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جامعة وهران للعلوم و التكنولوجيا محمد بوضياف
Filière : Architecture
A la lecture d’une thèse, souvent pressé de trouver l’éclairage tant recherché, je me suis
rarement attardé sur la partie « remerciements ». Je saisis aujourd’hui combien celle-ci est
révélatrice de ce qu’est le parcours d’élaboration d’une thèse. Au-delà du travail scientifique,
ces lignes rendent compte de l’importance des personnes ayant accompagné et des
échanges humains ayant ponctué et facilité ce parcours. C’est à ces personnes sans
lesquels ce travail n’aurait pu aboutir que je souhaite adresser, ici, mes remerciements.
J’exprime donc toute ma gratitude à mes directrices et directeur de thèse qui ont su par leur
complémentarité m’accompagner dans ce travail. Salem Zinaï Souria pour sa supervision
intelligente, ses remises en question (Ô combien vitales !) et son investissement personnel
dans ce projet. Hervé Marchal pour ses efforts généreux, la pertinence de ses conseils mais
aussi pour la dimension humaine de son accompagnement… A n’en pas douter les
différentes discussions passionnées qui ont jalonné cette thèse ont été fondamentales.
Kacemi Malika pour s’être impliquée dès le début de cette thèse et avoir pris le relais de sa
direction avec talent !
Comment ne pas penser à ma famille, à commencer par mes parents qui m’ont soutenu
moralement et matériellement, et particulièrement ma mère dont les encouragements et
attentions m’ont accompagné durant ces années. Par ailleurs, l’architecture étant une
histoire de famille, ce travail n’aurait pu voir le jour sans les orientations éclairées de mon
père et premier relecteur ! Comment ne pas penser à mon frère et à ma sœur pour leur
appui et leur aide significative ainsi qu’à mes grands-parents qui, entre deux prières, se sont
toujours enquis de l’avancement du travail.
Merci à mes autres relecteurs patients et dévoués et à mes amis dont le désintérêt total
pour ma thèse m’a permis de m’en détacher lorsque c’était nécessaire pour mieux me
reconcentrer !
Je tiens à remercier tous les hommes et femmes qui ont accepté de se livrer à l’exercice
des entretiens ainsi que les employés de la commune d’El Madania qui m’ont accueilli,
répondu à mes questions et permis de mener des entretiens dans leurs bureaux.
Et pour finir, cette thèse étant sur le point d’être livrée à la lecture et à la critique, je remercie
les lecteurs pour les avis constructifs qu’ils ne manqueront pas d’apporter.
Résumé
Analyzing the Algerian city cannot be carried out today without studying the large-scale
social housing estates which are a major component of modern cities. Inherited from the
French colonial period and suffering from a negative, sometimes caricatural, image, these
housing developments show a high heritage potential in the context of the 20 th-century
expansion of the concept of heritage to new areas. This work is based on a qualitative survey
through a series of semi-leading interviews with inhabitants of housing estates. Furthermore,
the field observations shed light on practices of these inherited spaces’ reappropriation.
First, this thesis studies the nature of the heritage values of this form of Algerian habitat, as
well as the relationship between the inhabitants and the inhabited space. Through the study
of the perceptions and representations of inhabitants of housing developments in the cities
of Algiers and Oran, we illustrate the significant reappropriation of the space that follows the
outlines of the populations’ ways of living (modes d’habiter). From that, we highlight the
creation of spatially organized identities as well as micro-neighborhoods ranging from the
building to the street or square to a part of the housing development. Second, this work
addresses the relationship between the heritage value that the inhabitant confers to the
housing estate and the desire of the inhabitant to be involved in his neighborhood’s future.
In sum, this work highlights the paradox of a bottom-up territorialisation and heritagization
of this modern form of habitat.
Key words: Large social housing estates, Heritage, Heritagization, Mode d’habiter,
Territorialisation, Neighborhood, Reappropriation
مل ّخص
ال ّ نات ة اع ارها إح ّ عات ال ّ ّة ال ها اﻻس غ اء ع ت ل ل ال إن دراسة ال ي ة ال ائ ّة ال م ﻻ
ّ
ّ عات ،ال روثة في ال ائ ع اﻻح ﻼل الف ن ي واّل ي تعاني م ص رة اﻷساس ة لل ن ال ي ة .هاته ال
ّ
سل ّة بل و ار ات رة ،ت ل مع ذل أ عاد ت اث ة أك ة في ّل ام اد مفه م ال اث إلى م اﻻت ج ي ة م ها
على أسل ب ت ّ ن عي م خﻼل ع د م ال قابﻼت الّ ف م جهة يت .ه ا ال م ال الق ن الع
ال ﻼح ة ال ان ة م جه ها ت ض ا ل ارسات إعادة ح ازة هاته ّ عات ،ك ا ق ّ م مع س ّ ان هاته ال
في ال اث ة ال عّلقة به ا الّ ع م ال ّ عة ال الف اءات ال روثة .في م حلة أولى ،اﻷ وحة ت رس
ف ال ّ اك حة م ال ة ال اث ة ال ال ّ ارع أو ال ّ احة .في م حلة ثان ة ،يه ه ا الع ل العﻼقة ب
ة ّلة في أقل ة م ّ عات س ّة حّه .إ از ،اﻷ وحة ت ّ ال فارقة ال ّ عه و رادته ال ّ ّ في م ل
،أقل ة ،حي ،إعادة ح ازة ق ال ة ،ت اث، ّ عات ال ّ ّة ال كل ات مف اح :ال
ّ
Sommaire
Introduction générale
8
UNESCO Organisation des Nations unies pour l'Education, la Science et la
Culture
URSS Union des Républiques Socialistes Soviétiques
WBS 70 Wohnungsbauserie 70 (Série de construction de logements 70)
ZAC Zone d’Aménagement Concerté
ZHUN Zone d’Habitat Urbain Nouvelle
ZPPAUP Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager
ZUP Zone à Urbaniser en Priorité
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Introduction générale
10
Introduction générale
Dès lors, dans le cadre d’une thèse affiliée aux domaines de l’architecture et du
patrimoine, décider de faire des grands ensembles l’objet de la recherche n’est
pas un choix anodin. La volonté de travailler sur un patrimoine récent était certes
présente dès le départ, mais ce choix s’inscrit clairement dans une vision
pragmatique du patrimoine. Celui-ci est abordé du point de vue des possibilités
qu’il offre pour sortir d’une situation des grands ensembles présentée comme
négative aujourd’hui et pour enclencher des dynamiques nouvelles sur les plans
social, économique et de la gouvernance urbaine.
Décriés, mal aimés, les grands ensembles font souvent l’objet d’articles critiques
évoquant criminalité, insécurité, discrimination, etc. Ils constituent néanmoins une
grande partie du patrimoine immobilier et la majeure partie du logement de type
collectif en Algérie. Différentes stratégies ont été expérimentées dans les grands
ensembles visant à les requalifier, les réhabiliter ou les reconvertir avec peu de
succès. Des stratégies souvent élaborées par les décideurs et les spécialistes et
imposées à une population dont on néglige les véritables rapports à leurs habitats,
et donc leurs modes d’habiter et aspirations. A partir de là, l’approche qui consiste
à étudier les grands ensembles « par le bas », c’est-à-dire par l’étude des
perceptions, des représentations et des modes d’habiter de leurs populations, peut
donner des pistes de réflexions sur une nouvelle manière d’intervenir dans les
grands ensembles et, par extension, de faire la ville.
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Introduction générale
Une étude de ce type concernant ces cités d’habitat collectif nous renseigne sur
les différents rapports qu’entretiennent les habitants à leur milieu habité : D’abord,
le rapport des individus et des groupes sociaux aux grands ensembles qu’ils
habitent et à leur quartier. Comme nous le verrons, si ceux-ci revêtent une image
négative et caricaturée, la réalité, elle, est beaucoup plus complexe. Ensuite, le
rapport aux grands ensembles, c’est le rapport à une architecture moderne et
fonctionnaliste très éloignée formellement de la maison traditionnelle algérienne.
C’est également un rapport complexe à un patrimoine colonial qui n’est pas
toujours accepté en tant que tel. Enfin, l’étude de ces grands ensembles
appropriés et réappropriés de différentes manières depuis leur construction nous
renseigne sur les différents modes d’habiter algériens.
Il s’agit donc moins, dans cette thèse, d’attester de la patrimonialité des grands
ensembles que de constater aussi bien des dynamiques sociales au sein de ces
quartiers que des rapports particuliers au cadre bâti et des modes d’habiter s’y
développant et pouvant, à n’en pas douter, donner des pistes de réflexions dans
le domaine de l’habitat et de l’urbanisme de manière générale.
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Introduction générale
De tout temps, depuis l'Antiquité jusqu'au XXème siècle, les hommes se sont
essayés à concevoir la cité idéale. Dans la Grèce classique déjà, le lien avait été
fait entre le système politique et le cadre urbain. A la renaissance, ce lien a pris de
l'importance en liant l'architecture au comportement humain et à l'organisation
sociale et politique. La multiplicité des cités idéales conçues et mises à l'épreuve
au travers des siècles montre que celles-ci ont pour objectif de répondre aux
transformations de la ville et d'en orienter les principes d'organisation.
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Introduction générale
comme la condition de l’objet commode, gracieux et noble (Alberti, Caye, & Choay,
2004). Les trois tableaux d'Urbino sont également un témoignage des cités idéales
imaginées à la Renaissance. Ces tableaux, dont l'auteur est inconnu, montrent une
cité faite de monuments antiques, d'un style moderne de l'époque que l'on qualifie
aujourd'hui de gothique et d'un futur abstrait (Damisch, 2012). Ces tableaux
montrent des façades symétriques, des rues, des places, des monuments, des
constructions plus ordinaires ainsi que des équipements.
D'autres cités idéales ont été conceptualisées ensuite comme celle d'Antonio di
Pietro Averlino selon un modèle radial avec un plan en étoile qu'il compare à un
corps humain parfait. La cité montre une réflexion sur les espaces publics et sur la
localisation des équipements de santé, des commerces, des banques et de
l'artisanat. De Vinci, de son côté, formulera plusieurs propositions fortement
influencées par la recherche d'une hygiène qui sera, dès lors, une des principales
influences des utopies urbaines à venir (Stébé, 2009).
Différentes visions de la cité idéale se sont ensuite succédé répondant aux grands
changements connus par les villes jusqu'au 19ème siècle. Nous pouvons citer à
titre d’exemple la cité idéale de Cerda, un type d'urbanisation qu'il nommera
« urbanisation ruralisée » (Cerdá, 1867, p. 168) et qui se matérialisera par le plan
en damier de l'extension de la ville de Barcelone. Elle s'attache à favoriser l'égalité,
une extension facile de l'organisation, la facilitation des communications, la
séparation entre les espaces privés des zones d'habitations et les espaces publics
administratifs et commerciaux, et l'implantation d'un jardin au centre de chaque
îlot. E. Howard, de son coté, émettra l’idée d'installer des villes dans les
campagnes à travers les cités-jardins : des villes situées dans la compagne dont
la densité et l'extension sont limitées et qui sont reliées entre elles par un nouveau
réseau routier (Howard, 2013).
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Introduction générale
Un jour de juillet 1922, Marcel Temporal ayant pris la direction de la section urbaine
du Salon d'Automne, vint proposer à Le Corbusier de faire quelque chose pour le
prochain salon de novembre : « L'art urbain c'est la boutique, l'enseigne en fer
forgé, la porte de la maison, la fontaine dans la rue, tout ce que nos yeux voient
de la chaussée, etc. Faites-nous donc une belle fontaine ou quelque chose de
semblable ! » dit-il. On fit autre chose : on fit l'étude d'une « Ville Contemporaine
de 3 Millions d'Habitants ».
Cette cité idéale jamais réalisée (ayant été refusée par les pouvoirs publics)
préconisait de faire tabula rasa d’une grande partie du centre-ville de Paris ne
conservant que les monuments remarquables. Elle était structurée par un
échiquier avec un plan symétrique. Le lieu central de cette ville était le croisement
de deux grands axes dans une grande gare, point de rencontre de tous les moyens
de transport public.
Des tours étaient érigées à partir d'une végétation au niveau du sol et le réseau
routier y était très important. Le fonctionnalisme s'imposant comme un principe de
structuration de la ville, les zones des sièges sociaux des entreprises et des
banques, les quartiers résidentiels accueillant les cadres travaillant dans celles-ci
et les zones des travailleurs vont être clairement délimitées et localisées. Les rues,
quant à elles, sont éliminées au profit d'espaces verts.
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Introduction générale
La cité radieuse, étant un projet plus réalisable, sera l'occasion pour Le Corbusier
d'appliquer réellement sa vision de la ville. Les unités d'habitations accueillant
1600 habitants sans distinction de classe et comprenant des équipements, des
services et des rues en hauteur, seront sans doute à l'origine des grands
ensembles tels que nous les connaissons aujourd'hui. Même si elles peuvent être
très différentes en matière d'échelle, d'équipements, de services et de structure,
les unités d’habitation influenceront indéniablement la production du logement
social par le futur.
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Introduction générale
Une fois établie, la décision de faire des grands ensembles construits dans les
années 1950 en Algérie le sujet de cette thèse, il était nécessaire, étant donné la
multiplicité des discours populaires ou scientifiques abordant ce thème, de se
débarrasser des aprioris ambiants et de constater la réalité de ces cités. En effet,
avec les premières réflexions sur l'avenir des grands ensembles menées lors de
colloques scientifique, ou dans différents écrits, il semble que le premier problème
posé par les grands ensembles soit leur méconnaissance. Une méconnaissance
qui a laissé libre cours à nombre de clichés et justifié des politiques de la ville qui,
quand elles existent, n'ont fait qu'accentuer les difficultés qu'elles prétendaient
réduire (Tomas, 2003a).
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Introduction générale
La complexité est, ensuite, liée aux différents contextes de leur réalisation. Le style
international des grands ensembles est en ce sens un mythe. Comme le montrent
Dufaux et Chemetov dans « Le monde des grands ensembles » (Dufaux &
Chemetov, 2004), le style international s’est décliné différemment en France, en
Italie, en Corée du Sud, en Algérie ou en Iran. Pour appréhender le contexte
algérien, s’il faut passer nécessairement, dans un premier temps, par l’étude de
l’histoire du logement social en France, on doit s’en détacher, ensuite, pour étudier
comment cette forme urbaine est spécifiquement apparue dans l’Algérie coloniale
et s’est développée, plus tard, dans l’Algérie indépendante.
D’un point de vue social, cette forme urbaine, en Algérie et ailleurs, est
caractérisée par une image négative. Médias, hommes politiques et population
pointent du doigt des cités déterritorialisées où il n’y a pas d’identité ou de vie
sociale, où l’insécurité règne et où les habitants souffrent de discrimination. Les
séquences d’observation ainsi que les entretiens exploratoires menés auprès
d’habitants de ces grands ensembles casseront dès le départ de nombreuses
certitudes acquises inconsciemment au fil du temps. En effet, transcendant la
diversité des situations économiques et sociales des habitants des grands
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Introduction générale
Parallèlement à cela, l’engouement pour le patrimoine dans les sociétés n’a jamais
été aussi fort. Celui-ci n’a cessé, à travers les siècles, de connaître des extensions.
La notion de monument historique, qui ne désigne que les œuvres antiques et
classiques isolées dans un premier temps, s’est étendue aux édifices et à leurs
sites. La notion a également inclus le patrimoine immatériel pour ne citer que
quelques extensions (Choay, 2007). Récemment, la notion de patrimoine du
« XXème siècle »1 a commencé à apparaître concernant d’abord l’architecture des
premières décennies du XXème siècle ou celles possédant une valeur historique,
jusqu’à commencer à regarder les grands ensembles sous un nouvel angle, celui
de leur valeur patrimoniale. A ce propos, le danger auquel sont exposées ces cités
d’habitat social est, comme souvent dans l’histoire, à l’origine de ce début de
reconnaissance. En effet, de nombreux grands ensembles ont été détruits en
Europe ou partout dans le monde. L’Algérie ne fait pas exception en la matière
puisque plusieurs cités ont été démolies ou se sont beaucoup détériorées.
1 Le label « patrimoine du XXème siècle » existe en France et le Conseil de l’Europe a, dans une
note, insisté sur la nécessité de protéger le patrimoine du XXème siècle
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Introduction générale
Nous avançons à travers cette thèse l’hypothèse que les grands ensembles en
Algérie ne sont plus ces cités d’habitat social déterritorialisées, mais qu’ils ont fait
l’objet d’une réappropriation et qu’ils font aujourd’hui l’objet d’un processus de
patrimonialisation spontané.
Enfin, dans le contexte de la montée de l’individu désirant être partie prenante des
politiques urbaines et donc des changements de son lieu de vie, la valeur
patrimoniale potentielle des grands ensembles en Algérie peut-elle être un atout
dans le développement des territoires ? Quelles perspectives offre-t-elle au regard
de la diversité des situations urbaines de ces cités ? Nous formulons en ce sens
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Introduction générale
A partir des éléments énoncés plus haut, les objectifs de cette thèse s’articulent
comme suit :
L’étude des modes d’habiter qui se sont constitués dans les grands
ensembles en relation avec la réappropriation de cette forme urbaine.
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Introduction générale
Nous faisons dans cette thèse le choix d’étudier exclusivement les grands
ensembles construits dans les années 1940 et 1950 et achevés avant ou après
l’indépendance de l’Algérie. Nous écartons donc, dès le départ, et ce pour des
considérations méthodologiques, d’autres formes d’habitat social qui pourraient se
glisser sous ce vocable telles que les Zones d’Habitat Urbain Nouvelles (ZHUN)
ou d’autres. En effet, bien que ces formes d’habitat social soient comparables et
parfois assimilées aux grands ensembles, des différences notables existent dans
leur conception et ils sont le résultat de politiques et d’acteurs différents. Ainsi il
s’agit d’éviter le biais méthodologique que constitue le fait d’étudier des formes
différentes de logement en les assimilant.
L’étude ayant été structurée par une phase exploratoire et une phase d’étude
approfondie, plusieurs cités ont été étudiées durant la première phase pour ensuite
approfondir un cas en particulier :
Oran, grande ville coloniale, a, durant les années 1940 et 1950, vu beaucoup de
grands ensembles s’édifier en son sein dont nous avons choisi quelques cas
représentatifs (Carte 1). Alger, quant à elle, nous intéresse particulièrement parce
qu’elle a fait figure de terrain d’expériences architecturales et urbanistiques
reconnues. La production des grands ensembles y comprend de nombreuses
réalisations majeures dont nous avons également étudié quelques cas (Carte 2).
22
Introduction générale
Carte 1 : Grands ensembles étudiés à Oran (Image google map éditée par l’auteur)
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Introduction générale
Carte 2 : Grands ensembles étudiés à Alger (Image google map éditée par l’auteur)
musulmane et plus en retrait, était appelée « confort évolutif ». Ces deux termes
étaient relatifs au niveau de confort des appartements. Aujourd’hui la partie
européenne est habitée par une population algérienne qui a investi les
appartements après l’indépendance de l’Algérie. Les deux parties souffrent d’un
surpeuplement plus ou moins accentué et d’une image négative auprès de la
population ainsi que dans les médias.
Photo 1 : Cité Diar El Mahçoul, Confort, place du marché. Photo auteur, 2018
25
Introduction générale
Carte 3 : Grands ensembles étudiés Dans la commune d’El Madania (Ex Salembier) (Auteur)
26
Introduction générale
Dans un second temps, nous nous baserons, pour interroger le rapport de l’individu
au quartier, sur plusieurs méthodes :
27
Introduction générale
28
Introduction générale
- Nous nous appuierons pour finir sur une approche empruntée à Vincent
Véschambre qui consiste en la « mise en mots des espaces »
(Veschambre, 2011, p. 99). Cette méthode sera adoptée suite au constat
du décalage entre les appellations formelles et informelles quant à la
désignation des espaces et des bâtiments, ce qui mettra en évidence le
décalage entre l’espace conçu, l’espace perçu et l’espace vécu (Lefebvre,
1974).
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Introduction générale
VI.1.Origine de l’appellation :
Généralement utilisé pour désigner les cités d’habitat social réalisées à partir des
années 1950 et jusqu’à la moitié des années 1970, le terme « grand ensemble »
n’a néanmoins aucun caractère juridique. Il a été utilisé pour la première fois en
1935 par Maurice Rotival2 dans la revue « Architecture d'Aujourd'hui » pour
désigner quelques groupes français d'HBM (Habitation à Bon Marché), ceux du
Plessis-Robinson, de Maison-Alfort, de la Muette à Drancy et quelques réalisations
allemandes et autrichiennes. Maurice Rotival critiquait ainsi les plans de masse de
ces cités :
C'est un îlot placé au milieu d'une plaine dans laquelle on ne sent aucun plan
général reliant les nouvelles constructions à l'agglomération parisienne... On
cherche vainement les autostrades, les réserves boisées, les terrains de jeux.
Néanmoins, le terme grand ensemble utilisé dans cet article de Maurice Rotival
n'est, comme l'explique François Tomas, pas encore précisé même si on peut voir
dans les dernières lignes une définition du terme (Tomas, 2003b) :
2 Maurice Rotival (1897 - 1980) est un ingénieur urbaniste français. Il a été responsable du Plan
régional d'Alger
30
Introduction générale
3 Hervé Vieillard-Baron est un géographe français dont les thèmes de recherche sont les zones
sensibles, les politiques de la ville et la rénovation urbaine, les migrations et les diasporas, les
territoires et les modes de visibilité du religieux
31
Introduction générale
En effet, dès les années 1930, une architecture moderne est réalisée en Algérie.
Un moderne décrit par Marcel Lathuillère comme « non pas bruyant et tapageur,
mais au contraire un moderne appuyé sur des bases rationnelles adaptées au
soleil d'Afrique du Nord » (Lathuillère dans Picard, 1936, p 129). Ce style est
caractérisé par un vocabulaire architectural moderne mais avec des références à
l’architecture locale. C'est cette vision de l'architecture et de la ville traditionnelle,
conjuguée à la volonté des architectes modernes (nés en Algérie la plupart du
temps), qui a permis de créer un style propre à l'Algérie et de remettre en cause le
modèle type des grands ensembles modernes, souvent résultat d'une
interprétation erronée de la pensée de Le Corbusier. Ces architectes
réinterpréteront des espaces adaptés aux pays méditerranéens : cours, patios etc.
32
Introduction générale
J'ai modelé tout ceci, avec, derrière la tête, la casbah d'Alger, Gardhaïa, Damas,
Alep, Le Caire, les cités grecques et des contacts précis de l'habitat rural en
France, toute cette architecture modeste, qui nous galope dans la tête, cette
architecture pleine de classe dans sa vérité et son adolescence [...] Sa forme
quadrangulaire, fermée sur le pourtour et ouverte par l'intérieur, exprime ce que
nous rencontrons dans les cités médiévales... A l'étage, une rue suspendue, sorte
de coursive à ciel ouvert, distribue de part et d'autre, les logements qui coiffent les
commerces. Les terrasses qui couvrent ces logements sont accessibles de ceux-
ci, par leurs patios
Fernand Pouillon, autre figure de l’architecture moderne, va, quant à lui, largement
s'inspirer du modèle méditerranéen en reprenant les espaces urbains des villes
médiévales comme la rue et la place. Il fera également référence dans son
architecture à l'architecture mozabite, aux casbahs, ou encore aux villes grecques
et romaines.
