement de plan a coûté de l’argent et du temps à Pouillon et à

l’office des HLM ; trois mois de travail acharné de soixante dessinateurs. Ce qui revenait à

l’époque à cinquante millions de francs pour la nouvelle étude due à un échec technique que

Pouillon aurait pu prévoir351 ; ce sont les propres mots de Pouillon dans ses mémoires, et il

ajoute que « dans la profession, peu le comprennent. Une étude dirigée sans perte de temps a

pour conséquence des gains considérables, alors qu’un projet repris dix fois de suite finit par

couter plus qu’il ne rapporte »352. Autrement dit, l’intégration des connaissances techniques

dès la phase de la conception permet d’éviter l’interruption des travaux dans la phase de

réalisation due à des contraintes techniques non prisent en considération dans le processus de

conception, du coup gagner en délai et en coût d’étude et de réalisation.

Si on s’est permis de s’attarder sur l’intégration de l’ensemble dans le site, c’est parce que les

contraintes naturelles du terrain ont fortement influencé les choix conceptuels et constructifs de

l’architecte. Il suffit de comparer les deux variantes (figure 5.5 – 5.6) pour voir l’importance

des changements accomplies. La nouvelle proposition est composée autour d’un grand bâtiment

351
Ibidem, p 207
352
Ibidem

170
massif nommé « le bâtiment des deux cent colonnes ». Il joue, à travers son poids, le rôle d’un

stabilisateur du terrain. Autour de lui sont projetés des espaces superposés accessibles par des

grands escaliers et des rompes à cause de la forte déclivité du terrain.

Figure 5.5 : Climat de France, la première proposition


Source : l’archive de « l’association des pierres sauvages de Belcastel - Fernand Pouillon »

Figure 5.6 : Climat de France, la proposition finale


Source : l’archive de « l’association des pierres sauvages de Belcastel - Fernand Pouillon »
171
L’implantation de l’ensemble obéi à une grille orthogonale dans laquelle on peut distinguer des

entités séparées par des voies mécaniques. Chacune d’elle dessine une place intérieure. A

l’exception de l’axe mécanique au milieu de l’ensemble et des deux principaux axes piétons

dans le sens de la pente, les axes ne sont jamais traversant dans tout l’ensemble (figure 5.7). Il

y a toujours un décalage créé par des bâtiments dans le sens de la pente pour d’un côté, éviter

la grille monotone comme échiquier, d’un autre côté, pour renforcer l’unité et le paysage

intérieur de l’ensemble en multipliant les passages qui débouchent à chaque fois dans des places

entourées par les bâtiments (figure 5.7).

Figure 5.7 : Climat de France, plan de masse avec les deux axes de perspectives et les différentes places

On a pu noter que l’accès à l’ensemble se fait suivant un parcours constitué d’une succession

de points de vue (figure 5.8). Les bâtiments de l’ensemble sont disposés d’une manière à être

regarder suivant des points de vue bien choisis. Les Joindre revient à dessiner le parcours

principal que peut emprunter le promeneur. En plus du parcours comme générateur de point de

172
vue, ils peuvent être générés aussi par la rotation de la tête du promeneur sur elle-même sans

avoir à se déplacer.

Figure 5.8 : Climat de France, le parcours architectural avec les différents points de vue

5.2.2.1.1. Planning spatial :

Vu la grandeur de l’ensemble, Pouillon a diversifié les types de bâtiments pour éviter toute

répétition et monotonie. Cette diversité de bâtiments a exigé une diversité de typologie de

logements. En général, trois typologies sont distinguées : des appartements traversant (double

exposition), des appartements simples (mono-exposition) et des appartements avec « solutions

particulières » qui incluent également « bâtiments avec patios »353.

353
G. Geenen, A. Loeckx, and N. Naert, « Climat de France », Leuven, 1991, p10-28, cité par Çelik. Z, « Urban
formes and Colonial fortifications : Algiers Under French Rule », op.cit., p 153

173
Les appartements traversant (figure 5.9), d’une surface comprise entre 40 à 50 mètres carrés,

occupent toute la largeur du bâtiment. Un escalier desserve deux appartements à chaque étage.

Ce type d’appartement se compose d'une ou deux chambres à coucher, un séjour avec un coin

cuisine ouvert, et une salle d’eau collée à un petit hall d'entrée.

Figure 5.9 : Climat de France, plan d’un appartement traversant avec une ou deux chambres.

(1) Séjour, (2) chambre, (3) Salle d’eau, (4) kitchenette, (5) Hall d’entrée, (6) loggia.

Les appartements simples (mono exposition) (figure 5.10) sont regroupés en quatre autour d'un

« noyau sanitaire ». Ils sont plus petits que le premier type, environ 30 mètres carrés.

Généralement sont composés d’une seule chambre, un séjour, une cuisine dans un coin de la

salle de séjour comme dans le premier type, et une salle d’eau à côté de l'entrée.

Figure 5.10 : Climat de France, plan


d’un appartement simple (mono-
exposition).

(1) Séjour, (2) chambre, (3) Salle


d’eau, (4) kitchenette, (5) Hall
d’entrée.

174
Le troisième type de logement, avec le système de patio, permettait le regroupement soit de

quatre ou de douze appartements autour d'une cour intérieure (patio). Ces logements ont la

même composition que celles des typologies précédentes. Le grand patio central permet entre

autres une ventilation transversale.

Figure 5.11 : Climat de France, plan des logements dans un bâtiment avec système patio.

(1) Séjour, (2) chambre, (3) Salle d’eau, (4) kitchenette, (5) Hall d’entrée, (6) loggia.

Si la dimension des logements est loin d’être suffisante aujourd’hui354, l’organisation spatiale,

quant à elle prend en compte les pratiques habitantes de la population musulmane. La

disposition du hall d'entrée est faite d’une manière à ce que le séjour (espace de vie) ne soit pas

exposé à une vue directe à partir de la porte principale. Une autre tentative de répondre aux

formes et aux coutumes locales est matérialisée dans l’emplacement spécifique des salles d’eau

(généralement positionnée juste à côté du hall d’entrée), et dans le traitement des façades,

presque tous les types de logements possèdent un balcon profond (une cour) protégé de

354
Selon Çelik. Z, Il a été rapporté à plusieurs reprises que par rapport aux bidonvilles de l’époque, les
logements de Climat de France semblaient être un « paradis ».

175
l’extérieur par un mur perforé. Ces murs perforés, en faisant office de « moucharabié »,

permettent d’assurer l'intimité des habitants toute en produisant de l'ombre.

Photo 5.2 : Climat de France, bâtiment des deux cent colonnes, 2017

En passant au bâtiment principal de l’ensemble, celui des deux cent colonnes (photo 5.2), on

est confronté en premier lieu à une massivité qui peut suggérer que le bâtiment est une simple

accumulation de logement autour d’une cour. Mais la disposition des logements au sein du

bâtiment des 200 colonnes parait obéir à une unité constructive qui règle le rythme de

l’ensemble. Cette unité est la travée. Pour Barazzetta. G : « la travée est toujours l’élément

clairement identifiable dans sa répétition qui configure l’ordre fermé des séquences des espaces

publiques…Mais la travée est aussi le noyau conceptuel de la grille modulaire, de la trame

176
sans fin de la composition ouverte »355. On a vu précédemment356 que la travée peut avoir

plusieurs interprétations chez Pouillon. Dans le bâtiment des 200 colonnes, la travée est

« mesure et répétition », elle est matérialisée dans les 200 portiques. En effet, Pour surpasser

cette simple accumulation de logements, Pouillon les a disposé autour d’une grande cour

dessinée par un anneau constitué de deux cent portiques. En plus d’ordonner et de définir

l’espace, ces portiques permettent une transition entre la partie privée des logements et la partie

publique de la cour357 (figure 5.12). Ce bâtiment comprend plusieurs accès (sept accès en tout)

dont quatre principaux. Les deux principaux dans les petits côtés du bâtiment (sens longitudinal)

sont marqués par des propylées saillants constitués d’une série de colonnades. Alors que les

deux accès décentrés des longues façades sont marqués par un escalier monumental pour

rattraper la différence de niveau entre la cour intérieur et la route extérieure.

Figure 5.12 : Climat de France,


plan bâtiment des deux cent
colonnes

(1) Séjour, (2) chambre, (3) Salle


d’eau, (4) kitchenette, (5) Hall
d’entrée, (6) loggia, (7) galerie.

355
Barazzetta. G, « Composition, structure, matériaux : une simultanéité sans concession », Entretien Fernand
Pouillon, trentenaire de sa disparition 1986-2016, « l’héritage de Fernand Pouillon, le rôle social de
l’architecte », 13 Mai 2016, Rodez-Aveyron-France.
356
Voir chapitre 4, Enseignement de F Pouillon, Parcours professionnel, Auguste Perret
357
Lucan. J, « « Les 200 colonnes, Alger 1954 - 1957 », revue AMC, n°1, Avril 1983.

177
Si la grande cour est un espace public de rencontre pour les hommes de la cité, la terrasse sur

le toit (photo 5.3) était la réponse de Pouillon pour un espace public pour les femmes. Pouillon

a emprunté ce concept aux toits de la Casbah d’Alger, appropriés par les femmes comme leurs

propres espaces publics et privés. L’accès à la terrasse est assuré par des escaliers étroits pour

souligner le caractère privé du passage et rappeler les rues en escalier de la Medina. Cette

terrasse était destinée à remplir une autre fonction ; autre qu’un espace de rencontre et de

socialisation, elle était comme un espace de travail qui permet aux femmes de laver leurs linges.

Photo 5.3 : Climat de


France, terrasse du bâtiment
des deux cent colonnes

Source : l’archive de
« l’association des pierres
sauvages de Belcastel -
Fernand Pouillon »

L'immense terrasse sur le toit était parsemée de petits pavillons de lavabos disposés à intervalles

réguliers. Avec cette solution, Pouillon voulait conserver les façades du bâtiment aussi

authentique que possible en évitant aux habitants de projeter leurs linges sur les fenêtres pour

les sécher. Cependant, les femmes des 200 Colonnes, ont refusé de monter les escaliers étroits

avec des paniers de linge, et ont plutôt choisi de laver leurs vêtements dans leurs

178
appartements358. Pour sécher le linge, ils ont projeté des tiges sur les fenêtres, ajoutant

involontairement une atmosphère « d’authenticité », si chère à Pouillon359.

L’architecte a dessiné le bâtiment des 200 colonnes d’une manière à être parcourus de deux

manières différentes ; le premier parcours peut être fait par le biais de la grande place en

accédant par l’un des sept accès (photo 5.4). Il nous offre une sensation de clarté et de grandeur

par l’immensité de la place et la monumentalité du bâtiment avec ses deux cent colonnes. Le

deuxième est plus discret avec une galerie à ciel ouvert ombragée à l’image des ruelles de la

Casbah d’Alger (photo 5.5) ; le parcours est compris entre les façades intérieures occupées par

deux cent boutiques et les larges colonnes d’un mètre.

Photo 5.4 : Climat de France, le bâtiment des 200 colonnes par la grande place, 2017

358
Çelik. Z, « Urban formes and Colonial fortifications : Algiers Under French Rule », op.cit., p 156
359
Ibidem

179
Photo 5.5 : Climat de France, le bâtiment des 200
colonnes par la gallérie, 2017

5.2.2.1.2. Environnement socioculturel (conceptuel) :

Bien que Pouillon a apprécié et s’est inspiré de l'architecture vernaculaire algérienne, la

monumentalité était sa réponse pour l’ensemble de Climat de France. Ce choix conceptuel était

lié à des préoccupations techniques360 et sociales. Pour Pouillon, même les pauvres avaient le

droit d'habiter un monument, c'est la dignité des hommes qu'il faut respecter. A ce propos,

Pouillon dit dans ses mémoires : « Pour la première fois peut-être dans les temps modernes,

nous avions installé des hommes dans un monument et les hommes qui étaient les plus pauvres

de l'Algérie pauvre l'ont compris »361.

Dans Climat de France, Pouillon se détourna des références de l’architecture sarrasine

d’Espagne qui marque la vieille ville d’Alger. Pour une « plasticité plus profonde, plus austère

»362, Pouillon tourna vers le sud, au Sahara, aux villes du Mzab et aux ruines d’El-Goléa et de

360
La fragilité du terrain nécessité un ensemble massive.
361
Pouillon. F, « Mémoires d’un architecte », op.cit.
362
Ibidem, p 206

180
Timimoune, vers une architecture caractérisée par ses géométries rectilignes simples et ses murs

pleins. Sans oublier aussi sa référence au Meidan-i Shah d'Ispahan en Iran. A vrai dire, le

bâtiment des 200 colonnes peut être considéré comme une petite réplique du Meidan-i Shah,

qui est un espace public introverti entouré d'une colonnade continue de deux étages. Même

l'axialité du « Meidan » de Pouillon fait écho à ce schéma : l'axe principal, marqué d'hypostyles

en forme de hall, traverse la cour dans le sens longitudinal, tandis que l'axe court est décentré,

comme à Ispahan.

Il est à noter que cette monumentalité n’a rien altéré au caractère vernaculaire de l’ensemble,

du moins c’est ce qu’il a pensé le sociologue français Jacques Berque (1910- 1995) 363. G.

Geenen, A. Loeckx et N. Naert364 soutiennent cet avis de Berque en distinguant trois images

distinctes de l’ensemble de Climat de France : ils annoncent que vu du nord-est, Climat de

France évoque l'image d'une nouvelle Casbah ; alors que du nord-ouest il ressemble à une petite

ville fortifiée ; et en s'approchant de l’ensemble du côté nord-ouest, il apparaît comme une

fortification réelle365 (une image monumentale).

Le bâtiment des deux cent colonnes est le plus important de l’ensemble, il est fait comme un

monument mais destiné à être habité par les pauvres. C’est un immeuble conçu pour contenir

deux cent boutiques d’artisans et abriter plus de six mille habitants. La composition des

logements est faite suivant une grille orthogonale dont le module est le même que celui des

deux ensembles Diar-Es-Saada et Diar-El-Mahçoul, c’est-à-dire la marmite366 de 60x60 cm.

Tandis que la composition du bâtiment avec sa cour centrale est rythmée par la travée (figure

5.13). Pouillon a résumé la composition du bâtiment de 200 colonnes suivant une suite

363
Berque. J, « Médinas, ville neuves et bidonvilles », Cahiers de Tunisie, 1958, p21-22, cité par Çelik. Z,
« Urban formes and Colonial fortifications », op.cit., p 152
364
G. Geenen, A. Loeckx, and N. Naert, « Climat de France », op.cit., p10-28, cité par Çelik. Z, ibidem
365
Çelik. Z, « Urban formes and Colonial fortifications », op.cit., p 152
366
Selon Sayen. C, une marmite est un élément carré de la structure des planchers inventée par Pouillon fait en
staff (un mélange de plâtre et de fibre) ou en ciment creuse entre les quelles passent une armature en acier et
béton pour soutenir le plancher comme des nervures.

