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‫الجمهورية الجزائرية الديمقراطية الشعبية‬

‫العلم‬
‫ي‬ ‫العال و البحث‬
‫ي‬ ‫وزارة التعليم‬
‫جامعة وهران للعلوم و التكنولوجيا محمد بوضياف‬

Présentée par : SMAIR AHMED YACINE


Intitulé
Les grands ensembles entre valeur d’usage et valeur patrimoniale
Perceptions, représentations et modes d’habiter dans les grands
ensembles en Algérie

Faculté : d’Architecture et de Génie civil


Département : d’Architecture

Domaine : Sciences et Technologies

Filière : Architecture

Intitulé de la Formation : Architecture et patrimoine

Devant le Jury Composé de :

Membres de Jury Grade Qualité Domiciliation


Madani Mohamed Professeur Président USTO

Meghfour Kacemi Malika MCA Encadrant USTO

Marchal Hervé Professeur Co-Encadrant Université de Bourgogne

Biara Ratiba Wided MCA Université de Béchar


Examinateurs
Senhadji Dalila MCA USTO

Salem Zinai Souria - Invité(e) -

Année Universitaire : 2019/2020


Remerciements

A la lecture d’une thèse, souvent pressé de trouver l’éclairage tant recherché, je me suis
rarement attardé sur la partie « remerciements ». Je saisis aujourd’hui combien celle-ci est
révélatrice de ce qu’est le parcours d’élaboration d’une thèse. Au-delà du travail scientifique,
ces lignes rendent compte de l’importance des personnes ayant accompagné et des
échanges humains ayant ponctué et facilité ce parcours. C’est à ces personnes sans
lesquels ce travail n’aurait pu aboutir que je souhaite adresser, ici, mes remerciements.

J’exprime donc toute ma gratitude à mes directrices et directeur de thèse qui ont su par leur
complémentarité m’accompagner dans ce travail. Salem Zinaï Souria pour sa supervision
intelligente, ses remises en question (Ô combien vitales !) et son investissement personnel
dans ce projet. Hervé Marchal pour ses efforts généreux, la pertinence de ses conseils mais
aussi pour la dimension humaine de son accompagnement… A n’en pas douter les
différentes discussions passionnées qui ont jalonné cette thèse ont été fondamentales.
Kacemi Malika pour s’être impliquée dès le début de cette thèse et avoir pris le relais de sa
direction avec talent !

Je tiens à remercier chaleureusement le professeur Madani Mohamed pour avoir accepté


de présider le jury de soutenance de cette thèse ainsi que Mmes Senhadji Dalila et Biara
Ratiba Wided pour avoir bien voulu l’examiner.

Comment ne pas penser à ma famille, à commencer par mes parents qui m’ont soutenu
moralement et matériellement, et particulièrement ma mère dont les encouragements et
attentions m’ont accompagné durant ces années. Par ailleurs, l’architecture étant une
histoire de famille, ce travail n’aurait pu voir le jour sans les orientations éclairées de mon
père et premier relecteur ! Comment ne pas penser à mon frère et à ma sœur pour leur
appui et leur aide significative ainsi qu’à mes grands-parents qui, entre deux prières, se sont
toujours enquis de l’avancement du travail.

Merci à mes autres relecteurs patients et dévoués et à mes amis dont le désintérêt total
pour ma thèse m’a permis de m’en détacher lorsque c’était nécessaire pour mieux me
reconcentrer !
Je tiens à remercier tous les hommes et femmes qui ont accepté de se livrer à l’exercice
des entretiens ainsi que les employés de la commune d’El Madania qui m’ont accueilli,
répondu à mes questions et permis de mener des entretiens dans leurs bureaux.

Cette recherche a été réalisée à l’Université des Sciences et de la Technologie d’Oran -


Mohamed Boudiaf, néanmoins une partie du travail a été réalisée à l’Université de
Bourgogne et au Centre Georges Chevrier. A cet égard, je souhaite les remercier pour
les moyens qu’ils ont généreusement mis à ma disposition.

Et pour finir, cette thèse étant sur le point d’être livrée à la lecture et à la critique, je remercie
les lecteurs pour les avis constructifs qu’ils ne manqueront pas d’apporter.
Résumé

L’analyse de la ville Algérienne ne peut s’affranchir, aujourd’hui, de l’étude des grands


ensembles d’habitat social, composants majeurs des villes modernes. Ces derniers, hérités
de la colonisation française et souffrant d’une image négative, parfois caricaturale, recèlent
un potentiel patrimonial certain dans un contexte d’extension de la notion de patrimoine à
de nouveaux champs et notamment à celui du 20ème siècle. Ce travail s’appuie sur une
méthode d’enquête qualitative à travers une série d’entretiens semi-directifs menés avec
des habitants des grands ensembles étudiés. L’observation effectuée sur le terrain d’étude
apporte, quant à elle, un éclairage sur les pratiques de réappropriation de ces espaces
hérités. Dans un premier temps, la présente thèse s’attelle à étudier la nature des valeurs
patrimoniales de cette forme d’habitat en Algérie ainsi que le rapport de l’habitant à l’espace
habité. A travers l’étude des perceptions et des représentations d'habitants de grands
ensembles dans les villes d’Alger et d’Oran, nous mettons en lumière une réappropriation
sensible de l’espace qui épouse les contours des modes d’habiter des populations. A partir
de là, est mise en évidence la constitution d’identités spatialement marquées et de micro-
quartiers allant de la barre à une partie du grand ensemble en passant par la rue ou la place.
Dans un second temps, ce travail s’intéresse au lien entre la valeur patrimoniale conférée
par l’habitant au grand ensemble et à sa volonté de s’impliquer dans le devenir de celui-ci.
En somme, le présent travail met en évidence le paradoxe d’une territorialisation et d’une
patrimonialisation par le bas de cette forme d’habitat moderne.

Mots clés : Grand ensemble, Patrimoine, Patrimonialisation, Mode d’habiter,


Territorialisation, Quartier, Réappropriation
Abstract

Analyzing the Algerian city cannot be carried out today without studying the large-scale
social housing estates which are a major component of modern cities. Inherited from the
French colonial period and suffering from a negative, sometimes caricatural, image, these
housing developments show a high heritage potential in the context of the 20 th-century
expansion of the concept of heritage to new areas. This work is based on a qualitative survey
through a series of semi-leading interviews with inhabitants of housing estates. Furthermore,
the field observations shed light on practices of these inherited spaces’ reappropriation.
First, this thesis studies the nature of the heritage values of this form of Algerian habitat, as
well as the relationship between the inhabitants and the inhabited space. Through the study
of the perceptions and representations of inhabitants of housing developments in the cities
of Algiers and Oran, we illustrate the significant reappropriation of the space that follows the
outlines of the populations’ ways of living (modes d’habiter). From that, we highlight the
creation of spatially organized identities as well as micro-neighborhoods ranging from the
building to the street or square to a part of the housing development. Second, this work
addresses the relationship between the heritage value that the inhabitant confers to the
housing estate and the desire of the inhabitant to be involved in his neighborhood’s future.
In sum, this work highlights the paradox of a bottom-up territorialisation and heritagization
of this modern form of habitat.

Key words: Large social housing estates, Heritage, Heritagization, Mode d’habiter,
Territorialisation, Neighborhood, Reappropriation
‫مل ّخص‬

‫ال ّ نات‬ ‫ة اع ارها إح‬ ‫ّ عات ال ّ ّة ال‬ ‫ها اﻻس غ اء ع ت ل ل ال‬ ‫إن دراسة ال ي ة ال ائ ّة ال م ﻻ‬
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‫ّ عات‪ ،‬ال روثة في ال ائ ع اﻻح ﻼل الف ن ي واّل ي تعاني م ص رة‬ ‫اﻷساس ة لل ن ال ي ة ‪.‬هاته ال‬
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‫سل ّة بل و ار ات رة‪ ،‬ت ل مع ذل أ عاد ت اث ة أك ة في ّل ام اد مفه م ال اث إلى م اﻻت ج ي ة م ها‬

‫على أسل ب ت ّ ن عي م خﻼل ع د م ال قابﻼت الّ ف م جهة‬ ‫يت‬ ‫‪.‬ه ا ال‬ ‫م ال الق ن الع‬

‫ال ﻼح ة ال ان ة م جه ها ت ض ا ل ارسات إعادة ح ازة هاته‬ ‫ّ عات‪ ،‬ك ا ق ّ م‬ ‫مع س ّ ان هاته ال‬

‫في‬ ‫ال اث ة ال عّلقة به ا الّ ع م ال ّ‬ ‫عة ال‬ ‫الف اءات ال روثة ‪.‬في م حلة أولى‪ ،‬اﻷ وحة ت رس‬

‫ة في م ي ي ال ائ‬ ‫رات وان اعات س ّ ان م ّ عات‬ ‫ه م خﻼل ت ل ل ت‬ ‫ال ائ وعﻼقة ال‬


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‫‪.‬ان ﻼقا م ذل‬ ‫ق ال‬ ‫ء إعادة ح ازة ح ّ اسة للف اء اّل ي تق ن مع‬ ‫ووه ان‪ ،‬ث ّ ن ع في دائ ة ال‬

‫ّ ع م و ار‬ ‫ة م انّا وأح اء م غّ ة اﻷ عاد م ن اق الع ارة إلى ج ء م ال‬ ‫ن ضح ت ّ ن ه ّات ج ا ّة م‬

‫ف ال ّ اك‬ ‫حة م‬ ‫ال ة ال اث ة ال‬ ‫ال ّ ارع أو ال ّ احة ‪.‬في م حلة ثان ة‪ ،‬يه ه ا الع ل العﻼقة ب‬

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‫‪ ،‬أقل ة‪ ،‬حي‪ ،‬إعادة ح ازة‬ ‫ق ال‬ ‫ة‪ ،‬ت اث‪،‬‬ ‫ّ عات ال ّ ّة ال‬ ‫كل ات مف اح‪ :‬ال‬
‫ّ‬
Sommaire

Introduction générale

I. Avant-propos : pourquoi cette recherche ? .............................................. 11

II. Introduction : des utopies urbaines aux grands ensembles ..................... 13

III. Problématique et hypothèses ................................................................... 17

IV. Présentation des cas d’études ............................................................... 22

V. Postures et indications méthodologiques ................................................. 27

VI. Le grand ensemble en Algérie, un modèle complexe ............................ 30

Premiére partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur


perception

I. Temporalités et typologies des grands ensembles .................................. 39

II. Les grands ensembles en Algérie ............................................................ 68

III. La patrimonialisation des grands ensembles ........................................... 95

Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires

dans les grands ensembles

I. Type d’habitat et mode d’habiter ............................................................ 132

II. Des identités dans les grands ensembles .............................................. 162

III. Territoires et micro-territoires dans les grands ensembles ..................... 185

Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles


en Algérie

I. Gouvernance urbaine et stratégies dans les grands ensembles dans le


monde............................................................................................................ 212

II. Le cas Algérien ...................................................................................... 238

Conclusion générale ...................................................................................... 268

Bibliographie .................................................................................................. 276

Annexe .......................................................................................................... 290


7
Liste des abréviations

ADE Algérienne Des Eaux


APC Assemblée Populaire Communale
APW Assemblée Populaire de Wilaya
CapDEL Programme de renforcement des capacités des acteurs de
développement local
CEM Collège d’Enseignement Moyen
CIA Compagnie Immobilière Algérienne
CIAM Congrès International d’Architecture Moderne
DBA Deutsche Bauakademie (Académie Allemande de la Construction)
DLEP Direction du logement et des équipements publics
DUC Direction de l’urbanisme et de la construction
DTP Direction des Travaux Publics
FLN Front de Libération Nationale
HBM Habitation à Bon Marché
HLM Habitation à Loyer Modéré
MRU Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme
OPGI Office de Promotion et de Gestion Immobilière
PCD Plan Communal de développement
PDAU Plan Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme
PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement
POS Plan d’Occupation des Sols
RDA République Démocratique d’Allemagne
SONELGAZ Société Nationale de l’Electricité et du Gaz
SVU Société Villeurbannaise d'Urbanisme
UGTA Union Générale des Travailleurs Algériens

8
UNESCO Organisation des Nations unies pour l'Education, la Science et la
Culture
URSS Union des Républiques Socialistes Soviétiques
WBS 70 Wohnungsbauserie 70 (Série de construction de logements 70)
ZAC Zone d’Aménagement Concerté
ZHUN Zone d’Habitat Urbain Nouvelle
ZPPAUP Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager
ZUP Zone à Urbaniser en Priorité

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Introduction générale

I. Pourquoi cette recherche ?

II. Introduction : des utopies urbaines aux grands ensembles

III. Problématique et hypothèses

IV. Présentation des cas d’étude

V. Postures et indications méthodologiques

VI. Le grand ensemble en Algérie, un modèle complexe

VII. Structure de la thèse

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Introduction générale

I. Avant-propos : pourquoi cette recherche ?

La question nous a souvent été posée, tant de la part de praticiens de l’architecture


que de profanes. Dans le contexte algérien actuel cette question est certainement
légitime. En effet, associer « valeur patrimoniale » et « grands ensembles » en
Algérie peut paraître incongru étant donné que l’on a déjà le plus grand mal à
prendre en charge les formes les plus traditionnelles et unanimement reconnues
du patrimoine. A titre d’exemple, l’ancien quartier de Sidi Lhouari, centre originel
de la ville d’Oran dont le caractère patrimonial ne fait pas de doute – il a été
récemment classé –, n’est toujours pas pris en charge et continue de tomber en
ruines.

Dès lors, dans le cadre d’une thèse affiliée aux domaines de l’architecture et du
patrimoine, décider de faire des grands ensembles l’objet de la recherche n’est
pas un choix anodin. La volonté de travailler sur un patrimoine récent était certes
présente dès le départ, mais ce choix s’inscrit clairement dans une vision
pragmatique du patrimoine. Celui-ci est abordé du point de vue des possibilités
qu’il offre pour sortir d’une situation des grands ensembles présentée comme
négative aujourd’hui et pour enclencher des dynamiques nouvelles sur les plans
social, économique et de la gouvernance urbaine.

Décriés, mal aimés, les grands ensembles font souvent l’objet d’articles critiques
évoquant criminalité, insécurité, discrimination, etc. Ils constituent néanmoins une
grande partie du patrimoine immobilier et la majeure partie du logement de type
collectif en Algérie. Différentes stratégies ont été expérimentées dans les grands
ensembles visant à les requalifier, les réhabiliter ou les reconvertir avec peu de
succès. Des stratégies souvent élaborées par les décideurs et les spécialistes et
imposées à une population dont on néglige les véritables rapports à leurs habitats,
et donc leurs modes d’habiter et aspirations. A partir de là, l’approche qui consiste
à étudier les grands ensembles « par le bas », c’est-à-dire par l’étude des
perceptions, des représentations et des modes d’habiter de leurs populations, peut
donner des pistes de réflexions sur une nouvelle manière d’intervenir dans les
grands ensembles et, par extension, de faire la ville.
11
Introduction générale

Une étude de ce type concernant ces cités d’habitat collectif nous renseigne sur
les différents rapports qu’entretiennent les habitants à leur milieu habité : D’abord,
le rapport des individus et des groupes sociaux aux grands ensembles qu’ils
habitent et à leur quartier. Comme nous le verrons, si ceux-ci revêtent une image
négative et caricaturée, la réalité, elle, est beaucoup plus complexe. Ensuite, le
rapport aux grands ensembles, c’est le rapport à une architecture moderne et
fonctionnaliste très éloignée formellement de la maison traditionnelle algérienne.
C’est également un rapport complexe à un patrimoine colonial qui n’est pas
toujours accepté en tant que tel. Enfin, l’étude de ces grands ensembles
appropriés et réappropriés de différentes manières depuis leur construction nous
renseigne sur les différents modes d’habiter algériens.

Il s’agit donc moins, dans cette thèse, d’attester de la patrimonialité des grands
ensembles que de constater aussi bien des dynamiques sociales au sein de ces
quartiers que des rapports particuliers au cadre bâti et des modes d’habiter s’y
développant et pouvant, à n’en pas douter, donner des pistes de réflexions dans
le domaine de l’habitat et de l’urbanisme de manière générale.

Par ailleurs, la troisième partie de cette thèse consacrée à la mise en relation du


patrimoine, du grand ensemble et de la gouvernance urbaine intervient dans un
contexte particulier en Algérie. En effet, l’écriture de ces lignes coïncide avec
l’expression d’une aspiration générale de la population algérienne à un
changement profond du mode de gouvernance. Dès lors, la réflexion sur un
nouveau type de gouvernance urbaine fondé sur l’implication de l’individu dans le
processus de prise de décision nous paraît plus qu’opportune.

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Introduction générale

II. Introduction : des utopies urbaines aux grands ensembles

De tout temps, depuis l'Antiquité jusqu'au XXème siècle, les hommes se sont
essayés à concevoir la cité idéale. Dans la Grèce classique déjà, le lien avait été
fait entre le système politique et le cadre urbain. A la renaissance, ce lien a pris de
l'importance en liant l'architecture au comportement humain et à l'organisation
sociale et politique. La multiplicité des cités idéales conçues et mises à l'épreuve
au travers des siècles montre que celles-ci ont pour objectif de répondre aux
transformations de la ville et d'en orienter les principes d'organisation.

Il est nécessaire ici, afin de comprendre la faillite de certaines utopies urbaines


mise en exécution, de pointer le paradoxe inhérent au concept. Ce paradoxe,
comme l'explique Jean-Marc Stébé, « réside dans le fait que les hommes
imaginant ces cités idéales sont souvent convaincus que l'ensemble des individus
adhéreront à leur projet : La liberté de choisir est, dans bien des cas, bannie »
(Stébé, 2009, p. 563). Ainsi, l’utopie aurait deux visages : « Un visage positif,
prônant une société plus équitable et conviviale, plus bienveillante et altruiste, et
un autre négatif, déployant un projet oppressif, assujettissant et uniformisant. » (p.
563). On retrouve cette même vision de l’utopie urbaine dans ce que James C
Scott a appelé le « haut modernisme » (Scott, 1998, p. 103).

Les exemples de cités idéales sont nombreux depuis l'Antiquité jusqu'à


aujourd'hui. Plusieurs cités idéales, à plan circulaire ou en damier motivé par des
raisons pratiques ou spirituelles, ont été édifiées et les découvertes archéologiques
remettent en cause à répétition la date d’apparition de la première cité utilisant un
tel plan, même si celle-ci est très souvent liée à la ville de Milet, ancienne cité
grecque d’Ionie.

La période de la Renaissance va également foisonner en matière d'utopies


urbaines. Plusieurs cités idéales vont être réalisées ou décrites dans des écrits,
dessins et peintures durant cette période. Leur structure sera caractérisée par la
recherche de l'ordre et sera fortement influencée par la Rome antique. A titre
d’exemple, Leon Battista Alberti, dans De re aedificatoria, insistera sur l’ordre

13
Introduction générale

comme la condition de l’objet commode, gracieux et noble (Alberti, Caye, & Choay,
2004). Les trois tableaux d'Urbino sont également un témoignage des cités idéales
imaginées à la Renaissance. Ces tableaux, dont l'auteur est inconnu, montrent une
cité faite de monuments antiques, d'un style moderne de l'époque que l'on qualifie
aujourd'hui de gothique et d'un futur abstrait (Damisch, 2012). Ces tableaux
montrent des façades symétriques, des rues, des places, des monuments, des
constructions plus ordinaires ainsi que des équipements.

D'autres cités idéales ont été conceptualisées ensuite comme celle d'Antonio di
Pietro Averlino selon un modèle radial avec un plan en étoile qu'il compare à un
corps humain parfait. La cité montre une réflexion sur les espaces publics et sur la
localisation des équipements de santé, des commerces, des banques et de
l'artisanat. De Vinci, de son côté, formulera plusieurs propositions fortement
influencées par la recherche d'une hygiène qui sera, dès lors, une des principales
influences des utopies urbaines à venir (Stébé, 2009).

Différentes visions de la cité idéale se sont ensuite succédé répondant aux grands
changements connus par les villes jusqu'au 19ème siècle. Nous pouvons citer à
titre d’exemple la cité idéale de Cerda, un type d'urbanisation qu'il nommera
« urbanisation ruralisée » (Cerdá, 1867, p. 168) et qui se matérialisera par le plan
en damier de l'extension de la ville de Barcelone. Elle s'attache à favoriser l'égalité,
une extension facile de l'organisation, la facilitation des communications, la
séparation entre les espaces privés des zones d'habitations et les espaces publics
administratifs et commerciaux, et l'implantation d'un jardin au centre de chaque
îlot. E. Howard, de son coté, émettra l’idée d'installer des villes dans les
campagnes à travers les cités-jardins : des villes situées dans la compagne dont
la densité et l'extension sont limitées et qui sont reliées entre elles par un nouveau
réseau routier (Howard, 2013).

L'avènement de la cité industrielle et l'expansion du courant hygiéniste né au milieu


du 18ème siècle va participer à la mise au point de plusieurs modèles de cités
idéales. En effet, dès 1928, après avoir conceptualisé la « ville industrielle », cité
idéale qui n'a jamais été réalisée, Tony Garnier va mettre au point une cité de

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Introduction générale

35 000 habitants pour une population travaillant dans l'industrie, recherchant


l'harmonie et la convivialité. Influencé par des idées socialistes, il conçoit une ville
contenant beaucoup d'équipements culturels ainsi qu'un hôpital, tout en intégrant
les espaces verts et accordant une certaine importance à la possibilité de
bénéficier du soleil.

Le fonctionnalisme s'imposera, plus tard, de manière plus marquée dans les


utopies urbaines de Le Corbusier et dans celles du Bauhaus :

- La ville contemporaine de trois millions d'habitants

Un jour de juillet 1922, Marcel Temporal ayant pris la direction de la section urbaine
du Salon d'Automne, vint proposer à Le Corbusier de faire quelque chose pour le
prochain salon de novembre : « L'art urbain c'est la boutique, l'enseigne en fer
forgé, la porte de la maison, la fontaine dans la rue, tout ce que nos yeux voient
de la chaussée, etc. Faites-nous donc une belle fontaine ou quelque chose de
semblable ! » dit-il. On fit autre chose : on fit l'étude d'une « Ville Contemporaine
de 3 Millions d'Habitants ».

(Le Corbusier & Boesiger, 1995, p. 34).

Cette cité idéale jamais réalisée (ayant été refusée par les pouvoirs publics)
préconisait de faire tabula rasa d’une grande partie du centre-ville de Paris ne
conservant que les monuments remarquables. Elle était structurée par un
échiquier avec un plan symétrique. Le lieu central de cette ville était le croisement
de deux grands axes dans une grande gare, point de rencontre de tous les moyens
de transport public.

Des tours étaient érigées à partir d'une végétation au niveau du sol et le réseau
routier y était très important. Le fonctionnalisme s'imposant comme un principe de
structuration de la ville, les zones des sièges sociaux des entreprises et des
banques, les quartiers résidentiels accueillant les cadres travaillant dans celles-ci
et les zones des travailleurs vont être clairement délimitées et localisées. Les rues,
quant à elles, sont éliminées au profit d'espaces verts.

15
Introduction générale

Le « plan voisin » en 1925 sera une variante de la ville contemporaine de 3 millions


d'habitants. Présenté au salon des arts décoratifs de 1925 et publié dans « l'Esprit
Nouveau », il proposait, après avoir rasé une grande partie du bâti existant, à
l’exception, là encore de quelques monuments remarquables, une cité d'affaires
composée de 18 gratte-ciels cruciformes et une cité résidentielle reliées par une
gare centrale souterraine.

La cité radieuse, étant un projet plus réalisable, sera l'occasion pour Le Corbusier
d'appliquer réellement sa vision de la ville. Les unités d'habitations accueillant
1600 habitants sans distinction de classe et comprenant des équipements, des
services et des rues en hauteur, seront sans doute à l'origine des grands
ensembles tels que nous les connaissons aujourd'hui. Même si elles peuvent être
très différentes en matière d'échelle, d'équipements, de services et de structure,
les unités d’habitation influenceront indéniablement la production du logement
social par le futur.

16
Introduction générale

III. Problématique et hypothèses

Une fois établie, la décision de faire des grands ensembles construits dans les
années 1950 en Algérie le sujet de cette thèse, il était nécessaire, étant donné la
multiplicité des discours populaires ou scientifiques abordant ce thème, de se
débarrasser des aprioris ambiants et de constater la réalité de ces cités. En effet,
avec les premières réflexions sur l'avenir des grands ensembles menées lors de
colloques scientifique, ou dans différents écrits, il semble que le premier problème
posé par les grands ensembles soit leur méconnaissance. Une méconnaissance
qui a laissé libre cours à nombre de clichés et justifié des politiques de la ville qui,
quand elles existent, n'ont fait qu'accentuer les difficultés qu'elles prétendaient
réduire (Tomas, 2003a).

En France, les explications courantes ont ainsi attribué la généralisation de la


politique des grands ensembles dans l'après-guerre à une nécessité économique.
Or Jean-Noël Blanc montre que cette généralisation s'est faite grâce à la
convergence de plusieurs opinions pour des raisons idéologiques (Blanc, 2003b).
Il estime en effet qu'il ne s'agissait pas, comme on a pu l'expliquer, d'un choix
inévitable, mais d’un choix idéologique. En ce sens, l'exemple de l'Algérie n'est pas
différent puisque comme nous le verrons, les grands ensembles destinés à la
population musulmane sont dans une certaine mesure le résultat d'une stratégie
coloniale visant, à travers le changement du type d’« habitat », à changer le mode
d’« habiter ».

La méconnaissance des grands ensembles est également liée à la complexité


constituée par la confrontation de principes utopiques (Stébé & Marchal, 2009) à
des terrains et des populations bien réels, à la multiplicité des contextes et à des
dynamiques habitantes tout aussi multiples. Au départ, ce sont des grands
ensembles, résultants de l’urbanisme moderne et du fonctionnalisme, qui
susciteront rapidement les critiques des architectes, sociologues et géographes
mais surtout de la population elle-même. Passé l’effet de nouveauté et des
différents progrès modernes en termes de confort, on rejettera l’absence de la rue,

17
Introduction générale

on connaîtra l’ennui suscité par la répétitivité et la monotonie architecturale et on


vivra mal la massivité des barres dans le paysage urbain. La désertion rapide par
les classes moyennes des grands ensembles est, en ce sens, significative (Stébé
& Marchal, 2019b). Mais ces cités d’habitat social ne sont pas entièrement la
matérialisation de la pensée des chantres du modernisme dont Le Corbusier.
Certaines des plus importantes préoccupations de celui-ci et du courant hygiéniste
sont souvent passées au second plan face aux considérations techniques et à
l’urgence imposée par la crise du logement. Le droit au soleil prôné par Le
Corbusier, à titre d’exemple, et auquel il répond par l’orientation de ses barres, a
souvent été sacrifié au profit du chemin de grue qui facilite la réalisation des grands
ensembles et induit un gain dans le coût et dans les délais. Les équipements que
l’on peut trouver dans les unités d’habitation de Le Corbusier sont rares ou absents
dans les grands ensembles, ou ne suivront qu’après un certain temps. On peut de
ce point de vue questionner la modernité initiale des grands ensembles.

La complexité est, ensuite, liée aux différents contextes de leur réalisation. Le style
international des grands ensembles est en ce sens un mythe. Comme le montrent
Dufaux et Chemetov dans « Le monde des grands ensembles » (Dufaux &
Chemetov, 2004), le style international s’est décliné différemment en France, en
Italie, en Corée du Sud, en Algérie ou en Iran. Pour appréhender le contexte
algérien, s’il faut passer nécessairement, dans un premier temps, par l’étude de
l’histoire du logement social en France, on doit s’en détacher, ensuite, pour étudier
comment cette forme urbaine est spécifiquement apparue dans l’Algérie coloniale
et s’est développée, plus tard, dans l’Algérie indépendante.

D’un point de vue social, cette forme urbaine, en Algérie et ailleurs, est
caractérisée par une image négative. Médias, hommes politiques et population
pointent du doigt des cités déterritorialisées où il n’y a pas d’identité ou de vie
sociale, où l’insécurité règne et où les habitants souffrent de discrimination. Les
séquences d’observation ainsi que les entretiens exploratoires menés auprès
d’habitants de ces grands ensembles casseront dès le départ de nombreuses
certitudes acquises inconsciemment au fil du temps. En effet, transcendant la
diversité des situations économiques et sociales des habitants des grands
18
Introduction générale

ensembles, le rapport au lieu, c'est-à-dire à ces constructions emblématiques d’un


modernisme critiqué, et d’une architecture coloniale héritée, parfois discriminante,
est à la fois fort (identité), contrarié (négation des modes d’habiter culturels) et
revendiqué (attachement au lieu).

Parallèlement à cela, l’engouement pour le patrimoine dans les sociétés n’a jamais
été aussi fort. Celui-ci n’a cessé, à travers les siècles, de connaître des extensions.
La notion de monument historique, qui ne désigne que les œuvres antiques et
classiques isolées dans un premier temps, s’est étendue aux édifices et à leurs
sites. La notion a également inclus le patrimoine immatériel pour ne citer que
quelques extensions (Choay, 2007). Récemment, la notion de patrimoine du
« XXème siècle »1 a commencé à apparaître concernant d’abord l’architecture des
premières décennies du XXème siècle ou celles possédant une valeur historique,
jusqu’à commencer à regarder les grands ensembles sous un nouvel angle, celui
de leur valeur patrimoniale. A ce propos, le danger auquel sont exposées ces cités
d’habitat social est, comme souvent dans l’histoire, à l’origine de ce début de
reconnaissance. En effet, de nombreux grands ensembles ont été détruits en
Europe ou partout dans le monde. L’Algérie ne fait pas exception en la matière
puisque plusieurs cités ont été démolies ou se sont beaucoup détériorées.

Le lien se fait ici de fait avec la question de la gouvernance urbaine et plus


particulièrement avec les modalités d’association de l’habitant au processus de
prise de décision. En effet, il a été établi que le patrimoine est aujourd’hui un outil
efficace de légitimation des populations et une ressource pour le développement
des territoires (Garnier, 2015).

A partir du contexte décrit, et en partant du postulat qu’appréhender la question


des grands ensembles aujourd’hui passe par l’étude, d’un côté, du cadre physique,
et de l’autre, des perceptions, des représentations de leurs habitants et de
l’appropriation qui en a été faite et qui se fait, notre question de départ se pose

1 Le label « patrimoine du XXème siècle » existe en France et le Conseil de l’Europe a, dans une
note, insisté sur la nécessité de protéger le patrimoine du XXème siècle

19
Introduction générale

comme suit : comment habite-t-on aujourd’hui les grands ensembles en Algérie ?


Le sens du terme habiter dépassant, ici, ceux réducteurs de « logement » d’un
côté, et de « demeure terrestre » de l’autre (Mathieu, 2014). Habiter est entendu
en l'occurrence dans le sens de la mise en relation entre un habitant actif et son
milieu de vie (Mathieu, 2014). En d’autres termes, comment les habitants des
grands ensembles en Algérie perçoivent-ils, se représentent-ils, se sentent-ils et
se sont-ils réapproprié leur milieu de vie ?

Nous avançons à travers cette thèse l’hypothèse que les grands ensembles en
Algérie ne sont plus ces cités d’habitat social déterritorialisées, mais qu’ils ont fait
l’objet d’une réappropriation et qu’ils font aujourd’hui l’objet d’un processus de
patrimonialisation spontané.

Plusieurs questions subsidiaires s’imposent dès lors :

D’abord, la valeur patrimoniale de ces grands ensembles hérités est-elle perçue


par les habitants ? Quels sont les éléments qui la constituent ? En s’appuyant sur
les différentes théories des valeurs du patrimoine et notamment celle d’Alois Riegl,
nous faisons l’hypothèse que les habitants perçoivent les différentes valeurs de
contemporanéité et de mémoire de ces grands ensembles (Riegl, 2003c).

Ensuite, comment le mode d’habiter se décline-t-il aujourd’hui dans les grands


ensembles ? Nous faisons ici l’hypothèse de la réappropriation sensible de ces
cités d’habitat social, une réappropriation qui épouse les contours des modes
d’habiter propres des populations algériennes et agit sur le cadre physique. Nous
posons également l’hypothèse de l’émergence d’identités propres aux grands
ensembles, de leur territorialisation et d’une volonté de l’habitant de s’impliquer
dans le futur de son quartier.

Enfin, dans le contexte de la montée de l’individu désirant être partie prenante des
politiques urbaines et donc des changements de son lieu de vie, la valeur
patrimoniale potentielle des grands ensembles en Algérie peut-elle être un atout
dans le développement des territoires ? Quelles perspectives offre-t-elle au regard
de la diversité des situations urbaines de ces cités ? Nous formulons en ce sens

20
Introduction générale

l’hypothèse de la patrimonialisation par le bas des grands ensembles en Algérie


comme moteur de l’implication des usagers dans une gouvernance territoriale.

A partir des éléments énoncés plus haut, les objectifs de cette thèse s’articulent
comme suit :

 L’identification des particularités des grands ensembles en Algérie sur le


plan historique, architectural et social dans le contexte d’une production
mondiale diverse.

 La constitution d’idéaux-types des grands ensembles dans un but


analytique.

 La mise en évidence des valeurs d’actualité et de mémoire des grands


ensembles suivant les définitions données par Aloïs Riegl.

 L’analyse des transformations physiques apportées aux grands


ensembles.

 L’évaluation de la perception par les habitants des valeurs mises en


évidence.

 L’étude des modes d’habiter qui se sont constitués dans les grands
ensembles en relation avec la réappropriation de cette forme urbaine.

 La mise en évidence des identités qui se sont constituées dans les


grands ensembles étudiés.

 La mise en évidence des territoires qui se sont dessinés au sein des


grands ensembles.

 La compréhension des ressorts de la volonté des habitants de


s’impliquer dans la gestion et dans le devenir de leur quartier.

 L’identification des perspectives d’évolution des grands ensembles en


rapport avec les ressources identifiées.

21
Introduction générale

IV. Présentation des cas d’études

Nous faisons dans cette thèse le choix d’étudier exclusivement les grands
ensembles construits dans les années 1940 et 1950 et achevés avant ou après
l’indépendance de l’Algérie. Nous écartons donc, dès le départ, et ce pour des
considérations méthodologiques, d’autres formes d’habitat social qui pourraient se
glisser sous ce vocable telles que les Zones d’Habitat Urbain Nouvelles (ZHUN)
ou d’autres. En effet, bien que ces formes d’habitat social soient comparables et
parfois assimilées aux grands ensembles, des différences notables existent dans
leur conception et ils sont le résultat de politiques et d’acteurs différents. Ainsi il
s’agit d’éviter le biais méthodologique que constitue le fait d’étudier des formes
différentes de logement en les assimilant.

L’étude ayant été structurée par une phase exploratoire et une phase d’étude
approfondie, plusieurs cités ont été étudiées durant la première phase pour ensuite
approfondir un cas en particulier :

IV.1.Cas étudiés de manière exploratoire :

Les grands ensembles représentent une grande partie du parc immobilier en


Algérie. Les villes d’Alger et d’Oran, respectivement première et deuxième ville
d’Algérie, ont été destinataires d’une partie importante et assez représentative de
la production des grands ensembles. Nous avons donc choisi ces deux villes pour
mener une enquête exploratoire.

Oran, grande ville coloniale, a, durant les années 1940 et 1950, vu beaucoup de
grands ensembles s’édifier en son sein dont nous avons choisi quelques cas
représentatifs (Carte 1). Alger, quant à elle, nous intéresse particulièrement parce
qu’elle a fait figure de terrain d’expériences architecturales et urbanistiques
reconnues. La production des grands ensembles y comprend de nombreuses
réalisations majeures dont nous avons également étudié quelques cas (Carte 2).

22
Introduction générale

Carte 1 : Grands ensembles étudiés à Oran (Image google map éditée par l’auteur)

23
Introduction générale

Carte 2 : Grands ensembles étudiés à Alger (Image google map éditée par l’auteur)

IV.2.Cas étudiés de manière approfondie :

L’exemple de la ville d’Alger nous intéresse particulièrement parce qu’il a donné


lieu à la construction de quelques cités emblématiques, dont la cité Diar El Mahçoul
que nous étudions de manière approfondie (Carte 3, Photo 1).

Construite en 1953 sous la colonisation française, Diar El Mahçoul est un des


premiers grands ensembles construits en Algérie. Situé sur les hauteurs de la ville
d’Alger, c’est un grand ensemble en pierre et en béton, intégrant des éléments de
l’architecture traditionnelle algérienne dans sa conception et où l’architecte,
Fernand Pouillon, a adressé une attention particulière aux espaces publics. C’est
également un grand ensemble qui n’est pas homogène puisqu’il est composé de
deux parties séparées par un boulevard : 1/ la partie nord, initialement habitée par
une population européenne et ayant une vue sur la baie d’Alger, était appelée
« confort normal » ; 2/ la partie sud, initialement habitée par une population
24
Introduction générale

musulmane et plus en retrait, était appelée « confort évolutif ». Ces deux termes
étaient relatifs au niveau de confort des appartements. Aujourd’hui la partie
européenne est habitée par une population algérienne qui a investi les
appartements après l’indépendance de l’Algérie. Les deux parties souffrent d’un
surpeuplement plus ou moins accentué et d’une image négative auprès de la
population ainsi que dans les médias.

En plus de cette histoire lourde et de la ségrégation spatiale qui existe dans ce


quartier, la particularité de ce grand ensemble réside dans le fait qu’il ne
correspond pas tout à fait aux principes qui ont prévalu dans l’urbanisme moderne
des années 1950. En effet, contrairement aux critiques généralement opposées
aux grands ensembles classiques, une attention particulière a été accordée aux
espaces publics présents dans une grande diversité. On y décerne une tentative
de recréer les éléments classiques de la ville : rues, places, placettes.

Photo 1 : Cité Diar El Mahçoul, Confort, place du marché. Photo auteur, 2018

25
Introduction générale

Carte 3 : Grands ensembles étudiés Dans la commune d’El Madania (Ex Salembier) (Auteur)

26
Introduction générale

V. Postures et indications méthodologiques

V.1. Approches méthodologiques :

L’étude du patrimoine est pluridisciplinaire. En effet, architectes, urbanistes,


sociologues et géographes s’y sont intéressés apportant une pluralité des
approches. Cette thèse s’intéressant aux grands ensembles, nous adopterons
pour notre part plusieurs approches.

Dans un premier temps, et dans l’optique d’identifier les valeurs patrimoniales


intrinsèques à nos cas d’étude, nous nous référerons aux valeurs du patrimoine
théorisées par Aloïs Riegl dans « Le culte moderne des monuments, sa nature,
son origine » (Riegl, 2003a). Nous adopterons, à cet égard, une approche
historique afin d’expliquer les enjeux qui ont abouti à l’organisation spatiale et à
l’architecture particulière des grands ensembles étudiés ainsi qu’à leur évolution.
Ensuite, nous étudierons ces cités d’un point de vue architectural et artistique.

Dans un second temps, nous nous baserons, pour interroger le rapport de l’individu
au quartier, sur plusieurs méthodes :

- Dans l’objectif de décrire, d’interpréter et d’expliquer les expériences


d’habitants des grands ensembles, nous adopterons une méthode
qualitative. Deux types d’entretiens seront utilisés suivant les différentes
phases de l’enquête. D’abord, et dans une optique exploratoire, sera adopté
l’entretien libre afin de permettre une expression non restreinte de l’enquêté.
Le type d’entretien choisi pour l’enquête approfondie sera, quant à lui,
l’entretien semi-directif, ceci dans le souci de structurer les entrevues autour
des éléments identifiés lors de la phase exploratoire tout en permettant une
certaine liberté aux enquêtés. Au cours de ces entretiens, nous les
interrogerons sur leurs perceptions du quartier, les représentations qu’ils en
ont et sur leurs pratiques de l’espace. Ils pourront également fournir des
explications concernant les pratiques observées dans le quartier.

27
Introduction générale

Les entretiens individuels et collectifs se dérouleront dans plusieurs endroits


au sein de notre terrain d'étude : dans les espaces extérieurs, à l'entrée d'un
immeuble, sur les escaliers monumentaux existant un peu partout, à
l'intérieur des logements lorsque les conditions le permettent ou dans les
bureaux de la mairie d’El Madania (Ex Salembier).

Les enquêtés seront contactés de différentes manières : d'abord,


directement sur le terrain, d'une manière aléatoire lors de phases
d'observation, ce qui nous permettra d'avoir un panel assez représentatif de
la population du point de vue du niveau de vie, du niveau d'éducation et du
statut de propriétaire ou de locataire. Néanmoins, ce panel est très peu
représentatif de la population féminine du terrain d'étude, étant donné la
difficulté inhérente à la culture locale et religieuse de mener un entretien
prolongé avec une femme dans l’espace public. Ensuite, nous contacterons
certaines enquêtées par le biais des services de la mairie qui nous ont
permis de mener des entretiens avec des femmes du quartier au sein de
leurs bureaux. Ceci nous permettra également de mener des entretiens
auprès des responsables de la mairie qui habitent aussi le quartier,
apportant ainsi un regard d'expert et de décideur. Enfin, nous compléterons
notre panel par des enquêtés contactés grâce à des tierces personnes de
notre connaissance.

- Nous nous appuierons également sur la méthode de l’« observation


flottante » empruntée à Colette Pétonnet qui consiste à « rester en toutes
circonstances vacant et disponible, à ne pas mobiliser l’attention sur un
objet précis, mais à la laisser « flotter » afin que les informations la
pénètrent sans filtre, sans a priori, jusqu’à ce que des points de repères,
des convergences, apparaissent et que l’on parvienne alors à découvrir des
règles sous-jacentes » (Pétonnet, 1982, p. 39). Cette méthode nous
permettra d’appréhender les pratiques des habitants au sein de l’espace
public et son appropriation.

28
Introduction générale

- Nous nous appuierons pour finir sur une approche empruntée à Vincent
Véschambre qui consiste en la « mise en mots des espaces »
(Veschambre, 2011, p. 99). Cette méthode sera adoptée suite au constat
du décalage entre les appellations formelles et informelles quant à la
désignation des espaces et des bâtiments, ce qui mettra en évidence le
décalage entre l’espace conçu, l’espace perçu et l’espace vécu (Lefebvre,
1974).

V.2. Matériaux et sources :

Plusieurs types de matériaux seront utilisés lors de l’élaboration de cette thèse :

- Nous nous intéresserons à la littérature spécifique à notre sujet et nous


analyserons des situations similaires aux nôtres.

- Nous mobiliserons différents documents historiques :

 Articles de journaux, photos et travaux ayant accompagné la mise en


place de la politique des grands ensembles en Algérie ;

 Plans anciens recueillis auprès des administrations locales ;

 Archives françaises concernant l’Algérie ;

 Plans et descriptifs souvent issus d’actes de propriété ;

 Récits décrivant la vie dans les grands ensembles avant


l’indépendance de l’Algérie.

29
Introduction générale

VI. Le grand ensemble en Algérie, un modèle complexe

VI.1.Origine de l’appellation :

Généralement utilisé pour désigner les cités d’habitat social réalisées à partir des
années 1950 et jusqu’à la moitié des années 1970, le terme « grand ensemble »
n’a néanmoins aucun caractère juridique. Il a été utilisé pour la première fois en
1935 par Maurice Rotival2 dans la revue « Architecture d'Aujourd'hui » pour
désigner quelques groupes français d'HBM (Habitation à Bon Marché), ceux du
Plessis-Robinson, de Maison-Alfort, de la Muette à Drancy et quelques réalisations
allemandes et autrichiennes. Maurice Rotival critiquait ainsi les plans de masse de
ces cités :

C'est un îlot placé au milieu d'une plaine dans laquelle on ne sent aucun plan
général reliant les nouvelles constructions à l'agglomération parisienne... On
cherche vainement les autostrades, les réserves boisées, les terrains de jeux.

(Rotival, 1935, p. 57)

Néanmoins, le terme grand ensemble utilisé dans cet article de Maurice Rotival
n'est, comme l'explique François Tomas, pas encore précisé même si on peut voir
dans les dernières lignes une définition du terme (Tomas, 2003b) :

Il résulte de notre étude, si nous désirons l'appliquer à la région parisienne qui


nous intéresse tout particulièrement, qu'il faudrait accélérer l'approbation du plan
régional, en étudier soigneusement l'application à la création de villes nouvelles
destinées aux HBM, de séparer nettement ces réalisations des agglomérations
existantes. En un mot, poser sur la trame actuelle de la banlieue parisienne une
nouvelle trame entièrement indépendante de la première…

(Rotival, 1935, p. 72)

2 Maurice Rotival (1897 - 1980) est un ingénieur urbaniste français. Il a été responsable du Plan
régional d'Alger

30
Introduction générale

Comme l'affirme François Tomas, les véritables précurseurs des grands


ensembles seraient plutôt à chercher dans les dessins d'André Lurçat pour Villejuif
ou de Le Corbusier pour Boulogne-Billancourt.

En 1953, Adrien Spinetta, directeur de la construction au MRU, qualifie de grands


ensembles six premières opérations, puis en 1958 le terme s'institutionnalise dans
le cadre de la procédure ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité) et à partir de 1967
dans le cadre de la procédure de ZAC (Zone d'Aménagement Concerté).

Philippe Pinchemel, géographe français, donne une définition du grand ensemble


en 1959. Celle-ci est basée sur l’envergure importante des bâtiments, sur le
nombre de logements dépassant le millier et sur la présence des équipements
nécessaires aux résidents. Il explique par ailleurs que ces grands ensembles sont
issus d’une politique urbaine et impliquent un corps de doctrine et une technocratie
qui prennent en charge l’organisation des nouveaux modes de vie urbains de la
population (Pinchemel, 1959).

Hervé Vieillard-Baron3 définira, de son coté, dans « le monde des grands


ensembles » cinq critères : « La rupture introduite avec le tissu urbain ancien, la
forme (tours et barres), la taille (plus de 500 logements), le mode de financement
(aidé par l’état) et la globalité de la conception (conduisant à la rationalisation, à la
répétitivité et à l’inclusion réglementaire d’équipements) » (Vieillard-Baron, 2004,
p. 46).

L’on s’accorde donc à renvoyer la définition des grands ensembles aux


caractéristiques citées plus haut. Mais il est nécessaire de dire ici que la notion de
grand ensemble ainsi expliquée va forcément entretenir un malentendu lors de
l’adoption de cette forme d’habitat dans les politiques urbaines. A-F. Lederlin
affirme en effet que deux concepts cohabitent dans le terme grand ensemble, celui
de logement social et celui de forme urbaine. La notion d'habitat social est liée au

3 Hervé Vieillard-Baron est un géographe français dont les thèmes de recherche sont les zones
sensibles, les politiques de la ville et la rénovation urbaine, les migrations et les diasporas, les
territoires et les modes de visibilité du religieux

31
Introduction générale

mode de financement et à la catégorie d'habitants destinataire du logement, alors


que la notion de forme urbaine est liée, quant à elle, à un mode d'organisation de
l'espace (Lederlin, 1987).

VI.2.Grands ensembles, banlieues, cités :

Les grands ensembles sont souvent communément appelés banlieues. Comme


l'explique Marion Segaud, les banlieues, une des figures de l'espace urbain
actuellement, sont des quartiers particuliers implantés au bord des villes et
caractérisés par des images négatives. Mais le terme banlieue peut également
désigner une forme d'habitat tout à fait différente, celle des zones d'habitat
pavillonnaire situées à la périphérie des villes (Segaud, 2009). A cet égard, dans
cette thèse, nous préférerons les termes « grand ensemble » ou « cité » à celui de
« banlieue ».

VI.3.Une modernité algérienne

L'architecture des villes algériennes a, depuis le début de la colonisation, fait


référence dans le même temps à la modernité occidentale et à l'architecture turque
et mauresque. Ceci peut expliquer l'apparition dans les années 1930 d'architectes
modernistes nés en Algérie mais qui ont, par leur algérianité, pu critiquer les
réalisations du Mouvement moderne (Picard, 1994).

En effet, dès les années 1930, une architecture moderne est réalisée en Algérie.
Un moderne décrit par Marcel Lathuillère comme « non pas bruyant et tapageur,
mais au contraire un moderne appuyé sur des bases rationnelles adaptées au
soleil d'Afrique du Nord » (Lathuillère dans Picard, 1936, p 129). Ce style est
caractérisé par un vocabulaire architectural moderne mais avec des références à
l’architecture locale. C'est cette vision de l'architecture et de la ville traditionnelle,
conjuguée à la volonté des architectes modernes (nés en Algérie la plupart du
temps), qui a permis de créer un style propre à l'Algérie et de remettre en cause le
modèle type des grands ensembles modernes, souvent résultat d'une
interprétation erronée de la pensée de Le Corbusier. Ces architectes
réinterpréteront des espaces adaptés aux pays méditerranéens : cours, patios etc.

32
Introduction générale

De fait, le choc entre les cultures européenne et africaine a permis l'émergence


d'alternatives au modèle dominant qu'était le Mouvement moderne (Picard,
1994). A titre d’exemple, un groupe d'architectes proches de Le Corbusier, dont
P. Emery, L. Miquel et P. Bourlier, rédige, en 1958, un texte ci-dessous critiquant
le modèle moderne dominant et explique la mise en application des principes du
modernisme (souvent mal compris) dans un site différent et pour une population
de culture différente.

Lorsque l'urbaniste contemporain établit le projet d'un ensemble, sous l'influence


en général mal digérée des théories de Le Corbusier, il implante une série
d'immeubles largement espacés avec plus ou moins de bonheur suivant son talent
et dessine des jardins entre ses constructions : soleil, espace, verdure. En climat
tempéré, les choses se passent à peu près bien. Le parc est maigre au début bien
entendu, mais avec un minimum de soins il s'étoffe, la végétation étant généreuse
dans ces régions. Dans les pays méditerranéens, il en va tout autrement. Nous
baptisons sur nos plans espaces verts ce qui ne sera que désert poussiéreux,
torride en été et balayé en hiver par les pluies brutales sous ce climat. Pour que la
végétation se développe, un arrosage abondant est nécessaire durant les longues
périodes sèches. L'eau est rare et coûteuse. […] A notre avis, deux seules formes
d'habitat sont valables : l'horizontale compacte (les villages méditerranéens sont
serrés comme des nids de guêpes) en logements individuels, avec l'échelle
humaine de ses ruelles et son intimité par l'emploi du patio; la verticale en grands
immeubles collectifs, avec ses vastes prospects apportant une autre forme
d'intimité, et ses fortes densités nécessaires aux échanges humains et sans
lesquelles toute ville est morne. Cette notion de densité est souvent oubliée.
Certains urbanistes essaient d'y remédier par des immeubles peu élevés et très
rapprochés. Formule absolument condamnable : c'est une marche arrière sous
prétexte de sensibilité qui n'est que sensiblerie. De ces diverses considérations il
ressort, à nos yeux, qu'en région méditerranéenne il est nécessaire de couvrir au
maximum le sol de constructions et d'espaces privés. Dans l'absolu, la solution
consisterait à bâtir toute la surface à urbaniser, sur un ou deux étages percés de
33
Introduction générale

patios. Ce serait une sorte de plaque de gruyère composée d'habitations


individuelles, de bureaux, de grands magasins, d'ateliers artisanaux ou de petites
industries légères non bruyantes...