34
Introduction générale
Le logement social défini « par la catégorie sociale à laquelle il est destiné mais
aussi par une intervention publique qui permette d'offrir en plus à ses membres
l'hygiène et le confort qu'ils ne pourraient obtenir par leurs seules ressources »
(Tomas, 2003b, p. 13) apparaît pour la première fois au début du Second Empire
en France. L’union nationale des HLM cite le décret du 25 Janvier 1852 relatif à la
restitution à l'Etat des biens de la famille d'Orléans qui stipule, dans son article 6,
qu’après leur vente par le service des domaines, une partie des revenus sera
consacrée à améliorer les logements des ouvriers dans les grandes villes
industrielles (Tomas, 2003b). Il faudra néanmoins plusieurs autres lois pour la mise
en place d'un dispositif prenant en charge la construction de logements sociaux.
35
Introduction générale
Cette thèse a été structurée en trois parties. Elles résultent des trois entrées qui
ont orienté notre travail et qui s’inscrivent dans l’étude d’une patrimonialisation par
le bas des grands ensembles en Algérie :
L’entrée praxis : celle-ci donne lieu à trois chapitres consacrés respectivement aux
modes d’habiter, aux identités et aux territoires qui se sont constitués dans les
grands ensembles en Algérie. Il s’agit là de chapitres qui interrogent la relation
entre un habitant actif et son milieu habité.
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Première partie : Naissance des grands ensembles
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur
perception
38
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Introduction
Le premier est celui de l’analyse des différentes phases qui ont caractérisé les
grands ensembles, les discours qui les ont accompagnés et leur perception par la
population. Le deuxième angle s’intéresse aux différentes idéologies qui ont pu
être portées par cette forme d’habitat dans différentes parties du monde.
L’approche historique, menée ainsi, est primordiale dans le sens où elle nous
permet d’aborder la réalité actuelle de ces cités d’habitat social en Algérie, au-delà
des différents discours qui s’y sont rattachés à travers le temps ou à travers le
monde.
39
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Dans l’optique d’étudier ces objets complexes que sont les grands ensembles, il
nous parait impératif d’aborder les différentes phases qui les ont caractérisés tant
du point de vue de leur perception par les différents acteurs de la ville (spécialistes
de différentes disciplines, élus locaux, population etc.) que de celui du discours
politique et de ses rhétoriques médiatiques.
Dans « La place des grands ensembles dans l’histoire de l’habitat social français »,
François Tomas distingue quatre phases principales (Tomas, 2003b). La première
phase qu’on peut situer dans les années 1950 est caractérisée par un consensus
idéologique et par un plébiscite populaire très large – nous ferons une parenthèse
afin d’étudier les raisons et les facteurs d’un tel consensus. La dégradation rapide
des grands ensembles va enclencher une deuxième phase où ils vont essuyer
leurs premières critiques jusqu’à être condamnés unanimement. Ces critiques
seront telles qu’elles aboutiront, dans une troisième phase, à un renouvellement
du consensus au sujet, cette fois-ci, de la réhabilitation qui va pour un temps se
généraliser dans les grands ensembles. La quatrième phase verra la stratégie de
la réhabilitation connaître un recul face à la généralisation du discours préconisant
la démolition pure et simple des grands ensembles. Nous mettrons ici les
différentes phases en relation avec l’évolution du regard médiatique porté aux
grands ensembles, celui-ci permettant de déceler les changements dans la
perception des grands ensembles. Il sera abordé, de manière parallèle, à travers
une étude photographique menée par Raphaële Bertho (Bertho, 2014).
Les grands ensembles sont apparus pour tous les acteurs de la ville comme une
solution évidente à la crise du logement qui sévissait après la Deuxième Guerre
mondiale en Europe.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
2. Les grands ensembles permettront à une large partie des couches sociales
populaires d'accéder à des normes de confort et d’hygiène nouvelles
(Chauffage central, eau courante, WC intérieurs, salles de bain, aération,
ensoleillement etc.), une amélioration des conditions de vie qui aura pour
effet une large adhésion populaire à ce type d’habitat.
3. Après la fin de la guerre et son lot de destructions, l’urgence fait que l’on
s’oriente vers l’innovation plutôt que vers la reconstruction à l’identique. Les
délais très courts de construction des grands ensembles pour répondre à la
crise du logement seront un argument décisif.
41
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
5. L’adoption d’une approche sociologique basée sur l'étude des besoins, leur
identification et la proposition de réponses. Les études de ce type iront dans
le sens de la normalisation et du fonctionnalisme préconisés par la pensée
moderne. Jean-Nöel Blanc cite pour exemple la technique des budgets-
temps familiaux qui découpe la journée en tranches d'activités et permettrait
ainsi d’y adapter l'espace conçu.
6. Durant toute la période qui a vu le débat sur les grands ensembles, la ville
en tant qu’espace politique, qui placerait les citoyens à l’origine des
décisions politiques et des choix urbains, n'aura pas été abordée. Les
oppositions se seront centrées sur des aspects quantitatifs comme le
nombre de logements ou d'équipements prévus.
Cette phase va être accompagnée par une grande campagne médiatique. Les
différentes institutions de l’Etat vont faire appel, dans l’optique de promouvoir les
grands ensembles, à la photographie et à la cinématographie. Des services seront
créés pour présenter cette nouvelle forme urbaine sous un beau jour (Bertho,
2014). A titre d’exemple, le premier projet qualifié de grand ensemble par Maurice
42
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
La légende même de l’image utilisée dans l’article montre que celle-ci est utilisée,
non pas pour présenter le grand ensemble dans sa réalité, mais pour le mettre en
valeur d’une manière trompeuse (Bertho, 2014).
Image 1 : Article de Maurice Rotival, « Les Grands Ensembles » (Rotival, 1935, p. 72)
Les grands ensembles vont ainsi être accompagnés d’une iconographie spécifique
produite par les services d’urbanisme dans le but de « convaincre de la nécessité
de construire et de démontrer la qualité d’un urbanisme nouveau » (Voldman,
43
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
2011, p. 16). Ces images vont être largement diffusées dans les Salons des arts
ménagers.
Les photographes vont produire les images sur lesquelles les architectes se
baserons pour mettre en valeur l’urbanisme moderne. Le Corbusier s’appuiera
notamment sur la vue aérienne pour dénoncer l’ancienne manière de faire la ville:
But today it is a question of the airplane eye, of the mind with which the Bird's Eye
View has endowed us; of that eye which now looks with alarm at the places where
we live, the cities where it is our lot to be. And the spectacle is frightening,
overwhelming. The airplane eye reveals a spectacle of collapse. [...] « The airplane
indicts »
Les premières critiques des grands ensembles se sont fait entendre dans le milieu
des années 1950. Un groupe d'intellectuels appelé « les situationnistes » publiera
dès 1954 un texte critiquant la politique des grands ensembles :
Pour éviter toute rupture d'harmonie, ils ont mis au point quelques taudis types,
dont les plans servent aux quatre coins de la France. [...] Dans leurs œuvres, un
style se développe, qui fixe les normes de la pensée et de la civilisation occidentale
du vingtième siècle et demi. C'est le style « caserne » ...
44
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
français Pierre Sudreau évoque dès le mois d’août 1959 le « gigantisme excessif»
et les excès de la planification (Encadré 1).
Encadré 1 : Extrait d’Entretien de Pierre Sudreau accordé à M.B Champigneulle dans Le Figaro
Littéraire, 15 Aout, 1959
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
moderne. On peut citer, à titre d’exemple, Kevin Lynch dans « l’image de la cité »,
Charle Jencks, Robert Venturi ou encore Henry Lefebvre.
La remise en cause des grands ensembles est également le fait d'artistes et
d'écrivains, Jean-Nöel Blanc cite pour exemple le film « Mon oncle » (Jacques Tati)
qui montre clairement une opposition entre le monde urbain et architectural
poursuivi par le Mouvement moderne et le monde ancien de la ville traditionnelle
(Jean-Nöel Blanc, 2003a).
Finalement cette remise en cause va aboutir à la démolition de beaucoup de
grands ensembles dont les plus significatifs furent les barres de Pruitt-lgoe
(Missouri, Etats-Unis) en 1972 construites par l’architecte Minoru Yamasaki et que
Charle Jencks a qualifié de mort de l’architecture moderne (Jencks, 1977).
Comme l’explique François Thomas, avant les années 1960, le terme réhabilitation
n'était pas utilisé dans l'aménagement des villes françaises (Tomas, 2003b). Les
seules opérations qui permettaient d'agir sur des bâtiments existants consistaient
en la rénovation d'un côté (destruction d'une partie dégradée de la ville et son
remplacement par des constructions nouvelles) et en la restauration de l'autre,
dans le sens qui lui a été donnée par Viollet le Duc. Celle-ci concernait les
monuments historiques protégés et consistait en leur rétablissement à l'état
d'origine. Le terme « réhabilitation » sera utilisé, quant à lui, pour désigner les
projets de restructuration et de revalorisation aussi bien d'immeubles anciens sans
grande valeur patrimoniale que des grands ensembles. La réhabilitation permettra
une plus grande souplesse au regard des deux solutions extrêmes qui consistaient
en la destruction ou la muséification (Tomas, 2003b).
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Les villes sud coréennes ont connu une transformation radicale depuis les années
1960. La forme d'habitat prépondérante jusque-là était la maison individuelle et les
hauteurs des constructions étaient très basses. L'introduction à partir des années
1960 des grands ensembles va changer la morphologie de la ville. Rapidement,
vont s'ériger à la périphérie des villes des barres d'habitat collectif qui contiendront
en l'an 2000 50% des logements (Gelézeau, 2004). Appelés « Ap’at’ utanjis » et
abrégés en Tanjis, ces cités d’habitat collectif nous renseignent sur la manière dont
les grands ensembles se sont déclinés en Corée du Sud.
La construction des Tanjis a été dans une large mesure influencée par le Japon,
colonisateur de la Corée de 1910 à 1945. Il y fit construire les premiers immeubles
d'habitat collectif pour les employés du gouvernement d'occupation. Mais les
premiers grands ensembles ne furent construits qu'à partir de 1960. Erigés comme
des cités villes, avec un nombre de logements pouvant dépasser 10 000 unités et
disposant des équipements nécessaires pour bénéficier d’une certaine autonomie,
ils dépassaient de loin en taille les grands ensembles qui ont pu être produits en
Europe.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Photo 3 : Grand ensemble à Séoul (Kwon, 2017, p. 5). Photo Haeju Kwon, s.d
L’autre spécificité des Tanjis réside dans le fait qu'ils ne sont pas destinés à une
population pauvre (Kwon, 2017). A ce propos, le terme même de logement social
n'existe pas en Corée et le vocable qui s’en rapproche le plus serait celui de
logement public correspondant à un logement d’une superficie inférieure à 60m²
financé partiellement par les pouvoirs publics (Gelézeau, 2004).
rapport aux référents d'origine. C'est ainsi que les grands ensembles coréens sont
les marqueurs paysagers d'une production très coréenne de la ville.
Les grands ensembles en Iran apparaissent à partir de 1946 sous une forme
adaptée assez éloignée formellement des grands ensembles qui se construisent
en Europe. Les hauteurs des constructions sont basses (R+2, R+3), leur
configuration est particulière, caractérisée souvent par une cour intérieure et des
bâtiments orientés vers le sud. Le premier grand ensemble construit suivant ce
modèle est le grand ensemble de Chaharsad Dastgah (Photo 4), il comprenait 400
logements collectifs mais également des maisons individuelles.
Photo 4 : Grand ensemble Dastgah (Tayab, 2004, p. 212). Photo Yassamine Tayab, 2001
A partir de 1953, beaucoup de grands ensembles vont être construits. En effet, les
pouvoir publics vont fournir le cadre législatif et les outils d'un financement
bancaire. Ces cités d’habitat collectif ne vont pas connaître une désaffection de la
population. Au contraire, elles deviendront pour certaines, étant bien positionnées
dans la ville, de véritables pôles commerciaux. Les enquêtes sociologiques
montrent même un attachement de la population à ces quartiers et qu'une grande
partie de leur population initiale y réside encore (Tayab, 2004). Le premier grand
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Photo 5 : Grand ensemble Ekbâtân (Tayab, 2004, p. 218). Photo Yassamine Tayab, 2001
Force est de constater que la production des grands ensembles en Iran est une
réinterprétation du modèle occidental des grands ensembles. Même si la dernière
vague de grands ensembles est médiocre, Yassamine Tayab relève que la
population les plébiscite, ce qui montre une fois encore que les grands ensembles
n'ont pas eu les mêmes formes dans le monde, la même histoire ni la même
signification et appropriation par leurs habitants.
Dans d'autres villes comme Palerme, dont l'extension est naturellement stoppée
par les montagnes, en conséquence des logiques économiques en marche, des
grands ensembles ont été édifiés sur les versants (Photo 6) malgré le risque très
important dans un pays sismique comme l'Italie (Vallat, 2004).
Photo 6 : Grand ensemble Pouzzoles (Vallat, 2004). Photo auteur inconnu, s.d
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Les grands ensembles sont apparus en Europe de l'Est à partir de 1960, soit une
décennie après leur apparition à l'Ouest. Leur production ne s'est arrêtée qu'à la
fin des années 1980, soit plus tardivement qu'à l'Ouest. On peut expliquer ce
décalage par le temps nécessaire à la transmission des idéaux modernistes dans
le contexte du rideau de fer mais aussi par le temps nécessaire à la réinterprétation
de cette forme et à lui conférer une dimension socialiste. A ce propos, il a même
été dit que les grands ensembles seraient plus durables et plus efficaces dans une
société socialiste (Coudroy de Lille, 2004b). Mais avant d'arriver à cela le
fonctionnalisme a été rejeté en bloc. Il était dénoncé comme une « entreprise de
désurbanisation » et par opposition, les états socialistes ont favorisé des formes
plus traditionnelles de la ville. On assiste à partir de 1955 à un revirement quant
aux stratégies d'aménagement de la ville. Il s'agissait de construire les grands
ensembles mais en leur conférant une signification autre que celle de la modernité
occidentale : un discours socialiste (Coudroy de Lille, 2004b).
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Les grands ensembles de l'Europe de l'Est ont été caractérisés par l'inachèvement
des programmes. Si les barres, elles, ont été réalisées, les équipements projetés,
eux, ont rarement suivi, ce qui explique les grandes réserves foncières dont
disposent ces grands ensembles aujourd’hui. Par ailleurs, ils n'échappent pas aux
défauts qu'on retrouve dans leurs semblables occidentaux, ils sont même
exagérés. On retrouve les mêmes façades répétitives, la même monotonie et la
même absence de rue, sauf que le manque d'entretien est plus visible (Coudroy
de Lille, 2004b, p. 91). A partir de là, on peut se poser la question de l'adhésion
populaire qu'ont connu ces grands ensembles. Comme l'explique Lydia Coudroy
de Lille, cette adhésion est due à « l'intériorisation de valeurs hygiénistes »
(Coudroy de Lille, 2004b, p. 91) d'autant plus que l'habitat antérieur de cette
population a souvent été de moindre qualité. Les grands ensembles ont
indéniablement amélioré les conditions de vie des populations, il s'agit, dès lors,
moins d'un plébiscite que d'une « résignation lucide » (Coudroy de Lille, 2004b, p.
91).
Les grands ensembles dans les sociétés socialistes sont également caractérisés
par une diversité du statut juridique des logements. Dans certains pays comme la
Bulgarie, la propriété a largement été favorisée. Dans d'autres comme la
Tchèquoslovaquie, les habitants étaient majoritairement locataires, alors que le
système des coopératives a été adopté ailleurs (Coudroy de Lille, 2004a), ce qui
a compliqué grandement la réhabilitation ultérieure de ces grands ensembles. A
ce propos, les stratégies adoptées ultérieurement ont, pour des raisons
économiques, exclu les démolitions qui ont été nombreuses en Europe de l'Ouest.
A la place, ce sont les densifications qui ont été favorisées (Coudroy de Lille,
2004b).
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Comme dit plus haut, les grands ensembles de l’Est sont le résultat de l’importation
des principes modernistes de l'Europe de l'Ouest. En Allemagne de l'Est, les
contacts avec la République Fédérale d'Allemagne, même s’ils sont inavoués, sont
fréquents. Si les architectes sont forcés d’attribuer leur inspiration à l'URSS, c'est
bien en réaction aux développements technologiques qui ont lieu à l'Ouest que la
production en masse de logement est adoptée (Rowell, 2004). Dans les années
qui suivirent la guerre, dans les pays de l'Est, on a fait de l'architecture stalinienne
et du réalisme socialiste. Les productions en matière de logement sont des cités
d'architectures staliniennes où la qualité est privilégiée mais la quantité très
insuffisante. Le constat qu'à l'Ouest on construit beaucoup plus en moins de temps
va amener l'URSS à changer de politique. C'est ainsi que Khrouchtchev, en 1954,
remit en cause l'architecture stalienne et plaida pour un langage architectural
socialiste qui permette la production en masse (Rowell, 2004).
A partir de là, les techniques développées par l'Europe de l'Ouest vont être
étudiées et reprises comme en témoigne le rapport d’un ingénieur du bâtiment de
la République Démocratique d'Allemagne (Encadré 2).
58
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Des prototypes vont être réalisés qui deviendront plus tard des modèles types et
seront repris dans les différentes régions. Les premiers grands ensembles seront
construits notamment dans la ville de Stalinstadt en 1951. Ils comprenaient cinq
complexes d'habitation de 5 000 habitants. Les immeubles avaient une hauteur de
quatre à cinq étages et étaient construits autour d'une école primaire et d'autres
équipements. Ces grands ensembles sont reliés à l'usine sidérurgique locale et au
centre-ville par des voies de circulation (Rowell, 2004).
La deuxième vague des grands ensembles, qui commence en RDA vers la fin des
années 1950, augmente sensiblement la densité de la population dans un souci
de rentabilité. Les hauteurs des bâtiments atteindront les six étages et les grands
ensembles seront plus denses.
Entre les deux guerres mondiales sont apparus les premiers véritables grands
ensembles dans la lignée des premiers Osiedles mais à une échelle plus
importante. On passe en effet de 5 000 à 10 000 habitants et les gabarits
augmentent même si on reste dans des hauteurs ne dépassant pas les quatre
étages (Coudroy de Lille, 2004a) (Photo 7).
60
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
comme un habitat pour tous seront difficilement accessibles pour les plus démunis
et logeront plutôt une classe moyenne. Ceci est en contradiction avec l'idéologie
officielle socialiste d'autant plus que les grands ensembles les mieux conçus ont
été réservés à des intellectuels, artistes et au personnel des administrations d'Etat
(Coudroy de Lille, 2004a).
62
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Les grands ensembles en Russie sont construits à partir de 1955 et impulsés par
Khrouchtchév dont le nom sera prêté à ce type de logements. Ces appartements
Khrouchtchéviens sont, comme dans les autres sociétés socialistes abordées plus
haut largement inspirés des grands ensembles occidentaux à qui on a prêté une
idéologie socialiste. Ces grands ensembles ont été accompagnés par une forte
planification urbaine que décrit ici Isabelle Amestoy :
Autrement dit, il s'agit d'un projet urbain global et non pas de projets de grands
ensembles isolés et localisés. Néanmoins, là aussi, les équipements tardent à
venir, offrant une image de cité dortoir aux populations.
63
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Du point de vue des habitants, les grands ensembles khrouchtcheviens sont très
appréciés au départ (Amestoy, 2004), comme partout dans le monde d'ailleurs par
les améliorations significatives de la qualité de vie qu'ils ont apportées. Mais
rapidement les premières critiques tombent, des critiques classiques de
l'architecture des grands ensembles particulièrement par rapport à leur mauvaise
réalisation et à l'apparition précoce de problèmes techniques comme le montre ce
rapport du comité chargé de l’entretien du parc de logements de Saint
Pétersbourg:
En effet la réhabilitation et la densification à partir des années 1990 ont été les
principales stratégies opérées dans le pays mise à part à Moscou où les moyens
financiers permettaient des opérations de démolition, relogement et reconstruction
(Amestoy, 2004). A ce propos Amestoy souligne le fait que la perception de ces
grands ensembles n'est pas aussi négative que l'on pourrait le penser et que, de
ce fait, les opérations de réhabilitation ont plus de chance de succès puisqu’elles
prennent en compte le vécu des habitants et l'appropriation qu'ils ont fait de ces
grands ensembles. Le tableau comparatif suivant permet de mettre en lumière les
particularités des différents cas étudiés.
64
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception Chapitre 01
Nombre de Peut dépasser De quelques Jusqu’à 2000 Plus de 1000 Plus de 1000 Peut dépasser 10 000
logements 10 000 centaines à quelques
milliers
Hauteurs Plus de 10 De 2 à plus de 10 Peut dépasser 10 Peut dépasser 10 Peut dépasser 10 Peut dépasser 10
étages étages étages étages étages étages
Equipements Présents Présents à divers Souvent Insuffisants ou non Présents à divers Souvent insuffisants
et commodités degrés insuffisants réalisés degrés
Population Toutes classe Population démunie et Population Ouvriers dans un Classe moyenne en Classe moyenne et
destinataire selon la vague aisée démunie premier temps, classe majorité population démunie
de construction moyenne et
population démunie
dans un second temps
65
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception Chapitre 01
Perception Peu dégradée Plus ou moins Dégradée Dégradée Dégradée Moins dégradée que
actuelle dégradée selon les leurs semblables en
différents types de Europe de l’Ouest
production
Particularités Combine le Configuration Implantation, selon Grands ensembles Des grands Grands projets urbains
locales modèle du grand particulière des la géographie des auxquels on a prêté ensembles en hiérarchisés en micro-
ensemble et de premières villes sur des les valeurs du coopératives quartier, quartier
la cité jardin productions, souvent terrains en forte communisme. donnant le statut de d’habitation et
autour d’une cour avec pente. quasi propriétaire a arrondissement urbain.
de faibles hauteurs l’habitant.
Grands ensembles
auxquels on a prêté les
valeurs du
communisme.
66
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 01
Conclusion du chapitre I :
Force est de constater que le grand ensemble n’a pas porté les mêmes
significations à travers le monde ni à travers le temps : son image est passée de
celle d’un habitat nouveau et moderne plébiscité par la population à celui de ghetto
pointé du doigt par tous les acteurs de la ville. Après avoir longtemps adopté la
démolition comme seule solution aux critiques généralisées le concernant, on a
commencé à considérer sa valeur patrimoniale et à le présenter sous un jour
nouveau, celui de patrimoine du XXème siècle. Il a pu porter des idéologies aussi
contraires que le capitalisme et le socialisme. Il se trouve aujourd’hui à travers le
monde dans des situations très différentes entre rejet, rénovation et
patrimonialisation. Les éléments mis en évidence montrent l’aptitude de cette
forme d’habitat à évoluer et à être revisitée selon les contextes.