181
numérique de 1 à 9 : « 1 était le coté des piliers et la hauteur d’une assise. 2, l’espace entre les

piliers. 3, la dimension du linteau monolithe. 4, la largeur du portique. 5, que multiplie 8, la

largeur de place. 6, que multiplie 40, (la longueur de la place) sa longueur. 7, que multiplie 40,

la longueur hors tout. 8, la hauteur des piliers. 9, la hauteur des portiques ».367

Figure 5.13 : Climat de


France, rapports de
proportion dans la
composition du bâtiment
des deux cent colonnes

Source : Avermaete. T,
« Climat de France.
Fernand Pouillon’s re-
invention of modern
urbanism in colonial
Algiers (1955-1957) »,
OASE 74 Invention,
December 2007, p 122

367
Pouillon. F, « Mémoires d’un architecte », op.cit., p 208

182
La façade extérieure du bâtiment est composée en faisant référence aux remparts de la vieille

ville. Avec ses minuscules et profondes ouvertures, le traitement de la façade extérieure comme

une tapisserie modulaire a été inspiré des motifs d’un tapis du sud de l'Algérie368 (photo 5.6).

En revanche, la façade intérieure doit son caractère public à la colonnade, derrière laquelle les

entrées voûtées aux magasins sont alignées (photo 5.4).

Photo 5.6 : Climat de France, traitement de façade du bâtiment des 200 colonnes

Source : Photographie de Stéphane Couturier

Le bâtiment des 200 colonnes offre une expérience remarquable dans la coexistence entre

l’échelle monumentale et humaine369. Si la massivité du bâtiment avec son caractère fermé de

l’extérieur, ainsi que la grande cour intérieure avec les 200 colonnes renforcent l’image de la

monumentalité, l’échelle humaine du bâtiment on la retrouve derrière ces colonnades qui

servent comme un écran, ou comme un filtre entre l’espace privée et l’espace public.

368
Pouillon. F, « memoires d’un architecteé », op.cit., p 207
369
Avermaete. T, « Climat de France. Fernand Pouillon’s re-invention of modern urbanism in colonial Algiers
(1955-1957) », OASE 74 Invention, December 2007, p 122

183
Photo 5.7 : Climat de France, le bâtiment des 200 colonnes, murs extérieurs en pierre taillée

Source : l’archive de « l’association des pierres sauvages de Belcastel - Fernand Pouillon »

Photo 5.8 : Climat de France, le


bâtiment des 200 colonnes, murs
intérieurs et arcades en brique

Source : l’archive de « l’association


des pierres sauvages de Belcastel -
Fernand Pouillon »

184
Le choix des matériaux de construction a fortement participé dans cette double échelle et cette

opposition entre deux principes d’architecture. L’emploi de la pierre pour les portiques et les

murs renforce l’architecture massive et monumentale du bâtiment (photo 5.7), tandis que

l’emploi de la brique pour les murs et les arcades de la façade intérieure (photo 5.8) renvoie à

une architecture plus humaine.

Toutefois, cet anachronisme entre l’extérieur et l’intérieur du bâtiment des 200 colonnes a fait

l’objet d’une polémique. Si cette dualité entre monumentalité et humanisme a été appréciée

par les uns, elle a été déplorée par d’autres. Le journaliste français et critique anti-colonialiste

Albert-Paul Lentin370 est l’un de ceux qui ont critiqué cet anachronisme entre l’apparence

extérieure (monumentalité) du bâtiment et la simplicité des logements (des petites cellules).

Pour Pouillon, c’est justement les dimensions réduites des logements – pour des raisons

quantitatives - qui ont exigé l’échelle monumentale de l’enveloppe extérieure 371.

En se basant sur la section précédente (planning spatial), il parait que l’ensemble obéi à deux

principes de composition architecturale : une composition suivant une grille orthogonale qui

règle la disposition générale des bâtiments ainsi que des logements (figure 5.7), et une

composition suivant le principe pittoresque qui, suivant des points de vue bien choisis (figure

5.8), dessine des parcours que l’habitant peut prendre. On ne pourra s’empêcher de penser que

la promenade architecturale au sein de la cité est inspirée pendant son séjour au sud; une

architecture qui s’apprécie à la marche à pied dans ses petites ruelles ombragées, avec des

tableaux qui se dessinent et changent suivant le parcours.

Pouillon n’était pas le seul à s’inspirer du sud Algérien. Le Corbusier en 1931, se sert de son

voyage pour décrire la promenade architecturale au sein de la villa Savoye : « L’architecture

370
Lentin. A-P, « L’Algérie entre deux mondes », Paris, 1963, p 146-147, cité par Avermaete. T, ibidem
371
Avermaete. T, « Climat de France… », op.cit., p 124

185
arabe nous donne un enseignement précieux. Elle s’apprécie à la marche, avec le pied ; c’est

en marchant, en se déplaçant que l’on voit se développer les ordonnances de l’architecture »372.

5.2.2.2. Diar-El-Mahçoul :

5.2.2.2.1. Environnement physique et urbain :

Figure 5.14 : Diar-El-Mahçoul, plan de situation

Source : Google Earth 2018

Diar-El-Mahçoul est un ensemble d’habitation construit entre 1953 et 1955, situé au nord de la

commune d’El Madania sur les hauteurs d’Alger, juste au-dessus du jardin d’Essai (figure 5.14).

L’ensemble est composé de deux parties : une partie haute (côté nord), face à la baie d’Alger,

nommée confort normal qui contient 650 logements pour les européens de l’époque, et une

partie basse (côté sud) nommée simple confort de 900 logements pour les musulmans (figure

372
Le Corbusier, Jeanneret. P, 1984, « Œuvre Complete 1929-1934 », Editions d'architecture, Zurich, p24

186
5.15). Les deux parties sont séparées par le boulevard Oulmane Khelifa (Ex-boulevard du Corps

expéditionnaire français d'Italie »).

Figure 5.15 : Diar-El-Mahçoul, les deux parties confort normal et simple confort

L’implantation de l’ensemble obéi à une grille orthogonale dans la direction sud-est nord-ouest.

La topographie compliquée du site a nécessité des travaux de terrassement, qui s’étalaient sur

une surface de 100 000 mètres carrés, et la construction des murs de soutènements massifs en

béton373. Dans les deux parties, Pouillon a profité de la pente du terrain pour superposer les

espaces publics rendus accessibles par des escaliers monumentaux. Les bâtiments sont toujours

disposés le long d’un axe de perspective ; dans la partie simple confort, on peut constater que

la disposition des bâtiments est par rapport à un axe principal de perspective (figure 5.16) qui

traverse l’ensemble de ses deux extrémités, sans aucune barrière visuelle, en passant par une

373
Çelik. Z, « Urban formes and Colonial fortifications », op.cit., p 144

187
grande place qui fait office de marché. Cette place, occupée dans son centre par des voutes

croisées, constitue la pièce maitresse de l’ensemble dans laquelle débouchent tous les accès de

la cité (photo 5.9). Elle est animée dans sa longueur par deux rythmes de travée qui leur donnent

une dimension monumentale. Elle devient comme une scène, dans laquelle le spectateur prend

son temps de contempler le paysage intérieur ; sa curiosité va s’accroitre pour découvrir la

séquence suivante, qui est assurée par la diversité des percées visuelles créées par l’architecte.

Figure 5.16 : Diar El Mahçoul simple confort : l’axe de perspective, les places et les escaliers

Photo 5.9 : Diar El


Mahçoul simple confort : la
place du marché

Source : http://alger-roi.fr

188
Dans les deux parties de l’ensemble, cette animation du parcours architectural est renforcée par

la différence de niveau que présente le terrain, et dont l’architecte a su tirer profil, en créant

différentes terrasses liées par des escaliers (figure 5.16). Ce jeu de niveaux est amplifié par les

différentes hauteurs des bâtiments, ce qui permet de passer d’un paysage à un autre par la

création des séquences qui se diffèrent suivant le déplacement du spectateur et de son angle de

vision. Par conséquent sa renforce encore plus le lien entre intérieur et extérieur, et permet de

faire pénétrer le paysage extérieur à l’intérieur de la cité.

5.2.2.2.2. Planning spatial :

L’ensemble de Diar-El-Mahçoul présente une diversité de typologie de logement variant d’un

studio d’une pièce aux appartements de six pièces, dont les plus grands étaient destinés aux

européens. L’organisation spatiale est ordonnée par une grille orthogonale, dont le module de

60x60cm est l’élément constructif du plancher (la marmite).

Dans le quartier confort moyen, Pouillon a repris les mêmes typologies de l’ensemble Diar-Es-

Saada. Tous les appartements sont traversants, c’est un choix de conception qui met en avant le

confort des habitants par la variété des vues et les sensations d’espace même dans de petites

pièces. D’un point de vue organisationnel, ce choix signifie qu’une cage d’escalier desserve

seulement deux logements (figure 5.17).

La richesse des typologies nécessitait une variation dans l’organisation spatiale des différents

logements. Par exemple, un appartement d'une seule chambre comporte un hall d'entrée, un

séjour sur lequel s'ouvre une grande loggia, une cuisine séparée et une salle de bain séparée

avec lavabo, baignoire, toilettes et bidet (figure 5.17).

189
Figure 5.17 : Diar-El-Mahçoul, confort
normal, plan d’un appartement

(1) Séjour, (2) chambre, (3) Salle de bain,


(4) cuisine, (5) Hall d’entrée, (6) loggia.

On peut remarquer que l’organisation spatiale d’un bâtiment est basée sur un principe rationnel

de composition. Il y a toujours un appartement associé à un autre plus grand d’une pièce (figure

5.18). Les deux sont liés par l’intermédiaire d’une cage d’escalier et d’une gaine technique.

C’est-à-dire que les typologies fonctionnent par binôme : un appartement d’une pièce avec un

2 pièces, un 2 pièces avec un 3 pièces et ainsi de suite. C’est comme si Pouillon concevait des

unités standards de logements au détail prêt avec différentes combinaisons de typologies, après

il procédait à un jeu d’assemblage suivant l’emplacement du bâtiment, sa longueur, son rôle

dans l’ordonnance de l’architecture et la composition de l’ensemble.

Figure 5.18 : Diar-


El-Mahçoul,
confort normal,
combinaison de
typologies (un 2
pièces avec un 3
pièces)

(1) Séjour, (2)


chambre, (3) Salle
de bain, (4) cuisine,
(5) Hall d’entrée,
(6) loggia.

190
Tandis que dans le quartier simple confort, il a développé des typologies inspirées de la maison

traditionnelle algérienne, les mêmes qu’on a vu à Climat de France. La typologie la plus

remarquable est celle avec une cour intérieure. Quatre appartements identiques sont regroupés

autour d’une cour intérieure (patio), chacun est constitué de deux chambres, un séjour avec une

petite cuisine, et une salle d’eau (figure 5.19). Même si d’un point de vue organisationnel, ce

type de logement est innovateur, il souffre quand même de quelques faiblesses, dont la surface

limitée à 35 mètres carrés pour un deux-pièces destiné à une famille musulmane nombreuse,

ainsi qu’une mauvaise qualité sanitaire.

Figure 5.19 : Diar-El-Mahçoul, simple confort, appartements avec patio

(1) Séjour, (2) chambre, (3) Salle d’eau, (4) cuisine, (5) Hall d’entrée, (6) patio.

On a pu remarquer que dans tous les bâtiments de la cité, les logements sont regroupés autour

d’une gaine technique (« la courette » pour Pouillon)374 qui regroupe toute la tuyauterie du

374
Sayen. C, « l’Architecture par Fernand Pouillon », op.cit.

191
logement ainsi que la gaine d’aération et le vide-ordure (figure 5.20). Il est clair que l’un des

points noirs de la conception des logements de masse est les différentes canalisations

d’approvisionnement en eau potable, gaz ainsi que les conduits d’aération et les vides ordures.

Généralement, on trouve ses canalisations embrassant une grande partie des murs de la salle de

bain et de la cuisine, ce qui est esthétiquement moins agréable à voir, et aussi très couteux en

tuyauterie, main d’œuvre pour la mise en œuvre ainsi que la peinture.

Dans l’organisation spatiale des logements, il semble que Pouillon a pris en considération

l’emplacement de cette courette. D’ailleurs, c’est l’élément de jonction de deux appartements

accolés l’un à l’autre. Les espaces humides sont regroupés autour de cette courette, ce qui

permet de réduire les frais de canalisation, de main d’œuvre et de temps. D’un autre côté, ça

permet d’éviter l’habillage des murs de salle de bain et de cuisine par la tuyauterie qui n’est pas

appréciable esthétiquement.

Figure 5.20 : La courette Pouillon

192
Cette courette, comme la cage d’escalier, c’est une partie commune entre deux appartements

accolés. Sa position détermine l’emplacement de la salle d’eau ainsi que de la cuisine. C’est

aussi une contrainte qui évite à l’architecte de chercher plus loin le positionnement de ces

dernières. Cette courette est identique dans tout le bâtiment, ce qui veut dire que le

positionnement de la salle d’eau et de la cuisine est identique dans tous les appartements d’un

même bâtiment.

Toutefois, cette rationalité du principe compositionnel des logements de Pouillon est basée sur

un lien de continuité entre conception et construction. L’organisation spatiale des logements est

étroitement liée au système constructif. Ce lien est assuré par la concrétisation du module en un

élément constructif : « la marmite ». Pour concrétiser ce module de la grille orthogonale dans

le chantier, il fallait développer tout un système constructif de plancher Pouillon (figure 5.21).

Il est très économique en temps et en coût, mais il est possible seulement parce que les murs

sont porteurs. Si on veut le décrire, c’est un plancher composé de 14cm de marmite ; qui est un

hourdis préfabriqué, creux mais fermé et carrée qu’on pose à l’envers sur la face fermée et lisse

pour constituer un coffrage perdue finie. Les marmites sont posées les unes contre les autres

formant en vue de haut un quadrillage ressemblant à une tablette de chocolat. Les fers sont

posés dans les vides entre marmites dans les deux sens du quadrillage, ainsi il y aura une

armature croisée (on l’appelle aussi un plancher à nervures croisées). Après, le béton sera coulé

dans les nervures pour remplir le vide entre marmites, constituant par la suite des solives. Les

premières rangées de briques seront posées avant de couler la chape de compression pour

utiliser le quadrillage comme une trame de référence pour les cloisons internes.

