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3/12/21 19:21 Histoire du naturisme - Introduction - Presses universitaires de Rennes

Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Introduction
p. 9-15

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France

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1 «  Retournons à la nature  ! Avec l’abondance, l’homme
retrouvera la joie,car dans "l’État naturel" il n’y a pas de
phtisiques, il n’y a pas de névrosés, il n’y a pas de
prostituées, mais il y a de l’air pur dans la forêt profonde et
de la place pour chacun au grand soleil  », affirmait à
l’extrême fin du xixe siècle l’anarchiste «  naturien  » Émile
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Bisson1 «  Revenons à la nature et régénérons nous  »,


s’exclamait à son tour le médecin culturiste Georges Rouhet,
à la veille de la Grande Guerre2. Quinze ans plus tard, le
publiciste Marcel Kienné de Mongeot, principal promoteur
du nudisme en France, déclare encore  : «  Chaque fois que
nous faisons une infraction aux lois de la Nature, nous
commettons un crime de lèse-humanité, puisque nous
détruisons la puissance de vie de nos cellules et que nous
sommes nous-mêmes des cellules de la société dont nous
amoindrissons ainsi la vigueur et la santé3 ».
2 Indissolublement liée au couple dégénération-régénération,
la thématique du retour à la nature joue dans l’histoire des
sociétés occidentales un rôle que l’on ne peut négliger, tant
par les discours que par les expériences et les réalisations
qu’elle suscite. Parmi ceux-ci, le naturisme, vaste projet de
réforme des modes de vie par le retour à la nature qui
émerge en France à l’aube du xxe siècle, occupe une place
originale en raison de la variété des milieux sociaux qu’il
concerne et de la diversité des formes par lesquelles se
manifeste son ambition régénératrice.
3 De cette originalité, cependant, découle la principale
difficulté à laquelle se heurte l’élaboration d’une histoire du
naturisme contemporain. En effet, il n’existe pas, dans les
décennies qui précèdent la Grande Guerre, de mouvement
naturiste unifié, attaché à la promotion d’une doctrine et
d’un ensemble de pratiques sociales clairement identifiées.
C’est en vain que l’on rechercherait dans la littérature de
l’époque des critères clairs et définitifs permettant de dire ce
qu’est le naturisme et ce qu’il n’est pas. Pourtant, on
retrouve sous la plume d’un certain nombre d’auteurs — des
médecins généralement - l’expression d’une vision
particulière de l’homme, des règles qui s’imposent à la
conduite de son existence et de ses rapports avec son
environnement qui, rompant avec les conceptions
dominantes, justifie un programme de réforme des mœurs
généralement qualifié de « naturiste » par ses partisans.
4 Cette vision repose sur l’idée selon laquelle le corps humain
est doué d’une force vitale, d’une capacité propre à résister

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aux maladies et à se maintenir en bonne santé. Héritée de la


médecine néo-hippocratique et vitaliste des Lumières, cette
thèse a perduré tout au long du xixe siècle, incitant les
médecins qui la partageaient à la prudence, voire à
l’abstention en matière thérapeutique. Fragilisée par la
révolution pasteurienne et la démonstration du rôle
pathogène des microbes, elle se voit renouvelée et consolidée
par les découvertes de l’immunologie. À l’aube du xxe siècle,
la position défendue par quelques ténors de la faculté de
médecine, apôtres de l’hygiène sociale, qui soutiennent que
les maladies résultent moins des offensives microbiennes
que de l’incapacité des organismes affaiblis à leur résister,
alimente un certain scepticisme quant à l’intérêt des
traitements chimiques. Par ailleurs, marqués par une
tradition hygiéniste séculaire aussi bien que par l’abondante
littérature qui, depuis le Traité des dégénérescences du
docteur Morel4, rumine le thème de la décadence biologique
des populations, ces médecins s’attachent à établir un lien
formel entre modes de vie modernes et affaiblissement des
capacités de résistance de l’organisme. Parce qu’il est de
moins en moins soumis à la nécessité de l’effort physique et
à la stimulation vivifiante des éléments naturels, parce qu’il
ne peut plus recharger son énergie vitale à leur contact ou
parce qu’il enfreint continuellement les lois de la nature,
l’homme moderne s’affaiblit, se rabougrit, dégénère. Le
retour à la nature semble alors le seul remède à la décadence
contemporaine. Quelle que soit la manière dont les auteurs
naturistes envisagent cette «  nature  », celle-ci est toujours
associée, d’une part, à la certitude que le contact des
éléments naturels est propice à la santé du corps et de
l’esprit et, d’autre part, à l’idée qu’un ensemble de lois
intangibles - les «  lois naturelles  » - s’imposent à la raison.
Le naturisme s’envisage alors comme un programme de
réforme hygiénique des modes de vie dont l’objectif affirmé
est de rendre les mœurs conformes à ces lois. Quels que
soient les auteurs ou les groupements que l’on considère, le
naturisme est donc toujours associé à la modération dans
l’alimentation, à l’abandon des substances toxiques ou

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excitantes — et plus particulièrement de la viande, de l’alcool


et du tabac -, à l’allégement du vêtement, à l’entretien de la
propreté corporelle, à la pratique des exercices physiques et
à l’exposition régulière du corps aux éléments naturels.
Ainsi, en dépit de l’absence d’une définition stricte et
unanimement partagée de ce qu’est le naturisme, en dépit
même de la grande diversité des milieux qui adhèrent à ce
projet de régénération, on peut parvenir à cerner un courant
naturiste dont l’unité, sinon l’homogénéité, repose sur un
ensemble de convictions et de comportements communs.
5 Derrière la diversité des formes que peuvent prendre la
critique du progrès et le projet de régénérer l’homme par la
nature se profile l’aspiration, formulée plus ou moins
clairement, au retour à un ordre ancien rompu par l’entrée
dans la modernité. Séduisantes - et probablement
pertinentes -, certaines approches anthropologiques ont
souligné le caractère récurrent de cette thématique, nous
invitant à discerner dans la quête de l’état naturel la
permanence de grands mythes universels de l’humanité5 : la
nostalgie du paradis perdu, l’espérance en l’avènement d’un
Âge d’or et la volonté de retour à l’état de nature originel. Il
n’en reste pas moins — et les anthropologues ne sont pas les
derniers à l’admettre - que ces mythes sont portés par des
groupes humains particuliers, en des lieux et à des époques
divers, et sont donc travaillés et façonnés sans cesse par le
contexte dans lequel ils s’expriment. S’il est vain de
prétendre ajouter une pierre au débat sur l’universalité des
mythes, du moins peut-on affirmer sans crainte que les
croyances, les espérances et les réalisations que contribuent
à produire les mythes qui animent les sociétés humaines
restent toujours historiquement, socialement et
culturellement déterminés. En prenant le naturisme pour
objet d’étude, nous ne prétendons donc pas rechercher les
indices de la permanence d’un mythe universel dans la
société contemporaine ni tenter de déterminer de quelle
manière un ensemble de thèmes se combine dans différents
récits mythiques. De telles entreprises dépassent à la fois
notre ambition et nos compétences. En revanche, nous

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avons voulu étudier la façon dont certains groupes sociaux,


dans la France des trois premières décennies du xxe siècle,
en viennent à adhérer au mythe du retour à la nature, et
comment cette adhésion donne lieu à un ensemble de
croyances et de pratiques sociales spécifiques à travers
lesquelles se dessinent les contours d’une sous-culture
particulière.
6 Notre postulat de départ, selon lequel l’aspiration au retour à
la nature qui fonde le naturisme revêt un caractère
mythique, nous impose de préciser ce que nous entendons
par mythe. Nous pouvons l’appréhender à travers trois
dimensions qui le caractérisent. Il est tout d’abord un récit
portant sur le monde, son origine, son organisation et sur la
place de l’homme dans l’univers. Il est, ensuite, un objet de
croyance à travers lequel s’élaborent des représentations
collectives. Ces représentations, enfin, sont à la source de
normes de comportement et de pratiques sociales
spécifiques6 Certes, une telle définition est loin d’embrasser
toute la richesse et la complexité des constructions
mythiques et de leurs liens avec les formes sociales dont elles
constituent les soubassements7. Nous la retenons néanmoins
en ce qu’elle nous paraît la plus appropriée à l’objectif que
nous poursuivons à travers l’histoire du naturisme
contemporain. Cette définition, en effet, nous conduit à
accorder plus d’importance à la fonction et aux effets sociaux
des mythes qu’à leur sens, leur structure interne et leur
éventuelle permanence. Elle permet donc d’envisager le
mythe à travers ses enjeux culturels et sociaux et de le
considérer non seulement comme un système de
représentations collectives — sans se préoccuper du sens ni
de l’organisation des symboles qu’il met en jeu —, mais
également comme un élément de la dynamique sociale.
7 Le thème de la régénération par le retour à la nature repose
sur un récit légendaire. Certes, il n’existe pas un corpus de
légendes mettant en scène quelque personnage héroïque,
formalisé par un texte fondateur ou transmis par une
tradition orale, auquel tous les naturistes feraient
explicitement référence. Tous cependant adhèrent à une

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même vision de l’histoire de l’homme et de ses rapports avec


la nature, à partir de laquelle ils interprètent le présent. De
ce récit, que l’on retrouve sous des formes diverses chez tous
les auteurs naturistes, retraçons les grandes lignes. Dans un
passé généralement indéterminé, l’être humain vivait en
harmonie avec la nature. Le contact permanent des éléments
naturels, les efforts physiques qu’il devait sans cesse
déployer lui assuraient un corps sain, robuste et beau.
Conforme aux lois naturelles, son mode de vie lui
garantissait la santé, le bonheur et la sérénité. Avec l’entrée
dans la modernité - à une date tout aussi indéterminée -,
l’homme a cru pouvoir s’affranchir de ces lois. Il a développé
la science et la technologie et a laissé son existence être
conduite par ses désirs et par des codes sociaux artificiels
plutôt que par la raison. Il a rompu les liens qui l’unissaient
à la nature pour vivre en sédentaire dans l’atmosphère
étouffante et malsaine des grandes villes et pour devenir
l’esclave d’un travail industriel toujours plus harassant. Cette
vie antinaturelle n’a pas tardé à produire ses effets néfastes.
Les corps se sont étiolés, les maladies se sont multipliées,
l’immoralité, la violence et le crime se sont généralisés.
Aujourd’hui, l’homme moderne vit sous l’ombre du spectre
de la dégénérescence et voit grandir la menace d’une
extinction prochaine de l’espèce humaine. Le salut reste
néanmoins possible. En renonçant aux vices de la modernité
et en retrouvant une existence conforme aux lois de la
nature, l’individu recouvrera la santé et la robustesse de ses
ancêtres, et la société l’harmonie et la paix qu’elle a perdues.
8 Ce récit n’est pas fondé sur un savoir positif et ne donne pas
lieu à des tentatives de démonstration précise, même si
certains auteurs tentent de l’étayer par quelques statistiques.
Il n’est pas non plus une affirmation doctrinale formulée par
une autorité à destination de ses adeptes. Il n’a donc pas la
valeur d’un dogme réglant un article de foi à l’aide de
concepts précis. Il ne dit pas ce qu’est la nature, pas plus
qu’il n’établit de façon claire, détaillée et définitive ce que
sont les lois naturelles et, de fait, les définitions de la nature
et de ses lois varient sensiblement d’un auteur à l’autre. En

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revanche, ce récit est un imaginaire collectif sur lequel les


partisans du naturisme fondent leur représentation du passé
et leur interprétation du présent. Il est donc un objet de
croyance, un ensemble d’images auquel des individus et des
groupes se réfèrent pour s’expliquer les désordres du temps
et se conserver l’espérance d’un avenir radieux.
9 Enfin, ce système de représentations collectives permet à
ceux qui l’adoptent de rendre signifiante et d’ordonner une
réalité sociale qui leur semble menacée d’anomie.
L’évocation d’un ordre naturel permet de tracer une
frontière entre ce qui est licite et ce qui est illicite. Le mythe
de la dégénération de l’homme moderne et de sa
régénération par le retour à la nature permet donc
d’expliquer et de justifier les nouvelles normes de
comportement auxquelles se soumettent les partisans du
naturisme. Il suscite la formation de groupes voués à la
promotion de ces normes et à l’encouragement de leurs
membres à les suivre. Il donne naissance à une sociabilité
naturiste fondée sur une vision particulière du monde et sur
un idéal de vie commun. De ce point de vue, le mythe du
retour à la nature institue du social. Par ailleurs, ce mythe
est porteur d’une forte contestation de la réalité présente. Il
donne sens aux déceptions et aux frustrations, suscite des
projets de régénération de l’ordre social, nourrit l’attente
d’un bouleversement radical et de l’avènement d’un
«  homme nouveau  ». Il permet à celui qui y croit, pour
reprendre les termes de Roger Bastide, « d’agir sur la réalité
pour la transformer — et sur lui-même, pour se rendre
digne, par sa moralité, de cette transformation du monde8 ».
10 Le projet de cet ouvrage consiste donc à déterminer
comment, dans la société française du début du xxe siècle,
une croyance particulière, partagée par des individus venus
d’horizons différents, produit un imaginaire collectif - un
mode spécifique de représentation du réel - sur lequel
s’édifient des normes de comportement et comment elle
suscite la formation de groupements au sein desquels
s’inaugurent de nouvelles pratiques sociales.

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11 Dès lors, plusieurs remarques s’imposent. La plus évidente


consiste à souligner qu’à partir du moment où nous
envisageons comme objet de croyance l’idée selon laquelle
les modes de vie modernes ne sont plus conformes à la
nature, il ne nous appartient plus de nous prononcer sur la
validité de cette idée. Il n’est pas dans notre intention de
chercher à savoir si ce constat repose ou non sur une réalité
objective. En revanche, il nous faudra examiner les raisons
qui peuvent pousser des individus à éprouver le sentiment
que leur époque a rompu avec l’ordre naturel. Nous ne nous
interrogerons donc pas sur la pertinence de leur
interprétation du réel, mais nous nous demanderons quelles
réalités vécues peuvent les conduire à cette interprétation.
12 Le thème du retour à la nature invite à formuler une
remarque du même ordre. Si l’étude du naturisme demande
qu’on analyse la cohérence interne des discours et des mises
en œuvre qu’il suscite, elle doit cependant affirmer comme
principe axiomatique l’inexistence de la nature comme
réalité ontologique. Non qu’il s’agisse de débattre de
l’existence d’une telle réalité au plan philosophique, mais
parce que, d’un point de vue historique, ce qui est désigné
par le terme de nature ne peut être autre chose qu’une
construction humaine chronologiquement, socialement et
culturellement déterminée. Concept polysémique, la nature
peut d’ailleurs désigner une multitude de réalités différentes.
Les auteurs naturistes, qui ne s’attachent jamais à définir
précisément ce qu’ils entendent par le terme de nature,
peuvent aussi bien l’employer pour désigner un milieu
exempt de transformation humaine, le cadre rural, un état
de l’homme précédant toute forme d’organisation sociale,
une époque indéterminée antérieure à la modernité, les
éléments naturels, des lois physiques et biologiques ou un
ordre cosmique. Une lecture critique des sources implique
nécessairement qu’on ne soit pas dupe de l’apparente
évidence de la nature et qu’on se demande toujours à quelle
définition de la nature se réfère l’auteur et quel objet ou quel
système de valeurs il cherche à faire passer pour naturel.

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13 Il convient alors de constater que l’enjeu primordial des


appels au retour à la nature formulés par les différents
courants du naturisme contemporain réside plus dans le
corps humain que dans la nature elle-même. Le naturisme
n’est pas un discours sur le risque de corruption ou de
disparition du milieu naturel sous les effets de la modernité,
il est une réaction à la peur de voir ces effets corrompre le
corps de l’individu et, à travers lui, le corps social. C’est bien
le corps humain que les naturistes rêvent de préserver,
cultiver, fortifier et embellir - ce corps qu’il s’agit de
soumettre aux «  lois de la nature  », de livrer aux éléments
naturels partiellement ou totalement dénudé, afin de
l’affranchir des entraves physiques et morales dressées par la
société et qui l’entraînent irrémédiablement dans la spirale
du déclin. Notre projet ne nous conduit donc pas à retracer
l’histoire de l’idée de nature durant le premier xxe siècle,
mais à tenter de cerner la façon dont un certain nombre de
groupes sociaux se mobilisent autour d’un projet de
régénération du corps de l’individu (et à travers lui du corps
social), en fondant leur engagement sur l’affirmation de la
nécessité d’un retour à «  l’état naturel  ». La nature ne
semble finalement convoquée qu’afin de légitimer un
ensemble de croyances et de pratiques qui touchent en
réalité à la place assignée au corps dans la civilisation
industrielle. Affirmer que le respect des lois de la nature
impose de ne s’alimenter que de végétaux ou de s’exposer
collectivement nus aux éléments durant les temps de loisir
ne revient pas à découvrir une vérité ontologique, mais à
élaborer un nouveau discours sur les rapports du corps avec
la société.
14 Un dernier point, enfin, demande à être précisé. Cet ouvrage
nous conduira souvent à appréhender le naturisme à travers
les différents groupements qui se constituent autour d’un
projet commun de réforme des mœurs. Nous ne pensons
pas, pour autant, qu’une telle étude doive se limiter à
l’écriture de l’histoire interne d’un ensemble d’associations
plus ou moins marginales. On nous reprochera peut-être
d’avoir parfois négligé ou traité de façon trop sommaire les

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événements qui scandent la vie des groupements naturistes.


Nous assumons néanmoins le choix de n’avoir souligné ces
événements que lorsqu’ils nous paraissaient correspondre à
des enjeux plus profonds que les inévitables péripéties de la
vie associative. Notre ambition n’a pas été de tenir la
chronique de quelques mouvements naturistes, mais plutôt
de cerner à travers eux comment des groupes sociaux
particuliers, animés du même sentiment qu’un processus de
déclin est à l’œuvre, répondent à ce sentiment par la
production de normes et de pratiques dont le corps humain
est le principal enjeu. Plus fondamentalement encore, il s’est
agi d’étudier la façon dont le naturisme, comme mode
d’explication du réel, comme système de valeurs et comme
ensemble de règles de comportement, participe à
l’élaboration et aux transformations d’une sous-culture
particulière au sein de la société française du début du xxe
siècle.

Notas
1. E. Bisson, «  Les plaies nécessaires  », L’État naturel et la part du
prolétaire dans la civilisation, n° 3, juilletaoût 1897, p. 4
2. G. Rouhet, Revenons à la nature et régénérons-nous, Paris, Berger-
Levrault, 1913.
3. M. Kinné de Mongeot, « De la nudité », Vivre intégralement, n° 13,
15 mars 1927, p. 3. 9
4. B. A. Morel, Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et
morales de l’espèce humaine, Paris, Baillière, 1857.
5. On pense, par exemple, à l’œuvre de Mircea Eliade (notamment
Aspects du mythe, Paris, 1963) ou à l’approche initiée par Gilbert
Durand (Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, 1969).
6. R. Bastide, Éléments de sociologie religieuse, Paris, Stock, 1997
[1935], p. 50-61
7. Cf. par exemple, P. Bidoux et E. Désveaux, « Mythe » et G. Lenclud,
« Symbolisme », P. Bonte et M. Izard (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie
et de l’anthropologie, Paris, 2002 [1991], p. 498-502 et 688-691
8. R. Bastide, Le Sacré sauvage, Paris, Stock, 1997 [1975], p.85

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BAUBÉROT, Arnaud. Introduction In: Histoire du naturisme: Le mythe
du retour à la nature [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22874>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22874.

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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
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Histoire du naturisme
Le mythe du retour à la nature
Arnaud Baubérot

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Chapitre I. La
médecine
naturiste, des
Lumières au
positivisme
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Genèse du naturisme médical des


Lumières
1 Dans le dernier tiers du xviie siècle, sous l’influence
notamment de la philosophie cartésienne, la conception
mécaniste de la vie achève de s’imposer parmi les
philosophes et les savants1 Rejetant la scolastique médiévale
et sa vision de l’homme inscrit dans un ordre cosmique ainsi
que les conceptions magiques des rapports de l’âme et du
corps encore sensibles dans la médecine de la Renaissance,
la théorie mécaniste leur oppose l’idée d’un monde organisé
par un ensemble de lois physiques et chimiques, voulues par
le Créateur, et qui déterminent sa marche comme le
mécanisme d’une horloge. Certes, la présence de l’âme et les
facultés de l’esprit distinguent l’homme des autres machines
animales. Toutefois, la philosophie dénie toute possibilité
d’interférence entre le domaine spirituel et les lois
fondamentales qui règlent le fonctionnement du corps
humain. Pour la médecine cartésienne, les phénomènes
physiologiques, comme la génération, la croissance ou
l’incessante régénération de l’organisme, ne résultent pas
plus du travail de l’âme sur le corps qu’ils ne poursuivent un
quelconque dessein. Leur seule cause réside dans la
circulation du sang et des humeurs, elle-même déterminée
par les lois de la chimie, de la physique et de l’hydraulique
2 Avec le xviiie siècle, cependant, poignent la critique du
mécanisme et les premiers signes d’une renaissance des
conceptions animistes de la nature. Réfutant les thèses
mécanistes, certains médecins, comme l’anglais Nehemiah
Grew ou l’allemand Georg Ernst Stahl, entendent démontrer
l’irréductibilité des corps vivants aux propriétés physiques et
chimiques de la matière inerte. Renouant avec Aristote,
Platon, Hippocrate et Paracelse, ils défendent l’idée qu’une
force naturelle, d’essence spirituelle, agit sur la matière et la
fait se mouvoir d’une manière régulière et ordonnée, selon la

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direction que lui a assignée le Créateur. Dans ses écrits des


années 1706 à 1708, Stahl s’en prend avec virulence au règne
de la physique et affirme que la médecine doit être fondée
sur une distinction entre les corps vivants, ou
«  organiques  », et les corps «  inorganiques  ». Il postule
l’existence d’un agent vital immatériel, «  l’âme sensible  »,
qui anime les organismes en leur donnant forme et
mouvement. Cette anima, qui précède l’existence matérielle
de l’individu, agit constamment pour orienter le mécanisme
vital et le préserver de la corruption. Il s’ensuit que, pour
Stahl, la cause des maladies doit être recherchée dans l’âme
elle-même et que leur résolution passe par la mobilisation de
la vis naturae medicatrix en vue de rétablir les équilibres
vitaux.
3 Si les théories de Stahl rencontrent un succès certain dans
les pays protestants piétistes du nord de l’Europe2, en
France, les médecins préfèrent se rattacher aux thèses
développées par Hermann Boerhaave, professeur de
médecine à Leyde, pour refuser d’admettre la primauté des
causes spirituelles sur les causes physiques. Ce n’est qu’entre
la fin des années 1730 et le milieu du xviiie siècle
qu’apparaissent les premiers signes d’une crise du modèle
mécaniste jusque-là dominant. À Montpellier où, malgré le
ralliement des médecins au mécanisme, une tradition
hippocratique demeure encore vivace, les théories de Stahl
sont introduites vers 1737 et donnent lieu à des débats
passionnés. Certains médecins, comme François Boissier de
Sauvages, tentent alors de dépasser le mécanisme strict de
leurs devanciers et de prendre en considération la spécificité
des organismes vivants. La critique du mécanisme
s’intensifie dans les années 1750-1770 sous la plume
d’auteurs comme Louis de La Caze (médecin du duc
d’Orléans), Jean- Jacques Ménuret de Chambaud ou le
naturaliste Georges Buffon. Rejetant aussi bien la prétention
de ramener la physiologie à des principes mécaniques que le
finalisme des théories de Stahl, ceux-ci donnent naissance
au courant vitaliste et permettent l’émergence d’une
nouvelle conception du vivant.

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4 Le jeune Théophile de Bordeu, qui apprend la médecine à


Montpellier et soutient sa thèse en 1743 — à une époque où
l’introduction des théories animistes soulève de vives
polémiques —, joue un rôle de premier ordre dans la
naissance du courant vitaliste. De Stahl, Bordeu retient le
rejet de la conception mécanique des phénomènes
physiologiques et pathologiques, l’affirmation de la
spécificité irréductible de la matière vivante et le retour à
une conception hippocratique du rôle joué par la nature
dans les maladies, rôle que les symptômes visibles
permettent de lire. Il rejette toutefois le providentialisme
qu’implique la notion d’âme et cherche la voie d’une
définition non finaliste des propriétés particulières du
vivant. Refusant le dualisme sur lequel reposent aussi bien le
mécanisme que l’animisme, il tente ainsi de substituer à la
dichotomie du corps et de l’âme celle qui oppose la matière
vivante et la matière morte en faisant de l’organisme lui
même le siège du principe vital. Installé à Paris en 1751,
Bordeu ne parvient pas à vaincre l’opposition des médecins
mécanistes à ses thèses. Il gagne cependant l’estime de
Diderot et participe, avec deux autres médecins
montpelliérains, Ménuret de Chambaud et Fouquet, à
l’orientation nettement vitaliste des articles médicaux de
l’Encyclopédie. La relecture des médecins paracelsiens, et
notamment de Van Helmont, leur fournit l’idée d’un
principe vital « décentralisé », présent partout dans le corps.
Par ailleurs, la notion de fibre vivante, développée par les
médecins mécanistes italiens, leur permet d’échapper à
l’humorisme ancien et les conduits à faire de l’irritabilité de
la fibre une manifestation centrale des propriétés vitales.
5 Le postulat de la spécificité des organismes vivants et
l’accent mis sur la notion de sensibilité conduisent les
médecins vitalistes de la seconde moitié du xviiie siècle à
poser le primat de l’observation sur l’expérience. À
l’anatomie qui se heurte, selon les vitalistes, à l’impossibilité
de connaître la vie par l’exploration du mort, aux
expérimentations et au goût des mécanistes pour les calculs
algébriques, ils opposent une nouvelle façon d’appréhender

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la pratique de l’art médical. Dans l’article « Observation » de


l’Encyclopédie, Ménuret de Chambaud rejette les
expériences qui décomposent, combinent et détruisent
l’objet de leur étude et faussent ses caractéristiques en le
sortant de ses conditions naturelles. Rejoignant Buffon et les
Pensées sur l’interprétation de la nature de Diderot, il prône
en revanche une observation au plus près de la nature,
soucieuse de ne l’altérer en rien et attentive aux
combinaisons et aux liaisons qui s’établissent entre les faits.
Cette médecine d’observation, soucieuse de reconstituer
scrupuleusement la marche des maladies et attentive aux
manifestations de la nature médicatrice, s’affirme comme un
retour à la tradition hippocratique. Sa pratique se fonde sur
les préceptes du corpus hippocratique et cherche à analyser
conjointement les dispositions particulières du malade, son
idiosyncrasie (fonction de son âge, de son sexe, de son
tempérament, de son genre de vie, de son environnement
naturel, social et familial) et l’enchaînement des symptômes.
Toutefois, comme l’a montré Roselyne Rey, le vitalisme est
probablement moins soucieux de retrouver l’authenticité de
la pensée hippocratique que de forger un mythe pour
légitimer les réformes qu’il tente d’introduire dans l’exercice
de la médecine3
6 C’est dans le dernier tiers du xviiie siècle, au moment où
certains médecins tentent de dépasser le conflit entre
mécanistes et animistes par l’élaboration d’une théorie
vitaliste, qu’apparaît l’acception médicale du qualificatif
« naturiste ». Bordeu, qui est vraisemblablement le premier
à en faire usage, l’emploie dans ses Recherches sur l’histoire
de la médecine4 pour qualifier «  les médecins qui prennent
la nature pour guide ; les observateurs ou les exportateurs ».
Après avoir consacré le premier chapitre de ses Recherches
aux «  empiriques  » qui eurent, selon lui, la sagesse de tout
baser sur l’expérience et découvrirent l’essentiel des
remèdes, puis le second aux «  dogmatiques  » mécanistes
dont le mérite est de s’être attachés à rechercher les causes
réelles des maladies avant de les traiter, Bordeu s’emploie,
dans son troisième chapitre, à étudier le système des

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animistes, qualifiés de «  médecins naturistes ou imitateurs


de la nature  ». L’utilisation du néologisme «  naturiste  » -
préféré au terme d’«  animiste  » qui n’apparaît pas dans le
chapitre - n’est pas fortuite. Elle permet à l’auteur de
contourner le problème posé par le caractère
immanquablement ontologique et finaliste de la notion
d’« âme » en lui substituant le concept beaucoup plus flou de
«  nature  ». De façon plus générale, l’emploi du qualificatif
«  naturiste  » traduit l’intention de Bordeu de n’accepter
l’héritage de Stahl et de ses disciples que sous bénéfice
d’inventaire. Si l’on doit porter à l’actif de la médecine
animiste son observation attentive des phénomènes
spécifiques du vivant et des symptômes morbides, il
convient, en revanche, de lever l’hypothèque métaphysique
qui la grève.
7 La doctrine des naturistes, tout d’abord, repose sur le
constat d’une tendance naturelle de la plupart des maladies à
guérir d’elles-mêmes. « Il est incontestable, constate Bordeu,
que, sur dix maladies, il y en a les deux tiers au moins qui
guérissent d’elles-mêmes, et rentrent, par leurs progrès
naturels, dans la classe des simples incommodités, qui
s’usent et se dissipent par les mouvements de la vie5. » Cette
observation confirme le postulat hippocratique de la vis
naturae medicatrix. Bordeu, toutefois, donne de cette force
médicatrice de la nature une définition particulière. Elle
n’est plus un être spirituel ou une force autonome — comme
l’«  archée  » des paracelsiens ou l’«  âme  » des stahliens —
responsable de la conservation de la vie et du rétablissement
de la santé. Cette nature est désormais un principe, c’est-à-
dire, loin de toute conception ontologique et métaphysique,
une tendance innée de l’organisme vivant, une propriété de
son fonctionnement :
«  Le corps humain, qui se conserve par lui-même, ou qui
tourne à son profit les aliments et la boisson, l’air et les
autres causes générales, a par lui-même un degré particulier
de forces au moyen desquelles il parvient à se défaire des
maladies  ; ces forces forment ce qu’on appelle la nature,
dont on a donné bien des définitions. Elles aboutissent
toutes à la faire regarder comme un principe particulier qui
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veille sans cesse à la conservation du corps, et qui, supposé


que sa vigilance a été trompée par les causes des maladies, se
ranime lorsque ces causes sont à un certain degré, et les
combat avec plus ou moins de succès6. »

8 Il ne s’agit donc pas de revenir au finalisme qu’impliquait


l’idée ancienne de l’intégration de l’homme à un ordre
cosmique. Le propos de Bordeu n’évoque la nature que pour
postuler l’existence d’une finalité limitée régissant le
fonctionnement interne de l’organisme sans préjuger en rien
de la cause première ou de la fin ultime de l’existence.
9 Ce postulat conduit Bordeu à envisager la maladie comme
un effort naturel de l’organisme pour se défaire d’une cause
qui altère son fonctionnement. Les symptômes révèlent alors
la manière dont le corps agit pour se libérer du mal. Les
fièvres, par exemple, doivent se lire comme les opérations
par lesquelles s’effectue la coction des substances délétères
en vue de leur assimilation. Les crises permettent ensuite à
l’organisme d’évacuer, mêlé au sang, aux urines ou aux
glaires, ce qui n’a pas été assimilé. Par conséquent, «  les
médecins qui ont pris la nature pour guide se contentent
d’une histoire exacte de chaque maladie  : ils en suivent et
observent la marche, sans prétendre la déranger lorsqu’elle
parcourt ses périodes et ses degrés avec précision  ; ils se
contentent d’essayer de la ramener à sa marche naturelle
lorsqu’elle paroît s’en écarter7  ». Optimiste quant aux
dispositions naturelles de l’homme, ce naturisme conduit à
une forme de scepticisme thérapeutique. En effet, si les
maladies sont des phénomènes bénéfiques, oeuvrant pour la
conservation de la vie, il faut craindre de les dénaturer par
une intervention médicale irraisonnée. Pour Bordeu, ce
constat incite le médecin naturiste à concevoir son rôle
comme celui d’un intervenant circonspect. La nécessité
d’une observation attentive des conditions dans lesquelles se
trouve le malade et de l’enchaînement des symptômes lui
impose, au moins dans un premier temps, de rester dans
l’expectative. Ce n’est qu’après avoir découvert la véritable
nature de la maladie et, de la sorte, compris le chemin suivi
par la nature médicatrice pour évacuer le mal qu’il peut se
livrer à une action prudente et mesurée afin d’aider celle-ci
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dans sa tâche. D’«  observateur  », le médecin naturiste


devient « expectateur »
« Il n’était pas possible de cultiver cette médecine naturelle,
contemplative, ou, s’il est permis de s’exprimer ainsi,
ascétique, sans laisser marcher les maladies d’elles-mêmes,
sans craindre de les déranger par des remèdes  ; aussi les
médecins de cette secte n’eurent-ils de tout temps rien tant à
cœur que de ne pas déranger la nature dans ses opérations ;
elle donne ou dirige les maladies ; elle excite divers accidents
pour se défaire de leur cause principale, pour opérer la
coction, pour déterminer les crises ou les évacuations : voilà
les principaux axiomes des expectateurs8. »

10 La confiance dans les capacités naturelles de l’organisme


n’inspire pas seule cette médecine d’expectation. Celle-ci se
nourrit également de l’émergence, dans la deuxième moitié
du xviiie siècle, d’un courant de méfiance à l’égard de la
pharmacopée traditionnelle, qui pousse fortement à
l’abstention thérapeutique. Des observations statistiques ont
en effet révélé la vanité et la nocivité des remèdes classiques
- comme la saignée, l’antimoine, la poudre de cantharide, les
diverses substances émétiques, le mercure ou le sulfate de
quinine que l’on emploie dans des doses approximatives —
hérités des corpus thérapeutiques galénique et arabe et
recyclés dans le cadre de conceptions systématiques, rigides
et souvent simplificatrices de la médecine9. Bordeu
développe amplement ce thème et insiste sur la
circonspection qu’impose ce constat. Pour lui, la position des
naturistes repose sur la certitude qu’il vaut mieux se résigner
à attendre la mort «  des malades attaqués d’une maladie
mortelle, que de rendre mortelle une maladie qui se serait
guérie d’elle-même si on n’avait eu la fureur de la harceler
par des manœuvres inconsidérées, et par l’application
hasardée de cent remèdes essayés sur des indications
imaginaires, et adoptés sur de vains et puérils
témoignages  ». Aussi ces médecins s’abstiennent-ils de
« tomber dans les écarts inconsidérés de ceux qui trompent
les spectateurs par un étalage inutile d’ordonnances, et qui
ne cessent d’importuner les malades par l’emploi de mille
drogues plus amères souvent que les symptômes de la
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maladie » et préfèrent- ils « ne faire aucun remède que d’en


faire de douteux10 ». Pour autant, les médecins naturistes ne
s’en tiennent pas à l’inaction. «  La Nature montre tout de
même aux expectateurs qu’il existe des remèdes ou des
médicaments propres à rendre les maladies plus
supportables11  », affirme Bordeu. Leur intervention,
cependant, doit rester prudente. En matière de saignée, par
exemple, «  ils saignent peu, mais ils tâchent de saigner à
propos. Ils aiment mieux prendre ce parti modéré que de
heurter en aucune manière les voies ordinaires de la nature,
qui a souvent accoutumé de produire dans les maladies
quelque hémorragie peu considérable12  ». Enfin, les
médecins naturistes, héritiers d’Hippocrate, attachent une
grande importance à l’environnement du malade et
préfèrent prescrire, plutôt que des remèdes, l’exposition à
certains climats, ou prodiguer leurs conseils moraux ou
familiaux pour placer le patient dans les conditions les plus
propres à stimuler l’œuvre bienfaitrice de la force vitale.
11 Ce portrait collectif de la «  secte  » des médecins naturistes
ne doit pourtant pas nous tromper. L’ambition de Bordeu à
travers ses Recherches sur l’histoire de la médecine n’est pas
plus de revenir à l’authenticité de la tradition hippocratique
que d’offrir une fidèle description des habitudes médicales
de son temps. Écrits polémiques, ces Recherches opposent la
nouvelle médecine d’observation, que Bordeu contribue à
édifier sur des bases vitalistes, à l’imprudence thérapeutique
des empiriques et au dogmatisme des mécaniciens. Bordeu y
invite le médecin à délaisser l’étude des propriétés physiques
et chimiques de la matière et la recherche anatomique des
causes morbides pour porter son regard sur la maladie et
déceler, à travers ses symptômes observables sur le corps de
l’individu, la façon dont s’accomplissent les fonctions
spécifiques du vivant. Bien plus qu’à désigner un groupe
particulier de médecins, le néologisme «  naturiste  » sert
donc à qualifier un idéal médical, traduction dans le
domaine de la médecine des nouvelles conceptions vitalistes
qui émergent et se développent dans les sciences de la vie. Il
est d’ailleurs plus que probable qu’à cette époque, aucun

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médecin ne se qualifie lui-même de naturiste. Ce terme et le


concept de nature auquel il s’attache permettent en revanche
de tirer les bénéfices symboliques de la filiation
hippocratique. Ils permettent surtout de contester le dogme
mécaniste de l’identité des propriétés de la matière vivante
et de la matière inerte sans retomber dans le spiritualisme et
le finalisme suspects qui entachent les théories de Stahl. En
effet, tout l’enjeu de la référence à la nature semble résider
ici dans la nécessité de dépasser le conflit qui oppose le
mécanisme — qui n’a pu accéder à une appréhension
profane de l’organisme vivant qu’au prix d’un déni de sa
spécificité par rapport à la matière inerte - à l’animisme - qui
ne parvient à retrouver la singularité du vivant qu’en
ressuscitant d’anciennes notions religieuses. Ainsi Bordeu
recourt à la notion vague et polymorphe de nature pour
décrire la spécificité du vivant, comme s’il n’était plus
envisageable, à la fin du siècle des Lumières, de l’attribuer, à
la manière de Stahl, à un principe autonome d’essence
spirituelle, et cependant encore impossible de concevoir
l’organisme d’une façon suffisamment désenchantée pour lui
conférer des propriétés particulières hors de toute référence
à un ordre extérieur et immuable. En affirmant que le corps
humain est naturellement doté d’un certain nombre de
forces qui régissent son fonctionnement à l’état de santé
comme dans la maladie, qu’il obéit à des principes
spécifiques fixés par l’ordre de la nature, Bordeu pose
néanmoins les fondements d’une conception sécularisée de
la physiologie.

Naturisme et vitalisme à la fin du xviiie


siècle
12 La philosophie médicale et la pratique thérapeutique
décrites par Bordeu dans son chapitre sur les «  médecins
naturistes  » s’imposent progressivement dans le dernier
tiers du xviiie siècle. L’influence conjuguée des conceptions
vitalistes qui se développent dans les sciences de la vie, du
regain d’intérêt pour une certaine interprétation du corpus
hippocratique et d’une tendance nette au scepticisme, voire
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au pessimisme thérapeutique conduit à la diffusion du


thème de la nature médicatrice dans le monde médical.
Ainsi, sans que l’on puisse désigner par le terme de
«  naturisme  » un système médical construit et cohérent
ayant ses adeptes et ses promoteurs, on peut avancer qu’une
orientation naturiste de la médecine s’affirme à la fin du
siècle des Lumières. L’emploi du qualificatif «  naturiste  »,
pourtant, ne semble pas se généraliser à la suite de Bordeu.
On parle bien plus d’«  expectation  » pour désigner la
prudence dans l’emploi des remèdes et la méfiance
croissante à l’égard de la pharmacopée chimique
traditionnelle, ou, de façon plus générale, de médecine
d’« observation ».
13 La question soumise au concours par l’académie des
sciences, arts et belles-lettres de Dijon pour l’année 1776
offre un exemple particulièrement significatif de
l’orientation naturiste de la médecine du dernier tiers du
xviiie siècle. Elle appelle les concurrents à déterminer
«  quelles sont les maladies, dans lesquelles la Médecine
expectante est préférable à l’agissante, et celle-ci à
l’expectante, et à quels signes le Médecin reconnaît qu’il doit
agir ou rester dans l’inaction, attendant le moment favorable
pour placer les remèdes ». Maret, le secrétaire perpétuel de
l’académie, dans son discours d’introduction à la remise des
prix, expose très clairement les présupposés qui sous-
tendent cette question et doivent inspirer les réponses :
«  Pour sentir l’importance de la solution de ce problème, il
suffit de savoir qu’il est au dedans de nous, un principe
désigné par le nom de Nature, dont l’action continuelle
entretient ou altère la santé, et guérit les maladies ; que l’art
ne peut rien faire sans le concours de ses efforts ; et que tout
consiste, dans la pratique de la Médecine, à observer les
mouvements de la Nature, à calculer ses forces, à prévoir
quels seront les efforts de son activité.

Il suffit d’observer qu’il est des maladies contre lesquelles les


ressources de l’art sont inutiles, soit parce que la Nature les
guérirait sans son secours, soit parce qu’elles sont au dessus
des forces de cet agent bienfaisant, et que les remèdes
connus ne pourraient qu’aggraver le mal.

Il suffit encore de faire attention que, dans les maladies


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mêmes où les secours de l’art sont le plus nécessaires, il est


des temps où la Nature agit efficacement ; il en est d’autres
où l’on doit attaquer les causes qui gênent son action ; il en
est où le redoublement des efforts, capable d’augmenter les
craintes, prépare une crise salutaire.

Qu’abandonner toutes les maladies aux soins vigilants de la


Nature, et s’en tenir, dans toutes les circonstances, à la
Médecine expectante, c’est s’exposer souvent à être le témoin
des événements les plus funestes  : mais qu’aussi vouloir
toujours agir, toujours maîtriser la Nature, toujours diriger
ses actions, toujours substituer des évacuations artificielles à
des évacuations critiques, être en toute occasion pour la
Médecine agissante  ; c’est courir les risques de traverser
souvent les vues de cet agent conservateur, et de hâter la
perte des malades qu’on se propose de guérir13. »

14 Deux mémoires sont couronnés ex αquo par l’académie. Le


premier, proposé par un médecin belge, Antoine Planchon,
reprend le néologisme inauguré par Bordeu pour désigner
les maîtres du lignage hippocratique, depuis l’Antiquité
jusqu’à la médecine d’observation des Lumières  : «  Ces
grands Praticiens sont des observateurs de la marche de la
Nature, de ses écarts et de ses succès. Ils maîtrisent ses
efforts tumultueux, comme ils excitent ceux qui sont trop
lents. Ils connoissent le moment où il faut se borner à être
spectateurs dans les maladies, et sont vraiment des
Médecins naturistes, instruits à l’école d’Hippocrate. L’on
doit à ces hommes célèbres dans l’art de guérir, tous les
progrès qu’il a fait de nos jours14. » L’auteur y développe les
mêmes thèmes que Bordeu dans le troisième chapitre des
Recherches, une dizaine d’années auparavant. La nature est
définie, de façon relativement vague, comme le principe
particulier qui distingue les corps vivants de la matière
inerte et intervient à la fois comme agent conservateur de la
vie et comme agent curateur des maladies. La maladie aiguë
est décrite comme le signe des efforts de la nature «  pour
subjuguer la matière morbifique, et la rendre propre à
enfiler l’un ou l’autre des couloirs, par lesquels elle cherche à
l’évacuer15  ». Les symptômes et la marche des maladies
traduisent donc les intentions de la nature auxquelles le
médecin, sage observateur, doit savoir se rendre attentif.
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Comme Bordeu, Planchon affirme la nécessité de combiner


l’action thérapeutique et l’expectation. S’il doit veiller, par-
dessus tout, à ne pas troubler l’œuvre de la nature
médicatrice par une action intempestive qui rendrait les
crises imparfaites et réduirait leur efficacité, le médecin doit
cependant reconnaître les situations dans lesquelles la
nature se révèle trop fougueuse, ou inversement trop peu
active, et requiert les secours de l’art. Et Planchon de
conclure que «  la Nature est le principal agent dans les
maladies, et que le Médecin ne peut être que son ministre,
qui veille à son désordre, qui la dirige dans ses démarches, et
répare par le secours qu’il lui prête, ce que ses mouvements
désordonnés ont produit de mal, ou n’ont pu éviter, et qu’il
doit suivre la route qu’elle lui trace16  ». Le mémoire de
Voullonne 17, avec lequel Planchon partage le premier prix,
ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme, sans pour autant
employer le néologisme «  naturiste  », que selon les
différences de caractère des maladies, les circonstances
extérieures ou la personnalité du malade, le médecin doit
tour à tour s’en remettre à l’art ou à la nature. Tout le talent
du médecin, selon lui, consiste à savoir seconder
correctement l’action de la nature dans l’organisme,
s’abstenir de troubler ses bénéfiques opérations et l’aider
dans ses efforts lorsque cela s’avère nécessaire.
15 Ce naturisme médical porte l’empreinte profonde du climat
culturel des Lumières qui lui a donné naissance. Son
scepticisme à l’égard de la valeur du progrès technique en
fait une médecine incertaine de ses armes et avouant les
limites de son efficacité. À égale distance de l’action
inconsidérée et de l’expectation absolue, la médecine des
Lumières s’impose une éthique de la prudence et, à défaut de
pouvoir se glorifier de ses réussites, tente de mettre en
valeur la sagesse de sa position. A ce scepticisme
thérapeutique, toutefois, répond un optimisme certain quant
aux capacités naturelles de l’homme. De même que l’«  état
de nature », défini par la philosophie des Lumières, permet
d’affirmer, sur un mode sécularisé, une disposition primitive
de l’homme à faire le bien et de désigner la voie de sa

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«  sanctification  », de même la «  nature médicatrice  » des


médecins désigne la propension de l’organisme à rétablir sa
santé lorsque les agressions morbides menacent de l’altérer.
Certes, la spécificité du vivant ne se laisse appréhender qu’à
travers une conception de la force vitale qui confine encore à
l’ontologie et à la téléologie. Bordeu, par exemple, désigne la
nature comme « un principe particulier qui veille sans cesse
à la conservation du corps, et qui, supposé que sa vigilance a
été trompée par les causes des maladies, se ranime lorsque
ces causes sont à un certain degré, et les combat avec plus ou
moins de succès  ». Pour Planchon, elle est «  l’agent qui
maintient et répare les principes de la vie18  ». Même en
admettant le caractère métaphorique de ces définitions, on
ne peut que constater l’impossibilité pour ces auteurs d’offrir
une définition claire et non ontologique de la nature. Il reste
néanmoins que c’est bien sur la mobilisation du concept de
nature pour désigner, sur un mode profane, le
fonctionnement spécifique de l’organisme vivant que se
fonde la médecine observatrice des Lumières.
16 Ce naturisme médical, par ailleurs, s’inscrit dans une
évolution plus longue et porte en gestation la médecine
clinique du xixe siècle19. Le regard médical se déplace. Le
médecin cherche à s’extraire des modèles mathématicien et
physicien comme des conceptions métaphysiques, s’interdit
d’agir inconsidérément et a priori pour se donner le temps
d’observer, à travers la succession des symptômes sur le
corps vivant du malade, la façon dont se déploie l’œuvre de
la nature. Le fonctionnement du vivant n’est plus le fruit du
libre exercice d’une machine hydraulique ou d’un ensemble
de leviers et de poulies, pas plus qu’il ne résulte de
l’intervention d’un agent divin dont la raison ne peut se
satisfaire. Il est le résultat d’une lutte incessante que la
nature mène à l’intérieur de l’organisme contre tous les
facteurs qui concourent à sa dégradation. Poussant un peu
plus loin cette logique de sécularisation et de rationalisation
de la physiologie, Xavier Bichat pourra alors définir la vie
comme « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort20 ».

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17 En réalité, les signes avant-coureurs d’un renouvellement du


vitalisme et d’un abandon progressif des considérations
naturistes qui le fondent apparaissent déjà dans les
dernières années du xviiie siècle. Soucieux de se démarquer
du finalisme transcendant de Stahl, Bordeu et ses
contemporains ont évité de se prononcer de façon définitive
sur le statut de la nature médicatrice. Contre l’animisme, ils
avaient édifié le système de connaissance de cet objet sur
une base profane. Toutefois, le postulat d’une inclination
naturelle du corps à la guérison poussait à reconnaître
l’existence d’une finalité dans les phénomènes vitaux et
laissait subsister la possibilité qu’une volonté extérieure à
l’homme soit responsable de cette inclination. Le modèle de
la physique newtonienne offre au vitalisme une issue
temporaire à ce dilemme. À la suite du médecin allemand
Christoph Wilhelm Hufeland, Paul-Joseph Barthez,
successeur de Bordeu et chef de file de l’école de
Montpellier, développe, à partir de 1798, la thèse selon
laquelle on peut postuler l’existence d’une «  force vitale  »,
pendant de la force d’attraction de Newton. Comme celle-ci,
son essence demeure inaccessible et ses causes restent
obscures. Toutefois, cette « grandeur inconnue » se révèle à
la fois nécessaire et suffisante pour expliquer les
phénomènes vivants et dégager les lois de leur succession
hors de toute définition ontologique du «  principe vital  ».
Cette notion de « force » fonde un « matérialisme vital » qui
se concentre sur l’étude des propriétés spécifiques de la
matière vivante21.
18 La médecine peut ainsi accéder à une conception
entièrement profane de la vie. Il n’est plus nécessaire, dès
lors, de se référer à un ordre naturel transcendant et à son
agent spécifique - la nature médicatrice - pour établir une
distinction entre les lois qui régissent le vivant et celles
auxquelles est soumise la matière inerte. Une étape a donc
été franchie qui conduit la physiologie vitaliste à s’affranchir
de ses racines naturistes, à se défaire des ambiguïtés de la
notion de nature, pour ne plus désigner les phénomènes
vitaux qu’à travers leurs manifestations organiques. La

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médecine physiologique de Broussais contribue également


au reflux du néo-hippocratisme naturiste des Lumières dans
les premières décennies du xixe siècle. Broussais critique
avec virulence l’expectation, affirmant que l’on ne peut s’en
remettre simplement à l’action bienfaisante de la nature,
dans la mesure où la maladie témoigne d’un dérèglement de
l’intensité de la force vitale. Sa physiologie, par ailleurs,
débarrasse la médecine de ses scories humorales en
proposant une nouvelle interprétation des symptômes
morbides. Nausées, vomissements, sueurs ou hémorragies
ne sont plus les signes de l’évacuation des matières
peccantes par la puissance médicatrice, mais l’indice d’une
«  inflammation  » ou, plus rarement, d’un affaiblissement
localisé. À bien des égards, néanmoins, le système de
Broussais représente l’un des derniers avatars d’une
médecine fondée sur une conception téléologique de la force
vitale - la « providence intérieure ». La révolution anatomo-
clinique et la naissance de la médecine de laboratoire lui
portent le coup de grâce22. Si l’on parle encore de nature
médicatrice dans la deuxième moitié du xixe siècle, ce n’est
plus pour désigner un principe immatériel, mais pour
évoquer un ensemble de lois réglant le fonctionnement de
l’organisme sans finalité propre. Les succès de l’approche
anatomique, la focalisation du regard médical sur la
pathologie locale, la forte impression que suscitent chez les
médecins les progrès spectaculaires des sciences exactes —
chimie et physique notamment — et l’attente de traitements
efficaces de la part de praticiens soumis aux demandes
pressantes du public et à la concurrence des guérisseurs
marginalisent progressivement les conceptions héritées du
néo-hippocratisme naturiste des Lumières.

Le déclin du naturisme médical au xixe


siècle
19 Nombreux sont les auteurs qui, dans les premières
décennies du xixe siècle, affirment encore leur confiance en
la capacité médicatrice de la nature. Toutefois, la portée
d’une telle affirmation est intimement tributaire du sens
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qu’ils attribuent à la notion de nature. Pour la plupart


d’entre eux, le cadre posé par le vitalisme matérialiste de
l’École de Montpellier délimite un espace au sein duquel
doivent maintenant prendre place leurs conceptions. Un
certain Frédéric Bérard, par exemple, dans sa thèse sur
l’imitation de la nature dans l’exercice de l’art médical,
dénonce l’animisme des anciens vitalistes qui ont « supposé
que le principe de vie avait conscience des actes qu’opérait la
machine humaine  ». À cette idée, il répond «  avec Barthez,
M. Dumas, et avec toute l’école de Montpellier, [qu’il]
entend par nature, l’ensemble des lois que Dieu a imprimées
à la matière animée, d’après lesquelles celle-ci tend
ordinairement et aveuglément à sa conservation ou à sa
réparation23 »
20 Pourtant, jusqu’aux années 1830, cette définition
relativement rationnelle de la nature en côtoie d’autres, plus
vagues, encore marquées par les conceptions du siècle
précédent. En 1828, Prosper Meynier professe sa croyance
en l’existence d’une puissance médicatrice autonome
agissant par les crises, même s’il affirme, à la suite de
Broussais, que le médecin ne peut se permettre
d’abandonner cette puissance à elle-même que dans le cas
des affections les plus légères24. Moins de prudence et de
retenue caractérisent la définition que propose, la même
année, un certain Dufort dans sa thèse de médecine. Après
avoir souligné qu’il n’est pas donné à l’homme de pouvoir
définir dignement et précisément ce qu’est la nature, il
déclare qu’elle est « cette puissance invisible, mais toujours
agissante, qui produit, conserve, détruit et modifie les êtres
de million et million de manières différentes ». « Organe des
volontés du Créateur [...] c’est elle qui, quoique dominant
l’ensemble de l’univers, ne dédaigne pas de s’occuper des
plus petites créatures ; et tandis qu’elle balance et maintient
dans leurs positions respectives cette multitude de globes
immenses qu’elle tient suspendue dans l’espace, elle porte en
même temps la plus tendre sollicitude jusque sur des êtres
que leur extrême ténuité rend inaccessibles à nos sens25.  »
La médecine est l’auxiliaire de cette nature cosmique, dont

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les secrètes volontés sont toujours orientées vers la


conservation de la vie. Si la nature peut guérir seule un
grand nombre de maladies, affirme Dufort, la médecine n’en
peut guérir aucune sans le secours de celle-ci.
21 À mesure que le siècle avance, de telles conceptions
paraissent de moins en moins défendables. En 1834 par
exemple, Finot rend hommage à la puissance conservatrice
de la nature mais précise néanmoins qu’on ne peut la
considérer comme «  un être distinct, à intention et à
volontés propres, et existant par lui-même ». Il ne faut y voir
«  qu’une formule abrégée, une sorte d’abstraction, dont on
se sert pour désigner l’ensemble des forces vitales, et faciliter
ainsi la conception des phénomènes de réaction qui
constituent l’état pathologique26  ». Adolphe Mille, qui
soutient sa thèse de médecine la même année, entend lui
aussi se détacher des conceptions de Van-Helmont et de
Stahl qui supposaient à la nature la conscience de ses
propres actes, des vues et des façons d’agir constamment
raisonnées. La nature, selon lui, peut se définir comme
«  l’ensemble des lois qui tendent à conserver l’économie
animale, et à la rétablir dans son intégrité, quand elle a été
lésée dans son organisation, ou que ses fonctions ont été
dérangées par une cause quelconque  ». Aussi entend-il
rendre hommage à Barthez et à l’école de Montpellier qui
«  réduisirent encore le naturisme à de plus justes
proportions, en le faisant rentrer dans l’ordre commun des
phénomènes organiques, dans lesquels on peut apercevoir
un but et un enchaînement déterminés27 »
22 Cette évolution ne suit certainement pas une pente douce et
régulière. Et l’on voit encore, en 1854, Edmond Couty de la
Pommerais défendre farouchement le naturisme médical
que lui a enseigné son père et soutenir «  l’existence d’une
nature curatrice, intelligente, prévoyante, et sage dans les
maladies comme dans notre état de santé28  ». Une telle
position, cependant, tend à devenir extrêmement marginale.
Même Cayol, chef de file du vitalisme parisien, qui se pose
en défenseur d’une doctrine fondée sur « les principes d’une
philosophie spiritualiste  » et affirme l’existence d’une

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«  Providence intérieure  », se rattache explicitement à une


définition matérialiste de la force vitale et médicatrice.
Refusant d’admettre les «  conceptions ontologiques  » des
animistes, il utilise, pour décrire cette force, l’analogie avec
le principe de la force d’attraction isolé par Newton29.
23 Dans le même temps, les progrès des sciences naturelles et la
médecine expérimentale naissante se sont conjugués et, sur
la base de l’affirmation d’une spécificité du vivant, ont tenté
d’en isoler les propriétés. Pour la physiologie expérimentale,
qui tend progressivement à imposer ses canons, la vieille
opposition du vitalisme et du mécanisme est définitivement
caduque. Les anciens concepts de «  force vitale  » ou de
«  nature  » ne perdurent que dans la mesure où un
déplacement de sens leur permet de s’inscrire dans les
paradigmes de la médecine moderne. En 1856, le docteur
Fallot, adversaire déclaré de la médecine naturiste et de
l’expectation, n’accepte d’employer l’expression de «  forces
vitales » que pour désigner « l’activité organique prise dans
son ensemble », c’est-à-dire la capacité des organes à exercer
normalement leur fonction30. Lhuillier, dans son Esquisse de
philosophie médicale présentée à la Société de médecine de
Nancy en 1861, ne dit pas autre chose. À propos de la
guérison de la bronchite sans recours au médecin, il affirme
que «  cette heureuse solution que l’on attribue à l’action
dirigeante d’une nature médicatrice, est bien plutôt le
résultat d’un jeu tout physiologique ». Puis il conclut que « la
nature médicatrice n’est donc en un mot que l’exaltation de
la vie sous un agent morbide quelconque  ; elle est une
résultante  ; elle se rattache uniquement aux lois de la vie
végétative31 ». Enfin, La Revue médicale, autour de laquelle
se regroupent les tenants parisiens du néovitalisme, ne
s’écarte pas de cette conception lorsqu’en 1876, à l’occasion
de la recension élogieuse de l’ouvrage d’un médecin
naturiste danois, son rédacteur affirme que la nature
médicatrice «  n’est pas une forme vitale particulière  ; c’est
l’organisme se défendant, se préservant, se guérissant lui-
même par un surcroît d’activité dans la sphère végétative32 ».
Si l’on peut encore trouver, en 1877, un étudiant en

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médecine pour soutenir que « fidèle à ses propriétés et à ses


lois, [la nature vivante] fait tout pour le mieux, en vertu
d’une sorte de tendance ou d’harmonie préétablie33  », ce
n’est que dans une perspective nettement polémique qui vise
à dénoncer le positivisme ambiant au nom d’un
« spiritualisme vital » inspiré de Lordat.
24 Le demi-siècle qui s’étend des années 1830 aux années 1880
marque ainsi l’abandon progressif des définitions
ontologiques et finalistes de la nature médicatrice. Les
derniers représentants des générations formées à la
médecine aux grandes heures de l’affrontement entre
animistes et mécanistes ont cédé la place, dans le courant
des années 1830, à des praticiens marqués, tout d’abord, par
l’enseignement de Barthez et de Broussais, puis, à partir des
années 1840, par l’influence du positivisme sur les sciences
du vivant. Par ailleurs, la diminution progressive du corps
des officiers de santé au profit de celui des médecins
diplômés conduit, durant ce demi-siècle, à une amélioration
sensible du niveau de formation du corps médical et, par
conséquent, à une meilleure attention des praticiens aux
débats qui ont cours dans les sciences médicales ainsi qu’aux
paradigmes qui les encadrent. S’il subsiste encore, dans le
propos de certains défenseurs de la nature médicatrice,
l’idée d’un vague finalisme, cette nature a néanmoins cessé
d’être perçue comme une force autonome, circulant et
agissant librement dans l’univers. Elle s’appréhende
désormais comme un ensemble de propriétés de l’organisme
vivant. De même que pour la gravitation universelle, la cause
première de ces propriétés peut demeurer encore
mystérieuse aux yeux de la science, leur réalité ne s’en
impose pas moins au médecin qui entend rétablir et
maintenir les corps en état de santé.
25 Il en va de même de la façon dont les auteurs qui se
déclarent partisans du naturisme et de l’expectation
définissent la maladie. Jusqu’aux années 1830, la tradition
néo-hippocratique des Lumières se prolonge. La maladie,
réaction bénéfique et normale de la nature médicatrice à
l’introduction d’une substance «  morbifique  », est encore

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parfois conçue à travers les anciennes notions de crise, de


coction et d’évacuation34. Ses manifestations locales ne sont
que les signes particuliers d’un état qui touche l’organisme
dans son ensemble. Une telle conception peut s’accommoder
- à condition de se départir de son arrière-fond humoral -
des préceptes de la médecine physiologique de Broussais
auxuels se rallient de nombreux médecins français dans les
premières décennies du siècle.
26 Le scepticisme de la médecine des Lumières à l’égard de la
pharmacopée traditionnelle et son constat résigné de la
faiblesse des moyens thérapeutiques inspiraient
probablement la perception de la maladie comme
phénomène naturel, normal et bénéfique. À la fin des années
1830, une telle définition n’est plus soutenable. Certes, la
médecine du xixe siècle est loin de se rassembler autour
d’une conception unifiée de la maladie. La médecine
physiologique la conçoit avant tout comme un dérèglement
des fonctions vitales, alors que le point de vue anatomo-
pathologique concentre son regard sur la lésion locale.
Toutefois, les débats autour de cette question, qui animent
les facultés et leurs maîtres, reposent sur le socle commun
d’une distinction entre l’état normal de l’organisme et son
état anormal. La médecine moderne, engagée dans la
conquête d’une position sociale à laquelle elle aspire au nom
de son savoir et de ses compétences, et encouragée par un
public avide d’interventions actives du médecin et de
médicaments35, ne peut plus se résoudre à envisager la
maladie comme un phénomène normal et nécessaire. Elle la
désigne comme un fait pathologique, engage le combat
contre elle et, tout en caressant l’utopie d’en venir un jour à
bout, recherche activement des armes toujours plus
efficaces. Même ceux des médecins qui prétendent faire
preuve de prudence et s’appuyer, pour une large part, sur
l’œuvre de la nature médicatrice ne peuvent désormais que
reconnaître dans la maladie une situation pathologique.
Adolphe Mille, dans sa thèse consacrée à l’expectation,
conçoit ainsi la maladie en termes d’«  affection  » et
d’« altération36 ». En 1835, Hermann Pidoux tente encore de

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sauver l’un des dogmes du naturisme néo-hippocratique - la


maladie conçue comme réaction de la nature - en le
reformulant de manière conforme à l’orthodoxie
physiologique : « De même que la santé ou l’exercice régulier
des fonctions résulte de la réaction normale et conservatrice
d’un organisme sain contre l’action régulière de tous les
modificateurs internes ou externes, la maladie, ou l’exercice
irrégulier des fonctions, résulte de la réaction anormale
(relativement à l’état de santé), et conservatrice de
l’organisme contre l’action anormale des agents
modificateurs internes ou externes37. » Position que ne peut
plus tenir le même auteur dix-huit ans plus tard lorsque,
publiant un mémoire à l’appui de sa candidature à la chaire
de matière médicale et de thérapeutique de la faculté de
Paris, il se livre à une condamnation sans appel de la
doctrine néo-hippocratique. Concevoir la maladie comme le
signe d’une réaction bénéfique de l’organisme à l’agression
d’un agent extérieur résulte, selon lui, d’une perversion de la
notion de nature médicatrice. Les «  hippocratistes  » ont
fondé sur celle-ci « leur définition de la maladie ; et celle-ci
est devenue un effort salutaire de la nature pour repousser
une cause de désordre ! De là, le naturisme, né de l’abus du
principe de la force vitale médicatrice. Hippocrate avait eu
pourtant son but en nommant ainsi cette force. Il n’a jamais
dit : force morbifique38 ». Même Couty de la Pommerais, que
la piété filiale pousse à la défense de conceptions surannées,
tout en maintenant que la maladie résulte de l’action de la
puissance médicatrice et qu’elle est parfois «  u n e réaction
de nos organes vivants soulevés c o n t r e le mal  », doit se
résoudre à admettre qu’elle est «  tantôt un désordre de
mouvements ou un défaut d’équilibre qui aspirent à rentrer
dans l’unité harmonique de la santé39 ».
27 Le triomphe progressif de la physiologie expérimentale, qui
cherche à associer avec précision chaque organe à sa
fonction, achève d’imposer l’idée selon laquelle la maladie
est un phénomène pathologique. À l’état de santé, dans
lequel les organes exercent normalement leurs fonctions,
s’oppose un état de maladie caractérisé par l’exercice

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anormal d’une ou plusieurs fonctions 40. Il n’est plus


possible, dès lors, de défendre une conception téléologique
de la maladie en l’attribuant à une stratégie de l’organisme
pour se débarrasser d’un principe morbide. S’il subsiste
jusqu’aux années 1870 des médecins pour se proclamer
«  ministres de la nature  » et déclarer leur foi dans la
médecine expectante, la nature médicatrice à laquelle ils font
allégeance a perdu, durant le siècle, à la fois son arme et sa
propre nature. Intelligence immatérielle, poursuivant des
finalités propres et armant le corps de la maladie pour
écraser les matières morbides, la nature est devenue un
ensemble de forces aveugles qui guident le fonctionnement
des organes en obéissant à des lois immuables. La maladie a
cessé d’être le fruit des impénétrables mais bienveillants
desseins de la puissance médicatrice pour devenir un fait
pathologique qui, dans certaines circonstances, se guérit
grâce à l’inclination de l’organisme à tendre naturellement
vers le rétablissement de son état normal.
28 C’est, enfin, dans le domaine de l’action thérapeutique que
les conceptions propres au naturisme médical des Lumières
sont progressivement reléguées aux marges des paradigmes
qui encadrent l’exercice de la médecine.
29 Les habitudes héritées de la médecine expectante du xviiie
siècle perdurent chez de nombreux praticiens durant le
premier tiers du siècle suivant. Jacques Léonard a souligné
que souvent les anciens chirurgiens militaires et les jeunes
officiers de santé qui exercent dans les campagnes n’ont pas
eu le temps d’étudier en détail la pharmacie et la trouvent
trop coûteuse pour les pauvres. Leurs méthodes de
traitement se concentrent essentiellement sur les
prescriptions hygiéniques ou alimentaires, les potions
calmantes ou les cataplasmes, auxquels s’ajoutent les
sangsues, les ventouses et les frictions41. La forte tonalité
expectante que conserve la pratique médicale répond plus
alors à la nécessité de faire contre mauvaise fortune bon
cœur qu’à une adhésion profonde aux théories qui
l’inspirent.

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30 Il ne manque pas, cependant, de médecins pour continuer à


justifier l’expectation d’un point de vue théorique et tenter
de la dégager de ses deux sources inavouables  :
l’impuissance et le scepticisme thérapeutiques. En 1815,
l’article que Pinel consacre à la méthode expectante dans le
Dictionnaire des sciences médicales affirme qu’elle ne se
résume pas à une contemplation oisive. Pour les médecins
éclairés et savants, attendre, c’est observer en détail le
développement des symptômes et des étapes de la maladie,
pourvoir avec sollicitude au bien-être du malade et préparer
la phase critique. «  Il faut, en même temps qu’on évite de
troubler par des manœuvres imprudentes les efforts
spontanés de la nature, les seconder heureusement par une
sage application des principes de l’hygiène, en écartant avec
soin tout ce qui peut entraver cette direction favorable42.  »
Ces principes guident encore Dufort qui, dans sa thèse
soutenue en 1828, s’attache à dresser l’inventaire des
moyens thérapeutiques, moraux et hygiéniques dont dispose
le médecin. Les médicaments, dont il n’entend pas négliger
l’utilité, doivent être utilisés dans le seul but de seconder
l’action curative de la nature et avec beaucoup de prudence,
afin que leurs effets n’aggravent pas inutilement les maux
dont souffre le malade43.
31 De tels principes, s’ils pouvaient s’apparenter à une légitime
sagesse dans le cadre d’une médecine des Lumières
relativement consciente de ses limites, deviennent en
revanche nettement plus contestables dès lors que s’affirme,
dans le premier tiers du xixe siècle, le projet de bâtir une
science médicale dont l’efficacité fonde la prétention à
prendre seule en charge la santé des populations. Le
scepticisme que semblent cacher les appels à la prudence des
« ministres de la nature » soulève des critiques de la part de
ceux qui prétendent inscrire leur science dans la marche en
avant du Progrès. Dès 1819, dans une thèse consacrée à la
médecine expectante, un certain Delort dénonce avec
virulence le «  pyrrhonisme et l’incroyance complète à la
médecine44  » auxquels elle conduit. L’article «  Naturisme  »

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du Dictionnaire des Sciences médicales paru la même année


condamne avec la même force l’expectation :
«  Qu’arrive-t-il aux parents qui, par suite de ce préjugé,
refusent de faire vacciner leurs enfants  ? Ils les voient
succomber souvent à la petite vérole. Qu’arrivent-ils [sic] à
ceux qui, dans une inflammation du poumon, refusent
d’employer toute espèce de moyens curatifs [sic], si ce n’est
du vin chaud, pour relever les forces et aider la nature ? Ils
meurent, tandis que l’emploi de la saignée les aurait très
probablement rendus à la vie45. »

32 Oscar Bonnain, qui soutient sa thèse en 1836, entend


«  démontrer combien il est peu médical [...] de se tirer
d’affaire à la manière des naturistes  ». «  La Médecine,
affirme-t-il, même si elle n’est pas encore une science
complète, suffit pour démontrer l’impossibilité d’une nature
médicatrice. Où pourrait-on alors trouver les bases d’une
médecine expectante  ?  » Pour sa part, il éprouve «  une
profonde admiration pour les progrès de notre belle science,
un plaisir inexprimable à la voir dégagée de cet inepte
mysticisme [...], à la voir chaque jour augmenter ses droits à
un rang parmi les sciences exactes  ». Le naturisme,
finalement, n’a d’autre base, à ses yeux, « qu’une ignorance
absolue des fondements de la médecine les plus vulgaires de
nos jours46  ». On mesure alors combien semble déplacée et
illégitime une attitude thérapeutique fondée sur un aveu
d’impuissance, même relative, aux yeux d’un monde médical
qui progressivement tente d’affirmer la scientificité de ses
méthodes et d’affiner l’efficacité de son savoir. La question
apparaît d’autant plus sensible qu’en ce premier tiers du xixe
siècle les médecins se trouvent engagés dans une lutte pour
la conquête du monopole de l’exercice de la médecine et se
trouvent confrontés à l’indocilité d’une opinion publique qui
dénonce les limites de leur pouvoir thérapeutique et s’en
remet encore volontiers aux guérisseurs de toutes sortes.
33 Pourtant, de l’aveu même de leurs détracteurs, les tenants du
naturisme médical ne se contentent jamais d’une attitude
entièrement passive face à la maladie. «  Aucun auteur n’a
prôné l’expectation stricte. Ils ont tous admis un nombre
plus ou moins grand d’exceptions  », reconnaît Delort47. De
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même, Bricheteau précise qu’«  il n’a jamais existé, en


médecine, de secte dont les partisans ne font que contempler
l’homme malade48  » puis, dans un article consacré aux
médecins naturistes, va jusqu’à reconnaître le bienfondé de
leur circonspection thérapeutique. «  S’il est nuisible de
persister opiniâtrement dans un système d’expectation qui
n’est pas suffisamment motivé, il l’est encore davantage de
s’infatuer l’idée qu’on peut, par une suite de médications
actives ou combinées de telle ou telle manière, changer
totalement la marche de certaines maladies rebelles  »,
convient-il49. Néanmoins, les fondements même de cette
éthique de modération sont parfois dénoncés. Ainsi Jules
Pelletan, dans sa thèse présentée pour le concours de
l’agrégation en médecine, se livre-t-il à une réfutation sévère
des positions thérapeutiques de la médecine naturiste  :
«  Nous croyons la prudence, comme on l’entend dans ces
cas, bien mal placée  ; nous pensons que la médecine qui,
faute d’agir, laisse mourir un malade qu’elle aurait pu guérir,
est, dans ce cas, une médecine funeste50. »
34 La conception moderne de la maladie comme phénomène
pathologique ne permet plus de fonder une attitude médicale
sur le désir de ne pas troubler sa marche. Dans le deuxième
tiers du xixe siècle, les médecins qui continuent à prôner
l’expectation infléchissent progressivement leur façon de la
concevoir dans un sens plus conforme aux canons de la
médecine moderne. Prosper Meynier, dont la thèse soutenue
en 1828 fait l’apologie de la médecine expectante, affirme
néanmoins que la puissance médicatrice ne doit jamais être
abandonnée tout à fait à elle-même. À ses yeux, le médecin
ne peut s’abstenir d’agir que lorsque la maladie est fort
légère et que l’intervention ne modifiera en rien son
évolution51. Dans ses Considérations générales sur
l’expectation de 1834, Finot constate que les progrès de la
médecine, réalisés grâce à la physiologie et à l’anatomie
pathologique, ont permis. de dévoiler le siège de la plupart
des maladies, de les ramener à des lésions organiques et
d’expliquer avec plus de précision l’influence du principe
médicateur. Il s’attache alors à définir les cas dans lesquels

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se justifie le recours à l’expectation  : lorsque la maladie est


inconnue, lorsqu’il reste des doutes quant à sa nature ou à
son siège, si la maladie n’est que légère ou si l’on sait que la
nature seule peut faire cesser le désordre, dans les cas de
nécrose, variole, rougeole ou scarlatine, dans les cas de
contre-indication constatée au remède et enfin lorsque le
succès de la médication employée expose le malade à un
danger encore plus grand52. Privée de tout fondement
théorique légitime, la médecine expectante semble ainsi
s’échouer dans quelques recommandations de simple bon
sens. Pour Adolphe Mille, qui soutient sa thèse la même
année, « on pourrait même dire qu’il n’y a point de médecine
expectante, en prenant ce mot dans toute la rigueur de son
acception  ; car on peut agir autrement que par
l’administration de secours physiques ou moraux ». L’auteur
cite alors l’exemple de la diète pour affirmer qu’il «  peut y
avoir des secours négatifs dont l’influence soit très active53 ».
Les distinctions entre médecine expectante et médecine
agissante, bien que l’on persiste à s’y référer, ne semblent
plus désigner des catégories qui permettent de rendre
compte de façon pertinente de la réalité de la pratique
médicale :
« Il n’y a point non plus de médecin constamme expectant,
constamment agissant  : il n’en est pas qui ne donnent le
quinquina dans les fièvres intermittentes, qui ne saignent
dans une pneumonie qui menace le malade d’asphyxie  ; il
n’en est pas non plus d’assez turbulent pour aller se mettre
en travers de la marche des maladies qui ont des périodes
régulières et dont l’innocuité est connue.

On ne peut se décider exclusivement pour l’art, parce que la


nature de la nature sont trop frappantes par leur multiplicité
et leur succès pour que la raison ne nous autorise pas à nous
défier d’un art qui n’attache à ces ressources aucune
importance  ; si au contraire, on se décide exclusivement
pour la nature, il y a un grand nombre de circonstances où
l’expectation ne serait que ridicule et méprisable54. »

35 À partir des années 1830, l’emploi du terme expectation se


raréfie. Il ne désigne plus qu’une conduite d’abstention à
tenir dans les cas particuliers — et minoritaires - de maladies

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dont on sait qu’elles se résolvent naturellement ou lorsqu’il


est vain d’espérer autre chose qu’une issue fatale. Le versant
thérapeutique du naturisme médical ne garde ainsi du
vitalisme des Lumières que son penchant à la prudence et à
l’attention aux souffrances du malade. Il tend alors à
s’apparenter exclusivement à une sorte de sagesse de
l’intervention médicale, ne se distinguant pas par sa
conception propre de l’action thérapeutique, mais par sa
préférence pour les recommandations de type hygiénique,
par sa circonspection face aux remèdes et par sa volonté de
privilégier les interventions douces et mesurées. Les
décennies suivantes achèvent de vider l’expectation du sens
que lui attribuait la médecine néo-hippocratique des
Lumières. Alors que celle-ci affirmait sa confiance dans la
puissance médicatrice de la nature et son intention de
n’intervenir que pour la suppléer, la médecine moderne
place résolument la maladie entre les mains de l’art et ne se
résout à l’abandonner à son cours naturel que dans les
interstices qui demeurent entre les mailles de l’étroit filet
que tisse le progrès scientifique. À la fin du xviiie siècle, la
nature déléguait au médecin, son ministre, le soin d’observer
sans la perturber la marche des maladies, lui commandant
de n’intervenir que pour corriger ses défaillances ou ses
imperfections. Un siècle plus tard, la médecine s’est engagée
dans une lutte acharnée contre les maladies, mue par la
quête éperdue de la santé qui hante déjà la société de son
temps. Le médecin doit lutter, batailler sans cesse contre les
maux des hommes. Agir avec douceur et prudence, certes,
sans négliger les recours de l’hygiène et les influences de
l’environnement, mais agir tout de même. Pressée par des
patients avides de médications efficaces, entraînée par les
progrès de l’anatomie, de la biologie et de la chimie vers une
identification de plus en plus précise du fait pathologique, la
pratique médicale ne peut plus légitimement se contenter
d’une observation sage et raisonnée de l’œuvre de la nature
médicatrice.
*

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36 À la fin des années 1860, la communauté médicale a achevé


une révolution scientifique débutée dans les dernières
décennies du xviiie siècle. Le corpus hippocratique a cessé de
constituer la référence théorique sur laquelle s’appuie
l’exercice normal de la médecine, pour être remplacé par la
physiologie et la pathologie anatomique. Les progrès réalisés
dans le domaine des sciences naturelles, des sciences
physiques et de la chimie, les aspirations sociales à une lutte
active contre les maladies et la volonté du corps médical de
répondre à ces aspirations par l’achèvement du processus de
médicalisation de la France ont conduit au constat du
caractère obsolète des théories et des normes sur lesquelles
se fondait la médecine des Lumières et à l’adoption de
nouveaux paradigmes qui définissent les sciences médicales
modernes. Par ailleurs, l’influence du positivisme sur les
sciences du vivant et la nouvelle approche des phénomènes
physiologiques introduits par la méthode expérimentale de
Claude Bernard ont définitivement achevé de débarrasser la
médecine moderne de la question métaphysique des causes
premières et des finalités. L’observation de la succession des
symptômes externes, attribuée à l’œuvre d’une force
naturelle luttant toujours pour le rétablissement de la santé,
a cédé le pas à une médecine de laboratoire qui entend
plonger son regard dans le corps, au plus près des organes
vivants, et cherche à cerner, grâce aux apports de la chimie,
leurs fonctions particulières dans la mécanique complexe de
la vie. Les cliniciens, les hygiénistes et les pathologistes qui,
au nom de conceptions néo-vitalistes, contestent l’emprise
croissante de la médecine expérimentale, ne rompent pas
pour autant avec les principes du positivisme. Affirmer que
l’organisme possède ses propres capacités de résistance aux
agressions morbides ne peut légitimement conduire à
postuler l’existence d’un principe médicateur autonome
poursuivant une finalité propre. Et lorsque l’on invoque
encore la nature médicatrice dans le dernier tiers du xixe
siècle, c’est toujours pour désigner l’activité particulière d’un
organe grâce à laquelle celui-ci tente de retourner à
l’accomplissement normal de ses fonctions. L’essor de la

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microbiologie et la découverte du rôle de la phagocytose


dans les processus immunitaires par Elie Metchnikoff, au
début des années 1880, viendront d’ailleurs confirmer les
thèses défendues par le courant néo-vitaliste et faciliter son
ralliement à la révolution pasteurienne.
37 Ainsi, de la fin des années 1810 à la fin des années 1860, les
conceptions classiques qui fondaient le naturisme médical
des Lumières - la subordination de l’action thérapeutique
aux volontés d’une puissance abstraite supérieure
définissant un ordre du monde au sein duquel la maladie
s’inscrit comme phénomène normal - ont été
progressivement repoussées aux marges avant de quitter
définitivement les paradigmes de la médecine dominante.

Notas
1. .Sauf mention contraire, ce passage s’appuie sur M. Neuburger, « An
Histotical Survey of the Concept of Nature from a Medical Viewpoint »,
Isis, 35-99, 1944, p. 16-28 ; J. Ehrard, L’Idée de nature en France dans
la première moitié du xviiie siècle, Paris, 1994 [1963]  ; J. Roger, Les
Sciences de la vie dans la pensée française au xviiie siècle, Paris, 1993
[1963]  ; A. Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, 1993  ; R.
Mazzolini, « Les Lumières de le vivant », M. Grmek (dir.), Histoire de
la pensée médicale en Occident, vol. 2 : De la Renaissance aux Lumières,
Paris, 1997, p. 93-155.
2. D. Lecourt, «  Vitalisme et mécanisme  », D. Lecourt (dir.),
Dictionnaire d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, 1999, p.
988.
3. R. Rey, «  Anamorphoses d’Hippocrate au xviiie siècle  », Maladie et
maladies, histoire et conceptualisation. Mélanges en l’honneur de Mirko
Grmek, Genève, 1992, p. 266-270.
4. Les Recherches sur l’histoire de la médecine sont publiées à Liège, en
1768, de façon anonyme. L’édition consultée est tirée des Œuvres
complètes de Bordeu, tome II, Paris, Caille et Ravier, 1818.
5. . T. DE Bordeu, Recherches..., op. cit.,. 595.
6. . Ibidem, p. 595-596.
7. Ibid., p. 595.
8. Ibid., p. 596.
9. T. Berti et G. Federspil, « Les Stratégies thérapeutiques », M. Grmek
(dir.), Histoire de kpensée médicale en Occident, vol. 3 : Du Romantisme
à la science moderne, Paris, 1999, p. 199 et O. FAURE, Histoire sociale

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de la médecine (xviiie-xxe siècles), Paris, 1994, p. 54-55. Georges


Canguilhem suggère que ce scepticisme exprime une méfiance de la
philosophie vitaliste à l’égard du pouvoir de la technique sur la vie [La
Connaissance de la vie, Paris, 1992 [1952], p. 86)
10. T. De Bordeu, Recherches..., op. cit., p. 597-598.
11. . Ibidem, p. 601-602.
12. . Ibid., p. 604.
13. Cité par A. Planchon,Le Naturisme, ou la nature considérée dans
les maladies et leur traitement, conforme à la doctrine et à la pratique
d’Hippocrate et de ses sectateurs, Tournay, Varie, 1778, p. V-Vl.
14. . A. Planchon, Le Naturisme..., op. cit., p. XIV (c’est l’auteur qui
souligne).
15. Ibidem, p. 11
16. . Ibid., p. 29.
17. . I. V. Voullonne, Mémoire couronné par l’Académie de Dijon sur
cette question : déterminer quelles sont les maladies, dans lesquelles la
Médecine expectante est préférable à l’agissante, et celle-ci à
l’expectante, Avignon, 1776
18. . T. DE Bordeu, Recherches..., op. cit., p. 595-596 et A. PLANCHON,
Le Naturisme..., op. cit., p. 5.
19. M. Foucault, Naissance de la clinique, Paris, 2000 [1963], p. 1-19.
20. . X. Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800),
cité par A. Plchot, Histoire de la notion de vie, op. cit., p. 526. 29
21. . R. Rey, «  L’Âme, le corps et le vivant  », op. cit., p. 129-131.
Parallèlement subsiste un «  spiritualisme vital  », sous l’influence de
Lordat notamment.
22. M. Grmek, « Le Concept de maladie », M. Grmek (dir.), Histoire de
la pensée médicale..., vol. 3, op. cit., p. 147-148. 30
23. F. Bérard, Plan d’une médecine naturelle ou la nature considérée
comme médecin et le médecin considéré comme imitateur de la nature,
thèse de médecine, Montpellier, 1811, p. 5.
24. P. Meynier, Essai sur l’expectation, thèse de médecine, Paris, 1828,
p. 27-28.
25. Dufort, De la Nature et de l’art dans la guérison des maladies,
thèse de médecine, Paris, 1828, p. 7
26. P.-X. Finot, Considérations générales sur l’expectation, thèse de
médecine, Strasbourg, 1834, p. 2.
27. . A. Mille, Considérations générales sur l’action et l’expectation en
médecine, Paris, 1834, p. 7-9.

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28. E. Couty De La Pommerais, Du Rôle que joue la nature dans les


maladies, thèse de médecine, Paris, 1854, p. 37.
29. CAYOL, Du Ver rongeur de la tradition hippocratique. Défense de
l’hippocratisme moderne contre les attaques d’un certain parti néo-
catholique, Paris, Dentu, 1854, p. 12 et 33-35.
30. S. Fallot, « De la Maladie et de la force vitale », La Presse médicale
belge, n° 30, 20 juillet 1856, p. 238. Dès 1828, dans son Essai sur
l’expectation en médecine, Fallot avait dénoncé les conceptions
médicales fondées sur la confiance dans la capacité médicatrice de la
nature.
31. . Lhuillier, Organiscisme et animisme, esquisse de philosophie
médicale. Mémoire présenté à la société de médecine de Nancy, Nancy,
1861, p. 15.
32. « La Nature médicatrice étudiée dans ses procédés curatifs », Revue
médicale française et étrangère, tome II, 1876, p. 130-131.
33. J. Capret De la Nature médicatrice à propos de l’interprétation de
quelques actes morbides, thèse de médecine, Montpellier, 1877, p. 32.
34. Par exemple chez Bérard (Plan d’une médecine naturelle.op. cit.).
35. O. Faure, Les Français et leur médecine au xixe siècle, Paris, 1993.
36. A. Mille, Considérations générales..., op. cit., p. 9.
37. H. Pidoux, Essai sur les bis de la force médicatrice, thèse de
médecine, Paris, 1835, p. 12.
38. H. Pidoux, Les Vrais principes de la matière médicale et de la
thérapeutique, Paris, 1853, p. 101.
39. . E. Couty DE LA Pommerais, DU Rôle que joue la nature..., op. cit.,
p. 43.
40. G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, 1998 [1966], p.
32-51.
41. . J. Léonard, La Vie quotidienne du médecin de province au xixe
siècle, Paris, 1977, p. 54-55 et Médecins, malades et société dans la
France du xixe siècle, Paris, 1992, p. 76.
42. . Pinel, «  Expectation en médecine, ou médecine expectante  »,
Dictionnaire des sciences médicales, par une société de médecins et de
chirurgiens, vol. 14, Paris, Panckoucke, 1815, p. 252.
43. . Dufort, De la Nature et de l’art..., op. cit., p. 15-19.
44. . J. B. Delort, Considérations sur la médecine expectante et le
traitement des maladies en général, thèse de médecine, Paris, 1819, p. 8
45. . Bricheteau, «  Naturisme, ou naturalisme  », Dictionnaire des
sciences médicales, par une société de médecins et de chirurgiens, vol.
35, Paris, Panckoucke, 1819, p. 302.

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46. O. Bonnain, Essai sur la nature médicatrice, thèse de médecine,


Paris, 1836, p. 6-9.
47. J. B. Delort, Considérations
48. Bricheteau, « Naturisme... », op. cit., p. 301
49. Bricheteau, «  Naturistes (médecins)  », Dictionnaire des sciences
médicales..., op. cit., p. 310.
50. J. Pelletan, De la Nature médicatrice, thèse pour le concours de
l’agrégation de médecine, Paris, 1835, p. 31.
51. P. Meynier, Essai sur l’expectation, op. cit., p. 27-28.
52. P.-X. Finot, Considérations générales sur l’expectation, op. cit., p.
6-7.
53. . A. Mille, Considérations générales..., op. cit., p. 10.
54. . Ibidem, p. 10-11.

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BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre I. La médecine naturiste, des Lumières
au positivisme In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature [en línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004
(generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22876>. ISBN: 9782753523036.
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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
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Histoire du naturisme
Le mythe du retour à la nature
Arnaud Baubérot

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Presses
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Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre II. L’essor


du naturisme dans
les pays
germaniques
p. 43-60

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Texto completo

L’hydrothérapie de Priessnitz et sa
propagation
1 Le mouvement de scepticisme médical et de méfiance à
l’égard de la pharmacopée traditionnelle, qui se développe à
partir de la fin du xviiie siècle et dont il semble que Vienne
constitue l’un des centres névralgiques1 encourage la
recherche de modes thérapeutiques alternatifs. C’est dans ce
contexte qu’un large courant en faveur du traitement des
maladies par l’application d’eau froide émerge entre les
années 1830 et 1840 dans l’empire d’Autriche et dans les
États allemands, suscitant la création d’établissements de
cure fréquentés par un public varié et de plus en plus
nombreux.
2 Les réalisations et les succès d’un paysan de Silésie
autrichienne, Vinzenz Priessnitz, illustrent la portée de cet
engouement. D’abord guérisseur local, comme il en existe
dans toutes les campagnes européennes de cette époque,
Priessnitz soulage les souffrances de ses semblables par des
applications d’épongés imbibées d’eau froide. Dans le
courant des années 1820, sa renommée commence à
déborder les frontières de son terroir et à attirer un nombre
croissant de visiteurs dans son village de Gräfenberg. Le
procès qu’il remporte contre des médecins l’accusant de
pratiquer illégalement la médecine et l’avis favorable
qu’émet le baron de Turckheim, médecin de la cour chargé
par le gouvernement autrichien d’étudier ses procédés
thérapeutiques, accroissent encore sa notoriété. En 1830,
Gräfenberg est admis au rang des bains privilégiés de
l’empire et voit bientôt affluer un public fortuné et
aristocratique. Alors qu’à peine cinquante patients étaient
venus consulter Priessnitz en 1829, il en soigne plus de 1 500
dix ans plus tard2. Délaissant les éponges humides, le paysan
guérisseur affine son procédé. Son système se fonde
désormais sur la combinaison de quatre facteurs - la
transpiration forcée, l’application d’eau froide, l’exercice
physique et le régime alimentaire — censés seconder le
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travail curateur de la nature en provoquant des crises, en


fluidifiant les humeurs et en favorisant l’évacuation des
matières morbides. Réveillé à quatre heures du matin, le
curiste est d’abord enveloppé dans une couverture épaisse.
Après cinq ou six heures de transpiration, il s’assied sur une
chaise au milieu d’un baquet et reçoit des applications d’eau
froide (d’une température d’environ 30° tout d’abord, puis
décroissante jusqu’à 10 voire 5°) à l’aide de compresses
imbibées ou par aspersion. Selon les individus et les
maladies, les applications d’eau sont locales ou générales. Le
curiste est ensuite séché et frictionné dans un drap, puis il
s’habille de vêtements chauds et part faire une promenade à
pied tout en buvant des quantités abondantes d’eau fraîche.
Une fois réchauffé, il peut aller se mettre à table et déjeuner
avant de reprendre les étapes de son traitement. Une
brochure anonyme consacrée au système de Priessnitz,
publiée à Paris en 1838, expose sans détour la sévérité de la
cure à Gräfenberg. «  On ne peut guère s’attendre à trouver
ici toutes les jouissances d’Ems et de Karlsbad, avertit
l’auteur, d’ailleurs on ne vient point ici pour son plaisir et le
temps s’y passe tout autrement que dans les lieux de bains. »
Point de promenades, de danses ou de jeux, «  chacun
travaille à sa cure et la journée est souvent trop courte pour
faire tout ce qu’elle exige  »  ; «  laborieuse, héroïque3  », la
cure de Gräfenberg n’a rien du séjour d’agrément. «  Il n’en
est point de Gräfenberg comme des eaux minérales en
réputation de la France et de l’Allemagne, où on se rend très
souvent par ton, par entraînement, ou pour y chercher la
distraction  », confirme, cinq ans plus tard, le médecin
militaire Henri Scoutetten. « La vie y est rude et les plaisirs
très rares. On ne se décide à ce voyage qu’après avoir épuisé
toutes les ressources ordinaires de la médecine ; car dans ce
pays, étranger à la civilisation des villes, le confortable y est
inconnu et le nécessaire très difficile à se procurer4.  » La
rigueur du traitement et l’austérité des installations ne
nuisent pourtant pas à la vogue de l’hydrothérapie dans la
bonne société. En 1837, déjà, un jeune médecin français,
Louis Fleur, affirmait que Gräfenberg était devenu le

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« rendez-vous des princes de l’Allemagne » et de « voyageurs


accourus de toutes les parties du monde5 ». En 1843, lorsque
Scoutetten rédige son rapport, cette vogue ne s’est pas
démentie :
«  Malgré ces inconvénients, Gräfenberg reçoit une foule de
personnages de la plus haute distinction : cette année y a vu
le prince de Nassau, le prince de Lichtenstein, la tante du roi
de Prusse, la princesse Sapieha, la princesse Gortschakoff, le
fils du duc de Sussex, oncle de la reine d’Angleterre, des
magnats de la Hongrie, des grands de la Valachie, puis une
foule de baronnes, de comtesses de tout âge et de tout
pays. »

3 Et le médecin de souligner son étonnement de voir «  tous


ces personnages, habitués au commandement, obéir avec un
scrupule religieux aux moindres recommandations d’un
paysan illettré6 ».
4 Le succès de Priessnitz suscite des vocations. Les
établissements de cure dirigés par des thérapeutes plus ou
moins improvisés se multiplient, comme celui, par exemple,
d’un certain Johann Schroth, à Lindewiese, à quelques
kilomètres de Grâfenberg, celui du Dr Emel à Kaltenleitgeb,
près de Rodau, à deux heures de Vienne, ou celui de
Lehmann à Obernik, dans la région de Breslau.
5 Parmi les zélateurs du traitement par l’eau froide, Christian
Oertel, un professeur du Gymnasium d’Ansbach en Bavière,
joue un rôle capital dans la diffusion de ce mode de soin7. Né
en 1765, possédant une vaste érudition, Oertel puise son
intérêt pour l’hydrothérapie à diverses sources. Des cours de
médecine qu’il a suivis entre 1785 et 1789, parallèlement à
ses études de théologie et de philologie, il garde une
méfiance certaine à l’égard des remèdes et une préférence
marquée pour le recours à la diététique et à l’eau froide. En
1804, il découvre X Étude sur la force et l’effet de l’eau froide
sur le corps des hommes de Johann Sigmund Hahn qui lui
permet de donner un tour plus systématique à ses idées
médicales. Enfin, ses compétences de philologue le
conduisent à s’intéresser à la littérature médicale gréco-
romaine et aux auteurs classiques qui, comme Horace ou
Suétone, font allusion à l’utilisation thérapeutique et
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hygiénique de l’eau. Devenu lui-même thérapeute


empirique, Oertel rédige plusieurs traités sur l’hydrothérapie
dans le courant des années 1820. En 1832, il crée une
Association pour la santé par l’hydrothérapie, implantée à
Berlin, Bromberg, Dresde, Cassel, Lubeck et Zittau. Deux
ans plus tard, il publie un appel à tous les gouvernements
des États allemands pour la création d’instituts
d’hydrothérapie sur le modèle de Gräfenberg, qui connaît un
certain retentissement. Encouragé par le comte de
Rechberg-Rothenlöwen, grand maître des cérémonies de la
cour de Bavière, qui a soigné à Gräfenberg une maladie
chronique vieille de vingt ans, et par les appels répétés
d’Oertel, le roi Louis Ier envoie deux médecins auprès de
Priessnitz en 1837. À leur retour, il reconnaît officiellement
la méthode et offre une propriété pour établir un centre
d’hydrothérapie. Le roi de Saxe ainsi que plusieurs princes
des petits États saxons — Saxe-Gotha, Saxe-Meiningen et
Reuss notamment - suivent l’exemple bavarois et s’attachent
à promouvoir l’hydrothérapie auprès de leurs sujets. En
1840, le médecin viennois Engel mentionne l’existence de 31
établissements en Allemagne et dans l’empire d’Autriche8.
6 Dans les grandes villes allemandes, à Berlin, à Hambourg et
à Cassel notamment, les partisans de l’hydrothérapie suivent
l’exemple d’Oertel et se regroupent au sein d’associations.
Ainsi à Dresde, en 1835, un horloger, un professeur de
langues et un directeur d’école fondent une Association
hydro-diététique. Elle reste toutefois de taille relativement
modeste, recrutant essentiellement dans la bourgeoisie
cultivée9. En 1841, le docteur Schmitz, directeur d’un institut
d’hydrothérapie à Marienberg près de Boppart-sur-le-Rhin,
entreprend de regrouper l’ensemble des médecins
hydropathes et des directeurs d’établissements de cures au
sein d’une même association. L’année suivante, Schmitz,
Oertel et huit médecins allemands et autrichiens fondent
une Société «  hydriatique  » à Alexandersbad, dans le
Royaume de Bavière. L’association se dote d’un journal, Der
Wasserfreund (L’Ami de l’eau), afin de renforcer les liens
entre les partisans de l’hydrothérapie et de militer

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efficacement pour la diffusion de la méthode auprès de


l’opinion publique. En 1844, l’association, qui a pris le nom
de Société d’hydrothérapie et d’hygiène, rassemble une
cinquantaine de membres, parmi lesquels quelques
médecins suisses, anglais et russes10.
7 Si l’expérience de Priessnitz a incontestablement contribué à
l’essor de l’hydrothérapie dans les pays germaniques, il faut
toutefois nuancer les interprétations qui font du paysan
silésien l’inventeur d’une méthode réellement innovante et
contraire aux conceptions médicales de son temps. En effet,
l’une des préoccupations majeures de Priessnitz et de ses
successeurs à la direction de l’établissement de Gräfenberg
semble avoir été, dans un contexte de concurrence
croissante, de construire un récit des origines qui visait non
seulement à affirmer le caractère original de son système
thérapeutique, mais également à s’en attribuer l’exclusive
paternité. Toute une littérature s’est ainsi attachée à
présenter le paysan silésien comme une sorte de pionnier de
l’hydrothérapie qui, malgré une ignorance allant jusqu’à
l’illettrisme, aurait eut l’intuition des lois de la santé et en
aurait tiré un type de traitement inédit11. Son système,
pourtant, s’inspire largement de pratiques traditionnelles
d’hygiène combinant la transpiration et l’application d’eau
très froide ou de neige, encore répandues au début du xixe
siècle. Un certain docteur Schedel, par exemple, souligne dès
1845 les analogies qui existent entre la méthode de
Priessnitz et certains remèdes populaires slaves qui, depuis
des temps ancestraux, usent de la transpiration pour évacuer
les humeurs malsaines12. Plutôt que de céder au mythe d’un
Priessnitz pionnier de l’hydrothérapie, il semble donc plus
pertinent de s’interroger sur les conditions culturelles et
sociales qui permettent aux hydropathes empiriques, à une
époque où les guérisseurs de toutes sortes foisonnent encore
dans les campagnes européennes, de dépasser les frontières
géographiques et sociales de leur pratique habituelle pour
susciter l’engouement d’une partie de l’aristocratie et de la
bourgeoisie urbaine et accéder à une surprenante notoriété.

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8 Il convient tout d’abord de remarquer que les


représentations du corps et de la santé qui fondent la
pratique des hydropathes sont héritées d’une époque où se
confondaient, dans une certaine mesure, le savoir commun
et le savoir scientifique. Or, les révolutions médicales qui
s’opèrent entre la fin du xviiie et le milieu du xixe siècles
marquent l’aboutissement d’un processus par lequel le
savoir médical scientifique a progressivement rompu avec
les conceptions qui dominent encore le savoir commun pour
s’édifier sur de nouveaux fondements13. Le développement
de l’hydrothérapie empirique en tant que fait social - c’est-à-
dire en tant qu’elle est capable de suscter l’adhésion et la
mobilisation d’une partie de la population autour de son
projet thérapeutique - dans le courant des années 1830 et
1840 peut ainsi apparaître comme un refus opposé au
processus de rationalisation scientifique engagé dans les
sciences médicales et au mouvement de médicalisation de la
société. Ainsi se fait voix, à travers cet empirisme
thérapeutique, une forme de résistance sociale à la médecine
moderne qui se professionnalise et abandonne la conception
humorale du corps véhiculée par la culture commune sans
être encore en mesure de justifier sa position par une plus
grande efficacité thérapeutique.
9 Il faut, ensuite, souligner que l’intérêt pour l’hydrothérapie
s’épanouit dans un contexte de redécouverte de l’Antiquité
classique, encouragée par le préromantisme et sensible, en
Allemagne, depuis le milieu du xviiie siècle. L’utilisation
antique de l’eau à des fins hygiéniques et thérapeutiques,
attestée par la littérature classique gréco-romaine, apporte,
aux yeux d’une partie des élites cultivées, la preuve de ses
vertus préventives et curatives. L’exemple de Christian
Oertel, dont l’intérêt pour l’hydrothérapie se nourrit en
partie de l’étude philologique des auteurs anciens, illustre ce
fait de manière significative. Par ailleurs, l’idéal hellénique,
renforcé par la lecture de Rousseau dans les couches
cultivées allemandes, a fait de l’athlète grec - ou parfois, plus
spécifiquement, du Spartiate14- un modèle de force, de
vigueur et de santé. Cette conception a alimenté le discours

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hygiéniste des Lumières qui, dans ses alarmes, soulignait les


dangers de l’affaiblissement des corps par la mollesse et le
relâchement des mœurs. Face à la menace de dégénération,
à laquelle semble exposer tout particulièrement le mode de
vie aristocratique, le rude contact de l’eau froide, l’exercice
physique et la rigueur d’une existence rustique ouvrent la
voie de la régénération15.
10 À la différence des stations thermales, lieux de villégiature
dont la vogue se répand parmi la haute bourgeoisie et
l’aristocratie européennes à la même époque, les
établissements des empiristes frappent, nous l’avons dit, par
l’austérité de leurs installations. On y recherche les
conditions d’une vie saine, synonyme de vie simple. Les
curistes, quittant le luxe et le confort de leur existence
habituelle, éprouvent certainement le sentiment de se
ressourcer par ce séjour rustique. Plusieurs auteurs
mentionnent, par exemple, que Priessnitz impose à ses
curistes des deux sexes et de toutes conditions de scier
quotidiennement des bûches de bois dans leur chambre16.
Rompre avec les artifices de la vie sociale et retrouver
l’authenticité de l’existence en embrassant la vie rude d’un
paysan illettré, réagir contre l’amollissement en fuyant
temporairement les mœurs de la cour ou la sophistication de
la vie urbaine et revigorer ses énergies vitales en exposant
son organisme à la violence des éléments naturels : le succès
de l’hydrothérapie parmi les couches supérieures n’est
assurément pas étranger à la diffusion du romantisme dans
les pays germaniques. De plus, la conception holiste des
rapports entre l’homme et son milieu, la croyance en la
puissance médicatrice des éléments naturels et le rejet de la
rationalité scientifique des médecins confèrent également à
cet empirisme thérapeutique une affinité profonde avec
l’idéologie romantique17.
11 Enfin, la création de centres de cures hydrothérapiques offre
à l’empirisme un mode de mise en œuvre qui répond au
développement des pratiques de loisirs sanitaires au sein de
l’aristocratie et des couches supérieures de la bourgeoisie.
L’accueil des curistes dans des bâtiments construits et

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équipés à cet effet, la systématisation de la cure à travers un


emploi du temps réglé et varié permettent aux hydropathes
empiriques de s’assurer un rayonnement qui va au-delà de la
sphère locale dans laquelle sont généralement cantonnés les
guérisseurs de village. Finalement, ce que la méthode de
Priessnitz et plus généralement l’ensemble du courant
favorable à l’hydrothérapie ont de remarquable ne réside pas
dans d’hypothétiques innovations thérapeutiques, mais
plutôt dans leur capacité à associer les données d’un savoir
médical théorique ancien qui perdure dans la culture
commune, répond aux aspirations nouvelles de la culture
des élites et nourrit certaines résistances aux
transformations sociales induites par la modernité, avec
l’émergence d’un intérêt nouveau pour les loisirs sanitaires.

La diffusion des médecines naturelles en


Allemagne
12 Les cures d’hydrothérapie proposées par les thérapeutes
empiriques ne se limitent généralement pas, nous l’avons vu,
à la seule utilisation de l’eau. Celle-ci est intégrée à un
ensemble de prescriptions hygiéniques et diététiques. Ainsi,
l’exposition à l’air vivifiant des campagnes ou de l’altitude,
l’exercice physique et l’observation d’un régime alimentaire
particulier apparaissent comme des adjuvants
indispensables de la transpiration, des bains, des douches et
des compresses humides. Un glissement s’opère avec
l’ouverture à Veldes en Slovénie, en 1855, d’un établissement
de cure naturelle en altitude par Arnold Rikli. À
l’hydrothérapie, qu’il a lui-même expérimentée, et à la cure
d’air en altitude, que la médecine des Lumière et le
romantisme ont remise en vogue18, Rikli ajoute le « bain de
soleil  » comme méthode d’échauffement du corps, puis, à
partir de la fin des années 1860, le « bain de lumière » que
les curistes prennent dévêtus dans des parcs aménagés sur
les hauteurs montagneuses qui surplombent le centre. Le
rôle d’agent thérapeutique majeur, dévolu précédemment à
l’eau froide, est ici conféré à l’air et au soleil, mais les
fondements théoriques de la cure ont peu changé. La
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maladie résulte toujours de la lutte bénéfique de la nature


médicatrice pour résoudre une altération de la circulation
des humeurs ou un défaut d’évacuation des matières
morbides. L’exposition du corps à l’air vivifiant de l’altitude
ou à la chaleur du soleil vise à modifier la température du
corps afin de réguler le mouvement des humeurs et de
stimuler la force vitale naturelle.
13 L’hydrothérapie connaît un nouvel essor dans le dernier tiers
du xixe siècle. Suscitant l’intérêt d’une portion plus large de
la population, elle recrute désormais ses adeptes au-delà de
la minorité éclairée qui la portait jusqu’alors19. De nouveaux
vecteurs de diffusion des thérapeutiques alternatives
apparaissent, qui stimulent en même temps qu’ils
accompagnent cet essor. Le recours à l’écrit, tout d’abord,
favorisé par l’accroissement général du niveau d’instruction,
offre aux empiristes une audience qui déborde largement les
frontières de leur clientèle. Émules lointains de Priessnitz,
des empiristes allemands soucieux d’ériger leurs
prescriptions en système, de conférer un fondement
théorique à leurs expériences et de renforcer la célébrité de
leurs méthodes rédigent des traités qui sont parfois
d’incontestables succès de librairie. Ma Cure d’eau, l’ouvrage
du curé bavarois Sébastien Kneipp20, est rééditée neuf fois
entre 1886 et 1889. Ses multiples traductions assurent la
renommée internationale de ce prêtre qui, depuis 1854,
accueille les malades dans son village Wörishofen et les
soigne par des applications d’eau froide, la marche pieds nus
dans l’eau ou dans l’herbe et l’utilisation des plantes
médicinales. Afin de relayer le succès de ses ouvrages,
Kneipp encourage, à partir de 1890, la formation
d’associations locales regroupant les partisans de sa
méthode. En 1900, le docteur Alfred Baumgarten, qui a
succédé au curé bavarois à la tête de l’établissement de
Wörishofen, avance le chiffre de 99 Unions Kneipp en
Allemagne et en Autriche-Hongrie21. La nouvelle Science de
guérir de Louis Kiihne22, un empiriste de Leipzig qui prescrit
des bains de siège dans l’eau froide et des frictions à ses
patients, connaît également un succès considérable et de

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nombreuses traductions. Le succès de l’héliothérapie de


Rikli doit également beaucoup à la publication de son
ouvrage La Cure atmosphérique23, largement diffusé au-delà
des frontières austro-hongroises. Enfin, de vastes synthèses,
compilant les recommandations des thérapeutes les plus
célèbres, sont publiées dans le but de populariser le recours
aux médecines naturelles. Ainsi, par exemple, l’encyclopédie
en trois volumes de l’industriel Friedrich Eduard Bilz, La
nouvelle Médication naturelle, est diffusée en plusieurs
langues à plus d’un million d’exemplaires24.
14 En dépit de l’hostilité affichée par les empiristes et par leurs
partisans à l’égard de la médecine moderne, certains
développements des sciences médicales convergent avec les
conceptions qui sous-tendent leurs procédés thérapeutiques
et encouragent des médecins à s’intéresser aux méthodes
naturelles. Particulièrement bien reçue dans les pays
germaniques, la pathologie expérimentale de Claude
Bernard a suscité, dans les années 1840 et 1850, de
nombreux travaux sur le mécanisme des grandes fonctions
physiologiques (respiration, nutrition, circulation sanguine,
etc.) et sur leurs dérèglements. Les découvertes de Rudolf
Virchow et de ses disciples, par ailleurs, ont mis en lumière
les phénomènes de réaction de la totalité de l’organisme aux
facteurs pathogènes, ainsi que le rôle régulateur du sang et
du système nerveux, conduisant ainsi à accorder plus
d’importance aux causes internes des maladies qu’à leurs
causes externes25. Les systèmes proposés par les empiristes,
fondés sur l’idée que le contact des éléments naturels
améliore le fonctionnement de l’organisme et stimule ses
capacités de défense, ont pu alors être perçus par certains
médecins comme les moyens thérapeutiques et hygiéniques
les plus adéquats.
15 La manne financière que représente potentiellement un
établissement de cure hydrothérapique encourage aussi
probablement certains médecins à se diriger vers ce type
d’activité. En novembre 1843, par exemple, l’asse blée
générale de la Société d’hydrothérapie et d’hygiène, fondée
deux ans plus tôt par le docteur Schmitz, rassemble 19

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médecins pour seulement trois thérapeutes non diplômés.


Chez Kneipp et son entourage, la stratégie mise au point
pour diffuser le système du curé bavarois s’appuie
ouvertement sur l’adhésion d’une partie du corps médical.
Dans les années 1890, plusieurs centaines de médecins sont
accueillis à Wörishofen et formés à la méthode Kneipp. En
février 1894, l’Association internationale des médecins
kneippistes est fondée. Le médecin viennois Wilhelm
Winternitz, pour sa part, se rend à Gräfenberg en 1861 afin
d’étudier la méthode de Priessnitz avec son successeur. En
1865, il devient lecteur en hydrothérapie à l’Université de
Vienne et directeur de l’établissement de Kaltenleitgeben.
Des étudiants viennent de toute l’Europe centrale pour
suivre son enseignement et ouvrent ensuite leur propre
clinique hydrothérapique26. On peut également évoquer
l’exemple du sanatorium de Weißen Hirsch, près de Dresde,
fondé en 1887 par un adepte de la méthode de Rickli, le
docteur Heinrich Lahmann. En 1888, il accueille 385
curistes. Quinze ans plus tard, son sanatorium est un vaste
complexe d’une vingtaine de bâtiments, dans lequel exercent
neuf médecins et dont la fréquentation annuelle est
supérieure à 3 000 patients27. Pour la période allant de 1898
à 1900, Edward Shorter affirme que les cliniques
d’hydrothérapie représentent 22  % des cliniques privées en
Allemagne (74 établissements sur 340) et 45 % en Autriche
(27 établissements sur 60). Il souligne, par ailleurs, le rôle de
puissant facteur de propagation joué par le chemin de fer qui
rend les petites sources accessibles et, combiné à la
prospérité croissante des classes moyennes en Europe
centrale, entraîne la multiplication des cliniques
d’hydrothérapie ainsi qu’une augmentation significative de
leur fréquentation28. Wolfgang Krabbe, de son côté, affirme
que le nombre d’établissements utilisant les médecines
naturelles passe de 131 en 1891 à 300 en 191329.
16 Enfin, la constitution de grandes fédérations, cherchant à
rassembler les petits cercles de partisans des thérapeutiques
alternatives, offre des relais efficaces pour la promotion et la
diffusion de ces méthodes au sein de la société30. Le

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mouvement part de Saxe dans les années 1860 et 1870.


L’Association hydro-diététique, fondée à Dresde en 1835,
fusionne avec d’autres groupements locaux pour former, en
1872, une Association centrale pour la santé naturelle en
Saxe. La volonté de ses dirigeants d’aboutir à un large
regroupement à l’échelle du Reich conduit, en 1883, à la
fondation de l’Association allemande pour la médecine
naturiste et l’hygiène populaire, présidée par Hermann
Canitz, un professeur de Chemnitz également thérapeute
empiriste et dirigeant de la Société d’hygiène populaire de
Berlin. Cette association milite activement pour la diffusion
des thérapeutiques naturelles, contre le recours à l’allopathie
et la professionnalisation médicale. Elle s’engage également
dans la lutte en faveur d’une réforme hygiénique des modes
de vie par l’éducation populaire, l’ouverture de bains de
rivières et de parcs de bains d’air dans les grandes villes. Ses
15  000 adhérents se répartissent dans une centaine de
groupes locaux31. En 1888, elle parvient à fédérer plusieurs
associations locales au sein d’une Union allemande des
associations pour une manière de vivre et de soigner
conforme à la nature qui croît sans interruption, jusqu’à
rassembler, en 1913, 148  000 membres et 885 groupes
locaux. La croissance de l’Union s’accompagne d’une
évolution sensible de sa composition sociale. Alors que la
bourgeoisie cultivée fournissait l’essentiel de ses troupes au
naturisme militant à la fin des années 1880, son poids relatif
tend à s’amenuiser au profit de milieux plus modestes. En
1912, les rangs de l’Union se composent pour plus de la
moitié d’artisans et d’ouvriers, et pour un tiers de membres
des couches intermédiaires, de commerçants et de
fonctionnaires. Par ailleurs, en même temps qu’elle devient
plus massive et plus populaire, l’Union s’intéresse à des
aspects plus variés de la vie sociale. Outre les associations
proprement naturistes vouées à la promotion des
thérapeutiques naturelles et des bains d’air ou de rivière, elle
fédère des cliniques, des bibliothèques, des jardins d’enfants,
des colonies de vacances et des caisses d’épargne mutuelle.
La question médicale reste néanmoins centrale dans les

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activités de l’Union et le mensuel qu’elle édite prend le titre


significatif de Der Naturarzt (Le Médecin de la nature)32.

