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FERROVIAIRE
PAR PIERRE-LOUIS ROCHET (65) ET DIDIER MAINARD (82)
conseiller spécial marketing et directeur industriel et technologie
stratégie du groupe Vossloh Vossloh Cogifer

L’appareil de voie, élément clé


du transport à grande vitesse
Les trains à grande vitesse ne peuvent exister et rouler que parce
qu’on a su développer et réaliser une voie ferrée moderne. C’est la La limite des joints
qualité de cette voie ferrée composée de cailloux (le ballast) et de Les joints situés entre les rails
(18 m en général), générateurs du
morceaux d’acier qui paraissent a priori assez bruts (les rails) célèbre « tac-tac » des trains des
qui permet de rouler en toute sécurité à des vitesses commerciales années d’après-guerre, étaient
de 320 km/h. Dans cette voie qui semble simple, un élément est des points sensibles. Le choc au
indispensable pour permettre ces performances : l‘appareil de voie, droit de la lacune était source de
bruit et engendrait, en raison de la
aussi appelé aiguillage (ADV pour la suite de cet article). surcharge dynamique répétée, des
détériorations du rail et des roues
nécessitant un entretien fréquent,
et obligeant à limiter la vitesse.
■ Qu’est-ce qu’un ADV ? C’est le
système qui permet de changer de Un système complet
voie, soit pour bifurquer sur une réduirait la sécurité : il faut donc
Quand on parle de système de
autre ligne, soit pour changer de voie transport ferroviaire à grande
qu’il présente les mêmes caracté-
sur une même ligne à double voie, vitesse, on pense évidemment à ristiques et qualités de roulement
soit pour rentrer sur une voie en notre fameux TGV (marque que la voie courante qui l’encadre,
gare : il comprend, en pointe, l’ai- appartenant à la SNCF), donc au et qu’il ne lui soit pas relié par des
guillage proprement dit, fait de deux matériel roulant. joints qui seraient alors un nouveau
aiguilles qui assurent la continuité, On oublie que ceci est un système, point faible, alors qu’on l’a juste-
soit de la voie directe, soit de la voie dont le matériel roulant est la ment pallié en voie courante. Il faut
déviée, et qui glissent latéralement, partie la plus visible. Comme pour pouvoir le franchir dans les deux
et en partie centrale le cœur de croi- l’iceberg, elle ne représente sens, à pleine vitesse en voie di-
sement, situé avant les deux voies qu’une faible partie, environ 20 à recte et à vitesse élevée en voie dé-
30 % du coût d’un projet neuf.
de sortie (l’une en général droite, en viée, avec le même niveau de sé-
voie « directe », l’autre souvent curité que la pleine voie.
courbe, en voie « déviée »). Cela a été rendu possible grâce à la
Mais en quoi l’ADV est-il fondamen- mise au point d’attaches de rail dites
tal pour permettre de faire rouler «élastiques» qui ont permis de sup- Il faut être certain que les
des trains à grande vitesse ? primer les joints et les appareils de aiguilles ne bougent pas
En 1955, lors du record à 331 km/h, dilatation entre rails. Mais il fallait sous le train
les capacités du matériel roulant que l’ADV soit homogène avec la voie
permettaient déjà d’atteindre des courante, sinon cela ne servait à
vitesses élevées, mais c’est la voie rien. On ne pouvait pas admettre de Le développement et la mise au
qui limitait la performance. Dans ralentir les TGV à l’entrée de chaque point de l’appareil de voie français
les années soixante, on a com- gare intermédiaire où ils n’avaient pour la grande vitesse, grâce aux
mencé à réaliser des voies ferrées pas à s’arrêter. efforts conjoints des ingénieurs de
en « longs rails soudés », d’abord la SNCF et de l’industrie, ont com-
de 800 mètres, puis de longueur Sécurité et vitesse porté les progrès suivants.
indéfinie, ce qui a permis d’oser la L’ADV ne doit pas être le maillon Tout d’abord, le rail à l’intérieur de
grande vitesse. faible qui limiterait la vitesse, ou l’appareil, et les aiguilles, en voie

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EXPRESSIONS
directe comme en voie déviée, sont
inclinés au 1/20e par rapport à la
verticale, comme l’est le rail
normalement en voie courante en
France, ce qui ne crée donc aucune
différence dans le roulement des
trains.
Les rails attenants sont soudés au
cœur de l’appareil, ce qui a été
possible à partir du moment où a
été mis au point un procédé origi-
nal de soudure dans les années
quatre-vingt.
Le cœur fixe classique présente
lui-même une lacune pour permet-
tre le passage des roues, ce qui se
traduit par un choc sur la pointe du