193
Figure 5.21 : Coupe sur le plancher Pouillon

Ce choix de system constructif lui impose des contraintes dans l’organisation spatiale des

logements. Pour Pouillon, ces contraintes ne sont pas un inconvénient mais au contraire, un

moyen qui lui permet d’assurer la beauté architecturale.

Figure 5.22 : système constructif Pouillon, Diar-El-Mahçoul simple confort bâtiment 16

194
Dans son system constructif, tous les murs de refends et de cloisons sont semi-porteurs (figure

5.22), ce qui exige que ces murs doivent se superposaient les uns sur l’autres, et par conséquent

le même type d’appartement se superpose, et que les briques doivent être posé au-dessus des

joints entre marmites et non au milieu de cette dernière (exigence du system constructif). L’un

des avantages de ce système est qu’il y aura une superposition des appartements identiques,

sauf pour le rez-de-chaussée (à cause du hall d’entrée), ce qui veut dire un seul plan pour tous

les étages d’un immeuble.

5.2.2.2.3. Environnement socioculturel (conceptuel) :

A Diar-El-Mahçoul, Pouillon s’est fortement inspiré de l’architecture traditionnelle de la vieille

ville d’Alger pour concevoir l’extérieur ainsi que l’intérieur de la cité. Il voulait pour cette cité

une architecture adaptée aux cultures et coutumes locales. Dans ses mémoires il a cité deux

références : l’extérieur était inspiré des murailles monumentales des forts turcs, alors que les

places intérieures, patios, jardins, fontaines, portiques et cascades rappellent l’Espagne (Séville

et Grenade)375.

Toutefois, les deux parties, européenne et musulmane, n’étaient pas identiques. La différence

se trouvait dans l’échelle ainsi que dans le rapport entre le plein et le vide. Si le quartier moyen

confort, ressemblant à Diar-Es-Saada, bénéficiait d’une plus grande surface de terrain, avec de

grandes places intérieures (photo 5.10), et de spacieux appartements avec de grandes

ouvertures, le quartier simple confort (photo 5.11), ressemblant beaucoup plus à une

fortification, bénéficiait d’un terrain plus petit tout en étant plus dense. Les petites ouvertures

des bâtiments et l’étroitesse des passages, ainsi que la multiplication des petites places

intérieures font référence à la vieille ville traditionnelle algérienne. Sans oublier aussi les

375
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p 205

195
évènements qui coïncidaient avec la construction de la cité, novembre 1954 le déclenchement

de la révolution algérienne. Il était imprudent de faire habiter les deux communautés dans le

même ensemble. Stephane Gruet parle de ce contexte et son apport dans la division de la cité

Diar-El-Mahçoul en deux parties distinctes : « s’il est certain que les relations entre les deux

communautés s’étaient nettement tendues dès novembre 1954, le souci incontestable d’une

meilleure adaptation aux coutumes et aux modes de vie rendait nécessaires une conception

quelque peu différente pour les deux communautés. »376

Photo 5.10 : Diar El Mahçoul, confort normal : la place de la mer

Source : www.delcampe.net

Mais ça n’empêchait pas que les deux parties bénéficiaient des mêmes principes de composition

architecturale. Murailles monumentales, places, fontaines, portiques et cascades, ce sont des

éléments qui se rapportent généralement à la ville plutôt qu’aux logements sociaux. A partir de

ces références, il est clair que Pouillon avait une autre vision pour l’architecture du logement

376
Gruet. S, « Fernand Pouillon : Humanité et grandeur pour tous », Edition Poiesis, Toulouse, 2013

196
de masse qui diffère totalement de la vision des grands ensembles du mouvement moderne à

l’époque.

Photo 5.11 : Diar-El-Mahçoul, simple confort, 2015

Photo 5.12 : Diar El Mahçoul, vue aérienne de l’ensemble, en premier plan le quartier confort
normal, en second plan la partie simple confort

Source : http://cetaitlabaslalgerie.eklablog.fr

197
L’ensemble Diar-El-Mahçoul (photo 5.12) était conçu comme une partie de la ville, de par les

axes de perspective et les percées visuelles qui s’ouvrent sur l'environnement bâti, ainsi que par

les petits passages et les places intérieurs qui ont permis de nouer un nouveau rapport entre les

bâtiments de l’ensemble et leurs espaces intérieurs. C’est une nouvelle vision de Pouillon qui

consiste à ce que l’urbanisme soit l’établissement de l’architecture. C’est une réaction de

Pouillon contre l’architecture du plan de masse, il considérait que : « Prévoir une ville, ou un

morceau de ville, ne peut pas se faire seulement en plan : il faut savoir imaginer les

architectures dans leurs moindres détails…. »377. Et il revient à ce point très important qui

consiste à composer par rapport aux bâtis existants en disant : « les grands mérites des tracés

du xvii et du xviii siècle, étaient de ne concevoir qu’en rapport d’une architecture établie. La

forme et l’aspect des bâtiments définissaient le tracé. Il était facile, à cette époque, d’installer

un site urbain. L’urbanisme était l’établissement de l’architecture »378.

Le plan de masse tant privilégié par les architectes du mouvement moderne adeptes de la charte

d’Athènes, renvoi à une vision horizontale de l’espace, une vision aérienne. Alors que pour

Pouillon, l’architecture est regardée par les marchands et non pas par les aviateurs. C’est-à-dire

que la composition du logement et de ses espaces intérieurs doit se référer à la hauteur de l’œil

humaine qui embrasse l’objet architectural en l’entourant. C’est une interprétation de la leçon

de Choisy de l’acropole d’Athènes379. Ce dernier a annoncé que pour comprendre la disposition

des édifices de l’acropole d’Athènes, il faut regarder l’ensemble de l’œil du spectateur, où tout

est disposé par rapport à lui suivant des angles de vision.

Dans Diar-El-Mahçoul, la composition de l’ensemble veut qu’à chaque fois les bâtiments

forment une place intérieure. Après, le décalage entre les bâtiments ainsi que la différence des

377
Pouillon. F, « Ordonnance. Hôtels et résidences des xvi, xvii et xviii siècles », cité par Lucan.J, “ Fernand
Pouillon architecte”,
378
Ibidem, p54
379
Voir chapitre 6, Auguste Choisy et le pittoresque grec

198
hauteurs semblent être fixé en privilégiant des angles de vision qui font partie d’un parcours

tracé. Au final, tout est calé par rapport au module de la grille orthogonale qui ordonne

l’ensemble.

Le rapport entre le plein et le vide était cher à Pouillon. Selon lui, l’architecte doit se soucier

beaucoup plus de l’espace non construit en disant : « arrêtons-nous à cette notion d’espace, à

cet espace construit qui a tant d’influence sur les hommes. Il ne s’agit pas de l’espace horizontal

mais de l’espace entouré de constructions qui détermine un ‘creux’, ce liquide de cristal,

comme je dis parfois, en général délimité par quatre plans, quelques fois par deux s’il s’agit

de la rue »380.

En plus du module comme un dispositif qui règle la disposition des bâtiments, il y a la travée

qui règle l’architecture et l’ordonnance des différentes façades de l’ensemble ainsi que leur

disposition. Pour Pouillon, la conception des places ne concerne pas qu’un travail de

quadrillage, mais aussi l’architecture des bâtiments qui l’entourent. La travée était l’élément

régulateur de l’ordonnance des façades. Par exemple dans le quartier simple confort, la place

principale est constituée de deux longs bâtiments de cinq niveaux, l’un est ordonné par les

pilastres (photo 5.12) et l’autre par la succession de cage d’escalier (photo 5.13). Deux rythmes

de travée pour rendre la place monumentale tout en donnant à chaque bâtiment sa propre

identité.

380
Pouillon. F dans « Passions et angoisses d’un créateur », interview de Jean-François Dhuys, Les nouvelles
Littéraires, 20 April 1978, cité par Lucan.J, op.cit., p42

199
Photo 5.12 : Diar El Mahçoul simple confort, ordonnance de la façade de la grande place : un
bâtiment rythmé par une succession de pilastres, 2017

Photo 5.13 : Diar El Mahçoul


simple confort, ordonnance de la
façade de la grande place : un
bâtiment rythmé par une
succession de cage d’escalier

Source : archive de « l’association


des pierres sauvages de Belcastel-
Fernand Pouillon »

200
L’ordonnance des façades des bâtiments de l’ensemble est en rapport direct avec les deux

dispositifs de la composition architecturale : le module et la travée. En fait, ces deux dispositifs

permettent de régler l’organisation spatiale et l’ordonnance des façades simultanément. Les

plans comme les façades peuvent être mesurés simplement en module et travée. Comme on l’a

vu précédemment, Pouillon concevait des combinaisons de typologies de logements qui

peuvent être ensuite assemblés pour constituer un bâtiment. Ces combinaisons de typologies

n’étaient pas conçues qu’en plan, mais les façades étaient concernées aussi. Si le plan était réglé

par le module, la façade quant à elle était ordonnée par la travée, elle-même relative au module

de la marmite (une travée = x marmites).

En plus de la grille orthogonale qui règle la disposition des bâtiments suivant le système des

coordonnées cartésiennes, on pense qu’il y a un travail avec le système des coordonnées

polaires ; du moins, un travail avec une seule coordonnée polaire qui est « l’angle », pour

assurer la symétrie et l’équilibre visuel à partir du point de vue qui constitue le premier contact

avec l’ensemble, comme à l’Acropole d’Athènes.

Figure 5.23 : Diar El Mahçoul simple confort (partie musulmane) avec la symétrie visuelle suivant l’axe
principal de perspective

201
A Diar-EL-Mahçoul, toujours dans le quartier simple confort, on a pu remarquer qu’à partir

d’un point de vue en haut de l’escalier principal, les deux bâtiments qui constituent l’entrée de

l’ensemble sont en symétrie visuelle par rapport à l’axe central de l’escalier (figure 5.23). Il est

aussi l’axe principal de perspective qui traverse la grande place. En descendant en bas de

l’escalier, on est confronté à faire un choix de parcours. Chaque parcours permet de passer

d’une place à une autre mais avec des sensations différentes suivant la taille et l’ordonnance de

la place, le positionnement des accès et les angles de vision offerts par ces accès.

Il semble que Pouillon a combiné deux principes de composition architecturale dans le même

ensemble : le principe de symétrie et régularité et le principe pittoresque basé sur l’équilibre

visuel381. Le principe de symétrie et régularité a permis de régler la disposition de l’ensemble

suivant une grille orthogonale, alors que le principe pittoresque a permis de préserver l’intimité

des espaces intérieurs en disposant les bâtiments suivant un jeu de perspectives qui permettent

de fermer l’espace sans qu’il soit clos.

La combinaison de ces deux principes de composition a permis aux ensembles de Pouillon de

se distinguer des grands ensembles des années 50 et 60. Ces derniers en étant de « grandes

compositions », « elles portent quasiment en elles le futur de leur inachèvement, ce dont

l’architecte pourra toujours se prévaloir pour excuser la pauvreté de sa conception »382. Alors

que pour Pouillon, chaque réalisation est « une composition terminée » avec son propre paysage

intérieur383. C’est comme si Pouillon considérait l’ensemble d’habitation comme une partie de

la ville. D’ailleurs ces préoccupations seront poursuivies après par Aldo Rossi 384, notamment

381
Lucan.J, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p 27
382
Ibidem, p 41
383
Ibidem, p 40
384
Huet. B le souligne dans l'avant-propos du livre de Bernard Dubor. B. F, « Fernand Pouillon »,
Electa/Moniteur, Paris, 1986

202
celle qui concerne « la ville par partie », même s’il est à croire que ce dernier n’a pas connu

implicitement l’œuvre de Pouillon385.

5.2.2.3. Diar-Es-Saada

5.2.2.3.1. Environnement physique et urbain :

Diar-Es-Saada ou bien « cité du bonheur », est la première cité algérienne construite par

Pouillon (figure 5.24) entre 1953-1954, dans la commune El Madania (Ex Clos-Salembier),

dans un quartier populaire de la ville d’Alger. L’ensemble de 725 logements, pas loin de Diar-

El-Mahçoul, est implanté dans les hauts d’Alger avec une vue sur mer, dans un site choisis

exclusivement par Fernand Pouillon (photo 5.14).

Figure 5.24 : Diar-Es-Saada, plan de situation

Source : Google maps 2017

385
Lucan. J, « Fernand Pouillon architecte », op.cit., p 41

203
Photo 5.14 : Diar-Es-Saada, vue aérienne qui date des années cinquante

Source : http://alger-roi.fr/Alger/diar_saada/diar_saada.htm

L’ensemble de Diar-Es-Saada représente le premier des trois modèles de Pouillon construit en

Algérie dans lequel il a concrétisé sa nouvelle vision pour le futur de la construction du

logement social. Il est aussi le plus petit des trois ensembles algériens de Pouillon, donc il est

considéré comme un modèle de base à partir duquel sont développés d’autres principes pour la

construction des deux autres cités.

L’ensemble occupe un terrain de plus de 7 hectares en double pente croisées dans la direction

nord-est sud-ouest qui se rencontrent presque au milieu du terrain dans une cuvette. La plus

importante des pentes a une dénivelée de 30 mètres sur une longueur de 310 mètres (figure

5.25). Cette dénivelée est gravitée par les usagers à pied du moment que la grande partie de

l’ensemble est piétonne. Cette contrainte naturelle nécessitait une configuration spatiale qui

permet aux usagers piétons de parcourir l’ensemble de la cité sans se préoccuper de cette

dénivelée. La solution de Pouillon était de procéder à un terrassement du terrain en superposant

des places de différentes dimensions liées par des escaliers en suivant les courbes de niveau.

204
Figure 5.25 : Diar-Es-Saada,
morphologie du terrain

Source : Sayen.C, « l’architecture


par Fernand Pouillon », Edition
Transversales, 2014

Comme à Diar-El-Mahçoul et Climat de France, l’ensemble de Diar-Es-Saada a été ordonné

par une grille orthogonale. Cette grille suit la direction de la dénivelée nord-est sud-ouest, ce

qui veut dire que les bâtiments sont soit parallèles ou perpendiculaires à cette direction. Cette

orientation a l’avantage d’assurer l’exposition de toutes les façades des bâtiments, à un moment

donné ou à un autre, aux rayons du soleil. Il parait que cette grille orthogonale est tracée suivant

un axe principal de perspective. Cet axe est généré par un angle de 54° par rapport au carrefour

du chemin des crêtes (figure 5.26). Selon Sayen Catherine, cet angle fait partie d’un pentagone

dont l’un de ses cotés est le carrefour du chemin des crêtes et l’autre est l’axe de perspective.