Du naturisme au nudisme
17 La multiplication et la croissance des associations
allemandes vouées à la promotion de l’hygiène et de la
médecine naturelle, entre 1880 et 1913, doit être replacée
dans le cadre d’un vaste courant qui traverse la société
allemande et exprime l’aspiration à une profonde
transformation des conditions d’existence. Ce courant, que
l’historiographie allemande désigne par l’expression de
«  mouvement pour la réforme des modes de vie  »
(Lebensreformbewegung33), rassemble dans une commune
dénonciation des méfaits de la modernité aussi bien les
tenants des thérapeutiques alternatives que les adeptes du
végétarisme et de la culture physique, les militants de la lutte
contre l’alcoolisme, contre le tabagisme ou contre le port du
corset, les partisans de l’éducation nouvelle ou des cités-
jardins. Or, sous l’effet de différents facteurs qu’il convient à
présent d’analyser, la question de la nudité et des conditions
de sa pratique acquiert progressivement une place centrale
dans ce vaste programme de réformes.
18 L’influence des médecines naturelles et la résurgence de
l’intérêt pour l’Antiquité grecque ont suscité l’émergence
d’un courant de pensée qui attribue à la dénudation et à
l’exposition du corps aux éléments des vertus hygiéniques,
prophylactiques et éthiques. La nudité, par ailleurs, apparaît
comme un puissant moyen de dénoncer le goût du luxe et de
l’apparence et, plus fondamentalement, de contester le
matérialisme de la civilisation contemporaine. Parmi les
auteurs qui s’attachent à populariser ces thèmes se détache
la figure d’Heinrich Pudor, considéré en son temps comme
l’un des maîtres à penser du nudisme allemand. Son premier
ouvrage, Les Hommes nus34, était pourtant passé
pratiquement inaperçu du public lors de sa parution en
1893. Dans ce recueil d’aphorismes tiré à 2000 exemplaires,
Pudor prônait l’adoption d’un mode de vie ascétique fondé
sur le jeûne, la chasteté et la nudité. C’est en 1906, avec la
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publication d’un essai volumineux, La Culture du nu35, qu’il


accède à la notoriété. Attribuant la dégénération physique et
morale de l’espèce humaine à la honte du corps, Pudor
appelle à sa réhabilitation par la pratique des bains d’air et
de lumière, l’éducation sexuelle, la réforme du vêtement, la
culture physique et le végétarisme. Toutefois, pour produire
ses bénéfices moraux, la nudité collective doit rester prude et
chaste. Elle nécessite, selon lui, un caractère noble, doit se
pratiquer dans un cadre naturel — la nudité dans un cadre
urbain ou sous une lumière artificielle risque d’exciter les
sens - et ne peut se confondre avec la nudité érodque et
immorale des théâtres36.
19 Le Mouvement de la jeunesse (Jugendbewegung), pour sa
part, associe la nudité à un idéal de fusion avec la nature et à
la contestation des valeurs traditionnelles de la bourgeoisie
dont l’extrême pudeur révèle, selon lui, à la fois un rejet du
corps et une obsession sexuelle maladive, source de
décadence morale. À la respectabilité bourgeoise, hypocrite
et artificielle, le Mouvement de la jeunesse oppose la
camaraderie franche et l’authenticité des rapports humains,
la redécouverte du corps par les plaisirs sains des bains de
rivière ou de soleil. La critique des codes vestimentaires
traditionnels incite certains groupements de jeunes gens à
adopter le port de tuniques amples inspirées de la Grèce
antique. Par ailleurs, la vie itinérante des Wandervögel
s’accompagne d’un intérêt marqué pour les traditions
germaniques ancestrales ou le folklore médiéval. Le courant
néoromantique de la fin du xixe siècle et du début du xxe
siècle, réaction hostile au triomphe du rationalisme, du
matérialisme et du capitalisme industriel, alimente la
nostalgie d’un ordre social ancestral régi par les lois de la
nature, passé mythique dans lequel les communautés
humaines vivaient en harmonie avec leur environnement.
20 L’essor de la culture physique participe également à la
promotion de la nudité. Dans les premières années du xxe
siècle, les membres de l’Association pour une éducation
physique sensée, fondée au sein du Bain d’air et de lumière
athlétique du Kurfürstendamm, à Berlin, s’engagent sur la

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voie de la dénudation, dans une perspective hygiénique et


sportive37. D’abord partielle - une décision de police impose
le port du cache-sexe jusqu’en 1904 - et essentiellement
masculine, la pratique de la nudité est associée à un
programme de régénération fortement teinté de
nationalisme. La revue culturiste et nationaliste Kraft und
Schönheit, fondée en 1901 par Cari Mann, directeur du Bain
d’air et de lumière, devient l’organe de l’Association pour
une éducation physique sensée et participe activement à la
promo tion de la nudité. Hors de toute perspective
nationaliste, en revanche la méthode de gymnastique
élaborée par le lieutenant danois Jörgen Petersen Müllier,
qui connaît un véritable succès dans les premières années du
xxe siècle38, contribue également à la vulgarisation de la
dénudation. Sans promouvoir véritablement la nudité,
Müller insiste sur la nécessité de pratiquer les exercices
physiques tors nus et fenêtre ouverte. Le système de culture
physique féminine proposé par le docteur Bess Mensendieck
est, en revanche, plus explicite39. Selon elle, la nudité doit
permettre à la femme de prendre conscience de son corps -
de sa force, de sa santé et de sa beauté - et la conduire à une
nouvelle identité40. Le corps naturel se construit selon des
normes esthétiques inspirées de la Grèce ancienne et les 78
photographies de nus qui illustrent l’ouvrage de
Mensendieck se fondent ouvertement sur le modèle de la
statuaire antique. On retrouve cette même idée selon
laquelle la nudité favorise une prise de conscience du corps
et permet son expression harmonieuse — harmonie qui
s’apprécie aussi en fonction de critères largement inspirés de
l’Antiquité classique — dans le système de gymnastique
rythmique du pédagogue suisse Émile Jaques-Dalcroze. Sa
méthode se présente comme propice à l’entretien de la santé
en ce qu’elle produit une régénération à la fois physique et
mentale. Dans les années qui suivent la fondation de son
école de gymnastique à Dresde en 1911, la méthode Jaques-
Dalcroze essaime dans toute l’Allemagne et suscite
l’ouverture d’une multitude d’institutions consacrées à
l’enseignement de la gymnastique rythmique ou de la danse

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éducative. De nombreuses élèves de ces écoles seront ensuite


employées par l’enseignement public au sein duquel elles
ssureront la diffusion de la gymnastique rythmique41,
contribuant ainsi à promouvoir un mode d’expression
corporelle qui fait place à la dénudation au moins partielle
du corps.
21 La valeur esthétique et morale de la nudité et de la culture
physique est également affirmée par le courant artistique du
Jugendstil qui s’épanouit dans le sillage du mouvement pour
la réforme des modes de vie. À partir des années 1880, des
peintres comme Karl Wilhelm Diefenbach ou son élève Fidus
(Hugo Höppner) - par ailleurs adeptes des médecines
naturelles, de la pratique de la nudité et du végétarisme -
produisent des œuvres dans lesquelles la glorification de la
nature et des vieux mythes germaniques s’associe à une mise
en scène de corps nus nettement érotisés. Des revues comme
Die Schönheit, qui paraît à partir de 1903, ou Deutsch
Hellas, qui paraît en 1907 et 1908, participent activement à
la valorisation esthétique du corps humain jeune et musclé.
Elles mêlent ainsi les photographies de nus et les articles sur
la nudité à ceux consacrés à la beauté dans les arts, à la
décoration d’intérieur ou à la réforme du vêtement. Ici
encore la représentation de la nudité ou de la semi-nudité
s’effectue selon une norme esthétique et vestimentaire
inspirée de la statuaire grecque. La convergence de cette
mise en scène de la beauté corporelle sur le mode d’une
relecture et d’une appropriation des normes esthétiques de
l’Antiquité et du système de valeur promu, à la même
époque, par l’éducation physique de Mensendieck, la
gymnastique rythmique de Jaques-Dalcroze ou la « danse du
futur » d’Isadora Duncan42, met en lumière l’émergence d’un
vaste courant culturel que certains auteurs allemands ont pu
qualifier de «  mouvement de la beauté  »
43
(Schonheitsbewegung ). Au-delà de la question esthétique,
le mythe de l’Âge d’or hellène inspire également des
engagements sociaux  : ces revues militent, par exemple, en
faveur d’une réforme de l’éducation et demandent que filles
et garçons soient élevés nus ensemble sur le modèle

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Spartiate. Dans la lignée de la pensée des Lumières, la nudité


est perçue comme un état dans lequel se révèle la véritable
nature de l’individu, l’essence même de l’être. Cette filiation
idéologique s’enrichit largement des théories développées
par la sexologie naissante, par Havelock Ellis notamment,
qui s’attache à contester les fondements moraux de la norme
de pudeur et associe de hautes vertus morales à la pratique
de la nudité collective. Selon Ellis, par exemple, la
coéducation nudiste des enfants permettrait de prévenir les
tourments de l’adolescence, engendrés par l’ignorance et par
une curiosité malsaine, et de les préparer à entretenir des
relations plus franches et plus saines avec le sexe opposé44.
22 À partir de l’été 1905, de petits cercles informels se forment
et commencent à s’adonner à la pratique du nudisme. Un
courant se dessine, que la revue Die Schönheit qualifie de
«  Nudo-Natio  », au sein duquel émergent bientôt des
groupes plus structurés. En 1907, la revue Kraft und
Schönheit annonce la fondation de l’Alliance aristocratique
Nudo-Natio qui se propose de fédérer diverses associations
locales organisées sous forme de loges. La sélection des
candidats et leur initiation par degrés progressifs doivent
s’opérer, pour le fondateur de l’Alliance, dans une
perspective ouvertement eugénique et raciste. Il s’agit ici de
sélectionner de futurs reproducteurs afin d’engager la race
germanique sur la voie de sa régénération. Le projet fait long
feu, mais il suscite la multiplication des loges nudistes. La
plupart d’entre elles ne reprennent pas à leur compte le
programme raciste de l’Alliance mais s’inspirent plutôt d’un
individualisme humaniste hérité des Lumières. Elles
conservent néanmoins un mode d’organisation fermé et
sélectif dans la mesure où il leur permet d’éprouver la
moralité des candidats à l’adhésion45_ Par ailleurs, à côté de
ces loges apparaissent des associations plus ouvertes qui
rassemblent les partisans du nudisme sans référence
idéologique précise et sans programme d’initiation. En 1909,
un tailleur pour dames, Wilhelm Kästner, fonde Freya-Bund
dont les réunions se tiennent dans un parc des environs de
Berlin. En 1912, l’association prend le nom de Monboddo-

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Bund, en référence à un juge écossais du xviiie siècle, adepte


des bains d’air. Dans ses écrits46, Kastner insiste sur la
dimension sanitaire du nudisme, mais également sur ses
bienfaits dans l’éducation des enfants et sa capacité à
améliorer la nature des relations entre les deux sexes, dans
une perspective d’émancipation féminine47.
23 C’est également dans le sillage de l’Alliance aristocratique
Nudo-Natio que Richard Ungewitter, jardinier et publiciste
qui entretient des relations étroites avec les milieux
nationalistes antichrétiens, fonde sa Loge de la vie
ascendante. Ses ouvrages connaissent un certain succès
auprès du public. Ainsi ses deux premiers essais,
Considérations historiques, sanitaires morales et
artistiques sur la nudité et Nu, une étude critique, se
vendent à plus de 90  000 exemplaires chacun. Le suivant,
Culture et nudité, est saisi et vaut à son auteur quelques
démêlés avec la justice, mais son quatrième ouvrage, Nudité
et culture, nouveaux développements, est vendu à 50  000
exemplaires48. Dans ses publications, Ungewitter présente le
nudisme comme un moyen d’hygiène non seulement
corporelle, par son association au végétarisme et à
l’abstinence d’alcool et de tabac, mais également raciale.
Pour lui, le nudisme doit permettre l’émergence d’une élite
aryenne capable de mettre fin au déclin national et aux
menaces de révolution. En rompant avec la pruderie et la
morale hypocrite héritées du christianisme, tout d’abord, la
nudité chaste est censée mettre fin à l’érotisme et partant à
la masturbation et aux sexualités illicites, sources majeures
de dégénération. Le nudisme, ensuite, permet l’hygiène de la
race par la sélection des reproducteurs les plus aptes à
assurer une procréation saine et eugénique. Enfin, pour
Ungewitter qui professe ouvertement son antisémitisme et
réclame des lois de discrimination, la nudité collective
permet au corps social, à l’image du corps physique, de
repérer et d’éliminer les corps étrangers pour préserver sa
pureté49.
24 Dans les années qui précèdent la guerre, les revues,
associations et centres nudistes se multiplient,

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principalement en Allemagne septentrionale et orientale. À


côté d’un incontestable élan de conviction, l’enjeu
commercial que représente l’essor de ce mouvement n’est
probablement pas étranger à sa diffusion. Quoi qu’il en soit,
on voit ainsi émerger en Allemagne, entre la fin du xixe
siècle et la Grande Guerre, une véritable «  culture de la
nudité  » (Nacktkultur) — expression que Heinrich Pudor
affirme avoir inventée pour lutter contre la confusion entre
nudité et pornographie50 — portée par le mouvement pour la
réforme des modes de vie. Au-delà de leur profonde
hétérogénéité, les différentes composantes de ce mouvement
se rassemblent autour d’une commune critique de la
civilisation industrielle, source de dégénération morale et
physique, et de la croyance en la nécessité d’aboutir à une
régénération par la réhabilitation du corps humain et de ses
vertus naturelles.
25 Selon George Mosse, si une partie de ce mouvement professe
des opinions progressistes et pacifistes, faisant de la
libération du corps un élément de l’émancipation des
femmes ou du prolétariat, c’est son aile droite qui domine et
la coïncidence entre la promotion de la nudité et la
thématique nationaliste n’est pas fortuite. Pour Mosse,
l’association du nudisme à la volonté de redonner au peuple
allemand ses caractéristiques morales et physiques
naturelles a permis son appropriation par un nationalisme
raciste et lui confère une place de premier ordre dans
l’élaboration d’un stéréotype physique national. Par ailleurs,
le nationalisme affectif de ce nudisme qui glorifie l’âme
allemande et la nature germanique serait, selon lui, un
moyen de transcender les pulsions érotiques et sensuelles et
d’assurer à la nudité son caractère chaste. Le puritanisme
outrancier du nudisme, puritanisme que confirme a
contrario l’émoi provoqué par quelques relations
homosexuelles à scandale au sein du Mouvement de la
jeunesse, son désir de faire voler en éclat la « fausse morale
d’une bourgeoisie dépravée et dégénérée  » afin de faire
triompher la morale authentique, démontreraient son
caractère profondément conservateur51. George Mosse

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rejoint ici la thèse défendue par Giselher Spitzer selon qui les
écrits de Heinrich Pudor et de Richard Ungewitter auraient
contribué à orienter le nudisme allemand dans un sens
nationaliste puis, après la Grande Guerre, Vöolkisch et
clairement «  proto-nazi52  ». Arnd Krüger poursuit cette
argumentation en attribuant la facilité avec laquelle le
nudisme a pu se diffuser dans la très conservatrice
Allemagne wilhelminienne à la pénétration d’une
interprétation impérialiste et raciste du darwinisme social,
caractérisée par le mot d’ordre «  survival of the fittest
race  ». Selon lui, Pudor et Ungewitter, convaincus que la
dénatalité — liée à un relâchement des mœurs qui faisait de
la sexualité une source de plaisir au détriment de la
procréation -, la prostitution - facteur de transmission des
maladies vénériennes dont les épouses et les fœtus
devenaient les cibles involontaires - et la masturbation -
génératrice de débilité mentale — faisaient planer l’ombre de
la dégénération, voyaient dans le nudisme un instrument
prophylactique majeur. Leur programme d’hygiène raciale
par la sélection des procréateurs n’était pas dénué, d’après
Krüger, d’arrière-pensées antisémites et xénophobes.
L’argument de la sélection explique enfin, selon lui, les
soutiens dont bénéficia le nudisme dans certains milieux
dirigeants — le chef de l’état-major des armées von Moltke,
par exemple — et qui facilitèrent sa large diffusion53.
26 Marc Cluet, cependant, conteste avec vigueur cette vision
d’un nudisme allemand baignant majoritairement, depuis
ses origines jusqu’à l’avènement de Hitler, dans une
idéologie nationaliste et völkisch. S’il reconnaît l’existence
d’un «  nudisme d’inspiration teutonique  » dont le
nationalisme se nourrit de racisme et d’antisémitisme, porté
notamment par la revue Kraft und Schönheit et les écrits de
Richard Ungewitter, il affirme que ce courant reste
minoritaire dans la première décennie du siècle. Il refuse
d’ailleurs d’associer Heinrich Pudor à ce courant dans la
mesure où ses écrits nudistes ne portent aucune marque de
nationalisme raciste. Bien au contraire, le publiciste s’y
révèle imprégné d’un hellénisme libéral et admirateur du

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poète américain Walt Whitman. Ce n’est qu’après 1912, alors


qu’il a rompu tout contact avec le mouvement nudiste, que
Pudor se livre, dans ses ouvrages, à de violentes diatribes
antisémites54. Finalement, pour Cluet, l’essentiel de la
pratique nudiste reste imprégné, jusqu’en 1913, d’un
individualisme humaniste inspiré des Lumières. Certes, de la
Grande Guerre à la crise de 1924, les expressions
nationalistes et racistes du nudisme prennent en Allemagne
une ampleur particulière. Toutefois, de la période de
stabilisation de la République de Weimar jusqu’à sa chute,
c’est un courant authentiquement humaniste qui domine le
nudisme allemand. Karl Toepfer, pour sa part, tient
également à nuancer la tendance à lire le nudisme allemand
du début du xxe siècle comme une réponse anti-intellectuelle
et proto-fasciste au problème de la rationalisation et de
l’urbanisation. Une telle lecture résulte, selon lui, de l’accent
mis artificiellement sur les justifications du nudisme par des
arguments eugénistes et racistes ainsi que sur son caractère
anti-érotique et, par conséquent, moralement conservateur.
Sans nier la réalité de ces aspects du nudisme, Toepfer
reproche à une telle lecture d’occulter la complexité de la
«  culture de la nudité55  ». Sa dimension artistique,
qu’expriment la photographie, la peinture ou la danse, révèle
d’une part des rapports entre nudité et érotisme bien plus
complexes que la simple condamnation de toute
manifestation sexuelle ou sensuelle que l’on peut lire chez
Pudor ou Ungewitter. La «  culture de la nudité  », d’autre
part, valorise le corps nu de façon ambiguë. Il est à la fois le
signe du retour à un primitivisme idéal et immuable et le
vecteur d’une identité moderne sans précédent dans
l’histoire, comme en témoigne l’utilisation de la nudité
comme moyen d’affirmation de l’autonomie de la jeunesse
ou des femmes. Réactionnaire et antimoderne dans ses
expressions les plus visibles, le nudisme naturiste allemand
du début du siècle serait ainsi l’un des fruits de la modernité
individualiste et libérale occidentale.

Notas

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1. T Berti et G. Federspil, « Les Stratégie thérapeutiques », op. cit., p.


199
2. E. Baldou, L’Hydropathie, traitement rationnel par la sueur, l’eau
froide, le régime et l’exercice, Paris, Baillière, 1841, p. 11 et J. Bachelier,
Exposé critique et méthodique de l’hydropathie ou traitement des
maladies par l’eau froide, Pont-à-Mousson, Simon, 1845, p. 26.
3. Anonyme (baron Chabot), Notice sur l’hydrosudopathie, ou l’Art de
guérir les maladies les plus invété rées, au moyen de l’eau froide et de la
transpiration ; Art pratiqué à Graefenberg, par M. Vincent Priessnitz,
dans les Montagnes de la Silésie Autrichienne, Paris, Mansut, 1838, p. 6-
7.
4. Hsoutetten, Rapport sur l’hydrothérapie adressé à Monsieur le
Maréchal Ministre de la guerre après un voyage fait en Allemagne,
Strasbourg, 1843, p. 17.
5. L. Fleury, «  De L’hydrosudopathie, ou système thérapeutique basé
sur l’action combinée de l’eau froide et de l’excitation de la perspiration
cutanée  », Archives générales de médecine, IIIe série, tome III,
septembre 1837, p. 208.
6. H. Scoutetten, Rapport..., op. cit., p. 17-18.
7. A. Brauchle, Die Geschichte der Naturheilkunde in Lebensbildern,
Stutcgart, 1951, p. 70-77.
8. E. Baldou, L’Hydropathie..., op. cit., p. 8 5 ; H . Scoutetten,
Rapport..., op. cit., p. 10 et 3 8 - 3 9; J. Engel, De l’hydrothérapie ou du
traitement des maladies par l’eau froide; de ses rapports avec la
médecine dans l’état actuel, Paris, 1840, p. 26.
9. G. Stollberg, «  Die Naturheilvereine im Deutschen Kaiserreich  »,
Archiv fur Sozialgeschichte, XXVIII, 1988, p. 288.
10. A. Baumgarten, Un Progrès de l’hydrothérapie. Examen et critique
des systèmes de Priessnitz et de Kneipp, traduit de l’allemand, Paris,
Masson, 1901, p. 85-89.
11. Par exemple, M. Kocka, Vinzenz Priessnitz, 200th Birthday
Anniversary, Jesenik, 1998, brochure publiée et diffusée par la Vinzenz
Priessnitz Foundation. Une interprétation similaire de l’oeuvre de
Priessnitz a été donnée par Alfred Brauchle (Die Geschichte..., op. cit., p.
77-117) et, à sa suite, par l’historiographie allemande (notamment W.
Krabbe, Gesellschaftsveränderung durch Lebensreform.
Strukturmerkmale einer sozialreformerischen Bewegung im
Deutschland der Industrialisierungsperiode, Göttingen, 1974, p. 89-90
et G. Spitzer, Der deutsche Naturismus. Idee und Entwicklung einer
volkserzieherischen Bewegung im Schnittfeld von Lebensreform, Sport
und Politik, Ahrensburg, 1983, p. 24-25).

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12. H. E. Schedel, Examen clinique de l’hydrothérapie, Paris, Labé,


1845, p. 17.
13. Sur la rupture entre savoir populaire et savoir scientifique
qu’introduisent les révolutions scientifiques contemporaines: G.
Bachelard, Le Rationalisme appliqué, Paris, 1970 [1949], p. 102-118.
14. E. Rawson, The Spartan Tradition in European Thought, Oxford,
1969, p. 220-267.
15. G. Vigarello, Le Corps redressé. Histoire d’un pouvoir
pédagogique, Paris, 2001 [1978], p. 28-30 et Le Sain et le malsain: santé
et mieux-être depuis le Moyen Âge, Paris, 1993, p. 159-160.
16. Notamment C. James, Études sur l’hydrothérapie ou traitement par
l’eau froide, faites pendant un voyage en Allemagne, Paris, Dusillion,
Baillière, 1846, p. 82.
17. On peut également souligner le fait que l’hydrothérapie se développe
dans des États – empire d’Autriche, royaumes de Bavière et de Saxe,
principautés saxonnes - où un certain romantisme a, au milieu des
années 1810, cristallisé l’opposition nationaliste à l’expansionnisme
napoléonien en affirmant son rejet des valeurs de «  Raison  » et de
« Progrès » dont le modèle français se voulait porteur.
18. F. Dagognet, «  La Cure d’air: essai sur l’histoire d’une idée en
thérapeutique médicale », Thalès., X, 1959, p. 7 5 - 9 6.
19. Cet intérêt dépasse les frontières des pays germaniques. Cf. par
exemple, les étapes de la diffusion de l’hydrothérapie et des médecines
naturelles aux États-Unis dans J. C. Whorton, Nature Cures. The
History of Alternative Medicine in America, Oxford, 2002, p. 81-85 et
191-217.
20. S. Kneipp, Meine Wasserkur durch mehr als 30 Jahre erprobt und
geschrieben zur Heilung der Krankheiten und Erhaltung der
Gesundheit, Kempten, 1886. Traduction française : Ma cure d’eau, ou
Hygiène et médication pour la guérison des maladies et la conservation
de la santé, Strasbourg, Paris, Le Roux, Retaux-Bray, 1890.
21. A. Baumgarten, Un Progrès..., op. cit., p. 349-351.
22. L. Kühne, Die Neue Heilwissenschaft: oder die Lehre von der
Einheit aller Krankheiten, Leipzig, s. d. Traduction française : La
nouvelle Science de guérir, ou l’enseignement sur l’unité de toutes les
maladies, Leipzig, L. Kühne, 1893.
23. A. Rikli, La Cura atmosferica o il bagno di aria od il bagno di sole.
Traduction allemande : Grundlehre der Naturheilkunde, Leipzig, 1895.
Traduction française : Médecine naturelle et bains de soleil, Lausanne,
Bridel, 1905.
24. F. E. Bilz, DOS neue Naturheilverfahren. Lehr-und
Nachschlagswerk der naturgemäßfien Heilweiße und
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Gesundheitspflege, Leipzig, s. d. Traduction française : La nouvelle


Médication naturelle, traité et aidemémoire de médication et d’hygiène
naturelles, Paris, F. E. Bilz éditeur, 1898, 2 vol.
25. M. Grmek, « Le Concept de maladie », M. Grmek (dir.), Histoire de
la pensée médicale..., vol. 3, op. cit., p. 157-159.
26. E. Shorter, « Private Clinics in Central Europe, 1850-1933 », Social
History of Medicine, 3-2, 1990, p. 169.
27. W. Krabbe, Gesellschaftsveränderung..., op. cit., p. 92.
28. E. Shorter, « Private Clinics... », op. cit., p. 166-170.
29. W. Krabbe, Gesellschaftsveränderung..., op. cit., p. 88.
30. G. Stollberg, « Die Naturheilvereine... », op. cit., p. 287-305.
31. Ibidem, p. 289.
32. Ibid., p. 2 9 3 - 2 9 5.
33. J. frecot, « Die Lebensreformbewegung », K. Vondung (dir.), Dos
Wilhelminische Bildungsburgertum: zur Sozialgeschichte seiner Ideen,
Göttingen, 1976, p. 138-152; D. Kerbs et J. Reulecke, Handbuch der
deutschen Reformbewegung, Wuppertal, 1998; W. krabbe,
Gesellschaftsveränderung..., op. cit.-, U. Linse, «  Zeitbild
Jahrhundertwende  », M. Andritzky (dir.), Wir sind nackt und nennen
uns Du: von Lichtfreunden und Sonnenkämpfern, eine Geschichte der
Freikörperkultur, Gießen, 1989 ; V. Seidelmann, Bund und Gruppe als
Lebensreformen deutscher Jugend, Munchen, 1955; G. Spitzer, Der
deutsche Naturismus..., op. cit.
34. H. Scham (Pudor), Nackende Menschen. Jauchzen der Zukunft,
Dresde, Verlag der Dresdner Wochenblatter, 1893.
35. H. Pudor, Nackt-Kultur, Berlin, 1906, 3 vol.
36. M. Cluet, La « Libre culture ». Le mouvement nudiste en Allemagne
depuis ses origines au seuil du XXe siècle jusqu’à l’arrivée de Hitler au
pouvoir (1905-1933). Présupposés, développements et enjeux
historiques, doctorat d’État, Université Paris IV, 1999, p. 495-496  ; g.
Spitzer, Der deutsche Naturismus..., op. cit., p. 69-75 et g. L. Mosse,
Nationalism and Sexuality. Respectability and Abnormal Sexuality in
Modem Europe, New York, 1985, p. 54-55.
37. M. Cluet, La « Libre culture »..., op. cit., p. 544-555.
38. En 1906, 100  000 exemplaires de l’ouvrage de Jörgen Petersen
Müller (Mein System. 15 Minuten tägli- cher Arbeit für die Gesundheit,
Copenhague, 1904) avaient déjà été vendus en Allemagne (G. Spitzer,
Der deutsche Naturismus..., op. cit., p. 43).
39. B. Mensendieck, Korperkultur der Frau. Praktisch hygienische und
praktisch ästhetische Winke, Munich, 1906.

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40. K. Toepfer, Empire of Ecstasy. Nudity and Movement in German


Body Culture, 1910-1935, Berkeley, 1997, p. 39.
41. A. Krüger, «  Zwischen Sex und Zuchtwahl. Nudismus und
Naturismus in Deutschland und Amerika  », Liberalitas. Festschrift für
Erich Angermann, Stuttgart, 1992, p. 351.
42. De nombreux travaux ont été consacrés au rôle de l’esthétique
antiquisante et à la place de la nudité dans la naissance de la danse
moderne. Par exemple: L. Fischer, «  Getanzte Körperbefreiung  », M.
Andritzky (dir.), Wir sind nackt..., op. cit., p. 106-123. Sur le succès et la
postérité d’Isadora Duncan en Allemagne, voir H. Müller et N. Servos,
« Von Isadora Duncan bis Leni Riefenstahl », Ballet International, 1982-
4/5, p. 21-22.
43. Notamment, G. Spitzer, Der deutsche Naturismus..., op. cit., p. 55-
59 et A. Krüger, « Zwischen Sex und Zuchtwahl... », op. cit., p. 346-347.
44. M. Cluet, La « Libre culture »..., op. cit., p. 239-249.
45. Ibidem, p. 397-407 et 416-417.
46. Kästner publie une revue, Der Lichtfreund, dont six numéros
paraissent en 1908. En 1910, il édite une brochure : Kampf der
Lichtfreunde gegen die Dunkelmänner.
47. M. Cluet, La « Libre culture »..., op. cit., p. 419-432 et 440-444.
48. R. Ungewitter, Die Nacktheit in entwicklungsgeschichtlicher,
gesundheitlicher, moralischer und künstlerischer Betrachtung,
Stuttgart, 1907; Nackt. Eine kritische Studie, Stuttgart, 1909; Kultur und
Nacktheit, Stuttgart, 1911 et Nacktheit und Kultur. Neue Forderungen,
Stuttgart, 1913.
49. W. Krabbe, Ceselkchaftsveränderung..., op. cit., p. 1 4 6 - 1 4 7 ; G. L.
Mosse, Nationalism..., op. cit., p. 5 3 - 5 4 ; M . Cluet, La «  Libre
culture »..., op. cit., p. 6 3 7 - 6 4 1 ; K. Toepfer, Empire of Ecstasy.... op.
cit., p. 3 7 - 3 8.
50. G. L. Mosse, Nationalism..., op. cit., p. 54.
51. Ibidem, p. 52-53 et 57.
52. G. Spitzer, Der deutsche Naturismus..., op. cit., p. 111-116.
53. A. Kroger, « Zwischen Sex und Zuchtwahl... », op. cit., p. 362-365.
54. M. Cluet, La « Libre culture »..., op. cit., p. 507-508.
55. K. Toepfer, Empire of Ecstasy..., op. cit., p. 31-32.

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Referencia electrónica del capítulo


BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre II. L’essor du naturisme dans les pays
germaniques In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature
[en línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el
03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22877>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22877.

Referencia electrónica del libro


BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
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Histoire du naturisme
Le mythe du retour à la nature
Arnaud Baubérot

Este libro es citado por


Cluet, Marc. (2016) Guide des Humanités environnementales.
DOI: 10.4000/books.septentrion.19367
Andrieu, Bernard. (2017) Le Corbusier, un architecte emerseur
avant l’heure? De l’incorporation de sa conscience corporelle dans
son projet du sport au pied des maisons comme dessein social.
Loisir et Société / Society and Leisure, 40. DOI:
10.1080/07053436.2017.1281526
Sirost, Olivier. (2017) L’avènement du camping en France (1900-
1970) : essai de généalogie de l’habitat de plein air. Leisure/Loisir,
41. DOI: 10.1080/14927713.2017.1338533
(2009) Recensions. Staps, n° 83. DOI: 10.3917/sta.083.0101
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France, 28. DOI: 10.1080/09639489.2020.1760804
Sirost, Olivier. (2010) Les pédagogies de la bonne humeur. Corps,
8. DOI: 10.3917/corp.008.0041

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3/12/21 19:23 Histoire du naturisme - Chapitre III. Les vicissitudes de l’hydrothérapie en France - Presses universitaires de Rennes

Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre III. Les


vicissitudes de
l’hydrothérapie en
France
p. 61-80

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France

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La réception de l’hydrothérapie allemande


en France
1 Comme les campagnes silésiennes, les campagnes françaises
du début du xixe siècle foisonnent de guérisseurs et de
rebouteux de toutes sortes, qui prétendent mobiliser les
forces de la nature pour soigner et affermir les corps1.Ici
encore, leur succès et leur renommée à l’échelle locale tient à
la concordance de leurs pratiques avec la façon dont la
culture populaire traditionnelle se représente le
fonctionnement du corps humain et ses rapports avec son
environnement2.La pratique médicale reste elle-même
longtemps en phase avec ces représentations. Médecins de
campagne et officiers de santé exercent encore une médecine
humorale, expectante et vitaliste héritée du siècle précédent.
Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas au inonde rural et
les couches urbaines aisées ont également parfois recours à
diverses sortes de guérisseurs3.
2 Pourtant, la France ne connaît pas, au cours du xixe siècle,
d’engouement massif pour les thérapeutiques alternatives
semblable à celui qui, dans les pays germaniques, assure
succès et notoriété à l’hydrothérapie et aux divers systèmes
de médecines naturelles. Au contraire, la médicalisation
progressive de la société française, malgré tous les freins
qu’elle rencontre, relègue peu à peu l’empirisme des
guérisseurs au catalogue des superstitions paysannes. À cela
plusieurs causes peuvent être attribuées. La faiblesse de
l’exode rural et de l’urbanisation, tout d’abord, contribue à la
persistance des pratiques traditionnelles de santé en même
temps qu’elle maintient leur audience dans les limites du
terroir. Moins frappées qu’en Allemagne par le
développement industriel et urbain et probablement moins
hantées par le sentiment d’une rupture avec l’ordre de la
nature, les couches moyennes et supérieures urbaines
françaises sont aussi moins enclines à rechercher dans le
contact des éléments naturels un moyen de se régénérer.
L’attachement d’une large partie de la bourgeoisie française
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aux valeurs libérales et au règne de la raison, ensuite, la


détourne probablement de systèmes thérapeutiques trop
marqués par une vision holiste des rapports de l’homme et
de la nature, trop imprégnés de considérations
métaphysiques et trop explicitement fondés sur des
conceptions obsolètes du corps et de la santé. Ce
rationalisme d’une partie des couches cultivées,
qu’accompagnent le développement d’un certain scientisme
et l’essor de la littérature de vulgarisation scientifique,
permet la diffusion d’un savoir savant, distinct du savoir
commun, dans la bourgeoisie. Ainsi, durant tout le siècle, les
diverses formes de résistance sociale aux implications
concrètes du progrès scientifique ne reçoivent pas l’appui
explicite des élites éclairées. Or, c’est cet appui qui, en
Allemagne, a permis au naturisme médical des empiristes de
prendre l’ampleur d’un fait social. Dans l’aristocratie
française, par ailleurs, l’anti- rationalisme et
l’antimodernisme, réactions aux valeurs de la Révolution,
comblent moins leurs attentes de surnaturel dans l’évocation
personnifiée de la nature bienfaisante que dans le retour à
un catholicisme intransigeant qui s’épanouit à la faveur de la
Restauration. Enfin, l’attitude de l’Église catholique face aux
questions médicales contribue à expliquer que les
thérapeutiques naturelles ne connaissent pas en France un
succès de l’ampleur de celui d’outre-Rhin. Pas plus que les
autres sphères de la vie sociale, la reconquête catholique ne
prétend délaisser les questions liées à la santé et à la
maladie. Si elle n’est pas hostile a priori au développement
de la médecine et soutient activement le vitalisme
montpelliérain contre le matérialisme parisien4, elle
encourage néanmoins les dévotions à visée thérapeutique.
Ainsi, la fréquentation de l’eucharistie, le culte des saints
guérisseurs, la récitation du chapelet et les prières aident à
combler les limites de l’efficacité de la médecine. L’Église
s’attache, par ailleurs, à s’approprier certaines pratiques
populaires fondées sur la croyance traditionnelle en la
puissance thaumaturgique de la nature – comme les sources
miraculeuses, par exemple - et à les orienter, bon gré mal

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gré, en direction du panthéon catholique5. Ces dévotions


populaires restent néanmoins suspectes en raison de leur
origine païenne et l’Église catholique, encore marquée par la
théologie rationalisante de l’époque classique, les contrôle
plus qu’elle ne les encourage. Une large part des pratiques
thérapeutiques extra-médicales se trouve ainsi encadrée et
préservée du risque de devenir l’arme d’une offensive
ouvertement dirigée contre la médecine officielle. Les
pratiques de santé qui associent à la nature des forces
surnaturelles susceptibles de soulager les maux des hommes
subsistent dans les campagnes, mais aucun engouement
massif de la bourgeoisie ou de l’aristocratie, fondé sur le
rejet de la raison scientifique, ne vient, comme dans la
sphère culturelle germanique, leur conférer une nouvelle
jeunesse.
3 Paradoxalement, c’est dans le monde médical que
l’hydrothérapie trouve, en France, un écho. L’usage de l’eau
froide n’est pas chose nouvelle pour les médecins et les
hygiénistes. Tombé en désuétude, il a réapparu vers le milieu
du xviiie siècle, profitant du lent déclin des conceptions
humorales, qui valorisaient la chaleur comme facteur de
fluidification des humeurs, et de l’affirmation progressive du
«  solidisme  » dans la pensée médicale. Le rôle primordial
désormais accordé aux muscles et aux nerfs dans le
fonctionnement du corps humain a conduit à préférer
l’utilisation du froid pour sa capacité à susciter la
contraction des solides, la réaction de l’organisme et le
développement de ses capacités de résistance, même si, en la
matière, les pratiques semblent être restées bien en deçà du
discours théorique et ce mode de traitement relativement
marginal en France6. Dans les premières décennies du xixe
siècle, toutefois, un certain nombre de thèses et de traités
médicaux se penchent avec intérêt sur la façon dont les
propriétés de l’eau froide peuvent être utilement mobilisées
à des fins thérapeutiques7. Dans leur quête assidue de
traitements efficaces, les sciences médicales naissantes ne
rejettent a priori aucune possibilité. Qu’il s’agisse de
produire une contraction des fibres ou des muscles, de

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stimuler une réaction de l’organisme, d’éteindre ou de


dériver une inflammation, l’usage de l’eau froide s’inscrit
d’ailleurs pleinement dans la logique d’ensemble qui guide la
thérapeutique générale de l’époque. L’absence de terme
spécifique, jusqu’à la fin des années 1830, pour désigner
l’usage médical de l’eau froide montre qu’il ne s’agit
nullement, pour ces auteurs, de chercher à élaborer un
système de traitement particulier ayant sa cohérence propre,
mais seulement de disserter sur l’un des moyens de
traitement dont dispose le médecin. Or, c’est précisément
son caractère systématique qui distingue l’hydrothérapie des
usages médicaux habituels de l’eau froide. Élaborée par un
thérapeute empirique qui en revendique la paternité,
l’hydrothérapie se présente comme une méthode particulière
de traitement, en marge de la pratique médicale habituelle et
fondée sur la combinaison de différents agents
thérapeutiques et hygiéniques. Le terme d’
«  hydrosudopathie  », employé dans un premier temps par
les auteurs qui s’intéressent aux expériences de Priessnitz8,
met d’ailleurs en lumière cette association cohérente de la
transpiration forcée, de l’eau froide, de l’exercice physique et
du régime.
4 Le premier article consacré en France à la méthode de
Priessnitz paraît dans les Archives générales de médecine,
en septembre 18379. Louis Fleury, un jeune étudiant en
médecine de vingt-huit ans, y évoque les circonstances dans
lesquelles le paysan silésien est devenu thérapeute
empirique, le succès qu’il a rencontré et les émules qu’il a
suscités, notamment au sein du corps médical. Puis, après
avoir souligné que l’originalité du système repose plus sur
son organisation générale que sur l’utilisation de l’eau froide
– dont les bienfaits sont déjà répertoriés par les
dictionnaires médicaux -, Fleury s’attache à en décrire les
effets conformément aux conceptions les plus classiques de
la maladie et de la thérapeutique :
« Ici la question se rattache à une doctrine qui, bien que fort
ancienne, est loin d’être jugée, celle des crises. Priessnitz, qui
l’admet essentiellement, emploie l’eau froide comme tonique
pour donner à l’économie la force de résister au mal, et à la
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puissance médicatrice naturelle l’énergie qui doit amener la


crise. L’excitation exercée sur la peau est destinée, d’une
part, à rendre l’action de l’eau froide plus intense, d’autre
part à diriger les phénomènes critiques vers l’enveloppe
cutanée et le tissu cellulaire qui la double10. »

5 L’année suivante paraît une courte brochure anonyme qui


présente également le système de Priessnitz. Son auteur, le
baron Chabot, qui a guéri à Gräfenberg d’une maladie de
peau réputée incurable, se montre nettement hostile à
l’égard des médecins et insiste sur l’originalité fondamentale
de la cure «  hydrosudopathique  ». Elle est, selon lui, «  en
dehors de tous les systèmes connus de médecine. Elle ne se
rattache à aucun d’eux, ni par le fond, ni par la forme. Elle
est toute entière le fruit d’une idée nouvelle, de l’expérience
et de l’observation11  ». Il en explique néanmoins le
fonctionnement à l’aide de considérations inspirées d’un
vitalisme néo-hippocra- tique des plus traditionnels. Ainsi,
pour Chabot, l’agent thérapeutique actif mis en branle par la
cure n’est pas l’eau elle-même mais la nature médicatrice,
cette force vitale « dégradée par nos habitudes de luxe, nos
boissons, nos aliments chauds, notre intempérance » et dont
les procédés de Priessnitz savent heureusement stimuler la
vigueur. « Les modes d’action de l’hydrosudopathie ne sont
autres que ceux de ses divers agents, conclut-il. Ainsi, en
imprimant à la circulation une activité nouvelle, elle
augmente la vitalité du corps humain. En attirant à la peau,
en charriant au dehors l’acrimonie des humeurs, elle rétablit
l’harmonie et le jeu des organes12.  » En 1840, le docteur
Bigel qui a, lui aussi, guéri à Grâfenberg d’une maladie jugée
incurable, fait paraître un ouvrage plus volumineux au sein
duquel il compile et commente un ensemble de textes
consacrés à l’hydrothérapie allemande13. La traduction du
traité d’un certain professeur Munde et les commentaires de
Bigel, qui occupent l’essentiel du recueil, sont suivis de la
relation d’un voyage à Gräfenberg par Gross, extrait d’un
ouvrage paru à Leipzig, de la reproduction de deux lettres
des docteurs Engel de Vienne et Behrend de Berlin, déjà
publiées par la Gazette médicale de Paris en janvier 1840,
puis d’un mémoire de 1826 consacré à la chaleur animale,
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sans rapport explicite avec l’hydrothérapie. Comme avant lui


Fleury et Chabot, Bigel rattache l’utilisation de l’eau froide
par Priessnitz à la façon dont opèrent les médecins qui se
veulent ministres de la nature : le pouvoir dissolvant de l’eau
agit sur la matière morbide en même temps que sa fraîcheur
tonifie et fortifie l’organisme14.
6 C’est au nom des mêmes conceptions néo-hippocratiques et
vitalistes de la maladie et de la thérapeutique que deux
médecins, les docteurs Engel et Wertheim, l’un viennois,
l’autre munichois, mais tous deux formés à Grâfenberg,
demandent en 1839 l’autorisation d’exercer en France et d’y
ouvrir un établissement d’hydrothérapie. Les mémoires
qu’ils adressent au gouvernement afin d’appuyer leur
demande15 insistent, l’un comme l’autre, sur la capacité de
l’eau froide à exciter et à régler la force médicatrice de
l’organisme sans le secours de médicaments. Engel se livre
également à une critique virulente de la pratique de l’art
médical qui, selon lui, s’écarte de la voie tracée par la nature
en recourant à l’allopathie dont les moyens — le mercure, le
quinquina ou la saignée — se révèlent chaque jour inutile ou
nuisible16. La méthode de Priessnitz, en revanche, permet de
débarrasser l’organisme des matières morbides qui
s’introduisent dans le corps avec les aliments, les boissons
ou l’air, et qui sont sources des maladies. Elle permet, enfin,
de stimuler l’activité vitale et de soutenir l’organisme pour
éloigner les obstacles qui empêchent l’exercice libre et
harmonieux de ses fonctions. Toutefois, loin de se limiter à
un vitalisme prudent et de définir la force vitale comme une
propriété de l’organisme, les deux auteurs la décrivent d’une
manière qui ne correspond plus aux canons de la science
médicale. « Partout où il y a la vie, nous observons la matière
liée à une force secrète, que l’on appelle généralement force
vitale ou vitalité  », affirme notamment Engel17, s’exposant
par là au soupçon d’adhérer à une conception ontologique et
métaphysique de la force vitale. Chargée par le ministre de
l’instruction publique d’étudier la proposition des deux
médecins, l’Académie royale de médecine confie cette tâche
aux professeurs Bouillaud, Velpeau et Roche. Leur rapport,

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lu par ce dernier lors de la séance du 18 août 1840, se


montre violemment critique à l’égard de l’hydrothérapie.
«  Sortie toute armée du cerveau d’un paysan  », elle vient,
comme le magnétisme et l’homéopathie, d’Allemagne
«  nébuleuse patrie de toutes les grandes mystifications
philosophiques et médicales  ». Et le rapport de conclure  :
«  Notre conscience nous fait un devoir de repousser
l’hydrothérapie comme une erreur qui pourrait devenir
dangereuse, si le ridicule ne devait en faire bientôt
justice18.  » Quant à la réponse adressée par l’Académie au
ministre, elle condamne sans nuance la méthode :
«  L’hydrothérapie, considérée comme méthode générale de
traitement, est dangereuse  ; elle ne repose sur aucun fait
ayant la moindre valeur scientifique  ; elle s’appuie sur des
théories chimériques ; elle est en opposition avec les lois les
plus simples et les plus claires de la physiologie et de la
pathologie. L’Académie ne peut donc lui accorder son
approbation ; elle protesterait au contraire contre les essais
d’application générale qu’on voudrait en faire19 »

7 L’usage thérapeutique de l’eau froide n’est pas condamné en


lui-même et l’Académie regrette que les écrits d’Engel et de
Wertheim soient «  de nature à jeter de la défaveur sur ce
moyen, qui, sagement prescrit et réservé pour les cas où il
convient, rend tous les jours les plus grands services à la
médecine et à la chirurgie20  ». En revanche, le caractère
systématique de l’hydrothérapie, l’absence de conformité de
ses présupposés vitalistes avec les conceptions scientifiques
que prétend défendre l’Académie et le fond de scepticisme -
voire de franche hostilité - à l’égard de la médecine officielle
qu’elle charrie motivent sa condamnation.
8 Les vitalistes de La Revue médicale entendent toutefois se
démarquer des conclusions du rapport. Dans son numéro de
décembre 1840, la revue publie la réponse d’un médecin
d’Obernai qui regrette la sévérité des académiciens et insiste
sur «  l’utilité préservative et curative de l’eau comme bois
son et moyen de propreté  ». Prenant la défense de la
méthode de Priessnitz, tout en signalant quelques heureuses
modifications qui lui ont été apportées et qui renforcent son
efficacité, il affirme que l’hydrothérapie s’accorde
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parfaitement avec le savoir physiologique et pathologique du


temps et argue du fait que les propriétés des applications
d’eau froide sont connues. Il est notoire, en effet, qu’elles
attirent le calorique vers la peau et permettent de lutter
contre les inflammations21. Les divergences qui séparent
opposants et partisans de l’hydrothérapie paraissent
finalement assez infimes. Pour les uns, le caractère suranné,
non-scientifique, voire anti-médical, des conceptions qui la
sous-tendent justifie son refus. Pour les autres, en dépit de
ces défauts, la conformité de ses effets avec ceux attendus
des traitements habituels permet de l’intégrer à l’arsenal de
la thérapeutique. Ainsi, Wertheim, resté à Paris, peut tout de
même faire la démonstration de la méthode qu’il prône.
Deux membres de l’Académie de médecine, les docteurs
Devergie et Gibert22, l’accueillent à l’hôpital Saint-Louis et
lui confient, à partir de juillet 1841, le traitement de maladies
chroniques et invétérées et de maladies de peau, c’est-à-dire
celles qui semblent le plus ressortir d’un dérangement de
l’état général et dont la médecine ordinaire ne parvient pas à
venir à bout.

Une hydrothérapie vitaliste


9 Quelques praticiens français témoignent également à cette
époque de leur intérêt pour l’hydrothérapie et se chargent
d’importer la méthode en la puisant à sa source silésienne. À
l’attrait que peuvent susciter les bases thérapeutiques et
philosophiques du système de Priessnitz se mêle
probablement le charme de son succès commercial dans les
pays germaniques, élément non négligeable en cette période
d’engorgement du corps médical. Le docteur Baldou, après
un séjour de quatre mois à Gräfenberg et dans les principaux
centres allemands, fonde un institut d’hydrothérapie au Pré
Saint Gervais, près de Paris, en 1841. L’expérience semble
couronnée de succès, puisque le manque de place contraint
Baldou à déménager l’année suivante pour s’installer au
château de l’Arcade, rue des Ternes. Son centre reste
toutefois de taille modeste et ne dispose que de 45 places
pour accueillir les curistes23. En 1841 encore, un autre
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établissement d’hydrothérapie ouvre à Paris grâce à


l’initiative du docteur Geoffroy, «  membre des sociétés
médicales hydropathiques de Vienne et de Berlin, élève de
Priessnitz  » et, selon lui, «  premier importateur de la
méthode hydropathique en France24 ». L’expérience apparaît
plus décevante. Ayant attribué son insuccès au manque
d’eau convenable, d’air pur et d’espace pour la promenade,
Geoffroy part l’année suivante s’établir à Pont-à-Mousson.
Associé à Jules Bachelier, un autre médecin qui a fait, lui
aussi, le voyage de Gräfenberg, il y fonde un nouvel institut
qui attire bientôt des malades de toute la Lorraine25. En
juillet 1842, le docteur Scoutetten, chirurgien en chef et
premier professeur à l’hôpital militaire d’instruction de
Strasbourg, obtient du ministre de la Guerre l’autorisation
de se rendre en Silésie afin d’étudier le système de
Priessnitz. L’intervention de quelques personnalités
influentes et la guéri- son par l’hydrothérapie d’un membre
de l’entourage familial du ministre auraient été à l’origine de
cette étude26. À son retour, Scoutetten rédige un rapport
dans lequel il souligne que, si l’hydrothérapie ne constitue
pas un remède universel, elle exerce néanmoins une
influence considérable sur l’hygiène publique en Allemagne
où elle produit des guérisons nombreuses et durables27. Le
fruit de ses réflexions est exposé, de façon plus détaillée,
dans un volumineux ouvrage que Scoutetten publie en
184328. À la même époque, par ailleurs, divers ouvrages
allemands consacrés à l’hydrothérapie sont traduits et
publiés à destination du public français29.
10 La condamnation de la méthode de Priessnitz par le rapport
de l’Académie de médecine et sa défense par les tenants du
vitalisme placent l’hydrothérapie au cœur des débats et des
polémiques qui agitent la communauté médicale. Dès lors
qu’elle n’est pas, comme dans les pays germa niques, utilisée
comme une arme offensive contre la médecine officielle,
mais introduite par des médecins qui entendent faire
reconnaître sa légitimité scientifique, l’hydrothérapie doit
être justifiée par un argumentaire conforme aux données du
savoir médical du temps. Une part importante de leurs

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efforts est alors consacrée à la description et à la justification


des effets thérapeutiques de la cure par l’eau froide d’une
manière acceptable, c’est-à- dire débarrassée, pour
l’essentiel, des conceptions archaïques de la maladie et de la
guérison sur lesquelles elle repose. Baldou, par exemple,
dans un mémoire adressé au ministre du commerce,
s’attache à décrire les effets bénéfiques de la cure
hydrothérapique. S’il reconnaît que, par elle, l’on vise
principalement à stimuler l’évacuation des matières
morbides - expression qui, de son aveu même, satisfait peu
aux exigences scientifiques du temps —, il cherche
néanmoins à se démarquer de cette conception désuète pour
fonder l’hydrothérapie sur des bases plus solides30. Elle
permet de tonifier l’organisme et d’accroître sa force vitale,
responsable, selon la doctrine vitaliste, de la guérison des
maladies. Baldou affirme, par ailleurs, l’analogie de
l’hydrothérapie avec les sciences thérapeutiques enseignées
dans les facultés. Celle-ci, en effet, produit les mêmes
résultats que les agents «  exphorétiques  » ou éliminateurs
préconisés dans nombre de maladies  : les sudorifiques que
l’on emploie contre les rhumatismes et la goutte, les
diaphoniques contre la syphilis, les dépuratifs contre les
dartres ou les révulsifs qui rappel lent vers la peau les
humeurs accumulées sur un organe important. L’hydro
thérapie, déclare-t-il, n’est pas empirique puisqu’elle repose
sur les principes les plus généraux et les mieux établis de la
science thérapeutique. En réalité, c’est l’arsenal
thérapeutique du temps qui, tout entier, est encore
empirique. L’emploi des sangsues, du mercure ou du
quinquina, l’acharnement à faire suer, uriner ou saigner le
malade assailli par les fièvres, n’ont d’autres fondements que
l’expérience interprétée à la lumière de quelques dogmes
plus ou moins anciens et des préceptes physiologiques de
Broussais. Baldou peut alors, avec raison, déclarer l’analogie
de l’hydrothérapie et des principes dominants de la science
thérapeutique — navrante analogie qui avoue a contrario la
relative impuissance dans laquelle stagne encore la pratique
médicale.

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11 Pour d’autres auteurs, c’est le naturisme latent de


l’hydrothérapie qu’il convient de ramener dans les limites
d’un vitalisme raisonné. Le docteur Geoffroy, par exemple,
affirme que « Priesnitz envisage les maladies comme causées
par les infractions aux règles de l’hygiène [et] reconnaît dans
la nature seule l’intelligence de la manière dont elles se
produisent  ». «  Il suffit d’ouvrir les yeux, ajoute-t-il, pour
reconnaître que la nature est le seul agent de guérison des
maladies31.  » Geoffroy prend soin, néanmoins, de s’écarter
de toute définition ontologique de la nature médicatrice et,
conformément aux conceptions du vitalisme moderne, de
présenter celle-ci comme une propriété du corps vivant, un
principe vital conservateur de l’organisme. C’est à ce titre, et
de la même manière que Baldou, qu’il peut présenter
l’hydrothérapie comme un mode de traitement légitime. À la
maladie qui, selon le dogme vitaliste, est un phénomène
général - une altération de l’ensemble des fonctions
organiques -, il faut opposer un traitement général. Or la
cure hydrothérapique utilise les propriétés de l’eau froide
pour produire une réaction de l’organisme tout entier et
rétablir son fonctionnement normal. Les vertus astringentes,
révulsives, sédatives et antiphlogistiques de l’eau froide, sa
capacité à réduire le calorique en font un instrument de
premier ordre dans la lutte contre les inflammations.
Associée à la transpiration, elle peut devenir excitante,
tonique, altérante et dérivative. Elle peut, enfin, aider à la
dissolution des principes délétères grâce à son caractère
délayant et résolutif ainsi qu’à ses propriétés diaphorétiques,
purgatives et diurétiques32. Au-delà de la profusion des
détails, il s’agit bien de dégager l’hydrothérapie des brumes
de l’empirisme et de l’humorisme populaires dans lesquelles
elle est soupçonnée de baigner encore pour l’asseoir sur des
bases physiologiques scientifiquement acceptables.
12 Différents facteurs peuvent avoir contribué à rendre
l’hydrothérapie attrayante aux yeux de ces médecins
vitalistes. La méthode de Priessnitz, tout d’abord, vient
systématiser l’emploi médical de l’eau froide, dont l’action
sur l’organisme est connue mais qui n’a pas encore donné

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lieu à des protocoles thérapeutiques satisfaisants.


L’hydrothérapie offre ainsi le bénéfice de sa nouveauté à un
vitalisme engagé dans d’âpres débats pour faire admettre le
principe de la force vitale, le caractère général de la maladie
et la nécessité de traiter l’organisme dans son ensemble. Par
ailleurs, et dans la mesure où la plupart des promoteurs de
l’hydrothérapie l’ont personnellement expérimentée, il est
possible de supposer que leur intérêt pour cette méthode
provient autant de sa conformité à leurs convictions
vitalistes qu’à son efficacité dans le traitement de certaines
pathologies dont la médecine officielle ne parvient pas à
venir à bout.
13 Plusieurs auteurs insistent également sur la convergence de
la cure élaborée par Priessnitz avec les règles fondamentales
de l’hygiène. En effet, outre ses vertus thérapeutiques et sa
capacité à fortifier l’organisme, l’eau froide permet la
propreté de la peau et l’exercice normal de ses fonctions
essentielles. Ainsi, pour Geoffroy, si l’hydrothérapie se
développe en Allemagne, c’est que l’on y «  apprend à
connaître mieux que jamais l’importance de la culture bien
entendue de la peau, des soins de propreté, de santé
publique et privée33 ». Pour ces médecins encore imprégnés
d’humorisme et de néo- hippocratisme, la peau est avant
tout le lieu de l’évacuation des matières morbides, le
«  principal instrument d’épuration de l’organisme34  ». Le
sain contact de l’eau froide permet alors de rendre son
activité à la peau obstruée par la sueur et la malpropreté,
affaiblie par les vêtements et les lits trop chauds, paralysée
par le mauvais air des appartements renfermés. Ici encore,
comme en Allemagne, le modèle antique fournit un
argument de poids. Pour Geoffroy, par exemple, « les Grecs
connaissaient [les bains] de très bonne heure, ils faisaient
partie de leur gymnastique, et, à Sparte, les bains froids
furent sanctionnés par une loi et rendus obligatoires à tout
âge et tout sexe35 ». Pour Gillebert-Dhercourt, ce procédé fit
des Spartiates « les plus beaux, les plus forts, les plus agiles
de tous les Grecs  ». Quant aux Romains, leur décadence
débuta lorsqu’ils remplacèrent les bains froids par les bains

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tièdes36. Enfin, au-delà de l’entretien de la propreté


corporelle, l’utilité du séjour dans les établissements
d’hydrothérapie se révèle dans sa capacité à améliorer les
conditions de vie du malade. Dans la lignée des hygiénistes
des Lumières - et notamment de Hufeland qu’ils citent
fréquemment - les partisans de l’hydrothérapie soulignent
l’importance d’une saine conduite de l’existence dans la
préservation de la santé. « L’air, l’eau, les lieux, le repos, le
mouvement, la veille, le sommeil, les alimens, les bois sons,
les passions sont les éléments de la vie physique et morale »,
déclare ainsi Bigel, « leur juste pondération est conservatrice
de la santé. Leur inégale répartition est la source des
maladies37  ». Or, c’est à cette juste pondération que vise le
système de Priessnitz. Dans le même ordre d’idée, le docteur
Geoffroy souligne qu’une «  vie bien réglée et dégagée des
soucis et des peines attachés au tourbillon du monde, s’est
toujours montrée favorable à la longévité, tandis que le
contraire contribue, pour l’ordinaire, à abréger l’existence et
à la rendre parfois pénible38  ». En déterminant de façon
sévère les heures de lever, de travail et de coucher, en
imposant une manière de se vêtir et un régime alimentaire
conformes aux règles de l’hygiène, la cure hydrothérapique
devient une véritable cure hygiénique. « Quel contraste entre
la simplicité de ces coutumes hygiéniques et les fatigues de la
vie pari sienne  !  » s’exclame Constantin James. «  On
comprend que, par le fait seul d’un changement aussi
complet de régime, la santé générale éprouve une très
notable amélioration, sans qu’il soit toujours nécessaire de
recourir à des moyens plus puissants39.  » Le docteur
Lubanski qui dirige l’établissement de Pont-à-Mousson
semble partager cette opinion lorsqu’il affirme que l’essentiel
de la cure d’hydrothérapie «  consiste surtout à placer
l’homme qui souffre dans les conditions qui le rapprochent
le plus possible de la nature  ». Les établissements doivent
s’implanter loin des agglomérations, au milieu d’une
campagne belle et riante. «  Là, les poumons du malade
respirent l’air pur et vivifiant  ; son esprit est à l’abri des
excitations incessantes, et des tentations auxquelles il

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succombe si souvent40.  » Ainsi, la cure hydrothérapique


contribue non seulement à maintenir l’organisme dans un
état de vigueur propice à la conservation de sa santé, mais
elle permet également de le soustraire, au moins
temporairement, aux conditions de vie néfastes qu’impose la
vie dans les grandes villes. « Ce ne sera pas en vain, promet
finalement Gillebert-Dhercourt, que légèrement vêtus, [les
curistes] s’exposeront aux rayons solaires, qu’ils s’exerceront
au milieu d’un air vif et pur, loin des exhalaisons
méphitiques des grandes cités, et qu’ils mèneront une vie
simple, frugale et régulière, libérée de tous soins
domestiques ou professionnels41 »
14 L’hydrothérapie ne se limite donc pas à l’exploitation des
propriétés physiologiques de l’eau froide, même si la
stratégie de légitimation de cette méthode au sein du monde
médical conduit à les mettre en avant. Elle indique une
manière de s’alimenter, de se vêtir, de se laver, de se
consacrer à l’exercice physique ou de dormir conforme aux
règles de l’hygiène et aux besoins de la nature humaine. Les
modalités de ces prescriptions peuvent varier d’un auteur à
l’autre  : tel médecin louera sans nuance le régime de
Gräfenberg, tandis que tel autre y trouvera la vie trop
rustique, le traite ment trop sévère, l’alimentation trop
grossière ou trop abondante. Tous en revanche voient dans
l’adoption, au moins temporaire, de cet idéal de simplicité et
de modération, le retour à un mode de vie naturel, passage
nécessaire de la lutte contre la dégradation physique et
morale. La force vitale, responsable de l’entretien et de la
guérison du corps, ne se déploie pleine ment que lorsque
celui-ci retrouve, dans un environnement naturel, le contact
des éléments à l’état pur et un mode de vie authentique.
Cette idée réactive, sur un mode médical et hygiénique, les
mythes profonds de la correspondance entre le microcosme
et le macrocosme et de la régénération par le retour à la
nature primitive. Ainsi, au-delà des prescriptions
thérapeutiques et hygiéniques, au-delà de la critique des
conditions d’existence imposées par la civilisation moderne,
qui commence à poindre sous la plume des médecins

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hydropathes, ces derniers réaffirment la nécessité d’un


échange harmonieux entre la nature intime de l’humain et
l’ordre naturel supérieur, échange auquel les artifices de la
civilisation viennent faire écran. On pourrait y voir alors,
sous une forme qui tend à son désenchantement, à sa
sécularisation et à sa rationalisation, la survivance du mythe
de l’unité de l’être et du cosmos - unité mise en péril par la
marche du progrès —, qui invite quiconque veut se
ressourcer à entreprendre la quête de ses primitives origines.

Une hydrothérapie positive


15 La critique de la conception vitaliste de l’hydrothérapie ne
provient pas seulement de ceux qui, comme les rapporteurs
de l’Académie royale de médecine, la refusent en tant que
système thérapeutique42. Dès le début des années 1840,
certains médecins s’attachent à dégager la méthode de ses
bases vitalistes et naturistes afin de lui trouver des
fondements plus conformes à une physiologie mécaniste,
rationnelle et positive. Le docteur Robert Latour, par
exemple, affirme que ce ne sont pas des processus vitaux
mais des processus physiques qui sont en jeu dans l’usage
thérapeutique de l’eau froide par les bains de siège. Il ne
peut être question de mettre en avant des «  propriétés
vitales  » de l’eau froide, ni même de parler de «  réaction
vitale  » suscitée par son application puisque ce n’est qu’en
abaissant la température de la masse du sang que le bain de
siège produit un effet bénéfique. À ses yeux, l’hydrothérapie
ne peut se montrer réellement efficace que dans le
traitement des maladies chroniques. Il serait donc
déraisonnable de se priver de la saignée et des médicaments
pour lutter contre les maladies aiguës43. Latour rejette alors
avec mépris les prétentions de ceux qui, à la suite de
Priessnitz, prétendent soigner tous les maux grâce à
l’hydrothérapie :
«  Absolus et en quelque sorte superstitieux dans leur
prosélytisme, les disciples de Priessnitz se sont, non pas
tous, mais au moins la plupart, asser vis à ses idées comme à
sa pratique  ; ils ont, comme lui, frappé d’une vanda-lique

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proscription toutes les richesses de la science, et, pénétrés


d’admiration pour l’ignorance du maître, ils ont docilement
imité son empirisme comme ses procédés44 »

16 Pour sa part, Henry Schedel s’indigne de l’atmosphère


d’hostilité à l’égard du corps médical qui règne à Grâfenberg
et dans certains centres. Il juge, en effet, affligeant de voir les
traitements classiques remis en cause par une foule
d’ignorants, de tailleurs, de perruquiers, de manœuvres « et
même des femmes  » [sic] qui fondent des établissements
d’hydrothérapie et prétendent guérir ainsi toutes les
maladies45. Selon lui, l’analyse scientifique des effets
physiologiques de la cure par l’eau froide ne permet de
conclure à son utilité que dans un nombre limité de
pathologies. De manière analogue, Gillebert-Dhercourt
estime nécessaire de condamner, dès les premières pages de
sa brochure, « l’hydrothérapie excentrique des charlatans et
industrialistes  » qui prétendent détenir le traitement
universel et de lui opposer une hydrothérapie rationnelle46.
Simon-Julien Corbel-Lagneau, enfin, déclare qu’il n’est pas
dans ses intentions de faire de l’hydrothérapie un traitement
universel «  ni contre les affections aiguës, ni contre les
maladies dépouillées de tout caractère inflammatoire  ».
« C’est donc à tort, ajoute-t-il, qu’un enthousiasme aveugle a
voulu faire une panacée d’un moyen qui, pour être efficace,
réclame, de la part du médecin, beaucoup de tact et
d’habileté  ». Contre «  les médecins hydrothérapistes, qui
invoquent les forces vitales, et qui ne voient dans les
maladies que l’augmentation ou l’affaiblissement de l’activité
des organes47  », il affirme que l’eau froide n’est d’aucun
secours contre les maladies aiguës et s’attache, lui aussi, à
décrire les effets physiologiques de son application.
17 Il faut toutefois attendre les travaux de Louis Fleury pour
que l’hydro thérapie non vitaliste que cherchent à cerner ces
différents auteurs prenne véritablement son essor. Après
avoir publié sa brochure consacrée à Gräfenberg, en 1837,
Fleury s’est tourné un bref instant vers l’homéopathie, avant
de la renier pour revenir à des conceptions médicales plus
orthodoxes. Il a soutenu son doctorat en 1839, puis s’est

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présenté avec succès à l’agrégation de médecine de Paris en


1844. Ce n’est qu’en 1846, installé comme médecin à
Bellevue-sous-Meudon, que Fleury revient à l’hydro
thérapie. Après avoir transformé une ancienne écurie de son
habitation en salle de douches, il expérimente le traitement
par l’eau froide sur lui-même tout d’abord, en soignant un
asthme chronique vieux de huit ans, puis sur sa clientèle et
sur la population pauvre de Meudon. À partir de 1848, il
commence à publier le fruit de ses travaux, en même temps
qu’il s’attache à donner à sa maison de Bellevue la dimension
d’un véritable établissement d’hydrothérapie. Dès cette
époque, cependant, Fleury entend se démarquer des
conceptions de Priessnitz. Il refuse d’appréhender
l’hydrothérapie comme un système exclusif et envisage
l’application d’eau froide comme un moyen thérapeutique
particulier intégré à l’arsenal habituel de l’art médical. Les
autres éléments de la cure hydrothérapique, la sudation, le
régime, l’exercice et la boisson, ne sont que des agents
accessoires, subordonnés à l’agent principal que constitue
l’application d’eau froide et sur lequel repose toute
l’efficacité du traitement48. Il ne peut non plus être question
pour Fleury d’envisager une cause générale aux maladies et
d’adhérer à la notion archaïque de «  crise  » sur laquelle
Priessnitz et une partie de ses successeurs ont fondé
l’hydrothérapie. En revanche, il s’attache à démontrer les
bienfaits des douches dans le traitement local de certaines
pathologies en exposant, dans les six brochures qu’il publie
entre 1848 et 1850, les effets des appli cations d’eau froide
sur le fonctionnement d’organes spécifiques49. Passée l’étape
de ces démonstrations partielles, Fleury peut enfin livrer sa
somme hydrothérapique en rassemblant l’ensemble de ses
conceptions au sein d’un imposant Traité de près de 600
pages. Son projet est annoncé sans détour :
«  En choisissant l’hydrothérapie pour sujet de mes
investigations, je me suis proposé de transformer une
médication puissante, mais empirique, systématique,
exclusive, aveugle, entachée d’ignorance ou de
charlatanisme, en une médication rationnelle, méthodique,
avouée par la science, en rapport avec l’état actuel de nos
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connaissances physiologiques et pathologiques. Je crois


avoir réussi, et avoir rendu ainsi à la thérapeutique un
éminent service50.

18 Après avoir longuement rappelé l’histoire des utilisations


thérapeutiques de l’eau froide au cours des siècles, l’auteur
s’engage dans une description précise des conditions
d’élaboration et des différents aspects de l’hydro thérapie
empirique de Priessnitz. Et Fleury de conclure ce chapitre en
dénonçant l’ « humorisme suranné » du paysan silésiens et
de ses successeurs, « qui témoigne d’une ignorance complète
des premiers éléments de la science51 ». La critique s’adresse
également à ses confrères vitalistes français, coupables de
s’être engagés en faveur de l’hydrothérapie sur la base d’une
conception archaïque de la pathologie - la doctrine
hippocratique des crises - et avec un manque flagrant de
rigueur scientifique :
« Un des plus graves reproches que l’on puisse adresser aux
hydropathes, une des causes les plus puissantes de l’accueil
hostile et dédaigneux qu’ont fait à l’hydrothérapie les
sociétés savantes, et beaucoup d’hommes sérieux et
honorables, c’est la manière dont les faits ont été recueillis et
présentés  ; presque tous sont tronqués, incomplets,
dépourvus des données qui seules pourraient leur attribuer
une valeur réelle ; sans diagnostic établi ou possible52. »

19 À cette approche fondée sur des dogmes médicaux désuets et


peu rigoureuse dans ses justifications, Fleury oppose une
hydrothérapie rationnelle, conforme aux critères selon
lesquels l’esprit positif définit désormais la scientificité. Il
n’y a plus lieu de chercher, comme dans le vitalisme néo-
hippocratique qui inspirait encore un Baldou ou un
Scoutetten, à provoquer la crise et l’évacuation des matières
morbides, de s’intéresser à l’idiosyncrasie du patient, à son
tempérament, aux circonstances climatiques ou familiales
dans lesquelles il se trouve. Il faut désormais concentrer le
regard sur l’organe malade, étudier les effets physiques,
chimiques ou physiologiques de l’appli cation d’eau froide et
dégager des lois générales, indépendantes de l’individualité
du malade et du médecin, et dont les seules variables seront
la température de l’eau, la durée du bain ou de la douche, la
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pression du jet et la distance de la lance à la peau. Il n’est pas


question, par ailleurs, de discuter de la cause première des
phénomènes pathologiques, d’en appeler à une quelconque
nature médicatrice, dont les variations seraient responsables
des maladies et de leur guérison. Dans l’ensemble de ses
écrits, Fleury se contente d’énoncer des rapports de causalité
susceptibles d’expliquer la succession des phénomènes
observables, en se pliant aux règles de démonstration des
sciences médicales positives. La physiologie fonctionnelle, à
laquelle il cherche à rattacher l’hydrothérapie, ne postule
plus l’existence d’une force vitale pour expliquer le
fonctionnement de l’organisme vivant. Elle s’intéresse à la
fonction remplie par chacun des organes dont la marche
normale, indépendamment de toute cause et de toute
finalité, assure la pérennité de la vie. La maladie n’est plus la
lutte d’un principe vital contre un agent délétère. Elle n’est
pas plus la manifestation d’une propension de l’organisme à
tendre naturellement vers le rétablissement de son équilibre,
mais elle est le signe de l’accomplissement anormal d’une
fonction par un organe particulier, que le médecin aura soin,
par une action appropriée, de rétablir dans sa normalité.
20 Les efforts de Fleury pour rendre l’hydrothérapie conforme
aux normes de scientificité sur lesquelles repose désormais
la pensée médicale vont de paire avec sa volonté de la faire
reconnaître comme traitement pleinement légitime. C’est
dans cette perspective que des partisans de l’utilisation
thérapeutique de l’eau froide commencent à se rapprocher
des promoteurs du thermalisme et des eaux minérales, qui
jouissent déjà d’une position reconnue53. Ainsi, dès sa
fondation en décembre 1853, la Société d’hydrologie
médicale de Paris, qui rassemble des membres de
l’Académie impériale de médecine et des médecins
inspecteurs des eaux minérales, compte parmi ses membres
Louis Fleury et Aleksander Lubanski, dorénavant directeur
de l’institut hydrothérapique du Château de Longchêne, à
Saint-Genis-Laval (Rhône). Ils sont bientôt rejoints par les
docteurs Beni-Barde, Gillebert- Dhercourt et Paul Vidart, qui
dirigent respectivement des établissements à Auteuil, Lyon

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et Divonne dans l’Ain. Lors des séances de la Société, les


rares interventions consacrées à l’hydrothérapie n’abordent
jamais le problème de la justification théorique du
traitement par l’eau froide54. Comme pour les eaux
minérales et thermales, l’exposé se concentre toujours sur la
description des symptômes observés, la présentation du
diagnostic établi, les modalités du traitement administré et
le dénombrement des guérisons ou des améliorations
obtenues. La minutie des procédures confère une allure de
scientificité au traitement en même temps qu’elle masque
l’incertitude de ses fondements et permet de ne plus
s’engager dans des débats oiseux sur la cause de l’efficacité
thérapeutique des applications d’eau froide. Faisant pâle
figure aux côtés du thermalisme et des eaux minérales, qui
connaissent alors une période faste, l’hydrothérapie se
développe néanmoins. Le nombre d’établissements qui s’y
consacrent, intégralement ou partiellement, semble
s’accroître sensiblement sous le Second Empire. Aux sept
instituts hydrothérapiques fondés entre 1840 et 1845 que
nous avons pu recenser s’ajoutent 15 établissements dont le
fonctionnement est attesté entre 1849 et 187055. Suivant une
évolution analogue à celle qu’a observée Edward Shorter
pour les cliniques hydrothérapiques allemandes, les
établissements français tendent à se spécialiser dans le
traitement des pathologies nerveuses, des affections en
dermatologie, en vénérologie, en rhumatologie et dans les
maladies chroniques du système digestif56. À l’échelle de la
médecine générale, cependant, les efforts de Fleury ne
conduisent pas aux résultats escomptés et l’hydrothérapie
reste un moyen thérapeutique de second ordre.
21 À l’échelle de la pratique de l’hydrothérapie, l’entreprise de
rationalisation de la méthode engagée par Fleury porte
néanmoins ses fruits. Après 1850, l’ensemble des auteurs qui
s’expriment sur le traitement par l’eau froide ne s’appuient
plus sur des concepts vitalistes désormais archaïques, mais
se rangent aux principes de la physiologie fonctionnelle. Les
médecins, par ailleurs, rivalisent d’inventivité pour mettre
au point des instruments adaptés au traitement des diverses

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pathologies. Douches en jet, en lame, en pluie, cabines de


douches en cercle, tubs avec douche ascendante, tout un
appareillage se constitue dont la variété, la complexité et la
précision visent à renforcer l’impression de rigueur et de
sérieux que doit donner le traitement hydrothérapique. En
1874, le docteur Beni-Barde rend compte du succès des
thèses de Fleury en déclarant que l’hydrothérapie lui «  doit
cette forme nette et précise qu’on a appelé la méthode
française, parce qu’elle se trouve comme imprégnée de
l’esprit scientifique français, dont la clarté et l’exactitude
sont les deux qualités dominantes57 ».
22 Le caractère nettement spécialisé de la littérature théorique,
qui fait apparaître l’hydrothérapie comme une méthode
précise et clairement identifiée, ne doit cependant pas
occulter le grand éclectisme qui règne dans l’ordre des
pratiques. L’exemple du docteur Gillebert-Dhercourt est, à
ce titre, particulièrement éclairant. Directeur d’un
établissement d’hydrothérapie près de Nancy dans les
années 1840, il insiste à la fois sur la multiplicité des agents
curatifs mobilisés par le traitement et sur sa dimension
hygiénique. Selon lui, les applications d’eau froide par
enveloppements, lavements et ingestion ne suffisent pas à
rendre la cure efficace. Le malade doit également se
soumettre à un régime alimentaire particulier, s’exposer au
soleil et à l’air. La maison de santé destinée à l’hydrothérapie
doit aussi être «  isolée et dégagée de tout ce qui pourrait
faire obstacle au renouvellement de l’air et à l’action des
rayons solaires », d’autant plus éloignée des villes que celles-
ci sont populeuses et manufacturières. Il faut lui joindre un
terrain vaste et clos pour les exercices, des appareils de
gymnastique de toutes sortes et des fontaines d’eau de
source froide, jaillissante et pure. Il convient, enfin, de
l’établir sur un site «  montueux et accidenté  » afin que les
promenades sollicitent plus les muscles et délassent l’esprit
par la variété des paysages58. C’est la mobilisation de
l’ensemble de ces facteurs hygiéniques et thérapeutiques qui
assure, selon Gillebert-Dhercourt, la supériorité de l’hydro
thérapie sur l’allopathie. Et l’auteur de conclure :

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« L’hydrothérapie, lorsqu’elle ne peut s’adresser directement


à la nature du mal, donne à l’organisme le pouvoir de réagir
contre celui-ci et d’en triompher, quand il n’est pas
incurable  ; en d’autres termes, [...] cette méthode a pour
effet ordinaire de mettre en jeu les forces médicatrices de la
nature59. »

23 Rallié à l’hydrothérapie rationnelle, Gillebert-Dhercourt ne


cherche plus, après 1850, à justifier le recours à
l’hydrothérapie par sa capacité à mobiliser la nature
médicatrice60. Il n’abandonne pas pour autant la conviction
selon laquelle la pluralité des modes de traitement contribue
à l’efficacité de la cure. En 1853, il prend la direction de
l’Institut orthopédique et pneumatique de Lyon fondé par
Pravaz, un auteur de traités sur l’emploi médical de l’air
comprimé. Outre les bains et les douches d’air comprimé,
l’Institut propose de soigner différentes affections à l’aide de
la gymnastique rationnelle, d’appareils orthopédiques, de la
natation, des douches froides, des bains d’eaux marines et de
l’électrothérapie. Succédant ensuite à Lubanski à la direction
de l’établissement hydrothérapique du Château de
Longchêne, à Saint-Genis-Laval, il s’adjoint les services d’un
professeur de gymnastique et crée des salles d’inhalation,
dans lesquelles les malades respirent des substances
médicamenteuses (goudron, benjoin, térébenthine...61).
Ainsi, l’exemple de la carrière de Gillebert-Dhercourt permet
de nuancer le caractère spécialisé de son œuvre théorique,
tout entière dédiée à l’hydro thérapie, en mettant en lumière
la dimension toujours éclectique de ses réalisations
pratiques. On peut alors supposer qu’en dépit des efforts des
médecins hydropathes pour rendre leur discours conforme
aux principes de la physiologie positive, l’utilisation
thérapeutique de l’eau reste toujours imprégnée d’un
naturisme latent, associée à des traitements dont l’efficacité
est encore attendue de leur commune appartenance à un
ordre naturel censé les rendre aptes à rétablir l’organisme
malade dans l’harmonie de son fonctionnement normal.
24 Née dans le sillage du naturisme médical, l’hydrothérapie
reposait sur la conviction que la force des éléments naturels
pouvait se montrer propre à seconder l’action de la nature
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médicatrice interne au corps humain et responsable tant de


la préservation que du rétablissement de sa santé. Cette
croyance n’a pas totalement disparu avec l’avènement de
l’hydrothérapie rationnelle. Même si, à la suite de Fleury, ses
partisans se sont ralliés à la physiologie fonctionnelle, l’idée
selon laquelle les éléments naturels sont les plus aptes à
rétablir le fonctionnement normal des organes subsiste de
façon sous- jacente. Par ailleurs, la place de premier ordre
que prend le traitement des pathologies nerveuses dans les
cures hydrothérapiques montre la permanence de l’idée
selon laquelle l’action de l’eau froide dépasse le niveau de
l’organe pour atteindre les sphères cachées de l’organisation
générale du vivant. Cependant, le positivisme auquel se sont
ralliées les sciences médicales modernes a évacué de leurs
préoccupations la question du fondement philosophique de
cette conviction, jusqu’à en rendre illégitime - ou du moins
superflue - l’expression. Ce n’était donc qu’en la
débarrassant des scories naturistes, qui maintenaient sur
elle les ombres suspectes de l’empirisme et du
charlatanisme, que les médecins partisans de
l’hydrothérapie pouvaient espérer faire reconnaître comme
légitime l’usage de cette thérapeutique alternative. Force est
pourtant de constater qu’à l’entrée dans le dernier tiers du
xixe siècle, l’hydrothérapie reste une ressource
thérapeutique de second ordre. Seules lui sont légitimement
confiées les pathologies mentales et les maladies chroniques,
que l’anatomie pathologique ne peut saisir, dont les causes
physiologiques demeurent obscures et face auxquelles les
remèdes habituels sont encore relativement impuissants.
Pliée aux canons de la médecine moderne, l’hydrothérapie
reste cantonnée aux marges de la thérapeutique officielle,
dans des limbes où l’efficacité des traitements
conventionnels elle-même se dilue dans une obscure
incertitude.

Notas
1. J. Léonard, Médecins..., op. cit., p. 71-74 et M. Ramsay, «  Médical
Power and Popular Medicine: illégal healers in nineteenth century
France », Journal of Social History, 10-4, 1977, p. 560-587.
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2. F. Loux, Le Corps dans la société traditionnelle, Paris, 1979, p. 32-45.


3. J. Léonard, Médecins.,.,op. cit., p. 66 et 75-77.
4. P. Guillaume, Médecins, Église et foi, depuis deux siècles, Paris,
1990, p. 31-34.
5. J. Léonard, La Médecine entre les savoirs et les pouvoirs..., op. cit.,
p. 69.
6. A. Corbin, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage,
1750-1840, Paris, 1990 [1988], p. 77 sq. ; G. Vigarello, Le Propre et le
sale, l’hygiène du corps depuis le Moyen Age, Paris, 1985, p. 126-140 et
Le Sain et le malsain..., op. cit., p. 158-160.
7. Par exemple: B. Clemenceau, Propositions générales sur Us
propriétés et l’usage de l’eau, Paris, thèse de médecine, an XII (1804) ;
J.-F. Jammes, Essai sur l’action et l’emploi thérapeutique des bains
froids, Montpellier, thèse de médecine, 1818  ; La Corbiere, Traité du
froid, de son action et de son emploi, intus et extra, en hygiène, en
médecine et en chirurgie, Paris, Cousin, 1839.
8. L. Fleury, «  De L’hydrosudopathie...  », op. cit.-, anonyme (baron
Chabot), Notice..., op. cit.-, J. Bigel, Manuel d’hydrosudopathie, ou
Traitement des maladies par l’eau froide, la sueur, l’exercice et le
régime, suivant la méthode employée par V. Priessnitz à Graefenberg,
Paris, Baillière, 1840.
9. L. Fleury, « De L’hydrosudopathie... », op. cit.
10. Ibidem, p. 224-225.
11. Anonyme (baron Chabot), Notice..., op. cit., p. 8.
12. Ibidem, p. 23-24.
13. J. Bigel, Manuel..., op. cit. Avant de s’intéresser à l’hydrothérapie, le
docteur Bigel a consacré plusieurs ouvrages à l’homéopathie : Examen
théorique et pratique de la méthode du docteur Hahnemann, nommée
homœopathie, Varsovie, 1827, 3 vol.  ; Manuel diététique de
l’homœopathie, Lyon, 1833 et Homaeopathie domestique ou guide
médical des familles, Paris, 1837.
14. J. Bigel, Manuel..., op. cit., p. 279. L’hydrothérapie est également
évoquée par des revues de vulga risation médicale, notamment
Connaissances médicales et chirurgicales (octobre 1840, p. 160) et la
Gazette Médicale (1840, passim et 1841, p. 828).
15. J. Engel, De l’Hydrothérapie ou du traitement des maladies par
l’eau froide ; de ses rapports avec la médecine dans l’état actuel, Paris,
1840 et L. Wertheim, De l’Eau froide appliquée au traitement des
maladies, ou de l’hydrothérapie, Paris, 1840.
16. J. ENGEL, De l’Hydrothérapie..., op. cit., p. 8-9. 9.
17. Ibidem, p. 1.
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18. Rapport de la séance du 18 août 1840, Bulletin de l’Académie royale


de médecine, t. V, p. 503-504.
19. Ibidem, p. 506-507.
20. Ibid., p. 507.
21. M. Riche, «  Quelques réflexions sur le rapport de M. Roche à
l’Académie de médecine, touchant l’hydrothérapie  », Revue médicale
française et étrangère, tome IV, décembre 1840, p. 402-411. Le
calorique est un fluide hypothétique auquel on attribue, à l’époque, le
transport de la chaleur animale dans le corps et dont l’excès peut
produire une inflammation.
22. Ce dernier est également collaborateur de La Revue médicale dans
laquelle il a publié la recension du livre de Bigel consacré à
l’hydrothérapie..
23. S.-J. Corbel-Lagneau, Traité complet des bains, considérés sous le
rapport de l’hygiène et de la médecine ou Nouveau guide des baigneurs,
Paris, Labé, 1845, p. 252.
24. Geoffroy, Thérapeutique et diététique de l’eau froide, Pont-à-
Mousson, 1843.
25. H. Scoutten, De l’Eau sous le rapport hygiénique et médical, ou de
l’Hydrothérapie, Paris, Bertrand, 1843, p. 66 et H.-A. Trifet, Exposé de
l’hydrothérapie, méthode rationnelle de traitement par la sueur, l’eau
froide, le régime et l’exercice, Paris, Hauquelin et Bautruche, 1844, p.
15.
26. Ibidem, p. 16-17.
27. H. Scoutetten, Rapport..., op. cit.
28. H. Scoutetten, De l’Eau..., op. cit.
29. Notamment H. Heidenhain et H. Ehremberg, Exposition des
méthodes hydriatriques de Priesnitz dans les diverses espèces de
maladies; considérées en elles-mêmes et comparées avec celles de la
médecine allopathique,Paris, Baillière, 1842 ; Ch. Munde,
Hydrothérapeutique, ou l’Art de prévenir et de guérir les maladies sans
le secours des médicaments, par le régime, l’eau, la sueur, le bon air,
l’exercice et un genre de vie rationnel Paris, Baillière, 1842.
30. E. Baldou, L’Hydropathie..., op. cit., p. 82-90.
31. Geoffroy, Thérapeutique..., op. cit., p. VIII.
32. Ibidem, p. 25.
33. Ibid., p. XIII.
34. H. Scoutetten, De l’Eau..., op. cit., p. 347.
35. Geoffroy, Thérapeutique..., op. cit., p. XIV.

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36. L.-A. Gillebert-Dhercourt, Observations sur l’hydrothérapie,


adressées au Dr Ballet, médecin en chef de l’hospice de Gien (Loiret),
Paris, Baillière, 1845, p. 7-8.
37. J. Bigel, Manuel..., op. cit., p. 278.
38. Geoffroy, Thérapeutique..., op. cit., p. 81-82.
39. C. James, Études..., op. cit., p. 83.
40. A. Lubanski, Études pratiques sur l’hydrothérapie d’après les
observations recueillies à l’établissement de Pont-à-Mousson, Paris,
Baillière, 1847, p. 19-20.
41. L.-A. Gillebert-Dhercourt, Observations..., op. cit., p. 26-27.
42. C’est le cas, par exemple, du professeur Boyer, de la Faculté de
médecine de Strasbourg, qui qualifie le système de Priessnitz de
charlatanerie (Recherches historiques sur la psychrothérapie (Emploi
hygiénique et thérapeutique de l’eau froide), à l’occasion de l’hydro-
sudothérapie moderne, Paris, Strasbourg, 1843).
43. R. LATOUR, Une Visite à Marienberg, examen pratique et
philosophique de l’hydrosudopathie ou hydrothérapie,mémoire lu à la
Société de médecine de Paris et imprimé par décision de la Société,
Paris, Labé, 1842, p. 17-20 et 31-32.
44. Ibidem, p. 22.
45. H. E. Schedel, Examen..., op. cit., p. I-II.
46. L.-A. Gillebert-Dhercourt, Observations..., op. cit., p. 1-2.
47. S.-J. Corbel-Lagneau, Traité..., op. cit., p. III et 204-205.
48. L. Fleury, Recherches et observations sur les effets et l’opportunité
des divers modificateurs dits hydro- thérapiques, Paris, 1848, p. 27.
49. À titre d’exemple : De l’Action isolée et combinée des douches froides
et des mouvements dans le traitement de l’ankylose incomplète, Paris,
1848 et Mémoire sur les douches froides locales et générales, internes et
externes, appliquées au traitement des engorgements et des
déplacements de la matrice, Paris, 1849.
50. L. Fleury, Traité pratique et raisonné d’hydrothérapie, Paris, Labé,
1852, p. VIII.
51. Ibidem, p. 86.
52. Ibid., p. 90.
53. Sur les étapes de la reconnaissance du thermalisme et des eaux
minérales par l’Académie de méde cine, voir G. Weisz, «  Water Cures
and Science: the French Academy of Medicine and Minerai Waters in the
Nineteenth Century », Bulletin of History of Medicine, 6-3, 1990, p. 393-
416.

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54. Notamment, L.-A. Gillebert-Dhercourt, «  Note relative au


traitement des paralysies par l’hydrothérapie  » (Annales de la Société
d’hydrologie médicale de Paris, tome II, 1855-56, p. 197-206);V.
Boullay, «  Note sur l’emploi de l’hydrothérapie dans le traitement des
paralysies » (ibidem, tome II, 1855-56, p. 2 1 2 - 2 1 5).
55. Une sous-section du Catalogue des sciences médicales de la
Bibliothèque nationale recense les publications consacrées aux instituts
d’hydrothérapie (tome III, Paris, 1889, p. 131-132). La mention d’un
établissement atteste son existence à un moment précis mais ne permet
pas de déterminer sa date de fondation ni la durée de son
fonctionnement. Ce recensement n’est pas exhaustif puisque le
recoupement avec notre propre bibliographie révèle l’existence de six
autres instituts que ne mentionne pas le Catalogue.
56. E. Shorter, «  Private Clinics...  », op. cit., p. 170-171. Cette
«  spécialisation  » de l’hydrothérapie est également signalée par J .-P.
Goubert, La Conquête de l’eau, l’avènement de la santé à l’âge
industriel Paris, 1986, p. 130.
57. Beni-Barde, Traité théorique et pratique de l’hydrothérapie
comprenant Us applications de la méthode hydrothérapique au
traitement des maladies nerveuses et des maladies chroniques » Paris,
Masson, 1874, p. III.
58. L.-A. Gillebert-Dhercourt, Observations..., op. cit., p. 24-26.
59. Ibidem, p 73-74.
60. L.-A. Gillebert-Dhercourt, Des Effets physiologiques déterminés
par l’application d’eau froide, Lyon, Vingtrinier, 1857 et Des Principes et
des effets de l’hydrothérapie, réponse à M. Gigot-Suard, à propos de son
rapport sur le mémoire de M. Delmas, intitulé: « De l’Hydrothérapie à
domicile », Paris, Baillière, 1870..
61. L.-A. Gillebert-Dhercourt, Notice sur l’établissement
hydrothérapique du Château de Longchêne, à Saint-Genis-Laval, Lyon,
1859.

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BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre III. Les vicissitudes de l’hydrothérapie
en France In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature [en
línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el 03
décembre 2021). Disponible en Internet:

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<http://books.openedition.org/pur/22878>. ISBN: 9782753523036.


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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
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Histoire du naturisme
Le mythe du retour à la nature
Arnaud Baubérot

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Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre IV. La
réception de la
méthode Kneipp
en France
p. 83-110

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France

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Texto completo

Un naturisme vitaliste et néo-hippocratique


1 Nous avons déjà évoqué la façon dont un jeune prêtre
bavarois, l’abbé Sébastien Kneipp, a élaboré, dans le courant
des années 1850, un système thérapeutique fondé sur
l’utilisation combinée de l’eau froide et de prépa rations à
base de plantes médicinales1.Sa renommée croissante
attirant des foules de malades en quête de guérison, une
véritable administration s’est formée dans sa petite ville de
Wôrishofen, afin de prendre en charge l’organisation des
consultations et des cures. Entre la fin des années 1880 et le
début des années 1890, Kneipp et son entourage amorcent
une stratégie qui vise non seulement à encourager, mais
également à contrôler la propagation de sa méthode
thérapeutique. Ainsi, l’Association Kneipp, fondée en 1891,
répond tout autant à la volonté de susciter la formation
d’associations locales qu’au souci de s’assurer de leur
affiliation et de leur orthodoxie2. De même, l’accueil régulier
de médecins allemands et étrangers à Wörishofen puis la
création d’une Association internationale des médecins
kneippistes, en février 1894, visent aussi bien à favoriser
qu’à encadrer la diffusion des méthodes du prêtre dans les
milieux médicaux. C’est dans ce contexte de fort
volontarisme de la part de ses promoteurs allemands que la
méthode Kneipp commence à se faire connaître en France.
En 1890, alors que paraît la traduction du premier traité de
Kneipp, Ma Cure d’eau, un certain abbé Loevenbruck publie
à ses frais un ouvrage de présentation de son système.
L’année suivante, Le Correspondant propose à ses lecteurs
une longue étude de l’abbé Kannengieser sur le prêtre
bavarois, publiée peu après sous forme de brochure3.Les
traductions des traités et conférences de Kneipp et les
ouvrages consacrés à son œuvre se succèdent alors4. Sandoz,
un ingénieur suisse installé à Paris, qui a guéri à Wörishofen
d’une maladie chronique dont la médecine n’avait pu venir à
bout, édite à son tour un exposé de la méthode. À partir de
1892, il publie une revue mensuelle, Les Traitements

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naturels5, dont l’essentiel se compose de la traduction


d’articles extraits des périodiques naturistes allemands. La
Belgique connaît un engoue ment analogue à la même
époque6. Le prêtre belge Nicolas Neuens, après un premier
séjour de deux mois à Wörishofen au début de l’année 1892,
s’engage à son tour dans la publication de traités consacrés à
la méthode Kneipp, premiers ouvrages d’une longue série
qui fait de Neuens le plus prolixe des promoteurs
francophones du kneippisme7.
2 Du point de vue de leurs conceptions médicales, le curé
bavarois et ses disciples récusent tout d’abord l’idée selon
laquelle la maladie résulterait du dysfonctionnement d’un
organe particulier. Pour Kneipp, en effet, toutes les
pathologies « ont leur principe, leur origine, leur racine, leur
germe dans le sang, ou plutôt dans le désordre de la
circulation du sang, ou encore dans l’altération du sang par
la suite de la présence d’éléments étrangers et nuisibles8  ».
Ce postulat, d’un humorisme désuet, justifie l’emploi d’une
thérapeutique qui se désintéresse du traitement local pour
ne se consacrer qu’à l’épuration de l’humeur sanguine et à
l’augmentation des capacités de résistance de l’organisme.
Dans la lignée des empiristes de la première moitié du siècle,
et sur un ton où se lit nettement la marque du néo-
hippocratisme, Kneipp associe à l’eau froide des propriétés
spécifiques qui justifient son utilisation comme remède de
premier ordre :
«  L’eau, spécialement notre méthode, guérit toutes les
maladies généralement guérissables  ; car toutes ses
applications tendent à extirper les racines de la maladie, et
sont à même :

1. 1°de résoudre les principes morbifiques du sang ;


2. 2°d’éliminer ce qui a été résous ;
3. 3°de rendre une circulation régulière au sang ainsi
purifié ;
4. 4°de fortifier enfin et de raviver l’organisme affaibli9 »

3 Au-delà de la question thérapeutique, c’est également dans


le domaine de leur conception du vivant, de la santé et de la
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maladie que les parti sans de Kneipp opposent leurs vues à la


médecine moderne. Le système élaboré par le prêtre
bavarois repose tout d’abord sur une appréhension des
grands mécanismes physiologiques en des termes a priori
conformes aux données de la science. Nicolas Neuens en
donne la définition la plus claire et la plus synthétique. « Les
aliments, l’air et la lumière, affirme-t-il, fournissent au corps
les éléments nécessaires à la vie  ; ces éléments contiennent
des principes nutritifs et assimilables, mêlés à d’autres
principes qui ne sont pas assimilables.  » L’organisme
effectue un tri entre ces principes afin d’assimiler les
premiers et d’éliminer les seconds. La santé peut alors se
définir comme «  l’équilibre des échanges organiques  ». De
cette définition découle l’idée que le défaut d’évacuation des
substances inassimilables est la cause principale des
maladies. Toutefois, plutôt que d’exploiter le fruit des
recherches scientifiques menées sur l’intoxication, l’auteur
se contente de conceptions surannées, héritées de la
médecine néo-hippocratique du xviiie siècle, pour décrire la
pathogenèse  : «  Les aliments irritant entravent l’échange
organique, et forment des matières morbides qui fermentent
dans le corps  ; ces principes malsains en engendrent
d’autres, et empêchent les bons principes de produire de
bons effets. » Par ailleurs, ajoute Neuens, « les influences du
climat et du sol produisent également des maladies  ». La
nature s’efforce alors d’équilibrer les influences funestes et
de préserver la santé par une activité plus énergique. Dans
les situations critiques, elle peut déployer des «  efforts
extraordinaires pour évacuer les matières morbides  » et
déclencher une maladie aiguë afin de triompher des
mauvaises influences. Cependant, si la nature n’est pas assez
forte pour éliminer tous les agents délétères, la maladie peut
devenir chronique ou, dans les cas les plus graves, conduire
à la mort. Et l’abbé Neuens de conclure :
«  Nous pouvons définir aussi la maladie comme le combat
de l’organisme contre les principes morbides et étrangers, un
effort de la force naturelle tendant à rétablir l’équilibre dans
l’organisme  ; bref, un effort rénovateur. La conception
passive de la maladie nous dit qu’elle est l’échange organique
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déséquilibré, et cette conception nous invite à refaire


l’équilibre  ; la conception active dénote la maladie comme
un combat de la nature contre le déséquilibre, combat dans
lequel la nature réclame notre secours 10. »

4 Fondamentalement, l’enjeu de tels propos est moins de


décrire avec exactitude la source des maladies que d’affirmer
que celles-ci, loin de constituer des événements
pathologiques, sont des phénomènes normaux par lesquels
la nature s’efforce de maintenir les équilibres vitaux.
5 Poursuivant dans le recyclage des concepts médicaux du
siècle précédent, Kneipp et ses disciples utilisent l’expression
de « force vitale » pour décrire la manière dont intervient la
nature dans l’entretien et le rétablissement de la santé.
Certes, cette notion vague souffre quelques divergences de
définitions. Pour Sandoz, la nature entretient l’équilibre de
l’univers grâce à l’action de «  forces naturelles  » qui
obéissent à des lois. Intégré à cet ordre cosmique, l’homme
n’est maintenu en vie que par l’action de ces forces. « Elles
nous pénètrent et leur concours, en nous et hors de nous,
crée notre force vive, notre vitalité ; partant elles règleront et
entretiendront notre santé. Leur équilibre sera notre seul,
notre vrai médecin11 » Paul Audollent, pour sa part, soutient
que la santé dépend de l’équilibre du « fluide vital ». Celui-ci
n’est que la manifestation physiologique du «  fluide
cosmique », « grand et unique moteur de la vie », régisseur
du fonctionne ment de l’univers tout entier12. Plus modéré
dans son affirmation des liens qui unissent macrocosme et
microcosme, Neuens, enfin, se rattache à une conception
humorale de la force vitale. Elle est «  le bon calorique  »,
lequel, véhiculé par le sang, transporte les éléments
d’assimilation et de désassimilation13. Toutefois, malgré
leurs divergences, les disciples francophones de Kneipp se
rattachent tous à une conception de la nature qui en fait une
puissance autonome, agissant en toute intelligence et
poursuivant les finalités que lui a assignées le Créateur, aussi
bien dans le vaste univers qu’à l’intérieur du corps humain.
Cette nature opérant immanquablement dans le sens de la
conservation de la vie et du rétablissement de la santé, le
médecin ne doit agir qu’en tant que disciple de ses
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impérieuses volontés. C’est, une fois de plus, l’abbé Neuens


qui exprime cette idée de la manière la plus claire et la plus
explicite :
«  Les traitements naturels ne tendent qu’à rendre les
services nécessaires à la nature et à la force vitale de
l’homme. [...] Le médecin physiatrique agira toujours
d’après ce principe  : c’est la nature seule qui guérit  ; tout
secours des hommes est artificiel, et ne doit être admis que
dans le cas où il se conforme aux lois de la nature. [...] Il n’y
a pas de remèdes proprement dits, il n’y a qu’une seule force
curative, la force curative innée  ; c’est cette qualité que
possède l’organisme humain de régler par lui-même toutes
les conditions vitales, d’éliminer ou d’équilibrer les
obstructions, et de conserver la vie elle-même. Cette force
conservatrice et curative n’existe pas hors de l’organisme,
mais elle lui est inhérente ; elle n’est qu’une conséquence des
lois naturelles14 »

6 Enfin, l’ensemble de ces auteurs s’accorde à affirmer la


nécessité d’individualiser le traitement - ressuscitant ainsi
les antiques notions hippocratiques de diathèse et
d’idiosyncrasie contre le déterminisme et l’aspiration des
sciences médicales modernes à élaborer des lois générales -
et de n’employer qu’avec une extrême douceur les différents
procédés thérapeutiques mis à disposition par le système
Kneipp. «  La nature aime les traitements doux et calmes,
affirme Neuens. Agissez donc doucement et lentement.
Prenez patience  : au bout de quelques temps, la nature
semble voler vers la guéri son, reconnaissante qu’elle est de
votre secours raisonnable15.  » Il apparaît finalement que la
réception de la méthode Kneipp en France s’opère sur la
base de conceptions biologiques et médicales qui s’inscrivent
sans la moindre ambiguïté dans la tradition du néo-
hippocratisme vitaliste, naturiste et expectateur qui
dominait la médecine des Lumières. Certes, les procédés
thérapeutiques que prône le naturisme de la fin du xixe
siècle le distinguent de son aïeul du siècle précédent.
L’hydrothérapie des empiristes germa niques, les plantes
médicinales et, parfois, l’héliothérapie16 ont remplacé la
saignée, les diurétiques et les émétiques. Mais la conception

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du vivant et de ses rapports avec son environnement, les


définitions de la santé, de la maladie et du rôle du médecin
enjambent le siècle pour se répéter en des termes analogues,
voire identiques, sous la plume des promoteurs franco
phones du kneippisme.
7 Dès lors, la question se pose du sens qu’il convient
d’attribuer à ce surgissement de théories médicales
archaïques, en un temps où la médecine moderne,
solidement assise sur les fondations de la physiologie
expérimentale et du pasteurisme, peut enfin s’enorgueillir de
ses succès thérapeutiques et de l’enthousiasme qu’elle
suscite. On pourrait ne voir ici que l’œuvre de cyniques
charlatans ou, au mieux, d’enthousiastes crédules, ignorants
des données de la science et exhumant un vocabulaire savant
périmé dans le but de justifier leurs pratiques hétérodoxes,
sources de gloire ou de prébendes rémunératrices. Toutefois,
il est aussi possible de suggérer que les fondements
théoriques de la médecine traditionnelle, discrédités par
l’avènement de la médecine moderne et rejetés hors de la
sphère du savoir scientifique, ont perduré dans les tréfonds
de la culture occidentale, portés par un savoir populaire et
alimentant des pratiques thérapeutiques souterraines mais
néanmoins vivaces. Le fait que les auteurs francophones qui
se consacrent à la promotion du kneippisme ne mentionnent
jamais de traités médicaux de la fin du xviiie ou du début du
xixe siècle et, en tout état de cause, semblent n’avoir pour
seules références que les écrits des empiristes germaniques
— dont ils extrapolent amplement la pensée - permet de le
supposer. Il faut alors s’interroger, et nous y reviendrons,
sur les raisons qui, au début des années 1890, permettent à
ces théories que l’on considérait encore dix ans plus tôt
comme désuètes ou entachées de superstitions populaires
d’accéder soudain au statut de discours cohérent, publiable,
diffusable et mobilisable dans le but de justifier un système
thérapeutique offrant une alternative à la médecine
moderne.
8 Procédé de traitement des maladies, la méthode Kneipp
s’affirme égale ment comme un art de l’hygiène, une ligne de

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conduite à suivre pour conserver la santé. Et les partisans du


kneippisme n’omettent pas de développer avec ampleur ce
versant du système. Il semble pourtant que les recommanda
ions hygiéniques soient apparues plus tardivement dans les
prescriptions du prêtre. En effet, son premier traité, Meine
Wasserkur, publié en 1886, expose de façon détaillée le
système qu’il applique depuis 30 ans, mais ne consacre
aucun chapitre à l’hygiène. Ce n’est que dans son ouvrage So
sollt ihr leben, publié trois ans plus tard, que l’abbé aborde la
question de la préservation de la santé par l’adoption d’un
mode de vie sain17. De même, les premiers textes en français
consacrés à l’exposé de la méthode Kneippne traitent de
l’hygiène que de façon limitée. Sandoz, par exemple, évoque
les propriétés préventives de l’eau froide lorsqu’elle est
utilisée comme fortifiant dans l’éducation des enfants,
conjointement avec les exercices physiques, comme moyen
d’entretien de la propreté corporelle et comme boisson18.
Dans sa revue Les Traitements naturels, il invite à
« observer un genre de vie modéré, conforme à la nature », à
entretenir la propreté de la peau et des vêtements, à respirer
un air sain, à vivre dans des demeures saines, à consommer
une nourriture saine et à maintenir l’équilibre entre le
travail, l’exercice et le repos19. On retrouve ici les grandes
catégories de l’hygiénisme classique, largement développé
dans la seconde moitié du xviiie siècle, qui prône l’utilisation
de l’eau froide dans une logique d’affermissement du corps
et une éthique de la modération propre à prolonger
l’existence. L’ensemble de ces prescriptions demeure
toutefois très général et Sandoz ne s’attache pas à en
détailler les modalités d’application.
9 Toute différente est l’attitude de l’abbé Neuens qui, dans son
ouvrage Médication interne de M. l’abbé S. Kneipp, publié
en 1893, développe sur près de 120 pages les implications
concrètes des règles hygiéniques énoncées par le curé de
Wörishofen. On y trouve un vaste catalogue de prescriptions,
parfois générales, parfois très précises, dont les grandes
lignes seront ensuite reprises dans ses ouvrages ultérieurs,
comme dans ceux des autres promoteurs francophones du

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kneippisme. Le respect de ces règles tend à constituer, sous


la plume de Neuens, le point central du programme
kneippiste en ce qu’il conditionne la réussite du traitement
hydrothérapique :
« Abandonnés à leur ignorance, ou trompés par d’autres en
ces matières, la plupart des hommes adoptent un mauvais
régime et une fausse hygiène. Ils s’imaginent qu’ils prennent
la meilleure nourriture et la plus fortifiante  ; ils sont
convaincus que leur habillement est parfait, parce qu’il tient
chaud et protège contre les intempéries, et ils ne se doutent
pas que leur manière de vivre et de s’habiller est contre
nature. Ils commettent tous les jours toutes les fautes
hygiéniques possibles, puis s’en viennent demander à l’eau
une prompte guérison  : ils désirent ardemment ne rien
changer à leur mode de vie. En retour ils s’engagent à
considérer dorénavant l’eau froide comme leur meilleure
amie, et comme le plus bienfaisant des remèdes. C’est
vouloir l’impossible et commettre une erreur regrettable.
L’eau ne peut être qu’un moyen de produire une assimilation
utile au corps des aliments utiles qui lui sont administrés
d’une manière raisonnable20. »

10 Dans son ouvrage consacré aux bains atmosphérique,


Neuens va même jusqu’à contredire Kneipp. Alors que ce
dernier affirme que l’eau et les plantes médicinales suffisent
et qu’il ne faut rien ajouter à ces remèdes, Neuens soutient
que l’eau ne peut pas rééquilibrer ce que l’homme
déséquilibre par une vie contre nature21.
11 La question alimentaire occupe une place centrale dans le
programme hygiénique qu’expose la littérature kneippiste22.
Du point de vue quantitatif, tout d’abord, Kneipp invite à la
modération et à la simplicité, affirmant que la gourmandise
est la source de la ruine de l’homme. Toutefois, c’est sur le
plan qualitatif que les prescriptions alimentaires se
développent avec le plus d’ampleur et de précision23. À la
proscription, habituelle dans la littérature hygiénique, du
tabac et de l’alcool s’ajoute une mise en garde sévère à
l’égard des boissons excitantes que sont le café et le thé. Le
cacao et les eaux minérales ne trouvent pas plus grâce aux
yeux du disciple de Kneipp. Les assaisonnements sont
également l’objet de recommandations détaillées. Le sucre,
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difficile à digérer, le sel, excitant superflu dont la force


corrosive affaiblit les entrailles, et les épices doivent être
utilisés avec la plus grande circonspection. En matière de
cuisson, les prescriptions de Neuens s’inspirent d’un
naturisme qui confine au primitivisme et à la régression
«  Quant à la cuisson, le médecin naturaliste [Kneipp] dit  :
"On peut admettre que tout ce que la terre produit comme
aliment nous est préparé par le Créateur dans la forme la
moins nuisible  ; et celui qui peut en user sous cette forme
naturelle en retire le plus grand avantage". En d’autres
termes : Ne cuisez pas ce qui se digère sans cuisson ; cuisez
doucement ce qui ne supporte pas une cuisson forte ou ce
qui n’en a pas besoin24. »

12 À la prohibition de certains aliments ou de certaines


manières de les préparer s’ajoute l’injonction de privilégier
la consommation de certaines denrées. À la suite de Kneipp,
Neuens vante les mérites des céréales, préparés sous forme
de pain ou de soupe épaisse, mais également des pommes de
terre, de la choucroute et des fruits. Pour la boisson, il
recommande l’eau pure et le lait, les infusions, ainsi que des
cafés de malt, de blé, de glands ou de fèves grillées.
L’argumentation se déploie ici sur un mode rationnel
évoquant la composition chimique des aliments et les
besoins physiologiques de l’homme en matière de sels
nutritifs, d’azote et de carbure d’hydrogène. Toutes ces
substances existent dans les végétaux et l’on pourrait, selon
Neuens, se contenter d’une alimentation végétarienne.
Toutefois, la faible quantité d’azote contenue dans les
végétaux impliquerait alors qu’on les consomme en très
grande quantité. La viande, en revanche, permet d’obtenir la
ration d’azote nécessaire à l’organisme, mais elle se digère
plus difficilement et contient des substances toxiques. Sa
consommation doit donc rester modérée :
«  Des médecins célèbres disent qu’après la digestion de la
viande l’estomac est irrité pendant sept heures. On ne peut
donc manger beaucoup de viande qu’au détriment de la
santé. Les savants tolèrent 221 grammes par jour, une dose
plus forte congestionne les poumons, la tête et tous les

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organes antérieurs  ; elle produit un sang acre, des


constipations, des hémorroïdes, la goutte, les calculs25. »

13 À ces arguments de nature scientifique et rationnelle


s’ajoutent des considérations plus métaphysiques, qui
fondent les prescriptions alimentaires sur le principe de
l’inscription de l’homme dans un ordre supérieur  : «  Le
corps de l’homme vient de la terre, déclare Neuens, sa
nourriture en vient aussi  ; tous les mets et toutes les
boissons, la Terre-Mère nous les prépare sous les formes les
plus variées.  » Ce sont, toutefois, des affirmations plus
orthodoxes qui poussent Kneipp et ses zélateurs à ne
prescrire le régime végétarien que dans un cadre
thérapeutique  : Dieu a donné à l’homme la domination sur
les deux règnes, rappelle ainsi Neuens, il peut donc choisir
sa nourriture aussi bien dans le règne végétal que dans le
règne animal. Pour lui, le «  régime mixte des pauvres  »,
essentiellement végétal et rarement agrémenté de viande, est
le plus équilibré26. De même, le pharmacien kneippiste
Favrichon, répondant aux motifs religieux avancés par
certains végétariens, affirme que l’Église catholique ne
prescrit pas l’abstinence totale de viande. Elle n’invite qu’à
s’en priver certains jours pour apprendre à modérer ses
désirs et à combattre la sensualité27. Les considérations
morales et religieuses viennent ainsi appuyer
l’argumentation sanitaire pour inviter l’individu à la frugalité
et à la tempérance.
14 Si détaillées soient-elles, les prescriptions alimentaires ne
constituent pas le seul élément de ce corpus hygiénique. Les
questions relatives à l’exposition du corps à la lumière, à
l’alternance du mouvement et du repos, à l’éducation des
enfants, au choix d’une carrière, au surmenage intellectuel, à
l’alternance de la veille et du sommeil, ou même à la
pratique de la bicyclette sont l’objet de recommandations
précises28. La question du vête ment y occupe également une
large place. S’inscrivant dans la continuité d’une longue
tradition littéraire, philosophique et médicale, qui, depuis
Ambroise Paré et Montaigne, lutte contre le corset,
l’emmaillotement des bébés ou les bandeaux crâniens, les

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promoteurs du kneippisme s’attachent à dénoncer les


habitudes vestimentaires malsaines de leurs contemporains.
Comme les vêtements serrés dont on habille les enfants, le
corset est accusé de déformer le corps et de porter atteinte à
sa conformation naturelle, gage de son bon fonctionnement.
Or, rappelle Neuens, «  c’est Dieu qui a donné au corps
humain ses formes et qui a assigné à chaque organe sa place
naturelle  ; aucun homme ne peut modifier impunément
l’œuvre divine29  ». L’essentiel de l’argumentation, toutefois,
se raccorde à des considérations sanitaires et nourrit une
dénonciation qui s’étend à l’ensemble des codes
vestimentaires par lesquels les normes de savoir-vivre de la
bourgeoisie assurent le maintien et la contention du corps30.
Les chapeaux, les cravates et les écharpes, les manches et
manchettes qui compriment les bras et les poignets, les
multiples couches de sous-vêtements, les jarretières, les
guêtres, les souliers étroits et pointus, les talons hauts
empêchent la nécessaire aération du corps, la libre
circulation du sang et l’évacuation des matières
inassimilables contenues dans la sueur. Les habits doivent
donc être larges et flottants. Dans le même registre d’idées,
les habitations doivent être aérées le plus souvent possible
afin de permettre l’évacuation de l’air corrompu et l’entrée
de l’air pur31. Ainsi voit-on l’hygiénisme kneippiste prendre
appui sur des considérations aéristes qui, sans en prononcer
le mot, font perdurer jusqu’au crépuscule du siècle la vieille
théorie des miasmes32.
15 Par ailleurs, la sophistication vestimentaire et la
multiplication des couches de linge sont à la fois le signe et la
cause d’un coupable amollisse ment. «  La chemise et deux
couches de vêtements devraient suffire à protéger contre le
froid le plus rigoureux, affirme Neuens. Celui qui a besoin de
plus de vêtements est bien faible, il devrait s’endurcir par
une bonne cure d’eau afin de pouvoir diminuer impunément
le nombre de ses vêtements33.  » De même, le docteur Joire
assure que «  ces personnes amollies qui, de tout l’hiver,
n’osent sortir de chez elles, sans avoir la gorge emmitouflée
dans un cache-nez de laine qui fait deux ou trois fois le tour

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du cou, ou dans une fourrure qui monte jusqu’au-dessus des


oreilles [...] seront bientôt atteints de maux de gorge de
toutes sortes et de bronchites sans fin  ». Pour sa part, il
recommande de « sortir en toute saison le cou libre et exposé
à l’air  » pour parvenir peu à peu «  à endurcir ces organes
délicats, et à les rendre capables de supporter les
changements de température et les rigueurs de toute
saison34  ». A l’ instar de Kneipp, ses adeptes francophones
proposent de remplacer les sous-vêtements de flanelle ou de
coton, recommandés par les médecins hygiénistes de leur
temps, par de la toile de lin grossière, plus poreuse, et les
souliers fermés par des sandales35. Tout un complexe
industriel et commercial, dont les publicités et les catalogues
envahissent les dernières pages des ouvrages et les revues
kneippistes, se met alors en place pour relayer ce discours
dans le domaine de la pratique et permettre aux adeptes du
curé bavarois de conformer leur existence à ses prescriptions
hygiéniques.
16 Comme ceux de l’hygiène classique des Lumières, dont il
reprend les catégories à l’identique, les ressorts de
l’hygiénisme kneippiste sont de trois ordres. Celui-ci repose,
tout d’abord, sur la conception néo-hippocratique du vivant,
de la santé et de la maladie à laquelle adhèrent Kneipp et ses
partisans. Comme nous l’avons montré plus haut, ces
derniers attribuent la maladie à un déséquilibre de l’échange
organique fondé sur l’assimilation des matières nutritives et
l’élimination des substances nuisibles. Une défaillance de
l’élimination engendre une corruption du sang par ces
matières délétères et plonge l’individu dans un état morbide
qui peut, dans les cas les plus graves, le conduire à la mort. Il
importe alors d’éviter, autant que possible, le confinement
de ces substances toxiques dans l’organisme par l’adoption
d’un régime approprié, par la respiration d’un air sain et par
le port de vêtements amples et poreux.
17 Les recommandations des auteurs kneippistes sur la
conduite de la vie poursuivent par ailleurs, dans la continuité
de la littérature hygiénique des Lumières, la logique d’un
idéal de modération et de frugalité. Inscrit dans l’ordre de la

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nature, élément de son harmonie, l’individu doit être le


prudent régisseur de son organisme et redouter que chaque
transgression des lois naturelles ne vienne dilapider ses
réserves vitales :
«  La santé est un capital que l’on dépense avec une
prodigalité plus ou moins grande, qui amène la faillite, c’est-
à-dire la maladie, d’autant plus vite que la fortune est moins
considérable et que les dépenses sont plus fortes. Il faut
cependant considérer que si les fautes contre l’hygiène sont
une dépense de santé qui peut amener la ruine, l’observation
des lois naturelles procure un bénéfice qui doit, dans une
certaine limite, contrebalancer les pertes36. »

18 Alimentation simple, saine et frugale, respect de l’équilibre


entre veille et sommeil ou refus du surmenage intellectuel
visent ainsi à préserver le capital naturel de santé des pertes
que lui font subir les dérèglements de l’exisence.
19 L’hygiénisme kneippiste, enfin, vise à endurcir le corps, à
accroître ses capacités de résistance. Ici encore, la filiation
de la pensée hygiénique des Lumières paraît évidente. Le
docteur Joire, par exemple, recommande de passer chaque
matin une grande éponge imbibée d’eau fraîche sur le corps
des enfants. « Plus fraîche, plus froide est l’eau, précise-t-il,
mieux elle répond au but d’endurcir le corps, et de le rendre
résistant contre toutes les influences nuisibles. Le bain froid
est le meilleur préservatif contre les maladies infantiles37.  »
De ce point de vue, les partisans de Kneipp se démarquent
de l’hygiénisme pasteurien, préoccupé avant tout
d’éradiquer les microbes et de déterminer les conditions de
l’asepsie. Favrichon déplore cette évolution de la médecine
qui conduit, selon lui, à se désintéresser de la façon dont le
mode de vie, fortifiant ou débilitant, agit sur la santé et la
maladie :
«  La médecine s’est aujourd’hui entièrement isolée de
l’hygiène, ou du moins toute l’hygiène, à notre époque,
consiste dans la défense et la lutte contre le microbe.
Quelques écrivains ont bien tenté de réagir contre cette
tendance, leurs efforts ont été nuls.

On ne voit plus les causes des maladies qui sont toujours


dans les fautes contre l’hygiène, mais on étudie avec minutie
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les effets que l’on a classés, que l’on a baptisés et contre


lesquels chacun indique son spécifique38. »

20 Plus nuancé, Neuens admet le rôle des microbes et des


bactéries dans la perte de la santé. Toutefois, affirme-t-il,
seuls certains microbes sont pathogènes. La lutte contre ces
agents délétères s’organise sur deux fronts simultanés. La
propreté, d’une part, doit contribuer à l’élimination de ces
corpus cules microscopiques, en suivant une logique qui se
rapproche bien plus de l’ancienne théorie des miasmes que
des conceptions modernes de l’antisepsie  : «  La lumière et
l’air étant nuisibles à un grand nombre de microbes
pathogènes, on donnera libre cours à ces agents dans les
habitations et on favorisera leur contact avec le corps.  »
«  L’eau, ajoute-t-il, peut aussi débarrasser une foule de ces
dévastateurs.  » Ainsi le prêtre recommande-t-il de laver
pavés, parquets, tentures, tapisseries et objets avec une
éponge humide. « Enfin on soumettra le corps à des lotions
et on usera fréquemment des bains d’eau courante. Ces
divers moyens chasseront les bactéries, les dissémineront
dans l’atmosphère et en les isolant, les empêcheront
d’exercer leur action destructive.  » L’affermissement du
corps, d’autre part, est censé prémunir l’individu contre les
risques de l’agression des microbes  : «  Le corps endurci et
fort qui est soumis aux règles de l’hygiène bien entendue et
de l’alimentation rationnelle n’a guère à redouter leurs
ravages.  » Fortifiée par le contact des éléments naturels, la
peau résistera mieux aux attaques des bactéries  ; les
microbes entreront moins dans l’organisme. Et s’ils y
entrent, les organes sauront leur opposer une résistance
victorieuse39. L’idiosyncrasie et la conduite de l’existence
restent donc les facteurs déterminants de la maladie,
indépendamment de toute considération sur la nature ou la
virulence spécifique des agents responsables de l’infection.
Imprégnée d’un néo-hippocratisme archaïque, l’hygiène
kneippiste campe aux marges de la révolution pastorienne.
Elle persiste à concevoir l’infection en termes d’intoxication
et la lutte de l’organisme contre les agents morbides comme
une opération de la nature pour évacuer des poisons.

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Étrangers au vaste effort que déploient, depuis le début du


siècle, les médecins hygiénistes pour tenter de traduire la
lutte contre la contagion en programmes de poli tiques
sanitaires, les partisans de la méthode Kneipprestent imbus
de conceptions «  infectionnistes  » et cantonnent leurs
recommandations à la prescription d’une hygiène
individuelle et privée visant à aguerrir les corps. Dans la
lignée de la philosophie et de la médecine des Lumières, les
kneip- pistes français s’adressent à l’individu, à sa raison, à
son sens des responsabilités, et cherchent à le convaincre de
réformer ses habitudes pour accéder à une existence plus
saine, plus longue et plus heureuse. La forte tonalité morale
de leur système, notamment dans son idéal de modération,
porte probablement en elle le même élan d’humanisme et
d’optimisme que celui qui incitait les penseurs des Lumières
à voir dans la frugalité le moyen d’œuvrer pour
l’émancipation de l’individu et de réfréner ses plus bas
instincts. Indubitablement libéral et individualiste,
l’hygiénisme naturiste des disciples de Kneipp se montre
finalement encore relativement imperméable aux alarmes
des médecins qui, à la même époque, agitent déjà le spectre
angoissant de la dégénérescence pour tenter de promouvoir
le volontarisme sanitaire et des politiques d’hygiène sociale.
21 Pourtant, du caractère incontestablement suranné des
conceptions biologiques et médicales sur lesquelles repose le
kneippisme, on ne saurait hâtivement conclure à l’archaïsme
de son hygiène privée et individuelle ni l’opposer à la
modernité de l’hygiène publique et des politiques sanitaires.
Ce serait oublier que l’affirmation progressive de l’individu
et de l’existence d’un espace privé dans lequel s’exerce sa
responsabilité constitue aussi un trait caractéristique de la
modernité occidentale. Nous préférons soutenir la
complémentarité de ces deux logiques. Alors que les
processus de différenciation sociale et de complexification
des relations interpersonnelles faisaient entrer la civilisation
occidentale dans l’ère de la modernité, le recours à la
puissance publique et l’appel à la responsabilité individuelle
dans la sphère privée sont venus prendre le relais de la

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communauté organique dans l’exercice du contrôle social. La


dimension morale des injonctions sanitaires a, nous semble-
t-il, suffisamment été mise en lumière40 pour que l’on puisse
avancer que l’essor historique de l’hygiénisme s’inscrit dans
le cadre de l’invention de nouvelles formes de régulation et
de contrôle social, parallèlement au délitement progressif
des structures et des institutions traditionnelle ment
chargées de produire et d’assurer le respect de ces normes.
Ainsi, la distinction du pur et de l’impur, nécessaire à la
structuration de tout groupe humain41, serait en partie prise
en charge, en régime moderne, par le discours hygiéniste, à
travers la distinction du sain et du malsain. On peut
rappeler, à l’appui de cette thèse, qu’aux points saillants du
militantisme hygiénique, que constituent, en France, la
pensée des Lumières et le positivisme des sciences médicales
de la deuxième moitié du xixe siècle, correspondent des
accroissements de la contestation des formes religieuses et
poli tiques traditionnelles.

Un kneippisme commercial
22 Si elles encouragent le recours à la méthode Kneipp comme
système d’hygiène et d’automédication, les différentes
publications qui lui sont consacrées se chargent également
de promouvoir auprès de leurs lecteurs la consultation de
thérapeutes naturistes, la fréquentation des établissements
spécialisés qui commencent à voir le jour ou l’achat par
correspondance de produits «  hygiéniques  ». Les publicités
qui abondent à la fin des ouvrages et dans les colonnes des
revues permettent à ceux qui le désirent de traduire en acte
les bonnes paroles répandues à longueur de pages.
23 La diffusion du kneippisme et plus généralement des
médecines naturistes dans la France des années 1890
s’articule autour de trois axes  : tout d’abord, la publication
d’un ensemble de traités et de revues, porteurs d’un discours
à la fois apologétique et dogmatique, ainsi que de
prescriptions détaillées en matière d’hygiène et de thérapie ;
ensuite, la constitution d’une offre de consultations et de
cures par des thérapeutes empiriques ou des établissements
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spécialisés  ; la formation, enfin, d’un réseau commercial


assurant la diffusion de produits alimentaires,
pharmaceutiques ou autres, permettant d’appliquer, dans la
vie quotidienne, les recommandations hygiéniques de
Kneipp et de ses disciples. Militantisme et mercantilisme
s’entre mêlent ainsi au sein de ce système, porté par un
nombre restreint d’individus qui, souvent, agissent
simultanément dans plusieurs domaines. Tel auteur de
traités sur la méthode Kneipp reçoit également en
consultation ou dirige un établissement, comme Sandoz qui
consulte chez lui et offre ses services - rémunérés - par
courrier ou l’abbé Neuens, devenu directeur de
l’établissement hydrothérapique de Namur-Citadelle en
1895 et qui propose également des consultations
épistolaires. Tel institut d’hydrothérapie publie une revue et
possède son propre réseau de diffusion des produits qu’il
prescrit. Dans un jeu d’interactions, où se mêlent
connivences et concurrence, publicistes, thérapeutes et
commerçants participent conjointement à l’importation et à
la diffusion de la méthode Kneipp en France. L’Association
Kneipp de Wörishofen, quant à elle, bien qu’elle montre une
volonté ferme de favoriser la diffusion de la méthode
thérapeutique du prêtre, n’inter vient pas au-delà du
contrôle de la publication des ouvrages de Kneipp en langue
française et de lettres d’encouragement adressées aux uns et
aux autres. Ce sont des adeptes français, belges ou suisses
qui, de leur propre initiative, se font apôtres de la méthode,
vont la puiser à sa source bava roise et se chargent de la
répandre en France et dans les régions franco phones. Ce
sont ces mêmes adeptes qui, systématiquement, mettent en
exergue de leurs ouvrages ou des revues qu’ils publient les
messages d’encouragements reçus de Kneipp. L’insistance
avec laquelle ils font mention de leurs séjours à Wôrishofen
et de l’agrément qu’ils ont obtenu du curé bavarois, leur
incessant souci de rattacher leur œuvre missionnaire à la
figure charismatique du prêtre, témoignent de l’importance
du rôle que joue la source allemande dans ce renouveau des
thérapeutiques naturistes. Le cœur bava rois du kneippisme

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n’irrigue pas de son propre chef les canaux de diffusion du


naturisme médical de la France des années 1890, mais c’est
là que ses promoteurs français viennent, au moins dans un
premier temps, puiser une reconnaissance qui confère une
certaine légitimité à leurs entreprises.
24 Bien que ses fondements théoriques diffèrent en profondeur
- nous aurons l’occasion d’y revenir -, c’est dans le sillage de
la physiothérapie naissante que la méthode Kneipp trouve
ses premières possibilités d’appli cation en France. Parmi les
établissements consacrés aux thérapies par les agents
naturels, dont nous avons souligné la tendance à diversifier
les modes de traitement, certains adjoignent la méthode du
prêtre bavarois à leur arsenal thérapeutique. C’est le cas, par
exemple, du centre pour enfants phtisiques d’Ormesson,
fondé en 1890 par le docteur Petit, qui recourt au
kneippisme de manière non exclusive pour traiter ses jeunes
patients. De même, l’établissement thermal de Sail-les-
Bains, dans la Loire, annonce en juin 1893 aux lecteurs des
Traitements naturels qu’il propose à ses curistes de suivre
des traitements conformes aux méthodes naturelles, et plus
spécifiquement à celle de Kneipp42. Ailleurs, ce sont des
maisons de bains ordinaires qui ajoutent la pratique du
kneippisme à leurs méthodes. À Lyon, par exemple, les
Grands Bains de Vaise, établissement fondé au début du
siècle, et les Grands Bains du cours Vitton, dans le quartier
des Brotteaux, proposent, à partir de 1892, la consultation
d’un médecin kneippiste et des bains froids à vocation
thérapeutique43. Toutefois, la renommée croissante du
kneippisme permet bientôt à ses adeptes de fonder des
institutions qui lui sont exclusivement consacrées. Ainsi, en
1892, un certain Auzolle ouvre le premier Institut
hydrothérapique Kneipp à Lyon, dans le quartier du Point
du Jour. La même année, Les Traitements naturels
signalent l’existence d’un Institut hydrothérapique Kneipp à
Peruwelz en Belgique, à proximité de la frontière française,
ainsi que la possibilité d’être accueilli pour une «  Cure
Kneipp  » dans un établissement alsacien proche de
Sélestat44.