(Bourlier, Emery, & Miquel, 1958)

L’architecte Bossu, une des figures de l’architecture moderne en Algérie, a travaillé


pour Le Corbusier et Perret et a étudié la ville de Gardhaïa. Il décrit dans ce texte
une de ses réalisations majeures : l’opération Saint-Réparatus réalisée en 1957 à
Orléansville (actuelle Chlef) :

J'ai modelé tout ceci, avec, derrière la tête, la casbah d'Alger, Gardhaïa, Damas,
Alep, Le Caire, les cités grecques et des contacts précis de l'habitat rural en
France, toute cette architecture modeste, qui nous galope dans la tête, cette
architecture pleine de classe dans sa vérité et son adolescence [...] Sa forme
quadrangulaire, fermée sur le pourtour et ouverte par l'intérieur, exprime ce que
nous rencontrons dans les cités médiévales... A l'étage, une rue suspendue, sorte
de coursive à ciel ouvert, distribue de part et d'autre, les logements qui coiffent les
commerces. Les terrasses qui couvrent ces logements sont accessibles de ceux-
ci, par leurs patios

(Bossu, 1957, p. 52)

Fernand Pouillon, autre figure de l’architecture moderne, va, quant à lui, largement
s'inspirer du modèle méditerranéen en reprenant les espaces urbains des villes
médiévales comme la rue et la place. Il fera également référence dans son
architecture à l'architecture mozabite, aux casbahs, ou encore aux villes grecques
et romaines.

VI.4.Le grand ensemble, un logement social

Un des caractères dominants des grands ensembles dans le monde est sa


vocation sociale. Considérant ceci, un retour à la définition de l’habitat social
s’avère nécessaire. Ses définitions varient dans le monde, il n’est apparu que très
tard dans certains pays comme la Corée du Sud. Pour notre part, les grands

34
Introduction générale

ensembles étant apparus sous la colonisation française, nous nous intéresserons


au contexte français et aux lois françaises qui l’ont régi en Algérie.

Le logement social défini « par la catégorie sociale à laquelle il est destiné mais
aussi par une intervention publique qui permette d'offrir en plus à ses membres
l'hygiène et le confort qu'ils ne pourraient obtenir par leurs seules ressources »
(Tomas, 2003b, p. 13) apparaît pour la première fois au début du Second Empire
en France. L’union nationale des HLM cite le décret du 25 Janvier 1852 relatif à la
restitution à l'Etat des biens de la famille d'Orléans qui stipule, dans son article 6,
qu’après leur vente par le service des domaines, une partie des revenus sera
consacrée à améliorer les logements des ouvriers dans les grandes villes
industrielles (Tomas, 2003b). Il faudra néanmoins plusieurs autres lois pour la mise
en place d'un dispositif prenant en charge la construction de logements sociaux.

La loi Siegfried du 30 novembre 1894 pose les bases du logement social en


France. Même si elle n’instaure pas l’intervention directe de l’Etat dans la
construction de logements sociaux, elle facilite au secteur privé cette mission et
crée notamment l’appellation HBM. La loi Strauss, en 1906, va renforcer l’activité
des organismes chargés de gérer les HBM en les rendant obligatoires et en
renforçant leurs missions. La loi Bonnevay (1912), quant à elle, va permettre pour
la première fois l’intervention directe de l’Etat dans la construction de logements
sociaux et la contraction de prêts par les municipalités. Plusieurs lois suivront pour
réorganiser partiellement la construction de logements HBM jusqu’à la mise en
place d’une nouvelle procédure qui va permettre la construction des grands
ensembles. La loi du 21 Juillet 1950 mettra en place les bases du logement HLM
(Habitation à Loyer Modéré) en France et en Algérie.

Etant donné le contexte algérien complexe, une législation propre à l’Algérie


colonisée va se mettre en place, notamment en raison de la discrimination exercée
envers les populations destinataires et les différences concernant leurs capacités
financières. Différents cadres juridiques verront donc le jour en Algérie qui ont
donné lieu à différentes formes d’habitat que nous aborderons de manière plus
détaillée dans le deuxième chapitre de la première partie de cette thèse.

35
Introduction générale

VII. Structure de la thèse

Cette thèse a été structurée en trois parties. Elles résultent des trois entrées qui
ont orienté notre travail et qui s’inscrivent dans l’étude d’une patrimonialisation par
le bas des grands ensembles en Algérie :

L’entrée perception : les chapitres de cette partie s’intéressent à la perception des


grands ensembles. D’abord, de manière historique, de leur construction jusqu’au
jour d’aujourd’hui, décrivant les différentes phases qu’ont connu ces cités d’habitat
social. Ensuite, dans les différents pays ou cette forme urbaine a été adoptée.
Nous mettrons en exergue, à cet égard, les différents sens dont celle-ci a pu être
porteuse de l’Ouest à l’Est et des sociétés capitalistes à celles communistes. Enfin,
nous porterons la focale sur les grands ensembles construits en Algérie. Nous
établirons, en ce sens, des idéaux-types décrivant la diversité des situations que
ces cités connaissent en Algérie.

L’entrée praxis : celle-ci donne lieu à trois chapitres consacrés respectivement aux
modes d’habiter, aux identités et aux territoires qui se sont constitués dans les
grands ensembles en Algérie. Il s’agit là de chapitres qui interrogent la relation
entre un habitant actif et son milieu habité.

L’entrée gouvernance : dans cette partie, seront abordées trois questions


principales. Celle, d’abord, des stratégies de patrimonialisation et de
développement local mises en place dans le monde concernant les grands
ensembles. Celle, ensuite, de la gouvernance urbaine, le cas des comités de
quartiers dans les grands ensembles sera analysé, ici, en tant que seule structure
permettant un certain degré d’implication de l’habitant dans la gestion de son
quartier. Celle, enfin, des différentes opérations expérimentées dans les grands
ensembles en Algérie.

36
Première partie : Naissance des grands ensembles

et évolution de leur perception

- Chapitre 1 : Temporalités et typologies des grands ensembles

- Chapitre 2 : Les grands ensembles en Algérie

- Chapitre 3 : La patrimonialisation des grands ensembles

37
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur
perception

La première entrée de notre thèse est celle de la perception des grands


ensembles. Une perception qui a différé à travers l’histoire et à travers le monde.
Nous commencerons, dans un premier temps, par une approche historique à
travers laquelle nous abordons les différentes périodes qu’ont connu ces cités
d’habitat social. Nous nous attellerons à étudier les différents cas de grands
ensembles dans le monde, les différentes manières de les présenter et de les
percevoir. Ensuite, nous aborderons le cas de cette forme d’habitat en Algérie, son
histoire particulière et ses situations actuelles en dressant des idéaux-types du
grand ensemble en Algérie. A cet égard, nous nous intéresserons à la notion
d’idéal-type, notion issue de la sociologie que nous utilisons ici dans une optique
analytique. Enfin, nous aborderons la question de la valeur patrimoniale des
grands ensembles et de sa perception en étudiant, d’une part, les différentes
théories y afférant, en y confrontant notre terrain d’étude, et d’autre part, en nous
intéressant à la question de l’appropriation et du marquage symbolique des grands
ensembles comme vecteurs de leur patrimonialisation.

38
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

I. Temporalités et typologies des grands ensembles

Introduction

« […] Le grand ensemble se révèle, en première analyse, indifférent au système


politique ; il existe dans les démocraties occidentales comme la France et l’Italie ;
il est exporté par la métropole en Algérie, qui le conserve après l’indépendance.
Les démocraties populaires l’accueillent massivement à partir du milieu des
années 1950, apparemment sur ordre de Moscou mais aussi en réutilisant les
contextes nationaux comme le montrent les exemples est-allemands, polonais et
tchèques. » (Fourcault, 2004, p. 17-18)

Ce premier chapitre aborde le contexte historique de la naissance des grands


ensembles sous deux angles :

Le premier est celui de l’analyse des différentes phases qui ont caractérisé les
grands ensembles, les discours qui les ont accompagnés et leur perception par la
population. Le deuxième angle s’intéresse aux différentes idéologies qui ont pu
être portées par cette forme d’habitat dans différentes parties du monde.

L’approche historique, menée ainsi, est primordiale dans le sens où elle nous
permet d’aborder la réalité actuelle de ces cités d’habitat social en Algérie, au-delà
des différents discours qui s’y sont rattachés à travers le temps ou à travers le
monde.

39
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

I.1. La périodisation des grands ensembles

Dans l’optique d’étudier ces objets complexes que sont les grands ensembles, il
nous parait impératif d’aborder les différentes phases qui les ont caractérisés tant
du point de vue de leur perception par les différents acteurs de la ville (spécialistes
de différentes disciplines, élus locaux, population etc.) que de celui du discours
politique et de ses rhétoriques médiatiques.

Dans « La place des grands ensembles dans l’histoire de l’habitat social français »,
François Tomas distingue quatre phases principales (Tomas, 2003b). La première
phase qu’on peut situer dans les années 1950 est caractérisée par un consensus
idéologique et par un plébiscite populaire très large – nous ferons une parenthèse
afin d’étudier les raisons et les facteurs d’un tel consensus. La dégradation rapide
des grands ensembles va enclencher une deuxième phase où ils vont essuyer
leurs premières critiques jusqu’à être condamnés unanimement. Ces critiques
seront telles qu’elles aboutiront, dans une troisième phase, à un renouvellement
du consensus au sujet, cette fois-ci, de la réhabilitation qui va pour un temps se
généraliser dans les grands ensembles. La quatrième phase verra la stratégie de
la réhabilitation connaître un recul face à la généralisation du discours préconisant
la démolition pure et simple des grands ensembles. Nous mettrons ici les
différentes phases en relation avec l’évolution du regard médiatique porté aux
grands ensembles, celui-ci permettant de déceler les changements dans la
perception des grands ensembles. Il sera abordé, de manière parallèle, à travers
une étude photographique menée par Raphaële Bertho (Bertho, 2014).

I.1.1. La phase de consensus :

Les grands ensembles sont apparus pour tous les acteurs de la ville comme une
solution évidente à la crise du logement qui sévissait après la Deuxième Guerre
mondiale en Europe.

40
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Ce consensus, Jean-Noël Blanc l’explique par plusieurs éléments (Blanc, 2003b):

1. D'un point de vue économique, les grands ensembles apparaissaient


comme une nécessité due au passage d'une économie rurale à une
économie industrielle. Ce changement a imposé le logement des ouvriers
dans de bonnes conditions sur tous les territoires et a amorcé une
adaptation des politiques urbaines pour aller dans le sens d’un
développement économique nouveau. Dès lors, une convergence
paradoxale des intérêts publics et privés s’opère bien que la planification et
le libéralisme soient traditionnellement opposés l'un à l'autre.

2. Les grands ensembles permettront à une large partie des couches sociales
populaires d'accéder à des normes de confort et d’hygiène nouvelles
(Chauffage central, eau courante, WC intérieurs, salles de bain, aération,
ensoleillement etc.), une amélioration des conditions de vie qui aura pour
effet une large adhésion populaire à ce type d’habitat.

3. Après la fin de la guerre et son lot de destructions, l’urgence fait que l’on
s’oriente vers l’innovation plutôt que vers la reconstruction à l’identique. Les
délais très courts de construction des grands ensembles pour répondre à la
crise du logement seront un argument décisif.

4. L’adoption du modèle des grands ensembles participe aussi d’une volonté


d’apporter de l’ordre et de l’efficacité : « Il faut arriver à cette idée de démolir
le centre des grandes villes [...] il faut abolir la ceinture pouilleuse des
banlieues » (Le Corbusier, 2011, p. 88). L’ordre est ici symbolisé par
l’industrialisation nouvelle, le fonctionnalisme et la table rase. De plus,
politiquement la grande ville traditionnelle est considérée comme
dangereuse. Il s'agit, d’une part pour le régime (vichyste notamment) de se
détourner de la cité immorale et de se rapprocher de la terre, d’apporter de
l'ordre et de la discipline dans les grandes villes. D’autre part, dans les
propos progressistes, la ville traditionnelle serait un obstacle à la
rationalisation du territoire. Il s’agirait donc de se détourner de la

41
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

morphologie urbaine de la ville ancienne pour rendre le sol abstrait et bâtir


dessus.

5. L’adoption d’une approche sociologique basée sur l'étude des besoins, leur
identification et la proposition de réponses. Les études de ce type iront dans
le sens de la normalisation et du fonctionnalisme préconisés par la pensée
moderne. Jean-Nöel Blanc cite pour exemple la technique des budgets-
temps familiaux qui découpe la journée en tranches d'activités et permettrait
ainsi d’y adapter l'espace conçu.

6. Durant toute la période qui a vu le débat sur les grands ensembles, la ville
en tant qu’espace politique, qui placerait les citoyens à l’origine des
décisions politiques et des choix urbains, n'aura pas été abordée. Les
oppositions se seront centrées sur des aspects quantitatifs comme le
nombre de logements ou d'équipements prévus.

7. La politique urbaine de la ville est, à ce moment-là, profondément influencée


par des rivalités corporatives mettant au second plan la réalisation de la
ville. En effet, les ingénieurs des ponts et chaussées occuperont le domaine
de la construction, celui-ci étant décisif pour la survie de leur corporation.
Ils adapteront le discours technique qu’ils maîtrisent sur la ville pour justifier
leur compétence. La question de la ville sera ainsi réduite aux savoirs de
leurs spécialités, c'est-à-dire le génie civil, les voiries, les infrastructures et
les grands choix territoriaux. Ceci dans le contexte de l'obligation faite aux
secteurs du bâtiment et des travaux publics d'augmenter leur
industrialisation et de celui du passage à une production moderne de
grande échelle.

Cette phase va être accompagnée par une grande campagne médiatique. Les
différentes institutions de l’Etat vont faire appel, dans l’optique de promouvoir les
grands ensembles, à la photographie et à la cinématographie. Des services seront
créés pour présenter cette nouvelle forme urbaine sous un beau jour (Bertho,
2014). A titre d’exemple, le premier projet qualifié de grand ensemble par Maurice
42
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Rotival dans la revue Architecture d’Aujourd’hui, la cité de la Muette de Drancy,


est accompagné dans l’article d’une iconographie riche en plans, photographies et
maquettes, une iconographie adaptée aux qualités esthétiques de cette
architecture.

Raphaële Bertho souligne que les iconographies utilisées peuvent être


trompeuses. La légende d’une photo publiée dans l’article de Maurice Rotival
(Image 1) montre bien la volonté de mise en valeur parfois frauduleuse des grands
ensembles : « L’habitation urbaine entourée de verdure. Mais cet aspect idéal n’est
obtenu qu’en prenant la photo d’un champ voisin » (Rotival, 1935, p. 72).

La légende même de l’image utilisée dans l’article montre que celle-ci est utilisée,
non pas pour présenter le grand ensemble dans sa réalité, mais pour le mettre en
valeur d’une manière trompeuse (Bertho, 2014).

Image 1 : Article de Maurice Rotival, « Les Grands Ensembles » (Rotival, 1935, p. 72)

Les grands ensembles vont ainsi être accompagnés d’une iconographie spécifique
produite par les services d’urbanisme dans le but de « convaincre de la nécessité
de construire et de démontrer la qualité d’un urbanisme nouveau » (Voldman,

43
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

2011, p. 16). Ces images vont être largement diffusées dans les Salons des arts
ménagers.

Les photographes vont produire les images sur lesquelles les architectes se
baserons pour mettre en valeur l’urbanisme moderne. Le Corbusier s’appuiera
notamment sur la vue aérienne pour dénoncer l’ancienne manière de faire la ville:

But today it is a question of the airplane eye, of the mind with which the Bird's Eye
View has endowed us; of that eye which now looks with alarm at the places where
we live, the cities where it is our lot to be. And the spectacle is frightening,
overwhelming. The airplane eye reveals a spectacle of collapse. [...] « The airplane
indicts »

(Le Corbusier, 1987, p. 5)

I.1.2. La phase de remise en cause des grands ensembles :

Les premières critiques des grands ensembles se sont fait entendre dans le milieu
des années 1950. Un groupe d'intellectuels appelé « les situationnistes » publiera
dès 1954 un texte critiquant la politique des grands ensembles :

Pour éviter toute rupture d'harmonie, ils ont mis au point quelques taudis types,
dont les plans servent aux quatre coins de la France. [...] Dans leurs œuvres, un
style se développe, qui fixe les normes de la pensée et de la civilisation occidentale
du vingtième siècle et demi. C'est le style « caserne » ...

(Conord, 1996, p .14)

Rapidement, les premiers articles de presse commencent à parler de violences


dans les grands ensembles et s'en suivront les premières expressions du
mécontentement de la population. L'habitat pavillonnaire, contre lequel était en
grande partie fondé le consensus sur les grands ensembles, redeviendra le rêve
de ces habitants qui ne voient désormais dans les grands ensembles qu’un
logement de transition dans leur ascension sociale. Le ministre de la Construction

44
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

français Pierre Sudreau évoque dès le mois d’août 1959 le « gigantisme excessif»
et les excès de la planification (Encadré 1).

Il ne s’agit pas pour les architectes de se faire plaisir à eux-mêmes en élaborant


une esthétique a priori. Il ne s’agit pas pour les ingénieurs de croire aveuglément
à la primauté d’une technique qui devient asservissante, s’ils oublient qu’elle doit
d’abord servir. Il ne s’agit pas pour l’Etat de tout baser sur la quantité et le « pas
cher », car la maison n’est pas faite pour le seul jour de son inauguration. Il s’agit
de rester à l’échelle de l’homme que l’on n’a pas le droit d’écraser, de violenter en
croyant qu’on lui préfabrique son bonheur… en même temps que sa maison.

Encadré 1 : Extrait d’Entretien de Pierre Sudreau accordé à M.B Champigneulle dans Le Figaro
Littéraire, 15 Aout, 1959

Dans le même temps, les habitants de la ville ancienne s’alarment du danger de


la rénovation bulldozer qui pourrait également les atteindre. Le souci de ne pas
rompre avec le passé amène les habitants à rejeter l'urbanisme moderne et à
revendiquer une réhabilitation beaucoup plus sensible à l'architecture traditionnelle
de la ville. En ce sens, la loi Malraux de 1962 sur les « secteurs sauvegardés »
dénote un changement de l’orientation de la stratégie urbaine (Jean-Nöel Blanc,
2003a).

Une autre manière de penser la ville va apparaître, dont l'expérience de Bologne


(Italie) sera exemplaire. En effet, menacée par la rénovation intramuros au
bulldozer, sa municipalité réagit et mobilise les habitants à travers les conseils de
quartier pour faire barrage à cette politique qui a été considérée après débats
comme destructrice d'urbanité. Les concepts d'îlot, de rue, de parcellaire, écartés
par l'urbanisme moderne, seront remis à l'honneur. Il s'agissait, à nouveau, de
penser la ville à partir des formes urbaines et non plus à partir de la séquence
analyse-besoins-programme-projet-formes instituée par la politique des grands
ensembles.
Le mouvement enclenché va s'amplifier par la suite et plusieurs architectes et
sociologues vont remettre en cause, de manière fondamentale, l'urbanisme

45
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

moderne. On peut citer, à titre d’exemple, Kevin Lynch dans « l’image de la cité »,
Charle Jencks, Robert Venturi ou encore Henry Lefebvre.
La remise en cause des grands ensembles est également le fait d'artistes et
d'écrivains, Jean-Nöel Blanc cite pour exemple le film « Mon oncle » (Jacques Tati)
qui montre clairement une opposition entre le monde urbain et architectural
poursuivi par le Mouvement moderne et le monde ancien de la ville traditionnelle
(Jean-Nöel Blanc, 2003a).
Finalement cette remise en cause va aboutir à la démolition de beaucoup de
grands ensembles dont les plus significatifs furent les barres de Pruitt-lgoe
(Missouri, Etats-Unis) en 1972 construites par l’architecte Minoru Yamasaki et que
Charle Jencks a qualifié de mort de l’architecture moderne (Jencks, 1977).

I.1.3. La phase de réhabilitation :

Comme l’explique François Thomas, avant les années 1960, le terme réhabilitation
n'était pas utilisé dans l'aménagement des villes françaises (Tomas, 2003b). Les
seules opérations qui permettaient d'agir sur des bâtiments existants consistaient
en la rénovation d'un côté (destruction d'une partie dégradée de la ville et son
remplacement par des constructions nouvelles) et en la restauration de l'autre,
dans le sens qui lui a été donnée par Viollet le Duc. Celle-ci concernait les
monuments historiques protégés et consistait en leur rétablissement à l'état
d'origine. Le terme « réhabilitation » sera utilisé, quant à lui, pour désigner les
projets de restructuration et de revalorisation aussi bien d'immeubles anciens sans
grande valeur patrimoniale que des grands ensembles. La réhabilitation permettra
une plus grande souplesse au regard des deux solutions extrêmes qui consistaient
en la destruction ou la muséification (Tomas, 2003b).

I.1.4. La phase de démolition :

Cette phase voit la stratégie de la réhabilitation reculer face à la solution de la


démolition totale ou partielle des grands ensembles. Nombre d’entre eux sont en
effet considérés comme non réhabilitables.

46
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

L’Algérie ne fait pas exception en la matière puisque plusieurs grands ensembles


ont été détruits dans la ville d’Alger comme le grand ensemble de Diar Echems
démoli en 2015 (Photo 2) ou dans d’autres villes comme Sétif ou Mostaganem.

Photo 2 : Démolition du grand ensemble de Diar Echems


(www.liberte-algerie.com, 2015). Photo auteur inconnu, 2015

I.1.5. Un regard nouveau :

Avec l’inflation patrimoniale récente, les grands ensembles commencent à être


appréciés sous un nouveau jour, celui de leur valeur patrimoniale. Ils sont de
nouveau mis en scène pour mettre en exergue leurs qualités (Image 2). En France
un label « Patrimoine du XXème siècle » est créé pour identifier les édifices
construits durant le XXème siècle et portant une valeur patrimoniale. Le label sera
attribué, entre autres types de constructions, à plusieurs grands ensembles. Le
Conseil de l’Europe a, de son coté, émis une note concernant la nécessité de
protéger un patrimoine moderne en danger.

47
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Image 2 : Le logement social en Seine-Saint-Denis (Pouvreau, 2003, p. 38,39). Photo Stéphane


Asseline, 2003

En Algérie, si beaucoup de travaux universitaires existent sur le thème des grands


ensembles, leur valeur patrimoniale est rarement reconnue. L’intérêt porté aux
grands ensembles construits par Fernand Pouillon à Alger, qui font l’objet de
multiples écrits et conférences universitaires, d’un certain attrait touristique et d’un
projet de restauration sur certaines parties, est néanmoins révélateur d’une
nouvelle manière de regarder ces grands ensembles hérités.

48
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

I.2. Du style international aux spécificités locales

L'universalité des principes de l’urbanisme moderne, du style international et des


grands ensembles a longtemps fait consensus chez les architectes, sociologues
et géographes. On a pensé, à un moment de l'histoire, qu'il était possible de faire
la même architecture dans des contextes, des cultures et des sociétés différentes.
Ce courant de pensée a été depuis critiqué et remis en cause mais les grands
ensembles se sont entre temps généralisés dans beaucoup de pays. Cette forme
urbaine qui semble, a priori, assez semblable partout dans le monde montre
néanmoins des différences et des spécificités locales. Nous nous intéresserons
dans cette partie à quelques exemples représentatifs de ces spécificités.

I.2.1. L’exemple sud-coréen

Les villes sud coréennes ont connu une transformation radicale depuis les années
1960. La forme d'habitat prépondérante jusque-là était la maison individuelle et les
hauteurs des constructions étaient très basses. L'introduction à partir des années
1960 des grands ensembles va changer la morphologie de la ville. Rapidement,
vont s'ériger à la périphérie des villes des barres d'habitat collectif qui contiendront
en l'an 2000 50% des logements (Gelézeau, 2004). Appelés « Ap’at’ utanjis » et
abrégés en Tanjis, ces cités d’habitat collectif nous renseignent sur la manière dont
les grands ensembles se sont déclinés en Corée du Sud.

La construction des Tanjis a été dans une large mesure influencée par le Japon,
colonisateur de la Corée de 1910 à 1945. Il y fit construire les premiers immeubles
d'habitat collectif pour les employés du gouvernement d'occupation. Mais les
premiers grands ensembles ne furent construits qu'à partir de 1960. Erigés comme
des cités villes, avec un nombre de logements pouvant dépasser 10 000 unités et
disposant des équipements nécessaires pour bénéficier d’une certaine autonomie,
ils dépassaient de loin en taille les grands ensembles qui ont pu être produits en
Europe.

49
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Le Tanji est en partie inspiré du modèle français des grands ensembles et de la


Charte d’Athène (Gelézeau, 2004). Il constitue un espace urbain quadrillé par de
larges voies de circulation créant des îlots de 500 à 800 mètres de long où sont
implantées des barres de logement collectif (Plan 1). Mais la spécificité des Tanjis
coréens réside dans la combinaison des deux grands modèles produits par le
Mouvement moderne pour le logement de masse. En effet, le modèle anglosaxon
des cités jardins et des unités de voisinage apparaît comme une des influences
présidant à la conception des Tanjis (Photo 3). A ce sujet, Valérie Gelézeau affirme
qu’il s'agissait moins de « l'adhésion au dogme architectural de la Charte d'Athène
que de l'assimilation et de l'adaptation au contexte coréen d'un ensemble de
théories nées au début du XXème siècle en Occident » (Gelézeau, 2004, p. 204)

Plan 1 : Plan de masse d’un Tanji (Gelézeau, 2004, p. 203)

50
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Photo 3 : Grand ensemble à Séoul (Kwon, 2017, p. 5). Photo Haeju Kwon, s.d

L’autre spécificité des Tanjis réside dans le fait qu'ils ne sont pas destinés à une
population pauvre (Kwon, 2017). A ce propos, le terme même de logement social
n'existe pas en Corée et le vocable qui s’en rapproche le plus serait celui de
logement public correspondant à un logement d’une superficie inférieure à 60m²
financé partiellement par les pouvoirs publics (Gelézeau, 2004).

Notons qu’à la différence de leurs semblables en France ou ailleurs, ces grands


ensembles sud-coréens n'ont pas connu une grande détérioration de leur image.
A cet égard, Valérie Gelézeau souligne combien le Tanji est un parfait exemple
d’un modèle importé ayant eu des significations différentes dans sa société
d'origine et celle d'importation :

La relativité culturelle de ces formes urbaines semblables - presque banales -


permet ainsi de mettre en perspective le lien souvent admis entre occidentalisation
et modernisation des sociétés extra-occidentales. L'occidentalisation de ces villes
repose certes sur la circulation de modèles, d'idées, de politiques venues
d'occident. Mais celles-ci ont été adaptées au contexte local et donc, décalées par
51
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

rapport aux référents d'origine. C'est ainsi que les grands ensembles coréens sont
les marqueurs paysagers d'une production très coréenne de la ville.

(Gelézeau, 2004, p. 211)

I.2.2. L'exemple iranien

Les grands ensembles en Iran apparaissent à partir de 1946 sous une forme
adaptée assez éloignée formellement des grands ensembles qui se construisent
en Europe. Les hauteurs des constructions sont basses (R+2, R+3), leur
configuration est particulière, caractérisée souvent par une cour intérieure et des
bâtiments orientés vers le sud. Le premier grand ensemble construit suivant ce
modèle est le grand ensemble de Chaharsad Dastgah (Photo 4), il comprenait 400
logements collectifs mais également des maisons individuelles.

Photo 4 : Grand ensemble Dastgah (Tayab, 2004, p. 212). Photo Yassamine Tayab, 2001

A partir de 1953, beaucoup de grands ensembles vont être construits. En effet, les
pouvoir publics vont fournir le cadre législatif et les outils d'un financement
bancaire. Ces cités d’habitat collectif ne vont pas connaître une désaffection de la
population. Au contraire, elles deviendront pour certaines, étant bien positionnées
dans la ville, de véritables pôles commerciaux. Les enquêtes sociologiques
montrent même un attachement de la population à ces quartiers et qu'une grande
partie de leur population initiale y réside encore (Tayab, 2004). Le premier grand
52
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

ensemble de Chaharsad Dastgah, en revanche, souffrant d'un grand


surpeuplement, va connaître une grande dégradation, des transformations et
même des extensions verticales d'un ou deux étages.

A partir de l'année 1964, la construction des grands ensembles va connaître un


tournant. Il ne s'agit plus de grands ensembles de petites hauteurs mais de tours
et de barres (Photo 5). Les pouvoirs publics adapteront pour cela la législation et
permettront la création de sociétés privées qui investissent dans la construction du
logement collectif. Ces grands ensembles, par leur programme, sont loin d'être du
logement social, mais ciblent, clairement une clientèle aisée recherchant le luxe :

Ce programme regroupe un ensemble de blocs (qui comptent chacun quatorze


tours de six à treize étages, liées entre elles par le hall d'entrée et les escaliers de
secours). Chaque bloc compte 532 appartements de trois ou quatre pièces. Les
tours sont orientées de façon à ce que le problème du vis-à-vis ne se pose pas
pour les habitants. Les centres des quartiers se sont formés autour des lieux
réservés aux commerces et aux services. Les habitants trouvent sur place
commerces de proximité, banques, agences immobilières et librairies. Une surface
conséquente a été réservée aux espaces verts dans le programme. Ils ont été
réalisés et contribuent eux aussi à la qualité de vie dans ces immeubles. Les
espaces collectifs sont devenus de vrais lieux de sociabilité et de convivialité pour
les jeunes, les enfants et les personnes âgées. Preuve de la réussite du quartier :
des habitants de quartiers voisins viennent faire des courses ou se promener à
Ekbatân.

(Tayab, 2004, p. 217-218)

53
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Photo 5 : Grand ensemble Ekbâtân (Tayab, 2004, p. 218). Photo Yassamine Tayab, 2001

C'est à partir des années 1990 qu'on assistera à la réalisation de logements


collectifs destinés aux populations démunies et à la classe moyenne. L'Etat va
financer en grande partie ces logements et va reprendre le modèle des grands
ensembles occidentaux avec tous les défauts qui leurs ont été reprochés. En effet,
l'architecture de ces grands ensembles est médiocre, ils ne sont pas aux normes
et, étant entourés de grandes voies de circulation, leurs habitants souffrent des
nuisances de l’automobile (Tayab, 2004).

Force est de constater que la production des grands ensembles en Iran est une
réinterprétation du modèle occidental des grands ensembles. Même si la dernière
vague de grands ensembles est médiocre, Yassamine Tayab relève que la
population les plébiscite, ce qui montre une fois encore que les grands ensembles
n'ont pas eu les mêmes formes dans le monde, la même histoire ni la même
signification et appropriation par leurs habitants.

I.2.3. L'exemple italien

En Italie, on a construit des grands ensembles dès la fin de la Deuxième Guerre


mondiale. Ces grands ensembles, identiques à ceux construits en France ou
ailleurs en Europe de l’Ouest, vont rapidement ceinturer les périphéries des villes.
54
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Les barres massives et répétitives impacteront d'une manière importante le


paysage. Un des grands ensembles les plus connus en Italie est le quartier
Corviale à Rome dont la construction a commencé en 1968. Constitué d'une
gigantesque barre de 200m et accueillant 2000 appartements (soit 8 800
habitants), il est aujourd'hui caractérisé par des dégradations importantes, une
ségrégation sociale et la prolifération de la criminalité en son sein.

Dans d'autres villes comme Palerme, dont l'extension est naturellement stoppée
par les montagnes, en conséquence des logiques économiques en marche, des
grands ensembles ont été édifiés sur les versants (Photo 6) malgré le risque très
important dans un pays sismique comme l'Italie (Vallat, 2004).

Photo 6 : Grand ensemble Pouzzoles (Vallat, 2004). Photo auteur inconnu, s.d

En conclusion, l’étude de ces trois exemples de pays où la forme urbaine du grand


ensemble a été importée montre que celle-ci ne s’est pas faite sans adaptation au
contexte local.

55
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

I.3. Une même forme portant des idéologies contradictoires

Il est intéressant de constater que les grands ensembles, en se généralisant,


autant en occident que dans les pays d'Europe de l'Est et de l'ex-URSS, ont pu
être porteurs d'idéologies parfois radicalement opposées sous la même forme. Le
capitalisme, promu par l'occident, ainsi que le socialisme, promu par l'ex-URSS et
appliqué en Europe de l'Est, ont tous deux abouti à la construction de grands
ensembles. On pourra ici voir les différentes significations qu'a pu prendre cette
forme d’habitat des deux côtés, son acceptation par la population et son devenir.

Les grands ensembles sont apparus en Europe de l'Est à partir de 1960, soit une
décennie après leur apparition à l'Ouest. Leur production ne s'est arrêtée qu'à la
fin des années 1980, soit plus tardivement qu'à l'Ouest. On peut expliquer ce
décalage par le temps nécessaire à la transmission des idéaux modernistes dans
le contexte du rideau de fer mais aussi par le temps nécessaire à la réinterprétation
de cette forme et à lui conférer une dimension socialiste. A ce propos, il a même
été dit que les grands ensembles seraient plus durables et plus efficaces dans une
société socialiste (Coudroy de Lille, 2004b). Mais avant d'arriver à cela le
fonctionnalisme a été rejeté en bloc. Il était dénoncé comme une « entreprise de
désurbanisation » et par opposition, les états socialistes ont favorisé des formes
plus traditionnelles de la ville. On assiste à partir de 1955 à un revirement quant
aux stratégies d'aménagement de la ville. Il s'agissait de construire les grands
ensembles mais en leur conférant une signification autre que celle de la modernité
occidentale : un discours socialiste (Coudroy de Lille, 2004b).

Le grand ensemble n'est en lui-même pas inadapté aux idéaux socialistes. Il


permet en effet, en l'absence d'une différenciation de standard et avec une
affectation centralisée des logements aux populations, de fournir le même
logement pour tout le monde (Coudroy de Lille, 2004b). Néanmoins, la ségrégation
est présente puisque ceux qui ne peuvent pas se permettre ce type de logement
(les plus démunis) continueront à habiter des logements précaires (Coudroy de
Lille, 2004b).

56
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Les grands ensembles de l'Europe de l'Est ont été caractérisés par l'inachèvement
des programmes. Si les barres, elles, ont été réalisées, les équipements projetés,
eux, ont rarement suivi, ce qui explique les grandes réserves foncières dont
disposent ces grands ensembles aujourd’hui. Par ailleurs, ils n'échappent pas aux
défauts qu'on retrouve dans leurs semblables occidentaux, ils sont même
exagérés. On retrouve les mêmes façades répétitives, la même monotonie et la
même absence de rue, sauf que le manque d'entretien est plus visible (Coudroy
de Lille, 2004b, p. 91). A partir de là, on peut se poser la question de l'adhésion
populaire qu'ont connu ces grands ensembles. Comme l'explique Lydia Coudroy
de Lille, cette adhésion est due à « l'intériorisation de valeurs hygiénistes »
(Coudroy de Lille, 2004b, p. 91) d'autant plus que l'habitat antérieur de cette
population a souvent été de moindre qualité. Les grands ensembles ont
indéniablement amélioré les conditions de vie des populations, il s'agit, dès lors,
moins d'un plébiscite que d'une « résignation lucide » (Coudroy de Lille, 2004b, p.
91).

Les grands ensembles dans les sociétés socialistes sont également caractérisés
par une diversité du statut juridique des logements. Dans certains pays comme la
Bulgarie, la propriété a largement été favorisée. Dans d'autres comme la
Tchèquoslovaquie, les habitants étaient majoritairement locataires, alors que le
système des coopératives a été adopté ailleurs (Coudroy de Lille, 2004a), ce qui
a compliqué grandement la réhabilitation ultérieure de ces grands ensembles. A
ce propos, les stratégies adoptées ultérieurement ont, pour des raisons
économiques, exclu les démolitions qui ont été nombreuses en Europe de l'Ouest.
A la place, ce sont les densifications qui ont été favorisées (Coudroy de Lille,
2004b).

I.3.1. L’exemple de la RDA

On commence à construire les grands ensembles en République Démocratique


d'Allemagne à partir des années 1960. A la différence des cités construites en
Europe de l'Ouest à cette période, il ne s'agissait pas de résoudre le problème de

57
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

la crise du logement mais principalement de loger la main d'œuvre ouvrière


nécessaire au développement industriel.

Naturellement, les premiers grands ensembles se concentreront autour des


grandes zones industrielles (Rowell, 2004). Ce n'est qu'à partir des années 1970
que la construction des grands ensembles connaîtra son âge d'or et investira les
grandes villes. Berlin Est verra, à ce titre, la réalisation de très grands « complexes
socialistes d'habitations » dont Marzhan ou Hellersdorf sont emblématiques.

Comme dit plus haut, les grands ensembles de l’Est sont le résultat de l’importation
des principes modernistes de l'Europe de l'Ouest. En Allemagne de l'Est, les
contacts avec la République Fédérale d'Allemagne, même s’ils sont inavoués, sont
fréquents. Si les architectes sont forcés d’attribuer leur inspiration à l'URSS, c'est
bien en réaction aux développements technologiques qui ont lieu à l'Ouest que la
production en masse de logement est adoptée (Rowell, 2004). Dans les années
qui suivirent la guerre, dans les pays de l'Est, on a fait de l'architecture stalinienne
et du réalisme socialiste. Les productions en matière de logement sont des cités
d'architectures staliniennes où la qualité est privilégiée mais la quantité très
insuffisante. Le constat qu'à l'Ouest on construit beaucoup plus en moins de temps
va amener l'URSS à changer de politique. C'est ainsi que Khrouchtchev, en 1954,
remit en cause l'architecture stalienne et plaida pour un langage architectural
socialiste qui permette la production en masse (Rowell, 2004).

A partir de là, les techniques développées par l'Europe de l'Ouest vont être
étudiées et reprises comme en témoigne le rapport d’un ingénieur du bâtiment de
la République Démocratique d'Allemagne (Encadré 2).

Les systèmes de préfabrication danois et français s'étaient montrés les plus


prometteurs en termes de qualité, de fonctionnalité, et de flexibilité des solutions
architecturales. Par conséquent, la DBA [Académie allemande de la construction]
s'est fixé les mêmes paramètres techniques et constructifs : par exemple en

58
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

reprenant la configuration des panneaux de 5 tonnes et la taille des panneaux des


murs extérieurs de 3,60 x 2,80 m².

Encadré 2 : Rapport d’un ingénieur du bâtiment de la république démocratique d’Allemagne


(Hirschfelder cité dans Rowell, 2004, p. 103)

Des prototypes vont être réalisés qui deviendront plus tard des modèles types et
seront repris dans les différentes régions. Les premiers grands ensembles seront
construits notamment dans la ville de Stalinstadt en 1951. Ils comprenaient cinq
complexes d'habitation de 5 000 habitants. Les immeubles avaient une hauteur de
quatre à cinq étages et étaient construits autour d'une école primaire et d'autres
équipements. Ces grands ensembles sont reliés à l'usine sidérurgique locale et au
centre-ville par des voies de circulation (Rowell, 2004).

La deuxième vague des grands ensembles, qui commence en RDA vers la fin des
années 1950, augmente sensiblement la densité de la population dans un souci
de rentabilité. Les hauteurs des bâtiments atteindront les six étages et les grands
ensembles seront plus denses.

Pour légitimer des grands ensembles importés d'un modèle occidental


fonctionnaliste on insistera sur les rapports sociaux que favoriserait cette forme
d'habitat. L'espace du grand ensemble est sensé favoriser « l'éclosion de la
moralité et du mode de vie socialiste » (Rowell, 2004, p. 108), la vie sociale étant
entendu comme « la participation de la population dans les organisations de
masse et les partis politiques » (p. 108). On ira même jusqu'à affirmer que les
grands ensembles seraient plus adaptés à la société socialiste qu'à leur société
d'origine. A partir des années 1970, la German Academy of Architecture et la
Technical University of Dresden développent le type de grand ensemble WBS 70.
Ce modèle adaptable à tous les contextes et sites va se généraliser dans la RDA
jusqu'aux années 1990.

Après la chute du mur de Berlin et la réunification de l'Allemagne, les pouvoirs


publics vont s'intéresser à la question des grands ensembles, particulièrement à
ceux de l'Est. Des réhabilitations vont être effectuées ainsi que des opérations de
59
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

démolition-rénovation plus ou moins lourdes dans le cadre de différentes politiques


et notamment le Soziale stadte que nous aborderons plus loin dans le cadre des
stratégies d'empowerment en Allemagne.

I.3.2. L’exemple polonais

L'histoire du logement social en Pologne est inextricablement liée aux différentes


orientations politiques qu'a connues le pays. Depuis 1920, Les pouvoirs publics
ont essayé de penser des modèles d'habitat social qui ont abouti dès 1930 à
l'ancêtre du logement social en Pologne : l'Osiedle. Ce sont de petites cités
d'habitat collectif réalisées en coopératives, c'est-à-dire avec la participation
financière de chaque habitant et le partage de la propriété des bâtiments. Le
coopératisme existait en Pologne depuis la fin du 19ème siècle et était au départ
mis en place dans le but de démontrer la capacité « d'auto-organisation de la
société polonaise face aux puissances partageantes » (Coudroy de Lille, 2004a,
p. 112). L'urbanisme polonais étant de tradition européenne fonctionnaliste, les
idées modernistes s’imposèrent facilement en Pologne et le fonctionnalisme fut
rapidement couplé au coopératisme pour créer les Osiedles (Coudroy de Lille,
2004a).

Entre les deux guerres mondiales sont apparus les premiers véritables grands
ensembles dans la lignée des premiers Osiedles mais à une échelle plus
importante. On passe en effet de 5 000 à 10 000 habitants et les gabarits
augmentent même si on reste dans des hauteurs ne dépassant pas les quatre
étages (Coudroy de Lille, 2004a) (Photo 7).

60
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Photo 7 : Grand ensemble de la coopérative varsovienne de logement (Coudroy de Lille, 2004a,


p. 110). Photo Lydia Coudroy de Lille, 2003

La fin de la Deuxième Guerre mondiale et l'adoption du socialisme comme


idéologie officielle a donné lieu à un revirement dans le domaine de l'architecture
et de l'urbanisme. Comme en Allemagne de l'Est ou dans les autres pays
socialistes, on a remis en cause les principes fonctionnalistes et on a adopté
l'architecture stalinienne : le réalisme socialiste. Cette parenthèse ne durera que
peu de temps puisqu'à partir de 1956 ont été construits de nouveau en Pologne
des grands ensembles coopératifs, des Osiedles plus proches cette fois-ci des
grands ensembles conventionnels avec la spécificité du statut de quasi-
propriétaire de leurs habitants (Coudroy de Lille, 2004a).

A partir de 1960 la construction de grands ensembles s'intensifia avec une


architecture de plus en plus banale, monotone et gigantesque conjuguée à des
prix de plus en plus hauts, ainsi que des équipements qui tardent à venir. A ce
propos, comme le souligne Coudroy de Lille, les prix croissants participent à une
sélection par le haut des habitants. Les grands ensembles voulus au départ
61
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

comme un habitat pour tous seront difficilement accessibles pour les plus démunis
et logeront plutôt une classe moyenne. Ceci est en contradiction avec l'idéologie
officielle socialiste d'autant plus que les grands ensembles les mieux conçus ont
été réservés à des intellectuels, artistes et au personnel des administrations d'Etat
(Coudroy de Lille, 2004a).

Comme leurs semblables en Europe occidentale, les grands ensembles en


Pologne ont reçu beaucoup de critiques à partir de la fin des années 1960 mais
cette forme d'habitat s’est perpétuée jusqu'aux années 2000 malgré l’émergence
d’autres formes d’habitat collectif (Coudroy de Lille, 2004a). Ils connaissent
aujourd'hui des opérations de densification en habitat ou en équipements et font
l’objet de réhabilitations (Photo 8).

Photo 8 : Réhabilitation d'un grand ensemble en Pologne

(Coudroy de Lille, 2004a, p. 115). Photo Lydia Coudroy de Lille, 2003

62
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

I.3.3. L’exemple Russe

Les grands ensembles en Russie sont construits à partir de 1955 et impulsés par
Khrouchtchév dont le nom sera prêté à ce type de logements. Ces appartements
Khrouchtchéviens sont, comme dans les autres sociétés socialistes abordées plus
haut largement inspirés des grands ensembles occidentaux à qui on a prêté une
idéologie socialiste. Ces grands ensembles ont été accompagnés par une forte
planification urbaine que décrit ici Isabelle Amestoy :

[...] Les secteurs résidentiels, édifiés à dix kilomètres du centre-ville en moyenne,


relèvent en effet d'une planification rigoureuse, intégrant trois échelles
complémentaires. Le Micro-Rajon, micro-quartier ou îlot, est l'élément constitutif
de l'urbanisation khrouchtchévienne : il regroupe de 6 à 12 000 habitants, sur un
espace de 20 à 30 hectares libéré de toute ligne de transport ou de toute voie de
communication routière. Il est pensé pour accueillir les services de proximité et
d'utilisation quotidienne, comme les écoles, les maternelles, les magasins de
première nécessité ou les bibliothèques ; il abrite également les garages des
résidents et les espaces verts, qui se répartissent au sein des cours d'immeubles.
Le Ziloj Rajon, le quartier d'habitation est alors formé de six à dix îlots. Les 25 à 50
000 habitants qu'il rassemble sur une superficie de 175 à 300 hectares, bénéficient
à cette échelle des services d'utilisation périodique (Maison de la culture, magasins
spécialisés, marché, polyclinique et infrastructures sportives). Enfin, ces quartiers
s'intègrent au sein du Rajon, l'arrondissement urbain. C'est à ce niveau que les
200 à 300 000 habitants logés en appartement khrouchtchévien peuvent avoir
recours aux services d'utilisation épisodique, c'est-à-dire, aux services
administratifs, aux restaurants, aux écoles de musique ou aux salles d'exposition...

(Amestoy, 2004, p. 133)

Autrement dit, il s'agit d'un projet urbain global et non pas de projets de grands
ensembles isolés et localisés. Néanmoins, là aussi, les équipements tardent à
venir, offrant une image de cité dortoir aux populations.

63
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Du point de vue des habitants, les grands ensembles khrouchtcheviens sont très
appréciés au départ (Amestoy, 2004), comme partout dans le monde d'ailleurs par
les améliorations significatives de la qualité de vie qu'ils ont apportées. Mais
rapidement les premières critiques tombent, des critiques classiques de
l'architecture des grands ensembles particulièrement par rapport à leur mauvaise
réalisation et à l'apparition précoce de problèmes techniques comme le montre ce
rapport du comité chargé de l’entretien du parc de logements de Saint
Pétersbourg:

Le problème des premières séries de quatre étages issues de la construction de


masse ainsi appelées « hrusevki », dont la surface totale atteint 10 millions de
mètres carrés, au nombre desquels 7 millions de mètres carrés d'immeubles en
panneaux, devient chaque année de plus en plus aigu. Les derniers temps ont vu
augmenter les points négatifs, liés aux insuffisances physiques de ce type de
construction, telles les grandes pertes d'énergie [...], ce qui conduit aux infiltrations
et à la réfrigération, comme à l'insatisfaisant état technique des immeubles eux-
mêmes. [or,] actuellement, la rénovation des « hrusevki » est menée dans les
conditions générales appliquées au reste du parc, alors que seraient nécessaires,
en pratique, une reconstruction et une résolution des problèmes énergétiques

Encadré 3 : rapport du comité chargé de l’entretien du parc de logements de Saint-Pétersbourg


(Amestoy, 2004, p. 137)

En effet la réhabilitation et la densification à partir des années 1990 ont été les
principales stratégies opérées dans le pays mise à part à Moscou où les moyens
financiers permettaient des opérations de démolition, relogement et reconstruction
(Amestoy, 2004). A ce propos Amestoy souligne le fait que la perception de ces
grands ensembles n'est pas aussi négative que l'on pourrait le penser et que, de
ce fait, les opérations de réhabilitation ont plus de chance de succès puisqu’elles
prennent en compte le vécu des habitants et l'appropriation qu'ils ont fait de ces
grands ensembles. Le tableau comparatif suivant permet de mettre en lumière les
particularités des différents cas étudiés.

64
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception Chapitre 01

Corée du Sud Iran Italie RDA Pologne Russie

Nombre de Peut dépasser De quelques Jusqu’à 2000 Plus de 1000 Plus de 1000 Peut dépasser 10 000
logements 10 000 centaines à quelques
milliers

Années Années 1960 1946 1945 Années 1960 1960 1955


d’introduction

Hauteurs Plus de 10 De 2 à plus de 10 Peut dépasser 10 Peut dépasser 10 Peut dépasser 10 Peut dépasser 10
étages étages étages étages étages étages

Equipements Présents Présents à divers Souvent Insuffisants ou non Présents à divers Souvent insuffisants
et commodités degrés insuffisants réalisés degrés

Population Toutes classe Population démunie et Population Ouvriers dans un Classe moyenne en Classe moyenne et
destinataire selon la vague aisée démunie premier temps, classe majorité population démunie
de construction moyenne et
population démunie
dans un second temps

65
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception Chapitre 01

Perception Peu dégradée Plus ou moins Dégradée Dégradée Dégradée Moins dégradée que
actuelle dégradée selon les leurs semblables en
différents types de Europe de l’Ouest
production

Particularités Combine le Configuration Implantation, selon Grands ensembles Des grands Grands projets urbains
locales modèle du grand particulière des la géographie des auxquels on a prêté ensembles en hiérarchisés en micro-
ensemble et de premières villes sur des les valeurs du coopératives quartier, quartier
la cité jardin productions, souvent terrains en forte communisme. donnant le statut de d’habitation et
autour d’une cour avec pente. quasi propriétaire a arrondissement urbain.
de faibles hauteurs l’habitant.
Grands ensembles
auxquels on a prêté les
valeurs du
communisme.