Ce tour d’horizon des différentes situations des grands ensembles dans le monde
nous permet donc d’aborder le second chapitre de cette partie en montrant la
spécificité du cas algérien à travers son histoire et ses réalités actuelles.
67
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Introduction
« L’arrivée à Alger par bateau ou par avion offre au regard deux villes totalement
différentes. Par la mer, on découvre la ville des cartes postales et des livres
d’histoire […] Par avion, ce qui frappe c’est l’immensité de la périphérie, quadrillée
de barres, fractionnée par les zones industrielles et les lotissements, sillonnée de
voies de communication rapide. C’est une urbanisation proliférante, multiforme et
pourtant monotone, confrontée au damier des champs, toujours plus réduit à
chaque voyage. » (Deluz-Labruyère, 2004, p. 183)
Dans un second temps, nous croisons ces données historiques avec les réalités
actuelles de ces cités, des réalité sociales, économiques et politiques que nous
saisissons par le biais d’entretiens et d’observations pour construire des idéaux
types des grands ensembles en Algérie. Plus riches que des types classiques, ces
idéaux-types nous servirons à mieux comprendre les différentes situations de ces
cités d’habitat collectif aujourd’hui.
68
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Les premiers grands ensembles ont été construits en Algérie à partir des années
1950. Ils répondaient au départ à une crise du logement qui touchait la population
européenne mais surtout la population algérienne. Celle-ci se concentrait
principalement dans les anciens quartiers tels que la casbah ou dans les
bidonvilles qui ont commencé à se développer dans les périphéries des grandes
villes dès la fin des années 1920 (Lespès, 1930). La population algérienne
s'urbanisait alors de manière très rapide avec des taux de plus de 5% par an alors
que les logements produits ne leur étaient pas destinés (Deluz-Labruyère, 2004).
Les grands ensembles construits au début des années 1950 sont dans leur
majorité des HLM destinés à une population européenne. Ils ne sont néanmoins
pas destinés, comme en France, à une population avec de faibles revenus mais à
des petits cadres et des familles aisées (Deluz-Labruyère, 2004). Ils correspondent
dans leurs normes à la production française en matière de HLM. Un des grands
ensembles exemplaires de ce type de logements pour européens a été la cité
« Les Eucalyptus » (Photo 9) construite à Bab el Oued en 1954 et constituée de
700 logements.
Photo 9 : Grand ensemble « Les Eucalyptus », Alger (neababeloued.fr). Photo Christian Timoner,
2010
69
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Les logements destinés aux musulmans, quant à eux, sont des cités de
recasement (Photo 10), des cités d'urgences horizontales ou verticales et des cités
musulmanes dont celles initiés par le maire d'Alger Jacques Chevalier. Les cités
doubles, c'est-à-dire des cités comprenant une partie pour musulmans et une
partie pour européens, seront testées par celui-ci.
70
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
d'existence dans l'intérieur du pays, une partie de la population rurale a afflué vers
les centres urbains où elle a créé des îlots insalubres « bidonvilles »
Encadré 4 : Extrait 1 du rapport sur les réalisations nouvelles dans le domaine de l’habitat
musulman du 31/12/1955 (Service d’information du cabinet du gouverneur général d’Algérie,
1947)
Par ailleurs, il n'était pas possible pour la population musulmane de faire appel à
la législation sur les HBM ou les HLM. Il a été donc nécessaire de penser une
nouvelle législation permettant une participation de l'état dans les projets qui peut
atteindre jusqu'à la moitié du coût du logement pour permettre ensuite d'avoir des
loyers moins importants :
Encadré 5 : Extrait 2 du rapport sur les réalisations nouvelles dans le domaine de l’habitat
musulman du 31/12/1955 (Service d’information du cabinet du gouverneur général d’Algérie,
1947)
71
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
l'arrêté du 13 Juillet 1950 (modifié par l'arrêté du 21 Juin 1951) fixant les
conditions d'octroi de la garantie de l'Algérie aux emprunts pour la
construction ;
72
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Plusieurs cités vont être construites par la CIA dans les grandes villes algériennes:
Photo 11 : Cité les Dunes (Maison carrée), El Harrach, Alger. Photo auteur inconnu, s.d
73
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Photo 12 : Grand ensemble à Hussein Dey, Alger. Photo auteur inconnu, s.d
Je suis venu ici pour vous l'annoncer : C'est la transformation profonde de ce pays
si courageux, si vivant, mais aussi si difficile et souffrant qu'il faut réaliser. Cela
veut dire qu'il est nécessaire que les conditions de vie de chacune et de chacun
s'améliorent de jour en jour. Cela veut dire que le travail des habitants, les
ressources du sol, la valeur des élites, doivent être mis au jour et développés. Cela
veut dire que les enfants doivent être instruits. Cela veut dire que l'Algérie toute
entière doit avoir sa part de ce que la civilisation moderne peut et doit apporter aux
hommes en fait de bien-être et de dignité.
74
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Mais cette volonté affichée se heurte à la ségrégation opérée tout de même par le
pouvoir colonial et aux capacités financières très faibles de la population
musulmane qui ne peut pas s'inscrire dans les différentes formules d'habitation à
bon marché (HBM) ou d'habitation à loyer modéré (HLM).
La cité Diar el Kef (Photo 13) construite en 1959 avec ses 1 000 logements est
assez représentative de cette production de grands ensembles et de ce qui a été
appelé le logement « million » contenant une pièce de 18m² sans équipements
sanitaires (ceux-ci étaient collectifs) et une loggia sans lavabo (Deluz-Labruyère,
2004), censée remplacer le patio caractéristique de la maison traditionnelle. La cité
« Les Palmiers » et la cité « les Dunes » construites toutes deux en 1958 avec
1000 logements chacune sont un autre exemple de l'habitat sordide construit pour
la population musulmane.
75
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Il ne s'agit pas ici de cités doubles, de favoriser une cohabitation, mais d'une
ségrégation opérée par la norme :
L'immeuble doit être long et mince, en faveur des chemins de grue. [...] L'immeuble
doit être à 6 niveaux, un escalier dessert 48 logements. [...] Le logement est de 3
pièces et de 40 m²...
76
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
La notion d’« idéal-type » nous paraît pertinente dans cette thèse dans la mesure
où, elle permet de « décrire une difficulté » (Boudon, 1969, p. 101). En effet, la
nature complexe et ambiguë des situations dans lesquelles se trouvent
actuellement les grands ensembles en Algérie rendent le travail typologique
classique, bien qu’intéressant dans l'optique de comprendre la diversité de cette
production architecturale, inadapté pour saisir la dimension sociale de ces cités.
La notion a été définie par Max Weber. C’est construction mentale résultat de
l’exagération voulue de traits spécifiques de l’objet étudié (Weber, 1988), une
construction fictive car le trait y est forcé et un caractère particulier est accentué
dans une optique analytique. Il s'agit non pas de dresser un portrait empirique de
l'objet étudié mais d'en faire une représentation purifiée qui met de côté tout
élément extérieur. Néanmoins, le lien avec la réalité empirique doit subsister et la
distance entre réalité et représentation toujours évaluée par le chercheur
(Weber,1988). Max Weber admet sous le terme idéal-type plusieurs catégories de
choses : actes singuliers, états de choses ou dispositions d'esprit (Weinreich,
1938).
Cette méthode est utilisée ici dans le cadre d'une recherche exploratoire menée
dans les grands ensembles de la ville d'Oran et d'Alger (présentés dans le chapitre
introductif) basée sur des entretiens libres menés auprès des usagers.
Cet idéal-type a été construit après le constat d'un discours généralisé chez les
habitants de ces grands ensembles : une satisfaction par rapport à la qualité de
leur lieu de vie, à son emplacement ainsi qu'au type de population qui y réside.
Nous citons à titre d’exemples les cités « Jean de La Fontaine » (Photo 15),
77
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Jeanne d’Arc (Photo 14), ou une partie du grand ensemble « El Kerma » (Partie
clôturée et servant à loger des militaires) qui se situent dans la ville d’Oran.
D'abord, l'état physique de ces grands ensembles par rapport aux autres est
satisfaisant. Ayant bien résisté au passage du temps, ils n’ont nécessité ou ne
nécessitent que de modestes réhabilitations superficielles comme la rénovation
des enduits et peintures ou la résolution de certains problèmes techniques.
Ensuite, la qualité et la robustesse de ces constructions sont largement reconnues
et mises en avant par les habitants interviewés et sont souvent jugées supérieures
aux productions suivantes ou actuelles de logements sociaux (Encadré 7, Encadré
8, Encadré 9).
Ces bâtiments sont beaucoup plus solides que ce qui se fait maintenant, regarde
c’est de la pierre, on n’en fait plus des comme ça aujourd’hui
Je ne vis pas tout le temps ici, ce n’est pas notre logement principal mais je trouve
que ces bâtiments sont de très bonne qualité et robustes par rapport à ce qui se
fait actuellement à Belgaid ou ailleurs
78
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Photo 14: Grand ensemble Cité Jeanne d’Arc, Oran. Photo auteur, 2018
C’est clair que nous apprécions ce quartier et que nous ne l’échangerions pas pour
un autre […] Avec ces grands espaces calmes à l’intérieur de la cité nous pouvons
laisser nos enfants jouer sans danger et nous retrouver nous, les parents, pour
discuter.
Encadré 10 : Extrait entretien de groupe, Homme, 45 ans, cité Jean de la Fontaine, Oran
Ce que nous apprécions beaucoup ici c’est les grandes distances entre les
bâtiments, dans certains quartiers les bâtiments sont tellement proches qu’on peut
voir ce qui se passe à l’intérieur du logement d’en face, pas ici.
Encadré 11 : Extrait entretien de groupe, Homme, 52 ans, cité Jean de la Fontaine, Oran
80
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Ici on est en plein centre-ville, avec le téléphérique qu’ils ont réalisé au même
moment que la cité nous pouvons être au centre-ville en cinq minutes !
Moi je ne peux pas vivre dans les nouvelles extensions de Belgaid etc… Je suis
habitué à vivre au centre-ville, à son animation particulière
81
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
82
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Cet idéal-type a été construit après le constat visuel de grands ensembles en état
de dégradation avancée (Photo 16, Encadré 14) et le discours des habitants
exprimant des conditions de vie très dures. C'est un idéal-type qu'on retrouve dans
beaucoup de grands ensembles dans la ville d'Oran et d'Alger. Le terme « Ghetto »
a également été choisi ici par rapport au caractère discriminatoire de ces grands
ensembles puisqu’ils hébergent exclusivement les catégories les plus démunies
de la population.
83
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Je suis né et j’ai vécu toute ma vie ici, notre appartement est très petit et on est
nombreux à vivre dedans mais je n’ai pas les moyens de trouver un autre
appartement […] le pire c’est qu’on ne peut même pas aspirer à un logement social
d’un autre type parce que nous on est concerné par l’opération de relogement…
qui ne se fait toujours pas
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Carte 4 : Constructions précaires à El Mahçoul, Alger (Image google map éditée par l’auteur,
2017)
Dans ce grand ensemble on n'a pas sa chambre à soi parce que le logement est
surpeuplé ou avec des surfaces très en dessous des normes, on est amené à
dormir dans les espaces de circulation ou dans les salles de bain, ce qui oblige les
hommes à rentrer à des heures très tardives pour ne pas bloquer l'utilisation de
ces espaces et pour éviter les problèmes liés à la cohabitation de plusieurs familles
dans le même logement. Certains sont également amenés à dormir dans des
voitures à l'extérieur. Dans ces grands ensembles, comme nous l'a expliqué un
enquêté, les conditions de vie n'ont pas changé depuis l'indépendance du pays :
Nous sommes 12 à vivre dans un F2 de 32m². La nuit, pour éviter les problèmes
de cohabitation, je sors mon matelas dans le hall de l’immeuble à l’extérieur de
l’appartement et j’y dors […] c’est une situation invivable, c’est comme si nous
étions toujours colonisés, rien n’a changé
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Dans ces grands ensembles, un sentiment de discrimination existe par rapport aux
autres parties de la ville. Les habitants de ces grands ensembles, même s’ils sont
parfois bien reliés à la ville, affirment vivre en communauté et n'en sortent que très
rarement :
Je ne sors du quartier que pour travailler, et quand je n’ai pas de travail j’y reste
toute la journée
La construction de cet idéal-type a été faite après les entretiens et les observations
réalisés dans différents grands ensembles.
En effet plusieurs types de sociabilités existent dans les grands ensembles étudiés
dont la majoritaire est la sociabilité de liens forts (Lavenu, 1999) :
Elle peut être constituée par des relations familiales ou des relations amicales. Les
relations familiales sont très fortes dans ces grands ensembles puisque ceux-ci
souffrent généralement d'un surpeuplement différencié qui a souvent pour résultat
la cohabitation de plusieurs ménages de la même famille dans un seul
appartement rendant les liens familiaux très étroits. Bien entendu, dans d’autres
cas, la cohabitation peut aboutir à des conflits.
Les relations amicales sont très importantes dans le quartier et ont différentes
intensités. Ceci transparait dans le discours des enquêtés (Encadré 18, Encadré
19). D'abord, les relations de petites proximités semblent être les plus intenses et
notamment les relations entre voisins de palier, habitants du même bloc, ou
habitants d'une même barre ou tour. Ensuite, ce type de relation peut ne pas être
lié à la proximité immédiate mais à des affinités entre habitants moins proches
géographiquement dans le quartier. Les relations amicales, dans ce cas-là, se
forment par affinité constituant des sociabilités affinitaires (Lavenu, 1999).
86
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Mes plus proches amis habitent dans le même bloc que moi, le B14 mais j’ai
également des amis dans les maisons individuelles qui se trouvent juste à côté
Moi j’ai toujours été une fille d’El Mahçoul, j’y ai vécu avant de me marier chez mes
parents et même après mon mariage puisque j’ai épousé un homme du même
quartier
Même si je vis à El Mahçoul j’y passe très peu de temps et je n’y ai pas d’amis.
C’est à Confort que se trouvent mes amis, de l’autre côté du boulevard.
Normalement les habitants d’El Mahçoul vont à une école et ceux de Confort à une
autre mais moi je suis allé à celle de Confort, c’est pour ça que c’est là-bas que je
me suis fait des amis.
La sociabilité obligée :
La sociabilité obligée est présente à deux échelles différentes dans les grands
ensembles :
D'abord, dans les grands ensembles non surpeuplés, elle est similaire à celle que
l'on peut trouver dans les différents quartiers d'habitations se résumant à des
relations obligées entre voisins de palier, de blocs d'immeuble, de parents
d'élèves, etc. Mais elle prend une tout autre échelle dans le cas des grands
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
J’évite de trop sociabiliser avec les autres habitants. Avec eux c’est bonjour,
bonsoir, c’est tout. Juste pour être poli.
On est plusieurs petites familles à habiter dans un seul appartement, alors tu sais
ce que c’est… Il y a toujours des problèmes. Pour éviter ça je reste le moins
possible à la maison.
Le grand ensemble est rejeté ici dans le sens où l'habitant est en repli sur lui-même
et évite de créer des liens avec la communauté. Cela peut correspondre à
plusieurs situations :
L'individu n'a pas toujours habité dans le quartier et celui-ci est considéré
comme un espace de transition vers un logement de meilleure qualité. Dans
ce cas, les relations sociales de cet habitant se sont développées à
l'extérieur du quartier depuis l'enfance, dans les établissements scolaires,
dans le quartier où il a grandi ou dans l'espace de travail, etc. Le mode de
vie particulier du grand ensemble peut également participer au repli sur soi
dans le sens ou certaines pratiques sociales particulières dans le quartier
peuvent être perçues comme des nuisances par l'habitant récemment
arrivé. En ce sens, le quartier d'El Mahçoul constitue un exemple
intéressant comme nous le verrons plus loin.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Moi, je n’ai pas toujours vécu ici, je ne suis pas habitué à toute cette animation. La
nuit, à deux heures ou trois heures du matin ils discutent sous ma fenêtre comme
si c’était le jour
Je ne prévois pas de rester ici, je ne m’y plais pas. Je n’ai pas toujours vécu ici, je
vivais dans une baraque un peu plus loin, je suis venu ici temporairement pour
gagner un peu d’argent et pouvoir emménager ailleurs
Moi je suis étudiant, je vais tous les jours à l’université suivre des cours mais je ne
peux pas faire ça si je reste très tard le soir tous les jours de la semaine !
Je ne veux pas me mêler à ces gens, tu sais, ce sont tous des voyous ici [...] il y a
toujours des problèmes avec eux
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Solidarité pour finir lors des grands événements religieux tels que les Aïds
ou une solidarité financière s'opère entre les habitants :
Lors de l’Aïd El Kebir et du sacrifice du mouton, tous les habitants de notre bloc
ont fait le sacrifice ensemble dans la place qui était réservée aux hommes. Les
femmes, elles, s’occupaient de la préparation des viandes à l’intérieur des
appartements, dans les cages d’escalier, ou dans une terrasse invisible depuis la
rue. Nous faisions tout ensemble et à la fin on ne savait plus à qui appartenaient
les morceaux et on distribuait à parts égales à tout le monde. Ceux qui n’avaient
pas les moyens de faire le sacrifice repartaient eux aussi avec leur part.
Nous essayons de sensibiliser les jeunes hommes, surtout ceux qui participent au
trafic de drogue, hier par exemple on les a emmenés faire du volontariat, on a
distribué de la nourriture en ville aux SDF
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 02
Photo 19 : Espace approprié illégalement par l’habitant du logement au RDC. Photo auteur, 2017
Certains enquêtés ont, à ce sujet, déclaré considérer leur grand ensemble comme
faisant partie intégrante de leur patrimoine. Nous développerons ceci dans le
chapitre suivant.
Photo 20 : Place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger. Photo auteur inconnu, s.d
Conclusion du chapitre II :
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Introduction
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Les valeurs du patrimoine ont été définies par plusieurs théoriciens de l'art dont
les plus importants sont Riegl avec son livre « Le culte moderne des monuments,
sa nature, son origine » (Riegl, 2003a) et Brandi avec son ouvrage « La théorie de
la restauration » (Brandi, 2011). Ils s'accordent globalement sur les types de
valeurs du patrimoine même si Brandi préfère parler d’« instance », terme qui va
dans le sens d'une obligation morale et ne serait pas forcément lié au regard de
l'observateur. Ces études des valeurs du patrimoine avaient pour but de choisir la
meilleure manière de conserver un monument, celle-ci ayant souvent fait l’objet de
conflits. Nous nous baserons, ici, sur le travail effectué par Aloïs Riegl, qui reste
certainement le travail le plus complet.
La valeur historique est inhérente à « ce qui fut autrefois et qui aujourd'hui n'est
plus » (Riegl, 2003c, p. 55) en prenant en considération le fait que « tout ce qui fut
ne sera jamais plus et forme le maillon irremplaçable et immuable d'une chaîne
d'évolution » (Riegl, 2003c, p. 55). Selon cette définition, chaque fait humain est
susceptible de prendre une valeur historique en raison de son irremplaçabilité et
de sa position déterminante dans une chaîne d'évolution.
Riegl met en exergue, au sein de la valeur historique, la relation très étroite entre
monument historique et monument d'art. Il explique en effet qu'un monument de
96
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Les valeurs de mémoire ont connu deux extensions. Il existait, au départ, les
monuments voulus, impliquant une volonté de leurs auteurs de témoigner d'un
moment de l'histoire. La première extension a été celle des monuments voulus aux
monuments non voulus, le caractère voulu ou non voulu dépendant donc du point
de vue de l'observateur pour former ce que Riegl appelle le monument historique.
La deuxième extension concerne, quant à elle, tous les monuments qui portent les
stigmates (aussi minimes soient-ils) du passage du temps. Ces extensions sont
dues, selon Riegl, à la volonté d'émancipation de l'individu qui passe d'une
considération objective des expériences physiques et psychiques à une
considération subjective, s'intéressant à l'effet sensoriel ou intellectuel exercé. La
valeur de commémoration est liée aux monuments qui sont voulus comme éternels
et, de ce fait, sont en conflit avec la valeur d'ancienneté puisqu'ils doivent rester à
l'état d'origine.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
La valeur utilitaire est liée à l'usage du bâtiment et, par conséquent, exige que
celui-ci soit dans un bon état. Ceci peut, comme l'explique Riegl, être contradictoire
avec la valeur d'ancienneté d'un monument qui exige qu'il ne soit pas restauré.
Néanmoins, selon Riegl, la valeur d'usage l'emporte presque toujours puisque le
culte de l'ancienneté s'oppose lui-même à une muséification du monument dans
le cas où celui-ci ne serait pas toujours utilisé, et parce que les exigences
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Riegl définit deux types de valeurs d'art, la première est une valeur de nouveauté
inhérente à toute œuvre d'art nouvelle, la deuxième est la valeur d'art relative qui,
quant à elle, considère la spécificité du monument du point de vue de sa
composition, c'est à dire de sa forme, de sa couleur, etc.
La valeur de nouveauté serait selon Riegl accessible aux masses alors que la
valeur d'art relative n'est, quant à elle, perçue que par une élite ayant une formation
artistique. Pour les masses donc, le nouveau l'emporterait ainsi toujours sur
l'ancien. Pour qu'un monument ait une valeur d'art de nouveauté, il doit, dans sa
conception, être tout à fait nouveau par rapport aux formes du passé. La nouveauté
est ici une puissance esthétique.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
La valeur d'art relative est liée à l'appréciation des œuvres du passé comme
témoignage de la création humaine ainsi que pour la spécificité de leur conception.
Elle est relative par opposition à la valeur d'art absolue qui faisait le postulat qu'il
existe des canons artistiques absolus dont les générations antérieures se seraient
rapprochées. Riegl explique l'existence de cette valeur, et donc l'appréciation
d’œuvres anciennes, par la satisfaction sur certains points du vouloir d'art
moderne.
Les valeurs d'art ainsi définies sont en conflit avec la valeur d'ancienneté d'un
monument. En effet, l'intégralité de l'œuvre inhérente à la valeur de nouveauté et
nécessaire à la conservation de la valeur d'art relative est clairement opposée au
cycle naturel de destruction d'une œuvre préconisé par les défenseurs de la valeur
d'ancienneté.
A partir de là, nous résumons les valeurs du patrimoine selon Alois Riegl dans la
figure suivante.
Valeurs du monument
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Bien que critiqués sur le plan architectural, urbanistique et social, les grands
ensembles dans la diversité de leur production peuvent aujourd’hui prétendre au
statut de patrimoine. En effet, Benoît Pouvreau explique que, d’un point de vue
historique, ces cités d’habitat social représentent une rupture définitive avec la
ruralité et un changement radical dans le niveau de confort des appartements
(Pouvreau, 2011). D’un point de vue architectural et artistique, le grand ensemble
a été une « création artistique à part entière, avec ses chefs d’œuvre, ses écoles
et ses édifices phares » (Pouvreau, 2011, p. 1). La valeur artistique de ces grands
ensembles réside dans leur architecture dépouillée, l’absence des éléments
décoratifs traditionnels, la simplicité, la répétitivité des façades et dans la massivité
des barres et des tours. Sur le plan urbanistique et paysager, les grands
ensembles constituent un tournant radical dans la manière de faire la ville. La
valeur artistique est ici liée à la conception des plans de masse et aux nouvelles
normes concernant l’occupation du sol et le prospect qui ont conditionné ces
nouveaux paysages.
