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LES PRINCIPES DE LA TRANSLITTÉRATION

Partie V
LA TRANSLITTÉRATION DE L'ARABE ET LA NOUVELLE
NORME DE L'ISO

LE SYSTÈME ADOPTÉ ET SON EXTENSION ÉVENTUELLE


On trouvera en fin d'article la reproduction partielle (sans les notes) de
la recommandation ISO24. Un commentaire détaillé, une réponse aux
objections soulevées au cours de l'enquête et ailleurs seraient
inaccessibles aux non-arabisants et donc déplacés dans cette revue.
J'espère les publier dans une revue spécialisée.
Quelques mots d'explication sont pourtant possibles et nécessaires. La
Recommandation contient deux sections de notes sur la translittération
avec ou sans i'rab. Ce terme mystérieux indique en arabe les voyelles
désinentielles de déclinaison, à la fin des noms, qui sont souvent omises
dans la lecture. C'est le cas particulièrement dans les noms propres de
sorte que cette omission facilite les notations des bibliothécaires et des
géographes. Par exemple des noms courants ou connus comme
Muhammad, Ibn Haldun seraient, avec i'rab, Muhammadun, Ibnu
Halduna. Des traits d'union ont été employés pour séparer des particules
qui, graphiquement, sont liées au mot; c'est une infraction à la
translittération stricte puisque rien ne correspond dans la graphie arabe à
ce signe. Mais il a l'avantage de décomposer des complexes verbaux que
la grammaire arabe décompose elle aussi et qui, tels quels, peuvent
masquer aux yeux du profane un mot connu (par exemple titre de livre)
ou un nom propre. On s'est résigné aussi à l'usage très critiqué de lettres
écrites en exposant au-dessus de la ligne. Cela a paru la manière encore la
plus pratique d'obvier à des équivoques qu'admettent la plupart des
sytèmes en usage. On n'a rien proposé qui paraisse remplacer le procédé
de manière convaincante.
La principale qualité du système adopté par l'ISO est sa cohérence et le
nombre de détails qu'il prévoit. Il faut bien voir que le reste est
accessoire, par exemple les signes diacritiques employés. On pourrait très
bien prévoir des adaptations où une série de signes diacritiques seraient
remplacés par d'autres signes ou d'autres moyens, par exemple les points
au-dessous de la lettre par une impression de celle-ci en caractères
italiques comme cela a été fait parfois25. Cette transposition ne porterait
nullement atteinte à l'esprit du système. Il suffirait comme toujours,
d'avertir l'usager et de renvoyer à une table de correspondance.
La question de l'extension éventuelle de l'usage de ce système peut
aussi être traitée ici. On a vu ci-dessus à quel type d'usage il pouvait être
employé en dehors même des bibliothèques et des cartes géographiques.
Certains auteurs de systèmes, en dernier lieu le cardinal Tisserant, ont été
plus ambitieux. Leur but avoué est, au moins dans une perspective
lointaine, de remplacer l'écriture arabe, dans les pays arabes même, par
l'écriture latine telle qu'ils l'ont aménagée pour l'adapter à la langue arabe.
Le cardinal Tisserant cite l'exemple de la Turquie kémaliste et de la
Chine populaire qui ont remplacé leurs vieilles écritures (le dernier pays
cité encore partiellement) par un alphabet latin. Naturellement, rien ne
s'oppose techniquement, quoi qu'on en ait dit, à une telle transformation.
Les avantages en seraient grands du point de vue de la facilité de
l'apprentissage de la langue arabe. Des heures d'étude précieuses
pourraient être économisées au bénéfice des enfants. Dans une
perspective d'unification mondiale des écritures, qui aurait, elle aussi,
bien des avantages, l'alphabet latin est sans doute, à privilégier, nullement
à cause de ses qualités intrinsèques26, mais à cause de la prédominance
actuelle à l'échelle mondiale des formes de culture développées dans
l'Occident d'écriture latine. On a objecté que, dans les langues sémitiques,
la structure de la racine apparaît moins clairement avec l'alphabet latin et
la notation des voyelles brèves. C'est oublier que, dans l'écriture arabe
elle-même, elle est souvent obscurcie par l'accumulation des voyelles
longues, par les affixes et les accidents phonétiques. Les débutants le
savent bien qui ont souvent beaucoup de mal à retrouver la racine d'un
mot. Mais les difficultés viennent plutôt des conditions sociales et
culturelles. En pays musulman, pour le moment, toute réforme de ce
genre se heurterait (le fait s'est d'ailleurs produit déjà à plusieurs reprises)
à une levée de boucliers basée sur des arguments religieux et
nationalistes27. L'obstacle est infranchissable dans l'état actuel des
choses, non seulement pour l'adoption d'un alphabet latin, mais même
pour une réforme trop radicale de l'alphabet arabe comme celle de Mr
Yahya Boutémène. On sait d'ailleurs combien, en ces matières, en
l'absence même d'arguments religieux ou nationalistes, la force du
conservatisme culturel est puissant. Il suffit d'évoquer comme exemples
l'impossibilité, en France et en Angleterre, d'aboutir à la réforme
d'orthographes absolument désastreuses et injustifiables. Tout cela fait
que la recommandation ISO doit se borner à des usages limités, mais
importants, sans prétendre à bouleverser les habitudes culturelles du
monde arabe.
Il faut tenir compte aussi du fait que l'écriture arabe est employée pour
transcrire des langues non arabes. L'écriture, en règle générale, va avec la
religion et l'écriture du Coran est devenue celle de tous les pays
musulmans. Il a fallu une offensive laïque (en Turquie) ou antireligieuse
(dans les républiques soviétiques à population musulmane) pour imposer
à la place l'écriture latine ou cyrillique respectivement. L'écriture arabe
sert donc à écrire le persan, l'ourdou, l'afghan, etc. Elle a subi pour cela
quelques adaptations, certaines lettres recevant des points diacritiques ou
autres signes adventices supplémentaires. En général pourtant, la non-
notation des voyelles brèves a plus d'inconvénients pour ces langues que
pour l'arabe et les langues sémitiques. D'où des inconséquences et aussi
des difficultés dans la translittération. Il faudrait adapter la
recommandation ISO pour qu'elle puisse servir à translittérer aussi ces
langues, la difficulté principale étant d'avoir une translittération stricte
tout en restant suffisamment proche de la prononciation. On pourrait
peut-être mettre en chantier de tels projets en prenant pour base les règles
qu'avait autrefois adoptées la D. M. G. en même temps que ses règles
arabes.
Il y a aussi le problème difficile de la notation des dialectes arabes. En
général, ceux-ci ne sont pas écrits28, la langue classique étant seule jugée
digne d'être confiée à l'écriture. Si on veut noter des mots ou phrases
entendus, il faut donc recourir non à la translittération, mais à la
transcription et employer un des systèmes de transcription courants. Si
pourtant on veut rendre des textes qui, exceptionnellement, ont été écrits
en écriture arabe et permettre la reconstitution de cette transcription
arabe, il faut là aussi élaborer (à partir de la recommandation ISO de
préférence) un système qui soit cohérent du point de vue de la graphie
tout en restant aussi proche que possible de la prononciation réelle.
On voit les problèmes qui restent à résoudre. Mais dès maintenant il
faut se féliciter de voir un système cohérent et soigneusement étudié
adopté à l'échelle internationale par un organisme qui a les moyens de
diffusion de l'ISO. Il faut souhaiter que ce système soit de plus en plus
adopté par les personnes et les institutions auxquelles se pose le
problème.

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