Tableau 1 : Tableau comparatif des grands ensembles cités en exemple

66
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01

Conclusion du chapitre I :

Force est de constater que le grand ensemble n’a pas porté les mêmes
significations à travers le monde ni à travers le temps : son image est passée de
celle d’un habitat nouveau et moderne plébiscité par la population à celui de ghetto
pointé du doigt par tous les acteurs de la ville. Après avoir longtemps adopté la
démolition comme seule solution aux critiques généralisées le concernant, on a
commencé à considérer sa valeur patrimoniale et à le présenter sous un jour
nouveau, celui de patrimoine du XXème siècle. Il a pu porter des idéologies aussi
contraires que le capitalisme et le socialisme. Il se trouve aujourd’hui à travers le
monde dans des situations très différentes entre rejet, rénovation et
patrimonialisation. Les éléments mis en évidence montrent l’aptitude de cette
forme d’habitat à évoluer et à être revisitée selon les contextes.

Ce tour d’horizon des différentes situations des grands ensembles dans le monde
nous permet donc d’aborder le second chapitre de cette partie en montrant la
spécificité du cas algérien à travers son histoire et ses réalités actuelles.

67
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

II. Les grands ensembles en Algérie

Introduction

« L’arrivée à Alger par bateau ou par avion offre au regard deux villes totalement
différentes. Par la mer, on découvre la ville des cartes postales et des livres
d’histoire […] Par avion, ce qui frappe c’est l’immensité de la périphérie, quadrillée
de barres, fractionnée par les zones industrielles et les lotissements, sillonnée de
voies de communication rapide. C’est une urbanisation proliférante, multiforme et
pourtant monotone, confrontée au damier des champs, toujours plus réduit à
chaque voyage. » (Deluz-Labruyère, 2004, p. 183)

Ce chapitre s’intéresse, dans un premier temps, au contexte particulier de la


naissance des grands ensembles en Algérie, un contexte marqué par la
colonisation française, l’inscription de ce type d’habitat nouveau dans une stratégie
coloniale et dans une discrimination institutionnalisée qui a engendré des formes
et des formules d’habitat social particulières.

Dans un second temps, nous croisons ces données historiques avec les réalités
actuelles de ces cités, des réalité sociales, économiques et politiques que nous
saisissons par le biais d’entretiens et d’observations pour construire des idéaux
types des grands ensembles en Algérie. Plus riches que des types classiques, ces
idéaux-types nous servirons à mieux comprendre les différentes situations de ces
cités d’habitat collectif aujourd’hui.

68
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

II.1. Naissance des grands ensembles en Algérie

Les premiers grands ensembles ont été construits en Algérie à partir des années
1950. Ils répondaient au départ à une crise du logement qui touchait la population
européenne mais surtout la population algérienne. Celle-ci se concentrait
principalement dans les anciens quartiers tels que la casbah ou dans les
bidonvilles qui ont commencé à se développer dans les périphéries des grandes
villes dès la fin des années 1920 (Lespès, 1930). La population algérienne
s'urbanisait alors de manière très rapide avec des taux de plus de 5% par an alors
que les logements produits ne leur étaient pas destinés (Deluz-Labruyère, 2004).

Les grands ensembles construits au début des années 1950 sont dans leur
majorité des HLM destinés à une population européenne. Ils ne sont néanmoins
pas destinés, comme en France, à une population avec de faibles revenus mais à
des petits cadres et des familles aisées (Deluz-Labruyère, 2004). Ils correspondent
dans leurs normes à la production française en matière de HLM. Un des grands
ensembles exemplaires de ce type de logements pour européens a été la cité
« Les Eucalyptus » (Photo 9) construite à Bab el Oued en 1954 et constituée de
700 logements.

Photo 9 : Grand ensemble « Les Eucalyptus », Alger (neababeloued.fr). Photo Christian Timoner,
2010
69
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Les logements destinés aux musulmans, quant à eux, sont des cités de
recasement (Photo 10), des cités d'urgences horizontales ou verticales et des cités
musulmanes dont celles initiés par le maire d'Alger Jacques Chevalier. Les cités
doubles, c'est-à-dire des cités comprenant une partie pour musulmans et une
partie pour européens, seront testées par celui-ci.

Photo 10 : Cité Victor Hugo, Oran. Photo Auteur, 2018

La problématique que représentait l’habitat musulman pour le pouvoir colonial est


partiellement décrite dans cet extrait d'un rapport sur les réalisations nouvelles
dans le domaine de l'habitat musulman du 31 Décembre 1955 :

Le problème de l'habitat musulman se pose avec une acuité toute particulière du


fait que jusqu'à ces dernières années la majeure partie d'une population en
constant accroissement (8.500.000 habitants au dernier recensement) n'a pas
recherché à améliorer ses modes de vie traditionnels, se contentant d'humbles
maisonnettes construites en toub, de gourbis, voire de flidj (habitation de demi-
nomades), pour toute demeure. Indifférente, d'autre part, à l'évolution qui s'est
produite dans les idées en cette matière, et, découragée par les conditions

70
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

d'existence dans l'intérieur du pays, une partie de la population rurale a afflué vers
les centres urbains où elle a créé des îlots insalubres « bidonvilles »

Encadré 4 : Extrait 1 du rapport sur les réalisations nouvelles dans le domaine de l’habitat
musulman du 31/12/1955 (Service d’information du cabinet du gouverneur général d’Algérie,
1947)

Par ailleurs, il n'était pas possible pour la population musulmane de faire appel à
la législation sur les HBM ou les HLM. Il a été donc nécessaire de penser une
nouvelle législation permettant une participation de l'état dans les projets qui peut
atteindre jusqu'à la moitié du coût du logement pour permettre ensuite d'avoir des
loyers moins importants :

L'accroissement rapide et continu de la population des villes, la destruction


d'immeubles par faits de guerre, les démolitions de plus en plus nombreuses pour
cause de vétusté, ont donné à ce problème une acuité toute particulière, aggravée
par l'arrêt total des constructions nouvelles. Pour remédier à une telle situation, il
n'était pas possible de faire appel à la législation sur les H.B.M. qui s'adresse à
une population disposant déjà de certaines ressources et qui, au surplus, subit
actuellement une refonte générale en vue de son adaptation aux circonstances
économiques de l'heure. Dans ces conditions, un projet de loi instituant l'habitat
urbain et répondant aux concertations exprimées par la commission des réformes
a été préparé. Il a pour objectif de doter d'une habitation salubre ou convenable
les populations sans logis ou mal logées, ou qui sont installées dans des
appartements insalubres et insuffisants des quartiers surpeuplés. Il prévoit
notamment une contribution importante au budget de l'Algérie pouvant atteindre la
moitié de la dépense de construction, ce qui laisse espérer que le loyer pourra être
arrêté à un taux compatible avec les ressources réduites des futurs occupants.

Encadré 5 : Extrait 2 du rapport sur les réalisations nouvelles dans le domaine de l’habitat
musulman du 31/12/1955 (Service d’information du cabinet du gouverneur général d’Algérie,
1947)

71
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Le pouvoir colonial va se faire aider, pour la réalisation de ces cités musulmanes,


de quelques compagnies privées qui vont se spécialiser dans l'habitat musulman.
Ces sociétés ont pour objectif de construire, dans l'optique de résorber les
bidonvilles, le plus de logements sains et économiques possibles. Ce type de
société sera régi par plusieurs lois (Service d’information du cabinet du gouverneur
général d’Algérie, 1947) :

 la loi du 24 Juillet 1864 sur les sociétés anonymes ;

 l'arrêté du 13 Juillet 1950 (modifié par l'arrêté du 21 Juin 1951) fixant les
conditions d'octroi de la garantie de l'Algérie aux emprunts pour la
construction ;

 l'arrêté du 16 Avril 1954 sur les logements économiques du type courant ;

 l'arrêté du 23 Novembre 1953 (complété par l'arrêté du 24 Juin 1954) fixant


les conditions d'octroi de la garantie de l'Algérie et de bonification d'intérêt
aux emprunts contractés pour la résorption des bidonvilles et la lutte contre
le taudis ;

La compagnie immobilière algérienne, à titre d’exemple, une des plus importantes


sociétés de ce type va construire 4 types de logements :

 des logements horizontaux pour musulmans, constitués de deux pièces et


d'un abri cuisine, d'équipements sanitaires (WC et douche) et d'un patio le
tout dans une superficie de 60m² avec un coût de 650 000 francs ;

 des logements horizontaux améliorés pour musulmans qui disposent d'une


plus grande surface coûtants 900 000 francs ;

 des logements économiques simplifiés en immeubles collectifs composés


pour le cas d'un 3 pièces de deux chambres de 9m², d'une salle commune
avec un coin cuisine de 14m² et d'une loggia de 5m² comprenant WC,
douche et bac à laver pour un coût de 950 000 francs ;

72
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

 des logements économiques de type courant composés pour le cas d'un 3


pièces de deux chambres de 9 et 14 m², d'un séjour, d'une cuisine et d'une
salle d'eau pour un coût de 1 700 000 francs.

Plusieurs cités vont être construites par la CIA dans les grandes villes algériennes:

 à Oran, la cité du Petit Lac est sa première réalisation. Elle comprend,


majoritairement, des appartements de 2 pièces et quelques appartements
d'une pièce. La cité Victor Hugo sera également réalisée sur les mêmes
normes quelque temps après ;

 La compagnie réalisera également une cité d'urgence en 1954 au quartier


de Maison-Carrée (Photo 11) à El Harrach, deux projets dans Orléansville
(Chlef), une cité de 200 logements horizontaux au côté d'une autre de 106
villas de type économique, le grand ensemble de Kouba constitué de 123
logements économiques, mais également à Hussein Dey (Photo 12) ou
Bône (Annaba).

Photo 11 : Cité les Dunes (Maison carrée), El Harrach, Alger. Photo auteur inconnu, s.d

73
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Photo 12 : Grand ensemble à Hussein Dey, Alger. Photo auteur inconnu, s.d

Le déclenchement de la guerre d'indépendance donne une certaine importance à


la question du logement des populations musulmanes. En effet une volonté est
affichée par le pouvoir colonial d'améliorer les conditions de vies des populations
musulmanes afin de lutter contre l’influence du FLN (Front de Libération
Nationale):

Je suis venu ici pour vous l'annoncer : C'est la transformation profonde de ce pays
si courageux, si vivant, mais aussi si difficile et souffrant qu'il faut réaliser. Cela
veut dire qu'il est nécessaire que les conditions de vie de chacune et de chacun
s'améliorent de jour en jour. Cela veut dire que le travail des habitants, les
ressources du sol, la valeur des élites, doivent être mis au jour et développés. Cela
veut dire que les enfants doivent être instruits. Cela veut dire que l'Algérie toute
entière doit avoir sa part de ce que la civilisation moderne peut et doit apporter aux
hommes en fait de bien-être et de dignité.

Encadré 6 : Extrait du discours de Charles De Gaule annonçant le plan de Constantine

74
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Mais cette volonté affichée se heurte à la ségrégation opérée tout de même par le
pouvoir colonial et aux capacités financières très faibles de la population
musulmane qui ne peut pas s'inscrire dans les différentes formules d'habitation à
bon marché (HBM) ou d'habitation à loyer modéré (HLM).

La partie logement du plan va être matérialisée à travers les grands ensembles.


Des grands ensembles encore plus rationnalisés qui dans leur majorité sont
destinés à une population musulmane : 22 000 logements sont construits en 3 ans
dont 16 000 construits selon des normes drastiques, « des monstres » diront
certains (Deluz-Labruyère, 2004), destinés aux musulmans à hauteur de 70%.

La cité Diar el Kef (Photo 13) construite en 1959 avec ses 1 000 logements est
assez représentative de cette production de grands ensembles et de ce qui a été
appelé le logement « million » contenant une pièce de 18m² sans équipements
sanitaires (ceux-ci étaient collectifs) et une loggia sans lavabo (Deluz-Labruyère,
2004), censée remplacer le patio caractéristique de la maison traditionnelle. La cité
« Les Palmiers » et la cité « les Dunes » construites toutes deux en 1958 avec
1000 logements chacune sont un autre exemple de l'habitat sordide construit pour
la population musulmane.

75
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Photo 13 : Diar El Kef, Alger. Photo Karim Kal, s.d

Il ne s'agit pas ici de cités doubles, de favoriser une cohabitation, mais d'une
ségrégation opérée par la norme :

L'immeuble doit être long et mince, en faveur des chemins de grue. [...] L'immeuble
doit être à 6 niveaux, un escalier dessert 48 logements. [...] Le logement est de 3
pièces et de 40 m²...

(Deluz-Labruyère, 2004, p. 187)

La construction des grands ensembles va être mise en parenthèse après


l'indépendance de l'Algérie. En effet, le gouvernement de l’époque va considérer
les biens vacants issus du départ de la quasi-totalité des européens comme
suffisant pour abriter la population algérienne, ce qui est assez vrai pendant un
temps. Néanmoins les grandes villes algériennes vont connaître un grand afflux
de migrants depuis l'intérieur du pays fuyant l'insécurité ou à la recherche d'une
meilleure vie dans les villes.

76
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

II.2. Idéaux-types de grands ensembles en Algérie

La notion d’« idéal-type » nous paraît pertinente dans cette thèse dans la mesure
où, elle permet de « décrire une difficulté » (Boudon, 1969, p. 101). En effet, la
nature complexe et ambiguë des situations dans lesquelles se trouvent
actuellement les grands ensembles en Algérie rendent le travail typologique
classique, bien qu’intéressant dans l'optique de comprendre la diversité de cette
production architecturale, inadapté pour saisir la dimension sociale de ces cités.

La notion a été définie par Max Weber. C’est construction mentale résultat de
l’exagération voulue de traits spécifiques de l’objet étudié (Weber, 1988), une
construction fictive car le trait y est forcé et un caractère particulier est accentué
dans une optique analytique. Il s'agit non pas de dresser un portrait empirique de
l'objet étudié mais d'en faire une représentation purifiée qui met de côté tout
élément extérieur. Néanmoins, le lien avec la réalité empirique doit subsister et la
distance entre réalité et représentation toujours évaluée par le chercheur
(Weber,1988). Max Weber admet sous le terme idéal-type plusieurs catégories de
choses : actes singuliers, états de choses ou dispositions d'esprit (Weinreich,
1938).

Cette méthode est utilisée ici dans le cadre d'une recherche exploratoire menée
dans les grands ensembles de la ville d'Oran et d'Alger (présentés dans le chapitre
introductif) basée sur des entretiens libres menés auprès des usagers.

Nous avons au bout de cette première enquête construit 5 idéaux-types en


grossissant les traits saillants de ces grands ensembles.

II.2.1. Le grand ensemble apprécié :

Cet idéal-type a été construit après le constat d'un discours généralisé chez les
habitants de ces grands ensembles : une satisfaction par rapport à la qualité de
leur lieu de vie, à son emplacement ainsi qu'au type de population qui y réside.
Nous citons à titre d’exemples les cités « Jean de La Fontaine » (Photo 15),

77
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Jeanne d’Arc (Photo 14), ou une partie du grand ensemble « El Kerma » (Partie
clôturée et servant à loger des militaires) qui se situent dans la ville d’Oran.

D'abord, l'état physique de ces grands ensembles par rapport aux autres est
satisfaisant. Ayant bien résisté au passage du temps, ils n’ont nécessité ou ne
nécessitent que de modestes réhabilitations superficielles comme la rénovation
des enduits et peintures ou la résolution de certains problèmes techniques.
Ensuite, la qualité et la robustesse de ces constructions sont largement reconnues
et mises en avant par les habitants interviewés et sont souvent jugées supérieures
aux productions suivantes ou actuelles de logements sociaux (Encadré 7, Encadré
8, Encadré 9).

Les bâtiments sont en bon en état, on a rarement des problèmes techniques et


quand ça arrive on fait appel à un des habitants qui a participé à leur construction
et qui connait très bien les réseaux…

Encadré 7 : Extrait d'entretien, Homme, 53 ans, Cité Jeanne d’Arc, Oran

Ces bâtiments sont beaucoup plus solides que ce qui se fait maintenant, regarde
c’est de la pierre, on n’en fait plus des comme ça aujourd’hui

Encadré 8 : Extrait d’entretien, Homme 65 ans, Confort, Alger

Je ne vis pas tout le temps ici, ce n’est pas notre logement principal mais je trouve
que ces bâtiments sont de très bonne qualité et robustes par rapport à ce qui se
fait actuellement à Belgaid ou ailleurs

Encadré 9 : Extrait d’entretien, Homme 22 ans, Cité Plein ciel, Oran

78
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Photo 14: Grand ensemble Cité Jeanne d’Arc, Oran. Photo auteur, 2018

Photo 15 : Cité Jean de La Fontaine. Photo auteur, 2018


79
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Ensuite, les qualités spatiales concernant l'intérieur ou l'extérieur des


appartements sont jugées supérieures aux logements sociaux produits
actuellement. Les appartements sont considérés comme spacieux avec une bonne
configuration, l'aération et l'éclairage, quant à eux, sont décrits comme
satisfaisants. Mais la principale qualité évoquée par les habitants reste les grands
espaces extérieurs de ces grands ensembles qui servent d'espaces publics et qui
permettent également d'avoir de grandes distances entre les immeubles réduisant
grandement le vis-à-vis. Force est de constater ici que le respect des prospects et
l'imposition d'un minimum d'espaces extérieurs, règles d'urbanisme liées à la
doctrine moderne, semblent ici fortement appréciés par les habitants :

C’est clair que nous apprécions ce quartier et que nous ne l’échangerions pas pour
un autre […] Avec ces grands espaces calmes à l’intérieur de la cité nous pouvons
laisser nos enfants jouer sans danger et nous retrouver nous, les parents, pour
discuter.

Encadré 10 : Extrait entretien de groupe, Homme, 45 ans, cité Jean de la Fontaine, Oran

Ce que nous apprécions beaucoup ici c’est les grandes distances entre les
bâtiments, dans certains quartiers les bâtiments sont tellement proches qu’on peut
voir ce qui se passe à l’intérieur du logement d’en face, pas ici.

Encadré 11 : Extrait entretien de groupe, Homme, 52 ans, cité Jean de la Fontaine, Oran

II.2.2. Les grands ensembles centraux :

La question de l'emplacement de ces grands ensembles influe dans leur


perception. Etant, au départ, situés aux limites du centre ancien ou dans les
différents faubourgs, ils se sont retrouvés aujourd'hui, après les différentes
extensions de la ville, dans le centre et sont par conséquent très bien desservis en
matière d'équipements commerciaux, administratifs et sanitaires. Les habitants
ont, à ce sujet, exprimé une grande satisfaction et s'estiment avantagés par
rapports aux habitants d’autres quartiers d'habitation.

80
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Par ailleurs, le caractère citadin de ces grands ensembles et l’animation


permanente qui les caractérise revêtent une importance particulière pour les
habitants :

Ici on est en plein centre-ville, avec le téléphérique qu’ils ont réalisé au même
moment que la cité nous pouvons être au centre-ville en cinq minutes !

Encadré 12 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger

Moi je ne peux pas vivre dans les nouvelles extensions de Belgaid etc… Je suis
habitué à vivre au centre-ville, à son animation particulière

Encadré 13 : Extrait d’entretien, Homme, 38 ans, cité Lattre de Tassigny, Oran

La localisation exceptionnelle de ces grands ensembles a d’ailleurs été mise en


valeur dès leur construction durant la période coloniale à l’image de la cité Perret
(Image 3).

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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Image 3 : Page publicitaire de la revue « La vie municipale » d’Oran

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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

II.2.3. Le grand ensemble ghetto :

Cet idéal-type a été construit après le constat visuel de grands ensembles en état
de dégradation avancée (Photo 16, Encadré 14) et le discours des habitants
exprimant des conditions de vie très dures. C'est un idéal-type qu'on retrouve dans
beaucoup de grands ensembles dans la ville d'Oran et d'Alger. Le terme « Ghetto »
a également été choisi ici par rapport au caractère discriminatoire de ces grands
ensembles puisqu’ils hébergent exclusivement les catégories les plus démunies
de la population.

Le quartier tombe en ruine, il y a de gros problèmes d’assainissement qui durent


depuis très longtemps sans aucune intervention de la mairie […] Les gens qui
vivent ici sont très pauvres et cohabitent souvent à plusieurs familles dans un
appartement.

Encadré 14 : Extrait d’entretien, Homme, 62 ans, El Mahçoul, Alger

Photo 16 : Dégradation du marché d’El Mahçoul. Photo auteur, 2018

83
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Du point de vue des trajectoires résidentielles des habitants, ces grands


ensembles constituent souvent le seul logement connu par ses habitants qui se
considèrent comme captifs de leur habitat (Encadré 15), n'ayant pas les moyens
d'acheter ou de louer un logement ailleurs, mais dans certains cas il constitue un
habitat temporaire.

Je suis né et j’ai vécu toute ma vie ici, notre appartement est très petit et on est
nombreux à vivre dedans mais je n’ai pas les moyens de trouver un autre
appartement […] le pire c’est qu’on ne peut même pas aspirer à un logement social
d’un autre type parce que nous on est concerné par l’opération de relogement…
qui ne se fait toujours pas

Encadré 15 : Extrait d’entretien, Homme, 34 ans, El Mahçoul, Alger

Le grand ensemble guetto a connu beaucoup de transformations allant de la


simple modification de l'appartement ou de sa façade à la construction d'un
bidonville sur le toit de l'immeuble en passant par des constructions précaires dans
les espaces publics ou semi-publics servant à de multiples fonctions (Carte 4).

84
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Carte 4 : Constructions précaires à El Mahçoul, Alger (Image google map éditée par l’auteur,
2017)

Dans ce grand ensemble on n'a pas sa chambre à soi parce que le logement est
surpeuplé ou avec des surfaces très en dessous des normes, on est amené à
dormir dans les espaces de circulation ou dans les salles de bain, ce qui oblige les
hommes à rentrer à des heures très tardives pour ne pas bloquer l'utilisation de
ces espaces et pour éviter les problèmes liés à la cohabitation de plusieurs familles
dans le même logement. Certains sont également amenés à dormir dans des
voitures à l'extérieur. Dans ces grands ensembles, comme nous l'a expliqué un
enquêté, les conditions de vie n'ont pas changé depuis l'indépendance du pays :

Nous sommes 12 à vivre dans un F2 de 32m². La nuit, pour éviter les problèmes
de cohabitation, je sors mon matelas dans le hall de l’immeuble à l’extérieur de
l’appartement et j’y dors […] c’est une situation invivable, c’est comme si nous
étions toujours colonisés, rien n’a changé

Encadré 16 : Extrait d’entretien, Homme, 64 ans, El Mahçoul, Alger

85
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Dans ces grands ensembles, un sentiment de discrimination existe par rapport aux
autres parties de la ville. Les habitants de ces grands ensembles, même s’ils sont
parfois bien reliés à la ville, affirment vivre en communauté et n'en sortent que très
rarement :

Je ne sors du quartier que pour travailler, et quand je n’ai pas de travail j’y reste
toute la journée

Encadré 17 : Extrait d’entretien, Homme, 27 ans, El Mahçoul, Alger

II.2.4. Le grand ensemble convivialiste :

La construction de cet idéal-type a été faite après les entretiens et les observations
réalisés dans différents grands ensembles.

En effet plusieurs types de sociabilités existent dans les grands ensembles étudiés
dont la majoritaire est la sociabilité de liens forts (Lavenu, 1999) :

 La sociabilité de liens forts :

Elle peut être constituée par des relations familiales ou des relations amicales. Les
relations familiales sont très fortes dans ces grands ensembles puisque ceux-ci
souffrent généralement d'un surpeuplement différencié qui a souvent pour résultat
la cohabitation de plusieurs ménages de la même famille dans un seul
appartement rendant les liens familiaux très étroits. Bien entendu, dans d’autres
cas, la cohabitation peut aboutir à des conflits.

Les relations amicales sont très importantes dans le quartier et ont différentes
intensités. Ceci transparait dans le discours des enquêtés (Encadré 18, Encadré
19). D'abord, les relations de petites proximités semblent être les plus intenses et
notamment les relations entre voisins de palier, habitants du même bloc, ou
habitants d'une même barre ou tour. Ensuite, ce type de relation peut ne pas être
lié à la proximité immédiate mais à des affinités entre habitants moins proches
géographiquement dans le quartier. Les relations amicales, dans ce cas-là, se
forment par affinité constituant des sociabilités affinitaires (Lavenu, 1999).
86
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Mes plus proches amis habitent dans le même bloc que moi, le B14 mais j’ai
également des amis dans les maisons individuelles qui se trouvent juste à côté

Encadré 18 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, El Mahçoul, Alger

Moi j’ai toujours été une fille d’El Mahçoul, j’y ai vécu avant de me marier chez mes
parents et même après mon mariage puisque j’ai épousé un homme du même
quartier

Encadré 19 : Extrait d’entretien, Femme, 45 ans, El Mahçoul, Alger

Les relations amicales peuvent également se créer autour des équipements


éducatifs tels que les écoles primaires CEM et lycée, universitaires ou dans le
cadre du travail. Dans ce cas-là, les relations amicales peuvent dépasser les
limites du quartier ou s'en déplacer complètement. Certains habitants interviewés
affirment en effet ne pas entretenir de relations sociales au sein du quartier et n'y
passer que très peu de temps :

Même si je vis à El Mahçoul j’y passe très peu de temps et je n’y ai pas d’amis.
C’est à Confort que se trouvent mes amis, de l’autre côté du boulevard.
Normalement les habitants d’El Mahçoul vont à une école et ceux de Confort à une
autre mais moi je suis allé à celle de Confort, c’est pour ça que c’est là-bas que je
me suis fait des amis.

Encadré 20 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger

 La sociabilité obligée :

La sociabilité obligée est présente à deux échelles différentes dans les grands
ensembles :

D'abord, dans les grands ensembles non surpeuplés, elle est similaire à celle que
l'on peut trouver dans les différents quartiers d'habitations se résumant à des
relations obligées entre voisins de palier, de blocs d'immeuble, de parents
d'élèves, etc. Mais elle prend une tout autre échelle dans le cas des grands

87
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

ensembles fortement surpeuplés où elle peut s'inviter à l'intérieur même du


logement quand celui-ci est habité par plusieurs ménages de la même famille :

J’évite de trop sociabiliser avec les autres habitants. Avec eux c’est bonjour,
bonsoir, c’est tout. Juste pour être poli.

Encadré 21 : Extrait d’entretien, Homme, 37 ans, Confort, Alger

On est plusieurs petites familles à habiter dans un seul appartement, alors tu sais
ce que c’est… Il y a toujours des problèmes. Pour éviter ça je reste le moins
possible à la maison.

Encadré 22 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger

II.2.5. Le grand ensemble rejeté :

Le grand ensemble est rejeté ici dans le sens où l'habitant est en repli sur lui-même
et évite de créer des liens avec la communauté. Cela peut correspondre à
plusieurs situations :

 L'individu n'a pas toujours habité dans le quartier et celui-ci est considéré
comme un espace de transition vers un logement de meilleure qualité. Dans
ce cas, les relations sociales de cet habitant se sont développées à
l'extérieur du quartier depuis l'enfance, dans les établissements scolaires,
dans le quartier où il a grandi ou dans l'espace de travail, etc. Le mode de
vie particulier du grand ensemble peut également participer au repli sur soi
dans le sens ou certaines pratiques sociales particulières dans le quartier
peuvent être perçues comme des nuisances par l'habitant récemment
arrivé. En ce sens, le quartier d'El Mahçoul constitue un exemple
intéressant comme nous le verrons plus loin.

88
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Nous pouvons citer à titre d’exemple les extraits d’entretien suivants :

Moi, je n’ai pas toujours vécu ici, je ne suis pas habitué à toute cette animation. La
nuit, à deux heures ou trois heures du matin ils discutent sous ma fenêtre comme
si c’était le jour

Encadré 23 : Extrait d'entretien, Homme, 46 ans, El Mahçoul, Alger

Je ne prévois pas de rester ici, je ne m’y plais pas. Je n’ai pas toujours vécu ici, je
vivais dans une baraque un peu plus loin, je suis venu ici temporairement pour
gagner un peu d’argent et pouvoir emménager ailleurs

Encadré 24 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, El Mahçoul, Alger

 Dans certains grands ensembles surpeuplés où les conditions de vie sont


très dures, le grand ensemble est perçu comme un handicap et ceci
participe à un repli sur soi :

Moi je suis étudiant, je vais tous les jours à l’université suivre des cours mais je ne
peux pas faire ça si je reste très tard le soir tous les jours de la semaine !

Encadré 25 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger

 Dans d'autres situations, la proximité imposée entre les habitants qu'elle


soit à l'intérieur du logement, entre plusieurs ménages vivant dans le même
logement ou à l'échelle du quartier est très mal vécue (Encadré 26). A ce
propos, certains habitants se sentent souvent espionnés par leurs voisins.

Je ne veux pas me mêler à ces gens, tu sais, ce sont tous des voyous ici [...] il y a
toujours des problèmes avec eux

Encadré 26 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger

89
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

II.2.6. Le grand ensemble solidaire :

La solidarité dans les grands ensembles étudiés se manifeste à plusieurs échelles:

 Solidarité à l'échelle du logement ou une solidarité familiale à travers la


cohabitation de plusieurs ménages dans le même logement.

 Solidarité à l'échelle du palier ou du bloc d'habitation notamment dans les


activités quotidiennes et lors d’événements heureux ou tragiques (Photo
17). En ces occasions, l'appartement peut être mis à la disposition du voisin
pour la réception d'invités venus congratuler ou compatir.

Photo 17 : Obsèques à Confort, Alger. Photo auteur, 2017


90
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

 Solidarité pour finir lors des grands événements religieux tels que les Aïds
ou une solidarité financière s'opère entre les habitants :

Lors de l’Aïd El Kebir et du sacrifice du mouton, tous les habitants de notre bloc
ont fait le sacrifice ensemble dans la place qui était réservée aux hommes. Les
femmes, elles, s’occupaient de la préparation des viandes à l’intérieur des
appartements, dans les cages d’escalier, ou dans une terrasse invisible depuis la
rue. Nous faisions tout ensemble et à la fin on ne savait plus à qui appartenaient
les morceaux et on distribuait à parts égales à tout le monde. Ceux qui n’avaient
pas les moyens de faire le sacrifice repartaient eux aussi avec leur part.

Encadré 27 : Extrait d’entretien, Femme, 50 ans, El Mahçoul, Alger

 Solidarité à travers la vie associative et les actions organisées par les


habitants pour nettoyer les quartiers (Photo 18) ou pour sensibiliser les
jeunes à ne pas tomber dans la délinquance comme nous l'explique ces
enquêtés :

Nous organisons de temps en temps des opérations de nettoyage dans le quartier,


généralement le vendredi après la grande prière

Encadré 28 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger

Nous essayons de sensibiliser les jeunes hommes, surtout ceux qui participent au
trafic de drogue, hier par exemple on les a emmenés faire du volontariat, on a
distribué de la nourriture en ville aux SDF

Encadré 29 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger

91
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Photo 18 : Volontariat, nettoyage du quartier. Photo auteur, 2017

II.2.7. Le grand ensemble individualiste :

Par opposition, le grand ensemble individualiste est un grand ensemble où les


habitants ne recherchent que leur propre intérêt, ne sont pas solidaires, ne
participent pas aux journées de nettoyage du quartier et refusent de participer aux
quêtes organisées pour aider d'autres habitants. C'est un grand ensemble où un
habitant peut par exemple refaire la peinture dégradée de la partie de la façade lui
appartenant où prendre possession illégalement de l’espace à l'entrée de
l'immeuble et installer une clôture pour son usage personnel (Photo 19). Les
motivations de cet individualisme sont diverses et peuvent aller d'un repli sur soi
par rapport au quartier à des motivations plus personnelles.

92
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Photo 19 : Espace approprié illégalement par l’habitant du logement au RDC. Photo auteur, 2017

II.2.8. Le grand ensemble patrimonial :

Le grand ensemble patrimonial est un grand ensemble dont la valeur historique et


artistique est reconnue par les habitants par rapport à une histoire particulière. Il
s’agit de cités ayant abrité des événements historiques importants comme la cité
Diar El Mahçoul qui a abrité un sommet durant la Révolution algérienne ou encore
les cités doubles qui ont constitué un exemple de ségrégation très particulier. La
valeur patrimoniale peut être reconnue par rapport à des qualités architecturales
et artistiques ou au fait de sa conception par un architecte reconnu tel que Fernand
Pouillon ou Candilis. Nous pouvons citer, à titre d’exemple, les grands ensembles
construits par Fernand Pouillon dans la commune de Salembier à Alger : Diar
Essaada, Diar El Mahçoul ou à Beb El Oued la cité Climat de France voulue elle-
même dès le départ comme un monument par Fernand Pouillon (Photo 20).
93
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02

Certains enquêtés ont, à ce sujet, déclaré considérer leur grand ensemble comme
faisant partie intégrante de leur patrimoine. Nous développerons ceci dans le
chapitre suivant.

Photo 20 : Place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger. Photo auteur inconnu, s.d

Conclusion du chapitre II :

La complexité des grands ensembles en Algérie réside aujourd’hui dans leur


aptitude à admettre plusieurs des idéaux-types construits plus haut. En effet, le
grand ensemble « patrimonial » peut également être un grand ensemble
« ghetto », le grand ensemble « rejeté » peut dans le même temps être un grand
ensemble « convivialiste » ou « solidaire ». Il s’agit là d’un ensemble d’idéaux-
types présents dans un quartier et où certains peuvent être dominants suivant les
différents cas.

Les idéaux-types ainsi construits ont permis de tracer les orientations de la


recherche et des enquêtes vers les thèmes de la valeur patrimoniale des grands
ensembles (développé dans le chapitre suivant) et des modes d’habiter de manière
générale.

94
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

III. La patrimonialisation des grands ensembles

Introduction

« Alors que la mondialisation de l’économie et la révolution des


télécommunications contribuent à imposer à l’ensemble de la planète un modèle
uniforme, les sociétés contemporaines semblent réagir en opposant leur
singularité « territoriale » » (Garnier, 2015, p. 10)

L’enquête exploratoire a permis de construire dans le chapitre précédent l’idéal-


type du grand ensemble patrimonial qui repose sur l’existence et sur la perception
d’une valeur patrimoniale propre à ces cités d’habitat social. Il s’impose, dès lors,
de définir ce que l’on entend par « valeur patrimoniale » et d’étudier ses
composantes. Les cités construites par Fernand Pouillon dans la commune de
Salembier et de Bab El Oued à Alger semblent constituer, à cet égard, un terrain
idéal. Elles suscitent, en effet, un intérêt non négligeable qui s’est traduit par de
nombreux travaux scientifiques et par un certain attrait touristique que confirme,
dans le cas de la cité Diar El Mahçoul, un projet de restauration. Le travail consiste
en des entretiens semi-directifs approfondis menés avec les habitants de ces cités,
de séquences d’observation et d’une étude des caractéristiques architecturales et
de l’histoire de ces grands ensembles. Il s’agit, ici, d’étayer les conclusions de
l’enquête exploratoire concernant la valeur patrimoniale de ces cités, de
déterminer les différents éléments qui la constituent et de mettre en évidence le
rapport particulier qui lie les habitants à leur quartier. Nous verrons, dans ce
chapitre, que la patrimonialisation des grands ensembles étudiés est liée non
seulement à leurs valeurs intrinsèques mais également à l’appropriation qui en a
été faite. Nous nous intéresserons, dans ce sens, à la notion d’appropriation de
l’espace, à ses différentes modalités pour finalement mettre en évidence les
tenants d’une patrimonialisation par le bas des grands ensembles en Algérie.

95
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

III.1. Les valeurs du patrimoine selon Riegl

Les valeurs du patrimoine ont été définies par plusieurs théoriciens de l'art dont
les plus importants sont Riegl avec son livre « Le culte moderne des monuments,
sa nature, son origine » (Riegl, 2003a) et Brandi avec son ouvrage « La théorie de
la restauration » (Brandi, 2011). Ils s'accordent globalement sur les types de
valeurs du patrimoine même si Brandi préfère parler d’« instance », terme qui va
dans le sens d'une obligation morale et ne serait pas forcément lié au regard de
l'observateur. Ces études des valeurs du patrimoine avaient pour but de choisir la
meilleure manière de conserver un monument, celle-ci ayant souvent fait l’objet de
conflits. Nous nous baserons, ici, sur le travail effectué par Aloïs Riegl, qui reste
certainement le travail le plus complet.

Riegl définit au départ deux grandes catégories de valeurs : les valeurs de


mémoire correspondent aux valeurs historiques, aux valeurs d’ancienneté et à
celle de commémoration. Les valeurs d’actualité, quant à elles, correspondent aux
valeurs d’usage et aux valeurs d’art. Néanmoins, il peut exister, comme nous
pourrons le voir, des imbrications entre des valeurs de mémoire et des valeurs
d’actualité.

III.1.1. Les valeurs de mémoire :

Ce sont les premières à apparaitre dans l’histoire notamment avec la valeur


historique qui va, dans ses significations, connaitre différentes extensions :

La valeur historique est inhérente à « ce qui fut autrefois et qui aujourd'hui n'est
plus » (Riegl, 2003c, p. 55) en prenant en considération le fait que « tout ce qui fut
ne sera jamais plus et forme le maillon irremplaçable et immuable d'une chaîne
d'évolution » (Riegl, 2003c, p. 55). Selon cette définition, chaque fait humain est
susceptible de prendre une valeur historique en raison de son irremplaçabilité et
de sa position déterminante dans une chaîne d'évolution.

Riegl met en exergue, au sein de la valeur historique, la relation très étroite entre
monument historique et monument d'art. Il explique en effet qu'un monument de
96
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

l'art est toujours un monument historique dans le sens où il est un témoignage du


degré d'évolution de l'art plastique à un moment donné de l'histoire. Inversement
tout monument historique est un monument de l'art puisqu'il peut contenir des
détails artistiques qui, dans le cas où ils seraient les seuls témoignages d'un
moment de l'histoire, seraient également des éléments révélateurs du degré
d'évolution de l'art. Ce type de monument serait « un monument historique de
l'art » (Riegl, 2003c, p. 57) avec une valeur non pas d'art mais une valeur
historique.

La valeur d'ancienneté, quant à elle, à la différence de la valeur historique, n’est


pas liée au monument dans son état originel. Elle est liée au fait que le monument
porte les traces témoignant du passage du temps comme les ruines délabrées d'un
château qui n'ont pas de valeur historique mais à qui nous accordons quand même
une valeur, la valeur d'ancienneté. Elle est caractérisée par des imperfections, un
manque d'intégralité, et des changements dans la forme et dans la couleur qui
composent le monument.

Les valeurs de mémoire ont connu deux extensions. Il existait, au départ, les
monuments voulus, impliquant une volonté de leurs auteurs de témoigner d'un
moment de l'histoire. La première extension a été celle des monuments voulus aux
monuments non voulus, le caractère voulu ou non voulu dépendant donc du point
de vue de l'observateur pour former ce que Riegl appelle le monument historique.
La deuxième extension concerne, quant à elle, tous les monuments qui portent les
stigmates (aussi minimes soient-ils) du passage du temps. Ces extensions sont
dues, selon Riegl, à la volonté d'émancipation de l'individu qui passe d'une
considération objective des expériences physiques et psychiques à une
considération subjective, s'intéressant à l'effet sensoriel ou intellectuel exercé. La
valeur de commémoration est liée aux monuments qui sont voulus comme éternels
et, de ce fait, sont en conflit avec la valeur d'ancienneté puisqu'ils doivent rester à
l'état d'origine.

97
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Concernant les stratégies de conservation, des contradictions existent entre les


valeurs énoncées. Du point de vue de la conservation du patrimoine, la valeur
d'ancienneté, étant liée aux traces visibles du passage du temps et donc aux forces
destructrices de la nature, n'admet pas l'interruption de celles-ci ou la restauration
du monument dans son état originel. Ceci peut conduire à la destruction complète
du monument. Du point de vue donc du culte de l'ancienneté, c'est le cycle éternel
de genèse et de dissolution des monuments qui importe et non pas le monument
en lui-même. A l'inverse, les altérations du temps sont gênantes pour la valeur
historique puisque celle-ci s'intéresse à son état originel témoignant d'un moment
précis de l'évolution de l'art ou de l'histoire. De ce fait, pour la conservation
moderne des monuments, il s'agit d'effacer les altérations, non pas sur le
monument en lui-même, mais en le reproduisant réellement, par la pensée ou le
langage. Néanmoins, le monument doit être préservé afin de pouvoir remettre en
cause, ultérieurement, les représentations construites si nécessaire. De ce point
de vue, la valeur historique et la valeur d'ancienneté peuvent donc s'opposer. Cette
contradiction est d'autant plus paradoxale que la valeur d'ancienneté est toujours
liée à la valeur historique et ne peut pas en être séparée. Il s'agit, selon Riegl,
d'évaluer la valeur dominante afin de répondre aux exigences de sa conservation.

III.1.2. Les valeurs d’actualité :

Ce sont des valeurs liées à la satisfaction de besoins matériels ou spirituels de


l'Homme. Dans le premier cas, c'est une valeur utilitaire ou une valeur d'usage.
Dans le deuxième, c'est une valeur d'art (Riegl, 2003c).

La valeur utilitaire est liée à l'usage du bâtiment et, par conséquent, exige que
celui-ci soit dans un bon état. Ceci peut, comme l'explique Riegl, être contradictoire
avec la valeur d'ancienneté d'un monument qui exige qu'il ne soit pas restauré.
Néanmoins, selon Riegl, la valeur d'usage l'emporte presque toujours puisque le
culte de l'ancienneté s'oppose lui-même à une muséification du monument dans
le cas où celui-ci ne serait pas toujours utilisé, et parce que les exigences

98
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

physiques de l'homme l'emportent sur ses exigences psychiques et en sont la


condition.

Un monument historique possède également, en parallèle de sa qualité de témoin


de l'histoire de l'art (ce qui revêtirait donc une valeur historique), une valeur d'art
pure qui serait basée sur sa conception, sa forme et sa couleur. Cette valeur n'est,
contrairement à la valeur historique, pas objective mais une valeur subjective
dépendant du point de vue de l'observateur aujourd'hui. Cette définition de la
valeur d'art n'a pas toujours été adoptée. En effet, depuis la renaissance jusqu'au
19ème siècle, la pensée dominante était qu'il existait un canon, un idéal inflexible
et objectif de l'art. Cette pensée a été remise en question au 19eme siècle. Le
20eme siècle a, par la suite, décrété toute œuvre ancienne comme dépourvue de
valeur d'art, considérant sa valeur comme valeur historique. Or, les monuments
anciens ont parfois sur l'observateur autant, si ce n'est plus, d'effet qu'une œuvre
nouvelle. Riegl explique que la valeur artistique serait donc une « valeur d’art
relative » (Riegl, 2003b, p. 106) et non « absolue » (p. 106), qu'elle dépendrait du
point de vue et de ce qu'il appelle le « vouloir d'art moderne » (p. 107). Cette valeur,
par conséquent, peut être conférée à certains monuments ou à d'autres de
manière changeante, puisque ses exigences (les exigences du vouloir d'art
moderne) sont par définition mouvantes.

Riegl définit deux types de valeurs d'art, la première est une valeur de nouveauté
inhérente à toute œuvre d'art nouvelle, la deuxième est la valeur d'art relative qui,
quant à elle, considère la spécificité du monument du point de vue de sa
composition, c'est à dire de sa forme, de sa couleur, etc.

La valeur de nouveauté serait selon Riegl accessible aux masses alors que la
valeur d'art relative n'est, quant à elle, perçue que par une élite ayant une formation
artistique. Pour les masses donc, le nouveau l'emporterait ainsi toujours sur
l'ancien. Pour qu'un monument ait une valeur d'art de nouveauté, il doit, dans sa
conception, être tout à fait nouveau par rapport aux formes du passé. La nouveauté
est ici une puissance esthétique.

99
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

La valeur d'art relative est liée à l'appréciation des œuvres du passé comme
témoignage de la création humaine ainsi que pour la spécificité de leur conception.
Elle est relative par opposition à la valeur d'art absolue qui faisait le postulat qu'il
existe des canons artistiques absolus dont les générations antérieures se seraient
rapprochées. Riegl explique l'existence de cette valeur, et donc l'appréciation
d’œuvres anciennes, par la satisfaction sur certains points du vouloir d'art
moderne.

Les valeurs d'art ainsi définies sont en conflit avec la valeur d'ancienneté d'un
monument. En effet, l'intégralité de l'œuvre inhérente à la valeur de nouveauté et
nécessaire à la conservation de la valeur d'art relative est clairement opposée au
cycle naturel de destruction d'une œuvre préconisé par les défenseurs de la valeur
d'ancienneté.

A partir de là, nous résumons les valeurs du patrimoine selon Alois Riegl dans la
figure suivante.

Valeurs du monument

Valeurs de Mémoire Valeurs d’actualité

V. Historique V. d’ancienneté V. d’usage V. d’art

V. voulue V. non voulue V. de nouveauté V. d’art relative

Figure 1 : Hiérarchisation des valeurs du monument selon Riegl (Auteur)

100
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

III.2. La valeur patrimoniale des grands ensembles en Algérie

Bien que critiqués sur le plan architectural, urbanistique et social, les grands
ensembles dans la diversité de leur production peuvent aujourd’hui prétendre au
statut de patrimoine. En effet, Benoît Pouvreau explique que, d’un point de vue
historique, ces cités d’habitat social représentent une rupture définitive avec la
ruralité et un changement radical dans le niveau de confort des appartements
(Pouvreau, 2011). D’un point de vue architectural et artistique, le grand ensemble
a été une « création artistique à part entière, avec ses chefs d’œuvre, ses écoles
et ses édifices phares » (Pouvreau, 2011, p. 1). La valeur artistique de ces grands
ensembles réside dans leur architecture dépouillée, l’absence des éléments
décoratifs traditionnels, la simplicité, la répétitivité des façades et dans la massivité
des barres et des tours. Sur le plan urbanistique et paysager, les grands
ensembles constituent un tournant radical dans la manière de faire la ville. La
valeur artistique est ici liée à la conception des plans de masse et aux nouvelles
normes concernant l’occupation du sol et le prospect qui ont conditionné ces
nouveaux paysages.

Si l’on analyse nos terrains d’études à travers la grille que propose Riegl, il en
ressort que ces grands ensembles revêtent, à des degrés différents, les différentes
valeurs citées plus haut. Nous prendrons ici l’exemple de quelques cités
construites par Fernand Pouillon à Alger pour vérifier l’existence et la perception
de valeurs patrimoniales.

III.2.1. Valeurs de mémoire :

Les évènements historiques qui ont eu lieu dans ces grands ensembles confèrent
clairement, du point de vue des habitants, une valeur historique à ces cités. En
effet, les habitants citent les différents épisodes de la résistance face à la
colonisation lors de la guerre d’indépendance ainsi que le caractère de cité double
de la cité Diar El Mahçoul :

101
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Pour moi il est clair que Diar El Mahçoul a une valeur historique puisqu’elle a été
un haut lieu de la résistance, une importante réunion a eu lieu ici lors de la
révolution

Encadré 30 : Extrait d’entretien, Homme, 51 ans, Confort, Alger

En effet, nous pouvons également citer à titre d’exemple les manifestations du 11


décembre 1960, en réponse à l’appel du FLN, et qui ont eu un rôle décisif dans le
basculement de l’opinion international et l’adoption par l’ONU d’une résolution pour
la décolonisation de l’Algérie. Les grands ensembles habités par des algériens
furent quelques-uns des principaux points de départ des manifestations.

La valeur historique de ces grands ensembles réside également dans le fait qu’ils
constituent d’une part, un témoignage d’une production architecturale spécifique à
une période donnée, ils sont en ce sens un monument historique de l’art. D’autre
part, ils constituent un témoignage d’une ségrégation opérée par le colonisateur
et, dans le cas des cités doubles, de la stratégie qui visait à faire cohabiter
européens et algériens pour atténuer l’influence du FLN sur cette population.

Par ailleurs, les grands ensembles étudiés, comme tout objet portant les stigmates
du passage du temps, revêtent une valeur d’ancienneté. Les traces du passage
du temps sont, en l’occurrence, liées non seulement aux conditions physiques et
au manque d’entretien, mais également à l’œuvre de l’homme lui-même qui a
effectué ses propres transformations liées à son usage et au surpeuplement des
logements.

III.2.2. Valeurs d’actualité :

Lors des différents entretiens, les habitants ont lié la valeur patrimoniale du grand

102
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

ensemble en partie à leur architecture particulière :

C’est une architecture particulière qui a été réalisée par Fernand Pouillon, c’est
une architecture qui ne se fait plus aujourd’hui

Encadré 31 : Extrait d'entretien, Homme, 51 ans, Confort

Nous essaierons ici de décrire les particularités de cette architecture. Celle-ci est
identifiable par plusieurs éléments.

 Une architecture moderne mais des références locales et historiques :

Dans la cité Diar El Mahçoul, l’architecte tente de matérialiser la sédimentation


culturelle de la ville d'Alger. On y retrouve des références multiples aux remparts
ottomans (Photo 21), ainsi qu’aux patios et jardins de Séville et de Grenade (Photo
22). Néanmoins, l’architecture est différenciée selon la partie dans laquelle on se
trouve. En effet, même localement, les références à l’architecture mauresque sont
plus présentes dans les quartiers destinés à une population musulmane où le type
d'ouverture et l'emplacement de l'îlot accentue la référence aux remparts
ottomans. Les espaces publics sont également différents dans ce type de quartiers
souvent plus petits et conférant plus d'intimité.

Photo 21 : Cité Diar El Mahçoul, Alger (Institut français d’architecture). Photo auteur inconnu,
1955
103
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Photo 22 : Marché à El Mahçoul, Alger (Institut français d’architecture). Photo auteur inconnu,
1955

Dans l’optique d’une réinterprétation des maisons traditionnelles algériennes, la


référence à la casbah était présente dans les quartiers « confort » par
l'accessibilité des toitures, la cour intérieure étant de son côté sensée être un
élément central dans les appartements prévus pour la population musulmane.

Dans la cité Climat de France, la référence à la Casbah d'Alger est évidente en


raison du travail effectué sur la vue vers la mer que l'on retrouve à partir de toutes
les terrasses. Mais on retrouve également d'autres références aux agoras
hellénistiques, au forum romain ou à différentes places de grande renommée telle
que la place des Vosges ou encore la Cour des Lions à l’Alhambra.

104
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

 Une attention portée aux espaces publics et aux perspectives :

L'architecture de ces grands ensembles est caractérisée par la recherche de


différentes perspectives créées en positionnant les bâtiments. Associé à cela, les
différences de hauteur de ces derniers créent un dynamisme des masses.

Un traitement particulier est accordé aux espaces publics. Des espaces publics
très diverses ont été conçus : place publique, place semi-publique, rues, passages,
escaliers monumentaux.