Si l’on analyse nos terrains d’études à travers la grille que propose Riegl, il en
ressort que ces grands ensembles revêtent, à des degrés différents, les différentes
valeurs citées plus haut. Nous prendrons ici l’exemple de quelques cités
construites par Fernand Pouillon à Alger pour vérifier l’existence et la perception
de valeurs patrimoniales.
Les évènements historiques qui ont eu lieu dans ces grands ensembles confèrent
clairement, du point de vue des habitants, une valeur historique à ces cités. En
effet, les habitants citent les différents épisodes de la résistance face à la
colonisation lors de la guerre d’indépendance ainsi que le caractère de cité double
de la cité Diar El Mahçoul :
101
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Pour moi il est clair que Diar El Mahçoul a une valeur historique puisqu’elle a été
un haut lieu de la résistance, une importante réunion a eu lieu ici lors de la
révolution
La valeur historique de ces grands ensembles réside également dans le fait qu’ils
constituent d’une part, un témoignage d’une production architecturale spécifique à
une période donnée, ils sont en ce sens un monument historique de l’art. D’autre
part, ils constituent un témoignage d’une ségrégation opérée par le colonisateur
et, dans le cas des cités doubles, de la stratégie qui visait à faire cohabiter
européens et algériens pour atténuer l’influence du FLN sur cette population.
Par ailleurs, les grands ensembles étudiés, comme tout objet portant les stigmates
du passage du temps, revêtent une valeur d’ancienneté. Les traces du passage
du temps sont, en l’occurrence, liées non seulement aux conditions physiques et
au manque d’entretien, mais également à l’œuvre de l’homme lui-même qui a
effectué ses propres transformations liées à son usage et au surpeuplement des
logements.
Lors des différents entretiens, les habitants ont lié la valeur patrimoniale du grand
102
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
C’est une architecture particulière qui a été réalisée par Fernand Pouillon, c’est
une architecture qui ne se fait plus aujourd’hui
Nous essaierons ici de décrire les particularités de cette architecture. Celle-ci est
identifiable par plusieurs éléments.
Photo 21 : Cité Diar El Mahçoul, Alger (Institut français d’architecture). Photo auteur inconnu,
1955
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Photo 22 : Marché à El Mahçoul, Alger (Institut français d’architecture). Photo auteur inconnu,
1955
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Un traitement particulier est accordé aux espaces publics. Des espaces publics
très diverses ont été conçus : place publique, place semi-publique, rues, passages,
escaliers monumentaux.
La monumentalité :
Photo 23 : Place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger (Institut français d’architecture).
Photo auteur inconnu, 1959
105
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Le matériau :
La pierre, alliée au béton armé, a été utilisée dans plusieurs grands ensembles,
Les cités Diar El Mahçoul et Diar Essaada mais également d'autres cités comme
celle d'El Kerma (Photo 24) à Oran. Leur concepteur, Fernand Pouillon, défendait
ainsi l’utilisation, lorsque cela est approprié, de la pierre :
Pour moi, construire une aérogare en pierre serait une imbécillité, pour ne pas dire
une folie. Mais s’imposer des structures dynamiques pour installer des trois pièces-
cuisine dans des immeubles de trois à dix étages, n’est pas moins aberrant.
La brique est un autre matériau privilégié dans les grands ensembles étudiés et
qui a notamment été utilisé dans certaines parties de la cité Diar El Mahçoul et
Diar Essaada mais aussi dans la cité Climat de France (Photo 25). Elle a, entre
autres, été utilisée pour construire les différentes voûtes que l’on retrouve dans
ces grands ensembles.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Photo 25 : Utilisation de la brique dans la cité Climat de France, Alger. Photo auteur, 2017
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Mais ces deux matériaux ne sont pas toujours utilisés dans un objectif porteur. Ils
sont utilisés parfois comme revêtement alors que les formes en elles-mêmes sont
réalisées en béton.
D'autres matériaux ont été utilisés dans les grands ensembles étudiés et
notamment la faillance (Photo 26) avec laquelle l’architecte décore ses façades. Il
invitait souvent, à cet effet, des artistes à représenter des paysages faisant
référence à la culture locale qu'il dissémine dans différents endroits de ses cités.
Eléments architectoniques :
L'architecture des cités étudiées est marquée par l'utilisation d'arcs, de voûtes, de
voûtes croisées, de coupoles et de portiques. En cela, on pourrait dire que ces
réalisations sont des constructions post-modernistes avant l'heure puisque, bien
108
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Les arcs sont présents dans différents grands ensembles et notamment dans la
cité Diar El Mahçoul où on peut les retrouver sur les façades et sous certains
immeubles où ils ouvrent des passages et des perspectives. La cité Climat de
France n'en compte pas moins puisqu'ils encadrent les entrées des blocs de
logement.
Les voûtes, quant à elles, souvent croisées, sont utilisées dans les cités Diar El
Mahçoul (Photo 27) et Diar Essaada et recouvrent les différents marchés. La
coupole, de son coté, a été utilisée dans la cité climat de France (Photo 28).
Photo 28 : Coupoles de la cité Climat de France, Alger. Photo auteur inconnu, s.d
Les portiques (galeries couvertes mais ouvertes sur les côtés) sont des éléments
utilisés pour apporter une qualité et une nuance aux espaces. La référence ici à
l'architecture grecque et romaine est évidente. Un des portiques les plus
intéressants construits est celui qui relie deux blocs d'habitation dans la cité Diar
El Mahçoul (partie confort) sur la place du marché (Photo 29). Situé sur l'extrémité
de la place du marché, en forme de « L », il offre une vue panoramique sur la baie
d'Alger, le monument des martyrs et l'église convertie en mosquée.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Photo 30 : Portique de l'entrée de la place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger. Photo
auteur, 2017
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Les structures des grands ensembles étudiés ne recèlent pas seulement une
diversité dans les matériaux utilisés mais aussi dans le principe constructif. En
effet, les blocs sont supportés par des poteaux, des arcades mais aussi des murs
porteurs en béton, en pierre ou en brique. Sont expérimentées et développées ici
des techniques inspirées de la mise en œuvre classique de ces matériaux mais
réinterprétées et optimisées pour un gain de coût et de temps.
Image 4 : Mise en œuvre de la pierre banchée (Fernandpouillon.com). Photo auteur inconnu, s.d
La pierre banchée est une des techniques utilisées et mises au point dans le souci
d'économiser la pierre en utilisant des fers noyés dans le béton pour sceller les
blocs de pierre entre eux (Image 4). En complément, sont utilisées également des
112
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Trois types de planchers ont été utilisés dans ces grands ensembles.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Les dalles pleines pour les planchers hauts du RDC et les porte-à-faux
(Image 6).
Un plancher translucide est, quant à lui, utilisé pour les cages d'escalier
(Image 7).
114
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
En conclusion, il apparait que les grands ensembles étudiés revêtent une valeur
historique et une valeur d’art (résumées dans le Tableau 2). Il s’agit dès lors, afin
de vérifier l’hypothèse d’une patrimonialisation par le bas des grands ensembles,
d’étudier l’appropriation qui a été faite par les habitants de ces cités.
Valeur
Valeur historique Valeur Valeur d’art d’usage
d’ancienneté
Productions d’une
architecture moderne
caractéristique d’une
période de l’histoire.
115
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
116
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Pierre Bourdieu, pour asseoir sa domination. Ce sont ces symboles là que l'on vise
en premier (Veschambre, 2008).
Comme l’explique Marion Segaud, étudier l'espace public passe par l'étude des
pratiques vécues par les individus mais aussi par l'étude de leur production. En
effet, les espaces publics se sont progressivement érigés en champs de recherche
permettant d'étudier les représentations de la ville, les différents jeux d'acteurs et
les principes dominants de l'urbanisme. Ils expliquent les politiques urbaines et les
sociabilités qui se font (Segaud, 2009).
Deux termes sont couramment utilisés pour désigner les signes visibles du
marquage de l’espace : La marque et la trace. Pouvant paraître similaires, ils
comportent néanmoins des différences et constituent la notion de marquage
(Veschambre, 2008). Veschambre montre en effet que les termes, bien
qu'exprimant tous les deux la production de signes dans l’espace, comportent des
différences dans plusieurs registres (Veschambre, 2008) :
Cette nuance entre les deux notions permet de dire que la trace par son caractère
passé et anonyme permet son réinvestissement alors que le marquage, lui, est
une « production de marques et/ou réinvestissement de traces » (Veschambre,
2008)
Plusieurs types de marques ont pu, à travers les différents travaux sur le sujet, être
mis en évidence. Dans une l'approche corporelle qu'il adopte, Vincent
Veschambre cite principalement trois grandes catégories. Celle, d'abord, des
inscriptions et des graffitis, celle, ensuite, des constructions, beaucoup plus
durables dans le temps et, enfin, celle de la végétation.
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Le résultat de la réappropriation qui a été faite de ces grands ensembles a été leur
marquage par le réinvestissement et la production de marques.
120
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Plan 2 : Modification d’un appartement à El Mahçoul, Alger (Çelik, 1997), modifié par l’auteur
121
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Photo 33: Habitat précaire dans les espaces semi-publics à El Mahçoul, Alger. Photo auteur,
2018
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
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Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
Etant établi que les enquêtés perçoivent les différentes valeurs de leurs grands
ensembles, qu’ils se sont approprié et ont symboliquement marqué ce dernier, il
restait à déterminer si les habitants confèrent le qualificatif de « patrimoine » à leur
grand ensemble. Les réponses à cette question finale lors des entretiens menés
dans Diar El Mahçoul ont été partagées. Une partie des enquêtés a clairement
qualifié son grand ensemble de « patrimoine » (Encadré 32), la seconde partie,
quant à elle, même si elle reconnait les valeurs de mémoire et d’actualité de ces
grands ensembles, refuse tout de même de lui attribuer le statut de patrimoine.
Deux principales raisons ont été avancées par les enquêtés : le caractère colonial
de ces grands ensembles, un patrimoine qui ne serait donc pas « algérien »
(Encadré 33), et leur style moderne caractérisé par l’absence des éléments
traditionnels de l’architecture locale (Encadré 34).
C’est clair que ça fait partie de notre patrimoine, autant que la Casbah ou les autres
monuments, c’est des chefs d’œuvres
Pour moi ce n’est pas du tout un patrimoine, ce n’est pas algérien, d’ailleurs, les
immeubles anciens du centre-ville aussi, je suis pour leur démolition pure et simple
Je sais qu’ils ont une valeur historique et une valeur artistique mais pour moi ce
n’est pas notre patrimoine […] Et bien parce que ça ne ressemble pas à notre
patrimoine comme la casbah … il n’y a pas nos ornementations, notre tuile …
125
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Chapitre 03
127
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Les premiers chapitres de cette thèse nous donnent à voir des grands ensembles
qui ont pu être porteurs de différents sens dans leurs pays d’origines et dans leurs
pays d’importation, mais aussi des grands ensembles qui ont pu être perçus de
différentes manières. Ceci nous amène à considérer la spécificité du cas algérien
où les idéaux-types constitués nous montrent combien les situations sont
différentes d’un grand ensemble à l’autre et remettent en question la supposée
uniformité de grands ensembles dégradés, vecteurs d’insécurité et de ségrégation.
Ces grands ensembles sont également le théâtre de la constitution d’un lien très
étroit entre les habitants eux-mêmes et le quartier en tant qu’espace géographique,
un rapport caractérisé par de la solidarité, de la convivialité et par la constitution
de liens forts. Ceci nous invite à considérer, dans la partie que nous nous
128
Première partie : Naissance des grands ensembles et évolution de leur perception
Par ailleurs, les éléments mis en évidence dans cette première partie nous incitent
également à considérer, dans la troisième partie de cette thèse, le rôle que ces
formes de ressources identifiées dans les grands ensembles peuvent jouer dans
le devenir ces derniers.
129
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires
130
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles
131
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Introduction
« For the “evolved” Muslims, the “normal HLM [… ] formulas” in mixed settlements
were seen as preferable to isolation, because a “politics of contact” would bring the
indigenous people and the Europeans together. For the nonevolved sectors of the
Muslim community (rural, but also urban—bidonville residents and newcomers to
the casbah), low-rise housing was the best solution. » (Çelik, 1997, p. 117)
132
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Les premiers bidonvilles ont commencé à apparaître en Algérie dans les années
1920 (Lespès, 1930). Ils étaient le résultat de la paupérisation des campagnes et
étaient habités par une population quasi exclusivement algérienne du fait de son
incapacité financière à accéder à un logement décent. Il n’existait, en cette période,
pas de production de logements destinés aux musulmans même s’ils en avaient
eu les moyens, ceci dans le contexte d'un pouvoir colonial et d'une politique teintée
par la ségrégation entre population européenne et population musulmane.
Très tôt, on rendra compte de cet effet de déplacement des populations vers les
villes et de leur installation dans de l'habitat précaire. Dès 1922, les registres de la
municipalité d'Alger évoquent la présence de populations rurales dans des
constructions précaires en différents points de la ville. L'historien René Lespes fait
état, de son côté, du flux migratoire qui s'est mis en place entre l'intérieur du pays
et la ville d’Alger, soulevant de grands problèmes au niveau de l'hygiène (Lespès,
1930). En 1940, un groupe de conseillers municipaux publiera également une
communication abordant le problème :
est abordé dans l'étude menée par Jean Pelletier intitulée « Un aspect de l'habitat
à Alger : Les bidonvilles » (Pelletier, 1955). L'étude montre que cinq groupes
principaux de bidonvilles peuvent être définis (Carte 5).
La cité Diar El Mahçoul accueillera donc européens et musulmans avec une partie
réservée à une population européenne et une autre à une population musulmane.
La cité Diar Essaada avec de meilleures normes de confort et des loyers plus
élevés accueillera une population européenne ainsi que les habitants musulmans
aisés de la Casbah qui avaient les moyens de payer le loyer. La cité climat de
France de son côté, appelée la nouvelle Casbah, accueillera une population
exclusivement musulmane.
Une des questions intéressantes abordées dans cette étude est celle du logement
dit « évolutif ». Pelletier explique que la population musulmane, en l'état actuel des
choses, ne serait pas assez évoluée pour habiter un logement européen et donc
les logements évolutifs doivent être aménagés plus sommairement et disposés de
façon à ne pas heurter les habitudes musulmanes. Si la question de la
configuration des logements peut être pertinente, la question des surfaces des
logements et de leur aménagement en équipements semble néanmoins répondre
à des préoccupations financières et participer d'une politique coloniale
discriminante.
135
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Afin de résorber l’habitat précaire et face à ces enjeux politiques et sociaux qui
primaient, le pouvoir colonial décide d’adopter la politique des grands ensembles.
Il s’appuie alors, notamment, sur les différents travaux d'anthropologues et
d'architectes qui ont démontré que si cette nouvelle forme d’habitat semble, a
priori, assez différente de la Casbah et des bidonvilles, elle n’est pas forcément
inadaptée aux modes d’habiter algériens. En effet, l’étude conduite par le CIAM-
Alger a montré, quelques années auparavant, suite à l’étude d’un bidonville d’Alger
– le bidonville Mahieddine – que les qualités architecturales de ce bâti informel
correspondaient parfaitement aux idéaux du modernisme en termes de
standardisation, d’abstraction géométrique et de fonctionnalisme (Çelik, 2003).
HABITER et tout ce que l'homme planifie et construit pour habiter », « Tout ce qui
est planifié pour l'habitat doit être flexible et [...] doit être capable de changement,
[...] les constructions humaines pour HABITER ne sont jamais passives,
l'ensemble organisé inclut l'enveloppe physique et la vie qui se développe à
l'intérieur. Il y a entre les deux constamment action et réaction.
Etant le plus jeune et le plus disponible, j'étais tout désigné pour travailler sur le
terrain. A cette époque, évidemment, nous étions un peu rédempteurs, mes aînés
imprégnés de conceptions hygiénistes étaient impatients de découvrir les résultats
de l'enquête. Je me glissais donc dans ce monde inconnu et réputé hostile. [...] A
mon grand étonnement, je découvrais un habitat spontané, ingénieux, économe
de moyens. Des espaces maîtrisés, un respect de l'ancrage et de la végétation.
Une vie de quartier organisée, une solidarité saisissante.
Les méthodologies utilisées dans cette étude sont souvent empruntées à d'autres
disciplines comme il est souvent le cas dans le domaine de la recherche en
architecture, néanmoins, comme l'explique Zeynep Celik, si le groupe étudie les
facteurs démographiques et économiques à travers des données quantitatives, il
montre également, à travers des croquis, des habitants dans des situations
diverses (Çelik, 2003) (Image 8, Image 9).
138
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
139
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Comme le montre la planche (Image 10), un espace partiellement couvert fait office
de transition entre l'extérieur et l'intérieur puis des pièces sont accessibles l'une à
partir de l'autre aménagées avec des lits de fortune et des tables. La légende
explique que l'aménagement est réduit au strict nécessaire pour des raisons
économiques évidentes.
140
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Image 11: Plan d’une gargote en R+1, Grille du CIAM-Alger (Fondation Le Corbusier)
Le plan d'une auberge avec gargote en R+1 (Image 11) est présenté ici montrant
une sorte de porche jouant le rôle de transition entre extérieur et intérieur avec à
l'intérieur des tables aménagées et un escalier permettant d'accéder au dortoir
situé au premier étage.
141
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Cette planche (Image 12) montre un relevé très détaillé de l'habitation du président
du comité de défense de Mahieddine et énonce les bases essentielles du logis
musulman : la chambre, la cour, le patio couvert, la pièce d'eau et le WC. Le plan
montre une cour commune à deux habitations, un patio avec un auvent et une
seule pièce ouverte à l'intérieur de l'habitation.
142
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
La grille du CIAM montre également des espaces très intéressants développés par
les habitants et notamment cet espace (Image 13) qui sera repris ensuite dans
différentes propositions de logements :
[...] par exemple, telle façade, caractérisée par des murs porteurs, badigeonnés à
la chaux, percés de petites ouvertures et d'entrées surélevées desservies par
quelques marches. Une plate-forme basse et continue le long de la façade,
partiellement ombragée par le toit en saillie [Image 13], constitue un troisième
élément entre intérieur et extérieur dans un geste développé depuis la maison vers
la ville
Dans le bidonville Mahieddine, la cour (Image 14) est un élément très important et
est considérée comme le domaine de la femme. Il est l'espace des différentes
tâches ménagères notamment la cuisine. Mais il est aussi un espace planté
d'arbres et est, en ce sens, un « élément de la vie et de poésie au milieu du
bidonville » (Çelik, 2003).
143
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
- L’organisation du bidonville :
144
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Une recherche est également menée sur les normes relatives à la population
musulmane et notamment à sa manière de s'assoir, à ses postures, etc.
constituant une sorte de MODULOR spécifique à la population musulman (Image
17).
Les conclusions de cette étude sont, d'après les différents axes, les suivantes
(Çelik, 2003) :
sur le domaine social, l'étude avance la thèse qu'une synthèse peut être
établie entre la culture islamique et européenne et donner lieu à un « art
nouveau ». Par ailleurs, l'étude montre l'importance de la vie quotidienne
dans l'organisation du bidonville.
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Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
147
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
[...] Dans l'algérois ou je suis né, et d'une manière générale dans le Maghreb, se
trouvent les éléments fondamentaux du Mouvement moderne en architecture : la
terrasse, le lait de chaux, la rue intérieure, le coté vernaculaire des choses, avec
cette géométrie simple que l'on retrouve dans la casbah ottomane d'Alger et qui a
séduit beaucoup d'architectes. [...] J'ai eu la grande chance de connaître l'habitat
primordial, le village authentique et même le bidonville, qui est le contraire du
taudis. Le bidonville est une structure vivante, une promesse de logement, alors
que le taudis arrive à détruire l'idée même du logis. J'ai commencé mon métier en
faisant des enquêtes de sociologie urbaine et, avant cela, en creusant des
canalisations dans les quartiers démunis. J'en ai toujours gardé quelque chose
148
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
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Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Le terme mode d'habiter a beaucoup été utilisé par les sociologues et les
géographes et a fait l'objet de nombreuses études notamment par le philosophe
Thierry Pacquot, mais il a rarement été défini.
Barbara Allen, une des auteurs ayant écrit sur le sujet, explique que le terme mode
d'habiter permet de « qualifier la rencontre entre une personne et un habitat. Elle
150
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Le premier concept est celui de « genre de vie », il rend compte « des activités
quotidiennes d'un groupe humain en rapport avec les ressources et les lieux qui
forment son milieu de vie » (Mathieu, 2012, p. 38). Ce concept a peu à peu été
délaissé par les géographes du fait de la montée du concept d'espace à son
détriment et des mutations fondamentales qui s'opéraient dans les sociétés. La
notion de « mode de vie », de son coté, désignait le mode de vie urbain ou rural.
A partir des années 1970, et avec la tendance à qualifier d'urbain tout ce qui avait
trait au progrès, la notion de mode de vie ne montrait plus les différences
territoriales existantes et était donc peu pertinente pour la compréhension des
151
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
- que nous révèlent les modes d'habiter sur les dynamiques actuelles de
recomposition des sociétés et des espaces urbains et ruraux ? Quels modes
de vie, rapports à l'environnement, usages de la culture, pratiques de
l'espace et formes de mobilité cristallisent-ils ?
152
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Nous utiliserons ici, comme trame de notre analyse des modes d’habiter dans nos
terrains d’étude, les principaux éléments influençant les modes d’habiter en nous
référant à plusieurs auteurs.
Nous présentons ici les résultats de l’enquête approfondie menée dans le grand
ensemble de Diar El Mahçoul. Nous ferons néanmoins faire appel à des extraits
d’entretiens effectués dans d’autres grands ensembles à Oran ou Alger durant la
phase exploratoire.
Le point de départ est ici celui de la possession d'un toit, d'un logement apportant
de nouvelles normes de confort qui n'existaient pas dans le logement habité par la
majorité des algériens sous la colonisation française puisque les algériens vivant
dans les grandes villes habitaient majoritairement la Casbah ou les différents
bidonvilles disséminés dans la ville.
153
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Les racines, dans ces grands ensembles ne sont donc pas la terre lointaine dont
on est originaire mais la cité dans laquelle on s'est installé après l'indépendance
ou encore nos pères et grands-pères. Les entretiens menés dans le grand
ensemble de Diar El Mahçoul permettent de saisir l'importance du grand ensemble
en tant que racine et la différence de perception du quartier lorsque l'on vient
d'emménager. Il s'agissait également de savoir dans quelle mesure l'appartenance
au quartier reste importante lorsqu'on a déménagé.