Cet angle permet la division du terrain en deux parties homogènes et équilibrées.

205
Figure 5.26 : Diar-Es-Saada, plan de masse

L’ensemble est divisé aussi en deux parties haute et basse par un S qui traverse tout le terrain

en suivant les courbes de niveau. Ça permet d’un côté, de régler le problème d’accessibilité

mécanique au pied des immeubles vu la forme irrégulière du terrain, et d’un autre côté,

participer dans l’organisation du plan de masse tout en étant économique dans les mouvements

de terrassement du terrain.

On peut remarquer que les bâtiments sont, dans la plupart des cas, regroupés autour d’une place

intérieure. Les bâtiments, qui sont de différentes hauteurs, semblent épouser parfaitement

l’irrégularité du terrain. Pouillon a profité des trente-cinq mètre de dénivelée pour échelonner

les toits terrasses des différents bâtiments de la cité, tout en gardant une proportion de ce

décalage des niveaux par rapport à la vue à partir du carrefour du chemin des crêtes. C’est-à-

206
dire que ce décalage ne va pas permettre de voir les façades –pour éviter l’effet d’écrasement

sur les bâtiments moins haut et rattraper les 35 m de dénivelé - mais seulement quelques pans

de murs qui s’émergent et des acrotères qui se superposent386. Ça permet de construire l’image

globale de la cité à partir du carrefour (photo 5.15) -on parle de l’image vue par les piétons et

non l’aviateur- en s’inspirant de la Casbah d’Alger et de ses acrotères qui se superposent les

uns sur les autres et les uns contre les autres387.

Photo 5.15 : Diar-Es-Saada, vue à partir du croisement de l’avenue Diar Es Saada et le chemin des crêtes

Source : http://diaressaada.alger.free.fr/

5.2.2.3.3. Planning spatial :

Comme à Diar-El-Mahçoul et Climat de France, Diar-Es-Saada présente une richesse dans les

typologies de logement. On trouve le 1 pièce, le 2 pièces, le 3 pièces et le 4 pièces dans le même

386
Sayen. C, « l’Architecture par Fernand Pouillon », op.cit., p 58
387
Ibidem.

207
immeuble. Ça permet d’un côté d’éviter la ségrégation sociale au sein de la cité, et d’un autre

côté, une richesse dans l’ordonnance architecturale des façades.

L’organisation spatiale à l’intérieur d’un immeuble est faite d’une manière très ingénieuse.

Comme à Diar-El-Mahçoul (la partie confort normal), tous les appartements sont traversants.

C’est-à-dire que chaque cage d’escalier desserve seulement deux appartements. Ça permet

d’avoir un rythme de : « deux appartements accolés + cage d’escalier + deux appartements

accolés + … » qui se répète. Comme on l’a vu dans Diar-El-Mahçoul, Pouillon a exploité cette

distribution de logement au maximum. En fait, c’est à Diar-Es-Saada où il a développé pour la

première fois ce système de combinaison. Il a conçu trois combinaisons de logements qui vont

se répéter dans tous l’ensemble à l’exception des appartements d’angle. Rappelons-le que ce

système de distribution des logements fonctionne non pas par logement mais par deux

logements accolés par la cage d’escalier. Pour qu’il fonctionne, la règle est simple ; il faut

toujours accoler un logement à un autre plus grand d’une pièce, c’est-à-dire un 01 pièce avec

un 02 pièces, un 02 pièces avec un 03 pièces et un 03 pièces avec un 04 pièces (figure 5.27).

Ce système limite les combinaisons possibles à seulement trois combinaisons, de ce fait gagner

du temps et de la clarté dans la conception388.

Figure 5.27 : Diar-Es-Saada, combinaisons des différentes typologies.

En rouge et en vert les typologies de base, respectivement le 01 pièce et le 02 pièces. En jaune


et en blanc l’addition d’une travée sur chaque façade pour la constitution des autres
typologies. Les petits traits en rouge sur les façades représentent le nombre de travée

Source : Sayen. C, « l’architecture par Fernand Pouillon », Edition Transversales, 2014, p 99

388
Ibidem, p 96

208
La typologie de base c’était le un-pièce accolé au deux-pièces. Les autres typologies sont

seulement le résultat de l’addition des chambres aux typologies de base (le 01 pièce et le 02

pièces). Mais cette addition obéie à un système rationnel de composition, dont le module et la

travée sont les éléments clés.

Comme on l’a vu précédemment dans les ensembles Climat de France et Diar-El-Mahçoul, le

module et la travée règlent toute la composition du plan ainsi que l’ordonnance des façades.

Comme on peut le voir (figure 5.27), la combinaison d’un appartement 01 pièce avec un 2

pièces fait 03 travées en façade, ce qui revient à 18 modules (une travée = 6 modules ou

marmites). Tandis que la combinaison d’un appartement 2 pièces avec un 03 pièces fait 04

travées en façades, c’est-à-dire 24 modules, ce qui veut dire qu’il y’a eu l’ajout d’une travée.

On peut constater que c’est le 01 pièce qui est devenu un 03 pièces, tandis que le deux-pièces

est resté inchangé. C’est une autre règle de ce système de combinaison, où l’addition des

chambres se fait toujours par le nombre de 2 ; c’est parce que l’ajout d’une travée consiste à

ajouter automatiquement une chambre de part et d’autre des deux façades de l’appartement.

La même chose pour la combinaison d’un appartement de trois-pièces avec un quatre-pièces ;

le trois-pièces reste inchangé, et c’est le deux-pièces qui reçoit l’ajout d’une travée, c’est-à-dire

deux chambres supplémentaires.

Ce choix de conception lui a permis d’avoir une constante dans l’élaboration des bâtiments de

l’ensemble, cette constante c’est le rythme de deux logements accolés l’un contre l’autre + cage

d’escalier + courette. Il suffisait de travailler les différentes variantes de logement suivant le

programme. C’est très intéressant comme procédé vu que c’est une méthode rationnelle de

conception qui favorise la construction en série et le standard, ainsi que la rapidité d’exécution

et l’économie des moyens, tout en s’éloignant de la monotonie ainsi que dans la répétition.

209
Pouillon en quelque sorte a développé une équation pour concevoir toute une cité, cette équation

est : « deux appartements accolés + cage d’escalier + deux appartements accolés + … » qui

est le rythme de distribution des logements à l’intérieur d’un bâtiment, dont la constante est la

cage d’escalier ainsi que la courette, et la variante est la typologie des deux logements accolés

l’un contre l’autre. C’est en quelque sorte un standard non répétitif de la conception du logement

social de masse.

Figure 5.28 : Diar-Es-Saadal,


plan d’un 01 pièce combiné à
un 02 pièces.

(1) Séjour, (2) chambre, (3)


Salle de bain, (4) cuisine, (5)
Hall d’entrée, (6) loggia.

Du moment que Diar-Es-Saada était destiné principalement aux européens, la distribution

interne des appartements était pratiquement la même (figure 5.28). Toujours un hall d’entrée

qui s’ouvre directement sur un séjour lumineux pour augmenter son volume, les espaces

humides comme la salle de bain et la cuisine regroupées autour de la courette, les chambres

sont principalement orientées côté nord, alors que le séjour et la cuisine sont dans le côté sud

pour avoir un maximum de lumière.

C’est toujours la grille orthogonale, avec la marmite comme module, qui règle la distribution

des logements. Cette grille rappelons-le est fondée sur le système constructif du plancher à

nervure de Pouillon. Dans son système constructif, toutes les cloisons389 participent dans le

389
Ce sont des cloisons semi-porteuses en briques spéciales Pouillon. Les briques sont posées verticalement pour
avoir plus de résistance.

210
transfert des charges verticales vers les fondations, à l’exception des cloisons légères de

séparation entre les toilettes et les salles de bain, ou bien de la cuisine et la loggia. Ce qui veut

dire que leurs positions obéissent non seulement à l’organisation spatiale, mais aussi aux

contraintes constructives. Elles doivent être disposées d’une manière à équilibrer la porter des

charges. Une autre contrainte constructive s’ajoute à la disposition des cloisons, c’est celle de

toujours poser les murs sur les joints entre marmites (la partie armée) (photo 5.16), c’est-à-dire

que tous les espaces peuvent être comptés en marmites.

Photo 5.16 : La disposition des cloisons en briques sur le plancher en marmites

Source : archive des pierres sauvages de Belcastel, photo extraite de Sayen. C, « l’architecture par
Fernand Pouillon », Edition Transversales, 2014, p 99

D’ailleurs, selon Sayen Catherine390, que ce soit Pouillon, les dessinateurs ou les entreprises de

réalisation, tout le monde communiquait qu’en marmites. C’était très utile pour les dessinateurs

390
Sayen. C, « l’Architecture par Fernand Pouillon », op.cit.

211
comme pour les entreprises de réalisation. Pour les dessinateurs ils avaient besoin de se rappeler

seulement du nombre de marmite constituant chaque élément au lieu de mémoriser les

dimensions en mètre. Ainsi, ils n’étaient plus obligés d’écrire les cotes intérieures sur le plan

de niveau. Alors que pour les entreprises de réalisation, il suffisait de compter les marmites,

suivre les vides entre marmites et de poser les briques. Ça évitait beaucoup d’erreur et de

questionnement qui font perdre du temps.

5.2.2.3.3. Environnement socioculturel (conceptuel) :

Pour concevoir Diar-Es-Saada, Pouillon s’est tourné vers l’architecture traditionnelle de la

vieille ville d’Alger. Alger de la Casbah, selon Pouillon, « est une ville marquée par

l’occupation turque et influencée par l’architecture sarrasine d’Espagne »391. Deux cultures

qui font que l’extérieur de la ville soit fortifié par des remparts monumentaux, alors que son

intérieur est plus sensible et plus humain avec une architecture qui se rapporte à l’Espagne

islamique des omeyyades. Diar-Es-Saada est par conséquent conçu comme une cité qui reflète

les cultures et coutumes locales. Comme à Diar-El-Mahçoul, l’extérieur de l’ensemble Diar-

Es-Saada est en partie inspiré des murailles monumentales des forts turcs, alors que son

intérieur est constitué de différentes places, jardins, fontaines, portiques et les céramiques

rappellent l’Espagne (Séville et Grenade)392 (Photo 5.17).

Cette recherche d’adapter l’ensemble aux cultures et coutumes locales ne signifiait pas

forcement de s’éloigner d’une architecture rationnelle, qui permet de réduire les coûts de

réalisation et gagner en rapidité d’exécution. On a vu que l’organisation spatiale était faite dans

ce sens. La grille orthogonale avec son module permettait de régler toute la composition de

391
Pouillon. F, « mémoires d’un architecte », op.cit., p 205
392
Ibidem

212
l’ensemble. La composition des façades a aussi bénéficié de cette rationalité. Comme à Diar-

El-Mahçoul et Climat e France, les façades des bâtiments de Diar-Es-Saada sont ordonnées et

rythmées par la travée.

Photo 5.17 : Diar-Es-Saada, la place des palmiers

Le système constructif ainsi que les matériaux de construction sont pour quelque chose dans

cette ordonnance. En effet, le système constructif de mur porteur en pierre de taille obligeait

Pouillon à prendre en considération dans sa composition les mesures de l’appareillage de la

pierre. Pouillon a fait de cette contrainte une source d’harmonie et de beauté pour ses façades.

Il a déterminé les mesures de l’appareillage suivant une suite arithmétique dont la travée est

l’élément régulateur393.

393
Sayen. C, « l’Architecture par Fernand Pouillon », op.cit., p 75-81

213
La composition de la façade doit son harmonie à un jeu de proportion entre les éléments

constituant la façade : les assises de pierre qui constituent les trumeaux, les moucharabiehs des

cages d’escalier (lattes en ciment armé) et les différentes fenêtres (figure 5.28). Le tout ordonné

par la travée.

Figure 5.29 : la composition d’une façade d’un immeuble en barre

Source : Sayen. C, « l’Architecture par Fernand Pouillon », Edition transversales, Toulouse, 2014, p78

Sayen Catherine394 a pu reconstituer cette suite qui ordonne toutes les façades de la cité. Selon

elle, Pouillon a démarré de trois dimensions (cm) : 45 le module de la façade, 135 la largeur de

la porte-fenêtre courante, et 360 la mesure de la travée. On pourra citer par exemple la suite

arithmétique qui compose la façade d’un bâtiment en barre (figure 5.29) :

45 67,50 90 135 225 270 360

1 1,5 2 3 5 6 8

394
Ibidem

214
45 - 67,5 – 90 sont les dimensions des assises de pierre, 135 la largeur d’une porte-fenêtre

courante, 225 la largeur d’un moucharabieh de la cage d’escalier, 270 la dimension d’un

trumeau (partie de mur entre deux baies), et 360 la longueur d’une travée.

Chercher l’ordonnance des façades dans le simple appareillage de la pierre a permis à Pouillon

de lier conception et construction par le biais du module et la travée, deux dispositifs de la

composition architecturale.

Parler de la composition architecturale dans l’ensemble de Diar-Es-Saada nous renvoie à parler

de l’existence d’une combinaison de deux principes : le principe de régularité et de symétrie

ainsi que le principe pittoresque de la composition architecturale. On a vu qu’à Diar-Es-Saada,

tous les bâtiments sont soit perpendiculaire soit en parallèle à un axe principale de perspective.

Avec une seule orthogonalité dominante et des bâtiments différents les uns des autres, Pouillon

a produit des séquences d’espaces variées tant par leurs configurations de plan que par les vides

créés. C’est un jeu d’équilibre avec des éléments non identiques constituant un ensemble qui

s’éloigne de la symétrie bilatérale et se rapproche des principes pittoresques de la composition

architecturale.

La description de la composition architecturale de Diar-Es-Saada faite par Pouillon dans ses

mémoires renforce cette recherche d’une architecture pittoresque : « une seule route de

circulation traversait la cité sur le grand axe du terrain […] sur tout son parcours, elle

distribuait des places de dimension et de caractère varié, véritable jardins suspendus ornés de

dallages multicolores, de fontaines, de gazon, de mails plantés de grands palmiers, de pin, de

cyprès et d’essences locales diverses. Traversant la composition de part en part, ainsi qu’un

coup de sabre, un chemin d’eau coulait d’est en ouest, dans la plus grande pente, pour dévaler

en cascatelles superposées. »395

395
Pouillon. F, « Mémoires d’un architecte », op.cit., p 186

215
Photo 5.18 : Diar-Es-Saada, la cascade
d’eau

Source : carte postale extraite de :


http://diaressaada.alger.free.fr/

Il est à croire que cette incursion du pittoresque ne peut que résulter d’une approche

conceptuelle. On a vu qu’à Diar-El-Mahçoul un équilibre visuel a pu être aperçu, ce qui a

suggéré la présence de l’approche des angles de vision dans la composition de l’ensemble, qui

permet de régler la disposition des bâtiments par le biais du système des coordonnées polaires.