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25 La volonté de se démarquer du charlatanisme et le souci


d’échapper à la répression visant l’exercice illégal de la
médecine contraignent générale ment les fondateurs de ces
centres, thérapeutes empiriques ou modestes entrepreneurs,
à s’adjoindre les services d’un médecin. La petite
Correspondance du kneippiste de l’été 1894 évoque ainsi le
cas d’un curé de campagne de la région de Toulouse qui
reçoit en consultation et traite les malades selon la méthode
Kneipp. Débordé par l’afflux de visiteurs que sa réputation
lui attire, il déclare rechercher la collaboration d’un médecin
pour fonder rapidement un petit établissemen45t. Le rôle
effectif du médecin, qui apporte généralement sa caution en
assumant la «  direction médicale  » de l’établissement, peut
varier amplement d’un institut à l’autre. La plupart du
temps, il n’est présent que de façon épisodique pour
proposer sa consultation et prescrire des traitements
appliqués ensuite par le personnel de l’établissement. Le
docteur Matter, par exemple, en 1892, assure simultanément
la direction médicale des trois établissements lyonnais du
Point du Jour, des Brotteaux et de Vaise, en plus de la
consultation qu’il donne à son cabinet. À partir de 1896, il ne
reçoit plus en consultation que dans les deux premiers
centres : tous les matins à l’Institut hydrothérapique Kneipp
du Point du Jour, et les après-midi à l’Institut Kneipp de
Lyon du cours Vitton. En 1898, le docteur Matter assure à
nouveau la direction médicale de l’établissement de Vaise,
mais n’y propose ses consultations que le mardi et le
vendredi, de 16 à 17 heures46.Cette faible assiduité médicale
semble si généralisée que l’Institut Kneipp de Lacaune-les-
Bains, dans le Tarn, fait de la présence d’un médecin
kneippiste résidant sur place un argument commercial47. Il
arrive, par ailleurs, que le médecin soit lui-même fondateur
et directeur du centre, comme c’est le cas du docteur Joire,
proprié taire de l’Institut Kneipp du nord de la France, à
Lille, du docteur Tacke, qui dirige un établissement
d’hydrothérapie kneippiste dans la banlieue de Genève, ou
du docteur Kleinschrod, propriétaire et directeur de
l’établissement mosellan de Jouy-aux-Arches, à proximité de

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la frontière française48. À la légitimité scientifique que


confère le statut du médecin s’ajoute, dans les plus grands
établissements, la mise en valeur des compétences que le
personnel est censé avoir acquises à Wörishofen même.
Ainsi l’Institut Kneipp de Valence et l’établissement parisien
Cure Kneipp, tous deux fondés en 1895, affirment-ils
recourir aux services de doucheurs et de doucheuses
«  diplômés de Mgr Kneipp  » ou «  guéris à Wörishofen et
agréés par Kneipp ». De même, le chef doucheur de l’Institut
Kneipp de Paris, ouvert la même année, a appris et pratiqué
la méthode auprès de Kreutzer et Geromiller, directeurs des
établissements de bain de Wörishofen. Les autres doucheurs
de l’Institut sont, quant à eux, « diplômés de Wörishofen49 ».
26 La multiplication des établissements consacrés à la méthode
Kneipp cache en réalité de grandes disparités que la
confrontation de deux exemples permet de mesurer.
L’Institut Kneipp de Paris, tout d’abord, est l’œuvre d’un
groupe d’adeptes du kneippisme qui, dans le courant de
l’année 1893, fondent un comité d’initiative pour la création
d’un établissement parisien. Constitué en société anonyme
par actions au capital de 100 000 francs, l’Institut ouvre ses
portes à Auteuil en mai 1894 et est inauguré officiellement
par Kneipp, lors de son voyage en France, l’année suivante.
Établissement de belle taille, le centre est co-dirigé par deux
médecins qui ont étudié la méthode à Wörishofen et
bénéficient de l’assistance de doucheurs et de doucheuses
également formés en Bavière. Il est alimenté par deux
sources, possède une vaste «  salle de réaction  », un terrain
clos pour pratiquer la marche pieds nus dans l’herbe et dans
l’eau - que recommande Kneipp - et dispose d’un buffet qui
permet aux patients de suivre un régime conforme aux
prescriptions hygiéniques et thérapeutiques du prêtre50.
Toute différente est la situation de l’Institut Kneipp du nord
de la France que le docteur Joire fonde à Lille, en 1894,
après un séjour à Wörishofen. Réalisation plus modeste,
l’Institut n’emploie pas de personnel. C’est Joire lui-même
qui applique les traitements dans une «  salle
hydrothérapique  » installée à son domicile. Les curistes

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logent dans des chalets à proximité, pratiquent la marche


pieds nus dans les prairies alentours et suivent les
recommandations alimentaires de Kneipp grâce à des
accords passés avec les restaurants du voisinage51. La force
des convictions pallie la modestie des moyens et pousse
Joire à se faire l’ardent propagandiste de la méthode à
travers une petite revue qu’il édite durant l’année 1895,
différents traités qu’il publie et des conférences qu’il donne
dans les années suivantes52.
27 Malgré leur multiplication dans la première moitié des
années 1890, les établissements d’hydrothérapie kneippiste
restent en nombre relative ment limité et de taille modeste.
Même parmi les plus importants d’entre eux, aucun n’atteint
de dimension comparable à celle des vastes complexes qui,
en Allemagne, accueillent chaque année des milliers de
curistes. Les nombreuses publicités pour les établissements
belges et allemands (alsaciens notamment) qui émaillent les
périodiques consacrés au kneippisme montrent que les
adeptes français de la méthode n’hésitent pas à se rendre à
l’étranger pour faire leur «  cure d’eau  ». Ainsi, en octobre
1893, L’Écho Kneipp signale que l’on «  estime à 2  500 le
nombre de Français qui se sont rendus à Wörishofen depuis
le début de la saison53 ».
28 En revanche, dans le domaine industriel et commercial, la
méthode Kneipp suscite, en France, des développements à
une plus vaste échelle. D’un point de vue médical, tout
d’abord, la méthode exige l’emploi de préparations à base de
plantes connues pour leurs propriétés thérapeutiques et, par
conséquent, le recours aux services d’herboristes ou de
pharmaciens spécialisés. D’un point de vue hygiénique,
ensuite, elle préconise la consommation de produits
alimentaires spécifiques, comme le café de malt, de glands
ou d’avoine, ou encore diverses farines de légumes,
l’utilisation de vêtements en grosse toile de lin ou le port de
sandales. La pratique du kneippisme incite donc à
l’utilisation de toute une gamme de produits que des entre
preneurs auront rapidement à cœur de mettre à disposition
du public français.

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29 Installée à Saint-Symphorien-de-Lay, près de Roanne, la


« pharmacie Kneipp » de J. Favrichon propose, dès 1892, la
vente par correspondance de produits pharmaceutiques,
alimentaires et vestimentaires conformes aux prescriptions
du prêtre bavarois54. Le pharmacien, dont la fille a été guérie
à Wörishofen d’une maladie jugée incurable par la médecine
officielle, cherche, par ailleurs, à diffuser les théories de
Kneipp et à encourager leur mise en œuvre. Au début de
l’année 1894, il lance un bulletin trimestriel, La petite
Correspondance du kneippiste, revue de médecine et
d’hygiène naturelles, dans lequel il répond aux demandes de
conseils thérapeutiques qui lui sont adressées par courrier et
s’attache à tenir informés ses lecteurs des récents
développements du kneippisme. L’année suivante,
Favrichon publie un traité consacré à la méthode Kneipp,
L’Hygiène alimentaire dans l’état de santé et dans l’état de
maladie et les prescriptions de Mgr Kneipp, bientôt suivi
d’un second ouvrage, Les Remèdes naturels de M. le curé
Kneipp55. Dans la deuxième moitié des années 1890, il
devient également directeur de la Revue générale de la
méthode Kneipp, version française du Central-Blatt publié à
Wörishofen par l’Association internationale des médecins
kneip- pistes, lancée en 1894 par le docteur Matter. Cette
œuvre militante se mêle étroitement à la stratégie
commerciale développée par Favrichon dans le but de faire
fructifier son commerce, désormais baptisé «  Comptoir des
produits français de la méthode Kneipp ». Ses catalogues de
vente par correspondance et de larges publicités en faveur de
ses produits sont insérés dans les revues qu’il dirige ou
proposés en annexe de certains ouvrages consacrés à la
méthode Kneipp. Par ailleurs, l’âpre concurrence qui oppose
les diffé rents fournisseurs de produits spécialisés pousse
Favrichon à rechercher la caution de Wörishofen comme
gage de légitimité. Ses ouvrages sont préfa cés par Kneipp et
les lettres de recommandation du curé bavarois à Favrichon
sont mises en exergue de ses encarts publicitaires et des
revues qu’il édite. Les relations privilégiées qu’il entretient
avec le docteur Rouxel, de l’Institut Kneipp de Paris, et le

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docteur Matter, de Lyon, tous deux membres de


l’Association internationale des médecins kneippistes, lui
permettent égale ment d’accroître sa clientèle. Enfin,
Favrichon se constitue progressivement un réseau de
commerçants dépositaires de ses produits. À Paris, Lyon,
Marseille, Lille et dans quelques villes moyennes, des
pharmacies, des chemiseries, des magasins de tissus
prennent en dépôt ses articles. Des boulangers proposent à
leur clientèle un « pain Kneipp » à base de farines prépa rées
selon ses recommandations. Il est également fournisseur de
« La Méthode Kneipp », une boutique parisienne spécialisée
dans le commerce des produits naturistes. Ce sont, au total,
13 maisons de commerce et 19 boulangeries qui
entretiennent avec Favrichon des relations commerciales
étroites. Entrepreneur dynamique, Favrichon a su faire de sa
petite officine provinciale une entreprise spécialisée dans le
commerce de produits «  hygiéniques  » et
parapharmaceutiques touchant, grâce à la vente par
correspondance et par le biais d’un vaste réseau de
détaillants qu’il fournit, une clientèle dispersée sur
l’ensemble du territoire national.
30 Les mêmes ingrédients permettent au Lyonnais Émile Burel
de développer, en moins d’une dizaine d’années, la plus
grosse entreprise de fabrication et de fourniture de produits
Kneipp en France. En 1891, il fonde une Institution Kneipp
de France dans le but d’organiser l’importation et la
commercialisation «  de tous les produits authentiques
recommandés par M. le curé Kneip56  ». L’introduction de
l’hydrothérapie kneippiste dans les deux maisons de bains
de Vaise et du cours Vitton et l’ouverture d’un Institut
Kneipp au Point du Jour, en 1892, conduisent Burel à tenter
de former une sorte de syndicat des établissements lyonnais
afin de coordonner leur action et de s’assurer le monopole de
leur fourniture en produits Kneipp. En octobre, il rassemble
quelques adeptes de la méthode pour fonder un «  Kneipp-
Verein de France  », sur le modèle des association salle
mandes, puis lance, un an plus tard, une revue bimensuelle :
L’cho Kneipp. Si la revue semble obtenir une audience

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satisfaisante, l’association, en revanche, ne parvient pas à


prendre la moindre ampleur. Contrairement aux vœux émis
par son fondateur, aucune section locale ne vient s’affilier à
elle et son activité semble se limiter à la collecte de dons et
de timbres-poste pour financer le traitement des indigents
dans les établissements kneip-pistes. Au début du mois de
décembre 1895, Burel annonce la fusion du Kneipp-Verein
avec l’Institution Kneipp de France et la transformation de
cette dernière en société anonyme coopérative au capital de
120  000 francs. Celle-ci aura vocation à agir dans trois
directions : la propagande en faveur de la méthode Kneipp,
la diffusion des produits hygiéniques qui lui sont associés et
l’aménagement, sous sa direction, d’un établissement dans le
centre de Lyon. Accessoirement, l’Institution continuera à
administrer la caisse de secours pour le traitement des
nécessiteux. Dans son appel à sous cription, Burel annonce
pour seule rémunération des capitaux investis un intérêt de
5  % afin, dit-il, d’exclure «  toute pensée de spéculation57  ».
Cet argument ne semble pas convaincre le docteur Matter
qui dénonce le caractère essentiellement commercial de
l’entreprise et rompt les liens qu’il entre tenait avec Burel,
entraînant dans son sillage les établissements du Point du
Jour et du cours Vitton, dont il assure la direction
médicale58. Les statuts de la nouvelle société anonyme sont
néanmoins déposés en février 1896. Le mois suivant,
l’Institution achète la maison de bains de Vaise, en confie la
direction médicale au docteur De Hahn, qui dirigeait
jusqu’alors l’Institut Kneipp de Valence, et entreprend un
vaste aménagement du centre, sur le modèle des
établissements de Wörishofen59. Ces travaux, toutefois,
mettent l’Institution dans une situation financière délicate.
En février 1897, alors que l’aménagement n’est toujours pas
achevé, le conseil d’administration de l’Institution Kneipp de
France décide de porter son capital à 200  000 francs60. La
tentative est vaine. Les nouvelles souscriptions espérées
n’arrivent pas et l’Institution doit se défaire de son
établissement à l’automne.

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31 Les activités commerciales de l’Institution connaissent une


meilleure fortune que ses entreprises médicales et
immobilières. Son catalogue de «  produits Kneipp  », inséré
dans L’Écho Kneipp, couvre de quatre à sept pages, soit un
tiers environ de la revue. On y trouve pêle-mêle des livres,
des vêtements (sandales et manteaux, chemises, caleçons ou
gilets en fil de lin), des produits alimentaires (biscuits
d’avoine, café de malt ou de glands, farines ou semoules de
légumes, etc.), des produits de parfumerie (lotions dentaires
ou capillaires végétales, savons aux fleurs de foin), des
ustensiles variés (des baignoires de diverses formes aux
moulins à céréales) et des préparations médicinales (huiles,
poudres, élixirs, baumes et onguents à base de plantes).
Burel, cependant, doit affronter la prolifération des
fournisseurs et des détaillants de produits hygiéniques
portant le label «  Kneipp  ». Outre Favrichon, il lui faut
compter avec la concurrence d’un certain Schmitt,
pharmacien à Choisy-le-roi, qui propose « des médicaments
selon les formules de M. Kneipp, spécialement préparés par
L. Oberhäusser et Landauer, pharmaciens à Würtzbourg,
seuls fabricants autorisés  », de Baudu, boulanger à Lacroix
(Indre-et-Loire), qui vend «  pain et chapelure (pour les
potages de santé) de santé faits avec tout le grain, d’après la
recette de Kneipp  », du Dépôt Kneipp, rue Lamartine à
Paris, de la chemiserie du 102 boulevard Sébastopol, qui
fournit l’Institut Kneipp de Paris ou de la pharmacie Cornet
à Lyon. Optant pour une stratégie commerciale agressive,
Burel met en garde les lecteurs de L’Écho Kneipp contre le
charlatanisme de ses concurrents  : «  Les lanceurs de
composés pharmaceutiques, qu’ils appel lent de noms
pompeux, ne pensent qu’à remplir leurs poches au détriment
de l’humanité61 », déclare-t-il sans ambages. La dénonciation
des charlatans et des falsificateurs revient de façon
récurrente dans les colonnes de la revue et sert à justifier les
efforts développés par l’Institution pour conquérir le
monopole de la diffusion des produits Kneipp en France. Dès
1893, en effet, parallèlement à la vente au détail des produits
de son catalogue, Burel s’engage dans la fourniture de

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«  farines hygiéniques  » aux boulangers désireux de


commercialiser du « pain Kneipp ». En octobre 1893, L’Écho
Kneipp mentionne deux boulangeries, à Lyon et Saint-
Étienne, qui utilisent les farines de l’Institution. Trois ans
plus tard, la revue indique le nom de 34 boulangers affiliés et
de 25 commerçants — épiciers de Lyon ou des environs pour
la plupart — qui ont accepté de prendre des produits Kneipp
en dépôt62. La vente de l’établissement de Vaise et l’abandon
de la partie médicale de son programme permet à
l’Institution de se concentrer sur ses activités commerciales
et d’ouvrir, en octobre 1897, un magasin de détail à Lyon.
Par ailleurs, les liens privilégiés que Burel a su entretenir
avec Boniface Reile, successeur et héritier des droits de
Kneipp, permettent à l’Institution d’être « seule autorisée en
France à se servir comme marque d’authenticité du Nom, de
la Signature et de l’Effigie du Prélat63 ». L’Institution Kneipp
de France atteint une ampleur remarquable. Elle s’adjoint
les services d’agents inspecteurs qui sillonnent la France,
traquant les utilisations indues du label Kneipp et menaçant
les contrevenants de poursuites pénales pour mieux les
inciter à rejoindre son réseau de correspondants. En février
1899, Burel estime ainsi être en mesure d’achever, dans le
courant de l’année, la couver ture des villes principales et de
s’engager dans l’établissement de correspondants-vendeurs
dans les petites villes de 2  000 habitants. En juin, L’Echo
Kneipp déclare que l’Institution entretient des relations avec
300 correspondants et annonce l’ouverture d’un second
magasin de détail à Bordeaux64. Ce développement
s’accompagne d’une modification du statut de l’Institution.
Dès le mois d’octobre 1898, L’Écho Kneipp lance un nouvel
appel à souscription afin de porter le capital de la société à
500 000 francs. Il tente d’attirer d’éventuels investisseurs en
garantissant un intérêt fixe de 4,5 % et en promettant, après
trois années d’amortissement du matériel, un partage des
bénéfices assurant un rendement de 10 à 12 % aux capitaux
investis. La prudence de ses actionnaires et le nombre
modéré de souscripteurs conduisent Burel à tempérer
quelque peu ses ambitions. Le 17 avril 1899, cependant,

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l’Institution Kneipp de France est transformée en société


anonyme au capital de 200  000 francs65_ Il serait hâtif, et
probablement injuste, de ne voir dans l’orientation
progressive de l’Institution vers une logique purement
industrielle et commerciale que le fruit d’un cynisme de
mercanti. Elle repose certainement sur la volonté
simultanée, de la part de ses promoteurs, d’assurer le succès
économique de l’entreprise et de participer à la diffusion du
kneippisme en proposant à une large clientèle les
instruments matériels de sa mise en œuvre.

Un kneippisme militant
32 Après l’échec de la tentative de Burel de fonder un Kneipp-
Verein de France en 1892, un nouvel essai est tenté par le
docteur Paul Audollent, dans la deuxième moitié de la
décennie. Directeur d’un établissement hydro thérapique à
Auteuil et membre de l’Association internationale des
médecins kneippistes, il reçoit et accompagne Kneipp lors de
sa visite à Paris et à Lyon, en février 1895. Au lendemain de
ce voyage, Audollent émet le désir de fonder une association
sur le modèle des Sociétés Kneippalle mandes et reçoit
immédiatement la bénédiction de Wörishofen66. Déclarée le
7 février 1896, l’Association Kneipp de France entend
«  favoriser et propager la méthode Kneipp dans ses
applications de thérapeutique et d’hygiène  ». Elle veut, en
outre, « s’efforcer de faciliter aux malades nécessiteux et en
particulier aux enfants, le traitement par la méthode Kneipp
en créant un dispensaire basé sur cette méthode67 ». Loin du
mercantilisme d’un Burel ou d’un Favrichon, Audollent
conçoit cette association comme une œuvre désintéressée,
visant à répandre les bienfaits du kneippisme au-delà de la
clientèle aisée qui fréquente habituellement les centres. Au
mois de mai 1898, il fonde une revue, La Médecine
naturelle, organe officiel scientifique et pratique de la
Méthode Kneipp et des traitements naturels. Pourtant,
l’Association Kneipp de France végète et Audollent ne
parvient pas à lui donner la moindre envergure. En réalité,
son fondateur paraît bien isolé. Les trois seuls adhérents
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connus, qui ont signé avec Audollent les statuts de


l’Association Kneipp de France - l’abbé Jules Lapalme,
secrétaire de l’archevêché, en qualité de vice- président,
Henri Fontaine, négociant en quincaillerie, comme trésorier
et Louis Decout, limonadier, en tant que secrétaire - ne sont
plus jamais mentionnés par les sources et La Médecine
naturelle ne publie d’autres articles que ceux de son
directeur. La singularité de ses affirmations sur l’existence
d’un «  fluide cosmique  » susceptible de déterminer
l’équilibre du «  fluide vital  », ses charges contre «  certains
commerçants [qui publient], pour faire de la réclame aux
produits Kneipp qu’ils fabriquent et aux entreprises
commerciales dont ils sont les gros actionnaires et les
barnums tapageurs, un journal qu’ils osent déclarer sans
vergogne être la traduction fidèle d’une feuille allemande68 »
ne sont probablement pas étrangères à l’isolement
d’Audollent. Sans faiblir, il maintient ferme sa volonté de
susciter la création d’établissements charitables et lance, en
juillet 1898, un appel aux dons pour la fondation d’un « petit
hôpital kneippiste tenu par des religieuses69  ». Lui-même,
chaque samedi matin, donne une consultation gratuite pour
les indigents dans son établissement d’Auteuil. Celle-ci est,
d’ailleurs, la seule activité que mentionne la revue sous sa
rubrique intitulée «  Bulletin de l’Association Kneipp de
France  ». Activité non négligeable cependant puisque
Audollent affirme avoir offert près de 500 consultations à
des nécessiteux au cours de l’année 1897, en plus de sa
clientèle payante habituelle, et plus de 400 consultations
pour le seul premier semestre 189970. Elle n’entraîne,
cependant, aucun sursaut de l’Association qui reste
moribonde. En 1899, sa revue ne paraît plus que de façon
épisodique. Elle disparaît à la fin de l’année, en même temps
que s’évanouit l’illusoire Association Kneipp de France.
33 Il apparaît finalement que, malgré le relatif succès de
l’implantation du kneippisme dans la France des années
1890, celui-ci ne parvient pas à susciter la formation d’un
tissu d’organisations militantes assurant la diffusion de ses
thèses au sein de la société, et reste avant tout le fait d’une

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minorité d’entrepreneurs et de thérapeutes. Liés les uns aux


autres par des relations de nature essentiellement
commerciale, ils touchent une clientèle de parti culiers dont
ils ne cherchent pas à susciter véritablement le
regroupement. Seule tentative, au moins théorique, de
rassemblement des adeptes du kneippisme sur une base
militante, l’Association Kneipp de France tranche par son
insuccès avec la relative prospérité des entreprises vouées à
la commercialisation des «  produits Kneipp  ». Ainsi la
France fait-elle pâle figure en regard d’une Allemagne qui
compte, à la même époque, 84 Sociétés Kneipp et où l’Union
allemande des associations pour une manière de vivre et de
soigner conforme à la nature rassemble près de 100  000
adhérents répartis en plus de 750 associations locales. Une
fois encore, l’opposition entre une Allemagne plus
intensément urbanisée et industrialisée, travaillée
sourdement, dans les dernières années du xixe siècle, par le
néoromantisme et les mouvements de réforme des modes de
vie, et une France plus rurale, dans laquelle les élites
cultivées urbaines adhèrent majoritairement au scientisme
et à un certain positivisme, contribue probablement à
expliquer l’écart qui sépare ces deux pays en matière de
diffusion du naturisme médical. Cette différence, par
ailleurs, se révèle autant sur le plan qualitatif que sur le plan
quantitatif. Ainsi, alors que les associations allemandes
cherchent à agir sur les pouvoirs publics pour obtenir non
seulement la reconnaissance des médecines alternatives,
mais également un certain nombre de dispositions parmi
lesquelles l’ouverture de bains d’air ou de bains de rivière
dans les villes industrielles, l’adhésion aux médecines
naturelles reste, en France, une affaire individuelle,
cantonnée à la sphère privée. Il semble possible d’éclairer
cette différence qualitative en invoquant les caractères
spécifiques du processus séculaire de médicalisation de la
société française. Le ferme attachement des médecins au
libéralisme, d’une part, établit la relation personnelle et
confidentielle entre le thérapeute et le malade comme l’un
des fondements de la pratique médicale. Le recours au

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médecin se conçoit avant tout comme une affaire d’ordre


privé. La professionnalisation précoce du corps médical,
d’autre part, place le médecin en position d’expert, de
détenteur d’un savoir particulier, que le patient ne peut
contester qu’en recourant à un autre médecin ou à un mode
de soin alternatif. Certes, les thérapeutes empiriques et les
guérisseurs de toutes sortes foisonnent encore au tournant
du siècle. Toutefois, le monopole acquis par les médecins
dans la pratique de l’art médical, leur prestige social
croissant et leurs affinités avec le régime républicain, qui
contribuent à assurer leur forte présence au sein des
structures administratives chargées d’encadrer l’exercice de
la médecine, empêchent certainement l’émergence, à l’instar
de l’Allemagne, d’une contestation collective et publique de
la médecine officielle au nom de la revendication d’une
pratique thérapeutique alternative. Il est en revanche
frappant de constater l’importance du rôle joué par les
quelques médecins convertis à la méthode Kneipp dans son
développement en France, comme en témoigne leur
présence quasi systématique dans les établissements de cure
ou, à un autre niveau, la volonté de Favrichon de faire
reconnaître le bien fondé de son entreprise par l’Association
internationale des médecins kneip- pistes et ses quelques
membres français.
34 Il est fort probable, par ailleurs, que la clientèle des
établissements d’hydrothérapie kneippiste et des commerces
de «  produits hygiéniques  » recommandés par Kneipp ne
recourt pas aux médecines naturelles de manière exclusive.
Nous sommes plutôt tentés de déduire de l’absence de tissu
militant que le recours au kneippisme est le fait d’une
population qui l’intègre à une stratégie de consommation
médicale diversifiée et ne répugne pas, par ailleurs, à faire
appel aux services de la médecine officielle. De la sorte, le
relatif succès commercial des entreprises de vente de
«  produits Kneipp  » ne serait pas nécessairement la
conséquence de l’existence d’un réseau de consommateurs
fortement convaincus des bienfaits de la méthode et engagés
dans sa pratique intégrale. Il résulterait plutôt de la capacité

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de ces entrepreneurs à greffer leur commerce sur les


habitudes de consommation de produits médicaux
caractéristiques de la société française71. Pour un public
imprégné d’une forte tradition d’automédication, encore
familier des plantes médicinales et des préparations les plus
variées (et parfois les plus suspectes), dans un contexte où la
frontière qui distingue l’aliment du médicament demeure
relativement floue, où le remède que l’on désire avide ment
peut aussi bien se trouver dans les rayons d’une officine
légale que chez un herboriste ou un épicier, les baumes,
onguents, emplâtres et farines, la poudre d’os ou le pain du
curé Kneipp, dont regorgent les catalogues de l’Institution
Kneipp de France ou du Comptoir de Favrichon, n’ont
assurément rien d’incongru, pas plus que les catalogues et
les publicités qui s’étirent à longueur de pages dans les
périodiques. Il n’est pas exclu, cependant, qu’au sein de cette
clientèle marquée par des modes de consommation hérités
du siècle finissant, émerge insensiblement un nouveau type
de consommateur, sensible à l’argumentaire hygiénique
développé par les promoteurs du kneippisme et soucieux de
plier, dans une certaine mesure, ses habitudes alimentaires
ou vestimentaires aux règles de préservation de la santé
édictées par le naturisme médical.
35 Le rôle particulier joué par un certain nombre de prêtres
catholiques dans l’introduction et la diffusion du kneippisme
en France mérite aussi d’être souligné. Dès 1890, la
renommée du curé guérisseur de Wörishofen suscite l’intérêt
de membres du clergé. Des prêtres publient des biographies
hagiographiques de Kneipp ou des traités consacrés à
l’exposé de sa méthode72. La publication par l’éditeur
catholique Lethielleux d’une dizaine d’ouvrages consacrés
aux théories médicales et hygiéniques de Kneipp, entre 1891
et 1901, suggère par ailleurs l’existence d’un lectorat
catholique sensible à ces thèses73. Enfin, la correspondance
publiée par certaines revues kneippistes témoigne également
de l’accueil favorable que réserve une partie du clergé
français aux idées du curé bavarois. Dans son numéro du 1er
novembre 1898, par exemple, la Revue générale de la

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méthode Kneipp publie des extraits de huit lettres de prêtres


adressées à Favrichon pour le féli citer de son ouvrage
L’Hygiène alimentaire et témoigner de leur intérêt pour la
méthode.
36 Séculiers et réguliers interviennent aussi de façon active
dans la mise en pratique des prescriptions de Kneipp. Nous
avons déjà évoqué le cas de l’abbé Reynis et de Nicolas
Neuens, fondateurs et directeurs des établissements de
Montjoire, en Haute-Garonne, et de Namur. On peut
également mentionner l’abbé Ellerbach qui dirige
l’établissement alsacien du château de Sonnenberg, situé
hors des frontières nationales mais connu du public
français74, et l’abbé Jules Lapalme, secrétaire de l’archevêché
de Paris, qui participe à la fondation de l’Association Kneipp
de France, en octobre 1895. Religieux et religieuses sont
également mobilisés, tant pour leur savoir pharmaceutique
ou parapharmaceutique qu’en raison de leur traditionnel
dévoue ment auprès des malades. Dans les établissements de
Montjoire et de Valence, par exemple, des religieuses se
consacrent aux soins des curistes. Le docteur Audollent,
pour sa part, fait fabriquer les produits alimentaires et
pharmaceutiques qu’il vend dans son Établissement Kneipp
d’Auteuil par les Trappistes de Soligny.
37 La caution apportée par Léon xiii, qui reçoit Kneipp en
audience à Rome et l’élève à la dignité de camérier du pape
en 1893, permet aux promoteurs du kneippisme de
bénéficier sinon des encouragements explicites, du moins du
soutien tacite de la hiérarchie épiscopale. Ainsi en témoigne,
par exemple, la lettre adressée par un prêtre à La petite
Correspondance du kneippiste  : «  Je suis vraiment
encombré de malades et d’infirmes, non- seulement de mon
diocèse mais de beaucoup d’autres diocèses, mon évêque
ayant insisté pour que je ne refuse pas mes conseils75. » Le 15
août 1895, lors de l’inauguration de la chapelle provisoire de
l’établissement Kneipp de Valence, la messe est célébrée par
l’évêque en personne. Dans son allocution, l’abbé Didelot,
archiprêtre de la cathédrale, se réjouit de ce que « c’est par la
religion que l’Institution Kneipp débute à Valence  ». Puis,

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après avoir annoncé que des réalisations similaires sont en


voie de préparation à Vichy et à Nice, il déclare  : «  Nous
inaugurons aujourd’hui le nôtre, et, comme vous le voyez,
mes Frères, dans des conditions franchement chrétiennes,
voulues par son illustre fondateur et telles que les a conçues
et réglées sa grande âme76. »
38 Cette implication d’une partie du clergé dans la diffusion de
la méthode Kneipp prend place dans le contexte plus large
d’une remise en cause, amorcée au milieu du siècle, tant des
conceptions biologiques et thérapeutiques traditionnelles de
l’Église catholique que de son implication concrète dans
l’exercice de la médecine. Comme le souligne Pierre
Guillaume, « la vieille union de la médecine et de la religion
se fissure77  » sous les assauts du positivisme et, plus
généralement, d’une pensée scientifique qui a accédé à
l’autonomie en s’émancipant de ses fondements culturels et
religieux. Certes, curés et religieuses s’adonnent encore
occasionnellement à l’exercice de la médecin78 et bénéficient
parfois d’une relative tolérance de la part des autorités
civiles. Il s’agit, cependant, de pratiques résiduelles que tend
à effacer l’intensification de la médicalisation de la société.
Le reflux du vitalisme classique et des conceptions
téléologique et ontologique de la force vitale sur lesquelles se
fondait l’engagement médical du clergé, l’essor du
darwinisme, le prestige social croissant du corps médical et
l’amorce, dans les grandes villes, d’une laïcisation des
hôpitaux ébranlent fortement les positions de l’Église
catholique, obligée, par ailleurs, de reconnaître la
prééminence du médecin sur le prêtre en matière
thérapeutique. La réaction du catholicisme s’organise, selon
Pierre Guillaume toujours, sur deux fronts. C’est, d’une part,
à travers les miracles que «  l’Église réaffirme sa vocation
soignante hors du champ de la science  ». Toutefois, s’ils
donnent lieu à des guérisons spectaculaires, rappelant ainsi
la place du spirituel dans la santé des corps, et s’ils
permettent, par le biais des pèlerinages, d’encourager la
ferveur et de mobiliser les fidèles, les miracles ne sont
reconnus qu’avec une extrême circonspection par l’Église

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catholique. C’est, d’autre part, en organisant «  ses propres


troupes médicales pour les opposer à ceux qu’elle voit acquis
aux idées nouvelles et qu’elle soupçonne, non sans raison,
d’être guidés par ses adversaires79 » que l’Église entreprend
la reconquête de son rôle traditionnel auprès des malades.
Fondée en 1884, la Société médicale Saint-Luc, Saint-Côme
et Saint-Damien s’attache, entre autres choses, à définir les
conditions d’un exercice de la science médicale conforme
aux exigences de la foi et à la doctrine de l’Église.
39 Toute différente est la méthode élaborée par Kneipp, qui ne
relève pas plus du miracle qu’elle ne s’intègre aux canons des
sciences médicales modernes. Certes, d’aucuns peuvent être
tentés de voir dans le charisme et les succès du prêtre
bavarois les indices d’une élection divine et les signes d’une
intervention surnaturelle. Ainsi, dans son allocution
prononcée lors de l’inauguration de la chapelle de
l’établissement d’hydrothérapie kneippiste de Valence,
l’abbé Didelot ne craint pas de déclarer à propos de Kneipp :
«  II va à tous et tous vont à lui comme au Christ. Il est
merveilleux, dit-on, de voir autour de ce génie de la
thérapeutique moderne se presser tous les rangs de la
société implorant la guérison de leurs maux. Les eaux de
Siloë, à Jérusalem, les miraculeuses piscines de la Sainte
Vierge, à Lourdes, y revivent dans leur plus touchant et leur
plus religieux éclat. Vœrishoffen est religieux  ; la religion
chrétienne y est l’âme de tout bien ; on y sent le prêtre et en
lui, comme un rayon de l’Archange guérisseur de Tobie80. »

40 Toutefois, Kneipp lui-même et les auteurs francophones qui


lui consacrent leurs ouvrages ne qualifient jamais de
miracles les guérisons obtenues grâce à sa méthode. Ce n’est
pas dans l’ordre surnaturel mais bien dans des proprié tés
attribuées à la nature que les promoteurs du kneippisme
trouvent les arguments qui justifient l’efficacité de leur
système thérapeutique. Rien n’est caché, magique ou
miraculeux dans les traitements préconisés par le prêtre.
Tout ne dépend que de la connaissance et du respect des lois
fonda mentales de la nature, de l’utilisation des ressources
de la création. La nature qu’ils invoquent, pourtant, est loin
d’être identifiable à cet ensemble de relations de causalité,
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dénué de finalité ultime, limité à ses manifestations


observables et accessibles à la raison positive, qui intéresse
les sciences modernes. Elle se dresse à nouveau comme un
ordre supérieur auquel l’homme participe et dont l’harmonie
repose sur les finalités que lui a assignées le Créateur, un
ordre traversé par une force vitale qui insuffle l’existence aux
êtres animés et lutte contre les causes morbides pour
conserver la vie. À bien des égards, nous l’avons vu, le
kneippisme marque la résurgence de conceptions dont la
pensée médicale prétendait avoir définitivement triomphé.
Ainsi, l’intérêt que suscite la méthode Kneipp en France
dans les années 1890 pourrait aisément apparaître comme
un combat d’arrière-garde, mené par quelques catholiques
nostalgiques d’une philosophie du vivant désormais obsolète
sur laquelle l’Église fondait sa vocation soignante, si les
conditions commerciales de sa diffusion et, surtout, son
intérêt marqué pour la promotion de l’hygiénisme ne lui
conféraient les caractères d’une indiscutable modernité.

Notas
1. Ch. Robert, «  Kneipp (Sébastien)  », G. Jacquemet, Catholicisme,
hier, aujourd’hui, demain, t. VI, Paris, 1967, p. 1462. Plus détaillé mais
plus hagiographique  : A. Brauchle, Die Geschichte der
Naturheilkunde..., op. cit., p. 136-157.
2. W. Krabbe, Gesellschaftsveränderungdurch Lebensreform..., op. cit.,
p. 145.
3. Abbé Loevenbruck, L’Hydrothérapie mise à laportée de tout le
monde (système Kneipp), Paris, Chez l’auteur, 1890 et A Kannengieser,
« Un curé allemand extraordinaire, étude sur M. l’abbé S. Kneipp », Le
Correspondant, 10 juillet 1891, p. 45-70 (brochure  : Paris, Lethielleux,
1891).
4. Notamment : S. Kneipp, Vivez ainsi ou Avis et conseils pratiques pour
vivre en bonne santé et guérir les maladies, Strasbourg, Le Roux, 1891 ;
Conférences populaires de M. le curé Kneipp sur ses douches, maillots,
bains et ablutions, Wörishofen, Association Kneipp, 1892  ; L.
Geromiller, Courtes instructions pour donner d’une manière pratique,
exacte et précise les applications d’eau, affusions, maillots, et bains de
vapeur, d’après la méthode de M. l’abbé Kneipp, Kaufbeuren, P. Schön,
1892 ; Marie-Louise, Un mois à Voerishofen chez l’abbé Kneipp, Paris,
Jourdan, 1895.

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5. A. Sandoz, La Santé pour tous sans fiais. Sébastien Kneipp, son


nouveau traitement par l’eau froide et par l’hygiène naturelle, Paris,
Chez l’auteur, 1891 et Les Traitements naturels sans remèdes ni
opérations et le système Kneipp. Revue mensuelle et Bulletin de
renseignements, juin 1892-mai 1896, [I, n° 1 - IV, n° 48], Paris.
6. Par exemple : E. Goethals, Les Cures pittoresques de l’abbé Kneipp à
Wörishofen, silhouettes et récits d’un touriste, Bruxelles, Société belge
de librairie, 1892 et la revue Kneipp-journal. Revue d’hygiène et
d’hydrothérapie, 1892-1904 [I-XIII], Bruxelles.
7. Par exemple : N. Neuens, Médication interne de M. l’abbé S. Kneipp.
Régime, hygiène alimentaire et plantes médicinales, Paris, Lethielleux,
1893 ; Traitement naturel des maladies aiguës et chroniques d’après le
système Kneipp, Paris, Lethielleux, 1895  ; Bains atmosphériques. La
santé conservée ou réparée au moyen des seuls agents naturels, Namur,
1897  ; Traité de médecine naturelle scientifique basée sur l’emploi
exclusif des éléments vitaux, Tournai, Decallonne-Liagre, 1900-1901, 3
vol.
8. S. Kneipp, Ma Cure d’eau..., op. cit., p. 9.
9. . Ibidem, p. 11.
10. . N. Neuens, Traitement naturel des maladies aiguës..., op. cit., p.
22-24.
11. A. Sandoz, « Les Forces naturelles », Les Traitements naturels..., n°
2, juillet 1892, p. 13-14.
12. P. Audollent, « Aux Kneippistes, aux amis de la nature, à tous ceux
qui s’intéressent aux phénomènes de la Vie  », La Médecine naturelle,
organe officiel scientifique et pratique de la Méthode Kneipp et des
traitements naturels, n° 1, 15 mai 1898, p. 6.
13. N. Neuens, Bains atmosphériques..., op. cit., p. 59.
14. N. Neuens, Traitement naturel des maladies aiguës..., op. cit., p. 9-
10.
15. . Ibidem, p. 60.
16. A. Sandoz dans sa revue Les Traitements naturels et N. Neuens
dans son traité sur les Bains atmosphériques (op. cit.) font explicitement
référence à l’héliothérapie de Rikli.
17. S. Kneipp, So sollt ihr leben, Kempten, 1889  ; traduction française  :
Vivez ainsi..., op. cit.
18. A. Sandoz, La Santé pour tous..., op. cit., p. 44-46.
19. « Les Traitements naturels », Les Traitements naturels..., n°3, août
1892, p. 21-22. Il s’agit de la traduction d’un article paru dans la revue
naturiste allemande Der Naturarzt.
20. N. Neuens, Médication interne..., op. cit., p. VII-VIII.
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21. N. Neuens, Bains atmosphériques..., op. cit., p. I.


22. Notamment : anonyme, Manuel de cuisine Kneipp, comprenant 618
recettes variées classées méthodiquement et expérimentées, sous le
contrôle de MGR Kneipp, par les dominicaines de Woerishofen, Paris,
Lethielleux, 1896  ; J. Favrichon, L’Hygiène alimentaire dans l’état de
santé et dans l’état de maladie et les prescriptions de Mgr Kneipp,
Saint-Symphorien-de-Lay, Chez l’auteur, 1895  ; N. Neuens, Guide
pratique de la véritable cuisine Kneipp et des principales applications
de sa méthode, Namur, 1895 et L’Hygiène de la table. Le pain naturel et
les bons aliments, Namur, 1898.
23. N. Neuens, Médication interne..., op. cit., p. 7-9 et 12-92.
24. Ibidem, p. 11.
25. Ibid., p. 61.
26. Ibid., p. 27 et 53-55.
27. J. Favrichon, L’Hygiène alimentaire..op. cit., p. 14-15.
28. P. Joire, Manuel d’hygiène raisonnée scientifiquement d’après la
méthode Kneipp, Paris, Lethielleux, 1896, p. 103 sq. et N. Neuens,
Médication interne..., op. cit., p. 114-117.
29. Ibidem, p. 97.
30. P. Perrot, Les Dessus et les dessous de la bourgeoisie. Une histoire
du vêtement au xixe siècle, Paris, 1984 [1981], p. 167-225 et Le Travail
des apparences. Le corps féminin,xviiie-xixe siècle, Paris, 1991 [1984], p.
167-176.
31. N. Neuens, Médication interne..., op. cit., p. 95-107 et P. Joire,
Manuel d’hygiène..., op. cit., p. 20-52.
32. Sur les liens entre l’hygiénisme et la théorie des miasmes au début du
xixe siècle  : A. Corbin, Le Miasme et la jonquille. L’odorat et
l’imaginaire social, 18e-19e siècles, Paris, 1982, p. 193-198.
33. N. Neuens, Médication interne..., op. cit., p. 105.
34. P. Joire, Manuel d’hygiène..., op. cit., p. 26.
35. Ibidem, p. 27 sq. et N. Neuens, Médication interne..., op. cit., p. 98.
36. J. Favrichon, L’Hygiène alimentaire..., Sédition, Paris, Lethielleux,
1897, p. 196-197.
37. P. Joire, Manuel d’hygiène..., op. cit., p. 104 et 109
38. J. Favrichon, L’Hygiène alimentaire..., op. cit., 1re édition (1895), p.
6.
39. N. Neuens, Bains atmosphériques..., op. cit., p. 51-53.
40. Notamment par J. Csergo, Liberté, égalité, propreté. La morale de
l’hygiène au xixe siècle, Paris, 1988.

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41. M. Douglas, De la Souillure. Essai sur les notions de pollution et de


tabou, Paris, 1971 [1967].
42. Les Traitements naturels..., n° 1, juin 1892, p. 4 et n° 13, juin 1893,
p. 120.
43. L’Écho Kneipp, n° 1, 7 octobre 1893, p. 13.
44. . Les Traitements naturels..., n° 5, octobre 1892, p. 48 et n° 6,
novembre 1892, p. 64.
45. La petite Correspondance du kneippiste, n° 3, juillet-août-septembre
1894, p. 1. Profitant probablement de la relative tolérance des autorités à
l’égard des clercs et des religieux qui pratiquent la médecine dans les
campagnes (P. Guillaume, Médecins, Église et foi..., op. cit., p. 76), le
père Reynis se passe finalement de médecin et s’adjoint, en revanche, la
collaboration de « religieuses dévouées » pour fonder son Établissement
Kneipp à Montjoire en Haute-Garonne (Revue générale de la méthode
Kneipp, 1er novembre 1898 et 1er juillet 1902).
46. Les Traitements naturels..., n° 3, août 1892, p. 31  ; L’Écho Kneipp,
n° 1, 7 octobre 1893, p. 13  ; Revue générale de la méthode Kneipp, 30
novembre 1895, p. 142 et 1er novembre 1898.
47. Revue générale de la méthode Kneipp, 1er novembre 1898.
48. L’Écho Kneipp, n° 7, 6 janvier 1894, p. 150  ; La petite
Correspondance du kneippiste, n° 3, juilletaoût- septembre 1894, p. 9 ;
Revue générale de la méthode Kneipp, 1er novembre 1898.
49. L’Écho Kneipp, n° 42, 15 juin 1895, p. 606  ; Les Traitements
naturels..., n° 38, juillet 1895, p. 344  ; La petite Correspondance du
kneippiste, n° 3, juillet-août-septembte 1894, p. 8 et Revue générale de
la méthode Kneipp, 1er novembre 1898.
50. Les Traitements naturels..., n° 19, décembre 1893, p. 165  ; n° 22,
mars 1894, p. 189 ; n° 23, avril 1894, p. 197 et n° 24, mai 1894, p. 210 ;
La petite Correspondance du kneippiste, n°3, juillet-août- septembre
1894, p. 8 et Revue générale de la méthode Kneipp, 1er novembre 1898.
51. La petite Correspondance du kneippiste, n° 3, juillet-août-septembre
1894, p. 9.
52. Kneipp-revue. Journal de lafamille, 15 décembre 1894-15 décembre
1895 [24 n°], Lille  ; P. Joire, Manuel d’hygiène raisonnée..., op. cit.  ;
Traité d’hydrothérapie médicale, étude analytique et scientifique de la
méthode Kneipp, Paris, Lethielleux, 1901.
53. L’Écho Kneipp, n° 1, 7 octobre 1893, p. 11
54. Les Traitements naturels..., n° 3, août 1892, p. 32.
55. J. Favrichon, L’Hygiène alimentaire..., op. cit. et Les Remèdes
naturels de M. le curé Kneipp, Saint- Symphorien-de-Lay, Chez l’auteur,
1896, 126 p.

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56. Les Traitements naturels..., n° 3, août 1892, p. 31.


57. L’Écho Kneipp, n° 53, 7 décembre 1895, p. 739.
58. Revue générale de la méthode Kneipp, 15 novembre 1895.
59. L’Écho Kneipp, n° 60, 21 mars 1896, p. 223-224.
60. L’Écho Kneipp, n° 84, 20 mars 1897, p. 2063.
61. L’Écho Kneipp, n° 1, 7 octobre 1893, p. 3.
62. L’Écho Kneipp, n° 1, 7 octobre 1893, p. 15 et n° 77, 5 décembre 1896,
p. 1043-1044.
63. Lettre de B. Reile du 24 décembre 1897, reproduite dans L’Écho
Kneipp, n° 109, 15 janvier 1898, p. 3174.
64. L’Écho Kneipp, n° 127, 5 février 1899, p. 3342 ; n° 131, 5 juin 1899, p.
3406 et n° 133, 5 août 1899, p. 3441.
65. L’Écho Kneipp, n° 123, 5 octobre 1898, supplément non paginé ; n°
129, 5 avril 1899, p. 3374 ; n° 130, 5 mai 1899, p. 3390.
66. Lettre de S. Kneipp à P. Audollent du 20 février 1895, reproduite
dans La Médecine naturelle..., n° 3, 15 juillet 1898, p. 39.
67. «  Statuts de l’Association Kneipp de France  » (AN [Archives
nationales] : F/7/12367).
68. La Médecine naturelle..., n° 1, 15 mai 1895, p. 6 et 8.
69. La Médecine naturelle..., n" 3, 15 juillet 1898, p. 42-43.
70. La Médecine naturelle..., n° 3, 15 juillet 1898, p. 42 et n° 10, mai-
octobre 1899, p. 159.
71. O. Faure, Les Français et leur médecine..., op. cit., notamment les
pages 189-194 et 233-239.
72. Outre les ouvrages des abbés Loevenbruck, Kannengieser et Neuens,
signalons l’étude de l’abbé. V. Schwendinger, Kneipp (1821-1897), Paris,
1898.
73. Lethielleux publie notamment des ouvrages de Nicolas Neuens, Paul
Joire et Favrichon, ainsi que la traduction de l’Almanach Kneipp du père
Boniface Reile, prieur de la congrégation des Frères de Saint-Jean-de-
Dieu et ancien secrétaire de Kneipp.
74. Revue générale de la méthode Kneipp, 1er novembre 1898.
75. La petite Correspondance du kneippiste, n° 3, juillet-août-septembre
1894, p. 13.
76. Ch. Didelot, Inauguration de la chapelle provisoire de
l’établissement Kneipp à Valence, Valence, Céas, 1895, p. 21-22.
77. P. Guillaume, Médecins, Église et foi..., op. cit., p. 60.

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78. P. Delaunay, La Médecine et l’Église. Contribution à l’histoire de


l’exercice médical Paris, 1948, p. 128-129.
79. P. Guillaume, Médecins, Église et foi..., op. cit., p. 62 et 74-75.
80. Ch. Didelot, Inauguration..., op. cit., p. 19.

© Presses universitaires de Rennes, 2004

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Referencia electrónica del capítulo


BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre IV. La réception de la méthode Kneipp
en France In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature [en
línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el 03
décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22880>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22880.

Referencia electrónica del libro


BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
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Histoire du naturisme

Le mythe du retour à la nature


Arnaud Baubérot

Este libro es citado por


Cluet, Marc. (2016) Guide des Humanités environnementales.
DOI: 10.4000/books.septentrion.19367
Andrieu, Bernard. (2017) Le Corbusier, un architecte emerseur
avant l’heure? De l’incorporation de sa conscience corporelle dans
son projet du sport au pied des maisons comme dessein social.
Loisir et Société / Society and Leisure, 40. DOI:
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Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre V. De la
médecine à
l’hygiène
p. 111-136

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France

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Naissance de la physiothérapie
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1 Dans le domaine de la médecine officielle, les différents


modes de traitement par les agents naturels suivent une
évolution analogue à celle que nous avons décrite pour
l’hydrothérapie. L’insolation et la cure d’air, auxquelles la
médecine néo-hippocratique des Lumières avait parfois
recours, sont encore utilisées au xixe siècle, défendues par
les partisans du vitalisme. L’influence de l’empirisme
thérapeutique germanique permet, par ailleurs, de
renouveler les méthodes de traitement. L’héliothérapie, par
exemple, s’inspire des réalisations du thérapeute suisse
Arnold Rikli. Toutefois, ces médecines naturelles se
conforment progressivement aux canons des sciences
médicales modernes et aux connaissances de la physiologie
positive. Intégrées à un vaste corpus thérapeutique, bientôt
désigné par le terme de « physiothérapie », elles nourriront
les polémiques que suscite la révolution pasteurienne.
2 L’aérothérapie, développée à la faveur de la vogue
romantique de la «  cure de montagne  » et à laquelle l’on
attribuait des vertus de revivification par la suroxygénation,
est rapidement conduite, suite à la découverte de la raré
faction de l’oxygène en altitude, à modérer ses prétentions
thérapeutiques1.Pourtant, la persistance de la théorie des
miasmes, la hantise des corpus cules délétères et des
exhalaisons malsaines qui infestent l’atmosphère des
concentrations industrielles et des villes populeuses mais se
raréfient en altitude assurent encore de beaux jours à la cure
d’air. Par ailleurs, dans la lignée de l’hygiénisme des
Lumières, l’exposition à l’air vivifiant de l’altitude, continue
d’être prônée comme un moyen de renforcement des
défenses de l’organisme contre la maladie. Enfin, dans la
deuxième moitié du xixe siècle, la multiplication des cas de
phtisie pulmonaire dessine un nouveau champ de bataille
qu’investit l’aérothérapie. Aux adeptes de la thérapeutique
pathogénique, qui cherchent à isoler le « virus » responsable
de la tuberculose afin de mettre au point son vaccin,
s’opposent les pathologistes et les cliniciens dont
l’argumentation s’enrichit des travaux de Claude Bernard et
de Rudolf Virchow pour affirmer que le «  terrain

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biologique  » façonne la maladie au moins autant que le


germe. L’accent mis sur les facteurs internes de la maladie
apporte une nouvelle jeunesse au concept hippocratique de
diathèse - qui désignait les prédispositions individuelles à la
maladie - et encourage la recherche d’un mode de traitement
fondé sur le renforcement des capacités de résistance de
l’individu face à l’agent infectieux. L’échec des
thérapeutiques par médicaments et la forte impression
qu’exercent, sur les médecins français, les succès obtenus en
Allemagne par la cure hygiénodiététique de Brehmer et
Dettweiler confortent la position de ceux qui attribuent la
phtisie à une défaillance du «  terrain  ». L’étiolement du
malade semble d’ailleurs prouver la nécessité d’opposer à la
tuberculose un traitement général reconstituant les défenses
de l’organisme et l’aguerrissant2. C’est ce à quoi vise, par
exemple, le séjour en sanatorium d’altitude, la cure de repos
et la suralimentation, que recommande Jean-Baptiste
Fonssagrives3. Les modalités du traitement de la phtisie par
l’aérothérapie se précisent dans la deuxième moitié du xixe
siècle. Toutefois, l’affirmation de la capacité de l’air pur à
produire cet affermissement du corps continue de se faire
sur un mode empirique.
3 La quête des propriétés vitalisantes de l’air ne mène pas
uniquement à la fréquentation des sommets. Dans les
années 1850 et 1860, la rencontre de l’aérothérapie, de
l’hydrothérapie et d’une climatothérapie scientifique fondée
sur les travaux de Humboldt conduit à renouveler les
théories sur l’utilisation médicale du séjour à la mer. Les
vertus thérapeutiques de la villégiature maritime, dont la
vogue est déjà ancienne, reposaient essentiellement sur les
bienfaits du bain froid et du mouvement des vagues. Le
projet d’utiliser l’influence conjuguée des bains de mer et de
l’exposition à l’air et au climat marins dans la lutte contre la
scrofule, le rachitisme ou les pathologies chroniques liées à
un affaiblissement du malade donne naissance à la
thalassothérapie moderne4. Toutefois, l’arrière-fond vitaliste
et les convictions héritées de l’hygiénisme classique guident
encore cette recherche de l’endurcissement par le contact

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des éléments naturels5. À partir de 1857, Berck se spécialise


dans le traitement du rachitisme tandis qu’Arcachon, édifiée
dans le courant des années 1860, s’affirme comme une
luxueuse station de cure pour les tuberculeux.
4 L’héliothérapie connaît également un essor remarquable.
L’observation, déjà ancienne, de l’influence de la lumière sur
la santé et la description des bains de soleil par les auteurs
de l’Antiquité avaient conduit hygiénistes et médecins du
début du xixe siècle à préconiser l’exposition solaire comme
moyen de favoriser l’œuvre de la nature médicatrice, de
renforcer l’organisme et de guérir certaines maladies6. Au
milieu du siècle, Amédée Bonnet, professeur de clinique
chirurgicale et chirurgien-chef de l’Hôtel-Dieu de Lyon,
consacre des travaux à l’utilisation de l’insolation dans le
traitement des tuberculoses articulaires, qui permettent de
rompre les attaches de l’héliothérapie avec ses racines néo-
hippocratiques et romantiques et de l’asseoir sur les
fondements plus solides de la physiologie positive7. À partir
de la fin des années 1850, les études scientifiques conduites
sur les propriétés chimiques et physiques du rayonnement
lumineux permettent aux médecins de consolider les bases
de son utilisation thérapeutique et d’en préciser les
modalités de prescription8. À Lyon, les docteurs Poncet et
Leriche expérimentent le traitement des tuberculoses
osseuses par l’exposition des organes malades à la lumière
solaire et dirigent, entre 1892 et 1911, une série de thèses
consacrées à l’héliothérapie et à la photothérapie9.
L’exposition à la lumière se limite généralement à l’organe
malade. Toutefois, s’il n’est plus question d’appliquer un
traitement général visant à aguerrir l’organisme tout entier,
l’insolation, outre son pouvoir bactéricide qui en fait un
agent hygiénique de premier ordre, est encore mobilisée
pour les propriétés vitalisantes qu’on lui attribue et chargée
de stimuler les capacités de défense et de reconstitution de
l’organisme dans la région atteinte par le mal.
5 Les perspectives qu’elle offre dans le traitement des
tuberculoses en renouvelant l’aérothérapie sur des bases
chimiques et physiques avérées assurent un relatif succès à

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l’héliothérapie dans les années qui précèdent la Grande


Guerre. Dans le même temps, le constat de l’activité
particulière des radiations solaires à proximité des littoraux,
le développement du tourisme sanitaire sur la Côte d’Azur et
les perspectives commerciales que celui-ci laisse entrevoir
commencent à faire de la côte méditerranéenne un lieu
privilégié d’implantation des centres qui lui sont consacrés10.
Certains parti sans de l’hydrothérapie se reconvertissent
alors dans le traitement par l’insolation. C’est le cas, par
exemple, du docteur Vidal. Adepte de l’eau froide dans les
années 1870, il fonde à Hyères un sanatorium de
thalassothérapie dans le courant des années 1880 et évolue
progressivement de la climatothérapie à l’héliothérapie dans
la première décennie du xxe siècle. Par ailleurs, l’intérêt que
suscitent les réalisations des disciples allemands d’Arnold
Rikli et les résultats acquis par le médecin suisse Auguste
Rollier dans son sanatorium de Leysin11 conduisent certains
partisans français de l’héliothérapie à compléter l’insolation
partielle par l’exposition totale des curistes aux radiations
solaires12. Mobilisées pour accroître la vigueur de
l’organisme face aux agressions du bacille de Koch et pour
aguerrir les enfants menacés d’étiolement, l’héliothérapie et
l’aérothérapie inspirent encore, dans la première décennie
du xxe siècle, la création de colonies de vacances ou d’écoles
de plein air13.
6 À partir des années 1880, la révolution pasteurienne marque
le triomphe d’une autre approche de l’étiologie et de la
thérapeutique. Aux défaillances du terrain succède la
virulence des microbes, à la fortification de l’organisme
succède l’antisepsie. Certains, comme le professeur de
pathologie et de thérapeutique générale de la Faculté de
médecine de Paris Charles- Jacques Bouchard, reprochent à
la nouvelle doctrine pasteurienne de trop focaliser son
attention sur les germes et continuent de soutenir la thèse de
la responsabilité des prédispositions individuelles et de
l’affaiblissement du terrain dans la pathogenèse. Alors que
l’on s’oriente désormais vers la recherche des moyens
chimiques permettant d’éradiquer les agents infectieux, ces

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pathologistes s’attachent à défendre l’approche


physiologique classique et à promouvoir une thérapeutique
fondée sur la stimulation des fonctions organiques. Celle-ci
est désignée par l’expression de «  traitements physiques  »
puis par le terme de «  physiothérapie  » qui soulignent
explicitement la volonté d’éveiller les capacités de défense de
l’organisme par une action physique plutôt que de leur
substituer un antiseptique chimique. Dans le domaine de
l’hygiène également, alors que triomphent les héritiers des
anciens « contagionnistes » qui voyaient dans la « graine »
la principale cause des épidémies, la naissance de la
physiothérapie apparaît comme l’une des tentatives de
regroupement des partisans du «  terrain  » et de l’hygiène
sociale. Les traitements par les agents naturels —
l’hydrothérapie, l’aérothérapie, l’héliothérapie et la
thalassothérapie - se trouvent ainsi réunis avec la
kinésithérapie, l’électrothérapie et la radiumthérapie au sein
d’un corpus thérapeutique visant à prévenir les maladies par
la fortification de l’organisme aussi bien qu’à les guérir par la
stimulation de ses capacités de défense. Dans la lignée d’un
darwinisme revisité par Pasteur, le corps humain se conçoit
comme le terrain d’une «  lutte pour la vie  » menée
continuelle ment par les organes contre les microbes
pathogènes. En suivant les règles de l’hygiène, l’individu se
conforme à l’ordre naturel qui régit son économie interne et
permet à celle-ci de résister efficacement aux assauts des
microbes. Inversement, toute infraction à ces règles est une
atteinte aux lois de la nature susceptible d’entraver l’exercice
normal des fonctions physiologiques et de donner la victoire
finale aux agents morbides qui menacent perpétuellement sa
santé.
7 Au début des années 1890, Georges Dujardin-Beaumetz,
membre de l’Académie de médecine et directeur du Service
de santé au ministère de la guerre donne à l’hôpital Cochin
une clinique privée consacrée aux traitements physiques.
Durant l’hiver 1892-1893, c’est Georges Hayem, membre de
l’Académie de médecine et professeur à la faculté de
médecine, qui propose à Paris un enseignement sur le même

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thème. Louis Landouzy, enfin, égale ment membre de


l’Académie de médecine et professeur de thérapeutique et de
matière médicale à la faculté de Paris, consacre son cours de
l’année 1899-1900 à la physiothérapie14. Leur démarche
consiste à fonder les différents modes de traitements par les
agents physiques sur des bases scientifiques reconnues afin
de les présenter comme une alternative crédible à la
pharmacopée chimique.
8 La lutte qu’ils mènent pour asseoir leur position au sein de
l’institution médicale conduit les partisans de la
physiothérapie à se regrouper de façon formelle. En 1900,
un groupe de médecins fonde une Société de kinésithérapie
afin de promouvoir les thérapeutiques physiques. Dix ans
plus tard, la Société, qui rassemble une soixantaine de
médecins, se dote d’un bulletin mensuel  : La Pratique des
agents physiques. La composition du comité de rédaction
témoigne du large éclectisme de la physiothérapie. On y
rencontre les docteurs Barcat (radiumthérapie), Bralant
(kinésithérapie gynécologique), Cauvy (affections
nerveuses), Dausset (aérothermothérapie, éducation
physique), Danjou (physico-diététique), Falibois (hydro
thérapie), Joly (crénothérapie, climatothérapie), Lanel
(électrothérapie, mécanothérapie), Leroy (massage,
dermatologie), Mesnard (orthopédie), Raoult-
Deslongchamps (radiothérapie) et Wetterwald
(kinésithérapie). En 1904, un autre groupe de médecins
lance sa propre revue mensuelle, les Archives générales
françaises de thérapeutique physique. Enfin, en avril 1908,
la Société d’électrothérapie prend l’initiative d’organiser le
premier Congrès de physiothérapie des médecins de langue
française, afin de relayer à l’échelle nationale les efforts de
coordination réalisés depuis quelques années par les congrès
internationaux. Le doyen de la faculté de médecine, Louis
Landouzy, accueille le Congrès dans les locaux de la faculté
et en assure la présidence d’honneur. Dans son discours
inaugural, il rend un hommage appuyé à l’orientation
incontestablement positive et scientifique que les membres

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du Congrès entendent donner à la physiothérapie, gage de sa


future intégration à la thérapeutique générale :
«  Quelles ressources, combien puissantes et variées la
Physiothérapie ne nous apportera-t-elle pas, quand sa
dynamique aura été élucidée, quand aura été fixée sa
posologie !

C’est précisément le dynamisme des AGENTS NATURELS


que, Messieurs, vous voulez déterminer  ; ce sont leurs
indications que vous venez établir  ; c’est la science de les
doser, c’est l’art de les prescrire, avec la manière de s’en
servir, que votre Congrès prend l’initiative d’étudier, voulant
que des travaux, des recherches, des inventions de chacun de
vous naisse pour tous l’expérience15 »

9 Malgré ces efforts, cependant, la physiothérapie ne parvient


pas à obtenir la reconnaissance officielle que ses promoteurs
attendent et reste reléguée aux marges de la thérapeutique
générale.
10 Le désir de faire accéder la physiothérapie au rang de
branche légitime et reconnue de la thérapeutique en la
fondant sur les principes de la physiologie expérimentale et
sur les découvertes les plus récentes des sciences physiques
et biologiques n’efface pas, cependant, la marque de
l’hygiénisme néo-hippocratique qui a contribué à lui donner
naissance. Tout au long du xixe siècle, les partisans des
médecines naturelles se sont joints au courant néovitaliste
pour promouvoir un hygiénisme hérité des Lumières et
imprégné de lamarckisme, plus préoccupé d’endurcir les
hommes que d’assainir les lieux. La certitude d’une
dégénération résultant des conditions de vie modernes
encourageait la recherche de pratiques de redressement et
de raffermissement à travers l’élaboration d’un ensemble de
normes de conduite à destination, principalement, des
individus et des familles16. Promoteurs d’une hygiène
essentiellement individuelle et privée, les tenants de la
médecine par les agents naturels se sont tenus à l’écart du
courant qui, au fil du siècle, s’est consacré à la lutte contre la
propagation des épidémies par l’hygiène publique et les
mesures de prophylaxie collectives. L’essor de la thématique
de la dégénérescence, dans le dernier tiers du xixe siècle,
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ouvre cependant de nouvelles perspectives à l’hygiène privée


en la faisant accéder à la dimension d’une véritable hygiène
sociale. Il n’est pas surprenant, dès lors, de voir les
promoteurs de la physiothérapie naissante tenter de
démontrer l’utilité de leurs méthodes thérapeutiques dans
un combat dont l’enjeu n’est plus simplement la lutte contre
l’étiolement de l’individu, mais l’avenir et la survie de la
«  race  ». Certains auteurs s’attachent ainsi à présenter la
perspective de la régénération comme le cadre général dans
lequel prennent place les monographies scientifiques
consacrées à l’étude de tel ou tel mode de traitement. Louis
Landouzy, par exemple, affirme sa confiance dans la capacité
de la médecine physique à enrayer le déclin et à rompre le
cycle infernal de l’hérédité morbide en fortifiant les corps
des enfants rendus malingres par les tares de leurs
géniteurs :
«  Combien nombreux sont les justiciables de la
Physiothérapie, sous tous ses modes, si l’on songe à
l’impuissance de l’Alcaloïdothérapie en parti culier, et de la
Pharmaceutique en général, vis-à-vis des affections
chroniques et des déviations nutritives, qui rendent la vie
insupportable à nos clients ; qui font de leurs enfants autant
d’êtres chétifs, lymphatiques et malingres ? [...]

La Physiothérapie, se plaçant à l’avant-garde de la médecine


avec l’hygiène, doit prendre en main plus que les intérêts
particuliers de l’individu. La Physiothérapie, servant les
intérêts de la race, parvient souvent à pallier aussi bien les
états diathésiques que les tares héréditaires. La
Physiothérapie, réussissant à modifier l’évolution organique
et fonctionnelle des enfants, les fait s’évader de leurs vices
originels. C’est par la science et l’art physiothérapique aussi,
que le médecin deviendra puériculteur17. »

11 C’est également Landouzy que cite Legrand dans


l’introduction de son traité de physiothérapie infantile :
« Si la clientèle d’enfants se pressait en rangs plus serrés aux
Eaux miné rales, on y verrait, dans quelques décades, venir
moins d’adultes et d’hommes faits, puisque ceux-ci, s’étant,
enfants, évadés de leurs vices originels, auraient, vers la
trentaine, moins à compter avec tant d’affections de la gorge,
des bronches, de la peau, des reins, du foie et de l’estomac ;
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avec tant de dyscrasies, aboutissant de maladies transmises


du père à l’enfant  ; recommencements de maladies, alors
que l’enfant, devenu adulte, procréera à son tour, sans avoir,
par la médication thermale rédemptrice, été mis à même de
dépouiller les tares ancestrales. »

12 Et Legrand de conclure :
«  Les Cures d’eaux et de climat, d’air et de soleil, sont de
véritables écoles d’hygiène physique et morale, de diététique,
de santé, capables de corriger les tares originelles ou
acquises des enfants  : ce sont des écoles "vivantes" de
puériculture18. »

13 De manière analogue, Hector Grasset, dans son histoire des


médecines naturelles, attribue la dégénérescence au mépris
dans lequel l’époque contemporaine a tenu l’exercice
physique et désigne le recours à la gymnastique, parmi les
autres thérapeutiques physiques, comme la voie du salut :
«  Le dix-neuvième siècle emporté dans un élan de
développement scientifique et intellectuel, négligea quelque
peu son éducation physique, et il était temps que le cri
d’alarme fut jeté pour la culture de la race. [...]

Dans la vie courante, deux choses sont données trop


parcimonieusement, l’air et le mouvement ; l’hygiène fait des
progrès, les maladies épidémiques diminuent, mais les
maladies chroniques augmentent  ; il n’y a pas de rapport
entre la dépense physique et la dépense intellectuelle  ; la
race dégénère. L’inertie se paie au même titre que les excès,
on n’élimine pas suffisamment ses déchets  ; or le but de
l’exercice est de les brûler et d’expulser les excreta19. »

14 De loin en loin se prolonge, remise au goût du jour par


l’angoisse de la dégénérescence, la critique ancienne des
effets délétères de l’existence mondaine et des excès de la
modernité auxquels la régénération par le retour à la nature
et par l’affermissement du corps humain offre une heureuse
alternative.
15 Cette thématique s’accommode aisément, d’ailleurs, de
l’évolution des thérapeutiques naturelles depuis le milieu du
xixe siècle et de leur progressive orientation vers le
traitement de la tuberculose pulmonaire, des maladies
vénériennes, des maladies chroniques du système digestif et
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des pathologies mentales. Ces maux, que la pharmacopée


classique et la chirurgie ne parviennent pas à soigner de
manière satisfaisante, sont aussi ceux dont les causes
résident le plus ouvertement dans les abus et les vices de
l’existence moderne - l’alcoolisme, l’immoralité sexuelle,
l’alimentation excessive ou le surmenage intellectuel -, et
dont les conséquences se traduisent par un étiolement
visible de la personne. La physiothérapie peut ainsi
s’affirmer avec force comme le remède nécessaire aux
stigmates de la dégénérescence. Aussi n’est-il point
surprenant de voir Landouzy, spécialiste de la tuberculose et
ardent défenseur de l’hygiène sociale, engager, en 1908,
toute son autorité en faveur de la reconnaissance de la
physiothérapie et participer, cinq ans plus tard, à la
fondation de la Société française d’eugénique dont il
assurera la vice- présidence20.
16 La physiothérapie hérite sans ambiguïté des anciennes
conceptions vitalistes et repose sur la certitude d’une
inclination naturelle du corps à recouvrer sa santé.
Toutefois, la justification de son efficacité thérapeutique ne
s’appuie plus sur l’affirmation de l’existence d’une nature
médicatrice ou d’une force vitale responsables des guérisons.
Ralliées à la physiologie positive, l’aérothérapie,
l’héliothérapie et la thalassothérapie se fondent désormais
sur la capacité des agents naturels à stimuler les fonctions
organiques en vertu de leurs propriétés physico-chimiques.
Si l’on peut toujours parler, à leur propos, de médecines
naturelles, il ne nous semble plus possible de les qualifier de
« naturistes ». Certes, Bouchard parle encore de « médecine
naturiste  » dans ses enseignements21. Il s’agit d’opposer la
tradition hippocratique à la médecine pasteurienne pour
défendre la légitimité d’une thérapeutique fondée sur les
dispositions naturelles de l’organisme. Il n’est pas question,
pour autant, d’attribuer à la nature des qualités spécifiques
autres que les propriétés physiques et chimiques de l’eau, de
l’air et de la lumière solaire démontrées conformément aux
canons de la science moderne. C’est néanmoins au sein de ce
courant médical que certains auteurs vont, dans la première

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décennie du xxe siècle, opérer la synthèse de la


physiothérapie et des théories des thérapeutes empiriques
germaniques pour donner naissance à une médecine
naturiste moderne. Du point de vue de son engage ment
hygiénique, par ailleurs, la physiothérapie nourrit un
courant d’hygiène sociale qui s’attache à montrer la
responsabilité des vices de comportement dans l’étiolement
de l’organisme. L’hypothèse de la dégénérescence, qui tend à
devenir un lieu commun de cette hygiène sociale, alimente la
dénonciation du caractère anti-physiologique - et par
conséquent antinaturel - des conditions d’existence
modernes. Cette dénonciation, relayée par les milieux
végétariens, va permettre l’émergence, dans les années qui
précèdent la Grande Guerre, d’un mouvement de réforme
hygiénique des modes de vie que nous désignerons par
l’expression de « végétaro-naturisme ».

L’invention d’un naturisme moderne


17 Docteur en médecine de la faculté de Paris, le médecin
dunkerquois Albert Monteuuis est venu aux médecines
naturelles par le biais de la thalassothérapie. En 1889, il
publie un traité, Les Enfants aux bains de mer, dans lequel il
expose les bienfaits de la cure marine qu’il pratique sur le
littoral de la mer du Nord. Par ses nombreuses références à
Hippocrate, Montaigne, Rousseau, Hufeland et, plus proche
de lui, aux Entretiens familiers sur l’hygiène de
Fonssagrives, ce livre s’inscrit pleinement dans la continuité
de l’hygiénisme classique. Censée fortifier l’organisme, la
cure marine ne s’adresse pas exclusivement à l’enfant
malade, «  mais plutôt et surtout à l’enfant pâle, délicat,
souvent étiolé des villes, qui vient demander à la mer de
retremper sa constitution et de lui donner tout à la fois de
l’appétit, des couleurs et des forces22  ». Les bains d’eau, de
soleil et de sable, le climat et l’air marin, les exercices
physiques et l’observation d’un régime diététique particulier
permettent à la fois de lutter contre les maladies chroniques
et de revigorer les constitutions fragiles, de guérir et
d’aguerrir, de soigner et de régénérer. Par ailleurs, fidèle aux
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principes de la physiothérapie moderne, qu’il a appris de ses


maîtres de la faculté, Dujardin-Beaumetz, Hayem et
Landouzy, il attribue les vertus thérapeutiques de
l’exposition aux éléments naturels à l’action physiologique
de la chaleur et de la fraîcheur et aux propriétés chimiques
de certaines substances, comme les sels marins. Les apports
de la climatologie scientifique et la prise en considération de
la composition des sols alimentent une réflexion subtile sur
le choix de la région et du site balnéaire en fonction de
l’affection traitée. Enfin, une posologie précise et progressive
détermine l’heure et la durée du bain, le costume et les
exercices qui l’accompagnent, conférant ainsi à la cure
marine un caractère méthodique, gage de sa scientificité.
18 C’est probablement lors du premier Congrès de
climatothérapie et d’hygiène urbaine, qui se tient à Nice en
1904, que Monteuuis prend connaissance des théories et des
réalisations des naturistes allemands. Celles- ci, en effet, ne
sont pas ignorées des physiothérapeutes français, et certains
promoteurs de l’aérothérapie et de l’héliothérapie observent
avec un intérêt particulier leur diffusion dans les pays
germaniques. La même année, Monteuuis rédige un article
pour la revue végétarienne franco-belge La Réforme
alimentaire dans lequel il loue l’œuvre des «  physiatres ou
médecins naturistes de Suisse et d’Allemagne23  ». Par leurs
expériences et par leurs succès, ceux-ci ont remis à l’honneur
des médecines naturelles dont on appréciait déjà les
bienfaits à l’époque antique et dont l’auteur s’étonne qu’elles
restent encore, en France, ignorées du public. Il expose
ensuite la manière dont ces méthodes de traitement — et
plus particulièrement celle de Priessnitz - stimulent la
vitalité du milieu intérieur :
«  L’idée fondamentale de Priessnitz, celle qui toujours
restera la base de la médecine naturelle, c’est que la guérison
se fait par l’augmentation des oxydations (il disait plus
simplement  : de la chaleur animale ou de la puis sance
calorifique)  ; et cette augmentation s’obtient par les
stimulants vitaux, à savoir l’air, la lumière, le soleil, l’eau,
l’exercice, les aliments et les médicaments. [...]

Hippocrate avait dit : La nature guérit ; Priessnitz indique le


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mécanisme qui consiste à augmenter les oxydations  ; il


montre que c’est au moyen de son calorique que l’organisme
élimine ses déchets et assimile de nouveaux éléments de
réparation24. »

19 La référence à Hippocrate et à Priessnitz couvre en réalité


une argumentation conforme aux principes de la
physiothérapie moderne. Ce n’est pas dans le but
d’encourager l’œuvre médicatrice d’une force vitale
autonome ou d’une nature transcendante que Monteuuis
préconise le recours aux agents naturels, mais afin d’utiliser
leurs propriétés chimiques et physiques pour accroître la
vitalité de l’organisme, c’est-à-dire sa capacité de résistance
aux agressions morbides. Cette vitalité, par ailleurs, ne
découle ni d’une fluidification des humeurs ni d’une
contraction des fibres, des muscles ou des nerfs, mais d’une
augmentation de la quantité d’oxygène dans l’organisme.
20 Depuis qu’au début des années 1890 les travaux du
vétérinaire Jean- Baptiste Chauveau ont introduit la notion
d’accumulation d’énergie dans l’étude des phénomènes
physiologiques25, une représentation nouvelle du corps se
fait jour. À la métaphore de la chaudière à vapeur, employée
par Paul Bert en 1867 pour expliquer la façon dont la
digestion permet au corps de produire de la force
mécanique, se substitue celle du transformateur électrique
qui accumule et produit de l’énergie26. Conformément à cette
conception, Monteuuis entend prouver l’efficacité de
l’exposition aux éléments naturels en démontrant leur
capacité à augmenter les oxydations, à accroître ainsi la
quantité d’énergie accumulée par l’organisme et, par
conséquent, à améliorer sa vitalité. Toutefois, la violence du
traitement hydrothérapique élaboré par Priessnitz conduit le
médecin de Dunkerque à douter de son opportunité. Les
maladies chroniques et les pathologies nerveuses,
conséquences de l’épuisement que produisent les conditions
de vie moderne, réclament une intervention plus douce et
plus progressive que Monteuuis pense reconnaître dans la
cure d’air de Rikli et le végéta risme plus ou moins strict de
certains établissements naturistes suisses et allemands :

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«  Nombreux sont, à notre époque, les malades épuisés qui


ont besoin d’une stimulation plus profonde et plus lente que
celle souvent trop éner gique de l’eau  ; nombreux sont les
névropathes qui ont également besoin de médications qui,
par la durée du traitement et les éléments de distraction
qu’elles présentent, assurent le repos des centres nerveux. À
notre génération surtout s’impose la nécessité d’un régime
qui, loin d’exciter sous prétexte de fortifier, comme fait le
régime carné, calme et tonifie le système nerveux à la façon
de la médication atmosphérique et, actuellement le malade
qui fait une cure d’air à l’étranger, y trouve ces avantages
réunis27. »

21 La hantise de la dégénérescence, perçue par certains comme


une déperdition de cette énergie vitale, a suscité une
littérature abondante consacrée à l’hygiène alimentaire et à
la respiration. Proche du milieu végétarien et partisan de la
sobriété en matière d’alimentation, Monteuuis s’est opposé
aux conceptions purement quantitatives de la nutrition qui,
sous prétexte de fortifier l’organisme par une augmentation
de l’apport calorique, conduisent à prôner la cure de
suralimentation dans les sanatoriums français28. L’apport
d’énergie ne doit pas être recherché dans une alimentation
copieuse, qui épuise les organes de la digestion et accélère la
dégénérescence. En revanche, la peau, dont on connaît
désormais le rôle dans la respiration, joue un rôle primordial
dans la recherche de la reconstitution énergétique.
«  Le but de la médication atmosphérique est de rendre à
l’homme l’énergie vitale qu’il a perdue en soustrayant la
peau à l’influence tonique de l’air, de la lumière et du soleil.

Comme sa base est le naturisme, son objectif est d’y arriver


en soumettant l’épiderme à l’influence de ces agents
physiques, en rétablissant, autant que faire se peut, ces
conditions hygiéniques où la peau se ranime, se fortifie,
récupère l’intégrité de ses fonctions et où, par contre-coup,
les centres nerveux et l’économie tout entière retrouvent leur
activité normale29. »

22 Organe essentiel des thérapeutiques naturelles en ce qu’elle


assure le contact et les échanges entre le milieu intérieur et
le milieu extérieur, la peau a pris une importance croissante
dans les différentes méthodes de traitement. Conformément
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aux conceptions traditionnelles de la santé et de la maladie,


la plupart des thérapeutes naturistes, de Priessnitz à Kneipp,
faisaient de la surface cutanée le canal d’un échange à sens
unique. De sa porosité dépendaient l’évacuation des
matières délétères et l’efficacité du travail de dépuration qui
devait suivre les coctions et les crises. La découverte du rôle
de l’oxygène, les recherches scientifiques consacrées à la
respiration et la représentation du corps comme
accumulateur d’énergie ont rendu caduque cette conception
de la peau comme lieu des seules évacuations. Elle est
désormais un organe dynamique, responsable d’une
transaction à double sens par laquelle l’organisme reçoit du
milieu extérieur une partie du combustible nécessaire à son
activité. C’est à ce titre que Monteuuis insiste sur la nécessité
d’assurer, par son exposition aux éléments naturels, un
exercice optimal des fonctions physiologiques de la peau.
«  L’excitation thérapeutique de la surface cutanée par les
agents physiques, affirme-t-il, est [...] une des sources les
plus naturelles d’énergie physique, celle où nous devons
puiser chaque fois que l’organisme vient à fléchir30.  »
Délaissant l’idée d’une stimulation mécanique de
l’organisme par le contact de l’eau froide ou de l’air marin,
Monteuuis s’oriente vers une thérapeutique naturiste
soucieuse, avant tout, d’approvisionner le corps en énergie
par le biais de la peau.
23 De cette conception nouvelle, Monteuuis tire un ensemble de
prescriptions hygiéniques. De la même manière que les
empiristes germaniques, il recommande les vêtements faits
de tissus à larges mailles et assez poreux, comme la toile de
lin vulgarisée par Kneipp. Il conseille également d’aérer et
d’ensoleiller le plus possible les habitations, mais il n’est plus
question, comme chez les disciples de Kneipp, d’éviter la
prolifération des agents morbides dans le milieu extérieur et
d’accroître les capacités de résistance par le contact de l’air
frais. Il s’agit en revanche de mettre le plus possible
l’organisme au contact de l’atmosphère afin de lui permettre
de recharger progressivement la quantité l’énergie qui lui est
nécessaire. Dans le même registre d’idées, Monteuuis

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conseille la respiration par grandes aspirations, la pratique


de la gymnastique devant une fenêtre ouverte, les
promenades fréquentes, les exercices et les jeux d’extérieur,
les « bains d’air » et, de manière générale, le fait de passer le
plus de temps possible en plein air.
24 Finalement, bien qu’il se réfère explicitement à la tradition
hippocra tique et aux systèmes des thérapeutes empiriques,
Monteuuis donne du naturisme une définition qui se sépare
sensiblement de ces deux sources. Comme nous l’avons déjà
souligné, ses conceptions de la santé et de la maladie ne
diffèrent pas de celles qui ont cours parmi les partisans de la
physiothérapie. Il n’est question ni de restaurer l’antique
notion de crise qui imprégnait encore le système de
Priessnitz, ni d’adhérer à la conception ontologique et
métaphysique de la nature défendue par Rikli. En
définissant le naturisme comme «  l’emploi exclusif des
moyens naturels de traitement31  », Monteuuis réduit sa
spécificité aux agents thérapeutiques et hygiéniques qu’il
mobilise et en fait une sorte de physiothérapie applicable à la
vie quotidienne. Le choix d’utiliser le terme désuet de
«  naturisme  » plutôt que ceux de «  physiothérapie  » ou de
«  climatothérapie  » qui ont cours dans les milieux que
fréquente Monteuuis, la référence laudative à Rikli - même si
l’adoption de sa méthode masque un rejet des conceptions
qui la fondent - ne sont certainement pas innocents. Ils
traduisent une vision pessimiste des conditions de vie
modernes, source d’affaiblissement et d’étiolement de
l’organisme, et l’idée selon laquelle le retour à la nature -
conçue à la fois comme milieu naturel et comme conditions
primitives de l’existence l’humaine - offre la voie de la
régénération. Cette conviction ne le conduit pas à remettre
en cause les fondements scientifiques de sa profession, mais
elle explique certainement, pour une part au moins et au-
delà de l’argumentation médicale qu’il développe, la
recommandation que formule Monteuuis de vivre le plus
possible au contact du grand air.
25 Si Monteuuis est désormais convaincu du caractère
bénéfique de la «  médication atmosphérique  » telle que l’a

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initiée Rikli, la rigueur du climat qui règne sur le littoral de


la mer du Nord interdit sa pratique pendant une large partie
de l’année. En revanche, le climat de la Côte d’Azur, dont le
docteur Henri Huchard a vanté les incomparables bienfaits
lors du congrès de climatothérapie de 1904, est depuis
longtemps reconnu comme offrant des conditions propices à
la cure hivernale32. Monteuuis se laisse convaincre par son
collègue. L’année suivante, il s’associe avec un entrepreneur
privé qui vient d’acquérir une propriété sur le territoire de la
commune de La Croix, dans le Var, pour y fonder un
sanatorium naturiste selon le modèle des établissements
germaniques. Le sanatorium « Sylvabelle », dont Monteuuis
assure la direction médicale, est équipé d’un «  pavillon
d’hydrothérapie  », d’un vaste «  parc de bains d’air  » et de
«  huttes d’air  », sortes de baraques en bois composées de
trois murs et d’un toit, largement ouvertes sur un côté, dont
le modèle a été inauguré par Rikli et repris dans de
nombreux établissements naturistes allemands. Le régime y
est soit strictement végétarien, soit conforme aux
prescriptions diététiques de Monteuuis résumées par la
formule  : «  Fruitarien le matin, Carnivore mitigé le midi,
végétarien le soir33.  » Là, les pensionnaires viennent
demander à la cure naturiste la guérison ou la rémission de
maladies nerveuses ou chroniques. L’établisse ment, auquel
on accède grâce à la ligne ferroviaire de Toulon à Saint-
Raphaël, compte 40 chambres luxueusement aménagées.
Seul le type de traitement distingue « Sylvabelle » des autres
hôtels de la Riviera française qui accueillent chaque hiver
une clientèle de choix. L’implantation du sana Torium
semble donc tout autant obéir à des considérations
thérapeutiques que découler d’une stratégie commerciale.
En tout état de cause, il s’inscrit dans le cadre plus large du
développement d’un tourisme sanitaire hivernal, encore
nettement élitiste, le long de la Côte d’Azur et participe au
développement de l’héliothérapie sur le littoral
méditerranéen. Suivant une logique analogue, d’autres
établissements naturistes voient le jour dans les années
suivantes. En janvier 1911, une liste de «  restaurants

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végétariens, pensions et sanatoria naturistes  », publiée par


la revue végétarienne Hygie, permet d’en dénombrer sept, à
Cagnes, à La Croix et dans les environs de Nice, qui
proposent des bains d’air et de soleil et offrent des
conditions de «  vie naturiste  » à leurs pensionnaires34.
Monteuuis, pour sa part, a quitté « Sylvabelle » en 1909 pour
ouvrir un établissement de plus petite taille et plus isolé, à
Saint-Antoine près de Nice35. Il continue, par ailleurs, de se
consacrer à la propagande en faveur de la médecine et de
l’hygiène naturistes36.
26 Quoique de vingt ans son cadet, Fernand Sandoz37 partage
de nombreux points communs avec Albert Monteuuis.
Comme lui, il a une connaissance précise de l’empirisme
naturiste des pays germaniques qu’il estime, pour l’essentiel,
bénéfique. Comme Monteuuis, il souhaite établir les
principes et les méthodes du naturisme sur une base
scientifique, afin d’opposer une alternative crédible à la
médecine moderne et à sa thérapeutique essentiellement
chimique. Comme lui, enfin, il a été profondément marqué
par l’enseignement de pathologie générale de Charles
Bouchard et par la façon dont celui-ci à su mettre à profit les
découvertes de la microbiologie cellulaire pour défendre les
principes de la physiologie vitaliste.
27 Dans sa thèse de médecine, qu’il soutient en 1907, Sandoz
s’attache à recycler sur un mode rationnel et scientifique
l’ancienne notion de nature médicatrice afin d’opposer une
thérapeutique naturiste, c’est-à-dire fondée sur les réactions
naturelles de l’organisme, à celle «  issue de l’enthousiasme
des découvertes de Pasteur  », qui cherche exclusivement à
détruire le microbe par les antiseptiques38. À l’opposé de la
médecine moderne qui s’est définitivement orientée vers un
classement étiologique des pathologies et se consacre à la
recherche de traitements spécifiques, Sandoz renoue avec les
conceptions néo-hippocratiques pour appréhender la
maladie comme un phénomène unique et global. Délaissant
le microbe pour se préoccuper exclusivement du « terrain »,
il interprète le symptôme morbide comme un signe de la
façon dont le corps modifie l’intensité de son activité pour

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réagir à l’événement morbide. Ainsi, la maladie aiguë


témoigne que le malade se guérit lui-même «  grâce à la
révolte spontanée de son organisme contre les entreprises de
la cause morbifique  ». Elle invite donc le médecin à
l’expectation. La maladie chronique, en revanche, révèle une
insuffisance des efforts curateurs de l’organisme. Le médecin
naturiste doit alors mettre en œuvre une thérapeutique
«  excitante  » afin de stimuler ou de réveiller l’activité de la
force vitale. Comme Monteuuis, toujours, Sandoz estime que
les agents physiques sont les plus propres à produire cette
excitation de la force vitale. Il souligne également les
bénéfices que la thérapeutique naturiste peut retirer des
« excitants mécaniques » que sont les mouvements actifs et
passifs, notamment la gymnastique et les massages, et des
modifications quantitatives du régime alimentaire39.
28 Ces considérations le conduisent à accorder un intérêt tout
particulier aux systèmes élaborés par les empiristes
Priessnitz, Kneipp et Rikli auxquels il consacre une part
importante de sa thèse et de ses publications ultérieures40. Il
leur reconnaît notamment l’immense mérite d’avoir su
combiner de façon méthodique les différents agents de la
thérapeutique naturiste. Il se montre, en revanche,
sévèrement critique à l’endroit de leurs successeurs. Selon
lui, le succès de l’empirisme a incité bon nombre de
profiteurs à se proclamer médecins et à fonder des
établissements de cure naturelle sur la base de conceptions
touchant parfois au délire :
«  Il y a en Allemagne et en Suisse des établissements où la
cure consiste à faire vivre nus les malades toute la journée, à
leur prescrire de se coucher nus sur le sol et de ne manger
que des fruits crus, des noix et des noisettes. Ce sont les
partisans enthousiastes de ce "retour à la nature"  ! Comme
ils le disent eux-mêmes, que je me permets de baptiser d’un
mot nouveau "les aberrants"41. »

29 Sa critique porte aussi sur les conditions dans lesquelles la


mode des cures s’est répandue. L’accent mis sur le
traitement des maladies chroniques et les préoccupations
économiques ont conduit à en faire un élément du tourisme
sanitaire huppé, au détriment des considérations strictement
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médicales. Ainsi, l’hydrothérapie est désormais un passe-


temps réservé aux névropathes, et les sites de Wôrishofen et
de Gräfenberg, des lieux de villégiature d’été. De même, la
cure atmosphérique de Rikli semble être devenue « une cure
destinée à occuper les loisirs des neurasthéniques riches et
des bourgeois aisés en vacances  », alors qu’elle devrait être
un traitement précis, accessible à toutes les bourses et au
plus grand nombre des malades42.
30 En 1909, Sandoz ouvre un établissement naturiste à Paris,
boulevard de La Tour-Maubourg, dans lequel il propose des
traitements par l’hydrothérapie, les bains de lumière
électrique, d’air chaud et de vapeur, les douches d’air chaud
et la gymnastique43. Deux ans plus tard, l’établissement,
désormais baptisé «  Therapianum  », traverse la Seine et
s’installe rue d’Artois. Sans renoncer complètement à la cure
des maladies chroniques par l’hydro thérapie et la
photothérapie, Sandoz se spécialise dans le traitement des
pathologies articulaires, des atrophies musculaires, des
paralysies et des déformations de la colonne vertébrale par la
mécanothérapie, l’orthopédie et la kinésithérapie44.
31 Il apparaît finalement que les travaux de Monteuuis et
Sandoz et les réalisations des disciples français de Kneipp
donnent corps à un naturisme médical rénové qui synthétise
les apports du néo-hippocratisme des Lumières, de
l’empirisme germanique du xixe siècle et de la
physiothérapie moderne. Bien qu’aucun auteur n’en donne
une définition précise, il semble possible de cerner la
substance du naturisme de la Belle Époque. Sous le
qualificatif « naturiste » se regroupent en effet des systèmes
médicaux divers qui tous visent à accroître les capacités de
résistance de l’organisme, à prévenir son intoxication et à
guérir ses maux par l’utilisation thérapeutique et hygiénique
des éléments naturels (eau, air, soleil), de l’exercice physique
et d’une diététique spécifique. Ces théories sont mises en
oeuvre dans le cadre de cures, réalisées dans des centres
spécialement aménagés à cet effet, et par un ensemble de
prescriptions destinées à régler la vie des familles et des
individus. Cette conception de l’hygiène et de la médecine

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repose sur la croyance en l’existence d’un ordre de la nature,


d’un ensemble de lois supérieures qui imposent à l’homme
une certaine manière de conduire son existence sous peine
de dégénérer. Ce naturisme moderne, en revanche, ne
postule généralement plus l’existence d’un principe
autonome — la nature médicatrice - ou d’une force
spécifique - la force vitale - responsables de l’entretien du
corps et de la guérison des maladies. En accord avec le savoir
physiologique de son temps, il admet que les processus
vitaux découlent de l’exercice de fonctions particulières par
les différents organes qui compo sent le corps humain,
même s’il se préoccupe plus de stimuler la vitalité de
l’organisme par le contact des éléments naturels que de
lutter contre les agressions microbiennes qui viennent
troubler son fonctionnement.

La pénétration du naturisme dans les


milieux végétariens
32 À la différence de l’Allemagne, la France ne voit pas se
constituer d’organisations d’envergure relayant les thèses du
naturisme médical. En revanche, certains promoteurs de la
culture et de l’éducation physique se montrent sensibles aux
recommandations hygiéniques des thérapeutes empiriques
allemands et des médecins naturistes45. De même, le
militantisme végéta rien constitue un milieu
particulièrement réceptif à leurs thèses.
33 La convergence du naturisme et du végétarisme n’est pas
fortuite. L’un comme l’autre s’inscrivent dans un courant de
pensée plus large qui, marqué par l’hypothèse de la
dégénération physique et morale de l’homme dans la
civilisation, porte un regard critique sur les fruits de
l’urbanisation et de l’industrialisation, de la science et du
progrès. Remède aux maux d’une société moderne coupable
d’avoir voulu s’affranchir de l’ordre naturel, le programme
végétarien ne se limite pas à l’abstinence de viande, mais
prétend régénérer les corps et les esprits par le retour à une
vie simple et hygiénique, conforme aux « lois de la nature ».
Ainsi, les auteurs qui, à partir du courant des années 1890,
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tentent de populariser le végétarisme opposent, de façon très


classique, l’existence frugale, saine et morale des habitants
des campagnes à l’insalubrité des villes qui livre la
population à la menace morbide46. Le docteur Bonnejoy, par
exemple, consacre un passage de son traité sur le
végétarisme à dénoncer l’«  impureté de l’air des villes  »,
«  l’encombrement, les logis étroits ou malsains  » et à leur
opposer les bienfaits du séjour à la campagne  : «  Malgré la
moindre facilité pour se procurer [des substances
alimentaires abondantes et variées], déclare-t-il, le séjour
dans l’air pur des campagnes est, pour le Végétarien qui peut
y fixer sa demeure salubre, encore préférable à celui de la
ville et de beaucoup47. »
34 Les motifs avancés pour justifier le refus de l’alimentation
carnée sont de diverses natures. Ce refus se fonde, tout
d’abord, sur des considérations morales qui reposent
implicitement sur l’aspiration à retrouver l’harmonie d’un
ordre naturel originel, perverti par les conditions de la vie
sociale. Ainsi, le sentiment de compassion à l’égard de la
souffrance animale - qui s’inscrit dans le mouvement plus
vaste d’un accroissement de la sensibilité à l’égard des
animaux depuis le début du siècle48-, argument souvent
avancé par les végétariens, accompagne l’idée que la
domination de l’homme sur la bête n’est pas inscrite dans
l’ordre de la nature. Dans un registre analogue, la croyance
que la consommation de viande explique, au moins en
partie, l’inclination des hommes à la brutalité justifie
l’invitation à s’en abstenir. La thèse, courante au xixe siècle,
d’une influence de l’alimentation sur le tempérament des
peuples et des individus s’accompagnait généralement d’une
dénonciation du régime exclusivement végétal comme trop
affaiblissant et conduisant à une néfaste apathie49. En louant
le végétarisme pour sa propension à adoucir les moeurs et à
restaurer la bonté originelle des individus, ses promoteurs
opposent à une conception du monde comme espace de lutte
un humanisme optimiste quant aux dispositions naturelles
de l’homme, et dénoncent la violence et la cruauté comme
les fruits néfastes de la civilisation. À ces considérations

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morales s’ajoutent, enfin, des arguments de type


scientifique  : l’appareil digestif de l’homme ne serait pas
celui d’un Carnivore, ni même d’un omnivore, mais celui
d’un frugivore. L’alimentation carnée susciterait de sa part
un effort trop important, source d’épuisement et
d’affaiblissement. D’autre part, la forte quantité de toxines
conte nue dans la viande serait responsable d’une corruption
progressive de l’organisme.
35 De la même manière que la médecine naturiste ou que la
physiothérapie, le végétarisme repose donc sur une
conception du corps humain qui rejoint l’enseignement de
Dujardin-Beaumetz, Hayem ou Landouzy50 valorise le rôle
des causes internes dans l’apparition des maladies et fait des
dysfonctionnements de l’appareil digestif une cause majeure
des prédispositions morbides. Même s’ils ne nient pas
l’existence de microbes pathogènes, végétariens et naturistes
s’accordent à penser que leurs effets délétères ne tiennent
qu’à un affaiblissement de l’organisme qui, dans l’exercice
normal de ses fonctions, devrait pouvoir leur résister. Les
uns comme les autresdénon cent alors la thérapeutique
moderne, préoccupée d’agir sur les causes externes de la
maladie, et prétendent lui opposer des modes de traitement
conformes à l’ordre de la nature, c’est-à-dire fondés sur les
capacités naturelles de défense de l’organisme. Pour les
végétariens, le régime alimentaire constitue le principal
facteur de stimulation et d’accroissement de ces capacités.
Ainsi, le docteur Bonnejoy, évoquant les conditions de sa
conversion au végétarisme, explique qu’après avoir
«  vainement essayé la plupart des poisons de la poly-
pharmacie  » pour se défaire d’un «  virus dartreux fort
tenace », la réforme de son alimentation a finalement permis
à ses cellules de « phagocyter » le microbe et à son sang de
«  tuer ses bactéries51  ». Dans le même registre d’idées, les
théories d’Élie Metchnikoff sur le lait caillé comme adjuvant
de la lutte de l’organisme contre les microbes pathogènes et
facteur d’allonge ment de l’existence reçoivent, dans la
première décennie du xxe siècle, un écho particulièrement
favorable dans les milieux végétariens52. Toutefois, les

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promoteurs du végétarisme reconnaissent également dans


l’exposition aux éléments naturels un puissant moyen
d’accroître la vigueur de l’organisme et de l’encourager dans
sa lutte contre les maladies. Le naturisme thérapeutique,
dont les méthodes incluent généralement des prescriptions
diététiques, apparaît alors comme le pendant médical du
végétarisme. Ernest Bonnejoy, encore, après avoir vanté les
mérites de la « physiatrie » et présenté ses différents agents -
le régime, l’air, la lumière, l’eau, le mouvement, les soins de
la peau et les influences morales — déclare :
« Oui, revenons à la vie raisonnable, à la médecine naturelle
ou Physiatrie, qui prévient et guérit les désordres du corps et
aussi ceux de l’âme par le calme loin de l’activité dévorante
des villes [...]. Nous y trouverons des armes puissantes pour
le grand combat contre le mal physique et contre le mal
moral dans l’homme et dans la société [...].

Assurément, pour un nécrophage polypharmaque endurci,


ces idées et ces faits sont du nouveau, il peut s’en étonner ;
mais, à la "nouvelle existence" qu’est le Végétarisme, il fallait
une "médecine nouvelle". On conçoit dès lors que la
nécrophagie, avec tout son cortège de morbidités, ait poussé
à l’absorption exagérée du médicament et de la
polypharmacie dont les Végétariens physiâtres ne ressentent
nullement la nécessité53. »

36 De 1900 à 1914, les revues végétariennes publient de


nombreux articles consacrés à la médecine naturiste. Dans
un premier temps, ces articles s’attachent essentiellement à
faire connaître les différents établissements allemands et les
systèmes thérapeutiques qui y sont mis en œuvre. En février
1902, par exemple, Fernand Sandoz, encore étudiant en
médecine, présente aux lecteurs de La Réforme alimentaire
le sanatorium de Finkenmtihle, où le docteur Hotz applique
la méthode de traitement par bains d’air et de lumière
d’Arnold Rikli. Le mois suivant, Sandoz propose une
traduction d’un article de la revue naturiste allemande Der
Naturarzt54. Puis, à partir de 1904, les colonnes des revues
végétariennes s’ouvrent à la prose des médecins français qui,
comme Monteuuis et Sandoz, tentent de promouvoir le
naturisme médical55. Certains médecins végétariens

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deviennent eux-mêmes d’actifs propagandistes des


médecines naturelles. C’est le cas, notamment, du docteur
Danjou, de Nice, et du docteur Carton, médecin au
sanatorium de l’hospice de Brévannes, tous deux membres
de la Société végétarienne de France56. Dans un imposant
traité qu’il consacre à la dénonciation des causes
alimentaires de la tuberculose et à sa cure par le régime
végétarien, Paul Carton vante les vertus prophylactiques et
thérapeutiques de la culture physique, de l’hydrothérapie et
de la cure atmosphérique57. En juillet 1912, par ailleurs, La
Réforme alimentaire annonce le lancement d’une nouvelle
publication, La Physiatrie, «  consacrée spécialement au
naturisme  », c’est-à-dire à «  l’emploi judicieux de l’eau, de
l’air, du soleil, de la chaleur, du froid, du mouvement, du
repos, soit dans la vie journalière, soit dans un but
thérapeutique58  ». Celle-ci s’est d’ores et déjà assurée du
concours des docteurs Danjou, Grand, Ioteyko et Pauchet,
membres du Comité de la Société végétarienne de France et
collaborateurs réguliers des revues végétariennes. De façon
plus générale, la multitude d’articles, de notices, d’extraits de
la presse étrangère, de critiques d’ouvrages et de comptes
rendus de conférences consacrés au naturisme qui émaille
les numéros de La Réforme alimentaire et de Hygie révèle la
profondeur de la sensibilité du milieu végétarien aux
méthodes de soin par les agents naturels. Outre leur
commun désir de rompre avec les méfaits de la civilisation
pour replacer le corps dans ses conditions naturelles de
fonctionnement, militants végétariens et thérapeutes
naturistes se retrouvent dans le refus d’adhérer aux
conceptions diététiques dominantes et de voir dans la
suralimentation du malade — du tuber culeux plus
spécialement — un moyen de lui apporter un supplément
d’énergie et de le revigorer. Unis dans un même idéal
ascétique, végétarisme et naturisme élèvent la frugalité au
rang de vertu cardinale et lui confèrent ensemble le pouvoir
d’aguerrir le corps.
37 Partageant une même conception de la maladie et des
moyens de la combattre, naturistes et végétariens se

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rejoignent naturellement dans une même vision de la santé


et des règles à suivre pour la conserver. Aussi nesera-t-on
point surpris qu’à l’instar des partisans du naturisme, les
auteurs végétariens s’attachent à promouvoir un mode de vie
«  naturel  », propre à affermir l’organisme, à favoriser
l’exercice de ses fonctions et à éviter son empoisonnement.
Dans la troisième partie de son traité, par exemple, le
docteur Bonnejoy formule un ensemble de
recommandations à propos du vêtement, de l’habitat, de leur
nécessaire propreté et de leur aération. «  Pour être mieux
portants et moins malades, revenons à la nature », conclut-
il. «  La nature a des lois inexorables, elle en souffre
longtemps les transgressions, mais, à la fin, malheur à ceux
qui les enfreignent59 ! » Pour sa part, la Société végétarienne
de France fait de ces prescriptions un point fondamental de
son programme. En février 1906, elle édite une série
d’enveloppes de propagande dont les versos portent les
slogans suivants :
«  Le Végétarisme a pour but de rendre l’homme vigoureux
par un régime conforme aux lois de sa nature. Pratiqué
rationnellement, il est le moyen le plus puissant pour assurer
son développement harmonieux et son équilibre parfait.

Le Végétarisme prescrit la sobriété, la pureté en matière


d’alimentation. Il exclut les excitants de toutes sortes  : La
revue La Réforme alimentaire aborde fréquemment les
questions., comme étant la source d’une force factice, suivie
d’effets immédiats ou lointains, toujours fâcheux. [...]

Le Végétarisme recommande la vie au grand air et l’exercice


méthodique.

Il s’intéresse à l’habitation qu’il veut vaste, saine, et offrant


toutes les ressources de l’hygiène moderne60. »

38 La revue La Réforme alimentaire aborde fréquemment les


questions liées aux différents aspects de l’hygiène
individuelle et encourage ses lecteurs à s’y conformer61. De
façon plus nette encore, la revue Hygie, lancée en 1907 par le
secrétaire général de la Société végétarienne de France, Jean
Morand, s’emploie à établir les liens entre les prescriptions
alimentaires du végétarisme et les principes hygiéniques qui

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lui sont attachés. Dès le premier numéro, cet objectif est


affirmé sans détour :
« HYGIE s’intéressera à tout ce qui touche à l’hygiène ; rien
ne doit être négligé. Il faut repousser cette fausse idée qu’une
simple formule, alimentaire ou autre, suffit, par son
application, au maintien ou au rétablissement de l’état de
santé ; les règles de l’hygiène sont simples mais multiples et
toutes concourent à assurer le bien-être de l’homme qui s’y
soumet. [...]

Les Soins du corps retiendront son attention, ce qui lui


permettra d’aider à la diffusion des meilleures méthodes d’
Hydrothérapie, à’Aérothérapie, de Gymnastique, et de
traiter les intéressantes questions touchant au Naturisme et
aux Sports.

L’Habillement et L’Habitation feront également l’objet de


travaux divers62. »

39 Chaque mois, sous la rubrique «  Comment on jouit d’une


bonne santé  », un certain Cornet propose ses conseils en
matière d’aération du corps, d’expo sition à la lumière
solaire, de sommeil ou de propreté. Ici encore, les préceptes
de l’hygiène sont censés traduire les «  lois de la nature  »,
inviter l’homme à retrouver les conditions saines de son
existence passée et lui permettre d’échapper aux effets
néfastes d’une civilisation qui l’entraîne sur la pente de la
dégénération. Ainsi Cornet, déplorant la faible espérance de
vie de ses contemporains, affirme que « l’homme est l’enfant
de la nature, [...] sorti d’elle fort et robuste, destiné à vivre
longtemps et sans souffrance  ». Si l’homme moderne
n’atteint pas l’âge de 100 ans auquel il est normalement
destiné, «  c’est qu’il est dégénéré ou qu’il ne vit pas
conformément aux lois de la nature ». « Revenons donc à la
nature, conclut-il, et rapprochons-nous le plus possible de
l’homme primitif qui vivait certainement toujours au grand
air63.  » En septembre 1909, il présente la synthèse de ces
règles hygiéniques sous la forme d’un catalogue de onze
« lois de la santé »

1. «1°Respirer constamment un air pur ;


2. 2°S’exposer le plus possible à la lumière du jour ;

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3. 3°Ne manger que quand la faim véritable se fait sentir,


et toujours lente ment, ne rien prendre entre les repas,
espacer ceux-ci suffisamment pour donner à l’estomac
le temps de se reposer [...] ;
4. 4°User, comme boisson, principalement d’eau pure ;
5. 5°Tenir toutes les parties du corps dans la plus extrême
propreté ; bain quotidien ou ablutions d’eau chaude ou
froide [...] ;
6. 6°Donner journellement à tous les muscles, en plein air,
l’exercice qu’ils réclament ;
7. 7°Régler dans de justes proportions les heures de travail
et de repos ;
8. 8°Porter des vêtements légers, perméables à l’air,
suffisamment chauds pour conserver au corps sa
chaleur normale, ne comprimant aucun organe ;
9. 9°Éviter les stimulants, les excitants et autres
mauvaises habitudes ;
10. 10°Dominer ses passions et ses craintes nerveuses,
fortifier sa volonté, cultiver le calme, le sang-froid et la
gaieté de l’esprit ;
11. 11°Prêter une sérieuse attention aux avertissements que
donne la nature, sous forme de malaise, de grande
fatigue, de dépression et de douleur  ; en rechercher la
cause, pour la supprimer64. »

40 Par ailleurs, la convergence de vues des végétariens et des


naturistes en matière d’hygiène individuelle fait qu’ils
recourent aux mêmes circuits commerciaux pour se procurer
les «  produits hygiéniques  » nécessaires à la mise en
pratique de certaines de ces recommandations, notamment
en matière de vêtement. En février 1905, par exemple, une
notice insérée dans La Réforme alimentaire précise que
«  M. Schaechtelin [...] a donné quelque extension à son
dépôt de produits végétariens. [...] Il vient d’y ajouter les
produits Favrichon  ». «  Nous avons tout lieu de penser,
précise la revue, qu’il ajoutera encore les produits "Hygia" de
la maison Burel, de Lyon, qui lui sont demandés65. » Le cas
de l’«  établissement végétarien Natura Vigor  » ouvert à
Paris, en avril 1908, par Jean Morand, témoigne également
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de la très grande proximité qu’entretiennent, dans la


pratique, végétarisme et naturisme. L’établissement
comprend à la fois un restaurant végétarien et un magasin
de produits alimentaires et hygiéniques. Dans un article qui
le présente à ses lecteurs, la revue Hygie décrit ses rayons :
«  Ce sont d’abord les produits alimentaires que nous
renonçons à citer, vu leur nombre [...]. Puis les boissons
hygiéniques, sans alcool nécessaire ment, jus de raisins frais
de divers crus et jus de différents fruits stérilisés. À côté de
ces éléments de consommation se trouvent groupés de
nombreux appareils culinaires, tous plus perfectionnés les
uns que les autres et construits en vu d’obtenir la plus
grande économie de force et de temps et de permettre des
préparations saines et indemnes d’impuretés. [...]

Plus loin ce sont des objets et des appareils destinés aux


soins du corps, savons sans graisse animale, des colliers et
casques douches [sic], des cabinets pour bain de vapeur  ;
puis des extenseurs, haltères, etc.

Enfin, nous trouvons une intéressante collection de tissus


poreux en pur lin, lin et coton et tout coton, pour lingerie et
literie, des sous-vêtements confectionnés et une série de
chaussures hygiéniques, fabriqués sur les données
d’hygiénistes célèbres, parmi lesquels nous citerons  :
Kneipp, le Dr Lahmann, Gosmann, Platen, etc.66 »

41 L’enquête menée par la revue La Réforme alimentaire, en


1907, auprès d’une quarantaine de membres de la Société
végétarienne de Belgique semble indiquer que la plupart de
ces règles hygiéniques sont relativement bien suivies par les
végétariens militants et, en tout état de cause, considérées
comme consubstantielles au végétarisme  : «  La plupart [de
nos végétariens] suivent aussi d’autres règles d’hygiene : ils
dorment la fenêtre ouverte, s’adonnent avec plaisir aux
exercices physiques-, les femmes ont abandonné l’usage du
corset et les hommes l’usage du tabac.67 »
42 Il n’est finalement que la question alimentaire qui distingue
les théoriciens du naturisme et ceux du végétarisme en
matière d’hygiène. Comme les seconds, les premiers
reconnaissent le caractère néfaste de l’alimentation carnée,
source d’épuisement et d’intoxication pour l’organisme. Ils
se refusent toutefois à prôner le régime strictement
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végétarien autrement que comme mode de traitement. Nous


avons déjà souligné la façon dont les promoteurs français de
la méthode Kneipp, dans les années 1890, s’attachaient à
réfuter certains arguments d’Ernest Bonnejoy tout en
reconnaissant, pour l’essentiel, la qualité et la richesse de ses
travaux. De même, dans la décennie suivante, Albert
Monteuuis et Fernand Sandoz se contentent de prôner une
consommation très modérée de viande et réservent le
végétarisme à la cure de certaines pathologies. Ils n’en sont
pas moins, l’un comme l’autre, membres de la Société
végétarienne de France et collaborateurs réguliers de La
Réforme alimentaire.
43 Le végétarisme apparaît finalement comme un projet global
de réforme des conditions d’existence, fondé sur la recherche
d’un mode de vie «  naturel  », se déployant non seulement
dans le domaine alimentaire, mais égale ment sur le terrain
de l’hygiène et de la médecine. Toutefois, il serait
probablement hâtif d’en déduire que tous les végétariens ont
systématiquement recours aux thérapeutiques naturistes
pour guérir les affections dont ils peuvent être atteints. Il
semble, au contraire, que le naturisme médical, quoique
regardé avec bienveillance, reste cantonné dans une position
relativement marginale par rapport à l’intérêt que suscitent
les questions alimentaires. Ainsi, par exemple, la liste des
livres vendus par la Société végétarienne de France au cours
de l’année 1909 montre que la diffusion des ouvrages
consacrés aux méthodes naturistes de traitement reste
limitée. Sur un total de 3  387 livres vendus, seuls sept
exemplaires de l’Introduction à la thérapeutique naturiste,
25 exemplaires de la Thérapeutique naturiste des maladies
aiguës et 40 exemplaires de la Cure atmosphérique de
Fernand Sandoz ont été diffusés. Dans le même temps, 496
exemplaires d’un Petit Guide pratique de cuisine
végétarienne ont été achetés ainsi que 327 exemplaires de la
3e édition de La Table du végétarien de Carlotto Schulz. Les
ouvrages consacrés à l’utilisation thérapeutique du régime
végétarien réalisent également des scores de vente
médiocres : seuls 54 exemplaires du Traitement du diabète

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et 70 exemplaires du Traitement du rhumatisme par le


végétarisme, du docteur Allinson, ont été vendus68. Ce
constat suggère que l’adhésion aux règles hygiéniques
préconisées par les auteurs naturistes et végétariens ne
conduit pas nécessairement à la mise en application de leurs
prescriptions en matière de traitement médical. Enfin, si les
revues végétariennes contiennent de très nombreuses
publicités pour les sanatoriums naturistes français, suisses et
allemands et si la possibilité de pratiquer les bains d’air et de
soleil apparaît être un argument commercial non négligeable
pour les pensions végétariennes qui se font connaître à leurs
lecteurs, la fréquentation de ces établissements semble
s’inscrire plus dans la logique d’un tourisme à visée
sanitaire, dans lequel la villégiature est conçue comme
moyen de reconstituer les forces de l’organisme, que dans le
cadre de cures strictement thérapeutiques. « Où irons-nous
passer les vacances d’été  ?  » se demande ainsi La Réforme
alimentaire en introduction à sa rubrique « Établissements
végétariens et naturistes » de juillet 1912, avant de présenter
le Domaine de Créqui, près de Nice, « excellente pension de
famille végétarienne pourvue de bains d’air et de soleil [qui]
restera ouverte cette année pendant tout l’été69 ». Issus, pour
l’essentiel, des couches moyennes et supérieures de la
bourgeoisie, les membres de la Société végétarienne de
France perçoivent probablement le séjour dans les
établissements naturistes de la Côte d’Azur, des montagnes
suisses ou des campagnes allemandes plus comme un moyen
de concilier les plaisirs du tourisme avec le sentiment de se
ressourcer au contact des éléments naturels, loin de
l’atmosphère insalubre et énervante des grandes villes, que
comme une façon de traiter des pathologies avérées. La
remarque acide de Fernand Sandoz, qui déclare que « la cure
atmosphérique n’est pas, comme on a souvent l’air de le
croire, une cure destinée à occuper les loisirs des
neurasthéniques riches et des bourgeois aisés en
vacances70 », le laisse en tout cas supposer.

Notas

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1. F. Dagognet, « La Cure d’air... », op. cit.


2. P. Guillaume, DU Désespoir au salut : les tuberculeux aux xixe et xxe
siècles, Paris, 1986, p. 43-80  D. Dessertine et O. Faure, Combattre la
tuberculose, 1900-1940, Lyon, 1988, p. 18.
3. J.-B. Fonssagrives, Thérapeutique de la phtisie pulmonaire, Paris,
Baillière, 1866.
4. Notamment A. H. Dauvergne, Du véritable Mode d’action des eaux
de mer, Paris, Labé, 1853 et A. T. Brochard, Des Bains de mer chez les
enfants, Paris, 1864. C’est probablement J. La Bonnardière qui introduit
le terme de thalassothérapie (Introduction à la thalassothérapie, thèse
de médecine, Montpellier, 1865).
5. Y. Simon, Essai sur l’histoire et l’évolution de la thalassothérapie,
thèse de médecine, Paris, 1925 p. 18-29.
6. Par exemple : M. Bertrand, Essai touchant l’influence de la lumière
sur les êtres organisés, sur l’atmosphère, et sur différents composés
chimiques, thèse de médecine, Paris, an VIII (1799) ; D. Lamothe, De la
Lumière et de son influence sur les différents corps de la nature, thèse
de médecine, Strasbourg, 1811  ;J.-F. Cauvin, Des Bienfaits de
l’insolation, thèse de médecine, Paris, 1815.
7. A. Bonnet, Traité des maladies des articulations, Paris, Baillière,
1845, 2 vol. et Traité des thérapeutiques des maladies articulaires,
Paris, Baillière, 1853.
8. En 1858, Charcot étudie le coup de soleil électrique qui provoque un
érythème semblable à celui provoqué par le soleil. Bouchard reprend
l’expérience de façon plus méthodique en 1862 et vérifie l’hypothèse
d’une action chimique de la lumière. En 1877, deux Anglais, Downes et
Blunt, observent le pouvoir bactéricide de la lumière. En 1893, le Danois
Niels Finsen publie Les Bases scientifiques de la photothérapie et de
l’héliothérapie (traduction française  : La Photothérapie, Paris, Carré et
Maud, 1899).
9. G. Andrieu, L’Homme et la force..., op. cit., p. 294.
10. Cf. par exemple  : J. Malgat, La Cure solaire de la tuberculose
pulmonaire à Nice, Nice, 1903 ; « La Cure solaire à Nice », H. Legrand,
Les Cures d’eaux, d’air et de régime chez les enfants, Paris, Baillière,
1910, p. 1-52 et L. Jaubert, La Pratique de la cure solaire à la mer,
Paris, Masson, 1914.
11. Auguste Rollier expose sa méthode, largement inspirée de Rikli, et ses
résultats lors du Congrès international de la tuberculose qui se tient à
Paris en 1905. Son ouvrage Die Heliotherapie der Tuberkulose (Berlin,
Sringer, 1913) est rapidement traduit : La Cure de soleil, Paris, Baillière,
1914.