Comme l'explique Elsa Ramos, les racines ancrent spatialement l’identité familiale,
elles la territorialisent, les entretiens expriment très bien ce rapport aux racines :
Je suis d'El Mahçoul, mon grand-père habitait ici avant même l'indépendance et le
départ des européens
Moi j'habitais dans le bidonville qui se trouve à coté à Salembier, je suis locataire
ici, je reste pendant quelque temps jusqu'à ce que je trouve mieux ailleurs
Dans le cas des habitants ayant quitté le quartier l'ancrage subsiste encore. En
effet, la quête d'appartements plus confortables, d'un appartement à soi lorsque
l'on veut fonder une famille ou encore l'immigration vers un autre pays, lorsqu’elle
amène des natifs du quartier à le quitter, n’empêche pas l'ancrage à celui-ci de
demeurer aussi fort comme nous l'explique un enquêté (Encadré 41).
154
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Les différentes pages dédiées aux cités sur les réseaux sociaux permettent aussi
de constater l'ancrage identitaire des anciens habitants dans leur cité.
Ceci est également valable pour les européens ayant vécu dans le quartier, qui ont
quitté l'Algérie après l'indépendance ainsi que pour leurs enfants. A cet égard, les
sites web dédiés à leurs vies dans les différents grands ensembles foisonnent et
on peut y trouver beaucoup de témoignages.
155
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Il est 16h, nous nous trouvons sur la place des 4 vents, deux hommes sont assis
sur des chaises pliables, un vieil homme marche à petit pas lents vers le balcon
urbain, arrivé après de grands efforts il enlève ses lunettes, regarde la baie d'Alger
pendant quelques minutes puis continue sa promenade en longeant le balcon
urbain, ses gestes mécaniques nous amènent à supposer que ce circuit est
quotidien.
Nous décidons de longer le balcon urbain pour aller à la nouvelle aire de jeu
aménagée récemment. Au passage nous remarquons un grand tapis étendu sur
la balustrade pour sécher. Des enfants jouent surplombés par leurs parents qui les
surveillent. Le téléphérique arrive et une foule de voyageurs sort de la station,
quelques-uns vont voir si leurs enfants sont dans l'aire de jeu, d'autre vont se
mettre sur le balcon urbain, les autres se dirigent vers les bâtiments.
Dans certains cas, le paysage que l'on aperçoit par une fenêtre ou les bruits qu'on
entend font la valeur du dedans (Morel-Brochet, 2012), on peut citer dans ce sens
le cas de cet enquêté habitant un grand ensemble de Gambetta dans la ville d'Oran
et plus précisément une tour, l'une des plus hautes à Oran.
156
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
A partir d'en haut on peut voir toute la ville d'Oran et la mer. Je montais d'ailleurs
souvent sur le toit de la tour pour apprécier le paysage.
I.3.4. Habituation :
Le terme habituation est emprunté à la psychologie sociale. Il est utilisé ici pour
rendre compte de « l'effet que produit sur la sensibilité géographique de l'habitant
une présence physique prolongée et de faibles intensités dans un milieu de vie, un
environnement » (Morel-Brochet, 2012, p. 75).
A cet égard, les enquêtés nous ont éclairé sur les habituations dont ils ont fait
l'expérience dans leurs cités. A titre d’exemple, certains habitants d’El Mahçoul ont
évoqué l'animation exceptionnelle qui existe dans le quartier (Encadré 46)
L'animation dans le quartier peut aller jusqu'à des heures très tardives. Nous les
natifs du quartier on y est habitués et on apprécie
157
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
A l'opposé, les habitants récemment venus dans le quartier ne sont pas habitués
à cette animation et la perçoivent comme une nuisance :
Moi j'ai emménagé il y a quelque temps, j'habite juste ici, les cris et les discussions
sous ma fenêtre tous les jours de la semaine jusqu'à 2h du matin me dérangent
vraiment
A ce sujet, plusieurs éléments ont été relevés au cours de nos observations dont
l'exemple de ce jeune homme dans Confort, sur la place du marché, qui en
recherchant un endroit discret se dirigeait vers une série de grosses colonnes en
pierre tout en informant son ami qu'il sera à l'abri des regards derrière telle colonne.
Le second exemple nous concerne nous-mêmes. Ignorant les règles sous-
jacentes de la pratique de l'espace public, nous nous sommes rapprochés d'un
immeuble en discutant et avons vite été rappelés à l'ordre par un habitant qui
passait : les pieds d’immeubles ne sont pas ici un espace public même si aucun
signe d’un quelconque changement du caractère de l’espace ne peut être aperçu.
Nous, les habitants de ces deux barres [L’enquêté montre des barres sur notre
plan] avions l’habitude, quand on était enfants, de nous retrouver dans ce jardin
au centre avec les grands arbres, nous formions une petite houma, aujourd’hui il y
a des baraques dedans
[…] Pour couronner, de nos fenêtres, nous avions une vue exceptionnelle sur toute
la baie d’Alger, de Bouzaréah au Cap Matifou, quasiment 180° d’ouverture. Et en
particulier, vue sur toute la ville et le port.
Encadré 49 : Extrait de récit, Christiant Ripoll, Ancien habitant de Confort (enfant à l’époque)
(Alger-roi.fr)
Comme l'explique Anne Jarrigeon dans « Des corps aux lieux urbains habiter les
espaces publics » (Jarrigeon, 2012), lorsque l'on étudie les espaces publics sous
le prisme de l'habiter, on se retrouve face à un paradoxe. En effet, architectes et
sociologues opposent depuis longtemps le privé au public et le fait d'habiter est
souvent assimilé à un acte privé. Dans le cas de la population algérienne des
grands ensembles qui a sa propre définition de la notion de privacité, le paradoxe
ne peut qu'être plus accentué.
Une clarification s'impose, ici, des notions d’« espaces publics » et d'« espaces
privés » : les espaces publics sont, selon Thierry Pacquot, les espaces
géographiques accessibles au public, que les habitants peuvent arpenter qu'ils
habitent à proximité ou qu'ils soient étrangers à ces espaces, ces espaces peuvent
être des rues, des boulevards, des places, des parvis, des jardins etc. (Paquot,
2010). Cette définition rejoint celle qui a été donnée par l'école de Chicago qui
159
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
considère comme espace public tout lieu urbain ouvert au public. L'espace privé
est, par opposition, le lieu où l'on se prive des autres, l'espace individuel et
personnel régi par le propriétaire qui en autorise l'accès à des personnes tierces
(Paquot, 2010).
L'exemple de la cité Diar El Mahçoul montre très bien toute la complexité que peut
contenir le fait d'habiter collectivement l'espace public. En effet, dans les espaces
ouverts aux publics, la privacité peut s'imposer sans pour autant que les espaces
soient fermés.
Entre les notions d'espace public et d'espace privé se trouvent celles d'espace
semi-public qui peuvent être des espaces communs comme une cour intérieure ou
des espaces semi-privés comme le hall d'un immeuble. Ces espaces sont régis
par le libre accès mais intègrent également les règles de leurs propriétaires
(Paquot, 2010). Ce qui nous amène au fait que la complexité des frontières entre
public et privé dans le quartier de Diar El Mahçoul réside également dans le fait
que certains espaces conçus comme semi-publics comme les cages d’escaliers
extérieures peuvent devenir privés.
160
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 01
Image 21 : Barraques envahissant les espaces semi-publics à El Mahçoul, Alger, Auteur, 2017
Conclusion du chapitre I :
D’une part, confirmant l’hypothèse émise, les différents éléments mis en évidence
nous permettent de conclure à un mode d’habiter qui s’est adapté à un habitat
nouveau et qui a agi sur lui en le transformant. En effet, sociabilités, structures des
familles, conceptions de l’intimité et manières d’habiter l’espace public ont pu
subsister dans la nouvelle forme d’habitat, cela étant d’ailleurs en partie facilité par
certains principes communs entre l’habitat musulman et l’urbanisme moderne. On
peut, dès lors, remettre en cause le présupposé déficit d’appropriabilité des grands
ensembles tant décrié. D’autre part, il est clair que le type d’habitat a également
eu un impact sur les modes d’habiter, non pas en apprivoisant un peuple qui se
rebellait (la stratégie coloniale ayant échoué en ce sens), mais en intégrant des
éléments nouveaux à ces modes d’habiter tel que la citadinité (par rapport à une
population largement rurale ou bidonvillisée), une manière différente d’occuper
l’espace public, des espaces et des ancrages identitaires nouveaux que nous
aborderons dans le chapitre suivant.
161
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Introduction :
162
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
L’identité a de tout temps joué un rôle important dans les sociétés, elle représente
aujourd’hui un concept majeur dans plusieurs disciplines telles que les sciences
sociales. Plusieurs définitions en ont été données, nous nous intéresserons ici à
celle donnée par Guy Di Méo :
Guy Di Méo situe les prémices de ce changement dans les villes américaines.
Celles-ci ont vu la montée en visibilité de différentes minorités et le façonnage
d’identités sur la base du sentiment de domination qu’elles éprouvaient ainsi que
sur leurs différentes particularités culturelles. Il s’agit, selon Di Méo, de
« l’affirmation sociale de l’individu » (Di Méo, 2009, p. 1), une affirmation qui aurait
permis de dépasser le poids des structures et des traditions pour permettre la
construction d’identités nouvelles. La notion d’identité anciennement connue et
163
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
imposée par les systèmes politiques, les traditions et les systèmes de valeurs se
transforme donc aujourd’hui en une identité qui émane du sujet, qui implique son
activité et une démarche plus volontariste (Di Méo, 2009).
Di Méo explique que l’individu aurait, dès lors, deux sortes d’identités qu’il explicite
dans le passage suivant :
Autrement dit, deux types d’identités cohabiteraient, chez l’individu, d’un côté,
l’identité stable, intemporelle et quelque peu uniformisée qui peut être une
identification à un pays, à des origines ou à un système de valeur etc. De l’autre
côté, une identité plus mouvante et plus libre.
Il y a donc un recul de l’influence des structures, des traditions et des héritages sur
l’identité au profit d’éléments plus temporels et plus individuels. Ceci s’explique,
selon Guy Di Méo, par la multiplication des appartenances objectives de l’individu
(Di Méo, 2009). Il s’agirait alors, pour ce dernier, de choisir et de hiérarchiser
celles-ci dans le but de construire son identité. Ce changement nous intéresse
particulièrement dans cette étude puisque, comme nous allons le voir, le terrain
d’étude voit se constituer, de multiples identités, correspondant à plusieurs
espaces et sur différentes échelles.
164
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
165
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
La notion d'identité collective, quant à elle, peut être apparentée à une mise en
scène et à une construction dont les supports sont des traits réels de la vie
matérielle et des valeurs (Garnier, 2015). Elle est un « discours que les groupes
tiennent sur eux-mêmes et sur les autres pour donner un sens à leur existence »
(Claval cité dans Garnier, 2015, p. 14). Elle est donc au centre des relations entre
espace et identité.
Autrement dit, les traits et les éléments qui sont d’ordinaire attribués aux
personnes se retrouvent attribués au groupe. A titre d’exemple, Di Méo cite le cas
de la personnification de la ville de Lyon démontrée par Pierre-Yves Saunier et qui
se matérialise par ce qui a été appelé « l’esprit lyonnais », un ensemble de
comportements supposés, qui participent à l’élaboration d’un mythe (Di Méo,
2009).
C’est ainsi que nous tenterons, à l’aide de l’observation flottante sur le terrain et
des entretiens avec les habitants, de faire une esquisse de ce que sont l’esprit
« Confort » et l’esprit « El Mahçoul » et de mettre en évidence la multiplication des
identités collectives à Salembier.
166
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Une des principales critiques concernant les grands ensembles est l’absence
d’identité en leur sein. Néanmoins, l’étude de certains grands ensembles a permis
de mettre en évidence la constitution d’identités collectives fortes dans ces cités
d’habitat social. Nous étudierons, en ce sens, le cas du quartier du « Haut de
Garonnes » qui a fait l’objet d’un travail d’analyse par Cyprien Avenel (Avenel,
2000).
Les entretiens ont montré un fort attachement des jeunes hommes à leur cité, un
attachement qui est le résultat des liens de sociabilité formés avec les autres
habitants mais aussi d’un lien avec le grand ensemble qui représente les racines.
Ceci transparait clairement dans le discours des enquêtés (Encadré 50).
La cité, c’est la maison. Vous voyez, ce groupe-là, du plus jeune au plus grand,
c’est une deuxième famille. On a la famille du haut et on a la « millefa » du bas.
Voilà. On a deux familles. En prenant famille en verlan, c’est pour déterminer le
bas : c’est la cité. En mettant un peu de verlan, on détermine bien ce qu’on veut
penser. C’est la millefa. C’est une bande de copain. J’ai tout le temps envie d’être
en bas et tout le monde a toujours envie d’être en bas. C’est-à-dire qu’on est
toujours en bas. Cela fait exactement 18 ans que j’habite là, au même étage, la
même tour, et je m’y plais ! On y est bien ! C’est une famille.
Encadré 50 : Extrait d’entretien mené par Cyprien Avenel avec un Homme, 21 ans, célibataire,
chômeur, CAP
167
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Outre les différentes dénominations utilisées par cet enquêté, Cyprien Avenel
relève que les jeunes hommes désignent leur quartier par le terme « la maison ».
Cette toponymie vécue montre combien les habitants sont étroitement attachés à
leur cité. Nous pouvons retrouver ce type d’appellation dans d’autres grands
ensembles, à commencer par la cité radieuse de Le Corbusier où la barre est
désignée par le terme « village vertical » reflétant une sociabilité particulière qu’on
ne trouverait plus dans la ville (Denèfle, Bresson, Dussuet, & Roux, 2006).
Néanmoins, la cité qui constitue un appui mental essentiel peut aussi constituer
une frontière qu’il est difficile de franchir. Ségrégation et exclusion participent au
renfermement des habitants à l’intérieur de leur grand ensemble.
Cette étude soulève, comme nous le verrons, des éléments semblables à plusieurs
égards à notre terrain d’étude que nous nous proposons d’aborder ici sous l’angle
de l’identité.
Cette partie montre les résultats de l’enquête qui concernent les grands ensembles
de Diar Esaada et de Diar El Mahçoul situés dans la commune de Salembier.
168
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
administratives de cette commune n’ont pas évolué, les représentations qu’en ont
les habitants ont, quant à elles, changé. Une dissociation entre la cité Diar El
Mahçoul et Salembier existe à titre d’exemple dans le discours des enquêtés,
notamment chez les habitants de Diar El Mahçoul (Smair & Kacemi, 2019). Cela
apparait clairement lorsqu’un des enquêtés emploie à plusieurs reprises
l’expression « Quand je vais à Salembier » alors qu’il s’y trouve déjà (Smair &
Kacemi, 2019), rappelant la description que fait Georges Perec du quartier : « La
partie de la ville dans laquelle on n’a pas besoin de se rendre, puisque précisément
on y est » (Perec, 2010, p. 113). Cet habitant, dont les propos sont exemplaires
des façons de parler des résidents de Diar El Mahçoul, nous expliquera par la suite
que les habitants des autres quartiers de Salembier n’aiment pas cette
différenciation sous entendue.
La question de la perception des limites du quartier est ici liée aux identités
collectives associées aux différentes cités comme l’expliquent clairement la
majorité des enquêtés :
Bien sûr que Diar El Mahçoul fait partie de mon identité, c’est la même chose pour
les habitants de Diar Essaada ou de Diar Echems, d’ailleurs après la démolition
de Diar Echems les habitants ont demandé à être relogés dans un même
quartier… ça en dit long.
Ainsi, si l’appartenance à Salembier, qui est un des quartiers populaires les plus
anciens de la ville d’Alger, est très forte et revendiquée par de nombreux habitants
rencontrés, il reste que l’appartenance aux grands ensembles de Salembier, les
trois principaux étant El Mahçoul, Confort et Diar essaada, surpasse souvent la
première et s’en dissocie même clairement. Ce constat met en exergue la
particularité de ces grands ensembles qui, à l’opposé de ceux typiques de la
production de l’urbanisme moderne caractérisés par l’absence d’identité collective
(Villechaise, 1997), présentent une identité forte et revendiquée par leurs habitants
(Smair & Kacemi, 2019).
169
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Cela étant dit, quelques entretiens ont montré que pour certains habitants, les
différentes limites des quartiers cités précédemment ne font pas toujours sens
dans la mesure où l’espace considéré comme familier et auquel ils s’identifient se
polarise autour des équipements, à commencer par ceux scolaires : écoles
primaires, secondaires ou lycées dans lesquels ils ont effectué leur scolarité et
créé des relations d’amitié. Mais il faut également compter avec les monuments
emblématiques comme le Monument des martyrs ou certaines statues qui lors de
plusieurs entretiens apparaissent clairement comme des points de repères
centraux (Smair & Kacemi, 2019).
Mon quartier va de Diar Essaada au monument aux martyrs en passant par Diar
El Mahçoul et Confort
La perception des limites du quartier auquel on s’identifie semble par ailleurs liée
à l’espace pratiqué quotidiennement. Les enquêtés âgés de 15 à 25 ans,
ajouteront, lors de l’entretien de groupe évoqué plus haut, que les limites du
quartier auquel ils s’identifient vont au-delà des limites de leur grand ensemble
pour couvrir toute la commune, recherchant les différents espaces publics de ses
quartiers qui sont moins proches des logements et dans lesquels ils peuvent avoir
une certaine liberté sans nuire à l’intimité des habitants (Encadré 53).
Nous venons dans des endroits comme celui-ci pour nous éloigner des habitations
et ne pas nuire à l'intimité des familles qui y habitent ... Pour nous, les limites de
170
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
notre quartier vont de Diar Essaada au monument des martyrs en passant par Diar
El Mahçoul [C'est à dire une grande partie de la commune] puisque nous nous
rencontrons dans les différents espaces comme celui-ci de ces quartiers
Diar El Mahçoul nous intéresse ici parce que c’est un grand ensemble qui n’est
pas homogène. Il est composé de deux parties séparées par un boulevard : la
partie Nord ayant une vue sur la baie d’Alger appelée « Confort », et la partie Sud
plus en retrait qui était appelée « confort évolutif » et qui est El Mahçoul.
Si les deux parties du grand ensemble ont été pensées à l’origine comme une
seule unité dans laquelle la population musulmane pouvait vivre au côté de la
population européenne – vision utopique et libérale que partageaient le maire
d’Alger Jacques Chevalier et l’architecte Fernand Pouillon – la dimension
discriminatoire a tout de même été inscrite dans l’architecture des cités. En effet,
on y observe une barrière physique importante incarnée par le boulevard, une
différence quant aux normes de confort et des disparités dans la conception des
espaces publics et de l’architecture des blocs d’habitation. A partir de là, ces deux
parties ont évolué de manière différente et séparément. Si on s’intéresse aux
différentes appellations des deux parties, on se rend compte que l’appellation
initiale et administrative de « Diar El Mahçoul », qui désigne les deux parties du
grand ensemble, ne renvoie actuellement qu'à la partie originellement destinée aux
musulmans (abrégée souvent en « El Mahçoul ») revêtant un caractère péjoratif
par rapport à la partie initialement destinée aux européens, celle-là même qui est
nommée à partir d'un mot français : « Confort ».
En outre, ces deux parties ne sont pas dans le même état de salubrité et ne font
pas l’objet d’une même politique de la part des autorités locales actuelles. Si la
partie « Confort » est assez bien entretenue et n'a pas connu de transformations
majeures, la partie « El Mahçoul » est aujourd’hui, en revanche, dans un très
171
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
mauvais état physique. Elle a vu effectivement ses espaces publics être envahis
par des baraques faites de matériaux de récupération (parpaings, planches,
plaques de taule...). Quant à ses caves, elles sont aujourd'hui habitées par des
familles démunies. Alors que la partie « Confort » fait l’objet actuellement d’un
projet de restauration des façades, celle d’« El Mahçoul » fait l’objet d’expulsions
progressives de ses habitants qui sont relogés ailleurs dans la ville d'Alger, sans
que personne ne sache vraiment ce que va devenir cette partie de la cité. Les
différences de conditions de vie semblent avoir des répercussions importantes sur
la pratique de l’espace et sur la vie sociale.
Il est 17h, nous arrivons à la place du Marché (Photo 35) par des escaliers sous
un des immeubles cernant la place. Des enfants ont improvisé un terrain de foot
entre les voitures stationnées sur ce qui servait le matin même de marché et qui
servira le soir de parking. Beaucoup de spectateurs regardent le match tout autour
en petits groupes utilisant les différents éléments architecturaux pour s'abriter du
soleil ou s'installer confortablement.
172
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
173
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Nous descendons les marches de l’escalier monumental (Photo 37) vers la place
des quatre vents qui, plus en retrait, est beaucoup plus calme. Des enfants de bas
âge jouent ; ils sont surveillés par un groupe de parents qui discutent.
Il est 18h. Le muezzin appelle à la prière du maghreb, les deux places se vident
instantanément et les adultes se dirigent vers l’ancienne église transformée en
mosquée.
Nous sommes sur la place des quatre vents à proximité des immeubles lorsqu’un
habitant nous interpelle et nous demande gentiment de nous éloigner un peu de
l’immeuble et des fenêtres au rez-de-chaussée pour ne pas porter atteinte à
l’intimité des familles. L'espace public est ici régi par des règles que nous ignorons.
175
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Au soir, une partie de la place cernée par des locaux rarement utilisés est investie
par des petits groupes de jeunes ou d’adultes qui jouent au domino, boivent de
l'alcool pour certains, et discutent en faisant beaucoup de bruit. Cet espace isolé
semble être celui des activités bruyantes ou mal vues dans le quartier (Photo 39).
176
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Photo 39 : Espace isolé sur la place des quatre vents. Photo auteur, 2017
177
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
le paysage synoptique sur la baie d’Alger que l'on peut observer à partir
de la place des quatre vents semble être un lieu de pèlerinages quotidiens
pour les habitants de « Confort » au point de faire partie intégrante de leur
identité ;
L'espace public, très utilisé par les hommes comme espace de rencontres
et de réunions, reste pour les femmes un espace exclusivement traversé
souvent d’un pas pressé, et ce, pour aller au travail, à l'école, à l'université
ou faire des commissions. C’est dire si les rencontres et les réunions entre
femmes se font dans les bâtiments et à l'intérieur des logements.
Les entretiens ont, de leur côté, permis de mettre en évidence une identité fondée
sur une pratique de l’espace public particulière. Celle-ci est visible lors des
différentes fêtes religieuses ou lors des manifestations sportives, ou même lors
d’activités quotidiennes telles que le marché qui prend place chaque jour sur la
place momentanément reconvertie à cet effet (Smair & Kacemi, 2019). Les
enquêtés se sont en effet empressés de nous raconter l’atmosphère agréable des
fêtes où les habitants investissent massivement l’espace public tout en maintenant
une certaine séparation entre les sexes. Ils font preuve d’une grande solidarité
entre eux comme durant les deux fêtes de l'aïd (Fête religieuse du sacrifice du
mouton) ainsi que lors d’événements tragiques comme les décès (Encadré 55).
Lors de la fête de l'aïd tous les habitants des blocs effectuent les tâches
ménagères (inhérentes à cette fête) en commun, les hommes investissent les
espaces publics tandis que les femmes ouvrent leurs appartements et investissent
certaines terrasses invisibles depuis la rue... A la fin de la journée, tout le monde
178
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
repart avec sa part du mouton sacrifié même si un habitant n'a pas pu faire le
sacrifice par manque de moyens.