 La monumentalité :

Photo 23 : Place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger (Institut français d’architecture).
Photo auteur inconnu, 1959

La cité climat de France est emblématique de l’architecture monumentale des


grands ensembles. Cette cité, de dimensions très importantes lui conférant un
certain gigantisme, a été conçue comme une ville sur un terrain en pente et offrant
une vue vers la mer. Elle est notamment caractérisée par son bâtiment de forme
rectangulaire abritant en son centre la place des 200 colonnes (Photo 23). L'aspect
monumental du projet a été explicitement voulu par l’architecte qui affirmait qu’il

105
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

voulait offrir à la population musulmane pauvre un monument à habiter (Pouillon,


1968).

 Le matériau :

Dans ce domaine, les réalisations étudiées témoignent d'une grande inventivité.


Les matériaux utilisés sont très divers et de même, les procédés constructifs.

Dans ces logements sociaux, les utilisations de la pierre et de la brique sont


remarquables. En effet, dans le contexte de prédominance des idées du
Mouvement moderne et de la généralisation de l'utilisation du béton armé, ces
grands ensembles érigés en pierre et en béton avec un coût de réalisation très bas
et dans des délais souvent très courts ont constitué une exception.

La pierre, alliée au béton armé, a été utilisée dans plusieurs grands ensembles,
Les cités Diar El Mahçoul et Diar Essaada mais également d'autres cités comme
celle d'El Kerma (Photo 24) à Oran. Leur concepteur, Fernand Pouillon, défendait
ainsi l’utilisation, lorsque cela est approprié, de la pierre :

Pour moi, construire une aérogare en pierre serait une imbécillité, pour ne pas dire
une folie. Mais s’imposer des structures dynamiques pour installer des trois pièces-
cuisine dans des immeubles de trois à dix étages, n’est pas moins aberrant.

(Pouillon, 1968, p. 174)

La brique est un autre matériau privilégié dans les grands ensembles étudiés et
qui a notamment été utilisé dans certaines parties de la cité Diar El Mahçoul et
Diar Essaada mais aussi dans la cité Climat de France (Photo 25). Elle a, entre
autres, été utilisée pour construire les différentes voûtes que l’on retrouve dans
ces grands ensembles.

106
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Photo 24 : Grand ensemble d'El Kerma, Oran. Photo auteur, 2018

Photo 25 : Utilisation de la brique dans la cité Climat de France, Alger. Photo auteur, 2017
107
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Mais ces deux matériaux ne sont pas toujours utilisés dans un objectif porteur. Ils
sont utilisés parfois comme revêtement alors que les formes en elles-mêmes sont
réalisées en béton.

D'autres matériaux ont été utilisés dans les grands ensembles étudiés et
notamment la faillance (Photo 26) avec laquelle l’architecte décore ses façades. Il
invitait souvent, à cet effet, des artistes à représenter des paysages faisant
référence à la culture locale qu'il dissémine dans différents endroits de ses cités.

Photo 26 : Utilisation de la faïence à Confort, Alger. Photo auteur, 2017

 Eléments architectoniques :

L'architecture des cités étudiées est marquée par l'utilisation d'arcs, de voûtes, de
voûtes croisées, de coupoles et de portiques. En cela, on pourrait dire que ces
réalisations sont des constructions post-modernistes avant l'heure puisque, bien

108
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

que s’inscrivant dans la pensée moderniste, elles contiennent de multiples


références au passé. Notons que ces éléments sont rarement juste décoratifs et
ont une utilité structurelle réelle.

Les arcs sont présents dans différents grands ensembles et notamment dans la
cité Diar El Mahçoul où on peut les retrouver sur les façades et sous certains
immeubles où ils ouvrent des passages et des perspectives. La cité Climat de
France n'en compte pas moins puisqu'ils encadrent les entrées des blocs de
logement.

Les voûtes, quant à elles, souvent croisées, sont utilisées dans les cités Diar El
Mahçoul (Photo 27) et Diar Essaada et recouvrent les différents marchés. La
coupole, de son coté, a été utilisée dans la cité climat de France (Photo 28).

Photo 27 : Voûtes de l'ancienne église de Confort, Alger. Photo auteur, 2017


109
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Photo 28 : Coupoles de la cité Climat de France, Alger. Photo auteur inconnu, s.d

Les portiques (galeries couvertes mais ouvertes sur les côtés) sont des éléments
utilisés pour apporter une qualité et une nuance aux espaces. La référence ici à
l'architecture grecque et romaine est évidente. Un des portiques les plus
intéressants construits est celui qui relie deux blocs d'habitation dans la cité Diar
El Mahçoul (partie confort) sur la place du marché (Photo 29). Situé sur l'extrémité
de la place du marché, en forme de « L », il offre une vue panoramique sur la baie
d'Alger, le monument des martyrs et l'église convertie en mosquée.

Un autre exemple de l’utilisation du portique se trouve dans le marquage de


l'entrée de la place des 200 colonnes dans la cité Climat de France (Photo 30) qui
fait clairement référence aux temples grecs.

110
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Photo 29 : Portique, Confort, Alger. Photo auteur, 2017

Photo 30 : Portique de l'entrée de la place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger. Photo
auteur, 2017
111
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

 L’originalité des structures :

Les structures des grands ensembles étudiés ne recèlent pas seulement une
diversité dans les matériaux utilisés mais aussi dans le principe constructif. En
effet, les blocs sont supportés par des poteaux, des arcades mais aussi des murs
porteurs en béton, en pierre ou en brique. Sont expérimentées et développées ici
des techniques inspirées de la mise en œuvre classique de ces matériaux mais
réinterprétées et optimisées pour un gain de coût et de temps.

Dans la recherche d'une massivité en référence aux remparts de la ville ottomane,


sont utilisés des murs porteurs de 25 cm d'épaisseur. Mais ces murs permettent
une très bonne isolation thermique et acoustique.

Image 4 : Mise en œuvre de la pierre banchée (Fernandpouillon.com). Photo auteur inconnu, s.d

La pierre banchée est une des techniques utilisées et mises au point dans le souci
d'économiser la pierre en utilisant des fers noyés dans le béton pour sceller les
blocs de pierre entre eux (Image 4). En complément, sont utilisées également des

112
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

cloisons intérieures de 10 cm comme murs porteurs. Ces deux procédés ont


permis de construire de grandes tours dont la hauteur atteint les 40m en
maçonnerie à l’exemple de la tour Totem de Diar Essaada ou la tour de Diar El
Mahçoul réalisée en seulement deux mois.

Trois types de planchers ont été utilisés dans ces grands ensembles.

 Le plancher à nervures croisées réservé pour les étages courants (Image


5) : Il est constitué d'une dalle de compression de 3 cm, et de 14 cm
d’hourdis préfabriqué, creux, en staff et carré avec un module de 60x60
cm².

Image 5 : Plancher étage courant (Oukrif, 2016)

113
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Image 6 : Plancher RDC (Oukrif, 2016)

 Les dalles pleines pour les planchers hauts du RDC et les porte-à-faux
(Image 6).

Image 7 : Plancher translucide (Oukrif, 2016). Photo auteur inconnu, s.d

 Un plancher translucide est, quant à lui, utilisé pour les cages d'escalier
(Image 7).

114
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

En conclusion, il apparait que les grands ensembles étudiés revêtent une valeur
historique et une valeur d’art (résumées dans le Tableau 2). Il s’agit dès lors, afin
de vérifier l’hypothèse d’une patrimonialisation par le bas des grands ensembles,
d’étudier l’appropriation qui a été faite par les habitants de ces cités.

Valeurs de mémoire Valeurs d’actualité

Valeur
Valeur historique Valeur Valeur d’art d’usage
d’ancienneté

Des grands ensembles Des grands Une architecture Des grands


théâtres d’événements ensembles moderne mais ensembles
historiques liés à la construits comprenant des habités et
guerre d’indépendance. durant les éléments de surpeuplés.
années 1950. l’architecture locale.
Témoins d’une
discrimination Une production
institutionnalisée entre singulière des
européens et locaux. grands ensembles.

Productions d’une
architecture moderne
caractéristique d’une
période de l’histoire.

Tableau 2 : Valeurs patrimoniales des grands ensembles étudiés (Auteur)

115
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

III.3. Patrimonialisation et appropriation

Beaucoup d'auteurs s'accordent à dire qu'il n'y a pas de patrimoine sans


appropriation. Nous nous intéresserons ici à l'appropriation symbolique de
l'espace dans les grands ensembles comme vecteur de leur patrimonialisation.

III.3.1. Notion d’appropriation :

L'appropriation d'un espace, au-delà de la définition littérale de prise de


possession, signifie « le faire sien en lui attribuant des caractéristiques matérielles
comme symboliques qui le distinguent des autres » (Segaud, 2009, p. 281).

Dans le contexte d'une standardisation du logement et de la généralisation des


configurations à un niveau mondial, Marion Segaud définit le logement comme
« un ensemble de cellules que les concepteurs comme les pratiques des habitants
spécifient » (Segaud, 2009, p. 276). En effet, c'est notre usage de l'espace,
déterminé par des dimensions culturelles telles que notre conception du privé et
du public, de l'intimité, de l'hygiène, etc. et les valeurs et symboles que nous
conférons aux espaces qui vont qualifier et influer sur nos perceptions et
représentations du logement.

Pour la psychologie, s'approprier un espace et le rendre sien, signifie « le


singulariser pour le construire selon nos sentiments et notre cultures » (Segaud,
2009, p. 280). Le concept d'appropriation, développé par les sociologues, a
souvent été durant les dernières décennies un point de rencontre entre
l'architecture et la sociologie. Henri Raymond explique que l’appropriation de
l'espace est « l'ensemble des pratiques qui confèrent à un espace limité les
qualités d'un lieu personnel ou collectif. Cet ensemble de pratiques permet
d'identifier le lieu ; ce lieu permet à son tour d'engendrer des pratiques [...],
l'appropriation de l'espace repose sur une symbolisation de la vie sociale qui
s'effectue à travers l'habitat » (Segaud, 2009, p. 281). Autrement dit, entre lieu et
habitant existe une influence double, celle des pratiques de l'habitant sur le lieu,
mais aussi, celle du lieu sur les pratiques de l'habitant.

116
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Pour Paul-Henri Chombart de Lauwe, s'approprier un espace c'est la création d'un


lien entre soi-même et cet espace à travers nos pratiques qui peuvent être des
appellations, des objets ou des symboles qu'on lui confère (Chombart de Lauwe
dans Segaud, 2009).

III.3.2. Histoire de la notion :

Daniel Pinson situe l'émergence de cette notion dans l'opposition envers la


généralisation des principes fonctionnalistes dans l'urbanisme. En effet, le
Corbusier, en 1946, alors que les grands ensembles commencent à voir le jour
inspirés de la charte d'Athènes, définit le « savoir habiter » à partir des différents
besoins physiologiques, matériels et psychologiques de l'habitant. Un savoir
habiter donc à base de normes issues elles-mêmes de besoins. Le terme
« besoin » est alors opposé à celui de « pratique » qui reste encore pauvre en
matière de représentations. A partir des années 1960, le concept d'appropriation
va être revisité par Henri Lefebvre notamment, qui va, de son application initiale
marxiste de l'appropriation des moyens de production, l'appliquer à l'usage
quotidien de l'espace.

Henri Raymond s'attèlera à étudier, dans « l'habitat pavillonnaire » (Raymond,


2001), à travers des entretiens semi-directifs menés auprès d'habitants, les
pratiques pavillonnaires riches de sens et définira même la notion de
« compétence » de l'habitant, une compétence dans la pratique et dans le langage.
Raymond montre, par opposition, le déficit d'appropriabilité du logement social
généralisé dans les Trente Glorieuses sous la forme des grands ensembles.

Dans son livre « traces et mémoires urbaines », Vincent Véschambre s'intéresse


à l'appropriation symbolique de l'espace au-delà de la définition littérale de
l'appropriation qui se matérialise à travers des barrières physiques, des frontières
et autres. Il montre la constitution et l'utilisation de symboles pour associer un
espace ou un lieu à un groupe donné, un processus naturel qu'on peut constater
à une grande échelle lors des différentes invasions militaires ou, comme le montre

117
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Pierre Bourdieu, pour asseoir sa domination. Ce sont ces symboles là que l'on vise
en premier (Veschambre, 2008).

III.3.3. L’espace public, semi-public et semi-privé, lieu d’appropriation

Quelques-uns des lieux de l'appropriation physique les plus intéressants sont


certainement les espaces publics. Des espaces qui, comme l'explique Ghorra-
Gobin, ont toujours été des éléments essentiels de la construction identitaire des
individus et des groupes sociaux (Ghorra-Gobin, 2001).

Comme l’explique Marion Segaud, étudier l'espace public passe par l'étude des
pratiques vécues par les individus mais aussi par l'étude de leur production. En
effet, les espaces publics se sont progressivement érigés en champs de recherche
permettant d'étudier les représentations de la ville, les différents jeux d'acteurs et
les principes dominants de l'urbanisme. Ils expliquent les politiques urbaines et les
sociabilités qui se font (Segaud, 2009).

Les espaces semi-publics et semi-privés sont également de hauts lieux


d’appropriation. Christian Moley s'intéresse à ces espaces de transition entre
intérieur et extérieur qui différent d'une société à une autre et montre qu'ils sont
révélateurs d'un rapport global entre espace et société. Moley s'interesse ainsi à
ces différents éléments physiques de l’« entre-deux » qui peuvent être des
façades, des cours intérieurs, des patios, des coursives, etc. (Moley dans Segaud,
2009). L'étude de Jean-Louis Arnaud de son coté, au Caire, montre que, même
sans l'existence de signes physiques d'un changement de la nature de l'espace,
du public au semi-public, le passant détecte cela par l'observation du changement
des comportements (Arnaud dans Segaud, 2009).

III.3.4. Appropriation et marquage de l'espace :

Le marquage de l'espace est défini par Ripoll comme une « production de


signe(s) » (Ripoll & Veschambre, 2005), Marion Segaud abonde dans le même
sens dans le « dictionnaire du logement et de l'habitat » en expliquant que « le
marquage, par la disposition des objets ou les interventions sur l'espace habité,
118
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

est l'aspect matériel le plus important de l'appropriation » (Segaud, 2002, p. 28).


On s'accorde donc à dire que l'appropriation de l'espace est étroitement liée et est
physiquement reflétée par le marquage de l'espace.

Deux termes sont couramment utilisés pour désigner les signes visibles du
marquage de l’espace : La marque et la trace. Pouvant paraître similaires, ils
comportent néanmoins des différences et constituent la notion de marquage
(Veschambre, 2008). Veschambre montre en effet que les termes, bien
qu'exprimant tous les deux la production de signes dans l’espace, comportent des
différences dans plusieurs registres (Veschambre, 2008) :

- Le premier est le registre temporel puisque la trace renvoie à un élément


subsistant du passé tandis que la marque renvoie plutôt à une notion de
contemporanéité.

- Le deuxième registre est celui de l'intentionnalité. En effet, une trace peut


être voulue ou pas mais la marque, elle, est exclusivement intentionnelle.

- Le troisième registre est celui de la signification. En ce sens que la trace


peut être anonyme et être liée à une activité telle que l'habitat, une activité
commerciale ou autre alors que la marque renvoie à un acteur spécifique.

Cette nuance entre les deux notions permet de dire que la trace par son caractère
passé et anonyme permet son réinvestissement alors que le marquage, lui, est
une « production de marques et/ou réinvestissement de traces » (Veschambre,
2008)

Plusieurs types de marques ont pu, à travers les différents travaux sur le sujet, être
mis en évidence. Dans une l'approche corporelle qu'il adopte, Vincent
Veschambre cite principalement trois grandes catégories. Celle, d'abord, des
inscriptions et des graffitis, celle, ensuite, des constructions, beaucoup plus
durables dans le temps et, enfin, celle de la végétation.

119
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Dans le cadre de l'architecture coloniale héritée des grands ensembles en Algérie,


la notion de marquage est particulièrement pertinente, la production architecturale
étant étroitement liée à la question du marquage.

III.4. Marquage et réinvestissement des traces à la cité Diar El


Mahçoul et la cité Climat de France

Le résultat de la réappropriation qui a été faite de ces grands ensembles a été leur
marquage par le réinvestissement et la production de marques.

Nous séparerons ici ce qui relève du surpeuplement de ce qui relève de


l’appropriation à proprement parler.

III.4.1. Transformations matérielles :

 La transformation intérieure des appartements répond à la différence entre


la famille européenne et la famille algérienne, celle-ci, après
l’indépendance, étant souvent une famille élargie, nombreuse, les
transformations visaient à créer de nouvelles pièces.

 Une conception différente de l’intimité et de la place de la femme et de


l’homme dans le foyer ont conduit au cloisonnement d’espaces parfois
ouverts tel que la cuisine et le séjour ( Plan 2).

120
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Plan 2 : Modification d’un appartement à El Mahçoul, Alger (Çelik, 1997), modifié par l’auteur

 La question de l’intimité se reflète également dans la modification des


fenêtres (Photo 31). A ce propos, l'enquête menée en 1960 en France par
l'Institut de sociologie urbaine a opposé la notion de modèle culturel
(Gurvitch, 1967) à celle de besoin. Cette opposition part du principe qu'une
fenêtre par exemple, au-delà du rôle d'aération et d'éclairage que suppose
une approche fonctionnaliste, n'est pas que la réponse à des besoins
physiques de l'habitant mais également une relation importante entre
intérieur et extérieur et, en ce sens, implique des modèles culturels - qui
peuvent s'apparenter au concept d'habitus de Pierre Bourdieu (Bourdieu,
2000). Le type de fenêtre détermine ce que l'on veut montrer de notre
espace personnel, notre conception de l'intimité et de la privacité. Ceci est
évident lorsque l'on regarde les différentes façades des grands ensembles
algériens conçus pour une population européenne et habités aujourd'hui
par une population algérienne : les fenêtres trop grandes sont parfois

121
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

réduites et les loggias fermées, démontrant un mode d'habiter bien


spécifique agissant sur le bâti.

Photo 31 : Modification d’une façade à Confort, Alger. Photo auteur, 2018

 La transformation du marché couvert en locaux commerciaux par son


cloisonnement et le déplacement du marché sur la place publique (Photo
32).

Photo 32 : Transformation du marché couvert à Confort, Alger. Photo auteur, 2018

122
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Photo 33: Habitat précaire dans les espaces semi-publics à El Mahçoul, Alger. Photo auteur,
2018

 Le déplacement des espaces publics les plus animés des places et


espaces semi-publics conçus par Fernand Pouillon vers les rues, les
intersections et le marché. En effet, les bidonvilles ayant envahi tous les
espaces publics dans la partie El Mahçoul (Photo 33) à cause du
surpeuplement des appartements, l’animation s’est déplacée dans les
rues, intersections ou au marché qui le soir n’est plus un lieu commercial
mais l’endroit où se retrouvent les habitants.

 Le processus d'appropriation dans le cas de certains habitants passe par


la transformation de l'aménagement. Ceci qui n'est pas sans rappeler
l'exemple donné par Marion Segaud de l'emménagement d'un habitant
dans un appartement anciennement occupé par un autre. Elle souligne,
en effet, que repeindre, nettoyer et meubler l'appartement sont des actes

123
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

d'appropriations de l'appartement. La transformation de l'appartement à


l'emménagement dans la cité Diar El Mahçoul sans raison fonctionnelle
apparente montre que si les processus d'appropriation sont eux,
universels, ils restent culturels et leur matérialisation diffère d'une société
à l'autre.

III.4.2. Transformations immatérielles :

 L’appropriation des bâtiments, la proximité entre les familles et les


solidarités qui s’opèrent entre elles ont un impact sur le caractère des
espaces communs semi-publics devenant pour certains semi-privés ou
privés : les cœurs d’ilots, cours intérieures ou cages d’escaliers en sont un
exemple (Photo 34).

Photo 34 : Cages d’escalier à El Mahçoul, Alger. Photo auteur, 2018

124
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

 Les impératifs de respect de l’intimité régentent l’exploitation de l’espace


public : la proximité des immeubles et de leurs fenêtres sont par exemple
proscrits aux groupes de jeunes et aux activités bruyantes.

III.5. Patrimoine factice et patrimoine qui fait sens

Etant établi que les enquêtés perçoivent les différentes valeurs de leurs grands
ensembles, qu’ils se sont approprié et ont symboliquement marqué ce dernier, il
restait à déterminer si les habitants confèrent le qualificatif de « patrimoine » à leur
grand ensemble. Les réponses à cette question finale lors des entretiens menés
dans Diar El Mahçoul ont été partagées. Une partie des enquêtés a clairement
qualifié son grand ensemble de « patrimoine » (Encadré 32), la seconde partie,
quant à elle, même si elle reconnait les valeurs de mémoire et d’actualité de ces
grands ensembles, refuse tout de même de lui attribuer le statut de patrimoine.
Deux principales raisons ont été avancées par les enquêtés : le caractère colonial
de ces grands ensembles, un patrimoine qui ne serait donc pas « algérien »
(Encadré 33), et leur style moderne caractérisé par l’absence des éléments
traditionnels de l’architecture locale (Encadré 34).

C’est clair que ça fait partie de notre patrimoine, autant que la Casbah ou les autres
monuments, c’est des chefs d’œuvres

Encadré 32 : Extrait d’entretien, Homme, 46 ans, Confort, Alger

Pour moi ce n’est pas du tout un patrimoine, ce n’est pas algérien, d’ailleurs, les
immeubles anciens du centre-ville aussi, je suis pour leur démolition pure et simple

Encadré 33 : Extrait d’entretien, Homme 37 ans, El Mahçoul, Alger

Je sais qu’ils ont une valeur historique et une valeur artistique mais pour moi ce
n’est pas notre patrimoine […] Et bien parce que ça ne ressemble pas à notre
patrimoine comme la casbah … il n’y a pas nos ornementations, notre tuile …

Encadré 34 : Extrait d’entretien, Homme, 52 ans, Confort, Alger

125
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

Les entretiens nous ont amené à construire deux idéaux-types du patrimoine du


point de vue des habitants, le patrimoine « factice » et le patrimoine « qui fait
sens » :

- « Le patrimoine qui fait sens » est un patrimoine auquel on est étroitement


attaché, que l’on utilise, que l’on s’est approprié et que l’on a marqué. C’est
un patrimoine qu’on peut nommer en tant que tel ou non, même si les
valeurs conventionnelles du patrimoine s’y retrouvent.

- « Le patrimoine factice » est, par opposition, un patrimoine qui ne fait pas


sens et auquel on n’est pas lié. C’est un patrimoine qu’on connait d’une
manière superficielle ou factice, et qu’on peut réduire à des détails formels
tels que des ornementations ou de la tuile. C’est un patrimoine qui a été
désigné en tant que tel par d’autres personnes, des experts ou des
politiques.

Il s’agit donc d’idéaux-types liés au rapport entre l’individu et l’objet patrimonial : si


le grand ensemble peut faire sens pour les uns, c’est également un patrimoine
factice pour les autres. De même, si « la casbah » (citée comme exemple par les
enquêtés) peut être un patrimoine factice pour les uns, elle fait également sens
pour beaucoup d’autres.

Conclusion du chapitre III :

Nous pouvons, à la lumière des éléments développés dans ce chapitre, confirmer


l’hypothèse stipulant que les grands ensembles étudiés sont aujourd’hui un
patrimoine à part entière. Ils sont un patrimoine parce que, d’une part, ils revêtent
clairement une valeur de mémoire, une valeur d’usage et une valeur d’art qui sont
reconnues autant par la population que par les experts, et parce que, d’autre part,
ils sont aujourd’hui appropriés, réappropriés et symboliquement marqués par leurs
habitants. De plus, ces grands ensembles sont un patrimoine qui « fait sens » pour
ses habitants et constitue un exemple d’une fabrication par le bas, c'est-à-dire par
les habitants, du patrimoine. A ce propos, comment ne pas aborder ici les
questions des modes d’habiter, des identités, de la territorialisation que sous-tend
126
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03

ce rapport entre habitant et habité ? Ces éléments seront abordés dans la


deuxième partie de cette thèse que nous nous proposons d’ouvrir.

127
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception

Conclusion de la première partie :

Les premiers chapitres de cette thèse nous donnent à voir des grands ensembles
qui ont pu être porteurs de différents sens dans leurs pays d’origines et dans leurs
pays d’importation, mais aussi des grands ensembles qui ont pu être perçus de
différentes manières. Ceci nous amène à considérer la spécificité du cas algérien
où les idéaux-types constitués nous montrent combien les situations sont
différentes d’un grand ensemble à l’autre et remettent en question la supposée
uniformité de grands ensembles dégradés, vecteurs d’insécurité et de ségrégation.

Si certains grands ensembles présentent en effet des situations problématiques et


peuvent donner lieu à un rejet de certains habitants et à l’adoption d’une approche
individualiste de leur part, ils peuvent dans le même temps être porteurs d’une
valeur patrimoniale, comme le montre l’exemple de la cité Diar El Mahçoul. En
effet, l’étude de ce grand ensemble montre qu’il possède toutes les valeurs
conventionnelles d’un véritable patrimoine. Mais sa valeur patrimoniale réside
également dans son appropriation par ses habitants. Diar El Mahçoul constitue, en
ce sens, un exemple intéressant d’une fabrication par le bas du patrimoine, une
fabrication du patrimoine qui ne dit pas son nom, car, comme nous l’avons vu, ces
grands ensembles hérités d’une colonisation et issus d’une culture différente ont
été la matérialisation d’une discrimination d’Etat et, dès lors, ne sont pas toujours
acceptés en tant que patrimoine à mettre en avant. Diar El Mahçoul, est alors pour
certains habitants un patrimoine « qui fait sens » par les valeurs qu’ils
reconnaissent volontiers en lui, le rapport qui s’est créé entre eux et l’appropriation
qu’ils ont en fait. Ceci est paradoxal lorsqu’on considère d’autres types de
patrimoines qui en l’occurrence ne font pas sens pour les habitants mais
représentent pour eux un patrimoine officiel qui serait en quelque sorte factice.

Ces grands ensembles sont également le théâtre de la constitution d’un lien très
étroit entre les habitants eux-mêmes et le quartier en tant qu’espace géographique,
un rapport caractérisé par de la solidarité, de la convivialité et par la constitution
de liens forts. Ceci nous invite à considérer, dans la partie que nous nous

128
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception

proposons d’ouvrir, la constitution d’identités collectives fortes dans les grands


ensembles, de modes d’habiter et dès lors l’émergence de territoires.

Par ailleurs, les éléments mis en évidence dans cette première partie nous incitent
également à considérer, dans la troisième partie de cette thèse, le rôle que ces
formes de ressources identifiées dans les grands ensembles peuvent jouer dans
le devenir ces derniers.

129
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires

dans les grands ensembles

- Chapitre 1 : Type d’habitat et mode d’habiter

- Chapitre 2 : Des identités dans les grands ensembles

- Chapitre 3 : Territoires et micro-territoires dans les grands ensembles

130
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles

La deuxième partie de cette thèse part de la différence, mise en évidence par


plusieurs penseurs tels qu'Henri Raymond et Bernard Huet, qui existe entre
« espace de représentation » et « représentation de l'espace » (Segaud, 2009, p.
260).

L'espace de représentation est l'ensemble des moyens qui permettent de


représenter tous types d'espaces, qu'il s'agisse d'un logement, d'une ville, d'un
pays ou tout espace géographique (Segaud, 2009). Marion Segaud souligne la
certitude et l'illusion que peut impliquer cet outil : la certitude d'un coté de pouvoir
représenter n'importe quel espace à toutes les échelles, et de l’autre, l'illusion de
pouvoir représenter toutes les dimensions d'un espace sur un plan.

La représentation de l'espace est une notion tout à fait différente puisqu'elle


s'attache à la représentation mentale faite par l'habitant de l'espace qu'il pratique
et part donc de la Praxis, concept théorisé notamment par Aristote dans « Ethique
à Nicomaque » et « Métaphysique ». C’est à cette Praxis que nous nous
intéressons dans cette partie.

Les notions de « représentation de l’espace » et d’ « espace de représentation »


sont d’autant plus pertinentes dans cette thèse que nous étudions des grands
ensembles sensés répondre aux principes de l'urbanisme moderne et à une
logique de plan. Des grands ensembles qui ont aujourd'hui plus de soixante ans
d'existence et qui, comme nous allons le voir, ne sont plus les mêmes puisqu’ils
ont été appropriés et transformés. Faire de ces deux notions des entrées dans
notre analyse des grands ensembles permet d'avoir une lecture plus sensible des
espaces et de la production « infraordinaire de l'espace » (Palumbo & Boucheron,
2017).

131
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

I. Type d’habitat et mode d’habiter

Introduction

« For the “evolved” Muslims, the “normal HLM [… ] formulas” in mixed settlements
were seen as preferable to isolation, because a “politics of contact” would bring the
indigenous people and the Europeans together. For the nonevolved sectors of the
Muslim community (rural, but also urban—bidonville residents and newcomers to
the casbah), low-rise housing was the best solution. » (Çelik, 1997, p. 117)

A un moment de la période coloniale et face à la résistance de la population


musulmane, l’idée a été avancée que l’on pouvait changer le mode d’habiter et
l’attitude de la population envers le pouvoir colonial en changeant son type
d’habitat. A cette époque, la population algérienne s’entassait dans les bidonvilles
et la réflexion sur la problématique du logement en masse de la population
musulmane s’imposait. Pour le groupe d’architectes algériens du CIAM-Alger, dont
Roland Simounet, l’étude du mode d’habiter algérien était nécessaire. De son coté,
Fernand Pouillon développe sa propre vision de l’habitat musulman. Le résultat a
été des grands ensembles à l’architecture particulière, mais a-t-on réussi pour
autant à changer le mode d’habiter ? L’histoire montrera que certains grands
ensembles comme Diar El Mahçoul deviendront de grands foyers de la résistance
contre le colonialisme. L’appropriation qui a été faite de ces grands ensembles ne
montre-t-elle pas que c’est au contraire le mode d’habiter qui a agi sur ces grands
ensembles, un mode d’habiter qui fait la valeur patrimoniale des grands ensembles
en Algérie ? C’est à ces questions que nous nous intéresserons dans ce chapitre
en expliquant, d’abord, la stratégie coloniale qui a en partie présidé à la naissance
de ces cités d’habitat social, puis, en définissant ce qu’est le « mode d’habiter » et,
enfin, en analysant les modes d’habiter algériens dans les cités étudiées.

132
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

I.1. Du changement du type d’habitat au changement du mode


d’habiter

I.1.1. Le grand ensemble, une stratégie coloniale

Les premiers bidonvilles ont commencé à apparaître en Algérie dans les années
1920 (Lespès, 1930). Ils étaient le résultat de la paupérisation des campagnes et
étaient habités par une population quasi exclusivement algérienne du fait de son
incapacité financière à accéder à un logement décent. Il n’existait, en cette période,
pas de production de logements destinés aux musulmans même s’ils en avaient
eu les moyens, ceci dans le contexte d'un pouvoir colonial et d'une politique teintée
par la ségrégation entre population européenne et population musulmane.

Très tôt, on rendra compte de cet effet de déplacement des populations vers les
villes et de leur installation dans de l'habitat précaire. Dès 1922, les registres de la
municipalité d'Alger évoquent la présence de populations rurales dans des
constructions précaires en différents points de la ville. L'historien René Lespes fait
état, de son côté, du flux migratoire qui s'est mis en place entre l'intérieur du pays
et la ville d’Alger, soulevant de grands problèmes au niveau de l'hygiène (Lespès,
1930). En 1940, un groupe de conseillers municipaux publiera également une
communication abordant le problème :

Nos compatriotes musulmans [...] souffrent non seulement le plus de la pénurie de


logements mais encore de l'état de promiscuité dans lequel ils vivent à l'intérieur
de bidonvilles, exposés à toutes les intempéries et dépourvus de toutes conditions
d'hygiène. L'état de santé de la plupart d'entre eux en est déjà affecté. Il serait
inhumain, voire criminel de ne pas remédier à cette situation qui tend à se
perpétuer et à s'aggraver chaque jour.

Encadré 35 : Communication d’un groupe de conseillers municipaux, 1940 (Çelik, 2003, p.


186-188)

En 1948, les bidonvilles abritaient 50 000 personnes à Alger, un septième donc de


la population de la ville réparti dans 109 bidonvilles (Pelletier, 1955). Ce problème
133
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

est abordé dans l'étude menée par Jean Pelletier intitulée « Un aspect de l'habitat
à Alger : Les bidonvilles » (Pelletier, 1955). L'étude montre que cinq groupes
principaux de bidonvilles peuvent être définis (Carte 5).

Carte 5 : Répartition des bidonvilles à Alger (Pelletier, 1955, p. 281)

(I) L'agglomération de la vallée de l’Oued Lezhar au Nord ; (II) le bidonville de « Dar


Mahiéddine » constitué de deux parties séparées par deux belles villas autrefois
propriétés de la famille Mahiéddine et par un champ clôturé et gardé ; (III) Falaise
Cervantes , un des bidonvilles à l'aspect le plus démuni ; (IV) Clos Salembier, il
comptait environ 1500 baraques et 7000 habitants qui seront en partie relogés
dans le grand ensemble projeté de Diar El Mahçoul ; (V) bidonvilles Aboulker, Vinci
et Gentil qui regroupent 1000 baraques et 4000 à 5000 habitants.

En conclusion de l'étude, Pelletier pose la question de l'habitat musulman en


Algérie. Il qualifie celle-ci d'essentielle étant donné la surpopulation de la Casbah
134
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

et les conditions déplorables dans lesquelles vit la population musulmane. Il


évoque, à partir de là, la question de la possibilité de faire cohabiter musulmans et
européens. Pelletier explique que la ségrégation serait nécessaire en raison de
modes de vie et de comportements sociaux complètement différents. Il donne, à
cet égard, l'exemple des habitudes religieuses qui feraient obstacle à un habitat
mixte et notamment le mois du ramadhan, ou encore le fait que les musulmans
avaient obstrué certaines fenêtres par du moucharabier ou des cloisons
extérieures à claire-voie pour sauvegarder leur intimité. Pelletier fait le constat qu'à
Alger, dans les années 1950, « chacun habite de son côté » (Pelletier, 1955, p.
286). Ces conclusions vont dans le sens d’une des politiques adoptées par le
pouvoir colonial qui consiste en une sorte de solution d'entre deux : les cités
doubles avec le premier grand ensemble double de Diar El Mahçoul qui se
construisait à Salembier.

La cité Diar El Mahçoul accueillera donc européens et musulmans avec une partie
réservée à une population européenne et une autre à une population musulmane.
La cité Diar Essaada avec de meilleures normes de confort et des loyers plus
élevés accueillera une population européenne ainsi que les habitants musulmans
aisés de la Casbah qui avaient les moyens de payer le loyer. La cité climat de
France de son côté, appelée la nouvelle Casbah, accueillera une population
exclusivement musulmane.

Une des questions intéressantes abordées dans cette étude est celle du logement
dit « évolutif ». Pelletier explique que la population musulmane, en l'état actuel des
choses, ne serait pas assez évoluée pour habiter un logement européen et donc
les logements évolutifs doivent être aménagés plus sommairement et disposés de
façon à ne pas heurter les habitudes musulmanes. Si la question de la
configuration des logements peut être pertinente, la question des surfaces des
logements et de leur aménagement en équipements semble néanmoins répondre
à des préoccupations financières et participer d'une politique coloniale
discriminante.

135
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

En parallèle au problème posé par les bidonvilles, la maison algérienne


traditionnelle constituait un enjeu important pour le pouvoir colonial puisqu’elle
représentait pour les musulmans l’« espace inviolable » (Amrane, 1991, p. 45) ou
ils pouvaient défendre et retrouver leur identité. Elle était donc propice à la
résistance, d’autant plus que la structure même de la Casbah était un terrain idéal
pour la révolte des habitants. Il apparaissait donc nécessaire pour le pouvoir
colonial de l’ouvrir, de la démystifier et de la transformer (Çelik, 1997).

Afin de résorber l’habitat précaire et face à ces enjeux politiques et sociaux qui
primaient, le pouvoir colonial décide d’adopter la politique des grands ensembles.
Il s’appuie alors, notamment, sur les différents travaux d'anthropologues et
d'architectes qui ont démontré que si cette nouvelle forme d’habitat semble, a
priori, assez différente de la Casbah et des bidonvilles, elle n’est pas forcément
inadaptée aux modes d’habiter algériens. En effet, l’étude conduite par le CIAM-
Alger a montré, quelques années auparavant, suite à l’étude d’un bidonville d’Alger
– le bidonville Mahieddine – que les qualités architecturales de ce bâti informel
correspondaient parfaitement aux idéaux du modernisme en termes de
standardisation, d’abstraction géométrique et de fonctionnalisme (Çelik, 2003).

C’est dans ce contexte que la stratégie d’intégration de la population musulmane


aux cotés de la population européenne fut adoptée. Ainsi, plusieurs cités-villes
verront le jour dans le quartier de Salembier dont la cité Diar El Mahçoul, la cité
Diar Essaada ou encore d’autres cités. Ces cités sont alors caractérisées par une
dimension coloniale discriminante qui apparaitra dans leurs noms, dans les
normes des habitations (Deluz-Labruyère, 2004) et dans leur configuration spatiale
(différences de confort et distinction des parties européennes et musulmanes).
L'exemple de la cité Diar El Mahçoul illustre très bien cela puisque cette cité a été
initialement divisée en deux parties distinctes, l'une, nommée « Confort normal »
et destinée à une population européenne, l'autre, nommée « Confort évolutif » et
destinée à une population musulmane. Ces dénominations officielles, sous-
entendant que les populations autochtones doivent apprendre à se conformer aux
modes de vie européens, persisteront dans le temps, ce qui renforcera leur
136
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

caractère discriminatoire initial : pour preuve l’appellation « confort évolutif » ne


sera plus utilisée et sera remplacée par l’expression El Mahçoul employée
aujourd’hui par toute la population (El Mahçoul signifiant en l’occurrence la
promesse tenue par les acteurs politiques). Quant à la zone « confort normal »,
elle est devenue le « quartier confort » et est aujourd’hui le théâtre d’opérations de
réhabilitation alors qu’El Mahçoul connaît une paupérisation de ses habitants et
même un dépeuplement.

I.1.2. L’étude du groupe CIAM-Alger

Dans les années 1950, et dans le contexte de l'hégémonie des principes de


l'urbanisme moderne, un groupe d'architectes va étudier l'habitat algérien qui se
trouvait être en grande partie le bidonville. L'étude a abordé le plus grand bidonville
d'Alger à cette période, Le bidonville de Mahieddine. Les résultats de cette étude
ont été présentés au cours du CIAM 9. Le Congrès International d'Architecture
Moderne d'Aix-en-Provence a été l'occasion pour le groupe CIAM-Alger de
présenter son étude sur le bidonville Mahieddine et une vision moins rigide des
préceptes du modernisme qui étaient dominants en cette période.

Le congrès abordait le thème « habiter », le renvoyant aux fonctions de la


planification urbaine qu'avait défini Le Corbusier : habiter, travailler, se recréer,
communiquer. Le thème était explicité comme suit :

HABITER et tout ce que l'homme planifie et construit pour habiter », « Tout ce qui
est planifié pour l'habitat doit être flexible et [...] doit être capable de changement,
[...] les constructions humaines pour HABITER ne sont jamais passives,
l'ensemble organisé inclut l'enveloppe physique et la vie qui se développe à
l'intérieur. Il y a entre les deux constamment action et réaction.

Encadré 36 : Extraits de la présentation du thème du CIAM 9 (Çelik, 2003, p. 189)

Le groupe CIAM-Alger était constitué d'architectes et d'étudiants. Concernant les


architectes, s’y trouvaient Pierre-André Emery, Jean de Maisonseul, Louis Miquel
et Jean-Pierre Faure. Le groupe cherche, à travers cette étude, à montrer les
137
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

différentes leçons que nous pouvons tirer du bidonville, la relation fondamentale


qui lie l'homme à son architecture. Cinq thèmes principaux sont abordés :
Urbanisme, législation, construction, arts plastiques et questions sociales.

L’architecte Roland Simounet, encore étudiant à ce moment-là, mènera l’étude sur


le terrain comme il l’explique dans un entretien (Encadré 37).

Etant le plus jeune et le plus disponible, j'étais tout désigné pour travailler sur le
terrain. A cette époque, évidemment, nous étions un peu rédempteurs, mes aînés
imprégnés de conceptions hygiénistes étaient impatients de découvrir les résultats
de l'enquête. Je me glissais donc dans ce monde inconnu et réputé hostile. [...] A
mon grand étonnement, je découvrais un habitat spontané, ingénieux, économe
de moyens. Des espaces maîtrisés, un respect de l'ancrage et de la végétation.
Une vie de quartier organisée, une solidarité saisissante.

Encadré 37 : Extrait d’entretien avec Roland Simounet, 1995 (Tesoriere, 2005, p. 4)

Les méthodologies utilisées dans cette étude sont souvent empruntées à d'autres
disciplines comme il est souvent le cas dans le domaine de la recherche en
architecture, néanmoins, comme l'explique Zeynep Celik, si le groupe étudie les
facteurs démographiques et économiques à travers des données quantitatives, il
montre également, à travers des croquis, des habitants dans des situations
diverses (Çelik, 2003) (Image 8, Image 9).

138
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Image 8 : Croquis extrait de la grille du CIAM-Alger (Fondation Le Corbusier)

Image 9 : Croquis extraits de la grille du CIAM-Alger (Fondation Le Corbusier)

139
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

L’analyse de la grille du CIAM permet de dégager quelques points qui montrent la


complexité d'un bidonville où des activités commerciales existent, où les baraques
pouvaient être louées, où les habitants travaillaient et où un comité de défense des
intérêts des habitants existait :

- Aménagement des baraques :

Comme le montre la planche (Image 10), un espace partiellement couvert fait office
de transition entre l'extérieur et l'intérieur puis des pièces sont accessibles l'une à
partir de l'autre aménagées avec des lits de fortune et des tables. La légende
explique que l'aménagement est réduit au strict nécessaire pour des raisons
économiques évidentes.

Image 10 : Plan d’aménagement d’une barraque, Grille du CIAM-Alger (Fondation Le Corbusier)

140
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Image 11: Plan d’une gargote en R+1, Grille du CIAM-Alger (Fondation Le Corbusier)

Le plan d'une auberge avec gargote en R+1 (Image 11) est présenté ici montrant
une sorte de porche jouant le rôle de transition entre extérieur et intérieur avec à
l'intérieur des tables aménagées et un escalier permettant d'accéder au dortoir
situé au premier étage.

141
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Image 12 : Habitation du président du comité de défense de Mahieddine, Grille du CIAM-Alger


(Fondation Le Corbusier)

Cette planche (Image 12) montre un relevé très détaillé de l'habitation du président
du comité de défense de Mahieddine et énonce les bases essentielles du logis
musulman : la chambre, la cour, le patio couvert, la pièce d'eau et le WC. Le plan
montre une cour commune à deux habitations, un patio avec un auvent et une
seule pièce ouverte à l'intérieur de l'habitation.

142
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

La grille du CIAM montre également des espaces très intéressants développés par
les habitants et notamment cet espace (Image 13) qui sera repris ensuite dans
différentes propositions de logements :

[...] par exemple, telle façade, caractérisée par des murs porteurs, badigeonnés à
la chaux, percés de petites ouvertures et d'entrées surélevées desservies par
quelques marches. Une plate-forme basse et continue le long de la façade,
partiellement ombragée par le toit en saillie [Image 13], constitue un troisième
élément entre intérieur et extérieur dans un geste développé depuis la maison vers
la ville

(Çelik, 2003, p. 196)

Image 13 : Elément de transition entre intérieur et extérieur, Grille du CIAM-Alger (Fondation Le


Corbusier)

Dans le bidonville Mahieddine, la cour (Image 14) est un élément très important et
est considérée comme le domaine de la femme. Il est l'espace des différentes
tâches ménagères notamment la cuisine. Mais il est aussi un espace planté
d'arbres et est, en ce sens, un « élément de la vie et de poésie au milieu du
bidonville » (Çelik, 2003).

143
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Image 14 : La cour dans le bidonville Mahieddine, Grille du CIAM-Alger (Fondation Le Corbusier)

- L’organisation du bidonville :

En s’intéressant à la structure de cette petite ville, le groupe CIAM-Alger constate


que la cellule humaine constitue la matrice de cette forme urbaine et que tout le
reste est au service de celle-ci (Image 15).

Image 15 : Structure du bidonville, Grille du CIAM-Alger (Fondation Le Corbusier)

144
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Les planches montrent également la ségrégation des sexes inhérente à la culture


musulmane. A titre d’exemple, une partie de la grille (Image 16) montre les
hommes au café d'un côté et les femmes au hammam de l'autre.

Image 16 : Ségrégation des sexes dans le bidonville, grille du CIAM-Alger (Fondation Le


Corbusier)

- Un MODULOR spécifique à la population musulmane :

Une recherche est également menée sur les normes relatives à la population
musulmane et notamment à sa manière de s'assoir, à ses postures, etc.
constituant une sorte de MODULOR spécifique à la population musulman (Image
17).

Image 17 : Le MODULOR spécifique à la population musulmane, Grille du CIAM-Alger (Fondation


Le Corbusier)
145
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Les conclusions de cette étude sont, d'après les différents axes, les suivantes
(Çelik, 2003) :

 sur le plan législatif, la question de la propriété foncière est importante et


des mesures appropriées doivent être mises en place dans l'habitat qui sera
destiné aux habitants des bidonvilles ;

 sur le plan technique de la construction, l'étude des différents procédés


utilisés à Mahieddine donne des pistes sur un logement « économique » ;

 sur le plan des arts plastiques, l'étude met en évidence « l'importance


extraordinaire des aspirations instinctives et profondes des populations
musulmanes » ;

 sur le domaine social, l'étude avance la thèse qu'une synthèse peut être
établie entre la culture islamique et européenne et donner lieu à un « art
nouveau ». Par ailleurs, l'étude montre l'importance de la vie quotidienne
dans l'organisation du bidonville.

I.1.3. Analyser un bidonville pour « faire projet » :

Comme l'explique Tesoriere, utiliser la « description critique du réel comme étape


structurant l'invention architecturale » (Tesoriere, 2005, p. 7) fait que la démarche
ne correspond plus à celle du Mouvement moderne qui consiste en « la
schématisation d'un sujet en dehors de sa réalité sociale » (p. 7).

Le groupe CIAM-Alger retrouve dans les principes constructifs et les différentes


configurations du bidonville Mahieddine les principes du modernisme (Çelik, 2003)
que sont entre autres la standardisation, le fonctionnalisme et l'abstraction
géométrique. La suite de l'étude sera la construction de modèles types de barres
pour le logement temporaire de la population musulmane (Image 18).

146
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Image 18 : Prototype d’immeuble en hauteur, Grille du CIAM-Alger (Fondation Le Corbusier)

Dans son analyse de la grille du CIAM-Alger, Tesoriere définis les principales


caractéristiques du logement conçu par Simounet (Tesoriere, 2005) :

 le logement est desservi par des coursives communes qu'il éclaire et


ouvre sur le paysage. Celles-ci jouent le rôle des espaces de transition
relevés dans le bidonville ;

 les différents niveaux du sol et du plafond diversifient les espaces ;

 dans une optique fonctionnaliste relevée dans le bidonville, Simounet


épaissit la paroi de la porte d'accès pour concevoir différents rangements ;

 l'espace principal est subtilement divisé par l'escalier permettant d'accéder


à l'étage ;

 une partie de l'espace au RDC est en simple hauteur (sous la mezzanine),


l'autre en double hauteur et s'ouvre directement sur la loggia qui
représente les différents espaces collectifs communs à plusieurs
habitations dans le bidonville (patios et cours).

147
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Ainsi, pour Simounet, la tradition constructive est indissociable de la


compréhension des modes de vie (Tesoriere, 2005) :

[...] Dans l'algérois ou je suis né, et d'une manière générale dans le Maghreb, se
trouvent les éléments fondamentaux du Mouvement moderne en architecture : la
terrasse, le lait de chaux, la rue intérieure, le coté vernaculaire des choses, avec
cette géométrie simple que l'on retrouve dans la casbah ottomane d'Alger et qui a
séduit beaucoup d'architectes. [...] J'ai eu la grande chance de connaître l'habitat
primordial, le village authentique et même le bidonville, qui est le contraire du
taudis. Le bidonville est une structure vivante, une promesse de logement, alors
que le taudis arrive à détruire l'idée même du logis. J'ai commencé mon métier en
faisant des enquêtes de sociologie urbaine et, avant cela, en creusant des
canalisations dans les quartiers démunis. J'en ai toujours gardé quelque chose

Encadré 38 : Extrait d’entretien avec Roland Simounet (Tesoriere, 2005, p. 10)

L'irrégularité du bidonville amène les architectes à affirmer que la régularité et le


système cartésien prônés par l'urbanisme moderne ne sont pas la seule alternative
(Çelik, 2003).

Le premier projet de logements de Simounet, dans lequel il tente de concrétiser


ces conclusions, a été l'ensemble de la Montagne réservé aux musulmans (Image
19). A l'intérieur de l'équipe d'architectes chargée de concevoir le grand ensemble,
c'est Simounet qui prendra en main la conception des logements. Le grand
ensemble était composé de deux parties : des immeubles d’habitat collectif et des
maisons individuelles en cascade. Il matérialisera sa vision du mode d'habiter
algérien concevant notamment différents espaces à partir de ceux relevés dans
l'étude du bidonville Mahieddine (Çelik, 2003).

148
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Image 19 : Ensemble de la montagne (Daure, Béri, & Simounet, 1958)

En 1957, Simounet conçoit un autre projet de logement, celui de la cité de transit


des Carrières Jaubert (Image 20). Prévoyant au départ 1600 logements il a,
finalement, compté 800 logements.

Image 20 : Cité de transit des carrières Jaubert (Daure et al., 1958)

149
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Cet ensemble de logements est caractérisé par :

 une très grande structure organisée autour d'une cour ;

 des logements réduits contenant majoritairement deux pièces avec un


séjour de 18m² et une loggia de 7m² ;

 des appartements aménagés avec un mobilier réduit et transportable ;

 une attention particulière au mode de vie des familles algériennes en


familles élargies. A cet égard deux types d'appartements ont été proposés:
Le logement « double » constitué de deux appartements voisins et le
duplex ;

 la généralisation de l'éclairage direct et de la ventilation croisée ;

 l’absence des équipements sanitaires au niveau des logements mais leur


regroupement commun au niveau de la coursive arrière, pensée comme
une rue intérieure ponctuée d'espaces communautaires.