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12. Notamment A. Almes, La Pratique de l’héliothérapie, Paris, Maloine,


1914 et P. F. Armand-Delille L’Héliothérapie, Paris, Masson, 1914.
13. G. Heller, «  La Cure intensive d’hygiène en Suisse. Les écoles de
plein air au début du xxe siècle » et J.-C. Coffin, « Paul-Félix Armand-
Delille. Vertu thérapeutique du milieu et action sociale en faveur de
l’enfance  », A.-M. Châtelet, D. Lerch, J.-N. Luc (dir.), L’École de plein
air. Une expérience pédagogique et architecturale dans l’Europe du xxe
siècle, Paris, 2003, p. 211-229.
14. H. Grasset, La Médecine naturiste..., op. cit., p. 443-444.
15. L. Landouzy, «  Discours inaugural  », Premier Congrès de
Physiothérapie des médecins de langue française, Poitiers, Bousrez,
1908, p. 6 (en majuscules dans le texte).
16. Parmi les nombreux traités d’hygiène qui s’inscrivent dans ce
courant, on peut citer ceux de J.-B. Fonssagrives : De la Régénération
physique de l’espèce humaine par l’hygiène de la famille, Paris, Baillière,
1867 et Entretiens familiers sur l’hygiène, Paris, Masson, 1867. Outre ses
ouvrages sur les bains de mer, A. T. Brochard publie aussi des traités
d’hygiène familiale : Guide pratique de la jeune mère, ou l’éducation du
nouveau né, Lyon, Josserand, 1874 ; Manuel pratique du sevrage, guide
des mères et des nourrices, Paris, Pion, 1876.
17. L. Landouzy, « Discours inaugural », op. cit., p. 6.
18. H. Legrand, Les Cures d’eaux, d’air et de régime chez les enfants,
op. cit., p. III-IV (c’est l’auteur qui souligne).
19. H. Grasset, La Médecine naturiste..., op. cit., p. 444.
20. A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France, Us médecins et la
procréation, xixe-xxe siècle, Paris, 1995 p. 81. Armand Delille, auteur de
traités sur l’héliothérapie, est également membre fondateur de cette
Société.
21. Selon F. Sandoz, Introduction à la thérapeutique naturiste par Us
agents physiques et diététiques, Paris, Steinheil, 1907, p. 9.
22. A. Monteuuis, Les Enfants aux bains de mer, Paris, Baillière, 1889,
p. 5.
23. L’article paraît ensuite sous forme de brochure : Les Bains d’air, de
lumière et de soleil dans le traitement des maladies chroniques, Paris,
Bruxelles, Baillière et Lamertin, 1904.
24. Ibidem, p. 8.
25. J.-B. Chauveau, Le Travail musculaire et l’énergie qu’il représente,
Paris, 1891 et La Vie et l’énergie chez l’animal, Paris, 1894.
26. G. Vigarello, Le Sain et le malsain. ,.,op. cit., p. 232-243 et G.
Andrieu, L’Homme et la force.. op. cit., p. 278.
27. A. Monteuuis, Les Bains d’air..., op. cit., p. 10.
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28. A. Monteuuis, Abdominales méconnues  : les déséquilibrés du


ventre sans ptose, thérapeutique pathogénique. Paris, Baillière, 1903.
29. A. Monteuuis, Les Bains d’air..., op. cit., p. 11.
30. Ibidem, p. 9.
31. Ibid., p. 11.
32. M. Boyer, L’Invention de la Côte d’Azur. L’hiver dans le Midi, La
Tour d’Aiguës, 2002, p. 11 sq.
33. « Le Sanatorium « Sylvabelle », La Réforme Alimentaire, 15 octobre
1905, p. 188.
34. Hygie, n° 39, janvier 1911, p. III. L’insertion dans cette rubrique
étant payante, on peut supposer que la liste n’est pas exhaustive.
35. «  Villa de repos Saint-Antoine  », Hygie, n° 21, juillet 1909, p. 190-
191.
36. Par exemple  : A. Monteuuis, La Cuisine chez soi. Ce qu’elle est, ce
qu’elle doit être, Nice, 1909 ; L’Usage chez soi des bains d’air, de lumière
et de soleil Nice, 1911 et La triple Hérésie du pain blanc et son remède
naturel Paris, Maloine, 1913.
37. F. Sandoz est le fils de l’ingénieur suisse qui a contribué à la diffusion
des médecines naturelles en France, dans les années 1890 (cf. chapitre
4).
38. F. Sandoz, Introduction à la thérapeutique naturiste..., op. cit., p.
27.
39. Ibidem, p. 8-13 et 29-33.
40. Ibid., p. 92 sq. Cf. également : Thérapeutique naturiste des maladies
aiguës. Que faire en attendant le médecin  ? Paris, Bruxelles, Société
Végétarienne de France, 1908 et La Cure atmosphérique (de Rikli).
Emploi systématique du bain de lumière et d’air et du bain de soleil,
Paris, Vigot, 1908.
41. F. Sandoz Introduction à la thérapeutique naturiste..., op. cit.,, p.
239.
42. Ibidem, p. 97 et 109 et La Cure atmosphérique (de Rikli)..., op. cit., p.
22.
43. « Un Établissement naturiste à Paris », La Réforme alimentaire, 15
février 1909, p. 71.
44. F. Sandoz, Traitement mécanique et thermique des raideurs
articulaires d’origine traumatique et infectieuse. Paris, Vigot, 1912.
45. S. Villaret , L’Évolution du naturisme et de l’éducation physique :
les influences réciproques (xixe siècle milieu du xxe siècle), doctorat en
STAPS, Université Lyon I, 2001, p. 249-322.

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46. A. P. Ouédraogo, Le Végétarisme, esquisse d’histoire sociale, Ivry-


sur-Seine, 1994, p. 91-92.
47. E. Bonnejoy, Le Végétarisme et le régime végétarien rationnel  :
dogmatisme, histoire, pratique, Paris, Baillière, 1891, p. 259.
48. M. Agulhon, « Le Sang des bêtes : le problème de la protection des
animaux en France au xixe siècle  », Histoire vagabonde, vol. I, Paris,
1988, p. 243-282.
49. Par exemple : A. Costes, Dissertation sur l’influence des alimens sur
le tempérament et les caractères, thèse de médecine, Montpellier, 1817
ou encore P. Debreyne, Essai philosophique sur l’influence comparative
du régime végétal et du régime animal sur le physique et le moral de
l’homme, Bruxelles, Vanderborght, 1847.
50. Dujardin-Beaumetz est lui-même végétarien, Landouzy collabore
occasionnellement avec la Société végétarienne de France.
51. E. Bonnejoy, Le Végétarisme..., op. cit., p. 41-42.
52. Par exemple : A. Monteuuis, « Le Lait caillé, élixir de longue vie et le
retour à la nature  », La Réforme alimentaire, 15 octobre 1905, p. 105-
178, 15 décembre 1905, p. 222-224 et 15 janvier 1906, p. 15-25.
53. E. Bonnejoy, Le Végétarisme..., op. cit., p. 258.
54. F. Sandoz, «  Une Visite au sanatorium de Finkenmühle en
Thuringe  », La Réforme alimentaire février 1902, p. 28-36 et Dr R.
Spohr, « Résultat du traitement sans médicaments des maladies aiguës
(fébriles)  » (traduit par F. Sandoz), ibidem, mars 1902, p. 45-48. Cf.
également E. NYSSENS, «  Sanatorium du Dr Lahmann, à Weisser
Hirsch par Dresde  », ibidem, avril 1903, p. 57-64  ; J. R.«  Une Cure à
Godesberg. Bains d’air et de lumière », ibidem, octobre 1903, p. 185-191
et novembre 1903, p. 201-205.
55. Par exemple : A. Monteuuis, « Les Bains d’air, de lumière, de soleil
et la cure d’air chez soi », La Réforme alimentaire, 15 mai 1904, p. 81-
94, 15 juin 1904, p. 101-115, 15 juillet 1904, p. 130- 134 et 15 août 1904, p.
144-150  ; F. Sandoz, «  Étude des méthodes naturistes  », Hygie, n° 16,
février 1909, p. 29-34  ; C. Cornet, «  En quoi est faux le système des
médicaments  », ibidem, n° 29, mars 1910, p. 70-74  ; B. Chauveau,
«  Bains d’air et bains de lumière  », La Réforme alimentaire, 15
septembre 1912, p. 240-244.
56. La Société végétarienne de France a été fondée à Paris en 1899. Pour
une étude des circonstances de sa naissance et de sa composition : A. P.
Ouédraogo, Le Végétarisme..., op. cit., p. 100-109.
57. P. Carton, La Tuberculose par arthritisme, étude clinique,
traitement rationnel et pratique, Paris, Maloine, 1911, p. 528-590.
58. « La Physiatrie », La Réforme alimentaire, 15 juillet 1912, p. 196.
59. E. Bonnejoy, Le Végétarisme..., op. cit., p. 258.
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3/12/21 19:26 Histoire du naturisme - Chapitre V. De la médecine à l’hygiène - Presses universitaires de Rennes

60. Cité par La Réforme alimentaire, 15 mars 1906, p. 80 (c’est l’auteur


qui souligne).
61. Par exemple : Dr Oberdoerffer, « Règles de la vie hygiénique », 15
septembre 1905, p. 153-167  ; V. Pauchet, «  Hygiène du vêtement  », 15
janvier 1910, p. 10-12 ou encore G. DANJOU, «  Pourquoi et comment
respirer », 15 avril 1910, p. 96-99.
62. «  Hygie  », Hygie, n° 1, novembre 1907, p. 2-4 (c’est l’auteur qui
souligne).
63. C. Cornet, «  Comment on jouit d’une bonne santé  », Hygie, n° 1,
novembre 1907, p. 18-20.
64. C. Cornet, « Les Lois de la santé », Hygie, n° 23, septembre 1909, p.
238 (c’est l’auteur qui souligne). Cf. aussi V. Pauchet, «  La Vie
hygiénique  », Hygie, n° 9, juillet 1908, p. 197-202 et les 22
«  commandements de la santé  » dans E. Nyessens-Varleysen, «  Pour
vivre cent ans », 15 avril 1913, p. 108-111.
65. « Produits végétariens », La Réforme alimentaire, 15 février 1905, p.
32.
66. JËM, « Un Événement dans le monde végétarien », Hygie, n° 6, avril
1908, p. 98-100 (c’est l’auteur qui souligne).
67. Dr J. Ioteyko et V. Kipiani, «  Enquête sur les végétariens de
Bruxelles », La Réforme alimentaire, 15 mars 1907, p. 53-54 (ce sont les
auteurs qui soulignent).
68. «  Assemblée générale, rapport du secrétaire  », La Réforme
alimentaire, 15 juin 1910,p. 153-154.
69. «  Établissements végétariens et naturistes  », La Réforme
alimentaire, 15 juillet 1912, p. 195.70. F. Sandoz, La Cure
atmosphérique (de Rikli)..., op. cit., p. 22.
70. F. Sandoz, La Cure atmosphérique (de Rikli)..., op. cit., p. 22

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BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre V. De la médecine à l’hygiène In:
Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature [en línea].
Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el 03
décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22881>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22881.
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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
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Histoire du naturisme

Le mythe du retour à la nature


Arnaud Baubérot

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Presses
universitaires
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Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre VI. Le
« végétaro-
naturisme » de la
Belle Époque
p. 137-157

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Texto completo

La réforme des modes de vie et ses enjeux


1 Alors que les théoriciens du naturisme concevaient celui-ci
comme une doctrine médicale et privilégiaient sa dimension
thérapeutique, sa réception par la mouvance végétarienne
lui donne une tournure sensiblement différente. Les revues
végétariennes tendent en effet à employer le terme de
naturisme pour désigner la pratique des bains d’eau, d’air et
de soleil, à des fins hygiéniques et prophylactiques, dans le
cadre de la vie quotidienne, plus que pour qualifier un
système médical particulier et le mode de traitement qui s’y
rapporte. De même, comme nous venons de le voir, la
fréquentation des sanatoriums naturistes par les militants
végétariens s’inscrit plus dans la logique du tourisme
sanitaire que dans la recherche d’un mode de cure pour des
affections spécifiques. Les écrits des médecins naturistes et
les établissements qu’ils dirigent participent ainsi à
l’élaboration, dans le milieu végétarien, d’un vaste
programme de réforme sanitaire des modes de vie. Toute
une dogmatique hygiénique s’élabore, que l’on peut qualifier
de «  végétaro-naturiste  » tant ces deux aspects de son
programme apparaissent indissolublement liés. La
littérature naturiste, les ouvrages et les revues végétariennes,
les conférences et les banquets organisés par la Société
végétarienne de France entretiennent les certitudes des
adeptes de la réforme des modes de vie, fournissent les
principaux arguments du discours apologétique et précisent
les modalités de la mise en oeuvre du programme
hygiénique. Les nouvelles des organisations végétariennes
étrangères et les reproductions d’articletirés de leurs
publications permettent, en outre, de dépasser le cadre d’un
végétarisme français numériquement insignifiant et offrent
le sentiment de participer à un plus vaste courant. Les
revues assurent enfin la publicité de tout un réseau
d’institutions (sanatoriums naturistes, établissements de
cure, gymnases, pensions et restaurants végétariens,
commerces de « produits hygiéniques » ...) qui permettent la

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pratique quotidienne de l’hygiène végétaro-naturiste. On


voit alors se dessiner les contours d’une culture-ou plutôt
d’une sous-culture-naturiste fondée sur la croyance
commune en la nécessité d’une régénération individuelle par
l’adoption d’un mode de vie particulier, jugé plus sain et plus
conforme aux «  lois de la nature  », et sur la contestation,
plus ou moins virulente, des pratiques sociales dominantes.
2 Il n’est probablement plus nécessaire de démontrer la façon
dont le discours médical, dans le courant du xixe siècle, se
consacre à la production de normes sociales et morales, non
plus que l’essor progressif de leur résonance sociale à
mesure que décline l’influence normative des Églises en
général et, en France, de l’Église catholique en particulier.
Médecins sociaux et hygiénistes de la Belle Époque,
confortés dans l’idée de la justesse et de l’urgence de leurs
positions par la menace des fléaux sociaux et l’angoisse de la
dégénérescence, s’engagent ainsi dans la promotion d’une
morale sociale propre à assurer la santé des populations et la
salubrité publique1. Abstinence, tempérance et frugalité
indiquent alors le chemin d’une régénération des corps et
des âmes qui, quoique ne promettant plus le salut pour l’au-
delà mais pour ici-bas, n’en conserve pas moins une saveur
dramatique puisque son enjeu n’est rien moins que la survie
de l’espèce. À bien des égards, le programme de réforme des
modes de vie adopté et promu par les adeptes du
végétarisme et du naturisme relaie ce moralisme sanitaire. Il
en reformule les préceptes pour les exprimer sous la forme
d’un catalogue de prescriptions hygiéniques applicables dans
la sphère individuelle et domestique. Certains médecins
sociaux témoignent, à ce titre, d’un intérêt appuyé pour
l’œuvre de la Société végétarienne de France. Ainsi, le
docteur Paul-Maurice Legrain, médecin aliéniste, apôtre de
la lutte contre l’alcoolisme et la dégénérescence, adhère à la
Société et lui propose ses services de conférencier2. De
même, le docteur Marcel Labbé, chef de laboratoire de la
clinique Laennec et auteur, avec son frère Henri et Louis
Landouzy, d’une étude sur l’hygiène alimentaire des ouvriers

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parisiens3, entretient des relations régulières avec les


militants de la Société.
3 Dans son essai sur l’histoire du végétarisme, Arouna
Ouédraogo souligne-avec justesse – les affinités du
végétarisme avec l’idéal ascétique de la bourgeoisie en pleine
ascension. Il l’associe, cependant, à l’hygiénisme
moralisateur d’un certain patronat soucieux d’inciter le
prolétariat à la tempérance et à la frugalité afin de pacifier
les relations sociales et d’assurer la production de force de
travail à moindre coût4. Or, force est de constater que si les
auteurs végétariens contestent à loisir les idées reçues-en
particulier dans les milieux populaires-sur la valeur
« énergisante » de la viande et de l’alcool et soutiennent que
la tempérance et le régime végétal rendent l’organisme plus
apte à l’effort, ces auteurs ne s’intéressent que rarement au
monde ouvrier en tant que tel. Lorsqu’ils le font, leurs
positions se rapprochent alors de celles des réformateurs
sociaux. Henri Collière, par exemple, auteur d’un long article
sur l’alimentation de la classe ouvrière, fonde son analyse
non seulement sur l’enquête de Landouzy et des frères
Labbé, mais également sur les travaux de Charles Gide et du
courant de l’économie sociale5. En réalité, comme Arouna
Ouédraogo le souligne lui-même, c’est en priorité à une
« élite intellectuelle », capable de s’affranchir des préjugés et
du sens commun en matière d’hygiène et de régime, que la
Société prétend s’adresser6. Plutôt que d’associer le
programme de réforme végétarienne et naturiste des mœurs
à une stratégie de contrôle social par l’extension de l’idéal
ascétique de la bourgeoisie aux inquiétantes classes
populaires urbaines, il nous semble donc plus juste de
suggérer que ce programme témoigne, au même titre que
l’évolution des pratiques balnéaires, l’essor de la culture
physique ou la naissance du camping, de l’émergence d’une
nouvelle sensibilité au corps chez certaines fractions des
couches urbaines aisées et cultivées.
4 Cette sensibilité se déploie dans deux directions. Elle se
traduit, d’une part, par une attention soutenue aux
conditions d’un libre épanouissement de l’organisme.

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Accusées de déformer le corps, d’altérer l’exercice de ses


fonctions ou de le solliciter dans un sens contraire à ses
dispositions naturelles, certaines pratiques sociales sont
condamnées sans appel. Ainsi en va-t-il du port du corset –
et plus généralement des vêtements étroits qui enferment et
compriment les organes-, de l’atmosphère confinée des
intérieurs bourgeois, du recours à la pharmacie chimique, de
la consommation croissante de viande, d’alcool et de
substances excitantes, censés épuiser artificiellement
l’appareil digestif, intoxiquer l’organisme et engager
l’individu sur la pente de la dégénération. Á l’opposé, les
soins corporels épurent le corps des poisons que transporte
l’atmosphère urbaine, tandis que l’exercice physique accroît
ses aptitudes et que le contact fluide de l’eau, de l’air et de la
lumière lui permet de s’épanouir librement dans son milieu
naturel et d’atteindre la plénitude de sa normalité.
L’hédonisme n’est pas absent, loin s’en faut, de cette
sensibilité, et l’attention aux appels du corps est aussi une
attention à ses plaisirs. Il convient, en la matière, de n’être
pas dupe des injonctions répétées à la frugalité et à la
modération. L’idéal ascétique érigé en vertu cardinale par la
bourgeoisie de la Belle Époque n’implique jamais le
renoncement au confort domestique ou aux joies de la
villégiature. De même, les promoteurs du végétarisme
rivalisent d’inventivité culinaire pour démontrer que sa
pratique est conciliable avec les plaisirs de la table. Les
propriétaires d’établissements naturistes, soucieux d’attirer
le chaland, ne cessent de vanter le luxe et la modernité de
leurs installations ainsi que les agréments du climat ou des
paysages du lieu où ils se sont implantés. Quant aux
médecins naturistes, ils dénoncent l’excessive rigueur de
l’hydrothéra pie froide de Priessnitz. Ils lui préfèrent
désormais la méthode Kneipp, plus douce et plus attentive
aux sensations du corps, et, de façon plus marquée dans la
première décennie du xxe siècle, la cure atmosphérique de
Rikli qui livre la peau dénudée à la caresse de l’air et du
soleil.

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5 La nouvelle sensibilité au corps s’accompagne, d’autre part,


d’une incontestable volonté de le contrôler. Les progrès
successifs de la physiologie ont révélé les subtilités de la
machine humaine et permis de mettre à jour les relations de
causalité qui la régissent, jusqu’à évacuer quasiment de son
fonctionnement le hasard et la Providence. La découverte
des mécanismes de la respiration et de la nutrition fait qu’il
n’est plus possible, pour quiconque détient quelques
rudiments de culture médicale, d’inspirer ou de manger
innocemment. Chaque modification des substances ingérées
ou aspirées peut se répercuter à l’infini dans les tréfonds
obscurs de l’organisme. Les thèses évolutionnistes, par
ailleurs, ont brisé l’image d’un corps immobile, se
reproduisant à l’identique depuis la nuit des temps, pour en
faire un objet mouvant, instable, susceptible de se
transformer sous l’influence de son environnement. Puisque
l’organisation et le fonctionnement du corps ne sont plus
perçus comme l’œuvre du Créateur qui, voyant «  que cela
était bon », les a fixés pour l’éternité, mais comme le résultat
d’une évolution déterminée par les conditions de l’existence,
l’homme se trouve soudain chargé de l’écrasante
responsabilité des modifications de son organisme. Le
programme de réforme hygiénique des modes de vie promu
par les adeptes du végétarisme et du naturisme apparaît
alors comme l’une des réponses à l’angoisse de voir les effets
délétères de la modernité opérer ces transformations et
conduire au déclin, voire à la disparition de l’espèce. Certes,
végétariens et naturistes n’ont pas le monopole de la hantise
de la dégénérescence et de la névrose « fin de siècle ». Ils y
apportent, cependant, une solution originale en prétendant
bouleverser les codes sociaux qui régissent l’alimentation, le
vêtement, l’habitat, l’hygiène, les pratiques thérapeutiques et
les rapports à l’environnement. L’attention soutenue à
l’alternance de l’activité et du repos, de la veille et du
sommeil, aux nourritures absorbées et à l’air respiré traduit
la volonté de contrôler minutieusement les facteurs
susceptibles de modifier l’économie humaine. La dénudation
du corps et son exposition aux éléments naturels visent à

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rendre l’organisme à son milieu primitif, à contrebalancer


l’influence néfaste de la ville, source d’étiolement et
d’épuisement nerveux, pour lui permettre de retrouver sa
vigueur physique et morale originelle. Derrière le projet
d’une réforme hygiénique des modes de vie se dessine ainsi
le rêve de donner à l’homme la maîtrise totale de son corps.
6 L’hygiénisme naturiste semble cristalliser les angoisses de
déclin, de chute, de rupture avec l’harmonie originelle que
génère l’accélération du progrès, de l’urbanisation et de
l’industrialisation. Alors que les effets de la modernité
viennent modifier de façon sensible les conditions de vie,
naturistes et végétariens expriment leur refus de ces
transformations en prônant la simplification de l’existence et
le retour à la nature. Leur programme de réforme hygiénique
assume donc pleinement la fonction sociale que Roger
Bastide attache aux phénomènes antimodernistes7 : celle de
dénoncer le coût social et humain du progrès matériel et
économique, de rappeler sans cesse la présence du vautour
dans le mythe prométhéen auquel la société française s’est
ralliée dans son ensemble. Le naturisme entretient
cependant des rapports complexes avec la modernité. D’une
part, il s’affirme systématiquement comme le fruit de la
science et d’une étude rationnelle des relations entre
conditions de vie et fonctionnement physiologique. «  Le
végétarisme et le naturisme, moyens rationnels pour
l’homme d’établir sa santé et de la conserver, affirme le
docteur Danjou, n’ont le droit d’exister que s’ils sont
soutenus et guidés par la science de plus en plus nécessaire à
l’homme des civilisations modernes pour éviter d’être broyé
dans les rouages meurtriers de ces civilisations8.  » Par
ailleurs, alors qu’il se construit sur le mode de la
contestation et oppose aux excès de l’existence moderne une
éthique puritaine exigeante, il apparaît également comme
l’expression de nouvelles aspirations des couches moyennes
et supérieures urbaines liées, précisément, au
développement de la modernité. La plus grande attention
que l’individu est invité à porter à son corps, à l’entretien de
celui-ci, à la satis faction de ses besoins, aux conditions de

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son développement comme aux plaisirs qu’il peut susciter


apparaît bien plus comme une conséquence culturelie de la
modernité que comme l’effet d’un retour à la nature et à
l’ordre passé sur lesquels le naturisme prétend se fonder.
7 Finalement, en dépit de son hostilité à l’égard de la médecine
pasteurienne et de la critique des mœurs que contient son
programme de réforme des modes de vie, le végétaro-
naturisme participe pleinement à une évolution culturelle
profonde qui tend à renouveler la place du corps dans la
société. Les affinités qu’il entretient avec un large courant de
militantisme en faveur de réformes sociales, qui émerge
entre la fin du xixe et le début du xxe siècle, montre
également que le végétaro-naturisme, loin d’être un
archaïsme, est bien un produit de la modernité qu’il
conteste.

Végétaro-naturisme et dégénérescence
8 Lors de l’assemblée générale de 1910, Jean Morand signale
qu’au 31 décembre 1909, la Société végétarienne de France
comptait 383 membres actifs (qui pratiquent le
végétarisme), 354 membres associés (qui s’intéressent au
végétarisme sans le pratiquer), sept membres d’honneur et
correspondants et 21 membres inscrits par anticipation pour
1910, soit un total de 765 adhérents9. Toutefois, malgré ce
nombre fort modeste, les militants de la Société végétarienne
ne constituent pas un groupe marginal. L’étude de leurs
revues révèle les relations qu’ils entretiennent avec un vaste
réseau d’organisations dont les objectifs variés rencontrent,
sur de nombreux points, le programme de réforme qu’ils
défendent. Ainsi les adeptes du naturisme et du végétarisme
se trouvent-ils intégrés à une «  nébuleuse réformatrice10  »,
univers aux contours imprécis dans lequel une multitude
d’associations, de sociétés et de ligues défendent les
différents aspects d’un vaste projet de réforme sociale,
parfois seules, parfois en interaction les unes avec les autres,
sans obéir aux plans d’une stratégie commune, mais
néanmoins entraînées dans un mouvement d’ensemble11.
Notre propos ne vise pas ici à démêler l’écheveau du
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réformisme hygiéniste de la Belle Époque, ni à dresser la


liste des institutions et des individus qui l’animent. Il s’agit
plutôt pour nous de souligner les affinités particulières
qu’entretient le militantisme végétaro-naturiste avec un
ensemble d’organisations et de milieux réformateurs afin de
montrer que son propre programme de réforme des modes
de vie se déploie sur un terrain plus étendu que son seul
domaine d’engagement.
9 Exhortant sans cesse leurs lecteurs à appliquer les préceptes
de l’hygiène individuelle, les revues végétariennes sont
conduites à s’intéresser à d’autres associations œuvrant dans
un sens analogue. Cet intérêt peut être relative ment
épisodique, comme dans le cas de la Société pour l’hygiène
du vête ment, dont La Réforme alimentaire salue l’existence
en septembre 1902, du mouvement des écoles de plein air ou
encore de la Société française contre la vaccination12. Lors de
la séance du 13 avril 1912 de la Société végétarienne de
France, par exemple, une liste d’adhésion à la Société
française contre la vaccination est déposée sur le bureau et
reçoit un certain nombre de signatures. Avec d’autres
milieux, les relations sont plus suivies. Les militants
végétariens font ainsi preuve d’un intérêt marqué pour
différentes initiatives en faveur de l’éducation physique.
Ainsi, en mai 1910, La Réforme alimentaire annonce la
fondation de la Ligue française de l’éducation physique au
sein de laquelle une membre active de la Société
végétarienne, mademoiselle Blanche Chauveau, préside une
Association féminine d’éducation physique13. En mars 1913,
la revue annonce la tenue à Paris du Congrès international
de l’éducation physique. Le docteur Danjou y est nommé
rapporteur pour la question de l’éducation physique de la
femme et Blanche Chauveau chargée de «  l’éducation
physique de la jeune fille dans ses rapports avec l’éducation
ménagère14 ». À partir de septembre 1913, celle-ci donne un
cours hebdomadaire de culture physique au Gymnase Spirus
Gay, dans le cadre de la Section d’éducation physique et de
sports de la Société végétarienne de France. Dans un autre
registre d’idées, les promoteurs du végétarisme et du

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naturisme témoignent d’une sensibilité particulière à l’égard


de certains thèmes développés dans le milieu des
réformateurs sociaux. Nous avons déjà souligné l’accueil
favorable que la Société végétarienne avait réservé à
l’enquête de Louis Landouzy et des frères Labbé sur les
mœurs alimentaires du monde ouvrier. On peut également
évoquer le cas des campagnes en faveur des cités-jardins ou
des jardins ouvriers que certains médecins végétariens
s’attachent à relayer activement. Le docteur Danjou, par
exemple, dans une communication au IIe Congrès
international d’assainissement et de salubrité de
l’habitation, appelle à «  la suppression des îlots insalubres
des villes, petites et grandes » et à leur remplacement « soit
par des cités-jardins, comme cela a lieu en Angleterre et
comme y pousse l’Association des cités-jardins de France,
soit par des jardins ouvriers quand il y a lieu, soit par des
jardins populaires [...] soit par des jardins d’enfants
analogues à ceux de Berlin15 ».
10 Cependant, c’est avec des associations engagées dans la lutte
contre le tabagisme et l’alcoolisme que la mouvance
végétarienne entretient les relations les plus étroites. La
rencontre des adversaires de la viande, du tabac et de l’alcool
s’opère sur le terrain commun du combat contre la
tuberculose et conduit les militants du végétarisme et du
naturisme à dépasser la thématique de l’hygiène individuelle
qui leur est chère pour s’engager activement en faveur de
l’hygiène sociale. En 1905, le docteur Georges Petit,
secrétaire général de la Société contre l’abus du tabac et de la
Société internationale contre la tuberculose, donne une
conférence sur l’alimentation des tuberculeux, à la Société
végétarienne de France16. L’orateur y dénonce les méthodes
de cure par suralimentation, et notamment le recours à la
viande crue, pour leur opposer le régime lacto-végétarien.
Un an plus tard, la Société l’accueille à nouveau pour une
conférence consacrée aux effets du tabac dans l’organisme.
Dans la salle, aux côtés des dirigeants végétariens, siège M.
Schaer-Vézinet, secrétaire général de la Ligue antialcoolique.

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Dans son compte rendu de la soirée, Henri Collière souligne


les liens qui unissent ces trois organisations :
«  "Quels rapports cette question du tabac peut-elle avoir
avec le Végétarisme  ?" demande le Dr Georges Petit. C’est
que, comme le disait M. Morand, et selon la conception que
s’en font tous les végétariens, le végétarisme englobe le
problème de l’hygiène générale. e là les liens étroits qui
resserrent ces trois ligues : la Société végétarienne, la Ligue
antialcoolique et la Société contre l’abus du tabac, à tel point
qu’on se représenterait volontiers le conférencier de ce soir,
c’est-à-dire le secrétaire général de la dernière de ces ligues,
donnant le bras aux présidents des deux autres, MM. les Dr
Grand et Schaer-Vézinet.

Ces trois ligues, en effet, poursuivent une idée commune,


sont guidées par un même idéal ; elles se donnent la main et
s’entraident. Toutes trois tendent au perfectionnement de la
race17. »

11 La même année, Petit et Schaer-Vézinet se rencontrent à


nouveau en Suisse lors d’un Congrès antialcoolique et
décident d’organiser un Congrès international d’hygiène
pratique à Paris. Celui-ci, prévu pour la fin du mois de
septembre 1907, est placé sous la présidence du professeur
Blanchard, membre de l’Académie de médecine, et la
première de ses huit sections, consacrée à l’hygiène
alimentaire, est tout entière dévolue aux cadres de la Société
végétarienne de France18. Par ailleurs, Georges Petit devient,
dans les années suivantes, l’un des conférenciers attitrés de
la Société et un collaborateur occasionnel des revues
végétariennes. On le retrouve également en août 1910, aux
côtés des docteurs Danjou, Nyssens, Pascault et Sosnowska,
cadres des Sociétés végétariennes de France et de Belgique,
parmi les membres d’une Société de médecins abstinents des
pays de langue latine19. Enfin, les affinités qu’entretient le
militantisme végétarien avec les associations engagées dans
la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme conduisent les
revues végétariennes à rendre régulièrement compte des
travaux et des publications de la Société contre l’abus du
tabac et de la Ligue antialcoolique, ainsi qu’à relayer les
diverses initiatives du docteur Legrain.

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12 Cet engagement de la mouvance végétarienne et naturiste au


sein d’une « nébuleuse réformatrice » mobilisée pour la lutte
contre les fléaux sociaux et la promotion de l’hygiène sociale
s’accompagne d’une évolution sensible du discours de
certains de ses militants. La thématique de la dégénération,
dont nous avons déjà souligné l’importance dans la
justification des règles d’hygiène individuelle, prend, chez
certains auteurs, une tournure plus dramatique et
commence à être envisagée à l’échelle collective. Ceux-ci
dépassent alors la dialectique de l’étiolement et de
l’aguerrissement de l’individu par le respect des «  règles de
la santé  » pour s’intéresser à la question de la réforme des
modes de vie à travers la question de la dégénérescence de
l’espèce et le problème de l’hérédité morbide.
13 Georges Vigarello a montré la façon dont a émergé, au début
du xixe siècle, l’idée d’une «  détérioration croissante de la
race en France » puis, sous l’influence d’un néo-lamarckisme
pessimiste, la thèse d’une évolution à rebours menaçant la
survie de l’espèce. La lecture du Traité des dégénérescences
de Morel, une interprétation largement distordue des
théories de Darwin et le traumatisme de la défaite de 1870
ont conforté dans leurs positions ceux que hantait la menace
du déclin20. Ainsi, la crainte d’un affaiblissement généralisé,
les ravages produits par l’extension de la tuberculose et de
l’alcoolisme et la croyance en la transmission héréditaire des
tares acquises poussent de nombreux médecins à s’engager,
à partir des années 1880, en faveur de l’hygiène publique et
dans la lutte contre les fléaux sociaux.
14 Le milieu végétaro-naturiste, en revanche, ne se montre que
tardive ment réceptif à l’hypothèse de la dégénérescence.
Longtemps, en effet, son programme hygiénique se
concentre sur la prescription d’un mode de vie susceptible
d’éviter la dégénération de l’individu, hors de toute
considération sur la race et sur l’hérédité. Certes, les
médecins végétariens sont sensibles aux alarmes de la
médecine sociale et trouvent dans les formules lapidaires
d’un Landouzy-« l’alcoolisme fait le lit de la tuberculose »-ou
d’un Hayem-«  la phtisie se prend sur le zinc  »-la

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confirmation de la justesse de leurs injonctions en faveur de


l’abstinence. Mais c’est l’individu qu’il s’agit de régénérer en
l’invitant à réformer son mode de vie. Les « règles de la vie
saine  » sont toujours présentées comme un moyen de
prolonger l’existence, dans la logique de l’hygiénisme
classique des Lumières, jamais comme une condition
nécessaire à la procréation d’une descendance saine et à la
survie de l’espèce.
15 À partir de 1906, pourtant, l’idée que la dégénération
n’affecte pas seule ment l’individu mais la «  race  » tout
entière commence à apparaître dans les milieux du
militantisme végétaro-naturiste. Ainsi, le docteur Danjou,
lors d’une conférence donnée à l’Association nationale de
préparation des jeunes gens au service militaire, affirme :
«  C’est pour avoir oublié ou méconnu les règles
fondamentales [de la sobriété] que les vieilles races de
l’Europe se voient fauchées chaque jour d’avantage par des
fléaux qui ont nom arthritisme, tuberculose, alcoolisme,
véritables maladies sociales, fruits pourris d’une civilisation
à rebours.[...]

et l’arthritisme par suralimentation est apparu avec tout son


cortège désastreux de manifestations variées dont le Dr
Maurel, de Toulouse, nous a donné un si saisissant tableau
dans la série des générations échelonnées sur le «  ruban
arthritique » qui conduit à l’extinction de l’espèce21. »

16 La notion d’arthritisme, employée comme synonyme du


concept hippocratique de diathèse pour expliquer les
prédispositions individuelles à certaines maladies
chroniques, est utilisée couramment par les médecins
végétariens. Les travaux des pathologistes qui, comme
Bouchard, Landouzy et Glénard, attribuent l’arthritisme à
diverses défaillances de l’appareildiges tif, leur offrent des
arguments de poids pour affirmer le rôle déterminant des
organes de la nutrition dans la conservation de la santé. Or,
la question de l’arthritisme est aussi intimement liée à celle
de l’hérédité. Il est en effet communément admis par les
pathologistes que ces prédispositions morbides revêtent un
caractère essentiellement familial et héréditaire. Dans un
premier temps, les promoteurs du végétarisme se sont
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démarqués de ce point devue. En affirmant que les


défaillances de l’appareil digestif résultaient des excès
alimentaires eux-mêmes et des entorses commises aux
règles de l’hygiène, ils faisaient de l’arthritisme un caractère
principalement acquis. La lecture des traités
22
populationnistes et eugénistes du docteur Maurel vient
cependant infléchir le point de vue de certains médecins
végétariens et naturistes. Ils y puisent l’idée que les tares
acquises à cause des fautes alimentaires et hygiéniques
génèrent un arthritisme qui se transmet à la génération
suivante, s’aggrave et conduit les familles sur la pente du
déclin. Le docteur Pascault, par exemple, dans son ouvrage
L’Arthritismepar suralimentation, s’attache à démontrer
que le « tempérament morbide » des « arthritiques avérés »
est toujours précédé par une ou deux générations de sujets
vigoureux, doués d’une santé exubérante, qui se sont livrés à
des excès de toutes natures23. De même, Albert Monteuuis
ouvre son essai L’Alimentation et la cuisine naturelle dans le
monde en déclarant sans ambages que «  l’alimentation
moderne ruine la santé des individus comme la vigueur de la
race ». Puis, un peu plus loin :
«  Pareille nourriture, loin de conserver la force physique et
la santé, est le grand générateur de l’arthritisme et de la
sclérose. Non seulement elle atteint les individus, mais elle
fait déchoir la race à vue d’œil.

Si les pères qui ne se consolent pas de se retrouver dégénérés


et amoindris dans leurs rejetons, sont si nombreux à notre
époque, ce n’est pas tant l’arthritisme héréditaire que notre
mauvaise hygiène générale et alimentaire qu’il faut
incriminer.

Le langage des faits vaut, pour convaincre, mieux que toutes


les considérations théoriques  ; or, il démontre jusqu’à
l’évidence que jamais la décadence de notre race ne fut aussi
rapide.

Pour en avoir une idée, il suffit de jeter les yeux sur le


tableau de la famille arthritique [...]

Avec la façon moderne de se nourrir et de soigner sa santé,


dès la seconde génération une famille bourgeoise est
généralement arthritique.

La troisième en connaît souvent les manifestations graves  :

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obésité, diabète, gravelle, albuminurie, névropathie,


neurasthénie.

La décadence va s’accentuant à ce point que si la famille ne


se régénère pas dans la nature, soit par la vie champêtre, soit
par une alliance avec un paysan, sa lignée s’éteint vers la
cinquième ou sixième génération. [...]

Dans le même ordre d’idées, rien n’est suggestif comme


l’exemple de Paris, la ville-lumière par excellence, pour
mettre en évidence les résultats de la vie moderne. Or la
manière de vivre actuelle y amène une telle déchéance de la
race qu’il est absolument exceptionnel qu’une famille ait
plus de quatre générations24. »

17 De manière analogue, le docteur Carton, dans ses ouvrages


et ses conférences à la Société végétarienne, développe
longuement la façon dont les mœurs alimentaires
contemporaines entraînent les familles et la race dans le
cycle infernal de l’hérédité morbide :
«  À la troisième génération, l’hyperfonctionnement n’existe
plus, les réactions cellulaires sont épuisées, le ralentissement
vital est définitivement établi, c’est la génération des gros
troubles  : diabète, albuminurie, etc., qui traduisent des
lésions organiques profondes, irrémédiables et qui marquent
la dégénérescence finale d’une famille qui fut belle cinquante
ans plus tôt. Dans ces cas, l’extinction de la race est activée,
comme l’a montré Maurel, avec une extraordinaire
clairvoyance, par la prédominance des filles dans la
descendance, d’autres fois par l’infécondité ou par l’éclosion
de complications graves : le cancer ou la tuberculose25. »

18 Au-delà des pathologies directement imputables à


l’arthritisme, la proliération des aliénés, la multiplication des
suicides et des meurtres apparaissent également comme
autant de témoignages incontestables de la
dégénérescence26. L’alimentation n’est d’ailleurs pas seule en
cause. Adepte des théories de Spencer, Carton dénonce de
façon particulièrement violente les conséquences néfastes de
l’hygiène publique et de l’assistance qui produisent une
« sélection à rebours » et contribuent à la multiplication des
dégénérés :
« C’est l’absence de sélection naturelle, conséquence de nos
mesures hygiéniques modernes, qui nous a conduits là, en
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éloignant de tous les affaiblis les causes de maladies qui les


supprimeraient, et qui fait que main tenant les organismes
tarés pullulent. Cette pléthore d’anormaux nous oblige à leur
réserver tous nos soins et par suite à nous soucier trop peu
de ce qui devrait être l’objet de notre entière sollicitude,
c’est-à-dire de la culture des organismes sains. [...]

Des ressources très importantes sont ainsi immobilisées à


garder ces déchets de l’humanité qui seraient certes mieux
employées à contribuer au plein épanouissement des
individus normaux. Et faute de temps et d’argent, nous
sommes amenés à laisser s’atrophier des énergies qui ne
demanderaient qu’à resplendir ; nous étouffons des génies à
cultiver des malformés. [...]

Cependant, les enseignements du naturisme sont là pour


nous démontrer combien nous faisons fausse route en
essayant de réintroduire dans la société des individus
atteints de trop graves insuffisances physiques ou mentales.
Ils nous apprennent que la sélection naturelle a de tout
temps fait bon marché de ces organismes épuisés et
nuisibles au progrès. [...] Quand, sur un continent, par suite
des fautes alimentaires, qui en réalité ont été de tout temps
les grands motifs de dégénérescence de l’humanité, les races
s’abâtardissaient, le manque de résistance de la plupart des
organismes favorisait au plus haut point l’apparition et la
dissémination des foyers de peste, de variole noire, de
choléra, qui, en balayant quelques centaines de milliers
d’individus débiles ou moins résistants, opéraient de cette
façon brutale et rapide la sélection naturelle de l’espèce
humaine. [...] Actuellement, ces moyens de sélection
naturelle n’existent plus et nous sommes en passe, si nous
n’y mettons bon ordre en appliquant avec énergie les
données du naturisme scientifique, de voir la race humaine
verser dans la débilité incurable et dégénérer au point de
compromettre son existence même27. »

19 Si dramatique que puisse être le mode sur lequel elles


s’expriment, les thèses soutenues par ces médecins
naturistes et végétariens tiennent, à cette époque, du lieu
commun. Leurs analyses des causes et des mécanismes de la
dégénérescence ne diffèrent en rien de celles que propose
l’abondante littérature consacrée, depuis plusieurs décennies
déjà, à ce sujet28. Leur originalité tient, en revanche, au
caractère tardif de leur apparition et à leur relative rareté
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dans les colonnes des revues et parmi les ouvrages consacrés


au végétarisme et au naturisme. Il est en effet remarquable
que le milieu du militantisme végétarien, qui dénonce depuis
les années 1890 les méfaits des conditions de vie moderne,
de la consommation d’alcool et des excès alimentaires, ne se
montre réellement sensible à l’hypothèse de la
dégénérescence qu’à la fin de la première décennie du xxe
siècle. Encore la majeure partie de la production littéraire
végétarienne et naturiste reste-t-elle, jusqu’à la Grande
Guerre, principalement dédiée aux thèmes habituels de la
santé et du bien-être individuels et de l’allongement de
l’existence. Par ailleurs, les remèdes à la dégénérescence
proposés par les auteurs qui s’y consacrent restent
conformes au programme de réforme hygiénique des modes
de vie promu par le milieu végétaro-naturiste. L’adoption
d’une alimentation rationnelle et l’obéissance aux règles de
l’hygiène individuelle sont toujours présentées comme les
mesures les plus efficaces pour enrayer le cycle de l’hérédité
morbide. La violente diatribe de Carton contre la
prolifération des dégénérés n’aboutit, elle-même, qu’à un
appel optimiste en faveur de la vie saine :
«  Apprenons simplement à conformer nos méthodes
d’hygiène aux lois de la vie et à les appliquer en harmonie
avec notre physiologie. En un mot, au lieu d’entraver
inconsciemment la sélection naturelle par des mesures
extrinsèques de préservation morbide qui nous font redouter
le contact de l’eau non stérilisée, les courants d’air, les
rayons du soleil, la consommation des fruits et légumes crus,
etc., sous prétexte d’éviter les prédispositions infectieuses, et
qui nous privent ainsi des précieuses excitations de nos
éléments de vie, il est autrement rationnel et utile d’aider la
nature à rendre nos organes de plus en plus forts, en leur
fournissant la seule alimentation qui leur soit appropriée : la
nourriture végétarienne, et en augmentant leur valeur vitale,
grâce aux pratiques de la culture physique, de l’aérothérapie
(bains d’air), de l’héliothérapie (bains de soleil). [...] Il est
grand temps de modérer ce mouvement antimicrobien,
d’établir un contre-courant naturiste et d’enseigner que le
meilleur mode de préservation contre les infections et les
infirmités réside dans le développement de toutes les raisons

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d’accroissement de vigueur et de résistance du terrain


humain. Qu’importe le microbe, si l’organisme n’est pas
défaillant ! »

20 Et Carton de conclure  : «  Du naturisme seul, nous devons


donc attendre le remède à la dégénérescence qui nous mine
et la venue de générations pleines de vie et de santé29. »
21 Seul le docteur Danjou, parmi les quelques auteurs
naturistes et végétariens qui accordent de l’importance au
thème de la dégénérescence, s’intéresse à des solutions plus
spécifiquement eugéniques et se penche sur la question des
conditions de la procréation. Dans une communication à la
Conférence internationale des Ligues sociales d’acheteurs,
qui se tient à Genève en 1908, il se fait le promoteur de
« quatre grandes réformes », l’eugénisme associé à l’hygiène
alimentaire, à l’hygiène publique et au progrès social, « sans
lesquelles toute tentative visant à la paix sociale et
l’harmonie universelle restera toujours [...] sans effet » :
« 

1. 1°La procréation de l’espèce humaine ; elle doit être, de


la part des générateurs, consciente, opportune, limitée,
mise à l’abri des conséquences pénibles, d’une
sensualité maladive et d’une sentimentalité irréfléchie.
[...]
2. 2°La Réforme alimentaire, dans le sens où la
comprennent les sociétés végétariennes. [...]
3. 3°La création de l’habitation (maison de famille, usine,
atelier, etc.) dans les conditions de salubrité,
d’assainissement et d’agrément où la conçoit
"l’Association des Cités-Jardins de France". [...]
4. 4°La limitation du travail social à la journée de huit
heures : actuellement, le plus souvent, il ne reste aucun
temps à l’ouvrier pour la culture éthique et esthétique
de sa personnalité. Je demande, après bien d’autres,
que les conditions du travail des femmes n’entravent
pas et ne compromettent pas leur fonction de génitrice,
actuellement rendue trop souvent plus pénible pour elle
que pour la bête par les duretés de la civilisation30. »

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22 Ainsi le médecin niçois intègre-t-il le contrôle de la


procréation au vaste projet réformateur défendu par les
végétariens et les naturistes. Encore ce contrôle reste-t-il
l’œuvre du procréateur lui-même. La préoccupation
eugénique de Danjou se traduit par un appel à la
responsabilité individuelle, sur un mode analogue aux
prescriptions en matière d’hygiène alimentaire, et non par la
revendication de mesures collectives ou coercitives. En
matière d’hygiène publique, son propos reste imprégné du
même libéralisme et Danjou n’en vient pas à préconiser
ouvertement l’intervention réglementaire de la puissance
publique. De même, lors de son allocution devant la Section
de pédiatrie du Congrès international de la tuberculose de
Barcelone, en 1910, Danjou affirme :
« 

1. 1° Les générateurs doivent se reconnaître le droit de


procréer seule ment quand ils se trouvent en parfait état
de santé et d’équilibre psycho physiologique, en bonne
voie de perfectionnement moral. Régie par ces
conditions essentielles, la procréation doit être
consciente, réfléchie et opportune.
2. 2 ° Il y a lieu de conseiller la pratique pendant la
grossesse d’une hygiène complète en tous points et la
suppression de tout surmenage alimentaire, physique,
intellectuel, moral (plaisirs et chagrins exagérés). [...]
3. 3 ° La peau [...] doit être l’objet de soins spéciaux par
l’utilisation des agents cosmiques (air, soleil, eau, etc.),
dont l’usage sera réglé suivant des contingences de
lieux, de personne, de milieu social.
4. 4 ° Le vêtement sera l’objet de préoccupations spéciales
visant à n’apporter aucune gêne à aucune fonction, ni
dans l’exécution journalière, nécessaire, des
mouvements hygiéniques essentiels, selon la méthode
de Ling. Cette pratique paraîtra d’autant plus
indispensable, si l’on veut bien se rappeler la facilité
avec laquelle les femmes enceintes souffrent des
inconvénients de l’auto-intoxication constante dans

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l’état puerpéral et qui les conduit souvent à la mort


(albuminurie, éclampsie, etc.) ou à la folie31. »

23 Ici encore, le projet eugénique ne débouche pas sur l’appel


au volontarisme étatique. Le médecin conseille, éduque,
mais c’est toujours l’individu, en dernier ressort, qui doit
rester maître de disposer librement :
« En conformité de sa communication, le Dr G. Danjou (de
Nice), au nom des sociétés végétariennes de France et de
Belgique et de la Ligue végétarienne de Catalogne, émet le
vœu suivant :

"Le Congrès, considérant que la culture scientifique et


raisonnée de l’espèce humaine contribue dans une large
mesure à l’évolution du progrès, au bonheur des individus et
des nations, émet le vœu :

1. 1 °Qu’il soit institué des cours d’hygiène générale dans


les écoles de petites filles  ; des cours de puériculture
dans les écoles de demoiselles.
2. 2 °Que ces cours soient donnés par des médecins
techniques et compétents32. »

24 En 1913, lors du Congrès international d’éducation physique


de Paris, Danjou ajoute à ces considérations-qu’il reprend
presque mot pour mot – l’idée d’un «  enseignement
opportun et circonstancié "d’initiation sexuelle" de façon à
mettre [les deux sexes] à l’abri des conséquences, le plus
souvent désastreuses, des erreurs et des dérèglements
génésiques33  ». Conformément à l’opinion qui domine chez
les médecins eugénistes français, il ne saurait être question
de promouvoir un eugénisme d’Etat, collectif et autoritaire,
mais plutôt de confier à l’autorité et à la compétence du
médecin le soin d’éduquer les individus et les familles34.
Ainsi, malgré le pessimisme de leurs constats et la tonalité
dramatique de leurs prises de parole, l’eugénisme des
médecins végétariens et naturistes, à l’instar de leur
hygiénisme, reste profondément libéral, optimiste et
individualiste. Jamais ils n’abandonnent la conviction que
l’individu, éclairé par les lumières de la raison et les
arguments du médecin, saura se plier aux conditions d’une
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existence saine, naturelle et rationnelle, pour le plus grand


bien des générations futures et de l’humanité toute entière.

Aux marges de la réforme hygiénique des


modes de vie
25 L’intérêt des milieux végétariens et naturistes pour les
différents projets de réforme individuelle et sociale formulés
en dehors de leur cercle aussi, au-delà des chemins balisés
de la médecine et de l’hygiène. Les théories du magnétisme
et de l’autosuggestion, par exemple, reçoivent un accueil
particulièrement favorable de la part des revues
végétariennes. En novembre 1907, La Réforme alimentaire
rend compte d’une conférence donnée par l’ingénieur
bruxellois Paul Nyssens à la Société végétarienne de
Belgique et consacrée à la «  culture humaine  ». Celle-ci,
explique l’orateur, «  embrasse à la fois la culture physique
(gymnastique suédoise, hygiène et alimentation rationnelle)
et la culture mentale ». Nyssens expose ensuite la façon dont
l’autosuggestion peut permettre de créer de nouvelles
habitudes mentales et physiques et d’améliorer le caractère.
Le texte de sa conférence est publié à partir du mois suivant
par la revue Hygie qui insère également une publicité pour
son Institut de culture humaine de Bruxelles35. Certains
médecins végétariens se montrent eux-mêmes adeptes du
traitement psychique et de l’autosuggestion. Le docteur
Pascault, par exemple, dans un article intitulé «  Moral et
maladie  », affirme que l’on ne peut se contenter de traiter
l’arthritisme par l’alimentation et l’hygiène  : «  À côté du
physique, il y a le moral. Or, ce moral est souvent lui aussi
malade et peut par répercussion influencer l’état physique de
la manière la plus fâcheuse. » Il importe donc, à ses yeux, en
même temps que l’on guérit le corps, de soigner le moral par
«  éducation de la raison et de la volonté  » et par la
« pratique de l’autosuggestion36 ».
26 Éclipsée, dans la deuxième moitié du xixe siècle, par la
physiologie positiviste attachée à déterminer les lois
générales qui règlent les processus pathologiques et par les
succès de la microbiologie, l’idée d’une influence des
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troubles psychiques sur les symptômes corporels trouve, à


partir des travaux de Charcot sur les névroses, le chemin de
sa réhabilitation37. Il ne fait aucun doute que pour certains
médecins, héritiers du courant vitaliste, la démonstration du
rôle que peut jouer le psychisme dans l’apparition ou la
disparition des dérèglements somatiques vient confirmer de
manière éclatante, sur un mode rationnel et
scientifiquement acceptable, les anciennes assertions du
vitalisme et notamment la thèse de l’existence d’une force
vitale abstraite responsable de l’ordre et des désordres du
corps. Les tenants de la prépondérance des causes internes
dans la production des maladies ne manqueront d’ailleurs
pas de compter les déséquilibres psychiques parmi les agents
morbides et les facteurs de dégénérescence. Qu’on
l’appréhende comme cause – l’intellectuel surmené ou
l’épuisé nerveux à l’organisme étiolé, par exemple-ou comme
effet-l’alcoolique devenant aliéné ou le crétin-né, produit de
l’hérédité morbide –, la pathologie mentale occupe
également une place de choix dans les alarmes des médecins
engagés en faveur de l’hygiène sociale et de l’eugénisme.
Enfin, le caractère obscur de la responsabilité du psychisme
dans la production de la santé et de la maladie encourage
certains médecins à pousser l’étude du rôle morbide et de
l’utilisation thérapeutique des phénomènes psychiques
jusqu’aux sphères scientifiquement douteuses du
magnétisme ou de l’occultisme. On pense, par exemple, à
Charles Richet, prix Nobel de médecine en 1913 et membre
fondateur de la Société française d’eugénique, qui s’intéresse
par ailleurs au magnétisme et aux phénomènes dits
« métapsychiques », ou encore à Joseph Grasset, professeur
de clinique médicale puis de pathologie générale à
Montpellier et chef de file des néo-vitalistes montpelliérains,
qui s’intéresse dans ses écrits à l’hypnotisme et à
l’occultisme38. Il n’est pas surprenant, dès lors, de voir les
militants végétariens et naturistes, convaincus de la causalité
interne et du caractère général des maladies, s’intéresser
également à leurs causes psychiques. Par ailleurs, l’idée
selon laquelle il serait possible de cultiver les facultés

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psychiques de l’homme afin d’accroître ses capacités


d’autocontrôlé mental, émotionnel et corporel semble
répondre en tous points au projet de maîtrise totale du corps
par la réforme hygiénique qui anime le monde végétaro-
naturiste.
27 Quoique plus éloignés encore de toutes considérations
sanitaires ou médicales, d’autres objets de réforme suscitent
épisodiquement l’intérêt des milieux végétariens et
naturistes. Ainsi une certaine sensibilité pacifiste se
manifeste-t-elle de façon occasionnelle dans ces milieux,
encouragée probablement par la régularité de leurs contacts
internationaux. Le docteur Danjou, par exemple, fervent
partisan de la constitution d’une Fédération végétarienne
internationale, souligne parmi divers arguments que celle-ci
pourrait « contribuer à la paix mondiale, étant acceptée par
des hommes qui s’interdisent d’attaquer, de tuer ». « Ce sont
les végétariens, précise-t-il, qui ont depuis longtemps donné
le bon exemple de l’entente cordiale par la fraternité des
rapports qui les unissent39.  » La montée des tensions inter
nationales, au début des années 1910, n’infléchit pas
l’attitude des militants végétariens dont les revues
continuent de publier les recensions de la presse et des
ouvrages végétariens allemands et de recommander les
sanatoriums naturistes d’outre-Rhin. Lors de la séance du 13
avril 1912 de la Société végétarienne de France, une
« Pétition universelle en faveur du règlement sans guerre des
conflits entre les États  » est proposée aux participants.
Craignant qu’elle ne passe inaperçue, le président de la
Société, le docteur Jules Grand, lance un nouvel appel en sa
faveur dans La Réforme alimentaire du mois de juin. Après
avoir proclamé qu’une telle manifestation ne peut laisser
indifférents les végétariens dignes de ce nom, il appelle de
ses vœux «  une ère nouvelle [...] où, libérée, enfin, de ce
cauchemar de la guerre ou de la paix armée, moins cruelle
mais aussi désastreuse, l’humanité s’avancera [...] vers
l’accomplissement de sa destinée glorieuse  ; une ère où la
tête aura été détrônée par le cœur et où l’égoïsme desséchant

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aura cessé de faire voir à l’homme, dans tout homme qu’il


trouve sur son chemin, un adversaire au lieu d’un frère40 ».
28 De nombreux indices montrent également que les milieux
végétariens et naturistes sont sensibles à une certaine forme
de féminisme. Bien qu’aucune position ne soit explicitement
prise en faveur de l’émancipation des femmes ou de l’égalité
des sexes, le rôle joué par certaines femmes médecins dans
la Société végétarienne de France, comme le docteur Ioteyko
ou le docteur Sonowska, vice-présidente de la Société,
témoigne d’une incontestable ouverture dans ce domaine.
De même, la promotion de l’éducation physique féminine,
défendue dans les revues végétariennes par le docteur
Danjou et par Blanche Chauveau, révèle une incontestable
prise de distance par rapport aux codes qui encadrent le rôle
social de la femme dans la bourgeoisie de la Belle Époque.
29 Enfin, il convient de souligner les liens particuliers
qu’entretiennent le végétarisme et la théosophie. Fondée à
New York en 1875, par la Britannique d’origine russe H. P.
Blavatsky et par l’Américain H. S. Olcott, la Société
théosophique essaime en Europe à la fin du xixe siècle. Sans
véritable programme doctrinal, elle se fixe principalement
trois buts : « a/Former le noyau d’une fraternité universelle ;
b/encourager l’étude de toutes les religions, de la
philosophie et de la science ; c/étudier les lois de la Nature
ainsi que les pouvoirs psychiques et spirituels de
l’homme41.  » De façon plus générale, elle prétend opérer la
synthèse entre les apports spirituels de l’Orient et de
l’Occident-élaborant ainsi un vague syncrétisme ésotérique
forte ment imprégné de bouddhisme et d’hindouisme-et
œuvrer en faveur du progrès social. Les premières loges
théosophiques sont apparues en France à la fin des années
1880 dans des cercles occultistes, spirites ou magnétistes et
dans certains milieux socialistes spiritualistes. La théosophie
française reste très marginale et sujette à des crises
régulières jusqu’à ce que Charles Blech réussisse à en fédérer
les différents courants au sein de la Société théosophique de
France en 1908. Elle connaît alors un certain essor jusqu’à la
fin des années trente42.

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30 L’intérêt des théosophes pour les religions orientales, et plus


spécifique ment pour le bouddhisme et l’hindouisme, les
conduit souvent à adopter le régime végétarien. Anna
Kingsford, par exemple, dont la thèse de médecine, De
l’Alimentation végétale chez l’homme, soutenue à Paris en
1880, est considérée comme l’un des écrits fondateurs du
végétarisme moderne, fréquenta les premières loges
théosophiques parisiennes avant de fonder, à Londres, une
Société hermétique en lien avec la Société théosophique43. e
militantisme végétarien et le courant théosophique
partagent aussi un même idéal progressiste et réformateur –
au sens anglo-saxon des termes – qui se déploie à la fois en
direction de projets de réformes sociales et d’un programme
de réforme individuelle. Ces affinités déterminent
l’engagement d’un certain nombre de théosophes dans la
Société végétarienne de France. Ainsi le docteur Jules
Grand, Jérôme Morand et le Commandant Courmes,
respectivement président, secrétaire général et membre du
Comité de la Société végétarienne, sont-ils également
membres de la Société théosophique de France. Toutefois, la
stricte neutralité politique et religieuse que s’imposent la
Société végétarienne et sa revue et l’absence de toute
considération spirituelle ou métaphysique dans les
arguments avancés en faveur du végétarisme ne laissent
transparaître aucun lien formel entre les deux sociétés.
31 Indépendante de la Société végétarienne, la revue Hygie
exprime en revanche plus ouvertement les sympathies
théosophiques de son directeur et fondateur Jérôme
Morand. En décembre 1909, elle propose la recension de
l’ouvrage Échappées sur l’occultisme (ancien et moderne)
de Charles-Webster Leadbeater, ancien pasteur anglican,
membre dirigeant de la théosophie internationale. Puis, en
1910, la revue publie deux articles de Leadbeater  :
«  Végétarisme et occultisme  » et «  Raisons occultes du
végétarisme44 ».
32 C’est également un jeune théosophe, le dentiste Jacques
Demarquette, qui fonde en mars 1912 un Groupe d’action
végétarienne au sein de la Société végétarienne de France

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dans le but d’intensifier sa propagande en direction des


milieux populaires et de faciliter la pratique du végétarisme
et du naturisme par des réalisations concrètes, comme la
création de restaurants ou de commerces de produits
hygiéniques à bon marché45. La création de ce groupe doit
probablement être reliée aux efforts que déploie, à la même
époque, le secrétaire général de la Société théosophique,
Charles Blech, pour encourager et coordonner l’action des
théosophes dans les œuvres progressistes et
46
philanthropiques . À la veille de la Guerre, le groupe qui
s’appelle désormais Le Trait d’Union-rassemble environ 80
membres et bénéficie du soutien actif de la Société
théosophique. Il compte à son actif l’organisation d’un
banquet végétarien et de quelques conférences, la réalisation
d’un tract de propagande et de tableaux graphiques pour une
exposition itinérante d’hygiène sociale47.
33 Le rôle joué par les théosophes dans les différentes
initiatives en faveur de la diffusion du végétarisme et leur
présence à la tête de la Société végétarienne de France ont
pu conduire certains auteurs à considérer que cette dernière
émanait de la Société théosophique. C’est le cas notamment
de René Guénon qui cite la Société végétarienne de France
parmi les «  organisations auxiliaires de la Société de
théosophie48 ». Le docteur Monteuuis lui-même membre de
la Société végétarienne de France, quoique ayant pris
quelques distances avec elle – a également dénoncé les
tendances théosophiques du milieu végétarien :
«  Sans nul doute, parmi les végétariens, il existe bien des
esprits distingués qui restent fidèles à la doctrine ; toutefois,
ce qui frappe quand on observe, c’est que le plus souvent
leur adhésion au végétarisme n’est pas une question
d’hygiène alimentaire, mais un dogme philosophique ou
religieux. Les tendances non douteuses de l’esprit qui inspire
le journal Hygie en sont un convaincant exemple. À notre
époque on est surtout végétarien non par hygiène, mais
parce qu’on est théosophe ou bouddhiste, mais parce qu’on
croit à la réincarnation, qu’on ne veut pas manger ses frères
inférieurs49. »

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34 Finalement, la présence remarquable des théosophes dans la


mouvance végétaro-naturiste découle certainement autant
de la proximité qu’entre tiennent ces deux milieux du point
de vue de leurs idéaux réformateurs que de la façon dont la
Société théosophique encourage ses adeptes à s’engager dans
les œuvres sociales et philanthropiques les plus diverses. On
peut supposer, d’ailleurs, que la sensibilité du milieu
végétarien au pacifisme et à un certain féminisme, domaines
dans lesquels les théosophes sont particulièrement actifs, ou
que l’intérêt pour la cure mentale et le traitement psychique
sont, au moins en partie, liés à cette présence. Ainsi, le rôle
joué par des membres de la Société théosophique de France-
dont on sait qu’elle fut l’une des principales matrices de la
« nébuleuse mystique-ésotérique50 » en Europe occidentale-
dans la diffusion du naturisme et du végétarisme à la Belle
Époque semble confirmer l’intégration de ceux-ci à une
sous-culture dont les implications dépassent largement le
strict domaine de l’hygiène et de la santé pour atteindre
parfois la dimension d’une véritable Weltanschauung.

Notas
1. Notamment  : A. Corbin, «  Le Péril vénérien au début du siècle  :
prophylaxie sanitaire et prophylaxie morale », Murard Lion et
Zylberman Patrick (dir.), L’Haleine des faubourgs. Ville, habitat et santé
au xixe siècle, Paris, Recherches, 1977-29, p. 245-284; P. Guillaume, Du
Désespoir au salut..., op. cit., p. 131-169 et D. Nourrisson, Le Buveur du
xixe siècle, Paris, 1990, p. 179-195.
2. Parmi les ouvrages de P.-M. Legrain : De la Dégénérescence de
l’espèce humaine, Paris, 1892  ; Dégénérescence sociale et alcoolisme,
Paris, Carré, 1895  ; avec V. Magnan, Les Dégénérés. État mental et
syndromes épisodiques, Paris, Rueff, 1895. Le Dr Legrain est aussi
directeur des Annales antialcooliques. En mars 1910, il donne une
conférence sur «  Les Mérites réciproques de l’abstinence d’alcool et de
l’abstinence de viande » à la Société végétarienne de France, puis, en
avril 1912, sur «  Le Végétarisme, l’abstinence et les problèmes
économiques » (La Réforme alimentaire, 15 juin 1911, p. 136 et 15 avril
1912, p. 144).
3. H. Labbé, M. Labbé, L. Landouzy, Hygiène sociale. Enquête sur
l’alimentation d’une centaine d’ouvriers et d’employés parisiens, Paris,
Masson, 1905 (étude présentée lord du Congrès international de la
tuberculose de 1905).

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4. A. P. Ouédraogo, Le Végétarisme..., op. cit., p. 93-95.


5. H. Coluere, «  L’Alimentation de la classe ouvrière », La Réforme
alimentaire, 15 août 1906, p. 181-192 et 15 septembre 1906, p. 206-219.
6. A. P. Ouédraogo, Le Végétarisme..., op. cit., p. 100.
7. R. Bastide, Le Sacré sauvage, op. cit., p. 181
8. Lettre du Dr Danjou au Dr E. Nyssens, président de la Société
végétarienne de Belgique et directeur de La Réforme alimentaire (citée
par La Réforme alimentaire, 15 novembre 1909, p. 308).
9. «  Assemblée générale. Rapport du secrétaire  », La Réforme
alimentaire, 15 juin 1910, p. 152.
10. L’expression de «  nébuleuse réformatrice » est empruntée à Ch.
Topalov qui en donne une définition dans : « Les "Réformateurs" et leurs
réseaux  : enjeux d’un objet de recherche », Ch. Topalov (dir.),
Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses
réseaux en France, 1880-1914, Paris, 1999, p. 12.
11. C’est une nébuleuse de ce type que décrit James C. Whorton dans son
histoire de l’hygiène sociale aux États-Unis (Crusaders for Fitness. The
History of American Health Reformers, Princeton, 1982). Cf.
égalementissembaum, Sex, Diet and Debility in Jacksonian America.
Sylvester Graham and Health Reform, Westport, 1980 et R. C. ENGS,
Clean Living Movements : American cycles of health reform, Wesport,
2 000.
12. «  Société pour l’hygiène du vêtement », La Réforme alimentaire,
septembre 1902, p. 178; Mme Caronbrieux. «  Les Écoles de plein air et
l’éducation respiratoire », ibidem, 15 août 1909, p. 216 Dr Génévrier,
« Les Écoles de plein air de Rome », ibidem, 15 novembre 1912, p. 288-
292; Dr Boucher, « Sur l’inutilité de la vaccine vis-à-vis de la variole et
les conséquences meurtrières des inoculations vaccinales et autres »,
ibidem, 15 novembre 1912, p. 275-288.
13. « Ligue française de l’éducation physique », La Réforme alimentaire,
15 mai 1910, p. 130-131 et Hygie, n° 40, février 1911, p. 31
14. La Réforme alimentaire, 15 mars 1913, p. 84-88 et G. Danjou,
« Éducation physique de la femme »ibidem, p. 68-72.
15. G. Danjou, «  De la Nécessité et des moyens de régler la
transformation des îlots insalubres dans les villes », La Réforme
alimentaire, 15 octobre 1906, p. 239. Cf. également le compte rendu de la
conférence d’Henri Collière à la Société végétarienne de France sur « Les
Jardins ouvriers » (Hygie, n° 20, juin 1909, p. 146).
16. G. Petit, «  L’Alimentation des tuberculeux », La Réforme
alimentaire, 15 juin 1905, p. 93-106.
17. La Réforme alimentaire, 15 août 1906, p. 200-202. Contrairement à
ce qu’affirme l’auteur, Schaer-Vézinet est secrétaire général de la Ligue
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antialcoolique. Son ouvrage L’Art de bien se porter et les ravages de


l’alcoolisme (Paris, La Prospérité, 1904) est diffusé par la Société
végétarienne de France.
18. «  Congrès international d’hygiène pratique », La Réforme
alimentaire, 15 octobre 1906, p. 248-251 ; 15 novembre 1906, p. 273-276
et 15 janvier 1907, p. 20-22.
19. «  Société de médecins abstinents des pays de langue latine », La
Réforme alimentaire, 15 août 1910 p. 199-201.
20. G. Vigarello, Le Corps redressé..., op. cit., p. 88-97.
21. G. Danjou , «  Régénération sociale », La Réforme alimentaire, 15
août 1906, p. 193-194.
22. E. Maurel, De la Dépopulation de la France, étude sur la natalité,
Paris, Doin, 1896 et Causes de notre dépopulation. Relèvement de notre
natalité, secours à la vieillesse, Paris, Doin, 1902
23. L. Pascault, L’Arthritisme par suralimentation, Paris, Maloine,
1908.
24. A. Monteuuis, L’Alimentation et la cuisine naturelle dans le monde,
Paris, Maloine, 1907, p. 5-7 (c’est l’auteur qui souligne).
25. P. Carton, La Tuberculose par arthritisme..., op. cit., p. 18-19.
26. P. Carton, «  La Cure de la tuberculose par le végétarisme », La
Réforme alimentaire, 15octobre 1911, p. 220. Cf. également l’article
anonyme, « Dépopulation et folie » et J.-H. Kellogg, « La Race se meurt
», ibidem, 15 juin 1909, p. 229-233.
27. P. Carton, «  Les Progrès de l’hygiène et la sélection naturelle de
l’humanité », Hygie, n° 49 15 novembre 1911, p. 197-198.
28. A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France..., op. cit., p. 87 sq.
29. P. Carton, « Les Progrès de l’hygiène... », op. cit., p. 200-201.
30. G. Danjou, « Quatre grandes Réformes », La Réforme alimentaire,
15 octobre 1908, p. 303-306.
31. G. Danjou, «  L’Action combinée des Sociétés végétariennes de
France, Belgique et Catalogne au 1er Congrès espagnol international de la
tuberculose », La Réforme alimentaire, 15 novembre 1910 p. 262-263.
32. Ibidem, p. 264.
33. G. Danjou, «  Éducation physique de la femme », La Réforme
alimentaire, 15 mars 1913, p. 69 (C’est l’auteur qui souligne).
34. A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France..., op. cit., p. 285 sq.
35. La Réforme alimentaire, 15 novembre 1907, p. 276  ; P. Nyssens,
« Culture humaine », Hygie, n° 1, novembre 1907, p. 21-22, n° 4, février
1908, p. 43-45, n° 5, mars 1908, p. 81-83, n° 6, avril 1908, p. 112-114, n°
7 mai 1908, p. 145-147, n° 8, juin 1908, p. 204-206, n° 9, juillet 1908, p.
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234-236 et n° 10, août 1908, p. 299-301. Paul Nyssens ne doit pas être
confondu avec son homonyme le docteur Ernest Nyssens, président de la
Société végétarienne de Belgique. 7, mai 1908, p. 145-147, n° 8, juin
1908, p. 204-206, n° 9, juillet 1908, p. 234-236 et n° 10, août 1908, p.
299-301. Paul Nyssens ne doit pas être confondu avec son homonyme le
docteur Ernest Nyssens, président de la Société végétarienne de
Belgique.
36. L. Pascault, «  Moral et maladie. Traitement psychique », La
Réforme alimentaire, 15 décembre 1907, p. 283.
37. M. Grmek, « Le Concept de maladie », M. Grmek (dir.), Histoire de
la pensée médicale en Occident, vol. 3, op. cit., p. 165.
38. J. Grasset, L’Hypnotisme et la suggestion, Paris, Doin, 1903 et
L’Occultisme hier et aujourd’hui, Montpellier, Coulet, 1907. Catholique
et convaincu que la religion seule a sa place aux côtés de la science dans
les systèmes de pensée modernes, il s’efforce toutefois de ramener
l’occultisme à de justes proportions (cf. J.-P. Laurant, L’Ésotérisme
chrétien en France au xixe siècle, Paris, 1992, p. 30).
39. G. Danjou, « Fédérons-nous ! Communication du Dr G. Danjou (de
Nice) au Congrès végétarien de Manchester, le 14 octobre 1907 », La
Réforme alimentaire, 15 décembre 1907, p. 280.
40. J. Grand, « Pour la paix », La Réforme alimentaire, 15 juin 1912, p.
157-158.
41. A. Faivre, L’Ésotérisme, Paris, 1992, p. 94; cf. également P. A.
Riffard, L’Ésotérisme. Qu’est-ce que l’ésotérisme, anthologie de
l’ésotérisme occidental, Paris, 1990, p. 108-109 et 814-819.
42. J. Godwin, The Beginning of Theosophy in France, London, 1989 et
J.-P. Laurant, L’Ésotérisme chrétien...,op. cit., p. 139-150 et 163-167.
43. Ibidem, p. 139 et A. Faivre, L’Ésotérisme, op. cit., p. 95.
44. Ch.-W. Leadbeater, «  Végétarisme et occultisme », Hygie, n° 28,
février 1910, p. 31-34 et n° 29, mars 1910, p. 63-66; « Raisons occultes du
végétarisme », ibidem, n° 36, octobre 1910, p. 283-286, n° 37, novembre
1910, p. 309-311 et n° 38, décembre 1910, p. 339-341.
45. «  Groupe d’action végétarienne », La Réforme alimentaire, 15 mai
1912, p. 146-147.
46. A. Baubérot, «  Blech Charles » et «  Demarquette Jacques », J.-P.
Chantin (dir.). Les Marges du christianisme. «  Sectes », dissidences,
ésotérisme. Dictionnaire du monde religieux dans la France
contemporaine : vol. 10, Paris, 2001, p. 17-18 et 68-69.
47. « Le Trait d’Union », La Réforme alimentaire, 15 juillet 1914, p. 191-
192.
48. R. Guénon, Le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion, Paris,
1965 [19211 p. 255 et 268. Ces pages font partie des notes additionnelles
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à la 2e édition de l’ouvrage, publiée en 1928.


49. A. Monteuuis, L’Alimentation..., op. cit., 5e édition (1913), p. 54.
50. F. Champion, «  Religieux flottant, éclectisme et syncrétismes », J.
Delumeau, Le Fait religieux Paris, 1993, p. 741-772.

© Presses universitaires de Rennes, 2004

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Referencia electrónica del capítulo


BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre VI. Le «  végétaro-naturisme  » de la
Belle Époque In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature
[en línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el
03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22882>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22882.

Referencia electrónica del libro


BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
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Histoire du naturisme
Le mythe du retour à la nature
Arnaud Baubérot

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Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre VII. Un
naturisme
millénariste
p. 165-181

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Le cercle des Naturiens libertaires


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1 Le soir du 16 avril 1895, à l'appel du peintre montmartrois


Émile Gravelle, une poignée d'anarchistes se réunit dans la
salle d'un marchand de vin de la rue Blanche pour donner
naissance au groupe des Naturiens libertaires. Peu structuré,
sans marque formelle d'adhésion ni cotisation, ce groupe se
propose de rassembler «  tous ceux qu'intéresse le retour à
l'état de nature1  » en organisant des réunions
hebdomadaires et des conférences publiques. Annoncées
dans la presse libertaire, ces rencontres sont étroite ment
surveillées par la préfecture de police. «  Au cours de ces
réunions, rapporte un indicateur, on discute parfois
l'organisation d'un phalanstère que Gravelle rêve de créer en
France même et dont les sociétaires seraient tenus de vivre à
l'état naturel.  » Le rapport précise tout de même que «  la
propagande qu'ils mènent est plus extravagante que
dangereuse et n'a guère servi, jusqu'à ce jour, qu'à défrayer
la chronique de quelques journaux2  ». Les naturiens sont
peu nombreux : l'assistance à leurs réunions hebdomadaires
oscille entre cinq et treize personnes, leurs conférences
mensuelles et leurs banquets n'attirent jamais plus de 50
participants. Toutefois, la régularité de leurs rencontres
tranche sur l'atonie que connaît l'anarchisme parisien depuis
la vague de répression de 1894. C'est probablement ce qui
explique l'intensité de la surveillance dont les Naturiens sont
l'objet, alors même que leurs théories sont jugées sans
portée politique sérieuse, intensité liée à la fois à l'intérêt de
la préfecture pour les rares groupes actifs et au fait que ces
groupes attirent une population de militants parmi lesquels
la police recrute ses informateurs. En effet, malgré la
petitesse du groupe, la préfecture dispose de quatre sources
d'informations régulières et d'autant de sources
d'informations irrégulières concernant les activités
naturiennes.
2 Fondateur et principal inspirateur du groupe, le dessinateur
Emile Gravelle est né à Douai en 1855. Il commence à faire
parler de lui dans les milieux libertaires de Montmartre en
juillet 1894, lorsque paraît le premier numéro de L'État
naturel et la part du prolétaire dans la civilisation, journal

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de quatre pages dans lequel il expose ses idées sur le retour à


la nature. Aux côtés de gravures mettant en scène la vie
idéalisée des hommes préhistoriques, Gravelle y proclame sa
nostalgie des cavernes et sa haine de la civilisation, source de
toutes les misères du temps. Bien qu'il ne fasse pas
ouvertement de profession de foi politique, la tonalité
libertaire du journal lui assure un certain succès auprès des
anarchistes. Le second numéro de L'État naturel paraît au
mois de février 1895 et précède de peu la constitution du
groupe des Naturiens. À la même époque, Gravelle
commence à fournir des dessins aux journaux libertaires Le
Monde Nouveau et La Sociale. Il est également l'un des
dessinateurs attitrés du périodique antisémite La Libre
Parole illustrée. Deux rapports transmis à la préfecture de
police de Paris, en août et octobre 1895, soulignent les
amitiés que Gravelle entretient dans les milieux
nationalistes, jusqu'à Drumont lui-même3. Malgré leur
caractère apparemment paradoxal, ces relations troubles ne
doivent pas surprendre. Nationalistes antisémites et
anarchistes, qui partagent une même aversion pour la
république parlementaire et le capitalisme libéral, se
retrouvent parfois sur le terrain de la contestation4.
3 Autour de Gravelle se dessine un petit cercle de fidèles,
présents lors de la majorité des réunions5. Jules Bariol, tout
d'abord, est l'une des figures du Montmartre artistique.
Directeur de La Correspondance théâtrale, collaborateur du
journal littéraire Le Phare de Montmartre, membre du
Cercle d'études sociales des artistes de la scène, il préside
également les Harmoniens, groupe à vocation sociale et
artistique fondé au début de l'année 1894. Comme les
réunions naturiennes, les rencontres des Harmoniens
permettent à des militants anarchistes de se rassembler sans
faire explicitement référence à un projet politique libertaire
et donc, croient-ils, sans attirer l'attention de la préfecture
de police. Véritable organisateur du groupe, Bariol fait
insérer les annonces des réunions et conférences dans la
presse libertaire, préside la plupart des séances et organise
des banquets naturiens pour lesquels il obtient le concours

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de chansonniers, de musiciens ou de comédiens. Autre pilier


des Naturiens et habitué des Harmoniens, Henri Beaulieu
(pseudonyme de Henri Beylie) est un jeune employé de
banque, âgé de 25 ans. Ancien sous-officier des bataillons
d'Afrique, dégradé pour révolte et protestation collective6, il
fréquente les milieux libertaires de Montmartre depuis son
retour en métropole. De deux ans son cadet, Henri Zisly est
un fils d'ouvriers, autodidacte et passionné par le
journalisme. Depuis l'âge de 17 ans il envoie ses articles à
différents périodiques socialistes. En 1893, il a lancé un petit
journal autographe, Le Paria, rédigé dans un français
approximatif et dont quelques exemplaires furent diffusés à
Montmartre. À défaut de célébrité, Le Paria lui valut d'être
identifié comme anarchiste par les services de la préfecture
de police de Paris7 et arrêté le 25 février 1894 pour
participation à une association de malfaiteurs. Toutefois, ce
«  jeune homme sobre et rangé, vivant seul avec sa mère de
65 ans, à qui il donne tout son argent8  » fut rapidement
relâché. Zisly fréquente assidûment les réunions naturiennes
à partir du printemps 1895. En août, il lance le journal La
Nouvelle Humanité dont les vingt numéros, qui paraissent
de manière irrégulière jusqu'en décembre 1898, offrent une
tribune aux membres des Naturiens et des Harmoniens. En
juillet 1897, il entre comme lampiste à la Compagnie des
chemins de fer du Nord. Zisly mène dès lors une double
carrière de modeste cheminot et de publiciste anarchiste,
adressant sans relâche ses articles aux journaux libertaires
français et étrangers. De Léo Brissac, en revanche, nous ne
savons que peu de choses. Il assiste aux réunions
naturiennes depuis la fondation du groupe et participe
également aux séances du cercle anarchiste individualiste
L'Individu libre. À la suite d'une violente altercation avec
Gravelle, en octobre 1896, il rompt avec le groupe des
Naturiens9 .Honoré Bigot et Alfred Marné ne sont guère
mieux connus. Le premier est ouvrier  ; le second est décrit
par les indicateurs de la préfecture comme un cordonnier
bohème, adepte de l'estampage, accumulant les dettes
impayées auprès de ses compagnons anarchistes. Ils entrent

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en contact avec les Naturiens à l'occasion d'un banquet


organisé par le groupe, le 28 septembre 1895. Un mois plus
tard, ils fondent les Naturiens de la Bastille dont les
rencontres se tiennent de façon moins régulière dans un café
de la rue du Faubourg Saint-Antoine.
4 Outre ce noyau de sept naturiens militants, les rapports de
police font apparaître un ensemble de douze personnes dont
la présence aux réunions du groupe est signalée entre trois et
vingt fois en deux ans. Il s'agit, pour la plupart d'entre eux,
d'anarchistes de la butte Montmartre, comme Eugène
Renard, dit Georges, qui renseigne la préfecture sous le
pseudonyme de Finot10, Rappelin, un ancien secrétaire de
commissariat de police devenu menuisier11 le chansonnier
Paul Paillette, l'acrobate Spirus Gay, socialiste alle- maniste
venu à l'anarchisme et principal animateur du Cercle
d'études sociales des artistes de la scène et de l'orchestre,
Guillemart, Noël Bertier ou Paul Pinet dont on retrouve les
noms dans les rapports de surveillance des autres groupes
libertaires du quartier. Si certains, comme Rappelin ou
Paillette, se déclarent parfois Naturiens, d'autres, comme
Georges ou Bertier, assistent aux réunions en tant
qu'anarchistes et n'hésitent pas à contester les théories de
Gravelle. Un nombre non négligeable de membres du groupe
des Harmoniens figure aussi parmi ces assidus aux réunions
des Naturiens, comme l'ouvrier tapissier Gustave Mayence,
qui collabore avec Zisly à l'édition de La Nouvelle Humanité,
Louis Martin, ancien marchand de chapeaux devenu
«  philosophe anarchiste montmartrois  » ou le comédien
Mowbray, fondateur et animateur du cercle d'études sociales
L'Avenir théâtral.
5 Autour de ce cercle d'habitués des rencontres naturiennes
gravite une population plus flottante. Sur 94 participants
identifiés et nommés par les informateurs de la préfecture,
75 ne sont cités qu'une ou deux fois entre 1895 et 1897.
Même en admettant que des personnes présentes aient pu
être reconnues par certains indicateurs et non par d'autres,
on constate que la part des adeptes réguliers est fort réduite
en regard de celle des participants très occasionnels. Parmi

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ceux-ci, on retrouve des noms de militants libertaires


connus  : Victor Barrucand, littérateur et conférencier
anarchiste ; Brunet, animateur du Groupe des Libertaires du
XIVe arrondissement.  ; Deherme, l'un des animateurs du
groupe L'Individu libre  ; Octave Martinet, pharmacien,
ancien blanquiste et membre de la Chevalerie du travail
française ; Émile Pouget, rédacteur du Père Peinard et de La
Sociale  ; Prost, un alle- maniste passé à l'anarchisme  ;
Joseph Tortelier, ouvrier menuisier anarchiste,
propagandiste de la grève générale, et Paul Robin, connu
pour son engagement en faveur du néo-malthusianisme.
6 Profondément bouleversé par les conséquences de la vague
d'attentats de 1892-1894, le milieu anarchiste est alors en
pleine transformation. L'échec des poseurs de bombe a
confirmé l'inefficacité politique de la «  propagande par le
fait  » et impose la recherche d'une tactique alternative au
terrorisme individuel. Dans le même temps, la répression
policière a entraîné la désorganisation presque complète des
cadres habituels du militantisme libertaire. La dissolution
des cercles d'études sociales, la disparition de la presse,
l'arrestation ou l'exil des principaux meneurs ont provoqué
la déroute de l'anarchisme tel qu'il avait pu s'affirmer dans la
décennie précédente. Privés de ce qui structurait à la fois
leur engagement politique et une part importante de leur vie
sociale, bon nombre de militants reconsidèrent leurs
préventions à l'égard de l'action syndicale. Prônée par
certains théoriciens depuis le début des années 1890,
l'entrée dans les syndicats apparaît désormais comme une
nouvelle stratégie révolutionnaire porteuse d'avenir12. Ce
tournant de l'anarchisme est également lié aux mutations
sociales qui s'opèrent à cette époque. La petite entreprise
artisanale et urbaine, laminée par la dépression économique
qui sévit depuis le début des années 1870, est définitive ment
supplantée par la grande industrie. On assiste alors à une
profonde transformation du monde du travail : l'autonomie
et la mobilité ouvrières sont peu à peu brisées par les
règlements des grands établissements, les qualifications
traditionnelles dévalorisées par la mécanisation et le savoir

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scientifique13. Les militants anarchistes, qui sont


généralement issus du monde de l'échoppe et de l'atelier,
subissent de plein fouet la crise de la petite industrie.
Contraints par la peur du chômage à renoncer à leur
indépendance, ils abandonnent leurs habitudes de
«  trimardeurs  » et travaillent avec plus de régularité. Ils
intègrent peu à peu le prolétariat des grands établissements
industriels, qui émerge alors et dont l'identité collective
trouve en partie son expression, sur le terrain de la lutte
sociale, dans le syndicat. Toutefois, le double essor de la
grande industrie et de l'anarchosyndicalisme laisse subsister
à ses marges quelques poignées de militants aussi rétifs à
l'encasernement ouvrier qu'à la discipline qu'exige l'action
collective. Cette nébuleuse anarchiste individualiste se
caractérise moins par l'adhésion à un projet politique précis
que par son commun refus du syndicalisme, son absence de
confiance dans les capacités révolutionnaires des masses et
son rejet absolu de toute forme d'autorité14. Or, c'est
précisément de cette nébuleuse, minoritaire et marginale au
sein du mouvement anarchiste, que sont issus les
participants aux réunions naturiennes. Outre quelques
employés et quelques artistes de second plan, on y retrouve
principalement des ouvriers du bâtiment ou de la petite
entreprise  : cordonniers, chapeliers, ouvriers sculpteurs,
tapissiers ou menuisiers, emprunts d'une culture
révolutionnaire ancienne, propre au prolétariat artisanal de
la capitale et marquée par la permanence d'un certain
«  esprit sans-culotte  » qui explique les affinités possibles
avec l'allemanisme, le blanquisme ou le nationalisme.
Profondément individualiste, leur militantisme s'épanouit en
marge des syndicats et des partis, dans les réunions peu
formelles des cercles libertaires. Loin des grandes
concentrations industrielles dans lesquelles la classe
ouvrière se stabilise et se sédentarise, ce vieux prolétariat
montmartrois vit encore à la frontière d'un univers de
vagabonds, d'estampeurs et de déclassés. Certains, comme
Beaulieu ou Zisly, parviennent à une relative intégration
sociale grâce au confort ténu que leur assure leur situation

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d'employés. D'autres, comme Alfred Marné, s'enferment


progressivement dans la marginalité et payent d'un grand
dénuement leur hostilité viscérale envers toute autorité.
7 À bien des égards, le cercle des Naturiens, comme d'autres
groupes qui se constituent entre la fin de l'année 1895 et le
début de l'année 1896, prolonge les formes particulières du
militantisme et de la sociabilité anarchistes des années
1880-1890. Ses réunions peu formelles, où les causeries
alternent avec les chansons ou les poésies, relèvent moins de
l'action politique que de l'expression d'une sous-culture
urbaine et populaire de facture liber taire. La présence, lors
des banquets et conférences du groupe des Naturiens, d'un
nombre important d'individus dont l'identité échappe aux
indicateurs de la préfecture, semble bien indiquer que la
participation à ces soirées est moins motivée par l'adhésion
aux théories de Gravelle sur le retour à la nature que par
l'attachement à une forme de sociabilité particulière. Quant
à ceux dont le nom est cité dans les rapports de police, ils
apparaissent aussi généralement parmi les participants à
d'autres cercles libertaires. Les Naturiens se trouvent donc
insérés dans un réseau lâche de groupes plus ou moins
éphémères, porteurs de cette sous-culture populaire. Ils s'en
distinguent cependant sur deux points. D'une part, la
précocité de la formation du groupe doit être remarquée,
puisque celui-ci commence à se réunir dès le mois de mai
1895, à une époque où le milieu anarchiste parisien est
encore largement désorienté par la répression qui a suivi les
attentats. D'autre part, au sein de cette nébuleuse de
groupements qui se reconstituent progressivement à la fin
de l'année 1895, sur une base essentiellement
géographique15, le cercle des Naturiens se distingue par son
projet particulier, le retour à l'état naturel, qui le rend
atypique.

L'état naturel : un paradis perdu


8 La culture révolutionnaire des couches populaires urbaines,
dans lesquelles se recrutait l'essentiel du militantisme
anarchiste, est longtemps restée imprégnée de la nostalgie
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d'un communisme libertaire primitif et mythique dans


lequel l'homme à l'état naturel, ignorant la propriété privée,
aurait vécu en harmonie avec ses semblables. Éclos dans les
tumultes de la première révolution industrielle, le socialisme
libertaire a, par ailleurs, longtemps associé aux notions de
progrès et de développement technologique l'idée d'un
asservissement de l'homme, source de sa déchéance
physique et morale. De Godwin à Tolstoï et Thoreau, tout un
courant littéraire a alimenté la tradition antiprogressiste de
l'anarchisme, ainsi que son aspiration au retour à la nature
et à la simplification de l'existence16. Ce n'est qu'à l'extrême
fin du xixe siècle que change l'attitude du mouvement
anarchiste à l'égard du progrès. Les prises de positions de
Jean Grave ou de Kropotkine en faveur du machinisme
comme instrument de l'émancipation du travailleur
constituent la partie visible de cette mutation idéologique,
mais l'essor de l'anarcho-syndicalisme et les évolutions dans
la composition sociale du mouvement anarchiste qu'il
accompagne jouent également un rôle non négligeable.
L'émergence d'un nouveau prolétariat, issu du monde rural
et par conséquent étranger au mythe du communisme
agraire primitif, rassemblé au sein de grandes
concentrations industrielles, oriente la réflexion militante
vers les questions de la propriété des moyens de production,
de l'organisation et de la durée du travail, du rôle du
syndicat dans l'organisation de la société future. Le
prolétariat traditionnel des petites entreprises artisanales,
dont nous avons déjà souligné l'ébranlement, assiste au
déclin de son rôle dans le mouvement social, à la
marginalisation progressive de son romantisme
révolutionnaire et de sa nostalgie du communisme originel
des hommes à l'état de nature. Toutefois, l'idée d'un ordre de
la nature, auquel l'homme doit se conformer pour accéder au
bonheur et à l'harmonie, en dépit des progrès de la
civilisation, subsiste sous des formes détournées. Le tableau
de Paul Signac « Aux Temps d'harmonie » offre un exemple
significatif de cette rencontre entre un naturisme
romantique traditionnel et l'acceptation récente du progrès

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et du machinisme par les anarchistes. Commandé par Grave


pour les Temps nouveaux, le tableau donne à voir le rêve
utopique d'une vie sereine et harmonieuse dans la nature,
alors même qu'à l'arrière plan, un train et un navire à vapeur
montrent que le progrès industriel n'est pas rejeté17.
9 De façon plus fruste et plus radicale, la culture libertaire du
Montmartre populaire de la fin du siècle continue d'opposer
le mythe d'un état naturel idéal à l'oppressante civilisation18.
Le répertoire du chansonnier libertaire Paul Paillette, par
exemple, tourne essentiellement autour des thèmes de
l'harmonie, de l'amour et de la nature. La chanson «  Les
Enfants de la Nature », qui paraît dans une plaquette éditée
par le journal L'Avant-garde cosmopolite dès 1887, compte
parmi les plus populaires de ses compositions. Dans
« Heureux Temps » (qui se chantait sur l'air du « Temps des
cerises  »), Paillette a opportunément remplacé les paroles
« quand nous en serons au temps d'anarchie » par « quand
nous en serons au temps d'harmonie  » au moment de la
vague de répression de 189419. Ainsi, la référence à un « état
naturel  », les expressions d'«  harmonie  » ou de «  temps
d'harmonie  » que les naturiens emploient dans leurs
publications, leurs réunions ou leurs conférences renvoient à
un univers de sens profondément ancré chez les individus
qui fréquentent le groupe et évoquent immanquablement la
promesse d'une société libertaire idéale. La thématique du
retour à la nature primitive s'inscrit donc dans un système
de croyances encore partagé, sans être pour autant formulé
de façon précise, par toute une frange du monde anarchiste,
militant ou sympathisant. L'enthousiasme avec lequel sont
reçues les publications de Gravelle et la ferveur qui se
manifeste lors de certaines conférences ou banquets
naturiens20 témoignent à la fois de l'attachement qui
subsiste à des aspects spécifiques de la culture et de la
sociabilité libertaires traditionnelles, et de la force
mobilisatrice que conserve le mythe du retour à l'état de
nature auprès du prolétariat anarchisant de Montmartre.
10 C'est donc un imaginaire issu des profondeurs de la culture
libertaire que Gravelle et ses compagnons s'approprient et

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reformulent pour donner corps à leur projet de retour à l'état


naturel. Le récit mythique qu'ils élaborent de la sorte étaye
leur nostalgie du passé et leurs espoirs d'un avenir meilleur
en même temps qu'il donne sens aux misères et aux
frustrations du présent. Dès 1894, avant même la
constitution du groupe, Gravelle a énoncé les grandes lignes
de ce récit. Selon lui, la civilisation « depuis 1 500 ans s'est
installée en Occident  ; [...] et, d'êtres beaux, sains et
vigoureux qu'étaient les habitants primitifs de nos contrées,
elle a fait, par une succession de progrès  : des anémiques,
des phtisiques, des rachitiques, des estropiés et des
amputés  ». Elle a aussi «  engendré des infirmités morales,
plus affreuses et plus répugnantes que leurs sœurs les
infirmités physiques  : la vanité, la cruauté, la bassesse, la
servilité, l'abjection, qui ont amené comme résultat
aujourd'hui classé et admis  : la tyrannie, l'esclavage et la
prostitution21 ». Aux souffrances et aux injustices du présent
s'oppose le tableau idyllique d'un état de nature
originel : »Tandis qu'à l'état primitif les hommes trouvaient
dans la Nature, et cela gratuitement et en abondance, la
satisfaction de leurs besoins, proclame Gravelle, la
Civilisation a institué, ô ironie, le Labeur avec la Faim22 ! »
11 Sur cette évocation des temps primitifs s'appuie la promesse
du retour au bonheur et à l'abondance des origines. De
manière très concrète, Gravelle propose d'en faire
l'expérience par la création d'une colonie libertaire
naturienne. Dès le second numéro de L'État naturel, il trace
les grandes lignes de son projet :
«  Au lieu de défricher la terre, de semer le blé, de
moissonner, labeur ingrat, nous mettrons dans cette
propriété, préalablement enclose de fils de fer et de haies,
des vaches, des taureaux, des moutons, des porcs, des lapins
et des poules et nous ne vivrons que de leur produit.

Le vêtement nous sera fourni par les dépouilles des animaux


abattus ; le logement par les anfractuosités du sol : grottes,
cavernes, etc.  ; et leur température constante,
scientifiquement démontrée, ne nous fera pas regretter les
logements insalubres que la civilisation nous force à habiter.
Vous le voyez, sans nous astreindre à aucun travail

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produisant salaire, nous vivrons dans une abondance que le


prolétaire des villes et des campagnes ignorera toujours23. »

12 Gravelle annonce même la fondation imminente de cette


colonie et prétend qu'un partisan de ses idées a mis un
terrain de huit hectares dans le Cantal à sa disposition. Un
rapport de police précise toutefois que «  ce don n'a jamais
existé que dans son imagination24  ». Bien qu'à diverses
reprises Gravelle et ses compagnons réaffirment leur espoir
de trouver un emplacement propice à la mise en œuvre de
leur projet, celui-ci ne donne lieu à aucune réalisation
effective.
13 En l'absence de toute traduction concrète, la promesse du
retour à l'état naturel reste du domaine de l'imaginaire. Tout
un univers d'images et de représentations vient ainsi étayer
le rêve naturien d'une vie hors de la civilisation et permettre
aux habitués du groupe de s'approprier les théories de
Gravelle. L'homme préhistorique, tout d'abord, sous les
traits idéalisés qu'en donne encore l'imagerie populaire,
apparaît comme une figure essentielle de l'imaginaire
naturien en ce qu'il permet de constater sur-le-champ les
effets néfastes de la civilisation moderne. Dans les dessins
qui illustrent ses publications, Gravelle met ainsi en scène la
vie idyllique des hommes de l'âge de la pierre polie et oppose
le corps athlétique des «  primitifs  » au corps anémié des
prolétaires travaillés par le labeur et les privations. Le
« sauvage », le « primitif » d'outre-mer qui échappe encore à
la civilisation, offrent un autre support à la représentation
que les naturiens se font de l'existence à l'état de nature. Le
18 juin 1895, alors que l'on prépare la prochaine conférence
naturienne, Gravelle annonce qu'il parlera «  des peuplades
asiatiques vivant dans des conditions spéciales de
tranquillité et d'oisiveté25 ». En octobre, à leurs compagnons
qui s'interrogent sur la nécessité de s'assurer la présence
d'un médecin dans la future colonie naturienne, Marné et
Bigot rappellent que «  les sauvages du Sahara se passent
bien de médecins26  ». «  Voyez plutôt les peuples sauvages,
déclare encore Bigot quelques jours plus tard, ils n'ont ni
médecins, ni pharmaciens et ne se portent pas plus mal27. »

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Le 17 décembre, Gravelle soutient «  que les peuplades


primitives ont été calomniées par les récits de voyageurs et
qu'à l'état naturel l'anthropophagie n'a jamais existé  ».
« Dans ses voyages, ajoute-t-il, il n'a jamais vu que des tribus
très douces et très hospitalières28. » Enfin, dans La Nouvelle
Humanité du printemps 1896, Bigot invite les civilisés à
prendre exemple sur les peuples qui échappent encore à la
colonisation :
«  Les peuples, sur lesquels, l'abominable Pieuvre
civilisatrice, n'a point encore déployé ses suçoirs, vivent à
l'État Naturel et ne se soucient pas de ce progrès que les
Gouvernants cherchent à leur ingurgiter à coups de canon.
Chez eux, point d'enfants mourant d'inanition aux seins de
mères épuisées par les privations et la misère, chez nous,
civilisés, cela existe. Voit-on chez eux une quinzaine de
malheureux pêle-mêle dans un taudis infect, sans lit, sans
feu et souvent sans pain ? Non ! Ils ont le grand air, l'espace,
la santé. Que les Civilisés brisent les chaînes que leur a rivées
la Civilisation, la terre leur fournira pour vivre beaucoup
plus qu'il ne leur faut29. »

14 À l'inverse du «  primitif  », le paysan, ce «  civilisé  » des


champs, reste éminemment suspect. À Léo Brissac qui
prétend que le paysan est plus proche de l'état naturel que le
citadin, Gravelle répond « que le paysan n'a [...] aucun souci
de l'hygiène, qu'il se nourrit mal, s'habille sans souci des
saisons et s'astreint aux plus durs travaux, alors que l'ouvrier
des villes sait se soigner et jouir, lorsqu'il le peut, du
spectacle de la nature30  ». Pour banale qu'elle soit, cette
expression de l'hostilité du prolétariat urbain à l'égard de la
paysannerie confirme toutefois que le retour à la nature
prêché par Gravelle ne s'apparente pas à un socialisme rural
et agricole. Le 30 janvier 1897, alors que Zisly affirme « qu'il
connaît plusieurs personnes qui vivent comme de véritables
anachorètes, de ce qu'ils récoltent et habitent dans des
huttes, au milieu des champs  », Gravelle rétorque que «  ce
n'est pas encore là la vie naturelle, puisque ces personnes
cultivent pour arriver à se suffire. Il dit que sous ce rapport
nous restons toujours en retard sur les nations les plus
sauvages31  ». Effort permanent de domestication de la
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nature, l'agri culture apparaît alors comme une étape de la


rupture de l'homme avec l'état naturel et la vie paysanne
comme une antithèse du fantasme de vie sauvage qui
constitue le paradis perdu des Naturiens.
15 À la différence de ses compagnons, pour qui la perspective
d'un retour à l'état naturel reste relativement floue, Gravelle
s'attache à décrire avec précision les conditions selon lui
nécessaires pour revenir à la vie primitive et sauvage. Dans
une étonnante synthèse entre le désir de fusion avec la
nature et un individualisme exacerbé, il propose un partage
équitable de la terre et la constitution de petites unités
individuelles :
« Et comme notre territoire a une superficie de 53 000 000
d'hectares dont 45 000 000 fertiles, que sa population est de
38 000 000 d'habitants, ce qui attribue 10 à 12 000 mètres
carrés de terrain productif à chacun  ; que cet espace mi-
partie bois et pâturages peut produire la nourriture de bétail,
gibier et volaille représentant 1 000 kilog. de viande par an :
la voilà la suppression de la misère, l'extinction du
paupérisme, que dans votre sollicitude, o sociologues
présents et passés, vous cherchez inutilement depuis des
siècles32. »

16 Alors que le chef de file des Naturiens fait de cette


proposition le point central de sa théorie et expose
inlassablement son calcul, certains habitués du groupe
émettent des doutes quant à sa viabilité. Lors de la réunion
du 30 juillet 1895, Georges affirme ainsi que les ressources
naturelles offertes par une telle surface de terre ne suffisent
pas à nourrir assez d'animaux pour permettre à un individu
de vivre sans travailler son terrain. Ajoutant à son refus
viscéral de toute forme d'organisation sociale la conviction
que la nature peut pourvoir généreusement aux besoins de
ses enfants, Gravelle lui répond qu'une vache y trouverait
très bien sa nourriture et que, pour sa part, «  il se
contenterait de jeter sur le sol toutes sortes de graines qui
pousseraient à profusion et sans aucun labeur33 ».
17 Ici encore, la description de l'état naturel prend appui sur
l'évocation mythique de temps primitifs avec lesquels il s'agit
de renouer. Gravelle évoque ainsi la forêt épaisse qui
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recouvrait autrefois le sol de la Gaule et protégeait ses


habitants des ardeurs du soleil ou de la rigueur des hivers.
Riche de toutes sortes de plantes et de fruits, peuplée
d'animaux sauvages, elle offrait aux hommes une nourriture
abondante et variée. La déforestation, engagée à l'époque
gallo-romaine et accentuée par le développement de
l'agriculture au Moyen Âge, serait à l'origine des inondations
et des catastrophes que l'on qualifie à tort de « naturelles ».
Dans le troisième numéro de L'État naturel, par exemple,
Gravelle insiste sur l'action régulatrice des forêts sur le
ruissellement des eaux et décrit les conséquences néfastes du
déboisement :
«  Les fléaux dits naturels (avalanches, éboulements,
inondations, sécheresse), sont la conséquence des atteintes
portées par l'homme à la Nature. [...] [L'homme] a porté la
hache dans les forêts et dénudé les montagnes jusqu'aux
glaciers. La neige ne rencontrant plus d'obstacles descend en
avalanches dans les vallées  ; les averses roulent en torrents
sur les pentes (les inondations qui viennent de se produire
dans le midi, l'ouest et le centre n'ont point d'autres
origines), emportant avec elles les terres que les racines ne
maintiennent plus ; les eaux s'infiltrent dans les fissures des
roches, les descellent, et l'éboulement se produit. - Progrès. -
L'hiver, inondation  ; l'été, sécheresse mortelle, mais
l'homme accuse la Nature34. »

18 De tels propos ne sont ni originaux ni novateurs. Gravelle


s'appuie ici sur ses lectures d'ouvrages de vulgarisation
scientifique, notamment ceux de Lesbazeilles et Depelchin35
qu'il cite dans le premier numéro de L'État naturel. On
retrouve là les grandes lignes d'un discours savant élaboré
par le Corps forestier sous le Second empire, relayé par les
élites urbaines dans le dernier tiers du xixe siècle et diffusé
par elles vers une plus large part de la société36. Toutefois, si
les Naturiens s'associent de la sorte à un courant de pensée
au sein duquel s'éveille une réflexion de type écologique, la
position sociale de ces anarchistes montmartrois ne leur
permet pas de participer en aucune manière à son
élaboration. Ils se contentent d'en reprendre l'expression
vulgarisée et de l'adapter à leur théorie du retour à l'état
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naturel. Parailleurs, de tels arguments ne renforcent en rien


leur audience au sein de milieux socialistes ou libertaires,
plus préoccupés par des questions politiques et économiques
que par les débats sur l'impact de la déforestation en
montagne. Il apparaît d'ailleurs que le véritable propos de
Gravelle et des Naturiens n'est pas de disserter sur les
problèmes de la protection de l'environnement ni d'élaborer
une théorie de l'écologie libertaire, mais plutôt d'étayer,
grâce à des références savantes, leur dénonciation de la
décadence moderne. Ainsi, lorsque Gravelle évoque les
temps ancestraux, il s'agit moins pour lui d'évoquer un passé
lointain à jamais révolu, comme le font les auteurs dont il
s'inspire, que de décrire un Âge d'or, le paradis perdu que
l'humanité peut et doit retrouver.

La quête de l'Âge d'or


19 À l' origine, affirme Gravelle, était une épaisse forêt de
fougères colossales, qui recouvrait toute la surface de la
terre. La chute annuelle et la décomposition du feuillage de
ces végétaux géants avaient progressivement constitué une
couche d'humus naturel sur lequel poussait la petite
végétation à feuilles, à racines et à graines comestibles pour
les hommes et les animaux. Le rudiment de tronc des
fougères géantes s'épaississant, celles-ci donnèrent
naissance aux arbres. Cette végétation luxuriante plongeait
dans le sol des racines qui s'entremêlaient et maintenaient la
terre nourricière. Les pluies abondantes et les orages
pouvaient s'abattre, la neige pouvait fondre et couler sur le
sol sans entraîner le précieux terreau. Mais l'invention de
l'agri culture est venue rompre ce fragile équilibre. En
remuant le sol, le soc de la charrue a déchiré le réseau de
racines qui retenait l'humus naturel.
« La terre, matière friable mise à nu, [fut] exposée à l'action
dissolvante et liquéfiante du vent et de l'eau, et comme les
terrains sont en pente, la terre délayée par la pluie et la fonte
des neiges s'est écoulée au ruisseau, à la rivière et au fleuve
qui l'a conduite à la mer. Depuis 1 500 ans et même plus que
la culture est pratiquée en Europe le terrain naturellement

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fertile, que nous avaient formé les forêts, a disparu, nous en


sommes arrivés à la croûte dure de la Terre et il est évident
qu'une graine jetée et abandonnée sans soins sur ce terrain
ne donne plus qu'un maigre produit  ; mais la faute en est
aux hommes37. »

20 La nature originelle de Gravelle s'apparente à une sorte de


jardin d'Éden séculier dont l'homme aurait été privé par
l'entrée dans la civilisation et auquel il pourrait retourner
par la destruction de l'ordre social et la reconstitution de la
forêt primitive. Dès l'une des premières réunions du groupe,
le chef de file des Naturiens a d'ailleurs clairement proclamé
la nécessité « qu'une immense hécatombe réduise le nombre
d'hommes en Europe, paralyse toute industrie et permette à
la terre de se recouvrir des vastes forêts qui verdissaient le
sol il y a quelques milliers d'années38  ». Bien au-delà du
rétablissement des équilibres fragiles et précieux du milieu
naturel, le projet de Gravelle apparaît comme un rêve de
fusion de l'individu dans un ordre naturel originel, un
fantasme de régression dans le sein d'une nature maternelle
et nourricière. Son idéal primitif dépasse alors l'évocation
préhistorique pour devenir l'expression d'un désir de retour
à une primitivité individuelle, temps perdu de l'insouciance
et du bonheur infantile.
21 Dans un contexte de crise de l'identité ouvrière, alors que les
mutations sociales qui s'opèrent depuis les années 1880
alimentent une «  névrose fin de siècle  » mêlée d'angoisse
eschatologique39, l'annonce d'une rupture possible avec le
cycle de la décadence et de la misère par la destruction de
l'ordre social et le retour à la nature originelle prend
rapidement, chez ceux que séduisent les prophéties de
Gravelle, une tournure millénariste. Sans nécessairement
suivre le peintre dans son rêve d'un cataclysme qui
engloutirait les villes et recouvrirait la terre de ses forêts
primitives, les fidèles des réunions naturiennes trouvent
dans la dénonciation des méfaits de la civilisation un sens à
leurs frustrations quotidiennes et dans la promesse d'un état
naturel de bonheur et d'abondance une raison d'espérer un
avenir meilleur. Ainsi, lors de la réunion du 9 juillet 1895,
Beaulieu explique aux personnes présentes «  que l'on
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pourrait vivre des produits de la terre sans aucun travail et


que celui qui voudrait s'adonner à d'autres travaux, tels que
la mécanique, l'extraction des minerais du sol, etc., serait
laissé libre, en un mot que chacun ferait ce qui lui
plairait40 ». Puis, quelques mois plus tard, dans La Nouvelle
Humanité :
«  Vous ne serez plus astreints à d'autres labeurs, que celui
qu'il vous fera plaisir de faire pour votre usage et votre
satisfaction personnels  ; plus de ces travaux fatigants et
répugnants qui font de vous des Hommes machines courbés
journellement et pendant des années sur le même travail  ;
vous trouverez dans la grande Nature tout ce que vous
pourrez décider, vous jouirez enfin à votre tour des richesses
immenses qu'elle renferme. Votre nourriture vous sera
abondamment fournie ; à votre tour, vous goûterez à toutes
ces belles pièces de volailles et ces primeurs magnifiques que
vos yeux admirent à tous ces luxueux établissements ; mais
que vous ne pouvez vous offrir41. »

22 La description de l'état naturel à laquelle se livrent les


Naturiens ne s'arrête pas à la promesse de la santé physique,
de l'abondance des biens matériels et de la disparition des
travaux harassants. Elle s'accompagne de l'annonce d'une
destruction complète de la société et des règles qui la
fondent. Dans le domaine de la sexualité, par exemple,
lorsqu'une « dame demande à Gravelle quel sera le rôle de la
femme chez les Naturiens  », celui- ci répond que «  l'union
libre étant adoptée par eux dans la plus large acception du
mot, la femme sera libre d'aimer à sa guise plusieurs
hommes dans la même journée42 ».
23 Les rares débats qui agitent les Naturiens à propos de leurs
sources d'inspiration confirment la dimension millénariste
de leurs aspirations. Le 17 décembre 1895, Jules Bariol
«  propose de faire un banquet lors des anniversaires de la
naissance des grands auteurs s'étant occupés de la nature
comme Bernardin de Saint-Pierre, Buffon, J.-J. Rousseau et
autres  » et affirme faire des recherches à la Bibliothèque
nationale dans ce sens43. L'incontestable clarté avec laquelle
les auteurs des Lumières, et tout particulièrement Rousseau
dans ses Discours sur les sciences et les arts et sur l'origine
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de l'inégalité, ont opposé un état naturel idéal aux affres et


aux turpitudes de la vie sociale inspire certainement
l'initiative du naturien. De fait, les Lumières, en
réactualisant le mythe de l'état de nature à travers
l'évocation d'une sorte d'Éden profane, ont offert un cadre
mental pour penser l'opposition entre une humanité
décadente, asservie aux besoins artificiels qu'elle s'est
imposée, et un idéal de renoncement à la « civilisation », qui
permettrait de renouer avec la pureté et l'innocence des
origines44. L'inscription des théories naturiennes de Gravelle
dans un cadre culturel façonné par cet héritage n'est pas
contestable. Elle reste pourtant largement inconsciente. Les
seules allusions aux auteurs des Lumières sont le fait de
Bariol, l'un des rares membres du groupe à posséder des
éléments de culture littéraire classique. D'ailleurs, à sa
suggestion d'organiser un banquet pour célébrer ces auteurs,
Gravelle répond sur-le-champ «  qu'il vaudrait mieux
prendre Hans, pâtre du xvie siècle, originaire de Bavière45 ».
Un mois plus tard, Bariol propose à nouveau d'organiser un
banquet en l'honneur de l'anniversaire de Bernardin de
Saint-Pierre46, mais il finit par se ranger à l'opinion de
Gravelle. Lors de la réunion du 18 février « Bariol, demande
2 F pour le banquet du 29 février [...] en l'honneur de Hans
Boechon, l'apôtre du retour à l'état naturel qui vivait en
Allemagne en 1476  ». Il précise que ses recherches à la
Bibliothèque nationale lui ont permis de constater que
«  Hans était un religieux très avancé et non un pâtre  » et
conclut que «  Hans valait mieux que Rousseau47  ». Aux
références littéraires que lui propose Bariol, Gravelle oppose
donc la figure de Hans Böhm – puisque c'est de lui qu'il
s'agit, malgré la retranscription hasardeuse de l'informateur
de la préfecture de police -, prophète illuminé de la fin du
Moyen Âge et apôtre du millenium égalitaire fondé sur la
« loi de la nature48 ». Contrairement au « bon sauvage » de
Rousseau, concept philosophique dénué de réalité historique
concrète, «  l'état de nature égalitaire  » des disciples de
Böhm, comme celui des Naturiens de Gravelle, est à la fois
un Âge d'or perdu, dont l'existence dans le passé n'est pas

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mise en cause, et un état idéal à conquérir ici et maintenant.