A Diar-Es-Saada, l’analyse a été poussée encore plus loin afin d’essayer de déterminer ce

mécanisme qui permet de générer cet enchaînement des tableaux de paysage à l’intérieur de la

cité.

On a pu constater l’utilisation de trois types d’angles ; 22,5° (180/8), 30° (180/6) et 36° (180/5)

où leurs centres font partie d’un axe de perspective qui coupe l’ensemble en deux entités

216
équilibrées. Dans cet axe de perspective (figure 5.30), qui constitue le parcours principal

emprunté par le piéton, on a pu déterminer quatre points de vue à partir desquels sont disposés

les bâtiments qui animent ce parcours.

Il faut noter qu’il y a une certaine inexactitude dans les angles repérés. Et ça peut être expliqué

par le fait que le system des coordonnées polaires n’était pas le seul système utilisé pour

positionner les bâtiments. Mais il y avait aussi la grille orthogonale, le module de la marmite et

la travée. Donc on pense que Pouillon faisait des compromis dans les rapports entre les angles

de vision pour essayer de trouver le juste milieu. D’ailleurs, Sayen. C l’explique très bien à

travers Pouillon, en prenant l’exemple des rapports de proportion dans les façades, que ça a un

rapport avec le cerveau humain en disant que : « tant que l’écart avec l’harmonie n’est pas très

grand, le cerveau le rétablie tout seul et transpose en forme parfaite les figures qui en sont

proches, comme si l’équilibre lui était vital »396.

Le premier point de vue nommé (A) est le même point à partir duquel démarre toute la

composition. Il constitue le premier contact, la première impression que peut avoir le piéton de

l’ensemble de la cité.

Les angles : ae = ei = 36° (180/5) (figure 5.31) et ad = eh = 30° (180/6) (figure 5.32) devisent

l’ensemble en deux parties égales respectivement par rapport à l’axe (Ae) et l’angle (de).

396
Sayen. C, « l’Architecture par Fernand Pouillon », op.cit., p65

217
Figure 5.30 : Diar Es Saada, symétrie visuelle suivant l’axe principal de perspective

218
Figure 5.31 : Symétrie visuelle (36°) à partir du point de vue (A)

Source de la photo : http://alger-roi.fr/Alger/diar_saada/diar_saada.htm

219
Figure 5.32 : Symétrie visuelle (30°) à partir du point (A)

Les angles : ac = bd = dg = fi = 22.5° (180/8) (figure 5.30) permettent à partir du point de vue

(A), de constater l’équilibre visuel offert par le rythme constant de l’angle 22,5° (180/8) avec

lequel sont disposés les bâtiments.

Le deuxième point de vue, nommé (B), qui constitue l’entrée de l’espace intérieur de la cité et

le troisième point, nommé (C), qui représente la dernière marche du premier escalier central,

offrent aussi cette impression d’équilibre visuel que l’œil humaine peut apprécier.

Dans le point (B), les angles : ac= bd = cf = eg = fh = 22.5° (180/8) (figure 5.33).

Dans le point (C), les angles : ac = bd = ce = 36° (180/5) (figure 5.34).

220
Figure 5.33 : Equilibre visuel (22.5°) à partir du point de vue (B)

221
Figure 5.34 : Equilibre visuel (36°) à partir du point de vue (C)

Les mêmes sensations d’équilibre visuel on les retrouve dans le quatrième point nommé (D),

qui représente la dernière marche du deuxième escalier central avec les angles :

ce= df = gh = 36° (180/6) et ac = bd = 22.5° (180/8) (figure 5.35).

En plus, il y a la symétrie visuelle par les angles ae = fh = 50° par rapport à l’angle (ef).

222
Figure 5.35 : équilibre visuel (30° et 22.5°) à partir du point de vue (D)

Ces points de vue déterminés dans cette analyse ne sont pas les seuls existants. On a essayé de

déterminer seulement les principaux points de vue, qui d’un côté, font partie du parcours

principal tracé par l’architecte, et de l’autre côté, ils marquent des points de transition et de

changement de paysage qui permettent de passer d’un paysage à un autre. Ce sont des points

qui matérialisent la première impression d’un nouveau tableau de paysage, comme le point qui

constitue le début de la composition (point A et B) ou la dernière marche d’escalier qui permet

de découvrir une autre scène (point C et D).

Il est à noter que pour le moment, cette étude ne peut pas confirmer que Pouillon appliquait

cette approche des angles de vision telle qu’elle a été montrée précédemment.

Malheureusement, Pouillon n’a laissé aucun écrit sur sa méthode de composition architecturale,

223
il disait toujours qu’il n’avait pas besoin de le faire. Selon Bernard Huet, quelque part Pouillon

dit en substance : « je laisserai à mes bâtiments le soin de défendre mes théories »397.

Par contre, cette étude peut confirmer l’existence de la symétrie visuelle, de la pondération des

masses suivant des points de vue bien précis dans la composition de l’ensemble Diar-Es-Saada.

Dans les illustrations de l’analyse on a eu recours à des photos qui datent des années cinquante.

Ce choix peut être justifié par les modifications apportées aujourd’hui à l’ensemble de Diar-Es-

Saada, notamment la présence des murs de clôture et une végétation parfois très dense qui

ferment des vues en perspectives qui existaient auparavant.

Photo 5.19 : Diar-Es-Saada, une vue dégagée à


partir du carrefour du chemin des crêtes en
1956

Source : les photos sont extraites d’une vidéo


qui date de 1956 :

https://www.facebook.com/DiarEsSaada/video
s/968384116572525/

397
Huet. B, « la modernité de Fernand Pouillon », op.cit., p35

224
Conclusion :

Cette analyse des ensembles de Fernand Pouillon avait comme objectif de retrouver les

éléments de la vision architecturale de Pouillon qui lui ont permis d’assurer le lien de continuité

entre conception et construction, et par conséquent d’assurer la qualité du logement en tant

qu’objet architectural plutôt qu’un objet industriel.

On a pu voir que cette continuité entre conception et construction semble avoir un lien avec les

principes et dispositifs de la composition architecturale. Les deux dispositifs, module et travée,

ont permis à Pouillon de lier la conception architecturale au système constructif. Le module de

la composition de tout l’ensemble, lui-même l’élément constructif du plancher (la marmite), a

permis de régler l’organisation spatiale à l’intérieur des logements, ainsi que la disposition des

bâtiments de l’ensemble. Alors que la travée, elle-même relative au module de la composition,

a permis d’ordonner toutes les façades ainsi que les espaces intérieurs des ensembles (les

places).

Ces deux dispositifs, module et travée, étaient nécessaires pour la composition architecturale

de la cité. En effet, deux principes ont été combinés dans le même ensemble : régularité et

symétrie, avec le principe pittoresque de la composition architecturale. Le principe de régularité

et de symétrie était assuré par la grille orthogonale, qui a permis non seulement de régler la

disposition des bâtiments, mais aussi d’assurer l’implantation de l’ensemble dans le site. La

symétrie, on la retrouve beaucoup plus dans l’organisation spatiale interne des logements que

dans la disposition des bâtiments de l’ensemble. La disposition de l’ensemble, quant à elle,

parait obéir à un autre principe de composition, celui de la symétrie visuelle (perspective), qui

est appelé aussi le « pittoresque ». Ce principe consiste à disposer les bâtiments suivant des

angles de vision en favorisant un parcours architectural tracé par l’architecte. Ce principe

permet, suivant une certaine organisation de volumes et d’espaces, de pleins et de vides, et avec

225
l’emploie de certains éléments empruntés à la ville (places, fontaines, portiques,

cascades...etc.), de générer des tableaux de paysage qui changent suivant le déplacement de

l’usager.

Ainsi, la combinaison de ces deux principes de composition architecturale dans le même

ensemble permet de profiter, en même temps, de la rationalité et la régularité de la grille

orthogonale, nécessaire à la chaine de production en série pour réduire les délais et le coût de

production, et du principe pittoresque pour s’éloigner de la monotonie et la répétition de la

production en série, en générant un ensemble d’habitations avec des places et des ruelles, dont

la configuration spatiale peut constituer une partie de la ville.

Ces éléments de la vision architecturale de Pouillon, qui permettent d’assurer la qualité du

logement en tant qu’objet architectural plutôt qu’un objet industriel, seront explorés et étudiés

avec plus de détails dans le chapitre qui suit.

226
Chapitre 6 : Les éléments d’un nouveau
regard sur la qualité architecturale :
Fernand Pouillon et la nouvelle interprétation
de la composition architecturale

Introduction
6.1. Symétrie et pittoresque comme deux principes de la composition architecturale dans
la fin du 19eme siècle
6.1.1. La composition architecturale comme synonyme de symétrie bilatérale
6.1.1.1. Jean Nicolas Louis Durand et la composition architecturale
6.1.1.2. Jacques-François Blondel et Etienne Louis Boullée : la symétrie comme
une des principales beautés de l’architecture
6.1.1.3. Pierre François Léonard Fontaine : la symétrie et l’ordonnance sont les
premières conditions de l’architecture
6.1.1.4. Julien Guadet : la symétrie et la régularité en architecture
6.1.2. Le pittoresque et la pondération des masses
6.1.2.1. John Pennerthorne et le parcours architectural dans l’acropole
d’Athènes
6.1.2.2. Auguste Choisy et le pittoresque grec
6.1.2.3. Constantinos Doxiadis et les angles de vision
6.1.2.4. Le Corbusier et la promenade architecturale ; Mies van der Rohe et
l’ouverture des angles
6.1.3. Fernand Pouillon et la nouvelle interprétation de la composition architecturale
6.2. Les dispositifs de la composition architecturale
6.2.1. Eléments, parties et entraxe
6.2.2. Module et travée comme deux dispositifs de la composition architecturale chez
Pouillon

227
Introduction :

L’exploration de la vision de Pouillon à travers son enseignement, ses maitres et références

(chapitre 4), ainsi que l’analyse de ses cités d’habitations (chapitre 5) ont permis d’affirmer un

nouveau regard sur la qualité architecturale du logement social. Il s’est avéré qu’une nouvelle

interprétation de la composition architecturale pour assurer la continuité entre conception-

construction dans la production du logement a permis à Pouillon d’améliorer la qualité

architecturale du logement social. Afin de comprendre les choix architecturaux de Fernand

Pouillon concernant la composition architecturale de ses ensembles, un retour à l’histoire de

l’évolution de la composition architecturale à partir du début du 19eme siècle est apparu

indispensable. Ça permettra entre autres de repérer les acteurs principaux qui ont intervenu

dans le développement de cette dernière.

Etymologiquement, le mot « composer » est du latin « componere », qui signifie « poser

avec »398. Sans remonter aux différentes significations de la notion de composition selon les

domaines auxquels elle se rapporte, il est à retenir qu’en architecture, à partir du début du 19eme

siècle, le mot « composition » devient d’un usage très courant pour designer l’action de

l’architecte de concevoir un édifice399. Quatremère de Quincy, dans son Dictionnaire historique

d’architecture, rapproche même le mot composition à la conception, en considérant que la

composition a une signification attachée à tous les aspects de la conception d’un bâtiment et

« consiste dans l’action d’embrasser non-seulement l’idée générale, mais tous ses

développement, tant dans la recherche de leurs détails, de leurs convenances, de leurs rapports

avec le tout, que dans les moyens qui doivent assurer l’exécution du tout et de ses parties »400.

398
MAACHI-MAÏZA. M, « La composition architecturale dans l’œuvre de Fernand Pouillon », mémoire de
magistère, université de Bechar, 2002, p17
399
Lucan. J, « composition-non composition ; Architecture et théories, XIX-XXe siècles », PPUR presses
polytechniques, Lausanne, 2009, p23
400
Quatremere de Quincy. A.C, « Dictionnaire historique d’architecture », volume 1, « composition », p428, cité
par Lucan. J, « composition, non-composition », op.cit., p22

228
Pierre Pinon quant à lui, considère la composition comme une technique de mise en forme ;

« elle donne un ordre formel à un édifice, elle fait qu’un objet architectural a une forme

maitrisée et appréhendable, qui n’est pas due à un phénomène aléatoire »401.

6.1. Symétrie et pittoresque comme deux principes de la composition

architecturale dans la fin du 19eme siècle :

Il est clair que donner une définition précise à la composition architecturale est totalement

illusoire, cependant, les différentes acceptions de la composition architecturale renvoient à deux

principes : celui de la symétrie bilatérale, et celui de la symétrie perspective, ce qui est appelé

aussi le principe pittoresque de la composition architecturale.

6.1.1. La composition architecturale comme synonyme de symétrie bilatérale :

Dans le début du 19eme siècle, une époque où régnait l’académisme de l’école des beaux-arts,

il était admis que parler de la composition architecturale c’est parler de la symétrie bilatérale

suivant un axe central de symétrie. Plusieurs architectes du 19eme siècle ont confirmé ce

rapprochement jusqu’à considérer la symétrie comme le moyen qui permet d’assurer la qualité

architecturale. Dans ce qui suit, on va citer les différentes acceptions de la composition

architecturale comme synonyme de symétrie bilatérale annoncées par les grands maitres du

19eme siècle.

401
Pinon. P, « composition urbaine », tome1, DAU-STU, Paris, 1992, p10, cité par MAACHI-MAÏZA. M, « La
composition architecturale dans l’œuvre de Fernand Pouillon », op.cit., p17

229
6.1.1.1. Jean-Nicolas-Louis Durand et la composition architecturale :

Parmi les premiers architectes qui ont essayé de systématiser et de donner un cadre théorique à

l’acte de composer en architecture c’est Jean-Nicolas-Louis Durand (1760-1834), l’un des

théoriciens les plus influant du 19eme siècle. Dans son livre « Précis des leçons

d’Architecture », il donne les marches à suivre pour composer un projet quelconque selon deux

points de vue inversés, lorsqu’on apprend à composer ou lorsqu’on compose réellement. De ce

fait, il oppose deux démarches, une analytique qui va du simple au composé (lorsqu’on apprend

à composer), et une synthétique qui consiste d’aller du composé au simple (lorsqu’on compose

effectivement, avoir une vision préalable). Il dit à propos de ça : « combiner entre eux les divers

éléments, passer ensuite aux différentes parties des édifices, et de ces parties à l’ensemble, telle

est la marche qu’on doit suivre, lorsqu’on veut apprendre à composer ; lorsque l’on compose,

au contraire, on doit commencer par l’ensemble, continuer par les parties, et finir par les

détails. »402.