I.2. Le « Mode d’habiter »

Le terme mode d'habiter a beaucoup été utilisé par les sociologues et les
géographes et a fait l'objet de nombreuses études notamment par le philosophe
Thierry Pacquot, mais il a rarement été défini.

Dans leur introduction à « la fabrique des modes d'habiter » (Morel-Brochet &


Ortar, 2012), Annabelle Morel-Brochet et Nathalie Ortar s'intéressent à la notion
de « mode d'habiter ». Elles la définissent comme étant la manière dont l'individu
pratique l'espace qu'il habite, pense et y construit des liens. Il serait, selon elles,
caractérisé par trois dimensions : les pratiques correspondant à la dimension
factuelle, les représentations correspondant à la dimension idéelle et la matérialité
correspondant à la dimension physique.

Barbara Allen, une des auteurs ayant écrit sur le sujet, explique que le terme mode
d'habiter permet de « qualifier la rencontre entre une personne et un habitat. Elle
150
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

permet d'appréhender une certaine vision, perception, pratique du quartier propre


à la rencontre d'une personne singulière et d'un espace particulier » (Allen dans
Morel-Brochet & Ortar, 2012, p. 15). Elle souligne que « la nature des modes
d'habiter identifiés dans un quartier et leur mise en perspective permettent
d'éclairer la tonalité du quartier, d'identifier et d'analyser des mécanismes et des
processus propres au quartier lui-même » (p. 15). Elle rajoute que ces processus
et mécanismes « participent à la formation des modes d'habiter, comme, par
exemple, l'histoire de sa création, l'histoire de son peuplement, la qualité de la
gestion, le type de politiques dont il a bénéficié, etc. [que] C'est cela que nous
dénommons « dynamiques résidentielles d'un quartier » » (p. 15).

La notion est composée de deux mots « mode » et « habiter ». Le terme « mode »


désigne la manière et a été remplacé par celui-ci dans différents écrits pour
désigner la même chose. Le terme « habiter » n'est pas pris dans le sens « loger »
mais possède une dimension existentielle (Paquot, 2005). En effet, comme
l'explique Thierry Paquot, habiter c'est « construire votre personnalité, déployer
votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque
et qui devient vôtre » (Paquot, 2005, p. 54).

D’après Nicole Mathieu, la notion de « mode d'habiter » se trouve entre deux


concepts qu’elle explicite. Elle explique ainsi les origines de la notion (Mathieu,
2012) :

Le premier concept est celui de « genre de vie », il rend compte « des activités
quotidiennes d'un groupe humain en rapport avec les ressources et les lieux qui
forment son milieu de vie » (Mathieu, 2012, p. 38). Ce concept a peu à peu été
délaissé par les géographes du fait de la montée du concept d'espace à son
détriment et des mutations fondamentales qui s'opéraient dans les sociétés. La
notion de « mode de vie », de son coté, désignait le mode de vie urbain ou rural.
A partir des années 1970, et avec la tendance à qualifier d'urbain tout ce qui avait
trait au progrès, la notion de mode de vie ne montrait plus les différences
territoriales existantes et était donc peu pertinente pour la compréhension des

151
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

dynamiques socio-spatiales. A partir de là, s'est imposée la nécessité de forger un


nouveau concept qui serait plus adéquat pour comprendre les relations de
l'homme à son lieu de vie. Le terme « habiter » s'est donc substitué au terme
« vie » pour renforcer la dimension sociale et naturelle incluse dans ce dernier. Le
terme habiter, au sens que lui donne Mathieu Nicole, « ne renvoie ni au sens
restreint de « logement » ou de « bâti » qui domine l'urbanisme et l'architecture, ni
au sens métaphysique de « demeure terrestre » que la philosophie a mis en avant.
Il est censé être aussi complexe que le terme « vie » proprement dit et tend
également à mettre en relation, en synergie, en interaction, le sens actif sous-
jacent à celui d’« habitant » et le sens passif (ou objectivé) que contient l'idée
d' « habité », de lieux et milieux habités, habitables ou inhabitables. » (Mathieu,
2012, p. 50).

Construit ainsi, le concept de « mode d'habiter » permet d'appréhender les


relations qui s'établissent entre les lieux d'une part et les individus d'autre part. Le
colloque de Strasbourg en 2000, abordant le sujet, pose, en ce sens, plusieurs
questions essentielles :

- que nous révèlent les modes d'habiter sur les dynamiques actuelles de
recomposition des sociétés et des espaces urbains et ruraux ? Quels modes
de vie, rapports à l'environnement, usages de la culture, pratiques de
l'espace et formes de mobilité cristallisent-ils ?

- En quoi et comment l'habiter participe-t-il de formes différentes de


sociabilité/solidarité et de nouveaux clivages et tensions socio-culturels et
spatiaux, voire plus largement de la redéfinition du lien social et du rapport
habitant/citoyen ?

- Sous l'angle comparatif et historique, que nous enseigne-t-il sur l'évolution


des modèles de développement urbain et des relations villes/campagnes
en Europe, leurs spécificités, sur les discontinuités et les limites entre le
rural et l'urbain, sur les particularités du rural ?

152
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

A partir de là, quatre dimensions principales se dégagent du concept : « habiter et


travailler, habiter et se loger, habiter et circuler, habiter et vivre ensemble »
(Mathieu, 2012, p. 51). Pour notre part, nous nous concentrerons sur les trois
dernières dimensions même si la dimension « habiter et travailler » pourra être
abordée brièvement.

I.3. Modes d’habiter des grands ensembles en Algérie

Nous utiliserons ici, comme trame de notre analyse des modes d’habiter dans nos
terrains d’étude, les principaux éléments influençant les modes d’habiter en nous
référant à plusieurs auteurs.

Nous présentons ici les résultats de l’enquête approfondie menée dans le grand
ensemble de Diar El Mahçoul. Nous ferons néanmoins faire appel à des extraits
d’entretiens effectués dans d’autres grands ensembles à Oran ou Alger durant la
phase exploratoire.

I.3.1. Le point de départ :

Dans « Les racines : Une territorialisation de l'identité qui fragmente » (Ramos,


2012), Elsa Ramos étudie le rôle des racines dans la construction d'une identité
collective. Dans le cas des grands ensembles algériens, qui n'ont en majorité été
investis par leur population actuelle que depuis l'indépendance, les racines,
souvent lointaines sont remplacés par le point de départ, c'est à dire l'arrivée
mirifique des habitants dans ces grands ensembles et la prise de possession de
ces logements.

Le point de départ est ici celui de la possession d'un toit, d'un logement apportant
de nouvelles normes de confort qui n'existaient pas dans le logement habité par la
majorité des algériens sous la colonisation française puisque les algériens vivant
dans les grandes villes habitaient majoritairement la Casbah ou les différents
bidonvilles disséminés dans la ville.

153
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Les racines, dans ces grands ensembles ne sont donc pas la terre lointaine dont
on est originaire mais la cité dans laquelle on s'est installé après l'indépendance
ou encore nos pères et grands-pères. Les entretiens menés dans le grand
ensemble de Diar El Mahçoul permettent de saisir l'importance du grand ensemble
en tant que racine et la différence de perception du quartier lorsque l'on vient
d'emménager. Il s'agissait également de savoir dans quelle mesure l'appartenance
au quartier reste importante lorsqu'on a déménagé.

Comme l'explique Elsa Ramos, les racines ancrent spatialement l’identité familiale,
elles la territorialisent, les entretiens expriment très bien ce rapport aux racines :

Je suis d'El Mahçoul, mon grand-père habitait ici avant même l'indépendance et le
départ des européens

Encadré 39 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger

La référence aux pères et grands-pères apparait ainsi souvent dans le discours


des enquêtés, et sous-entend une légitimité dans le quartier.

Bien entendu, lorsqu'on vient d'emménager, le rapport au quartier n'est pas le


même. L'identité n'est pas liée à ce lieu :

Moi j'habitais dans le bidonville qui se trouve à coté à Salembier, je suis locataire
ici, je reste pendant quelque temps jusqu'à ce que je trouve mieux ailleurs

Encadré 40 : Extrait entretien de groupe, Homme, 55 ans, El Mahçoul, Alger

Dans le cas des habitants ayant quitté le quartier l'ancrage subsiste encore. En
effet, la quête d'appartements plus confortables, d'un appartement à soi lorsque
l'on veut fonder une famille ou encore l'immigration vers un autre pays, lorsqu’elle
amène des natifs du quartier à le quitter, n’empêche pas l'ancrage à celui-ci de
demeurer aussi fort comme nous l'explique un enquêté (Encadré 41).

154
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Ma famille a toujours vécu ici depuis l'indépendance. Il y a 3 ans j'ai décidé de


quitter le quartier et j'ai trouvé un nouvel appartement mais ça n'était pas la même
chose, deux ans après je suis revenu et je loue un appartement ici

Encadré 41 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger

Les différentes pages dédiées aux cités sur les réseaux sociaux permettent aussi
de constater l'ancrage identitaire des anciens habitants dans leur cité.

Ceci est également valable pour les européens ayant vécu dans le quartier, qui ont
quitté l'Algérie après l'indépendance ainsi que pour leurs enfants. A cet égard, les
sites web dédiés à leurs vies dans les différents grands ensembles foisonnent et
on peut y trouver beaucoup de témoignages.

I.3.2. L'expérience géographique :

Comme l'explique Annabelle Morel-Brochet, l'évidence et la trivialité de


l'expérience humaine qu'est le fait d'habiter rend sa profondeur très difficile à
décrire en des termes scientifiques (Morel-Brochet, 2012). La méthode des
entretiens se révèle, de son côté, peu révélatrice de l'expérience intime que peut
avoir l'individu dans son habitat. Dès lors, l'observation flottante utilisée par
l'anthropologue Colette Petonnet et éclairée par des entretiens nous permet de
mieux saisir l'expérience géographique liée au fait d'habiter. Nous rendons compte
de cette observation flottante sous la forme d'extraits de notre journal de bord.

D’après Morel-Brochet, Il y a plusieurs types d'expériences géographiques (Morel-


Brochet, 2012), celles qu'on oublie rapidement et qui ne jouent aucun rôle dans
notre vie, celles qui acquerront de l'importance et auront un rôle prépondérant dans
le futur et celles plus discrètes mais qui imprégneront inconsciemment notre vie.
Ces deux dernières expériences, qui pourront être reproduites par l'individu ou au
contraire servir de repoussoir, constitueront un socle de références influant sur la
relation habitante future (Morel-Brochet, 2012).

155
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

I.3.3. L'imprégnation médiale :

Selon Annabelle Morel-Brochet, ce sont des expériences marquantes liées au lieu


habité, pouvant être un paysage, une atmosphère ou des sensations (Morel-
Brochet, 2012). En l'occurrence, le paysage constitué par la baie d'Alger que l'on
peut admirer depuis la place des quatre vents dans la partie confort de Diar El
Mahçoul est un élément important de l'expérience du lieu. L'importance qu'acquiert
le paysage dans ce grand ensemble est observable et transparaît dans le discours
des enquêtés :

Il est 16h, nous nous trouvons sur la place des 4 vents, deux hommes sont assis
sur des chaises pliables, un vieil homme marche à petit pas lents vers le balcon
urbain, arrivé après de grands efforts il enlève ses lunettes, regarde la baie d'Alger
pendant quelques minutes puis continue sa promenade en longeant le balcon
urbain, ses gestes mécaniques nous amènent à supposer que ce circuit est
quotidien.

Encadré 42 : Extrait du journal de bord du 04/05/2017

Nous décidons de longer le balcon urbain pour aller à la nouvelle aire de jeu
aménagée récemment. Au passage nous remarquons un grand tapis étendu sur
la balustrade pour sécher. Des enfants jouent surplombés par leurs parents qui les
surveillent. Le téléphérique arrive et une foule de voyageurs sort de la station,
quelques-uns vont voir si leurs enfants sont dans l'aire de jeu, d'autre vont se
mettre sur le balcon urbain, les autres se dirigent vers les bâtiments.

Encadré 43 : Extrait du journal de bord du 04/05/2017

Dans certains cas, le paysage que l'on aperçoit par une fenêtre ou les bruits qu'on
entend font la valeur du dedans (Morel-Brochet, 2012), on peut citer dans ce sens
le cas de cet enquêté habitant un grand ensemble de Gambetta dans la ville d'Oran
et plus précisément une tour, l'une des plus hautes à Oran.

156
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

A partir d'en haut on peut voir toute la ville d'Oran et la mer. Je montais d'ailleurs
souvent sur le toit de la tour pour apprécier le paysage.

Encadré 44 : Extrait d’entretien, Homme, 28 ans, Cité des falaises, Oran

Dans d'autre cas, la localisation du lieu fait partie de l'expérience géographique de


l'habitant. En effet, certains grands ensembles dans la ville d'Oran ou d'Alger sont
localisés à la limite du centre-ville ancien et se sont retrouvés, avec les différentes
extensions de la ville, dans une position centrale. Plusieurs enquêtés expliquent
qu'ils ne peuvent quitter leur logement parce qu'il se situe en centre-ville et le
caractère citadin du quartier prend une grande importance pour eux.

A la cité Jean de la Fontaine on est à cinq minutes du centre-ville, je ne pourrais


jamais vivre dans les nouveaux logements construits à Belgaid...

Encadré 45 : Extrait d’entretien, Homme, 47 ans, Cité Jean de La Fontaine, Oran

I.3.4. Habituation :

Le terme habituation est emprunté à la psychologie sociale. Il est utilisé ici pour
rendre compte de « l'effet que produit sur la sensibilité géographique de l'habitant
une présence physique prolongée et de faibles intensités dans un milieu de vie, un
environnement » (Morel-Brochet, 2012, p. 75).

A cet égard, les enquêtés nous ont éclairé sur les habituations dont ils ont fait
l'expérience dans leurs cités. A titre d’exemple, certains habitants d’El Mahçoul ont
évoqué l'animation exceptionnelle qui existe dans le quartier (Encadré 46)

L'animation dans le quartier peut aller jusqu'à des heures très tardives. Nous les
natifs du quartier on y est habitués et on apprécie

Encadré 46 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, El Mahçoul

157
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

A l'opposé, les habitants récemment venus dans le quartier ne sont pas habitués
à cette animation et la perçoivent comme une nuisance :

Moi j'ai emménagé il y a quelque temps, j'habite juste ici, les cris et les discussions
sous ma fenêtre tous les jours de la semaine jusqu'à 2h du matin me dérangent
vraiment

Encadré 47 : Extrait d’entretien, Homme, 52 ans, El Mahçoul

Morel-Brochet ajoute que l'habituation a plusieurs facettes dont la familiarité qui


s’appuie, selon elle, sur des repères apportant un sentiment de maîtrise et de
sécurité. Elle « crée une forme de compétence habitante techniquement effective,
gestuelle, pratique ainsi qu'une connaissance, un savoir vis-à-vis de l'espace
habité » (Morel-Brochet, 2012, p. 77).

A ce sujet, plusieurs éléments ont été relevés au cours de nos observations dont
l'exemple de ce jeune homme dans Confort, sur la place du marché, qui en
recherchant un endroit discret se dirigeait vers une série de grosses colonnes en
pierre tout en informant son ami qu'il sera à l'abri des regards derrière telle colonne.
Le second exemple nous concerne nous-mêmes. Ignorant les règles sous-
jacentes de la pratique de l'espace public, nous nous sommes rapprochés d'un
immeuble en discutant et avons vite été rappelés à l'ordre par un habitant qui
passait : les pieds d’immeubles ne sont pas ici un espace public même si aucun
signe d’un quelconque changement du caractère de l’espace ne peut être aperçu.

I.3.5. Sédimentation mémorielle :

Les expériences géographiques du lieu ont une importance considérable dans la


construction du mode d'habiter. Une fois achevées, ces expériences sont stockées
dans la mémoire, plus ou moins filtrées, ne gardant parfois que certains aspects
spécifiques, et influent sur le mode d'habiter (Morel-Brochet, 2012). A ce propos,
les souvenirs liés aux lieux de l'enfance jouent un rôle essentiel. Les entretiens ont
permis de ressortir des images de l'enfance qui, selon les enquêtés, influent
clairement sur leurs choix résidentiels et leurs modes d'habiter qu'il s'agisse
158
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

d'habitants actuels des grands ensembles étudiés (voir Encadré 48) ou


d'européens ayant quitté le quartier dont on a pu accéder aux récits sur les sites
consacrés aux grands ensembles (voir Encadré 49) :

Nous, les habitants de ces deux barres [L’enquêté montre des barres sur notre
plan] avions l’habitude, quand on était enfants, de nous retrouver dans ce jardin
au centre avec les grands arbres, nous formions une petite houma, aujourd’hui il y
a des baraques dedans

Encadré 48 : Extrait d’entretien, Femme, 47 ans, El Mahçoul, Alger

[…] Pour couronner, de nos fenêtres, nous avions une vue exceptionnelle sur toute
la baie d’Alger, de Bouzaréah au Cap Matifou, quasiment 180° d’ouverture. Et en
particulier, vue sur toute la ville et le port.

Encadré 49 : Extrait de récit, Christiant Ripoll, Ancien habitant de Confort (enfant à l’époque)
(Alger-roi.fr)

I.3.6. Habiter les espaces publics :

Comme l'explique Anne Jarrigeon dans « Des corps aux lieux urbains habiter les
espaces publics » (Jarrigeon, 2012), lorsque l'on étudie les espaces publics sous
le prisme de l'habiter, on se retrouve face à un paradoxe. En effet, architectes et
sociologues opposent depuis longtemps le privé au public et le fait d'habiter est
souvent assimilé à un acte privé. Dans le cas de la population algérienne des
grands ensembles qui a sa propre définition de la notion de privacité, le paradoxe
ne peut qu'être plus accentué.

Une clarification s'impose, ici, des notions d’« espaces publics » et d'« espaces
privés » : les espaces publics sont, selon Thierry Pacquot, les espaces
géographiques accessibles au public, que les habitants peuvent arpenter qu'ils
habitent à proximité ou qu'ils soient étrangers à ces espaces, ces espaces peuvent
être des rues, des boulevards, des places, des parvis, des jardins etc. (Paquot,
2010). Cette définition rejoint celle qui a été donnée par l'école de Chicago qui

159
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

considère comme espace public tout lieu urbain ouvert au public. L'espace privé
est, par opposition, le lieu où l'on se prive des autres, l'espace individuel et
personnel régi par le propriétaire qui en autorise l'accès à des personnes tierces
(Paquot, 2010).

L'exemple de la cité Diar El Mahçoul montre très bien toute la complexité que peut
contenir le fait d'habiter collectivement l'espace public. En effet, dans les espaces
ouverts aux publics, la privacité peut s'imposer sans pour autant que les espaces
soient fermés.

Entre les notions d'espace public et d'espace privé se trouvent celles d'espace
semi-public qui peuvent être des espaces communs comme une cour intérieure ou
des espaces semi-privés comme le hall d'un immeuble. Ces espaces sont régis
par le libre accès mais intègrent également les règles de leurs propriétaires
(Paquot, 2010). Ce qui nous amène au fait que la complexité des frontières entre
public et privé dans le quartier de Diar El Mahçoul réside également dans le fait
que certains espaces conçus comme semi-publics comme les cages d’escaliers
extérieures peuvent devenir privés.

Dans le cas de la cité Diar El Mahçoul, et particulièrement la partie « El Mahçoul »


pour des raisons de surpeuplement, l'espace privé empiète sur l'espace public et
semi-public. Ces derniers n'existent plus d'ailleurs remplacés par des logements
précaires et sont donc aujourd'hui des espaces privés de fait (Image 21).

160
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01

Image 21 : Barraques envahissant les espaces semi-publics à El Mahçoul, Alger, Auteur, 2017

Conclusion du chapitre I :

D’une part, confirmant l’hypothèse émise, les différents éléments mis en évidence
nous permettent de conclure à un mode d’habiter qui s’est adapté à un habitat
nouveau et qui a agi sur lui en le transformant. En effet, sociabilités, structures des
familles, conceptions de l’intimité et manières d’habiter l’espace public ont pu
subsister dans la nouvelle forme d’habitat, cela étant d’ailleurs en partie facilité par
certains principes communs entre l’habitat musulman et l’urbanisme moderne. On
peut, dès lors, remettre en cause le présupposé déficit d’appropriabilité des grands
ensembles tant décrié. D’autre part, il est clair que le type d’habitat a également
eu un impact sur les modes d’habiter, non pas en apprivoisant un peuple qui se
rebellait (la stratégie coloniale ayant échoué en ce sens), mais en intégrant des
éléments nouveaux à ces modes d’habiter tel que la citadinité (par rapport à une
population largement rurale ou bidonvillisée), une manière différente d’occuper
l’espace public, des espaces et des ancrages identitaires nouveaux que nous
aborderons dans le chapitre suivant.

161
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

II. Des identités dans les grands ensembles

Introduction :

« Si l’identité concerne l’individu comme le groupe, elle n’est pas étrangère à la


géographie, bien au contraire. Parfois, comme chez les eskimos étudiés au début
du XXe s. par Marcel Mauss, les noms de groupes se confondent avec les noms
de lieux. Dans ces conditions, on peut faire l’hypothèse que le rapport des sociétés
à leurs espaces, lieux et territoires, comporte une forte dimension identitaire. »
(Di Méo, 2002, p. 175)

Parmi les grandes critiques opposées aux grands ensembles on retrouve


l’uniformité, la répétition, la monotonie et un manque de repères qui, selon
beaucoup, empêcheraient la constitution d’identités dans cette forme d’habitat.
L’étude d’Agnés Villechaise d’un quartier de grands ensembles près de Bordeaux
a conclu, en effet, à l’absence d’identité collective dans ces cités (Villechaise,
1997). Le titre de cette étude, « la banlieue sans qualité » en est d’ailleurs
révélateur. Mais comme nous l’avons montré dans les premiers chapitres, les
situations d’un grand ensemble à un autre et d’une société à une autre peuvent
grandement différer. Dans le cas des grands ensembles de Salembier, le lien
étroit, mis en évidence plus haut, entre habitant et habité nous amène à formuler
l’hypothèse que, dans ces cités d’habitat social héritées, se sont constituées des
identités collectives spatialement marquées. A cet égard, le retour aux notions
d’identité et d’identité collective s’est avéré nécessaire, ces termes étant de plus
en plus utilisés dans le domaine du développement local sans pour autant que l’on
mesure toujours leurs portées théoriques et empiriques (Dionne & Thivierge,
1997). C’est ainsi que nous commencerons par définir plusieurs notions liées à
l’identité pour ensuite étudier l’émergence d’identités collectives dans notre terrain
d’étude.

162
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

II.1. La notion d’identité

II.1.1. L’identité statique et identité mouvante :

L’identité a de tout temps joué un rôle important dans les sociétés, elle représente
aujourd’hui un concept majeur dans plusieurs disciplines telles que les sciences
sociales. Plusieurs définitions en ont été données, nous nous intéresserons ici à
celle donnée par Guy Di Méo :

L’identité, en tant que concept opératoire pour la recherche en sciences sociales,


se situe à l’intersection active des dynamiques majeures produites par les individus
et par les groupes dans leurs rapports tant sociaux que spatiaux. Elle concerne
toutes les formes d’interaction qui les animent, la culture, la mémoire… Il s’agit
donc d’une construction permanente et collective, largement inconsciente bien que
de nature politique et idéologique (sujette à des manipulations multiples), bien
qu’empreinte aussi de réflexivité, exprimée par des individus qui la formulent et la
diffusent.

(Di Méo, 2009, p. 1)

Identités, identifications, appartenances, sont autant de termes aujourd’hui repris


dans les projets de développement local. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, la
notion de l’identité a connu, à partir des années 1960-1970, un tournant majeur.
Ce tournant, qui semble accompagner les différentes mutations sociétales,
consiste en le passage d’une identité statique à une identité mouvante (Di Méo,
2009).

Guy Di Méo situe les prémices de ce changement dans les villes américaines.
Celles-ci ont vu la montée en visibilité de différentes minorités et le façonnage
d’identités sur la base du sentiment de domination qu’elles éprouvaient ainsi que
sur leurs différentes particularités culturelles. Il s’agit, selon Di Méo, de
« l’affirmation sociale de l’individu » (Di Méo, 2009, p. 1), une affirmation qui aurait
permis de dépasser le poids des structures et des traditions pour permettre la
construction d’identités nouvelles. La notion d’identité anciennement connue et
163
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

imposée par les systèmes politiques, les traditions et les systèmes de valeurs se
transforme donc aujourd’hui en une identité qui émane du sujet, qui implique son
activité et une démarche plus volontariste (Di Méo, 2009).

Di Méo explique que l’individu aurait, dès lors, deux sortes d’identités qu’il explicite
dans le passage suivant :

[…] il convient, pour notre propos, de discerner deux formes de l’identité


individuelle. L’une, forme identitaire à peu près pérenne, correspondrait à «
l’identité-mêmeté » de Ricoeur, soit aux dispositions les plus profondes, les plus
stables et les plus durables d’un être ne pouvant échapper à la continuité et à la
permanence de sa personne. L’autre correspondrait à une forme plus libre et plus
interprétative du rapport identitaire à soi-même. Cette « identité-ipséité » dont parle
Ricoeur se rapprocherait de la notion de « quant à soi » développée par François
Dubet (1994). C’est sur ce dernier segment de l’identité individuelle que porterait
la réflexivité du sujet, avec, pour tout dire, une insistance contemporaine
particulière.

(Di Méo, 2009, p. 2)

Autrement dit, deux types d’identités cohabiteraient, chez l’individu, d’un côté,
l’identité stable, intemporelle et quelque peu uniformisée qui peut être une
identification à un pays, à des origines ou à un système de valeur etc. De l’autre
côté, une identité plus mouvante et plus libre.

Il y a donc un recul de l’influence des structures, des traditions et des héritages sur
l’identité au profit d’éléments plus temporels et plus individuels. Ceci s’explique,
selon Guy Di Méo, par la multiplication des appartenances objectives de l’individu
(Di Méo, 2009). Il s’agirait alors, pour ce dernier, de choisir et de hiérarchiser
celles-ci dans le but de construire son identité. Ce changement nous intéresse
particulièrement dans cette étude puisque, comme nous allons le voir, le terrain
d’étude voit se constituer, de multiples identités, correspondant à plusieurs
espaces et sur différentes échelles.

164
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

II.1.2. Identité et culture :

Le concept d’identité est étroitement lié à celui de culture. Celle-ci désigne


« l'ensemble des savoir-faires, des pratiques, des connaissances, des attitudes,
des valeurs, des idées et des représentations que partage un groupe et qui
influencent ses rapports à l'espace. Elle est également le ciment permettant à
chaque individu de s'identifier à une population » (Garnier, 2015, p. 13). L'identité
s'inscrit, selon Edwige Garnier, dans une culture construite qu’elle façonne par la
sélection d'un nombre d'éléments qui caractérisent l'individu et le groupe :
Coutumes, genres de vie, valeurs et conceptions du monde (Garnier, 2015).

II.1.3. L’identité à l’ère de la mondialisation :

L’identité revêt aujourd’hui une importance capitale dans le développement des


territoires. En effet, Castells explique, en 1999, que face à la mondialisation deux
forces seraient opposées : la globalisation d’un côté et l’identité de l’autre (Castells
cité dans Garnier, 2015). La globalisation serait génératrice d'homogénéisation qui
donnerait lieu à une réaction de fragmentation pour échapper à la perte de son
identité propre. Michel Wierviorka définit deux conditions nécessaires pour
déclencher un processus d'affirmation identitaire collective : une situation d'abord
de domination et de rejet (exclusion, ségrégation, discrimination). La deuxième
condition est l'existence d'une vision positive de soi-même. L'affirmation identitaire,
dans ce cas, serait un moyen de sortir d'une image stigmatisée, en se créant une
image valorisante (Wierviorka cité dans Garnier, 2015). L'identité d’une part
fonctionne comme « le moyen de légitimer un groupe dans un espace dont il tirera
de substantielles ressources » (Di Méo, 2002, p. 175) et d’autre part, « utilise le
territoire comme l'un des ciments les plus efficaces des groupes sociaux » (p. 175).
Les identités participent donc autant à la construction des territoires que ces
derniers contribuent à la formation des identités.

165
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

II.1.4. L’identité collective :

La notion d'identité collective, quant à elle, peut être apparentée à une mise en
scène et à une construction dont les supports sont des traits réels de la vie
matérielle et des valeurs (Garnier, 2015). Elle est un « discours que les groupes
tiennent sur eux-mêmes et sur les autres pour donner un sens à leur existence »
(Claval cité dans Garnier, 2015, p. 14). Elle est donc au centre des relations entre
espace et identité.

A propos de l’identité collective, qui nous intéresse particulièrement ici, Di Méo


évoque, dans ce passage, le concept de « personnification de groupe » élaboré
par Edmond Marc Lipianslky.

[…] un véritable processus identitaire collectif, s’inspirant des logiques et des


mécanismes de l’identité personnelle. En fait, si l’identité personnelle s’appuie sur
l’intériorisation du social, réciproquement, l’identité sociale s’élabore par projection
sur le groupe des attributs de l’individualité. On retrouve là le principe
« d’extériorisation de l’intériorité » cher à Bourdieu, ou le « processus
d’accommodation » décrit par Piaget.

(Di Méo, 2002, p. 177)

Autrement dit, les traits et les éléments qui sont d’ordinaire attribués aux
personnes se retrouvent attribués au groupe. A titre d’exemple, Di Méo cite le cas
de la personnification de la ville de Lyon démontrée par Pierre-Yves Saunier et qui
se matérialise par ce qui a été appelé « l’esprit lyonnais », un ensemble de
comportements supposés, qui participent à l’élaboration d’un mythe (Di Méo,
2009).

C’est ainsi que nous tenterons, à l’aide de l’observation flottante sur le terrain et
des entretiens avec les habitants, de faire une esquisse de ce que sont l’esprit
« Confort » et l’esprit « El Mahçoul » et de mettre en évidence la multiplication des
identités collectives à Salembier.

166
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

II.2. La question de l’identité dans les grands ensembles

Une des principales critiques concernant les grands ensembles est l’absence
d’identité en leur sein. Néanmoins, l’étude de certains grands ensembles a permis
de mettre en évidence la constitution d’identités collectives fortes dans ces cités
d’habitat social. Nous étudierons, en ce sens, le cas du quartier du « Haut de
Garonnes » qui a fait l’objet d’un travail d’analyse par Cyprien Avenel (Avenel,
2000).

A partir d’entretiens et d’observations Cyprien Avenel étudie le rapport des jeunes


hommes au quartier sous le prisme de l’identité. Le quartier, comme beaucoup de
grands ensembles présente des difficultés sociales telles que le chômage et la
pauvreté.

Les entretiens ont montré un fort attachement des jeunes hommes à leur cité, un
attachement qui est le résultat des liens de sociabilité formés avec les autres
habitants mais aussi d’un lien avec le grand ensemble qui représente les racines.
Ceci transparait clairement dans le discours des enquêtés (Encadré 50).

La cité, c’est la maison. Vous voyez, ce groupe-là, du plus jeune au plus grand,
c’est une deuxième famille. On a la famille du haut et on a la « millefa » du bas.
Voilà. On a deux familles. En prenant famille en verlan, c’est pour déterminer le
bas : c’est la cité. En mettant un peu de verlan, on détermine bien ce qu’on veut
penser. C’est la millefa. C’est une bande de copain. J’ai tout le temps envie d’être
en bas et tout le monde a toujours envie d’être en bas. C’est-à-dire qu’on est
toujours en bas. Cela fait exactement 18 ans que j’habite là, au même étage, la
même tour, et je m’y plais ! On y est bien ! C’est une famille.

Encadré 50 : Extrait d’entretien mené par Cyprien Avenel avec un Homme, 21 ans, célibataire,
chômeur, CAP

167
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

Outre les différentes dénominations utilisées par cet enquêté, Cyprien Avenel
relève que les jeunes hommes désignent leur quartier par le terme « la maison ».
Cette toponymie vécue montre combien les habitants sont étroitement attachés à
leur cité. Nous pouvons retrouver ce type d’appellation dans d’autres grands
ensembles, à commencer par la cité radieuse de Le Corbusier où la barre est
désignée par le terme « village vertical » reflétant une sociabilité particulière qu’on
ne trouverait plus dans la ville (Denèfle, Bresson, Dussuet, & Roux, 2006).

Par ailleurs, le quartier semble offrir un ensemble de ressources économiques à


ses habitants. En effet, à travers un système d’échange de biens et de services
qui s’est mis en place, l’habitant peut faire face à la précarité qui peut exister dans
ce grand ensemble. Se constitue alors un mode de solidarité spécifique au
quartier.

Néanmoins, la cité qui constitue un appui mental essentiel peut aussi constituer
une frontière qu’il est difficile de franchir. Ségrégation et exclusion participent au
renfermement des habitants à l’intérieur de leur grand ensemble.

Cette étude soulève, comme nous le verrons, des éléments semblables à plusieurs
égards à notre terrain d’étude que nous nous proposons d’aborder ici sous l’angle
de l’identité.

II.3. Une multiplication des identités à Salembier

Cette partie montre les résultats de l’enquête qui concernent les grands ensembles
de Diar Esaada et de Diar El Mahçoul situés dans la commune de Salembier.

Salembier est un quartier-commune constitué de plusieurs sous quartiers : Diar


Essadda, Diar El Mahçoul, Beaux regards, Hammam Kdim (vieux bain) etc.
correspondant aux différentes cités d'habitat social et à quelques zones d’habitat
pavillonnaire.

À Salembier, les appellations populaires des différents quartiers sont diverses et


les limites qu’elles désignent diffèrent d’un individu à l’autre. Si les limites

168
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

administratives de cette commune n’ont pas évolué, les représentations qu’en ont
les habitants ont, quant à elles, changé. Une dissociation entre la cité Diar El
Mahçoul et Salembier existe à titre d’exemple dans le discours des enquêtés,
notamment chez les habitants de Diar El Mahçoul (Smair & Kacemi, 2019). Cela
apparait clairement lorsqu’un des enquêtés emploie à plusieurs reprises
l’expression « Quand je vais à Salembier » alors qu’il s’y trouve déjà (Smair &
Kacemi, 2019), rappelant la description que fait Georges Perec du quartier : « La
partie de la ville dans laquelle on n’a pas besoin de se rendre, puisque précisément
on y est » (Perec, 2010, p. 113). Cet habitant, dont les propos sont exemplaires
des façons de parler des résidents de Diar El Mahçoul, nous expliquera par la suite
que les habitants des autres quartiers de Salembier n’aiment pas cette
différenciation sous entendue.

La question de la perception des limites du quartier est ici liée aux identités
collectives associées aux différentes cités comme l’expliquent clairement la
majorité des enquêtés :

Bien sûr que Diar El Mahçoul fait partie de mon identité, c’est la même chose pour
les habitants de Diar Essaada ou de Diar Echems, d’ailleurs après la démolition
de Diar Echems les habitants ont demandé à être relogés dans un même
quartier… ça en dit long.

Encadré 51 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, Diar Essaada, Alger

Ainsi, si l’appartenance à Salembier, qui est un des quartiers populaires les plus
anciens de la ville d’Alger, est très forte et revendiquée par de nombreux habitants
rencontrés, il reste que l’appartenance aux grands ensembles de Salembier, les
trois principaux étant El Mahçoul, Confort et Diar essaada, surpasse souvent la
première et s’en dissocie même clairement. Ce constat met en exergue la
particularité de ces grands ensembles qui, à l’opposé de ceux typiques de la
production de l’urbanisme moderne caractérisés par l’absence d’identité collective
(Villechaise, 1997), présentent une identité forte et revendiquée par leurs habitants
(Smair & Kacemi, 2019).
169
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

Cela étant dit, quelques entretiens ont montré que pour certains habitants, les
différentes limites des quartiers cités précédemment ne font pas toujours sens
dans la mesure où l’espace considéré comme familier et auquel ils s’identifient se
polarise autour des équipements, à commencer par ceux scolaires : écoles
primaires, secondaires ou lycées dans lesquels ils ont effectué leur scolarité et
créé des relations d’amitié. Mais il faut également compter avec les monuments
emblématiques comme le Monument des martyrs ou certaines statues qui lors de
plusieurs entretiens apparaissent clairement comme des points de repères
centraux (Smair & Kacemi, 2019).

Dans certains cas, les représentations de l’espace auquel on s’identifie semblent


être aussi liées à la capacité de mobilité des habitants. En effet, les enquêtés
jeunes ont plus tendance à s’identifier au quartier à partir d'une échelle plus
grande, alors que des enquêtés plus âgés s’identifient à un espace plus limité
comme nous affirmera, dans ce sens, un jeune habitant de Confort lors d’un
entretien de groupe :

Mon quartier va de Diar Essaada au monument aux martyrs en passant par Diar
El Mahçoul et Confort

Encadré 52 : Extrait d’entretien de groupe, Homme, 21 ans, Confort

La perception des limites du quartier auquel on s’identifie semble par ailleurs liée
à l’espace pratiqué quotidiennement. Les enquêtés âgés de 15 à 25 ans,
ajouteront, lors de l’entretien de groupe évoqué plus haut, que les limites du
quartier auquel ils s’identifient vont au-delà des limites de leur grand ensemble
pour couvrir toute la commune, recherchant les différents espaces publics de ses
quartiers qui sont moins proches des logements et dans lesquels ils peuvent avoir
une certaine liberté sans nuire à l’intimité des habitants (Encadré 53).

Nous venons dans des endroits comme celui-ci pour nous éloigner des habitations
et ne pas nuire à l'intimité des familles qui y habitent ... Pour nous, les limites de
170
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

notre quartier vont de Diar Essaada au monument des martyrs en passant par Diar
El Mahçoul [C'est à dire une grande partie de la commune] puisque nous nous
rencontrons dans les différents espaces comme celui-ci de ces quartiers

Encadré 53 : Extrait d’entretien de groupe, Homme, 20 ans, Diar Essaada, Alger

II.4. De la discrimination conçue à l’émergence de deux identités

Diar El Mahçoul nous intéresse ici parce que c’est un grand ensemble qui n’est
pas homogène. Il est composé de deux parties séparées par un boulevard : la
partie Nord ayant une vue sur la baie d’Alger appelée « Confort », et la partie Sud
plus en retrait qui était appelée « confort évolutif » et qui est El Mahçoul.

Si les deux parties du grand ensemble ont été pensées à l’origine comme une
seule unité dans laquelle la population musulmane pouvait vivre au côté de la
population européenne – vision utopique et libérale que partageaient le maire
d’Alger Jacques Chevalier et l’architecte Fernand Pouillon – la dimension
discriminatoire a tout de même été inscrite dans l’architecture des cités. En effet,
on y observe une barrière physique importante incarnée par le boulevard, une
différence quant aux normes de confort et des disparités dans la conception des
espaces publics et de l’architecture des blocs d’habitation. A partir de là, ces deux
parties ont évolué de manière différente et séparément. Si on s’intéresse aux
différentes appellations des deux parties, on se rend compte que l’appellation
initiale et administrative de « Diar El Mahçoul », qui désigne les deux parties du
grand ensemble, ne renvoie actuellement qu'à la partie originellement destinée aux
musulmans (abrégée souvent en « El Mahçoul ») revêtant un caractère péjoratif
par rapport à la partie initialement destinée aux européens, celle-là même qui est
nommée à partir d'un mot français : « Confort ».

En outre, ces deux parties ne sont pas dans le même état de salubrité et ne font
pas l’objet d’une même politique de la part des autorités locales actuelles. Si la
partie « Confort » est assez bien entretenue et n'a pas connu de transformations
majeures, la partie « El Mahçoul » est aujourd’hui, en revanche, dans un très

171
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

mauvais état physique. Elle a vu effectivement ses espaces publics être envahis
par des baraques faites de matériaux de récupération (parpaings, planches,
plaques de taule...). Quant à ses caves, elles sont aujourd'hui habitées par des
familles démunies. Alors que la partie « Confort » fait l’objet actuellement d’un
projet de restauration des façades, celle d’« El Mahçoul » fait l’objet d’expulsions
progressives de ses habitants qui sont relogés ailleurs dans la ville d'Alger, sans
que personne ne sache vraiment ce que va devenir cette partie de la cité. Les
différences de conditions de vie semblent avoir des répercussions importantes sur
la pratique de l’espace et sur la vie sociale.

II.4.1. L’esprit « Confort »

Si la partie « Confort » jouit d’appartements assez spacieux pour la plupart, les


espaces publics dont elle dispose et l’appropriation qui en a été faite par les
habitants participe à la constitution d’un style de vie et d’une identité propre. Les
observations effectuées dans cette partie du quartier à différentes heures de la
journée nous ont permis d'avoir un aperçu de ce qui constitue l’identité de Confort :

Il est 16h. Nous partons vers la place du marché, un vendeur de légumes en


camionnette circule dans tout le quartier en klaxonnant et en criant ses légumes
afin de prévenir les femmes à l'intérieur des logements de son arrivée. Il finit par
s'arrêter sur la place du marché et rapidement un attroupement se produit autour
de lui.

Il est 17h, nous arrivons à la place du Marché (Photo 35) par des escaliers sous
un des immeubles cernant la place. Des enfants ont improvisé un terrain de foot
entre les voitures stationnées sur ce qui servait le matin même de marché et qui
servira le soir de parking. Beaucoup de spectateurs regardent le match tout autour
en petits groupes utilisant les différents éléments architecturaux pour s'abriter du
soleil ou s'installer confortablement.

172
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

Photo 35 : Place du marché, Diar El Mahçoul, Confort. Photo auteur, 2017

Nous avançons au sein de la place du Marché où l’on trouve des groupes


d’adolescents discutant aux coins des immeubles, cet espace étant plus calme et
plus propice à la discussion. Quelques adolescents jouent au billard sur une table
ramenée sur la place à l’air libre (Photo 36), elle semble y être depuis très
longtemps. Deux adolescents discutent dans une sorte de balcon urbain donnant
sur la baie d'Alger et couvert par un portique dans lequel ils s’abritent des regards.

173
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

Photo 36 : Place du marché, jeunes jouent au billard. Photo auteur, 2017

Nous descendons les marches de l’escalier monumental (Photo 37) vers la place
des quatre vents qui, plus en retrait, est beaucoup plus calme. Des enfants de bas
âge jouent ; ils sont surveillés par un groupe de parents qui discutent.

Il est 18h. Le muezzin appelle à la prière du maghreb, les deux places se vident
instantanément et les adultes se dirigent vers l’ancienne église transformée en
mosquée.

Nous sommes sur la place des quatre vents à proximité des immeubles lorsqu’un
habitant nous interpelle et nous demande gentiment de nous éloigner un peu de
l’immeuble et des fenêtres au rez-de-chaussée pour ne pas porter atteinte à
l’intimité des familles. L'espace public est ici régi par des règles que nous ignorons.

Nous nous dirigeons vers le belvédère (Photo 38) ou un groupe de personnes


regardent le paysage de la baie d’Alger en désignant de temps en temps un endroit
174
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

ou un autre. En restant un moment sur place, nous voyons plusieurs habitants


venir regarder ce paysage, celui-ci semble avoir une place importante dans le
quartier.

Photo 37 : Passage en escalier sous immeuble, Confort. Photo auteur, 2017

175
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

Photo 38 : Place des quatre vents, Confort. Photo auteur, 2017

Au soir, une partie de la place cernée par des locaux rarement utilisés est investie
par des petits groupes de jeunes ou d’adultes qui jouent au domino, boivent de
l'alcool pour certains, et discutent en faisant beaucoup de bruit. Cet espace isolé
semble être celui des activités bruyantes ou mal vues dans le quartier (Photo 39).

Encadré 54 : Extrait journal de bord du 10/10/2017

176
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

Photo 39 : Espace isolé sur la place des quatre vents. Photo auteur, 2017

Nos observations ont permis de mettre en lumière plusieurs points :

 une appropriation de l'espace public caractéristique de ce quartier. Elle est


marquée par de la polyvalence, le même espace pouvant servir à
différents moments de la journée aussi bien de marché, de stade de foot
que de parking ;

 les éléments architecturaux tels que les escaliers monumentaux, les


arcades ou les balcons urbains sont non seulement des points de repère
mais également des points de rencontres pour les habitants ;

177
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

 les espaces sont hiérarchisés de façon tacite : les grandes places


accueillent les activités bruyantes, les espaces plus calmes et protégés
jouent le rôle d'espace de jeu pour les enfants de bas âge surveillés par
leurs parents et les espaces davantage isolés et éloignés sont le théâtre
d’activités mal perçues par les habitants et souvent le fait de jeunes
hommes ;

 le paysage synoptique sur la baie d’Alger que l'on peut observer à partir
de la place des quatre vents semble être un lieu de pèlerinages quotidiens
pour les habitants de « Confort » au point de faire partie intégrante de leur
identité ;

 L'espace public, très utilisé par les hommes comme espace de rencontres
et de réunions, reste pour les femmes un espace exclusivement traversé
souvent d’un pas pressé, et ce, pour aller au travail, à l'école, à l'université
ou faire des commissions. C’est dire si les rencontres et les réunions entre
femmes se font dans les bâtiments et à l'intérieur des logements.

Les entretiens ont, de leur côté, permis de mettre en évidence une identité fondée
sur une pratique de l’espace public particulière. Celle-ci est visible lors des
différentes fêtes religieuses ou lors des manifestations sportives, ou même lors
d’activités quotidiennes telles que le marché qui prend place chaque jour sur la
place momentanément reconvertie à cet effet (Smair & Kacemi, 2019). Les
enquêtés se sont en effet empressés de nous raconter l’atmosphère agréable des
fêtes où les habitants investissent massivement l’espace public tout en maintenant
une certaine séparation entre les sexes. Ils font preuve d’une grande solidarité
entre eux comme durant les deux fêtes de l'aïd (Fête religieuse du sacrifice du
mouton) ainsi que lors d’événements tragiques comme les décès (Encadré 55).

Lors de la fête de l'aïd tous les habitants des blocs effectuent les tâches
ménagères (inhérentes à cette fête) en commun, les hommes investissent les
espaces publics tandis que les femmes ouvrent leurs appartements et investissent
certaines terrasses invisibles depuis la rue... A la fin de la journée, tout le monde
178
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

repart avec sa part du mouton sacrifié même si un habitant n'a pas pu faire le
sacrifice par manque de moyens.

Encadré 55 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, Confort, Alger

Un autre habitant de Confort, lui aussi originaire du quartier, âgé de 35 ans, nous
mettra au courant des pratiques qui ont cours lors des décès :

Lorsqu'il y a un décès, les voisins du défunt ouvrent leurs appartements aux gens
qui viennent présenter leurs condoléances et aident financièrement la famille du
défunt

Encadré 56 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger

L'espace public est également investi par des masses d’habitants durant les
différentes manifestations sportives. Soulignons qu’un projecteur est installé sur la
place des quatre vents pour les grands événements, des chaises sont disposées
en grand nombre (Smair & Kacemi, 2019).

II.4.2. L’esprit « El Mahçoul »

La partie « El Mahçoul » souffre d’un très grand surpeuplement dû aux surfaces


très réduites des appartements. Ces surfaces sont très en dessous des normes :
un F2 type, possédant par exemple une surface de 32 m², est souvent habité par
des familles élargies de plus 5 personnes et pouvant aller jusqu’à 12 personnes.

Ce surpeuplement a non seulement un effet sur le cadre physique du quartier


(dégradation) mais aussi sur les pratiques sociales de l’espace. En effet, les
espaces publics auxquels l’architecte de la cité (Fernand Pouillon) a accordé une
attention particulière n’existent plus aujourd’hui, étant donné qu'ils sont remplacés
par de l’habitat précaire, notamment des baraques que l’on retrouve surtout au rez-
de-chaussée et qui sont destinées à étendre les logements. Dans les faits, ces
baraques servent souvent aux activités domestiques (cuisine, couchage…) mais
aussi à des activités commerciales (épicerie, vente de bétail...) (Smair & Kacemi,
2019).
179
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

Du fait de la surpopulation des logements et des espaces publics encombrés au


sein même du grand ensemble, les habitants sont dans l’obligation de passer le
plus clair de leur temps dans les espaces publics extérieurs. En effet, un des
enquêtés nous explique que les appartements sont tellement surpeuplés que pour
cohabiter, les jeunes hommes et les adultes évitent de passer beaucoup de temps
dans les appartements (Smair & Kacemi, 2019). Ceci devient encore plus
problématique lors du moment de dormir :

Moi je suis étudiant, je voudrais bien ne pas passer toute la journée dehors et
rester tous les jours jusqu’à minuit à l’extérieur avec mes amis, mais on est 7
personnes à habiter un F2 de 32m², nous dormons dans la cuisine, dans l’entrée,
dans la salle de bains où nous mettons des planches au-dessus de la baignoire
pour dormir, donc nous devons être les derniers à nous coucher et les premiers à
nous lever pour ne pas gêner

Encadré 57 : Extrait d’entretien, Homme, 22 ans, El Mahçoul, Alger

Ceci explique l’animation surprenante qu’on peut retrouver au sein du quartier


jusqu’à des heures très tardives. Ces conditions de vie, cette sociabilité exacerbée
et le caractère très populaire d’El Mahçoul semblent constituer une identité propre
à cette partie du grand ensemble (Smair & Kacemi, 2019). La plupart des habitants
interrogés sur les limites de leur quartier désignent clairement les limites de la
partie « El Mahçoul ».

Les observations ont également permis de découvrir des éléments de ce qui


constitue l’identité d’El Mahçoul :

Il est 21h, nous accédons à « El Mahçoul » par le boulevard et nous descendons


l’escalier monumental (Photo 40) : à notre gauche des blocs de bâtiments vides,
quelque peu saccagés et cadenassés pour éviter leur réappropriation. Des
habitants nous expliqueront qu’il s’agit d’appartements qui ont fait l’objet d’un
relogement. À notre droite, un jardin avec des grands arbres anciens et investi par
une baraque contenant du bétail. Nous apercevons des personnes jouer au

180
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

domino à l’intérieur en faisant beaucoup de bruit. Ces scènes contrastent avec la


partie « Confort » du grand ensemble. Plus nous avançons, plus nous nous
apercevons que tous les espaces semi-publics qui caractérisent cette partie du
grand ensemble ont été envahis par de l'habitat précaire.