La théorie naturienne de Gravelle n'apparaît pas alors
comme un naturisme philosophique, à la recherche de la
nature comme principe d'explication du fonctionnement de
l'univers, mais bien comme un millénarisme révolutionnaire,
la promesse d'un nouvel ordre à conquérir par la destruction
de la société.
24 C'est probablement là aussi que réside l'un des ressorts de
l'adhésion des adeptes du groupe aux thèses proposées par le
peintre montmartrois. Gravelle n'est pas un sage qui disserte
doctement sur l'origine du monde et son évolution, mais un
prophète qui dénonce la corruption du siècle, annonce
l'avènement d'un monde nouveau et exhorte ses disciples à
en hâter la venue. Le mode d'organisation et de
fonctionnement du groupe des Naturiens s'apparente à ce
que Max Weber désigne par l'expression de «  communauté
émotionnelle49  ». Autour de la figure prophétique de
Gravelle, qui a initié, formulé et qui reformule sans cesse
l'idéal naturien, se rassemble le noyau de ses six « auxiliaires
permanents  »  : Bariol, Beaulieu, Zisly, Brissac, Bigot et
Marné. Ceux-ci collaborent activement à la mission du
prophète : ils participent à l'élaboration de sa prophétie lors
des réunions du groupe, ils la proclament lors des
conférences et des banquets naturiens ou dans les colonnes
de leurs périodiques éphémères. Autour de ces « auxiliaires
permanents  », le «  cercle d'adeptes  » regroupe les douze
habitués du groupe, dont la présence aux réunions
naturiennes est moins systématique mais néanmoins
régulière. Moins engagés dans la communauté, ils attendent
cependant leur salut – ou tout au moins quelques bénéfices
personnels – de la mission du prophète et se groupent
autour de lui pour des activités ponctuelles. Enfin, un large
cercle de participants occasionnels rassemble tous ceux qui
côtoient les Naturiens à l'occasion d'un banquet, d'une
conférence ou d'une réunion, mais qui ne renouvellent pas
l'expérience, soit que les prophéties agitées par Gravelle et
ses disciples n'aient pas suscité leur ferveur, soit que cette

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ferveur ne se soit pas prolongée au-delà de l'événement


même qui l'avait suscitée.
25 Norman Cohn a montré combien le mythe de l'existence
primitive d'un état de nature égalitaire est solidement ancré
dans la culture occidentale. Plongeant ses racines dans la
littérature gréco-latine puis dans la pensée médiévale, ce
mythe constitue, selon lui, un thème récurrent du
millénarisme révolutionnaire et alimente périodiquement
l'émergence de courants enga gés dans la quête du
millenium égalitaire et libertaire par la destruction de l'ordre
social50. On peut alors remarquer que la quête de l'Âge d'or
consti tue un exutoire possible pour des groupes ou des
individus dont la position est fragilisée par le changement
social et qui ne parviennent pas à avoir prise sur ce
changement pour s'assurer une nouvelle position qui les
satisfasse. La rupture soudaine de leur environnement
culturel ou social et la désagrégation des mécanismes de
solidarité qui ordonnaient la vie collective suscitent
angoisses et sentiment d'anomie. «  L'effervescence
mythique » peut alors se lire comme la réponse de groupes
minoritaires au phénomène de non-identification à l'ordre
établi et au sentiment de menace et d'oppression qui en
découle51.
26 L'échec des attentats terroristes et le traumatisme qui s'en
suit dans les milieux libertaires, la répression policière et la
précarité des positions sociales expliquent certainement le
passage d'une croyance romantique en un état de nature
originel au millénarisme révolutionnaire parmi ces
anarchistes attachés à des formes de travail, de militantisme
et de sociabilité menacées de disparition. Toutefois, la
faiblesse du groupe des Naturiens et son incapacité à
susciter une véritable mobilisation autour des thèmes qu'il
défend lais sent supposer que cette effervescence
millénariste ne s'étend que ponctuellement – à l'occasion
des banquets et de certaines conférences - au-delà des
premiers cercles de militants, témoignant a contrario de la
pénétration de valeurs inspirées du rationalisme scientifique
dans le milieu anarchiste et annonçant des formes

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d'engagement plus rationalisées, comme l'action syndicale


ou le combat dreyfusard. Le mythe de l'état naturel, qui
subsiste dans les tréfonds de la culture libertaire et peut, très
occasionnellement, exercer sa force mobilisatrice sur
quelques dizaines d'ouvriers montmartrois, a cessé
d'inspirer les aspirations politiques et sociales concrètes des
couches populaires. Le temps semble terminé, pour le
mouvement ouvrier, des utopies agraires ou des
phalanstères loin des usines et des grandes cités.
27 Les Naturiens semblent donc condamnés à une extrême
marginalité au sein de la mouvance socialiste. Jean Grave,
par exemple, refuse systématiquement de publier la moindre
allusion au groupe dans Les Temps nouveaux. «  Parmi les
divagations que suscita l'idée anarchiste dans certains
cerveaux "instables", il faut citer les "Naturiens"  », écrit-il
dans ses mémoires52. Le 25 décembre 1895, un rapport de
police affirme que «  Beaulieu a été avec Bigot, Marné et
Gravelle à la réunion des Temps nouveaux où Argence les a
traités d'idiots et n'a pas voulu les laisser parler ». Lors de la
conférence mensuelle du 22 mars 1897, alors que le
conférencier expose les doctrines naturiennes devant 14
personnes, «  les assistants qui sont tous des anarchistes
estiment que ces théories sont de la pure fumisterie et, par
conséquent, inapplicables  ». La contradiction vient parfois
des habitués des réunions naturiennes eux-mêmes. Ainsi, le
19 novembre 1895, « Léo Brissac prenant soudain la parole,
traite les assistants d'idiots et d'insensés et leur dit qu'ils ne
sont pas assez instruits pour prévoir quelles seraient les
conséquences des changements qu'ils voudraient apporter
au régime actuel53  ». Le militant anarchiste individualiste
Georges, qui participe de façon très régulière aux activités du
groupe, doute lui aussi du sérieux de l'engagement naturien.
« À l'exception de Zisly et de Beaulieu, écrit-il, la plupart des
membres de ce groupe paraissaient n'avoir pour idée que
l'exploitation des gogos  ; c'est dans ce but qu'ils vont
organiser banquets et conférences.  » Dans une note qu'il
adresse à la préfecture en 1897, il précise qu'à son sens
«  seul Gravelle, créateur du système, possède quelque

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valeur, les quatre autres sont des nullités au sens le plus


absolu du mot  ». «  D'ailleurs, ajoute-t-il, l'on croit que
Gravelle en créant de toutes pièces cette théorie avait surtout
pour but de rallier un ou deux capitalistes qui auraient fait
abandon d'une partie de leur fortune au profit des
Naturiens54. »
28 C'est probablement la question du machinisme qui révèle le
mieux la marginalité des Naturiens dans les milieux
socialistes et, par conséquent, les évolutions culturelles du
militantisme ouvrier. Élément clé de l'indus trialisation, le
développement technologique a longtemps focalisé la
résistance ouvrière et symbolisé, dans la culture populaire,
un instrument de la domination du prolétariat. Fermement
hostiles au développement de la mécanisation, les
compagnons de Gravelle subissent pourtant les critiques et
les sarcasmes des militants socialistes et anarchistes qui
viennent assister à leurs séances. Le 23 novembre 1895, à la
suite d'une conférence de Gravelle sur le thème « Naturisme
et civilisation », « Auguste Garnier a [...] préconisé l'emploi
du machinisme, mais collectivement de façon à ne plus
travailler que 3 ou 4 heures par jours  ». Lors de la réunion
du 28 décembre, Tortelier admet que les bienfaits de la
nature peuvent rendre les hommes meilleurs, mais se
déclare adversaire de Gravelle «  car plus il y aura de
machines, moins l'homme travaillera  ». Le 21 janvier 1896,
c'est Mayence qui préconise l'emploi de machines  : «  Nous
avons le progrès, dit-il, il faut le conserver55. » La mouvance
socialiste, qui a troqué le mythe du retour à la nature pour
celui de la modernité industrielle, s'accorde désormais à
considérer que l'émancipation humaine passe par la
réduction de la journée de travail et à désigner la
mécanisation comme le moyen privilégié d'atteindre ce
progrès. Sous l'influence de Kropotkine, la plus grande
partie du courant anarchiste s'est ralliée à cette thèse. À la
méfiance traditionnelle du monde ouvrier pour le progrès
technologique s'est substituée la lutte pour une
transformation de l'organisation sociale qui permette une
juste répartition des fruits de l'industrie. Si le mythe d'un

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retour à l'état naturel peut encore servir de ciment à une


sociabilité contestataire, comme en témoigne la
fréquentation de certaines manifestations naturiennes, il ne
peut plus être question, pour la majorité des anarchistes, de
faire de ce mythe le fonde ment d'une théorie sociale et
politique. Bien que la société idéale à laquelle doit conduire
la révolution ne soit pas l'objet d'une définition précise et
consensuelle, c'est à présent la modernité industrielle qui en
offre le cadre et l'anarcho-syndicalisme qui en définit les
contours. Contestataires parmi les contestataires, marginaux
parmi les marginaux, les Naturiens s'attachent donc à une
idée qui, bien que s'inspirant de mythes profondément
ancrés dans la culture libertaire, les pousse à rompre avec les
valeurs dominantes de leur milieu.
29 Finalement, ni le projet millénariste de retour universel à
l'Âge d'or par la révolution, ni le projet utopique de
reconstitution limitée de l'état naturel par la fondation d'une
colonie expérimentale ne se traduisent par des actions
concrètes de la part des Naturiens. La dimension
profondément mythique et fantasmatique de leurs théories,
leur complète rupture avec le réel les privent de toute
influence sur leur temps. Le thème du retour à l'état naturel
apparaît donc moins comme le moteur d'une action
militante que comme la source d'une ferveur soudaine, qui
investit les médiateurs de la culture révolutionnaire
traditionnelle et mobilise un groupe de convaincus autour de
son chef charismatique. Les périodiques irréguliers et
éphémères, les gravures, les rencontres hebdomadaires dans
les arrière-salles des marchands de vin, les causeries, les
conférences et les banquets, les chansons et les poèmes
révolutionnaires - tout ce qui constitue le corps de la
sociabilité libertaire et véhicule les mythes et les images
propres à cette culture - sont autant d'occasions de faire
vivre la promesse de l'Âge d'or dans l'imaginaire des
Naturiens et de resserrer les liens qui unissent la
communauté émotionnelle à son prophète. Au milieu du va-
et-vient des participants d'un soir, des amis et des curieux de
passage, un noyau de convaincus se forge une identité

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3/12/21 19:28 Histoire du naturisme - Chapitre VII. Un naturisme millénariste - Presses universitaires de Rennes

commune autour d'une vision pessimiste de la réalité et


d'une promesse de salut dont le caractère extravagant est
d'autant plus marqué que les perspectives de transformation
sociale par la remise en cause de l'ordre industriel ont alors
perdu toute crédibilité.
30 À partir de mars 1896, les rapports de police ne mentionnent
plus de réunions hebdomadaires des Naturiens de
Montmartre, à quelques rares exceptions près56. Les
conférences mensuelles se poursuivent avec un succès inégal
jusqu'au mois de mars 189757, date à laquelle le groupe cesse
de se réunir. Le 26 juin 1897, une note de police affirme que
l'on «  ne parle plus des Naturiens et l'on se demande si le
groupe en double (Montmartre, la Bastille) a cessé de
vivre58 ». Le groupe des Naturiens traverse alors une longue
période de léthargie durant laquelle diverses tentatives de
résurrection se soldent par des échecs. Le 11 février 1898,
par exemple, alors que Gravelle fait paraître le quatrième
numéro de L'État naturel59, l'informateur Cossé déclare  :
«  Gravelle, Marné, Bigot, Beaulieu et Zisly vont
recommencer à Paris une série de conférences comme celles
de l'année dernière60. » Le mois suivant, le premier numéro
du Naturien d'Honoré Bigot61 annonce la tenue de réunions
naturiennes hebdomadaires chez Gravelle, rue Paul- Féval,
et au lieu de rendez-vous habituel des Naturiens de la
Bastille, rue Saint-Antoine62. Mais à la suite du décès de sa
compagne, le 5 avril 1898, et des reproches que suscitent ses
liens avec les milieux anti-dreyfusards, Gravelle abandonne
définitivement l'animation du groupe des Naturiens et se
sépare de ses anciens compagnons. Les deux numéros du
Sauvage satirique qu'il fait paraître dans les mois qui
suivent63 sont rédigés par lui seul et ne mentionnent ni
cercles, ni réunions, ni conférences. Son refus de s'engager
en faveur de la révision du procès Dreyfus accentue d'ailleurs
son isolement. Bien qu'il déclare « n'être ni pour ni contre en
l'affaire Dreyfus, [se] tenant, en principe, à l'écart de tous
intérêts et questions d'ordre civilisé64  », Gravelle est
désormais accusé d'avoir «  vendu son crayon
auxantisémites  » et désigné comme «  salarié de "I '

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Antijuif65  ». Cette volonté de se tenir à l'écart de l'Affaire,


qu'elle soit motivée par le désir de ménager ses amitiés et ses
sources de revenus dans le camp nationaliste ou par une
sincère indifférence envers tout ce qui est étranger à sa
mission prophétique, condamne définitivement Gravelle aux
yeux des milieux libertaires parisiens qui, à la suite de
Sébastien Faure, ont embrassé la cause dreyfusarde. Il s'en
éloigne alors. Dans une liste d'anarchistes, dressée par la
police parisienne en décembre 1900, Gravelle est signalé
comme « disparu66 ».
31 Certes, la défection de Gravelle, seule personne capable, par
la cohérence interne de son discours, son charisme et la
force de ses convictions, de fédérer momentanément
l'ensemble hétéroclite que formaient les habitués du cercle
des Naturiens, est pour une large part responsable de la
désagrégation du groupe. Elle n'en est cependant pas la seule
cause. Les Naturiens sont également victimes du déclin de
l'anarchisme individualiste dans les dernières années du
siècle67. Nous avons vu que la participation aux activités du
groupe de Gravelle représentait, à bien des égards, la
survivance de formes particulières de sociabilité et de
militantisme auxquelles restait attaché un milieu imprégné
d'une sous-culture libertaire et individualiste. La disparition
progressive de ce milieu, poussé vers l'intégration à la classe
ouvrière ou rejeté dans une marginalité plus marquée, le
triomphe de l'option syndicale et des théories de Kropotkine
sur le communisme anarchiste, l'implication des anarchistes
dans le combat dreyfusard, qui mobilise alors la plus grande
partie des énergies, ont contribué à engloutir définitivement
la nébuleuse individualiste émergée dans les années 1880 et
au sein de laquelle le groupe des Naturiens de Montmartre
avait éclos.
32 Après la séparation du groupe, les compagnons qui
gravitaient autour de Gravelle se dispersent. Certains
continuent leur trajectoire militante dans le monde libertaire
parisien, les autres disparaissent des rapports de police et
retrouvent l'anonymat. Seuls quelques-uns s'attachent à
faire survivre l'idée naturienne. En septembre 1897, Louis

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Martin et Jules Bariol fondent le groupe L'État naturel,


auquel ils tentent de donner une tonalité plus
« intellectuelle » et « philosophique » en s'appuyant sur les
milieux artistiques et littéraires de Montmartre. Mais
l'internement de Martin à l'asile de Villejuif, à la suite d'une
crise de démence, puis son décès en 1900 mettent un terme
à cette expérience. D'autres tentatives menées par les deux
anciens lieutenants de Gravelle, Beaulieu et Zisly, pour faire
renaître le groupe des Naturiens se soldent également par
des échecs. De son côté, le groupe de la Bastille, animé par
Bigot et Marné, tente de poursuivre ses activités et continue
de se réunir de façon très irrégulière. La rareté des rapports
de surveillance qui lui sont consacrés empêche d'évaluer sa
fréquence et son affluence de façon précise, mais permet de
supposer que le groupe garde un caractère très marginal. De
plus en plus isolés au sein du milieu anarchiste - Bigot est
souvent décrit comme un individu sectaire et l'on reproche à
Marné ses habitudes d'estampeur -, les Naturiens de la
Bastille fondent, au début de l'année 1899, le groupe des
Sauvagistes. L'unique numéro de L'Age d'or, publié au début
de l'année 1900 par Marné, montre comment ce groupuscule
marginal tente d'entretenir l'effervescence millénariste, alors
même que les anciens Naturiens de Montmartre, Beaulieu et
Zisly, ont progressivement cessé de croire au rétablissement
prochain du paradis perdu.

Notas
1. Direction générale des recherches de la préfecture de police de Paris
(DGR), 17 avril 1895, Archives de la préfecture de police de Paris (APP) :
Ba 1508.
2. DGR, 7 mai 1895, APP : Ba 1508.
3. Notes de l’informateur X (par commodité, la croix potencée qui signe
les notes de l’un des informateurs est remplacée ici par un «  X  »), 20
août 1894, APP  : Ba 303  ; 5 août 1895, APP  : Ba 80 et 2 octobre 1895,
APP : Ba 1508. DGR, avril 1900, APP : Ba 1508.
4. Toutefois, à partir de février 1898, l’engagement progressif des
anarchistes en faveur de la révision du procès de Dreyfus marquera une
rupture entre l’extrême droite antisémite et l’extrême gauche libertaire.
Sur cette question, voir M. Rebérioux, « Le Socialisme français de 1871 à
1914  », J. Droz (dir.), Histoire générale du socialisme, t. 2  : De 1875 à
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1918, Paris, 1974, p. 161-162 et M. Crapez, La Gauche réactionnaire,


mythes de la plèbe et de la race dans le sillage des Lumières, Paris, 1997,
p. 211-244.
5. Au total, 84 rencontres ont été dénombrées entre avril 1895 et juin
1897  : 61 réunions hebdomadaires, 20 conférences mensuelles et trois
banquets (APP : Ba 80, Ba 308, Ba 1497, Ba 1507 et Ba 1508).
6. Institut international d’histoire sociale (IIHS) : Archives Zisly, vol. 1,
p. 304.
7. Minute de la liste des anarchistes, 23 octobre 1893, APP : Ba 1500.
8. L ‘Intransigeant, 26 février 1894, coupure de presse, IIHS : Archives
Zisly, vol. 1, p. 19.
9. X, 3 mars et 28 octobre 1896, APP : Ba 1508.
10. Georges, considéré comme un provocateur violent par la police, a été
arrêté à plusieurs reprises. Menacé de prison, il devient indicateur sous
le nom de Finot en avril 1894 (G. Manfredonia, L’Individualisme
anarchiste en France, 1880-1914, doctorat de 3e cycle, IEP, Paris, 1984,
p. 185 sq)
11. Finot, 15 mai 1895, APP : Ba 80.
12. J. Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome 1  : Des
origines à 1914, Paris, 1992 [ 1975], p. 265-274.
13. G. Noiriel, Les Ouvriers et la société française, xixe-xxe siècles,
Paris, 1986, p. 83-119.
14. G. Manfredonia, L’Individualisme anarchiste..., op. cit., p. 178.
15. Comme, par exemple, le groupe des Libertaires du XIVe
arrondissement ou la Jeunesse révolutionnaire du XVIIe arrondissement.
16. H. Arvon, L’Anarchisme au xxe siècle, Paris, 1979.
17. J. G. Hutton, Neo-Impressionism and the Search for solid Ground.
Art, Science and Anarchism in Fin de Siècle France, Bacon Rouge, 1994,
p. 136.
18. R. D. Sonn, Anarchism and Cultural Politics in Fin de Siècle France,
Lincoln, 1989, p. 297-299.
19. G. Manfredonia, La Chanson anarchiste en France, des origines à
1914, Paris, 1997, p. 157, 210 et 355. La chanson «  Heureux Temps  »
comporte, d’ailleurs, un couplet à la gloire de la Nature.
20. Comme le banquet du 28 septembre 1895, par exemple (Caraman,
29 septembre 1895  ; DGR, 29 septembre 1895  ; X, 30 septembre 1895,
APP : Ba 1508).
21. L’État naturel et la part du prolétaire dans la civilisation, non
numéroté, s. d. [n° 1, juillet 1894], p. 4.
22. Ibidem.
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23. E. Gravelle, « Naturisme », L’État naturel et la part du prolétaire


dans la civilisation, n° 2, février 1895, p. 2.
24. DGR, 7 mai 1895, APP : Ba 1508.
25. X, 19 juin 1895, APP : Ba 1508.
26. DGR, 23 octobre 1895, APP : Ba 1508.
27. DGR, 27 octobre 1895, APP : Ba 1508.
28. DGR, 18 décembre 1895, APP : Ba 1508.
29. . H. Bigot, « Opposition aux civilisateurs », La Nouvelle Humanité,
mars-avril 1896, p. 5.
30. DGR, 12 février 1896, APP : Ba 1508.
31. DGR, 31 janvier 1897, APP : Ba 1508.
32. E. Gravelle, « Nature et civilisation », L’État naturel et la part du
prolétaire dans la civilisation, n° 2, février 1895, p. 2.
33. DGR, 31 juillet 1895, APP : Ba 1508.
34. E. Gravelle, «  Démonstration  », L’État naturel et la part du
prolétaire dans la civilisation, n° 3, juillet-août 1897, p. 4.
35. Lesbazeilles, Les Forêts, Paris, Hachette, Bibliothèque des
Merveilles, 1884  ; Depelchin, Les Forêts de la France, Tours, Marne,
1887.
36. B. Kalaora et A. Savoye, «  La Protection des régions de montagne
au xixe siècle : forestiers sociaux contre forestiers étatistes », A. Cadoret
(dir.), Protection de la nature : histoire et idéologie, Paris, 1985, p. 8.
37. . E. Gravelle, «  La Formation de la terre végétale  », La Nouvelle
Humanité, mars-avril 1897.
38. DGR, 22 mai 1895, APP : Ba 1508.
39. G. Noiriel, Les Ouvriers..., op. cit., p. 83-119.
40. DGR, 10 juillet 1895, APP : Ba 1508.
41. H. Beaulieu, «  Aux travailleurs  », La Nouvelle Humanité, octobre
1895, p. 4.
42. DGR, 17 avril 1895, APP : Ba 1508. Henri Desroche souligne que la
contestation des normes morales et sociales qui encadrent la sexualité
revient fréquemment dans les doctrines et les réalisations de type
millénariste (Sociologie de l’espérance, Paris, 1973, p. 121).
43. DGR, 18 décembre 1895, APP : Ba 1508.
44. R. Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, 1986, p. 105-
119.
45. DGR, 18 décembre 1895, APP : Ba 1508.
46. DGR, 8 janvier 1896, APP : Ba 1508.

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47. DGR, 19 février 1896, APP : Ba 1508.


48. N. Cohn, Les Fanatiques de l’Apocalypse. Millénaristes
révolutionnaires et anarchistes mystiques au Moyen-Âge, Paris, 1983
[1957], p. 244-257.
49. M. Weber, Économie et société, Paris, 1995 [1922], t. 2, p. 204 sq.
50. N. Cohn, Les Fanatiques de l’Apocalypse..., op. cit., p. 200-215.
51. R. Girardet, Mythes..., op. cit., p. 179.
52. J. Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Paris, 1973, p.
539.
53. X, 25 décembre 1895, 23 mars 1897 et 20 novembre 1895, APP : Ba
1508.
54. Finot, 18 août 1895 et 22 mars 1897, APP : Ba 1508.
55. DGR, 24 novembre, 29 décembre 1895 et 22 janvier 1896, APP : Ba
1508.
56. Seulement trois réunions sont mentionnées entre mars et octobre
1896 (APP : Ba 1508). Il semble néanmoins que durant cette période, le
groupe de la Bastille continue à tenir ses réunions de façon plus ou
moins régulière
57. La conférence du 1er août 1896 rassemble une centaine de personnes
(DGR, 2 août 1896, APP  : Ba 1508). Lors des réunions suivantes,
l'assistance est réduite à une vingtaine d'individus
58. X, 26 juin 1897, APP : Ba 1508.
59. L’État naturel, organe des Groupes naturiens, paraissant tous Us
mois, n° 4, février 1898
60. Cossé, 11 février 1898, APP : Ba 1508
61. Le Naturien, revendiquant l’indépendance absolue par le retour à la
Nature (et non à l’état primitif), quatre numéros : 1er mars, 1er avril, 1er
mai, 1er juin 1898.
62. Aucun rapport de police ne vient confirmer la réalité de ces réunions.
Elles ne sont plus annoncées dans le 4e numéro du Naturien.
63. Le Sauvage satirique, pour la critique des solennelles âneries et des
imposantes fariboles qui étayent la civilisation, deux numéros non
datés. Selon René Bianco, le n° 1 parait en novembre 1898 et le n° 2 en
mars 1899 ( Un Siècle de presse anarchiste d’expression française
(1880-1983), doctorat d’État, Aix-en-Provence, 1987, p. 1951).
64. Le Sauvage satirique, n° 2, s. d. [mars 1899], p. 2.
65. Legrand, 7 novembre 1899, APP : Ba 1508 et 19 mai 1900, APP : Ba
1498.

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66. APP : Ba 1500. Une seule exception à cette disparition : un rapport


de police signale que Gravelle, «  un naturien sauvagiste  », a fait une
causerie sur la « nature libératrice » aux Causeries populaires du XVIIIe
arr., le 15 janvier 1909, APP : Ba 1507.
67. G. Manfredonia, L’Individualisme anarchiste..., op. cit., p. 196-201.

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Referencia electrónica del capítulo


BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre VII. Un naturisme millénariste In:
Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature [en línea].
Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el 03
décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22884>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22884.

Referencia electrónica del libro


BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
Compatible con Zotero

Histoire du naturisme
Le mythe du retour à la nature
Arnaud Baubérot

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3/12/21 19:29 Histoire du naturisme - Chapitre VIII. Du millénarisme à l’utopie - Presses universitaires de Rennes

Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre VIII. Du
millénarisme à
l’utopie
p. 183-194

Entradas de índice

Índice geográfico :
France

Texto completo

L’état naturel : une vie simple et rustique


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1 Passée la ferveur millénariste, Beaulieu et Zisly se tournent


vers d’autres conceptions de l’état naturel. Les brochures
qu’ils publient entre 1899 et 1901 (Beaulieu signe désormais
de son véritable nom, Henri Beylie)1 montrent qu’il n’est
plus question pour eux de préparer la destruction prochaine
de la société, ni le retour à un Âge d’or préhistorique. Certes,
l’hostilité exprimée à l’égard de la civilisation reste
véhémente et Zisly parle toujours avec nostalgie d’un « état
naturel dans toute sa majestueuse splendeur [...] où le
Paradis Terrestre - dont parlent les Bibles - se réalisa2  ».
Mais les espérances révolutionnaires cèdent le pas devant
l’idéal d’une existence simple, débarrassée des besoins
factices que suscite la vie moderne. «  Faire ses vêtements
[...] son habitation [...] des vases et ustensiles rustiques - (en
la vie naturelle, tout est rustique, le luxe étant aboli) pour la
cuisson des aliments, instruments et armes pour la pêche, la
chasse et son indus trie personnelle, pour tout cela l’homme
ne créera pas d’artificiel, mais il vivra naturellement3  »,
déclare ainsi Zisly. Progressivement épurée, de brochure en
brochure, des dernières traces du mythe préhistorique
qu’exposait Gravelle, la vie naturelle tend à se limiter à une
remise en cause des modes de vie dominants. Dans son
Voyage au beau pays de Naturie, par exemple, Zisly s’en
prend aux normes vestimentaires, mêlant à sa critique des
règles du paraître des considérations inspirées des théories
en faveur de l’aération du corps.
«  Et ces vêtements étriqués, cause de démangeaisons
continuelles par leur frottement sur notre épiderme, qui
nous gênent dans notre marche, entravent tous nos
mouvements  ; et ces cols, véritables carcans en Celluloïd
lustré ou de percaline empesée par des acides, ah  !que tout
cela disparaisse en un immense autodafé, et que l’on
s’habille alors de vêtements flottants, si c’est absolument
nécessaire, ce sera au moins hygiénique, et si, en de certains
moments et endroits il nous est parfaitement loisible de
vivre sans vêtements, nous étalerons notre Nudité, plus belle
et plus virile qu’actuellement elle n’est4 »

2 La dissolution de la communauté émotionnelle que


constituait le groupe des Naturiens de Montmartre explique
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probablement la réduction de la ferveur millénarisme à une


sorte de quête individuelle romantique et archaï- sante.
Toutefois, la critique du progrès et des normes de conduite
sociale à laquelle se livrent Zisly et Beylie s’inscrit également
dans le cadre plus large d’une évolution de l’anarchisme
individualiste. Au tournant du siècle, en effet, le milieu
individualiste abandonne ses espoirs de révolution brutale
pour se tourner vers une stratégie de contestation
multiforme. Le néo malthusianisme, le féminisme,
l’antimilitarisme ou encore l’antialcoolisme dessinent la voie
d’une dénonciation de l’ordre social qui s’attaque à la société
à un autre niveau que celui de son organisation politico-
économique. Perçue parfois comme un éparpillement de
l’anarchisme5, cette variété d’engagements traduit
l’orientation d’une partie du mouvement libertaire vers un
mode de contestation plus diffus, centré sur l’affirmation des
valeurs libertaires plutôt que sur l’action directe. La vie
naturelle, simple et rustique, promue par Zisly et Beylie
s’inscrit dans le cadre de cette contestation des modèles de
conduite dominants - codes vestimentaires, modes
d’habitations et de transports, normes sexuelles et
matrimoniales - dont la sophistication et la complexité
croissantes sont désignées comme les principales sources
d’aliénation de l’individu.
3 L’impact du progrès technologique sur la vie quotidienne par
le développement de l’industrie des biens de consommation,
les révolutions qui ont lieu dans les domaines de l’énergie ou
des transports et leurs consé mouvement socialiste au
modèle productiviste et à l’idéologie scientifique. À cette
modernité triomphante, les Naturiens opposentleur
antimodernisme et leur volonté de retrouver des formes
archaïques d’existence. Leur voix reste faible et ténue si on la
compare à l’ampleur des courants similaires qui traversent le
socialisme anglais à la même époque6. Le thème du retour à
la nature ne rencontre que peu d’écho au sein d’un
prolétariat français moins précocement, moins intensément
et moins tragiquement urbanisé que son homologue d’outre-
Manche. Zisly et Beylie se contentent d’ailleurs de

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constructions théoriques encore impressionnistes et


d’injonctions pressantes au rejet de la vie moderne, sans
pour autant chercher à traduire ces paroles en actes.
Quelques années plus tard, en effet, un « partisan de la Vie
simple  » ayant rendu visite à Zisly s’étonnera d’avoir
rencontré un homme ordinaire, habillé comme tout le
monde, portant souliers, faux-col et chapeau, vivant à Paris
dans un appartement confortable, aux fenêtres larges mais
fermées et sortant peu de chez lui7.

La reconstitution du groupe des Naturiens


4 L’arrivée d’un certain Renou dans le milieu anarchiste
montmartrois au début de l’année 1901 permet au cercle des
Naturiens de se reformer. Âgé de 23 ans, ancien reporter à
L’Aurore8, Renou entre en contact avec Beaulieu et Zisly au
début du mois de février et, après avoir décidé avec eux de
reconstituer le groupe, prend en charge l’organisation des
réunions et leur annonce dans la presse libertaire. Sans
véritable charisme, le jeune homme parvient tout de même à
rassembler autour de lui une poignée de militants. Parmi
ceux-ci, quelques-uns, comme Bariol, Beaulieu, Georges et
Zisly, sont d’anciens membres du groupe fondé par Gravelle
six ans auparavant. La plupart, cependant, sont des
nouveaux venus issus du milieu anarchiste individualiste.
Comme dans la période précédente, les réunions
naturiennes attirent un large éventail de participants
occasionnels, présents pour des raisons diverses et qui ne
trouvent pas dans les thèmes débattus ou les relations qui s’y
nouent de motifs suffisants pour revenir. Certains, militants
libertaires, sont connus et nommés par les informateurs de
la préfecture  ; d’autres, ouvriers de Montmartre, étudiants
du Quartier Latin ou curieux de passage, restent dans
l’anonymat. L’opinion de l’informateur Fourreur, qui ne
fréquente le groupe qu’épisodiquement, révèle certainement
un point de vue répandu chez ces participants occasionnels :
«  Si beaucoup d’anarchistes, même parmi ceux qui ne sont
nullement dangereux, peuvent être considérés comme des
fous, rêvant d’un état social impossible, parmi ces fous, il y
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en a de plus fous encore. Ce sont les naturiens et les


sauvagistes... deux clans qu’il ne faut pas confondre et qui se
détestent entre eux9. »
5 Lors des réunions du groupe, les anciens articles de Gravelle,
les brochures de Zisly et de Beaulieu servent de point de
départ aux débats sur le retour à l’état naturel. Les Naturiens
discutent également des écrits de Tolstoï, dont la pensée se
diffuse dans le milieu anarchiste individualiste parisien
depuis 1898, de la question néo-malthusienne, de la
prostitution réglementée ou de différents projets et
expériences de colonies libertaires menés en France ou à
l’étranger. Ce sont ainsi différents thèmes de la contestation
culturelle individualiste qui sont exposés et discutés, sans
que leur lien avec un éventuel projet de retour à l’état naturel
ne soit nécessairement établi. Toutefois, les enjeux de ces
débats semblent avoir été jugés trop insignifiants par la
préfecture et ses informateurs pour que leur contenu mérite
d’être exposé en détail dans les rapports de surveillance :
«  Ces réunions ne seront jamais nombreuses ni bien
intéressantes  ; mais on peut y voir des types curieux. Ainsi
en dehors de Dufour et de deux ou trois autres, incapables
de mal agir pour vivre, sauf de commettre de petits vols de
légumes, disent-ils, il y avait deux Naturiens ressemblant à
des étudiants dans la misère  : grands cheveux, grandes
barbes. Ceux-là, sous prétexte que la nature est assez riche
pour nourrir l’homme, sont bien déci dés à ne pas travailler
et à vivre aux dépens de ceux qui travaillent trop et sont
exigeants. Eux ne le sont pas. Ils n’ont besoin ni de
logement, ni de vêtements de rechange, ni de rien d’avance,
chaque jour doit leur fournir le nécessaire.De ceux-là on doit
se méfier. Mais jamais ils ne donneront leur nom et leur
adresse. Ont-ils un domicile seulement10 ? »

6 L’intérêt du groupe des Naturiens réside assurément plus,


aux yeux de la police, dans la possibilité qu’il offre de garder
un regard sur les frontières du monde anarchiste et de la
marginalité, que dans les élucubrations que l’on peut y
entendre.
7 Sans qu’elle soit plus approfondie par les rapports de police
que les autres sujets, la question du végétarisme, intimement

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associée à la promotion du naturisme dans d’autres milieux,


mérite qu’on lui accorde une attention particulière. Déjà en
1899, un certain Villeneuve, courtier en produits chimiques
et ancien membre du groupe des Harmoniens, avait présenté
sa volonté d’adhérer au groupe des Sauvagistes comme une
conséquence de ses convictions végétariennes11 .Mais il ne
semble pas, à cette époque, que les Naturiens ni les
Sauvagistes n’aient envisagé le végétarisme comme un
prolongement évident de leur projet de retour à la nature.
Depuis 1895, toutes les évocations de l’état naturel formulées
par Gravelle et ses partisans ont considéré la chasse et la
consommation de viande comme allant de soi. Même Zisly et
Beaulieu, dont les brochures publiées entre 1899 et 1901
tentent de promouvoir un idéal de vie simple et rustique,
n’accordent pas d’attention particulière à la question
alimentaire. C’est avec l’adhésion, en mai 1901, d’une
certaine Rolande (pseudonyme de Léonie Fournival) au
groupe des Naturiens que se pose à nouveau la question du
régime végétarien. Personnage haut en couleur, vivant
d’estampage et professant des idées naturiennes, Rolande
avait quitté Paris pour Londres au printemps 1899. Elle
reparaît deux ans plus tard, convertie au végétarisme, et
déclarant à qui veut l’entendre «  qu’elle a contribué au
développement de l’idée anarchique végétarienne en
Angleterre12  ». Sa réputation d’excentrique la précède.
Expliquant le refus de La Fronde d’insérer sa note en faveur
de la création d’un groupe de végétariens anarchistes,
l’informateur Legrand affirme que le journal la considère
« comme trop exaltée, avec son piétisme spécial et ses signes
de croix devant les boucheries13 ». Elle intervient néanmoins
de façon régulière dans les réunions naturiennes, et sa
défense du végétarisme semble rencontrer la sympathie de
certains participants.
8 Plusieurs indices montrent, par ailleurs, que la question du
végétarisme commence à se poser dans les milieux
libertaires. En 1901, Elisée Reclus publie un article dans La
Réforme alimentaire, la revue de la Société végétarienne de
France. La même année, deux articles favorables au régime

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végétarien paraissent dans Le Libertaire14. Le premier


évoque l’adhésion d’un « certain nombre de camarades » au
végétarisme. Le second, répondant visiblement à des
critiques, s’attache à développer une série d’arguments en
faveur de ce régime. Ces arguments sont d’ordre éthique —
le végétarisme s’oppose à la cruauté envers les animaux -,
physiologique - le système digestif de l’homme est celui d’un
frugivore —, hygiénique — les bouche ries des quartiers
populaires vendent de la viande de mauvaise qualité, voire
frelatée - et économique - le régime végétarien est moins
coûteux. On retrouve là l’ensemble des arguments
développés à la même époque par les militants de la Société
végétarienne en faveur de la réforme alimentaire. Si ces
arguments n’ont rien de spécifiquement libertaires, la
promotion du régime végétarien semble toutefois s’intégrer,
chez certains anarchistes individualistes, à leur stratégie
anti-institutionnelle et participer de leur contestation des
conduites culturelles dominantes. La teneur de ces articles
montre pourtant que la légitimité de l’adhésion au
végétarisme ne va pas de soi pour bon nombre de militants
anarchistes.
9 De même, l’attitude des tenants du naturisme libertaire face
au régime végétarien se révèle problématique. Les
interventions de Rolande en faveur de la réforme alimentaire
au sein du groupe des Naturiens peuvent parfois éveiller une
certaine sympathie de la part des compagnons présents, elles
n’en rencontrent pas moins l’hostilité déclarée d’une partie
des habitués du groupe. Ainsi, à la suite d’un discours de la
végétarienne, « Georges Renard proteste et dit que des gens
qui se réunissent pour discuter des questions intéressantes
économiques et politiques ne devraient pas être forcées
d’entendre de semblables absurdités  ». La note de police
ajoute d’ailleurs que «  la plupart des compagnons présents
ont été de cet avis et ont blâmé les organisateurs de favoriser
de pareilles réunions où on perd son temps et qui finissent
par rebuter de venir au groupe15  ». Dans un article qu’il
publie dans Le Libertaire, deux ans plus tard, Henri Zisly
affiche le même scepticisme à l’égard de la réforme

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alimentaire et conteste le lien de causalité que certains


voudraient établir entre naturisme et végétarisme 16.
10 Les Naturiens apparaissent finalement incapables de se
rassembler derrière une définition commune et précise du
naturisme. Depuis le départ de Gravelle et le refroidissement
de la ferveur millénariste de ses anciens adeptes, la nécessité
de vivre à l’état naturel s’apparente à une affirmation vague
dont les implications pratiques varient au gré des individus
et des interprétations. En juillet 1901, un premier conflit a
entraîné le départ de Renou. À partir de septembre 1901, une
nouvelle polémique s’engage entre naturiens «  anti
scientifiques  », groupés derrière Zisly et Beaulieu, et
naturiens «  scientifiques  », menés par Bariol17. Aux
premiers, dont la quête de l’état naturel continue de
s’apparenter à une rupture radicale avec les valeurs sociales
dominantes et à un désir de retrait du monde, s’opposent les
seconds, soucieux de modérer les excès de la civilisation
urbaine sans renoncer aux bienfaits du progrès. Toutefois,
de tels conflits, au sein d’un groupe aussi restreint que celui
des Naturiens, relèvent certainement plus de rivalités
individuelles que de réelles divergences idéologiques.
Travaillé par ces dissensions, le groupe des Naturiens se
délite à nouveau et cesse, à partir de février 1902, de tenir
ses réunions hebdomadaires. L’interruption sera de courte
durée, puisque l’arrivée d’un nouvel organisateur, Georges
Butaud, permet au groupe des Naturiens de se reconstituer à
la fin du mois de mai.

La colonie libertaire de Vaux


11 Né en 1868, dans une famille de la petite bourgeoisie
républicaine et libre penseuse, Georges Butaud a débuté
comme voyageur de commerce pour le compte de
l’entreprise de fabrication de poêles fondée par son père18.
Alcoolique précoce, il souffre de problèmes de santé
chroniques. En 1891, de retour de deux années de service
militaire au Tonkin, il renonce à sa vie de noceur et travaille
un temps comme polisseur dans l’usine paternelle. Converti
au socialisme allemaniste à l’âge de 25 ans, il rompt avec sa
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famille et commence une vie de militant révolutionnaire,


bientôt remarqué par les services de la préfecture de police
pour la violence de ses propos19. Résolument hostile à la voie
électorale, il évolue progressivement de l’alle- manisme vers
l’anarchisme et milite, dès 1897, pour la création de colonies
libertaires20. Butaud, à qui répugne le travail en usine,
conçoit la fondation de colonies comme un moyen de
s’affranchir individuellement de l’autorité patronale et des
servitudes de la société capitaliste pour expérimenter, à
petite échelle, le communisme libertaire. Il s’oppose, de ce
point de vue, aux principaux ténors anarchistes, comme
Grave ou Kropotkine, qui reprochent aux projets de colonies
d’éloigner les énergies de la lutte révolutionnaire. De même,
en 1898, alors que la majorité des militants libertaires
s’engage dans le combat dreyfusard, Butaud refuse de
prendre la défense d’un officier bourgeois et affirme la
primauté de la lutte sociale sur toute autre considération.
Avec sa compagne Sophie Zaïkowska, il quitte Paris en 1899,
dans le but de fonder une colonie à Saint-Symphorien
d’Ozon. Le projet n’aboutit pas et le couple s’installe à
Vienne (Isère). Loin de Paris, des réunions et des meetings,
Butaud se consacre à la propagande écrite. Après avoir
publié une courte brochure21, il lance Le Flambeau, organe
des ennemis de l’autorité, en septembre 1901. Voulu comme
une tribune libre pour les différents courants de
l’anarchisme individualiste, ce journal ouvre ses colonnes à
l’anarchiste chrétien Armand22, aux articles naturiens de
Zisly et Beylie, à la propagande néo-malthusienne de Bariol
ou encore à Janvion, qui a violemment critiqué l’engagement
dreyfusard de Sébastien Faure. L’expérience s’achève en
mars 1902, à la suite d’une condamnation du journal. Par
ailleurs, l’aube du vingtième siècle est pour Butaud, comme
pour la plupart des anarchistes individualistes, un temps de
renoncement désabusé à tout espoir de révolution à court
terme et de repli sur soi. Puisque la servilité des masses ne
peut permettre d’espérer transformer brutalement la société,
il convient de s’attacher à transformer l’individu, à faire
émerger un homme nouveau, à se réformer soi-même et à

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s’affranchir individuelle ment de l’ordre social dominant.


C’est probablement dans cette perspective que Butaud
devient, à cette époque, végétarien et abstinent de bois sons
alcoolisées.
12 De retour à Paris à la fin du mois d’avril 1902, Butaud
renoue avec le milieu anarchiste individualiste de la capitale.
Une note de police signale qu’il se propose de réorganiser
différents groupes en sommeil, notamment celui des
Naturiens23 dont il connaît bien les principaux membres
pour avoir publié leur prose dans les colonnes du Flambeau.
À la fin du mois de mai, le cercle tient à nouveau ses
réunions hebdomadaires. Rejoint par différents militants
individualistes favorables à la création d’une colonie
libertaire en milieu rural, parmi lesquels Armand24, le
groupe fait progressivement de cette colonie le principal,
voire l’unique objet de ses réunions. À la fin de l’année, ses
membres fondent une Société pour la création d’un milieu
libre en France. Le groupe des Naturiens, qui fait désormais
double emploi avec les réunions de la Société, se délite
progressivement. La plupart des rencontres ne sont plus
l’objet que de conversations particulières et, en février 1903,
une note de police affirme que le groupe «  n’a plus rien de
naturien que le nom, puisqu’il ne s’occupe plus du retour à
l’état naturel et qu’il est devenu, en réalité le groupe de la
Colonie Libertaire25  ». Dans le courant du mois de
septembre, le groupe cesse définitivement de se réunir.
13 La colonie voit le jour en février 1903, à Vaux, près de
Château-Thierry, grâce à un paysan qui met à disposition
des terres et des bâtiments. Les grandes lignes de la
fondation et de l’histoire du Milieu libre de Vaux sont
connues26. Expérience de communisme pratique, elle
rassemble des militants libertaires de diverses sensibilités
qui ne la conçoivent pas comme la mise en oeuvre du
programme naturien ni comme une tentative de retour à la
nature, mais plutôt comme une réalisation politico-
économique  : un essai d’émancipation à l’égard du
capitalisme et du salariat par la constitution d’une
communauté vivant en régime non autoritaire et autarcique.

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C’est égale ment sur cet aspect de la colonie que portent les
critiques. En effet, les ténors anarchistes restent fermement
hostiles à cette expérience. Attaqués dans Le Libertaire en
décembre 190327, les colons doivent défendre le bilan de
leurs réalisations dans leur Bulletin mensuel. Par ailleurs, les
dissensions internes ne tardent pas à apparaître. Butaud et
Sophie Zaïkowska, qui ont rejoint le milieu libre en mars
1903, se sont progressivement imposés comme les
animateurs de l’expérience. Sous leur impulsion, on a fait
appel à de nouveaux colons pour développer des activités
artisanales  : la bonneterie, l’habillement, avec la création
d’un atelier de tailleurs, puis la cordonnerie. Mais
l’autoritarisme du couple semble difficilement vécu :
«  Mme Fuzelier est revenue du "Milieu Libre" avec une
brassée de fleurs. [...] Là-bas, à la colonie, on voulait la
garder car ça manque de femmes, mais cette vie
campagnarde ne lui plaisait pas. Il y a deux maisons  ; elle
habitait celle où n’étaient pas Butaud et sa compagne. Ceux-
ci ne sont pas aimés ; ils se croient les chefs de la colonie et
les autres les traitent d’autoritaires. On n’a pas de patron,
mais on a l’irritabilité permanente du terrible couple28. »

14 En avril 1904, à la suite d’un conflit, Butaud et Zaïkowska


doivent quitter le milieu libre. Rappelés par les colons, ils
reviennent six mois plus tard avant de repartir à nouveau. La
colonie vivote (elle rassemble quatre hommes, deux femmes
et un enfant en 1905) jusqu’à sa liquidation en février 1907
15 D’un intérêt relativement faible si l’on s’intéresse à sa portée
politique ou économique, cette expérience mérite, en
revanche, d’être appréhendée comme la traduction concrète
d’une volonté de retrait du monde et de création, à petite
échelle, d’une cité utopique. L’attitude des Naturiens nous
semble, à cet égard, particulièrement significative. Nous
avons remarqué précédemment que, dès sa formation en
avril 1895, le groupe avait formulé le projet de fonder une
colonie et de s’y établir. Cette ambition demeurait toutefois
marginale dans les préoccupations des Naturiens et
l’essentiel de leurs conversations et de leurs publications
portait sur un état de nature que Gravelle leur proposait de
conquérir par la révolution. Dans l’effervescence millénariste
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qui les agitait, les compagnons du peintre montmartrois se


laissaient transporter dans les images du paradis perdu que
celui-ci soumet tait à leur imagination et se plaisaient à rêver
d’un retour prochain de l’humanité entière à l’Âge d’or. Avec
la création du Milieu libre de Vaux, les ambitions
naturiennes ont pris une toute autre tournure. Il n’est plus
question de détruire la civilisation pour hâter l’avènement
du millenium égalitaire et libertaire et restaurer le paradis
terrestre des temps préhistoriques. Il s’agit désormais de fuir
l’ordre social pour fonder dans la nature, c’est-à-dire à la
campagne, une communauté restreinte, formée d’individus
affranchis des lois et de la morale, indifférente à l’égard du
reste du monde, et accomplissant, à petite échelle, la
promesse d’un ordre nouveau. De 1898 à 1902, les Naturiens
ont donc progressivement abandonné leur ancienne
conception de la nature pour en adopter, implicitement, une
nouvelle. Le retour à la nature n’est plus, comme dans le
projet millénariste de Gravelle, une fuite vers un autre temps
- celui de l’Âge d’or. Il est désormais une fuite vers un autre
lieu, en marge de la société, où l’on pense pouvoir vivre dès à
présent dans un état utopique de bonheur parfait et
d’harmonie.
16 De façon plus générale, il faut rappeler que les projets de
constitution de colonies ou de phalanstères habitent le
socialisme libertaire depuis ses origines. L’expérience de
Vaux, qui semble être l’une des premières réalisations
concrètes de colonie anarchiste en France, doit être replacée
dans le contexte d’un plus vaste courant qui conduit ceux des
militants libertaires qui refusent l’entrée dans les syndicats à
délaisser les grands mythes de la grève générale et de la
révolution sociale pour s’intéresser à la fondation de milieux
libres. Il n’est plus question de mettre le monde à feu et à
sang pour renverser la société, mais de s’émanciper de toute
contrainte extérieure et de vivre son idéal en marge d’un
monde irrémédiablement corrompu. De la fondation du
Milieu libre de Vaux jusqu’à la Grande Guerre, Jean Maitron
recense dix autres expériences de colonies dont les durées de
vie s’étendent de quelques mois à plusieurs années29. On voit

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ainsi s’achever un processus qui, depuis l’échec de la vague


d’attentat des années 1890, a conduit l’anarchisme
individualiste du millénarisme révolutionnaire à l’utopie des
communautés néo-rurales. Ces remarques incitent alors à
dépasser le niveau de la rationalité politique et économique,
sur laquelle débattent promoteurs et détracteurs de la
colonie, pour tenter d’approcher les finalités fondamentales
de l’expérience.
17 Dans une étude consacrée aux millénarismes30, Roger
Bastide rappelle qu’il est classique d’analyser ceux-ci comme
des réactions aux processus d’acculturation et au sentiment
d’anomie produits par le développement de la modernité.
Invitant à attacher plus d’importance aux finalités des
millénarismes qu’à leur contenu, il soutient que ces
mouvements cherchent moins à revenir aux valeurs
traditionnelles et aux modes de vie menacés de disparaître
qu’à restaurer une conscience de groupe compromise par le
changement social. Le millénarisme confère, selon lui, une
nouvelle dignité à des groupes sociaux touchés par des
mutations qui désarticulent les relations anciennes et les
formes d’organisations qui donnaient à chacun sa place et
son identité. Dans le cas de l’expérience du Milieu libre de
Vaux, les colons ne sont pas des ouvriers issus du monde
rural, urbains de fraîche date, pour qui le retour à la terre
serait un moyen de renouer avec un passé personnel. La vie
des campagnes est étrangère à ces anarchistes de la capitale
et la fondation de la colonie apparaît moins comme un
retour a la nature que comme un recours à la nature31, face
au désarroi que provoque chez eux la désagrégation de leurs
modes de sociabilité et d’action politique traditionnels.
Derrière les formes du militantisme anarchiste
individualiste, en effet, vivait une culture populaire - une
façon d’appréhender le monde, de donner du sens à la réalité
et de construire des espérances pour le futur - dont la
disparition, à l’aurore du nouveau siècle, a pu être vécue avec
la sensation d’assister à la « fin d’un monde32 ». Le rejet de
l’ordre social par la formation de micro-communautés néo-
rurales apparaît donc comme un moyen de résoudre le

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problème posé par une réalité quotidienne dans laquelle


cette culture génératrice de sens tend à s’effacer. L’aspiration
à une vie simple, réduite à la satisfaction des besoins
naturels, la volonté de s’affranchir du salariat et des lois de la
société (propriété privée, normes vestimentaires, règles
matrimoniales...) montrent qu’au-delà de ses enjeux
politiques et économiques, la fondation de colonies
libertaires repose sur une contestation radicale des normes
sociales et culturelles dominantes et sur l’espoir de
retrouver, dans l’expérience utopique, la source d’une
nouvelle identité collective pourvoyeuse de dignité
individuelle.
L’hydrothérapie selon Vinzenz Priessnitz

01 - La sudation au lit (Archives publiques de la


circonscription de Jesenik [Státniokresni archiv v
Jeseniku]).

02 - Le bain après la sudation (Archives publiques de la


circonscription de Jesenik).

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03 - Application de compresses humides (Archives


publiques de la circonscription de Jesenik).

04 - Friction avec une compresse humide (Archives


publiques de la circonscription de Jesenik).

05 - Les bains successifs (Archives publiques de la


circonscription de Jesenik).

06 - Le demi-bain pour provoquer la fièvre (Archives


publiques de la circonscription de Jesenik).

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07 - Bain d’air et d’eau devant la fenêtre08 - Réchauffement


de l’infirme avant et ouverte. (Archives publiques de la
après la cure. (Archives publiques de la circonscription de
Jesenik). circonscription de Jesenik).

08 - Réchauffement de l’infirme avant et après la cure.


(Archives publiques de la circonscription de Jesenik).

09 - Aspersion d’un malade en état de torpeur (Archives


publiques de la circonscription de Jesenik).
Les anarchistes naturiens

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10 - « L’HOMME PRIMITIF : "Eh bien !mes petits enfants,


si c’est-là ce que vous donne le Progrès... !"», L’État naturel
et la part du prolétaire dans la civilisation, n° 1, s.d. [juillet
1894] (IIHS [Institut international d’histoire sociale,
Amsterdam]).

11 « La Vie primitive sur le territoire de la France (époque


préhistorique, âge de la pierre polie) », L’État naturel..., n°
1, p. 2 (IIHS).

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12- «  L’HOMME PRIMITIF. - Imprudents, que faites-vous


de sortir ainsi, sans fourrures, lorsqu’il fait si froid ?... LES
MODERNES -... Des fourrures ?... On doit bien qu’t’était pas
civilisé, toi l’ancien ! Tu sauras qu’à présent, faut vingt-cinq
mille francs de rente pour se payer du poil comme t’en as
sur le dos!... ». L’État naturel et la part du prolétaire dans
la civilisation, n"2, février 1895 (IIHS).

13 - « C’est çà qu’ils appellent vivre en société... Quel gâchis,


mes frères!!!», Le Sauvage satirique pour la critique des
solennelles âneries et des imposantes fariboles qui étayent
la civilisation, n" 1, s.d. [1899] (IIHS).

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14 - «  Les Cités-enfers devenues les rouges foyers de la


Haine seront abandonnées ! L’Humanité instruite des
causes du Mal, abattra l’Arche de la prétendue science! Par
le triomphe de la Nature sur l’Artificiel, la Terre reprendra
sa verte parure  ! Et les hommes retrouveront alors la joie
de vivre ! », Le Sauvage satirique, n° 2, s.d. [1899] (IIHS).

15 - Marius Cayol, La Vie naturelle, Luttre, s.d.


[probablement 1909], 18 p. (IIHS).

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3/12/21 19:30 Histoire du naturisme - Chapitre VIII. Du millénarisme à l’utopie - Presses universitaires de Rennes

16 - Edmond Corval Le Naturisme ou la meilleure manière


de combattre la vie chère, œuvre de propagande pour la
régénération humaine par la vie primitive et la théosophie,
Paris, Kosmos, 1922, 32p. (Bibliothèque Sainte-Geneviève,
Paris).

17 - Hygie, n° 57, 15 juillet 1912 (collection André Gaillard).

18 - L’Echo Kneipp, n° 119-120, 15 juin et 1«juillet 1898


(collection André Gaillard).

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19 - La Réforme alimentaire, vol. XII, n° 10, 15 octobre 1908


(collection André Gaillard).

20 - Publicité pour le restaurant Natura- 19 - La Réforme


alimentaire, vol. XII, Vigor, La Réforme alimentaire, vol.
XII, n° 10, 15 octobre 1908n° 10, 15 octobre 1908, p. 12
(collection André Gaillard). (collection André Gaillard).

21 - Bains d’air au sanatorium naturiste de Finkenmühle,


supplément à La Réforme alimentaire, vol. XIV, n°9,
15septembre 1910, p. I (collection André Gaillard).

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22 - Une hutte d’air, supplément à La Réforme alimentaire,


vol. XIV, n°9, 15 septembre 1910, p. III (collection André
Gaillard).

23 - La Revue naturiste, janvier 1925 (collection André


Gaillard).

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24 - Traitement naturiste des enfants de l’Hospice de


Brévannes pendant la Grande Guerre, Paul Carton, La
Cure de soleil et d’exercices chez les enfants, Brévannes,
chez l’auteur, 3e édition, 1935, p. 28 (collection personnelle).

25 — Paul Carton, La Cure de soleil..., p. 34 (collection


personnelle).

26- Paul Carton, La Cure de soleil..., p. 38 (collection


personnelle).
La « culture humaine » selon la revue Naturisme

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27 - Naturisme, n° 128, 4 décembre 1930 (collection Denis


Peyrat).

28 - Naturisme, n° 130, 18 décembre 1930 (collection Denis


Peyrat).

29 - Naturisme, n° 140, 26 février 1931 (collection Denis


Peyrat).

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30 - Naturisme, n° 159, 9 juillet 1931 (collection Denis


Peyrat).

31 - Naturisme, n° 171, 1er octobre 1931 (collection Denis


Peyrat).

32 - Naturisme, n° 177, 12 novembre 1931 (collection Denis


Peyrat).

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33 - Naturisme, n° 186, 14 janvier 1932 (collection Denis


Peyrat).

34- Naturisme, n° 216-217, 11 et 18 août 1932 (collection


Denis Peyrat). Denis Peyrat).

35 - «  La Page de la femme  », Naturisme, n"308, 17 mai


1934, p. 12 (collection Denis Peyrat).

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36 - «  Force, souplesse, grâce  », Naturisme, n°334, 15


novembre 1934, p. 4 (collection Denis Peyrat).

37 - «  La forme humaine normale  », André et Gaston


Durville, Fais ton corps, Paris, éditions de «  Naturisme  »,
s.d., p. 69 (collection personnelle).

38 - «  La femme de demain aura une forme athlétique  »,


André et Gaston Durville, Fais ton corps, Paris, éditions de
« Naturisme », s.d., p. 95 (collection personnelle).
Entre athlétisme et érotisme : la mise en scène de la
nudité

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39 - «  Danse rythmique  », Louis-Charles Royer, Au Pays


des hommes nus, Paris, Éditions de France, 1929, p. 189
(collection personnelle).

40 - «  Le Matin dans le verger  »... «Le soir au logis  »,


Louis-Charles Royer, Au Pays des hommes nus, Paris,
Éditions de France, 1929, p. 124 (collection personnelle).

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41 - Roger Salardenne, Un Mois chez les nudistes, nouveau


reportage en Allemagne, Paris, Prima, 1930 (collection
personnelle).

42 - Roger Salardenne, Un Mois chez les nudistes, nouveau


reportage en Allemagne, Paris, Prima, 1930, p. 64
(collection personnelle).

43 - Vivre, culture physique et mentale, hygiène - sports,


arts et sports, n° 6, 15 août 1926 (collection Fédération
française de naturisme).

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44 - Marcel Kienné de Mongeot, Vivre..., n° 10, 15 décembre


1926, p. 3 (collection Fédération française de naturisme).

45 - Pierre Vachet, La Nudité et la physiologie sexuelle,


Paris, Vivre intégralement, hors série n° 2, 1928, p. VII
(collection Fédération française de naturisme).

46 - Henri Nadel, Devons-nous vivre nus  ? tome 2  : La


Nudité et la santé, Paris, Vivre intégralement, hors série n°
4, 1929 (collection personnelle).

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47 - Henri Nadel, Devons-nous vivre nus  ?...,p. 16


(collection personnelle).

48 - Vivre intégralement, n" 55, 15 octobre

49 - Tract édité par le Sparta-Club, sans date [fin 1932 ou


1933] (collection personnelle).

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50 - Publicité pour le Sparta Club, Vivre santé, joie, beauté,


n ° 152, 1er novembre 1933, p. 2 (collection J. P. Brochard).

51 - Renée Dunan, La Chair au soleil, Paris, éditions de


Vivre, collection de la Libre Culture, 1930, p. 48, 80
(collection personnelle).

52 - Naturistes de la Côte d’Azur, Vivre santé, 1936


(collection J. P. Brochard).

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53 — Tarnos Plage, côte basque, Vivre d’abord, 1937


(collection J. P. Brochard).

54 — Tarnos Plage, côte basque, Vivre d’abord, 1937


(collection J. P. Brochard).

55 - Plage d’Etretat, Vivre d’abord, 1937 (collection J. P.


Brochard).
Naturisme, nudisme et loisirs de plein air

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56 - Bords de Marne, Vivre intégralement, 1929 (collection


J . P. Brochard).

57- Association culturiste d’Alger, Vivre intégralement,


1932 (collection J. P. Brochard).

58 - Les membres de La société naturiste « Hélios Club » de


Bordeaux, Naturisme, n ° 220, 8 septembre 1932, p. 6
(collection Denis Peyrat).

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59 - Physiopolis, Naturisme, n ° 229, 10 novembre 1932


(collection Denis Peyrat).

60 - Plan du Club Gymnique de France à Villecresnes, tract


non daté [années trente] (collection André Gaillard).

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61- Plan du Sparta-Club, Vivre intégralement, n° 122, 15


octobre 1932, p. 2 (collection Fédération française de
naturisme).

62 - Sparta Club, Vivre, santé, joie, beauté, 1933 (collection


J. P. Brochard).

63 - Natura-Club de Bordeaux, Vivre, santé, joie, beauté,


1933 (collection J. P. Brochard).

64 - Naturistes d’Auvergne, Vivre, santé, joie, beauté, 1933


(collection J. P Brochard).
18 Toutefois, l’absence de règle commune et la complète liberté
laissée à chacun de se conduire comme bon lui semble ne
tardent pas à générer des tensions parmi les colons. Henri
Zisly évoque ce problème lorsqu’il tente, dans un article de
1907, de dresser un bilan de l’expérience  : «  Les actifs, les
raisonnables labourent la terre, explique-t-il, pendant que
les Naturiens et les végétariens roupillent jusqu’à midi ou
s’en vont sous les arbres lire Stirner33  » Par ailleurs, à
l’inverse des expériences similaires menées par des groupes
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religieux, les colons de Vaux ne sont pas unis par l’adhésion


à un dogme ou par la croyance en l’existence d’une puissance
transcendante dont l’interprétation de la volonté viendrait
légitimer l’autorité d’un homme ou d’un groupe. Ainsi, la
prétention de Butaud à imposer son autorité et sa volonté
d’orienter la marche du milieu libre dans un sens conforme à
sa conception du retour à la nature constituent une source
de discorde. Ses tentatives pour proscrire la consommation
d’alcool et de viande à la colonie, par exemple, mettent en
lumière la violence des rivalités que soulève la question de la
direction de l’expérience. Le Bulletin de la colonie d’avril-
mai 1904 évoque ainsi une altercation entre Butaud et Beylie
après que ce dernier eut fait expédier à Vaux des huîtres
achetées à une coopérative communiste. Le rédacteur
déclare :
«  Lui seul, Butaud, récriminait comme il l’avait déjà fait
lorsqu’on acheta du vin sur la demande des colons, alors que
lui, s’obstinait à manger des haricots et à boire de l’eau. Ce
système qui tournait à la règle établie était excessivement
mauvais, car il influait sur l’initiative des colons, qui de peur
de Butaud, s’inclinaient devant ses volontés34 »

19 Chez la plupart des colons, le retrait du monde par le retour


à la nature est envisagé avant tout comme la réalisation de
quelques grands principes libertaires  : vie communautaire,
propriété collective, union libre et rejet de toute forme
d’autorité. L’adoption d’un mode de vie rural et la plus
grande proximité avec le milieu naturel ne sont pas valorisés
en soi, sinon pour la possibilité qu’ils offrent de rompre avec
la société et de vivre en autarcie. Pour Butaud, en revanche,
la suppression des lois qui régissent l’ordre bourgeois et le
retour à un état naturel de l’organisation humaine
impliquent une réforme profonde des comportements
individuels. La substitution de l’ordre naturel à l’ordre social
ne se traduit pas par le simple rejet de toute contrainte
extérieure sur l’individu, ni même, comme dans les discours
de Gravelle, par un rêve de fusion dans une nature sauvage
et exubérante, mais par l’adoption d’un mode de vie
ascétique conforme aux règles de l’hygiène qu’a permis

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d’établir la connaissance scientifique du fonctionnement de


l’organisme humain.

Notas
1. H. Zisly, En conquête de l’état naturel, Paris, 1899 ; Voyage au beau
pays de Naturie, Paris, 1900  ; Réflexions sur le naturel et l’artificiel,
Paris, 1901 ; H. Beylie, La Conception libertaire naturienne, exposé du
naturisme, Paris, 1901  ; H. Beylie et H. Zisly, Rapport sur le
mouvement naturien, Paris, 190
2. H. Zisly, En conquête..., op. cit., p. 4.
3. Ibidem, p. 7-8.
4. H. Zisly, Voyage..., op. cit., reproduit dans Invariance, juillet 1993, p.
64.
5. Max Nettlau évoque l’impression de «  dispersion  » ou de
«  décadence  » de l’anarchisme qu’éprouvent alors certains militants
(Histoire de l’anarchie, Paris, 1986 [1971], p. 263). Jean Maitron, quant
à lui, parle d’une « dispersion des tendances » préjudiciable à l’efficacité
du mouvement (Le Mouvement anarchiste..., op. cit., p. 343-381).
6. P. C. Gould, Early Green politics : back to nature, back to the land,
andsocialism in Britain, 1880-1900, Brighton, p. 15-28. L’auteur
distingue les courants de retour à la terre, à l’économie agricole et à la vie
rurale («  back to the land  ») des mouvements naturistes de
simplification de l’existence (« back to nature ») auxquels s’apparentent
les positions défendues par Zisly et Beylie.
7. A. Laforge, « La Vie naturelle et les Naturiens », L’Idée libre, n° 21,
août 1913, p. 199.
8. Legrand, 18 juin 1901, APP : Ba 1508.
9. Fourreur, 20 mars 1901, APP : Ba 1508.
10. Ibidem.
11. Legrand, 26 juin 1899, APP : Ba 1498.
12. Legrand, 15 mai 1901, APP : Ba 1508.
13. Legrand, 29 mai 1901, APP : Ba 1498.
14. Adrien, « Le Végétarisme et la question sociale », Le Libertaire, 24-
31 août 1901, p. 3 et VEGETUS, «  Un Mot sur le végétarisme  », Le
Libertaire, 29 septembre-5 octobre 1901, p. 7.
15. Finot, 12 septembre 1901, APP : Ba 1508.
16. H. Zisly, « Réflexions sur le végétarisme », Le Libertaire, 26 avril-3
mai 1903, p. 3. Cet article suscite des réactions de la part des partisans
du régime végétarien  : J. Dupin,, «  Réflexions sur le végétarisme,
réponse à H. Zisly  », Le Libertaire, 15-21 mai 1903, p. 3 et
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« Végétarisme », Le Libertaire, 3-10 juillet 1903, p. 3. Ce dernier article,


non signé, synthétise le contenu de dix lettres reçues par la rédaction du
journal en réaction à l’article de Zisly.
17. Legrand, 17 juillet et 3 septembre 1901, APP : Ba 1508.
18. Sauf mention contraire, les informations relatives à la biographie de
Butaud sont extraites de S. Zaïkowska, «  La Vie et la mort de G.
Butaud », Le Vigétalien, avril-novembre 1926, p. 50 et décembre 1926-
janvier 1927, p. 14-21.
19. Cossé, 16 février 1896 ; Finot, 7 avril et 29 décembre 1896, APP : Ba
80.
20. Finot, 18 décembre 1897 ; Lucien, 4 août 1898, APP : Ba 308.
21. G. Butaud, Ce que j’entends par individualisme anarchique, Vienne,
1901.
22. Ancien salutiste, Armand (Ernest Juin) a évolué vers le
protestantisme libéral, puis vers un anarchisme chrétien inspiré de
Tolstoï (A. Baubérot, « Juin Ernest », J.-P. Chantin (dir.), Les Marges
du christianisme..., op. cit., p. 141-142).
23. Finot, 19 mai 1902, APP : Ba 1498.
24. À partir de 1902, Armand donne des conférences sur les colonies
communistes chrétiennes de Hollande et de Russie dans les cercles
libertaires parisiens (Finot, 5 novembre 1902, 7 et 28 janvier 1903, APP :
Ba 1508).
25. Finot, 11 février 1903, APP : Ba 1508.
26. Elles ont été exposées dès 1908 dans G. Narrat, Milieux libres,
quelques essais contemporains de vie communiste en France, doctorat
de droit, Paris, Alcan, 1908. Voir également J. Maitron, Le Mouvement
anarchiste..., op. cit., p. 385-390.
27. Le Libertaire, n° 5, 5-12 décembre 1903.
28. Foureur, 21 juillet 1903, APP : Ba 1508.
29. J. Maitron, Le Mouvement anarchiste..., op. cit., p. 384-385.
30. R. Batiste, « Le Millénarisme comme stratégie de la recherche d’une
nouvelle identité », Le Sacrésauvage, op. cit., p. 149-158.
31. Cf. les remarques de D. Léger et B. Hervieu à propos des
communautés néo-rurales des années 1970 (Le Retour à la nature. « Au
fond de la forêt... l’État », Paris, 1979, p. 9).
32. Selon l’expression de G. Manferdonia, L’Individualisme anarchiste...,
op. cit., p. 198.
33. H. Zisly, « Sur la colonie de Vaux », Le Libertaire, 24 février 1907, p.
1.

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34. Bulletin mensuel de la colonie communiste le « Milieu libre », avril-


mai 1904, p. 1.

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BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre VIII. Du millénarisme à l’utopie In:
Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature [en línea].
Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el 03
décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22885>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22885.

Referencia electrónica del libro


BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
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Histoire du naturisme

Le mythe du retour à la nature


Arnaud Baubérot

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3/12/21 19:31 Histoire du naturisme - Chapitre IX. Anarchisme individualiste et réforme des modes de vie - Presses universitaires de Rennes

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universitaires
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Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre IX.
Anarchisme
individualiste et
réforme des
modes de vie
p. 195-216

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France

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L’ordre de la nature contre l’ordre social


1 Il n’est pas nouveau, pour les anarchistes, d’opposer à l’ordre
social, à ses lois et à sa morale artificielles, un ordre naturel
garant de l’émancipation de l’individu. Au début des années
1880, Bakounine affirmait déjà que « la liberté de l’homme
consiste uniquement en ceci  : qu’il obéit aux lois naturelles
parce qu’il les a reconnues lui-même comme telles, et non
parce qu’elles lui ont été extérieurement imposées par une
volonté étrangère, divine ou humaine, collective ou
individuelle quelconque1  ». Chez Élisée Reclus, également,
l’étude géographique est intimement liée à la conviction que
la connaissance scientifique et le respect des lois qui
régissent la nature sont nécessaires à la liberté humaine2. Il
est plus inédit, en revanche, que ces lois naturelles soient
associées à des règles de comportement, touchant à
l’alimentation, à l’abstinence de tabac ou d’alcool et, plus
généralement, définissant une façon hygiénique de conduire
l’existence. Pourtant le cas de Georges Butaud n’est pas isolé
et l’on assiste, durant la décennie qui précède la Grande
Guerre, à la diffusion progressive, chez les anarchistes
individualistes, de l’idée selon laquelle l’affranchissement de
l’individu à l’égard de la société passe nécessairement par
une transformation concrète de son mode de vie.
2 Alors que la fin des espérances révolutionnaires conduisait
les individualistes à un repli sur la question de
l’émancipation individuelle, la fréquentation des écrits de
Tolstoï et de Max Stirner3 a alimenté leur réflexion théorique
et contribué à favoriser, dans les premières années du siècle,
la constitution d’une doctrine implicite propre à ce courant.
Par ailleurs, les échecs de la colonie de Vaux et des
expériences similaires menées vers la même époque ont
discrédité l’utopie néo-rurale aux yeux de nombreux
anarchistes individualistes. L’idée commence alors à poindre
selon laquelle la perspective d’une révolution ne sera

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envisageable que dans la mesure où elle aura été le fruit


d’une évolution, d’un lent travail d’éducation visant à faire
émerger un homme nouveau, véritablement affranchi de
tout préjugé et de toute aliénation4. Désormais, la nature
s’appréhende moins comme un lieu offert pour se retirer de
la société et vivre en autarcie que comme un ensemble de
lois physiques et biologiques objectives dont les vérités sont
accessibles à l’homme par la science et la raison, un ordre
universel au nom duquel l’ordre social peut être dénoncé
comme antirationnel et antinaturel. De la recherche et de la
définition d’un ensemble de lois de la nature, les anarchistes
individualistes tirent une nouvelle morale qui vient guider
leur désir de régénération. Cette morale naturelle s’oppose,
selon eux, à l’ancienne morale héritée du christianisme et
s’impose en ce qu’elle s’appuie sur des principes
scientifiquement démontrés. Instrument de lutte, elle
légitime la contestation des normes sociales et culturelles
dans des domaines aussi vastes que ceux de la procréation,
du régime matrimonial, de la propriété, de l’alimentation ou
de l’habillement. Une sorte de néo-stoïcisme se diffuse ainsi
au sein de l’anarchisme individualiste, sous l’influence,
notamment, du philosophe libertaire Han Ryner qui, par ses
ouvrages, ses conférences, ses inter ventions dans les
réunions contradictoires ou ses cours aux universités
populaires, alimente la réflexio théorique des militants5. La
recherche des implications pratiques de cette morale
stoïcienne entraîne de nombreux anarchistes individualistes
à s’engager dans la voie d’une transformation de leurs
conditions d’existence. On assiste ainsi au développement
d’un discours qui tend à présenter la réforme des modes de
vie comme une méthode de libération individuelle et qui
trouve dans la lutte contre les aliments et substances
considérés comme toxiques (viande, alcool, tabac, café) l’une
de ses expressions les plus affirmées.
3 La nébuleuse militante qui gravite autour de l’hebdomadaire
individualiste L’Anarchie semble se rallier très tôt à l’idée de
la réforme des modes de vie et adopter les pratiques qui lui
sont liées. Pour Libertad, fondateur du périodique en 1905,

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le refus de la viande, du tabac et de l’alcool est avant tout un


moyen de se distinguer de la masse grégaire que forme le
monde ouvrier. Dans ses éditoriaux, il dénonce
régulièrement l’alcoolisme des «  moutons de Panurge  » et
ironise à loisir sur le 1er mai, «  fête des bistrots6  ». André
Colomer, évoquant les hauts faits de ce militant volontiers
provocateur et bagarreur, relate ses prêches comme ceux
d’un prophète illuminé »
«  Libertad allait dans les bars et dans les restaurants où le
peuple mange et boit. Il s’y arrêtait debout parmi les tables
maculées de graisse et de vin et il disait aux ouvriers  :
"Esclaves qui bercez votre douleur sale du mot de liberté [...]
apprenez à être libres quotidiennement.

Ne mangez pas l’impur aliment de la chair qui fut vivante. Le


gras qu’elle vous fournit est pour vos muscles comme l’huile
aux engrenages des machines. Elle en facilite le bon
fonctionnement afin que leur usure puisse servir plus
longtemps à des fins qui leur sont étrangères. En mangeant
de la chair animale, vous vous rendez complices
d’innombrables meurtres qui ne vous profitent pas. Vous
êtes des victimes qui se laissent nourrir du sang d’autres
victimes.

Ne buvez pas l’alcool, ne fumez pas le tabac. Tuez en vous


ces gestes héréditaires qui ont créé en vous, malgré vous, un
besoin contre vous. L’alcool ne fait pas que tuer  : ce serait
encore peu de chose. Comme le tabac, il fait oublier et il ne
faut pas oublier, il ne faut rien oublier de soi, de tout ce que
l’on a souffert comme de tout ce que l’on a joui, de tout ce
que l’on a senti, pensé, voulu en toute sa vie, - afin de
pouvoir, se tenant tout entier sous la lumière de sa
conscience, se dire vraiment un être libre - un individu".

[...] au-dessus du moutonnement fécal de la Bêtise, parfois,


une jeune tête se dressait avec l’incertaine clarté un peu
hagarde des yeux qui voient soudain grand jour après tant de
nuits... Et Libertad lui disait  : "Viens, camarade, laisse ces
brutes, viens avec nous vivre ta vie hors du troupeau". Et
d’un élan de toute l’âme, un compagnon nouveau,
héroïquement se détachait de l’armée des esclaves pour se
joindre à la petite bande des réfractaires7 »

4 Convaincus que l’apathie et la soumission du monde ouvrier


rendent impossible toute perspective de révolution, les
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compagnons de Libertad voient dans l’adoption d’un


nouveau mode de vie le signe d’une réelle volonté
d’affranchissement, apanage d’une maigre élite de vrais
révolutionnaires. De même, pour Lorulot, cofondateur de
L’Anarchie avec Libertad et successeur de celui-ci à la tête
du journal en 1909, boire et fumer revient à imiter «  les
gestes imbéciles des autres hommes  », incapables de se
réformer eux- mêmes. L’anarchiste doit être un individu
conscient qui soumet tous ses actes à une critique sérieuse et
refuse de sacrifier aux mœurs, aux coutumes et à la morale
courante8. Lorulot a également recours à des arguments plus
scientifiques. Ainsi fait-il référence à des expériences
conduites à la Faculté de médecine pour prouver la nocivité
du tabac, ou aux travaux de Pasteur sur les boissons
fermentées. Mais sa contestation des formes culturelles
dominantes l’entraîne, au-delà des considérations purement
hygiéniques, à dénoncer pêle-mêle, comme effets néfastes de
la civilisation, le goût de la parure et du luxe, le port du
deuil, «  le goût imbécile pour les sports  », «  les
pleurnicheries musicales » et la poésie9.
5 Armand, pour sa part, bien qu’il raille les aberrations des
«  Naturiens extrêmes  » qui voulaient «  biffer tous les
progrès scientifiques et nous ramener à ce qu’ils dénomment
"l’âge d’or", au temps des voyages à cheval, des métiers à
main ou à bras et des bateaux à voile », reconnaît néanmoins
que, « pris dans son acception rationnelle, envisagé comme
l’ont fait les Tolstoï, les Carpenter, les Crosby, le "naturisme"
attire la sympathie dans sa tendance générale à réagir contre
le machinisme à outrance et la fièvre désordonnée qui mène
l’homme contemporain10  ». L’éphémère groupe des
Naturiens égalitaires qu’il fonde en novembre 1912 avec
Léon Bonnery et Henri Zisly, de même que le groupe des
Réfractaires qui lui succède en 1913, s’attachent ainsi à
définir les conditions concrètes d’une « vie naturelle » par le
végétarisme ou le néo-malthusianisme11.
6 Dans son Bulletin du groupe d’études scientifiques, qui
paraît de juin 1910 à juillet 1914, Paraf-Javal12 s’attache à
développer sa théorie du «  transformisme social  ».

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S’inspirant librement d’un lamarckisme teinté de


darwinisme social, il cherche à mettre en lumière les
conditions d’une réforme de l’individu propre à assurer une
saine évolution de l’espèce humaine. Sa théorie repose, pour
l’essentiel, sur la distinction qu’il opère entre les «  besoins
naturels, ceux qui sont conformes à notre nature, à savoir
ceux dont l’assouvissement met notre corps en état
physiologique, en état de santé » et les « besoins factices ou
perversions, ceux qui ne sont pas conformes à notre nature,
à savoir ceux dont l’assouvissement met notre corps en état
pathologique, en état de maladie13  ». L’observation et le
raisonnement scientifique permettent, selon lui, de
déterminer la catégorie à laquelle appartient chacun des
comportements humains afin d’agir conformément aux lois
de la nature. À travers le Groupe d’études scientifiques et
son Bulletin, Paraf-Javal se donne pour mission d’aider les
individus conscients à «  établir la distinction entre les
besoins naturels et les perversions » :
« Nous montrons comment un individu raisonnable doit s’y
prendre pour établir cette distinction  ; comment il peut
éviter ces perversions (tabac, alcool, etc.), ou s’en libérer  :
comment il doit s’y prendre pour satisfaire normalement ses
besoins (respiration, température et pression, nourriture,
propreté, etc.), comment il doit s’y prendre pour se préserver
des maladies ou s’en libérer  ; comment il doit s’y prendre
pour raisonner toujours correctement. »

7 Outre la suppression de l’alcool et du tabac et l’adoption


d’une alimentationsaine, le retour à la nature, selon Paraf-
Javal, exige l’entretien d’une propreté corporelle
méticuleuse, la pratique d’exercices physiques violents,
l’abandon des villes et le «  retour à la mer, si possible
complètement, sinon le plus souvent possible  ». Et
finalement :
«  Changer ses conditions de vie, si les circonstances dans
lesquelles on se trouve ne permettent pas de se laver, de
manger, de respirer convenablement, de faire les exercices
nécessaires, de dormir suffisamment et bien et de travailler
au perfectionnement de tous ses organes en général, de son

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système nerveux en particulier et notamment de son


cerveau14 »

8 Ce programme de réforme individuelle s’accompagne d’une


violente critique sociale dans laquelle la contestation des
mœurs du temps, caractéristique du réformisme naturiste,
rencontre l’appel libertaire à un bouleversement de l’ordre
social. Ainsi, d’après Paraf-Javal, après avoir constaté
« l’absurdité de la vie moderne, avec ses modes excentriques,
ses perversions, toutes ses particularités malsaines et
mortelles, sa blague des réformes préconisées par les partis
divers  », l’individu conscient doit concevoir comme
nécessaire «  la destruction de nos villes, de notre
organisation sociale, de nos mœurs pathologiques  », et en
tout premier lieu « des préjugés » :
«  C’est logiquement et impitoyablement que le conscient
doit se débarrasser des idées du passé qui l’encombrent, de
cet autoritarisme qu’il a trouvé à sa naissance et qui persiste
malgré les progrès de la science. Il doit se débarrasser de la
servitude des lois politiques pour se consacrer à l’étude des
lois naturelles. C’est alors qu’ayant détruit en lui toutes les
superstitions du passé, libéré des folies diverses, des dogmes
religieux et politiques, fort de sa mentalité nouvelle, à l’aide
de principes raisonnables, comprenant tous les détails que
comporte le bouleversement social, il pourra joyeusement se
livrer au travail de destruction nécessaire, prélude
indispensable et labeur constat quand il s’agit de
l’organisation d’une société ayant pour but la satisfaction
normale des besoins naturels de l’individu15. »

9 L’hostilité au monde et le rejet radical des modes de vie


dominants prennent parfois un ton plus virulent encore.
Certains auteurs opposent ainsi, en des termes violents,
l’attrait qu’exerce pour eux l’harmonie de la nature au
dégoût que suscitent la civilisation, ses désordres et ses
vices. Ainsi, dans le mensuel La Vie anarchiste, un certain
Leblois déclare :
« L’autre jour, au cours d’un exposé de la vie simple, j’ai été
traité de fou. [...] Et oui, je suis un fou, parce que j’aime la
liberté, que je me plais à contempler la mer et les
campagnes, parce que mon âme poétique aime rêver près du

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ruisseau et que j’adore vivre au soleil et au grand air, ayant


comme compagnons les oiseaux qui m’égaient de leurs
chants. [...] Oui, vos casernes et vos geôles m’épouvantent ;
vos bordels, vos bals, vos bistrots, vos beuglants et vous,
alcooliques, me font vomir [sic] de dégoût. Vos mœurs, votre
mentalité, vos mariages, vos conversations me font horreur ;
vos faux- cols, vos manchettes, vos plastrons et vos habits à
la mode me blessent et gênent mes mouvements, et je fuis
tout cela parce qu’ils me causent de la souffrance 16. »

10 La croyance en l’existence d’un ensemble de lois naturelles


justifie donc les appels à la destruction de la société.
Toutefois, pour Paraf-Javal comme pour les autres
individualistes, le meilleur moyen de hâter cette destruction
ne consiste pas à s’engager collectivement dans le combat
révolutionnaire et l’action directe, mais plutôt à éveiller les
consciences par l’éducation et la propagande, afin de rendre
chacun apte à constater par lui-même que la raison
commande de se détourner individuellement des lois
sociales pour se soumettre à l’ordre de la nature.
11 Le cas des anarchistes de la «  Bande à Bonnot  », qui
défrayèrent la chronique de décembre 1911 à avril 1912, nous
renseigne sur la traduction pratique de ces théories. Dans un
article de 1922, André Colomer évoque le souvenir qu’il
garde de la vie menée par ces « bandits tragiques » dans leur
repaire de Romainville :
«  En les purifiant de tous les préjugés sociaux, ils avaient
simplifié les besoins de leur corps. Il leur fallait donc peu de
choses pour s’entretenir. Ils ne mangeaient pas la chair des
animaux, ils ne buvaient aucun alcool, même pas le vin et ils
ne fumaient pas. Quelques légumes, des fruits et de l’eau
claire étaient avec le pain tout ce qu’ils voulaient pour leur
subsistance. Joyeux ils cultivaient la terre.

[...] Quand la monotonie risquait de transformer en labeur le


libre plaisir de cultiver les plantes, ils allaient sous les arbres
ébattre leurs jeunes membres aux caresses alternées de
l’ombre et de la lumière. Leur nudité se retrouvait joyeuse en
cette forte pureté que près de 1900 ans de christianisme ont
ensevelie sous les noirs linceuls du costume. À la douce
cuisson du soleil leur corps perdait cette décoloration de la
chair en conserve dont s’enorgueillit comme d’une noblesse

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la beauté civilisée [...].

Ils retrouvaient le sport des anciens Hellènes. Ils faisaient la


course, la lutte. De branche en branche ils s’élançaient en
bonds de souplesse  ; aux jeunes troncs ils nouaient l’agilité
robuste de leurs jeunes membres17.

12 Plus proche des événements et sur un ton moins lyrique,


l’enquête de psychologie criminelle d’Émile Michon, qui
rencontra les compagnons de Bonnot dans leurs cellules peu
de temps avant leur exécution, confirme le témoignage de
Colomer :
«  Ils étaient propres par coquetterie morale, et surtout par
hygiène, se conformant en cela aux enseignements de la
Biologie. C’est pour cette même raison qu’ils étaient
végétariens, anti-alcooliques et adversaires du tabac. [...] À
la prison, ils se levaient de bonne heure, hiver comme été, et
aussitôt debout se débarbouillaient à grande eau jusqu’à la
ceinture, puis ils faisaient de la gymnastique suédoise et
toutes sortes d’autres exercices d’assouplissement pendant
une demi-heure. Ensuite, ils se mettaient au travail  :
étudiaient leur dossier, faisaient leur correspondance [...],
lisaient, ou encore écrivaient leurs mémoires18. »

13 La permanence de ces habitudes jusque dans la cellule des


condamnés à la peine capitale révèle que leur enjeu se situe,
au-delà de préoccupations sanitaires ou d’un souci de
libération individuelle, dans la traduction concrète de
l’adhésion à une vision particulière du monde. À quoi bon,
en effet, continuer à s’infliger la rigueur d’un comportement
ascétique à quelques jours d’une exécution certaine si le seul
but de ces pratiques est de garantir une existence saine et
harmonieuse  ? Cet exemple montre donc que, malgré
l’argumentation rationnelle et scientifique sur laquelle il se
fonde, le programme de réforme des modes de vie des
anarchistes individualistes revêt un caractère rituel. Le
mythe du retour à la nature permet aux individualistes
d’opposer à l’organisation sociale une autre conception de
l’ordre du monde. Dès lors que leur identité ne repose plus
sur les croyances et les normes de comportement
dominantes, elle a besoin, pour échapper au vertige de
l’anomie, de s’appuyer sur un système alternatif. Ainsi, les
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interdits alimentaires, les soins du corps et les exercices


physiques ont-ils pour fonction de marquer l’appartenance
de ceux qui s’y livrent à une part différente de l’humanité. Ils
permettent à ces anarchistes individualistes de s’identifier à
une minorité d’individus conscients, d’hommes nouveaux
affranchis des lois sociales, et de garder, jusqu’au fond de
leur cellule de condamnés à mort, la certitude d’appartenir à
une élite d’hommes régénérés.

Le végétaro-naturisme des anarchistes


individualistes
14 Les exemples que nous venons d’évoquer ont permis de
constater que, pour les anarchistes individualistes, une
relation étroite unissait la recherche des conditions de la
libération individuelle et celle d’un mode de vie sain et
hygiénique. Or, il apparaît que, dans la première décennie
du xxe siècle, la façon dont les militants libertaires
conçoivent cet idéal de vie rénovée tend à s’inspirer, plus ou
moins explicitement, des programmes de réforme élaborés
simultanément dans les milieux végétaro-naturistes. La
façon dont Henri Zisly définit l’idéal de vie simple qu’il
associe au retour à la nature est, à ce titre, particulièrement
significative. Au-delà des distinctions byzantines qu’il opère
entre «  naturiens antiscientifiques  », «  naturiens
scientifiques  », «  néo-naturiens  » et «  naturistes  » —
distinctions auxquelles lui seul semble attribuer du sens -,
Zisly s’attache à exposer les conditions d’une vie naturelle au
sein de la civilisation d’une manière qui laisse nettement
apparaître l’influence de l’hygiénisme végétaro-naturiste.
Dans le numéro unique de L’Ordre naturel qu’il publie en
novembre 1905, il oppose ainsi les nourritures naturelles (les
végétaux, le miel, le lait, l’eau de source et les jus de fruits...)
aux nourritures civilisées (les aliments raffinés, les excitants,
le sucre indus triel, les vins fins et l’alcool), les vêtements
naturels («  vêtements amples, genre robes ou tuniques, de
façon à ce que l’air pénètre dans les pores, avec la faculté de
rester nus, selon le goût, le climat, le tempérament... Pas de
souliers meurtriers mais des sandales ou nu-pieds  ») aux
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vêtements civilisés («  habits collants, chemises cols genre


carcans, chapeaux, cravates, gants, bottines, suivre la
mode19 »). Il s’y déclare également favorable à l’emploi, dans
la mesure du possible, des médecines naturelles de Kneipp
et Kuhne. À propos du végétarisme, Zisly reste encore
nuancé : « Je reconnais volontiers de bonnes choses dans le
végétarisme, écrit-il, mais les végétariens me semblent être -
au seul point de vue de l’alimentation, bien entendu — les
fanatiques de la nature. Qu’ils n’oublient pas qu’en cas de
mauvaise récolte, il reste la chair animale.  » Il précise
néanmoins qu’à ses yeux « ce serait l’idéal si les animaux et
les hommes pouvaient vivre en paix20 ». Son opinion sur ce
thème évolue de façon sensible dans les années qui suivent.
Sans jamais devenir lui-même végétarien, Zisly témoigne
d’une sympathie crois sante à l’égard de la réforme
alimentaire et multiplie les contacts avec les milieux
naturistes et végétariens français ou étrangers. En juillet
1905, par exemple, la revue naturiste uruguayenne Nature
publie un article de Zisly consacré à la «  gymnastique
pulmonaire » du professeur J.-F Bernard21. Dans les années
qui suivent, il noue des contacts avec les mouvements
végétariens roumain et portugais - dont la revue O publie un
de ses articles en décembre 1911 - ainsi qu’avec Jean
Morand, le secrétaire général de la Société végétarienne de
France22. Les liens entre anarchisme individualiste et
végétaro-naturisme apparaissent de manière plus nette
encore dans le cas de l’acrobate Spirus Gay. Participant
épisodique du groupe des Naturiens de 1895 à 1897,
signataire d’un manifeste naturien23 et auteur de quelques
articles pour Le Naturien, il devient membre de la Ligue
antialcoolique, adhère à la Société végétarienne de France en
1905 et fonde, dans les années suivantes, un gymnase qu’il
baptise « Vegetarium de Paris ». Le 11 janvier 1913, il donne
une conférence à la Société végétarienne sur les « Critiques
formulées contre le végétarisme  » et, sept mois plus tard,
participe activement à la création de la Section d’éducation
physique et de sports de la Société24.

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15 De façon plus générale, l’ensemble de la presse anarchiste


individualiste participe, dans la décennie qui précède la
Grande Guerre, à la diffusion d’une vision profondément
pessimiste des conditions d’existence induites par la
modernité et auxquelles seule l’adoption d’un comportement
conforme aux règles hygiéniques du végétaro-naturisme
offre une alternative. Aux côtés des grandes figures de
l’individualisme parisien, dont nous avons évoqué les prises
de positions plus haut, ces périodiques publient également
les articles de militants moins connus. Dans leurs propos, la
dimension libertaire tend parfois à s’effacer au profit d’un
argumentaire plus spécifiquement médical et hygiéniste.
L’Anarchie publie ainsi une série de huit articles intitulés
«  Hygiène et anarchisme  », dans lesquels un certain Jelm
décrit les conditions pratiques d’une vie saine en les
appuyant sur des considérations physiologiques25. Il n’est
plus question, ici, de distinction par rapport à la masse
ouvrière, ni même d’émancipation individuelle. La
justification des pratiques hygiéniques s’effectue, sur un
mode plus « scientifique », au nom du principe darwinien de
la sélection naturelle et de la survie des plus forts :
«  L’anarchiste sait que cette sélection est inévitable, il lutte
pour être fort et faire que la sélection soit vraiment naturelle
et qu’entre les hommes, la camaraderie remplace la
concurrence. [...] Que l’homme n’ignore plus son instinct si
dédaigneusement abandonné, abandon dont il n’est résulté
qu’inconscience. Que l’homme se rapproche de la nature,
c’est-à-dire de la vérité puisqu’il est un fruit de cette nature,
régi par ses lois. Et il constatera qu’en lui la force vitale est
capable de le défendre contre les assauts de la maladie26. »

16 Les recommandations qui suivent concernent aussi bien


l’abstinence d’alcool, de tabac, de viande et de condiments
que des prescriptions précises en matière de respiration,
d’exercice physique, d’hygiène corporelle, de vêtement, de
modération dans les rapports sexuels ou d’utilisation de la
méthode Kneipp d’hydrothérapie à des fins autant curatives
que préventives. Le mensuel L’Idée libre, édité par Lorulot
après que celui-ci eut pris ses distances avec le groupe de
L’Anarchie, contient également des articles recommandant
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l’adoption de pratiques hygiéniques de type végétaro-


naturiste pour échapper à la menace de dégénération qui
pèse sur l’homme moderne27. Un certain nombre de ces
articles est rédigé par des médecins végétariens, membres ou
collaborateurs de la Société végétarienne de France (sans
que l’on sache s’ils ont été spécialement rédigés pour la
revue de Lorulot ou s’ils sont tirés d’autres publications), qui
y développent leur programme de réforme hygiénique des
modes de vie sans la moindre allusion à l’anarchisme28.
17 Les périodiques ne sont pas les seuls médiateurs du
végétaro-naturisme dans les milieux libertaires. Les
réunions et les conférences des groupes anarchistes
individualistes peuvent également constituer, en certaines
occasions, un relais efficace pour la diffusion des thèses
élaborées par les médecins naturistes et végétariens. Une
note de police d’avril 1912 signale ainsi que, lors d’une
rencontre d’un de ces groupes, «  un assistant a donné une
formule pour la préparation d’un aliment complet composé
de farine de maïs et d’avoine, de cacao et de phosphate de
chaux. D’après lui, un repas ne reviendrait guère qu’à 0 F 25
et en se contentant de cette alimentation l’ouvrier pourrait se
libérer des "bagnes patronaux"29 ». Une autre note, relatant
la réunion du 6 janvier 1914 du Groupe anarchiste du 15e
arrondissement, affirme que «  les anarchistes présents se
sont bornés à parler entre eux, des questions relatives à
l’alimentation végétarienne. Ils sont unanimes à constater
les avantages de ce régime en ce qui concerne la santé, le
développement de l’intelligence et de la force de volonté  ».
Le rapport se termine par l’annonce d’une prochaine
conférence, donnée par une certaine Rey-Rochat, sur la « vie
pratique végétarienne30 ».
18 Sans que l’on puisse mesurer avec précision la portée de ces
articles et conférences, l’adhésion de ceux qui les reçoivent
aux théories qu’ils développent ou le degré de mise en
pratique des recommandations qu’ils formulent, il est tout
de même possible de constater que de tels propos, qui
recèlent des prescriptions extrêmement strictes et précises
sur la conduite de l’existence, sont acceptés comme discours

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normatifs par des anarchistes individualistes à qui


répugnent, par ailleurs, les injonctions des autorités
politiques ou religieuses et qui gardent, pour horizon de leur
militantisme, la destruction de l’ordre social. Léon Prouvost,
par exemple, un proche de Lorulot installé à Saint-Raphaël,
publie en 1912 et 1913 un périodique irrégulier, La Revue
sociale, dans lequel il se consacre «  à la propagande
végétarienne, antitabagique, antialcoolique ainsi qu’à la lutte
antireligieuse et antimilitariste31  ». Dans L’Idée libre d’août
1913, la manière dont un certain Auguste Laforge relate une
visite rendue à Henri Zisly donne également un indice de la
valeur normative que peuvent prendre les idéaux naturistes
dans les milieux individualistes. Laforge s’étonne ainsi
d’avoir rencontré un théoricien pur ignorant la pratique, qui
habite Paris, sort peu de chez lui, porte souliers, chapeau et
faux-col, laisse sa compagne lui servir du vin, des côte lettes
grillées et du café. Il s’attendait, déclare-t-il, à voir un
homme aux longs cheveux et à la grande barbe, portant une
longue blouse jusqu’à ses pieds nus, vivant en forêt et
mangeant des fruits. Lui-même, partisan de la «  vie
simple  », affirme appliquer les principes de la vie naturelle
dans son alimentation et dans la pratique d’exercices
physiques quotidiens32. La Vie anarchiste, mensuel fondé en
1911 par des anarchistes rémois, puis repris et dirigé par
Butaud de mars 1912 à mai 1914, publie également de
nombreux articles qui, soit sur le mode de l’argumentation
méthodique, soit sur celui de la controverse, accordent à la
thèse de la régénération individuelle par la réforme naturiste
des modes de vie le statut de vérité incontestable. Les
articles de Pierre Nada sur le végétarisme33 ou ceux de
Fernand-Paul décrivant les conditions d’une vie saine34, par
exemple, s’appuient sur des citations de médecins
hygiénistes et sur un argumentaire de type scientifique pour
donner à leur propos un caractère péremptoire. Ainsi,
Fernand-Paul, après avoir énoncé un ensemble de
recommandations portant sur l’alimentation et la boisson,
l’aération et l’insolation du corps ou la pratique de l’exercice
physique, conclut  : «  C’est par l’instruction et l’éducation

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rationnelle et logique que les individus devenus sains et forts


pourront refaire la société qui actuellement se dissout dans
ses vices, ses corruptions, sa pourriture35. »
19 Il faut toutefois préciser que la traduction concrète des
principes naturistes dans le mode de vie des individualistes
qui y adhèrent semble se limiter à l’abstinence de viande, de
tabac et d’alcool, à la pratique régulière d’exercices
physiques, au port de vêtements considérés comme
hygiéniques et à la nudité occasionnelle en plein air. Aucune
source ne témoigne d’un souci de mettre en pratique les
recommandations diverses concernant la respiration, la
mastication, le sommeil ou la fréquence des relations
sexuelles. Cela n’interdit pas de supposer que certains
anarchistes adeptes du naturisme ont pu tenter, à des degrés
divers, de tenir compte de certaines de ces recommandations
dans leur vie quotidienne. Cependant, celles-ci ne s’imposent
pas avec la même force normative que les premières que
nous avons citées.
20 Le cas du Milieu libre du quai de la Pie à Saint-Maur, fondé
en avril 1913 par des militants proches de Butaud et
activement soutenu par La Vie anarchiste, donne un
exemple de la façon dont les règles hygiéniques inspirées du
végétaro-naturisme ont pu être concrètement associées à
une tentative d’affranchissement de l’ordre social dominant.
Le 1er mars 1913, Pierre Nada annonce l’imminence de la
fondation de la colonie par «  cinquante compagnes et
compagnons, partisans d’une vie simple  ». Instruits de
l’échec du Milieu libre de Vaux, ces nouveaux colons ne
fondent plus leurs espoirs de succès sur la recherche d’un
lieu qui, par son isolement, permettrait de s’affranchir
complètement des règles du jeu social et de vivre en
autarcie :
« Nous voulons être à la fois à la campagne parce que nous
sommes des hygiénistes, et aussi près de Paris, afin de
permettre un déplacement facile aux camarades travaillant
en dehors de la colonie. [...] La mentalité de l’anarchiste
n’est pas ce qu’elle était il y a 10 ans ; nous avons désormais
une compréhension de vie simple, sur l’hygiène alimentaire,
sur mille gestes de la vie quotidienne  : des vues pratiques
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que nous n’avions pas jadis, et puis dans la banlieue de Paris


nous ne serons point des déracinés36. »

21 Le choix de Saint-Maur montre ainsi combien se sont


réduites les attentes à l’égard du milieu rural. La vie
communautaire, en revanche, se justifie désormais
explicitement en ce qu’elle offrira aux colons l’occasion de
mettre en application, en marge du monde et de ses règles,
les normes hygiéniques de comportement nécessaires à la
régénération individuelle.
22 Toutefois, le besoin de réunir un nombre suffisant de colons
impose un certain éclectisme. Ainsi, lorsque le Milieu libre
de Saint-Maur voit le jour, rassemblant une trentaine de
colons autour d’une ferme communautaire et de quelques
ateliers, l’abstinence de viande, d’alcool et de tabac n’y est
que facultative. Il semble pourtant qu’une réelle pression en
faveur du végétarisme et de l’abstinence ne tarde pas à s’y
exercer. En juin, rapportant des critiques formulées à l’égard
de la colonie, Henri Zisly déclare :
«  Et puis pourquoi adopter cette règle sévère au sujet de
l’alimentation ? Pas de viande, pas de vin, boire de l’eau, cela
sent la vie de couvent ; et ce n’est même pas anarchiste car
s’il me plaît de boire du vin - modérément - je dois pouvoir
en boire. Non, vraiment, au milieu libre, on exagère, on y est
trop absolu, cela tourne au ridicule. Chacun son goût et en
anarchie tous les goûts doivent être libres37. »

23 L’année suivante, l’organisation d’une fête familiale au


milieu libre donne à Zisly l’occasion de décrire les conditions
d’existence des colons et de montrer que, à défaut d’être
unanimement suivies, les règles de vie hygiénique le sont au
moins majoritairement. Les repas sont pris séparément,
« les végétariens d’un côté, les omnivores de l’autre », mais
ces derniers sont essentiellement des visiteurs venus à la
colonie participer à la fête. De même, le vin, en petite
quantité, a été apporté par des visiteurs et l’on consomme
essentiellement de l’eau. Les boissons alcoolisées sont, du
reste, interdites au même titre que les bijoux, les ornements
et le tabac, «  quoi qu’on me fasse remarquer, précise Zisly,
un colon en sandales hygiéniques et barbu, en train de fumer

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la cigarette38  ». Le végétarisme et l’abstinence de tabac et


d’alcool s’affirment donc progressivement comme les signes
visibles de l’appartenance communautaire au sein du Milieu
libre de Saint-Maur et, au- delà, comme les marques qui
définissent les frontières d’un petit groupe d’individus
conscients dont le mode de vie atteste le travail de
régénération en cours. « Oui, nous sommes l’élite », déclare
ainsi un rédacteur de La Vie anarchiste. « D’abord notre vie
matérielle est plus conforme à la nature, nous avons
supprimé radicalement l’alcool, nous nous efforçons (dans la
mesure du possible) de nous nourrir le plus sainement - les
tabagiques vont en décroissant  ; en un mot, nous avons
éliminé (pas en totalité) les trois poisons : l’alcool, le tabac et
l’alimentation carnée39.  » La précarité des conditions
d’existence et la marginalité sociale auxquelles sont
confrontés les colons semblent trouver une compensation
dans la certitude d’appartenir, par l’observation des
principes hygiénistes, à une minorité élue qui se distingue de
la masse, prisonnière de son aliénation et vouée à une
dégénérescence certaine.
24 Finalement, ces divers exemples, bien que ne reposant pas
sur un corps de doctrine précis et unifié, convergent vers un
système de croyances et de pratiques relativement cohérent,
largement inspiré des conceptions qui ont cours dans le
milieu végétaro-naturiste. Ce système prend implicitement
appui sur une double conception de la nature. Celle-ci est,
d’une part, un univers ordonné, régi par des règles
objectives, établies par la science, qui déterminent sa marche
harmonieuse. Elle s’oppose à la morbidité d’une civilisation
urbaine et industrielle bâtie sur des lois sociales héritées de
plusieurs siècles d’obscurantisme, de superstition et
d’ignorance, et dont les excès font peser sur l’homme
moderne la menace de la dégénération. Elle offre à ceux qui
se soumettent à son ordre et acceptent de simplifier leur
existence en renonçant aux artifices de la civilisation
l’assurance d’une vie libre et heureuse. La nature est, d’autre
part, un principe sélectif qui sanctionne la transgression de
ses lois par la dégénération et réserve à ceux qui s’y

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soumettent l’intégrité physique, la santé et, à terme, la


survie. Cette conception de la nature comme principe
sélectif, héritée d’une pénétration relativement précoce du
darwinisme social dans les milieux libertaires français40, se
traduit, chez ces individualistes, par l’adhésion à une vision
pessimiste de la société fondée sur la certitude qu’un
mouvement de dégénérescence de grande ampleur y est à
l’œuvre. Le système de croyances et de pratiques naturistes
qu’ils adoptent leur fournit la conviction d’appartenir à une
minorité consciente qui, par sa position marginale dans
l’organisation sociale et sa soumission à un ensemble de
normes de comportement qu’elle considère comme
constituant les lois de la nature, se prépare à affron ter
l’inévitable sélection naturelle.
25 Plus fondamentalement, il est possible de considérer que le
milieu anar chiste individualiste trouve, dans l’adoption de
l’hygiénisme végétaro-naturiste, un moyen de se constituer
une identité collective et de résoudre le problème que posent
sa marginalisation au sein du mouvement socialiste et la
perte de ses espérances révolutionnaires. Dans son étude
consacrée aux notions de pollution et de tabou41, Mary
Douglas insiste sur le fait que l’élaboration de règles
alimentaires et hygiéniques et d’interdits rituels permet à un
groupe de réagir face à un danger qui, du moins en éprouve-
t-il le sentiment, menace son existence collective. En
désignant ce qui est de l’ordre de la souillure et en dressant
une frontière entre le pur et l’impur, les rites de purification
et les proscriptions alimentaires permettent au groupe et aux
individus qui le composent de retrouver une vision
cohérente, organisée et porteuse de sens du monde qui les
entoure et de reprendre prise sur la réalité. Leur apparente
rationalité en fonction de critères scientifiques ne doit pas
occulter la fonction première de l’élaboration de ces règles :
elles visent à rétablir de l’ordre là où le désordre et l’anomie
menaçaient d’engloutir l’identité collective. On peut alors
considérer que le végétarisme et l’anti- alcoolisme
s’apparentent à un système de proscriptions alimentaires
établissant une distinction entre aliments purs et aliments

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impurs. De même, les normes hygiéniques qui codifient


l’entretien du corps indiquent à l’individu le moyen de se
préserver de la souillure. Ces règles de vie, relativement
classiques dans les mouvements millénaristes fondés sur
l’hostilité au développement de la modernité42, montrent à
l’individu la voie qui doit lui permettre d’accéder à une
existence sanctifiée. Elles lui permettent égale ment de se
référer à un ordre du monde distinct de celui dans lequel ses
repères traditionnels menaçaient de se dissoudre et lui
donnent, par conséquent, les moyens de retrouver le
sentiment d’appartenir à une identité collective. Ainsi, le
milieu anarchiste individualiste trouve dans le végétarisme,
dans l’antialcoolisme, l’antitabagisme et, de façon plus
générale, dans l’hygiénisme naturiste un ensemble de rites et
de repères symboliques qui lui permettent de se démarquer
du reste du monde, de se constituer une identité spécifique
et d’assumer sa marginalité.

Un « puritanisme » libertaire : le
végétalisme
26 Le rejet de l’ordre social et le désir d’obéissance à l’ordre de
la nature conduisent au refus de certaines consommations
jugées artificielles ou aliénantes et à un idéal de vie simple.
Nous avons vu que ces considérations se traduisaient
généralement par l’adoption d’une alimentation
végétarienne, par l’abstinence de tabac et d’alcool et par la
condamnation des sophistications vestimentaires. Toutefois,
parmi les anarchistes individualistes apparaissent des
courants plus radicaux qui poussent l’aspiration à la
simplification de l’existence jusqu’à ses derniers
retranchements. Certains dépassent alors le néo-stoïcisme
des anarchistes végétariens et antialcooliques pour atteindre
une sorte de néo-cynisme qui confine parfois à la
clochardise.
27 Marius Cayol, par exemple, sorte de prophète naturiste
errant, s’attache à «  propager "la vie naturelle" à travers le
monde ». Sur les photographies qui illustrent les brochures
qu’il édite, il pose vêtu d’une longue tunique, chaussé de
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sandales, avec barbe et cheveux longs tombant sur ses


épaules. «  Je mène une vie très simple et très frugale,
affirme-t-il, c’est-à-dire que je ne mange absolument que des
végétaux. Je porte le moins possible de vêtements, point de
chapeau. Je marche nu-pieds et je vis en accord le plus
possible avec mes idées sur la Nature43. » Il propose ensuite
un vaste catalogue de recommandations en matière
d’habillement, de sommeil, d’alimentation ou de
procréation, inspirées, pour l’essentiel, du programme
végétarien de réforme des modes de vie. Marius Cayol
adhère d’ailleurs à la Société végtarienne de Belgique en
février 190944. Toutefois, aux côtés de La Réforme
alimentaire, dont il recommande la lecture, apparaît un
ensemble hétéroclite de références parmi lesquelles on
trouve pêle-mêle Sébastien Kneipp, Élisée Reclus, Henri
Zisly, Diogène, Bouddha et la Bhagavad-Gita. Dans un
registre analogue, on peut évoquer le cas d’Edmond Corval,
autre ascète libertaire errant, qui associe le naturisme au
bouddhisme et à la théosophie45, ou de l’anarchiste brestois
Coatmeur (dit Hervé), disciple inconditionnel de Han Ryner,
signalé par l’organe de la Société végétarienne de France
parmi une liste de «  membres de la Société [qui] se sont
employés utilement et ont fait une active propagande en
faveur de nos idées46 ». Au début des années dix, Hervé tient
un Foyer naturien à Brest - petite librairie dans laquelle il
vend diverses brochures anarchistes, naturistes et
végétariennes - et publie de façon irrégulière un périodique
consacré à la promotion des thèses de Ryner et du
naturisme47. Étranger à toute considération commerciale et
consacrant ses ressources à son œuvre de propagande, il
sombre progressivement dans la misère et le dénuement. Il
perd sa boutique, puis le kiosque dans lequel il s’était installé
et loge dans un cabanon misérable à l’extérieur de Brest.
«  L’inoffensif Hervé avec ses cheveux longs, ses pieds nus
dans des spartiates de fortune et ses guenilles dont n’aurait
pas voulu un clochard parisien  » devient alors une sorte
d’anachorète naturien survivant d’expédients, s’alimentant
de légumes crus et de pain de seigle, passant pour un fou

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auprès des militants socialistes et pour un «  clochard


idéaliste » aux yeux de la plupart des Brestois48.
28 Sans aller jusqu’à cette extrémité, Georges Butaud et Sophie
Zaïkowska présentent la réduction des besoins individuels
comme un moyen de s’affranchir de la logique de production
et de consommation qui gouverne la marche de la société et
asservit l’individu au travail. Dans leur Étude sur le travail,
publiée en 1912, ils affirment que le renoncement aux
besoins artificiels constitue une étape nécessaire à la
transformation de l’ordre social.
« Il importe donc, dès aujourd’hui, de soumettre nos désirs à
une critique rationnelle, de rejeter nos besoins factices et
particulièrement d’avoir une économie individuelle
rigoureuse, pour que l’économie collective bien comprise
soit rationnelle. Il faut étudier ses gestes, combattre ses
mauvaises habitudes  : c’est toute une éducation à refaire
pour l’hygiène et l’existence. [...] L’homme qui s’enrichit
n’est-il pas celui qui supprime de sa vie le luxe, l’inutile,
l’excitant et qui assure de plus en plus normalement la
satisfaction de ses besoins par une hygiène rigoureuse49 ? »

29 Après l’échec de la colonie de Vaux, le couple s’est installé à


Bascon, près de Château-Thierry, sur un terrain que Butaud
a acquis grâce à l’héritage de ses parents. Là, il tente de vivre
en autarcie, des produits du jardin. Toutefois, Sophie
Zaïkowska est obligée de se livrer à la confection de fleurs
artificielles afin de disposer d’un peu d’argent pour se
procurer du lait, des œufs, du fromage, du chocolat et du
sucre. En 1913, la découverte de l’ouvrage du docteur Paul
Carton, Les trois Aliments meurtriers, agit comme une
révélation. Butaud et Zaïkowska décident de supprimer les
produits laitiers et le sucre de leur alimentation et de ne plus
consommer que des produits végétaux. Si ce nouveau régime
leur permet de renoncer définitivement à tout travail salarié,
il est la source de divers problèmes de santé. La lecture
attentive de Carton les incite alors à ne pas rechercher la
compensation de leur faiblesse dans une alimentation plus
abondante mais, au contraire, à diminuer leur ration
alimentaire pour ne pas affaiblir leur organisme.
Progressivement, le couple abandonne le pain complet, les
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bouillies et les galettes de farines et de haricots pour se


nourrir exclusivement de fruits et de légumes crus. La
vitalité des aliments crus et l’absorption d’énergie par
l’exposition régulière du corps à la lumière du soleil sont
censées compenser la suppression de la viande et des
féculents50. Cependant, ce régime alimentaire ascétique,
bientôt désigné par le terme de «  crudivégétalisme  », est
présenté comme un but et n’est strictement pratiqué que par
périodes plus ou moins longues, comme exercice de
purification. Le reste du temps, Sophie Zaïkowska et George
Butaud se contentent d’un régime végétalien en ajoutant un
peu de pain et de féculents à leurs menus.
30 De 1918 à 1922, Butaud et Zaïkowska se livrent à une intense
propagande en faveur du végétalisme et du
crudivégétalisme, condition indispensable, selon eux, à une
véritable régénération de l’ordre social. Chaque quinzaine,
ils se rendent à Paris où ils donnent des conférences et
commencent à rassembler quelques adeptes. Dans le même
temps, ils forment à Bascon un embryon de colonie
végétalienne qui rassemble une dizaine de colons en hiver et
accueille une dizaine de résidents supplémentaires en été51.
La revue naturiste libertaire, Le Néo-naturien, lancée par
Henri Le Fèvre en décembre 1921, leur permet également de
disposer d’une tribune pour tenter de rallier les
individualistes au végétalisme. Butaud se rend ensuite à
Vence, dans les Alpes-Maritimes, puis en Corse dans le
courant de l’année 1922. Il y achète des terres dans l’espoir
de susciter la formation de hameaux végétaliens vivant,
comme à Bascon, de manière autarcique52. Ces tentatives ne
semblent pas couronnées de succès. Toutefois, Butaud
parvient à fonder un Foyer végétalien à Nice. Fort de cette
expérience, il revient à Paris et ouvre un Foyer végétalien rue
Mathis, non loin des abattoirs de la Villette. En novembre
1924, il lance la revue Le Végétalien afin de soutenir la
diffusion de ses théories.
31 Le Foyer dispose d’un restaurant qui propose chaque jour
ses repas à un prix très réduit. Il est fréquenté par une
clientèle où se mêlent militants anarchistes végétaliens et

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ouvriers ou modestes employés du quartier. Dans un


chapitre plaisamment titré « La religion du légume cru » de
son livre sur Les Religions inconnues, un certain Gascoin
plante le décor du Foyer :
«  Une porte étroite, un escalier hostile et raide, nous voici
dans une salle nue qui, avec ses tables couvertes de toile
cirée, ses bouteilles où l’or liquide de l’huile remplace le
rouge pinard, rappelle, en plus sinistre le réfectoire de
caserne ou celui de la boîte à bachot.

Collés au mur, des papillons, tapés à la machine et rédigés


dans une langue naïve de primaire, vous disent les préceptes
de ces religions de l’hygiène qui prêchent les privations au
nom du dieu-progrès. "Ne buvez pas de vin, ne fumez pas et
- quel Freud nous expliquera le mystère de ces associations
d’idées ? – apprenez l’espéranto"53. »

32 Dans cette vaste pièce, aux trois quarts pleine d’un public
assez pauvre, « presque toute l’assistance mastique avec une
application dévote et recueillie, ironise Gascoin  : ce n’est
plus un repas, c’est un rite54  ». Le Foyer, par ailleurs,
propose une large gamme d’activités. Des cours de
gymnastique rythmique, de littérature ou d’espéranto sont
organisés. Des conférences hebdomadaires attirent des
orateurs naturistes, végétariens ou libertaires pour aborder
des sujets variés. Le dernier dimanche de chaque mois,
enfin, un banquet végétalien rassemble les adhérents du
Foyer pour partager un repas, participer à un débat et
chanter quelques chansons. Le deuxième numéro du
Végétalien, qui rend compte du banquet du 30 novembre
1924, souligne la sobriété du menu - qui fut semblable à celui
des autres repas - et précise le but de telles réunions : « C’est
un moyen pour nous de faire connaître le végétalisme, de se
voir et de fraterniser avec des hommes sensibles à la
souffrance de l’homme et de l’animal. Les religieux ont bien
compris que manger ensemble rapproche les hommes55.  »
Ainsi se développe, au sein du Foyer, une sociabilité dont le
ressort ne réside pas uniquement dans l’adhésion à une règle
alimentaire particulière ou à quelques convictions en
matière d’hygiène, mais dans la certitude de partager une

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éthique commune et d’appartenir à une minorité d’êtres


conscients.
33 Plus que des bénéfices en matière d’hygiène et de santé, plus
qu’une libé ration économique, c’est une transformation
morale de l’homme que, selon Butaud, les adeptes du
végétalisme peuvent attendre de leur régime alimentaire.
Transformation qui fera d’eux les pionniers de la révolution
future :
«  Syndicalistes, socialistes, anarchistes, athées ou religieux
de confessions diverses, au fur et à mesure qu’ils s’adaptent
au végétalisme, comprennent que c’est là la grande
transformation qui rénovera le monde et que c’est d’elle
seule qu’on peut attendre les transformations rêvées. Dès
lors la question sociale n’est plus une affaire de force, c’est
une question de transformation individuelle, et tous les
végétaliens, quelles que soient leurs conditions de vie, leurs
antécédents sociaux, même leur éthique particulière, sont
liés par un apostolat commun56. »

34 Une enquête réalisée auprès du public du Foyer végétalien,


d’octobre 1923 à 1929, permet de connaître en partie les
motivations des adeptes du végétalisme et de mesurer
l’étendue de la croyance en la rénovation morale par le refus
de l’alimentation animale. Une affiche placardée sur les
murs du Foyer demandait aux végétaliens « de donner leur
avis sur le végétalisme, sur sa pratique  » et à chacun de
préciser «  ce qui lui paraît le plus important de l’évolution
qu’il a subie dans sa façon de s’alimenter57  ». Les réponses,
régulièrement publiées par Le Végétalien à partir de 1924,
ont été regroupées au sein d’un ouvrage, Le Végétalisme, qui
paraît sous la signature posthume de Butaud en 1930. Une
grande partie des réponses, et plus spécialement celles qui
émanent d’ouvriers, porte sur la dimension sanitaire du
végétalisme. Toutefois, un nombre non négligeable
d’individus, venant de divers milieux sociaux, l’associent à
une préoccupation éthique. Han Ryner, tout d’abord, qui
qualifie le végétalisme de « régime innocent », déclare :
«  Mon cœur et ma raison, si je les interroge sérieusement,
prennent au sérieux le Tu ne tueras point, l’étendant à toute
vie contre laquelle je ne suis pas en légitime défense. [...]

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Mon avidité de viande rétrécie la terre. Il faut beaucoup plus


de prairies que de champs ou de jardins pour me nourrir.
Sur la terre, rendue artificiellement trop étroite, tous les
conflits s’enveniment et s’exaspèrent. Le boucher est le père
du guerrier. Innocente en premier et naïf aspect, la trayeuse
est sa mère58. »

35 Un certain Bourguigneau, âgé de 24 ans, affirme :


«  Plus l’individu pratiquera le végétalisme, plus il
s’approchera de la nature, plus il se développera, plus il vivra
sainement, plus il sera heureux et bon pour les autres, tandis
que s’il ne réagit pas dans cette civilisation qui nous frappe,
nous broie, nous tue, nous empoisonne, nous enchaîne, il
dégénérera chaque jour victime des multiples besoins, des
vices, des artifices qu’elle crée59. »

36 Le Piouf, un ouvrier ajusteur de 34 ans, relie son refus de la


viande à l’expérience de la guerre, durant laquelle «  de
nombreuses réflexions [lui firent] entrevoir la cruauté
inconsciente des hommes envers leurs frères inférieurs et
tout ce qu’avait d’horrible pour "l’homo sapiens", la
nourriture carnée  ». «  J’en arrivais, ajoute-t-il, à
comprendre que la guerre, ce redoutable fléau, devait, pour
une large part, être engendrée par cette mentalité qui fait si
peu de cas de la vie en général60.  » Marcel Caste, un
ajusteur-mécanicien, précise que son alimentation
exclusivement végétale, et composée essentiellement de
fruits et légumes crus, ne constitue pas un but «  mais un
moyen pour s’élever vers une vie plus belle, plus humaine,
plus digne61  ». Pour une certaine Charlotte Davy,
«  demander au seul sol sa nourriture, juste de quoi
entretenir sa vie, serait se dépouiller de l’animalité qui est en
nous, qui veut que pour des jouissances uniquement
matérielles nous massa crions des êtres qui, bien
qu’inférieurs, souffrent et qui, autant que nous, ont l’instinct
de conservation ». « Tous végétaliens, s’exclame-t-elle, la vie
plus simple, l’humanité moins sanguinaire, plus de bonté...
Mais quel boule versement dans la mentalité générale.
Quelle révolution dans les mœurs62  !  » Generoso Coll, un
jeune homme de 23 ans, désigne le végétalisme comme « le
vrai purificateur de [son] physique, de [son] moral, comme
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de [son] idéologie ». Il est, selon lui, « la plus grande, la plus


élevée manifestation de l’humanité, le but de tous les
rénovateurs qui désirent un état de choses supérieur au
présent, le moyen le plus simple et le plus efficace pour
arriver à notre émancipation  », le moyen d’«  édifier, de
suite, le véritable individu, base de toute société  ».
«  Réduisant d’une façon si merveilleuse nos besoins,
conclut-il, le végétalisme nous achemine vers cette liberté,
qui a été, de tous temps, rêvée et qui est la principale
condition de bonheur individuel et d’harmonie sociale63. »
37 Le végétalisme apparaît ainsi intimement lié à un projet
utopique. En faisant émerger un homme nouveau, il doit,
selon Butaud, permettre « la transformation du vieux monde
en un autre, où la question sociale ne se pose plus, où la
fraternité naîtra entre les gens, dont la vie sera facile64 ». De
la même manière que, vingt ans plus tôt, les anarchistes
individualistes s’étaient tournés vers le végétaro-naturisme,
les végétaliens trouvent dans leur programme de réforme
alimentaire un exutoire au reflux des espérances
révolutionnaires et à leur marginalité au sein de la mouvance
socialiste, qu’accroît à nouveau la formation d’un parti
communiste fortement structuré. Ne pouvant espérer
contribuer efficacement à une évolution de l’ordre politique
et social, ces anarchistes individualistes trouvent dans le
mythe du retour à la nature un moyen d’éprouver le
sentiment de contribuer réellement et immédiatement à une
transformation de l’homme et de la société.
38 Pour Butaud, de surcroît, les efforts et les renoncements
qu’inflige le régime crudivégétalien sont un moyen d’obtenir
la rémission des fautes passées. Bien que fermement athée, il
donne à sa quête du retour à la nature une dimension quasi
mystique :
«  Chaque jour m’apporte cette sensation que je paie une
vieille dette. J’ai eu une jeunesse peu exemplaire et jusqu’à
ce que je sois devenu végétalien, j’ai fait - comme tout
omnivore - beaucoup souffrir. Depuis que je suis végétalien,
depuis que je ne me vends plus aux patrons, aux clients, je
suis devenu un très mauvais soutien de la société [...] et tous
les jours, ma propagande, mon bavardage, mon impulsive
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activité diminuent la souffrance universelle. Si bien que


chaque jour ma dette criminelle est moins forte et que j’ai
lieu d’être heureux. Si je ne le suis pas, c’est parce que je ne
sais pas jouir de l’utilité de ma vie. [...]

L’Église vous offre la Grâce par votre don à Dieu. Le


végétalisme, le naturisme vous apporte [sic] la sérénité, le
pardon à vos crimes si vous le propagez. Vous avez une
éponge qui peut effacer les condamnations qu’ont encourues
nos vies imbéciles, antérieures, d’omnivores, en œuvrant
collectivement pour diminuer la douleur collective65. »

39 Le retour à la nature se dessine donc non seulement comme


une voie de salut pour la société, mais également comme un
moyen d’accéder à une sanctification de l’existence
individuelle.
40 Dans le chapitre d’Économie et société qu’il consacre à
l’engagement religieux des intellectuels, Max Weber met en
lumière l’existence d’une corrélation entre le retrait des
intellectuels hors du champ de l’activité politique - qu’ils s’en
trouvent exclus ou qu’ils s’en détournent - et l’émergence de
religiosités de salut66. Ces formes religieuses sont, selon lui,
les expressions tangibles d’une attitude intellectuelle
radicalement antipolitique, pacifiste et de refus du monde.
Les conflits entre la nécessité, pour les intellectuels, de
concevoir le monde et la «  façon de vivre  » comme un tout
soumis à un ordre ayant une « signification », les réalités du
monde tel qu’il est organisé et les possibilités offertes de
vivre dans le monde, conditionnent la fuite hors du monde
qui les caractérise. « Celle-ci, souligne Weber, peut être une
fuite dans la solitude absolue, ou bien, sous une forme plus
moderne, une fuite dans une "nature" restée à l’abri du
contact des institutions des hommes. [...] Cette fuite peut se
faire aussi plus contemplative ou plus ascétiquement active,
elle peut être plus encline à chercher le salut personnel ou
plus portée vers une transformation du monde collective,
éthique et révolutionnaire.  » Cette attitude, qui concerne
avant tout les intellectuels des couches sociales supérieures,
caractérise également, sous une forme différente, une sphère
que Weber qualifie d’intellectualisme «  prolétaroïde  », où
l’on retrouve «  l’intelligentsia autodidacte des couches

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négativement privilégiées dont les exemples classiques sont,


de nos jours, [...] en Europe occidentale, l’intelligentsia
socialiste et anarchiste du prolétariat67  ». Porté par des
couches qui se situent en dehors ou au bas de la hiérarchie
sociale, cet «  intellectualisme paria  » n’est pas lié par les
conventions sociales pour ce qui est du sens à attribuer au
cosmos, et l’intense passion éthique dont il est capable n’est
pas freinée par des considérations matérielles.
41 Ayant renoncé à tout espoir d’action efficace dans la sphère
politique, marginalisés et discrédités au sein même du
mouvement ouvrier, les anarchistes individualistes se
tournent vers un système de croyances qui voue le monde à
une inéluctable dégénérescence, fait de la nature un principe
transcendant et offre à la minorité de ceux qui acceptent de
vouer leur vie au respect des lois de la nature la promesse
d’un salut dans un monde régénéré. Le capital culturel
acquis par ces militants autodidactes grâce à la lecture, aux
conférences ou aux cours des universités populaires fonde
leur adhésion à une conception du monde dont l’harmonie
repose sur l’observation par l’individu d’un comportement
éthique qui trouve sa traduction concrète dans un arsenal de
prescriptions hygiéniques. Le naturisme offre ainsi à ces
«  intellectuels parias  », confrontés à l’impossibilité de
traduire leur capital culturel par une position sociale
satisfaisante et conscients du dédain dans lequel est tenu
leur système de convictions, la certitude d’appartenir à une
élite sage et lucide, une minorité élue, sauvée de la
dégénération du monde qui les méprise.