Ce qu’il faut noter c’est que Durand joint la symétrie bilatérale aux trois conditions de

l’économie en construction : « un édifice sera d’autant moins dispendieux, qu’il sera plus

symétrique, plus régulier et plus simple »403. Ainsi, dans toutes les planches du « Précis des

leçons d’architecture », Durand présente que des compositions de bâtiments symétriques404.

6.1.1.2. Jacques-François Blondel et Etienne-Louis Boullée : la symétrie

comme une des principales beautés de l’architecture :

Il est à croire que la symétrie était depuis longtemps considérée comme une valeur intangible

pour qui vise une qualité architecturale405. Jacques-François Blondel (1705-1774) le rappel dans

402
Durand. J. N. L, « Précis des leçons d’Architecture vol 1 », Dominique Avanzo et C, Liège, 1840, p2
403
Ibidem, p17
404
Lucan. J, « composition-non composition », op.cit., p50
405
Ibidem

230
son Cours d’architecture en disant : « la symétrie doit être regardée comme une des principales

beautés de l’Architecture ; elle doit être considérée comme l’ennemie du contraste […]. La

symétrie dédommage non-seulement d’une simplicité nécessaire dans la structure des

bâtiments particuliers, mais elle aide à faire valoir la richesse répandue dans les façades d’un

bâtiment d’importance. »406

Toutefois, il faut rappeler que le mot « symétrie » à cette époque renvoie beaucoup plus à la

symétrie physique de deux parties identiques par rapport à un axe central qu’à la symétrie

comme eurythmie ou proportion. Etienne-Louis Boullée (1728-1799) le confirme en disant que

l’architecture étant « un art fondé sur les principes de la parité »407 et « qu’en architecture, le

défaut de proportion n’est ordinairement très sensible qu’aux yeux des connaisseurs. On voit

ici que la proportion, quoiqu’étant une des premières beautés en architecture, n’est pas la loi

première d’où émanent les principes constitutifs de cet art. »408.

6.1.1.3. Pierre-François-Léonard Fontaine : la symétrie et l’ordonnance sont

les premières conditions de l’architecture :

Pierre-François-Léonard Fontaine (1762-1853) suit le même raisonnement de Boulée et ajoute

que « la symétrie et l’ordonnance sont les premières conditions de l’architecture »409 ; « sans

ordonnance, sans symétrie, il n’y a pas d’architecture. »410. Son dévouement pour la symétrie

va plus loin dans le projet de la réunion du palais du Louvre au palais des Tuileries. Fontaine et

Percier ont insisté auprès de Napoléon 1er pour que le projet de la réunion des deux palais (figure

6.1), qui sont désaxés dans le sens longitudinal, doit éliminer cette irrégularité : « […] la

406
Blondel. J. C, « Cours d’Architecture », Tome 1, Paris, 1771, livre premier, première partie : traité de la
décoration extérieure des bâtiments, chapitre IV : Analyse de l’art, p408, cité par Lucan.J, « composition-non
composition », op.cit., p50
407
Boullée. L. B, « Architecture. Essai sur l’art », Hermann, 1968. p35
408
Ibidem, p67
409
Fontaine. P. L. F, « Journal 1799-1853 », Paris, I, 3 mars, 1987, p187
410
Ibidem, p303

231
symétrie et l’ordonnance nécessaire à la perfection de l’architecture exigent impérieusement

que l’on couvre les irrégularités que la position des deux palais bâtis isolement a occasionné.

J’ai fait observer à plusieurs reprises les avantages de donner au Louvre et aux Tuileries des

avant-cour spacieuses, régulières, et d’architecture concordante avec la décoration du corps

de logis principal »411.

Figure 6.1 : Pierre-François-


Léonard Fontaine et Charles
Percier, plan du projet de
réunion du Louvre et des
Tuileries (projet soumis à
Louis-Philippe, reprenant
celui présenté à Napoléon Ier)

Source : Bibliothèque des Arts


décoratifs. Figure extraite de
Wikipédia

411
Ibidem, p 200, cité par Lucan. J, « composition-non composition », op.cit.

232
6.1.1.4. Julien Guadet : la symétrie et la régularité en architecture :

Alors que Julien Guadet (1834-1908) ajoute une exigence à cette symétrie bilatérale ; qu’elle

doit être embrassée par un seul coup d’œil si non elle ne sera qu’une contrainte imposée sans

objet ; « la symétrie est la régularité de ce qui se voit d’un seul coup d’œil. »412 A propos de ça,

il donne l’exemple de Versailles, dont la symétrie est présente dans la portée d’un coup d’œil

et non au-delà (photo 6.1).

Photo 6.1 : Château de Versailles

Source : http://ekladata.com

De plus, il joint composition et symétrie à travers la régularité intelligente, cette dernière qui

veut dire qu’une régularité est nécessaire dans le cas où l’œil peut embrasser toute la

composition sinon rien n’oblige ça présence, au contraire ça sera de la non-intelligence. Il

justifie son raisonnement avec deux exemples qui représentent ces deux situations : « comme à

la place Vendôme (photo 6.2). Là, on sent bien la composition, on est en fait dans un

monument : la dimension ne dépasse pas ce que l’œil peut embrasser ; tandis que, par exemple

à Lyon (photo 6.3), l’immensité de la place Bellecour ne permet pas d’apprécier la symétrie de

412
Guadet. J, « élément et théorie de l’architecture », Tome 1, livre II, principes généraux, p16, cité par Lucan. J,
2009, « composition-non composition », op.cit., p 169

233
ses faces opposées, ...et dès lors il n’y a pas de raison valable pour imposer à ces bâtiments la

gêne d’une régularité sans objet. »413

Photo 6.2 : La place Vendôme, Paris

Source : http://becassine7535.canalblog.com

Photo 6.3 : La place Bellcour, Lyon

Source : barnes-lyon.com

Guadet. J, « élément et théorie de l’architecture », op.cit., p130-132, cité par Lucan. J, « composition-non
413

composition », op.cit.

234
Avec ces convictions de Guadet à propos de la composition et la symétrie, il oppose la

composition au pittoresque en disant : « on ne compose pas le pittoresque ; il se compose à lui

tout seul par l’œuvre du plus grand des artistes, le temps. »414

6.1.2. Le pittoresque et la pondération des masses :

Sans retracer l’origine du mot « pittoresque » dans les différentes disciplines, on pourra

mentionner que le pittoresque était présent au 18eme siècle comme une tradition chez les anglais

dans l’art des jardins et l’architecture des manoirs. Cette tendance se caractérise notamment par

la recherche de l'asymétrie, des jeux de lumière, d'un aspect « sauvage » de la nature ; à ses

caractères classiques, inspirés par la peinture du Lorrain ou de Dughet 415. Parmi les premiers

qui ont écrit sur le pittoresque c’est William Gilpin (1724-1804) ; il a décrit les règles de

l’esthétique pittoresque dans « Trois essais sur le beau pittoresque »416. Mais c’est Auguste

Choisy (1841-1909) qui relie le pittoresque à la disposition des bâtiments suivant une symétrie

perspective dans son « Histoire de l’architecture » parue en 1899.

Il faut noter que le paradigme de la symétrie était considéré comme une constante de

l’architecture française, et toute tentative de dérogation aux dispositions symétriques était

fermement critiquée417. D’ailleurs, Percier et Fontaine ont toujours critiqué les jardins anglais :

« […] l’engouement du jardinage à l’Anglaise n’est plus maintenant le même : on est revenu

sur la composition des jardins, qui font partie de l’ensemble d’une habitation régulière, à des

idées plus saines. On croit que c’est au-delà de l’étendue architecturale des édifices, que c’est

414
Guadet. J, « élément et théorie de l’architecture », op.cit., p129, Il faut noter qu’on s’est basé essentiellement
sur le livre « composition, non-composition » de Jacques Lucan pour faire ce petit historique sur la symétrie en
architecture
415
Definition de Larousse
416
Gilpin. W, 1792, « Three essays; on picturesque beauty; on picturesque travel, and on sketching landscape»,
R. Blamire, London.
417
Lucan. J, « Fernand Pouillon architecte », Edition Arsenal, paris, 2003

235
à la distance voulue pour éviter toute opposition choquante, que l’on doit trouver le simulacre

et le pittoresque des champs. Tous dans l’espace dépendant de l’habitation doit être ordonné

et régulier comme elle […] »418.

La remise en cause des principes de la composition symétrique de l’école des beaux-arts a

ouvert le champ aux dispositions irrégulières loin de la symétrie bilatérale.

6.1.2.1. John Pennethorne et le parcours architectural dans l’acropole d’Athènes :

Dans la fin du 19eme siècle, plusieurs fouilles sérieuses ont été faites en Grèce pour essayer de

percer le mystère de la disposition irrégulière des différents monuments de l’acropole. Avec ces

fouilles il y’a eu plusieurs chercheurs qui ont interprété les résultats de ces fouilles en annonçant

des hypothèses concernant l’asymétrie du propylée de l’acropole.

Figure 6.2 : John pennethorne, plan de l’Acropole d’Athenes, Partie 1, Planche 5

Source: John Pennethorne, “The geometry and optics of Ancient Architecture”, 1878

418
ibidem

236
La plus remarquable est celle de l’anglais John Pennerthorne (1808-1888) qui a établis une

théorie concernant l’organisation des monuments de l’acropole (figure 6.2) basée sur deux

principes ; le premier est que les édifices doivent être regardés sous des points non pas axiales

mais plutôt angulaires de 45° en l’appuyant par la capacité de l’œil de ne présenter à l’esprit

qu’une image en perspective. Le deuxième principe est que ces points de vue forment un

parcours que le spectateur doit emprunter. C’est en quelque sorte les prémices de l’hypothèse

de Choisy, que ce dernier va aller encore plus loin en parlant de la pondération des masses.

6.1.2.2. Auguste Choisy et le pittoresque grec :

Auguste Choisy (1841-1909) est le premier qui a utilisé la vue en perspective pour expliquer la

composition des propylées de l’acropole d’Athènes. Ainsi, il a annoncé que le principe de

composition de l’acropole, resté un mythe pondant des années, est basé sur les points de vue du

spectateur dont l’architecte choisi au préalable. Son hypothèse annonce que le plan d’ensemble

de l’Acropole (figure 6.3), n’est pas une « accumulation d’édifices d’époques diverses »419 mais

un plan « méthodiquement conçu d’après une vue d’ensemble… »420

Selon Choisy, le plan d’ensemble est soumis à un travail de symétrie, mais pas une symétrie

bilatérale, Lucan. J dit que c’est plutôt « une symétrie visuelle, symétrie des masses, symétrie

perspective, pittoresque, optique ou équilibre optique, c’est-à-dire le résultat d’un travail de

pondération des masses »421 (figure 6.4) ; c’est le principe pittoresque de la composition

architecturale.

419
Choisy. A, « Histoire de l’Architecture », Tome 1, Gauthier Villars, imprimeur-libraire 1899. p413
420
Ibidem
421
Lucan. J, « composition-non composition », op.cit. Composition et parcours- Auguste Choisy et le pittoresque
grec, p352.

237
Choisy prend l’exemple du propylée d’Athènes pour expliquer ce principe de composition. Il

est composé d’un corps central symétrique et deux ailes inégales dans leur forme. L’aile gauche

est plus large que l’aile droite. Selon Choisy, cet ensemble même s’il apparait irrégulier, il est

en équilibre. Le temple de la victoire compense la différence qui existe entre les deux ailes. Ce

qui permet d’avoir un équilibre de masse que le spectateur peut apprécier suivant un point de

vue bien choisi. En tronquant l’aile droite, ça permet au temple de la victoire de se dessiner

entièrement dans un tableau que le spectateur peut voir depuis le point (A) dans la figure 6.4

Figure 6.3 : plan de l’Acropole d’Athènes

Source : Auguste Choisy, « Histoire de l’architecture », Tome1, p414

238
Cette symétrie visuelle, avec laquelle sont disposés les édifices, repose sur la vue d’angle et la

formation des tableaux pour le spectateur. Pour Choisy, « les vues d’angles sont celles que les

anciens cherchent en général à ménager. Une vue d’angle est plus pittoresque, une vue de face

plus majestueuse : à chacune son rôle ; la vue d’angles est la règle, la vue de face une exception

toujours motivé »422. Pour les grecs, la composition d’un ensemble doit appartenir à un tableau

que le spectateur aperçoit dès la première vue. Choisy l’appel le principe de la première

impression que les grecs renforcent dans leur composition. « C’est à cette première impression

que nos souvenirs nous reportent invinciblement, les grecs cherchaient avant tout à se la rendre

favorable. »423

Figure 6.4 : Le Propylée de l’acropole d’Athènes.

Source : Auguste Choisy, « Histoire de l’architecture », Tome1, p414

422
Choisy. A, « Histoire de l’Architecture », op.cit., p416
423
Ibidem, p419

239
Choisy parle aussi du parcours comme Pennethorne mais pour Choisy, c’est un parcours basé

sur des points de vue bien choisis dans lesquels le spectateur sera distant du bâtiment pour que

le tableau dessiné par l’architecte puisse être vu.

6.1.2.3. Constantinos Doxiadis et les angles de vision :

La découverte de Choisy a été poussée encore plus loin cette fois avec un architecte grec ;

Constantinos Doxiadis (1914-1975), il arrive dans sa thèse de doctorat à déterminer la méthode

mathématique avec laquelle ont été implantés les différents édifices de l’Acropole.

Son hypothèse démarre du même point de vu de Choisy et Pennethorne ; « que les grecs ne

construisaient pas leurs édifices comme un objet isolé comme on le voit aujourd’hui, mais

comme une partie d’un environnement urbain dynamique […]et que notre échec à le

reconnaitre est dû à notre influence consciente ou non consciente par le système des

coordonnées cartésiennes (figure 6.5) où chaque point est établi par sa position dans un plan

par rapport à l’intersection des deux axes formant un angle droit. Ce système était

complètement inconnu pour eux. Leurs plans n’était pas conçu dans une planche à dessin ;

mais dans le site avec paysage existant. »424

Il avance que l’homme était le point central dans leur système de positionnement connu comme

le système des coordonnées polaires (figure 6.6) ; chaque objet est déterminé par rapport à sa

position. Cette hypothèse lui permet de déterminer avec exactitude la position de chaque édifice

de l’acropole par rapport à un point de vue choisi qui fait partie du parcours tracé par

l’architecte ; généralement le point de vue principal à partir duquel sont positionnés les édifices

est l’entrée soulignée par le propylée.