Photo 40 : Escalier monumental, El Mahçoul. Photo auteur, 2017

Depuis le pied de l’escalier, nous parvenons à l’ancien marché couvert (Photo 41),
aujourd’hui transformé en locaux commerciaux (épicerie, bureau de tabac,
fastfood populaire, droguerie...). L’animation contraste avec le calme de l’escalier
précédent. Des enfants jouent au foot dans la rue, un jeune assis sur une chaise
dans un coin sombre semble discuter au téléphone, les locaux commerciaux sont
ouverts et des groupes de personnes discutent ou jouent au domino devant. On
est tout de suite reconnu comme étranger et on nous aborde pour nous demander
chez qui nous allons. Nous expliquons qui nous sommes, ce qui donne lieu à des
échanges sur l'architecture du quartier et sur l'architecte Fernand Pouillon que tout

181
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

le monde connait ici. Nous faisons le tour d’un bâtiment pour gagner une
intersection qui fait office de place avec beaucoup d’animation et où 3 commerces
installés dans des baraques de fortune sont ouverts. Des adultes, jeunes et moins
jeunes, discutent et des enfants jouent au babyfoot, c’est dire si cet espace qui
n'était pas conçu au départ comme un espace de rencontres semble devenir un
espace central dans le quartier. Nous remontons une rue où nous apercevons de
l’animation. Nous trouvons des gens assis dans des chaises en plastique, attablés
pour certains autour d’un café et pour d’autres autour d’un dîner. On distingue de
la musique à l’intérieur de l’appartement, les habitants célèbrent un mariage.

Encadré 58 : Extrait de journal de bord du 05/10/2017

Photo 41 : Marché couvert, El Mahçoul. Photo auteur, 2017

L'obligation de ne pas passer beaucoup de temps à l'intérieur du logement par


manque d'espace semble avoir donné lieu à une animation et à une sociabilité
appréciées par les habitants. Ces observations ainsi que d’autres, montrent

182
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

combien l’appropriation de l’espace, les pratiques sociales et l’identité revendiquée


par les habitants sont fortement induites dans le cas d’El Mahçoul par l’architecture
de la cité. Le cadre de vie éprouvant et la sociabilité exacerbée des individus,
renforcée par les conditions de vie difficiles, semblent même devenir des éléments
importants de l’identité de l’habitant d’El Mahçoul comme nous l’explique un des
enquêtés :

Etre d’El Mahçoul veut dire que tu peux aller dans n’importe quelle autre partie de
la ville et sociabiliser instantanément, que tu peux faire face à n’importe quelle
situation, c’est l’avantage d’un quartier populaire comme El Mahçoul.
Encadré 59 : Extrait d’entretien, Homme, 32 ans, El Mahçoul, Alger

Bien entendu, beaucoup d’éléments relevés sont communs à Confort ou à


Salembier ce qui explique la possibilité pour le résident de s’identifier à partir de
l’une ou l’autre de ces échelles.

En conclusion, il semble que les pratiques sociales soient étroitement liées à


l’architecture du quartier et aux différents types d’espaces créés par l’architecte.
Elles participent à la construction d’une identité propre à « Confort » ou à « El
Mahçoul » empreinte de citadinité, de relations de proximité très étroites, de
valeurs communes et d’une mémoire collective attachée au cadre bâti témoin de
la colonisation et de ses discriminations. Cette identité résulte d'une construction
tripartite où trois éléments majeurs interagissent : l’Homme, la société et l'espace
géographique (Di Méo, 2002).

Conclusion du chapitre II :

On a pu constater dans ce chapitre que le lien entre habitant et habité dans


Salembier est caractérisé, entre autres, par une identification de l’individu à
l’espace. Ainsi, plusieurs identités collectives se sont constituées confirmant de fait
l’hypothèse émise en ce sens. Ces identités sont des sortes d’images que
différents groupes ont créées et se sont données à partir d’un ensemble
d’éléments que nous avons essayé de relever tel que les différents repères
communs, les valeurs communes, la manière de s’approprier l’espace public, les
183
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02

conceptions particulières de l’espace privé, la manière de se comporter, de


sociabiliser, de s’entraider etc. Au regard de la multiplication de ces identités
collectives, l’habitant de Salembier fait des choix, élisant une identité et rejetant
une autre, combinant l’une et l’autre, les incluant toutes ou les rejetant toutes. Ces
identités spatialement marquées nous amènent à considérer le paradoxe de
l’émergence de multiples territoires dans les grands ensembles.

184
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

III. Territoires et micro-territoires dans les grands ensembles

« […] ces quartiers [les grands ensembles] n’avaient plus rien de moderne, si on
tombe d’accord pour définir le moderne comme une forme de déterritorialisation
du sol. L’ensemble de ces quartiers se sont hybridés : les usages et pratiques des
habitants et usagers de ces quartiers ont très largement modifié leurs conditions
initiales. A partir de là, à partir du moment où l’on peut affirmer cette chose, on
échappe à l’inertie du discours sur l’architecture moderne. On peut enfin penser
de façon libre, inventive et créatrice la transformation de ces quartiers avec les
gens qui y habitent. N’est-ce pas cela l’utopie ? » (Simay & Klouche, 2010, p. 102)

Djamel Klouche fait le constat que les grands ensembles sont aujourd’hui
territorialisés sous l’effet de leurs usagers. Ceci peut sembler paradoxal lorsqu’on
sait que ces mêmes grands ensembles sont issus de l’urbanisme moderne, un
urbanisme supposément caractérisé par la déterritorialisation du sol. Pourtant, les
conclusions de cette recherche rejoignent clairement ce constat. Les chapitres
précédents ont mis en évidence un rapport très étroit entre habitant et habité qui
se matérialise par une appropriation, une patrimonialisation par le bas mais aussi
par la constitution de modes d’habiter spécifiques et l’émergence d’identités
collectives. Force est ici d’aborder la question du territoire. Nous envisageons
celui-ci dans l’optique d’une réflexion sur le devenir de ces cités d’habitat collectif
héritées. Nous commencerons ce chapitre par définir les notions de territoire, de
micro-territoire et de quartier. Ensuite, à l’aide de la méthode de « la mise en mot
de l’espace » (Veschambre, 2011) empruntée à Vincent Veschambre, nous
aborderons la notion de territoire dans le grand ensemble de Diar El Maçoul. Enfin
nous mettrons en évidence la multiplicité des territoires et leurs géométries
variables dans Confort et El Mahçoul.

185
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

III.1. La notion de territoire

Entre les multiples définitions du territoire, deux sens émergent (Garnier, 2015):
Le premier est une acception juridique et institutionnelle du terme renvoyée à un
découpage historique dont les fins sont purement administratives. Ce sens peut
renvoyer à l'époque moderne où il était associé aux termes de domination et de
limites, matérialisées par des frontières. Le second sens envisage le territoire
d'une manière moins institutionnalisée, le renvoyant aux « diverses formes de
rapport à l'espace que les individus et les groupes sociaux ne cessent de produire
et de transformer dans le cadre de leurs relations sociales » (Alphandéry &
Bergues, 2004, p. 5) reléguant l'aspect juridique et politique au second plan.

Selon cette deuxième acception, le territoire serait avant tout lié aux relations
sociales et culturelles existantes entre un groupe social et un espace. Cette
définition permet de mettre clairement en relation la notion de territoire avec
l’identité, le mode d’habiter et le patrimoine : le territoire est considéré comme un
construit social et culturel d'un groupe particulier, quelle que soit sa forme, une
construction symbolique qui passe d'un espace « donné » à un espace « produit »
(Giordani Ravis & Bromberger, 1976). Rejoignant cette vision du territoire, Bernard
Debarbieux, le définit comme « un construit idéologique et matériel, forgé par l'idée
que la société se donne d'elle-même et de son environnement » (Debarbieux,
1995, p. 101). Le territoire est donc à la fois matériel et immatériel.

La construction du territoire, quant à elle, combine les dimensions matérielles


(objets, espaces, pratiques et expériences sociales du quotidien) avec les
dimensions immatérielles et idéelles des représentations (images, symboles,
mémoires) (Garnier, 2015). En ce sens, le territoire correspond à « un ancrage
symbolique du groupe dans un espace » (Garnier, 2015, p. 11). Néanmoins, la
dimension politique du territoire est tout aussi pertinente, car l'appropriation de
l'espace par des groupes sociaux qui se donnent une représentation particulière
de leur histoire, de leur singularité et de leur identité apparait à la fois économique,
idéologique et politique. Ceci pose donc la question du mode de partage et de

186
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

contrôle de l'espace garantissant sa spécificité et sa permanence, et la


reproduction des groupes humains qui l'occupent (Di Méo, 2002). La dimension
politique peut également être plus importante lorsque l'on assiste à un processus
d'institutionnalisation de territoires co-construits (Garnier, 2015) comme nous le
verrons dans la troisième partie de cette thèse.

III.2. Interactions entre patrimoine, identité et territoire

Avant d’aborder cette question, notons que si l’on prend les différents écrits sur le
sujet ou les résultats d’études empiriques, on ne saurait dire, qui, de l’identité ou
du territoire préexisterait à l’autre. A ce titre, le classement des chapitres de cette
thèse relatifs à ces deux sujets reste purement pratique.

On a pu voir dans le premier chapitre de la première partie de cette thèse comment


la perception de la valeur patrimoniale des grands ensembles étudiés associée à
leur appropriation ont participé à générer un sentiment d’appartenance et un
sentiment identitaire chez les résidents. Nous prolongeons ici la réflexion en
étudiant la relation entre patrimoine, identité et territoire dans les grands
ensembles étudiés.

L'interaction qui existe entre ces trois notions très utilisées actuellement a été mise
en évidence par plusieurs auteurs dont Edwige Garnier. Celui-ci fait le constat
qu’en parallèle à l'extension de la notion de patrimoine, de nombreux projets dans
le monde émergent autour de ressources patrimoniales qui en constituent le
support. Il explique que ces opérations de patrimonialisation tendent ainsi à
favoriser la co-construction identitaire et territoriale (Garnier, 2015).

Les interactions entre patrimoine, identité et territoire sont caractérisées par


plusieurs éléments :

 Selon Garnier le territoire peut être perçu comme vecteur d'identité (Garnier,
2015). Il rejoint en ce sens Guy Di Méo qui affirme que « le territoire
constitue un remarquable champ symbolique, semé de signes qui

187
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

permettent à chacun de le reconnaître et, en même temps, de s'identifier au


groupe qui l'investit » (Di Méo, 2002, p. 178) ;

 Puisque identité et culture sont liées, culture et territoire le sont également.


A ce propos, Philippe Bourdeau explique que « le territoire apparait comme
un produit culturel, un espace culturalisé en quelque sorte. [...] En retour, le
territoire se comporte également comme un médiateur matériel et
symbolique entre un groupe et sa culture » (Bourdeau cité dans Garnier,
2015, p. 15). Autrement dit, on ne peut séparer la culture du territoire ;

 Culture, mode d’habiter et identité sont la dimension immatérielle du


territoire, celui-ci quant à lui, possède une dimension matérielle à travers
laquelle les premiers s’expriment (Garnier, 2015) ;

 La territorialisation est, pour les individus porteurs d'une culture, le fait de


conférer du sens, une signification à certains espaces. Ceux-ci acquièrent,
de ce fait, une dimension culturelle, et donc identitaire. Ce processus de
sémantisation de l'espace engendre la création d'un territoire (Garnier,
2015) ;

 Il est nécessaire de connaitre le sens que les individus prêtent à l'espace


pour constater l'existence d'un territoire (Garnier, 2015) ;

 Un territoire évolue en permanence au risque de disparaitre. Il est en effet


dépendant des mutations de la mémoire, de la culture et de l'identité du
groupe social qui s'y inscrit, la dimension spatiale peut également changer
et l'identité liée aux espaces s'en trouverait alors changée, elle peut être
déstabilisée (Garnier, 2015). La temporalité est donc primordiale lorsque
l’on étudie les territoires. ;

 Identité et territoires peuvent se construire à différentes échelles allant de


la grande échelle, celle de nation, à celle du micro-quartier en passant par
la commune (Garnier, 2015 ; Grafmeyer, 2007).

188
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

En conclusion, nous pouvons résumer les différentes relations entre patrimoine,


identité et territoire comme suit :

Figure 2 : Relations entre patrimoine, identité et territoire


(Thouément & Charles, 2011, p. 2)

189
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

III.3. Le quartier à géométrie variable

Deux sens peuvent être donnés au quartier. Le premier est celui de « morceau de
ville » (Grafmeyer, 1991, p. 23), d’« aire de résidence » (p. 23) ou de « village dans
la ville » (p. 40). Le terme a largement fait référence aux grands ensembles (les
quartiers) et à une situation problématique qui fait l'objet de politiques spécifiques
afin de rendre ces quartier banals, l'état considérant que ces grands ensembles
forment des ghettos et concentrent des populations très pauvres (Segaud, 2002).
Yves Grafmayer situe le quartier à l’intersection des traits sociaux de ses habitants
et de ses composants matériels (Grafmeyer, 2007). La question des limites du
quartier est aujourd’hui importante dans le contexte de la multiplication des
échelles du territoire allant du micro-quartier constitué par la rue et le coin
(Marchal, 2017) à l'échelle de la commune ou de la ville.

Plusieurs études se sont intéressé à cette fabrication au quotidien du territoire dans


les grands ensembles. Nous aborderons ici, dans un premier temps, celle de Denis
la Mache dont il rend compte dans « Faire territoire au quotidien dans les grands
ensembles HLM. Entre ordre et frontière » (La Mache, 2011). Cette étude
concerne deux grands ensembles : celui de la Rabaterie et celui du Clou-Bouchet.
Dans un second temps, nous aborderons l’étude menée par Vincent Veschambre
dans des grands ensembles à Nantes (Veschambre, 2011).

III.3.1. Les grands ensembles de la Rabaterie et le quartier du Clou-Bouchet

Le grand ensemble de la Rabaterie (Photo 42) est un grand ensemble logeant


3 712 habitants (au moment de l’étude) et situé dans la commune de Saint-Pierre-
des-corps dans la banlieue de Tours. Il n’est pas différent, dans sa configuration,
de la production type des grands ensembles en France.

190
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Photo 42 : Grand ensemble de la Rabaterie, (France 3 centre, 2011). Photo auteur inconnu, s.d

Le second grand ensemble étudié est celui du Clou-Bouchet à Niort logeant 6 390
habitants (au moment de l’étude). Il connait des démolitions régulières de barres.

Photo 43 : Grand ensemble du Clou-Bouchet (archives NR). Photo auteur inconnu, s.d

191
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

A partir d’entretiens et d’observations, l’étude vérifie l’hypothèse de « pratiques


quotidiennes [qui] peuvent entretenir des relations de construction mutuelle avec
des blocs d’espace-temps pour faire territoire au quotidien et exprimer, faire
évoluer, entretenir ou protéger des identités personnelles et familiales » (La
Mache, 2011). Les blocs d’espace-temps désignent ici des situations où l’espace
et le temps constituent des dimensions essentielles.

Denis la Mache explique que la fabrication du territoire du quotidien se fait à travers


un va-et-vient entre l’individu et les blocs d’espace-temps. Un va-et-vient qui est
caractérisé par l’action de l’individu sur ces blocs, une action matérielle, et une
action des blocs sur l’identité de l’individu. Il s’agit également d’un processus de
rapprochement du semblable, des autres habitants mais aussi d’un processus de
différenciation relevant des aspirations sociales de chacun (La Mache, 2011).

Par ailleurs, Denis la Mache relève que la fabrication du territoire passe par « des
artifices visibles, objectifs et volontaires » (La Mache, 2011). Il cite à titre
d’exemple, les stores aux fenêtres, les claustras sur les balcons et les plots sur la
place de parking. Ces ajouts symboliques permettent de transformer les différentes
parties du grand ensemble pour qu’ils soient conformes aux concepts qu’en ont
les habitants. Ce processus de réappropriation participe à la fabrication du
territoire.

La frontière est inhérente à la notion de territoire. Dans les territoires des


quotidiens, les frontières et les seuils sont multiples (La Mache, 2011). Denis la
Mache relève quatre formes de frontières dans les grands ensembles étudiés :

- la frontière linéaire :

Elle consiste en des obstacles naturels ou en des routes qui rendent le


franchissement difficile et donc moins fréquent :

Dans le grand ensemble de Saint-Pierre-des-Corps, la Loire ou l’autoroute forment


des frontières des territoires du quotidien. Dans le grand ensemble de Niort, un
axe à forte circulation routière assure la même fonction. Leur épaisseur n’est pas
192
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

signifiante. Elle n’est pas évaluée par les habitants. Quelle est la largeur de la
Loire ? Combien y a-t-il de mètres pour traverser l’autoroute ? Nul ne sait le dire
de manière exacte, ni même convaincante. La question elle-même n’est pas
pertinente. Il ne s’agit là que de lignes appréhendées par ce qu’elles séparent.

(La Mache, 2011)

- la frontière ponctuelle :

Il s’agit d’endroits qui, dans la représentation de l’habitant, constituent


l’entrée ou la fin du territoire :

Dans cette perspective, Solange K., 62 ans, retraitée, invitée à retracer ses
cheminements quotidiens, décrit avec force détails le contenu du petit magasin où
elle se rend spécifiquement en traversant un quartier où elle « ne met jamais les
pieds ». De tels points constituent autant de frontières séparant les blocs d’espace-
temps du quotidien du reste de la ville. Lorsqu’il rentre à vélo de son travail,
Monsieur R. raconte que, lorsqu’il aperçoit l’enseigne de l’hypermarché, il sait qu’il
est « enfin arrivé ». Jusqu’alors l’espace ne lui était apparu que comme un temps
de parcours dont la matérialité n’avait de sens qu’en rapport avec le déplacement.

(La Mache, 2011)

- la frontière réticulaire :

Il s’agit d’un réseau constitué de « points de contrôle et de passage » (La


Mache, 2011). Il peut s’agir d’arrêts de bus, de gares, etc.

- la frontière aréolaire :

Il s’agit de cercles concentriques aux contours flous se centrant sur des


lieux qui revêtent un intérêt substantiel pour l’habitant. Il peut s’agir d’une
école, d’un lieu de travail ou d’un lieu commercial. Ce type de frontière n’est
pas sans rappeler les écrits d’Yves Grafmayer concernant le quartier à
géométrie variable (Grafmeyer, 2007) expliquant que dans certain cas, le
quartier familier peut se concentrer autour de points de repères bien précis.
193
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Cette forme de frontière est ainsi appréhendée par les habitants :

Dans le cadre d’une construction aréolaire, l’exercice de délimitation frontalière ne


s’est fixé sur aucune ligne, sur aucun point, sur aucun réseau particulier. Comme
en suspens, la limite ne s’est matérialisée dans aucune forme finie. Dans les
descriptions auxquelles sont invités à se livrer les habitants, la frontière aréolaire
intervient en complément des autres formes frontalières. Ainsi, Khadija Z., 49 ans,
femme au foyer, sait-elle avec beaucoup de précision décrire son quartier, ses
infrastructures, ses rythmes, ses habitants et leurs petites habitudes. Elle sait aussi
parler des quartiers voisins repérables à leur architecture pavillonnaire, de la zone
commerciale ou de la zone industrielle. Entre ces entités, des lignes, des points et
des réseaux formés par l’usage font frontière. Mais à elles seules, ces formes ne
sauraient épuiser les configurations frontalières en jeu. Des zones d’incertitudes
se forment. Situées selon des cercles concentriques autour de la maison, elles
complètent les formes frontalières précédemment citées par
des continuums séparant les blocs d’espace-temps du quotidien du reste de la
ville.

(La Mache, 2011)

La Mache explique que dès lors qu’il existe des frontières, leur franchissement
décrit la représentation du territoire chez l’habitant. Les franchissements sont ainsi
souvent marqués symboliquement, de manière matérielle ou par des changements
de posture, de manière de s’habiller etc. Pour certains habitants, la porte d’entrée
de l’appartement constitue un franchissement de la frontière entre l’espace privé,
domestique et sécurisant et un espace extérieur que l’on n’a pas choisi d’investir.
Pour d’autres, cette même porte d’entrée n’est que la transition entre un espace
privé à un espace approprié collectivement (La Mache, 2011).

Ces franchissements traduisent ainsi la conception du territoire chez l’habitant :

Ainsi, des halls, des paliers ou des couloirs viennent alimenter des discours sur
soi. Ils mobilisent des espaces et des lieux, mais aussi des temps et des rythmes.
Sortir des territoires du quotidien peut s’entendre comme sortir de l’espace
194
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

consubstantiel aux pratiques quotidiennes. C’est aussi sortir des temporalités qui
y sont attachées. Le passage fait donc l’objet d’une préparation à la fois spatiale
et temporelle. Ainsi Nadia E., 32 ans, hôtesse de caisse, raconte-t-elle combien le
fait de rentrer chez elle après des horaires de travail atypiques l’amène à
fréquenter des lieux qui, bien que parfaitement connus, lui apparaissent étrangers
à certaines heures avancées de la soirée. Elle a donc préparé en conséquence
cette échappée des blocs d’espace-temps du quotidien. Elle a prévu des
itinéraires, évitant les zones sombres ou « mal fréquentées » qu’à d’autres
horaires elle a pourtant identifiées comme des espaces de connaissance et de
reconnaissance. Elle a anticipé, planifié et cartographié mentalement la situation.
Elle a négocié avec son employeur ses modifications d’horaires pour pouvoir
s’adapter, dans de bonnes conditions, à ces modifications.

(La Mache, 2011)

Denis la Mache relève que les territoires du quotidien sont caractérisés par deux
éléments principaux, la familiarité et la sécurité :

- la familiarité : elle relève de l’ordinaire et des comportements reproduits


quotidiennement et considérés comme allant de soi. L’auteur de l’étude cite
à titre d’exemple ces comportements reproduits par les habitants :

Pour se sentir « enfin chez soi », Monsieur C., 51 ans, cariste, aime à reproduire
chaque soir les mêmes micro-rituels. L’écoute du répondeur, l’ouverture du
courrier marquent le passage vers le repli domestique. Le bruit du voisin qui fait
chauffer son diesel sur le parking, les odeurs du marché, la vue sur le centre
commercial… indiquent de manière certaine à Madame T., 38 ans, femme au
foyer, qu’elle entre ou qu’elle sort des blocs d’espace-temps qui structurent son
activité quotidienne.

(La Mache, 2011)

195
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

- La sécurité : Il s’agit ici de la sécurité dans ses deux composantes que sont
la sureté et l’ordre.

III.3.2. La mise en mots de l’espace

L’étude menée par Vincent Veschambre et intitulée «la mise en mots de l’espace
dans un grand ensemble en rénovation » (Veschambre, 2011) met en évidence le
décalage entre toponymie conçue, c'est-à-dire les appellations officielles des lieux,
et toponymie vécue, c'est-à-dire les appellations communes construites par les
résidents eux-mêmes dans un grand ensemble de Nantes. Veschambre ne
manque pas de faire référence au concept de triplicité de l’espace cher à Henri
Lefèbvre : espace perçu, espace conçu et espace vécu (Lefebvre, 1974). En effet,
l’étude apporte un éclairage sur le décalage qui peut exister entre les trois notions.

L’hypothèse que formule Vincent Veschambre est que, dans le contexte d’un grand
ensemble en rénovation, les représentations qu’ont les résidents des espaces
qu’ils habitent sont méconnues alors que celles-ci peuvent participer à une
meilleure appropriation du projet.

La méthodologie consistait en des entretiens où des images des différents sous


quartiers définis au travers d’enquêtes antérieures sont présentées aux résidents
et où on demande à ceux-là de mettre un mot sur l’espace. L’enquête montre que
deux principaux sous-ensembles existent avec des dénominations populaires
différentes de celles officielles : Aux termes officiels d’« amont » et « centre/aval)
se substituaient dans un premier temps les termes « fond » et « autre fond »,
« bout » et « autre bout » pour désigner les deux espaces situés de part et d’autre
d’un équipement commercial important. Dans un second temps, c’est le terme
« Palm Beach » qui a commencé à être utilisé pour désigner une partie réhabilitée
(Photo 44) et dans laquelle des opérations de standing ont été implantées.

La partie toujours en travaux (Photo 45), quant à elle, est aujourd’hui appelée
« 9.3 » ou « Bronx », étant désignée comme la zone où les activités mal perçues
ont lieu. A ce propos, Veschambre explique que cette dénomination à l’intonation

196
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

négative s’est constituée en réaction à la stigmatisation extérieure revendiquée


comme un trait distinctif.

Photo 44 : « Palm Beach » (Veschambre, 2011, p. 104). Photo Vincent Veschambre, 2007

Photo 45 : « Bronx » (Veschambre, 2011, p. 105). Photo Vincent Veschambre, 2007

197
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

En continuant l’enquête à l’échelle des immeubles, Véschambre évoque une


désignation des tours par leurs couleurs initiales (même si celles-ci ont changé
depuis) ou par leurs habitants. Les appellations officielles sont ignorées par les
résidents.

Nous avons adopté pour notre part cette méthodologie pour mettre en évidence
les différents micro-quartiers et leurs dénominations populaires dans le grand
ensemble de Diar El Mahçoul. Ainsi, munis d’un plan, nous nous sommes
rapprochés des résidents pour leur demander de désigner les différents secteurs,
sous quartiers ou micro-quartiers de leur grand ensemble et de mettre leurs
propres appellations dessus.

III.4. Territoires et micro-territoires à Diar El Mahçoul

Nous avons pu lors des chapitres précédents mettre en évidence un lien étroit
entre habitant et habité à Diar El Mahçoul. Deux identités ont émergé dans ce
grand ensemble : l’identité propre à la partie Confort et celle spécifique à El
Mahçoul. Nous pouvons affirmer à ce point de l’étude, et à la lumière des éléments
théoriques abordés concernant la notion de « territoire », que le grand ensemble
de Diar El Mahçoul s’est territorialisé, et que se sont constitués, dans un premier
temps, deux territoires correspondant aux deux parties du grand ensemble.

À une autre échelle, celle des rues et des immeubles, le quartier est un composé
de micro-quartiers et de « coins » (Marchal, 2017, p. 30). Sur le plan
méthodologique, il s’agissait ici, muni d’un plan du quartier, de demander aux
enquêtés où l’on se trouve et comment ils nomment les différentes parties du
quartier. Nous découvrons alors, au détour des mises en mots de l'espace, des
appellations spécifiques à des endroits localisés. Les enquêtés nous décrivent
ainsi l’existence de plusieurs micro-quartiers au sein de « Confort » et d’« El
Mahçoul ».

198
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Les appellations données aux différents coins sont de diverses natures. On a pu


relever des désignations de micro-quartiers par des numéros de barres :

Nous sommes ici dans le 14, c’est le numéro de cette grande barre, on s’entend
avec les habitants des bâtiments qui se trouvent autour de cette Tahtaha [grande
esplanade]

Encadré 60 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger

L’espace public particulier « Tahtaha » (Croquis 1), la configuration des barres et


leur implantation sur différentes plateformes à différents niveaux sont ici un
élément fondamental de la construction du micro-quartier.

Croquis 1 : Micro-quartier « le 14 » (Auteur, 2017)

199
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Les appellations peuvent aussi faire référence à un équipement. Nous pouvons


citer ici l’exemple du marché d’El Mahçoul qui est d’autant plus un élément de
repère qu’il relève d’une architecture remarquable et a été pensé comme un
élément central du quartier « musulman ». Il a été fait référence ici au rôle
prépondérant que le marché de manière générale jouait dans les villes
musulmanes traditionnelles :

[…] les bâtiments autour du marché forment une petite Houma [quartier
solidaire]…

Encadré 61 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger

L’existence de ces coins et leur localisation semblent être induites par des points
de repère et des pratiques quotidiennes. Le marché en est l’exemple le plus visible
étant le lieu de nombreuses activités comme nous l’explique un enquêté :

La zone autour du marché est une Houma à l’intérieur de la Houma [quartier


solidaire], les habitants autour vont y faire leur marché, y mangent de la Calentita
[nourriture à base de farine de poid chiche] et le soir s’y regroupent pour discuter…

Encadré 62 : Extrait d’entretien, Homme, 50 ans, El Mahçoul, Alger

Ce micro-quartier peut également être évité par certains résidents à des moments
de la journée en raison de la vente de drogue qui y a cours.

200
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Croquis 2 : Micro-quartier du marché (Auteur, 2017)

Des micro-quartiers peuvent également se former à partir d’une seule très grande
barre :

[…] Cette barre quant à elle est tellement grande qu’elle constitue une Houma
[quartier solidaire] à elle seule, ses habitants ont tendance à rester entre eux

Encadré 63 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger

Mais là encore, il ne s’agit pas que de la taille de la barre, car d’autres grandes
barres existent dans le quartier sans pour autant constituer un micro-quartier à
elles seules. La position de ladite barre, isolée, face à un balcon urbain donnant
sur la baie d’Alger, participe grandement à sa constitution en micro-quartier.

201
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Croquis 3 : Micro-quartier constitué par une seule barre (Auteur, 2017)

La constitution d’un micro-quartier à « El Mahçoul » entre deux barres serait, quant


à elle, liée au jardin connu de nombreux habitants et à l’escalier monumental qui
se trouve entre les barres. Le jardin, aujourd'hui occupé par des baraques, reste
l'objet de nombreux souvenirs chez les habitants qui y ont passé une partie de leur
enfance :

Les deux barres et le jardin constituent un petit quartier. Le jardin, vous savez …
là où il y a une baraque maintenant, on y a tous joué quand on était enfant

Encadré 64 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger

Ainsi nous pouvons constater que les souvenirs d’enfance participent également
à la construction des différents micro-quartiers.

202
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Croquis 4 : Micro-quartier constitué par le micro-quartier du jardin (Auteur, 2017)

Ces coins semblent le plus souvent s’affranchir des limites administratives et


physiques des deux parties du grand ensemble. Ainsi la zone du boulevard
séparant « Confort » et « El Mahçoul », et qui est donc un élément de rupture,
devient, elle-même, un micro-quartier comme nous l’explique une enquêtée :

Moi je vivais dans les blocs [immeubles] donnant sur le boulevard, on était plus
proche des habitants des blocs de l’autre côté et qui appartiennent à Confort que
des habitants d’El Mahçoul

Encadré 65 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger

L’enquêtée semble désigner ce micro-quartier par l’appellation « le boulevard »


mais ce micro-quartier tend à disparaitre au vu du dépeuplement en cours des
blocs situés sur la partie El Mahçoul du boulevard.

203
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Croquis 5 : Croquis du micro-quartier du boulevard (Auteur, 2017)

A Confort, un enquêté désigne la place du marché et les bâtiments qui l’entourent


comme un micro-quartier. Là aussi, le marché est un point de repère important
ainsi que la grande tour, les passages en escalier, en arcade sous immeubles et
le portique avec vue panoramique sur la baie d’Alger. L’espace public au centre et
ses différentes utilisations au cours de la journée participent clairement à la
construction d’un micro-quartier.

La place du marché c’est une petite Houma [quartier solidaire] … derrière elle, ces
deux bâtiments en forment une autre [L’enquêté désigne deux bâtiments sur notre
carte]

Encadré 66 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, Confort, Alger

D’autres parties de Confort sont ainsi désignés comme micro-quartiers suivant


leurs différents aménagements.
204
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Croquis 6 : Micro-quartier de la place des quatre vents (Auteur, 2017)

Croquis 7 : Croquis d’un micro-quartier (Auteur, 2017)


205
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Au vu des différents témoignages recueillis, nous avons pu élaborer la carte (Carte


6) des différents micro-quartiers cités par les enquêtés. Elle montre des
délimitations qui s’affranchissent clairement de celles administratives.

D’autres éléments sont également à l’origine de ces coins, à commencer par les
relations de proximité très étroites développées entre voisins au niveau des barres,
des rues ou des immeubles. A partir des entretiens, il apparaît également que les
différentes manifestations religieuses, sportives ou culturelles participent au
renforcement de ces micro-quartiers. En effet, la solidarité qui se crée entre les
habitants d’une même rue, d’une même barre ou d’un même bloc (mise en
évidence dans les chapitres précédents) renforce la représentation du coin.

Carte 6 : Micro-quartiers relevés (Auteur)

206
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Conclusion du chapitre :

Force est de constater qu’à l’inverse de ce qui caractérise beaucoup de grands


ensembles dans le monde, les cités étudiées sont aujourd’hui non seulement
territorialisées mais elles le sont à plusieurs échelles : A Salembier, le territoire
peut être la commune, le grand ensemble, une partie du grand ensemble ou
encore la rue, la barre, le bloc. Aussi le résident de Diar El Mahçoul n’a-t-il pas
qu’une seule appartenance territoriale. Entre les différentes échelles, celui-ci
choisit quels territoires revendiquer. Ceci transparait de manière évidente dans ses
propos, dans sa manière de désigner les espaces et de les pratiquer.

207
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

Conclusion de la deuxième partie :

La deuxième partie de cette thèse montre, à travers ses différents chapitres, les
transformations connues, en Algérie, par la forme d’habitat qu’est le grand
ensemble. Ces transformations sont autant matérielles qu’immatérielles. Du point
de vue immatériel, ces barres et tours, souvent critiquées pour leur déficit
d’identité, ont vu l’émergence d’identités collectives fortes. L’appropriation de ces
cités d’habitat collectif a également donné lieu à la transformation des modes
d’habiter qui ont, à leur tour, agi sur le cadre bâti. En effet, les grands ensembles
sont aujourd’hui physiquement transformés, résultat des différentes modifications
et adaptations effectuées par la population.

Nous confirmons donc l’hypothèse d’une territorialisation des grands ensembles


étudiés. Celle-ci repose sur les différentes identités, modes d’habiter et valeurs
patrimoniales mis en évidence dans ces cités d’habitat collectif. C’est dire si les
grands ensembles ne sont plus cette forme d’habitat moderne déterritorialisée
qu’ils eussent été mais des grands ensembles aujourd’hui hybrides comme l’a
souligné l’architecte Djamel Klouche (Simay & Klouche, 2010). De plus, ce sont
des grands ensembles inachevés, puisqu’ils n’ont cessé d’évoluer depuis leur
construction et continuent de le faire.

Cela étant dit, la territorialisation des grands ensembles implique une volonté de
l’individu d’être associé au devenir de son territoire et de peser dans le processus
de prise de décision. C’est ainsi que nous aborderons, dans la troisième partie de
cette thèse, la question de la volonté des habitants des grands ensembles de
s’impliquer dans la vie de leur quartier et dans son devenir. Nous analyserons, à
cet égard, les différentes stratégies adoptées dans les grands ensembles en
Algérie du point de vue, notamment, de la participation des habitants.

Au niveau des stratégies de développement des territoires, les valeurs


patrimoniales, modes d’habiter et identités que nous avons mis en évidence dans
les deux premières parties de cette thèse constituent, des ressources
incontournables (Garnier, 2015). Nous nous proposerons dès lors, et dans
208
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03

l’optique de mener une réflexion sur le devenir des grands ensembles en Algérie
d’analyser les différentes stratégies de développement des territoires élaborées et
mises en application dans le monde pour les confronter au cas algérien.

209
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles
dans le monde et en Algérie

- Chapitre 1 : Gouvernance urbaine et stratégies dans les grands


ensembles dans le monde

- Chapitre 2 : Le cas algérien

210
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie

Dans un contexte mondial où les politiques urbaines s’orientent vers une plus
grande implication de l’individu dans le processus de prise de décision, la troisième
partie de cette thèse s’articule autour des notions de participation, de gouvernance
urbaine et de développement territorial.

Le thème de la gouvernance urbaine apparait aujourd’hui comme incontournable


dans toute recherche abordant la ville. Ceci est d’autant plus vrai ici, qu’au moment
d’aborder cette question, l’Algérie voit se manifester, de manière historique, une
aspiration générale de la population à un véritable changement dans l’exercice du
pouvoir et notamment à travers un changement constitutionnel profond pour aller
vers une véritable démocratie. A cet égard, comme nous le verrons, les résultats
de l’enquête menée dans les grands ensembles confirment cette tendance,
mettent en évidence l’aspiration de l’individu à une plus grande participation et
posent la question d’un modèle démocratique participatif.

En nous intéressant au passage du « gouvernement » à la « gouvernance », nous


aborderons trois éléments qui sont la suite logique du cheminement de cette thèse.
Après avoir mis en évidence la territorialisation des grands ensembles étudiés, et
compte tenu des résultats de l’enquête sur le terrain, nous nous intéresserons,
dans un premier temps, aux différentes stratégies et procédés participatifs dans le
monde et analyserons des exemples concrets d’intervention dans les grands
ensembles. Dans un second temps, nous nous intéresserons aux différentes
stratégies adoptées dans les grands ensembles en Algérie. Suivant le fil
conducteur qu’est rapport de l’habitant au quartier, nous aborderons le ressenti
des habitants envers les différentes stratégies adoptées, ainsi que leurs
aspirations résidentielles. Nous nous intéresserons également à la volonté du
résident du grand ensemble de s’impliquer ou non dans le devenir de son quartier
et à son rapport aux structures mises en place par l’état ou découlant d’initiatives
indépendantes.

211
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

I. Gouvernance urbaine et stratégies dans les grands ensembles


dans le monde

Introduction

« […] des acteurs jusque-là en marge du système de décision font leur apparition :
élus locaux, fonctionnaires territoriaux, associations de défense de
l’environnement ou du cadre de vie, habitants, etc. Dans certaines villes, des
dispositifs de participation sont mis en œuvre afin d’associer la population à la
définition des grandes orientations de ce que peut être une politique de protection
du patrimoine soucieuse de préserver des bâtiments que l’État ne considère pas
comme étant d’un intérêt national. » (Poupeau, 2009, p. 124)

Beaucoup de stratégies de réhabilitation, de rénovation et de démolition adoptées


dans les grands ensembles ont certainement été un échec. Ces stratégies ont en
commun d’être le fruit d’un processus de prise de décision centralisé et excluant
le résident. Les exemples internationaux nous montreront, dans ce chapitre, que
la multiplication des démarches liées au développement durable, la mobilisation
des acteurs et notamment la société civile et les habitants, de manière plus
précise, sont aujourd’hui incontournables à la réussite des projets urbains dans la
ville en général et dans les grands ensembles en particulier. Mais ce type de
mobilisation présuppose un système de gouvernance adéquat. C’est ainsi que
nous nous intéresserons dans un premier temps aux questions de gouvernance
urbaine, de démocratie participative et d’empowerment qui sont aujourd’hui
primordiales dans les réflexions sur la ville. Dans un second temps nous
aborderons différentes manières de faire dans le monde et des exemples concrets
d’interventions dans les grands ensembles

212
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

I.1. Du gouvernement à la gouvernance

A travers l’histoire, le pouvoir des villes a été fluctuant, la dualité entre les cités et
les états n'a pas toujours été à l'avantage de ceux-ci. Les cités-villes ont longtemps
été affranchies et avaient un grand pouvoir jusqu'à constituer des cité-états.
Néanmoins, l'émergence des états-royaux, en s'inspirant des cités, aura pour effet
la volonté de maîtriser l'ascension des villes (Stébé & Marchal, 2019a). La dualité
entre la ville et l'état va continuer jusqu’aujourd’hui tournant tantôt à l'avantage de
la ville lors de l'institution de l'élection du maire au suffrage universel tantôt à
l'avantage de l'état après la Deuxième Guerre mondiale où l'état central aura une
grande emprise sur les villes :

[...] En France, l’urbanisation du pays durant les décennies 1950 et 1960 n’est pas
le fait dans une large mesure des villes mais bien de l’État qui devient alors un
acteur central de l’aménagement de territoire : l’État décide de l’implantation des
grandes infrastructures industrielles, désigne les « architectes-urbanistes » pour la
réalisation des Zones à urbaniser en priorité (ZUP), la modernisation des villes et
la création des villes nouvelles…

(Stébé & Marchal, 2019a)

Aujourd’hui, la tendance en Europe est à la décentralisation du pouvoir et à la


montée de celui des villes à différentes échelles.

Le terme « gouvernance » est actuellement beaucoup utilisé dans la politique et la


recherche. Maurice Blanc montre l'origine de ce terme et les différences de sens
entre les termes communément utilisés de gouvernement, gouvernance,
gouverne, gouvernabilité, gouvernementalité : Concernant le terme gouvernance
en lui-même, il explique ceci :

Le terme de « gouvernance » est ancien et il était tombé en désuétude. Selon Le


Petit Robert, il remonte à 1478 et il désignait « les Baillages de l’Artois et de la
Flandre », c’est-à-dire un pouvoir local bénéficiant d’une certaine autonomie vis-à-
vis du pouvoir royal, tout en lui restant subordonné. La gouvernance est réapparue
213
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

au XVIIIe siècle en gardant le même sens. La période coloniale lui a donné un


nouveau sens, désignant l’ensemble des services administratifs d’une région et
l’édifice où ils se trouvent – par exemple « la gouvernance de Casamance
(Sénégal) ». C’est aujourd’hui une notion polysémique avec la gouvernance des
entreprises et celle de l’État ou de l’Europe, mais aussi la gouvernance sportive,
humanitaire, universitaire, etc. La gouvernance a perdu en précision ce qu’elle a
gagné en extension. Elle évoque la présence de plusieurs décideurs qui
interviennent conjointement et qui doivent trouver un accord.

(M. Blanc, 2009)

Ce dernier point est crucial pour comprendre la différence entre un gouvernement


et une gouvernance. En effet, le gouvernement suppose un seul décideur et une
hiérarchie qui exécute ce qui n'est pas, comme l'explique Maurice Blanc sans
provoquer un certain nombre de dysfonctionnements :

Le succès de la notion de gouvernance tient à la prise de conscience tardive que


cette vision du pouvoir repose sur une fiction. D’abord, en interne, il n’y a nulle part
un sommet qui décide souverainement et une base qui exécute docilement ; à tous
les niveaux de la hiérarchie, il y a des marges de manœuvre et des capacités de
réinterprétation des consignes venues de l’échelon supérieur. La coordination
entre le centre principal de décision et les centres secondaires n’est pas purement
hiérarchique. Ensuite, ni un État, ni une entreprise, ne peuvent décider
souverainement, sans tenir compte de leurs voisins, alliés et/ou concurrents.
L’entreprise et l’administration publique sont prises dans des systèmes
d’interdépendances croissantes. Il y a nécessité de négocier, à l’interne comme à
l’externe, avec une pluralité de décideurs […].

(M. Blanc, 2009)

Autrement dit, la gouvernance urbaine est un processus de coordination des


acteurs politiques, des institutions, des acteurs privés et de la société civile afin de
construire des objectifs à atteindre et une manière de le faire.

214
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Le passage d'un gouvernement à une gouvernance qui s'initie actuellement en


Europe se fait par la création d'outils et de dispositifs inhérents à la gouvernance.
Les villes créent des conseils et font appel à des organismes d'études pour
construire leur stratégie globale (Pinson, 2009). Le rôle même de la collectivité
locale change, il ne s’agit plus d’administrer mais de réguler les acteurs (Lorrain,
1998).

Dans les faits deux manières de faire de la gouvernance existent (Stébé & Marchal,
2019a). Une gouvernance, d’abord, privilégiant le développement économique, ce
que David Mangin a appelé la ville « franchisée », dans le sens où l'espace de la
ville est commercialisé et donc naturellement obtenu par les grandes sociétés et
entreprises. Une gouvernance, ensuite, qui essaye de conjuguer le
développement économique avec la qualité de vie de tous les habitants même les
plus démunis et la valorisation de leur patrimoine pour légitimer les territoires.

Un tel changement de système de prise de décision est forcément accompagné


d'un arsenal législatif. Nous analyserons ici, à titre d’exemple, le cas français.

En France, plusieurs lois ont été votées allant dans le sens d’une plus grande
concertation dans la gestion de la ville :

 la loi d'orientation sur la ville de 1991 pose les principes d'une concertation
de la société civile pour les grandes opérations dans les villes ;

 la loi sur l'administration territoriale de 1992 confirme le droit des habitants


à être consultés ;

 la loi Barnier de 1995 institue le débat public notamment pour les projets
ayant un effet important sur l'environnement ;

 la loi Voynet pour l'aménagement et le développement durable du territoire


de 1999 apporte un premier outil concret à la gouvernance : les conseils de
développement constitués par la société civile ;

215
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

 la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain, de 2000, rend la


concertation obligatoire dans l'établissement des plans locaux
d'urbanisme ;

 la loi Vaillant de 2002 institue les conseils de quartier :

Si les conseils de quartier sont, en France comme en Algérie (sous le nom de


comités de quartier), la forme de consultation la plus généralisée, elle pose
néanmoins la question de la participation réelle des habitants (Stébé & Marchal,
2019a). En effet, plusieurs problèmes peuvent être posés tels que la
représentativité des conseils qui pourraient prendre la forme d'un « entre-soi de
classes moyennes déjà engagées dans la vie politique et associative » (Carrel &
Talpin, 2012, p. 180). L'impact réel sur les décisions de la municipalité et
l'objectivité de l'animateur du débat souvent un élu (Stébé & Marchal, 2019a)
peuvent également être remis en cause.

Comme l’expliquent Marchal et Stébé, dans un système de gouvernance, le rôle


de l’urbaniste et des élus locaux change considérablement :

Parce que les urbanistes, mais aussi les élus locaux, l’État et les experts en tout
genre peuvent de moins en moins fonder leurs actions et leurs propositions à partir
d’un intérêt général aux contours bien définis, ils sont conduits à mettre leurs
compétences au service de multiples groupes sociaux et individus. C’est dire si
« le néo-urbanisme privilégie la négociation et le compromis par rapport à
l’application de la règle majoritaire, le contrat par rapport à la loi, la solution ad hoc
par rapport à la norme » (Ascher, 2004, p. 92). Cette observation est d’autant plus
vraie que les urbanistes doivent compter avec une vie associative qui ne décroît
pas, des individus pluriels de plus en plus formés et informés n’hésitant pas à faire
valoir leurs droits et leurs intérêts (Chadoin, 2004)

(Stébé & Marchal, 2019a)

216
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Autrement dit, il ne s'agit plus, pour eux, d'élaborer des stratégies qu'ils jugent
pertinentes pour le bien de tous, mais de tenir compte des différents souhaits des
habitants et de leur volonté de décider du futur de leur milieu de vie.

I.2. L’empowerment

Le terme empowerment est un terme aujourd'hui à la mode. Il est de plus en plus


présent dans les différents domaines de la politique, de l'action sociale, dans le
développement personnel mais aussi dans le monde universitaire ou
professionnel. Le concept englobe plusieurs sens, d'autant plus qu'il est issu d'une
littérature anglo-saxonne. Du point de vue littéral, le terme articule deux
dimensions, celle du pouvoir de l'anglais « power » et celle du processus
d'accession à celui-ci (Bacqué & Biewener, 2013b). L'empowerment implique
selon Bacqué et Biewener « une démarche d'autoréalisation et d'émancipation des
individus, de reconnaissance des groupes ou des communautés et de
transformation sociale. » (Bacqué & Biewener, 2013b, p. 6)

Si le terme empowerment lui n'existait pas, le verbe « to empower » existait depuis


le 19eme siècle. La transformation qu'a eue le sens de ce verbe coïncide avec le
changement qu’ont connu le pouvoir et le gouvernement. Au 19ème siècle, le
verbe « to empower » voulait dire conférer un pouvoir à quelqu'un. A partir de
1970, le terme n'est plus utilisé dans ce sens mais dans celui de se donner du
pouvoir dans un contexte caractérisé par de nouveaux mouvements sociaux qui
émergent au côté de ceux classiques du monde de la production (Bacqué &
Biewener, 2013b).

L'engouement récent enregistré pour la question de l'empowerment peut


s'expliquer par le fait qu'il est « à la confluence de quatre groupes de
préoccupations et de critiques articulés : une remise en cause de la bureaucratie
de l'action publique, qui peut déboucher sur le refus de l'action publique ou sur
l'émergence de nouvelles pratiques professionnelles ; une revendication
participative à partir de l'initiative de groupes locaux et de mouvements sociaux ;
une contestation des inégalités sociales mais aussi raciales et genrées ; des
217
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

interrogations sur l'articulation entre « structure » et « agency » [capacité d'agir


des individus] dans le changement social » (Bacqué & Biewener, 2013a, p. 26).

Comme l'expliquent Bacqué et Biewener, Lukes ouvre la voix aux premières


réflexions sur l'empowerment en situant le pouvoir dans la relation entre structure
et agency. L'approche est nouvelle puisque, jusque-là, la relation de pouvoir était
envisagée dans le sens où un individu exercerait un pouvoir sur un autre dans le
cas où il peut l'amener à faire quelque chose qu'il n'aurait pas fait autrement, ou
qui serait contraire à son propre intérêt (Bacqué & Biewener, 2013b).

Il s'agit, dès lors, de l'empowerment comme de la « valorisation et du


développement des compétences et des agencies ou capacités d'agir des
individus et des groupes » (Bacqué & Biewener, 2013b).

Bacqué et Biewener proposent trois idéaux-types ou modèles pour simplifier les


différents courants dans lesquels est mobilisée la notion d'empowerment :

 un modèle radical dont les enjeux sont la reconnaissance des groupes et


du même coup la réduction des inégalités dans la redistribution des
richesses, la fin de la stigmatisation et une autodétermination et affirmation
des droits politiques ;

 le modèle libéral ou social-libéral qui va dans le sens d'un état et de


politiques publiques promouvant les droits civiques et s'opposant au
libéralisme économique pour aller vers la diminution des inégalités
sociales ;

 le modèle néolibéral dans lequel il s'agit de gérer la pauvreté et les


inégalités en permettant une prise de décision rationnelle des individus dans
le contexte d'économie de marché.

Ces trois modèles montrent très bien la nécessité d'une remise en cause du
modèle de gouvernement classique et d'aller vers une gouvernance à différentes
échelles locales et une participation de la société civile dans les processus de prise
de décision.
218
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

De son coté, Bernard Jouve explique que l'empowerment « vise à renverser les
rapports classiques de domination entre l'état et la société civile par le biais de
transfert de ressources politiques et de capacité d'organisation » (Jouve, 2006, p.
5). Le terme désignerait « un ensemble de transformations majeures aussi bien
dans la manière de mener les politiques de lutte contre la pauvreté que dans le
cadre analytique à travers lequel l'individu et les groupes sociaux - compris comme
des sujets politiques - envisagent leur rapport à la puissance publique et en
premier lieu à l'état. » (Jouve, 2006, p. 5)

Néanmoins on peut faire la critique de l'empowerment comme un idéal plus qu'une


réalité puisque, dans les faits, il se heurte à une répartition très asymétrique des
ressources et des légitimités (Jouve, 2006).

I.3. Stratégies adoptées dans les grands ensembles dans le


monde

Dans le contexte du passage du gouvernement centralisé à une gouvernance


s’appuyant sur la multiplicité des acteurs et l’empowerment des populations, cette
partie s’intéresse aux différentes stratégies de développement local mises en place
dans le monde. Plus précisément, c’est les stratégies et les opérations qui sont
liées aux grands ensembles (ce qui a été appelé en France « la politique de la
ville » (M. Blanc, 2006)) et à leur patrimonialisation qui nous intéressent ici dans
l’optique de tracer des perspectives d’évolution des grands ensembles en Algérie.