Notas
1. M. Bakounine, Dieu et l’État, Paris, 1882, p. 28.
2. E. Reclus, L’Homme et la terre, Paris, La Découverte, 1998,
introduction de B. Giblin, p. 63-64.
3. Paru en allemand en 1845, l’ouvrage de Max Stirner, L’Unique et sa
propriété, est traduit et publié en français simultanément par La Revue
blanche et par l’éditeur Stock, en janvier 1900. Il est immédiatement lu,
commenté et discuté dans les milieux anarchistes individualistes
parisiens (APP : Ba 1498 et Ba 1507).
4. G. Manfredonia, L’Individualisme anarchiste..., op. cit ., p. 220-240.
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5. Han Ryner, de son vrai nom Henri Ner, est répétiteur de philosophie
au lycée Louis le Grand. Il est l’auteur de romans à thèse (Le Crime
d’obéir, 1900) et d’essais sur l’anarchisme individualiste (Le petit
Manuel individualiste, 1904 et Le Sphinx rouge, 1905).
6. Par exemple  : A. Libertad, «  Le premier mai  », L’Anarchie, 4 mai
1905, p. 1.
7. A. Colomer, «  Le roman des "bandits tragiques"  », La Revue
anarchiste, décembre 1922, p. 6-7.
8. Lorulot, «  Vices, habitudes et préjugés  », L’Anarchie, 1er février
1906, p. 1-2.
9. Ibidem.
10. Armand, Qu’est-ce qu’un anarchiste  ? Thèses et opinions, Paris,
1908, p. 163-164.
11. Rapport non daté et rapport du 24 octobre 1913, adressés à la
préfecture de police de Paris (AN : F/7/13058). Rapport du 24 novembre
1915, adressé à la Sûreté générale (AN : F/7/13061).
12. Paraf-Javal est né en 1858. Devenu anarchiste individualiste en
1900, il fonde le groupe des Causeries populaires, puis le Groupe
d’études scientifiques en 1905 (J. Maitron et C. Pennetier (dir.),
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, édition sur
cd-rom).
13. Paraf-Javal, «  Distinction entre les besoins naturels et les
perversions  », Bulletin du groupe d’études scientifiques, 15 décembre
1910, p. 2.
14. Paraf-Javal, «  Quelques explications au sujet de notre
programme », Bulletin du groupe d’études scientifiques, 1ER décembre
1910, p. 2-3.
15. Paraf-Javal, «  La Destruction  », Bulletin du groupe d’études
scientifiques, 1er mai 1911, p. 7-8.
16. A. Lebois, « Aux Civilisés », La Vie anarchiste, 5 juillet 1912, p. 12-13.
17. 17. A. Colomer, « Le roman... », op cit. , p. 8.
18. E. Michon, Essai de psychologie criminelle  : un peu de l’âme des
bandits, Paris, s. d, p. 187.
19. H. Zisly, «  Nature et civilisation. Distinctions à faire  » et
«  Naturisme pratique dans la civilisation  », L’Ordre naturel, clameurs
libertaires antiscientifiques, numéro unique, novembre 1905, p. 3-4.
20. Ibidem, p. 4.
21. IIHS : Archives Zisly, vol. 7, p. 98.
22. IIHS : Archives Zisly, vol. 9, p. 119 ; vol. 10, p. 3-6 ; vol. 11, p. 119-120
et 121-123. Zisly est aussi l’auteur d’un article en l’honneur du président

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de la Société végétarienne du Portugal, de Souza, qui paraît dans Le


Sphinx, le journal de l’anarchiste naturiste brestois Hervé Coatmeur, le
1° juin 1914.
23. Les Naturiens (propagandistes), « Notre Base », L’État naturel et la
part du prolétaire dans la civilisation, n° 3, juillet-août 1897, p. 2.
24. La Réforme alimentaire, 15 juillet 1905, p. 130 ; 15 décembre 1912, p.
327 et 15 septembre 1913, p. 266-267.
25. Jelm, « Hygiène et anarchisme », L’Anarchie, du 24 octobre 1907 au
12 décembre 1907.
26. Jelm, « Hygiène et anarchisme », L’Anarchie, 24 octobre 1907, p. 2.
27. Par exemple : Dr Cabanès, « Savons-nous respirer ? », L’Idée libre, 1
er
décembre 1911, p. 20-22  ; A. FROMENTIN, «  Dégénéré sociaux  »,
ibidem, décembre 1912, p. 1-5 et A. LAFORGE, «  Civilisation et vie
naturelle », ibidem, p. 68-69.
28. Dr Pauchet, « La Vie hygiénique », L’Idée libre, 1er mars 1912, p. 88-
91  ; Dr GUELPA, «  Désintoxication organique et régime végétarien  »,
ibidem, 1er juillet 1912, p. 186-189 et 1er août 1912, p. 198-201. Dans son
numéro du 1er février 1912, la revue annonce une grande matinée
libertaire à son profit avec une conférence du Dr LEGRAIN : « Hygiène
individuelle et rénovation sociale ».
29. Rapport anonyme sur les menées anarchistes, 30 avril 1912, APP : Ba
1499.
30. Note anonyme, 7 janvier 1914, APP : Ba 1506.
31. J. Maitron et C. Pennetier (dir.), Dictionnaire biographique..., op.
cit.
32. A. Laforge, «  La Vie naturelle et les naturiens  », L’Idée libre, août
1913, p. 199.
33. P. Nada, « Végétarisme », La Vie anarchiste, janvier 1912 et 5 mars
1912, p. 6-8 ; « Le Végétarisme, une hygiène philosophique », ibidem, 10
janvier 1913, p. 2- 4 ; 5 février 1913, p. 5 ; 1ER mars 1913, p. 3-5 ; 20 avril
1913, p. 8-9 ; 5 mai 1913, p. 7-9 ; 20 mai 1913, p. 3-4 ; 5 juin 1913, p. 4-6 ;
20 juin 1913, p 3-5 ; 5 juillet 1913, p. 3-5.
34. Fernand-Paul, « Hygiène et sommeil », La Vie anarchiste, 5 mars
1912, p. 9-10 ; « Philosophie de la vie », ibidem, 20 mars 1912, p. 12-13 ;
« Tabacomanie », ibidem, 15 juin 1912, p. 10-12.
35. Fernand-Paul, « Hygiène et sommeil », op. cit. p. 10.
36. P. Nada, « Actualité », La Vie anarchiste, 1ER mars 1913, p. 13.
37. H. Zisly, La Vie anarchiste, 20 juin 1913, p. 14.
38. H. Zisly, «  Pâques communistes, un dimanche au milieu libre de
Saint-Maur », Les Réfractaires, avril-mai 1914, p. 210-212.

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39. Ch. Dequeker, « Élite », La Vie anarchiste, 1ER janvier 1914, p. 6.


40. J.-M. Bernardini, Le Darwinisme social en France (1859-1918).
Fascination et rejet d’une idéologie, Paris, 1997, p. 268-270.
41. M. Douglas, De la Souillure..., op. cit.
42. H. Desroche, Sociologie de l’espérance, op. cit. p. 122.
43. M. Cayol, La Vie naturelle, Luttre, s. d. [probablement 1909], p. 4.
44. La Réforme alimentaire, 15 février 1909, p. 76..
45. E. Corval, Le Naturisme ou la meilleure manière de combattre la
vie chère, oeuvre de propagande pour la régénération humaine par la
vie primitive et la théosophie, Paris, Kosmos, 1922.
46. La Réforme alimentaire, 15 juin 1914, p. 153.
47. Le Sphinx individualiste (de Brest), oeuvre du Foyer naturien de
Brest, 1913-1916 [n° 1-21]. Le titre varie  : 1914, Le Sphinx, puis L’Écho
Naturien  ; 1915, Le Sphinx, puis L’OEuvre naturiste-, 1916, Contre le
chaos.
48. J. Le Bot, « Quelques Souvenirs sur Hervé Coatmeur dit "Le Sphinx"
de Brest  », document dactylographié, daté du 4 août 1953, Institut
français d’histoire sociale (IFHS) : Archives Armand, 14 AS 179.
49. G. Butaud et S. Zaïkowska, Étude sur le travail, Bascon, Éditions
du Milieu libre, 1912, p. 7-8.
50. Le récit de la conversion de Butaud et Zaïkowska au végétalisme puis
au crudivégétalisme figure dans l’ouvrage posthume G. BUTAUD, Le
Végétalisme, Ermont, Publication du Végétalien, 1930, p. 57-68.
51. G. Butaud, Les Lois naturelles. Base de doctrine universelle, Paris,
Éditions du Néo-naturien, 1922, p. 15.
52. G. Butaud, « Pratique », Le Néo-naturien, février-mars 1922, p. 26.
53. E. Gascoin, Les Religions inconnues, Paris, Gallimard, 1928, p. 183.
54. Ibidem, p. 184.
55. « Banquet des amis du Foyer », Le Végétalien, décembre 1924, p. 21.
56. G. Butaud, Le Végétalisme, op. cit. p. IV.
57. Ibidem, p. 2.
58. Ibid, p. 3 (c’est l’auteur qui souligne).
59. Ibid., p. 21.
60. Ibid., p. 22.
61. Ibid, p. 24.
62. Ibid., p. 27.
63. Ibid., p. 29-32.

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64. Ibid., p. IV.


65. G. Butaud, « Le Bénéfice de la propagande », Le Végétalien, février
1925, p. 3.
66. M. Weber, Économie et société, op. cit. t. 2, p. 265-270.
67. La première édition allemande d’Économie et société date de 1922.

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BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre IX. Anarchisme individualiste et
réforme des modes de vie In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour
à la nature [en línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004
(generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22886>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22886.

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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
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Histoire du naturisme
Le mythe du retour à la nature
Arnaud Baubérot

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Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre X.
Jacques
Demarquette et le
Trait d’Union
p. 219-248

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Texto completo

Un naturisme théosophique
1 Né en 1888, à Paris, et élevé dans la religion catholique,
Jacques Demarquette déclarait avoir découvert l’hindouisme
vers l’âge de 17 ans et être alors devenu végétarien1 .En 1909,
il était parti pour l’Amérique, préparer un doctorat de
chirurgie dentaire, et y avait fréquenté les milieux quaker et
rosicrucien avant de devenir membre de la loge
théosophique de Philadelphie. De retour en France, il adhère
à la Société théosophique de France et commence à
pratiquer le yoga. Il s’inscrit également à la Société
végétarienne de France au sein de laquelle il fonde, en 1912,
le Groupe d’action végétarienne. Ce groupement qui vise à
diffuser le végétarisme et le naturisme parmi les classes
populaires devient rapidement autonome sous le nom de
Trait d’Union. C’est également en 1912 que Charles Blech,
président de la Société théosophique, attire son attention sur
le scoutisme naissant et l’encourage à adhérer à la Ligue
d’éducation nationale que vient de fonder Pierre de
Coubertin. La Grande Guerre, durant laquelle Demarquette
est mobilisé comme brancardier, vient renforcer chez ce
jeune théosophe le désir ardent de voir naître une humanité
nouvelle. Comme beaucoup de ceux qui sont confrontés à la
violence des combats et à la dureté de la vie au front,
Demarquette espère que du conflit naîtra un monde plus
juste et plus pacifique. Par ailleurs, la guerre est pour lui
l’occasion d’une succession d’expériences mystiques,
suscitant une réelle soif d’approfondissement spirituel.
Malheureusement, le retour à la vie civile s’avère décevant.
La paix retrouvée, l’ordre ancien n’en a pas moins perduré et
le monde nouveau tarde à poindre. Partagé entre son métier
de dentiste et ses activités au sein de la Société de
théosophie, Demarquette ne trouve pas, dans son existence,
de quoi satisfaire pleinement son désir d’œuvrer pour le
progrès humain. Après quelques mois, il abandonne son
cabinet dentaire parisien et part pour Soisson, engagé par le
Comité américain pour les régions dévastées, pour relancer

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le scoutisme dans le nord de la France. En 1922, alors que


son contrat arrive à terme et qu’il tire un bilan mitigé de
l’expérience, un héritage lui permet opportunément
d’abandonner toute activité professionnelle et de se
consacrer pleinement à ses idéaux pacifistes et humanistes.
2 Ardent promoteur de la paix et de la réconciliation,
Demarquette multi plie les tournées de conférences, en
France comme en Allemagne, et organise des camps d’amitié
internationale. Cela ne lui semble pourtant pas pouvoir
suffire à assurer à l’humanité un avenir meilleur. Pour
changer véritablement l’état des choses, pour régénérer
l’individu et réformer la société, il faut un programme et un
organe pour le promouvoir. C’est dans cet esprit que
Demarquette entreprend de redonner vie au Trait d’Union -
qui n’avait pas survécu à la mobilisation de son principal
animateur - et qu’il s’attelle à la rédaction d’une série de
livres et de brochures consacrés au naturisme et au
végétarisme2.
3 Au-delà de sa dimension hygiénique et prophylactique,
héritée du végétaro-naturisme d’avant-guerre et qu’il
reprend sans modification sensible, Demarquette fait du
naturisme un véritable projet de rénovation sociale. Remède
aux désillusions du retour à la paix et à l’absence de réforme
d’envergure, il sera la base sur laquelle s’édifiera la société
future. Certes, concède Demarquette, socialistes et marxistes
ont eu «  l’immense mérite [de mettre] en lumière les tares
de notre société, de poser d’une façon éclatante les grands
problèmes que l’humanité doit résoudre pour continuer sa
marche ascendante vers le vrai, le beau, le bien, vers le
bonheur ». Cependant, ils se sont fourvoyés en concentrant
leurs efforts sur la question de la production. À l’inverse,
affirme-t-il, « les naturistes prétendent que dans l’édification
d’une Société visant à la perfection, il faudra procéder à une
sévère révision de la consommation, pour éliminer toutes ses
formes nuisibles et simplifier ainsi considérablement le
problème social3  ». S’inspirant largement des analyses des
partisans du coopératisme et des thèses développées par les
anarchistes individualistes végétaliens, avec lesquels il

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entretient des relations suivies, Demarquette expose le type


d’organisation économique et politique que le naturisme doit
contribuer à construire pour mettre fin à «  l’exploitation
dont l’homme est victime » :
« Le vrai naturiste doit [...] se soustraire à l’exploitation du
mercanti [...] par la création de coopératives de
consommation. Il doit se libérer de l’exploitation des
entrepreneurs, des patrons, par la création de coopératives
de production, s’il ne peut exercer un métier lui permettant
de produire seul et de vendre directement sa production au
consommateur. Aujourd’hui, comme au temps de Sismondi
et de Proudhon, la république fédérale est la forme idéale de
gouvernement, celle qui permet aux institutions
démocratiques d’exercer le maximum d’effet éducatif sur les
citoyens appelés à prendre directement part à la gestion de
la chose publique, [...] et celle qui offre à la liberté
individuelle le maximum de garanties. Elle a, de plus,
l’avantage d’être comme le prélude de la fédération
universelle qui, seule, mettra fin aux conflits nationaux4 »

4 Toutefois, pour qu’il puisse contribuer efficacement à


l’avènement d’un monde nouveau, le naturisme ne doit pas
être simplement appréhendé à travers ses enjeux
économiques et politiques ; pas plus qu’il ne peut se limiter à
son ancienne définition qui en faisait «  une tendance à
s’écarter de la civilisation artificielle des "villes tentaculaires,
pour revenir à la vie simple, frugale et pure des champs,
tendant à se rapprocher de celle que les poètes supposent
avoir été vécue par nos ancêtres dans le jardin d’Eden  ».
Cette conception qu’il juge trop «  superficielle et trop
matérialiste, accordant une importance beaucoup trop
grande, trop exclusive à la vie matérielle5  » doit, selon
Demarquette, être dépassée au profit d’une véritable
transformation intérieure de l’individu. Certes, le
programme de réforme hygiénique des mœurs, hérité du
végétaro-naturisme d’avant-guerre, les prescriptions en
matière d’alimentation, d’entretien du corps, d’habillement
et d’habitat constituent encore la base du naturisme. Mais il
doit avant tout contribuer au progrès des « valeurs morales

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et spirituelles dont l’homme est le porteur  » et, au-delà de


l’idéal de vie saine, à promouvoir un idéal de vie sage :
« Nous le définirons ainsi : "Une étude approfondie des lois
régissant l’intégralité de la nature humaine, et son
perfectionnement en relation avec le devenir universel,
donnant à l’homme une méthode qui, en éliminant de sa
consommation et de sa production toutes les habitudes
mauvaises et dangereuses ou simplement inutiles, et en
introduisant dans sa vie lés pratiques conduisant au plein
développement de toutes les facultés esthétiques,
intellectuelles et morales de son être, lui permettra
d’atteindre au bonheur par l’accomplissement de sa destinée
supérieure". »

5 Et c’est, finalement, dans cette élévation morale et spirituelle


de l’homme que réside l’objectif ultime du naturisme :
« Le véritable naturisme qu’on peut appeler aussi naturisme
intégral ou transcendantal, montre bientôt à ses disciples
que tous leurs efforts vers une vie plus saine et plus naturelle
demeureront incomplets et comme avortés s’ils ne
réussissent point à développer leur vie intérieure, le côté
spirituel de leur nature, qui constitue l’essence même de la
nature humaine6. »

6 L’évolution économique et sociale et la réforme hygiénique


des mœurs ne sauraient donc constituer la fin ni l’essence du
naturisme. Toute la « discipline naturiste », « toute cette vie
sage et bien ordonnée » n’atteint pas son but si l’on s’en tient
là et que l’on ne cherche pas à «  hâter consciemment les
progrès de l’esprit humain  ». La «  simplification très
importante des habitudes de consommation  » n’est pas
seulement un gage d’émancipation vis-à-vis de l’exploitation
sociale et économique. Elle est aussi un moyen, pour le
naturiste, de se libérer de « l’exploitation de sa conscience et
de sa vie intérieure par ses appétits matériels  ». En faisant
appel «  aux plus hautes méthodes de développement
personnel qui sont celles employées par les mystiques et les
occultistes  », par la pratique quotidienne de la méditation,
«  des exercices spirituels qui sont aussi nécessaires à la vie
de l’esprit que les repas à celle du corps », le naturiste peut
s’élever, étape par étape, jusqu’à atteindre «  l’union avec
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l’absolu, avec la perfection du vrai, du beau et du bien7 ». Et


Demarquette de conclure son traité de naturisme intégral en
affirmant :
« Le naturisme ainsi conçu, et réellement intégral, constitue
bien la vraie solution de la question sociale. En effet, non
seulement il entraînera la transformation complète du cadre
social par la rénovation des mœurs et de la vie matérielle,
mais il formera par une éducation complète et par la
pratique des exercices de la vie intérieure la race d’hommes
supérieurs qui est la condition sine qua non du progrès8. »

7 Ce mélange de progressisme et de considérations morales et


spirituelles révèle la profonde imprégnation de la théosophie
dans le projet qu’il énonce. Bien que ne s’appuyant pas sur
un corpus dogmatique précis, la Société théosophique de
France, au sein de laquelle Demarquette exerce des
responsabilités9, regroupe un ensemble assez hétéroclite de
tendances autour d’un même intérêt pour les traditions
spirituelles orientales et l’ésotérisme, d’un idéal commun de
fraternité humaine et de la volonté d’agir en faveur du
progrès social. Dès ses origines, dans les années 1880, la
théosophie moderne a suscité l’intérêt de socialistes
spiritualistes, attirés notamment par certains aspects du
bouddhisme et de l’hindouisme, soucieux de dépasser le
matérialisme sans retomber sous l’empire des systèmes
religieux, de concilier science et spiritualité et d’envisager la
question sociale sous un angle plus large que ses seuls
aspects économiques. Héritier de cet ésotérisme de gauche,
Demarquette critique le caractère strictement productiviste
et matérialiste des thèses socialistes et marxistes et leur
oppose un modèle d’émancipation fondé sur l’idée que la
transformation morale et spirituelle de l’être, par l’adoption
d’un mode de vie ascétique et la pratique de la méditation,
est une condition nécessaire au progrès social et humain. À
bien des égards, le naturisme intégral de Demarquette,
singulier mélange d’hygiénisme, de réformisme libertaire et
de spiritualisme mystique, apparaît comme un socialisme
théosophique.
8 Ce projet de régénération individuelle et sociale par le
naturisme se nourrit par ailleurs des angoisses de décadence
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que suscite la modernité :


«  Depuis un siècle et demi, les appétits de jouissance
matérielle se sont déchaînés et, progressant sur un rythme
croissant, ont atteint au paroxysme difficile à dépasser. Le
développement du machinisme et l’empire toujours
croissant de l’homme sur la nature, loin de lui permettre de
satisfaire ses désirs et ses besoins, ne font que lui en susciter
de nouveaux. Comme l’apprenti sorcier de la fable,
l’humanité est prisonnière de ses productions. Elles
l’étreignent dans une ronde toujours plus échevelée, toujours
plus impérieuse d’appétits, de curiosités, de sensations
nouvelles, et aussi de soucis, de préoccupations. Sans avoir
pu vraiment se débarrasser des vieilles plaies dont elle
souffrait : guerres, épidémies, ignorance, l’humanité s’en est
donnée de nouvelles. Pour l’observateur désintéressé la
situation de l’homme moderne est pitoyable. Prisonnier de
ses affaires, écrasé d’impôts, esclave des conventions
sociales, épuisé par la vie trépidante et superficielle, il est,
malgré son téléphone, ses autos, ses aéros et son système
Taylor, plus pressé de besogne et plus soumis aux choses
qu’aucun de ses devanciers10. »

9 La diffusion des innovations techniques, réservées avant-


guerre à une élite économique restreinte, l’accélération des
moyens de communication et de circulation, le mouvement
de rationalisation entrepris dans le monde du travail et
l’atmosphère euphorique qui succède aux années de conflit
et qui, dans les milieux artistiques d’avant-garde, dans les
dancings et dans les cabarets parisiens, donne le ton de ces
« années folles », toutes ces transformations du cadre de vie
et du paysage urbain qui, ailleurs, suscitent des élans
d’enthousiasme, ne semblent soulever ici que méfiance et
réprobation. C’est que, en bonne rhétorique antimoderniste,
Prométhée ne tarde jamais à être dévoré par le vautour, et
l’apprenti sorcier dépassé par le tourbillon infernal de ses
créations incontrôlées. Demarquette verra d’ailleurs dans les
premiers signes de la crise des années trente la confirmation
éclatante de la justesse de sa prophétie et la preuve
irréfutable d’un autre truisme du discours anti moderniste :
l’accroissement du bien-être matériel s’accompagne toujours
de l’effondrement des valeurs morales et spirituelles. Ainsi
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pourra-t-il écrire, en octobre 1931, dans la préface à la


seconde édition de son traité de Naturisme intégral :
« Spirituellement, le fiasco de notre civilisation présente est
encore plus complet. La simplicité, la pureté, la modestie,
l’abnégation, l’honneur, le respect profond des supériorités
et des valeurs morales et spirituelles, sont comme balayés
par un tourbillon de superficialité violente, de grossièreté
sensuelle et de luxueuse vulgarité. Nous avons assisté au
triomphe universel de l’arrivisme dont les développements
prodigieux ont suivi le rythme des engins "motorisés" les
plus vertigineux. Mais après avoir suivi avec une foi aveugle
la voix ensorceleuse et endormante des sirènes du progrès
matériel, nos contemporains ont été soudainement réveillés
de leurs rêves dorés par de sinistres craquements dans
l’édifice social. On s’aperçoit brusquement que notre monde
moderne est arrivé au bord d’un abîme insondable d’où
émerge, inquiétant, le spectre de la banqueroute, tandis que
dans son ombre on entrevoit déjà le ramassement menaçant
de la misère, de la famine et de la guerre civile, prête à se
déchaîner sur notre monde malade11. »

10 Son antimodernisme, toutefois, ne se limite pas à cette


critique quelque peu rétrograde des vices cachés de la société
nouvelle qui émerge au lendemain de la guerre. Pour les
couches les plus modestes, au sein desquelles Demarquette a
implanté son Trait d’Union et auxquelles s’adresse en
priorité sa propagande naturiste, les années d’après-guerre
sont surtout celles de la crise urbaine, de la dégradation du
cadre de vie et de l’entassement dans des logements
vétustés. Pour le Paris populaire, les «  années folles  » sont
loin d’être toujours de folles années. Aussi n’est-il pas
surprenant de voir Demarquette entonner les litanies
éprouvées d’un certain hygiénisme social  : loin de procurer
le bonheur universel, la vie moderne et le machinisme ont
laissé les fléaux sociaux étendre leur œuvre morbide.
« La formation d’une classe prolétarienne, vivant au jour le
jour et sans foyer véritable, a donné à l’alcoolisme une
diffusion et une extension jusqu’alors inconnues et en a fait
un véritable fléau. Joint aux conditions d’hygiène très
défavorables des agglomérations citadines, l’alcoolisme a
entraîné le développement effrayant de la tuberculose, qui
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prélève annuellement sur l’humanité blanche une dîme à


peu près aussi lourde que les épidémies de peste et choléra
d’antan. De plus les mêmes conditions de vie, jointes à la
multiplicité des déplacements, ont aussi considérablement
augmenté les ravages exercés par les maladies
vénériennes12. »

11 Le naturisme s’offre alors comme une réaction aux méfaits


de la modernité, une renaissance des «  mœurs saines et
naturelles  » qui «  seules sont favorables à la santé et à la
vigueur des individus13 ».
12 La récurrence, dans le discours de Demarquette, de la notion
de « race », et, plus précisément, du thème du « salut de la
race  », fait que la question de sa dimension eugénique ne
peut être éludée. Nous avons montré précédemment que la
pénétration, dans la première décennie du siècle, de la
thématique de la dégénérescence dans la mouvance
végétaro-naturiste avait conduit certains auteurs à dépasser
l’habituelle préoccupation de l’étiolement individuel pour
proclamer l’œuvre sournoise de l’hérédité morbide et le
déclin biologique de la «  race  ». Ces alarmes, toutefois, ne
conduisaient qu’à donner une tournure plus dramatique aux
injonctions faites à l’individu de plier son existence aux
règles de l’hygiène. Issu de cette mouvance, le naturisme de
Demarquette repose également sur la certitude d’une
décadence collective, d’une «  dégénérescence physique et
morale de la race14  ». Toutefois, le terme polysémique de
« race » ne semble pas employé, dans ses ouvrages, dans une
acception strictement biologique, mais comme vague
synonyme de peuple, de nation ou de corps social - même si
le propos révèle indubitablement que Demarquette partage
les préjugés de son époque sur les qualités spécifiques de
certains peuples :
« Il est donc à souhaiter que pour le bonheur et le salut de la
société et de la race, le naturisme se répande dans toutes les
villes et les villages de notre pays, apportant partout la
guérison des tares sociales, et, avec les loisirs utilement
employés, une discipline de vie sage et haute. Il permettra de
nouveau à notre race de rendre au monde les services qu’il
était accoutumé à recevoir d’elle dans tous les domaines

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3/12/21 19:32 Histoire du naturisme - Chapitre X. Jacques Demarquette et le Trait d’Union - Presses universitaires de Rennes

supérieurs, où l’activité de l’âme humaine trouve à


s’employer généreusement15. »

13 L’eugénisme de Demarquette reste toujours


fondamentalement optimiste et positif16. On n’y trouve nulle
trace des antiennes d’un certain discours eugénique sur les
méfaits de l’hérédité morbide, nul projet de régénération
biologique de l’espèce par l’attention aux conditions de la
procréation. Le «  salut de la race  » n’est, selon lui, qu’une
affaire de responsabilité individuelle et de conformation de
l’existence à certains principes hygiéniques et moraux
supérieurs. Même au début des années trente, alors que la
gauche française se rallie progressivement à l’eugénisme
négatif (sous une forme qui reste, dans la majorité des cas,
modérée17) et que certains milieux naturistes se montrent
sensibles à ses thèses, Demarquette reste indéfectiblement
attaché à sa conception libérale de la régénération
individuelle. En 1932, dans un article qui expose - sans les
dénoncer toutefois - les mesures de stérilisation prises dans
certains pays à l’encontre des «  procréateurs indignes, tant
au point de vue physique que moral  », il croit bon de
préciser :
«  Inutile de rappeler à nos amis que le Naturisme intégral
que nous préconisons au Trait d’Union, et qui réunit
l’hygiène la plus perfectionnée du corps à celle de l’âme et de
l’esprit, constitue le meilleur eugénisme. Une vie saine,
simple et forte, des mœurs en harmonie avec les lois
universelles, assureront le bonheur de nos enfants à venir en
les faisant bénéficier des qualités que nous aurons
développées en nous-même par nos efforts vers une vie de
progrès et d’ennoblissement. Quel que soit notre état actuel,
nous pouvons l’améliorer considérablement par la pratique
du naturisme intégral18. »

14 D’autre part, la régénération à laquelle appelait sans relâche


la littérature végétarienne d’avant-guerre était, de façon
quasi exclusive, une régénération physiologique. Il s’agissait,
par une alimentation saine, un mode de vie hygiénique et le
renoncement aux comportements nuisibles de désintoxiquer
et de renforcer les corps. Fidèles au principe de neutralité
poli tique de la Société végétarienne de France, les auteurs
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3/12/21 19:32 Histoire du naturisme - Chapitre X. Jacques Demarquette et le Trait d’Union - Presses universitaires de Rennes

qui s’exprimaient dans ses publications n’évoquaient que


très rarement, et de façon très modérée, l’éventuelle
responsabilité de l’organisation économique et sociale dans
la prolifération des fléaux sanitaires. Pour Demarquette, en
revanche, le naturisme doit être social et contribuer à la
transformation des structures socio-économiques, tant il
semble évident que le processus de dégénérescence leur est
étroitement lié.

De l’hygiénisme au spiritualisme
15 À partir de 1922, en même temps qu’il poursuit son œuvre
de définition théorique du naturisme, Demarquette
entreprend de relancer l’activité du Trait d’Union, désormais
qualifié de «  société naturiste de culture humaine  ». Il
multiplie les conférences dans les milieux végétariens,
théosophes et libertaires, et, par ses «  appels à la jeunesse
idéaliste  » et son charisme, commence à attirer quelques
jeunes gens, généralement issus de milieux modestes, dans
le sillage de son association. « Sa mine d’ascète, son ardeur
d’apôtre, l’élégance de sa diction et sa science véritable ne
manquèrent pas de m’émouvoir  », raconte Maurice Pillet-
Will, évoquant les circonstances dans lesquelles il rencontra
Demarquette et devint membre du Trait d’Union, « car c’est
bien au cœur autant qu’à l’intelligence que s’adressait le
conférencier19 ».
16 Les adhérents du Trait d’Union sont censés souscrire à une
«  déclaration de principes  », reproduite en deuxième page
de couverture de la revue Régénération20, et qui définit
l’esprit et les objectifs de l’association. Cette déclaration
invite chacun à améliorer la qualité de sa vie « par un emploi
judicieux des meilleures méthodes d’hygiène et de
perfectionnement individuel  ». Plus encore, elle assure que
«  chaque homme a pour devoir impérieux, vis-à-vis de soi-
même, de la collectivité, de l’avenir de la race, de faire de son
propre perfectionnement la tâche essentielle de sa vie ». La
déclaration indique ensuite « que c’est dans l’étude des lois
de la nature et dans la fidélité à leurs prescriptions, que
l’homme trouve les guides les plus sûrs dans son effort de
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perfectionnement, d’où le nom de naturisme, appliqué à


l’ensemble des méthodes que nous préconisons  ». À ces
affirmations, classiques du végétaro-naturisme, s’en ajoutent
d’autres, plus originales, dans lesquelles se lit la marque de
l’inspiration théosophique du Trait d’Union. Ainsi, la
déclaration soutient « que la pensée et la volonté humaines
ont une puissance considérable et doivent être employées
consciemment au service du bien, c’est-à-dire de la force qui
entraîne toute la nature vers des modes toujours plus élevés
de manifestation  ». Enfin, elle proclame la foi du Trait
d’Union dans le «  caractère irrésistible du progrès et [le]
triomphe assuré de la beauté sur la laideur, de la vérité sur
l’erreur, du bien sur l’égoïsme et la haine  », sa certitude
«  que seuls l’amour expansif, la fraternité et la coopération
sont des agents efficaces de progrès collectif  » et «  qu’une
sympathie universelle s’impose à l’égard de tous les efforts
sincères, vers le bien  ». Volontairement vague et sans
implication concrète précise, cette «  déclaration de
principes  » se veut «  assez large pour ne repousser
absolument aucun homme de bonne volonté, quelques que
soient ses opinions ou ses croyances et assez précise pour
bien déterminer le caractère optimiste, progressif, réaliste et
largement humain de notre idéal ». Il s’agit bien, cependant,
de conduire progressivement les sympathisants de la cause
naturiste à en devenir les adeptes et d’actifs militants. La
déclaration est ainsi complétée par les dix «  règles du
naturisme intégral  » que chacun est invité librement à
mettre en pratique :
«

1. 1° S’abstenir complètement des boissons alcooliques ;


2. 2° S’abstenir de tabac et de tous les stupéfiants ;
3. 3° S’abstenir de viandes et, en général, de tous les
aliments nocifs et excitants ;
4. 4° Se livrer quotidiennement à des ablutions totales
(bain, douche, ou au moins lotion de tout le corps) ;
5. 5°Vivre le plus possible à l’air pur et au soleil ;
6. 6° Faire tous les jours une séance de gymnastique et
prendre, en outre, une quantité d’exercices suffisante
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pour conserver la santé ;


7. 7° Développer la sensibilité et l’appréciation du beau, en
consacrant chaque jour un temps déterminé à la culture
des émotions esthétiques et nobles pour le spectacle de
la beauté ;
8. 8° Développer l’intelligence par la lecture et l’étude
quotidiennes des textes exigeant un effort intellectuel ;
9. 9° Développer les qualités de l’âme, équilibre,
harmonie, sérénité, patience, tolérance, endurance,
fermeté, générosité, amour, par la pratique quotidienne
et réglée des exercices de concentration, de méditation,
de contemplation, recommandés et décrits par tous les
Maîtres de la vie intérieure ;
10. 10° Manifester sa volonté de vie supérieure en
apportant une collaboration régulière et désintéressée à
une œuvre de progrès, la véritable culture humaine
s’exprimant par l’amour et le service du prochain. »

17 Largement ouverte, l’association prétend s’adresser à tous


les jeunes gens sensibles aux valeurs humanistes, sans
qu’aucune condition ou aucun engagement ne soient exigés.
Les conférences et les publications doivent convaincre des
bienfaits théoriques du végétarisme et du naturisme, en
même temps que la vie de l’association et sa convivialité
permettent un travail d’imprégnation progressive. Les dix
«  règles du naturisme intégral  » apparaissent alors plus
comme des repères proposés aux néophytes pour les guider
dans leurs efforts personnels, les étapes d’une initiation, que
comme une liste de critères conditionnant l’appartenance au
Trait d’Union.
18 Du point de vue de ses activités, le Trait d’Union ressemble à
la plupart des organisations de jeunes adultes qui se
développent, depuis la fin du xixe siècle, dans différents
milieux. Mêlant convivialité, activités de plein air et
entreprises plus spécifiquement militantes, l’association
organise des excursions, des banquets végétariens et des
conférences — auxquels elle cherche à attirer un public large
-, et mobilise ses membres pour des actions de propagande,
comme la distribution de tracts ou la tenue d’un stand lors
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de foires ou d’expositions diverses. Chaque année, par


exemple, les militants du Trait d’Union tiennent un petit
stand à la Foire de Paris et distribuent des tracts en faveur
du végétarisme et du naturisme. Ne disposant pas de locaux
spécifiques, l’association tient tout d’abord ses conférences
et ses banquets dans le bâtiment de la Société théosophique
de France, square Rapp21. Dès 1922, cependant, l’association
acquiert un terrain à Choisel, près de Chevreuse. Là, les
« Trait d’Unionistes » se retrouvent en fin de semaine pour
s’adonner aux joies du camping, du bain de soleil et du bain
de rivière. Durant l’été 1924, Demarquette lance le premier
«  Camp d’amitié internationale  » à Chevreuse, rassemblant
environ 80 jeunes gens. Outre les militants du Trait d’Union,
il accueille des campeurs pour une part issus de mouvements
de jeunesse pacifistes des pays protestants - contactés par
l’entremise d’une jeune quaker hollandaise — et, pour l’autre
part, militants de gauche, d’extrême gauche ou anarchistes22.
L’expérience se révèle concluante, puisque désormais un
camp similaire sera organisé chaque été. Ces camps sont non
seulement un lieu de rencontre et de réconciliation entre
jeunes européens, mais également l’occasion d’initier ces
derniers à la vie végétarienne et naturiste afin de les amener,
de façon souple et informelle, à en adopter les principes.
19 C’est également à partir de 1924 que le Trait d’Union
commence à s’implanter en province. Orateur infatigable,
Demarquette organise des tournées de conférences dans les
universités populaires, les groupements végétariens ou les
sociétés de tempérance et, grâce à son charisme, tente de
convaincre quelques personnes, séduites par son discours ou
intéressées par son programme, de se rassembler pour
former un nouveau «  rameau  » du Trait d’Union23. De la
même manière que les loges de la Société théosophique, les
rameaux sont constitués par le regroupement volontaire de
sept militants au moins. Affiliés au siège parisien, ils lui
reversent l’essentiel de la cotisation (qui reste très modeste),
mais conservent une grande autonomie. Les premiers
rameaux du Trait d’Union sont fondés à Strasbourg et à
Mulhouse par des membres des Sociétés d’hygiène et de

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médecine naturelle, affiliées avant-guerre aux fédérations


naturistes allemandes. Le mouvement s’étend ensuite à
Cherbourg, Nice, Bordeaux, Lyon puis Marseille, au rythme
des tournées de conférences de Demarquette. En février
1929, le Trait d’Union compte 16 rameaux provinciaux.
20 En 1924 encore, Demarquette se lance dans l’application de
son programme socio-économique et fonde la Société
coopérative de consommation du Trait d’Union. Celle-ci
s’installe dans le 13e arrondissement, dans un double local
donnant sur les rues de Tolbiac et Bobillot. La coopérative
comprend un restaurant végétarien — qui vend également
du pain complet, quelques produits alimentaires réputés
«  hygiéniques  » et des jus de fruits non alcoolisés -, une
librairie, un commerce de fruits et légumes et un foyer dont
le dortoir compte une soixantaine de lits. Elle affiche des
prix délibérément modestes et les premières années de la
coopérative sont difficiles. Le foyer, occupé essentiellement
par des anarchistes24, est le lieu de troubles et de démêlés
avec la police. Dans le dortoir du Trait d’Union, se souvient
André G., « on trouvait toutes sortes de gars, genre hippies,
des libertaires, pas tous non-violents  ». «  Rue Bobillot, le
commissaire est venu. Demarquette était très ouvert, [...] les
gars de l’En dehors en ont profité. Ça commençait à être
sans-gêne et sans tenue. Il y a eu un holà25.  » En outre, les
pertes d’argent et les difficultés de gestion conduisent à
abandonner rapidement la vente de fruits et légumes et le
local de la rue de Tolbiac pour se concentrer sur le
restaurant, rue Bobillot. Malgré cela, il faut attendre trois
années, durant lesquelles Demarquette comble lui-même les
déficits, pour que la coopérative devienne rentable26. Elle
accède tout de même à une certaine prospérité à la fin de
l’année 1927, et ses dirigeants envisagent alors l’ouverture
d’un second restaurant. Celui-ci, baptisé «  Pythagore  »,
ouvre ses portes rue des Prêtres-Saint-Séverin, dans le 5e
arrondissement, au début de l’année suivante. Sur un ton
volontairement plaisant, un article de 1931 le décrit comme
un restaurant populaire, dont on ne sait trop, au premier
abord, «  s’il s’agit d’une librairie, d’un restaurant, d’un

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déballage ou d’un poste de l’Armée du salut », et qui sert 350


repas par jour, dans une atmosphère de bric-à-brac et de
« cohue de métro ». Issu d’un milieu beaucoup plus modeste
que l’auteur de cet article, André G. insiste, quant à lui, sur le
prix très modique des repas et la grande convivialité qui
régnait à Pythagore27.
21 L’association semble connaître un certain essor à partir de
1927. À Paris, les restaurants permettent de disposer de lieux
de rencontre et de réunion. Parallèlement aux conférences
hebdomadaires, aux excursions et aux banquets mensuels, le
Trait d’Union propose à ses militants de participer à des
soirées amicales, à une chorale, à des cours de danse
rythmique, d’allemand, d’anglais ou de philosophie. Un
«  rameau sportif  » propose des séances de natation et des
cours d’éducation physique. En 1929, le «  rameau
espérantiste  » et le «  rameau Ptomélée  », consacré à
l’astrologie, voient le jour28.
22 La même année, l’association se dote d’une revue mensuelle,
Régénération, qui, grâce aux nouvelles régulières qu’elle
donne des rameaux parisiens et provinciaux, renforce le
sentiment de ses membres d’appartenir à une communauté
fraternelle. Les articles consacrés aux questions d’hygiène,
de diététique et de spiritualité, les publicités
d’établissements naturistes, de fabricants ou de vendeurs au
détail de produits « hygiéniques » aident et encouragent les
lecteurs à mettre en œuvre le programme du Trait d’Union
dans leur vie quotidienne. Dans le même temps, les petites
annonces principalement des propositions de rencontres à
visées matrimoniales, émanant de naturistes soucieux de
trouver un conjoint qui partage leurs convictions, des offres
et des demandes d’emploi concernant des cuisinières ou des
domestiques végétariens témoignent indirectement de la
réalité de cette mise en œuvre.
23 Par sa composition, le comité de rédaction de Régénération
traduit à la fois l’éclectisme de ses préoccupations et la
richesse des contacts que le Trait d’Union a su nouer avec
d’autres organisations de la «  nébuleuse réformatrice  ».
Ainsi la rubrique «  Antialcoolisme  » est-elle confiée au

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docteur Legrain, directeur des Annales antialcooliques,


l’«  Économie sociale  » à Achille Daudé-Bancel, disciple de
Charles Gide, dirigeant de l’Union coopérative des sociétés
françaises de consommation, la « Protection des animaux »
à Séné de la Ligue pour la protection des animaux et la
rubrique «  Naturisme et paix  » à Dufeux et René Valfort,
signalés comme «  secrétaires généraux de mouvements
pacifistes internationaux  ». Mme Bénigni, institutrice,
disciple du pédagogue suisse Adolphe Ferrière et présidente
du rameau de Nice, s’occupe des questions liées à l’enfance
et Horne, président du rameau de Strasbourg, de
l’antitabagisme. On trouve enfin le docteur Dumesnil, rosi-
crucien, membre du Lectorium Rosicrucianum et vice-
président du Trait d’Union, en charge de la rubrique
« Médecine naturiste », son épouse, Mme Dumesnil-Huchet,
en charge de l’«  Éducation nouvelle  », Louise Diart
s’occupant du «  Naturisme et la femme  » et Jacques
Demarquette traitant les questions de culture physique, de
philosophie et de sociologie. En 1930, la rubrique « Lettres,
arts et philosophie » est confiée à Melle Ida Valdès, femme de
lettres, nouvelle vice-présidente du Trait d’Union et
responsable du camp de Chevreuse, et la rubrique «  Anti-
tabagisme  » passe sous la responsabilité de M. Deloraine,
président de la Société contre l’abus du tabac. Enfin, une
rubrique «  Espéranto  » a été créée, dont Cécile Royer a la
charge. Toutefois, ces rubriques, annoncées sous le titre,
n’apparaissent pas dans le corps de la revue. Il semble que
leur attribution ait essentiellement visé à constituer un
réseau plus ou moins lâche de collaborateurs réguliers ou
occasionnels.
24 Les rameaux de province semblent également s’épanouir. De
16 en 1929, leur nombre passe à 21 en 1933. À y regarder de
plus près, cependant, leur vigueur apparaît inégale. Les
groupes alsaciens, par exemple, se montrent
particulièrement dynamiques. Ils bénéficient probablement
des infrastructures - comme les terrains de gymnastique ou
de bains d’air - et d’une forte culture associative léguées par
le naturisme allemand d’avant-guerre. Le rameau de Nice,

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pour sa part, dispose, au début des années trente, d’un foyer


et d’un terrain de camping. Il organise des conférences et des
excursions dont la revue Régénération rend régulièrement
compte. Toutefois, sa tentative de création d’un restaurant
coopératif végétarien tourne court en 1935. De même, à
Marseille, alors que le rameau est énergiquement repris en
main, en 1934, par les médecins d’une Société de médecine
naturiste locale, son restaurant ne parvient pas à accéder à
une situation financière équilibrée. La coopérative du
rameau bordelais et son restaurant-librairie semblent, en
revanche, fonctionner de façon satisfaisante. Le Trait
d’Union de Bordeaux connaît, par ailleurs, un certain
rayonnement qui lui permet, en 1936, de faire de son siège
une « Maison de la paix » hébergeant un Cartel girondin des
associations pacifistes29. Non loin, à Penne dans le Lot- et-
Garonne, la communauté agricole et artisanale fondée par
un couple d’instituteurs montpelliérains en juillet 1934 et
affiliée au Trait d’Union semble, malgré quelques aléas,
fonctionner aussi de façon satisfaisante. Toutefois, la plupart
des rameaux de province, comme ceux d’Angers, de
Cherbourg, de Compiègne, de Romans, de Royan ou de
Valenciennes, ne publient que très rarement le compte
rendu de leurs activités dans la revue Régénération et
restent cantonnés à une existence plus marginale et plus
confidentielle.
25 La vitalité de l’association paraît intimement liée à
l’impulsion que lui donne son fondateur. Son charisme, ses
appels répétés à l’action et à l’éveil de la conscience
individuelle entretiennent l’enthousiasme des membres
comme l’esprit fraternel et communautaire du Trait d’Union.
D’une façon qui est probablement quelque peu exagérée,
Demarquette fait état d’une véritable ferveur qui anime les
milieux naturistes, la certitude de contribuer efficacement à
l’avènement d’un monde nouveau :
« Il règne à tort ou à raison parmi les naturistes comme une
attente messianique, une confiance absolue dans les vertus
salvatrices et rédemptrices de leur régime qu’ils considèrent
comme la formule la plus heureuse et la plus sûre du progrès
social. Elle se propose en effet d’agir directement sur la
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substance même de la société pour en améliorer la qualité au


lieu de vouloir améliorer les institutions politiques et
sociales qui ne sont que les conséquences des mœurs des
nations30 »

26 Toutefois, cet enthousiasme ne semble pas suffire à satisfaire


pleinement Demarquette. Partagé entre le désir d’agir en
faveur du progrès social et une inclination de plus en plus
forte au mysticisme, probablement déçu par le gouffre qui
sépare les aléas de la vie militante de l’idéal moral et
spirituel vers lequel il rêvait de voir s’élever le Trait d’Union,
il décide de se consacrer à sa quête individuelle. Il quitte
Paris au début de 1930 et entre prend un premier voyage qui
le conduit, à travers le Moyen-Orient, l’Inde et l’Asie du Sud-
Est, à la rencontre des principaux centres religieux de
l’islam, de l’hindouisme et du bouddhisme31. Durant ses
voyages, Demarquette ne manque pourtant pas, dès que
l’occasion se présente, d’exposer ses idées lors d’une
conférence et de regrouper quelques colons pour fonder un
rameau du Trait d’Union. En 1932, l’association compte
ainsi 19 rameaux à l’étranger et dans les colonies (Sydney,
Saigon, Nouméa, Madras, Calcutta, Beyrouth, Le Caire, etc.).
Cependant, l’activité de ces groupes n’est jamais mentionnée
dans Régénération et l’on peut émettre quelques réserves
quant à la réalité de leur fonctionnement.
27 Pendant ce temps, l’association parisienne et sa coopérative
poursuivent leurs activités. Malheureusement, la crise
économique frappe de plein fouet le Trait d’Union et
entraîne une dégradation rapide de sa situation financière.
En outre, certaines difficultés, que le charisme de
Demarquette avait occultées, apparaissent au grand jour en
son absence. «  En 1931, tout a déjà commencé à changer à
Pythagore et au Trait d’Union  », se souvient André G. Le
personnel des restaurants est renouvelé, la coopérative
devient le lieu de tiraillements et ses réunions sont de plus
en plus houleuses32. Demarquette lui-même, dans ses
mémoires, évoque les problèmes auxquels il se trouve
confronté lors de son retour à Paris, dans le courant de
l’année 1932 :

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« En rentrant, j’avais trouvé la coopérative du Trait d’Union


en très mauvais état. Bien qu’on ne servît pas plus de repas
qu’à mon départ, le nombre des employés avait doublé. Le
chiffre d’affaires restait le même et le personnel vivait dans
l’euphorie. Les responsables s’étaient adjoint des aides pour
faire le travail, tandis qu’eux témoignaient de l’excellence de
leurs sentiments naturistes en allant prendre des bains de
soleil au Stade Français, dans le parc de Saint-Cloud. Un des
gérants avait même été pris au moment où il puisait à
pleines mains dans la caisse. Cependant les fins de mois
étaient de plus en plus difficiles, mais on attendait mon
retour qui arrangerait tout... Un examen minutieux des
comptes, assez embrouillés, révéla qu’il y avait un million de
déficit... Employant les grands moyens, remerciant les
incapables et les inutiles (ce qui me fit traiter d’exploiteur et
de vampire capitaliste), serrant les vis relâchées, le déficit fut
supprimé et les dettes les plus criardes furent peu à peu
réglées33. »

28 Passablement confuse et menaçant de déclencher les foudres


de l’administration fiscale, l’organisation du Trait d’Union
est profondément remaniée en 1932. Les différents rameaux
deviennent des associations locales, juridiquement et
financièrement autonomes, fédérées entre elles. La
coopérative, désormais formellement séparée de
l’association - dont elle assumait les frais jusqu’alors -, est
remise sur pied et confiée à Lucien Samson, un membre plus
familiarisé avec l’administration d’une entreprise
commerciale. Elle retrouve une certaine vitalité qui lui
permet, au début de l’année 1933, d’ouvrir un troisième
restaurant parisien, baptisé « Ahimsa », rue Cadet. Le camp
de Chevreuse, mal entretenu et source de déficit, est vendu
aux Isblé, un couple de membres du Trait d’Union, qui le
rénovent et, grâce à une gestion plus serrée et à l’ouverture à
une clientèle extérieure, lui permettent de rayonner à
nouveau34. Ce mouvement de réorganisation, cependant, ne
semble pas être aussi profitable à l’association proprement
dite, c’est-à-dire à la partie militante du Trait d’Union. Un
rapport présenté au Congrès de 1934 souligne que les
rameaux de province, qui sont pour la plupart dans une
situation financière difficile, pourront, s’ils le désirent,
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prélever 8 francs au lieu de 3 sur les 15 francs qu’ils


perçoivent de chaque adhérent pour sa cotisation et son
abonnement à Régénération. «  Mais, précise le rapport, ils
ne devront pas oublier que le secrétariat de Paris est
toujours en déficit et que la crise générale atteint la
Coopérative qui s’est relevée mais ne peut plus autant aider
le T.-U. » Afin de rendre la revue rentable, on envisage de la
faire vendre à la criée par des chômeurs, des étudiants ou les
boy-scouts végétariens. Il ne peut être question, cependant,
de transiger sur son contenu. En dépit des difficultés
financières, les militants du Trait d’Union restent fidèlement
attachés à leurs idéaux :
«  Le caractère de la Revue, qui doit être respecté par ses
collaborateurs, a été ainsi précisé. Aucun compromis en ce
qui concerne le végétarisme et l’abstinence, pacifisme
d’amour sans aucune idée d’exclusion ou de haine, loi
d’Ahimsa, révolution sociale non violente par l’éducation,
collaboration des classes, bains de soleil sans préconiser le
nudisme intégral collectif, outils à l’échelle de l’homme et
utilisés pour l’art qui l’élève, donc machinisme modéré35. »

29 De son côté, Demarquette, marqué par les expériences et les


rencontres qu’il a faites lors de son voyage, s’attache à
accentuer la dimension spirituelle du programme de
l’association. Il donne, dans la « crypte » de Pythagore, puis
dans les locaux de la Société théosophique, des conférences
sur la philosophie occulte et, pour un public initié, des
séances d’entraîne ment à la pratique des exercices
spirituels, qui connaissent un certain succès36. À partir du
début de l’année 1934, le docteur Thorin, membre de la
Société théosophique, de la Société végétarienne de France
et du Trait d’Union, propose un cours élémentaire de
théosophie. Les différents articles que Demarquette publie
dans Régénération, entre 1932 et mai 1934, appellent sans
relâche à l’élévation de la conscience et à
l’approfondissement de la vie intérieure. Ainsi, par exemple,
en 1933 :
«  Nous autres, Trait d’Unionistes, disciples du Naturisme
spiritualiste, [...] nous avons l’habitude de communier avec
la vraie Nature, c’est-à-dire non pas seulement avec les êtres
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et les choses de l’Univers, mais aussi, mais surtout même,


avec la Vie divine et mystérieuse qui les anime et qui les crée,
la Nature Naturante des anciens. Cette recherche de l’union
avec les réalités transcendantes aux objets nous facilite une
autre attitude en face de la crise37. »

30 Par ailleurs, s’il continue de prôner l’idéal naturiste de


réforme des modes de vie, le sens qu’il lui attribue a
sensiblement changé. Dans ses ouvrages des années vingt,
Demarquette justifiait le régime végétarien et l’entretien du
corps en s’appuyant principalement sur des arguments
physiologiques. Son naturisme, certes, se voulait aussi social
et spirituel, mais la vie saine, accessible par le respect des
règles de l’hygiène, constituait néanmoins un objectif à part
entière de son programme. Dans les années trente, les écrits
de Demarquette accordent une importance croissante à la
question spirituelle. La réforme sanitaire a désormais la
valeur d’un moyen, d’une étape nécessaire, mais qui n’a de
pertinence qu’en ce qu’elle permet de progresser vers un but
supérieur. Le naturisme, affirme-t-il sans ambages en
novembre 1932, lors d’une conférence au siège de la Société
théosophique, «  est la meilleure des écoles de discipline
personnelle ».
«  En effet, qu’est-ce que la vie du naturiste, sinon une
discipline perpétuelle  ? Quand un homme devient
végétarien, abstinent, non-fumeur, dix fois par jour il aura
l’occasion de lutter contre soi-même, de dominer ses
tendances et d’en triompher.

[...] En un mot, tant par la résistance aux passions et aux


habitudes que par la création de nouvelles habitudes utiles,
le naturiste développe sa volonté et atteint à cette liberté qui
est la condition préliminaire de l’audition de la voix
intérieure, de la voix du silence38. »

31 Plus qu’une hygiène permettant d’accéder à la vie saine, plus


qu’une observation des lois de la nature permettant
d’accéder à la vie sage, le naturisme selon Demarquette
devient une ascèse, un moyen d’accéder à la vie sainte.
32 Lassé par les contraintes qu’impose la direction de
l’association et travaillé par les appels de sa propre quête
mystique, Demarquette décide d’entre prendre un nouveau
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voyage initiatique. Soucieux de garantir, en son absence, la


poursuite du travail d’approfondissement spirituel engagé au
Trait d’Union, il tente de lui donner une tournure plus
nettement religieuse. En mai 1934, lors du Congrès du Trait
d’Union :
«  M. Demarquette constate que la conception du monde
partagée par nos membres et la morale qui en découle ont
des caractères religieux et qu’il suffirait d’ajouter des rites
pour créer une religion de la Nature. Grâce à la foi qui les
anime et à certains rites, différents mouvements d’avant-
garde ont fait des réalisations remarquables, le Trait d’Union
devrait-il aussi adopter des rites39 ? »

33 Probablement réticents, malgré leur fidélité à celui qu’ils ont


nommé, deux ans plus tôt, «  président à vie du Comité
Central du Trait d’Union40  », les militants donnent à cette
proposition une réponse en demi-teinte :
« Après plusieurs échanges de vue les membres du Congrès
demandent que l’on réalise la synthèse de la méditation et
d’une vie journalière recueillie. Le Congrès adopte
finalement la motion suivante  : Les membres des rameaux,
après avoir rempli leurs activités manuelles ou autres avec
un esprit d’amour devront commencer leurs réunions par
des entretiens intimes leur permettant un contrôle
réciproque. Ils pourront s’ouvrir aux autres de leurs
difficultés et demander amicalement à leurs frères les
raisons d’attitudes ou d’actes qui ne seraient pas conformes
à l’idéal. Ensuite aura lieu une étude et une méditation pour
la direction de laquelle des instructions seront envoyées par
circulaire41 »

34 À de nombreux égards, l’impulsion spiritualiste que


Demarquette donne au Trait d’Union au début des années
trente tend à renforcer en son sein les éléments qu’Ernst
Troeltsch, dans ses Soziallehren der christlichen Kirchen
und Gruppen42, identifie comme caractéristiques des
groupements religieux de type mystique. Ainsi Demarquette
insiste-t-il de façon de plus en plus nette sur la nécessité
d’une expérience spirituelle de caractère individuel et
subjectif, et sur l’idée que c’est à l’intérieur de lui-même que
chaque individu doit rechercher le divin. Aucune

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formalisation rituelle ne vient objectiver ni donner une


dimension collective à la pratique des exercices spirituels
qu’il préconise. Le Trait d’Union, par ailleurs, témoigne
d’une parfaite indifférence à l’égard des frontières
institutionnelles et dogmatiques classiques et rassemble des
individus issus de diverses familles religieuses ou
philosophiques en un groupement ouvert, aux frontières
relativement perméables. Toutefois, confronté à l’instabilité
consubstantielle des groupements de type mystique,
Demarquette propose d’y remédier en donnant au Trait
d’Union une forme plus explicitement religieuse, c’est-à-dire
en introduisant des éléments d’objectivation et de
communautarisation de l’expérience spirituelle. Or, selon
une dynamique mise en lumière par Troeltsch, l’évolution
d’un groupe de type mystique vers une forme d’organisation
plus structurée le conduit généralement à adopter certains
éléments caractéristiques des organisations de type
«  secte43  ». Ainsi, la réponse faite aux propositions de
Demarquette par les militants du Trait d’Union contient-elle
des éléments spécifique ment sectaires - l’exercice de la
surveillance et de la correction mutuelles notamment.
Toutefois, aucun élément ne permet de savoir si ces
résolutions furent réellement mises en œuvre au sein de
l’association. Le caractère très faiblement normatif que
garde la revue Régénération et les comptes rendus
d’activités qu’elle publie laissent plutôt supposer que la
tentation sectaire fut sans lendemain et que le Trait d’Union
conserva un mode de fonctionnement de type
essentiellement mystique.
35 Après un banquet d’adieu, Demarquette s’embarque pour un
nouveau tour du monde qui le conduit de Tahiti au Tibet, en
passant par l’Inde, puis en Chine, au Japon et, enfin, en
Californie44. Le Trait d’Union, de son côté, poursuit son
existence mouvementée. La coopérative, désormais auto
nome et rigoureusement gérée, continue de s’épanouir, son
budget n’étant plus grevé par les dettes et le déficit
chronique de l’association. En 1936, son directeur constate
qu’après trois ans d’efforts, les foyers sont mieux tenus, la

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nourriture s’est améliorée et le travail est organisé de façon


plus rationnelle. La coopérative entretient des contacts
fructueux avec le Comité des loisirs des coopératives, le
mouvement des Auberges de jeunesse et les Jeunes équipes
unies pour une nouvelle économie sociale45. La branche
militante du Trait d’Union, en revanche, n’a pas suivi le
mouvement de rationalisation entrepris par les dirigeants de
la coopérative. Animée par le théosophe Gabriel d’Arras,
vice-président désigné par Demarquette pour assurer la
régence en son absence, elle poursuit ses activités - édition,
conférences, excursions et camps —, en proie à d’incessantes
difficultés financières.
36 Le retour de Demarquette, à l’automne 1936, est marqué par
une ultime tentative de reprise en main et de rénovation
spirituelle de l’association. Constatant l’apathie dans laquelle
elle s’enlise depuis 1929, il proclame, en décembre 1936, la
«  transmutation du Trait d’Union46  ». Puis, passant de la
métaphore alchimique à la déclaration prophétique, il
annonce à ses fidèles l’horreur des temps à venir :
«  Après avoir caressé le rêve idyllique d’une société policée
des peuples destinée à porter la civilisation à de nouvelles
cimes, et d’harmonie et de justice, l’humanité pétrifiée se
voit menacée par des forces obscures et monstrueuses prêtes
à déchaîner les unes la guerre étrangère et les autres la
guerre civile, encore plus horrible. Et l’on sent qu’il n’est pas
impossible que des convulsions tragiques nous ramènent à
"la guerre de tous contre tous", qui a marqué les époques de
grande barbarie. »

37 Seul «  un grand réveil des forces spirituelles  » pourra


rétablir la situation. «  L’heure est venue, poursuit-il, en
Occident, et plus particulièrement en France, [de ce] grand
réveil spirituel [...] qui, seul, peut sauver l’humanité des
pires fléaux qu’elle est prête à déchaîner sur elle-même.  »
Face à cette impérieuse nécessité, le Trait d’Union doit se
montrer à la hauteur de la tâche :
« Arrivant à une nouvelle étape de son développement, il va
créer des foyers de vie spirituelle sans étiquettes et sans
dogmes, dans lesquels tous les hommes de bonne foi et les
âmes ouvertes aux pures lumières de l’esprit pourront venir
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communier et surtout s’offrir pour servir de canaux à la


diffusion des Forces Spirituelles sur les plans matériels où
elles vont féconder et sublimer tous les efforts humains vers
le mieux, efforts que leur manque de levain spirituel
condamne à piétiner dans les fondrières du monde obscur et
cristallisé de la matière47. »

38 Toutefois, les alarmes de Demarquette et ses appels à la


«  Renaissance spirituelle  » ne semblent pas avoir mis en
émoi les militants du Trait d’Union. Le contenu de sa revue -
qui prend le nom d’Harmonie le 1er janvier 1937 — et de ses
conférences ne connaît pas de variation sensible. Aucune
allusion n’est faite à la création des « centres spirituels » que
Demarquette appelle de ses vœux et son projet de
transformation du Trait d’Union en une sorte d’organisation
métareligieuse ne semble suivi d’aucune réalisation
concrète. Se sentant probablement plus l’âme d’un
anachorète que d’un prophète ou d’un gourou, Demarquette
fait modifier les statuts du rameau parisien et transférer son
siège à Tanger où il s’installe au début de l’année 1937.
39 Sa présence intermittente n’aura finalement pas permis à
Demarquette de donner au Trait d’Union l’orientation qu’il
souhaitait. Plus encore, à mesure qu’avancent les années
trente, le fossé semble s’élargir qui sépare la façon dont il
conçoit le naturisme et l’idée que s’en font les membres de
l’association. Si le rameau parisien, ainsi que nous le
montrerons plus loin, constitue un lieu de rencontre pour
des individus issus de diverses organisations religieuses
marginales, plus ou moins liées à la mouvance ésotérique, et
témoigne d’une certaine sensibilité au spiritualisme
éclectique de Demarquette - sans qu’il le suive toutefois
jusqu’à la hauteur de son exaltation mystique -, la situation
est sensiblement différente en province. À la différence du
Trait d’Union de Paris, la plupart des rameaux provinciaux
n’ont pas été constitués autour d’un noyau de théosophes,
mais par des individus attirés par le mélange d’hygiénisme,
de pacifisme et d’humanisme que présentait Demarquette
dans ses écrits et ses conférences des années vingt. S’ils
acceptent probablement de bonne grâce l’idée selon laquelle
le naturisme est source de progrès moral et d’élévation de la
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conscience, ils ne sont certainement pas prêts à le concevoir


comme un succédané de théosophie à destination d’un
public large, une discipline ascétique pour apprenti
occultiste, ni à suivre le fondateur du Trait d’Union dans ses
outrances prophétiques. Dans un tract qu’ils rédigent à la fin
des années trente, les membres du rameau de Toulon
répondent à la question « Qu’est-ce que le naturisme ? » en
ces termes :
«  Pratiquer les sports sans compétition  ; prendre des bains
d’air, d’eau, de soleil  ; supprimer les pièces inutiles du
vêtement  ; suivre un régime alimentaire sain en harmonie
avec la nature ; vouloir le retour à la vie simple, artisanale et
agricole, ce qui arrêtera cette égoïste course à l’argent qui
fait tant souffrir  ; abolir l’exploitation de l’homme par
l’homme ; cultiver le développement harmonieux de l’esprit
et du corps, l’amour de la sincérité  ; rechercher le beau, le
bien et le vrai ; rejeter les dogmes et les systèmes ; employer
la discussion courtoise, la persuasion et non la contrainte  ;
pratiquer l’altruisme, la tolérance, la bonté envers les
hommes et les animaux, le culte de la liberté  ; étudier les
révélations de la nature et en profiter  ; recher cher la
fraternité entre les hommes  : Cela, c’est pratiquer le
naturisme, mouvement social de progrès humain48. »

40 Pour le mettre en œuvre, le Trait d’Union de Toulon propose


«  ses camps de vacances, ses foyers restaurants, ses
coopératives d’achats, ses consultations d’hygiène et de
médecine naturelle, ses stations expérimentales de retour à
la terre, ses conférences, ses excursions  ». Nul appel à la
méditation, nulle référence aux grands maîtres de la
mystique orientale, nulle allusion à la création de «  centres
spirituels  » dans ce tract. De façon très classique, presque
banale pourrait-on dire tant les termes diffèrent peu de ceux
qui se répètent depuis la fin du xixe siècle, le naturisme y
apparaît comme un programme de réforme hygiénique des
modes de vie. On peut, certes, y déceler quelques éléments
de discours emprunts d’une philosophie de la Nature qui
pourrait être rattachée aux origines théosophiques de
l’association. Rien, cependant, ne vient relier ces principes à
une quête spirituelle. Ce n’est que dans son orientation

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humanitaire, modérément libertaire et dans sa tendance au


moralisme que s’affirme la spécificité du Trait d’Union.
Enfin, ainsi qu’en témoignent les photographies qui
illustrent le tract et sur lesquelles on peut voir de jeunes
campeurs et campeuses vêtus de maillots de bain, le
naturisme semble de plus en plus nettement associé, pour
les membres du Trait d’Union comme dans d’autres milieux
à la même époque, à un loisir de plein air.

Un milieu « cultic »
41 Si la définition du naturisme qui a cours dans la plupart des
rameaux de province reste très classiquement centrée sur la
question de la réforme hygiénique des modes de vie, la
situation est sensiblement différente à Paris. La plus grande
influence qu’y exerce le charisme de Demarquette, les liens
qui relient le rameau parisien à la Société théosophique et la
présence, à proximité, d’une multitude de groupes religieux
ou philosophiques marginaux partageant certains aspects de
son programme contribuent à façonner d’une façon
particulière le visage du Trait d’Union parisien. En partant
du postulat que le système de valeurs et de croyances
partagé par cette communauté d’adeptes du naturisme
constitue une microculture particulière, il nous a semblé
possible d’en cerner les grandes lignes à travers l’analyse des
thèmes abordés lors de ses conférences hebdomadaires. En
effet, ces conférences, données par des membres du Trait
d’Union ou par des orateurs invités, visent à la fois à édifier
les militants de l’association et à convaincre les
sympathisants qui gravitent autour d’elle sans être naturistes
pratiquants. Leurs sujets révèlent à la fois les différentes
questions dont se préoccupent les membres du Trait d’Union
et les réponses qu’ils tiennent pour vraies, ou du moins pour
pertinentes. Les 105 sujets de conférence que nous avons pu
recenser entre février 1929 et mars 1937, et qui représentent
vraisemblablement le quart des conférences prononcées
dans le cadre du Trait d’Union parisien durant cette période,
couvrent les trois grands domaines de réforme associés par
Demarquette au programme du naturisme intégral  : la
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réforme hygiénique et sanitaire des modes de vie, la réforme


sociale et la réforme morale et spirituelle.
42 Aux aspects hygiéniques et médicaux du programme
naturiste, tout d’abord, est consacré un tiers environ des
conférences recensées. Les sujets traités reprennent
généralement les grands thèmes développés par les milieux
végétariens depuis la fin du xixe siècle. Ainsi, les bienfaits
sanitaires et thérapeutiques du végétarisme occupent une
part importante des conférences du Trait d’Union (14
conférences recensées) et sont généralement exposés par des
membres de la Société végétarienne de France ou par des
médecins non-conformistes, comme le docteur Eliet, disciple
du médecin végétarien suisse Bircher-Benner et directeur de
l’Institut naturiste des Forces vives à Paris, qui intervient le
20 mars 1935 et le 26 février 1936. Dans un registre
analogue, différents orateurs traitent de l’antialcoolisme, du
sommeil, de l’autosuggestion ou de la lutte contre le
vieillissement, thèmes également classiques du végétaro-
naturisme. Le docteur Legrain, par exemple, donne deux
conférences les 14 et 28 février 1929. Le 4 décembre 1935,
Mme Caubet, professeur à l’Institut Coué, expose «  Les Lois
de l’autosug gestion  », puis, le 5 février 1936, «  Comment
retrouver la mémoire par l’autosuggestion ». Le 23 décembre
1936, le Dr Réno dévoile «  Le Secret de la jeunesse quasi
éternelle  ». D’autres conférences abordent la question
hygiénique sous un angle plus social. Deux séances, par
exemple, sont consacrées à la question du machinisme et un
certain Horance Thivet, secrétaire général de la Ligue de la
légitime défense contre le bruit, vient animer la soirée du 10
octobre 1934, à Pythagore. Enfin, cinq conférences sont
consacrées à des questions médicales, sans relation directe
avec le végétarisme, mais systématiquement en marge de la
médecine officielle. Le professeur Varma, directeur de
l’Institut Pranothérapique de Paris, vient par exemple
révéler « Les Clés de la santé et de la vie », en février 1930.
Le docteur Georgia Knap, membre de la Société végétarienne
de France, expose les bienfaits thérapeutiques du radium le
1er avril 1932 et un certain Henri Moreau, qui se présente

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officiellement comme psychologue mais prétend guérir le


cancer par «  téléradiesthésie  », vient donner deux
conférences au Trait d’Union en 1936 et en 1937.
43 Les conférences touchant à la question des réformes sociales
sont nette ment moins nombreuses (10 conférences
recensées). Les thèmes abordés sont des plus variés, mais
s’inscrivent dans la sensibilité nettement progressiste et
humanitaire qui caractérise le Trait d’Union. Les orateurs
abordent ainsi les questions de la prostitution réglementée,
du féminisme, du sort réservé aux criminels ou aux réfugiés
ou de la lutte des classes. Si l’on ajoute les conférences
consacrées au pacifisme - six conférences, toutes prononcées
entre mars 1931 et mars 1933 — et à l’éducation nouvelle -
huit conférences -, l’ensemble des questions sociales et
politiques représente à peine le quart des conférences
recensées.
44 C’est finalement sur des sujets spirituels ou religieux que
porte la part la plus importante des conférences du Trait
d’Union (37 conférences recensées). Un peu moins de la
moitié de ces conférences est consacrée à la présentation
d’une doctrine ou d’un groupement religieux. Il s’agit
toujours, toutefois, de religions minoritaires ou exotiques —
le quakerisme, présenté à différentes reprises par Henri Van
Etten, le secrétaire général de la Société des amis,
l’adventisme, par le Dr Jean Nussbaum, président de la
Ligue Vie et santé49, la théosophie, l’anthroposophie50 et le
bouddhisme — ou de courants philosophiques marginaux,
comme le «  marcaurélisme  », expliqué par un certain
docteur Loisel, du Foyer Marc-Aurélien, ou la « philosophie
cosmique », dont vient parler le médecin-chef du dispensaire
de philosophie cosmique. Dans le même registre,
Demarquette, au retour de son second voyage initiatique,
donne quatre conférences sur les religions orientales, en
février et mars 1937  : «  La Vie des lamas du Tibet et leurs
doctrines initiatiques  », «  Au Monastère de Kamakura
(Japon), les disciples de l’ordre Zen, le plus pur de
l’Extrême-Orient  », «  Le Temple d’or d’Amritsar. Le
sikhisme, glorieuse synthèse de l’islam et de l’hindouisme »

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et «  Le Mahatma de Pondichéry  : Sri Aurobindo Ghose  ».


L’autre moitié de ces conférences porte soit sur certaines
croyances particulières, hors de toute référence à un système
religieux précis - comme les corps invisibles de l’homme, la
vie dans l’au-delà, la réincarnation, la doctrine du karma ou
l’astrologie -, soit sur des questions d’ordre général touchant
à la vie religieuse ou à la spiritualité. La plupart d’entre elles
sont prononcées par les dirigeants théosophes du Trait
d’Union, Demarquette, Paul Thorin et Gabriel d’Arras.
Certaines, cependant, sont données par des responsables
d’organisations religieuses ou philosophiques. Ainsi,
Monseigneur Winnaert, évêque de l’Église catholique libre et
ami intime de Demarquette, donne deux conférences au
Trait d’Union en 1930 et 193151, M. Saby, secrétaire de la
Fédération spiritualiste internationale, une conférence en
1931 et M. Rohrbach, délégué du Centre européen de langue
française de l’Institution mondiale de la Vie impersonnelle52,
deux conférences en 1934 et 1936.
45 Il apparaît finalement que le Trait d’Union, dont le
programme de conférences révèle un intérêt conjoint pour
les techniques thérapeutiques alternatives et les croyances
religieuses hétérodoxes53, s’apparente à ce que le sociologue
Colin Campbell qualifie de «  cultic milieu54  ». Élaboré dans
le cadre de l’étude des nouveaux mouvements religieux
contemporains, ce concept désigne une «  subculture
spirituelle  » dans laquelle se rencontrent des individus
disposés à tenir pour acquises des croyances et des valeurs
que « la science et la religion établies » ne reconnaissent pas
comme légitimes. Comme le souligne Jean-François Mayer,
«  l’univers flou et protéiforme du cultic milieu  » se
caractérise également par une propension «  à ne plus se
contenter des solutions conventionnelles et à envisager des
possibilités en dehors des sentiers battus. [...] Les exemples
d’interactions ne manquent pas. On sait ainsi qu’il n’est pas
rare que l’engagement dans une voie religieuse non-
conformiste et l’intérêt pour un système thérapeutique non
orthodoxe soient associés55 ». La pratique du végétarisme et,
au-delà, l’intérêt pour les théories diététiques alternatives,

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comme le végétalisme, le crudivorisme ou le frugivorisme, le


recours aux réseaux de distribution de produits
«  hygiéniques  », l’intérêt pour l’espéranto et la sensibilité
progressiste, voire liber taire, en matière politique et sociale
participent également de ce système d’interaction. Derrière
ce foisonnement de croyances atypiques qui donne au Trait
d’Union l’apparence d’une mosaïque baroque, rassemblant
en un tableau peu cohérent une multitude de théories et de
systèmes excentriques, se joue la même quête d’un mode de
vie hors norme, la même recherche de solutions nouvelles
pour échapper à la décadence physique, morale et spirituelle
à laquelle semble promise la modernité occidentale.
46 Critique à l’égard de la modernité, le naturisme du Trait
d’Union n’en est cependant pas moins typique de celle-ci. La
sociologue Danièle Hervieu- Léger, en effet, décrit les
caractéristiques de la modernité religieuse à travers les
notions de «  pluralisation des demandes spirituelles  » et
«  d’individualisation et de subjectivisation du croire  »,
qu’elle rattache principalement à «  l’affaiblissement de
l’autorité des grandes Églises et confessions56  ». Si ces
notions ont été élaborées pour décrire une dynamique de la
modernité qui se limite aux décennies les plus récentes,
force est de constater que certains éléments de cette
dynamique sont déjà présents, quoique de façon encore très
marginale, dans la configuration de la société dans la
première moitié du xxe siècle, et probablement à l’œuvre
depuis le courant du siècle précédent. La multiplication des
Églises dissidentes et des petites organisations religieuses
(notamment celles à caractère ésotérique) depuis le milieu
du xixe siècle, ainsi que la complexité des parcours
individuels qui donne à l’ensemble de ces groupements le
caractère d’une nébuleuse instable, peuvent ainsi être
interprétées comme le signe d’un essor de cet individualisme
spirituel caractéristique de la modernité. De façon plus
générale, une certaine prise de distance par rapport au
contrôle social, liée aux conditions de l’essor de
l’industrialisation et de l’urbanisation, le processus de
sécularisation et jusqu’à l’avènement de la démocratie

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libérale, qui fait de la société un espace où peuvent librement


se confronter des vérités contradictoires, ont donné à
l’individu la possibilité de relativiser, dans une certaine
mesure, les prescriptions des grandes institutions
pourvoyeuses de dogmes et de normes.
47 Le Trait d’Union apparaît alors comme l’une des micro-
organisations de ce milieu «  cultic  », rendu possible par la
dynamique de la modernité et au sein duquel se retrouvent
des individus engagés dans la recherche de codes de
comportement et de certitudes quant aux finalités de la vie
humaine en marge des conceptions communément admises.
Convaincus que les maux du temps résultent de la distance
qui sépare l’organisation et les comportements sociaux
dominants de l’ordre de la nature, les membres du Trait
d’Union trouvent dans le naturisme une théorie cosmique,
un système de valeurs, de croyances et de règles de vie qui
donnent du sens à leur existence. Toutefois, au contraire
d’autres dirigeants de groupements naturistes, Demarquette
ne définit pas l’ordre naturel de façon stricte et normative.
Tout au plus le présente-t-il comme une vérité
transcendante et cachée à laquelle l’individu ne peut accéder
que par une quête spirituelle opiniâtre. L’absence de
véritable dogmatique naturiste commune donne ainsi au
Trait d’Union son caractère à la fois très individualiste et très
éclectique. Si ses membres se rassemblent autour de
quelques valeurs — l’esprit fraternel et la bonté envers les
animaux, par exemple — et de quelques modes de
comportement — comme le végétarisme ou la pratique des
loisirs de plein air - qui fondent leur culture commune, ils se
trouvent finalement disposés à étudier sous un jour
favorable et, éventuellement, à adopter tout nouveau
système qui prétendrait leur révéler l’objet de leur inlassable
recherche : la nature intime de l’homme.
48 Le cas particulier du parcours militant d’André G. au sein du
Trait d’Union illustre, de manière tout à fait éclairante, la
façon dont se traduisent concrètement les liens entre
naturisme et milieu «  cultic  ». Né en 1909 et issu d’une
famille de modestes employés, André G. sort de l’École

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Boulle en 1926. Il débute une carrière de menuisier en siège


dans un atelier du Faubourg Saint-Antoine, à Paris. Ouvrier
d’art, il appartient à l’élite ouvrière et jouit, à 17 ans, d’un
salaire appréciable et d’une situation relativement
privilégiée. Toutefois, son avenir, tel qu’il se dessine, ne le
satisfait pas et le jeune André G. cherche encore sa voie.
C’est par le biais des milieux libertaires, qui exercent encore
une influence notable sur la vie du quartier de la Bastille,
qu’il découvre l’existence de différents groupements de la
« nébuleuse réformatrice » :
« Mes parents étaient effrayés de voir chez eux "L’Anarchie",
"Le Semeur de Normandie", et autres publications dites
"d’avant-garde" ! Cependant, on y publiait des annonces très
attrayantes  : par exemple, une conférence sur l’espéranto,
chez les Quakers. Je m’attardais, en outre, à la lecture des
affiches où je notais les programmes de "L’Université de
Connaître". Dans ces soirées, je rencontrai le Docteur
Charles-Édouard Lévy, Vice-Président de la Société
végétarienne de France57. »

49 En mai 1927, André G., qui affirme avoir été toujours


sensible à la souffrance animale et n’avoir jamais apprécié la
viande58, devient végétarien strict et commence à s’abstenir
de boissons alcoolisées. « Au grand désarroi de [ses] parents,
à leur peine, à leur angoisse » s’ajoute l’incompréhension du
reste de sa famille qui le rend de plus en plus étranger à son
milieu d’origine. À cette époque, André G. commence à
fréquenter les différents restaurants végétariens du quartier
de la Bastille. Il entre en contact avec Jérôme Morand, dont
le magasin Natura Vigor distribue des produits
«  diététiques  » et dont la revue Hygie est devenue l’organe
de la Société végétarienne. Converti au pacifisme, il apprend
l’espéranto grâce aux leçons particulières que lui donne un
certain Fernand Brossier, rencontré lors d’une conférence
chez les quakers. Un tract distribué à la fin d’une causerie de
Maurice Suard, gérant du restaurant du Trait d’Union, à
« L’Université de Connaître », lui fait découvrir l’association
de Demarquette. En juin 1927, il se rend rue Bobillot et
décide d’abandonner la menuiserie pour consacrer sa vie au
militantisme végétarien et naturiste. Employé par la
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coopérative du Trait d’Union, il quitte ses parents et


s’installe au foyer de l’association. Il travaille tout d’abord au
restaurant de la rue Bobillot, puis à Pythagore, rue des
Prêtres- Saint-Séverin, de septembre 1929 jusqu’à son
départ pour le service militaire à la fin de l’année 1930.
50 Durant ses trois années de militantisme au sein du Trait
d’Union, André G. participe activement à la vie de
l’association. Il assiste aux conférences, se rend
fréquemment au camp de Chevreuse en fin de semaine et
distribue des tracts en faveur du naturisme et du
végétarisme. En 1929, il fonde le «  rameau espérantiste,
groupe des espérantistes naturistes » dans le cadre duquel il
anime une chorale et donne des cours gratuits d’espéranto.
Son adhésion au naturisme, toutefois, ne se traduit pas
uniquement par son travail et son action militante au sein du
Trait d’Union. L’intérêt qu’il porte aux différentes théories et
organisations naturistes et les contacts qu’il noue à cette
époque révèlent l’existence d’une mouvance naturiste qui
dépasse les frontières établies entre les associations et les
systèmes. Ainsi, André G. lit les ouvrages du docteur Paul
Carton et observe certaines de ses prescriptions diététiques.
Il s’approvisionne notamment dans une boutique de la rue
Monge, homologuée par le médecin naturiste, où l’on trouve
alors, se souvient-il, un pain d’épice particulièrement
délectable et des «  galettes au un quarantième d’œuf  »
préparées selon la recette de Carton. Il lit égale ment les
ouvrages des docteurs André et Gaston Durville sur le
psycho magnétisme thérapeutique et rédige pour leur revue
Naturisme une série d’articles consacrés à l’espéranto59. Il
fréquente occasionnellement le restaurant des anarchistes
végétaliens de la rue Mathis dont le menu est à un prix
moins élevé qu’au Trait d’Union, assiste aux conférences de
Sophie Zaïkowska et échange quelques lettres avec le
naturien libertaire Henri Zisly. Il fait également la
connaissance de l’ancien acrobate anarchiste naturiste
Spirus Gay, devenu guérisseur et que l’on appelle parfois
pour dispenser ses soins au Trait d’Union. Convaincu que les
différentes associations naturistes et végétariennes

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partagent des valeurs et un idéal communs, André G.


formule le vœu d’une étroite coopération entre elles.
Toutefois, le courrier qu’il adresse en ce sens à leurs
dirigeants se heurte à un refus unanime motivé par des
rivalités de doctrines ou de personnes. Il reste néanmoins
que l’exemple du parcours militant d’André G. montre
combien les frontières qui séparent les organisations de la
mouvance naturiste sont loin d’être aussi étanches que le
discours de ceux qui les dirigent le laisse parfois entendre.
51 En évoluant au sein de cette mouvance végétarienne et
naturiste, André G. est également conduit à découvrir et à
côtoyer diverses petites sociétés religieuses qui entretiennent
des relations plus ou moins suivies avec elle. Le Trait
d’Union le met, tout d’abord, au contact de la théosophie.
Bien que les liens qui relient l’association de Demarquette à
la Société théosophique ne soient pas explicites, André G. ne
les ignore pas. Sans être lui-même théosophe, il fréquente
régulièrement la Salle Adyar, au siège parisien de la Société
théosophique, square Rapp, où il assiste à des conférences et
participe, avec d’autres membres de l’association, à des
cours de danse rythmique donnés par le danseur
Malkowsky. C’est également par le biais du Trait d’Union
qu’il découvre l’Église catholique libérale, où il noue des
amitiés durables. Très proche de la théosophie, l’Église
catholique libérale enseigne le principe de la réincarnation
de tous les êtres appartenant au règne animal et prône le
végétarisme. André G. assiste parfois à ses offices, participe
aux prières pour les animaux et aux repas végétariens. Il
entretient également des relations étroites avec les quakers
dont il partage l’idéal pacifiste. Lors d’une conférence
donnée au Trait d’Union par Henri Van Etten, le secrétaire
général de la Société des amis, il apprend l’existence du
Service civil volontaire international. C’est dans ce cadre
qu’il fait son premier séjour à l’étranger, en participant, en
1928, à un grand chantier dans la principauté du
Liechtenstein inondée par la crue du Rhin. André G. se
souvient avoir été, durant ce séjour, « complètement dans le
bain du végétarisme et du naturisme60 ». Il côtoie également,

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quoique de façon plus distante, des adeptes du mouvement


Mazdaznan qui connaît alors un certain développement en
France. Fondé à Chicago, au début du siècle, par un ancien
typographe connu sous le nom de docteur Otoman
Zaradusht Hanish, le mouvement Mazdaznan propose une
réinterprétation de la philosophie zoroastrienne. Dans son
enseignement, Hanish préconise une alimentation
strictement végétale et le recours à des pratiques
thérapeutiques relativement semblables à celles que
proposent certains médecins naturistes. André G.
s’approvisionne parfois dans la boutique que tient Carlos
Bungé, l’initiateur du mouvement Mazdaznan en France,
dont il apprécie particulièrement le pain et la margarine
végétale.
52 Il apparaît finalement que l’adhésion d’André G. au Trait
d’Union permet son intégration au sein d’un vaste réseau
composé de groupements aux objectifs variés et d’individus
militant en faveur de causes diverses, mais dont les
convictions et les systèmes de valeurs convergent sur de
nombreux points. La plongée dans cette nébuleuse lui
permet d’accéder à des expériences personnelles et à des
rencontres que son milieu familial et sa formation de
menuisier ne laissaient pas a priori prévoir. Sa conversion
au naturisme se traduit donc par une rupture, au moins
partielle, avec le milieu culturel auquel il semblait destiné et
par l’intégration à un autre univers culturel, la sous-culture
végétaro-naturiste61. Les relations qu’il noue avec les
différentes organisations et les théoriciens qui gravitent dans
cette nébuleuse sont de différentes natures. Elles peuvent
être, tout d’abord, strictement utilitaires. Ainsi André G.
fréquente-t-il les commerces de certaines associations afin
de s’approvisionner en produits diététiques spécifiques ou
puise-t-il dans la lecture de divers auteurs d’utiles
recommandations pratiques sans nécessairement adhérer à
l’ensemble du système théorique qui les sous- tend. Il lui
arrive aussi d’entretenir des relations plus étroites avec
certains groupements sans pour autant en devenir membre à
part entière. André G. affirme, par exemple, être toujours

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resté un fidèle sympathisant de l’Église catholique libérale et


du quakerisme sans avoir néanmoins renié le catholicisme
romain - bien qu’ayant pris quelques distances avec lui - et
sans jamais s’être senti suffisamment proche de l’une ou
l’autre de ces sociétés pour y adhérer pleinement. Il arrive
enfin qu’il déploie une activité réellement militante, comme
il le fait en faveur de l’espéranto et dans le cadre du Trait
d’Union. Même dans ce dernier cas, cependant, André G.
garde une certaine distance par rapport à l’association dont
il est membre. Ainsi, à son retour du service militaire, à la fin
de 1931, il travaille à nouveau pour la coopérative du Trait
d’Union, mais, confronté à l’atmosphère déplorable qui y
règne depuis le départ de Demarquette, il « sent qu’il ne fera
pas [sa] vie là-dedans62  ». Après quelques mois, il présente
sa démission, cherche un nouvel emploi et commence à
s’éloigner du Trait d’Union. Durant quinze ans, il n’aura plus
de réelle activité militante. Cette évolution, pourtant,
n’ébranle pas ses convictions et André G. continue, à titre
individuel, à pratiquer le naturisme et le végétarisme ainsi
qu’à entretenir les relations qu’il a nouées dans ce milieu.
53 Il faut très certainement accorder une large part, dans le
déroulement de cet itinéraire naturiste, à la personnalité
propre — curieuse et volontiers éclectique - de son acteur,
ainsi qu’à la large ouverture qui, comme nous l’avons
souligné plus haut, caractérise le Trait d’Union. Cependant,
il est possible, à partir de cet exemple, de relativiser quelque
peu le rôle des structures associatives et des systèmes
théoriques autour desquels s’organise la nébuleuse naturiste
dans les années vingt. En effet, l’ensemble des sources
imprimées dont nous disposons pour appréhender ce milieu,
qui émanent principalement de ces associations, de leurs
dirigeants et de leurs théoriciens respectifs, risque de
conduire à accorder une importance probable ment exagérée
à l’originalité de chacune ainsi qu’aux frontières qui les
séparent. Les rivalités de personnes, les conflits d’intérêts et
la nécessité, pour chaque groupement, de se distinguer au
sein de la nébuleuse naturiste ne doivent pourtant pas
occulter leur commune référence à un même fonds de

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valeurs et de croyances et l’homogénéité globale des


pratiques qu’elles préconisent. L’exemple d’André G. nous
montre ainsi qu’un naturiste et végétarien convaincu,
militant lui-même dans une organisation, peut, par- delà
l’affrontement des différentes chapelles naturistes, évoluer
librement au sein de cette nébuleuse et développer une
stratégie personnelle pour conformer son mode d’existence à
l’ordre de ses convictions.

Notas
1. Les éléments concernant la biographie de Demarquette sont tirés,
pour l’essentiel, de son ouvrage autobiographique (publié sous le nom de
Jacques de Marquette)  : Confessions d’un mystique contemporain,
Paris, Panharmonie, 1965. Cf. également A. Baubérot, «  Demarquette
Jacques », J.-P. Chantin (dit.), Les Marges du christianisme..., op. cit., p.
68-69.
2. Notamment, L’Humanité et les animaux, réflexions sur un enfer
moderne, 1922  ; Le Naturisme intégral, méthode de régénération
individuelle et de progrès social, 1 924 ; Libération. 1° : Le But, essai de
morale constructive, 1925 ; Les Sept Raisons du végétarisme (hygiène,
économie et morale de l’alimentation), 1928, tous publiés par les
Éditions du Trait d’Union, à Paris.
3. J. Demarquette, Le Naturisme intégral..., op. cit., p. 33 et 42-43.
4. Ibidem, p. 199-200.
5. Ibid, p. 38.
6. Ibid., p. 39-40 et 44.
7. Ibid, p. 198, 203-204, 222 et 229.
8. Ibid., p. 230.
9. Demarquette a fondé la loge Sattva qui tient ses séances au siège de la
Société théosophique de France,square Rapp, à Paris. Selon René
Guénon, il est aussi le secrétaire pour la France de la Ligue de
correspondance internationale dont le but est de « constituer un noyau
de fraternité universelle, en créant et resserrant les liens d'amitié et
d'affection entre les théosophes du monde entier » (Le Théosophisme...,
op. cit., p. 364).
10. J. Demarquette, Le Naturisme intégral..., op. cit., p. 7-8.
11. Ibidem, 2e édition, p. 5-6.
12. J. Demarquette, J. A. Gleizes et son influence sur le mouvement
naturiste, thèse de lettres, Paris, Éditions du Trait d’Union, 1928, p. 11
13. Ibidem, p. 12.
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14. Ibid., p. 11.


15. J. Demarquette, Le Naturisme intégral....op. cit., p. 45-46.
16. Il est généralement admis que l’on peut opérer une distinction entre
eugénisme positif et eugénisme négatif. Le premier, soucieux d’élever la
qualité physique et morale des individus, s’attache à promouvoir
l’hygiène et l’éducation. Le second, pessimiste quant aux possibilité
d’améliorer l’individu, cherche à éliminer les tares héréditaires en
prévenant leur passage à la génération suivante, par l’imposition d’un
certificat d’aptitude au mariage ou, de manière plus radicale, par la
stérilisation des populations considérées comme dysgéniques (jusqu’à
opérer par assassinat dans le cas de l’Allemagne nazie).
17. W. H. Shneider, « L’Eugénisme en France : le tournant des années
trente », Sciences sociales et santé, 4-3/4, 1986, p. 81-114.
18. J. Demarquette, «  Le Mouvement eugénique  », Régénération,
novembre 1932, p. 181.
19. M. Pillet-Will, À propos d’un essai de réforme de la vie et des
moeurs par le retour à la nature, Paris, Éditions du Trait d’Union, 1927,
p. 2.
20. Régénération, revue naturiste de culture humaine, organe du Trait
d’Union paraît à partir de janvier 1929.
21. Demarquette, dont la loge théosophique tient aussi ses séances
square Rapp, entretient des relations étroites avec Charles Blech,
secrétaire général de la Société théosophique, et sa sœur Aimée qui
soutient financièrement le Trait d’Union.
22. J. Demarquette, Confessions..., op. cit., p. 88 et 102.
23. Andre G., qui fut membre et employé du Trait d’Union de 1927 à
1930, souligne la facilité avec laquelle Demarquette, athlète et bel
homme, parvenait à convaincre quelques personnes parmi son auditoire
de fonder un nouveau «  rameau  » (André G., entretien du 1er octobre
1998).
24. Dans le troisième chapitre de son roman Brouillard au pont de
Tolbiac, Léo Malet évoque le Foyer végétalien de la rue de Tolbiac, tenu
par «  des théosophes puritains  », qu’il a lui-même connus dans sa
jeunesse vagabonde et libertaire.
25. André G., entretiens du 5 mars et du 2 juillet 1998.
26. J. de Marquette, Confessions..., op. cit., p. 88.
27. Ch.-E. Abdullah, «  À "Pythagore", une visite aux restaurants
végétariens  », Naturisme, 15 janvier 1931, p. 5 et 22 janvier 1931, p. 5.
André G., entretien du 5 mars 1998.
28. André G., entretien du 24 juin 1998 et Régénération, février 1930, p.
26-27.

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29. Régénération, juin-juillet 1934, p. 26  ; octobre 1934, p. 39  ;


novembre 1935, p. 25 et avril-mai 1936, p. 29
30. J. Demarquette, J. A. Gleizes et son influence..., op. cit., p. 14.
31. J. De Marquette, Confessions..., op. cit., p. 128-206.
32. André G., entretien du 24 juin 1998.
33. J. de Marquette, Confessions.,.,op. cit., p. 206-207.
34. Régénération, septembre 1934, p. 5 et novembre 1934, p. 33 ; André
G., entretien du 24 juin 1998.
35. «  Congrès de Serrière, 10-13 mai 1934  », Régénération, juin-juillet
1934, p. 27-28. Selon Demarquette, «  Ahimsa  » est le nom «  de la
doctrine du respect de la vie et de la non-nuisance qui fait l’honneur de
l’Inde » (Régénération, décembre 1932, p. 200).
36. Régénération, novembre 1932, p. 178.
37. J. Demarquette, « Plus haut! », Régénération, janvier 1933, p. 5.
38. Anonyme (J. Demarquette), La Contribution du naturisme à la
culture spirituelle. Par un Serviteur, Paris, Éditions du Trait d’Union,
1933, p. 13-17.
39. « Congrès de Serrière... », op. cit., p. 25.
40. «  Congrès du Trait d’Union  », Régénération, septembre-octobre
1932, p. 155.
41. « Congrès de Serrière... », op. cit., p. 25.
42. Les Soziallehren n’ont pas été traduites en français. On trouve une
présentation synthétique de la typologie des groupes religieux élaborée
par Troeltsch dans J. Séguy, Christianisme et société, introduction à la
sociologie de Ernst Troeltsch, Paris, 1980, p. 100-141 (sur le type
mystique : p. 128-141).
43. Nous employons le mot «  secte  » dans le sens que lui donne la
sociologie religieuse depuis les travaux d’Ernst Troeltsch et de Max
Weber, et qui diffère très sensiblement du sens que lui attribue le
langage commun.
44. J. De Marquette, Confessions..., op. cit., p. 213-251.
45. L. Samson, «  La Coopérative du Trait d’Union  », Régénération,
février 1936, p. 29.
46. J. Démarquette, «  À nos amis, la transmutation du Trait d’Union.
Sa troisième étape », Régénération, décembre 1936, p. 6.
47. J. Demarquette, « Vers un spiritualisme laïque pour la renaissance
spirituelle », Régénération, décembre 1936, p. 11-17.
48. En gras dans le tract

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49. Le Trait d’Union organise également un banquet amical en l’honneur


des adventistes du septième jour, le 22 février 1936.
50. L’anthroposophie a été fondée au début des années 1910 par un
ancien théosophe suisse, Rudolf Steiner, qui refusait l’orientation
messianique qu’Annie Besant et Charles-Webster Leadbeater tentaient
d’imprimer à la théosophie en présentant le jeune Krishnamurti comme
la réincarnation du Christ.
51. Démocrate et proche du courant moderniste, le père Louis-Joseph
Winnaert a rompu avec l’Église catholique romaine en 1918. En 1922, il
rejoint l’Église catholique libérale - née en 1916 d’une trans formation de
l’Église vieille-catholique d’Utrecht, dirigée par l’évêque anglais Mgr
Wedgwood, et étroi tement liée à la théosophie -, est sacré évêque et
fonde l’Église libre-catholique de France (M. Mendez, « Winnaert Louis-
Joseph », J.-P. Chantin (dir.), Les Marges du christianisme..., op. cit., p.
256-257).
52. L’accès à la «  vie impersonnelle  » est présenté par certains comme
l’objectif ultime de l’union mystique avec le divin.
53. L’adjectif «  hétérodoxe  » n’est pas employé ici dans le but de
stigmatiser la déviance de ces croyances par rapport à une quelconque
orthodoxie. Il s’agit simplement de souligner la distance qui les sépare
des doctrines professées par les religions majoritaires de leur temps.
54. C. Campbell, « The Cuit, the Cultic Milieu and Secularization », M.
Hill (dir.), A Sociological Yearbook of Religion in Britain, London, 1972,
p. 119-136.
55. J.-F. Mayer, «  Nouveaux mouvements religieux  : une perspective
historique et interculturelle  », Diritti dell’uomo e libertà dei gruppi
religiosi, Padoue, 1989, p. 20-21.
56. D. Hervieu-Léger, La Religion en miettes ou la question des sectes,
Paris, 2001, p. 73 sq.
57. André G., «  Tranche de vie  », document manuscrit daté du 17 juin
1996.
58. André G., entretien du 2 juillet 1998.
59. « L’Espéranto, langue littéraire », Naturisme, 13 novembre 1930, p.
9  ; «  L’Espéranto et la correspondance internationale  », ibidem, 20
novembre 1930, p. 9  ; «  L’Espéranto et la paix  », ibidem, 27 novembre
1930, p. 9 ; « Pour apprendre l’espéranto », ibidem, 4 décembre 1930, p.
9.
60. André G., entretien du 2 juillet 1998. De nombreux quakers étendent
leur idéal de non-violence aux animaux et s’abstiennent de consommer
de la viande. André Méry évoque d’ailleurs un accroisse ment de la
sensibilité végétarienne au sein du quakerisme à la fin des années vingt
(Les Végétariens, raisons et sentiments, Saint-Léger, 1998, p. 177).

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61. Le terme de «  sous-culture  » est ici entendu au sens de sous-


ensemble de la culture globale, sans préjuger de hiérarchie entre les
différents systèmes culturels.
62. André G., entretien du 24 juin 1998.

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BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre X. Jacques Demarquette et le Trait
d’Union In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature [en
línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el 03
décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22888>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22888.

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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
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Histoire du naturisme
Le mythe du retour à la nature
Arnaud Baubérot

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Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre XI. La
médecine naturiste
du docteur Carton
p. 249-278

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Du végétarisme à l’occultisme
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1 Malgré l’arsenal d’arguments développé pour démontrer la


rationalité de l’hygiène végétaro-naturiste, l’adhésion à ce
système est souvent le fruit d’une expérience personnelle où
le hasard des circonstances et, parfois, le souci de résoudre
in extremis une situation désespérée jouent un rôle plus
important que le froid travail de la raison. Comme en son
temps le docteur Dujardin-Beaumetz qui, en 1885, s’était
converti au végétarisme après avoir guéri d’un mal
chronique en supprimant la viande de son alimentation
1
2 le docteur Paul Carton a souffert les affres de la maladie et
touché les limites de la thérapeutique officielle avant de
devenir adepte de la réforme alimentaire. En 1901, âgé de 26
ans et encore étudiant en médecine, Carton est frappé par la
phtisie2. Il connaît la descente aux enfers des tuberculeux
confrontés aux tâtonnements de la médecine de la Belle
Époque. Les tentatives de fortification par la suralimentation
- jusqu’à 150 g de viande crue et 12 œufs gobés chaque jour,
précise-t-il —, les nombreux traitements chimiques et les
interventions chirurgicales ne parviennent pas à venir à bout
de son mal. Carton soutient sa thèse en 1903 et débute sa
carrière de médecin, mais face à l’aggravation de son état, il
doit quitter Paris pour le sanatorium du Mont des Oiseaux, à
la fin de l’année 1905. Décrété incurable et promis à une
mort prochaine, il est, de surcroît, victime d’une intoxication
alimentaire. Paradoxalement, celle-ci produit une
amélioration de sa santé en purgeant son appareil digestif. Il
modifie alors son régime de façon empirique, réduit son
alimentation, renonce à consommer poissons, viandes, œufs
et vin jusqu’à aboutir à la rémission partielle de ses maux et
à être en mesure de quitter le sanatorium. À la fin de l’année
1907, alors qu’il se repose à Montgeron et envisage de
reprendre une activité professionnelle, il rencontre le
docteur René Marie, médecin-chef de l’hospice de
Brévannes, qui l’engage comme assistant. Toute sa vie,
cependant, il gardera les stigmates de sa maladie ainsi
qu’une sensibilité extrême aux moindres variations des
conditions climatiques ou de son régime alimentaire.

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3 De sa «  dure expérience de la vanité des traitements


purement locaux et de l’ignorance radicale des règles
générales et des lois de la santé, dans les enseignements de
la Faculté3 » , Carton tire plusieurs conclusions. Il constate,
tout d’abord, que la plupart des symptômes attribués à la
tuberculose ne sont en réalité pas liés aux agressions du
bacille, mais à des troubles des fonctions de la nutrition. Il
abandonne alors définitivement le dogme du renforcement
de l’organisme par la suralimentation, considérant que celle-
ci produit, au contraire, un épuisement de l’appareil digestif
qui aggrave l’état morbide. De ses épreuves, il déduit ensuite
que la question alimentaire ne doit pas être abordée sous un
angle purement quantitatif. Prenant quelques distances avec
les conceptions diététiques de son temps, Carton a acquis la
conviction que la valeur nutritive d’un aliment ne se limite
pas à son apport calorique et à la quantité de matières
azotées (protides) et hydrocarbonées (glucides) qu’il
contient. Il cherche alors à isoler un critère qui permettrait
de ne plus seulement classer les aliments de manière
quantitative, mais également de manière qualitative, en
fonction de leur plus ou moins grande nocivité. Dans son
ouvrage La Tuberculose par arthritisme, qu’il publie en
1911, il introduit la notion de « concentration » pour affirmer
qu’à quantités de matières azotées égales, un aliment de
volume plus réduit est plus nocif qu’un autre moins
concentré. Cette notion, cependant, reste relativement vague
et Carton ne parvient pas encore à préciser les critères d’un
nouveau mode de classification des aliments4
4 Devenu membre de la Société végétarienne de France,
Carton tire des idées qui circulent dans le milieu végétaro-
naturiste des éléments de réflexion théorique qui
nourrissent ses propres convictions. Les traités du docteur
Pascault, par exemple, alimentent sa critique des
conceptions dominantes en matière de diététique5. De façon
plus générale, ses conférences à la Société, ses articles pour
La Réforme alimentaire et les ouvrages qu’il publie à cette
époque6 font explicitement référence aux travaux des
promoteurs de l’hygiène sociale, comme Maurel et

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Landouzy, sur lesquels s’appuie la littérature végétarienne


d’alors. Seules ses affirmations sur la nocivité des aliments
gras et acides ainsi que sur la nécessité d’une adaptation
lente et progressive au végétarisme donnent une note
d’originalité aux écrits de Carton. C’est aussi probablement
par le biais du milieu végétaro-naturiste qu’il découvre
l’usage thérapeutique des éléments naturels. Comme
Monteuuis, qu’il cite abondamment, il accorde une valeur
toute particulière à la pratique de la culture physique et à la
cure atmosphérique de Rikli. Comme Monteuuis, encore, il
affirme néanmoins la nécessité de dégager «  ces pratiques
naturistes [...] des nébulosités de l’empirisme dont elles ne
commencent à sortir que depuis une dizaine d’années7 ». La
découverte, en 1912, de la «  méthode naturelle d’éducation
physique  » du lieutenant de vaisseau Georges Hébert lui
permet d’ailleurs opportunément de donner un caractère
plus systématique à ses idées sur la pratique médicale et
prophylactique des exercices physiques et de leur attribuer
une origine exclusivement nationale. Estimant alors être
arrivé à une synthèse à la fois cohérente et originale, Carton
entreprend la rédaction d’un traité de médecine naturiste en
même temps qu’il tente d’introduire l’application de ses
idées dans le traitement de ses patients tuberculeux de
l’hospice de Brévannes. Bien qu’il procède avec beaucoup de
circonspection, la suppression de la suralimentation par la
viande crue lui attire tout de même de vives critiques de la
part de l’administration hospitalière.
5 En 1913, alors qu’il est sur le point d’achever son traité,
Carton est présenté à l’occultiste Albert-Louis Caillet. Cette
rencontre s’avère déterminante en ce qu’elle marque le point
de départ d’une évolution profonde de sa pensée médicale et,
plus généralement, de la manière dont il conçoit les règles
qui régissent l’ordre de la nature. Connu des milieux
végétaro- naturistes - ses ouvrages étaient recensés et
certains de ses articles publiés par la revue Hygie Caillet a
fondé, l’année précédente, une Société unitive «  ayant pour
but l’amélioration de la vie par un système raisonné
d’hygiène mentale, psychique et physique8  ». Il fait de Paul

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Carton son disciple, lui fait découvrir les bases de la


médecine psychique et l’initie aux sciences occultes. Ces
découvertes viennent éclairer d’un jour nouveau la question
des rapports de l’homme et de l’univers, du microcosme et
du macrocosme, et conduisent Carton à reconsidérer en
profondeur le contenu de son traité de médecine naturiste.
6 Par ailleurs, la Grande Guerre et la mobilisation d’une
grande partie du corps médical vont offrir à Carton une
marge de manœuvre inespérée et lui permettre de réaliser
ses premières expériences d’application systématique des
théories végétaro-naturistes. En 1916, à la suite d’une
réorganisation des services de l’hospice, il se voit confier la
direction du quartier des enfants convalescents et
tuberculeux. Grâce à la bonne volonté du personnel qui le
seconde, il met alors en œuvre une méthode de traitement
qui combine diététique, hydrothérapie, héliothérapie et
exercices physiques inspirés de la méthode Hébert9. En 1919,
cependant, la reprise en main de l’hospice par le personnel
administratif et médical démobilisé marque la fin de
l’expérience. Paul Carton démissionne de son poste l’année
suivante et abandonne la médecine hospitalière pour se
consacrer plus amplement à l’essor du naturisme médical.
7 En 1918, alors qu’il remanie encore son traité, Carton publie
un Commentaire sur les vers d’or des Pythagoriciens,
premier ouvrage dans lequel est dévoilée sa conversion à
l’ésotérisme10. Il y affirme sa croyance en l’existence d’une
tradition primordiale, d’un fonds de connaissances révélant
la véritable nature de l’univers, transmis par des initiés à
leurs disciples depuis la nuit des temps. Les textes sacrés, les
principes dogmatiques et les rites des grandes religions, les
vérités scientifiques elles-mêmes traduiraient l’essentiel des
enseignements de cette tradition dans un langage accessible
aux profanes. Mais le corpus des «  vérités universelles  »
permettant d’accéder à la connaissance intime de
l’organisation et des finalités du cosmos resterait caché aux
yeux du plus grand nombre et réservé aux seuls initiés. Selon
Carton, cette science occulte enseignerait notamment que
l’univers est composé de trois éléments : « Dieu, c’est-à-dire

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l’Esprit éternel, incréé, omniscient, omnipotent,


omniprésent  »  ; la «  force vitale universelle  » ou «  Nature
agissante » , qui « anime toutes les choses et tous les êtres,
[...] fournit l’énergie vitale qui active le développement des
organismes  » et, enfin, la matière, «  partout identique en
nature11  ». Tout ce qui appartient à la création serait
construit sur le mode quaternaire  ; chaque chose étant, en
effet, une «  unité individuelle qui [...] prend conscience de
ses forces spirituelles, vitales et physiques, et les dirige
librement12 ». Selon Carton, ce principe est « la clef de toute
connaissance de l’être humain  ». Il établit que l’homme est
un microcosme constitué à l’image de l’univers, mû, comme
ce dernier, par un perpétuel mouvement d’évolution qui doit
le conduire, à travers des «  états de conscience de plus en
plus vastes  », jusqu’à son ultime retour dans l’unité
primordiale13.
8 Le Commentaire sur les Vers d’or est également l’occasion,
pour Carton, d’exposer les règles de conduite permettant
d’accéder à la «  vie sage  » et, par là, d’intégrer à sa
dogmatique ésotérique certains principes de l’hygiène
naturiste. L’injonction pythagoricienne à se modérer, par
exemple, lui permet de souligner les méfaits de la
consommation d’alcool et de la suralimentation qui
dilapident les « forces vitales individuelles » et affaiblissent
l’organisme. A l’inverse, l’exercice physique pratiqué au
grand air, le contact du soleil et de l’eau sont recommandés
pour leur action bénéfique sur l’esprit et la force vitale de
l’individu14. Enfin, l’exhortation des Vers d’or\ adopter un
régime «  pur et sévère  » est interprétée ici comme une
invitation au végétarisme. A l’argumentaire végétarien
classique s’ajoutent des considérations plus inédites sur
l’influence morale et spirituelle néfaste de la consommation
de viande :
«  On saisit mieux les motifs cachés de cette prohibition,
quand on réfléchit à la somme d’influences avilissantes que
représente un morceau de viande. Tout agglomérat matériel,
en effet, n’est que l’expression tangible des forces vitales qui
l’ont construit, de l’esprit qui l’a dirigé et aussi des
puissances occultes qui s’exercent à le détruire, dès qu’il
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échappe à la dépendance des précédentes. La viande est


donc comme imprégnée, en premier lieu, des souffrances de
l’animal qui fut frappé, malmené et privé du nécessaire
pendant les heures qui précédèrent l’abattage15. »

9 La thèse, classique dans les milieux végétariens et naturistes,


de l’épuise ment de la vitalité par la transgression des règles
hygiéniques et celle, tout aussi classique, de l’influence
morale néfaste de la consommation de viande sont
réinterprétées par Carton à la lumière de ses convictions
ésotériques. Les expressions « vitalité » ou « forces vitales »,
par exemple, ne renvoient plus à des notions vagues servant
à désigner la capacité de l’organisme à réagir et à lutter
contre les agressions morbides. Elles désignent ici une entité
auto nome, agissant selon sa finalité propre, et présente dans
tout ce qui existe. Enfin, l’enjeu du respect des règles
hygiéniques ne réside plus uniquement dans la recherche
d’un mode de vie conforme aux impératifs déterminés par la
constitution du corps humain. Chargées d’un sens religieux,
ces règles visent à prémunir de la souillure que représente le
sacrifice sanglant de la vie et à préserver la pureté du corps
et de l’esprit de celui qui les respecte. Au-delà de la santé ou
d’une morale de bon aloi invitant à la compassion envers les
animaux, il s’agit de conduire l’individu au respect des règles
intangibles auxquelles obéit le cosmos, de le guider vers un
perfectionnement à la fois physique, moral et spirituel.
10 Toute la pensée médicale de Paul Carton découle désormais
de ses convictions ésotériques. Le volumineux Traité de
médecine, d’alimentation et d’hygiène naturistes, qu’il
publie finalement en 192016, les 31 livres et brochures qu’il
écrit au cours des deux décennies suivantes et La Revue
naturiste qu’il édite de 1922 à 1939 lui permettront d’en
préciser et d’en développer les différents aspects. Le
naturisme, selon lui, ne saurait être réduit au simple respect
de quelques principes physiologiques ou à l’attribution de
vertus thérapeutiques aux éléments naturels. Il est le fruit
d’une tradition pluriséculaire, un savoir enseigné par les
initiés à leurs disciples depuis la nuit des temps. Le
naturisme appartient donc à cette « tradition primordiale »
dont Carton s’attache à retrouver les origines antiques -
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satisfaisant du même coup les axiomes des sciences occultes


et les exigences de son nationalisme antiallemand :
« Le naturisme est une doctrine qui fut professée par les plus
grands sages et les plus grands médecins de l’Antiquité. Il
existe, en effet, une tradition naturiste qui est l’œuvre du
clair génie gréco-latin. Elle remonte à Pythagore qui fut
vraiment le Père du Naturisme et son représentant le plus
pur, le plus complet et le plus harmonieux.

Il est bon de rétablir les chaînes de la tradition naturiste et


de la faire remonter jusqu’à sa source gréco-latine, pour
démontrer que le naturisme n’est nullement une découverte
moderne d’empiriques allemands, tels que Priessnitz,
Kneipp, Kiihne ou Just, dont les systèmes personnels
peuvent contenir d’exactes vérités de détail, d’ordre
pratique, mais ne sauraient en aucune façon se substituer à
l’impérissable synthèse scientifique, philosophique et
religieuse édifiée par les auteurs de la tradition naturiste
gréco-latine17. »

11 Bien plus fondamentalement encore, le naturisme est une


science des réalités visibles et invisibles de la nature, une
gnose qui permet d’accéder à la connaissance intime du
cosmos. La médecine naturiste est alors la partie de cette
gnose appliquée à la connaissance de l’homme et à la
direction de son existence conformément aux lois
intangibles qui régissent l’univers. Elle n’a pas pour objectif
uniquement de préserver ou de rétablir la santé du corps,
mais également d’indiquer la voie d’une évolution de
l’homme vers son élévation progressive, sa spiritualisation et
son union avec le divin :
«  La médecine naturiste s’occupe plus particulièrement de
l’étude de la constitution de l’homme et de ses conditions de
vie normale, en tenant compte de ses origines, des liens qui
l’unissent étroitement aux milieux naturels et de l’évolution
qui le conduit progressivement vers la Perfection Suprême.
[...]

L’idéal naturiste ne se borne pas à la seule recherche de la


santé et du bonheur matériels. Il se propose un but plus
élevé de progrès spirituel et de préparation d’une évolution
de plus en plus lumineuse18. »

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12 Ainsi, la médecine naturiste poursuit le but d’une


transformation à la fois matérielle et spirituelle de l’individu.
C’est à ce titre qu’elle entretient, selon Carton qui s’en
explique dans son ouvrage Médecine blanche et médecine
noire, une certaine parenté avec la magie :
«  La médecine est la science et l’art de conduire les
organismes humains conformément aux lois de la nature, en
tenant compte des circonstances variables du milieu
extérieur et du tempérament individuel. Elle est donc une
œuvre de direction et de transformations humaines, qui peut
s’exercer en bien ou en mal et donner lieu, par suite, à des
effets extraordinaires, bénéfiques ou maléfiques, selon
qu’elle est éclairée ou aveugle.

La puissance de son action, le retentissement lointain de ses


décisions, le mystère des forces qu’elle met en jeu, les
résultats parfois merveilleux qu’elle détermine, font que la
médecine présente une analogie frappante avec la magie.

