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La synagogue

Copernic : encore un
monument Art déco
menacé
Didier Rykner lundi 6 décembre 2021
https://www.latribunedelart.com/la-synagogue-copernic-encore-un-monument-art-deco-
menace

Le dossier a déjà été largement médiatisé et nous aurions dû en parler


depuis longtemps mais désormais le temps presse puisque la demande
de permis de démolir a été déposée et que le dossier est en cours
d’instruction auprès de la Ville de Paris. Il s’agit de la synagogue de la
rue Copernic, celle-là même qui avait été victime, le 3 octobre 1980,
d’un attentat à la bombe ayant fait quatre morts et une quarantaine de
blessés et qui, pendant la guerre, avait également été touchée par un
premier attentat le 3 octobre 1941.
1. La synagogue Copernic
Photo : Didier Rykner
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Nous avions voulu entrer dans la synagogue pour nous rendre compte
sur place de la qualité du monument et y réaliser un reportage
photographique mais les lieux sont complètement interdits aux
journalistes. Nous avons donc dû nous rendre à un office et prendre
discrètement quelques photographies (ill. 1) que nous complétons ici
avec de meilleures images (ill. 2 à 5) qui nous ont été gracieusement
fournies par un opposant à la démolition de l’édifice.
2. Marcel Lemarié (1864-1941)
Synagogue de la rue Copernic, 1924
Photo : F.Mtz.Falero-Hein
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Nous avons donc pu constater que le lieu de culte, derrière une façade
très discrète, est une belle construction précoce de l’Art déco (elle date
de 1924) due à Marcel Lemarié. Sobre mais d’une architecture de
qualité, elle est d’autant plus digne d’être préservée qu’il n’existe pas
d’autres synagogues de cette époque et de ce style en France.
L’attentat de 1941 avait uniquement abimé la façade et deux petites
salles entre la façade et la salle de culte ; celui de 1980, si l’on en croit
les témoignages que l’on trouve sur internet, avait du point de vue
matériel surtout frappé la rue et l’extérieur du monument, tandis qu’à
l’intérieur, seule la verrière avait été touchée et le plafond d’une
extension créée en 1968. La salle principale est donc pour l’essentiel
dans son état d’origine, la verrière ayant été restaurée à l’identique.
3. Marcel Lemarié (1864-1941)
Synagogue de la rue Copernic, 1924
Photo : F.Mtz.Falero-Hein
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Il suffit de se rendre dans cette synagogue ou de regarder les


photographies pour constater que le monument possède un véritable
intérêt architectural renforcé par son caractère unique. Dominique
Jarrassé, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université
Bordeaux Montaigne, dans un article publié sur le site de l’association
Sites & Monuments, explique les qualités remarquables de cette
synagogue, notant l’importance de son auteur, Marcel Lemarié,
soulignant que celui-ci, « utilisant le béton, dessine des structures
portantes audacieuses avec des porte-à-faux qui répondent à un
programme complexe, bâtir une synagogue encaissée dans une cour »
et ajoutant « que cette option moderniste, qui allait à l’encontre de la
tendance encore dominante des synagogues conçues sur le modèle des
églises, se trouve en parfaite adéquation avec les principes rationalistes
et modernes défendus par le rabbin fondateur de l’ULIF Louis-Germain
Lévy », il souligne l’atmosphère originale qui se dégage de la verrière et
du lanterneau central de huit baies (ill. 4). Enfin, il décrit le décor Art
déco qui court sur les murs (ill. 5) : « des inscriptions hébraïques
puisées dans les Psaumes ou le Talmud et des cartouches montrant
des objets rituels, telles la menora (chandelier) et la lyre du psalmiste, et
aussi des représentations comme le Temple de Jérusalem », des
« stucs blanc et or ornés de motifs végétaux géométrisés selon les
formes typiques de l’Art Déco ».

4. Marcel Lemarié (1864-1941)


Synagogue de la rue Copernic, 1924
Détail du lanterneau
Photo : F.Mtz.Falero-Hein
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5. Marcel Lemarié (1864-1941)
Synagogue de la rue Copernic, 1924
Détail des décors en stuc
Photo : F.Mtz.Falero-Hein
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La décision de la Commission régionale du patrimoine et de


l’architecture d’Île-de-France du 27 septembre 2018, qui a refusé
l’inscription monument historique à ce monument, est donc d’autant
moins compréhensible. À moins qu’elle ne le soit trop quand on sait que
le conservateur régional des monuments historiques était, à cette date,
Dominique Cerclet, le même qui se félicitait du projet sur les Serres
d’Auteuil ou qui se venait soutenir Marcel Campion devant le tribunal
administratif… Pour la DRAC Île-de-France dont les autres
représentants n’étaient pas davantage là pour protéger le patrimoine,
cette synagogue « ne revêt pas d’intérêt architectural particulier », et
« ses décors sont très courants ». Nous aimerions savoir notamment où
l’on peut trouver de tels décors Art déco à signification hébraïque.
5. Façade actuelle de la synagogue, rehaussée de deux
étages
Photo : Didier Rykner
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6. Projet de façade après la destruction et
reconstruction de la synagogue Copernic
© Valode et Pistre
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Nous avons demandé à l’ULIF (Union Libérale Israélite de France),


propriétaire de la synagogue, pourquoi elle tenait à détruire un édifice
manifestement en bon état. Celle-ci a répondu sans rire que « le terme
destruction n’est pas approprié » ! Il ne s’agit pas en effet de la détruire
mais de la « reconstruire ». On échappe de peu au terme
« déconstruire ». En effet, « la salle de culte devant être transposée à
l’identique au premier étage ». On appréciera l’ironie involontaire de la
chose : la synagogue ne répondrait plus « aux normes de sécurité ni
d’accessibilité » et pour la mettre aux normes, on reconstruit [1] le lieu
de culte, qui se trouve au rez-de-chaussée, au premier étage !
Quand on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage, et c’est
exactement ce qui se passe ici en prétendant qu’une « mise aux
normes » exigerait la destruction du monument. Plus drôle encore :
celle-ci impliquerait « le percement de nouvelles ouvertures » qui
« dénaturerait complètement la façade existante ». Qui peut croire que
cela poserait un problème pour l’ULIF, surtout quand on compare la
façade actuelle (ill. 6), qui pour être banale s’insère parfaitement dans le
tissu urbain haussmannien qui l’entoure, avec son projet pour la
nouvelle synagogue (ill. 7) qui, elle, dénaturera effectivement
complètement la rue.

La Ville de Paris, interrogée sur sa position, a botté en touche en nous


faisant la réponse suivante : « la demande de permis a été déposée en
octobre dernier, le dossier sera étudié par la Direction de l’urbanisme et
il passera devant la commission du vieux Paris ». Bien entendu, la
DRAC Île-de-France ne nous a pas répondu, puisqu’elle ne nous répond
jamais, une attitude indigne qui n’est pas étonnante, compte-tenu de son
incapacité chronique à remplir sa mission de protection du patrimoine,
que ce soit en 2018, comme nous l’avons vu, ou aujourd’hui alors que
plusieurs des personnes alors en charge ont depuis été remplacées.

On se demande désormais ce qui pourrait sauver la synagogue


Copernic, malgré la pétition toujours en ligne ici, encore un monument
Art déco menacé de destruction. Un monument que deux attentats
n’avaient pourtant pas réussi à faire disparaître.
Didier Rykner

Notes
[1] Précision du 7/12/21 : un ou deux lecteurs
ayan

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