Nous étudierons ainsi, dans un premier temps, différents exemples internationaux


de cadres mis en place pour permettre des interventions sensibles dans les cités
d’habitat social, basées sur la participation des habitants et sur la mobilisation des
ressources locales. Dans un second temps, nous nous intéresserons aux cas
particuliers de la démolition et de la patrimonialisation et montrerons, à cet égard,
différents schémas relevés.

219
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

I.3.1. Exemples de stratégies de développement local

Nous aborderons ici deux exemples de stratégies de développement local


adoptées en Allemagne et au Canada.

 Le Soziale Stadt en Allemagne :

En 1994 les maires de plusieurs grandes villes lancent un appel pour alerter sur
l'amplification des inégalités sociales et la constitution de poches de pauvreté,
notamment dans les grands ensembles construits en grande quantité en
Allemagne. En réponse à ces problèmes, le programme Soziale Stadt va être
élaboré, il visera l'échelle locale et particulièrement les quartiers.

Le budget de 358 millions d'euros avec près de 30 millions d'euro utilisés par an
est cofinancé par l'Etat fédéral, les länder (Etats) et les municipalités. Il est mis en
œuvre actuellement dans 363 zones urbaines qui sont définies en fonction des
différents indicateurs sociaux et économiques.

Le programme a plusieurs objectifs (Mayer, 2006) :

 le ciblage, à la différence des anciennes politiques, de territoires au lieu de


secteurs d’activités ;

 l’implication du secteur privé ainsi que les différents ministères et


organismes gouvernementaux ;

 la multiplication des objectifs dans le même projet (rénovation/construction,


dimensions sociale/culturelle/économique) ;

 l’activation et la responsabilisation des habitants des quartiers sensibles.

Le dernier point est crucial puisqu'il va dans le sens d'un empowerment des
résidents des quartiers démunis.

220
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Des outils ont été créés afin de gérer la complexité des projets et la coordination
entre les différents secteurs publics et privés comme le « quartiersmanagement »
ainsi que des structures participatives.

Mais comme l'explique Mayer, le programme Soziale Stadt n'est pas entièrement
libéré de l'ancienne manière de faire. Si le développement urbain est abordé de
manière différente, en se basant sur les municipalités et l'empowerment des
individus et des groupes, le cadre législatif reste le même et le contrôle de l'Etat
fédéral persiste (Mayer, 2006).

L'exemple de Berlin est édifiant puisque 17 quartiers de la ville ont reçu 109
millions d'euros provenant de la municipalité, de l'Etat fédéral et de l'Union
Européenne. Ces financements, le programme Soziale Stadt, ne fait en réalité
qu’en fixer le cadre opératoire et laisse la définition d'une stratégie essentiellement
aux bureaux de quartier qui déterminent les besoins et les attentes des habitants
(Mayer, 2006). Les autorités habituellement en charge de la planification urbaine
délèguent ainsi leurs responsabilités, conscients que les outils dont ils disposent
ne sont plus efficaces si tant est qu'ils l'aient été.

Les projets sont compris dans trois catégories (Mayer, 2006) :

 l'amélioration physique, matérielle et esthétique du quartier ;

 le relancement du développement économique ;

 les projets issus des propositions des habitants.

Le changement significatif qu'apporte le programme Soziale Stadt réside dans le


fait de conduire, non plus des stratégies généralisées à des aires géographiques
précises mais des opérations ponctuelles qui ne s'inscrivent pas dans des
stratégies globales. Des opérations qui s'appuient sur les ressources du quartier
et l'empowerment de ses habitants (Mayer, 2006).

221
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

 Le développement économique communautaire au Canada :

Visant la création d’économies dynamiques, souples et durables, le


Développement Economique Communautaire (Présentation du programme Image
22), programme similaire à celui du Soziale Stadt, est une approche locale dont
l’objectif est la création d’opportunités économiques et l’amélioration de la situation
sociale des habitants des communautés défavorisées. L’approche résulte de la
prise de conscience que les défis économiques, environnementaux et sociaux sont
aujourd’hui interdépendants, complexes et mouvants.

Le programme favorise les projets qui s’appuient sur les ressources locales et qui
sont destinés à être mis en œuvre par la communauté elle-même. Par ailleurs,
sont adoptées, les approches globales intégrant les besoins des personnes, des
communautés et des régions dans une interdépendance des échelles.

Le programme développe trois stratégies principales :

 le soutien aux personnes ;

 la création d’entreprises ;

 le renforcement des communautés.

222
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Image 22 : Présentation du programme économique communautaire (The center for community


enterprise)

223
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

I.3.2. La démolition des grands ensembles, ses logiques et son vécu

La démolition des grands ensembles n’est pas dénuée de logique. Comme


l’explique Vincent Veschambre, elle a ses arguments (Veschambre, 2008) : d'un
point de vue technique les grands ensembles ont souffert de beaucoup de
dégradations et les réhabilitations successives n'ont parfois pas suffi. D'autant plus
que la conception des derniers grands ensembles, avant l'arrêt de leur
construction, était souvent très pauvre et éloignée des idéaux originels de Le
Corbusier et du Mouvement moderne.

Parallèlement à cela, des logiques économiques étaient à l'œuvre, les opérations


de démolition-reconstruction ouvraient de nombreux chantiers et revalorisaient le
patrimoine des bailleurs sociaux (Veschambre, 2008). Néanmoins, les grands
ensembles détruits ne présentaient pas tous des problèmes techniques et les choix
entre réhabilitation et démolition en France vont varier d'un grand ensemble à
l'autre.

Le photographe Mathieu Pernot expose dans sa série de photographies


« implosions » des grands ensembles sans lieux ni dates au moment précis où ils
sont dynamités (Photo 46, Photo 47). Il décrit ces images comme ceci :

Ces images de démolitions d'immeubles par l'explosif ont été réalisées dans les
banlieues de quelques grandes villes françaises. Les photographies, prises au
moment où l'édifice vacille, évoquent la vulnérabilité de sa structure en même
temps que la fragilité sociale de ceux qui l'habitaient. Le caractère festif et
spectaculaire que les édiles locaux confèrent volontiers à ces manifestations
publiques dissimule mal le fait qu'avec l'immeuble c'est toute une mémoire du
quartier qui disparaît

(Pernot cité dans Veschambre, 2008)

224
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Photo 46 : Photo extraite de l’exposition « Implosions » de Mathieu Pernot, 2002. Photo Mathieu
Pernot, s. d.

Photo 47 : Photo extraite de l’exposition « Implosions » de Mathieu Pernot, 2002, Photo Mathieu
Pernot s. d.
225
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Vincent Veschambre explique que, dans certains cas, les aménageurs ont pu
sous-estimer l'ancrage des habitants à leur quartier même si celui-ci souffrait de
grandes dégradations. Il cite en ce sens l'exemple de la cité de Verneau à Angers
où de nombreuses plaintes ont été recensées de la part des habitants de cette
cité:

Ils ne savent pas le mal qu'ils nous font. On laisse tous nos souvenirs, on laisse
toutes nos joies et nos peines, on nous arrache quelque chose quoi...

Encadré 67 : Permanence "Hamon tourne la page" : entretien collectif avec des habitantes ayant
déménagé (avril 2007) (Veschambre, 2008)

I.3.3. Projets de patrimonialisation

La fabrication du patrimoine connait aujourd’hui une multiplication des schémas.


Les processus varient d’une patrimonialisation par désignation suivie (ou non) par
une appropriation à une reconnaissance institutionnelle résultat de l’appropriation
populaire. Nous étudierons à cet égard plusieurs exemples réussis ou n’ayant pas
abouti d’un processus de fabrication du patrimoine :

 Le Havre

Nous étudions ici, à travers le projet de patrimonialisation de l'architecture


d'Auguste Perret au Havre, une patrimonialisation Top/Down où la qualification de
patrimoine vient, non pas de la population elle-même, mais des experts et des
collectivités locales.

Le cas du Havre nous intéresse du point de vue patrimonial pour plusieurs raisons.
D'abord la ville du Havre montre très bien l'extension qu'a pu prendre la notion de
patrimoine puisqu'elle inclue différents patrimoines de différentes périodes
jusqu'au XXème siècle. Ensuite l'architecture de reconstruction d'Auguste Perret a
fait l'objet d'un processus de patrimonialisation par désignation. Enfin, l'exemple
du Havre montre comment, dans un contexte d'absence de dynamisme, on a
essayé de fabriquer un futur patrimoine en ayant recours à des stars de

226
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

l'architecture (Gravari-Barbas & Renard, 2010). En effet, après Auguste Perret,


c'est Niemeyer qui réalisera un projet au Havre (Photo 48) puis, plus récemment,
Jean Nouvel (Photo 49).

Photo 48 : L’espace Oscar Niemeyer, Le Havre (unesco.lehavre.fr). Photo auteur inconnu, s.d

Photo 49 : Bain des docs, Le Havre (jeannouvel.com). Photo auteur inconnu, s.d

Dans leur article « une patrimonialisation sans appropriation » (Gravari-Barbas &


Renard, 2010), Maria Gravari-Barbas et Cécile renard analysent l'impact d'une
patrimonialisation par désignation sur les perceptions des habitants. L'architecture
patrimonialisée ici est celle qui a été réalisée par l'architecte de renommée Auguste

227
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Perret (Photo 50). Les auteurs de l’analyse qualifient cette patrimonialisation de


« patrimonialisation sans appropriation » en raison du fait que l'architecture de
Perret est, au départ, largement mal aimée par la population du Havre comme en
témoigne l’extrait d’entretien cité par les auteurs de l’étude (Encadré 68).

Photo 50 : Architecture d’August Perret au Havre (franceculture.fr). Photo auteur inconnu, s.d

C’est ridicule… mais il ne faut pas le dire à monsieur le Maire… Mais quand vous
voyez des villes comme Athènes, où, ça n’a rien à voir… Moi si j’avais de l’argent,
je mettrais tout par terre et je mettrais autre chose. […] Je trouve ça lamentable,
on a vécu là-dedans, c’était pas mal, confortable mais quand on voit qu’on
compare ça à Angkor, c’est lamentable, je ne sais pas comment il a attrapé ça,
mais c’est n’importe quoi ! […] Quand on voit Vienne, Prague, Budapest, trois
villes, qui sont autre chose que Le Havre

Encadré 68 : Extrait d’entretien mené avec un habitant du Havre (Montjaret et al cité dans
Gravari-Barbas & Renard, 2010, p. 69)

228
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

C'est dire si la volonté d'inscription de l'architecture de la ville du Havre au


patrimoine mondial de l'UNESCO paraît, au départ, incongrue à ses propres
habitants. D'autant plus que d'autres villes avec un patrimoine largement reconnu
par ses habitants étaient en concurrence lors de cette candidature.

Gravari-Barbas et Renard expliquent à ce propos que « [...] Le Havre affiche un


caractère pusillanime germé dans des années de complexe « de laideur ». [il
explique que] Traumatisés par une histoire douloureuse et n’assumant pas le
patrimoine Perret, les Havrais ont cultivé un sentiment de « honte » nourri par des
« regards extérieurs » méprisants. Aussi, prendre confiance dans le potentiel
attractif de la ville, assimiler le centre reconstruit comme patrimoine d’exception et
en assumer la singularité sont apparus comme des enjeux auprès de la population
locale en premier lieu. » (Gravari-Barbas & Renard, 2010, p. 62)

Pour la collectivité locale, il s’agissait d'utiliser la labellisation comme une


ressource non seulement pour le développement économique du territoire, grâce
à l'attraction touristique induite par un patrimoine mondial de l'UNESCO, mais
également de réconcilier les habitants eux-mêmes avec leur ville.

La patrimonialisation a abouti à beaucoup de travaux de restauration ainsi qu'à


une mise en scène de l'architecture Perret. En plus de l'attrait touristique qu'elle
suscite, comme l'explique un élu local, si la reconnaissance mondiale par
l'UNESCO n'a rien de contraignant juridiquement, elle est un argument de poids
pour faire respecter les nouvelles réglementations relatives à l'architecture
(comme ne pas effectuer de modifications qui dénatureraient l'architecture). Dès
lors, l'architecture est mise en valeur à travers divers outils comme la mise en visite
à travers la création de parcours touristiques (Plan 3) et la mise à disposition des
visiteurs d'appartements témoins (Gravari-Barbas & Renard, 2010).

D'après l'enquête menée par Gravaris Barbas et Renard, il semble que la


labellisation ait eu un effet non seulement sur l'attraction touristique de la ville mais
également sur les habitants eux-mêmes. En effet, une augmentation progressive
du flux touristique est notée. Concernant les perceptions de la population, la
229
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

patrimonialisation semble agir comme un médiateur entre l'architecture et la


population comme le montre cette habitante interviewée (Encadré 69).

Plan 3 : Parcours de visite (Gravari-Barbas & Renard, 2010, p. 66)

Autant Le Havre, quand j’étais petite, je trouvais que c’était pas très beau, c’était
gris, mais depuis quelques années, ça a beaucoup évolué. La ville s’est
embellie […] c’est toujours les mêmes constructions, je suis d’accord, mais il y a
eu des efforts, par exemple pour la gare, l’université, le bord de mer… Beaucoup
de choses ont été améliorées.

Encadré 69 : Extrait d’entretien mené avec une habitante du Havre (Gravari-Barbas & Renard,
2010, p. 70)

Mais comme il semble que l'appropriation de l'architecture reste dans une grande
mesure encore fragile, face à l'investissement de la municipalité, il n'y a pas eu
230
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

d'investissement réel de la part des autres acteurs et notamment le réseau


associatif (Gravari-Barbas & Renard, 2010).

 L’unité Billardon

On peut citer également dans le registre de la patrimonialisation par désignation le


cas de la cité Billardon (Photo 51) dans la ville de Dijon. Cette cité, malgré sa
labellisation « patrimoine du XXème siècle » en rapport avec son procédé de
construction préfabriqué, a été démolie. Dans ce cas, la patrimonialisation par
désignation n'a pas du tout été relayée par une appropriation et les habitants n'ont
jamais pu comprendre pourquoi cette cité a été labellisée (Veschambre, 2008).

Photo 51 : Unité Billardon à Dijon avant sa démolition (Mairie de Dijon). Photo auteur inconnu, s.d

231
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

 Beaulieu

Dans le cas des grands ensembles de Beaulieu (Photo 52), la patrimonialisation a


été voulue comme un levier. On a estimé que l’opération pouvait avoir des effets
positifs sur les habitants et donc enclencher des processus d’appropriation
(Veschambre, 2008). Là aussi, la patrimonialisation est voulue comme un
instrument au service de la politique de la ville.

Au départ, la désignation de Beaulieu comme patrimoine du XXème siècle est le


résultat du travail effectué par les chercheurs locaux qui, tout en produisant un
travail scientifique, ont milité pour la labellisation de beaulieu (Kaddour, 2013).
Mais comme le souligne Rachid Kaddour, il ne s'agit pas seulement de la
mobilisation universitaire. D'autres acteurs économiques et politiques vont
considérer la patrimonialisation comme un outil de développement.

Photo 52 : Grand ensemble de Beaulieu (arts.savoir.fr). Photo auteur inconnu, s.d

232
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

La labellisation va se traduire sur le terrain par l'élaboration d'un projet en 2005 de


valorisation culturelle du grand ensemble de Beaulieu appelé « Beaulieu,
patrimoine urbain du XXème siècle ». Il s'agit de la création d'une signalétique
relative à la labellisation, de la création de parcours de visites, de la mise à
disposition des visiteurs d'un appartement témoin et de la rédaction d'un ouvrage
(Kaddour, 2013).

La ville de Saint Etienne est également labellisée « Ville d'art et d'histoire ». Cette
labellisation est le résultat d'un travail de la municipalité et des réseaux
administratifs mais aussi d’une vision commune avec les services de la direction
des affaires culturelles (Kaddour, 2013). La présentation du dossier de candidature
montre très bien l'émergence d'un patrimoine nouveau :

La notion de patrimoine n'est pas évidente à Saint-Etienne, mais elle existe


pourtant sans édifices prestigieux ni monuments ostentatoires... Elle n'est pas
réduite aux seuls objets architecturaux mais s'élargit à leur environnement urbain,
aux rapports de l'homme à son contexte, des traces les plus anciennes à l'actualité
des projets. Le rôle d'une ville ne se limite pas à la préservation et à la conservation
de sa mémoire et de son héritage. Elle a un rôle moderne à jouer : (re)mettre le
patrimoine local à la portée et à la disposition des habitants de la ville afin qu'ils
deviennent les meilleurs ambassadeurs d'un patrimoine stéphanois « réhabilité»

Encadré 70 : Extrait du dossier de candidature de Beaulieu au label « patrimoine du XXème


siècle

Néanmoins, comme l'explique Rachid Kaddour, le processus de patrimonialisation


dans la ville de Saint Etienne est loin d'être linéaire. Si certains patrimoines ont été
reconnus et mis en valeur, d'autres ne l'ont pas été.

233
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Le patrimoine industriel, bien qu'il connaisse un début de reconnaissance dans


beaucoup de villes, ne l'a pas été à Saint Etienne en raison d'une mémoire qu'on
refuse de mettre en avant comme le suggère Georges Gay :

Sans doute faut-il voir derrière cette cacophonie la difficulté qu'il y a à assumer
dans toutes ses composantes un héritage industriel qui, au-delà de sa valorisation
dans les mentalités locales, est par nature conflictuel, car y sont inscrites à la fois
la mémoire de luttes, celle de l'exploitation et celle d'une domination dont la
légitimité est sapée par la valorisation de ce qui est un témoignage de l'échec

(Gay dans Kaddour, 2013, p. 247)

D'autre édifices anciens de périodes antérieures ont quant à eux été démolis dans
le cadre de logiques marchande et afin de libérer des terrains stratégiques malgré
l'opposition de la société civile (Kaddour, 2013).

 Utopies Réalisées

Ce sont des bâtiments emblématiques de l’architecture moderne mis en réseau


par la région urbaine de Lyon. Classées, partiellement classées ou non classées,
ces architectures sont un exemple intéressant d’un début de reconnaissance d’un
patrimoine de ce type.

Le réseau met en valeur cinq réalisations majeures de l’architecture moderne en


France et fait intervenir les collectivités locales à différentes échelles.

234
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Photo 53 : Le quartier des états unis à Lyon (lyon-france.com). Photo auteur inconnu, s.d

D’abord, le quartier des états unis de Tony Garnier (Photo 53), non classé, a fait
l’objet d’une stratégie particulière, à partir des années 1990 qui a consisté en l’ajout
de peintures sur les différents murs pignons du quartier. Celui-ci a ainsi été
transformé en musée urbain.

Une opération de ce type montre les différentes possibilités de patrimonialisation


d’une architecture habitée en dehors d’un classement classique. En effet,
l’absence de classement a permis la transformation en musée urbain de cette cité.
Néanmoins, ce type de patrimonialisation présente des problèmes. En effet, étant
habité, dépendant de subventions qui parfois tardent à venir et n’étant pas classé,
le quartier peut risquer une dégradation de son architecture.

235
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Photo 54 : Quartier des Gratte-ciels à Villeurbanne (lyon-france.com). Photo auteur inconnu, s.d

Ensuite, le quartier des gratte-ciels construit en 1927, comporte l’un des premiers
gratte-ciels modernes construits en France. L’hôtel de Ville (Photo 54) est inscrit à
l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1991. En 1993,
une Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et paysager (ZPPAUP)
est établie dans l’objectif de protéger l’ensemble du quartier des Gratte-ciels.

Par ailleurs, en vue de mettre en valeur le patrimoine, la Société Villeurbannaise


d'Urbanisme (SVU) a fait intervenir en 2009 l'artiste français Guillaume
Bottazzi pour réaliser deux œuvres. Certains logements ont de leur côté pu être
transformés. Là encore, nous avons l’exemple d’une patrimonialisation qui ne fige
pas le quartier.

Enfin, le couvent de la Tourette à Evreux et l’unité d’habitation de Firminy, classés


entièrement ou partiellement comme monuments historiques, sont des réalisations
de Le Corbusier dans la région lyonnaise et constituent un exemple d’une
reconnaissance conventionnelle de la valeur patrimoniale d’une architecture
moderne.

236
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01

Conclusion du chapitre :

On assiste, dans beaucoup de pays, au passage des stratégies globales,


centralisées et imposées à des stratégies de développement local mobilisant
différents acteurs et impliquant la population. Elles privilégient des approches non
plus sectorielles et généralisées mais intersectorielles et s’appuyant sur les
ressources locales. Les stratégies de patrimonialisation et d’action sur le
patrimoine, quant à elles, se multiplient, s’étendant à un patrimoine moderne
nouveau, et oscillent entre classement pur, simple et figeant, et des stratégies plus
souples, permettant, tout en sauvegardant le bâti, son utilisation et réutilisation. A
partir de là, il ne s’agit plus, comme il a été le cas, de généraliser des stratégies de
démolition ou de rénovation mais d’intervenir dans les grands ensembles de
manière sensible en considérant les différentes ressources disponibles et la
volonté de ses habitants dont la participation reste la meilleure garantie de la
réussite des projets.

237
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

II. Le cas Algérien

« Tenir compte des aspirations de la société urbaine, c’est-à-dire, impliquer


l’ensemble de ses acteurs, c’est envisager le projet de vivre la ville au sens de
citoyen et de citadin. Il s’agira de donner du sens social et existentiel à la vie
urbaine. C’est à ce prix, par son rang et ses fonctions, qu’Alger renouera avec son
statut de capitale nationale » (Icheboudène, 2009, p. 112)

Ce chapitre aborde le cas algérien du point de vue, d’abord, de la gouvernance et


de la participation citoyenne, et ensuite du point de vue des stratégies adoptées
dans les grands ensembles en Algérie. Si, dans plusieurs pays, beaucoup de
grands ensembles ont fait et font l’objet d’opérations de démolitions, de
réhabilitation ou de rénovation, il en est autrement en Algérie. D’une manière
générale, ces cités d’habitat collectif ont rarement été prises en charges au-delà
des classiques opérations de réhabilitation superficielle. Néanmoins, nous
pourrons étudier dans ce chapitre certaines opérations de démolition
spectaculaires qui ont suscité des réactions mitigées, allant du soulagement
d’habitants en danger à l’émoi face à « des pans de l’histoire » des villes qui s’en
vont (Samai Bouadjadja, 2009). Nous nous intéresserons également aux projets
de restructuration des cités, à l’exemple du projet pilote de restructuration du grand
ensemble des Amandiers à Oran et de celui de Diar El Kef à Alger qui, bien
qu’isolés, constituent une première expérience d’un projet conduit en concertation
avec les résidents du grand ensemble. Nous citerons également le cas de la
restauration de la partie Confort de Diar El Mahçoul à Alger, qui représente une
première reconnaissance institutionnelle de la valeur patrimoniale d’un grand
ensemble en Algérie et plus généralement d’une architecture moderne.

238
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

II.1. Structures participatives en Algérie

II.1.1. La législation algérienne :

Les premières décennies de l'Algérie indépendante ont été marquées par un


pouvoir central socialiste fort et autoritaire basé sur le Parti unique. Du côté de la
société civile, même si celle-ci était présente, elle restait dans le giron du Parti
unique qu'il s'agisse des pouvoirs locaux ou du monde associatif. Existaient, en
effet, différentes organisations tel que l'UGTA qui représentaient les structures
officielles pour l'engagement du citoyen.

La nouvelle constitution de 1989 va abolir le Parti unique et ouvrir la voie, d'un


point de vue juridique du moins, à une expression diversifiée de la parole du
citoyen. Ceci, à travers la multiplication des partis, des associations et la
consécration des libertés de réunion et des libertés individuelles.

La nouvelle constitution sera accompagnée de plusieurs textes notamment dans


le domaine de l'urbanisme. La loi 90-29 va introduire de nouveaux instruments
d'urbanisme qui vont remettre les prérogatives de l'aménagement de la ville aux
mains des collectivités locales. Nadjet Mouaziz-Bouchentouf donne, à cet égard,
l'exemple du PDAU ou du POS, censés être établis sous la responsabilité du
président de l'assemblée populaire communale (Mouaziz-Bouchentouf, 2008) : La
loi concernant ces instruments, en plus d'attribuer les prérogatives en matière
d'urbanisme à la commune et non à la wilaya, incite à inclure des associations
d'usagers, des chambres de commerce et des organisations professionnelles dans
le processus d'élaboration des PDAU. L'article 74 de la loi 90-29 donne en effet le
droit à « toute association légalement constituée qui se propose par ses statuts
d'agir pour l'aménagement du cadre de vie et pour la protection de
l'environnement » d’enclencher des procédures juridiques en cas de non-respect
des plans établis.

239
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

D'autres éléments prévoyant la pratique participative sont contenus dans différents


dispositifs comme la législation et la réglementation prévoyant l'enquête publique
ou l'enquête d'utilité publique.

Par ailleurs, le terme démocratie participative est aujourd'hui inscrit dans la


constitution algérienne :

L'État est fondé sur les principes d'organisation démocratique, de séparation des
pouvoirs et de justice sociale. L'assemblée élue constitue le cadre dans lequel
s'exprime la volonté du peuple et s'exerce le contrôle de l'action des pouvoirs
publics. L'état encourage la démocratie participative au niveau des collectivités
locales.

Encadré 71 : Article 15 de la constitution algérienne

De plus, l'Algérie s'est engagée dans un partenariat entre le ministère de l'intérieur


et des collectivités locales, le PNUD (Programme des Nations Unis pour le
Développement) et l'Union Européenne dans le but de promouvoir la démocratie
participative.

II.1.2. Le programme CapDEL :

Le programme CapDEL, financé par l'Union Européenne et l'Etat algérien, vise à


« renforcer les capacités humaines et institutionnelles des acteurs locaux pour
promouvoir la participation citoyenne, l'articulation entre acteurs du
développement local, visant une meilleure planification et mise en œuvre des
programmes de développement communaux » (PNUD Algérie, 2016), il s'agirait à
travers ce programme d' « assurer une gouvernance communale concertée,
transparente et attentive aux besoins et attentes des citoyens, en particulier des
jeunes et des femmes et un développement humain local intégré. » (PNUD Algérie,
2016)

240
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Concernant la démocratie participative le projet comporte plusieurs objectifs


(Ministère de l’Intérieur, des Collectivités Locales et de l’Aménagement du
Territoire & Programme des Nations unies pour le développement) :

 le premier s'attache à développer et à élargir les espaces d'intervention


dans un cadre participatif de la société civile et à l'implication des acteurs
locaux ;

 l'inscription de la participation citoyenne dans la planification et la mise en


œuvre des projets de développement local et, à partir de là, penser
l'articulation entre les différents acteurs du développement local ;

 l'inclusion des jeunes et des femmes dans les dynamiques de


développement local ;

 renforcer le dialogue entre l'État central, les autorités locales, les jeunes et
la société civile ;

 la mise à disposition des élus locaux et de la société civile des outils et des
mécanismes de gestion et d'échange d'expériences entre territoires ;

 l'exploitation du potentiel économique des communes ;

 la diversification économique des territoires.

Le projet propose pour atteindre ces objectifs plusieurs instruments (ministère de


l’Intérieur, des Collectivités Locales et de l’Aménagement du Territoire &
Programme des Nations unies pour le développement) :

 l'établissement d'un plan communal de développement d'une manière


participative à travers des sessions de consultations par la commune, la
société civile, les acteurs économiques locaux et le secteur académique
local ;

 l’élaboration participative des budgets avec les différents acteurs locaux ;

241
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

 la concertation et la coordination entre les deux échelles locales à travers


l'institution d'ateliers en vue d'harmoniser le PCD avec le plan de
développement de la wilaya ;

 la mise en place d'un cadre permanent de concertation entre la société civile


et la commune.

Notons qu'un avant-projet de loi encadrant la mise en place de la démocratie


participative dans les collectivités locales et inspiré directement de ce programme
est actuellement à l'étude.

Si la gouvernance locale semble, au regard de la législation en vigueur, dans une


certaine mesure, encouragée, dans les faits il en est autrement. En effet, le pouvoir
des élus locaux est en réalité très limité face aux représentants de l'État central.
Ceci est dû, notamment, au manque de ressources au niveau local allié à la
redistribution par l'Etat de la rente pétrolière (Mouaziz-Bouchentouf, 2008).

II.1.3. Une législation contournée :

Une grande partie des travaux ayant un impact considérable sur la ville sont
décidés sans aucune consultation avec les assemblées locales ni les associations.
A ce propos, Nadjet Mouaziz-Bouchentouf cite l'exemple des élargissements des
voies de circulation et parallèlement la réduction des largeurs de trottoir et la
destruction de certains espaces verts dans la ville d'Oran. L'établissement du POS,
quant à lui, fait l'objet de tractations et de manœuvres de la part des acteurs du
secteur de l'immobilier dans des stratégies marchandes ce qui aboutit à des
situations transgressant les règles les plus basiques de l’urbanisme (Mouaziz-
Bouchentouf, 2008). Par ailleurs, les plans d'urbanisme sont, dans la majorité des
cas, établis sans l'intervention du réseau associatif. En témoigne le cas de ce
comité de quartier de Yaghmouracen (Oran) qui s'est opposé à la construction
d'une maison de jeunes et d'un centre commercial dans le quartier et qui s'est vu
répondre une fin de non-recevoir, les projets étant déjà inscrits dans le POS
(Mouaziz-Bouchentouf, 2008).

242
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Le permis de construire est un autre exemple de l'impuissance des communes


face au pouvoir central. Ceux-ci sont délivrés pour toute construction nouvelle par
les l'Assemblées Populaires Communales mais l'instruction du dossier étant
partagée avec la Direction de l'Urbanisme et de la Construction subordonnée à
l'APW, le rôle de l'APC se limite finalement à celui administratif de vérification de
la recevabilité et de l'envoi du dossier vers les directions dépendantes de la Wilaya
(Mouaziz-Bouchentouf, 2008).

Le choix de terrains pour la construction de projets relève également dans une


grande mesure de la responsabilité de la Wilaya et donc directement du wali
désigné par l'état.

Dans les faits, la seule structure effective permettant une certaine participation,
bien que limitée de l’habitant, semble être le comité de quartier, sensé servir
d’interface entre les habitants et les pouvoirs publics.

II.2. Comités de quartier et implication réelle à Diar El Mahçoul

Interrogés sur leur comité de quartier, les habitants de Diar El Mahçoul ont émis
de fortes réserves quant à la crédibilité de celui-ci. En effet, dans une cité comme
El Mahçoul où, régulièrement, des habitants manifestent pour réclamer
l’amélioration de leurs conditions de vie, le comité de quartier est devenu un outil
stratégique à la disposition des pouvoirs publics pour calmer ou prévenir la révolte
des habitants comme nous l’ont affirmé plusieurs enquêtés :

Non je n’ai rien à voir avec le comité de quartier, ce n’est rien d’autre qu’un avant-
poste de l’État dans la cité, ses membres préviennent le pouvoir à chaque fois
qu’on veut manifester…la dernière fois, on venait à peine d’en parler qu’on se
faisait déjà arrêter par la police qui était renseignée par certains membres

Encadré 72 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, El Mahçoul, Alger

243
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

La situation n’est pas différente à Confort qui a son propre comité de quartier et où
celui-ci est perçu comme un moyen pour ses membres d’obtenir des avantages
personnels auprès des pouvoirs publics :

Le comité de quartier ! [Rire de l’enquêté] Je ne veux rien avoir à faire avec eux,
ils ne font que ménager les habitants contre des avantages et des appartements
qu’ils obtiennent de la part de la mairie

Encadré 73 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger

Par ailleurs, là aussi, la représentativité du conseil pose problème, les jeunes et


les femmes étant peu représentés.

Mais cela ne veut pas dire que les habitants ne s’impliquent pas dans le quartier.
Ceux-ci s’organisent en dehors du cadre du comité de quartier pour effectuer
différentes activités et expriment clairement une volonté de peser dans le devenir
de leur quartier.

… On s’organise entre nous pour faire des séances de volontariat, nettoyer le


quartier ou essayer d’améliorer le cadre en plantant et en ajoutant des décorations
comme le petit jardin que vous voyez là-bas

Encadré 74 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger

L’implication des habitants va également dans le sens de la lutte contre les


différents trafics comme nous l’avons cité précédemment dans cet extrait
d’entretien avec un habitant d’El Mahçoul :

Nous essayons de sensibiliser les jeunes hommes, surtout ceux qui participent au
trafic de drogue. Hier par exemple on les a emmenés pour faire du volontariat, on
a distribué de la nourriture en ville aux SDF

Encadré 75 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger

Interrogés sur le devenir de leur quartier, les habitants d’El Mahçoul montrent une
frustration due au fait qu’ils ne sont pas associés au processus de prise de décision
244
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

ni même informés comme l’évoque cet enquêté dont les propos sont exemplaires
de ceux d’El Mahçoul :

On ne sait pas du tout ce qu’ils veulent faire de la cité. Ils ont déjà relogé une partie
des habitants et vidé leurs appartements, ils les ont cadenassés pour qu’on ne les
utilise pas. Je ne vois pas pourquoi ils font ça… Une fois il y a des militaires qui
sont venus regarder la cité de loin, ils voulaient la prendre, mais elle ne leur a pas
plu. Moi si j’avais assez d’espace j’aimerais bien rester ici, j’ai grandi ici, je ne me
vois pas vivre ailleurs […] S’ils faisaient la même chose que ce qu’ils ont fait à Diar
El Kef ce serait bien…

Encadré 76 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, Confort, Alger

Ainsi, si les habitants d’El Mahçoul veulent être relogés, étant donné la dégradation
avancée de leur cité, les enquêtés ont dans leur majorité exprimé une volonté de
rester dans le quartier si celui-ci était réhabilité et que les appartements étaient
agrandis. La perspective de voir leur quartier être approprié par un personnel
militaire ou celui d’une administration, comme cela a été le cas dans certains
grands ensembles, est très mal perçue par les résidents.

Force est de constater que, dans Diar El Mahçoul, la volonté majoritaire des
résidents de s’impliquer dans le devenir et dans la vie quotidienne du quartier se
heurte à leur exclusion effective du processus de prise de décision et à des
structures participatives qui sont déviées de leurs rôles pour servir les agendas
personnels ainsi que les stratégies des pouvoirs publics.

II.3. Interventions dans les grands ensembles en Algérie

II.3.1. La démolition

Les démolitions de grands ensembles en Algérie n’ont pas été très nombreuses.
En effet, comme dans d’autres pays socialistes, la crise du logement, la valeur
d’usage et le coût de la démolition/reconstruction a parfois découragé les pouvoirs
publics. Mais on peut dénombrer quelques démolitions spectaculaires dans les

245
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

grandes villes algériennes telles qu’Alger, Setif ou Mostaganem. Nous aborderons,


à titre d’exemple, certaines de ces cités :

 La cité Diar Echems à Alger :

Cette cité, qualifiée parfois de « hideuse » est construite en 1958 dans le cadre du
plan de Constantine. Elle logeait, en 2016, avant sa démolition, plus de 1500
habitants4. Les logements de cette cité, très petits et inadaptés à la taille de la
famille algérienne, étaient rudimentaires et de type « évolutif ». La cité était connue
pour son taux élevé de criminalité ainsi que par l’insécurité qui y régnait.

Après des années et plusieurs mouvements de protestation de ses habitants, la


cité Diar Echems a finalement été démolie de manière progressive.

Les réactions à la démolition de la cité Diar Echems ont été ambigües. Le


soulagement des familles qui ont accédé à de nouveaux logements spacieux est
évident. Les journaux n’ont pas manqué d’en faire état :

[…] au bout d’un long calvaire fait d’exiguïté et de promiscuité, les habitants de la
cité « mouroir » de Diar Echems ont enfin goûté à la joie d’un logis décent à
Djenane S’fari de Birkhadem et à destination d’autres contrées qui ont contribué à
faire de ces citoyens, des femmes et des hommes heureux.

Encadré 77 : Extrait de l’article de L.N concernant la démolition de Diar Echems


dans Liberté-algérie (L.N, 2016)

Mais si l’on s’intéresse aux différentes pages dans les réseaux sociaux consacrées
à la cité Diar Echems, on se rend compte que ce soulagement des habitants est
souvent accompagné d’un sentiment de déchirure envers ce grand ensemble dans
lequel ils ont grandi et envers lequel ils ont construit une appartenance. A ce
propos, les vidéos commémoratives de cette cité sont nombreuses sur les réseaux
sociaux et ses anciens résidents expriment leur tristesse.

4 Chiffre avancé par l’APC après recensement et avant la démolition

246
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Etant située dans la commune de Salembier, la cité Diar Echems a fait l’objet de
plusieurs discussions avec les habitants de Diar El Mahçoul et de Diar Essaada.
Si les enquêtés évoquent souvent une cité problématique, ils ne manquent pas
d’exprimer une certaine tristesse comme cet habitant de Diar Essaada :

C’est vrai que si tu n’étais pas du quartier c’était un peu dangereux d’aller à Diar
Echems […] mais maintenant qu’ils sont partis il y a clairement moins d’ambiance
à Salembier, les matchs de foot entre habitants de Diar Essaada et ceux de Diar
Echems nous manquent

Encadré 78 : Extrait d’entretien, Homme, 24 ans, Diar Essaada, Alger

Notons également que, face à la répartition des habitants de Diar Echems dans
plusieurs nouveaux quartiers, ceux-ci ont clairement exprimé leur souhait d’être
tous relogés dans le même quartier. Ceci met en évidence les relations de
sociabilités étroites qui se sont constituées dans le grand ensemble.

 La cité Diar Enakhla (Cité du palmier) à Setif :

La cité Diar Enakhla est un grand ensemble construit en 1959 à Sétif dans le cadre
du plan de Constantine. Elle comportait des logements rudimentaires de type
évolutif destinés initialement à une population musulmane dans le contexte de la
colonisation. La cité a connu des dégradations majeures, jusqu’à constituer un
danger pour ses habitants. Néanmoins, quand la démolition de cette cité a été
envisagée, certains acteurs s’y étaient opposés, mettant en relief les qualités de
cette cité ainsi que la vie qui y existait malgré les conditions difficiles. La lettre
ouverte au Wali de Sétif émanant de Semai Bouadjadja, enseignante
d’architecture, est, à cet égard édifiante (Encadré 79). Mais ces voix qui se sont
élevées n’ont pas pu éviter la démolition de cette cité intervenue en 2009.

[…] Diar Enakhla, un témoin majeur de l’architecture moderne à Sétif. Une cité de
200 logements, qui s’inscrit dans le contexte de production du logement social de

247
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

la fin des années cinquante en Algérie. Contemporaine des réformes menées par
Chevalier à Alger et des opérations qui en découlent : celles de Pouillon à Diar
Essaâda, Diar el mahçoul et Climat de France, celle de Lathuillière et Di Martino
dans Haouch Oulid Adda, à Ouchaya, celle de Regeste et Bellissent dans la cité
« Les Dunes » ou alors celle de Maury même, à Djenane Ben Omar. « Diar
Enakhla », traduction presque intégrale de « La cité du palmier » qu’on doit aux
architectes Maury et Pons, opération qui fût orchestrée par l’architecte municipal
Jdanoff est une case du puzzle du patrimoine moderne sétifien « qui appartient
aussi bien au patrimoine algérien comme à l’histoire de l’architecture tout court ».

Déployée sur un ensemble de 7 parcelles remembrées, cette cité présente une


qualité architecturale et urbaine indéniable, qui réside dans son rapport au site et
dans la richesse et la hiérarchie de ses espaces extérieurs qui semblent être des
espaces fédérateurs du projet, tel que préconisé actuellement par l’approche
durabiliste.

Composée de six barres desservies par des coursives et reliées par des
passerelles expérimentant les principes corbuséens, Diar Enakhla oppose de
longues barres orientées Est –Ouest, répondant au souci hygiéniste, à d’autres
plus petites orientées Nord-Sud permettant d’englober les espaces ouverts sur le
ciel sans pour autant les fermer. L’escalier loin d’être « une cage », offre plus on
progresse en hauteur, des vues panoramiques de plus en plus saisissantes.

Diar –Enakhla mis à part son caractère normatif, est une véritable leçon
d’architecture pour paraphraser André Ravéreau.

Réalisée par la société des anciens combattants, « la cité des palmiers » « cité
jardin » verticale, promouvant l’esprit de rationalité, se traduisant par la rentabilité
du sol remontant à existence minimum des utopies du début du XXème siècle,
laissera mourir de solitude sa sœur aînée « L’combata », celle-ci pensée dans un
esprit paysager satisfaisant l’individualisme à travers l’espace familial bien
enveloppé par rapport à la rue et au « close », espace de collectivité et de
convivialité par excellence.
248
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Penser que Diar Enakhla doit subir le sort des banlieues tristes et désertées que
l’Europe a décidé de démolir serait une grave erreur. De par sa situation urbaine,
son rapport extraordinaire au site mettant en valeur le paysage, Diar ennakhla est
une cité qui regorge de vie même si aujourd’hui elle menace réellement et
sérieusement celles de ses habitants.

Comparer le prix de démolition à celui de la rénovation est une aberration, car par
la démolition « Diar Enakhla » ne seront plus, et un chaînon de l’histoire urbaine
et architecturale de Sétif aura disparu.

La valeur patrimoniale de « Diar Enakhla », ses qualités urbaines, l’étroitesse de


ses appartements, ne la qualifierait-elle pas à changer tout simplement de fonction.
Sétif ne serait-elle pas riche d’une cité universitaire en plein centre-ville. Un espace
qui serait la consécration de la mixité sociale, cheval de bataille du développement
durable auquel l’Algérie a adhéré. Diar-Enakhla pourrait en effet être le prétexte
de l’expérimentation du rapport Ville-Université, une problématique qui a fait couler
tellement d’encre et qui a fait rêver tellement d’architectes et d’urbanistes.

Encadré 79 : Diar Enakhla, « un pan de l’histoire de Sétif qui s’en va… »


Lettre à monsieur le Wali de Sétif (Samai Bouadjadja, 2009)

 La cité Diar El Hana à Mostaganem

D’autres villes ont connu des démolitions de grands ensembles avec des réactions
tout aussi mitigées des différents acteurs de la ville comme la démolition de la cité
Diar El Hana (Photo 55) dans la ville de Mostaganem.

249
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Photo 55 : La cité Diar El Hana (lesoirdalgerie.com). Photo auteur inconnu, s.d

Là aussi, si les habitants ont clairement exprimé un soulagement de quitter un


grand ensemble de recasement, c'est-à-dire, avec des logements rudimentaires et
de petite taille, ils expriment à travers différentes pages de commémoration de la
cité sur les réseaux sociaux l’attachement qu’ils avaient envers ce grand ensemble
et les relations qui se sont nouées entre eux.

II.3.2. La requalification des grands ensembles :

Les termes diffèrent pour désigner les opérations de restructuration des grands
ensembles. Appelées parfois « requalification », parfois « restructuration », ces
opérations n’ont pas été généralisées en Algérie. Cependant, quelques opérations
pilotes ont été menées dans ce sens. Nous nous intéresserons ici à deux
exemples : D’un côté, celui de la cité Diar El Kef à Alger, que nous avons abordé
dans la première partie de cette thèse comme étant une des productions de
logements les plus rudimentaires. De l’autre, nous étudierons l’exemple de la
requalification d’un grand ensemble dans la cité des Amandiers, en mettant à

250
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

l’œuvre une stratégie de concertation avec les habitants et d’implication de ces


derniers.

 La requalification de la cité Diar El Kef à Alger :

L’opération de requalification de Diar El Kef (Photo 56) a consisté en des


interventions au niveau des logements, au niveau des espaces extérieurs mais a
consisté également en des reconversions fonctionnelles de certains bâtiments en
équipements (Rif, 2005).

La plus grande partie du travail sur ce grand ensemble s’est concentrée sur
l’intérieur des logements. En effet, les logements très exigus de type F1, c’est-à-
dire constitués d’une seule pièce (Plan 4) et généralisés dans tout le grand
ensemble, étaient clairement inadaptés à la vie d’une famille. La transformation a
donc consisté en des regroupements de logements de type F1 pour constituer des
logements de type F2, F3 ou F4.

Photo 56 : Bâtiment en cours de requalification dans la cité Diar El Kef, Alger (Rif, 2005). Photo
auteur inconnu, s.d
251
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Plan 4 : Plan initial des logements dans la cité Diar El Kef (Rif, 2005)

Le préalable à une telle opération est évidemment le relogement d’une partie des
habitants de Diar El Kef. En l’occurrence, la liste des habitants relogés a été établie
en concertation avec ces derniers, une partie ayant exprimé son souhait de quitter
le grand ensemble, l’autre ayant préféré rester comme l’explique le Wali délégué
de la daïra de Bab El Oued :

Pour rendre possible cette opération, j’ai personnellement reçu dans mon bureau
les représentants des familles concernées et par conséquent étudié les dossiers
au cas par cas avant de trancher

Encadré 80 : Extrait d’entretien de Nahla Rif avec le Wali délégué de Bab El Oued (Rif, 2005)

Selon la disposition initiale des appartements, leur regroupement a donné lieu à


plusieurs types (Plan 5, Plan 6, Plan 7).

252
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Plan 5 : Regroupement de deux appartements dans la cité Diar El Kef (Bureau d’étude FAUR)

Plan 6 : Regroupement de deux appartements en duplex dans la cité Diar El Kef (Bureau d’étude
FAUR)

253
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Plan 7 : Transformation de toilettes collectives en appartement dans la cité Diar El Kef (Bureau
d’étude FAUR)

L’intervention a également consisté en des reconversions d’habitations en


équipements (Plan 8). Ces derniers manquaient cruellement à Diar El Kef. Un
travail sur l’aménagement extérieur de la cité a aussi été mené.

Plan 8 : Reconversion d’un bloc en bibliothèque dans la cité Diar El Kef (Bureau d’étude FAUR)

254
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

L’opération a mis en évidence certaines questions liées à la transformation d’un


grand ensemble moderne :

- les transformations effectuées ont été tributaires d’une structure existante


difficile à identifier même en utilisant les plans initiaux de la cité, les
logements ayant souvent été transformés par les habitants (Rif, 2005) ;

- la question de garder l’élément caractéristique de cette cité qu’est la pierre


brute sur la façade s’est posée mais le choix a été fait de ne pas le faire
puisque les habitants avaient déjà peint des parties des façades (Rif, 2005) ;

- même si le budget prévu qui représente 40% à 50% du coût d’un logement
social neuf a été dépassé, il reste tout de même inférieur à celui-ci. Dès lors,
l’argument financier de la démolition ne tient plus ;

- la reproduction de ce type d’opération s’est heurtée à une architecture


parfois plus complexe et plus altérée par ses habitants (Rif, 2005) ;

- ce type d’opération dépend du relogement d’une partie de la population. Or,


dans le cas de la cité Diar El Mahçoul où ce type d’opération a été envisagé
à un moment sans aboutir.

En conclusion, la requalification de la cité Diar El Kef constitue une solution


intéressante à la question des grands ensembles de recasement, dont les
logements sont très en dessous des normes. Ce type d’opérations permet d’éviter
une démolition des grands ensembles et donc un gain financier considérable. Elle
permet également de sauvegarder les différentes appartenances, identités
collectives, modes d’habiter et sociabilités que les habitants développent en
relation avec leurs cités et évite, comme on a pu le voir, la violence symbolique
que peut constituer la démolition de son lieu de vie.

255
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

 Le projet de restructuration urbaine et de réhabilitation du cadre bâti de


la cité Les Amandiers à Oran

C’est une opération pilote s’inscrivant dans le projet, plus large, de la


restructuration urbaine et de la réhabilitation des grands ensembles en Algérie.
Elle a notamment introduit le concept d’« amélioration urbaine ».

Du point de vue des travaux en eux-mêmes, le projet n’est pas très différent de
l’expérimentation de la cité Diar El Kef. Il s’agit, outre la réhabilitation du bâti
existant, d’intervenir pour répondre aux problèmes identifiés dans cette cité
(Benehar, 2004).

- La configuration des logements : les problèmes mis en évidence sont, outre


la petitesse des appartements, l’insuffisance des balcons et des terrasses,
le manque d’intimité ainsi que l’accès au logement qui se fait à partir d’un
palier intermédiaire et le positionnement des sanitaires dans la cuisine (Plan
9).

Plan 9 : Plan initial de logements de la cité des Amandiers (Bet AUA SA)

A ce niveau, l’intervention a consisté en une extension des logements par le rajout


d’une structure nouvelle. Une pièce et un balcon ont donc été rajoutés par
logement et les sanitaires ont été déplacés (Plan 10).
256
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Plan 10 : Plan des logements de la cité des Amendiers après modifications (Bet AUA SA)

Photo 57 : Extension des logements à la cité des Amandiers (Bet AUA SA). Photo auteur
inconnu, s.d

257
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

- La gestion des espaces extérieures : aménagement des cœurs d’îlots en


aires de jeux, lieux pour évènements spéciaux et stationnement (Plan 11).

Plan 11 : Aménagement des cœurs d’îlots dans la cité des Amendiers (Benehar, 2004)

- Les différents réseaux :

Les différents réseaux intérieurs et extérieurs ont été remis en état.

- Les carences en équipements :

Une crèche a notamment été réalisée dans la cité.

- La hiérarchisation des espaces :

Il s’agissait ici de hiérarchiser les grands espaces se trouvant entre les barres.

- La gestion urbaine :

Il s’agissait ici d’impliquer les habitants dans la gestion de leur cité.

258
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

- L’amélioration du climat social :

Des espaces publics et semi publics protégés à l’intérieur ou à l’extérieur des blocs
ont été aménagés comme espaces de rencontre pour les habitants.

- L’intégration à l’environnement :

Ouvertures de nouvelles voies en relation avec l’environnement immédiat.

Mais la particularité de cette opération consiste en la méthode adoptée. Celle-ci


était caractérisée par :

- L’implication de plusieurs acteurs :

 une équipe multi disciplinaire composée d’architectes, de


sociologues, ingénieurs, économistes et gestionnaires. Celle-ci était
chargée de la mise en œuvre du projet ;

 les structures locales : Assemblée Populaire Communale (APC),


Wilaya, Direction de l’urbanisme et de la Construction (DUC),
Direction du Logement et des Equipements Publics (DLEP), Office
de Promotion et de Gestion Immobilière (OPGI), copropriétaires,
associations et comités de quartiers ;

 les structures techniques : Société Nationale de l’Electricité et du


Gaz (SONELGAZ), Algérienne Des Eaux (ADE), Direction des
Travaux Publics (DTP).