La magie, en effet, est la science et l’art d’opérer en soi, sur


les autres et autour de soi des métamorphoses et des
phénomènes surprenants, à l’aide de moyens assez
mystérieux et difficiles à acquérir19 »

13 Toutefois, seuls La Vie sage - ouvrage «  destiné à des


initiés » - et Médecine blanche et médecine noire- qui « n’ira
pas en librairie courante20  » - présentent explicitement les
fondements ésotériques de la médecine naturiste de Carton.
Ses autres ouvrages, en revanche, veulent s’adresser à un
large public et le convaincre d’adopter un ensemble de règles
hygiéniques, diététiques, morales et spirituelles sans pour
autant lui en révéler la signification occulte. Sous couvert de
préoccupations sanitaires ou thérapeutiques, ces règles
doivent ainsi permettre aux profanes d’évoluer, à leur insu,
vers une plus grande harmonie avec le cosmos :
«  Peu à peu, [la médecine naturiste] fera pénétrer dans le
domaine public, sous la forme et à la dose où chacun peut les
pratiquer, les lois fonda mentales de la sagesse qu’elle
désoccultera en quelque sorte. Par elle, s’effectueront alors
des relèvements individuels progressifs qui, en se totalisant,
transformeront la société, embelliront la vie et conduiront
les hommes à la fraternité universelle, à la santé permanente
et à la félicité spirituelle21. »
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3/12/21 19:33 Histoire du naturisme - Chapitre XI. La médecine naturiste du docteur Carton - Presses universitaires de Rennes

14 Les soubassements ésotériques de son système scellent la


rupture de Paul Carton avec la médecine naturiste de son
temps. Marqués par l’évolution séculaire des sciences du
vivant et de la médecine, les auteurs naturistes de la fin du
xixe et du début du xxe siècles s’étaient attachés à établir les
fondements rationnels et positifs de leurs affirmations. Si les
promoteurs français du kneippisme les rattachaient parfois à
la notion de lois naturelles voulues par Dieu, ils n’en étaient
pas moins soucieux de démontrer la justesse de ces
prescriptions en s’appuyant sur des considérations
physiologiques et sur les propriétés physiques des éléments
naturels. De même, les médecins naturistes et végétariens de
la Belle Époque s’évertuaient à promouvoir une réforme
hygiénique des mœurs en mobilisant un argumentaire
globale ment conforme aux paradigmes de la médecine
moderne et dénué de tout recours à des considérations
métaphysiques ou à une conception finaliste de la nature.
Dans la première décennie du xxe siècle, la référence à
Hippocrate, à Montaigne ou à Hufeland a disparu au profit
de la mention des travaux de Bouchard, de Hayem ou
Landouzy. Formulés en un temps où l’idée d’une
correspondance étroite entre le macrocosme et le
microcosme était à la base de la connaissance du vivant, les
préceptes de l’hygiène et de la méde cine naturistes ont donc
traversé les siècles tandis que s’effaçait la conception de
l’univers qui les fondait. L’originalité du système
cartonientient en revanche à ce que, par le biais de
l’ésotérisme, il renoue directement avec le fonds de
croyances qui lui a donné naissance et affirme la nécessité
impérieuse de réformer les conditions d’existence au nom
d’un ordre cosmique dans lequel s’inscrit le microcosme
humain. Si les arguments rationnels et la mobilisation du
savoir scientifique positif ne sont pas absents des écrits de
Carton, ils ne visent cependant qu’à convaincre le profane
incrédule et ne sont pas censés révéler la raison ultime des
recommandations du médecin naturiste.

https://books.openedition.org/pur/22889 10/45
3/12/21 19:33 Histoire du naturisme - Chapitre XI. La médecine naturiste du docteur Carton - Presses universitaires de Rennes

Santé, maladie et médecine selon Paul


Carton
15 Afin de guider les profanes sur la voie de leur évolution
physique, morale et spirituelle, Carton édicte « une série de
dix préceptes qui constituent en quelque sorte le décalogue
de la santé  ». Leur contenu concorde, pour l’essentiel, avec
les prescriptions sanitaires formulées par les médecins
naturistes depuis les années 1890. Alimentation «  simple,
paysanne, sobre et pure  » , exercice physique quotidien,
attention particulière à l’évacuation des « poisons du corps »
et à « la rapidité des fonctions intestinales » , vie « hors des
grandes villes, à l’air pur » et pratique régulière des « bains
d’air, d’eau et de soleil  » , refus catégorique des
«  traitements symptomatiques et pharmaceutiques  »  : le
naturisme de Carton repose sur le même fonds d’hygiénisme
classique, d’inspiration néo-hippocratique, où la volonté
d’aguerrir l’organisme et de réguler ses échanges avec son
milieu se mêle à un idéal de sobriété. Seule l’ajout de « lois
spirituelles  » - «  aimer les autres hommes et la nature
entière, dans une recherche patiente du bien et du progrès à
accomplir  » et «  croire en Dieu et l’introniser en soi, en
s’obligeant à être toujours juste et véridique  » - marque la
spécificité des recommandations hygiéniques du docteur
Carton22.
16 À ce « décalogue » , le médecin naturiste adjoint la notion d’
« individualisation des règles de santé ». En dehors des lois
hygiéniques universelles, «  applicables à tous les êtres
humains en tous lieux et en toutes circonstances » , il existe,
affirme-t-il dans le premier volume de ses Enseignements
naturistes, « des lois particulières qui peuvent entraîner des
modifications de détail dans l’hygiène et surtout dans les
régimes d’une race à l’autre, d’un tempérament à l’autre,
d’un climat à l’autre, d’une année à l’autre, d’une saison à
l’autre23 ». Le principe de la « symbiose vitale » , selon lequel
la santé est le fruit d’une relation permanente et
harmonieuse de l’individu avec son milieu, impose la plus
grande attention aux rythmes de la nature, aux variations
annuelles et saisonnières du climat ou de l’activité solaire24.
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3/12/21 19:33 Histoire du naturisme - Chapitre XI. La médecine naturiste du docteur Carton - Presses universitaires de Rennes

Des lettres adressées par Carton à son jeune disciple, le


docteur André Schlemmer, témoignent, par exemple, de son
attention constante aux évolutions climatiques :
«  Par ici, voici ce que j’ai observé  : il y a eu des séries de
jours froids où j’ai dû (et mes malades aussi) désazoter le
petit déjeuner (enlever l’œuf dilué en tarte, ou lait) et garder
eau et chocolat sec  ; et le soir, désazoter aussi.
Corrélativement, on a dû fariner avec un peu de riz. Puis en
ce moment, la forte chaleur revenant, il y a eu dénutrition,
reins brisés. Cela a cédé subitement avec reprise azotée au
petit déjeuner (tarte ou galette), avec chocolat  ; le midi
restant toujours azoté (œuf dilué) et le soir non azoté25. »

17 Les règles diététiques et hygiéniques ainsi que les modes


d’intervention thérapeutique doivent également être
adaptés, selon Carton, aux particularités de chaque
individu :
« Il faut savoir, nous le rappelons, non seulement discerner
les particularités thérapeutiques qu’entraînent les
différences de race, de climat, d’âge, de sexe, d’appétit, d’état
morbide, mais aussi les aptitudes très personnelles
d’adaptation, d’état psychique, de caractère, de
tempérament qui font établir des nuances très délicates dans
l’ordre des prescriptions générales26. »

18 L’attention qu’il prête aux dispositions individuelles et son


penchant pour la tradition conduisent Carton à exhumer
l’antique classification des tempéraments en fonction de la
répartition des caractères bilieux, nerveux, sanguin et
lymphatique. Patiemment, il rassemble des observations
minutieuses sur sa clientèle et son entourage afin d’élaborer
une typologie précise des différents tempéraments et de
déterminer les précautions hygiéniques qui doivent être
associées à chacun. Bien que ses premiers écrits restent
encore relativement peu précis sur cette question, les lettres
qu’il adresse à André Schlemmer à cette époque montrent
l’importance que Carton lui accorde déjà :
« Les bilieux lymphatiques pâtissent beaucoup de cet été sec
et brûlant. Je vois chez eux des crises nerveuses intenses
(névralgie, angoisse, dépression) et des troubles urinaires
par concentration des liquides (irritations rénales,
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3/12/21 19:33 Histoire du naturisme - Chapitre XI. La médecine naturiste du docteur Carton - Presses universitaires de Rennes

urétérales, uréthrales). Ce tempérament humide et marin


n’est remis en meilleures dispositions que par des maillots
humides très souvent renouvelés27. »

19 En 1926, il synthétise l’ensemble de ses observations dans


son ouvrage Diagnostic et conduite des tempéraments. Il y
soutient que la constitution quaternaire de l’univers se
reflète, à l’échelle humaine, dans les quatre principaux
caractères dont la répartition détermine les prédispositions
physiques, vitales et spirituelles des races et des individus.
L’existence de relations d’analogie entre le microcosme et le
macrocosme permet, selon lui, de rechercher dans
l’apparence physique, l’écriture et la personnalité la signa
ture des éléments qui composent l’univers. Carton expose
alors la façon dont la physiognomonie, la chirognomonie et
la graphologie permettent d’établir un diagnostic de la
constitution et des dispositions individuelles afin d’adapter à
chacun les règles de la santé28. L’essentiel de cet
enseignement sur l’adaptation des règles hygiéniques et
thérapeutiques en fonction des tempéraments individuels et
des circonstances saisonnières sera repris et longuement
développé dans L’Art médical, l’individualisation des règles
de santé, que Carton publie quatre ans plus tard29.
20 Au-delà du recours à des modes d’interprétation du réel que
le savoir scientifique a définitivement classés au rang des
superstitions, c’est la démarche même de Carton qui rompt
avec les paradigmes de la médecine moderne. Depuis Claude
Bernard, en effet, celle-ci fonde sa connaissance du vivant
sur une méthode expérimentale qui s’attache à objectiver sa
façon d’appréhender le corps humain. C’est dans le
laboratoire, où l’organe est isolé de son milieu naturel, où sa
marche normale est volontairement perturbée par le geste de
l’expérimentateur, que s’élabore un savoir positif sur
l’organisme et que sont déterminées les lois générales
auxquelles obéit son fonctionnement. Pour Carton, en
revanche, il ne peut y avoir de science du vivant qui ne soit
fondée sur les relations que l’individu entretient avec son
milieu. La marche des organes s’inscrit dans une économie
indissolublement liée à son environnement et à la conscience

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qui la dirige. Le corps humain, dès lors, ne peut


s’appréhender que de façon subjective. La santé n’est pas un
état de fonctionnement normal des organes, mesuré à l’aune
des lois de la physiologie générale, elle est un état dans
lequel l’individu règle ses conditions d’existence afin
d’entretenir une relation harmonieuse avec l’ordre de la
nature.
21 Enfin, la conception de la santé que défend Paul Carton se
caractérise par la place toute particulière qu’elle accorde à
l’alimentation. Venu au naturisme par le végétarisme,
profondément marqué par sa propre expérience de la
maladie et la fragile rémission de ses souffrances qu’il
maintient au prix d’une attention constante à son régime,
Carton considère que la nutrition joue un rôle primordial
dans le fonctionnement du vivant  : «  L’absorption des
matériaux digestifs est donc placée par son importance au
sommet de la hiérarchie des apports. C’est pourquoi
l’alimentation bien conduite est une des sources principales
de la bonne santé physique. » « Presque toutes les maladies
aiguës, ajoute-t-il, procèdent de fautes alimentaires. Les
infections microbiennes ne font que se déclarer sur un
terrain détérioré surtout par les vices de régime. L’éclosion
des maladies chroniques est toujours annoncée et préparée
par des tares digestives variées30. »
22 Contrairement à la diététique dominante, le docteur Carton
ne réduit pas la question de l’alimentation à celle de l’apport
quantitatif et qualitatif d’éléments nutritifs. Les efforts
qu’exige le travail d’assimilation et d’élimination des
aliments obligent, selon lui, à considérer la nutrition non
seule ment sous l’angle des gains mais également sous celui
de la dépense d’énergie qu’elle entraîne. Pour Carton, en
effet, «  l’alimentation est un combat  » , une lutte entre
l’aliment et l’organisme :
«  L’homme logiquement nourri et en bon rendement de
vigueur est celui qui choisit des adversaires alimentaires
proportionnés à ses capacités personnelles de combat et à
ses puissances de destruction et d’incorporation
alimentaires. Par contre, l’homme qui livre combat à des

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aliments un peu trop au- dessus des forces dont la nature l’a
gratifié, va subir un dur pugilat31 »

23 De là découle une « classification physiologique des aliments


32
  » en fonction de leur force et de leur nocivité  : «  Les
aliments de grand feu dont il vaut mieux s’abstenir » , trop
toxiques ou trop durs à assimiler, comme l’alcool, la viande (
«  aliment cadavérique  » ) ou le sucre industriel  ; «  les
aliments de feu modéré ou à surveiller » , qui conviennent à
la moyenne des individus ; et « les aliments de feu doux ou
bien tolérés  » , les plus faciles à assimiler et les plus
« vitalisants ». À cette classification s’en superpose une autre
qui distingue les aliments réparateurs, azotés ou
albuminoïdes, qui servent à refaire les muscles ; les aliments
combustibles, amidons, sucres et graisses  ; les aliments
minéraux  ; les aliments excitants et, enfin, les aliments
vitalisés. D’après Carton, cette dernière catégorie découle de
la présence dans les aliments — comme en toute chose dans
l’univers — d’une part de la « force vitale universelle ». Selon
lui, la science moderne a reconnu l’existence de cette vitalité
alimentaire, invisible et impondérable, et l’a désignée par le
terme de « vitamines ». La présence de diastases (enzymes)
et de vitamines permet à Carton d’établir une distinction
entre « aliments morts », inutiles ou néfastes, et « aliments
vivants  » , dont la consommation est indispensable à
l’homme pour la conservation de ses forces et de son
immunité naturelle. Par ailleurs, la cuisson abaissant
fortement la vitalité des aliments, il est nécessaire de manger
des aliments crus, notamment du blé et de la salade verte.
Enfin, Carton condamne fermement les procédés de
conditionnement industriel et de stérilisation des aliments
qui reviennent à détruire la vitalité des produits33.
24 La nocivité de chacune de ces catégories est identifiée, mais
aussi son utilité, rendant son absorption nécessaire à des
doses variables selon les climats, les saisons et les individus.
La «  vie saine  » repose donc sur une savante «  synthèse
alimentaire  », une attention constante à la nature et à la
quantité des produits ingérés ainsi qu’aux efforts nécessaires
à leur digestion. Par ailleurs, la crainte d’épuiser les

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3/12/21 19:33 Histoire du naturisme - Chapitre XI. La médecine naturiste du docteur Carton - Presses universitaires de Rennes

ressources vitales individuelles impose, selon Carton, la


maîtrise des pulsions et des « besoins instinctifs » du corps
par une constante modération dans l’alimentation et par la
pratique régulière du jeûne et de la chasteté, sans toutefois
tomber dans l’excès. Cette prudence traduit l’angoisse d’un
épuisement de l’organisme, qui semble obséder le docteur
Carton. À plusieurs reprises, celui-ci s’élève avec force contre
les régimes trop stricts des végétaliens ou des frugivores34,
de même qu’il dénonce les excès et la brutalité des méthodes
naturistes qui, dans la continuité de l’hygiénisme des
Lumières, ont prôné l’aguerrissement du corps, notamment
chez les enfants et les malades affaiblis, par la dénudation
systématique et l’exposition à l’eau ou à l’air froids35.
25 La santé, telle qu’elle apparaît dans les propos du médecin,
n’est pas un état d’insouciance du corps dans lequel l’homme
peut jouir librement de ses facultés physiques normales. Elle
n’est pas «  la vie dans le silence des organes  », un état
caractérisé par «  l’inconscience où le sujet est de son
corps36  ». Elle est le fruit d’une constante attention aux
manifestations de l’organisme. Qu’il s’agisse de brider ses
instincts par le recours périodique aux pratiques ascétiques
ou, de façon plus permanente, de surveiller avec une
vigilance extrême l’exercice des fonctions physiologiques, la
santé ne peut être que la rétribution d’une discipline
impitoyable. Au-delà de la santé, par ailleurs, c’est à la
sagesse que doit conduire cette surveillance minutieuse du
corps, à l’élévation morale et spirituelle de l’individu, à sa
«  dématérialisation progressive  ». Il pourrait sembler a
priori paradoxal que le chemin de la « dématérialisation » et
de la fusion dans l’Éther divin passe ainsi par une attention
quasi obsessionnelle aux besoins et aux manifestations de
l’organisme. Suggérons néanmoins, pour tenter de résoudre
ce paradoxe, que Carton reproduit peut-être dans son
discours médical et hygiénique le principe alchimique selon
lequel le travail opiniâtre sur la matière permet sa
transmutation et la libération de la quintessence.
26 La façon dont Paul Carton appréhende la maladie et le
processus qui doit conduire à la guérison semble, au premier

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abord, moins originale. Elle repose en effet sur la conviction,


commune à l’ensemble des auteurs naturistes, que la
maladie résulte toujours moins d’une agression microbienne
que d’un affaiblissement des défenses organiques consécutif
à une transgression des règles de l’hygiène :
« La maladie ne tombe pas toute construite et à l’improviste
sur n’importe qui. Il faut qu’elle rencontre un terrain
préparé, c’est-à-dire maltraité de longue date. En effet, elle
est toujours précédée d’une période plus ou moins longue de
préparation, pendant laquelle les fautes d’hygiène se
répètent, s’accumulent [...]. Puis, un jour arrive où
l’intoxication humorale déborde et où les forces de
résistance sont vaincues. Les immunités naturelles sont
alors effacées et, à ce moment seulement, le microbe entre
en action, parce qu’il trouve le champ libre, du fait que le
terrain n’est plus défendu37. »

27 De manière aussi classique, Carton soutient la thèse d’une


inclination naturelle de l’organisme à lutter contre le mal qui
l’affecte et affirme qu’il «  existe dans l’homme des forces
naturelles médicatrices spontanées qui sont les meilleurs et
les plus sûrs agents du maintien de la santé et de la
production des guérisons38  ». Les symptômes doivent alors
être regardés comme des « réactions vitales défensives » qui
«  servent à l’organisme pour lutter contre les causes de
destruction, pour neutraliser et expulser les énergies nocives
de façon à maintenir son intégrité39  ». Dès lors, la
thérapeutique ne doit pas s’employer à lutter contre ces
réactions, mais, au contraire, les accompagner et les
encourager :
«  La thérapeutique naturiste qui connaît les causes
réellement productrices de la maladie, qui sait d’autre part
que la maladie répond à une crise de nettoyage et de défense
tendant à évoluer naturellement vers la guérison, s’applique
d’abord à supprimer la cause pathogène [...], puis s’emploie
à respecter les symptômes défensifs, à provoquer ceux qui
tardent à se développer, en suscitant des efforts de libération
et en ne réprimant que des réactions vraiment incompatibles
avec la persistance vitale du malade40. »

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28 À ces affirmations, qui reprennent les bases dogmatiques du


naturisme médical et, dans une certaine mesure, concordent
avec les principes fonda mentaux de l’immunologie, Carton
ajoute cependant des considérations plus personnelles. À ses
yeux, la capacité de l’organisme à résister aux agressions
morbides ne peut être réduite à une simple fonction, exercée
sans motif et sans finalité par des organes spécifiques. Elle
résulte de l’existence d’une force — la nature médicatrice —
qui agit en chaque être humain, préside au bon
fonctionnement de ses organes et travaille à conserver sa
santé. Or, cette nature médicatrice n’est, selon lui, que la
manifestation à l’échelle humaine de la «  force vitale
universelle » , l’un des éléments constitutifs de l’univers :
«  Disons tout de suite que cette force vitale n’est pas une
entité surnaturelle et d’origine mystérieuse, telle que la
concevaient les animistes et les vitalistes. Elle n’est qu’une
des modalités de l’Énergie universelle et se trouve répandue
partout dans la nature, plus ou moins hautement
différenciée selon les milieux et les êtres où on la rencontre.
On la puise aussi bien dans l’air qu’on respire que dans les
aliments naturels qu’on absorbe41. »

29 La conviction que l’existence humaine s’intègre dans un


cosmos ordonné et poursuivant une finalité transcendante
conduit ainsi Carton à renouer avec une conception
spiritualisée du fonctionnement du vivant.
30 L’événement pathologique lui-même prend, dans les écrits
de Carton, une signification particulière. À ses yeux, il est
non seulement le signe d’une rupture de l’harmonie du
cosmos, mais encore la sanction d’une infraction aux lois de
la nature :
«  Chaque négligence matérielle, chaque faute alimentaire,
chaque incorrection physique retentit douloureusement sur
le vital et sur le mental. Chaque manque de développement
vital, par faute alimentaire ou par insuffisance de contact
avec l’air pur, la lumière solaire et l’eau naturelle lèse le
corps et alourdit l’esprit. Chaque désobéissance aux lois de la
pensée saine et de la moralité fait baisser le niveau de la
vitalité et rend malade le corps42. »

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31 Carton, qui appréhende la maladie en termes moraux plus


que biologiques, lui attribue donc un sens. Elle est le salaire
d’une faute commise à l’encontre d’un ordre supérieur et
divin et, plus encore, une « œuvre de sélection et d’expiation
naturelles43 ». Elle invite à la contrition et révèle à l’individu
le chemin de la rédemption en lui indiquant ce qui, dans la
conduite de son existence, n’est pas conforme aux lois qui
orientent l’univers :
«  Les maladies [...] servent à l’éducation de l’homme, au
même titre que toutes les sensations douloureuses, en lui
imposant l’éloignement des écarts de conduite, par les
souffrances qu’elles engendrent, et la recherche des bonnes
directions spirituelles et matérielles, par les sensations de
bien-être physique et de réconfort mental que leur
suppression provoque et que l’état de santé entretient. Au
point de vue individuel elles ont donc pour effet de préparer
au progrès spirituel, en forçant l’être à rechercher, à
découvrir et à pratiquer des conditions de vie plus saines44. »

32 La douleur elle-même participe, dans le système cartonien,


de cette œuvre redresseuse et rédemptrice de la maladie  :
« Elle purifie en faisant expier. Elle grandit en aiguillonnant
et en dématérialisant. Elle récompense en contraignant
providentiellement au mérite. Elle enseigne, corrige et
élève45. »
33 Une telle conception rompt, bien évidemment, avec la façon
dont la médecine moderne appréhende la maladie. Elle ne
s’écarte pas moins, d’ailleurs, de la façon dont les auteurs
végétaro-naturistes conçoivent la maladie, depuis la fin du
xixe siècle. En effet, bien qu’ils considèrent généralement
que les règles hygiéniques, dont le respect détermine les
capacités de résistance de l’organisme aux microbes,
s’inscrivent dans un ordre de la nature qui s’impose à
l’homme, ces auteurs appréhendent cet ordre comme un
ensemble de lois biologiques et physiologiques qu’il est
possible de déterminer hors de toute spéculation
métaphysique. Les défaillances organiques qui résultent des
infractions aux règles de l’hygiène peuvent s’expliquer par
des enchaînements de causes qui satisfont pleinement la
raison scientifique. En dernier ressort, la maladie est
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toujours, pour les naturistes comme pour la médecine


officielle, le fruit d’un hasard qui a déterminé la rencontre de
l’organisme défaillant et d’un microbe pathogène. En
revanche, la conviction que la vie humaine s’inscrit dans un
ordre cosmique d’où le hasard est exclu conduit Carton à la
certitude qu’aucun événement ne se produit qui n’ait un
sens. La maladie ne revêt donc aucun caractère inopiné. Elle
est le moyen par lequel une volonté supérieure avertit
l’individu de ses fautes, lui inflige la sanction qu’il mérite et
lui offre un moyen de se racheter. Au- delà de ses causes
biologiques et de ses manifestations physiologiques, elle a
donc une signification spirituelle. Elle n’est pas seulement
bienfaisante en ce qu’elle traduit les efforts de la nature
médicatrice pour rétablir le fonctionnement normal de
l’organisme, mais également en ce qu’elle invite l’individu à
s’amender et à s’améliorer. Inscrite dans le plan divin, la
maladie est, selon Paul Carton, un moyen donné à l’homme
pour travailler à son salut.
34 Il ne s’agit pas pour autant de rejeter toute explication
positive des phénomènes physiologiques et pathologiques.
Paul Carton, qui a travaillé à l’Institut Pasteur sous la
direction des professeurs Roux et Metchnikoff lors de sa
formation médicale, n’ignore assurément rien des
mécanismes du système immunitaire et s’il dénonce à loisir
les orientations de la thérapeutique moderne, il ne remet
jamais en cause le savoir scientifique qui la fonde. En
revanche, il prétend attribuer à ces phénomènes des causes
premières et des finalités ultimes, ambition à laquelle, sous
l’influence du positivisme, la science moderne a renoncé. Si
Carton donne un sens métaphysique à la mécanique du
vivant et aux événements qui bouleversent sa marche, il ne
cherche pas pour autant à opposer à la biologie et aux
sciences médicales modernes des conceptions
antiscientifiques et purement spiri- tualistes. Il s’agit plutôt
pour lui, suivant une démarche caractéristique de
l’ésotérisme, de réussir à penser les mécanismes physiques
ou physiologiques et la métaphysique comme des catégories

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non distinctes, de tenir dans une même main le corps et


l’âme, la matière et l’esprit.
35 Si la maladie sanctionne une transgression des lois du
cosmos, le rôle du médecin naturiste revient alors à
découvrir et à révéler les fautes commises afin d’indiquer à
son patient les efforts qu’il doit accomplir pour se soumettre
aux exigences de la nature. Sa première tâche consiste à
déceler la cause réelle du mal par un «  examen clinique  »
minutieux. Cet examen, cependant, n’accorde qu’une
attention très limitée aux manifestations pathologiques
visibles sur le corps du malade. Il s’agit plutôt d’établir un
diagnostic de sa personnalité et de ses habitudes afin de
découvrir quelles sont ses infractions aux règles universelles
et individuelles de santé. Le médecin s’intéresse donc aux
«  signes de l’individualité  : caractère et tempérament
conjugués (développement des divers segments du corps,
physiognomonie, structure de la main, particularités de
l’écriture)  » , à «  la capacité vitale et [à] la force de
résistance  » du patient. Il l’interroge sur ses antécédents
héréditaires et personnels, sur son mode de vie, sur ses
pratiques hygiéniques et ses habitudes alimentaires. « Enfin,
point capital, tout malade examiné devra apporter le relevé
minutieux, inscrit sur une feuille imprimée spéciale, de tous
les aliments qu’il aura pris à chaque repas pendant 8 jours et
de tous les malaises observés et consignés 3 fois dans la
journée46.  » Rien de la façon dont son patient conduit son
existence ne doit échapper au médecin. Armé de ces
« renseignements synthétiques » , celui-ci peut reconstituer
le lent cheminement de la maladie, repérer les fautes qu’elle
sanctionne, identifier les corrections à apporter en fonction
du tempérament du malade et préconiser «  un traitement
qui sera logique, [...] parce qu’il prendra le mal à ses sources,
parce qu’il rétablira l’obéissance aux lois naturelles et
surnaturelles qui guident chaque individu, parce qu’il
instituera un programme bien individualisé de réforme et de
soins complets47 ». Plus qu’un technicien de la physiologie, le
médecin naturiste est un interprète des volontés de la nature
et un directeur de conscience. Il recueille comme une

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confession le récit que le patient donne de sa vie et de ses


habitudes. Initié à des grilles d’interprétation que le profane
ignore, il peut prétendre accéder à une connaissance intime
de la personnalité du malade, éclairer ce dernier sur les
fautes qu’il a commises et lui révéler le sens des punitions
qui l’affligent. Il peut enfin lui indiquer les efforts à réaliser
et les transformations à opérer dans son existence pour
accéder non seulement au bien-être physique, mais
également à l’élévation morale et spirituelle.
36 Conformément au principe ésotérique de la constitution
quaternaire de l’univers, le traitement intervient dans quatre
domaines et forme ce que Carton appelle «  la tétrade
thérapeutique naturiste 48  ». L’ordonnance que le médecin
naturiste rédige à l’intention de son patient comprend, en
premier lieu, «  un programme alimentaire détaillé,
énumérant d’abord les catégories d’aliments défendus [...],
puis, l’indication minutieuse des catégories et des noms des
aliments qui devront entrer dans la composition de chacun
des trois ou quatre repas  ». Un second paragraphe fixe
l’alternance des périodes de repos et des exercices physiques.
Ensuite viennent «  le réglage de l’intestin  » et les
«  recommandations de bonne mastication, d’aérothérapie
diurne et nocturne, de la cure solaire s’il y a lieu, de
l’hydrothérapie, bien appropriée aux capacités réactionnelles
de chacun  ». Enfin, dans un quatrième paragraphe, «  on
résumera, en deux ou trois indications fondamentales, la
conduite mentale à adopter pour discipliner et mieux
conduire les efforts quotidiens  ». «  Somme toute, conclut
Carton, on aura mis en ordre le corps, la vitalité, l’esprit et
l’individualité49. » À la médecine officielle, qui diagnostique
des pathologies à partir de leurs symptômes et prétend lutter
contre les maladies, Paul Carton oppose un «  art de la
santé  ». Cette santé, selon lui, est un état fragile, instable,
une harmonie fugitive avec l’ordre du cosmos qui ne
s’obtient qu’au prix d’un règlement minutieux de l’existence
et menace à chaque instant de se rompre. Le médecin, alors,
n’est pas celui qui lutte contre une pathologie exceptionnelle
pour rétablir l’état habituel et normal de l’organisme. Il est le

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vicaire de la nature qui indique la discipline exigeante par


laquelle peut se conquérir la santé.
37 Sa façon de concevoir le rôle du médecin fonde les griefs que
Carton nourrit à l’égard de la thérapeutique moderne. Il lui
reproche notamment son recours à des agents chimiques
actifs, son ignorance de la nécessité de mobiliser la «  force
vitale naturelle » et d’adapter le traitement au tempérament
du malade et, par conséquent, la violence de ses
interventions qui épuisent l’organisme plus qu’elles ne le
soignent :
«  À quoi aboutit en pratique cet amoncellement de contre
bon sens et de contre-vérités  ? À des pugilats
thérapeutiques, à des traitements coup de poing, où le
malade, harcelé de chocs, doit réagir à l’excès et sans
souffler, jusqu’à ce qu’il domine la situation et arrive à
chasser à la fois l’ennemi morbide et l’assaillant
thérapeutique supplémentaire, s’il est assez résistant pour
sortir victorieux de ce double assaut. Sinon, il s’effondre sous
les coups redoublés des surexcitations et des
empoisonnements chimiques ou organiques. Il ne reste plus,
en pareil cas, qu’à incriminer la virulence des germes ou le
manque de forces du sujet, tandis qu’en réalité, il n’y a qu’un
responsable  : le traitement de paralysie vitale et
d’épuisement énergétique qui a été appliqué50. »

38 Carton dénonce alors le caractère illusoire et précaire des


guérisons obtenues en s’acharnant sur les manifestations
pathologiques sans s’attaquer aux causes réelles du mal :
«  D’une seule piqûre d’un vaccin, d’un sérum, d’un extrait
opothérapique ou d’une substance chimique organique, ou
inorganique, le malade guérit avant terme, retrouve la libre
disposition de lui-même, repart à l’état d’immunité, s’assure
l’impunité et peut recommencer tranquillement la vie
malsaine qui l’avait conduit à l’échéance morbide51. »

39 Plus fondamentalement, cette médecine matérialiste, qui


ignore la dimension rédemptrice de la maladie et la nécessité
d’une remise en conformité des conditions d’existence avec
les lois de la nature, lui paraît foncièrement amorale.
40 Pire encore, la thérapeutique moderne est à ses yeux
profondément diabolique. Dans Médecine blanche et

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médecine noire, Carton s’attache à décrire le laboratoire


moderne comme le lieu d’un « vampirisme » caché ou d’une
nouvelle sorcellerie noire, dénonçant pêle-mêle la
vaccination, la fabrication de sérums, la transfusion
sanguine, l’opothérapie, la vivisection, le cultures de germes
comme autant d’utilisations magiques des «  forces occultes
thérapeutiques » :
«  Nous touchons ici à la vraie magie noire, renouvelée des
sorciers et scientifiquement organisée. [...] Le sang, cet agent
magique capital des œuvres de magie noire, se retrouve dans
les médications par transfusion, dans les extraits
d’hémoglobine animale, les sucs de viande crue, les sérums
animaux. Les sécrétions organiques, le liquide séminal, les
sucs d’organes employés en sorcellerie ont repris un nouvel
usage dans les injections de Brown-Séquard et les
inoculations d’extraits opothérapiques. En somme, le
laboratoire médical a remplacé le laboratoire du magicien
noir d’autrefois avec une précision plus scientifique et un
raffinement d’horreur52. »

41 La ferme hostilité de Carton à l’égard de la thérapeutique


contemporaine peut donner lieu à plusieurs interprétations.
Elle s’inscrit tout d’abord dans le cadre d’une conception de
la nature qui rompt avec l’approche positiviste des sciences
médicales modernes. Alors que depuis plus d’un siècle la
médecine et la biologie accentuent la désacralisation du
corps humain par la mise en évidence de son mode de
fonctionnement et de l’action des substances chimiques qui
le composent, la doctrine cartonienne défend une position
qui tend à sacraliser le corps. L’organisation du vivant, à ses
yeux, ne se conçoit pas comme une somme d’organes
remplissant des fonctions spécifiques, mais comme le fruit
d’une volonté supérieure, inscrit dans un plan divin. Dès
lors, l’horreur que lui inspirent les réalisations
thérapeutiques récentes, comme les inoculations vaccinales,
les greffes et les transfusions, tient à ce que celles-ci
prennent le sens d’une profanation de l’ordre de la nature,
d’une souillure infligée à l’harmonie du cosmos.
«  L’immorale opération de la greffe des glandes sexuelles
d’anthropoïdes, écrit Carton, déjà répugnante en soi est une
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vraie profanation de la nature.  » Puis, à propos des


transfusions  : «  D’autres attentats à la pureté et à la
spécificité des individus s’exercent en ce moment par les
injections de sang humain [...]. Le sang, cet agent magique
de la vie, est devenu l’objet de manœuvres immorales de
rajeunissement et de vils trafics qu’il importe de dénoncer,
car le sang est une chose sacrée qui ne doit pas être
profanée53. » Ainsi, l’analogie entre la médecine moderne et
la magie noire tient à ce que l’une comme l’autre
introduisent, selon lui, du désordre et de l’anomie dans une
nature où la « Volonté créatrice » a institué de l’ordre et de
l’harmonie.
42 À un autre niveau, si l’on fait abstraction de leur dimension
ésotérique, les propos de Carton apparaissent comme un
plaidoyer en faveur d’une conception traditionnelle de la
pratique médicale. Par le colloque singulier, le médecin
accède à l’intimité des individus et des familles, à la
connaissance des habitudes, des tempéraments et des âmes
et peut utilement distiller ses conseils d’hygiène domestique
et de direction morale et spirituelle. Considérées sous cet
angle, les conceptions de Carton semblent nettement moins
originales que ne le laisse paraître le jargon ésotérique dans
lequel elles s’expriment. Olivier Faure a pu ainsi souligner le
fort moralisme dont reste empreinte la pratique médicale
dans l’entre-deux-guerres54. Chez les médecins catholiques,
par ailleurs, si l’on ne désigne généralement plus
explicitement la maladie comme la sanction d’un péché, on
avance encore que les infractions aux volontés divines lui
préparent le terrain et qu’un corps ne peut être réellement
sain que si l’âme elle-même est saine55. Cependant, les
progrès de la connaissance des mécanismes physiologiques
et pathologiques, l’affirmation des spécialités médicales et
les avancées de la thérapeutique tendent déjà à faire du
praticien un technicien dont le champ d’action se limite au
traitement de la pathologie identifiée. Les positions de Paul
Carton, qui a fréquenté les laboratoires lors de sa formation
médicale, a pratiqué la médecine hospitalière et suit
assidûment les développements de la recherche, témoignent

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alors d’une conscience particulièrement aiguë - et peut-être


disproportionnée - de ces évolutions.

Un naturisme réactionnaire
43 L’intérêt que Paul Carton porte à la réforme des conditions
de vie ne se décline pas uniquement sur un plan individuel.
Les règles d’analogie et le «  principe de totalité  » qui
président à l’organisation de l’univers lui font considérer le
corps social comme une entité vivante, analogue au corps
humain, et donc soumise aux «  lois naturelles de vérité, de
bonté, d’unité, d’abnégation, de travail, de sobriété, de
discipline de soi-même ». L’un comme l’autre, en revanche,
sont susceptibles de voir leurs fautes et leurs errements
sanctionnés par la maladie :
«  Quand ces principes fondamentaux sont violés de longue
date, se déclare d’abord une maladie générale collective.
C’est cet état de dégénérescence physique et mentale qui
amoindrit la vitalité et la moralité, et qui abat les forces de
résistance d’une nation. Alors, elle devient apte à contracter
les maladies cataloguées qui se nomment guerres civiles ou
étrangères, révolution, grandes épidémies, etc. Ces fléaux
obligent à suspendre les habitudes malsaines, à retrouver
des notions plus justes, à appliquer plus strictement les
devoirs essentiels56. »

44 Dans Les Lois de la vie saine, Carton consacre ainsi un


chapitre à exposer les «  vraies causes de la guerre  ».
Alcoolisme, irréligion, excès de table, abus de viandes et de
sucres industriels se sont multipliés dans les années qui ont
précédé l’éclatement du conflit mondial, favorisant ainsi la
propagation des tares et des dégénérescences. Dans le même
temps, «  le relâchement de l’esprit national et familial,
l’immoralité et l’égoïsme  » entraînaient l’augmentation des
«  cas de suicide, de divorce, d’escroquerie et de défaillance
mentale des jeunes gens ». L’accumulation des déséquilibres
ne pouvait conduire, selon la rhétorique cartonienne, qu’à la
manifestation pathologique, à la fois signe de désordre et
voie de la rédemption. «  Ce pouvait être la guerre ou la

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révolution. Ce fut la guerre  !  » - dont l’épilogue victorieux


témoigne de l’effort de rachat réalisé57.
45 De façon plus générale, pour Carton, les «  vices de la
civilisation » découlent des conditions de la vie moderne, qui
épuisent et intoxiquent les corps avant de les livrer affaiblis
aux agressions morbides : « Dans la grande ville où régnent
l’alcoolisme, l’abus de nourriture carnée et industrielle, le
taudis et le travail d’atelier ou de bureau, la tuberculose se
dissémine avec facilité58.  » Les progrès scientifiques et
techniques, par ailleurs, sont responsables des désordres les
plus profonds :
« La science matérialiste [...] a employé ses découvertes à la
construction de géants d’acier et de machines monstrueuses
qui, sous le fallacieux prétexte de faciliter l’existence de
l’homme et de la défendre, se sont montrés les plus
impitoyables destructeurs de sa santé, de sa tranquillité, de
son bonheur et de son existence. Par toute la terre les
machines d’usine réclament des bras pour les diriger, font
déserter les campagnes, abandonner la vie naturelle. Par
toute la terre les locomotives, bateaux à vapeur et avions
transportent une foule de denrées inutiles et même nuisibles
qui obligent à un commerce effréné, au pillage des richesses
terrestres, à la destruction accélérée des forêts et des
bêtes59. »

46 Aux excès de la civilisation, Paul Carton oppose les rapports


harmonieux que l’homme doit entretenir avec son milieu de
vie. Volontiers passéiste, il évoque avec nostalgie un temps
où la France était essentiellement rurale et agricole, et
présente l’existence de «  nos paysans végétariens
d’autrefois60  » comme un exemple de vie saine et de
soumission aux lois de la nature.
47 En matière politique, ses conceptions holistiques conduisent
Carton à défendre des positions ouvertement réactionnaires.
Source d’intolérables servitudes, la République lui apparaît
comme la négation de la liberté et de la responsabilité
individuelles. Or, ces principes doivent, selon lui, être
considérés comme intangibles. Du libre-arbitre, en effet,
découle la responsabilité que chacun porte de ses actes
devant l’ordre du cosmos et la valeur des efforts de progrès
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moral et spirituel qu’il consent à réaliser. Carton ne peut


donc qu’exprimer son aversion pour ce régime liberticide qui
impose «  service militaire également obligatoire  ; vie de
troupeau du communisme  ; éducation obligatoirement
athée  ; vaccinations obligatoires  ; traitements médicaux à
l’uniforme et obligatoires  ; étatisme envahissant et
broyeur61 ». De même, la laïcité repose, selon lui, sur le refus
des principes moraux et spirituels auxquels toute société doit
se plier. Elle ne peut donc conduire qu’à l’anomie et, partant,
à la décadence. Carton plaide alors pour « la reconnaissance
officielle de la foi en Dieu  » sans laquelle «  la collectivité
n’est plus qu’une animalité sans but, à l’affût des pires
jouissances matérielles62  ». La démocratie a «  jeté les pires
semences dans la société, en y proclamant le règne de la
liberté du bon plaisir, de l’égalité des volontés, de la
fraternité dans l’insécurité et le désordre  » , quant à la
souveraineté populaire, elle a institué le règne de la
manipulation et de la démagogie : « Quand on sait comment
se prépare l’opinion publique, et à la suite de quelles
suggestions et flagorneries se décide le choix populaire,
l’absurdité d’une telle invention éclate pleinement63.  » Les
régimes autoritaires, cependant, ne trouvent pas plus grâce à
ses yeux :
« La dictature du prolétariat, qui ignore le sage guide des lois
naturelles et surnaturelles et qui introduit le règne de la
jouissance et du gaspillage obligatoire par la suppression de
l’épargne, ne peut conduire qu’à l’épanouissement
tyrannique et catastrophique des instincts, c’est-à-dire à la
ruée des sens. [...] À l’opposé, l’ordre dictatorial imposé par
agression et entretenu par la violence mène aux abus de
l’autorité et à la culture de l’égoïsme orgueilleux64. »

48 De plus, l’utilisation qu’ils font des « emblèmes sanguinaires


(drapeau rouge des courses de taureau) ou antichrétiens
(croix gammée aux bras cassés à angle droit)65  » atteste,
selon Carton, leurs liens avec les forces occultes néfastes.
49 Les désordres du temps rendent donc indispensable une
profonde réforme de l’organisation sociale. Outre la
« rénovation religieuse », qui exige notamment la « réfection
de l’enseignement religieux » , il semble nécessaire à Carton
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de rétablir «  l’équilibre et la concorde entre le principe de


juste et intelligente autorité et les impulsions instinctives de
la liberté » en se plaçant sous la direction d’un chef :
« De même qu’il existe dans l’univers une Volonté Créatrice
unique et dans l’homme une seule volonté directrice (stable
et indépendante), de même il faut à la tête d’un pays un chef
unique, éclairé, qui se place officiellement sous l’égide de
Dieu pour être guidé dans sa tâche, qui maintienne les
traditions de la race et l’union des citoyens, qui veille à
l’application synthétique des lois de développement
spirituel, vital et physique de la collectivité, qui s’efforce au
progrès général en consultant à propos les besoins instinctifs
du peuple, en demandant à chacun une collaboration
proportionnée à ses capacités, en entretenant chez tous la
vigueur morale et la santé matérielle66. »

50 La reconnaissance des inégalités et des hiérarchies doit


ensuite conduire à restaurer l’autorité des élites. La
protection de la famille implique qu’on facilite l’accès à la
propriété individuelle, qu’on encourage la natalité et qu’on
rémunère suffisamment le travail de l’homme pour « rendre
la mère à son foyer  ». La remise en ordre doit également
s’exercer «  dans la culture morale du peuple  ». «  Il est
prodigieusement criminel, affirme Carton, de lais sers’
exercer sur les foules les suggestions incessantes de
débauche, d’anarchie et de haine par la presse, les livres, les
spectacles et la TSF.  » Enfin, la réforme de l’organisation
sociale doit s’accompagner d’une «  réorganisation du
travail » qui assure « la sauvegarde du paysan » et cherche à
remettre l’ouvrier «  en contact avec la nature, en lui
facilitant la propriété de son logis personnel, agrémenté d’un
jardin, où il trouvera le contact bénéfique du sol [...], une
distraction qui l’éloignera du cabaret67 ».
51 Au printemps 1924, Carton a découvert L’Action française et
a pu constater les nombreux points de convergence qui
existent entre ses propres vues et les idées exposées dans le
quotidien. Sans adhérer à la Ligue, il devient lecteur régulier
du journal, jusqu’à sa mise à l’index, en 192668. S’il se
soumet à la condamnation papale et cesse de le lire, il
apparaît que ses propres positions politiques et sociales n’en
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demeurent pas moins proches de celles défendues par


Maurras et Daudet. Ces affinités, replacées dans le contexte
des convictions ésotériques de Carton, témoignent de
l’émergence d’un «  traditionisme69  » dont l’orientation
réactionnaire se distingue nette ment de la sensibilité
socialiste qui dominait une large part de la mouvance
ésotérique au siècle précédent.
52 Plus paradoxale — au moins en apparence — est la position
qu’adopte Paul Carton en matière religieuse. Élevé dans la
religion catholique, puis devenu athée, il a redécouvert le
christianisme par le biais de l’ésotérisme dans le courant des
années 1910. À ses yeux, cependant, le christianisme n’est
encore que l’une des formes d’expression des vérités révélées
par la tradition primordiale. Dans La Vie sage, par exemple,
il montre comment les Vers d’or pythagoriciens aident à
mieux comprendre le sens ésotérique des dogmes et la
signification symbolique de la liturgie catholiques, d’en
apprécier la richesse et d’y trouver la source d’un
enseignement édifiant. Il rattache, par exemple, le dogme de
la Trinité au principe de la constitution ternaire du cosmos
et la piété mariale au «  culte de la Nature ou Éternel
féminin  » présent dans toutes les religions. Cela ne
l’empêche pas, par ailleurs, de soutenir la thèse de la
métempsycose70, croyance singulièrement éloignée du
dogme catholique.
53 Au début des années vingt, Carton traverse une crise
spirituelle profonde qui le conduit, affirme-t-il, à « un retour
personnel à l’ordre religieux catholique71  ». Dans l’ouvrage
Bienheureux ceux qui souffrent, qu’il publie en 1923, il
s’attache à fonder sa conception de l’œuvre rédemptrice de la
maladie et de la souffrance sur une base biblique et
catholique. Le 28 février 1923, à propos de ce livre, Paul
Carton écrit à un ami prêtre : « Je vous avais dit que j’avais
ramené quantité de gens au catholicisme pratiquant. Vous
voyez, à présent, par quelle voie. Je serais heureux si les
idées naturistes pouvaient mieux pénétrer dans les milieux
catholiques grâce à cette présentation qui, en réalité,
constitue l’âme du naturisme72.  » L’ensemble de son œuvre

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ultérieure porte également la marque d’un profond attache


ment au catholicisme et de la conviction que la pratique
régulière est nécessaire à l’accomplissement d’une vie
conforme aux lois de la nature. Toutefois, Carton, qui n’a pas
renoncé à ses conceptions ésotériques, est confronté à la
difficulté de faire reconnaître l’orthodoxie de son occultisme
chrétien :
« Nous avons reçu des ballots de lettres du clergé régulier et
séculier, nous traitant d’hérétique, d’évolutionniste, de
théiste, de panthéiste, de panpsychiste, de théosophe,
d’hindouiste, de païen, etc. Certains nous écrivaient leur
étonnement de voir un homme paraissant intelligent
accorder foi aux bêtises de l’occultisme. Quand une revue
ecclésiale donnait un compte rendu favorable d’un de nos
livres nouvellement paru et constatait qu’il était intéressant
au point de vue médical et qu’il se présentait en ordre
orthodoxe, aussitôt elle recevait des lettres de France et de
l’Étranger lui affirmant le contraire73. »

54 Afin de faire taire les suspicions que suscitent ses écrits du


début des années vingt, Carton apporte quelques corrections
substantielles lors de leurs rééditions. Ainsi, en 1927, lors de
la troisième édition de La Vie sage - dont Carton reconnaît
qu’elle n’était pas orthodoxe et affirme qu’elle «  a été une
étape dans [son] retour à la foi74  » — certains passages
subissent de légères modifications qui réorientent
sensiblement leur sens :
« Si, enfin, après avoir appris à connaître les lois qui règlent
la vie humaine et la dirigent vers Dieu, on tend ses efforts de
volonté pour ne pas se laisser détourner de ce but, [...] on vit
alors en harmonie et en santé, c’est-à-dire en accord avec
Dieu et avec la nature. [...] On peut ainsi aboutir à des
réalisations extraordinaires, dites miraculeuses [la 3e édition
remplace par « des réalisations qui tiennent du miracle » ],
et, pour le moins, on devient maître de son ambiance et de
sa personnalité, et on évolue rapidement [la 3e édition ajoute
« avec l’aide providentielle » ] vers des plans plus élevés75. »

55 En 1931, pour la 3e édition de son Traité de médecine,


d’alimentation et d’hygiène naturistes, Carton soumet son
manuscrit à un professeur de théologie et à plusieurs amis

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prêtres, afin que ses propos n’entrent pas en contra diction


avec la doctrine catholique76. Le paragraphe consacré au
transformisme et à l’évolutionnisme, par exemple, est
corrigé dans ce sens :
« Mais les influences actives du milieu extérieur sont loin de
constituer uniquement la question du transformisme.
L’intervention, décisive égale ment des énergies vitales et
mentales [l’édition de 1931 remplace "mentales" par
"spirituelles"], immanentes et personnelles, [l’édition de
1931 ajoute "c’est-à-dire du Verbe ou Christ cosmique"] que
tous les êtres ont portées en eux dès leur plus humble origine
[l’édition de 1931 ajoute la citation de l’Évangile selon Saint
Jean, chap. I, v. 1-6 en note de bas de page], a été trop
radicalement méconnue de ceux qui, des recherches de
Lamarck et de Darwin, ont déduit une doctrine de
l’évolution purement mécanique et matérialiste77. »

56 Toutefois, ces quelques modifications et les ouvrages que


rédige Carton afin de démontrer la conformité d’un certain
occultisme au dogme et à la tradition catholiques78 ne
parviendront pas à effacer totalement la défiance
qu’inspirent ses thèses. Cette défiance tient probablement à
ce que, par ces écrits, Carton a moins cherché à retrouver
une source ésotérique du catholicisme qu’il ne s’est attaché à
«  catholiciser  » son ésotérisme79. Son disciple André
Schlemmer le reconnaîtra d’ailleurs - tout en affirmant la
sincérité de la piété et de la foi de son maître -, lorsqu’il
écrira que «  Paul Carton ne cherche pas dans l’Écriture
Sainte les formes de sa pensée, car les nombreuses citations
qu’il en donne représentent plutôt la confirmation que la
source de ses conceptions80  ». Il est donc probable que les
milieux catholiques qui ont eu accès à ses œuvres aient
souvent jugé opportuniste et suspecte la foi de ce médecin
occultiste qui voyait dans la succession apostolique la preuve
de la régularité initiatique de l’Église catholique81.
57 En janvier 1921, Paul Carton et André Schlemmer, aidés d’un
petit groupe d’adeptes protestants82, fondent la Société
naturiste française. Conformément aux convictions élitistes
de Carton et au modèle des sociétés ésotériques, celle-ci ne
cherche pas à opérer un large rassemblement de naturistes
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plus ou moins convaincus, mais à regrouper une minorité


d’initiés, conscients des véritables finalités de l’existence et
déterminés à appliquer les règles de vie qui en découlent.
Ainsi, la Société exige de ses membres l’engagement formel
de ne jamais consommer de viande, de poisson, de boissons
fermentées ni de tabac, ainsi qu’une déclaration attestant
leur croyance en Dieu. En outre, en 1925, une modification
des statuts vient expressément leur interdire d’adhérer à
toute autre association naturiste, afin que le naturisme
français «  ne s’égare, en perdant son caractère originel,
gréco-latin, de synthèse, de sagesse et de science et pour
éviter que certains de [ses] membres n’encourent des
désagréments de santé [...] en se lançant dans des pratiques
dépourvues de cohérence et de vérité, recommandées par de
petits groupements parasites, tapageurs et désunissants83  ».
Carton ne se prive pas, d’ailleurs, d’attaquer violemment les
autres groupements naturistes, en dépit même de
l’hommage que ceux-ci lui rendent le plus souvent :
« Comme il ne nous est pas possible d’empêcher la citation
ou la recommandation de nos ouvrages, nous nous trouvons
donc dans l’obligation de publier ici que nous n’avons rien
de commun avec tous ces faiseurs de tamtam (lanceurs de
spécialités alimentaires dangereuses, hygiénistes de
pacotille, débitants de physiothérapie en appartement,
fabricants de vaccins, forbans de cures de rajeunissement
par piqûres, falsificateurs néo-naturistes ou psycho-
naturiens plastronneurs de banquets, éditeurs de Revue
présentant des nudités d’une indécence révoltante, primaires
de l’autodidaxie, salivaires d’estrade)84. »

58 Toutefois les attaques du médecin visent exclusivement les


associations et leurs dirigeants. À ses yeux, les adhérents de
ces groupements ne sont souvent que des victimes naïves et
innocentes, abusées par quelques charlatans sans scrupule.
À l’inverse, la Société naturiste française doit rester cette
petite communauté d’hommes et de femmes, un « noyau de
fervents naturistes  » , étroitement liés à leur maître et
progressivement initiés à la véritable doctrine naturiste par
son enseignement. De fait, la Société, qui compte environ 80
membres à sa fondation, ne croît que très faiblement,
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jusqu’à se stabiliser autour de 250 adhérents dans le milieu


des années vingt85.
59 Le lancement de La Revue naturiste, en janvier 1922, révèle
cependant quelques divergences de vues entre Carton et les
membres du Comité de la Société :
«  On chercha d’abord à nous contraindre sèchement et
furieusement à accepter une sorte de lancement genre
commercial pour notre Revue Naturiste, avec service de
publicité, comme s’il s’était agi d’une affaire industrielle.
Puis on voulut élargir le cadre de cette revue et en faire une
publication à prétentions littéraires et philosophiques où
chacun viendrait exposer son petit point de vue personnel.
La Tour de Babel, quoi  ! Nous reftisâmes catégoriquement.
[...] À nos projets d’organisation des rubriques de la revue,
un de nos élèves opposait sèchement cette phrase rituelle  :
"le comité décidera"86. »

60 Persuadé d’avoir été initié à des vérités cosmiques


indiscutables et imbu du modèle de la relation de maître à
disciple, Paul Carton supporte mal de voir son autorité ainsi
remise en cause. N’acceptant ni d’être « bridé par le système
d’opinions contradictoires, étalées selon le mode égalitaire et
caco phonique » ni « entravé par des décisions de comité à la
majorité des voix, selon le système démagogique », il décide
de garder la haute main sur sa publication, afin de « garder
jalousement l’unité de la doctrine et la continuité de sa
pureté d’expression87  ». Il refuse donc de faire de La Revue
naturiste l’organe de la Société et lui donne le statut de revue
indépendante. Il en restera, jusqu’en 1940, le principal
rédacteur, aidé occasionnellement par André Schlemmer.
61 L’élitisme et le mépris des foules qu’affichent ses fondateurs,
la certitude qu’ils ont de l’incapacité de la masse des
profanes à accéder, en l’état, à la compréhension des vérités
supérieures conduisent la Société naturiste française à
s’abstenir de toute publicité en faveur de son programme et
de toute réalisation à destination du grand public. «  Son
activité cherche à s’exercer en profondeur plutôt qu’en
surface, estime André Schlemmer. Elle ne compte, pour se
développer, que sur le recrutement par l’exemple et le
prosélytisme individuel. Elle s’abstient par principe de
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propagande collective (telle que conférences publiques,


affiches, tracts).  » De même n’entre- tient-elle aucun lien
avec des «  organisations matérielles (telles que cliniques,
restaurants, magasins d’épicerie), qu’elle estime inutiles
parce que [...] mal adaptées au caractère français ». « La vie,
le régime et les traitements naturistes doivent se pratiquer
en famille, ajoute André Schlemmer, et les denrées
nécessaires se trouvent partout  : à la boulangerie, à
l’épicerie, à la fruiterie, au marché, ou mieux encore au
jardin, car le naturiste doit chercher à vivre hors des
villes88. » Seul le magasin de Madame Droulers, rue Monge à
Paris, qui distribue des produits alimentaires
« hygiéniques » confection nés selon les recettes de Carton,
sera autorisé à utiliser le nom du médecin89. La Société,
enfin, n’organise aucune activité spécifique et se contente
d’établir un lien moral et spirituel entre ses adhérents. Il
s’agit, selon Carton, de constituer «  une solide entité
spirituelle dont la puissance invisible de protection se
répartit efficacement sur chacun des membres qui
communient dans les mêmes pensées de pureté, de sagesse
et de progrès90 ».
62 L’audience du docteur Paul Carton ne se limite pourtant pas
aux membres de la Société naturiste française. Ses écrits
sont diffusés et lus bien au-delà de ce petit cercle. La Revue
naturiste passe ainsi d’un peu moins de 400 abonnés en
1922 à 1400 cinq ans plus tard. Parmi ceux-ci, Carton
dénombre 104 médecins, 100 instituteurs, 36 prêtres, 10
pasteurs et six pharmaciens91. Le nombre d’abonnements
continue de croître jusqu’à atteindre environ 2  500 en
193992. De même, les livres du médecin permettent une large
diffusion de ses thèses. En 1939, la plus grande partie de ses
ouvrages écrits dans les années vingt a déjà connu trois
éditions et a été traduite dans les principales langues
européennes. Les Lois de la vie saine, par exemple, a connu
trois éditions et deux traductions, en espagnol et en
portugais  ; Le Décalogue de la santé, cinq éditions et des
traductions en anglais, en espagnol, en grec, en italien et en
roumain93. La Cuisine simple, ouvrage dans lequel Carton

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expose la synthèse de ses recommandations diététiques et


propose plus de 850 recettes végétariennes, donne lieu à
quatre éditions successives entre 1925 et 1939, atteignant un
tirage total de 33 000 exemplaires94. Le caractère faiblement
théorique et éminemment pratique de cet ouvrage, son
complet silence sur les conceptions ésotériques de Carton lui
permettent cette large diffusion qui contribue à populariser
le naturisme cartonien.
63 Le soutien actif de Georges Hébert, dont la «  méthode
naturelle d’éducation physique  » connaît un succès certain
dans l’entre-deux-guerres, contribue également à accroître
l’audience du médecin. Sa revue L’Education physique, en
effet, ouvre largement ses colonnes à Paul Carton et à André
Schlemmer. Hébert, d’autre part, y souligne régulièrement la
profonde concordance qui unit la médecine naturiste
cartonienne à sa propre méthode et recommande à ses
partisans de lire La Revue naturiste95. Le milieu végé- taro-
naturiste, lui aussi, réserve un accueil très favorable aux
idées de Carton. Les différents groupements naturistes et
végétariens encouragent leurs adhérents à lire ses ouvrages,
en dépit de l’hostilité déclarée du médecin à leur égard.
André G., par exemple, se souvient que les membres du Trait
d’Union acceptaient les enseignements de Carton, malgré les
diatribes de ce dernier contre Demarquette - le
« démarqueur » et le « salivaire d’estrade » - et l’accusation
qu’il formulait à l’endroit de l’association de participer à un
vaste complot maçonnique voué à la destruction de son
œuvre96. Ce sont enfin divers médecins naturistes qui, par
leurs publications ou leurs réalisations, témoignent de
l’influence qu’exerce le système cartonien au-delà de son
cercle d’adeptes. Toutefois, leur attention à fonder le
naturisme médical sur des bases exclusivement scientifiques
et rationnelles, ainsi que leur éclectisme et l’intérêt dont ils
témoignent généralement pour d’autres pratiques
thérapeutiques - comme l’homéopathie, l’acuponcture, la
psycho thérapie ou la radiothérapie - leur attirent également
les foudres de Carton. Ainsi, la Société naturiste de
Marseille, fondée en 1932, qui rassemble 25 médecins autour

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des docteurs Casabianca et Jean Poucel97, essuie un refus


sans appel lorsqu’elle propose à Carton d’assurer sa
présidence. De même, le volumineux traité de médecine et
d’hygiène naturistes dans lequel Albert et Gaston Daniel
rendent un hommage appuyé à l’œuvre de Carton98 ne reçoit,
en retour, qu’une condamnation virulente de la part du es99.
64 Seuls, dans la mouvance végétaro-naturiste, les anarchistes
végétaliens Georges Butaud et Sophie Zaïkowska trouvent
grâce aux yeux de Carton. Ce dernier éprouve même une
authentique sympathie à leur égard et entretient avec eux
une correspondance régulière. S’il émet quelques réserves
quant à « la rigidité de leurs principes et la sévérité de leur
régime », il reconnaît que leurs idées directrices « n’en sont
pas moins empreintes de grandeur ».
«  Après avoir été partisans d’idées destructrices, ils ont
appris, compris et admis que le meilleur moyen de
transformer la société, c’est de commencer par la réforme de
l’individu. Aussi leur anarchie initiale se transforma telle en
«  autarchie  » ou commandement de soi-même. Vivre
librement et pleinement soumis aux lois naturelles les plus
sévères devint alors leur principale préoccupation. Le
végétalisme qui s’accorde avec la simplification extrême des
besoins, qui apprend aux gens à se délivrer du fléau des
passions et qui libère des coûteuses obligations des denrées
industrielles, plut à leurs tendances extrémistes et devint le
tremplin de leur propagande. Grâce à cet idéal et grâce à leur
régime ascétique de grand renoncement, dont ils ne
soupçonnent pas encore toute la puissance spiritualisante,
purifiante et moralisatrice, ils ont pu, dans leur cercle, faire
œuvre utile et propager les excellentes idées de vie simple,
libre et naturelle100. »

65 Bien que leurs opinions en matière politique et sociale


divergent radicalement des siennes, leur persévérance dans
l’ascétisme alimentaire, la rigueur de la discipline qu’ils
s’imposent et le dénuement dans lequel ils vivent forcent
l’admiration du médecin. Par ailleurs, l’individualisme
viscéral de ces militants libertaires et leur profonde aversion
pour la vie mondaine ne sont probablement pas étrangers à
l’estime que leur porte Carton.

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66 Son intransigeance, sa certitude de détenir une vérité


absolue et, peut- être, une certaine misanthropie - qui
n’exclut pas néanmoins une sincère compassion pour les
souffrances d’autrui - contribuent à l’isolement de Paul
Carton. Le profond mépris qu’il affiche à l’égard de toute
initiative s’écartant de sa doctrine, son constant refus de
s’associer aux diverses réalisations collectives le
maintiennent dans une position marginale au sein de la
mouvance végétaro-naturiste. Ainsi, alors que de nombreux
promoteurs du naturisme trouvent dans ses écrits une
source d’inspiration féconde et que les milieux naturistes lui
vouent généralement une grande admiration, Carton ne peut
exercer la moindre influence sur la façon dont le naturisme
s’oriente progressivement vers les activités de loisirs à la fin
des années vingt.

Notas
1. A. P. Ouédraogo, Le Végétarisme..., op. cit., p. 98.
2. L’essentiel des informations biographiques sur Paul Carton est tiré de
son ouvrage L’Apprentissage de la santé. Histoire d’une création et
d’une défense doctrinale, 2e édition, Paris, Maloine, 1937.
3. Ibidem, p. 24-25.
4. P. Carton, La Tuberculose par arthritisme..., op. cit., p. 176 sq. et
415-458.
5. Notamment, L. Pascault, De l’Hygiène alimentaire chez les
arthritiques, Paris, Société végétarienne de France, 1901 et L’Arthritisme
par suralimentation, Paris, Maloine, 1908. Ayant rompu avec la Société
végétarienne, Caron soutiendra plus tard n’avoir constaté qu’a posteriori
certaines convergences de vues entre les végétariens et lui.
6. P. Carton, La Tuberculose par arthritisme..., op. cit.-, Les trois
Aliments meurtriers, Paris, Maloine, 1912 ; Notre Aliment fondamental,
le pain, Paris, Maloine, 1914.
7. P. Carton, La Tuberculose par arthritisme..., op. cit., p. 570-571.
8. M.-F. James, Ésotérisme, occultisme, franc-maçonnerie et
christianisme aux xixe et xxe siècles, Paris, 1981, p. 60. Caillet est
notamment l’auteur d’un ouvrage intitulé Traitement mental et culture
spirituelle, la santé et l’harmonie dans la vie humaine (Paris, Vigot,
1912) et d’un Manuel bibliographique des sciences psychiques ou
occultes (Paris, Dorbon, 1912-1913, 3 vol.).

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9. A. Schlemmer, «  Le Médecin  », A. Schlemmer (dir.), Paul Carton,


Brévannes, 1949, p. 9 et P. Carton, La cure de soleil et d’exercice chez
les enfants, Paris, Maloine, 1917.
10. P. Carton, La Vie sage. Commentaire sur les vers d’or des
Pythagoriciens, Brévannes, Chez l’auteur, 1918. L’introduction est datée
de décembre 1915.
11. Ibidem, p. 148-151.
12. Ibid, p. 154.
13. Ibid, p. 163 et 174.
14. Ibid., p. 106 et 111.
15. Ibid., p. 117-118.
16. P. Carton, Traité de médecine, d’alimentation et d’hygiène
naturistes, Paris, Maloine, 1920.
17. P. Carton, Le Naturisme dans Sénèque, Paris, Maloine, 1922, p. 9-10
(c’est l’auteur qui souligne).
18. Ibidem, p. 7-9 (c’est l’auteur qui souligne).
19. P. Carton, Médecine blanche et médecine noire, Brévannes, Chez
l’auteur, 1922, p. 5-6.
20. Lettres de P. Carton à A. Schlemmer, 23 juillet 1918 et 25 août 1921,
La Revue naturiste, janvier-juin 1949, p. 10 et 1re trimestre 1950, p. 14.
21. P. Carton, Médecine blanche..., op. cit, p. 34-35.
22. P. Carton, Le Décalogue de la santé, Paris, Maloine, 1922, p. 9-10.
23. P. Carton, Enseignements naturistes, 1re série, Paris, Maloine, 1925,
p. 24.
24. P. Carton, Traité de médecine..., op. cit, p. 823 sq.
25. Lettre de P. Carton à A. Schlemmer, 10 août 1919, La Revue
naturiste, janvier-juin 1949, p. 15.
26. P. Carton, Enseignements et traitements naturistes pratiques,
méthode hippocratique-cartonienne, 2e série, Paris, Librairie Le
François, 2e édition, 1939, p. 19-20.
27. Lettre de P. Carton à A. Schlemmer, 28 juillet 1921, La Revue
naturiste, 1er trimestre 1950, p. 14.
28. P. Carton, Diagnostic et conduite des tempéraments, Paris,
Maloine, 1926. Carton accorde une importance particulière à la
graphologie et lui consacrera deux autres ouvrages : Le Diagnostic de la
mentalité par l’écriture (Paris, Maloine, 1930) et un Dictionnaire de
graphologie (Paris, Maloine, 1933).
29. P. Carton, L’Art médical, l’individualisation des règles de santé,
Paris, Maloine, 1930.

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30. P. Carton, Les Lois de la vie saine, Paris, Maloine, 1922, p. 100 et
108.
31. Ibidem, p. 103.
32. Canon l’expose de façon très détaillée dans son Traité de médecine
(op. cit., p. 373 sq.) et de manière plus synthétique dans Le Décalogue de
la santé (4e édition, Paris, Maloine, 1932, p. 16-26).
33. P. Carton, Traité de médecine..., op. cit, p. 323 sq.
34. Notamment le chapitre «  Le régime le plus sévère que l’on puisse
conseiller », P. Carton, Enseignements naturistes, série, op. cit, p. 123-
132.
35. Par exemple le chapitre « La chaleur est la sauvegarde des débiles »,
P. Carton, Enseignements et traitements naturistes..., 2e série, op. cit.,
p. 148-153.
36. G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, op. cit, p. 52 et La
Santé, concept vulgaire et question philosophique, Pin-Balma, 1998
[1990], p. 10.
37. P. Carton, Le Décalogue..., op. cit, p. 6-7.
38. P. Carton, Traité de médecine..., op. cit, p. 7.
39. Ibidem, p. 149.
40. Ibid., p. 166.
41. Ibid, p. 35.
42. Ibid, p. 46.
43. P. Carton, Médecine blanche..., op. cit, p. 15.
44. P. Carton, Traité de médecine..., op. cit, p. 147.
45. P. Carton, Bienheureux ceux qui souffrent, Paris, Maloine, 1923, p.
12.
46. P. Carton, Enseignements et traitements naturistes..., 2e série, op.
cit, p. 13-14.
47. Ibidem, p. 14-15.
48. P. Carton, Traité de médecine..., op. cit, p. 169.
49. P. Carton, Enseignements et traitements naturistes..., 2e série, op.
cit, p. 15. Convaincu que les grandes vérités spirituelles sont
inaccessibles à la plupart des hommes, Carton se contente, dans ce
domaine, de quelques recommandations d’ordre général.
50. P. Carton, Médecine blanche..., op. cit, p. 11-12.
51. P. Carton, Enseignements naturistes, 1 série, op. cit, p. 29.
52. P. Carton, Médecine blanche..., op. cit, p. 12-13.

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53. P. Carton, Enseignements naturistes, 1re série, op. cit, p. 74-75. En


revanche, Carton considère que le don du sang pour sauver la vie d’un
blessé est un acte légitime.
54. O. Faure, Histoire sociale de la médecine..., op. cit, p. 237.
55. P. Guillaume, Médecins, Église et foi..., op. cit, p. 115-116.
56. P. Carton, Traité de médecine..., op. cit, p. 147-148.
57. P. Carton, Les Lois de la vie saine, op. cit, p. 164-172.
58. . P. Carton, Enseignements et traitements naturistes, 2 e série, op.
cit, p. 57.
59. P. Carton, Synthèse libératrice naturiste, Paris, Maloine, 1925, p. 9.
60. P. Carton, Enseignements naturistes, le série, op. cit, p. 108.
61. P. Carton, Le faux Naturisme de J.-J. Rousseau, Paris, Maloine,
1931, p. 59.
62. P. Carton, Les Lois de la vie saine, op. cit, p. 199-200.
63. Ibidem, p. 102.
64. P. Carton, Synthèse libératrice..., op. cit, p. 12.
65. P. Carton, Médecine blanche..., op. cit, 3E édition, 1936, p. 20.
66. P. Carton, Synthèse libératrice..., op. cit, p. 23 (c’est l’auteur qui
souligne).
67. .P. Carton, Les Lois de la vie saine, op. cit, 3E édition (1937), p. 198-
203.
68. Lettre de P. Carton à A. Schlemmer, 19 mai 1924, La Revue
naturiste, 4e trimestre 1950, p. 201 et A. Bros, Le Docteur Paul Carton
et son itinéraire spirituel, Paris, 1958, p. 16.
69. Le terme «  traditionisme  » est employé par Antoine Faivre (A.
FAIVRE, L’Ésotérisme, op. cit, p. 115). Il emploie également le terme
« pérennialisme » pour désigner ce courant.
70. P. Carton, La Vie sage..., op. cit, p. 42-43, 114 et 192. Carton
soutient que les Vers d’or, derrière leur paganisme apparent, renferment
un enseignement occulte indubitablement monothéiste.
71. P. Carton, L’Apprentissage de la santé..., op. cit, p. 52 et A. Bros, Le
Docteur Paul Carton..., p. 14-15. L’objet de cette brochure, dont l’auteur
est un ami d’enfance de Carton, est clairement d’accréditer les
affirmations du médecin sur l’authenticité de son catholicisme.
72. La Revue naturiste, 3e trimestre 1950, p. 146.
73. P. Carton, L’Apprentissage de la santé..., op. cit, p. 112-113.
74. Ibidem, p. 120.

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75. P. Carton, La Vie sage..., op. cit., édition, 1918, p. 62 - 63 et 3e


édition, 1927, p. 63-64.
76. P. Carton, L’Apprentissage de ta santé..., op. cit, p. 115.
77. P. Carton, Traité de médecine..., op. cit., 1re édition, 1920, p. 25-26
et 3’ édition, 1931, p. 26-27.
78. P. Carton, La Science occulte et les sciences occultes, Paris, Librairie
Le François, 1935 et Un Héraut de Dieu: Léon Bloy, Brévannes, Chez
l’auteur, 1935. Albert Bros affirme que ce dernier ouvrage fut apprécié
des amis de Léon Bloy, notamment Martinaud, Béraud et Maritain (A.
Bros, Le Docteur Paul Carton..., p. 32).
79. Paul Carton, par exemple, ne renonce pas à sa croyance en la
métempsycose.
80. A. Schlemmer, «  Le Penseur  », A. Schlemmer (dir.), Paul Carton,
op. cit., p. 49.
81. Malgré son antimaçonnisme viscéral, Carton ne semble reconnaître
cette régularité initiatique qu’à l’Église catholique et à la Franc-
maçonnerie (P. Carton, L’Apprentissage de la santé..., op. cit, p. 178-
179).
82. Enthousiasmé par la lecture de La Vie sage, le couple Siegfried a
largement contribué au financement de la première édition du Traité
(Lettre de P. Carton à A. Schlemmer, 21 juin 1920, La Revue naturiste,
3e trimestre 1949, p. 67 - la lettre ne permet pas de savoir s’il s’agit
d’André et Paule Siegfried ou d’homonymes). André Schlemmer lui-
même est protestant.
83. A. Schelmmer, « Société naturiste française », La Revue naturiste,
avril 1923, p. 66.
84. P. Carton, « Les Falsificateurs du naturisme », La Revue naturiste,
janvier 1928, p. 13.
85. P. Carton, «  Société naturiste française  », La Revue naturiste,
décembre 1927, p. 167.
86. P. Carton, L’Apprentissage de la santé..., op. cit, p. 132-133.
87. Ibidem, p. 133.
88. A. Schelmmer, « Société naturiste française », op. cit, p. 63.
89. André G., entretien du 18 septembre 1998.
90. P. Carton, « Société naturiste française », op. cit, p. 167.
91. Ibidem, p. 168.
92. P. Carton, L’Apprentissage de Li santé. Histoire d’une création et
d’une défense doctrinale, tome II : L’Étape de la vieillesse, Brévannes,
Chez l’auteur, 1945, p. 38.

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93. L’antigermanisme virulent de Paul Carton et son hostilité déclarée


contre le naturisme alleman expliquent probablement le fait qu’aucun de
ses ouvrages ne sera jamais traduit en allemand.
94. P. Carton, La Cuisine simple, Paris, Maloine, 1925. L’ouvrage est
traduit en anglais, en espagnol, en italien, en portugais et en tchèque.
95. S. Villaret, L’Évolution du naturisme..., op. cit, p. 578 sq.
96. André G., entretien du 24 juin 1998 et P. Carton, L’Apprentissage
de la santé..., op. cit, p. 176-177.
97. La Société naturiste de Marseille organise des conférences dont les
textes paraissent ensuite dans la revue Marseille médical. Certaines de
ces études seront publiées chez Baillière, entre 1935 et 1937, sous forme
d’ouvrages indépendants rassemblés dans une collection intitulée
« Hygiène et thérapeutiques par les méthodes naturelles ». En 1934, les
docteurs Foata, Buttner et Daniel, tous trois membres de la Société
naturiste de Marseille, ont pris en charge la direction du rameau
marseillais du Trait d’Union («  Rameau de Marseille - nouveau
Conseil », Régénération, n° 54, octobre 1934, p. 39).
98. A. et G. Daniel, Arts et techniques de la santé, Paris, 1937, 2 vol.
Albert Daniel est hygiéniste municipal pour la ville de Marseille. Le
docteur Gaston Daniel est membre de la Société naturiste de Marseille.
99. P. Carton, L’Apprentissage de la santé..., op. cit, p. 168-169.
100. P. Carton, «  La Colonie végétalienne de Bascon  », La Revue
naturiste, septembre-octobre 1922, p. 105-106.

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Referencia electrónica del capítulo


BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre XI. La médecine naturiste du docteur
Carton In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature [en
línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el 03
décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22889>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22889.

Referencia electrónica del libro


BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:

https://books.openedition.org/pur/22889 43/45
3/12/21 19:33 Histoire du naturisme - Chapitre XI. La médecine naturiste du docteur Carton - Presses universitaires de Rennes

<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.


DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
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Histoire du naturisme

Le mythe du retour à la nature


Arnaud Baubérot

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Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre XII. Le
naturisme, entre
régénération et
loisirs
p. 281-307

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De la médecine au plein air


1 Au lendemain de la Grande Guerre, le terme de
«  naturisme  » était encore exclusivement associé à des
programmes de promotion de l’hygiène et à des méthodes de
soins. Moins de deux décennies plus tard, le sens que l’on
attribue communément à ce mot a sensiblement changé. S’il
reste chargé d’une dimension sanitaire, il désigne désormais
principalement un loisir de plein air. « Faire du naturisme »,
dans le courant des années trente, c’est fréquenter un centre
ou se retrouver entre amis sur un terrain isolé, en fin de
semaine, pour pratiquer des jeux collectifs et des exercices
physiques, nus ou en maillot de bain. Initiées par des
médecins naturistes, notamment par les frères André et
Gaston Durville, ces pratiques héritent du végétaro-
naturisme d’avant-guerre la certitude que l’exposition aux
éléments naturels est un moyen d’affermir le corps et de le
maintenir en bonne santé. Toutefois, nous allons voir que
c’est en occultant les théories médicales et hygiéniques qui le
fondent que ce naturisme de plein air a pu accéder à une
certaine popularité.
2 Jeune étudiant en médecine, Gaston Durville découvre le
naturisme dans les premières années du siècle. Imbu de
magnétisme et de «  psychisme expérimental  », hérités de
son père1 il en vient à estimer que les notions de force vitale
ou de nature médicatrice, auxquelles se réfèrent les auteurs
naturistes, coïncident avec la force spécifique que
prétendent mobiliser les magné tiseurs ou les adeptes de la
suggestion mentale. Au cours de sa formation médicale, il
travaille un temps à l’hospice de Brévannes et précise,
auprès du docteur Carton, sa connaissance de la
thérapeutique naturiste. En 1911, il soutient une thèse
consacrée à l’hypnose2, médiocrement appréciée du jury en
raison de l’hétérodoxie de certaines positions qu’il y défend.
L’année suivante, Gaston Durville adhère à la Société
végétarienne de France et, par ses conférences, commence à
être connu des milieux végétaro-naturistes. Au lendemain de

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la guerre, il publie un volumineux traité sur La Cure


naturiste ainsi qu’une série de 13 brochures consacrées à la
thérapeutique naturiste et à la « médecine psychique3 ». En
1923, il lance la revue La Vie sage, revue mensuelle de
naturisme et d’éducation psychique - qui prendra le titre de
Naturisme, en 1930 — en collaboration avec son frère André.
Ce dernier soutient sa thèse de médecine l’année suivante4.
Les deux frères s’engagent alors dans une longue
coopération à la fois théorique, par la publication d’ouvrages
consacrés aux méthodes de thérapie par suggestion et au
naturisme5, et pratique, par la fondation, au début des
années vingt, d’un Institut de médecine naturelle - qui
prend, quelques années plus tard, le nom d’Institut naturiste
- rue Cimarosa, dans le 16e arrondissement de Paris. De son
côté, leur frère Henri, outre ses activités d’éditeur, s’est
associé avec un ancien disciple de Carton, le docteur Viard,
pour fonder un Institut de médecine psycho-naturiste à
Neuilly-sur-Seine6. La double influence de la médecine
naturiste cartonienne et de la «  médecine psychique  »
conduit les frères Durville à élaborer un «  psycho-
naturisme », méthode thérapeutique fondée sur l’utilisation
conjointe des agents physiques, par la diététique, les
massages, l’exercice physique, les bains d’air, d’eau et de
lumière, et des agents psychiques, par le magnétisme,
l’hypnose, la suggestion mentale et la psychothérapie7.
Toutefois, convaincus que la pratique de la médecine au sein
d’un institut spécialisé ne suffit pas à faire bénéficier le plus
grand nombre des bienfaits du naturisme, André et Gaston
Durville vont s’attacher, à partir de la fin des années vingt, à
trouver de nouvelles façons de le populariser.
3 Systématisée par les thérapeutes empiriques, l’association de
l’exposition aux éléments naturels dans un cadre rustique à
des vertus hygiéniques et curatives avait suscité, avant-
guerre, l’engouement des milieux végétaro-naturistes pour la
pratique de la villégiature sanitaire en Suisse, en Allemagne
ou sur la Côte d’Azur. Celle-ci restait néanmoins réservée à
ceux qui disposaient d’assez de temps et d’argent pour
accomplir un tel voyage. Au lendemain de la guerre, la

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volonté de démocratiser la pratique des loisirs hygiéniques


conduit les associations naturistes françaises à s’inspirer de
l’exemple du naturisme allemand et à aménager des centres
de plein air à proximité des grandes villes. Premier d’entre
eux, le camp de Chevreuse permet aux membres du Trait
d’Union de consacrer leurs dimanches et, le cas échéant,
leurs congés d’été aux bains de soleil ou de rivière et aux
exercices physiques en pleine nature.
4 C’est une intention analogue, mais à plus vaste échelle, qui
motive la fondation de la Société naturiste par André et
Gaston Durville, en 1927. Deux ans plus tard, cette Société,
dont l’objet est l’aménagement d’un terrain de plein air à
proximité de Paris, acquiert une partie de l’île du Platais, sur
la commune de Villennes-sur-Seine. Dans le centre de l’île —
bientôt baptisée «  Physiopolis  » —, huit hectares sont
constitués en lotisse ment et vendus aux sociétaires qui
souhaitent y bâtir des bungalows en fibrociment. Les 16
hectares restants sont réservés à la «  Cité naturiste  ». Des
stades sont aménagés, ainsi que des terrains de jeux et des
jardins. Chaque dimanche et jour férié, le public afflue pour
la « réunion générale des naturistes » au cours de laquelle on
pratique « jeux et sports de plein vent - cure d’air - cure de
soleil - cure de mouvement-canotage-natation - camping8 ».
L’initiative rencontre un incontestable succès. Les jours de
grand soleil, il arrive que Physiopolis accueille plus de 2 000
visiteurs9. Pour limiter les désagréments qu’occasionne cette
affluence et afin de faire participer les visiteurs aux frais
d’entretien des installations, les propriétaires du lotissement
- rassemblés au sein d’un Syndicat d’administration de
Physiopolis - décident de réserver l’accès de l’île aux
membres de la Société naturiste et à leurs familles. Cette
décision permet à la Société de passer de 150 adhérents en
1929 à 1 800 membres actifs en 193010. Le prix relativement
modéré de la cotisation - 100 F pour les membres actifs, 50 F
pour les membres de leur famille et l’exonération pour les
«  naturistes indigents11  » - indique d’ailleurs la volonté des
Durville de s’adresser à un large public issu des couches
moyennes. Forts de ce succès, ils réitèrent l’expé rience et

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acquièrent, en 1931, un terrain de 1 000 hectares sur l’île du


Levant, au large de Hyères dans le Var, sur lequel ils
établissent un nouveau centre, «  Héliopolis  ». Plus
ambitieuse, la fondation d’Héliopolis comprend également
un projet de lotissement, sur lequel les frères Durville
espèrent susciter des installations permanentes, et une
« Cité naturiste », équipée de stades, de commerces, d’hôtels
et de restaurants12. Outre ces opérations immobilières, les
frères Durville fondent des filiales de leur Institut naturiste
en province et lancent une gamme de produits alimentaires
naturistes. Toutefois, leur succès éveille des suspicions. Très
rapidement, dans ce milieu dominé par le militantisme
bénévole, des voix s’élèvent, qui mettent en doute la pureté
de leurs intentions. Les frères Durville, en retour, affirment
que Physiopolis et Héliopolis ne sont pas des entreprises
destinées à leur enrichissement et que les prix pratiqués
doivent seulement permettre de couvrir les dépenses
engagées13.
5 La clé du succès des frères Durville ne réside pas seulement
dans les réelles qualités d’entrepreneurs dont ils font preuve,
mais aussi dans leur capacité à exploiter la convergence de
l’idéal naturiste de vie au contact des éléments naturels et
des aspirations des couches moyennes urbaines qui, grâce à
la croissance économique, aux progrès des transports et au
développement des congés payés commencent à accéder à de
nouvelles formes de loisirs. Alors que s’affirme le désir de
profiter du temps libre pour renouer avec la nature14,
Physiopolis et Héliopolis contribuent à la fois à répondre à
ces nouvelles aspirations et à populariser le naturisme dans
des milieux que ne touchait pas le végétaro-naturisme
élitiste des décennies précédentes. L’effacement des théories
médicales et hygiéniques qui le fondent a permis de dissocier
le naturisme des exigences ascétiques qui le réservaient à
une minorité fortement convaincue. En le coulant dans le
moule des nouvelles pratiques de loisirs, les frères Durville
ont contribué à inventer un naturisme accessible au plus
grand nombre. Certes, l’aspiration à se ressourcer par un
séjour hors de la ville, au contact des éléments naturels,

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motivait déjà la fréquentation des sanatoriums naturistes


avant-guerre. Celle-ci, cependant, s’accompagnait d’une
justification thérapeutique qui fondait son utilité. Les frères
Durville, en revanche, ne recourent que très rarement à un
argumentaire de type médical pour assurer la promotion de
leurs centres. Il n’est plus question de s’exposer aux
éléments pour stimuler les capacités de défense naturelles de
l’organisme et lui permettre de lutter contre les agressions
morbides. Une alimentation saine et la pratique régulière
des sports en plein air sont désormais présentées comme des
moyens d’entretenir la force et, surtout, la beauté du corps.
6 À la même époque, la revue Naturisme commence à diffuser
largement l’idée selon laquelle le corps athlétique est
synonyme de jeunesse, de bonheur et de santé. À partir de
novembre 1933, par exemple, la rubrique «  Page de la
femme » distille chaque semaine ses conseils pour entretenir
la beauté et la vigueur du corps féminin. De même, dans le
livre Fais ton corps, André et Gaston Durville font du
modelage des corps sur le modèle athlétique un signe des
effets bénéfiques du naturisme. L’ouvrage s’ouvre par
l’évocation, sur le mode du récit onirique et utopique, de la
société idéale à laquelle ils aspirent :
« À l’île des Naturistes maintenant... [...] Ici, c’est la beauté,
c’est la santé, c’est la paix.

Les gens sont nus, les peaux sont de bronze, les dos sont
larges. Des groupes disciplinés d’hommes, de femmes,
d’enfants, tous beaux, tous forts, travaillent leurs muscles en
chantant l’hymne à la nature.[...] À l’oeuvre pour fabriquer
des hommes  ! [...] déjà les canots à moteur amenaient du
train de Paris tous les verdâtres échappés de la ville, les
tordus, les ventrus, les malingres, et aussi ceux devenus forts
déjà.

Tout un monde avide de vivre déferlait  ; les tourniquets


métalliques grinçaient, surveillés par des hommes nouveaux,
au corps d’athlètes, au regard accueillant. »

7 «  L’être humain n’est pas fait pour être laid  », affirme


ensuite le premier chapitre du livre. Et aussitôt après  :
«  Convenablement gérés par les nouvelles méthodes de
développement, tous les jeunes arrivent à se ressembler ; ils
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sont athlétiques ; ils sont beaux15. » Le naturisme se présente


ainsi comme un moyen de consacrer le temps des loisirs à un
travail opiniâtre de construction du corps et de son
apparence. L’alimentation saine, l’exposition au soleil,
l’hydrothérapie et le travail des muscles ne visent plus
seulement à réguler l’exercice des fonctions physiologiques
ou à apaiser les tensions nerveuses. Il s’agit bien plutôt
d’utiliser le concours des éléments pour modeler le corps et
lui donner sa forme « naturelle » et « normale » : la forme
du corps athlétique16. Les normes de minceur, de fermeté et
de développement musculaire s’appliquent d’ailleurs autant
au corps féminin qu’au corps masculin. «  Il faut amener la
femme sur les stades, affirment les frères Durville, lui
donner le goût de l’effort musculaire  ; ainsi elle perdra
l’amour qu’elle a pour le maquillage, pour les contours gras
et flous17.  » La vertu régénératrice du naturisme réside
moins désormais dans sa capacité à garantir une vie
conforme aux règles de la physiologie que dans sa prétention
à permettre l’édification d’un « homme nouveau18 ».
8 Ces nouvelles normes corporelles s’accordent avec les
évolutions culturelles vécues par les couches moyennes et
supérieures urbaines depuis le début des années vingt. Le
modèle du rentier a été englouti par la guerre et avec lui
l’idéal d’une existence sédentaire et oisive. Le travail s’est
généralisé, les rythmes du quotidien se sont accélérés, la vie
moderne se veut un théâtre de l’action et du mouvement. À
l’heure du taylorisme et de la réduction de l’utilisation
industrielle de la force physique, l’embonpoint n’est plus le
signe de la réussite sociale et le développement musculaire
ne trahit plus l’appartenance au prolétariat. De manière
analogue, avec le développement des loisirs et des pratiques
balnéaires ainsi que la valorisation hygiénique et médicale
de la lumière solaire, le teint hâlé n’est plus l’apanage du
paysan. Le muscle et le bronzage témoignent désormais de
l’attention que l’on accorde à l’entretien du corps et à son
apparence. Avançons même, à la suite de George L. Mosse,
que la valorisation du corps musclé et bronzé découle de
l’investissement croissant des couches moyennes dans les

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pratiques de culture physique et de l’élaboration d’une


norme d’apparence corporelle conjuguant esthétique
classique et idéaux démocratiques et égalitaires. Aux fards et
aux parures, qui affichent le luxe et dissimulent les
disgrâces, s’opposent la franchise et la simplicité des corps
nus, tous identiquement bâtis sur le modèle de la virilité
civique de l’athlète grec19. Parallèlement, l’avènement de ce
qu’il est convenu d’appeler «  l’ère des masses  »
s’accompagne d’une tentation de l’uniformité et de la
standardisation qui atteint jusqu’au corps même de
l’individu et dont témoigne, de façon extrême, l’art des
régimes totalitaires. Le fantasme des corps standards et
uniformes n’est pas incompatible avec le profond
individualisme et l’humanisme qui imprègnent le naturisme
des Durville. De la même manière que dans le design
naissant ou dans certains courants architecturaux, la volonté
de standardiser s’appuie sur l’argument d’une nécessaire
rationalité et sur la certitude que la conformité avec les
normes dictées par la nature — c’est-à-dire par la raison —
permettront à l’individu d’accéder à l’épanouissement, à la
santé et au bonheur.
9 L’émergence de ce naturisme de plein air doit aussi être
reliée à l’expérience de la Grande Guerre. Tout d’abord, sa
dimension hédoniste, ouvertement affichée et qui tranche
avec l’ascétisme du végétaro-naturisme d’avant-guerre,
traduit une volonté de profiter de la vie et de ses plaisirs les
plus simples caractéristique de la mentalité des anciens
combattants20. Ensuite, l’exaltation de la force physique à
laquelle se livrent les frères Durville (tous deux décorés de la
Croix de Guerre) peut donner lieu à deux interprétations qui
ne sont pas nécessairement contradictoires. La glorification
du corps athlétique, beau et vigoureux, peut se comprendre
comme l’expression d’une volonté d’occulter le souvenir des
souffrances, des blessures et des mutilations. À la guerre
destructrice des corps, dont les stigmates sont encore
présents dans la société de l’entre-deux-guerres, s’opposent
le naturisme et son apologie du corps construit,
s’épanouissant librement au contact de l’air et du soleil. Mais

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cette célébration de la force physique peut aussi s’interpréter


comme une tentative de prolonger dans la paix un système
de valeur vécu au cœur des combats. La valorisation de la
discipline personnelle, du courage et de la vigueur, en même
temps que le rejet de l’autorité de ceux qui commandent
sans faire usage de la force, ont été intimement associés aux
espoirs que du conflit émergerait un monde meilleur. Or, le
retour à la vie civile a été marqué par la déception de ces
espoirs et par le constat de l’incapacité de l’État à réformer
profondément la société. Stéphane Audoin-Rouzeau et
Annette Becker suggèrent qu’en Allemagne, en Russie et en
Italie, cette déception a été récupérée par les différentes
formes de totalitarisme21. En suivant ce raisonnement, il
semble possible d’avancer que l’ambition naturiste de créer
un «  homme nouveau  » et de faire émerger une nouvelle
hiérarchie sociale, fondée sur la norme athlétique, a pu
constituer un exutoire aux déconvenues de l’après-guerre et
une tentative de hâter l’avènement du monde idéal rêvé
durant le conflit22.

Du naturisme intégral au nudisme intégral


10 À partir de la fin des années vingt, la question de la
dénudation devient un thème de débat récurrent dans les
milieux naturistes. Le sujet n’est certes pas nouveau. Le
discours hygiénique des Lumières affirmait déjà la nécessité
d’aguerrir le corps en l’exposant à l’eau et à l’air. Par ailleurs,
la redécouverte de la statuaire grecque antique, à la fin du
xviiie siècle, avait conduit certains auteurs à associer la
représentation de la nudité à une exaltation de la beauté et
de la force23. Par la suite, le succès des méthodes de traite
ment fondées sur l’exposition du corps dévêtu aux éléments
naturels a permis de dépasser le stade des spéculations.
L’aménagement de bains d’air et de soleil dans les
sanatoriums naturistes, puis dans des parcs à proximité des
grandes villes, a non seulement rendu légitime l’idée de la
dénudation à des fins thérapeutiques ou hygiéniques, mais
en a également diffusé la pratique auprès d’un large public.
Cette nudité, cependant, ne transgressait pas les règles
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élémentaires de la pudeur. Pratiquée en commun, elle restait


partielle, le nu intégral étant réservé à l’intimité de l’espace
domestique. Toutefois, dans la première décennie du xxe
siècle, sous l’influence de certains auteurs qui soutiennent
que seule la nudité complète et collective possède de réelles
vertus régénératrices, des groupements naturistes allemands
commencent à s’orienter vers le nudisme.
11 En France, malgré l’intérêt dont ils témoignent pour les
réalisations des thérapeutes empiriques allemands et de
leurs adeptes, les milieux végétaro- naturistes restent
attachés à une pratique de la nudité respectueuse des codes
de pudeur. Dans les années vingt encore, la dénudation
complète reste interdite sur les terrains de plein air des
associations naturistes. À Chevreuse, les campeurs du Trait
d’Union - que les paysans du voisinage qualifient néanmoins
de « nudistes » - s’exposent aux rayons du soleil en tenue de
sport ou en maillot de bain24. À Physiopolis et à Héliopolis
égale ment, les naturistes évoluent en maillots sombres et le
nu intégral est inter dit sous peine de sanctions. Toutefois,
l’exemple allemand et l’engagement d’une nouvelle
association en faveur du nudisme vont conduire une partie
importante de la mouvance naturiste vers cette pratique
singulière qu’est la nudité intégrale, collective et mixte.
12 Le 15 mars 1926 paraît le premier numéro de la revue Vivre.
De présentation soignée, tirée sur papier glacé et
abondamment illustrée, celle-ci s’assigne pour objectif de
promouvoir un idéal de perfectionnement individuel par la
culture physique, l’autosuggestion mentale et l’hygiène de
vie. Pour les fondateurs de la revue, le professeur
d’éducation physique Marcel Kienné de Mongeot et le
médecin naturiste Marcel Viard25, ce programme, qualifié de
«  naturisme intégral  » ou encore de «  culture intégrale  »,
doit permettre à chacun de faire de son «  être spirituel et
physique un ensemble équilibré, sain et fort26  ». Si l’on
excepte la tonalité particulière des articles que le docteur
Viard consacre à la maîtrise du caractère par la «  culture
mentale » et l’autosuggestion, le contenu de la revue diffère
peu de celui des publications culturistes de cette époque. La

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description des mouvements à effectuer lors de


l’entraînement quotidien, les conseils d’exercice et
d’hygiène, les reportages sur l’œuvre de tel ou tel professeur
d’éducation physique avoi- sinent des considérations plus
générales sur l’esthétique du corps humain. Dans la lignée
du culturisme également, la statuaire grecque impose ses
canons et tout un arsenal iconographique vise à démontrer
que ce modèle corporel correspond non seulement au corps
idéal, mais également au corps naturel de l’homme. La
discipline et les efforts par lesquels l’individu cherche à
construire son corps sur le modèle antique doivent ainsi lui
permettre de renouer avec un état naturel dont les
conditions de la vie moderne l’ont éloigné. Le corps
athlétique désigne alors a contrario le corps ordinaire
comme un corps dégradé, un corps à régénérer. Les
recommandations des rédacteurs sont appuyées et validées
par des reproductions de statues grecques et par des
photographies d’athlètes ou de danseuses nus dont les poses
imitent ces statues. Le sexe des personnes photographiées
reste néanmoins caché par la position de leur corps, par une
culotte ou par l’ajout d’une pudique feuille de vigne.
L’essentiel n’est pas d’exposer la nudité complète aux
regards, mais de donner pour modèles la vigueur et la beauté
de corps sains.
13 Très rapidement, les enjeux de la régénération à laquelle
prétend encourager la revue débordent l’échelle individuelle
pour accéder à une dimension collective. Convaincus qu’un
processus de «  dégénérescence de la race  » est engagé, les
fondateurs de Vivre se donnent pour objectif d’œuvrer à sa
«  régénérescence  ». Ils entendent ainsi «  contribuer à
l’assainissement de la race en entrant courageusement en
lutte contre les préjugés, les plaisirs malsains, l’insouciance,
le laisser-aller, la mollesse27  !  » Ici encore, le terme de
« race », qui n’est jamais défini avec précision, est employé
comme vague synonyme de peuple, de nation ou de corps
social. Il n’est cependant jamais question, dans les colonnes
de Vivre, d’une prétendue « race française », au sens où les
nazis conçoivent la « race allemande », dont la pureté serait

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menacée par le métissage. Lorsqu’ils agitent le spectre de la


dégénérescence, les rédacteurs de la revue entendent alerter
les lecteurs sur le péril que représente la progression des
fléaux sociaux, comme la tuberculose, l’alcoolisme ou la
syphilis, et partager leur indignation face à l’absence de
politique publique efficace. L’emploi du mot « race » montre
cependant que ces fléaux sont moins dénoncés pour leurs
conséquences sociales que pour leur effet néfaste sur la
«  qualité biologique  » de la population. Il reste que
«  l’assainissement de la race  » s’envisage toujours ici sous
l’angle de l’hygiène sociale et des politiques sanitaires,
jamais dans une perspective raciste d’exclusion ou
d’assassinat de certaines catégories de personnes.
14 Face à l’ampleur du déclin collectif, les fondateurs de Vivre
estiment nécessaire de s’engager dans l’action. Marcel Viard
et Marcel Kienné de Mongeot fondent alors la Ligue Vivre,
ligue de régénérescence physique et mentale, en juillet 1927.
Leur revue, qui a pris le titre de Vivre intégralement, en
devient l’organe officiel. Profitant de ses relations dans la
bonne société parisienne, Kienné de Mongeot parvient à
doter son association d’un Comité d’honneur dont les
membres - principalement des médecins et des aristocrates
—, par leur qualité, lui assurent une incontestable
respectabilité28. La présence au sein de son Comité d’action
du docteur Didier, directeur de l’Institut naturiste d’Alger,
du docteur Pathault, membre de la Société naturiste de
Marseille et médecin au Centre hélio-marin de Berck, ainsi
que du docteur Rayton, directrice de l’Institut naturiste de
Royan, témoigne également d’une orientation plus nette de
la Ligue et de sa revue en faveur du naturisme, orientation
confirmée par le déclin du nombre d’articles consacrés à la
culture physique et l’intérêt plus marqué de Vivre
intégralement pour l’héliothérapie et l’hydrothérapie29.
15 C’est également au début de l’année 1927 que Marcel Kienné
de Mongeot déclenche, par le biais de sa revue, une
vigoureuse campagne en faveur de la nudité. La défense du
danseur Malkovski, disciple d’Isadora Duncan licencié par le
directeur du théâtre des Champs-Élysées pour s’être produit

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nu sur scène, lui donne l’occasion d’engager une réflexion de


fond sur la nudité et son exposition 30. Celles-ci, tout
d’abord, se justifient par la valeur esthétique du nu, source
d’élévation morale. «  C’est en ayant constamment sous les
yeux le spectacle de la nudité, affirme Kienné de Mongeot,
que les artistes de l’Antiquité ont su comprendre et saisir la
vie intérieure de l’être pour la fixer dans le marbre. » Or, la
contemplation de leurs œuvres « élève l’âme vers le beau. Et
le beau, même lorsqu’il est représenté par les formes de la
chair, éveille en nous un idéal de perfection non seule ment
physique mais aussi moral ». État naturel du corps humain,
la nudité est aussi un moyen d’entretenir sa santé et de
favoriser l’épanouissement de ses facultés. Elle est
«  salutaire à tout notre organisme, parce qu’elle fait partie
du "Naturisme" dont l’observance des principes nous donne
la pleine possession de toutes nos facultés physiques et
mentales31 ». À l’inverse, « le port des vêtements est une des
causes, non des moindres, de notre dégénérescence. Il nous
fait perdre l’aisance des gestes, le goût des gestes. Nous
marchons mal, nous courons mal, nous ne courons plus
parce que nous sommes vêtus ». De l’affirmation de la valeur
esthétique du nu aux considérations hygiéniques fondées sur
un idéal de vie saine et naturelle, le mode d’argumentation
qu’utilise Kienné de Mongeot s’inscrit dans la continuité de
la pensée des Lumières. Relativement consensuels, ces
arguments fondent également les pratiques de dénudation
collective - non intégrale - qui ont cours dans certains
milieux culturistes ou chez les partisans de la «  méthode
naturelle d’éducation physique  » de Hébert. Toutefois, le
propos de Kienné de Mongeot devient plus polémique
lorsqu’il affirme que la vertu régénératrice de la nudité
s’exerce aussi sur le plan de la morale sociale. En effet, selon
lui, la « morale actuelle » qui conduit à considérer « la chair
comme un objet impur  » se révèle pourtant impuissante à
«  combattre et vaincre la dépravation de nos mœurs  ». À
cette « morale basée sur des préjugés », Kienné de Mongeot
oppose l’idéal d’une nudité chaste et vertueuse. «  Si nous
avions l’habitude de voir nos contemporains dans le plus

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simple appareil, affirme-t-il, l’attrait de la curiosité


disparaîtrait emportant avec lui le désir que l’amour seul
ferait naître. [...] Purifions notre âme et notre corps et nos
gestes et nos actes seront purs. La nudité ne sera plus un
prétexte de dépravation et nous pourrons profiter de tous ses
innombrables bienfaits32.  » Ces considérations morales ne
sont pas sans importance. Elles vont justifier l’engagement
de la Ligue en faveur de la pratique d’une nudité intégrale,
collective et mixte alors que les autres groupements
naturistes qui encouragent la pratique de la dénudation en
se fondant sur des arguments esthétiques et hygiéniques
resteront partisans d’une nudité partielle. Le respect des
règles de pudeur et, dans le cas des frères Durville, le souci
de ne pas s’exposer aux foudres de la justice33, imposeront le
port d’un maillot. Le désir de favoriser la liberté des
mouvements dans les exercices physiques, de permettre
l’aération et l’exposition des corps au soleil et d’encourager
leur embellissement ne peuvent en effet suffire à justifier la
suppression des pièces de tissu recouvrant les parties
sexuelles, alors même que la loi et les mœurs y sont hostiles.
Or, c’est précisément au nom d’une virulente critique des
mœurs et des normes morales que Kienné de Mongeot
justifie le passage de la nudité partielle à la nudité
intégrale34. L’obligation de dissimuler le sexe résulterait,
selon lui, d’une «  morale matérielle et facile, dictée
seulement par le jugement humain  ». Loin de garantir la
pureté des mœurs, elle lais serait au contraire se développer
un «  vagabondage de l’imagination  », encouragé par les
«  mauvaises lectures et [les] demi-nudités luxurieuses que
nous rencontrons dans la rue  ». Elle livrerait ainsi le plus
grand nombre au vice de la masturbation, antichambre de la
dégénérescence. En revanche, la nudité franche et complète,
par son caractère naturel et non-érotique, serait un puissant
facteur de moralisation et, partant, de «  régénérescence
physique et mentale » de l’individu et de la société35.
16 En 1927 et 1928, la nudité est l’objet d’un débat au sein de
Vivre. À la suite de ses articles programmatiques, Kienné de
Mongeot lance une enquête auprès des lecteurs de sa revue

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et des membres de la Ligue. Ceux-ci sont invités à exposer


leur opinion sur la nudité et sur la façon dont ils envisagent
sa mise en œuvre. Chaque mois, Vivre intégralement publie
des réponses qui lui sont parvenues36. Ces témoignages
montrent que la pratique de la nudité, lorsqu’elle existe, est
toujours associée à la recherche des bienfaits de l’exposition
au soleil et que sa justification mêle étroitement
considérations hygiéniques et hédonisme. Par ailleurs, elle
reste encore exclusivement individuelle ou familiale. Les
dirigeants de Vivre, cependant, débattent déjà des
conditions préalables à une pratique collective de la nudité.
La plupart font preuve d’une extrême prudence à ce sujet. Le
docteur Didier, par exemple, souligne que si la dénudation
individuelle ou familiale ne pose pas de problème particulier
à ses yeux, elle devient délicate, en revanche, «  lorsqu’on
aborde le chapitre de la nudité intégrale en commun37  ».
Celle- ci doit se pratiquer dans des « nudariums », « endroits
retirés, soigneuse ment voilés aux regards vulgaires ou
malintentionnés  ». Il préconise, en outre, «  la création de
cercles nudistes très fermés ne comprenant que des sujets
d’une cérébralité sûre et éprouvée  : une famille et ses amis
de longue date et triés sur le volet quant à leur adhésion
entière aux théories naturistes38  ». Pour d’autres, c’est la
nécessité de s’affranchir des préjugés anciens, qui rend
nécessaires de telles précautions et impose de réserver, dans
un premier temps, la nudité collective à une élite restreinte.
17 En janvier 1929, la Ligue inscrit néanmoins le nudisme dans
son programme39. Sa pratique reste facultative et les
dispositions qui l’entourent montrent que les appels à la
prudence ont été entendus :
«  Dans un but de santé morale et physique, la Ligue
préconise la pratique de la nudité dans les conditions
suivantes :

Dans des lieux clos, à l’abri de la curiosité publique,


exclusivement réservés aux ligueurs jugés aptes à suivre des
cures de nudité en collectivité.

Tout acte contraire à la morale entraîne la radiation


irrévocable du fautif. Toute demande d’admission doit être
accompagnée obligatoirement d’un extrait du casier

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judiciaire si le candidat n’est pas présenté par deux parrains


membres de la Ligue depuis au moins un an.

Toute demande d’admission équivaut à un engagement


moral de la part du candidat qui manifeste ainsi son
intention d’améliorer sa personnalité40. »

18 Certaines des filiales provinciales de Vivre commencent, dès


cette époque, à pratiquer le nudisme. Un rapport de la
section lyonnaise, publié dans Vivre intégralement en
octobre 1929, affirme que les ligueurs et les ligueuses « vont,
chaque dimanche, se livrer en toute quiétude aux joies saines
du plein air et du nudisme intégral41 » dans un parc boisé en
bordure de rivière. La direction parisienne, pour sa part,
étudie la possibilité d’acquérir un terrain dans les environs
de la capitale pour ouvrir un centre nudiste. Rattaché à la
Ligue en juin 1929, le club de culture physique de Kienné de
Mongeot prend le nom de Sparta-Club l’année suivante et
ouvre son «  solarium gymnique  » dans une propriété de
l’Eure. L’installation est encore un peu précaire puisque la
vente du terrain, dont le club n’était que locataire, l’oblige à
déménager en 1932. Le Sparta-Club achète alors le manoir
Jan, dans la commune de Fontenay-Saint-Père, en région
parisienne. Les ligueurs s’y retrouvent le dimanche et
pendant les périodes de congé, en été, pour pratiquer, dans
le parc du manoir, la culture physique, l’insolation et le
nudisme. L’hiver, le Sparta-Club propose des cours de
culture physique dans son local parisien.
19 L’exemple du nudisme allemand semble avoir joué un rôle
non négligeable dans la démarche de Kienné de Mongeot.
Dès le mois d’août 1926, la projection à Paris du «  film de
culture physique » Kraft und Schönheit42, lui avait permis de
consacrer un long article à la nudité et de l’associer
explicitement aux thèses naturistes développées par sa
revue. À partir de 1927, Vivre intégralement commence, à
publier des photographies de nus «  amateur  » qui ne
mettent plus en scène des athlètes ou des danseuses dans
des poses étudiées, mais des familles ou des groupes de
jeunes gens en pleine nature et dont le sexe n’est plus caché.
Ces photographies sont extraites de revues nudistes
allemandes comme Sport und Sonne, Lachendes Leben ou
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Die Schönheit. Divers articles et témoignages favorables au


nudisme qui paraissent dans Vivre intégralement s’appuient
explicitement sur l’exemple des réalisations allemandes43.
Enfin, à partir de 1929, l’expression «  libre culture  »,
traduction approximative du terme allemand de
Freikörperkultur, succède à celle de «  culture intégrale  »
dans le vocabulaire de la Ligue et dans les colonnes de sa
revue. Toutefois, la source allemande ne sera jamais
revendiquée. À plusieurs reprises, Kienné de Mongeot
affirmera avoir intro duit la nudité dans le programme de la
Ligue avant même d’avoir découvert l’existence du
mouvement nudiste allemand. L’accusation de pro-germa-
nisme et le reproche d’avoir importé une pratique d’Outre-
Rhin seront suffisamment employés par les détracteurs du
nudisme pour que l’on comprenne les raisons qui poussent
Kienné de Mongeot à tenter d’occulter cette source
d’inspiration.
20 Inspiration plus avouable, le modèle de l’Antiquité grecque
justifie la pratique du nudisme aux yeux de ses partisans,
autant qu’il participe à la constitution d’un univers de
représentations qui leur est propre, ainsi qu’en témoignent
le nom du Sparta-Club et l’invention du mot «  gymnité  »
pour désigner la pratique de la nudité intégrale et collective.
Les humanités classiques et les idéaux de la culture physique
nourrissent l’image d’une Grèce mythique, société idéale
fondée sur le culte du corps beau et vigoureux et de la
probité morale. L’Antiquité grecque apparaît alors comme
l’Âge d’or d’une nudité chaste - dont le déclin aurait été
précipité par le développement du vêtement et de la pudeur -
et la figure de l’athlète comme le type de l’homme accompli,
maître de sa force et de ses passions. Le modèle du gymnase
antique, dont la racine étymologique gymnos prouverait qu’il
était le théâtre d’une nudité collective et sportive, justifie le
projet de création d’espaces dédiés à cette pratique. La
dénudation collective, dans des clubs fondés à cet effet, doit
ainsi permettre aux ligueurs de travailler à leur régénération
en cultivant les vertus physiques et morales de l’athlète grec.

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21 À côté du mythe de l’Âge d’or hellénique, un autre modèle


imaginaire exerce une égale fascination sur les nudistes : le
« sauvage » des colonies, l’« homme primitif44 », amalgame
de la réalité coloniale et du mythe rousseauiste des origines.
Dans sa brochure sur La Nudité et la santé, Henri Nadel
évoque le corps à la fois vigoureux et harmonieux des
Africains, façonné par une vie frugale au contact de la
nature, en état de complète nudité. Citant Paul Morand, il
exalte la « beauté des nègres » :
«  [...] ces corps huilés, ces dos satinés par la sueur et qui
prennent une patine de haute époque, la largeur des épaules,
la cambrure des reins, l’avancée du ventre  ; les seins des
femmes, que le portage sur la tête met en pleine valeur  ; la
perfection des jambes, la petitesse de la tête. De la mortalité
infantile, peut-être, mais presque jamais de bossus, de mal
conformés, comme chez nous. Quelle souplesse de fauve,
quelle noblesse du repos, des stations, quelle grandeur dans
la marche, quelle perfection féline dans la cours45 ! »

22 «  La force des nègres, quand ils vivent nus, ajoute Henri


Nadel, n’est d’ailleurs pas inférieure à leur beauté. » Pour les
nudistes, il ne fait aucun doute que l’exposition permanente
de leurs corps nus aux rayons du soleil entretient la beauté et
la vigueur des peuples africains. Les fléaux qui s’abattent sur
eux dès qu’on les force à se vêtir le prouvent  : «  Ceux qui
portent un costume dégénèrent d’une façon rapide et
désastreuse  », affirme Guy Gézéquel, délégué de
l’Association universelle de l’espéranto au Congo. «  La
tuberculose et les maladies vénériennes font parmi eux de
grands ravages46.  » Le docteur Fougerat, quant à lui,
stigmatise «  la pruderie des ligues religieuses anglo-
saxonnes [qui] a fait rendre obligatoire le vêtement
constamment et pour tous » et a causé par là d’irrémédiables
désastres :
«  Nous devons mettre au premier rang des causes qui
favorisent la formidable offensive de la tuberculose contre
les hommes de couleur aux colonies l’habillement
systématique des populations. [...] Les races privées de
l’appoint d’énergie que donne, sans fatigue d’assimilation,
l’irradiation de la peau, se trouvent dans un état de
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dénutrition, de moindre résistance vis-à-vis des terribles


endémies propres à leur pays natal  ; d’où la disparition de
peuplades entières qui ne peut nous étonner47. »

23 A contrario, le corps sain, beau et vigoureux du « sauvage »


resté nu indique au «  civilisé  » la voie à suivre pour se
régénérer. Le bronzage, dont la mode commence à peine à se
répandre, est ainsi désigné comme l’état naturel de la peau et
le signe d’une bonne santé. Inversement, la peau blanche de
l’Occidental qui ne s’expose pas au soleil témoigne d’un
déséquilibre hygiénique ou d’un état maladif. Le docteur
Pathault, par exemple, affirme que «  la peau du civilisé est
un organe atrophié » : « À la vue de cette couleur blafarde,
au palper de ce tissu mou, sans finesse, sans fermeté,
j’éprouve maintenant une répulsion invincible, aussi violente
que celle que donne la contemplation et le maniement d’un
cadavre48  !  » Pour le docteur Fougerat, le salut de l’homme
blanc qui vit dans les zones intertropicales passe par
l’imitation des indigènes et la pratique de l’exposition
intégrale au soleil. Il évoque ainsi le cas d’un jeune colon,
atteint de paludisme, de dépression et de complications
gastriques. Après l’échec de la pharmacopée classique, celui-
ci s’essaie à l’héliothérapie intégrale et guérit. Il devient alors
adepte de cette pratique à laquelle il convertit ses amis. « Un
seul ennui, dit-il, nous sommes noirs, noirs, on nous prend
pour des "Natives", ce qui nous fait tort dans la société, et
c’est à peine si on ne nous interdit pas la piscine du
Washington49.  » En s’exposant nu aux rayons du soleil,
l’homme blanc peut ainsi se régénérer et acquérir la santé, la
beauté et la force qui caractérisent le corps noir.
24 C’est également sur le plan moral que les « sauvages » sont
opposés à la décadence des «  civilisés  ». Alain Guirel, par
exemple, distingue deux types d’indigènes. Celui qui a
conservé sa nudité primitive est «  capable d’efforts, de
franchise et de dévouement absolu  : il est de ceux qui
s’attachent, aiment et se laissent guider  ». En revanche,
« l’indigène en prenant les vêtements du blanc se pare de ses
défauts, sans s’adapter à ses qualités  ; il est en général
voleur, menteur, fourbe et paresseux50 ». Un « fonctionnaire

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colonial, ami de Vivre » affirme pour sa part que « l’habitude


du vêtement tend à influer sur la moralité du noir ». « Je ne
dirai pas, nuance-t-il toutefois, qu’ils sont déjà arrivés à la
dépravation qu’on observe chez les races dites civilisées, et
chez les populations musulmanes d’Afrique du Nord, celles-
ci comme celles- là soumises à la loi du vêtement51.  » Plus
encore, la nudité du «  sauvage  » permet de démontrer que
l’absence de vêtement n’est pas nécessairement érotique et,
par là, d’insister sur le caractère relatif des règles de civilité
occidentales. Henri Nadel cite ainsi les auteurs de La
Croisière noire, à propos des Lougouaré, peuple pasteur du
Haut-Nil : « L’inconscience absolue qu’ils ont de leur nudité
semblerait démontrer que la pudeur n’est pas un senti ment
inné de la nature humaine52.  » A la question «  Faut-il
habiller les sauvages  ?  », un certain Duvivier répond par la
négative en affirmant que ceux-ci ont une moralité plus
grande que les Occidentaux53. L’imaginaire colonial des
naturistes apparaît finalement comme une sorte d’Eden
exotique où de noirs Adam et Ève, nus comme au premier
jour, vivent dans l’innocence et la pureté des temps
précédant la chute. Le vêtement et la pudeur, loin d’être les
signes d’une élévation morale de la civilisation, rappellent au
contraire que celle-ci porte le sceau du péché. L’enjeu de ces
évocations de la bonté et de l’innocence des peuples nus
dépasse probablement la simple démonstration du caractère
non érotique de la nudité collective. Elles donnent corps à un
rêve de retour à l’insouciance des origines qui confine à la
régression.
25 Par-delà les lieux communs colonialistes, le discours
nudiste, en projetant sur le mode de vie et les moeurs du
colonisé son fantasme de pureté et d’harmonie originelle
avec la nature, élabore une figure mythique du « sauvage »
supposée révéler la nature profonde de l’homme et fournir
les arguments nécessaires à la contestation des normes
morales de la civilisation occidentale. À la fois antithèse du
«  civilisé  » et planche de salut pour la civilisation, son
exemple invite au mimétisme le métropolitain qui souhaite
se défaire des tares physiques et morales qui le font

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dégénérer. Ainsi, dans le « nudarium » du Sparta-Club, cette


clairière censée reconstituer, de manière édulcorée, la nature
sauvage des origines, chacun peut, le temps d’un week-end
ou d’une après-midi d’été, se dépouiller de ses vêtements, se
défaire de son appartenance au monde civilisé, à ses codes et
à ses hiérarchies, pour faire l’expérience d’une
«  sauvagerie  » innocente et policée. Dans ce havre de paix,
loin de l’agitation de la ville et des affaires, le nudiste
s’invente son état naturel et se ressource dans la vie
primitive.
26 Malgré la critique de la civilisation urbaine et industrielle à
laquelle ils se livrent, les nudistes ne conçoivent pas leurs
centres comme les lieux d’un retour permanent à la terre ou
à l’état primitif. « Il ne s’agit pas de revenir à l’Âge de pierre
ni à l’Antiquité grecque ou romaine entachées d’ailleurs de
tares formidables, il ne s’agit pas de rêver un Éden utopique,
il faut voir des réalités54  », avait pris soin de préciser le
docteur Pathault dès que Vivre intégralement avait ouvert le
débat sur la pratique de la nudité. Jamais le nudisme n’est
présenté par ses promoteurs comme une invitation à
renoncer à leur vie ordinaire. Pratique de loisir, il est un
moyen de compenser les carences de l’existence mondaine,
de se ressourcer momentanément loin des effets délétères de
la grande ville afin de mieux supporter le poids du quotidien.
Soigneusement aménagée, la nature du Sparta-Club est
hermétiquement isolée de l’univers rural qui l’entoure, lieu
de vie, de travail et de lutte perpétuelle contre les éléments.
À ce titre, le centre nudiste participe d’une évolution sociale
et culturelle plus vaste qui marque, dans les années trente, le
triomphe progressif de la société urbaine et de ses normes.
La campagne n’est plus seulement le territoire de la
paysannerie et du travail agricole. Elle devient aussi le lieu
où les habitants des villes peuvent projeter leur fantasme de
nature sauvage, un espace qu’ils peuvent conquérir et
aménager en fonction de leurs besoins et de leurs
aspirations, un espace de loisir pour urbains en mal d’eau,
d’air et de soleil.

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27 Entre la fin des années vingt et le début des années trente, la


Ligue Vivre intensifie sa propagande en faveur du nudisme.
Les articles sur la nudité et les photographies de personnes
nues se multiplient dans les colonnes de Vivre
intégralement, dont le tirage passe de 10  000 à 25  000
exemplaires entre 1927 et 192955. La revue publie cinq
brochures hors série consacrées à l’apologie de la nudité et
annoncées à grand renfort de publicité et de conférences56.
Cette campagne, qui s’ajoute à celle que mènent les frères
Durville pour promouvoir Physiopolis, attire l’attention de la
presse sur le nudisme et commence à lui assurer une
certaine renommée dans le grand public57. Celle-ci vaut
d’ailleurs à Kienné de Mongeot ses premières attaques. En
1928, déjà, le docteur Carton incluait Vivre intégralement
dans ses diatribes contre les «  flibustiers du naturisme  ».
Alertée par le médecin, la préfecture de police de Paris
décide d’interdire l’exposition de la revue et de La Vie sage
des frères Durville dans les kiosques parisiens, au mois
d’avril 192958. La presse catholique et les ligues de moralité
passent également à l’offensive. Elles multiplient les articles
visant à mettre en garde le public contre l’entreprise de
« démoralisation organisée » que représente le nudisme59 et
tentent d’obtenir des arrêtés municipaux interdisant
l’exposition ou la vente des revues nudistes. Dans les
colonnes de Vivre intégrale ment ou lors des conférences
publiques, les promoteurs de la nudité commencent à croiser
le fer avec les champions de la lutte antipornographique.
Ainsi, par exemple, une longue polémique s’engage avec M.
Pourésy de la Ligue pour le relèvement de la moralité
publique, qui atteint rapidement, de part et d’autre, le ton de
l’invective60.
28 Le nombre de groupements affiliés à Vivre croît néanmoins
rapidement au début des années trente. Alors qu’en avril
1930 la Fédération des centres gymniques organisés
rassemblait sept sections locales, elle en regroupe 13 en
France, quatre en Afrique du Nord française et neuf à
l’étranger deux ans plus tard61. Toutefois, les chiffres de
6  000 «  nudistes pratiquants dans les centres de Vivre ou

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dans des propriétés privées  » et de près de 60  000


sympathisants, avancés par Kienné de Mongeot en 193262,
semblent sujets à caution.