D.R.
cœur, source de bruit, d’usure et
Cœur à pointe mobile.
d’inconfort. A donc été développé
et mis au point un cœur « à pointe
mobile » qui ne comporte plus de maximale, donc nécessitant des
lacune, donc permet de rouler en coupures de trafic pour visites de
toute sécurité à la même vitesse contrôle et entretien aussi limitées Un développement
que la voie courante, avec un roule- que possible. Le système dit « Sur- durable
ment parfaitement continu. vaig NG» assure un suivi à distance Il faut minimiser les impacts sur
du comportement de l’appareil et l’environnement, même si l’on
de ses éléments de commande, de considère que le système
À droite ou à gauche motorisation et de contrôle, et per- ferroviaire, en particulier à grande
met de programmer de manière vitesse, est déjà intrinsèquement
L’inclinaison générale des rails
optimale les interventions de main- très efficace dans ce domaine. Par
permet de limiter le phénomène
tenance prédictive nécessaires, afin exemple, les coussinets de
de lacet du matériel roulant qui
d’éviter la survenue de pannes qui glissement, sur lesquels glisse
serait, sans cela, créateur
pourraient affecter les circulations transversalement la partie mobile
d’inconfort permanent. Il est au
des aiguilles (qui ont une longueur
1/20e en France et au 1/40e sur et le trafic de la ligne. (En effet le
parfois de 57 m, dont 39 m
une voie type allemande. En plus principe de base de la sécurité en flexibles), sont maintenant revêtus
de cette différence concernant chemin de fer est que le dysfonc- de Ni-Cr, sans entretien, et évitent
l’inclinaison des rails, le courant tionnement d’un élément pouvant ainsi la traditionnelle, fastidieuse,
électrique d’alimentation et la affecter la sécurité entraîne coûteuse et surtout polluante
signalisation de contrôle- d’abord l’arrêt des trains : c’est opération de graissage des
commande des trains sont
donc bien sécuritaire, mais cela af- coussinets autrefois utilisés.
différents entre les deux pays. En
outre, en France on roule à gauche
fecte le fonctionnement du sys-
sur une double voie et à droite en tème, en pénalisant les voyageurs.
Allemagne (ainsi qu’en Alsace). Il faut donc l’éviter.)
Les ADV sont maintenant réalisés Augmenter le débit
sur des supports (« longrines ») en Le paradoxe de la grande vitesse fer-
Enfin, il convient d’être certain que béton précontraint : cela nécessite roviaire est que plus les trains vont
les aiguilles sont parfaitement en beaucoup moins d’entretien, donc vite, plus ils attirent de trafic, plus
place au passage du train, et plus de déplacements et de coûts, sup- ils nécessitent de débit en ligne,
encore qu’elles ne bougent pas ou prime la pollution que compor- donc plus il faut les rapprocher alors
ne « battent » pas sous le train. taient les planchers en bois des ap- que la distance de freinage aug-
C’est l’objet des systèmes de pareils traditionnels, qu’il fallait mente et donc pousse à les éloigner
contrôle et commande originaux « créosoter » avec un produit très entre eux. La ligne à grande vitesse
développés par Vossloh Cogifer, nocif pour l’environnement, et évite (LGV) Paris-Lyon a été conçue pour
ainsi que des moteurs assurant le d’importer des bois exotiques ob- un train circulant à 260 km/h toutes
mouvement. À noter que ces sys- tenus en détruisant les forêts pri- les 5 minutes, puis adaptée pour un
tèmes brevetés ont permis au TGV maires tropicales. intervalle de 4 minutes. La LGV At-
du record du monde de rouler à Enfin, leur grande fiabilité et le sys- lantique a permis de passer à
plus de 560 km/h sur des ADV tème de maintenance prédictive 300 km/h avec un train toutes les
en 2008. associé limitent de facto la pré- 4 minutes. La LGV Nord a conservé
Tout cela n’est toutefois valable que sence sur site des personnels d’en- la même vitesse de 300 km/h mais
si la disponibilité de la voie reste tretien. en resserrant les trains toutes les ➤