Un autre habitant de Confort, lui aussi originaire du quartier, âgé de 35 ans, nous
mettra au courant des pratiques qui ont cours lors des décès :
Lorsqu'il y a un décès, les voisins du défunt ouvrent leurs appartements aux gens
qui viennent présenter leurs condoléances et aident financièrement la famille du
défunt
L'espace public est également investi par des masses d’habitants durant les
différentes manifestations sportives. Soulignons qu’un projecteur est installé sur la
place des quatre vents pour les grands événements, des chaises sont disposées
en grand nombre (Smair & Kacemi, 2019).
Moi je suis étudiant, je voudrais bien ne pas passer toute la journée dehors et
rester tous les jours jusqu’à minuit à l’extérieur avec mes amis, mais on est 7
personnes à habiter un F2 de 32m², nous dormons dans la cuisine, dans l’entrée,
dans la salle de bains où nous mettons des planches au-dessus de la baignoire
pour dormir, donc nous devons être les derniers à nous coucher et les premiers à
nous lever pour ne pas gêner
180
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Depuis le pied de l’escalier, nous parvenons à l’ancien marché couvert (Photo 41),
aujourd’hui transformé en locaux commerciaux (épicerie, bureau de tabac,
fastfood populaire, droguerie...). L’animation contraste avec le calme de l’escalier
précédent. Des enfants jouent au foot dans la rue, un jeune assis sur une chaise
dans un coin sombre semble discuter au téléphone, les locaux commerciaux sont
ouverts et des groupes de personnes discutent ou jouent au domino devant. On
est tout de suite reconnu comme étranger et on nous aborde pour nous demander
chez qui nous allons. Nous expliquons qui nous sommes, ce qui donne lieu à des
échanges sur l'architecture du quartier et sur l'architecte Fernand Pouillon que tout
181
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
le monde connait ici. Nous faisons le tour d’un bâtiment pour gagner une
intersection qui fait office de place avec beaucoup d’animation et où 3 commerces
installés dans des baraques de fortune sont ouverts. Des adultes, jeunes et moins
jeunes, discutent et des enfants jouent au babyfoot, c’est dire si cet espace qui
n'était pas conçu au départ comme un espace de rencontres semble devenir un
espace central dans le quartier. Nous remontons une rue où nous apercevons de
l’animation. Nous trouvons des gens assis dans des chaises en plastique, attablés
pour certains autour d’un café et pour d’autres autour d’un dîner. On distingue de
la musique à l’intérieur de l’appartement, les habitants célèbrent un mariage.
182
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 02
Etre d’El Mahçoul veut dire que tu peux aller dans n’importe quelle autre partie de
la ville et sociabiliser instantanément, que tu peux faire face à n’importe quelle
situation, c’est l’avantage d’un quartier populaire comme El Mahçoul.
Encadré 59 : Extrait d’entretien, Homme, 32 ans, El Mahçoul, Alger
Conclusion du chapitre II :
184
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
« […] ces quartiers [les grands ensembles] n’avaient plus rien de moderne, si on
tombe d’accord pour définir le moderne comme une forme de déterritorialisation
du sol. L’ensemble de ces quartiers se sont hybridés : les usages et pratiques des
habitants et usagers de ces quartiers ont très largement modifié leurs conditions
initiales. A partir de là, à partir du moment où l’on peut affirmer cette chose, on
échappe à l’inertie du discours sur l’architecture moderne. On peut enfin penser
de façon libre, inventive et créatrice la transformation de ces quartiers avec les
gens qui y habitent. N’est-ce pas cela l’utopie ? » (Simay & Klouche, 2010, p. 102)
Djamel Klouche fait le constat que les grands ensembles sont aujourd’hui
territorialisés sous l’effet de leurs usagers. Ceci peut sembler paradoxal lorsqu’on
sait que ces mêmes grands ensembles sont issus de l’urbanisme moderne, un
urbanisme supposément caractérisé par la déterritorialisation du sol. Pourtant, les
conclusions de cette recherche rejoignent clairement ce constat. Les chapitres
précédents ont mis en évidence un rapport très étroit entre habitant et habité qui
se matérialise par une appropriation, une patrimonialisation par le bas mais aussi
par la constitution de modes d’habiter spécifiques et l’émergence d’identités
collectives. Force est ici d’aborder la question du territoire. Nous envisageons
celui-ci dans l’optique d’une réflexion sur le devenir de ces cités d’habitat collectif
héritées. Nous commencerons ce chapitre par définir les notions de territoire, de
micro-territoire et de quartier. Ensuite, à l’aide de la méthode de « la mise en mot
de l’espace » (Veschambre, 2011) empruntée à Vincent Veschambre, nous
aborderons la notion de territoire dans le grand ensemble de Diar El Maçoul. Enfin
nous mettrons en évidence la multiplicité des territoires et leurs géométries
variables dans Confort et El Mahçoul.
185
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Entre les multiples définitions du territoire, deux sens émergent (Garnier, 2015):
Le premier est une acception juridique et institutionnelle du terme renvoyée à un
découpage historique dont les fins sont purement administratives. Ce sens peut
renvoyer à l'époque moderne où il était associé aux termes de domination et de
limites, matérialisées par des frontières. Le second sens envisage le territoire
d'une manière moins institutionnalisée, le renvoyant aux « diverses formes de
rapport à l'espace que les individus et les groupes sociaux ne cessent de produire
et de transformer dans le cadre de leurs relations sociales » (Alphandéry &
Bergues, 2004, p. 5) reléguant l'aspect juridique et politique au second plan.
Selon cette deuxième acception, le territoire serait avant tout lié aux relations
sociales et culturelles existantes entre un groupe social et un espace. Cette
définition permet de mettre clairement en relation la notion de territoire avec
l’identité, le mode d’habiter et le patrimoine : le territoire est considéré comme un
construit social et culturel d'un groupe particulier, quelle que soit sa forme, une
construction symbolique qui passe d'un espace « donné » à un espace « produit »
(Giordani Ravis & Bromberger, 1976). Rejoignant cette vision du territoire, Bernard
Debarbieux, le définit comme « un construit idéologique et matériel, forgé par l'idée
que la société se donne d'elle-même et de son environnement » (Debarbieux,
1995, p. 101). Le territoire est donc à la fois matériel et immatériel.
186
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Avant d’aborder cette question, notons que si l’on prend les différents écrits sur le
sujet ou les résultats d’études empiriques, on ne saurait dire, qui, de l’identité ou
du territoire préexisterait à l’autre. A ce titre, le classement des chapitres de cette
thèse relatifs à ces deux sujets reste purement pratique.
L'interaction qui existe entre ces trois notions très utilisées actuellement a été mise
en évidence par plusieurs auteurs dont Edwige Garnier. Celui-ci fait le constat
qu’en parallèle à l'extension de la notion de patrimoine, de nombreux projets dans
le monde émergent autour de ressources patrimoniales qui en constituent le
support. Il explique que ces opérations de patrimonialisation tendent ainsi à
favoriser la co-construction identitaire et territoriale (Garnier, 2015).
Selon Garnier le territoire peut être perçu comme vecteur d'identité (Garnier,
2015). Il rejoint en ce sens Guy Di Méo qui affirme que « le territoire
constitue un remarquable champ symbolique, semé de signes qui
187
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
188
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
189
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Deux sens peuvent être donnés au quartier. Le premier est celui de « morceau de
ville » (Grafmeyer, 1991, p. 23), d’« aire de résidence » (p. 23) ou de « village dans
la ville » (p. 40). Le terme a largement fait référence aux grands ensembles (les
quartiers) et à une situation problématique qui fait l'objet de politiques spécifiques
afin de rendre ces quartier banals, l'état considérant que ces grands ensembles
forment des ghettos et concentrent des populations très pauvres (Segaud, 2002).
Yves Grafmayer situe le quartier à l’intersection des traits sociaux de ses habitants
et de ses composants matériels (Grafmeyer, 2007). La question des limites du
quartier est aujourd’hui importante dans le contexte de la multiplication des
échelles du territoire allant du micro-quartier constitué par la rue et le coin
(Marchal, 2017) à l'échelle de la commune ou de la ville.
190
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Photo 42 : Grand ensemble de la Rabaterie, (France 3 centre, 2011). Photo auteur inconnu, s.d
Le second grand ensemble étudié est celui du Clou-Bouchet à Niort logeant 6 390
habitants (au moment de l’étude). Il connait des démolitions régulières de barres.
Photo 43 : Grand ensemble du Clou-Bouchet (archives NR). Photo auteur inconnu, s.d
191
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Par ailleurs, Denis la Mache relève que la fabrication du territoire passe par « des
artifices visibles, objectifs et volontaires » (La Mache, 2011). Il cite à titre
d’exemple, les stores aux fenêtres, les claustras sur les balcons et les plots sur la
place de parking. Ces ajouts symboliques permettent de transformer les différentes
parties du grand ensemble pour qu’ils soient conformes aux concepts qu’en ont
les habitants. Ce processus de réappropriation participe à la fabrication du
territoire.
- la frontière linéaire :
signifiante. Elle n’est pas évaluée par les habitants. Quelle est la largeur de la
Loire ? Combien y a-t-il de mètres pour traverser l’autoroute ? Nul ne sait le dire
de manière exacte, ni même convaincante. La question elle-même n’est pas
pertinente. Il ne s’agit là que de lignes appréhendées par ce qu’elles séparent.
- la frontière ponctuelle :
Dans cette perspective, Solange K., 62 ans, retraitée, invitée à retracer ses
cheminements quotidiens, décrit avec force détails le contenu du petit magasin où
elle se rend spécifiquement en traversant un quartier où elle « ne met jamais les
pieds ». De tels points constituent autant de frontières séparant les blocs d’espace-
temps du quotidien du reste de la ville. Lorsqu’il rentre à vélo de son travail,
Monsieur R. raconte que, lorsqu’il aperçoit l’enseigne de l’hypermarché, il sait qu’il
est « enfin arrivé ». Jusqu’alors l’espace ne lui était apparu que comme un temps
de parcours dont la matérialité n’avait de sens qu’en rapport avec le déplacement.
- la frontière réticulaire :
- la frontière aréolaire :
La Mache explique que dès lors qu’il existe des frontières, leur franchissement
décrit la représentation du territoire chez l’habitant. Les franchissements sont ainsi
souvent marqués symboliquement, de manière matérielle ou par des changements
de posture, de manière de s’habiller etc. Pour certains habitants, la porte d’entrée
de l’appartement constitue un franchissement de la frontière entre l’espace privé,
domestique et sécurisant et un espace extérieur que l’on n’a pas choisi d’investir.
Pour d’autres, cette même porte d’entrée n’est que la transition entre un espace
privé à un espace approprié collectivement (La Mache, 2011).
Ainsi, des halls, des paliers ou des couloirs viennent alimenter des discours sur
soi. Ils mobilisent des espaces et des lieux, mais aussi des temps et des rythmes.
Sortir des territoires du quotidien peut s’entendre comme sortir de l’espace
194
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
consubstantiel aux pratiques quotidiennes. C’est aussi sortir des temporalités qui
y sont attachées. Le passage fait donc l’objet d’une préparation à la fois spatiale
et temporelle. Ainsi Nadia E., 32 ans, hôtesse de caisse, raconte-t-elle combien le
fait de rentrer chez elle après des horaires de travail atypiques l’amène à
fréquenter des lieux qui, bien que parfaitement connus, lui apparaissent étrangers
à certaines heures avancées de la soirée. Elle a donc préparé en conséquence
cette échappée des blocs d’espace-temps du quotidien. Elle a prévu des
itinéraires, évitant les zones sombres ou « mal fréquentées » qu’à d’autres
horaires elle a pourtant identifiées comme des espaces de connaissance et de
reconnaissance. Elle a anticipé, planifié et cartographié mentalement la situation.
Elle a négocié avec son employeur ses modifications d’horaires pour pouvoir
s’adapter, dans de bonnes conditions, à ces modifications.
Denis la Mache relève que les territoires du quotidien sont caractérisés par deux
éléments principaux, la familiarité et la sécurité :
Pour se sentir « enfin chez soi », Monsieur C., 51 ans, cariste, aime à reproduire
chaque soir les mêmes micro-rituels. L’écoute du répondeur, l’ouverture du
courrier marquent le passage vers le repli domestique. Le bruit du voisin qui fait
chauffer son diesel sur le parking, les odeurs du marché, la vue sur le centre
commercial… indiquent de manière certaine à Madame T., 38 ans, femme au
foyer, qu’elle entre ou qu’elle sort des blocs d’espace-temps qui structurent son
activité quotidienne.
195
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
- La sécurité : Il s’agit ici de la sécurité dans ses deux composantes que sont
la sureté et l’ordre.
L’étude menée par Vincent Veschambre et intitulée «la mise en mots de l’espace
dans un grand ensemble en rénovation » (Veschambre, 2011) met en évidence le
décalage entre toponymie conçue, c'est-à-dire les appellations officielles des lieux,
et toponymie vécue, c'est-à-dire les appellations communes construites par les
résidents eux-mêmes dans un grand ensemble de Nantes. Veschambre ne
manque pas de faire référence au concept de triplicité de l’espace cher à Henri
Lefèbvre : espace perçu, espace conçu et espace vécu (Lefebvre, 1974). En effet,
l’étude apporte un éclairage sur le décalage qui peut exister entre les trois notions.
L’hypothèse que formule Vincent Veschambre est que, dans le contexte d’un grand
ensemble en rénovation, les représentations qu’ont les résidents des espaces
qu’ils habitent sont méconnues alors que celles-ci peuvent participer à une
meilleure appropriation du projet.
La partie toujours en travaux (Photo 45), quant à elle, est aujourd’hui appelée
« 9.3 » ou « Bronx », étant désignée comme la zone où les activités mal perçues
ont lieu. A ce propos, Veschambre explique que cette dénomination à l’intonation
196
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Photo 44 : « Palm Beach » (Veschambre, 2011, p. 104). Photo Vincent Veschambre, 2007
197
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Nous avons adopté pour notre part cette méthodologie pour mettre en évidence
les différents micro-quartiers et leurs dénominations populaires dans le grand
ensemble de Diar El Mahçoul. Ainsi, munis d’un plan, nous nous sommes
rapprochés des résidents pour leur demander de désigner les différents secteurs,
sous quartiers ou micro-quartiers de leur grand ensemble et de mettre leurs
propres appellations dessus.
Nous avons pu lors des chapitres précédents mettre en évidence un lien étroit
entre habitant et habité à Diar El Mahçoul. Deux identités ont émergé dans ce
grand ensemble : l’identité propre à la partie Confort et celle spécifique à El
Mahçoul. Nous pouvons affirmer à ce point de l’étude, et à la lumière des éléments
théoriques abordés concernant la notion de « territoire », que le grand ensemble
de Diar El Mahçoul s’est territorialisé, et que se sont constitués, dans un premier
temps, deux territoires correspondant aux deux parties du grand ensemble.
À une autre échelle, celle des rues et des immeubles, le quartier est un composé
de micro-quartiers et de « coins » (Marchal, 2017, p. 30). Sur le plan
méthodologique, il s’agissait ici, muni d’un plan du quartier, de demander aux
enquêtés où l’on se trouve et comment ils nomment les différentes parties du
quartier. Nous découvrons alors, au détour des mises en mots de l'espace, des
appellations spécifiques à des endroits localisés. Les enquêtés nous décrivent
ainsi l’existence de plusieurs micro-quartiers au sein de « Confort » et d’« El
Mahçoul ».
198
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Nous sommes ici dans le 14, c’est le numéro de cette grande barre, on s’entend
avec les habitants des bâtiments qui se trouvent autour de cette Tahtaha [grande
esplanade]
199
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
[…] les bâtiments autour du marché forment une petite Houma [quartier
solidaire]…
L’existence de ces coins et leur localisation semblent être induites par des points
de repère et des pratiques quotidiennes. Le marché en est l’exemple le plus visible
étant le lieu de nombreuses activités comme nous l’explique un enquêté :
Ce micro-quartier peut également être évité par certains résidents à des moments
de la journée en raison de la vente de drogue qui y a cours.
200
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Des micro-quartiers peuvent également se former à partir d’une seule très grande
barre :
[…] Cette barre quant à elle est tellement grande qu’elle constitue une Houma
[quartier solidaire] à elle seule, ses habitants ont tendance à rester entre eux
Mais là encore, il ne s’agit pas que de la taille de la barre, car d’autres grandes
barres existent dans le quartier sans pour autant constituer un micro-quartier à
elles seules. La position de ladite barre, isolée, face à un balcon urbain donnant
sur la baie d’Alger, participe grandement à sa constitution en micro-quartier.
201
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Les deux barres et le jardin constituent un petit quartier. Le jardin, vous savez …
là où il y a une baraque maintenant, on y a tous joué quand on était enfant
Ainsi nous pouvons constater que les souvenirs d’enfance participent également
à la construction des différents micro-quartiers.
202
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Moi je vivais dans les blocs [immeubles] donnant sur le boulevard, on était plus
proche des habitants des blocs de l’autre côté et qui appartiennent à Confort que
des habitants d’El Mahçoul
203
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
La place du marché c’est une petite Houma [quartier solidaire] … derrière elle, ces
deux bâtiments en forment une autre [L’enquêté désigne deux bâtiments sur notre
carte]
D’autres éléments sont également à l’origine de ces coins, à commencer par les
relations de proximité très étroites développées entre voisins au niveau des barres,
des rues ou des immeubles. A partir des entretiens, il apparaît également que les
différentes manifestations religieuses, sportives ou culturelles participent au
renforcement de ces micro-quartiers. En effet, la solidarité qui se crée entre les
habitants d’une même rue, d’une même barre ou d’un même bloc (mise en
évidence dans les chapitres précédents) renforce la représentation du coin.
206
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
Conclusion du chapitre :
207
Deuxième partie : Modes d’habiter, identités et territoires dans les grands
ensembles Chapitre 03
La deuxième partie de cette thèse montre, à travers ses différents chapitres, les
transformations connues, en Algérie, par la forme d’habitat qu’est le grand
ensemble. Ces transformations sont autant matérielles qu’immatérielles. Du point
de vue immatériel, ces barres et tours, souvent critiquées pour leur déficit
d’identité, ont vu l’émergence d’identités collectives fortes. L’appropriation de ces
cités d’habitat collectif a également donné lieu à la transformation des modes
d’habiter qui ont, à leur tour, agi sur le cadre bâti. En effet, les grands ensembles
sont aujourd’hui physiquement transformés, résultat des différentes modifications
et adaptations effectuées par la population.
Cela étant dit, la territorialisation des grands ensembles implique une volonté de
l’individu d’être associé au devenir de son territoire et de peser dans le processus
de prise de décision. C’est ainsi que nous aborderons, dans la troisième partie de
cette thèse, la question de la volonté des habitants des grands ensembles de
s’impliquer dans la vie de leur quartier et dans son devenir. Nous analyserons, à
cet égard, les différentes stratégies adoptées dans les grands ensembles en
Algérie du point de vue, notamment, de la participation des habitants.
l’optique de mener une réflexion sur le devenir des grands ensembles en Algérie
d’analyser les différentes stratégies de développement des territoires élaborées et
mises en application dans le monde pour les confronter au cas algérien.
209
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles
dans le monde et en Algérie
210
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie
Dans un contexte mondial où les politiques urbaines s’orientent vers une plus
grande implication de l’individu dans le processus de prise de décision, la troisième
partie de cette thèse s’articule autour des notions de participation, de gouvernance
urbaine et de développement territorial.
211
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Introduction
« […] des acteurs jusque-là en marge du système de décision font leur apparition :
élus locaux, fonctionnaires territoriaux, associations de défense de
l’environnement ou du cadre de vie, habitants, etc. Dans certaines villes, des
dispositifs de participation sont mis en œuvre afin d’associer la population à la
définition des grandes orientations de ce que peut être une politique de protection
du patrimoine soucieuse de préserver des bâtiments que l’État ne considère pas
comme étant d’un intérêt national. » (Poupeau, 2009, p. 124)
212
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
A travers l’histoire, le pouvoir des villes a été fluctuant, la dualité entre les cités et
les états n'a pas toujours été à l'avantage de ceux-ci. Les cités-villes ont longtemps
été affranchies et avaient un grand pouvoir jusqu'à constituer des cité-états.
Néanmoins, l'émergence des états-royaux, en s'inspirant des cités, aura pour effet
la volonté de maîtriser l'ascension des villes (Stébé & Marchal, 2019a). La dualité
entre la ville et l'état va continuer jusqu’aujourd’hui tournant tantôt à l'avantage de
la ville lors de l'institution de l'élection du maire au suffrage universel tantôt à
l'avantage de l'état après la Deuxième Guerre mondiale où l'état central aura une
grande emprise sur les villes :
[...] En France, l’urbanisation du pays durant les décennies 1950 et 1960 n’est pas
le fait dans une large mesure des villes mais bien de l’État qui devient alors un
acteur central de l’aménagement de territoire : l’État décide de l’implantation des
grandes infrastructures industrielles, désigne les « architectes-urbanistes » pour la
réalisation des Zones à urbaniser en priorité (ZUP), la modernisation des villes et
la création des villes nouvelles…
214
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Dans les faits deux manières de faire de la gouvernance existent (Stébé & Marchal,
2019a). Une gouvernance, d’abord, privilégiant le développement économique, ce
que David Mangin a appelé la ville « franchisée », dans le sens où l'espace de la
ville est commercialisé et donc naturellement obtenu par les grandes sociétés et
entreprises. Une gouvernance, ensuite, qui essaye de conjuguer le
développement économique avec la qualité de vie de tous les habitants même les
plus démunis et la valorisation de leur patrimoine pour légitimer les territoires.
En France, plusieurs lois ont été votées allant dans le sens d’une plus grande
concertation dans la gestion de la ville :
la loi d'orientation sur la ville de 1991 pose les principes d'une concertation
de la société civile pour les grandes opérations dans les villes ;
la loi Barnier de 1995 institue le débat public notamment pour les projets
ayant un effet important sur l'environnement ;
215
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Parce que les urbanistes, mais aussi les élus locaux, l’État et les experts en tout
genre peuvent de moins en moins fonder leurs actions et leurs propositions à partir
d’un intérêt général aux contours bien définis, ils sont conduits à mettre leurs
compétences au service de multiples groupes sociaux et individus. C’est dire si
« le néo-urbanisme privilégie la négociation et le compromis par rapport à
l’application de la règle majoritaire, le contrat par rapport à la loi, la solution ad hoc
par rapport à la norme » (Ascher, 2004, p. 92). Cette observation est d’autant plus
vraie que les urbanistes doivent compter avec une vie associative qui ne décroît
pas, des individus pluriels de plus en plus formés et informés n’hésitant pas à faire
valoir leurs droits et leurs intérêts (Chadoin, 2004)
216
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Autrement dit, il ne s'agit plus, pour eux, d'élaborer des stratégies qu'ils jugent
pertinentes pour le bien de tous, mais de tenir compte des différents souhaits des
habitants et de leur volonté de décider du futur de leur milieu de vie.