- Le projet pilote mettait en évidence la nécessité de la participation financière


des habitants. Ainsi, les résidents ont été impliqués financièrement à
hauteur de 20%.

- Les habitants ont également été impliqués dans l’élaboration du projet. Pour
cela, plusieurs réunions de concertations ont été menées avec eux pour
définir leurs besoins et une enquête sociologique a été menée sur le terrain.

259
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

- Une démarche itérative et une organisation souple. La démarche n’étant


pas linéaire des retours en arrière ont été faits tout au long du projet au fil
des problèmes et des résultats trouvés.

- La transparence et la recherche de consensus avec les habitants à travers


les réunions de concertation (Photo 58) et une exposition permanente du
projet dans un espace dédié (Photo 59).

Photo 58 : Réunion de concertation avec les habitants (Bet AUA SA). Photo auteur inconnu, s.d

Photo 59 : Exposition permanente du projet (Bet AUA SA). Photo auteur inconnu, s.d

260
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

En conclusion, l’opération semble avoir été bien reçue par les habitants et
constitue une première expérience d’une restructuration et réhabilitation d’un
grand ensemble en concertation avec ses habitants et leur implication financière.
Mais cette opération pilote n’a pas été menée à son terme ni reproduite dans
d’autres grands ensembles notamment en raison de la participation financière des
habitants qu’elle présuppose. Actuellement, les opérations d’amélioration urbaines
sont mises en œuvre mais il ne s’agit plus que d’aménagements extérieurs et de
réhabilitations superficielles menées sans concertation avec les habitants.

II.3.3. Autres stratégies dans les grands ensembles

 El Kerma, une réaffectation à un personnel militaire :

Une des stratégies adoptées dans les grands ensembles a été leur réutilisation
pour loger le personnel militaire ou celui d’une administration d’Etat. Le procédé
est accompagné par une réhabilitation des bâtiments et par un meilleur entretien.
Nous pouvons citer à titre d’exemple la cité d’El Kerma construite par Fernand
Pouillon en 1957.

Image 23 : Grand ensemble d’El Kerma, division actuelle de la cité (Image google map moodifiée
par l’auteur, 2017)

261
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Si cette cité ne constituait à la base qu’une seule unité, elle a, après l’indépendance
de l’Algérie, fait l’objet d’une division. Une partie de la cité continue aujourd’hui
d’être habitée par une population civile alors que l’autre partie, réhabilitée, clôturée
et gardée (Image 23) est aujourd’hui habitée par des militaires ainsi que leurs
familles.

 El Mahçoul, un dépeuplement de la cité :

Les différents blocs de la partie El Mahçoul de la cité Diar El Mahçoul sont


aujourd’hui en train d’être vidés progressivement en parallèle au relogement de
leurs habitants dans d’autres sites. Après cela, les appartements sont partiellement
saccagés, cadenassés et leurs portes d’entrée souvent murées pour éviter leur
réappropriation par d’autres personnes (Photo 60).

Photo 60 : Logements vidés à El Mahçoul. Phtoto auteur, 2017

Si à un moment les autorités ont envisagé d’affecter la cité à un personnel militaire


après le relogement de ses habitants, il semble aujourd’hui que ce ne soit plus
262
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

d’actualité. Nous sommes aujourd’hui dans la cité El Mahçoul face à l’absence


d’une stratégie.

 La stratégie de reconversion :

L’exigüité des logements dits évolutifs et l’impossibilité d’y loger des familles sans
extension du logement a donné lieu à une réflexion sur les possibilités de
reconversion en cités universitaires. En effet, pour plusieurs architectes, cette
solution reste préférable à une démolition pure et simple des cités (A. Samai
Bouadjadja, 2009).

 La restauration de Confort :

La cité Diar El Mahçoul connait depuis, 2018, une opération de réhabilitation, dans
sa partie confort, financée conjointement par les autorités algériennes et la
Fondation Pouillon.

L’opération consiste réellement en :

- la restauration des façades ;

- la suppression des climatiseurs situés sur les façades ;

- la prise en charge des différents réseaux notamment en réutilisant les


gaines intérieures ;

- La suppression des paraboles sur les façades.

Il s’agit donc d’une réhabilitation, certes plus poussée que les réhabilitations
habituelles, mais qui reste très superficielle. En effet, les halls d’entrée, les
logements et l’étanchéité des terrasses ne font eux l’objet d’aucune intervention.

Du point de vue des habitants, si la restauration des façades est la bienvenue, ils
ne sont néanmoins pas dupes. Le fait que les logements en eux-mêmes ne soient
pas réhabilités montre qu’il s’agit plus d’une volonté de mettre en valeur, de
263
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

l’extérieur, une architecture patrimoniale que d’une véritable préoccupation des


conditions de vie des habitants. Ceci se traduit par le manque de coopération des
habitants avec l’entreprise et le refus de certaines mesures comme la suppression
des climatiseurs sur la façade et leurs remises en place après le passage des
ouvriers, ou encore le refus de l’utilisation des anciennes gaines en raison d’un
supposé risque de fragiliser l’étanchéité des terrasses :

[…] On refuse qu’on touche aux anciennes gaines. Eux ils veulent faire passer les
câblages qui sont actuellement sur les façades pour mettre les paraboles sur les
terrasses et les unifier. Mais en faisant ça ils vont abimer l’étanchéité.

Encadré 81 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger

A ce propos, il semble que certains habitants aient pu, à l’aide de réseaux


d’influence, arrêter ce type de travaux au niveau de leurs blocs. Par ailleurs, les
paraboles et les climatiseurs ont refait leur apparition après le passage des
travailleurs. Force est de constater ici que l’absence totale de concertation avec
les habitants a largement influé sur le mauvais déroulement du projet.

Conclusion du chapitre :

La gouvernance urbaine s’impose aujourd’hui comme une réponse aux aspirations


des habitants à s’impliquer dans le devenir de leurs villes. Le cas de l’Algérie ne
fait pas exception en la matière. Dans le contexte d’un encouragement de façade
des pratiques participatives, l’individu, exclu du processus de prise de décision, a
montré, dans le cas de la cité de Diar El Mahçoul, sa volonté de s’impliquer de
manière effective dans le devenir de son grand ensemble. En effet, rejetant les
structures existantes souvent factices, le résident de Diar El Mahçoul s’implique
d’une manière officieuse dans la vie de son quartier et revendique sa vision de
l’avenir de sa cité. Dès lors, la valeur patrimoniale de ces grands ensembles hérités
constitue une ressource importante et peut participer à l’empowerment des
populations souvent déshéritées qui les habitent.

264
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02

Du point de vue des opérations menées dans les grands ensembles en Algérie,
trois éléments émergent : d’abord, la diversité des grands ensembles et leurs
spécificités en Algérie ont donné lieu à une diversité des interventions. Ensuite, les
opérations de démolitions, bien que rares, semblent mal vécues par les habitants
malgré leur accession à de nouveaux logements. Les opérations de
restructurations, en plus de permettre de sauvegarder des éléments patrimoniaux
importants et les mémoires collectives, semblent être mieux reçues par les
habitants. Enfin, l’opération de la cité des Amandiers montre combien la
concertation avec les habitants et leur participation est primordiale pour la
construction du projet et sa réussite.

265
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie

Conclusion de la troisième partie : La concertation, préalable à l’élaboration d’une


stratégie efficiente dans les grands ensembles

L’étude d’exemples d’interventions dans les grands ensembles en Algérie a montré


combien la participation de la population dans les projets est aujourd’hui
indispensable. D’une part, la réussite mesurée des opérations pilotes menées
dans les grands ensembles et notamment celles de la Diar El Kef et de la cité des
Amandiers tient au fait que les habitants ont été consultés et qu’ils ont accepté les
orientations des projets. Ce type d’opération semble constituer une solution qui a
respecté la volonté des habitants en évitant la démolition de ces logements
invivables dans leur état initial et la violence symbolique qui en résulte
(Veschambre, 2008). D’autre part, l’échec de certaines opérations telles que la
restauration superficielle de la cité Diar El Mahçoul est imputable directement à
l’absence de concertation. L’enquête a montré, à cet égard, que les objectifs de
cette opération sont en décalage avec les besoins des habitants. En résulte le non-
respect des travaux effectués et la remise à l’état antérieur de certaines parties
puisqu’aucune solution n’avait été proposée aux problèmes réels vécus par les
habitants.

Dans le contexte international, les processus participatifs commencent à se


généraliser et les pouvoirs publics décident de moins en moins des stratégies à
adopter pour se restreindre à mettre en place le cadre pour l’élaboration des
stratégies par les différents acteurs locaux. A ce sujet, si les opérations pilotes en
Algérie sont intéressantes puisqu’elles rendent possible la participation des
habitants pour exprimer leurs besoins, elles restent néanmoins dans une logique
verticale et sectorielle. En effet, comme nous l’avons vu, les outils d’une véritable
gouvernance n’existent pas encore ou n’ont pas de véritable pouvoir face à un
gouvernement centralisé et une législation souvent contournée. Or, les habitants
des grands ensembles, et dans notre cas la cité d’El Mahçoul, expriment leur vision
du devenir de leur grand ensemble. Cette vision est néanmoins ignorée puisque
dans le cas d’El Mahçoul, les pouvoirs publics procèdent à un dépeuplement sans

266
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie

aucune stratégie préétablie alors que les enquêtés nous ont exprimé leur volonté
de rester dans le quartier si les logements sont transformés.

Les différentes opérations évoquées précédemment et menées dans les grands


ensembles montrent combien la conduite d’opérations qui n’impliquent pas
l’habitant dans le processus de prise de décision et vont à l’encontre de ses
besoins est mal vécue. Mais il ne s’agit pas seulement des opérations de
transformation et de démolition des grands ensembles. Les stratégies de
patrimonialisation, quand elles ne font pas l’objet de concertation, peuvent
également aboutir à l’incompréhension des habitants qui ne s’approprient pas ces
objets désignés comme patrimoine par les experts et les élus. Ceci peut au final
aboutir à la démolition du grand ensemble comme il a été le cas de la cité Billardon
en France.

267
Conclusion générale

Conclusion générale
Quand le grand ensemble devient territoire

La première interrogation de cette thèse a été : comment habite-t-on aujourd’hui


les grands ensembles en Algérie ? La question a donné lieu à une thèse à la
frontière entre architecture et sociologie, le terme « habiter » ayant, en lui-même,
des implications autant architecturales que sociologiques (Mathieu, 2014). Plus
précisément, la recherche a interrogé le rapport des habitants au quartier à travers
les perceptions et les représentations qu’ils en ont et compte tenu de
l’appropriation qu’ils ont en fait. Pour répondre à cette problématique, le rapport
au quartier a été un fil conducteur tout au long du travail et trois entrées nous ont
permis d’apporter des réponses aux différentes questions soulevées : les
perceptions, la praxis et la participation. Ces entrées ont permis de montrer que
dans un contexte international marqué par la démolition des grands ensembles et
la négation de toute qualité à cette forme d’habitat, celle-ci apparait, aujourd’hui
en Algérie, sous un autre jour. En effet, la pluralité et les particularités régionales
des grands ensembles, mises en évidence par Dufaux et Chemetov (Dufaux &
Chemetov, 2004), sont confirmées ici ; et la thèse tente d’apporter un éclairage
nouveau sur ces grands ensembles à partir de l’étude de leur appropriation.

268
Conclusion générale

Les paradoxes d’habiter les grands ensembles :

La recherche a montré que les grands ensembles de Diar El Mahçoul, Diar


Essaada ou la cité Climat de France conçus par Fernand Pouillon possèdent des
valeurs patrimoniales intrinsèques (techniques inédites de fabrication, une
architecture qui a remis en cause certains principes hégémonique du Mouvement
moderne, valeur artistique et historique). Cette valeur patrimoniale étant
également perçue par les habitants, ces grands ensembles sont à l’antipode des
cas de patrimonialisation imposées à la population, telle que celle de l’architecture
d’Auguste Perret au Havre, et qui n’ont pas été suivies par une appropriation
(Gravari-Barbas & Renard, 2010). Par ailleurs, la spécificité de grands ensembles
hérités d’une colonisation et d’une forme urbaine étrangère, imposée à une
population aux modes d’habiter jusque-là très différents, ont donné lieu à une
appropriation sensible de ces cités d’habitat collectif. Une appropriation qui a
épousé les contours des modes d’habiter propres des populations algériennes
pour donner lieu à une pratique de l’espace singulière. Elle est caractérisée par
une conception particulière de l’espace public, semi-public ou privé, de ce qu’on
laisse entrevoir et de ce qu’on occulte, de la solidarité et de la sociabilité. Mais les
modes d'habiter ont également évolué sous l’effet de l’appropriation d’un type
d’habitat nouveau, intégrant des dimensions telles que la citadinité. Il s’agit donc
ici d’une interaction entre mode d’habiter et type d’habitat, puisque les
transformations relevées dans les grands ensembles étudiés ne sont que le reflet
de modes d’habiter qui agissent dans un cadre bâti. A ce propos, l’étude de la
production « infraordinaire » (Palumbo & Boucheron, 2017) de l’espace, dont on
peut déjà retrouver une approche chez Rolland Simounet tel un prélude à
l’introduction des grands ensembles en Algérie, ou encore dans les études
dirigées par Maria Anita Palumbo et Olivier Boucheron quant à « un entre-deux de
la Modernité » (Palumbo & Boucheron, 2017), nous a permis ici d’apporter un
éclairage sur les modes d’habiter qui se sont constitués depuis la construction des
grands ensembles.
269
Conclusion générale

Pour revenir à notre question de départ, la réponse que nous apportons est
plurielle car, au vu de la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les
grands ensembles et de la variété des modes d’habiter, force est de constater que
l’on n’habite pas ces cités d’habitat social d’une seule manière. En effet, habiter
les grands ensembles en Algérie réunit plusieurs paradoxes : celui de revendiquer
les valeurs patrimoniales de sa cité, tout en étant captif d’un logement non adapté
et qu’on ne peut quitter par manque de moyens. C’est celui de la constitution de
solidarités à plusieurs échelles allant du palier au quartier en passant par la rue et
le bloc. C’est également le paradoxe de vies sociales intenses, qui font la
particularité de ces grands ensembles, mais subies puisqu’elles sont
conditionnées par l’architecture même de ces cités.

Les grands ensembles, des quartiers à géométrie variable

L’étude des représentations des habitants a, de son côté, montré que les grands
ensembles souvent critiqués pour l’absence d’identité qu’ils génèrent (Villechaise,
1997) ont donné lieu, dans nos cas d’études, à la constitution d’identités collectives
fortes et spatialement marquées. Habiter les grands ensembles c’est donc
également constituer, en tant que groupe, de multiples identités collectives
spatialement marquées et à différentes échelles. Ces identités liées parfois à la
commune, parfois au grand ensemble ou parfois à une de ses parties, l’habitant
les choisit, les rejette ou les superpose.

A partir de là, nous validons la première hypothèse formulée et affirmons que les
grands ensembles ne sont plus -Si tant est qu’ils l’aient été- ces objets modernes
obsolètes mais des grands ensembles hybrides (Simay & Klouche, 2010) puisque
transformés et territorialisés. En effet, ces grands ensembles issus d’un urbanisme
moderne caractérisé par une déterritorialisation du sol se trouvent aujourd’hui
territorialisés à plusieurs échelles, allant de la commune au micro-quartier en
passant par le sous-quartier. Ils possèdent cette double dimension matérielle
(espace géographique et cadre bâti) et immatérielle (valeur patrimoniale affectée
270
Conclusion générale

par les habitants, modes d’habiter et identités) qui donne lieu à la constitution d’un
territoire. Par ailleurs, habiter les grands ensembles, c’est constituer une multitude
de micro-territoires et de « coins » (Marchal, 2017) solidaires : ce qui donner lieu
à un quartier à géométrie variable (Grafmeyer, 2007).

Les grands ensembles, un patrimoine « qui fait sens »

A partir des éléments cités plus haut, l’hypothèse de la patrimonialisation par le


bas, c'est-à-dire issue de l’appropriation des habitants, se trouve de fait confirmée.
En effet, les grands ensembles étudiés font aujourd’hui patrimoine. Ils font
patrimoine parce que réceptacles de valeurs historiques et artistiques perçues et
revendiquées par leurs habitants. Mais par opposition à une patrimonialisation
sans appropriation, qui produirait un patrimoine en quelque sorte « factice », les
grands ensembles étudiés sont aujourd’hui un patrimoine « qui fait sens » pour
ses habitants parce que vecteurs de représentations, d’identités collectives et
parce que supports de mobilisations collectives et de volontés de maitriser son
territoire.

Les grands ensembles étudiés ici confirment que les notions de « patrimoine », de
« territoire » et de « gouvernance » sont étroitement liées. Les résultats de notre
recherche montrent que plus le résident crée un lien avec son quartier, plus il lui
confère des valeurs patrimoniales et s’identifie à lui. En conséquence de quoi il
refuse que son évolution lui échappe et veut avoir son mot à dire le concernant.
Les trois notions dont il est question ici apparaissent dès lors primordiales dans
une réflexion sur le devenir de ces cités d’habitat social.

La difficulté de patrimonialiser les grands ensembles

La patrimonialisation par le bas a été jusqu’ici un processus spontané dans les


grands ensembles étudiés. Mais la mise en place d’une stratégie de
développement territorial et d’empowerment des populations de ces cités implique
une reconnaissance institutionnelle et la nécessaire intervention pour sauver une
271
Conclusion générale

architecture souvent très dégradée. Ceci nous met face à la difficulté d’intervenir
sur un habitat qui ne répond plus aux exigences actuelles, mais aussi, face à des
identités collectives, des modes d’habiter et des territoires qu’il s’agit de conserver
et de considérer comme des atouts. Plusieurs questions se posent dès lors :
comment patrimonialiser les grands ensembles sans pour autant figer des
conditions de vie parfois insoutenables pour les habitants comme dans le cas de
la cité El Mahçoul ? A cet égard, le classement traditionnel ne semble pas
constituer une solution puisqu’il empêcherait la transformation de l’architecture de
ces quartiers. Doit-en alors reconvertir ces bâtiments et leur affecter d’autres
fonctions et d’autres populations ? Dans le cas des cités étudiées, la dimension
patrimoniale est étroitement liée à la population et une reconversion donnerait lieu
à la négation des identités et des territoires qui se sont constitués. Par ailleurs,
ceci peut également se traduire par une transformation de l’architecture du quartier
et par un risque de gentrification, synonyme de départ des populations originaires.
A cet égard, ce travail va dans le sens des thèses formulées par Vincent
Veschambre et Rachid Kaddour concernant le vécu de la démolition et des
transformations violentes des grands ensembles et leur répercussion en matière
d’exclusion de groupes sociaux déjà fragilisés (Kaddour, 2013; Veschambre,
2008).

L’habitant, acteur incontournable du développement territorial

Dans le prolongement logique des questions évoquées, la recherche a montré que


les habitants des grands ensembles aspirent aujourd’hui à une implication réelle
dans le devenir de leurs cités et dans le processus de prise des décisions les
concernant. Les différentes stratégies et opérations pilotes menées dans différents
grands ensembles en Algérie prouvent, à cet égard, que la participation des
habitants constitue la condition de l’élaboration d’une stratégie pertinente et d’une
mise en œuvre acceptée par les résidents. A ce propos, les grands ensembles
font, aujourd’hui, d’autant plus territoire que leurs habitants revendiquent un droit

272
Conclusion générale

de regard sur le devenir de leur quartier, montrent une volonté de peser dans le
processus de prise de décision et revendiquent la prise en compte de leurs modes
d’habiter.

Du point de vue du devenir des grands ensembles en Algérie, leur


patrimonialisation par le bas, ainsi que l’émergence d’identités collectives et de
multiples territoires en leurs seins, constituent aujourd’hui des ressources
incontournables. A cet égard, les stratégies de développement territorial mises en
place au cours des dernières années dans le monde insistent sur la gouvernance
urbaine, la mobilisation des acteurs et l’implication des populations comme
préalables à une stratégie efficiente dans les grands ensembles. A titre d’exemple,
l’empowerment des populations pauvres de Diar El Mahçoul par la valeur
patrimoniale de leurs grands ensembles constituerait une alternative aux solutions
de la démolition, du relogement ou de restructuration mises en place jusqu’ici. En
effet, le grand ensemble patrimoine, en permettant la mobilisation collective,
permet la praxis politique. Le grand ensemble est alors un territoire dans le sens
où il est une échelle d’action collective.

Quelle valeur patrimoniale pour les grands ensembles ?

Le passage des conclusions sur les grands ensembles étudiés dans le cadre de
cette thèse à la généralisation à tous les grands ensembles d’Algérie n’est pas
sans imposer un certain nombre de précautions. Nous avons montré dès le départ
que la production locale des grands ensembles a été très diverse. Les grands
ensembles étudiés de manière approfondie étant l’œuvre d’un architecte
exceptionnel, et dont les réalisations connaissent déjà en France une certaine
reconnaissance patrimoniale5, il serait trompeur d’assimiler tous les grands
ensembles à ceux observés ici. Une grande partie des cités construites en Algérie

5 La fondation Pouillon à titre d’exemple œuvre à la reconnaissance de la valeur patrimoniale


d’architecture de Fernand Pouillon

273
Conclusion générale

est loin de présenter les mêmes valeurs artistiques que celles présentées par les
grands ensembles de Salembier à Alger. Cela étant dit, la valeur historique et
artistique de grands ensembles hérités d’une période particulière de l’histoire qui
ne se répétera plus (Riegl, 2003a), résultant d’idéaux utopiques qui n’auront plus
jamais lieu d’être dans une telle forme urbaine et construits dans un contexte
particulier de discrimination d’Etat, est, quant à elle, présente dans nombre de
grands ensembles en Algérie. A ce titre, ce type de grands ensembles n’est pas
différent du cas nantais de Beaulieu tel que l’analyse Rachid Kaddour (Kaddour,
2013). Les différents exemples de patrimonialisation ont montré que, d’un grand
ensemble à l’autre, ce n’est pas la même nature de la valeur patrimoniale qui est
mise en avant. La décision revient souvent aux collectivités locales et aux
différents acteurs selon l’image qu’ils veulent donner de la ville et le regard porté
sur son histoire, parfois assumé, parfois rejeté.

Perspectives de recherches

Si l’enquête approfondie menée dans cette thèse n’a concerné que les grands
ensembles de Salembier, l’enquête exploratoire, quant à elle, a été menée dans
plusieurs autres grands ensembles et a abouti aux mêmes conclusions. C’est
pourquoi, en termes de perspectives de recherche, des travaux similaires dans
d’autres grands ensembles permettraient d’étayer nos conclusions concernant la
patrimonialisation et la territorialisation de cette forme d’habitat.

Une autre perspective de recherche tient dans l’élargissement aux formes


d’habitat social collectif post-coloniales et notamment les Zones d’Habitat Urbain
Nouvelles (ZHUN). En effet, des études montrent déjà que cette forme d’habitat
adaptée des grands ensembles est le théâtre d’un processus d’appropriation par
ses habitants (Mouaziz-Bouchentouf, 2014). Il s’agirait alors de tirer, dans une
approche comparative, des enseignements sur l’habitat social en Algérie et de
manière plus globale, sur les modes d’habiter algériens.

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289
Annexe

290
Guide d’entretien semi-directif

Présentation

Je suis un doctorant en architecture et je fais une étude concernant votre


quartier. Dans cet entretien je vous poserai des questions sur votre vie dans
votre quartier et votre perception. Ces questions seront parfois assez larges
pour vous permettre de répondre ce que vous souhaitez le plus spontanément
et le plus sincèrement possible.

Informations sur l’enquêté

 Quelle est votre profession ?

 Dans quelle partie du quartier habitez-vous ?

 Quel type d’appartement habitez-vous ?

 Combien de personnes vivent dans votre logement ?

Connaissance de l’histoire et de l’architecture du quartier

 Connaissez-vous l’histoire de votre quartier ? Si oui comment en avez-


vous pris connaissance ?

 Quelles sont selon vous les spécificités architecturales et artistiques de


votre quartier ?

 Quels sont ses qualités et ses défauts ?

Perception du quartier

 D’une manière générale est’ce que vous êtes satisfait de votre quartier ?
Pourquoi ?

 A-t-il selon vous une valeur historique ? Où réside-t-elle ?

 A-t-il selon vous une valeur artistique ? Où réside-t-elle ?

 Votre quartier fait-il partie de votre identité ?


291
 Passez-vous beaucoup de temps hors du quartier ? Pourquoi ?

 Trouvez-vous que le quartier dispose des équipements nécessaires ?

 Souffrez-vous de problèmes liés au trafic de drogue à l’intérieur du


quartier ?

Une aire de transition

 Prévoyez-vous de rester dans le quartier ou aspirez-vous à le quitter


quand l’opportunité se présentera ? Pourquoi ?

Attitudes vis-à-vis du quartier

 En quel état est votre appartement et votre quartier ?

 Avez-vous transformé votre logement ? Pourquoi et comment ?

 Accordez-vous une importance au fait de préserver votre quartier en bon


état ?

 Comment percevez-vous le projet actuel de restauration des façades


(Pour les habitants de confort) ?

 Avez-vous coopéré avec l’entreprise ?

Valeur patrimoniale

 Accordez-vous une valeur patrimoniale à votre quartier ?

Rapport entre habitants

 Quels types de rapport entretenez-vous avec les autres habitants du


quartier ?

 Existe-t-il des conflits ?

 Organisez-vous des activités entre voisins ?

 Quelle est la relation entre les deux parties du quartier ?

 Quelle est la relation avec les habitants des autres


quartiers environnants?

292
Implication dans le quartier

 Vous préoccupez vous de ce qui se passe dans votre quartier ?


Pourquoi ?

 Avez-vous déjà participé aux réunions du comité de quartier ?

Si oui :

 Combien de fois ?

 Pour quel motif ?

 Est’ce que cela a répondu à vos attentes ?

Si non :

 Pourquoi ?

 Seriez-vous prêt à vous impliquer davantage ? Qu’est-ce qui vous


inciterait à cela ?

 Aimeriez-vous être consulté plus souvent ?

 Participez-vous aux activités de volontariat dans le quartier (Nettoyage,


plantations…) ?

 Selon vous pourquoi les habitants ne participent pas d’avantage à la vie


dans le quartier ?

 Seriez-vous prêt à vous impliquer concrètement dans la réhabilitation du


quartier ?

 Seriez-vous prêt à vous impliquer dans un projet de transformation du


quartier ?

 Seriez-vous favorable à l’augmentation du flux touristique ?

293
Liste des figures

Figure 1 : Hiérarchisation des valeurs du monument selon Riegl ..................... 100


Figure 2 : Relations entre patrimoine, identité et territoire……………………………
.......................................................................................................................... 189

Liste des tableaux

Tableau 1 : Tableau comparatif des grands ensembles cités en exemple.......... 66


Tableau 2 : Valeurs patrimoniales des grands ensembles étudiés .................. 115

Liste des cartes

Carte 1 : Grands ensembles étudiés à Oran....................................................... 23


Carte 2 : Grands ensembles étudiés à Alger ...................................................... 24
Carte 3 : Grands ensembles étudiés Dans la commune d’El Madania (Ex
Salembier) .......................................................................................................... 26
Carte 4 : Constructions précaires à El Mahçoul, Alger........................................ 85
Carte 5 : Répartition des bidonvilles à Alger ..................................................... 134
Carte 6 : Micro-quartiers relevés ....................................................................... 206

Liste des plans

Plan 1 : Plan de masse d’un Tanji....................................................................... 50


Plan 2 : Modification d’un appartement à El Mahçoul, Alger ............................. 121
Plan 3 : Parcours de visite ................................................................................ 230
Plan 4 : Plan initial des logements dans la cité Diar El Kef ............................... 252
Plan 5 : Regroupement de deux appartements dans la cité Diar El Kef ........... 253

294
Plan 6 : Regroupement de deux appartements en duplex dans la cité Diar El Kef
.......................................................................................................................... 253
Plan 7 : Transformation de toilettes collectives en appartement dans la cité Diar El
Kef .................................................................................................................... 254
Plan 8 : Reconversion d’un bloc en bibliothèque dans la cité Diar El Kef ......... 254
Plan 9 : Plan initial de logements de la cité des Amandiers .............................. 256
Plan 10 : Plan des logements de la cité des Amendiers après modifications ... 257
Plan 11 : Aménagement des cœurs d’îlots dans la cité des Amendiers ........... 258

Liste des images

Image 1 : Article de Maurice Rotival, « Les Grands Ensembles » ...................... 43


Image 2 : Le logement social en Seine-Saint-Denis ........................................... 48
Image 3 : Page publicitaire de la revue « La vie municipale » d’Oran................. 82
Image 4 : Mise en oeuvre de la pierre banchée ................................................ 112
Image 5 : Plancher étage courant ..................................................................... 113
Image 6 : Plancher RDC ................................................................................... 114
Image 7 : Plancher translucide ......................................................................... 114
Image 8 : Croquis extrait de la grille du CIAM-Alger ......................................... 139
Image 9 : Croquis extraits de la grille du CIAM-Alger…………………………….139
Image 10 : Plan d’aménagement d’une barraque, Grille du CIAM-Alger .......... 140
Image 11: Plan d’une gargote en R+1, Grille du CIAM-Alger............................ 141
Image 12 : Habitation du président du comité de défense de Mahieddine, Grille du
CIAM-Alger ....................................................................................................... 142
Image 13 : Elément de transition entre intérieur et extérieur, Grille du CIAM-Alger
.......................................................................................................................... 143
Image 14 : La cour dans le bidonville Mahieddine, Grille du CIAM-Alger ......... 144
Image 15 : Structure du bidonville, Grille du CIAM-Alger .................................. 144
Image 16 : Ségrégation des sexes dans le bidonville, grille du CIAM-Alger ..... 145
Image 17 : Le MODULOR spécifique à la population musulmane, Grille du CIAM-
Alger ................................................................................................................. 145
295
Image 18 : Prototype d’immeuble en hauteur, Grille du CIAM-Alger................. 147
Image 19 : Ensemble de la montagne .............................................................. 149
Image 20 : Cité de transit des carrières Jaubert ............................................... 149
Image 21 : Barraques envahissant les espaces semi-publics à El Mahçoul ..... 161
Image 22 : Présentation du programme économique communautaire.............. 223
Image 23 : Grand ensemble d’El Kerma, division actuelle de la cité ................ 261

Liste des photos

Photo 1 : Cité Diar El Mahçoul, Confort, place du marché .................................. 25


Photo 2 : Démolition du grand ensemble de Diar Echems…………….……………..
............................................................................................................................ 47
Photo 3 : Grand ensemble à Séoul ..................................................................... 51
Photo 4 : Grand ensemble Dastgah .................................................................... 52
Photo 5 : Grand ensemble Ekbâtân .................................................................... 54
Photo 6 : Grand ensemble Pouzzoles................................................................. 55
Photo 7 : Grand ensemble de la coopérative varsovienne de logement ............. 61
Photo 8 : Réhabilitation d'un grand ensemble en Pologne.................................. 62
Photo 9 : Grand ensemble « Les Eucalyptus », Alger......................................... 69
Photo 10 : Cité Victor Hugo, Oran....................................................................... 70
Photo 11 : Cité les Dunes (Maison carrée), El Harrach, Alger ............................ 73
Photo 12 : Grand ensemble à Hussein Dey, Alger.............................................. 74
Photo 13 : Diar El Kef, Alger ............................................................................... 76
Photo 14: Grand ensemble Cité Jeanne d’Arc, Oran .......................................... 79
Photo 15 : Cité Jean de La Fontaine................................................................... 79
Photo 16 : Dégradation du marché d’El Mahçoul ................................................ 83
Photo 17 : Obsèques à Confort, Alger ................................................................ 90
Photo 18 : Volontariat, nettoyage du quartier...................................................... 92
Photo 19 : Espace approprié illégalement par l’habitant du logement au RDC... 93
Photo 20 : Place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger ...................... 94

296
Photo 21 : Cité Diar El Mahçoul, Alger.............................................................. 103
Photo 22 : Marché à El Mahçoul, Alger............................................................. 104
Photo 23 : Place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger .................... 105
Photo 24 : Grand ensemble d'El Kerma, Oran .................................................. 107
Photo 25 : Utilisation de la brique dans la cité Climat de France, Alger ............ 107
Photo 26 : Utilisation de la faïence à Confort, Alger.......................................... 108
Photo 27 : Voûtes de l'ancienne église de Confort, Alger ................................. 109
Photo 28 : Coupoles de la cité Climat de France, Alger.................................... 110
Photo 29 : Portique, Confort, Alger ................................................................... 111
Photo 30 : Portique de l'entrée de la place des 200 colonnes, Cité Climat de
France, Alger .................................................................................................... 111
Photo 31 : Modification d’une façade à Confort, Alger ...................................... 122
Photo 32 : Transformation du marché couvert à Confort, Alger ........................ 122
Photo 33: Habitat précaire dans les espaces semi-publics à El Mahçoul, Alger
.......................................................................................................................... 123
Photo 34 : Cages d’escalier à El Mahçoul, Alger .............................................. 124
Photo 35 : Place du marché, Diar El Mahçoul, Confort ..................................... 173
Photo 36 : Place du marché, jeunes jouent au billard ....................................... 174
Photo 37 : Passage en escalier sous immeuble, Confort.................................. 175
Photo 38 : Place des quatre vents, Confort ...................................................... 176
Photo 39 : Espace isolé sur la place des quatre vents...................................... 177
Photo 40 : Escalier monumental, El Mahçoul ................................................... 181
Photo 41 : Marché couvert, El Mahçoul ............................................................ 182
Photo 42 : Grand ensemble de la Rabaterie ..................................................... 191
Photo 43 : Grand ensemble du Clou-Bouchet .................................................. 191
Photo 44 : « Palm Beach » ............................................................................... 197
Photo 45 : « Bronx » ......................................................................................... 197
Photo 46 : Photo extraite de l’exposition « Implosions » de Mathieu Pernot..... 225
Photo 47 : Photo extraite de l’exposition « Implosions » de Mathieu Pernot..... 225
Photo 48 : L’espace Oscar Niemeyer, Le Havre ............................................... 227
Photo 49 : Bain des docs, Le Havre.................................................................. 227
297
Photo 50 : Architecture d’August Perret au Havre ............................................ 228
Photo 51 : Unité Billardon à Dijon avant sa démolition ..................................... 231
Photo 52 : Grand ensemble de Beaulieu .......................................................... 232
Photo 53 : Le quartier des états unis à Lyon..................................................... 235
Photo 54 : Quartier des Gratte-ciels à Villeurbanne .......................................... 236
Photo 55 : La cité Diar El Hana ......................................................................... 250
Photo 56 : Bâtiment en cours de requalification dans la cité Diar El Kef, Alger 251
Photo 57 : Extension des logements à la cité des Amandiers .......................... 257
Photo 58 : Réunion de concertation avec les habitants .................................... 260
Photo 59 : Exposition permanente du projet ..................................................... 260
Photo 60 : Logements vidés à El Mahçoul ........................................................ 262

Liste des croquis

Croquis 1 : Micro-quartier « le 14 » ................................................................... 199


Croquis 2 : Micro-quartier du marché................................................................ 201
Croquis 3 : Micro-quartier constitué par une seule barre .................................. 202
Croquis 4 : Micro-quartier constitué par le micro-quartier du jardin................... 203
Croquis 5 : Croquis du micro-quartier du boulevard.......................................... 204
Croquis 6 : Micro-quartier de la place des quatre vents .................................... 205
Croquis 7 : Croquis d’un micro-quartier ............................................................ 205

Liste des encadrés

Encadré 1 : Extrait d’Entretien de Pierre Sudreau accordé à M.B Champigneulle


dans Le Figaro Littéraire, 15 Aout, 1959 ............................................................. 45

298
Encadré 2 : Rapport d’un ingénieur du bâtiment de la république démocratique
d’Allemagne ........................................................................................................ 59
Encadré 3 : rapport du comité chargé de l’entretien du parc de logements de Saint-
Pétersbourg ........................................................................................................ 64
Encadré 4 : Extrait 1 du rapport sur les réalisations nouvelles dans le domaine de
l’habitat musulman du 31/12/1955 ...................................................................... 71
Encadré 5 : Extrait 2 du rapport sur les réalisations nouvelles dans le domaine de
l’habitat musulman du 31/12/1955 ...................................................................... 71
Encadré 6 : Extrait du discours de Charles De Gaule annonçant le plan de
Constantine ......................................................................................................... 74
Encadré 7 : Extrait d'entretien, Homme, 53 ans, Cité Jeanne d’Arc, Oran.......... 78
Encadré 8 : Extrait d’entretien, Homme 65 ans, Confort, Alger .......................... 78
Encadré 9 : Extrait d’entretien, Homme 22 ans, Cité Plein ciel, Oran ................. 78
Encadré 10 : Extrait entretien de groupe, Homme, 45 ans, cité Jean de la Fontaine,
Oran .................................................................................................................... 80
Encadré 11 : Extrait entretien de groupe, Homme, 52 ans, cité Jean de la Fontaine,
Oran .................................................................................................................... 80
Encadré 12 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger ....................... 81
Encadré 13 : Extrait d’entretien, Homme, 38 ans, cité Lattre de Tassigny, Oran 81
Encadré 14 : Extrait d’entretien, Homme, 62 ans, El Mahçoul, Alger.................. 83
Encadré 15 : Extrait d’entretien, Homme, 34 ans, El Mahçoul, Alger.................. 84
Encadré 16 : Extrait d’entretien, Homme, 64 ans, El Mahçoul, Alger.................. 85
Encadré 17 : Extrait d’entretien, Homme, 27 ans, El Mahçoul, Alger.................. 86
Encadré 18 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, El Mahçoul, Alger.................. 87
Encadré 19 : Extrait d’entretien, Femme, 45 ans, El Mahçoul, Alger .................. 87
Encadré 20 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger.................. 87
Encadré 21 : Extrait d’entretien, Homme, 37 ans, Confort, Alger ....................... 88
Encadré 22 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger.................. 88
Encadré 23 : Extrait d'entretien, Homme, 46 ans, El Mahçoul, Alger.................. 89
Encadré 24 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, El Mahçoul, Alger.................. 89
Encadré 25 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger.................. 89
299
Encadré 26 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger ....................... 89
Encadré 27 : Extrait d’entretien, Femme, 50 ans, El Mahçoul, Alger .................. 91
Encadré 28 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger.................. 91
Encadré 29 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger.................. 91
Encadré 30 : Extrait d’entretien, Homme, 51 ans, Confort, Alger ..................... 102
Encadré 31 : Extrait d'entretien, Homme, 51 ans, Confort ................................ 103
Encadré 32 : Extrait d’entretien, Homme, 46 ans, Confort, Alger ..................... 125
Encadré 33 : Extrait d’entretien, Homme 37 ans, El Mahçoul, Alger................. 125
Encadré 34 : Extrait d’entretien, Homme, 52 ans, Confort, Alger ..................... 125
Encadré 35 : Communication d’un groupe de conseillers municipaux, 1940 .... 133
Encadré 36 : Extraits de la présentation du thème du CIAM 9 ......................... 137
Encadré 37 : Extrait d’entretien avec Roland Simounet, 1995 .......................... 138
Encadré 38 : Extrait d’entretien avec Roland Simounet .................................... 148
Encadré 39 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger................ 154
Encadré 40 : Extrait entretien de groupe, Homme, 55 ans, El Mahçoul, Alger . 154
Encadré 41 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger ..................... 155
Encadré 42 : Extrait du journal de bord du 04/05/2017 ..................................... 156
Encadré 43 : Extrait du journal de bord du 04/05/2017 ..................................... 156
Encadré 44 : Extrait d’entretien, Homme, 28 ans, Cité des falaises, Oran ....... 157
Encadré 45 : Extrait d’entretien, Homme, 47 ans, Cité Jean de La Fontaine, Oran
.......................................................................................................................... 157
Encadré 46 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, El Mahçoul .......................... 157
Encadré 47 : Extrait d’entretien, Homme, 52 ans, El Mahçoul .......................... 158
Encadré 48 : Extrait d’entretien, Femme, 47 ans, El Mahçoul, Alger ................ 159
Encadré 49 : Extrait de récit, Christiant Ripoll, Ancien habitant de Confort ...... 159
Encadré 50 : Extrait d’entretien mené par Cyprien Avenel avec un Homme, 21 ans,
célibataire, chômeur, CAP ................................................................................ 167
Encadré 51 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, Diar Essaada, Alger ............ 169
Encadré 52 : Extrait d’entretien de groupe, Homme, 21 ans, Confort ............... 170
Encadré 53 : Extrait d’entretien de groupe, Homme, 20 ans, Diar Essaada, Alger
.......................................................................................................................... 171
300
Encadré 54 : Extrait journal de bord du 10/10/2017 .......................................... 176
Encadré 55 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, Confort, Alger ...................... 179
Encadré 56 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger ..................... 179
Encadré 57 : Extrait d’entretien, Homme, 22 ans, El Mahçoul, Alger................ 180
Encadré 58 : Extrait de journal de bord du 05/10/2017 ..................................... 182
Encadré 59 : Extrait d’entretien, Homme, 32 ans, El Mahçoul, Alger................ 183
Encadré 60 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 199
Encadré 61 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 200
Encadré 62 : Extrait d’entretien, Homme, 50 ans, El Mahçoul, Alger................ 200
Encadré 63 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 201
Encadré 64 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 202
Encadré 65 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 203
Encadré 66 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, Confort, Alger ..................... 204
Encadré 67 : Permanence "Hamon tourne la page" : entretien collectif avec des
habitantes ayant déménagé (avril 2007) ........................................................... 226
Encadré 68 : Extrait d’entretien mené avec un habitant du Havre .................... 228
Encadré 69 : Extrait d’entretien mené avec une habitante du Havre ................ 230
Encadré 70 : Extrait du dossier de candidature de Beaulieu au label « patrimoine
du XXème siècle ............................................................................................... 233
Encadré 71 : Article 15 de la constitution algérienne ........................................ 240
Encadré 72 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, El Mahçoul, Alger................ 243
Encadré 73 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger ..................... 244
Encadré 74 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger ..................... 244
Encadré 75 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger................ 244
Encadré 76 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, Confort, Alger ..................... 245
Encadré 77 : Extrait de l’article de L.N concernant la démolition de Diar Echems
dans Liberté-algérie .......................................................................................... 246
Encadré 78 : Extrait d’entretien, Homme, 24 ans, Diar Essaada, Alger ............ 247
Encadré 79 : Diar Enakhla, « un pan de l’histoire de Sétif qui s’en va… »
Lettre à monsieur le Wali de Sétif ..................................................................... 249

301
Encadré 80 : Extrait d’entretien de Nahla Rif avec le Wali délégué de Bab El Oued
.......................................................................................................................... 252
Encadré 81 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger ..................... 264

302
Table des matières

Introduction générale

I. Avant-propos : pourquoi cette recherche ? .............................................. 11

II. Introduction : des utopies urbaines aux grands ensembles ..................... 13

III. Problématique et hypothèses ................................................................... 17

IV. Présentation des cas d’études ............................................................... 22

IV.1. Cas étudiés de manière exploratoire ............................................... 22

IV.2. Cas étudiés de manière approfondie .............................................. 24

V. Postures et indications méthodologiques ................................................. 27

V.1. Approches méthodologiques : ............................................................ 27

V.2. Matériaux et sources : ........................................................................ 29

VI. Le grand ensemble en Algérie, un modèle complexe ............................ 30

VI.1. Origine de l’appellation .................................................................... 30

VI.2. Grands ensembles, banlieues, cités................................................ 32

VI.3. Une modernité algérienne ............................................................... 32

VI.4. Le grand ensemble, un logement social .......................................... 34

VII. Structure de la thèse .............................................................................. 36

Premiére partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur


perception

Introduction de la première partie ............................................................. 51

I. Temporalités et typologies des grands ensembles .................................. 39

I.1. La périodisation des grands ensembles ............................................. 40

I.1.1. La phase de consensus ............................................................... 40


303
I.1.2. La phase de remise en cause des grands ensembles ................. 44

I.1.3. La phase de réhabilitation ............................................................ 46

I.1.4. La phase de démolition ................................................................ 46

I.1.5. Un regard nouveau ...................................................................... 47

I.2. Du style international aux spécificités locales ..................................... 49

I.2.1. L’exemple sud-coréen .................................................................. 49

I.2.2. L'exemple iranien ......................................................................... 52

I.2.3. L'exemple italien .......................................................................... 54

I.3. Une même forme portant des idéologies contradictoires.................... 56

I.3.1. L’exemple de la RDA ................................................................... 57

I.3.2. L’exemple polonais ...................................................................... 60

I.3.3. La Russie ..................................................................................... 63

II. Les grands ensembles en Algérie ............................................................ 68

II.1. Naissance des grands ensembles en Algérie ..................................... 69

II.2. Idéaux-types de grands ensembles en Algérie ................................... 77

II.2.1. Le grand ensemble apprécié .................................................... 77

II.2.2. Les grands ensembles centraux ............................................... 80

II.2.3. Le grand ensemble ghetto ........................................................ 83

II.2.4. Le grand ensemble convivialiste ............................................... 86

II.2.5. Le grand ensemble rejeté ......................................................... 88

II.2.6. Le grand ensemble solidaire ..................................................... 90

II.2.7. Le grand ensemble individualiste.............................................. 92

II.2.8. Le grand ensemble patrimonial................................................. 93

III. La patrimonialisation des grands ensembles ........................................... 95

III.1. Les valeurs du patrimoine selon Riegl............................................. 96


304
III.1.1. Les valeurs de mémoire ........................................................... 96

III.1.2. Les valeurs d’actualité .............................................................. 98

III.2. La valeur patrimoniale des grands ensembles en Algérie ............. 101

III.2.1. Valeurs de mémoire................................................................ 101

III.2.2. Valeurs d’actualité .................................................................. 102

III.3. Patrimonialisation et appropriation ................................................ 116

III.3.1. Notion d’appropriation............................................................. 116

III.3.2. Histoire de la notion ................................................................ 117

III.3.3. L’espace public, semi-public et semi-privé, lieu d’appropriation


……………………………………………………………………...118

III.3.4. Appropriation et marquage de l'espace .................................. 118

III.4. Marquage et réinvestissement des traces à la cité Diar El Mahçoul et


la cité Climat de France .............................................................................. 120

III.4.1. Transformations matérielles ................................................... 120

III.4.2. Transformations immatérielles ................................................ 124

III.5. Patrimoine factice et patrimoine qui fait sens ................................ 125

Conclusion de la première partie ............................................................ 128

Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires

dans les grands ensembles

Introduction de la deuxième partie ........................................................ 144

I. Type d’habitat et mode d’habiter ............................................................ 132

I.1. Du changement du type d’habitat au changement du mode d’habiter


……………………………………………………………………………..133

I.1.1. Le grand ensemble, une stratégie coloniale .............................. 133


305
I.1.2. L’étude du groupe CIAM-Alger................................................... 137

I.1.3. Analyser un bidonville pour « faire projet » ................................ 146

I.2. Le « Mode d’habiter » ....................................................................... 150

I.3. Modes d’habiter des grands ensembles en Algérie .......................... 153

I.3.1. Le point de départ ...................................................................... 153

I.3.2. L'expérience géographique ........................................................ 155

I.3.3. L'imprégnation médiale .............................................................. 156

I.3.4. Habituation ................................................................................. 157

I.3.5. Sédimentation mémorielle ......................................................... 158

I.3.6. Habiter les espaces publics ....................................................... 159

II. Des identités dans les grands ensembles .............................................. 162

II.1. La notion d’identité ........................................................................... 163

II.1.1. L’identité statique et identité mouvante................................... 163

II.1.2. Identité et culture .................................................................... 165

II.1.3. L’identité à l’ère de la mondialisation ...................................... 165

II.1.4. L’identité collective.................................................................. 166

II.2. La question de l’identité dans les grands ensembles ....................... 167

II.3. Une multiplication des identités à Salembier .................................... 168

II.4. De la discrimination conçue à l’émergence de deux identités .......... 171

II.4.1. L’esprit « Confort » ................................................................. 172

II.4.2. L’esprit « El Mahçoul » ........................................................... 179

III. Territoires et micro-territoires dans les grands ensembles ..................... 185

III.1. La notion de territoire .................................................................... 186

III.2. Interactions entre patrimoine, identité et territoire ......................... 187

III.3. Le quartier à géométrie variable .................................................... 190


306
III.3.1. Les grands ensembles de la Rabaterie et le quartier du Clou-
Bouchet ……………………………………………………………………...190

III.3.2. La mise en mots de l’espace .................................................. 196

III.4. Territoires et micro-territoires à Diar El Mahçoul ........................... 198

Conclusion de la deuxième partie ..................................................................... 221

Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles


en Algérie

Introduction de la troisième partie .......................................................... 224

I. Gouvernance urbaine et stratégies dans les grands ensembles dans le


monde............................................................................................................ 212

I.1. Du gouvernement à la gouvernance................................................. 213

I.2. L’empowerment ................................................................................ 217

I.3. Stratégies adoptées dans les grands ensembles dans le monde ..... 219

I.3.1. Exemples de stratégies de développement local ....................... 220

I.3.2. La démolition des grands ensembles, ses logiques et son vécu 224

I.3.3. Projets de patrimonialisation ..................................................... 226

II. Le cas Algérien ...................................................................................... 238

II.1. Structures participatives en Algérie .................................................. 239

II.1.1. La législation algérienne ......................................................... 239

II.1.2. Le programme CapDEL .......................................................... 240

II.1.3. Une législation contournée ..................................................... 242

II.2. Comités de quartier et implication réelle à Diar El Mahçoul ............. 243

II.3. Interventions dans les grands ensembles en Algérie ....................... 245

II.3.1. La démolition .......................................................................... 245


307
II.3.2. La requalification des grands ensembles ................................ 250

II.3.3. Autres stratégies dans les grands ensembles ........................ 261

Conclusion de la troisième partie ........................................................... 266

Conclusion générale ...................................................................................... 268

Quand le grand ensemble devient territoire ................................................... 268

Les paradoxes d’habiter les grands ensembles : ....................................... 269

Les grands ensembles, des quartiers à géométrie variable ....................... 270

Les grands ensembles, un patrimoine « qui fait sens » .............................. 271

La difficulté de patrimonialiser les grands ensembles ................................ 271

L’habitant, acteur incontournable du développement territorial .................. 272

Quelle valeur patrimoniale pour les grands ensembles ? ........................... 273

Perspectives de recherches ....................................................................... 274

Bibliographie .................................................................................................. 276

Annexe .......................................................................................................... 290

308

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