424
Doxiadis. C, “Architectural space in Ancient Greece”, The MIT press 1972, p4 (traduit de l’original en
anglais)

240
Figure 6.5: Système des coordonnées cartésiennes Figure 6.6: Système des coordonnées polaires
Source : Doxiadis, Architectural space in Ancient Source : Doxiadis, Architectural space in
Greece, The MIT press 1972, p37 Ancient Greece, The MIT press 1972, p37

Les règles de composition de l’acropole établis par Doxiadis (figure 6.7) sont en gros deux

principes ; le premier est que tous les édifices sont positionnés par rapport à des points de vue

suivant des angles de vision qui font partie soit d’un système de douze partie (360 /12 = 30°),

ou d’un système de dix parties (360 /10= 36°). Le deuxième principe est qu’en plus de l’angle

de vision, la position d’un édifice est déterminée aussi par rapport à sa distance du point de vue

qui se calcule en pied, et qui était généralement une suite de 100 pieds (100-200-300-400-500

dans le cas de l’Acropole).

Il a pu remarquer aussi que l’angle généralement central de la composition est libéré de

construction, et constitue la voie que doit emprunter le spectateur, c’est « la voie sacré »425.

425
Ibidem, p5

241
Figure 6.7 : Plan de l’acropole d’Athènes III, après 450 a.j. , “logique de la disposition des bâtiments de
l’acropole d’Athènes”,
Source: Doxiadis, Architectural space in Ancient Greece, The MIT press 1972, p37

6.1.2.4. Le Corbusier et la promenade architecturale ; Mies van der Rohe et

l’ouverture des angles :

Cette découverte concernant la disposition des édifices de l’acropole va sortir la composition

architecturale du cercle de la symétrie bilatérale et la fermeture de l’espace, et ouvre d’autres

voies aux architectes contemporains qui vont passer de l’ordre fermé à l’ordre ouvert426, avec

une autre interprétation de l’espace et du parcours architectural.

Le Corbusier puisera l’idée du plan libre et de la promenade architecturale de cette découverte

concernant la dissymétrie et l’approche angulaire avec laquelle est conçu l’Acropole.

D’ailleurs, il se sert des dessins de Choisy du pittoresque grec comme des illustrations dans son

426
Voir à propos de ça le livre : Lucan. J, « composition-non composition », op.cit.

242
livre « vers une architecture »427 (figure 6.8). Pour Le Corbusier, la dissymétrie du plan offre

du dynamisme et du mouvement alors que la symétrie rend l’architecture statique428.

Figure 6.8 : Le Corbusier-Saugnier, « Trois rappels


à MM. Les architectes »

Source : L’Esprit nouveau, n°4, janvier 1921, p457.


Figure extraite de Lucan. J, « composition, non-
composition », op.cit., p361

Mies van der Rohe, dans la même pensée, introduit ce mouvement à l’intérieur de sa maison de

campagne en brique (figure 6.9) avec son plan libre et l’ouverture des angles avec des cloisons

qui ne se croisent jamais, « ce dont Wright avait été l’annonciateur lorsqu’il privilégiait souvent

des visions diagonales pour provoquer les continuités ou fluidités spatiales »429.

Il faut noter que cette vision de Le Corbusier et de Mies est une suite à ce que John Pennethorne

et Auguste Choisy ont découvert à propos de la disposition des édifices de l’Acropole dans la

fin du 19eme siècle.

427
Lucan. J, « composition-non composition », op.cit.
428
Ibidem
429
Lucan. J, « composition-non composition », op.cit. La rupture de la fermeture- l’espace et le temps, p390.

243
Figure 6.9 : la maison de
campagne en brique de
Mies van der Rohe

6.1.3. Fernand Pouillon et la nouvelle interprétation de la composition

architecturale :

Pouillon arrive à ce moment de pleines reconstructions à la fin des années quarante. Il trouve

une époque qui favorisait le plan libre de le Corbusier et de Mies van der Rohe avec de

nouveaux systèmes constructifs qui permettent de libérer le mur de sa fonction structurelle.

D’ailleurs Le Corbusier le confirme en parlant de l’ossature Domino qui supprime les murs

porteurs remplacés par des pilotis qui « ont quitté les angles des pièces, sont demeurés

tranquillement au milieu des pièces. »430. Alors que Mies l’exprime à travers la notion d’espace

en disant « j’ai abandonné le principe habituel de fermeture de l’espace : à la place de pièces

distinctes j’ai cherché une suite d’effets d’espace. La paroi perd ici son caractère de fermeture

et ne sert plus qu’à l’articulation de l’organisme de la maison. » 431.

Pouillon voit que la solution à la construction de masse de logement se trouve autrement. Il

revient à la composition traditionnelle de la ville en puisant dans les leçons du pittoresque grec

Le Corbusier, « Où en est l’architecture ? », Automne et hiver 1927, l’Architecture Vivante, p24.


430
431
Mies van der Rohe. L, « manuscrit de conférence », 1924, cité par Lucan. J, « composition, non-
composition », op.cit., p392.

244
de Choisy ainsi que chez son maitre Eugene Beaudoin les règles de l’urbanisme. C’est une

nouvelle interprétation de la composition architecturale résultante de la combinaison des deux

principes de la composition ; la symétrie traditionnelle et le pittoresque (symétrie perspective).

Dans une même composition, Pouillon joint symétrie et régularité individuelle des pièces à la

dissymétrie générale du plan avec l’équilibre d’entités hétérogènes 432.

Si on prend une des cités de Pouillon, on verra que sa composition ne ressemble ni à celle de

Durand ou des grecs, ni à celle de Beaudoin. La composition de Durand est caractérisée par la

symétrie bilatérale et la régularité de la grille. Alors que celle des grecs, décrite par Choisy, est

basée sur l’irrégularité et la symétrie visuelle. Tandis que Beaudoin donne à l’ordre fermé une

interprétation pittoresque, où les bâtiments, loin de la régularité et de la symétrie, se plient,

s’articulent et s’équilibrent entre eux433. Mais à travers l’analyse faite précédemment, on a pu

constater que Pouillon arrive à rassembler dans un même ensemble ; symétrie et dissymétrie,

fermeture et ouverture de l’espace, et composition et pittoresque. C’est une synthèse des

principes de Durand et Beaudoin en même temps. Comme si Pouillon a pris l’interprétation

pittoresque de l’ordre fermé de Beaudoin, basée sur la leçon de Choisy, et l’a rendu régulière

suivant une grille orthogonale, comme celle de Durand, mais sans que l’ensemble soit

symétrique. Tandis que cette dissymétrie de l’ensemble « n’exclue pas que des pièces puissent

être individuellement symétrique »434.

Sur la base de l’analyse des cités de Pouillon effectuée précédemment, il est à penser que le

principe de symétrie est représenté par la grille orthogonale et le système des coordonnées

cartésiennes, alors que le principe du pittoresque ou bien la symétrie perspective est représentée

par le parcours architectural et le système des coordonnées polaires.

432
Caruso. A and Thomas.H, « The Stones of Fernand Pouillon, an alternative modernism in French
architecture », gta Verlag, Zurich, 2014, p61
433
Ibidem, p64
434
Ibidem, p61

245
L’analyse a identifié la combinaison des deux systèmes des coordonnées polaires et

cartésiennes dans la composition du même ensemble. Le système des coordonnées cartésiennes

a permis de disposer les bâtiments suivant une grille orthogonale modulaire ; ça règle la

composition de l’ensemble en formant des espaces fermés sans pour autant qu’ils soient clos,

ce qui engendre des angles ouverts ainsi que des passages entre les bâtiments qui permettent de

rendre l’espace fermé et fluide en même temps. Alors que le système des coordonnées polaires

a permis de disposer les bâtiments suivant des points de vue qui font partie d’un parcours

emprunté par les usagers.

6.2. Les dispositifs de la composition architecturale :

6.2.1. Eléments, parties et entraxe :

Revenant une dernière fois à Durand du moment où c’est lui qui a essayé pour la première fois

de systématiser la composition architecturale. Dans le « Précis des leçons d’architecture »,

quand il donne la démarche à suivre pour composer un projet, il ne parle jamais de module ou

de travée, il préfère parler d’élément, parties et ensemble à la place de module, et d’entraxe à

la place de travée. Mais dans ses planches (planche 21 du premier volume dans : « marche à

suivre dans la composition d’un projet quelconque ») (figure 6.10), on peut voir dans sa

démarche qu’il commence par une grille orthogonale tramée par un module identique (il les

appelle : parties principales et parties secondaire) ; et cette trame modulaire devient après des

entraxes (travées). Donc c’est la travée elle-même qui devient le module de la composition. Ce

qui est important à signaler est que pour Durand, la travée est considérée comme une partie de

l’édifice, comme des entraxes, pour décrire ce qui est modulaire et combinatoire, mais ne

s’attardent pas à la construction435. Alors que pour Guadet, la travée est un élément de la

435
Lucan. J, « composition-non composition », op cité, l’organisme architecturale- Eugene Viollet-le-Duc, p265.

246
composition (comme une pièce) qui se défini d’abord par ses caractéristiques fonctionnelles et

spatiales.436

Figure 6.10 : "Marche à suivre dans la composition d'un projet quelconque ».


Source : Figure extraite de Durand, « Précis des leçons d'architecture » données à l'École
Polytechnique, vol.1, parte 2, plate 21, 1813

Viollet-le-Duc ainsi que Choisy, rejoignent Durand en considérant la travée comme une partie

de l’édifice, et qu’à elle seule ne peut pas fabriquer une pièce437. Elle est plutôt un élément

constitutif qui fait partie d’un système, précise Viollet-le-Duc, « ce système n’est pas seulement

une forme…ou un procédé ; c’est tout un principe qui s’étend aux diverses parties constituant

un édifice et qui oblige de coordonner ces parties suivant certaines lois déduites conformément

à la logique »438.

436
Ibidem
437
Ibidem
438
Eugene Viollet-le-Duc, Dictionnaire volume 9, « travée », p346, cité par Lucan. J, « composition, non-
composition », op.cit. p 266

247
6.2.2. Module et travée comme deux dispositifs de la composition architecturale

chez Pouillon :

Pour Pouillon, le module et la travée sont deux dispositifs de la composition architecturale. Le

module définit la disposition des espaces intérieurs ainsi que l’ensemble des bâtiments suivant

la grille orthogonale. Il est concrétisé dans la construction comme étant un élément constructif

(la marmite). La travée quant à elle, en représentant la distance de l’axe d’une fenêtre à l’axe

de la fenêtre suivante, définie l’ordonnance et l’architecture d’un bâtiment.

Chez Pouillon, la travée peut être interprétée comme « mesure et répétition », comme dans les

portiques de la grande place des deux cents colonnes de Climat de France 439 ; la composition

du bâtiment de 200 colonnes peut être résumée en une suite numérique de 1 à 9. « 1 était le coté

des piliers et la hauteur d’une assise. 2, l’espace entre les piliers. 3, la dimension du linteau

monolithe. 4, la largeur du portique. 5, que multiplie 8, la largeur de place. 6, que multiplie 40,

(la longueur de la place) sa longueur. 7, que multiplie 40, la longueur hors tout. 8, la hauteur

des piliers. 9, la hauteur des portiques ».440 La travée ici est l’élément régulateur qui définit le

rythme.

Elle peut être aussi « vérité de la construction » comme « expression de la construction ». Il est

à croire que Pouillon, à l’encontre d’Auguste Perret qui se dévoue complétement à « la vérité

de la construction », est indifférent à l’écart qui existe entre les deux441. Si dans l’usine de

Nestlé la travée est « vérité de la construction », elle est « expression de la construction » à

Meudon-la-Forêt, expression de la verticalité par le biais des pilastres, ainsi que la

monumentalité par la taille et l’intensité des colonnes.

439
Lucan. J, « Fernand Pouillon architecte », op.cit.
440
Pouillon. F, « Mémoires d’un architecte », éditions du Seuil, Paris, 1968, cité par Caruso. A, Thomas. H,
« The Stones of Fernand Pouillon », op.cit., p74-5
441
Bédarida. M, « Carnets d’architecte Fernand Pouillon », Edition du Patrimoine, paris, 2012, p41

248
Conclusion générale :

1. Résultats de la recherche

1.1. Le lien entre la crise quantitative du logement, son industrialisation et sa question

qualitative

1.2. L’impact de l’industrialisation du logement sur le changement d’intérêt dans la

recherche qualitative

1.3. La nouvelle vision de Pouillon de la qualité architecturale pour le logement social en

tant qu’objet architectural plutôt qu’un objet industriel

1.4. Les leçons tirées de l’architecture de Fernand Pouillon pour améliorer la qualité

architecturale du logement social

1.4.1. Assurer la continuité entre conception-construction

1.4.2. L’approche des angles de vision comme un moyen pour améliorer la qualité

architecturale du logement social

1.4.3. Concevoir la cité d’habitation comme une « grande maison » ou comme une

« petite ville »

2. Limites et perspectives de la recherche

249
Dans un objectif d’améliorer la qualité architecturale du logement social, considéré comme un

objet architectural plutôt qu’un objet industriel, cette recherche s’est interrogée sur l’éventualité

d’un nouveau regard sur la question qualitative du logement auprès de l’architecture de Fernand

Pouillon.

La question de la qualité était pendant longtemps au centre des problématiques architecturales

et urbaines. Depuis les âges préhistoriques jusqu’aux temps modernes, l’évolution des

techniques constructives ont eu un impact direct sur l’évolution de l’architecture et sur sa

question qualitative. Mais cette évolution a connu une autre dimension depuis la révolution

industrielle et l’introduction de l’industrialisation dans le domaine de la construction. Les

recherches pour l’amélioration de qualité se développaient sous la logique du produit industriel

plutôt que sur l’objet architectural. Influencé par le management de qualité dans le domaine

industriel, les nouvelles études sur la qualité architecturale s’intéressaient aux processus de

production en développant les méthodes d’évaluation de la qualité.

Le problème de la qualité architecturale se complique davantage lorsqu’il s’agit du logement.

De ce fait, l’état de l’art de la recherche était élaboré d’une manière à permettre d’explorer le

lien entre la crise quantitative du logement et sa question qualitative.

Etudier la question de la qualité architecturale du logement social auprès de Fernand Pouillon

a permis d’explorer une autre vision qui se développait dans les années cinquante en parallèle

à la vision industrielle du mouvement moderne. Cette vision comporte en elle des éléments qui

ont permis de générer une qualité architecturale qui concerne le logement en tant qu’objet

architectural plutôt qu’un objet industriel. C’est ainsi que la conclusion de cette recherche est

représentée par les résultats qui s’énoncent en plusieurs points ainsi que les limites et

perspectives de la recherche.