I.2. L’empowerment
Ces trois modèles montrent très bien la nécessité d'une remise en cause du
modèle de gouvernement classique et d'aller vers une gouvernance à différentes
échelles locales et une participation de la société civile dans les processus de prise
de décision.
218
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
De son coté, Bernard Jouve explique que l'empowerment « vise à renverser les
rapports classiques de domination entre l'état et la société civile par le biais de
transfert de ressources politiques et de capacité d'organisation » (Jouve, 2006, p.
5). Le terme désignerait « un ensemble de transformations majeures aussi bien
dans la manière de mener les politiques de lutte contre la pauvreté que dans le
cadre analytique à travers lequel l'individu et les groupes sociaux - compris comme
des sujets politiques - envisagent leur rapport à la puissance publique et en
premier lieu à l'état. » (Jouve, 2006, p. 5)
219
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
En 1994 les maires de plusieurs grandes villes lancent un appel pour alerter sur
l'amplification des inégalités sociales et la constitution de poches de pauvreté,
notamment dans les grands ensembles construits en grande quantité en
Allemagne. En réponse à ces problèmes, le programme Soziale Stadt va être
élaboré, il visera l'échelle locale et particulièrement les quartiers.
Le budget de 358 millions d'euros avec près de 30 millions d'euro utilisés par an
est cofinancé par l'Etat fédéral, les länder (Etats) et les municipalités. Il est mis en
œuvre actuellement dans 363 zones urbaines qui sont définies en fonction des
différents indicateurs sociaux et économiques.
Le dernier point est crucial puisqu'il va dans le sens d'un empowerment des
résidents des quartiers démunis.
220
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Des outils ont été créés afin de gérer la complexité des projets et la coordination
entre les différents secteurs publics et privés comme le « quartiersmanagement »
ainsi que des structures participatives.
Mais comme l'explique Mayer, le programme Soziale Stadt n'est pas entièrement
libéré de l'ancienne manière de faire. Si le développement urbain est abordé de
manière différente, en se basant sur les municipalités et l'empowerment des
individus et des groupes, le cadre législatif reste le même et le contrôle de l'Etat
fédéral persiste (Mayer, 2006).
L'exemple de Berlin est édifiant puisque 17 quartiers de la ville ont reçu 109
millions d'euros provenant de la municipalité, de l'Etat fédéral et de l'Union
Européenne. Ces financements, le programme Soziale Stadt, ne fait en réalité
qu’en fixer le cadre opératoire et laisse la définition d'une stratégie essentiellement
aux bureaux de quartier qui déterminent les besoins et les attentes des habitants
(Mayer, 2006). Les autorités habituellement en charge de la planification urbaine
délèguent ainsi leurs responsabilités, conscients que les outils dont ils disposent
ne sont plus efficaces si tant est qu'ils l'aient été.
221
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Le programme favorise les projets qui s’appuient sur les ressources locales et qui
sont destinés à être mis en œuvre par la communauté elle-même. Par ailleurs,
sont adoptées, les approches globales intégrant les besoins des personnes, des
communautés et des régions dans une interdépendance des échelles.
la création d’entreprises ;
222
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
223
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Ces images de démolitions d'immeubles par l'explosif ont été réalisées dans les
banlieues de quelques grandes villes françaises. Les photographies, prises au
moment où l'édifice vacille, évoquent la vulnérabilité de sa structure en même
temps que la fragilité sociale de ceux qui l'habitaient. Le caractère festif et
spectaculaire que les édiles locaux confèrent volontiers à ces manifestations
publiques dissimule mal le fait qu'avec l'immeuble c'est toute une mémoire du
quartier qui disparaît
224
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Photo 46 : Photo extraite de l’exposition « Implosions » de Mathieu Pernot, 2002. Photo Mathieu
Pernot, s. d.
Photo 47 : Photo extraite de l’exposition « Implosions » de Mathieu Pernot, 2002, Photo Mathieu
Pernot s. d.
225
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Vincent Veschambre explique que, dans certains cas, les aménageurs ont pu
sous-estimer l'ancrage des habitants à leur quartier même si celui-ci souffrait de
grandes dégradations. Il cite en ce sens l'exemple de la cité de Verneau à Angers
où de nombreuses plaintes ont été recensées de la part des habitants de cette
cité:
Ils ne savent pas le mal qu'ils nous font. On laisse tous nos souvenirs, on laisse
toutes nos joies et nos peines, on nous arrache quelque chose quoi...
Encadré 67 : Permanence "Hamon tourne la page" : entretien collectif avec des habitantes ayant
déménagé (avril 2007) (Veschambre, 2008)
Le Havre
Le cas du Havre nous intéresse du point de vue patrimonial pour plusieurs raisons.
D'abord la ville du Havre montre très bien l'extension qu'a pu prendre la notion de
patrimoine puisqu'elle inclue différents patrimoines de différentes périodes
jusqu'au XXème siècle. Ensuite l'architecture de reconstruction d'Auguste Perret a
fait l'objet d'un processus de patrimonialisation par désignation. Enfin, l'exemple
du Havre montre comment, dans un contexte d'absence de dynamisme, on a
essayé de fabriquer un futur patrimoine en ayant recours à des stars de
226
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Photo 48 : L’espace Oscar Niemeyer, Le Havre (unesco.lehavre.fr). Photo auteur inconnu, s.d
Photo 49 : Bain des docs, Le Havre (jeannouvel.com). Photo auteur inconnu, s.d
227
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Photo 50 : Architecture d’August Perret au Havre (franceculture.fr). Photo auteur inconnu, s.d
C’est ridicule… mais il ne faut pas le dire à monsieur le Maire… Mais quand vous
voyez des villes comme Athènes, où, ça n’a rien à voir… Moi si j’avais de l’argent,
je mettrais tout par terre et je mettrais autre chose. […] Je trouve ça lamentable,
on a vécu là-dedans, c’était pas mal, confortable mais quand on voit qu’on
compare ça à Angkor, c’est lamentable, je ne sais pas comment il a attrapé ça,
mais c’est n’importe quoi ! […] Quand on voit Vienne, Prague, Budapest, trois
villes, qui sont autre chose que Le Havre
Encadré 68 : Extrait d’entretien mené avec un habitant du Havre (Montjaret et al cité dans
Gravari-Barbas & Renard, 2010, p. 69)
228
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Autant Le Havre, quand j’étais petite, je trouvais que c’était pas très beau, c’était
gris, mais depuis quelques années, ça a beaucoup évolué. La ville s’est
embellie […] c’est toujours les mêmes constructions, je suis d’accord, mais il y a
eu des efforts, par exemple pour la gare, l’université, le bord de mer… Beaucoup
de choses ont été améliorées.
Encadré 69 : Extrait d’entretien mené avec une habitante du Havre (Gravari-Barbas & Renard,
2010, p. 70)
Mais comme il semble que l'appropriation de l'architecture reste dans une grande
mesure encore fragile, face à l'investissement de la municipalité, il n'y a pas eu
230
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
L’unité Billardon
Photo 51 : Unité Billardon à Dijon avant sa démolition (Mairie de Dijon). Photo auteur inconnu, s.d
231
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Beaulieu
232
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
La ville de Saint Etienne est également labellisée « Ville d'art et d'histoire ». Cette
labellisation est le résultat d'un travail de la municipalité et des réseaux
administratifs mais aussi d’une vision commune avec les services de la direction
des affaires culturelles (Kaddour, 2013). La présentation du dossier de candidature
montre très bien l'émergence d'un patrimoine nouveau :
233
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Sans doute faut-il voir derrière cette cacophonie la difficulté qu'il y a à assumer
dans toutes ses composantes un héritage industriel qui, au-delà de sa valorisation
dans les mentalités locales, est par nature conflictuel, car y sont inscrites à la fois
la mémoire de luttes, celle de l'exploitation et celle d'une domination dont la
légitimité est sapée par la valorisation de ce qui est un témoignage de l'échec
D'autre édifices anciens de périodes antérieures ont quant à eux été démolis dans
le cadre de logiques marchande et afin de libérer des terrains stratégiques malgré
l'opposition de la société civile (Kaddour, 2013).
Utopies Réalisées
234
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Photo 53 : Le quartier des états unis à Lyon (lyon-france.com). Photo auteur inconnu, s.d
D’abord, le quartier des états unis de Tony Garnier (Photo 53), non classé, a fait
l’objet d’une stratégie particulière, à partir des années 1990 qui a consisté en l’ajout
de peintures sur les différents murs pignons du quartier. Celui-ci a ainsi été
transformé en musée urbain.
235
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Photo 54 : Quartier des Gratte-ciels à Villeurbanne (lyon-france.com). Photo auteur inconnu, s.d
Ensuite, le quartier des gratte-ciels construit en 1927, comporte l’un des premiers
gratte-ciels modernes construits en France. L’hôtel de Ville (Photo 54) est inscrit à
l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1991. En 1993,
une Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et paysager (ZPPAUP)
est établie dans l’objectif de protéger l’ensemble du quartier des Gratte-ciels.
236
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 01
Conclusion du chapitre :
237
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
238
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
239
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
L'État est fondé sur les principes d'organisation démocratique, de séparation des
pouvoirs et de justice sociale. L'assemblée élue constitue le cadre dans lequel
s'exprime la volonté du peuple et s'exerce le contrôle de l'action des pouvoirs
publics. L'état encourage la démocratie participative au niveau des collectivités
locales.
240
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
renforcer le dialogue entre l'État central, les autorités locales, les jeunes et
la société civile ;
la mise à disposition des élus locaux et de la société civile des outils et des
mécanismes de gestion et d'échange d'expériences entre territoires ;
241
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Une grande partie des travaux ayant un impact considérable sur la ville sont
décidés sans aucune consultation avec les assemblées locales ni les associations.
A ce propos, Nadjet Mouaziz-Bouchentouf cite l'exemple des élargissements des
voies de circulation et parallèlement la réduction des largeurs de trottoir et la
destruction de certains espaces verts dans la ville d'Oran. L'établissement du POS,
quant à lui, fait l'objet de tractations et de manœuvres de la part des acteurs du
secteur de l'immobilier dans des stratégies marchandes ce qui aboutit à des
situations transgressant les règles les plus basiques de l’urbanisme (Mouaziz-
Bouchentouf, 2008). Par ailleurs, les plans d'urbanisme sont, dans la majorité des
cas, établis sans l'intervention du réseau associatif. En témoigne le cas de ce
comité de quartier de Yaghmouracen (Oran) qui s'est opposé à la construction
d'une maison de jeunes et d'un centre commercial dans le quartier et qui s'est vu
répondre une fin de non-recevoir, les projets étant déjà inscrits dans le POS
(Mouaziz-Bouchentouf, 2008).
242
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Dans les faits, la seule structure effective permettant une certaine participation,
bien que limitée de l’habitant, semble être le comité de quartier, sensé servir
d’interface entre les habitants et les pouvoirs publics.
Interrogés sur leur comité de quartier, les habitants de Diar El Mahçoul ont émis
de fortes réserves quant à la crédibilité de celui-ci. En effet, dans une cité comme
El Mahçoul où, régulièrement, des habitants manifestent pour réclamer
l’amélioration de leurs conditions de vie, le comité de quartier est devenu un outil
stratégique à la disposition des pouvoirs publics pour calmer ou prévenir la révolte
des habitants comme nous l’ont affirmé plusieurs enquêtés :
Non je n’ai rien à voir avec le comité de quartier, ce n’est rien d’autre qu’un avant-
poste de l’État dans la cité, ses membres préviennent le pouvoir à chaque fois
qu’on veut manifester…la dernière fois, on venait à peine d’en parler qu’on se
faisait déjà arrêter par la police qui était renseignée par certains membres
243
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
La situation n’est pas différente à Confort qui a son propre comité de quartier et où
celui-ci est perçu comme un moyen pour ses membres d’obtenir des avantages
personnels auprès des pouvoirs publics :
Le comité de quartier ! [Rire de l’enquêté] Je ne veux rien avoir à faire avec eux,
ils ne font que ménager les habitants contre des avantages et des appartements
qu’ils obtiennent de la part de la mairie
Mais cela ne veut pas dire que les habitants ne s’impliquent pas dans le quartier.
Ceux-ci s’organisent en dehors du cadre du comité de quartier pour effectuer
différentes activités et expriment clairement une volonté de peser dans le devenir
de leur quartier.
Nous essayons de sensibiliser les jeunes hommes, surtout ceux qui participent au
trafic de drogue. Hier par exemple on les a emmenés pour faire du volontariat, on
a distribué de la nourriture en ville aux SDF
Interrogés sur le devenir de leur quartier, les habitants d’El Mahçoul montrent une
frustration due au fait qu’ils ne sont pas associés au processus de prise de décision
244
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
ni même informés comme l’évoque cet enquêté dont les propos sont exemplaires
de ceux d’El Mahçoul :
On ne sait pas du tout ce qu’ils veulent faire de la cité. Ils ont déjà relogé une partie
des habitants et vidé leurs appartements, ils les ont cadenassés pour qu’on ne les
utilise pas. Je ne vois pas pourquoi ils font ça… Une fois il y a des militaires qui
sont venus regarder la cité de loin, ils voulaient la prendre, mais elle ne leur a pas
plu. Moi si j’avais assez d’espace j’aimerais bien rester ici, j’ai grandi ici, je ne me
vois pas vivre ailleurs […] S’ils faisaient la même chose que ce qu’ils ont fait à Diar
El Kef ce serait bien…
Ainsi, si les habitants d’El Mahçoul veulent être relogés, étant donné la dégradation
avancée de leur cité, les enquêtés ont dans leur majorité exprimé une volonté de
rester dans le quartier si celui-ci était réhabilité et que les appartements étaient
agrandis. La perspective de voir leur quartier être approprié par un personnel
militaire ou celui d’une administration, comme cela a été le cas dans certains
grands ensembles, est très mal perçue par les résidents.
Force est de constater que, dans Diar El Mahçoul, la volonté majoritaire des
résidents de s’impliquer dans le devenir et dans la vie quotidienne du quartier se
heurte à leur exclusion effective du processus de prise de décision et à des
structures participatives qui sont déviées de leurs rôles pour servir les agendas
personnels ainsi que les stratégies des pouvoirs publics.
II.3.1. La démolition
Les démolitions de grands ensembles en Algérie n’ont pas été très nombreuses.
En effet, comme dans d’autres pays socialistes, la crise du logement, la valeur
d’usage et le coût de la démolition/reconstruction a parfois découragé les pouvoirs
publics. Mais on peut dénombrer quelques démolitions spectaculaires dans les
245
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Cette cité, qualifiée parfois de « hideuse » est construite en 1958 dans le cadre du
plan de Constantine. Elle logeait, en 2016, avant sa démolition, plus de 1500
habitants4. Les logements de cette cité, très petits et inadaptés à la taille de la
famille algérienne, étaient rudimentaires et de type « évolutif ». La cité était connue
pour son taux élevé de criminalité ainsi que par l’insécurité qui y régnait.
[…] au bout d’un long calvaire fait d’exiguïté et de promiscuité, les habitants de la
cité « mouroir » de Diar Echems ont enfin goûté à la joie d’un logis décent à
Djenane S’fari de Birkhadem et à destination d’autres contrées qui ont contribué à
faire de ces citoyens, des femmes et des hommes heureux.
Mais si l’on s’intéresse aux différentes pages dans les réseaux sociaux consacrées
à la cité Diar Echems, on se rend compte que ce soulagement des habitants est
souvent accompagné d’un sentiment de déchirure envers ce grand ensemble dans
lequel ils ont grandi et envers lequel ils ont construit une appartenance. A ce
propos, les vidéos commémoratives de cette cité sont nombreuses sur les réseaux
sociaux et ses anciens résidents expriment leur tristesse.
246
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Etant située dans la commune de Salembier, la cité Diar Echems a fait l’objet de
plusieurs discussions avec les habitants de Diar El Mahçoul et de Diar Essaada.
Si les enquêtés évoquent souvent une cité problématique, ils ne manquent pas
d’exprimer une certaine tristesse comme cet habitant de Diar Essaada :
C’est vrai que si tu n’étais pas du quartier c’était un peu dangereux d’aller à Diar
Echems […] mais maintenant qu’ils sont partis il y a clairement moins d’ambiance
à Salembier, les matchs de foot entre habitants de Diar Essaada et ceux de Diar
Echems nous manquent
Notons également que, face à la répartition des habitants de Diar Echems dans
plusieurs nouveaux quartiers, ceux-ci ont clairement exprimé leur souhait d’être
tous relogés dans le même quartier. Ceci met en évidence les relations de
sociabilités étroites qui se sont constituées dans le grand ensemble.
La cité Diar Enakhla est un grand ensemble construit en 1959 à Sétif dans le cadre
du plan de Constantine. Elle comportait des logements rudimentaires de type
évolutif destinés initialement à une population musulmane dans le contexte de la
colonisation. La cité a connu des dégradations majeures, jusqu’à constituer un
danger pour ses habitants. Néanmoins, quand la démolition de cette cité a été
envisagée, certains acteurs s’y étaient opposés, mettant en relief les qualités de
cette cité ainsi que la vie qui y existait malgré les conditions difficiles. La lettre
ouverte au Wali de Sétif émanant de Semai Bouadjadja, enseignante
d’architecture, est, à cet égard édifiante (Encadré 79). Mais ces voix qui se sont
élevées n’ont pas pu éviter la démolition de cette cité intervenue en 2009.
[…] Diar Enakhla, un témoin majeur de l’architecture moderne à Sétif. Une cité de
200 logements, qui s’inscrit dans le contexte de production du logement social de
247
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
la fin des années cinquante en Algérie. Contemporaine des réformes menées par
Chevalier à Alger et des opérations qui en découlent : celles de Pouillon à Diar
Essaâda, Diar el mahçoul et Climat de France, celle de Lathuillière et Di Martino
dans Haouch Oulid Adda, à Ouchaya, celle de Regeste et Bellissent dans la cité
« Les Dunes » ou alors celle de Maury même, à Djenane Ben Omar. « Diar
Enakhla », traduction presque intégrale de « La cité du palmier » qu’on doit aux
architectes Maury et Pons, opération qui fût orchestrée par l’architecte municipal
Jdanoff est une case du puzzle du patrimoine moderne sétifien « qui appartient
aussi bien au patrimoine algérien comme à l’histoire de l’architecture tout court ».
Composée de six barres desservies par des coursives et reliées par des
passerelles expérimentant les principes corbuséens, Diar Enakhla oppose de
longues barres orientées Est –Ouest, répondant au souci hygiéniste, à d’autres
plus petites orientées Nord-Sud permettant d’englober les espaces ouverts sur le
ciel sans pour autant les fermer. L’escalier loin d’être « une cage », offre plus on
progresse en hauteur, des vues panoramiques de plus en plus saisissantes.
Diar –Enakhla mis à part son caractère normatif, est une véritable leçon
d’architecture pour paraphraser André Ravéreau.
Réalisée par la société des anciens combattants, « la cité des palmiers » « cité
jardin » verticale, promouvant l’esprit de rationalité, se traduisant par la rentabilité
du sol remontant à existence minimum des utopies du début du XXème siècle,
laissera mourir de solitude sa sœur aînée « L’combata », celle-ci pensée dans un
esprit paysager satisfaisant l’individualisme à travers l’espace familial bien
enveloppé par rapport à la rue et au « close », espace de collectivité et de
convivialité par excellence.
248
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Penser que Diar Enakhla doit subir le sort des banlieues tristes et désertées que
l’Europe a décidé de démolir serait une grave erreur. De par sa situation urbaine,
son rapport extraordinaire au site mettant en valeur le paysage, Diar ennakhla est
une cité qui regorge de vie même si aujourd’hui elle menace réellement et
sérieusement celles de ses habitants.
Comparer le prix de démolition à celui de la rénovation est une aberration, car par
la démolition « Diar Enakhla » ne seront plus, et un chaînon de l’histoire urbaine
et architecturale de Sétif aura disparu.
D’autres villes ont connu des démolitions de grands ensembles avec des réactions
tout aussi mitigées des différents acteurs de la ville comme la démolition de la cité
Diar El Hana (Photo 55) dans la ville de Mostaganem.
249
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Les termes diffèrent pour désigner les opérations de restructuration des grands
ensembles. Appelées parfois « requalification », parfois « restructuration », ces
opérations n’ont pas été généralisées en Algérie. Cependant, quelques opérations
pilotes ont été menées dans ce sens. Nous nous intéresserons ici à deux
exemples : D’un côté, celui de la cité Diar El Kef à Alger, que nous avons abordé
dans la première partie de cette thèse comme étant une des productions de
logements les plus rudimentaires. De l’autre, nous étudierons l’exemple de la
requalification d’un grand ensemble dans la cité des Amandiers, en mettant à
250
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
La plus grande partie du travail sur ce grand ensemble s’est concentrée sur
l’intérieur des logements. En effet, les logements très exigus de type F1, c’est-à-
dire constitués d’une seule pièce (Plan 4) et généralisés dans tout le grand
ensemble, étaient clairement inadaptés à la vie d’une famille. La transformation a
donc consisté en des regroupements de logements de type F1 pour constituer des
logements de type F2, F3 ou F4.
Photo 56 : Bâtiment en cours de requalification dans la cité Diar El Kef, Alger (Rif, 2005). Photo
auteur inconnu, s.d
251
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Plan 4 : Plan initial des logements dans la cité Diar El Kef (Rif, 2005)
Le préalable à une telle opération est évidemment le relogement d’une partie des
habitants de Diar El Kef. En l’occurrence, la liste des habitants relogés a été établie
en concertation avec ces derniers, une partie ayant exprimé son souhait de quitter
le grand ensemble, l’autre ayant préféré rester comme l’explique le Wali délégué
de la daïra de Bab El Oued :
Pour rendre possible cette opération, j’ai personnellement reçu dans mon bureau
les représentants des familles concernées et par conséquent étudié les dossiers
au cas par cas avant de trancher
Encadré 80 : Extrait d’entretien de Nahla Rif avec le Wali délégué de Bab El Oued (Rif, 2005)
252
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Plan 5 : Regroupement de deux appartements dans la cité Diar El Kef (Bureau d’étude FAUR)
Plan 6 : Regroupement de deux appartements en duplex dans la cité Diar El Kef (Bureau d’étude
FAUR)
253
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Plan 7 : Transformation de toilettes collectives en appartement dans la cité Diar El Kef (Bureau
d’étude FAUR)
Plan 8 : Reconversion d’un bloc en bibliothèque dans la cité Diar El Kef (Bureau d’étude FAUR)
254
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
- même si le budget prévu qui représente 40% à 50% du coût d’un logement
social neuf a été dépassé, il reste tout de même inférieur à celui-ci. Dès lors,
l’argument financier de la démolition ne tient plus ;
255
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Du point de vue des travaux en eux-mêmes, le projet n’est pas très différent de
l’expérimentation de la cité Diar El Kef. Il s’agit, outre la réhabilitation du bâti
existant, d’intervenir pour répondre aux problèmes identifiés dans cette cité
(Benehar, 2004).