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minue le nombre de trains possible
aux heures de pointe, donc la capa-
CONSTITUTION D’UN BRANCHEMENT cité de la ligne.
Il est donc indispensable que la vi-
tesse de sortie d’une ligne à grande
vitesse par un train soit la plus éle-
PARTIE
AIGUILLAGE INTERMÉDIAIRE CROISEMENT vée possible et c’est pourquoi ont été
conçus et développés des appareils
de voie très performants, qui per-
Contre-aiguille rectiligne Contre-rail mettent de sortir à 230 km/h d’une
ligne vers une autre ; à 170 km/h
pour changer de voie en pleine ligne
Écartement

protection
Aiguille courbe
de voie

Cote de
Voie directe ou entrer sur la voie déviée de des-
Aiguille rectiligne
serte d’une gare.
Cœur Cela nécessite des ADV très longs
Contre-aiguille courbe
(215 m pour la vitesse 230 km/h en
Voi
ed
voie déviée et 140 m pour la vitesse
Contre-rail évié
e 170 km/h), délicats à poser à la per-
fection, car l’aiguille, très fine, doit
Liaison entre les rails (soudures) être ajustée au 1/10e de millimètre
et on atteint des limites technologi-
D.R.

ques et économiques. Aller au-delà


entraînerait des coûts très élevés.
➤ 3 minutes. Enfin la LGV Est euro- classique, comme, par exemple, de-
péenne a été l’occasion d’accélérer puis la LGV Sud-Est vers Dijon. Une contribution
les trains à 320 km/h, en réussis- aux exportations
sant à maintenir une cadence à L’appareil de voie, qui n’a pas la sym-
3 mn 30 s. Ces prouesses du frei- Si un train doit ralentir, il faut bolique et l’aura du mobile (la rame
nage et de la signalisation ne pou- augmenter l’intervalle qui le à grande vitesse), peut paraître avoir
vaient pas se heurter à un point dur sépare du train suivant peu évolué depuis les débuts du che-
résiduel lié aux appareils de voie. min de fer. Il est en fait un élément
Un progrès était donc attendu dans beaucoup moins visible, mais assez
ce domaine comme ailleurs. Dans tous les cas évoqués ci-des- complexe et sophistiqué, en tout cas
On sait que la capacité d’un axe de sus, les trains franchissent un ADV déterminant pour l’exploitation d’un
transport est celle de son tronçon le en déviation en quittant la voie prin- système ferroviaire à grande vitesse
moins performant. cipale : or si un train à grande vi- en toute sécurité et efficacité, tout
Or, en particulier aux heures de tesse doit beaucoup ralentir pour en étant d’un faible poids dans l’in-
pointe, les besoins d’un exploitant prendre la voie déviée, cela signifie vestissement global. Fabriqué en
de système ferroviaire sont tels que que, derrière lui, l’intervalle qui le France, il contribue fortement aux
certains « TGV » doivent s’arrêter sépare du train suiveur doit être plus exportations ferroviaires (l’équiva-
dans des gares intermédiaires, en grand pour ne pas ralentir ce der- lent de 5 à 6 rames TGV) et maintient
principe sur une voie à quai paral- nier et mathématiquement cela di- dans notre pays un emploi industriel
lèle à la voie principale, permettant de grande qualité et de haut niveau
aux trains directs de passer sans Deux trains de moins technologique. ■
arrêt pendant ce temps (par exemple
à Lille-Europe sur la LGV Nord, par heure
Vossloh Cogifer, filiale française
Mâcon ou Lyon-Saint-Exupéry sur la Sur une ligne à grande vitesse
du groupe européen Vossloh, est
LGV Sud-Est) ; passer d’une voie à équipée avec le système de
spécialisée dans les appareils de
l’autre sur une même ligne à double contrôle-commande français
voie. Elle exploite deux usines en
TVM 430 ou le système européen
voie, en cas de panne d’un train situé France, à Fère-en-Tardenois et
interopérable ERTMS niveau 2,
devant, ou de travaux nécessitant Reichshoffen, employant environ
avoir une vitesse déviée à l’entrée
une interruption de circulation sur 500 personnes.
en gare de 170 km/h diminue la
un tronçon (on a connu l’exemple cé- Vossloh Cogifer, implanté dans
capacité de deux trains par heure
lèbre du tunnel sous la Manche pen- vingt-trois pays, équipe en
par rapport à une ligne exploitée
dant la réfection après un incendie particulier les lignes à grande
sans aucun arrêt intermédiaire
vitesse en Angleterre (Londres-
où l’exploitation se faisait en alter- avec uniquement des trains
Tunnel), Italie, Espagne, Corée,
nance sur un tiers du tunnel) ; sor- directs en heure de pointe (en
Turquie et Chine, et toutes les
tir de la LGV pour aller rouler sur pratique 15 trains à l’heure), alors
lignes à grande vitesse françaises,
une autre LGV, comme sur la bran- que la sortie à 230 km/h sur une
et réalise environ 90 % de son
che vers la Bretagne avant Le Mans; branche de LGV n’a aucun effet
activité à l’exportation.
restrictif sur la capacité.
bifurquer de la LGV vers une ligne

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