La vulgarisation du naturisme et du
nudisme
29 La vulgarisation du naturisme se traduit par une
multiplication et une diversification de l’emploi du terme. En
effet, dans le courant des années trente, celui-ci est
indifféremment utilisé pour désigner un mode de traitement
alternatif, une hygiène de vie fondée sur le régime
végétarien, l’exposition aux éléments naturels, la culture
physique en plein air, ou encore l’association de ces quatre
caractéristiques.
30 Dans le domaine médical, tout d’abord, un certain nombre
de praticiens continuent de se déclarer naturistes et de
défendre une approche de la maladie et de la thérapeutique
héritée du végétaro-naturisme d’avant-guerre. Les médecins
de la Société naturiste de Marseille, qui publient la collection
«  Hygiène et thérapeutiques par les méthodes naturelles  »,
les frères Daniel, les docteurs Auguste Colin et Jean Poucel
s’attachent ainsi, par leurs ouvrages et leur pratique, à
prolonger la tradition du naturisme médical classique63.
Mais le terme est aussi employé par des thérapeutes et des
société médicale de Saint-Luc, Saint-Côme, Saint-Damien,
organe de l’association des médecins catholiques, participe
également à la dénonciation du nudisme (juin et juillet-août
1930, janvier 1934).médecins non-conformistes, qui
l’associent à d’autres formes de traitement non-
conventionnelles. En 1930, par exemple, l’abbé Andreu
propose d’allonger l’existence jusqu’à 150 ans grâce au
naturisme et au spiritualisme. Les docteurs Mendel et
Duprat, pour leur part, associent, dans de petites brochures,
naturisme et homéopathie64. À La-Trinité-Victor dans les
Alpes maritimes, un certain docteur Mollet associe au
traitement naturiste la ryth- mothérapie et la télépsychie et
soigne la tuberculose par un sérum végétal de son
invention65. Enfin, dans la continuité des sanatoriums
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naturistes d’avant- guerre, quelques propriétaires de


maisons de santé accueillent des curistes pour des séjours à
visée thérapeutique. Dans sa Maison du Soleil, à Octon dans
l’Hérault, le docteur Paul Vigné d’Octon soigne ainsi
l’arthritisme, les ptoses et les maladies de l’appareil digestif
par la cure naturiste, la cure de raisin et la cure de petit
lait66. À Rantigny dans l’Oise, la Maison naturiste de la Côte
d’Ars s’inspire pour sa part de l’établissement du Jungborn
fondé en 1896 par le thérapeute empirique allemand Adolf
Just67. La diffusion du naturisme explique aussi
probablement qu’un certain nombre d’établissements qui se
consacrent à l’utilisation thérapeutique de la culture
physique et des agents naturels adoptent - comme l’Institut
de médecine naturelle des frères Durville - le qualificatif de
« naturiste » dans les années trente. C’est le cas notamment
de l’Institut de culture physique scientifique d’Al Dini, dans
le 15e arrondissement de Paris, qui prend le nom de Société
néo-naturiste « Les rayons de lumière » en 193368.
31 Par ailleurs, la progressive assimilation du naturisme à une
activité de loisir entraîne le développement des pensions
naturistes qui, hors de toute considération thérapeutique,
proposent des séjours d’agrément. Les petites annonces de la
revue Naturisme permettent de faire connaître ces offres de
villégiature qui foisonnent en marge de l’hôtellerie
traditionnelle  : «  A 60 km de Lyon, dans belle propriété
bords Rhône, on reçoit naturistes. Bains de soleil, plage,
leçons piano, violon, anglais, peinture. Régime végétarien.
25 fr. par jour », ou encore « Le Petit Nid, Nyons (Drôme).
Reçoit pensionnaires goûts simples, désirant repos physique
et moral. Régimes naturistes. Hivers doux. Soleil. 18 francs
par jour69 ». Des centres naturistes accueillent également le
public en fin de semaine ou en été pour la pratique du
camping. Généralement équipés d’installations sportives, ils
permettent à leurs visiteurs de profiter des plaisirs et des
bienfaits de la culture physique, du bain de soleil et des bains
de mer ou de rivière. Outre le camp de Chevreuse,
Physiopolis et Héliopolis, on peut citer le camp Suard, au
Lavandou, fondé par l’ancien gérant de l’un des restaurants

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du Trait d’Union, La Palestria, ouverte en 1931 aux Mathes


en Charente inférieure, ou le Stade naturiste sportif de
Soisy-sous-Montmorency, patronné par les frères Durville70.
La plupart de ces centres pratiquent des tarifs relativement
modérés, dans le but affiché de toucher un large public issu
des couches moyennes ou populaires. C’est le cas
notamment de la Société naturiste, dont la cotisation
annuelle de 100 F pour les membres actifs et de 50 F pour
les membres de leur famille donne accès aux parcs et aux
installations de Physiopolis, des Amis de la maison des arts,
dont le parc est accessible au tarif de 75 F pour un homme
seul, 120 F pour un couple sans enfant et 100 F pour un
couple avec enfants, et du camp de Chevreuse qui propose
des séjours au prix de 100 F par semaine71. Plus fermés et
plus élitistes, les centres nudistes pratiquent, en revanche,
des tarifs généralement plus élevés. Le Club gymnique de
France de Villecresnes est accessible au tarif de 200 F pour
un homme seul ou une famille et de 100 F pour une femme
seule. Ouvertement destinée à un public choisi, la
fréquentation du centre de la Ligue Vivre, le Sparta- Club,
coûte 500 F par an pour une famille ou pour un homme seul
et 300 F pour une femme seule72.
32 À ces centres, implantés en pleine campagne ou à la
périphérie des agglomérations, s’ajoutent des foyers ou des
clubs ouverts au cœur des villes dans le but d’encourager la
pratique quotidienne du naturisme et du végétarisme. Le
Foyer naturiste de la rue du Sentier, fondé en janvier 1932
par des proches des frères Durville, vise à relayer les centres
de Physiopolis et d’Héliopolis en permettant aux naturistes
de disposer d’un lieu de convivialité dans la capitale. Il
propose à ses adhérents des conférences, des excursions
pédestres, des cours de culture physique, de danse
rythmique, de chant et de dessin. Il met également à leur
disposition une bibliothèque et un restaurant végétarien73.
Le Foyer naturiste du boulevard Sébastopol, fondé en mai
1934 par l’Union naturiste de France, dispose également
d’un restaurant, d’une bibliothèque et d’une salle de
conférence. À Toulouse, en 1936, un éphémère Foyer

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naturien, ouvert par un certain Adrien, «  professeur de


régénération physique », s’attache tout particulièrement « à
l’éducation rationnelle des enfants, au développement de
l’hygiène physique et mentale  », à la «  lutte contre
l’alimentation antiphysiologique, l’Alcoolisme, le Tabagisme,
l’emploi des stupéfiants  » et à la promotion des «  sports
démocratiques, considérés comme moyen de développement
individuel74 ».
33 Les fondateurs de ces foyers associent généralement le
naturisme à un idéal de progrès social. Ainsi, le Foyer
naturien de Toulouse veut contribuer à « amener l’homme à
sortir de l’ornière traditionnelle, dans laquelle l’humanité ne
peut trouver le Progrès indispensable à la Paix Sociale,
prémisse de la Paix Universelle75  ». De même, Coubart, le
secrétaire général du Foyer naturiste de la rue du Sentier,
voit le naturisme comme « un important facteur d’Union, de
Paix sociale et de Paix internationale76 ». Dans une brochure
qu’il publie en 1932, Maurice Fuszka, l’un des fondateurs de
ce Foyer, affirme que le naturisme marque « le début d’une
ère nouvelle, une étape de l’Évolution Humaine », préalable
indispensable, selon lui, à la régénération de la société :
«  [Le naturisme] fera par la culture rationnelle, par
l’hygiène, par la tempérance, par la sobriété, par tous ses
principes en un mot, des êtres beaux, normalement
développés, sains moralement et physiquement, qui n’étant
plus intoxiqués ni par une nourriture irrationnelle et en
excès, ni par l’alcool, ni par le tabac, ni par les médicaments,
et les produits chimiques ou frelatés, deviendront calmes,
corrects en toutes circonstances, de relations agréables,
logiques dans leurs jugements, maîtres d’eux-mêmes,
tolérants et compatissants pour leurs semblables. Le
Naturisme est le complément indispensable du
Communisme et en fera l’état social supérieur par
excellence77. »

34 L’orientation politique de l’Union naturiste de France est


tout aussi nette. Constituée en 1934, elle est présidée par le
docteur Legrain et rassemble des individus généralement
proches des milieux socialistes ou libertaires, comme les
docteurs Paul Vigné d’Octon, Madeleine Pelletier, Georgia
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Knap et Charles-Édouard Lévy qui siègent dans son Comité


d’action. Dans son éphémère revue Le Naturiste, le docteur
Axel Proschowsky, ancien membre du Comité directeur du
Parti socialiste du Danemark et qui participe égale ment au
Comité d’action de l’Union, affirme ouvertement que
«  l’idéal naturiste et le socialisme-individualiste ne forment
qu’une même doctrine sociale78 ». En 1935, l’Union naturiste
de France adhère au Rassemblement populaire79. Alors que
les régimes autoritaires prolifèrent en Europe et que la
république parlementaire semble incapable de résoudre la
crise économique et la crise politique latente, le naturisme
apparaît, aux yeux de certains de ses partisans, comme un
moyen d’échapper à la menace d’une guerre ou d’un
effondrement de la société. Sa critique des excès du
machinisme et ses idéaux de modération et de vie simple
permettraient, s’il était diffusé à une large échelle, de
réfréner l’appétit des classes possédantes et de libérer les
couches laborieuses des conditions de travail aliénantes
auxquelles elles sont soumises. Dans le même temps, la
communion intime avec la nature et les relations fraternelles
qu’il suscite semblent désigner le naturisme comme le
moyen le plus sûr d’instaurer un état social juste et
harmonieux.
35 À côté de ces Foyers naturistes, dont la création est
explicitement motivée par un projet de rénovation sociale,
foisonnent de petits groupements plus ou moins formels
dont l’unique objet est de pratiquer une activité de loisir
saine et conviviale. L’association lyonnaise La Vie saine,
déclarée à la préfecture du Rhône en juillet 1933, se donne
ainsi pour but de «  grouper dans les liens d’une fraternelle
amitié les adeptes et amis du naturisme80 ». Ses adhérents se
réunissent régulièrement pour des excursions ou des
réunions amicales au local de l’association. À partir de
l’année suivante, ils louent un terrain sur les bords du Rhône
afin de pouvoir s’adonner aux bains de soleil et aux jeux en
plein air. Conçu et justifié comme un programme de
« régénération de l’être humain tant au point de vue corporel
que moral  » par l’adoption d’un mode de vie conforme aux

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lois de la nature81, le naturisme permet avant tout à ses


adeptes de compenser les désagréments de la vie urbaine en
se ressourçant au contact des éléments naturels. Les
associations de ce type se multiplient dans les années trente.
Pour la seule année 1934, les petites annonces de la revue
Naturisme signalent l’existence ou la constitution de 17
groupes, à Bordeaux, Bruxelles, Calais, Grenoble, La
Rochelle, Lyon, Meaux, Montpellier, Nancy, Nice, Orléans,
Puteaux, Reims, Rouen et Toulouse. À ceux-ci s’ajoutent un
groupe de «  muses et poètes naturistes  » et un «  groupe
féminin pour la culture physique et la danse esthétique  » à
Paris.
36 Enfin, les mêmes petites annonces révèlent l’existence d’une
sociabilité naturiste qui s’épanouit hors de tout groupement
formel. Chaque semaine, des individus ou des couples
expriment leur désir de rencontrer des personnes partageant
leurs centres d’intérêt pour pratiquer ensemble des activités
de plein air. Ainsi, par exemple, ces annonces publiées par la
revue des frères Durville : « Jeune homme, 30 ans, naturiste,
éducation soignée, directeur affaire commerciale [...] dés.
connaître ami naturiste, caract. agréable pr. prat. aviron,
naturisme et sorties », ou encore « Lille - Jeune fille désire
se créer relations dans milieux naturistes pour sorties et jeux
de plein air 82 ». « Faire du naturisme », c’est désormais se
joindre à quelques camarades pour profiter ensemble des
bienfaits de l’exposition du corps dévêtu au soleil et des
plaisirs des jeux de plein air. Certes, le naturisme est encore
associé à quelques règles d’hygiène alimentaire et à des
idéaux de vie saine et de relations fraternelles entre les
hommes. Il semble toutefois qu’en se popularisant sous la
forme d’une activité de loisir, le naturisme ait vu le degré de
conviction et d’engagement individuels nécessaires à sa
pratique s’émousser considérablement.
37 Bien que plus suspect, le nudisme accède également à une
certaine popularité. Des reportages réalisés par des
journalistes - qui ne sont pas eux- mêmes nudistes -
témoignent de la curiosité qu’il suscite dans l’opinion
publique en même temps qu’ils contribuent à sa progressive

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banalisation. Publiées par des auteurs connus pour leurs


romans grivois, généreusement illustrées de photographies
de nus, ces enquêtes jouent de l’équivoque qui entoure le
nudisme afin d’appâter le lecteur. Elles soulignent
néanmoins la parfaite innocence de cette forme de nudité
collective. Ainsi, le reportage que Louis-Charles Royer
consacre en 1929 au mouvement allemand s’ouvre sur cet
avertissement :
« Si, dans ce livre de bonne foi, transparaissent par instants
quelques malices, c’est que le Français moyen que je suis n’a
pu s’empêcher parfois de sourire, en contemplant tant de
spectacles... imprévus. Mais je tiens à dire tout net que la
pratique de la nudité, telle que s’y livrent les naturistes
allemands, ne m’est jamais apparue comme un sujet de
scandale, ni comme la cause d’un dérèglement des
mœurs83. »

38 Les derniers chapitres de l’ouvrage s’attachent à présenter


succincte ment la situation du nudisme en France. Ils
décrivent principalement les réalisations des Durville à
Villennes, tout en soulignant que la nudité n’y est pas
intégrale. En revanche, l’initiative de Kienné de Mongeot,
qui ne s’accompagne pas encore de réalisations concrètes,
n’est qu’à peine évoquée. Par ailleurs, l’auteur rapporte
l’existence de pratiques nudistes hors de tout cadre
associatif :
«  La plupart [des nudistes de France] "pratiquent" en petit
comité. [...] La séance de libre culture la plus pittoresque à
laquelle il me fut donné d’assister se déroula dans le cadre
charmant de la forêt de Fontainebleau. Les participants
étaient huit  : cinq messieurs, trois dames. Comme ils
risquaient la prison, ils prirent des précautions.

Deux hommes et deux femmes habillés, formèrent les quatre


coins d’un carré de deux cents mètres de côté. C’étaient les
sentinelles. Au centre du carré, dans une étroite clairière,
choisie douce à l’épiderme, les trois autres mâles et la femme
la plus décidée ôtèrent leurs vêtements. [...]

Alors, pendant une heure, les quatre amis goûtèrent les joies
de la nudité au grand air. [...]

L’heure écoulée, les nudistes rentrèrent dans leurs

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vêtements et allèrent relever la garde. Ce fut au tour des


sentinelles de "pratiquer"84. »

39 La même année, Roger Salardenne, journaliste au Canard


enchaîné et auteur de plusieurs romans grivois, publie
également un reportage sur le nudisme allemand85. On y
retrouve le même genre de photographies, le même ton
amusé et néanmoins bienveillant que dans l’ouvrage de
Louis- Charles Royer :
« La Nacktkultur n’est-elle pas tout simplement un prétexte
à la débauche et à l’orgie ?

Eh bien ! non, non, non !... Je proteste énergiquement contre


cette idée qui tend à se répandre en France. Les
groupements de Nacktkultur ne sont pas des associations de
débauchés et de noceurs. Bien au contraire, et je puis vous
donner ma parole qu’à aucun moment, au cours de mon
enquête chez ces gens nus, je n’ai remarqué le moindre geste
obscène ou incorrect86. »

40 En quelques pages, Salardenne évoque très rapidement la


Ligue Vivre et la Société naturiste des docteurs Durville et
mentionne, lui aussi, l’existence d’un nudisme sauvage.
Enfin, il consacre les deux derniers chapitres de son livre aux
résultats d’une enquête qu’il a menée afin de recueillir
l’opinion d’intellectuels français, de médecins et d’« hommes
de la rue  » sur le nudisme. L’intérêt principal de ces pages
tient à ce qu’elles révèlent, chez l’auteur comme chez la
plupart des personnes qu’il interroge, un emploi
indifférencié des termes de naturisme et de nudisme,
confusion qui apparaissait déjà dans l’ouvrage de Royer.
Ainsi, le questionnaire envoyé par Salardenne aux
personnalités du monde intellectuel s’ouvrait par la
question : « Que pensez-vous du naturisme au point de vue
hygiénique ? » Son intention était de recueillir leur avis sur
la nudité intégrale et c’est bien sur ce point que portent les
réponses qu’il publie. Aux «  hommes de la rue  » qu’il
questionne et qui semblent encore ignorer l’existence du
nudisme, Salardenne explique l’objet de son enquête en
utilisant le terme de « naturisme ». Un camelot lui répond :
« Le naturisme ? Alors c’est un truc pour se f... à poil ? Ah !
là, là, là  ! Quelle vaste blague  ! Non, mais, me voyez-vous
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tout nu, avec mon paquet de journaux ? Mais je ferais fuir les
clients... » Et, à propos d’un modèle, l’auteur précise : « Lulu
est, en somme, une naturiste professionnelle. Ne fait-elle pas
métier de montrer son corps aux artistes peintres du Mont-
Parnasse  ?  » L’année suivante, Salardenne réalise un
nouveau reportage sur le nudisme allemand. Mieux
renseigné, l’auteur distingue désormais le nudisme du
naturisme : « En fait, précise-t-il, si les sociétés "naturistes"
sont nombreuses dans notre pays, il n’y a qu’une seule
véritable association "nudiste", la ligue Vivre87.  » De même,
en 1932, dans l’ouvrage qu’il consacre aux nudistes français,
il évoque les naturistes du Trait d’Union de Bordeaux en
précisant que ceux-ci ne sont «  pas encore convertis au
nudisme intégral ». Il souligne par ailleurs qu’il convient de
ne pas confondre les nudistes avec le docteur Carton «  qui
fulmine en termes grossiers et vulgaires contre le
nudisme88 ». Il n’en reste pas moins que la confusion entre
les deux termes semble bien avoir commencé à s’installer
dans le grand public. Ainsi, en 1935, dans un ouvrage destiné
à vulgariser le naturisme, la journaliste Louise-Marie Ferré
peut écrire  : «  Pour beaucoup de personnes, le naturisme
s’identifie avec le nudisme et devient aussitôt suspect
d’intentions troubles89. »
41 Cette confusion est entretenue par les nudistes eux-mêmes
qui justifient la pratique de la nudité comme un aspect du
«  retour à la nature  » et donnent parfois le titre de
«  naturiste  » aux groupements qu’ils constituent — comme
les Naturistes de Lyon, les Naturistes de Provence ou les
Naturistes du Var, affiliés à la Ligue Vivre. De leur côté,
certains milieux naturistes non nudistes contribuent
également à ce rapprochement des termes en qualifiant de
« semi-nudisme » ou de « nudité sub-totale » les activités de
plein air pratiquées en maillot de bain90. De plus en plus, le
nudisme apparaît comme l’un des courants de la mouvance
naturiste, pleinement intégré à celle-ci et que distingue
seulement son invitation à s’exposer au soleil sans maillot.
Le Guide naturiste de 1933, par exemple, présente divers
groupements et centres naturistes, en spécifiant dans chaque

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cas si la pratique de la nudité y est intégrale ou partielle. À


Physiopolis et Héliopolis, «  la tenue minima est [...] pour
l’homme, slip couvrant complètement les parties sexuelles et
les fesses ; les slips ne couvrant pas les fesses sont interdits ;
pour les femmes, même slip, avec, en plus, cache-seins
obligatoire ». De même, le « naturisme intégral » se pratique
dans le parc des Amis de la maison des arts « avec la tenue
minima du sleep [sic]  ». Le Sparta-Club, en revanche,
propose «  un beau parc de nudité intégrale  ». D’autres
emploient les expressions sans équivoque de « gymnité » ou
de «  libre-culture  ». C’est le cas notamment du Foyer
naturiste, qui résume son programme en deux mots  :
« naturisme et libre-culture », du Club gymnique de France
ou de Vie et lumière, ligue gymnique d’hygiène sociale qui
« grâce à la pratique rationnelle de l’insolation, de la nudité
et de la gymnastique a pour but de développer,
intégralement, sur tous ses plans la personnalité humaine et
d’obtenir ainsi un équilibre harmonieux, individuel et social,
basé sur le culte de l’honneur, du beau et du vrai91 ». Enfin,
dans son A.B.C. naturiste paru en 1936, Abel Roc propose
une liste de 34 groupements et clubs naturistes dans laquelle
se côtoient sans distinction les associations nudistes et non
nudistes92.
42 Tenant la Ligue Vivre pour responsable de ce dévoiement du
naturisme, Paul Carton ne cesse de fustiger «  les faux
naturistes nudistes d’aujourd’hui pour qui le naturisme
consiste uniquement à recouvrer la santé par le nu, à vivre
intégralement nu, sexes mélangés, au foyer ou en cure
publique, à publier des photographies obscènes pour
acclimater partout le culte païen de la chair ». Selon lui, il ne
fait aucun doute que «  ces obsédés de la sexualité et ces
comédiens de la vertu  » travaillent à la «  démoralisation
sociale  », «  à polluer et à détruire le vrai naturisme
synthétique, source d’ordre et de progrès spirituel93  ». Du
côté des défenseurs du nudisme, Charles-Auguste Bontemps
regrette également cette confusion des termes qui, en
associant aux yeux du public le nudisme à «  une idée de
simplification outrée de la vie », a constitué une entrave au

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«  recrutement nudiste  ». Plus soucieux de répandre la


pratique de la nudité que la réforme alimentaire ou le retour
à la nature, Bontemps suggère de renoncer à employer le
terme de naturisme, afin de « réunir des adeptes de la libre-
culture dont les opinions et les genres de vie sont, pour le
surplus, fort différents94  ». Toutefois, la multiplication des
publications érotiques ou des romans grivois qui utilisent les
termes de nudisme ou de naturisme - comme les albums de
photographies Nudisme et volupté et Nudisme et paysages
ou comme le roman au titre suggestif Odette fait du
naturisme d’un certain Harry Kover ou celui de Marcel
Vigier, Le Monsieur tout nu, ou le naturiste ingénu95 -
montre bien que la banalisation de ces termes dans le grand
public tend à les associer indistinctement à la simple
pratique de la nudité, hors de toute référence à un
programme de réforme individuelle ou sociale.

Notas
1. Gaston Durville est né en 1887, ses deux frères Henri et André en 1891
et en 1896. Leur père, le magnétiseur Hector Durville (1849-1923), jouit
d’une certaine renommée dans le milieu du magné tisme et de l’hypnose.
2. G. Durville, Étude étiologique sur l’hypnose, thèse de médecine,
Montpellier, 1911.
3. G. Durville, La Cure naturiste, pour entretenir sa vigueur et se
guérir sans médicaments, Paris, Éditions Henri Durville, s. d. [1918].
Parmi ses brochures (toutes éditées en 1921 par son frère Henri), on peut
citer, par exemple  : La Santé par le naturisme; L’Alimentation
rationnelle; Les Maladies de la circulation, leur traitement sans
droguage par la méthode naturiste; Les Succès de la médecine
psychique; Vos Prédispositions maladives, les secrets de la vie saine.
4. A. Durville, L’Action de la pensée sur les phénomènes de nutrition
cellulaire, thèse de médecine, Paris, 1924. Refusée tout d’abord, la thèse
n’a pu être soutenue que grâce à l’intervention du professeur Charles
Richet.
5. Notamment L’Art d’agir par suggestion, sur soi, sur autrui, action de
la pensée dans les profondeurs du corps pour guérir les maladies
organiques, Paris, Éditions de l’Institut de médecine naturelle, 1923 et
La Curementale, pour guérir les maladies sans médicaments, par
l’emploi raisonné des forces naturelles qui sont en nous, Paris, Éditions
de l’Institut naturiste, 1930.

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6. Henri Durville édite de nombreux ouvrages consacrés au naturisme, à


la médecine psychique et à l’occultisme. Il dirige une société « secrète » à
caractère initiatique, l’Ordre eudiaque.
7. H. Durville, La Médecine psycho-naturiste, Paris, Éditions Henri
Durville, Bibliothèque eudiaque, 1928. Leurs emprunts au système
cartonien n’empêchent pas les frères Durville d’être affublés de
qualificatifs peu aimables par le médecin de Brévannes.
8. Publicité pour Physiopolis, régulièrement publiée dans la revue
Naturisme à partir d’octobre 1930.
9. S. Villaret, L’Évolution du naturisme..., op. cit., p. 385.
10. C. Candiani, « Un Voyage à l’île naturiste de Villennes », Naturisme,
30 octobre 1930, p. 5. Ce chiffre est probablement exagéré. Sylvain
Villaret avance celui de 1 137 adhérents en 1933, sans toutefois préciser
sa source (/.’Évolution du naturisme.... op. cit., p. 386).
11. Naturisme, 6 novembre 1930, p. 12.
12. S. Villaret, L’Évolution du naturisme..., op. cit., p. 414-418.
13. Encart publicitaire pour Physiopolis publié par Naturisme, à partir
d’avril 1933.
14. A. Rauch, «  Les Vacances et la Nature revisitée (1830-1939)  », A.
Corbin (dir.), L’Avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, 1995, p. 83-117.
Sur le développement des congés payés en France, à partir de 1919 : J.-C.
Richez et L. Strauss, « Un temps nouveau pour les ouvriers : les congés
payés ( 1930-1960)  », ibidem, p. 376-378. La précocité de l’octroi des
congés payés aux employés et aux ouvriers en Allemagne est
probablement autant responsable de la prospérité des associations
naturistes qu’un rapport particulier à la nature inscrit dans la culture
germanique.
15. A. et G. Durville, Fais ton corps, Paris, Éditions de Naturisme, s. d.
[probablement 1936 ou 1937], p. 8-9, 31 et 33.
16. Chap. 2  : «  La forme humaine normale  », ibidem, p. 69-93. Sur
l’émergence de ce nouveau modèle corporel depuis la fin du xixe siècle :
G. Andrieux, Force et beauté, histoire de l’esthétique en éducation
physique aux xixe et xxe siècles, Taience, 1992 et G. Vigarello, Le Sain
et le malsain..., op. cit., p. 271-277.
17. A. et G. Durville, Fais ton corps, op. cit., p. 24 et chap. 3  : «  La
femme de demain aura une forme athlétique », p. 95-117.
18. Ibidem, p. 7 et 29.
19. G. L. Mosse, L’Image de l’homme. L’invention de la virilité moderne,
Paris, 1997, notamment p. 113- 155. Cette hypothèse doit être nuancée.
Eugen Weber, qui constate également que le modèle athlétique se diffuse
dans les années trente, souligne néanmoins que les couches moyennes et
populaires commencent à utiliser des produits de beauté et à fréquenter
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des salons de coiffure ou de manucure, pratiques autrefois réservées à la


bourgeoisie (La France des années 30. Tourments et perplexités, Paris,
1995, p. 83-86).
20. A Prost, les Anciens combattants et la société française, 1914-1939,
vol. 3 : Mentalités et idéologies, Paris, 1977, p. 19-24.
21. S. Audoin-Rouzeau et A. Becker, 14-18, retrouver la guerre, Paris,
Gallimard, 2000, p. 270.
22. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de faire du naturisme une forme de
totalitarisme. L’un et l’autre se fondent sur des systèmes de valeurs
opposés et recourent à des formes d’action qui ne peuvent être
comparées.
23. M. Cluet, La « Libre culture »..., op. cit., p. 23-135 et G. L. Mosse,
L’Image de l’homme..., op. cit., p. 29-43.
24. André G., entretiens du 5 mars et du 2 juillet 1998.
25. Marcel Kienné de Mongeot est né en 1897. Il dirige l’Académie de
culture physique du parc Monceau, à Paris, fréquentée par un public
choisi. Marcel Viard est né en 1884. Ancien disciple du Dr Carton, il a été
médecin-chef de l’Institut psycho-naturiste d’Henri Durville, au début
des années vingt.
26. M. Kienné DE Mongeot, « Notre but », Vivre, Culture physique et
mentale. Hygiène - sports, Arts et Sport, 15 mars 1926, p. 1.
27. « À nos lecteurs », Vivre...,15 avril 1926, p. 9.
28. Siègent ainsi dans le Comité d’honneur de Vivre 15 médecins, un
prince, un comte et un marquis, deux universitaires, un officier et le
rédacteur des chroniques mondaines du Figaro (liste des membres du
Comité d’honneur de Vivre dans Vivre intégralement, septembre 1927,
p. 2).
29. Par exemple, F. Fougerat de David de Lastours, « Les Bienfaits de
l’insolation  », Vivre, 15 mars 1927, p. 12-13 et «  La Lumière et la
vie »,Vivre intégralement, 15 avril 1927, p. 7-8 ; M. Didier, « Bain d’air -
bain de soleil », ibidem, p. 6-7 et « Le Bain froid », ibidem, 15 juin 1927,
p. 7-8.
30. M. Kienné de Mongeot, « De la Nudité. À propos du procès de M.
Malkovski  »,Vivre intégralement, 15 février 1927, p. 3-5. En réalité,
Malkovski était apparu vêtu d’un slip et d’un costume d’indien.
31. M.Kienné de Mongeot, «  De la Nudité (suite)  », Vivre
intégralement, 15 mars 1927, p. 3.
32. Ibidem, p. 4.
33. Après que des fonctionnaires de la préfecture et du ministère de
l’Intérieur leur eurent dit, en avril 1929, qu’ils étaient déterminés à
employer tous les moyens légaux pour empêcher l’implanta tion du

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nudisme en France, les Durville ont interdit la pratique de la nudité


intégrale dans leurs centres.
34. Dans sa thèse de médecine, le docteur Fougerat, vice-président de la
Ligue Vivre, tente de justifier la nudité intégrale en démontrant que le
port d’un cache-sexe réduit le bénéfice de l’insolation dans une
proportion bien supérieure à la surface couverte (F. Fougerat de David
de Lastours, L’Homme et la lumière, contribution à l’étude de
l’insolation, moyen de traitement et d’hygiène, thèse de médecine, Paris,
1925, p. 112). Il s’agit là, cependant, d’un argument marginal, très
rarement repris par les défenseurs du nudisme.
35. M. Kienné de Mongeot, « De la Nudité (suite) », op. cit., p. 4.
36. Ces réponses sont publiées sous la rubrique «  Quelles sont vos
opinions, vos idées ? » entre avril 1927 et octobre 1928.
37. M.Didier, « La Mise en pratique de la nudité », Vivre intégralement,
août 1927, p. 8.
38. M. Didier, « La Mise en pratique de la nudité », Vivre intégralement,
septembre 1927, p. 5-6.
39. M. Kienné de Mongeot, «  Ce que nous sommes et ce que nous
voulons  », Bulletin de la Ligue Vivre, p. 3, inséré dans Vivre
intégralement, 15 janvier 1929.
40. « Activités de la Ligue »,Vivre intégralement, 15 juillet 1929, p. 11.
41. « Vivre à Lyon »,Vivre intégralement, 15 octobre 1929, p. 7.
42. M. Kienné de Mongeot, « Force et beauté »,Vivre..., 15 août 1926, p.
2 et 3.
43. Par exemple « Le Culte du Nu en Allemagne », Vivre intégralement,
15 mai 1927, p. 10 ou «  Un Témoignage intéressant  » (courrier d’un
lecteur qui a pratiqué le nudisme dans un centre près de Hanovre), Vivre
intégralement, septembre 1927, p. 13.
44. Les naturistes ne font ici qu’employer des expressions banales à cette
époque et montrer implicitement qu’ils partagent les préjugés dominants
de leur temps. Bien évidemment, ces termes ne reflètent en rien notre
propre opinion et nous ne les employons qu’avec toute la distance
critique nécessaire.
45. P. Morand cité par H.Nadel, Devons-nous vivre nus  ?, t. 2  : La
Nudité et la santé, Vivre intégralement, hors série n° 4, 1929, p. 24.
46. G. Gézéquel, «  Notre enquête en Afrique, les noirs de la région du
Kasaï », Vivre intégralement, 1er septembre 1931, p. 7.
47. F.Fougerat de David de Lastours, Hygiène, nudité, soleil aux
colonies. Trois communications à la société de médecine et d’hygiène
tropicale, Paris, Vigot, Association gymnique de France, 1932, p. 19 et 3.

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48. L.Pauthault, «  La Peau du civilisé est un organe atrophié  », Vivre


intégralement, 15 novembre 1928 p. 8-9.
49. F. Fougerat de David de Lastours,Hygiène, nudité..., op. cit., p.
23.
50. A. Guirel, « Le Naturisme condition essentielle de la vie coloniale »,
Vivre intégralement, 1er septembre 1929, p. 10.
51. «  Notre enquête en Afrique, de quelques coutumes  »,Vivre
intégralement, 15 août 1931, p. 7.
52. Haardt etAudoin-Dubreuil cités par H.Nadel, La Nudité et la
santé, op. cit., p. 24.
53. J. Duvivier, « Faut-il habiller les sauvages ? », Vivre intégralement,
15 septembre 1929, p. 10-11.
54. Lettre du docteur Pathault, «  Quelles sont vos opinions, vos
idées ? »,Vivre intégralement, juin 1927, p. 9.
55. Annuaire de la Presse française et étrangère et du monde politique,
t. 45, Paris, 1927, p. 802 et t. 47, Paris, 1929, p. 630.
56. M.Kienné de Mongeot,La Nudité, ses bienfaits esthétiques,
physiologiques, moraux et sociaux, Vivre intégralement, hors série n° 1,
1928  ; P. Vachet, La Nudité et la physiologie sexuelle, hors série n° 2,
1928 ; H.Nadel, Devons-nous vivre nus  ?, t. 1  :La Nudité à travers les
âges, hors série n° 3, 1929 ; t. 2 : La Nudité et la santé, op. cit.-, t. 3 :La
Nudité et la morale, hors série n° 5, 1930.
57. Pour la seule année 1929, l’album de presse de Kienné de Mongeot
contient 140 coupures d’articles sur le nudisme - favorables ou hostiles -
parus dans des journaux français et belges (non compris les encarts
publicitaires et les programmes de conférences).
58. APP  : Ba 2242. Cette interdiction a probablement contribué à
l’abandon du titre La Vie sage par les Durville. La revue Naturisme qu’ils
font paraître à partir de 1930 ne publiera plus de photogra phies de nus
et ne sera pas interdite d’exposition.
59. La Revue des lectures, de l’abbé Bethléem, est le fer de lance de cette
offensive à laquelle participent, notamment, Le Relèvement social
(octobre 1928 et avril 1929), L’Enfant et la femme (1er mai 1929), La
Croix (18 juin 1929) et Le Prêtre et la famille (novembre-décembre
1929). Le Bulletin de la société médicale de Saint-Luc, Saint-Côme,
Saint-Damien, organe de l’association des médecins catholiques,
participe également à la dénonciation du nudisme (juin et juillet-août
1930, janvier 1934).
60. Par exemple : M. Kienné De Mongeot, « De l’Eau à notre moulin »,
Vivre intégralement, 15 février 1930, p. 3 ; « M. Pourésy démasqué par
lui-même », 1er août 1930, p. 3-4 ; « Le Balayeur public », 15 juillet 1931,
p. 3.
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61. 1930 : à Beauvais, Belfort, Bruxelles, Dijon, Lyon, Marseille et Saint-


Etienne ( Vivre intégralement, 15 avril 1930, p. 12). 1932  : à Bordeaux,
Clermont-Ferrand, Loumède (Var), Lyon, Marseille (deux groupes),
Nice, Périgueux, Roubaix, Reims, Royan, Strasbourg et Toulon pour la
métropole ; à Alger, Casablanca, Oran et Tunis pour l’Afrique du Nord ; à
Anvers, Barcelone, Bruxelles (deux groupes), Gand, Le Pirée, Liège, New
York et au Portugal pour l’étranger (Vivre intégralement, 1er mai 1932, p.
13).
62. R. Salardenne, Le Nu intégral chez Us nudistes français, reportage
dans Us principaux centres, Paris, Prima, 1932, p. 41.
63. A Colin, L’erreur de la médecine, pour ceux qui veulent comprendre
et guérir, Nice, 1933 et Le Retour à Hippocrate, Paris, Fasquelle, 1938 ;
J. Poucel, La Joie d’être sain, le naturisme et la vie, Paris, Baillière,
1933.
64. Abbé Andreu, La Santé jusqu ‘à cent cinquante ans et plus par le
naturisme et le spiritualisme. Hébé ou la Vraie Jouvence, Paris, Éditions
du Cercle social, 1930  ; Dr Mendel, La Remarquable action théra
peutique des grains de blé trempés, naturisme et homéopathie. Vannes,
1929  ; Henry Duprat,Médecine homéopathique et médecine naturiste,
Paris, Maloine, 1931.
65. Guide naturiste, Paris, 1933, p. 61.
66. Guide naturiste, op. cit., p. 54 et IFHS  : Archives Armand, 14 AS
2118.
67. Publicité insérée dans Le Naturiste, Coopération, Biocosmie, Culture
générale, n° 2, 25 juillet- 25 septembre 1934, 4e p. de couv.
68. Régénération, janvier 1933, p. 20 et Guide naturiste, op. cit., p. 47.
69. Naturisme, 28 mai 1931, p. 10 et 12 novembre 1931, p. 10.
70. Naturisme, 5 novembre 1931, p. 13  ;25mai 1933, p. 13  ;22 juin
1933,p. 13 et Guide naturiste, op. cit., p. 51.
71. Naturisme, 6 novembre 1930, p. 12 (le supplément pour l’inscription
à la Section nautique de Physiopolis s’élève tout de même à 300 F)  ;
Guide naturiste, op. cit., p. 53 ; Régénération, janvier 1929, 2e p. de couv.
72. Guide naturiste, op. cit., p. 45 ;Vivre intégralement, 1er mai 1931, 2e
p. de couv.
73. É. Bailly, M. Fuszka et M.Jourd’heuil, «  Création d’un foyer
naturiste  », Naturisme, 10 décembre 1931, p. 5 et Guide naturiste, op.
cit., p. 51.
74. «  Statuts et buts du Foyer naturien  », L'Action naturienne, revue
internationale de progrès humain, paix, santé, bonheur, organe du
Foyer naturien, Société de rééducation individuelle psycho-physique, n°
1, novembre 1936, p. 7 (unique numéro de la revue).

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75. Ibidem, p. 6.
76. Guide naturiste, op. cit., p. 28.
77. M. Fuszka, Communisme et naturisme, Paris, La Brochure
mensuelle, 1932, p. 7.
78. Le Naturiste, Coopération, Biocosmie, Culture générale, juin 1934,
p. 15.
79. G. Lefranc,Histoire du Front populaire, Paris, 1974, p. 480.
80. Statuts de l’association «  La Vie saine  », société naturiste du Sud-
Est, déposés le 1er juillet 1933 à la préfecture du Rhône (Archives
départementales du Rhône : 4M636).
81. Ibidem.
82. Naturisme, 9 février 1933, p. 13 et 6 décembre 1934, p. 13.
83. L.-Ch. Royer, Au Pays des hommes nus, Paris, Éditions de France,
1929, p. 10. L’enquête a d’abord paru sous forme de feuilleton dans
l’hebdomadaire Gringoire. L’auteur avait publié auparavant un roman
léger. La Maîtresse noire (Paris, Éditions de France, 1928), diffusé à
15 000 exemplaires.
84. Ibidem, p. 198-201.
85. R.Salardenne, Le Culte de la nudité (sensationnel reportage chez
les naturistes allemands), Paris, Prima, 1929. Parmi ses romans
précédents  : Pépita, danseuse nue (Paris, Prima, collection gauloise,
1926), L’Île aux femmes nues (Paris, Prima, collection gauloise, 1927), La
Vénus des sleepings (avec René Virard, Paris, Prima, 1927).
86. R. Salardenne, Le Culte de la nudité..., op. cit., p. 92-93.
87. R.Salardenne, Un Mois chez les nudistes, nouveau reportage en
Allemagne, Paris, Prima, 1930, p. 161.
88. R. Salardenne, Le Nu intégral chez les nudistes français..., op. cit.,
p. 136-137.
89. L.-M. Ferré, Ce qu’il faut savoir du naturisme, Paris, Maloine, 1935,
p. 6. Cette brochure reprend une série d’articles publiés par le journal
L’Auto durant l’été 1932.
90. L’expression « semi-nudisme » est employée par Louise-Marie Ferré
(ibidem, p. 22-23). Celle de «  nudité sub-totale  » revient fréquemment
dans la littérature des frères Durville dans le courant des années trente.
91. Ibidem, p. 41-54.
92. A. Roc, A.B.C. naturiste, Paris, Le Livre et l’image, coll. «  La
Caravelle », 1936, p. 43-46.
93. P. Carton, Le faux Naturisme..., op. cit., p. 80-81.

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94. Ch.-A. Bontemps, « Dirons-nous : Naturisme ou Nudisme ? », Vivre


intégralement, 15 novembre 1931, p. 3.
95. J. Levert, Nudisme et volupté, Paris, Édition du Sans écu, coll. du
«  Libertin  », 1929  ; anonyme, Nudisme et paysages, 32 photographies
artistiques d’après nature, Paris, Prima, 1930 ; H. Kover, Odette fait du
naturisme, Paris, Prima, coll. gauloise, 1930  ; M. Vigier, Le Monsieur
tout nu, ou le naturiste ingénu, Paris, Prima, 1931.

© Presses universitaires de Rennes, 2004

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BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre XII. Le naturisme, entre régénération et
loisirs In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la nature [en
línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004 (generado el 03
décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22891>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22891.

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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
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Histoire du naturisme

Le mythe du retour à la nature


Arnaud Baubérot

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Presses
universitaires
de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Chapitre XIII. Le
nudisme, entre
régénération et
transgression
p. 309-328

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Nudisme, eugénisme et hygiène sociale


1 Nous avons vu précédemment que la constitution de la Ligue
Vivre et le débat en son sein sur la question de la nudité
étaient intimement liés au désir de ses fondateurs de
déborder le sujet de la régénération individuelle pour
s’engager sur le terrain de la lutte contre la « dégénérescence
de la race  ». Fruit «  de son oisiveté physique et de son
ignorance en ce qui concerne son alimentation  », ce déclin
de la race se mesure au nombre d’ajournés lors des conseils
de révision, autant que par le constat d’une dépopulation
aggravée par la naissance d’un grand nombre d’enfants
dégénérés1.Dans ses éditoriaux, Kienné de Mongeot dénonce
à l’envi l’incurie des responsables nationaux, incapables de
mettre en œuvre une véritable politique sanitaire et qui
laissent la race dégénérer sous l’influence de conditions de
vie non hygiéniques. Pis encore, s’indigne-t-il, l’État accélère
le processus morbide en encourageant les jeux et la
consommation de tabac et d’alcool2. Il en appelle alors à une
prise en charge étatique du corps par l’éducation physique
obligatoire, la construction de stades et de salles
d’entraînement, une «  dictature de l’hygiène et de
l’éducation physique » et des « réformes sociales basées sur
les besoins physiologiques des populations3  ». Ces
revendications, apparentées à un eugénisme que l’on peut
qualifier de public et autoritaire4- par opposition à un
eugénisme privé et libéral —, constituent toutefois des lieux
communs du militantisme en faveur de l’éducation physique.
Par ailleurs, la conviction que le «  relèvement de la race  »
s’obtiendra par la culture physique, l’exposition au soleil et
de saines conditions d’existence s’inscrit pleinement dans la
continuité de l’eugénisme positif que défendent les milieux
hygiénistes et naturistes depuis la fin du xixe siècle.
2 Toutefois, pour Kienné de Mongeot, la responsabilité de la
dégénérescence et de la «  régénérescence  » n’incombe pas
uniquement à l’État. L’individu qui néglige son corps
participe au déclin de la race et compromet la qualité

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biologique des générations futures. Au nom de cette


conception, liée à la permanence de la croyance en l’hérédité
des caractères acquis parmi les eugénistes français5, Kienné
de Mongeot s’en prend violemment à ceux qui, sous le
couvert du vêtement, abandonnent leur corps à la décadence
par une vie sédentaire et sans exercice et accélèrent ainsi le
processus de dégénération. La campagne menée par Vivre en
faveur du nudisme s’inscrit dans la logique de ce discours
eugénique. Au plan individuel, tout d’abord, la dénudation
est conçue, conformément à la tradition hygiéniste classique,
comme un moyen de faciliter l’exercice physique, d’exposer
le corps aux éléments naturels et de préserver ainsi sa santé.
Au plan collectif, ensuite, elle s’apparente à une véritable
« confession physiologique » en ce qu’elle dévoile au regard
d’autrui la quantité et la qualité des efforts réalisés pour
l’entre tien du corps :
« Supposez que demain soit votée une loi rendant la nudité
obligatoire. Quel triomphe pour le Naturisme qui est une
haute morale physiologique ! Tout de suite il serait observé
intégralement par tous. Le professeur de culture physique
remplacerait le tailleur et le couturier, et le marchand de
produits de beauté céderait la place au médecin-hygiéniste
qui élaborerait la composition des menus, dans lesquels
n’entreraient que des aliments propres à la conservation de
la fraîcheur du teint et de la santé de la peau que seul le
soleil "maquillerait" [...]. La sobriété, la frugalité, l’activité, la
modération en nos besoins seraient à la base de nos
moindres désirs de paraître et de plaire6 ! »

3 Exposer son corps nu, c’est le soumettre à la comparaison et


lui voir attribuer une place dans une hiérarchie des corps
fondée sur la vigueur et la beauté. L’émulation qui s’instaure
invite alors à la construction et à l’entre tien de soi. Dans le
même ordre d’idées, un certain Boniface, membre de
l’association des Naturistes lyonnais, affirme que « l’homme
nu rougit vite de ses difformités, laideurs, imperfections
physiques et, pour les faire disparaître, les atténuer ou les
compenser, il se soumet à d’efficaces disciplines, qui
améliorent et régénèrent tout son être, ce dont la masse,
fatalement, infailliblement, à mille points de vue, profite7  ».
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À ces arguments, qui ne peuvent suffire à démontrer la


nécessité de se dénuder intégralement, les partisans du
nudisme ajoutent parfois des considérations plus inédites
dans les milieux naturistes. La « confession physiologique »
à laquelle invite la nudité collective est «  doublée d’une
confession morale car la chair porte les stigmates du vice8 ».
Exposer son corps nu, c’est donc aussi le livrer à un contrôle
sans faille, à la recherche des traces que laissent les maladies
infamantes — et plus particulièrement la syphilis, qui reste
une préoccupation sociale majeure dans les années trente.
Le nudisme permet alors de choisir son futur conjoint en
connaissance de cause. Il protège l’individu du risque qu’une
disgrâce ou qu’une tare cachée, congénitale ou acquise,
n’ajoute sa descendance au rang des dégénérés. Il encourage
les unions eugéniques et, en révélant les défauts invisibles,
permet d’écarter les individus dysgéniques de la procréation.
Si cet argument est rarement employé pour justifier la
pratique du nudisme, il témoigne néanmoins de la sensibilité
de la Ligue Vivre à la diffusion des thèses de l’eugénisme
négatif à la fin des années vingt9. La volonté de rompre le
cycle de l’hérédité morbide en empêchant la transmission
des tares aux générations suivantes conduit un certain
nombre de médecins à militer en faveur de l’établissement
d’un examen médical prénuptial obligatoire. Dès la fin de
l’année 1928, la Ligue s’engage en faveur de cette initiative10.
4 L’engagement actif de la Ligue en faveur du nudisme et de
l’eugénisme s’accompagne d’une modification sensible de
son orientation et de son mode d’organisation. Sa critique
des mentalités dominantes et sa contestation des normes
morales ont attiré à Kienné de Mongeot le soutien de milieux
qui militent en faveur d’une réforme des mœurs en matière
de sexualité. En mars 1929, il s’adjoint les services d’Eugène
Humbert, militant libertaire et néo-malthusien, pour le
seconder dans ses différentes activités et encadrer le
personnel employé par Vivre11. À la fin de l’année, il engage
le publiciste libertaire Charles-Auguste Bontemps en qualité
de rédacteur en chef de Vivre intégralement et de secrétaire
à la propagande de la Ligue Vivre. En 1930, le docteur Pierre

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Vachet, professeur à l’École de psychologie, traducteur des


travaux du sexologue allemand Magnus Hirschfeld et
membre du Comité d’honneur de la Ligue Vivre12, devient le
directeur médical du Sparta-Club. La même année, tous trois
participent à la fondation de l’association néo-malthusienne
de tendance libertaire « Pro Amore », Ligue de régénération
humaine. Affiliée à la Ligue mondiale de la réforme sexuelle
que président les sexologues Auguste Forrel, Magnus
Hirschfeld et Havelock Ellis, « Pro Amore » est placée sous
la présidence d’honneur du romancier Victor Margueritte13.
Pierre Vachet en est le président et Eugène Humbert le
secrétaire général. Charles-Auguste Bontemps siège dans
son Comité de patronage en compagnie, notamment, des
docteurs Madeleine Pelletier et Axel Proschowsky qui
participeront, en 1934, à la fondation de l’Union naturiste de
France.
5 La référence au naturisme et à la «  culture mentale  »
disparaît progressivement des colonnes de Vivre
intégralement au profit d’un engagement plus marqué de la
revue en faveur de l’hygiène sociale, de l’eugénisme et de
l’éducation sexuelle. L’ascendant que tendent à prendre les
militants libertaires et néo-malthusiens au sein de la Ligue
conduit à un bouleversement de son organisation.
Catholique intransigeant et professant des idées
conservatrices, le docteur Fougerat de David de Lastours,
vice-président de Vivre, entre en conflit avec Kienné de
Mongeot et son entourage à la fin de l’année 1929. En janvier
1930, la revue Vivre intégralement se sépare officiellement
de la Ligue. Au mois de juillet, la plupart des membres du
bureau et du Comité d’action de Vivre démissionnent,
abandonnant sa direction à Fougerat et à quelques
personnes qui le suivent. En septembre 1930, celui- ci
abandonne le nom de Vivre et transforme la Ligue de
régénérescence physique et mentale en association Vie et
lumière, ligue gymnique d’hygiène sociale. Le docteur
Marcel Viard, qui a démissionné de la présidence de la Ligue
en juillet, prend ses distances avec le mouvement nudiste et
se consacre désormais à l’association Calme et santé qu’il a

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fondé l’année précédente14. Kienné de Mongeot, de son côté,


a constitué l’association des Amis de Vivre, «  association
culturiste d’études et de propagande pour l’hygiène sociale,
physique et mentale », qui reprend le nom de Ligue Vivre à
la fin de l’année 1930 et conserve l’essentiel des adhérents de
l’ancienne ligue.
6 À l’issue de ces péripéties, l’organisation du mouvement est
profondément remaniée. Les groupements nudistes de
province et le Sparta-Club ne sont plus directement
rattachés à la Ligue, mais rassemblés au sein d’une
Fédération des centres gymniques autonomes dirigée par
Kienné de Mongeot. Chaque section est juridiquement
autonome, ce qui permet de protéger la Fédération et sa
direction des poursuites judiciaires que pourrait susciter
localement la pratique du nudisme. La nouvelle Ligue Vivre,
quant à elle, se consacre entièrement à la promotion de
l’hygiène sociale et n’encourage le nudisme que comme un
moyen particulier de mettre en œuvre son programme15,
s’assurant ainsi une certaine respectabilité. Les colonnes de
la revue Vivre intégralement et le comité directeur de la
Ligue s’ouvrent alors à des personnalités qui militent en
faveur de l’hygiène sociale, de l’eugénisme et de la réforme
sexuelle - comme le professeur Charles Richet, les docteurs
Laignel-Lavastine et Toulouse ou le sénateur radical-
socialiste Justin Godart - et qui ne pratiquent pas pour
autant le nudisme. En janvier 1931, Kienné de Mongeot
fonde la revue Vouloir, paix, travail, santé, revue
indépendante d’action sociale et politique, dans laquelle il
offre une tribune aux ténors de l’hygiénisme, de
l’abolitionnisme, du pacifisme et de l’unité européenne.
Toutefois, après sept numéros, la revue cesse de paraître
faute de lecteurs. En juillet de la même année, Kienné de
Mongeot, Vachet, Bontemps et Humbert sont invités à siéger
dans le Comité central de l’Association d’études
sexologiques, fondée par Edouard Toulouse et Justin Godart
- alors ministre de la santé publique — dans le but d’étudier
«  les problèmes de la sexologie et de leurs rapports avec la
vie sociale16  ». En 1932, la Ligue prend le nom

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d’Organisations sociales «  Vivre  » pour la culture de


l’individu et la propagande de l’hygiène physique et mentale
et se donne pour objectif de « créer un mouvement d’opinion
publique, en faveur de la santé physique et mentale, capable
d’obliger le Gouvernement, le Parlement, les
Administrations publiques et privées à assurer la protection
contre les maladies, la sécurité de la vie des citoyens et de
leurs familles  ». À cela les Organisations sociales «  Vivre  »
associent un certain nombre de mesures concrètes :
«  La protection des écoliers - la suppression des taudis - la
protection des filles-mères - la création d’habitations claires
et aérées, dans lesquelles serait abondamment distribuée
l’eau potable - l’ouverture dans chaque commune de stades
de plein air comprenant un nudarium réservé aux bains de
soleil et d’air, à la culture physique, aux jeux et aux sports -
la création dans les grandes villes de piscines publiques
saines  ; dans les petites, d’établissements de douches, et
dans toutes, de restaurants populaires vendant une
alimentation saine - la lutte contre la fraude scandaleuse
dans la prépara ion des denrées alimentaires et contre la
spéculation sur les produits de première nécessité -
l’organisation de cours d’éducation sexuelle et d’hygiène
préventive17. »

7 Marcel Kienné de Mongeot, par ailleurs, adhère au Parti


social de la santé publique - «  sorte de lobby hygiéniste
d’obédience radicale18  » fondé en 1929 par Justin Godart,
dans le but de constituer un groupe de pression en faveur de
l’hygiène sociale et de l’eugénisme — dont il sera le candidat
à Paris, aux législatives de 1932. Enfin, la publication, en
1936, de l’ouvrage d’Alexis Carrel, L’Homme, cet inconnu,
est accueillie avec enthousiasme par les membres de Vivre
qui affirment trouver dans les propos du prix Nobel la
confirmation de leurs thèses19.
8 L’évocation des méfaits de la modernité et des fléaux sociaux
— thèmes classiques du discours sur la dégénérescence —
justifie l’insistance avec laquelle les promoteurs du nudisme
réclament des mesures en faveur de l’eugénisme et une vaste
politique de santé publique. La Grande Guerre, cependant,
fournit un autre argument pour dénoncer le caractère

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néfaste de la civilisation au nom de laquelle, «  de 1914 à


1918, des millions d’hommes se sont exterminés
impitoyablement20  » et exiger des réformes profondes et
énergiques. D’une grande banalité, ce discours n’en repose
pas moins sur des expériences très concrètes. Le docteur
Marcel Viard fut ainsi «  obligé par son état de santé à
s’installer en banlieue » en 1913. Pendant la guerre, captif en
Allemagne, il dut lutter contre une violente épidémie de
typhus dans son camp de prisonniers21. Le docteur Fougerat
de David de Lastours affirme qu’après avoir été gazé en 1917,
à l’âge de 21 ans, et considéré comme incurable, il fut sauvé
par l’héliothérapie22. Kienné de Mongeot, pour sa part,
perdit son père, frappé par la tuberculose, une sœur
emportée par une infection pulmonaire, une autre sœur et
un frère, touchés par la méningite. Lui- même, d’une santé
fragile, dut être élevé à la campagne. Pendant la guerre, ses
deux autres frères furent touchés, l’un blessé, l’autre tué en
Champagne. Né en 1897, il fut lui-même mobilisé et blessé23.
Ces expériences sont communes pour les hommes de cette
génération, de même que le scepticisme qu’elles suscitent à
l’égard des bienfaits de la civilisation et du progrès. Par
ailleurs, la conviction que des souffrances du conflit naîtrait
un ordre social régénéré, source de paix et d’harmonie entre
les hommes et entre les nations, s’est heurtée aux réalités
plus prosaïques de l’après-guerre. Les problèmes sociaux et
économiques du début des années vingt, la persistance des
inquiétudes liées à la tuberculose, à la syphilis ou à la
dénatalité semblent alors révéler l’incapacité des pouvoirs
publics à prolonger dans le domaine social et sanitaire le
volontarisme politique et militaire affirmé en temps de
guerre. De ce constat découle un sentiment de frustration
qui tient probablement une place essentielle parmi les
raisons qu’ont ces jeunes anciens combat tants de rechercher
dans le naturisme et dans le nudisme un moyen d’assurer le
salut de l’individu et de la société. La Ligue Vivre et son
programme de régénération participeraient alors d’un
mouvement plus vaste qui émerge à la fin des années vingt et
traduit, dans différents domaines, les déceptions qui ont

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suivi le retour à la paix. À partir de l’exemple des Jeunes-


Turcs du Parti radical, Serge Berstein a montré que ce
phénomène, classiquement désigné comme caractéristique
de « l’esprit des années trente », était en réalité le fruit d’une
crise intellectuelle et morale qui apparaît dès le milieu des
années vingt. Cette crise est le propre d’une génération pour
qui la Grande Guerre a révélé l’impuissance des valeurs
morales et intellectuelles de ses aînés à empêcher le conflit et
qui, passée l’euphorie de la victoire, constate avec
consternation que les cadres idéologiques, politiques,
économiques et sociaux d’avant 1914 perdurent24. La remise
en cause de ces cadres et la recherche de voies nouvelles
suscitent, à l’aube des années trente, l’émergence de
courants de pensée qui tous aspirent à la fois à une
régénération morale et à une profonde réforme des modes
d’intervention de l’État dans la société25. Le programme de la
Ligue Vivre, sa virulente contestation de la morale
traditionnelle et sa revendication d’une intervention ferme
de l’État en matière d’hygiène sociale constitueraient alors
une expression différée des attentes nées de la Grande
Guerre, expression que favorise le climat intellectuel et
moral de la fin des années vingt et du début des années
trente. Toutefois, l’appel à une action publique énergique ne
conduit pas Kienné de Mongeot et son mouvement à céder à
la tentation d’un régime autoritaire. Le programme des
Organisations sociales «  Vivre  » l’affirme explicitement  :
«  Nous repoussons la dictature du fascisme et du
communisme ; le succès de notre action étant tributaire d’un
programme politique fait de liberté, de solidarité, de
tolérance et de paix26.  » Leur idéal poli tique reste
finalement imprégné de valeurs libérales et humanistes et,
en définitive, relativement proche de celui de la mouvance
radicale à laquelle appartiennent la plupart des ténors du
réseau de personnalités qui militent en faveur de l’hygiène
sociale et de la santé publique.
9 Si la stratégie conduite par Kienné de Mongeot afin de
d’intégrer ce réseau semble avoir réussi, son organisation et
lui-même n’y occupent cependant qu’une position

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marginale. Sa candidature aux élections législatives ne


recueille qu’un nombre insignifiant de suffrages et le
dissuade de s’engager plus avant en politique. En 1932, la
tentative de partager Vivre intégralement en deux
publications distinctes — l’une, trimestrielle, consacrée au
nudisme et aux photographies de nus, l’autre, Nova, santé,
joie, beauté, réservée aux questions d’éducation et d’hygiène
- échoue. N’ayant pas réussi à élargir son lectorat en attirant
un public plus intéressé par son discours social que par le
nudisme, Kienné de Mongeot doit refondre les deux
publications dans une seule et même revue Vivre santé, en
janvier 1934. Enfin, au sein même de son mouvement,
l’engagement en faveur de l’hygiène sociale ne prend ni
l’ampleur ni la forme qu’il avait espérées. Durant toutes les
années trente, Kienné de Mongeot exprime le regret que
pour la majorité des membres et des dirigeants
d’organisations nudistes, la nudité soit un but en soi et non
un moyen de réaliser un programme social plus ambi tieux.
Ainsi, par exemple, les différentes tentatives qu’il mène pour
inciter les sections locales de Vivre à s’engager dans l’action
municipale ne semblent pas aboutir à des réalisations
concrètes27.

Nudisme et contestation des normes de


pudeur
10 L’engagement nudiste en faveur de l’eugénisme se joue au-
delà de la question de la vigueur corporelle et des enjeux de
la procréation. Le processus de dégénérescence n’est pas
simplement ressenti comme la menace d’un étiolement des
corps que la culture physique, l’exposition au soleil et une vie
hygiénique suffiraient à raffermir. Les conditions de la vie
moderne, la frénésie des cités industrielles et, surtout, le
poids et la complexité des codes sociaux et des normes de
civilité guettent les défaillances de l’esprit humain,
plongeant la civilisation entière dans la «  dégénérescence
mentale  » et son cortège de maladies nerveuses. Le
sentiment d’une dégradation croissante des mœurs que la
morale traditionnelle ne parvient pas à endiguer renforce
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également la crainte du déclin. Plus encore, il semble aux


promoteurs du nudisme que l’on ne peut nier la
responsabilité de cette morale, qui a jeté l’opprobre sur tout
ce qui touche au sexe, dans la multiplication des vices et des
perversions. Dans sa brochure consacrée à La Nudité et la
physiologie sexuelle, le docteur Vachet s’attache à mettre à
jour le lien entre l’encadrement de la sexualité par les
normes de pudeur et les troubles mentaux qui mena cent
l’individu. « Il ne faut pas en douter, affirme-t-il, l’éducation
de la pudeur, qui fait attacher une idée de péché à la nudité,
a pour résultat le plus certain de créer des perversions
sexuelles chez l’être humain.  » La rela ion ingénue des
enfants à la nudité prouve d’ailleurs, selon lui, le caractère
éminemment artificiel de la pudeur. Finalement, loin d’être
un senti ment naturel de l’homme et une valeur universelle à
toute société humaine, «  la pudeur est uniquement une
notion acquise et inculquée par une éducation ridicule et
néfaste  », une invention délibérée, imposée à la civilisation
occidentale dans un but de refoulement du corps. Et le
docteur Vachet d’ajouter que «  pour avoir méconnu la
beauté et la grandeur de l’amour qui crée la vie et pour avoir
inventé le péché originel, le christianisme a conduit
sûrement ses adeptes vers la dégénérescence physique28  ».
Animée d’un antichristianisme encore plus virulent, Jeanne
Humbert s’exclame  : «  Ce qui nous paraît indécent à nous,
c’est l’idée arbitraire et malsaine qui associe le sexe à
l’obscénité, idée enfantée par les hommes en jupons de cette
fausse religion de crasse physique et morale qui a fait de
l’amour un péché et souillé de flétrissures anathèmes les
organes qui transmettent la vie29... »
11 La contestation de la morale chrétienne et la remise en cause
de la pudeur par le nudisme doivent permettre à l’individu
de se libérer de la honte de son propre corps, de se
débarrasser d’un sentiment de culpabilité générateur de
troubles mentaux et de retrouver une attitude « naturelle »
face au sexe, pour se régénérer psychologiquement. Dans
son enquête, Roger Salardenne évoque ainsi l’exemple d’un
jeune homme venu pour la première fois pratiquer le

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nudisme au Sparta-Club. Encore hésitant, il a gardé un


cache-sexe. Mais ce désir de conserver un dernier rempart à
sa pudeur traduit, selon l’auteur, une timidité maladive.
Ainsi l’homme «  avance gauchement. Il semble gêné, mal à
son aise  ». En revanche, son épouse qui a accepté de se
dévêtir intégralement « marche avec assurance, son allure et
ses gestes sont naturels ». Elle « saute, rit et évolue avec une
aisance parfaite  ». Sèchement admonesté par Kienné de
Mongeot, le jeune homme fini par ôter son cache- sexe.
«  J’observe, commente alors Salardenne, qu’il est moins
gauche que tout à l’heure. Il semble beaucoup plus à son aise
et sa gêne a disparu. Le fait d’avoir eu le courage de retirer
un simple morceau d’étoffe a suffi à vaincre sa timidité30.  »
L’assurance et l’aisance auxquelles accèdent les nudistes
prouvent, selon l’auteur, le caractère naturel de la nudité. A
contrario, le caractère artificiel du sentiment de pudeur se
traduirait par la gêne et le comportement gauche de
l’homme au cache-sexe. Il est ainsi démontré, selon les
partisans du nudisme, qu’en se dépouillant de certains
impératifs moraux inculqués par l’éducation et la société,
l’individu retrouve l’authenticité de son être et se libère des
gênes, des fausses pudeurs et des hontes qui entravent son
existence. Toutefois, à n’en point douter, le rapport de
causalité qui relie la nudité à l’aisance joue également en
sens inverse. Si, selon les nudistes, l’aisance est possible
parce que la nudité ramène à l’authenticité, la nudité n’est
assurément possible que parce que l’aisance, l’absence de
gêne et l’assurance des comportements viennent authentifier
son caractère naturel. En langage plus sociologique, nous
pourrions dire que l’adhésion complète au rôle social que
jouent les nudistes dans le «  nudarium  » - adhésion qui
seule permet l’aisance du comportement - est une condition
nécessaire pour envisager la nudité collective comme une
situation naturelle et, par conséquent, pour pouvoir la
pratiquer en toute innocence31.
12 C’est également dans la relation de l’individu à la nudité
d’autrui qu’est censée intervenir la vertu régénératrice du
nudisme. Entreprise d’éducation sexuelle, celui-ci est un

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remède efficace aux vagabondages de l’imagination et au


«  goût pour la pornographie  » qui découlent de la
dissimulation du sexe32. Pour Roger Salardenne, le nudisme
chasse « l’obsession sexuelle, en accoutumant les hommes à
leur propre nudité et à celle des autres33  ». Il fait taire les
curiosités malsaines qui suscitent l’onanisme ou la
fréquentation des maisons closes et exposent les jeunes gens
à la syphilis et à la dépravation. Pour le naturiste lyonnais
Boniface, le nudisme marque « la fin de l’obsession sexuelle
[qui est la] torture de tant d’hommes et de plus de femmes
encore ». Il « supprime l’affolement sexuel » et « met de la
franchise et de la netteté dans les relations sexuelles34 ». De
même, Jeanne Humbert constate que «  le mystère qui
entoure tout ce qui a trait à la sexualité obsède l’enfant et
éveille très tôt, et anormalement, sa curiosité ». Il lui semble
donc « absolument nécessaire de l’accoutumer, dès son plus
jeune âge, à voir nus, outre des enfants comme lui, ses
propres parents. [...] Il s’habituera, dès lors, à considérer
toutes les parties du corps d’un même regard quiet ». Ainsi,
affirme-t-elle, «  les enfants, en grandissant, gagneront une
franchise sexuelle qui, loin de les pervertir les ramènera, les
maintiendra, dans un bon état d’équilibre  » et leur
épargnera «  les troubles que font naître dans la chair des
adolescents les spectacles libidineux que les gens très
correctement habillés se complaisent à leur donner, soit au
théâtre, soit au cinéma surtout, soit dans leurs infectes
publications, soit dans la rue35  ». Auxiliaire de l’éducation
sexuelle, le nudisme est un moyen d’informer les jeunes
gens, «  pour parer aux fléaux vénériens qui amoindrissent
journellement notre race et qui ont de douloureuses
répercussions sur la progéniture36 ».
13 Exposant aux regards ce qui, caché, devient source
d’obsessions et de pratiques condamnables, le nudisme
prétend enlever à la nudité sa charge érotique, corollaire de
la pudeur et source de dégénérescence. Rendu à sa nudité
naturelle, le corps ne peut plus donc être un objet de
convoitise sexuelle a priori et le centre nudiste, loin d’être le
lieu de la débauche qu’y soupçonnent ses adversaires, ne

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peut être que le théâtre d’une nudité chaste. « L’expérience a


démontré qu’il ne se passe, qu’il ne peut rien se passer
d’immoral dans un centre gymnique  », affirme ainsi Pierre
Vachet. « La nudité en commun impose la sagesse des sens
et le respect de la femme. Même le plus vicieux des hommes
serait incapable de commettre la moindre obscénité dans un
parc nudiste37.  » Or, le caractère non érotique de la nudité
collective ne semble pas si naturel en réalité. Pour le
garantir, le règle ment des centres nudistes organise de
façon précise les conditions du déshabillage, aménage les
espaces et distingue les lieux de nudité des lieux où celle-ci
est proscrite. Dans son reportage, Roger Salardenne se
réjouit de l’existence de vestiaires non mixtes car, estime-t-
il, contrairement à la nudité complète, la «  semi-nudité  »
peut être érotique. « Le vestiaire séparé est donc un système
excellent puisqu’il supprime catégoriquement la possibilité
de pareilles émotions38.  » Au Sparta-Club, le nudisme
intégral se pratique dans une clairière, au milieu d’une partie
boisée du parc. En revanche, la nudité y est interdite dans les
espaces intérieurs (chambres, salle à manger, salons, etc.)
qui, rappelant la vie domestique habituelle, risqueraient de
donner à son caractère incongru une dimension érotique. De
même, le règlement du club menace d’exclusion toute
personne manquant aux règles élémentaires de bienséance
et de civilité. La nudité collective, ingénue et naturelle en
apparence, repose en réalité sur un puissant impératif de
maîtrise de soi qui demande à être appuyée par une
codification précise de sa pratique afin d’éviter tout risque de
manifestation corporelle intempestive.
14 Il semble, par ailleurs, que le jeu des regards ne soit pas
moins implicitement codifié. Louis-Charles Royer, dans son
enquête sur le nudisme allemand, évoque ainsi la gêne qu’a
pu susciter le regard d’autrui sur sa propre nudité et,
inversement, la contemplation de la nudité des autres : « M.
Hugo me présenta. Sans doute ma qualité de Français me
valut-elle des regards plus appuyés. À cette minute, je me
serais senti plus à l’aise, en pantalon de terrassier, à une
réception de la Cour d’Angleterre.  » Un peu plus tard, le

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nudiste néophyte tente de dissiper le malaise qu’il éprouve


en gardant hors de sa vue la cause de ses troubles : « Chaque
fois que mes yeux se portaient à la partie centrale de leur
individu, je les relevais vivement, contemplant le sommet
pointu d’une hutte, tant et si bien que la dame, plus curieuse
que son époux, me demanda bientôt ce qui pouvait
m’intéresser à un tel point à quinze pieds du sol.  » Même
une fois les premières gênes passées, l’aisance ne semble
permise que dans la mesure où un accord tacite entre les
nudistes interdit que l’attention des uns ne se porte trop
explicitement sur la nudité des autres. «  Cependant, peu à
peu, je me familiarisais avec mon état de primitif. Sans
doute, examinait-on avec quelque insistance le nouveau
venu  ; mais c’était visiblement mon visage qu’on regardait.
Le reste ne semblait pas les intéresser. Pour moi, je tâchais
de conserver également mes regards à hauteur de tête39.  »
«  À corps nus, regards voilé  », commente le sociologue
Erving Goffmann, à propos de la règle implicite qui
commande, dans les camps nudistes, de ne pas regarder les
parties sexuelles d’autrui40. Toutefois, la codification
implicite des regards ne se contente pas de délimiter les
espaces sur lesquels l’œil a le droit de s’attarder. Si le nudiste
a soin de ne pas mettre ses camarades dans l’embarras en
s’interdisant d’observer leur sexe avec insistance, il reste
néanmoins que son champs de vision est peuplé de corps
nus. La préservation du caractère chaste de la nudité
collective implique alors une disposition psychologique
particulière. Le nudiste doit se convaincre que les corps nus
qu’il voit ne sont pas érotiques, que les sexes qu’il a sous les
yeux ne sont pas des sexes, ou plutôt qu’ils n’ont pas de
rapport avec la sexualité. Le témoignage de Paul Noble -
« l’un des premiers nudistes de France » — montre comment
l’axiome de la chasteté du nudisme doit immédiatement
s’imposer à tout néophyte et le conduire à opérer une
sélection parmi tout ce que ses yeux peuvent percevoir :
«  Quand on quitte les théoriciens verbeux et grassouillets
pour les parcs de libre culture, les rencontres que vous y
faites sont si chastes et si naturelles que vous comprenez
enfin, vous, nouveau venu, et que vous oubliez tout à coup
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les intentions - peut-être pas très pures - qui guidaient vos


premiers pas.

Une jeune fille, une nudiste qui pratique depuis longtemps,


vient tout à coup vers vous : elle court, elle joue : et ce que
vous voyez, ce n’est [sic] pas ses seins ou son sexe, c’est elle
tout entière, ce qui est tout à fait différent, et elle est musclée
et bronzée : elle est belle sans le chercher et saine : elle rit ;
elle vous jette un ballon en pleine figure sans plus
attendre41. »

15 C’est donc en disciplinant son regard, en maîtrisant ses


perceptions et en rendant les sexes et les poitrines invisibles
à ses propres yeux - ou du moins en affirmant, comme pour
mieux s’en convaincre lui-même, qu’il ne les perçoit pas
comme chargés d’érotisme42 - que le nudiste des années
trente peut accéder à la destruction de son «  affolement
sexuel » et à cette nudité chaste si « naturelle ».
16 Cet impératif de maîtrise de soi est ouvertement revendiqué
par les promoteurs du nudisme. La nudité «  assure à
l’homme une maîtrise sensuelle indéniable  », déclare ainsi
Pierre Vachet. « Le nudisme n’est pas l’école de la chasteté,
encore moins celle de la continence, mais l’école de la
volonté, du contrôle de soi-même et du sang-froid sexuel43. »
La parfaite maîtrise qu’il impose est même présentée comme
étant l’une de ses principales vertus. Marcel Kienné de
Mongeot, quant à lui, en fait le signe d’une incontestable
élévation :
«  La nudité est surtout un symbole de libération et un
puissant moyen de développement de la personnalité
humaine sur les plans intellectuel, moral et physique, parce
que l’homme libre doit posséder cette force supérieure qui
lui permet d’être son maître, de se discipliner, d’acquérir la
faculté de penser sainement, calmement, de s’élever au-
dessus des événements créés par les hommes, pour les juger
du point de vue des lois universelles44. »

17 La contestation de la pudeur et la pratique de la nudité


collective ne remettent donc pas en cause les codes
élémentaires de civilité ni l’impératif de domination des
pulsions sexuelles qui règlent la vie sociale. En revanche, les
normes qui définissent un comportement digne et qui

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imposent cette domination sont suffisamment intériorisées


pour qu’en certaines circonstances les codes sociaux qui les
étayent - comme l’interdiction de la nudité en public -
puissent sembler superflus. Ces codes sociaux peuvent alors
être dénoncés comme étant artificiellement imposés par la
civilisation, cependant qu’est promue la pratique d’une
nudité soi-disant naturelle et néanmoins fondée sur une
parfaite maîtrise de soi. L’effort réalisé pour parvenir à cette
maîtrise est présenté par les théoriciens du nudisme comme
une difficile entreprise d’affranchissement des préjugés
inculqués par une morale artificielle et néfaste. En revanche,
la capacité à soutenir la vision de la nudité d’autrui tout en
contrôlant ses émotions devient le signe d’une libération qui
permet de retrouver les bienfaits d’un comportement
« naturel ».

Contraintes, émotions, transgressions


18 Ainsi, la pratique du nudisme ne semble pas rompre avec le
processus qui, selon Norbert Elias, a imposé à l’Occident
moderne un refoulement toujours plus grand des pulsions et
des manifestations émotives et s’est accompagné d’une
intériorisation croissante de la contrainte sociale par les
individus. Elias, d’ailleurs, a lui-même suggéré que
l’apparent relâchement des normes de pudeur dans les
mœurs balnéaires à la fin des années trente témoignait d’un
renforcement de cette intériorisation45. La nudité chaste que
défendent les promoteurs du nudisme n’est donc possible
que dans la mesure où les individus qui la pratiquent ont
suffisamment intériorisé la norme sociale qui enjoint de ne
pas manifester les désirs sexuels en public. Cette
intériorisation est même à ce point puissante que, si l’on en
croit les nudistes, le spectacle de la nudité des autres n’est
plus source de désir et d’émotion érotique. Privé des
possibilités de dissimulation offertes par le vêtement et de la
contrainte morale exercée par le sentiment de honte, le
nudiste n’a d’autre alternative, pour se conformer aux codes
de bienséance qui régissent les centres, que de parvenir à un
contrôle sans faille de ses émotions. Replacée dans le
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contexte plus large d’une évolution des codes vestimentaires


et des pratiques de loisirs de plein air, la naissance du
nudisme témoignerait alors de l’accès à une nouvelle étape
du processus de civilisation dans laquelle le relâchement
apparent de la contrainte et la diminution des interdits
explicites sont rendus possibles par une capacité
d’autocontrainte accrue.
19 La critique de la théorie du processus de civilisation qu’a
formulée l’anthropologue Hans Peter Duerr peut cependant
nous conduire à apporter quelques nuances à cette
hypothèse46. Partant du postulat que la norme de pudeur
existe, sous une forme ou sous une autre, dans toute société
humaine, celui-ci s’attache à démontrer que, dans les
sociétés anciennes ou dans les sociétés dites « primitives »,
du fait de leur caractère implicite, ces normes sont plus
intériorisées et donc plus contraignantes pour l’individu. La
dynamique de la modernité occidentale consiste plutôt,
selon lui, dans un processus d’explicitation formelle de ces
normes qui, en les plaçant à distance de l’être, les a rendues
moins pesantes. Portées par la société et non plus par
l’individu lui-même, elles peuvent être désormais
appréhendées comme des « manières d’être », des codes de
comportement. Leur transgression est ainsi devenue
possible sans que l’identité individuelle soit atteinte. Par la
formulation des normes de pudeur, la civilisation
occidentale a ainsi permis, selon Duerr, l’émergence d’un
individualisme hédoniste et permissif. Cette démonstration
appelle plusieurs remarques. Il apparaît tout d’abord que si
elle remet en cause l’idée d’un processus de civilisation
globalement continu, elle n’invalide pas pour autant le fait
constaté que le nudisme des années trente requiert de la part
de ses participants une forte capacité d’autocontrainte.
Duerr lui-même, dans un passage consacré au nudisme
allemand au début du siècle, admet que la pratique de la
nudité chaste repose sur l’adhésion des nudistes à des codes
de bienséance implicites extrêmement contraignants47.
Toutefois, si l’on suit sa thèse, il n’est plus possible
d’affirmer que la maîtrise de soi intériorisée par les nudistes

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s’inscrit dans une évolution de longue durée et marque une


nouvelle étape dans un processus d’accentuation de la
contrainte sociale. La permanente négation de la dimension
érotique de la nudité collective et l’érection de la maîtrise de
soi au rang de vertu cardinale par les nudistes de l’entre-
deux-guerres ne seraient qu’une façon différente de codifier
la norme de pudeur, commune à toute société humaine.
Duerr souligne d’ailleurs la proximité qui existe entre les
normes de comportement qui encadrent la pratique du
nudisme et permettent de lui conserver son caractère chaste
et les codes implicites qui règlent les attitudes, les contacts et
les regards chez les peuples qui vivent sans vêtement,
comme les Aborigènes d’Australie48. En croyant supprimer
la pudeur, les nudistes ne feraient qu’en contester une
traduction sociale pour la remplacer par une autre tout aussi
efficace.
20 L’analyse de Duerr permet aussi de mieux prendre en
compte la rupture que le nudisme opère avec les valeurs de
la société dominante. Pour Duerr, en effet, la singularité de
la modernité occidentale réside dans les possibilités de
transgression que celle-ci a offertes aux individus en
exprimant les normes de comportement de façon formelle et
donc en les plaçant à distance de l’être. Or, même si sa
pratique ne remet pas en cause les normes fonda mentales
de la civilité, même si elle repose sur un puissant
refoulement des pulsions sexuelles, la nudité intégrale,
collective et mixte reste éminemment transgressive. D’une
part, elle enfreint la loi et rend les nudistes passibles de
poursuites judiciaires. D’autre part, elle transgresse les
principes de la morale commune. La réprobation que suscite
le nudisme, la virulente hostilité des ligues de moralité et le
refus des autorités publiques d’en autoriser la pratique ne
sont assurément pas les témoignages de l’excessive
pudibonderie de quelques cerveaux rétrogrades. Ils sont à la
mesure du scandale que peut encore représenter le nudisme
à la fin des années vingt et au début des années trente. Or,
les dirigeants de la Ligue Vivre assument explicitement le
caractère transgressif du nudisme en contestant la légitimité

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de la morale dominante, en dénonçant le caractère artificiel


de la norme de pudeur et en expliquant aux nudistes
comment contourner la loi pour éviter les foudres de la
justice49. Nous avons vu, dans les chapitres précédents, la
manière dont le courant végétaro-naturiste se démarquait de
la culture dominante et, en édictant des normes
thérapeutiques et alimentaires alternatives, élaborait une
sous-culture et permettait à des groupes sociaux d’assumer
leur rupture totale ou partielle avec les valeurs de leur
époque. Issue de ce courant, la Ligue Vivre n’exprime plus sa
contestation de l’ordre social et culturel par un projet de
réforme de la médecine ou des modes d’alimentation.
Toutefois, en prétendant revenir à l’état naturel par la
pratique de la nudité collective, elle se démarque des normes
de la culture dominante et donne naissance à une sous-
culture marginale sur laquelle se fonde l’identité nudiste.
21 Il existe d’ailleurs quelques auteurs pour pousser plus loin
cette transgression et affirmer le caractère ouvertement
subversif du nudisme. L’anarchiste individualiste Armand,
apôtre de l’amour libre et du «  sexualisme
révolutionnaire50  », déclare ainsi qu’à ses yeux le nudisme
n’est pas «  un exercice hygiénique relevant de la culture
physique ou un renouveau "naturiste"  », mais un acte
révolutionnaire. Revendiquer la liberté de se dénuder en
public, c’est, selon lui, «  affirmer son droit à l’entière
disposition de son individualité corporelle  »  : «  Contre les
institutions sociétaires et religieuses qui affirment que
l’usage ou l’usure du corps humain est subordonné à la
volonté du législateur ou du prêtre, la revendication nudiste
est l’une des manifestations la plus profonde et la plus
consciente de la liberté individuelle.  » C’est également
remettre en cause le code des apparences « qui maintient la
différenciation des classes. Qu’on s’imagine nu le général,
l’évêque, l’ambassadeur, l’académicien, le garde-chiourme, le
garde-chasse  ? Que resterait-il de leur prestige, de leur
délégation d’autorité  ? Les dirigeants le savent bien et ce
n’est pas un de leurs moindres motifs d’hostilité au
nudisme51  ». Armand, par ailleurs, s’oppose à la thèse du

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caractère chaste de la nudité collective et se félicite, au


contraire, de ce qu’elle produise une «  exaltation du désir
érotique » et permette une « meilleure camaraderie [...] sans
arrière-pensée intellectuelle ou éthique, par exemple, mais
encore sans aucune dissimulation corporelle52 ».
22 Armand n’est pas seul à relier nudisme et liberté sexuelle et,
parmi ses correspondants, nombreux sont les nudistes qui
affirment partager ses idées en matière de sexualité et de
lutte contre les « préjugés ». Ainsi, le docteur Russo lui écrit
qu’en tant que «  président du Club gymnique de Lyon, [il]
tâche de répandre les idées de libre sexualité  ». Puis, dans
une autre lettre  : «  Je pense, pour ma part, que vos
conceptions sur l’éthique que doit représenter la
"camaraderie amoureuse" et l’amour plural, sont en parfaite
conformité avec celles que nous indique une méthodique
observation biologique52. » Toutefois, le projet d’Armand de
créer une colonie vouée à « la satisfaction des besoins et des
désirs ressortissant du domaine sexuel  », dans laquelle
«  toute activité - physique ou cérébrale - [...] est conçue et
entendue dans un sens et pour un but érotique  53», ne
semble pas avoir été suivi d’une quelconque réalisation.
23 Il reste que, sans nécessairement aller aussi loin qu’Armand
n’incite à le faire, le nudisme demeure une transgression des
normes sociales et morales. Bien que sa pratique repose sur
le respect d’un code de bienséance implicite et contraignant,
elle n’en donne pas moins aux nudistes le sentiment que
s’allège le poids des contraintes sociales habituelles. On peut
alors se demander si cette impression de relâchement des
contraintes ne figure pas parmi les principales motivations
du nudisme et si l’aspiration hédoniste ne supplante pas, en
la matière, les appels à la «  régénérescence physique et
mentale  ». La sentence latine choisie comme devise de la
Ligue Vivre - Primum viverel—, reprise ensuite par le
docteur Fougerat comme devise de son association Vie et
lumière, laisse entendre que la dimension hédoniste du
nudisme est assumée par ses promoteurs. Dans une lettre
adressée à Armand, un nudiste d’Oran écrit, à propos du
groupement affilié à la Ligue Vivre qu’il fréquente :

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«  On y pratique le nudisme avec désinvolture derrière une


palissade de roseaux qui est loin d’être hermétique. De plus
les curieux — et ils ne s’en privent pas - peuvent contempler
le camp - qui est un peu en contrebas - du haut d’une dune.
On se baigne même dans l’appareil d’Adam et d’Eve sur une
plage qui fait vis-à-vis à un village distant d’environ 700 m
54 »

24 On peut supposer que dans cette «  désinvolture  »


s’expriment à la fois le plaisir d’être nu et celui d’être vu nu.
Toutefois, plus préoccupés de démontrer le caractère non
érotique de la nudité, la plus grande partie des écrits
émanant des nudistes restent muets sur les éventuelles
satisfactions que peut procurer la conscience de transgresser
les normes. Bien plus s’attachent-ils, lorsqu’il est question de
plaisirs, à décrire les sensations qu’apporte le contact de l’air
et de la chaleur du soleil sur la peau dénudée. Louis- Charles
Royer, par exemple, évoquant sa première expérience de
nudisme, lors de son enquête en Allemagne, écrit :
«  Il y a une singulière allégresse, et presque comme une
volupté, à courir nu à travers prairies et halliers.

Est-ce la joie de contenter à nouveau un instinct perdu


depuis des siècles  ? Est-ce, plus simplement, la satisfaction
de ressentir, et cette fois sur le corps entier, cette caresse du
soleil et de l’air que nous n’éprouvons plus que sur le visage
et les mains, mais qui, ainsi réduite, est nettement
perceptible ?
Je n’en sais rien ; mais je puis affirmer que c’est exquis ; et
lorsque, pour la halte, je m’étendis sur l’herbe, froissant de
ma chair des plantes odorantes, sans contrainte, sans
pudeur, comme un animal qui se roule, j’éprouvai un
véritable délice55. »

25 Puis Roger Salardenne, dans des circonstances analogues  :


« Je me sens très à l’aise dans ma tenue de conscrit passant
le conseil de révision. Une brise légère me caresse
doucement le corps. J’en éprouve une étrange volupté. Il me
semble que je vis intensément, comme je n’avais encore
jamais vécu56...  ».Que s’y mêle ou non un secret plaisir de
passer outre les contraintes sociales et morales, les
satisfactions qu’apporte la pratique du nudisme

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appartiennent indubitablement au registre des émotions et


reposent sur le sentiment d’éprouver, grâce à la suspension
des codes habituels de pudeur, de nouvelles sensations.
26 Dans un ouvrage plus récent, Norbert Elias a tenté, à partir
de l’exemple des pratiques sportives, d’intégrer les émotions
liées au relâchement des contraintes à sa théorie du
processus de civilisation. Reconnaissant la possibilité d’un
tel relâchement, il affirme que celui-ci joue précisément un
rôle dans le maintien de l’autocontrainte dans la vie sociale
normale. Le concept de «  libération contrôlée des
émotions » qu’il élabore pour décrire le rôle des activités de
loisir dans une société «  non excitante  » et routinière peut
probablement servir à éclairer l’apparition du nudisme :
«  À travers l’institution du loisir, la société, en se
développant, a laissé une certaine latitude pour permettre un
affaiblissement modéré des contrôles adultes, un "dé-
contrôle", une libération modérée des individus au moyen
d’une excitation des affects également modérée - un éveil des
émotions tempéré qui peut contrebalancer l’effet étouffant
qu’auraient facilement ces contrôles sans de telles
institutions sociales57. »

27 Sans discuter de l’inscription ou non de ce phénomène dans


un mouvement pluriséculaire de refoulement des émotions,
on pourrait alors avancer que la baignade, l’insolation et la
nudité collective permettent aux nudistes d’éprouver des
sensations particulières qui rompent avec la routine de leur
vie quotidienne. En allégeant, de façon temporaire, la
pression des codes de pudeur qui encadrent la présence
sociale du corps, le nudisme ne remet pas en cause le
principe de l’autocontrainte. La relative libération des sens
permise par l’exposition du corps aux éléments naturels et
par le spectacle de la nudité reste étroitement contrôlée dans
la mesure où il n’est pas envisageable qu’elle incite à laisser
libre cours aux pulsions et à la traduction corporelle des
émotions.
28 Le nudisme, activité de loisir, pratiquée dans un cadre
géographique- ment et chronologiquement balisé, apparaît
finalement comme une expérience de relâchement
temporaire de la contrainte sociale par la remise en cause de
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certaines normes de civilité (codes vestimentaires,


hiérarchies sociales, certains codes de maintien et de
politesse...). Il est lié au désir de se ressourcer en éprouvant
la sensation de renouer avec un «  état naturel  » du corps,
perçu par l’individu comme consubstantiel de son être
authentique. Ce relâchement, source de plaisir et d’émotions
particulières, résulte d’une progressive formalisation de ces
normes de civilité qui a permis de les concevoir comme
extérieures à l’individu, artificielles, et qui a rendu possible
leur mise à distance temporaire. Ce relâchement n’est
également envisageable que dans la mesure où il prend
appui sur une capacité d’autocontrôlé des pulsions, étayée
par des codes de conduite implicites. Ainsi émerge une
frontière qui sépare un ensemble de normes sociales
ressenties comme artificielles et dont la suspension, pendant
un temps clairement situé en marge du jeu social habituel,
est vécue comme un ressourcement, et un autre ensemble de
normes dont l’intériorisation progressive permet de les
considérer comme naturelles. La pratique du nudisme
s’accompagne de l’élaboration d’une éthique spécifique qui
suscite la production de nouvelles normes destinées à
encadrer la présence sociale du corps (aisance des attitudes,
forme athlétique, bronzage...). Présentées comme
«  naturelles  », elles s’imposent alors à l’individu d’une
manière particulièrement forte. Cette frontière - qui reste
mouvante tant elle est socialement et culturellement
déterminée - permet de cerner la façon dont la pratique
d’une activité de loisir en plein air, fondée sur le désir de se
ressourcer en marge de l’existence habituelle, urbaine et
laborieuse, définit la «  nature  » comme un lieu de mise à
distance de certains codes de civilité, mais n’en repose pas
moins sur un ensemble de normes qui codifient précisément
l’apparence et les comportements. Loin d’être la
réhabilitation et la libération du corps que prétendent ses
promoteurs, le nudisme n’est donc qu’un déplacement des
normes qui encadrent la présence sociale du corps. La
menace de la dégénérescence et le mythe du retour à la
nature viennent appuyer l’adhésion à ces nouvelles normes

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et faire de la contestation sociale par le nudisme un


événement collectif qui permet de dessiner les contours
d’une sous-culture.

Notas
1. M. Kienné De Mongeot, «  Le Problème de l’éducation physique
officielle », Vivre..., 15 juillet 1926, p. 2 ; « Les Intellectuels et la culture
physique », 15 janvier 1927, p. 4 et G. Richard, « Dégénérescence sociale
et réaction individuelle », 15 octobre 1926, p. 10.
2. M. Kienné De Mongeot, «  L’État ne fait rien pour régénérer la
race  !  », Vivre intégralement, août 1927, p. 3-4 et «  Réalités  !  », Vivre
intégralement, avril 1928, p. 3.
3. M. Kienné De Mongeot, « Le Problème de l’éducation physique... »,
op. cit., p. 3 et «  La Recherche du bonheur  », Vivre intégralement,
octobre 1927, p. 3.
4. A. Carol, «  Médecine et eugénisme en France, ou le rêve d’une
prophylaxie parfaite (XIXe-première moitié du xxe siècle)  », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, 43-4, 1996, p. 625.
5. Il est connu qu’un néo-Iamarclcisme diffus continue d’habiter le
milieu médical français durant toute la première moitié du xxe siècle.
6. M. Kienné De Mongeot, «  La Confession physiologique  », Vivre
intégralement, 15 mai 1927, p. 3.
7. Cité par R. Salardenne, Le Nu intégral chez les nudistes français...,
op. cit, p. 100.
8. M. Kienné De Mongeot, « La Confession... », op cit.
9. W. H. Schneider, «  L’Eugénisme en France...  », op. cit. Il convient
cependant de préciser que Vivre, comme les tendances dominantes de
l’eugénisme français, ne partage pas les positions défendues au sein des
organisations eugéniques internationales par les représentants des États-
Unis, de certains pays d’Europe du Nord ou de l’Allemagne nazie. Jamais
les naturistes français ne proposeront de mesure visant à stériliser ou à
éliminer certaines catégories de la population.
10. En décembre 1928, Vivre intégralement reproduit un article que le
docteur Toulouse a fait paraître deux mois plus tôt dans Le Journal pour
défendre la nécessité de l’examen prénuptial (É. Toulouse, «  La
Création d’un certificat d’aptitude au mariage est-elle souhaitable  ?  »,
Vivre intégralement, 15 décembre 1928, p. 4).
11. Lettre de M. Kienné de Mongeot à E. Humbert, datée du 9 mars 1929
(IIHS : Archives Humbert, dossier n° 224).
12. Le docteur Vachet est l’auteur, entre autres ouvrages, de L’Inquiétude
sexuelle (Paris, Grasset, 1927), Remède à la vie moderne (Paris, Grasset,

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1928), La Santé du corps et de l’esprit (Paris, Édition des Portiques,


1929) et Connaissance de la vie sexuelle, toute l’éducation sexuelle
(Paris, « Vivre », 1930).
13. Dans son roman La Garçonne-qui fit scandale lors de sa publication,
en 1922 - Victor Margueritte plaide pour la libération de la femme,
notamment sur le plan de la sexualité.
14. Sur le détail du conflit entre Fougerat et Kienné de Mongeot et sur
l’association Calme et santé du docteur Viard : S. Villaret, L’Évolution
du naturisme..., op. cit., p. 463-469.
15. «  Manifeste de la Ligue Vivre  », Vivre intégralement, 15 décembre
1930, p. 13.
16. J.-B. Wojciechowski, Hygiène mentale et hygiène sociale.
Contribution à l’histoire de l’hygiénisme, Paris, L’Harmattan, 1997, tome
2, p. 286-288. Marcel Viard et Jacques Demarquette siègent également
dans ce comité. Voir également  : A. Drourad, «  Justin Godart et le
développement de la sexologie en France », A Wieviorka, Justin Godart.
Un homme dans son siècle (1871-1956), Paris, 2004, p. 181-188.
17. « Ce que nous voulons », brochure de présentation des Organisations
sociales « Vivre », s. 1. n. d., p. 5-6.
18. A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France, op. cit., p. 324.
19. A. Drouard, Une Inconnue des sciences sociales, la fondation Alexis
Carrel, Paris, 1992,p. 118-119.
20. M. Kienné De Mongeot, « Civilisation ! », Vivre intégralement, 15
janvier 1929, p. 3.
21. «  Nos collaborateurs  : Dr Marcel Viard  », Vivre intégralement,
1ernovembre 1929, p. 12.
22. F. Fougerat De David De Lastours, L’Homme et la lumière..., op.
cit., p. 3.
23. M . Kienné De Mongeot, La Nudité ou dix ans de lutte contre les
préjugés qui tuent, Paris, Éditions de Vivre-Santé, 1936, p. 7-8 et R.
Salardenne, Le Nu intégral chez les nudistes français..., op. cit., p. 18.
24. S. Berstein, Histoire du Parti radical, tome 2 : Le temps des crises
et des mutations, 1926-1939, Paris, 1982, p. 94-95.
25. Sur ces courants  : J.-L. Loubet Del Bayle, Les Non-conformistes
des années 30. Une tentative de renouvellement de la pensée politique
française, Paris, 1969 et l’ouvrage plus récent  : O. DARD, Le Rendez-
vous manqué des relèves des années 30, Paris, 2002.
26. « Ce que nous voulons », op. cit., p. 6.
27. S. Villaret, L’Évolution du naturisme..., op. cit., p. 458.
28. P. Vachet, La Nudité et la physiologie sexuelle, op. cit., p. 8-9.

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29. J. Humbert, «  Conférence sur "En pleine vie"  », s. d., p. 9


(Bibliothèque Marguerite Durand  : fonds Humbert). En 1931 et 1932,
Jeanne Humbert, militante libertaire et néo-malthusienne,donne une
tournée de conférences en province afin de promouvoir son livre En
pleine Vie (cf. également IIHS : Archives Humbert, dossier n° 920).
30. R. Salardenne, Le Nu intégral chez les nudistes français..., op. cit.,
p. 29-33.
31. Sur l’aisance dans les relations à autrui  : E. Goffman, La Mise en
scène de la vie quotidienne, t. 2 : Les relations en public, Paris, Minuit,
1973 [1971], p. 253-261 et P. B o d i e u , La Distinction, critique sociale
du jugement, Paris, Minuit, 1979, p. 228-230.
32. L. Pathault, «  Par quelle méthode doivent être abordées les
questions sexuelles  ?  », Vivre intégralement, avril 1928, p. 8. Cf.
également Ch. Dorcy, «  Il faut faire l’éducation sexuelle des enfants  »,
ibidem, juin 1928, p. 5 et «  À propos de l’éducation sexuelle des
enfants  », juillet 1928, p. 11  ; P. Vachet, «  L’Éducation sexuelle et la
nudité  », 1er février 1929, p. 5 et «  Réforme sexuelle et nudisme  », 15
octobre 1929, p. 5.
33. R. Salardenne, Le Nu intégral chez les nudistes français..., op. cit.,
p. 8.
34. Ibidem, p. 103 et 111.
35. J. Humbert, « Conférence... », op. cit., p. 9-10.
36. Propos tenus par Jeanne Humbert lors de la conférence du 30 avril
1931 (rapport du commissaire spécial de Brest à la sûreté générale, 2 mai
1931, AN : F/7/13059).
37. R. Salardenne, Le Nu intégral chez les nudistes français..., op. cit.,
p. 118.
38. Ibidem, p. 22.
39. L.-C. Royer, Au Pays des hommes nus, op. cit., p. 42-44.
40. E. Goffmann, La Mise en scène..., op. cit., p. 59. L’auteur s’appuie ici
sur l’enquête de M. Weinberg, «  Sexual Modesty and the Nudist
Camp », Social Problems, XII-3, 1965, p. 315.
41. P. Noble, «  Le Nudisme vu par l’un des premiers nudistes de
France », Guide naturiste, op. cit., p. 26-27.
42. Les photographies qui illustrent les revues et les ouvrages nudistes
montrent d’ailleurs clairement que, malgré ce type de discours, une part
d’érotisme est acceptée dans la mise en scène des corps nus.
43. Cité par R. Salardenne, Le Nu intégral chez les nudistes français...,
op. cit., p. 41.
44. M. Kienné De Mongeot, «  Comment concevoir la libre-culture  »,
Vivre intégralement, 1eraoût 1932, p. 3.
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3/12/21 19:34 Histoire du naturisme - Chapitre XIII. Le nudisme, entre régénération et transgression - Presses universitaires de Rennes

45. N. Elias, La Civilisation des moeurs, Paris, 1996 [1939], p. 271-272.


46. H. P. Duerr, Nudité et pudeur. Le mythe du processus de
civilisation, Paris, 1998 [1988].
47. Ibidem, p. 135-141.
48. Ibid., p. 120-133 et 140.
49. L. Barquissau, « Nudisme et légalité », Guide naturiste, op. cit., p.
31-34.
50. Cf. par exemple E. Armand, Le Combat contre la jalousie et le
Sexualisme révolutionnaire, Orléans, Éditions de l’En-dehors, 1927.
51. E. Armand, Le Nudisme, Paris, Éditions de l’En-dehors, 1930, p. 22-
24.
52. Ibidem, p. 24. On retrouve la même idée dans L.Estève, Le Nudisme,
vertige érotico-mystique, tome 1  : Gymnodogmatique, Paris, Maloine,
1931.
52. Lettres du docteur Russo à Armand, datées du 8 juillet et du 29 août
1939 (IFHS : Archives Armand, 14 AS 2118).
53. « Le Milieu "L'Oasis" », document dactylographié de 23 pages (IFHS
: Archives Armand, 14 AS 412)..
54. Lettre d’Alexandre Pesté à Armand, datée du 6 novembre 1934
(IFHS : Archives Armand, 14 AS 2117).
55. L.-C. Royer, Au Pays des hommes nus, op. cit., p. 51-52.
56. R.Salardenne, Un Mois chez les nudistes.,.,op. cit., p. 24-25.
57. N. Elias et E. Dunning,Sport et civilisation, la violence maîtrisée,
Paris, 1994 [1984], p. 158.

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BAUBÉROT, Arnaud. Chapitre XIII. Le nudisme, entre régénération et
transgression In: Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature [en línea]. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2004
(generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22892>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22892.

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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la


nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
Rennes, 2004 (generado el 03 décembre 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pur/22872>. ISBN: 9782753523036.
DOI: https://doi.org/10.4000/books.pur.22872.
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Histoire du naturisme

Le mythe du retour à la nature


Arnaud Baubérot

Este libro es citado por


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Presses
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de Rennes
Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

Conclusion
p. 329-336

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France

Texto completo
1 Nous avions proposé, en ouvrant cette étude, d’employer le
terme de naturiste pour qualifier des auteurs ou des
groupements qui, convaincus qu’un processus de
dégénération est à l’œuvre, proclament la nécessité d’un
retour à la nature et prétendent édicter une manière de
conduire l’existence pour la rendre conforme aux exigences
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des lois naturelles. Au terme de notre recherche, force est


néanmoins de constater que, si l’on compare les naturistes
de la Belle Époque aux naturistes des années trente, cette
définition ne recouvre plus les mêmes réalités.
2 Opérant une synthèse de la médecine néo-hippocratique des
Lumières et de l’empirisme thérapeutique allemand, le
naturisme des premières années du xxe siècle envisageait la
santé comme un état dans lequel le corps résiste
efficacement aux assauts de la maladie. Persuadés que les
conditions de la vie moderne affaiblissent l’organisme et le
livrent désarmé aux agressions morbides, les médecins
naturistes et végétariens voyaient dans l’essor de la
tuberculose et de l’arthritisme le signe patent d’un processus
de dégénération. Recyclant sur un mode rationnel et
scientifique l’ancienne notion de nature médicatrice, ils
appréhendaient l’ordre de la nature principalement comme
un ensemble de lois physiologiques dont le respect devait
rendre à l’organisme ses capacités naturelles de résistance.
Le végétaro-naturisme invitait alors ses partisans à réformer
leur vie quotidienne et à adopter des règles d’hygiène strictes
afin de préserver leur corps des souillures qui menaçaient
d’avilir ses forces. Ainsi, la croyance en la nécessité de
revenir à un mode d’existences jugées plus naturel et la
représentation du corps humain comme lieu d’un échange
permanent entre le milieu intérieur et le milieu extérieur,
dont l’équilibre instable menace sans cesse de se rompre,
inspiraient de nouvelles normes de gestion de l’économie
organique.
3 En l’espace d’une trentaine d’années, le visage du naturisme
a profondément changé. Si quelques petits groupements,
parfois liés aux milieux ésotériques, continuent de prôner
une réforme des modes de vie dans une perspective
ouvertement ascétique, la plus grande partie des naturistes
l’associe désormais à une activité de loisir en plein air. Le
végétaro-naturisme réformateur n’a, certes, pas disparu ni
même régressé. En additionnant les quelques centaines de
membres du Trait d’Union, de la Société naturiste française
de Paul Carton et de la Société végétarienne de France et les

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quelques dizaines d’anarchistes végétaliens ou «  néo-


naturiens », on peut estimer que son effectif atteint 1 000 à
2  000 personnes et qu’il se situe donc dans un ordre de
grandeur analogue à ce qu’il était avant-guerre. Mais ce
végétaro-naturisme a été progressivement supplanté par un
autre type de naturisme, à la fois moins exigeant et plus
populaire, pensé et voulu comme un naturisme «  de
masse1  ». On peut en effet estimer que la Société naturiste
des frères Durville et la Ligue Vivre de Marcel Kienné de
Mongeot regroupent environ 2 000 membres chacune. À ces
chiffres, il faut ajouter tous ceux qui pratiquent un
naturisme «  sauvage  », dans de petits groupements locaux
ou hors de tout cadre associatif, dont le nombre est
impossible à évaluer avec précision. On peut donc
raisonnablement supposer que le nombre total d’adeptes de
ce naturisme de loisirs se situe dans un ordre de grandeur
compris entre 5  000 et 10  000 personnes. La dénonciation
des effets délétères de la vie moderne, la volonté de se
régénérer et d’aguerrir son corps en retrouvant une relation
harmonieuse avec la nature fondent toujours la pratique du
naturisme de loisirs. Cependant, le respect des lois de la
nature consiste moins à régler minutieusement le
déroulement de la vie quotidienne qu’à consacrer son temps
libre à se ressourcer loin des villes, au contact des éléments
naturels. Ce n’est plus le délicat équilibre des fonctions
organiques qui intéresse la majorité des naturistes, mais
l’apparence du corps, sa vigueur et sa beauté mesurées à
l’aune d’un idéal de corps athlétique. L’état naturel du corps
ne se retrouve plus en réglant minutieusement ce qu’il ingère
et ce qu’il rejette ni en le préservant des souillures de la vie
mondaine, mais en le musclant et en laissant le soleil brunir
son épiderme. En même temps qu’il réduisait ses exigences
en matière d’hygiène alimentaire, le naturisme s’est chargé à
la fois d’une aspiration hédoniste et d’une tendance à exalter
la force physique auxquelles l’expérience de la Grande
Guerre n’est probablement pas étrangère. Toutefois, malgré
sa relative vulgarisation dans le courant des années trente, le
naturisme reste, en France, un phénomène marginal.

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4 De même que le succès d’un phénomène peut permettre


d’analyser les ressorts de son développement, la faiblesse
numérique du naturisme français peut aider à éclairer le rôle
qu’il joue dans la société française du premier tiers du xxe
siècle. Il faut d’abord mettre en regard cette faiblesse et
l’épanouissement des programmes de réforme des modes de
vie analogues en Angleterre et en Allemagne, dès la fin du
xixe siècle. La première explication que nous pouvons
avancer a presque valeur d’évidence. Nous avons souligné à
maintes reprises que ces ambitions réformatrices reposaient
sur la croyance en une dégénération de l’homme provoquée
par les conditions de la vie moderne. Dès lors, si l’on admet
que le réformisme naturiste est l’expression d’une réaction
contre les effets de la modernité, il est possible d’établir une
corrélation entre la marginalité du naturisme et la faiblesse
de l’urbanisation et de l’industrialisation de la France par
rapport à celles de ses voisins du nord. Moins brusque et
moins rapide qu’en Allemagne, la croissance urbaine et
industrielle a probablement été vécue de façon moins
dramatique. Il n’en reste pas moins que le demi-siècle qui
s’étend de la dernière décennie du xixe siècle aux années
trente est marqué par un développement de la grande
industrie et une intensification de l’exode rural qui affectent
profondément le visage de la société française. Les
contemporains ne sont pas restés indifférents aux
changements qui s’opéraient sous leurs yeux et certains ont
dénoncé leurs effets néfastes tant sur le plan social que des
points de vue sanitaire et moral. Dans ces conditions, il
apparaît que la différence des niveaux d’industrialisation et
d’urbanisation ne peut suffire à expliquer l’extrême faiblesse
du naturisme français par rapport à son homologue
allemand. On peut en déduire que la protestation contre la
modernité ne constitue pas le seul enjeu de l’adhésion au
naturisme.
5 L’analyse que propose Marc Cluet pour expliquer l’essor du
mouvement allemand de réforme des modes de vie pourrait,
a contrario, éclairer la question du développement médiocre
du naturisme français et nous renseigner sur sa fonction

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sociale. Selon lui, le succès de ce courant réformateur en


Allemagne serait principalement dû à l’adhésion d’une
bourgeoisie moyenne, cultivée et libérale, exclue du pouvoir
politique par le conservatisme des princes allemands puis
par l’autoritarisme du régime impérial. Cette couche sociale
aurait renoncé à ses vains espoirs de transformations
politiques pour s’engager dans la promotion d’un
programme de réforme des mœurs. En ralliant à son
programme des ouvriers qualifiés, des artisans et une petite
bourgeoisie avide d’ascension, elle se serait reconstitué une
sphère de domination sociale2. Transposée dans le cas
français, une telle interprétation nous conduit à attribuer la
médiocrité du mouvement de réforme des modes de vie à
l’aube du xxe siècle au fait que l’avènement de la république
a permis d’intégrer les couches moyennes cultivées à
l’exercice du jeu démocratique. Ainsi les ambitions
réformistes d’une partie de la bourgeoisie éclairée ont-elles
pu légitimement porter sur des questions touchant aux
sphères politique et économique, comme le problème de
l’intervention de l’État ou celui de la législation sociale3 et
n’ont pas eu besoin d’être dérivées vers les questions
apparemment plus anodines de l’alimentation ou de la
manière de soigner les maladies chroniques. En revanche, on
ne peut considérer qu’en France l’engagement en faveur d’un
programme de réforme des modes de vie correspond,
comme en Allemagne, à une stratégie de la bourgeoise
cultivée pour retrouver une position de domination. On
imagine mal, d’ailleurs, comment, compte tenu de son
caractère très minoritaire, marginal et contestataire, la
promotion du naturisme en France aurait pu permettre à des
groupes sociaux «  dominés  » de retrouver les moyens
d’exercer un pouvoir symbolique et d’accéder à une position
de « dominants ».
6 En nous inspirant de la façon dont Roger Bastide analyse
l’émergence des mouvements religieux contestataires dans
l’Afrique contemporaine, nous voudrions avancer
l’hypothèse selon laquelle l’adhésion au naturisme offre
plutôt à des groupes marginalisés, dont l’identité semble

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menacée, la possibilité d’élaborer une nouvelle identité qui


leur permet d’assumer digne ment leur marginalité4. Les
transformations de la société, liées à la croissance des villes
et des industries et aux transformations des modes de vie,
ont bouleversé les équilibres sociaux et culturels
traditionnels. Or, souligne Roger Bastide, dans la mesure où
l’équilibre de l’individu est fonction de l’équilibre des
normes de la société qu’il a intériorisées, la destruction des
repères sociaux et culturels anciens met en péril son identité.
Les groupes marginalisés par les transformations de la
société élaborent alors de nouveaux mythes, qui
correspondent à leur effort « pour se façonner une nouvelle
identité, garante de la dignité soit du groupe minoritaire par
rapport au groupe majoritaire, soit du groupe paria par
rapport au groupe privilégié5 ». En envisageant le naturisme
sous cet angle, on pourrait soutenir que l’adhésion au mythe
de la dégénération et du retour à la nature constitue un
moyen par lequel des individus, dont l’identité est mise en
péril par la modernité, retrouvent une représentation
cohérente du monde, qui donne du sens à leur marginalité.
Autour de ce mythe se constituent des groupes plus ou
moins formels auxquels les uns et les autres peuvent
s’identifier afin d’accéder à une nouvelle dignité.
7 Nous avons déjà énoncé cette hypothèse lorsque nous avons
étudié le cas particulier de la diffusion du naturisme dans les
milieux anarchistes. Dans nos chapitres consacrés à cette
question, nous avons souligné que les conséquences sociales
de l’essor de la grande industrie et les mutations du
militantisme socialiste avaient détruit les repères sociaux et
culturels sur lesquels se fondait l’identité des anarchistes
individualistes. Puis nous avons montré comment, après une
phase d’effervescence millénariste, ceux-ci avaient trouvé
dans le végétaro-naturisme, dans ses normes de
comportement et dans ses « promesses de salut » un moyen
de reconstruire une identité collective et de retrouver une
dignité individuelle.
8 Pour les promoteurs du naturisme de plein air de la fin des
années vingt et du début des années trente, nous avons vu

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que le mythe du retour à la nature offrait un exutoire aux


frustrations que suscite l’impossible réforme de l’après-
guerre. Les « grandes attentes messianiques de la guerre6  »
ont fait naître un intense désir de régénération qui cherche
en vain à se traduire sur le plan politique. Le sentiment que
la réalité du pouvoir reste concen trée entre les mains d’une
génération entrée en politique avant-guerre et que
demeurent vaines les tentatives de réforme de l’État pousse
des jeunes gens avides de transformations sociales à trouver
d’autres moyens d’exprimer leurs attentes de changement.
L’essor du naturisme de plein air pour rait ainsi s’expliquer
par la possibilité qu’il offre de réaliser, hors du champ
politique, un vaste programme de régénération des corps et
d’édification d’un «  homme nouveau  » par l’eugénisme et
l’hygiène sociale. Par ailleurs, alors que l’expérience de la
guerre est venue ébranler les valeurs de la civilisation
occidentale et introduire le doute quant à leur validité, le
mythe du retour à la nature permet à des individus engagés
dans une contestation radicale de ces valeurs de leur opposer
un système normatif relativement cohérent. Ici encore, le
mythe de la dégénération, élargi à l’échelle de l’espèce
humaine à travers la notion de dégénérescence, et l’annonce
du salut de la «  race  » par le retour à la nature viennent
fonder l’identité des naturistes. Dépossédés des possibilités
d’action politique, ils trouvent dans le naturisme une issue
au conflit qui oppose leurs aspirations aux réalités de la
société et un moyen d’éprouver un sentiment de dignité,
malgré l’indifférence ou la franche hostilité que suscitent
leurs pratiques.
9 Ainsi, bien qu’en l’espace de trente ans les représentations et
les pratiques qui découlent de la croyance au mythe de la
dégénération et du retour à la nature aient considérablement
changé, l’adhésion à ce mythe semble toujours remplir la
même fonction sociale. Elle permet à des individus ou à des
groupes marginalisés par les évolutions de la société de
formuler des croyances et d’édicter des normes de
comportement communes. Les représentations et les
pratiques collectives qui découlent de ces croyances et de ces

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normes permettent de dresser les frontières d’une sous-


culture dispensatrice d’identité et de dignité. Les naturistes
végétariens, les anarchistes végétaliens, les théosophes du
Trait d’Union, les disciples de Paul Carton ou les nudistes ne
sont plus des individus isolés dont l’existence sociale est
menacée par le caractère incongru de leurs convictions ou
par le sentiment d’anomie qu’ils éprouvent. Membres d’une
association, défenseurs d’un programme ou simplement
attachés à une façon particulière - mais néanmoins reconnue
par d’autres - de conduire son existence, ils ont désormais
les moyens d’assumer dignement leurs ruptures avec les
opinions communément admises.
10 Il est un dernier point sur lequel nous voudrions nous
attarder. Nous avons affirmé, en introduisant cet ouvrage,
notre intention d’appréhender le naturisme à travers les
représentations mythiques qui le fondent et les croyances
qu’il génère. Toutefois, si cette démarche a pu nous conduire
à souligner certaines analogies entre sa dynamique sociale et
culturelle et le fonctionnement des faits religieux, l’absence
quasi systématique de discours sur la transcendance, le
surnaturel ou la divinité nous interdit d’assimiler a priori le
naturisme à un phénomène religieux. Le «  salut  » auquel
permet d’accéder le respect des « lois de la nature » n’est pas
promis pour l’au-delà, mais pour la vie humaine et terrestre.
De même, la possibilité d’une régénération par le naturisme
n’est pas repoussée aux temps eschatologiques, mais
immédiatement accessible à l’individu. Enfin, le naturisme
ne dit rien des origines premières de l’homme ni de ses fins
dernières. Pourtant, selon certains sociologues des religions,
l’apparition et le développement d’une sotériologie
« intramondaine », la primauté accordée à la quête du sens
de la vie humaine et à l’épanouissement individuel sont des
caractéristiques de la modernité religieuse7. On peut dès lors
se demander si le naturisme du début du xxe siècle
entretient seulement des rapports d’analogie avec les faits
religieux ou s’il ne peut être, dans une certaine mesure,
considéré comme une manifestation précoce d’une forme
moderne de religiosité.

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11 L’évolution de la manière dont Roger Bastide propose


d’analyser les mythes apporte un éclairage intéressant sur
cette question. En 1935, dans ses Éléments de sociologie
religieuse, Roger Bastide décrivait l’apparition des grandes
religions universelles comme l’avènement d’un nouveau type
de représentations religieuses  : les dogmes. Le déclin des
croyances fondées sur des représentations mythiques -
caractéristiques des «  sociétés primitives  » - au profit des
représentations dogmatiques aurait permis de passer «  du
domaine des images à celui des concepts  ». «  Ainsi,
affirmait-il, le mythe et le dogme, un moment, semblent se
toucher. Le dernier cependant finit par remplacer le
premier  ; il reste le seul type de représentations religieuses
des sociétés civilisées8.  » Moins de dix ans plus tard,
pourtant, Roger Bastide évoquait la permanence des
représentations mythiques dans la société contemporaine.
« L’homme, cette machine à fabriquer des dieux », affirmait-
il en reprenant l’expression de Bergson, à travers ses rêves,
ses craintes, ses espérances et ses rites quotidiens, s’invente
toujours de nouveaux cultes. Roger Bastide, cependant,
n’envisageait encore la capacité de ces mythes à produire de
la dynamique sociale que dans le cadre des institutions
religieuses établies. Il concluait ainsi en saluant « la force de
l’Église qui canalise toutes ces forces occultes, se sert de
toutes les machines à créer des mythes, mais pour diriger
leurs engrenages, faire converger leurs rendements, et nous
forcer à aller de tous ces dieux à Dieu9  ». Ce n’est qu’au
début des années soixante-dix que Roger Bastide souligne
l’existence d’une mythologie moderne qui se déploie en
marge des Églises et de leurs dogmes, en marge même de
toute référence à la transcendance ou au surnaturel10. Le
contexte particulier de cette époque, où la virulence d’une
contestation plus ou moins spontanée s’ajoute au déclin de
l’emprise des grandes institutions productrices de normes
sociales, contribue probablement à expliquer l’intérêt de
Roger Bastide pour ces manifestations du sacré hors des
cadres institutionnels habituels et pour la révolte dont elles
sont porteuses. À ses yeux, le développement de

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l’industrialisation et de l’urbanisation, le recul de l’autorité


des Églises sous l’effet de la sécularisation et l’aspiration
sous-jacente à «  se dégager du carcan de la raison pour
inventer de nouveaux Dieux d’hommes » seraient à l’origine
de l’émergence d’un «  sacré sauvage  », d’une ferveur
religieuse sans religion, d’une forme de contestation radicale
du social et du religieux institués et domestiqués11.
12 Or, si l’on admet que les mythes contemporains et le « sacré
sauvage » qui les accompagne fleurissent sur le terreau de la
modernité et du déclin de l’autorité des institutions
normatives, on peut légitimement supposer que ni ces
mythes, ni les expressions non institutionnelles du sacré
n’ont attendu la fin des années soixante pour éclore. Le
naturisme du début du xxe siècle, dès lors, pourrait être
envisagé comme l’une des manifestations de ce «  sacré
sauvage  ». En effet, si l’on considère que le fait d’attribuer
une force parti culière à la nature correspond au sens que
Roger Bastide donne au terme «  sacré  » - l’expérience
directe que l’homme peut faire du religieux -, on peut
soutenir que le naturisme naît souvent de l’expérience de ce
«  sacré sauvage  ». Que l’on évoque le cas des anarchistes
naturiens qui contestent l’ordre social en lui opposant le
mythe de la fusion dans une nature toute- puissante ou celui
de ces naturistes qui fondent leur rejet de la rationalité
médicale sur leur expérience personnelle de la puissance
médicatrice de la nature, il s’agit bien d’opposer une force
«  sauvage  » de la nature à un ordre institué. Le naturisme,
toutefois, n’apparaît réellement que lorsque cette force est à
son tour domestiquée, appréhendée à travers un ensemble
de croyances et de normes de comportement déterminées, à
partir desquelles un groupe social s’institue. Le groupement
naturiste propose ainsi à ses adeptes de faire l’expérience de
la puissance agissante de la nature, non plus de façon directe
et incontrôlée, mais de façon organisée et routinière, en
soumettant la conduite de leur existence à un certain
nombre de règles - de rites pourrait-on dire alors -
collectivement reconnues comme conformes aux exigences
de la nature.

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13 Si l’on peut dire que le naturisme est fondé sur une


conception sacralisée (mais non transcendante) de la nature
en ce qu’il lui attribue une force particulière dont les
individus peuvent faire l’expérience, il ne nous semble pas
néanmoins que cela suffise à en faire un phénomène
religieux. Nous préférons avancer l’hypothèse selon laquelle
le naturisme propose une interprétation de la réalité qui relie
les gestes élémentaires de la vie quotidienne s’alimenter, se
vêtir, se loger, se laver, se soigner, cacher ou montrer son
corps à un imaginaire mythique, indépendant de tout
système dogmatique et de toute référence à une divinité, et
les inscrit dans une finalité générale de l’existence. Le
naturisme se déploierait ainsi sur un pan de la culture que
n’occupe pas la pensée rationnelle et que n’occupe plus la
pensée religieuse cantonnée, sous l’effet de la sécularisation,
à la gestion des relations entre l’homme et le divin. En
termes anthropologiques, on pourrait dire que le naturisme
campe sur un espace de l’activité symbolique l’attribution
d’un sens aux réalités de la vie quotidienne - que la
modernité a quelque peu écarté de ses préoccupations. Si
l’on suppose alors que le naturisme ne représente que l’une
des multiples manières dont cet espace a pu être occupé, si
l’on admet que le mythe du retour à la nature ne constitue
que l’un des mythes contemporains grâce auxquels les
hommes ont pu relier les servitudes de l’existence à des
craintes, des attentes et des espérances, alors tout un pan de
l’histoire sociale et culturelle du xxe siècle s’ouvre à de
nouvelles investigations.

Notas
1. Si nous parlons de naturisme « de masse », c’est plus pour qualifier les
intentions de ses promoteurs que pour souligner l’ampleur réelle de son
développement. Ce naturisme de plein air ne revêt un caractère massif
qu’au regard des effectifs du courant végétaro-naturiste.
2. M. Cluet, La « Libre culture »..., op. cit.
3. Cf. par exemple Ch. Topalov (dir.). Laboratoires du nouveau siècle....
op. cit.
4. R.Bastide, Le Sacré sauvage, op. cit, p. 149-158.
5. Ibidem, p. 152.
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6. S. Audoin-Rouzeauet A. Becker, 14-18..., op. cit, p. 270.


7. Cf. notamment J. Kitagawa, The History of Religion. Essay on
problems of understanding, Chicago, University of Chicago Press, 1967,
p. 57-61  ; F. Champion, «  Religieux flottant...  », op. cit, D. Hervieu -
Léger, Le Pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris,
Flammarion, 1999, p. 162-163 et La Religion en miettes..., op. cit, p. 76-
80.
8. R. Bastide, Éléments de sociologie religieuse, op. cit, p. 61-62.
9. R. Bastide, «  L’Homme, cette machine à fabriquer des dieux  »,
Diàrio, 2 juillet 1943, reproduit dans Le Sacré sauvage, op. cit, p. 75-78.
10. R. Bastide, «  La Mythologie moderne  », Masses ouvrières, juin-
juillet 1969  ; «  Prométhée ou son vautour. Essai sur la modernité et
l’anti-modernité  », conférence prononcée à Barcelone, en 1973  ; «  Le
Sacré sauvage  », conférence prononcée à Genève, en 1973, reproduits
dans Le Sacré sauvage, op. cit, p. 81-91, 163-182 et 209-229.
11. Ibidem, p. 221-224.

© Presses universitaires de Rennes, 2004

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BAUBÉROT, Arnaud. Conclusion In: Histoire du naturisme: Le mythe
du retour à la nature [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
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<http://books.openedition.org/pur/22893>. ISBN: 9782753523036.
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BAUBÉROT, Arnaud. Histoire du naturisme: Le mythe du retour à la
nature. Nueva edición [en línea]. Rennes: Presses universitaires de
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Le mythe du retour à la nature
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Histoire du naturisme  | Arnaud Baubérot

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Le mythe du retour à la nature


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