Plan 9 : Plan initial de logements de la cité des Amandiers (Bet AUA SA)
Plan 10 : Plan des logements de la cité des Amendiers après modifications (Bet AUA SA)
Photo 57 : Extension des logements à la cité des Amandiers (Bet AUA SA). Photo auteur
inconnu, s.d
257
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Plan 11 : Aménagement des cœurs d’îlots dans la cité des Amendiers (Benehar, 2004)
Il s’agissait ici de hiérarchiser les grands espaces se trouvant entre les barres.
- La gestion urbaine :
258
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Des espaces publics et semi publics protégés à l’intérieur ou à l’extérieur des blocs
ont été aménagés comme espaces de rencontre pour les habitants.
- L’intégration à l’environnement :
- Les habitants ont également été impliqués dans l’élaboration du projet. Pour
cela, plusieurs réunions de concertations ont été menées avec eux pour
définir leurs besoins et une enquête sociologique a été menée sur le terrain.
259
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Photo 58 : Réunion de concertation avec les habitants (Bet AUA SA). Photo auteur inconnu, s.d
Photo 59 : Exposition permanente du projet (Bet AUA SA). Photo auteur inconnu, s.d
260
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
En conclusion, l’opération semble avoir été bien reçue par les habitants et
constitue une première expérience d’une restructuration et réhabilitation d’un
grand ensemble en concertation avec ses habitants et leur implication financière.
Mais cette opération pilote n’a pas été menée à son terme ni reproduite dans
d’autres grands ensembles notamment en raison de la participation financière des
habitants qu’elle présuppose. Actuellement, les opérations d’amélioration urbaines
sont mises en œuvre mais il ne s’agit plus que d’aménagements extérieurs et de
réhabilitations superficielles menées sans concertation avec les habitants.
Une des stratégies adoptées dans les grands ensembles a été leur réutilisation
pour loger le personnel militaire ou celui d’une administration d’Etat. Le procédé
est accompagné par une réhabilitation des bâtiments et par un meilleur entretien.
Nous pouvons citer à titre d’exemple la cité d’El Kerma construite par Fernand
Pouillon en 1957.
Image 23 : Grand ensemble d’El Kerma, division actuelle de la cité (Image google map moodifiée
par l’auteur, 2017)
261
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Si cette cité ne constituait à la base qu’une seule unité, elle a, après l’indépendance
de l’Algérie, fait l’objet d’une division. Une partie de la cité continue aujourd’hui
d’être habitée par une population civile alors que l’autre partie, réhabilitée, clôturée
et gardée (Image 23) est aujourd’hui habitée par des militaires ainsi que leurs
familles.
La stratégie de reconversion :
L’exigüité des logements dits évolutifs et l’impossibilité d’y loger des familles sans
extension du logement a donné lieu à une réflexion sur les possibilités de
reconversion en cités universitaires. En effet, pour plusieurs architectes, cette
solution reste préférable à une démolition pure et simple des cités (A. Samai
Bouadjadja, 2009).
La restauration de Confort :
La cité Diar El Mahçoul connait depuis, 2018, une opération de réhabilitation, dans
sa partie confort, financée conjointement par les autorités algériennes et la
Fondation Pouillon.
Il s’agit donc d’une réhabilitation, certes plus poussée que les réhabilitations
habituelles, mais qui reste très superficielle. En effet, les halls d’entrée, les
logements et l’étanchéité des terrasses ne font eux l’objet d’aucune intervention.
Du point de vue des habitants, si la restauration des façades est la bienvenue, ils
ne sont néanmoins pas dupes. Le fait que les logements en eux-mêmes ne soient
pas réhabilités montre qu’il s’agit plus d’une volonté de mettre en valeur, de
263
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
[…] On refuse qu’on touche aux anciennes gaines. Eux ils veulent faire passer les
câblages qui sont actuellement sur les façades pour mettre les paraboles sur les
terrasses et les unifier. Mais en faisant ça ils vont abimer l’étanchéité.
Conclusion du chapitre :
264
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie Chapitre 02
Du point de vue des opérations menées dans les grands ensembles en Algérie,
trois éléments émergent : d’abord, la diversité des grands ensembles et leurs
spécificités en Algérie ont donné lieu à une diversité des interventions. Ensuite, les
opérations de démolitions, bien que rares, semblent mal vécues par les habitants
malgré leur accession à de nouveaux logements. Les opérations de
restructurations, en plus de permettre de sauvegarder des éléments patrimoniaux
importants et les mémoires collectives, semblent être mieux reçues par les
habitants. Enfin, l’opération de la cité des Amandiers montre combien la
concertation avec les habitants et leur participation est primordiale pour la
construction du projet et sa réussite.
265
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie
266
Troisième partie : Gouvernance urbaine et devenir des grands ensembles dans le
monde et en Algérie
aucune stratégie préétablie alors que les enquêtés nous ont exprimé leur volonté
de rester dans le quartier si les logements sont transformés.
267
Conclusion générale
Conclusion générale
Quand le grand ensemble devient territoire
268
Conclusion générale
Pour revenir à notre question de départ, la réponse que nous apportons est
plurielle car, au vu de la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les
grands ensembles et de la variété des modes d’habiter, force est de constater que
l’on n’habite pas ces cités d’habitat social d’une seule manière. En effet, habiter
les grands ensembles en Algérie réunit plusieurs paradoxes : celui de revendiquer
les valeurs patrimoniales de sa cité, tout en étant captif d’un logement non adapté
et qu’on ne peut quitter par manque de moyens. C’est celui de la constitution de
solidarités à plusieurs échelles allant du palier au quartier en passant par la rue et
le bloc. C’est également le paradoxe de vies sociales intenses, qui font la
particularité de ces grands ensembles, mais subies puisqu’elles sont
conditionnées par l’architecture même de ces cités.
L’étude des représentations des habitants a, de son côté, montré que les grands
ensembles souvent critiqués pour l’absence d’identité qu’ils génèrent (Villechaise,
1997) ont donné lieu, dans nos cas d’études, à la constitution d’identités collectives
fortes et spatialement marquées. Habiter les grands ensembles c’est donc
également constituer, en tant que groupe, de multiples identités collectives
spatialement marquées et à différentes échelles. Ces identités liées parfois à la
commune, parfois au grand ensemble ou parfois à une de ses parties, l’habitant
les choisit, les rejette ou les superpose.
A partir de là, nous validons la première hypothèse formulée et affirmons que les
grands ensembles ne sont plus -Si tant est qu’ils l’aient été- ces objets modernes
obsolètes mais des grands ensembles hybrides (Simay & Klouche, 2010) puisque
transformés et territorialisés. En effet, ces grands ensembles issus d’un urbanisme
moderne caractérisé par une déterritorialisation du sol se trouvent aujourd’hui
territorialisés à plusieurs échelles, allant de la commune au micro-quartier en
passant par le sous-quartier. Ils possèdent cette double dimension matérielle
(espace géographique et cadre bâti) et immatérielle (valeur patrimoniale affectée
270
Conclusion générale
par les habitants, modes d’habiter et identités) qui donne lieu à la constitution d’un
territoire. Par ailleurs, habiter les grands ensembles, c’est constituer une multitude
de micro-territoires et de « coins » (Marchal, 2017) solidaires : ce qui donner lieu
à un quartier à géométrie variable (Grafmeyer, 2007).
Les grands ensembles étudiés ici confirment que les notions de « patrimoine », de
« territoire » et de « gouvernance » sont étroitement liées. Les résultats de notre
recherche montrent que plus le résident crée un lien avec son quartier, plus il lui
confère des valeurs patrimoniales et s’identifie à lui. En conséquence de quoi il
refuse que son évolution lui échappe et veut avoir son mot à dire le concernant.
Les trois notions dont il est question ici apparaissent dès lors primordiales dans
une réflexion sur le devenir de ces cités d’habitat social.
architecture souvent très dégradée. Ceci nous met face à la difficulté d’intervenir
sur un habitat qui ne répond plus aux exigences actuelles, mais aussi, face à des
identités collectives, des modes d’habiter et des territoires qu’il s’agit de conserver
et de considérer comme des atouts. Plusieurs questions se posent dès lors :
comment patrimonialiser les grands ensembles sans pour autant figer des
conditions de vie parfois insoutenables pour les habitants comme dans le cas de
la cité El Mahçoul ? A cet égard, le classement traditionnel ne semble pas
constituer une solution puisqu’il empêcherait la transformation de l’architecture de
ces quartiers. Doit-en alors reconvertir ces bâtiments et leur affecter d’autres
fonctions et d’autres populations ? Dans le cas des cités étudiées, la dimension
patrimoniale est étroitement liée à la population et une reconversion donnerait lieu
à la négation des identités et des territoires qui se sont constitués. Par ailleurs,
ceci peut également se traduire par une transformation de l’architecture du quartier
et par un risque de gentrification, synonyme de départ des populations originaires.
A cet égard, ce travail va dans le sens des thèses formulées par Vincent
Veschambre et Rachid Kaddour concernant le vécu de la démolition et des
transformations violentes des grands ensembles et leur répercussion en matière
d’exclusion de groupes sociaux déjà fragilisés (Kaddour, 2013; Veschambre,
2008).
272
Conclusion générale
de regard sur le devenir de leur quartier, montrent une volonté de peser dans le
processus de prise de décision et revendiquent la prise en compte de leurs modes
d’habiter.
Le passage des conclusions sur les grands ensembles étudiés dans le cadre de
cette thèse à la généralisation à tous les grands ensembles d’Algérie n’est pas
sans imposer un certain nombre de précautions. Nous avons montré dès le départ
que la production locale des grands ensembles a été très diverse. Les grands
ensembles étudiés de manière approfondie étant l’œuvre d’un architecte
exceptionnel, et dont les réalisations connaissent déjà en France une certaine
reconnaissance patrimoniale5, il serait trompeur d’assimiler tous les grands
ensembles à ceux observés ici. Une grande partie des cités construites en Algérie
273
Conclusion générale
est loin de présenter les mêmes valeurs artistiques que celles présentées par les
grands ensembles de Salembier à Alger. Cela étant dit, la valeur historique et
artistique de grands ensembles hérités d’une période particulière de l’histoire qui
ne se répétera plus (Riegl, 2003a), résultant d’idéaux utopiques qui n’auront plus
jamais lieu d’être dans une telle forme urbaine et construits dans un contexte
particulier de discrimination d’Etat, est, quant à elle, présente dans nombre de
grands ensembles en Algérie. A ce titre, ce type de grands ensembles n’est pas
différent du cas nantais de Beaulieu tel que l’analyse Rachid Kaddour (Kaddour,
2013). Les différents exemples de patrimonialisation ont montré que, d’un grand
ensemble à l’autre, ce n’est pas la même nature de la valeur patrimoniale qui est
mise en avant. La décision revient souvent aux collectivités locales et aux
différents acteurs selon l’image qu’ils veulent donner de la ville et le regard porté
sur son histoire, parfois assumé, parfois rejeté.
Perspectives de recherches
Si l’enquête approfondie menée dans cette thèse n’a concerné que les grands
ensembles de Salembier, l’enquête exploratoire, quant à elle, a été menée dans
plusieurs autres grands ensembles et a abouti aux mêmes conclusions. C’est
pourquoi, en termes de perspectives de recherche, des travaux similaires dans
d’autres grands ensembles permettraient d’étayer nos conclusions concernant la
patrimonialisation et la territorialisation de cette forme d’habitat.
274
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Annexe
290
Guide d’entretien semi-directif
Présentation
Perception du quartier
D’une manière générale est’ce que vous êtes satisfait de votre quartier ?
Pourquoi ?
Valeur patrimoniale
292
Implication dans le quartier
Si oui :
Combien de fois ?
Si non :
Pourquoi ?
293
Liste des figures
294
Plan 6 : Regroupement de deux appartements en duplex dans la cité Diar El Kef
.......................................................................................................................... 253
Plan 7 : Transformation de toilettes collectives en appartement dans la cité Diar El
Kef .................................................................................................................... 254
Plan 8 : Reconversion d’un bloc en bibliothèque dans la cité Diar El Kef ......... 254
Plan 9 : Plan initial de logements de la cité des Amandiers .............................. 256
Plan 10 : Plan des logements de la cité des Amendiers après modifications ... 257
Plan 11 : Aménagement des cœurs d’îlots dans la cité des Amendiers ........... 258
296
Photo 21 : Cité Diar El Mahçoul, Alger.............................................................. 103
Photo 22 : Marché à El Mahçoul, Alger............................................................. 104
Photo 23 : Place des 200 colonnes, Cité Climat de France, Alger .................... 105
Photo 24 : Grand ensemble d'El Kerma, Oran .................................................. 107
Photo 25 : Utilisation de la brique dans la cité Climat de France, Alger ............ 107
Photo 26 : Utilisation de la faïence à Confort, Alger.......................................... 108
Photo 27 : Voûtes de l'ancienne église de Confort, Alger ................................. 109
Photo 28 : Coupoles de la cité Climat de France, Alger.................................... 110
Photo 29 : Portique, Confort, Alger ................................................................... 111
Photo 30 : Portique de l'entrée de la place des 200 colonnes, Cité Climat de
France, Alger .................................................................................................... 111
Photo 31 : Modification d’une façade à Confort, Alger ...................................... 122
Photo 32 : Transformation du marché couvert à Confort, Alger ........................ 122
Photo 33: Habitat précaire dans les espaces semi-publics à El Mahçoul, Alger
.......................................................................................................................... 123
Photo 34 : Cages d’escalier à El Mahçoul, Alger .............................................. 124
Photo 35 : Place du marché, Diar El Mahçoul, Confort ..................................... 173
Photo 36 : Place du marché, jeunes jouent au billard ....................................... 174
Photo 37 : Passage en escalier sous immeuble, Confort.................................. 175
Photo 38 : Place des quatre vents, Confort ...................................................... 176
Photo 39 : Espace isolé sur la place des quatre vents...................................... 177
Photo 40 : Escalier monumental, El Mahçoul ................................................... 181
Photo 41 : Marché couvert, El Mahçoul ............................................................ 182
Photo 42 : Grand ensemble de la Rabaterie ..................................................... 191
Photo 43 : Grand ensemble du Clou-Bouchet .................................................. 191
Photo 44 : « Palm Beach » ............................................................................... 197
Photo 45 : « Bronx » ......................................................................................... 197
Photo 46 : Photo extraite de l’exposition « Implosions » de Mathieu Pernot..... 225
Photo 47 : Photo extraite de l’exposition « Implosions » de Mathieu Pernot..... 225
Photo 48 : L’espace Oscar Niemeyer, Le Havre ............................................... 227
Photo 49 : Bain des docs, Le Havre.................................................................. 227
297
Photo 50 : Architecture d’August Perret au Havre ............................................ 228
Photo 51 : Unité Billardon à Dijon avant sa démolition ..................................... 231
Photo 52 : Grand ensemble de Beaulieu .......................................................... 232
Photo 53 : Le quartier des états unis à Lyon..................................................... 235
Photo 54 : Quartier des Gratte-ciels à Villeurbanne .......................................... 236
Photo 55 : La cité Diar El Hana ......................................................................... 250
Photo 56 : Bâtiment en cours de requalification dans la cité Diar El Kef, Alger 251
Photo 57 : Extension des logements à la cité des Amandiers .......................... 257
Photo 58 : Réunion de concertation avec les habitants .................................... 260
Photo 59 : Exposition permanente du projet ..................................................... 260
Photo 60 : Logements vidés à El Mahçoul ........................................................ 262
298
Encadré 2 : Rapport d’un ingénieur du bâtiment de la république démocratique
d’Allemagne ........................................................................................................ 59
Encadré 3 : rapport du comité chargé de l’entretien du parc de logements de Saint-
Pétersbourg ........................................................................................................ 64
Encadré 4 : Extrait 1 du rapport sur les réalisations nouvelles dans le domaine de
l’habitat musulman du 31/12/1955 ...................................................................... 71
Encadré 5 : Extrait 2 du rapport sur les réalisations nouvelles dans le domaine de
l’habitat musulman du 31/12/1955 ...................................................................... 71
Encadré 6 : Extrait du discours de Charles De Gaule annonçant le plan de
Constantine ......................................................................................................... 74
Encadré 7 : Extrait d'entretien, Homme, 53 ans, Cité Jeanne d’Arc, Oran.......... 78
Encadré 8 : Extrait d’entretien, Homme 65 ans, Confort, Alger .......................... 78
Encadré 9 : Extrait d’entretien, Homme 22 ans, Cité Plein ciel, Oran ................. 78
Encadré 10 : Extrait entretien de groupe, Homme, 45 ans, cité Jean de la Fontaine,
Oran .................................................................................................................... 80
Encadré 11 : Extrait entretien de groupe, Homme, 52 ans, cité Jean de la Fontaine,
Oran .................................................................................................................... 80
Encadré 12 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger ....................... 81
Encadré 13 : Extrait d’entretien, Homme, 38 ans, cité Lattre de Tassigny, Oran 81
Encadré 14 : Extrait d’entretien, Homme, 62 ans, El Mahçoul, Alger.................. 83
Encadré 15 : Extrait d’entretien, Homme, 34 ans, El Mahçoul, Alger.................. 84
Encadré 16 : Extrait d’entretien, Homme, 64 ans, El Mahçoul, Alger.................. 85
Encadré 17 : Extrait d’entretien, Homme, 27 ans, El Mahçoul, Alger.................. 86
Encadré 18 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, El Mahçoul, Alger.................. 87
Encadré 19 : Extrait d’entretien, Femme, 45 ans, El Mahçoul, Alger .................. 87
Encadré 20 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger.................. 87
Encadré 21 : Extrait d’entretien, Homme, 37 ans, Confort, Alger ....................... 88
Encadré 22 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger.................. 88
Encadré 23 : Extrait d'entretien, Homme, 46 ans, El Mahçoul, Alger.................. 89
Encadré 24 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, El Mahçoul, Alger.................. 89
Encadré 25 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger.................. 89
299
Encadré 26 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger ....................... 89
Encadré 27 : Extrait d’entretien, Femme, 50 ans, El Mahçoul, Alger .................. 91
Encadré 28 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger.................. 91
Encadré 29 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger.................. 91
Encadré 30 : Extrait d’entretien, Homme, 51 ans, Confort, Alger ..................... 102
Encadré 31 : Extrait d'entretien, Homme, 51 ans, Confort ................................ 103
Encadré 32 : Extrait d’entretien, Homme, 46 ans, Confort, Alger ..................... 125
Encadré 33 : Extrait d’entretien, Homme 37 ans, El Mahçoul, Alger................. 125
Encadré 34 : Extrait d’entretien, Homme, 52 ans, Confort, Alger ..................... 125
Encadré 35 : Communication d’un groupe de conseillers municipaux, 1940 .... 133
Encadré 36 : Extraits de la présentation du thème du CIAM 9 ......................... 137
Encadré 37 : Extrait d’entretien avec Roland Simounet, 1995 .......................... 138
Encadré 38 : Extrait d’entretien avec Roland Simounet .................................... 148
Encadré 39 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, El Mahçoul, Alger................ 154
Encadré 40 : Extrait entretien de groupe, Homme, 55 ans, El Mahçoul, Alger . 154
Encadré 41 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger ..................... 155
Encadré 42 : Extrait du journal de bord du 04/05/2017 ..................................... 156
Encadré 43 : Extrait du journal de bord du 04/05/2017 ..................................... 156
Encadré 44 : Extrait d’entretien, Homme, 28 ans, Cité des falaises, Oran ....... 157
Encadré 45 : Extrait d’entretien, Homme, 47 ans, Cité Jean de La Fontaine, Oran
.......................................................................................................................... 157
Encadré 46 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, El Mahçoul .......................... 157
Encadré 47 : Extrait d’entretien, Homme, 52 ans, El Mahçoul .......................... 158
Encadré 48 : Extrait d’entretien, Femme, 47 ans, El Mahçoul, Alger ................ 159
Encadré 49 : Extrait de récit, Christiant Ripoll, Ancien habitant de Confort ...... 159
Encadré 50 : Extrait d’entretien mené par Cyprien Avenel avec un Homme, 21 ans,
célibataire, chômeur, CAP ................................................................................ 167
Encadré 51 : Extrait d’entretien, Homme, 26 ans, Diar Essaada, Alger ............ 169
Encadré 52 : Extrait d’entretien de groupe, Homme, 21 ans, Confort ............... 170
Encadré 53 : Extrait d’entretien de groupe, Homme, 20 ans, Diar Essaada, Alger
.......................................................................................................................... 171
300
Encadré 54 : Extrait journal de bord du 10/10/2017 .......................................... 176
Encadré 55 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, Confort, Alger ...................... 179
Encadré 56 : Extrait d’entretien, Homme, 35 ans, Confort, Alger ..................... 179
Encadré 57 : Extrait d’entretien, Homme, 22 ans, El Mahçoul, Alger................ 180
Encadré 58 : Extrait de journal de bord du 05/10/2017 ..................................... 182
Encadré 59 : Extrait d’entretien, Homme, 32 ans, El Mahçoul, Alger................ 183
Encadré 60 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 199
Encadré 61 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 200
Encadré 62 : Extrait d’entretien, Homme, 50 ans, El Mahçoul, Alger................ 200
Encadré 63 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 201
Encadré 64 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 202
Encadré 65 : Extrait d’entretien, Femme, 40 ans, El Mahçoul, Alger ................ 203
Encadré 66 : Extrait d’entretien, Homme, 23 ans, Confort, Alger ..................... 204
Encadré 67 : Permanence "Hamon tourne la page" : entretien collectif avec des
habitantes ayant déménagé (avril 2007) ........................................................... 226
Encadré 68 : Extrait d’entretien mené avec un habitant du Havre .................... 228
Encadré 69 : Extrait d’entretien mené avec une habitante du Havre ................ 230
Encadré 70 : Extrait du dossier de candidature de Beaulieu au label « patrimoine
du XXème siècle ............................................................................................... 233
Encadré 71 : Article 15 de la constitution algérienne ........................................ 240
Encadré 72 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, El Mahçoul, Alger................ 243
Encadré 73 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger ..................... 244
Encadré 74 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger ..................... 244
Encadré 75 : Extrait d’entretien, Homme, 25 ans, El Mahçoul, Alger................ 244
Encadré 76 : Extrait d’entretien, Homme, 48 ans, Confort, Alger ..................... 245
Encadré 77 : Extrait de l’article de L.N concernant la démolition de Diar Echems
dans Liberté-algérie .......................................................................................... 246
Encadré 78 : Extrait d’entretien, Homme, 24 ans, Diar Essaada, Alger ............ 247
Encadré 79 : Diar Enakhla, « un pan de l’histoire de Sétif qui s’en va… »
Lettre à monsieur le Wali de Sétif ..................................................................... 249
301
Encadré 80 : Extrait d’entretien de Nahla Rif avec le Wali délégué de Bab El Oued
.......................................................................................................................... 252
Encadré 81 : Extrait d’entretien, Homme, 45 ans, Confort, Alger ..................... 264
302
Table des matières
Introduction générale
I.3. Stratégies adoptées dans les grands ensembles dans le monde ..... 219
I.3.2. La démolition des grands ensembles, ses logiques et son vécu 224
308