250
1. Résultats de la recherche :

En fin de ce travail, les résultats les plus attendus sont ceux qui coïncident avec l’objectif

principal de cette étude. Mais ce qui peut rapporter encore plus de richesse, c’est les résultats

secondaires qui coïncident avec les sous-objectifs qui se confirmaient le long des différents

chapitres et qui sont :

3.1. Le lien entre la crise quantitative du logement, son industrialisation et sa question

qualitative :

Ce point constitue le premier maillant sur lequel est fondée l’hypothèse de la recherche.

Démarrée d’un constat de déséquilibre entre quantité et qualité dans la production du logement

en Algérie, cette recherche s’est retournée à l’histoire de l’évolution de la production du

logement depuis la première crise mondiale du logement de l’après-guerre, afin de déterminer

les causes et les conséquences, ainsi que son lien avec la question qualitative. Les chapitres 2

et 3 ont permis d’établir un lien de causalité entre la recherche de la qualité (beaucoup plus

sanitaire) dans les années d’après-guerre, l’apparition de la crise du logement mondiale due à

l’état de vétusté du parc de logement existant, l’introduction de l’industrialisation lourde dans

la construction pour résoudre la crise quantitative, et la naissance de la notion de qualité du

produit dans le domaine architectural.

3.2. L’impact de l’industrialisation du logement sur le changement d’intérêt dans la

recherche qualitative :

En plus de l’affirmation du lien de causalité entre la crise de logement, son industrialisation et

sa question qualitative, les chapitres 2 et 3 ont permis d’explorer l’impact de l’industrialisation

251
du logement et l’évolution de sa problématique qualitative. Cette industrialisation du logement

a exigé un nouveau support théorique, étant donné que les principes de l’architecture

traditionnelle de la ville médiévale étaient jugés obsolètes et n’étant plus d’actualité. Ce

nouveau support théorique, dont les grandes lignes ont été définies dans le CIAM IV 1933 à

Athènes, nécessitait l’invention d’une nouvelle qualité pour l’architecture « qui était celle qu’il

(le mouvement moderne) attribuait à l’objet industriel »442. Ce changement d’intérêt dans la

recherche qualitative dans le domaine architectural s’est traduit par l’émergence du

management de qualité et les méthodes d’évaluation de la qualité du produit ainsi que de son

processus de production.

3.3. La nouvelle vision de Pouillon de la qualité architecturale pour le logement social

en tant qu’objet architectural plutôt qu’un objet industriel :

Ce troisième point, avec les deux premiers constituent le trinôme sur lequel est fondée

l’hypothèse de la recherche. Si les deux premiers points constituent la base d’un triangle, ce

troisième point peut être considéré comme son sommet, de par son importance dans cette

recherche. A travers les chapitres 4, 5 et 6, un nouveau regard sur la qualité architecturale s’est

dessiné en parallèle à la vision industrielle qui doit son origine aux principes du mouvement

moderne. Une nouvelle vision, témoignant d’un rapport de continuité entre conception-

construction, dont la divergence avec celle du mouvement moderne a démarré à partir du choix

de l’industrialisation des procédés de construction par éléments simples pour la construction du

logement443, et s’est poursuivi par une conception architecturale qui puise ses principes dans

442
Huet. B, ibidem, p32
443
Barazzetta. G, ibidem, p

252
l’architecture traditionnelle des villes médiévales. Les éléments clés de cette vision de Pouillon

constituent le résultat principal de cette recherche qu’on a préféré nommer les « leçons ».

3.4. Les leçons tirées de l’architecture de Fernand Pouillon pour améliorer la qualité

architecturale du logement social :

Ce qui rapporte plus de richesse à une recherche c’est d’aboutir à un résultat valorisant le travail

sur les deux plans théorique et pratique. Le premier plan étant assuré vu le caractère théorique

de la problématique annoncée sur la question qualitative du logement social, cette recherche a

essayé d’être plus pragmatique en tentant de conclure avec un résultat qui peut être pratique et

applicable. C’est de là que vienne l’idée des « leçons ».

3.4.1. Assurer la continuité entre conception-construction :

La séparation entre le moment de la conception et le moment de la construction (réalisation)

d’un bâtiment, apparu à la renaissance, s’est suivie par une séparation entre le rôle de

l’architecte et de l’ingénieur dans les temps modernes. L’évolution des techniques constructives

et l’industrialisation lourde de la construction a accentué ce déphasage entres les deux processus

du projet architectural, ce qui a rétréci le rôle de l’architecte. La notion de maitre d’œuvre perd

de sa signification essentielle, vu que l’architecte ne produit plus des bâtiments comme les

maitres bâtisseurs du moyen Age, mais des projets. Cette séparation entre conception et

construction a eu des répercussions sur la qualité architecturale (voir les chapitres 2 et 3).

A travers les deux dispositifs de la composition architecturale qui sont le module et la travée,

et par le biais d’une nouvelle interprétation de la composition architecturale avec les deux

principes de symétrie et pittoresque, Pouillon a pu assurer cette continuité entre conception-

253
construction (voir chapitre 5 et 6). Cette nouvelle interprétation est le résultat de la combinaison

de deux principes de composition ; le principe de symétrie traditionnelle et celui du pittoresque

(symétrie perspective). Le principe de symétrie est représenté par la grille orthogonale et le

système des coordonnées cartésiennes. Alors que le principe du pittoresque ou bien de la

symétrie perspective est représenté par le parcours architectural et le système des coordonnées

polaires. Les deux dispositifs, le module comme un élément constructif et la travée, permettent

d’établir un nouveau rapport entre langage architectural et système constructif.

3.4.2. L’approche des angles de vision comme un moyen pour améliorer la qualité

architecturale du logement social :

L’analyse des cas d’étude a permis d’identifier cette approche des angles de vision pour

l’amélioration de la qualité architecturale du logement à travers la nouvelle interprétation de la

composition architecturale de Pouillon.

Pouillon a combiné les deux systèmes de coordonnées polaires et cartésiennes pour composer

l’ensemble. Le système des coordonnées cartésiennes lui a permis de disposer les bâtiments

suivant une grille orthogonale modulaire ; ça règle la composition de l’ensemble en formant

des espaces fermés sans pour autant qu’ils soient clos, ce qui engendre des angles ouverts ainsi

que des passages entre les bâtiments qui permettent de rendre l’espace fermé et fluide en même

temps. Alors que le système des coordonnées polaires permet de disposer les bâtiments suivant

des points de vue qui font partie d’un parcours emprunté par les usagers.

L’importance de l’utilisation des angles de vision dans la composition architecturale du

logement réside dans le fait que l’architecture est toujours regardée par l’œil humaine. Cette

implication de l’approche des angles de vision de la conception architecturale permet d’assurer

l’intégration de l’objet construit dans son environnement immédiat, et de générer des tableaux

254
de paysage qui changent en se déplaçant suivant les différents points de vue de l’usager. En

plus, c’est le principe de composition de la plupart des grands édifices à travers l’histoire de

l’architecture, du moment qu’ils ignoraient complètement le système des coordonnées

cartésiennes, et se basaient sur le système des coordonnées polaire pour disposer leurs

bâtiments. De plus, cette approche des angles de vision implique que le bâtiment ne sera plus

conçu comme un objet isolé de son contexte, et sa composition ne se basera pas que sur une

vue aérienne en deux dimensions (en plan de masse) ; ce qui permet d’un coté de prendre

l’usager en considération dans l’organisation des espaces, et de l’autre côté d’éviter que le

paysage extérieur devienne le résultat des vides résultant de la disposition cartésienne des

différents bâtiments.

Ainsi, un lien peut être établi entre l’approche des angles de vision et la qualité architecturale.

Cette qualité architecturale du logement est en fait la qualité du logement considéré entant

qu’objet architecturale qui est ancré dans un espace, cet espace architectural est perçu et

apprécier par l’usager suivant un mécanisme de perception dont le sens visuel constitue

l’élément vital de ce mécanisme. Par conséquent, assurer la visualisation de l’espace

architectural à l’usager (re-design) tel qu’il était conçu par l’architecte (des tableaux de paysage

qui se défile en se déplaçant) revient à assurer la qualité architecturale réelle des différents

espaces générés par l’architecte.

De plus, dans les autres catégories de logement, où la quantité est moins sollicitée, la qualité

peut être obtenue par l’emploie des matériaux nobles, de mobiliers urbains et des accessoires

de luxe, qui forcent l’impression de qualité même en présence d’une médiocrité architecturale.

Alors que dans le logement social de faible revenu, où le caractère quantitatif dépasse celui

qualitatif à cause d’un budget limité, et sachant que les initiatives de qualité sont souvent

couteuses et un luxe que le logement social ne peut pas se permettre, cette approche gratuite

qui ne coûte aucun frais supplémentaire est un facteur important de qualité architecturale qui

255
permet d’investir dans l’exploitation des qualités de l’espace architectural au lieu que dans les

accessoires de camouflage.

3.4.3. Concevoir la cité d’habitation comme une « petite ville » ou comme une

« grande maison » :

L’une des leçons importantes qu’on a pu tirer de Pouillon est le processus de conception basé

sur la conception par partie des éléments constituant la cité d’habitation. Il permet la rapidité

d’exécution. L’unité c’est le logement, donc il suffit de concevoir au détail près les typologies

de logements exigés par le programme tout en pensant à l’ensemble. Après c’est un jeu de

combinaison des différentes typologies suivant l’emplacement des bâtiments, le rythme de

façade voulu, ainsi que le programme. C’est le même principe de conception de la ville par

partie, dont Aldo Rossi a développé, que l’on retrouve dans la conception de la cité d’habitation.

C’est comme si la cité d’habitation est considérée par Pouillon comme une petite ville.

A travers l’analyse, on a vu que Pouillon disposait ses bâtiments en formant des espaces fermés

sans pour autant qu’ils soient clos. Ce qui engendre des angles ouverts ainsi que des passages

entres les bâtiments qui permettent de rendre l’espace fermé et fluide en même temps. Cette

disposition permet d’avoir un enchaînement de places avec des angles de vision qui forment un

parcours architectural. N’est-ce pas le même parcours dont Le Corbusier et Mies van der Rohe

développaient à l’intérieur d’une maison à plan libre ? Un plan libre initié par Frank lloyd

Wright en rompant avec toute conception traditionnelle fermée de la maison européenne pour

retrouver cette relation entre l’homme et la nature, entre l’intérieur de la maison et l’extérieur.

Le Corbusier réinterprète la dissymétrie et le pittoresque grec en l’utilisant dans la disposition

des espaces intérieurs de la maison à plan libre. On retrouve cette interprétation du mouvement

à l’intérieur d’une habitation aussi chez Mies van der Rohe. Malgré le fait qu’il est fort probable

256
que Mies n’a jamais lu l’histoire d’architecture d’Auguste Choisy (disponible seulement en

langue française). Là où les grecs libèrent l’espace extérieur de toute limite et orthogonalité, Le

Corbusier et Mies, le font à l’intérieur en libérant le plan de la régularité et des limites du mur

porteur, en optant pour un nouveau system constructif qui libère le mur de sa fonction

structurelle. Du coup, il devient un élément qui forme l’espace et participe dans son articulation.

Si on prend le plan de masse de la cité Diar Es Saada (figure 1) et le plan de la maison de

campagne en brique de Mies van der Rohe (figure 2), on trouvera une ressemblance

remarquable. Ce que faisait Mies pour composer une habitation, Pouillon le faisait dans la

composition d’une cité d’habitation. C’est-à-dire que l’idée de Mies des angles ouverts pour

permettre le dynamisme à l’intérieur de la maison on la retrouve chez Pouillon pour dynamiser

l’espace extérieur de la cité. Comme si Pouillon voit tout l’ensemble d’habitation comme une

maison, où les murs qui ne se croisent jamais dans la maison de Mies sont les bâtiments de la

cité, et les pièces crées par ces murs sont les places ou plus précisément les pièces à ciel ouvert

de la cité. Une interprétation de Pouillon qui permet de trouver dans la même construction : une

composition traditionnelle basée sur la symétrie et la trame orthogonale régulière, et les

principes de la composition pittoresque basée sur l’équilibre visuel et la pondération des masses.

C’est ce qui confirme l’actualité des réponses apportées par Pouillon ; en prenant l'habitant

comme le point central dans la conception de la cité, alors que c’est seulement récemment que

des études proposent de le faire. Et en participant à la fabrication de la ville, en composant des

ensembles urbains qui constituent des parties de la ville. C’est le principe de la continuité entre

l’ensemble urbain et la ville dont Pouillon en parle dans « Ordonnance » : « l’architecte ne peut

compter que sur lui-même pour organiser un espace. Il faut que chaque œuvre soit, en elle-

même, une composition terminée. Celui qui prend la suite le fera dans le même esprit »444.

444
Fernand Pouillon, « Ordonnance. Hôtels et résidences des xvii et xviii siècle », op.cit., p35

257
Figure 01 : la cité Diar Es Saada de Pouillon

Figure 02 : la maison de campagne en brique de Mies van der Rohe

258
4. Limites et perspectives de la recherche :

Comme toute recherche scientifique, cet humble essai présente quelques limites dues à la nature

du thème. Ces limites peuvent constituer des pistes pour des futures recherches.

L’une des limites est reliée à l’approche des angles de vision. La présente étude a montré

seulement la présence de cette approche dans la disposition des bâtiments de l’ensemble

d’habitation de Diar-Es-Saada. Alors que la méthode avec laquelle Pouillon a réellement

disposé ses bâtiments pour retrouver ces angles de vision n’est pas démontrée. Il serait

intéressant dans de futures recherches d’essayer de trouver la méthode réelle employée par

Pouillon, et de voir si elle correspond à celle utilisée par les grecs dans la disposition des édifices

de l’acropole d’Athènes.

La seconde limite concerne les points de vue des usagers. Cette recherche s’est focalisée sur les

angles de vision, vues par l’architecte. Il serait très intéressant de voir si les usagers partagent

ce même point de vue, et si cette approche améliore réellement la qualité architecturale du

logement social comme l’avait prévu l’architecte.

Une autre perspective de recherche peut concerner l’impact de la qualité architecturale du

logement sur la fabrication de la ville. Etant donné que l’ensemble d’habitation est considéré

par Pouillon comme une partie de la ville, la question qualitative du logement peut être

prolongée vers le rapport entre l’ensemble urbain est la ville, voir entre l’architecture et

l’urbanisme.

259
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