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LES PRINCIPES DE LA TRANSLITTÉRATION

Partie III
LA TRANSLITTÉRATION DE L'ARABE ET LA NOUVELLE
NORME DE L'ISO

PROBLÈMES PARTICULIERS AUX ÉCRITURES


SÉMITIQUES
Les principales écritures qui servent à écrire les langues sémitiques
(avec l'exception notable de l'écriture éthiopienne) posent un problème
fondamental non prévu dans les considérations générales exposées ci-
dessus. L'arabe, l'hébreu, le syriaque n'écrivent normalement que les
consonnes (y compris ce qu'on appelle couramment les semi-voyelles : le
w de « watt » et le y de « yeux ») et les voyelles longues. Les voyelles
brèves ne sont pas écrites dans la forme la plus ancienne et dans la forme
courante de la graphie, par exemple dans les livres ordinaires, les
journaux, etc. La structure particulière aux langues sémitiques fait que
cette omission, tout en n'étant pas sans inconvénients, n'a pas néanmoins
le caractère de vice rédhibitoire qu'elle aurait pour une langue indo-
européenne. Néanmoins ces inconvénients ont été sentis anciennement et
des signes adventices ont été créés pour indiquer les voyelles brèves (et
aussi le cas échéant, pour indiquer la reduplication de la consonne,
l'accent, etc.). Ils se placent au-dessus ou au-dessous des lettres, parfois à
l'intérieur en hébreu. Ils ne sont employés qu'exceptionnellement dans les
textes où tout contresens ou toute prononciation défectueuse doivent être
évités (livres sacrés, poésie) ou encore dans un but pédagogique
(ouvrages philologiques, livres d'enfants et scolaires, etc.). La règle ci-
dessus exprimée, d'après laquelle la translittération part du texte écrit
dans l'écriture originale et doit pouvoir aboutir à sa reconstitution exacte,
doit donc être interprétée. C'est pourquoi l'ISO a adopté, sur proposition
des rédacteurs des normes arabe et hébraïque, l'addition suivante à la «
note introductive sur les principes généraux de la translittération » citée
ci-dessus : « Pour l'arabe (ou l'hébreu) qui s'écrit habituellement d'une
façon incomplète (sans voyelles), la translittération ne peut être
automatique, à moins qu'elle ne se fasse à partir d'un texte complété par
les voyelles et autres signes habituellement omis. Il en résulte que
l'opération de translittération exige une bonne connaissance de l'arabe (ou
de l'hébreu), avec recours, s'il y a lieu, aux dictionnaires pour les
indications de vocalisation. »
PROBLÈMES PARTICULIERS À L'ÉCRITURE ARABE
L'écriture arabe (comme sans doute toute écriture) pose encore
quelques problèmes qu'il est difficile de résoudre par simple recours
automatique aux règles générales. En voici un que je vais m'efforcer
d'exposer d'une façon accessible aux non-arabisants. L'article défini est en
arabe al- qui se place devant le nom (par exemple al-kitâb « le livre »).
Mais, devant certaines consonnes, le l final de l'article s'assimile à la
consonne suivante, par exemple ad-dalîl, « le signe ». Mais la graphie
normale, sans voyelles brèves ni signes adventices assimilés, écrit sans
noter cette assimilation al-dlîl. La graphie complète ne place aucun signe
sur le l ce qui indique qu'il ne doit pas se prononcer. Par contre, elle place
un signe de reduplication sur le d. A strictement parler, cette graphie
complète note donc al-ddalîl pour indiquer la prononciation ad-dalîl. Une
translittération stricte noterait donc al-ddalîl. Mais c'est là aller contre les
intentions de la graphie et suggérer une prononciation irréelle et d'ailleurs
impossible. Certains systèmes ont cru être fidèles au principe de la
translittération en écrivant al-dalîl qui correspond mieux à la graphie
incomplète. Mais, en réalité, ils ne notent pas la reduplication du d
marquée par la graphie complète et commettent donc tout autant une
infraction à ce principe que ceux qui écrivent ad-dalîl. Le choix n'est donc
pas primordialement entre al-dalîl et ad-dalîl, mais entre al-ddalîl et une
translittération lacunaire sur un point ou sur l'autre. D'autre part, les
notions les plus élémentaires de la grammaire arabe enseignent à restituer
al- dans l'écriture quand on entend ou quand on voit transcrit ad-dalîl. Si
donc on renonce à la translittération stricte (que presque aucun système
n'a proposée et qu'aucun système effectivement usité n'a employée), si on
veut aussi se référer à la graphie complète comme le recommande le texte
cité plus haut, si on veut enfin être fidèle au principe explicité ci-dessus
qui pose qu'il est désirable de suggérer la prononciation réelle, la balance
paraît pencher en faveur d'ad-dalîl qui correspond à la prononciation
réelle et aux intentions de la graphie et qui permet à toute personne ayant
des connaissances élémentaires en arabe de restituer la graphie
originale16. Après longue discussion, on a donc adopté dans la norme de
l'ISO les translittérations du type ad-dalîl.
SITUATION DES SYSTÈMES DE NOTATION DE L'ARABE
Les sytèmes proposés pour transcrire et translittérer l'arabe sont
nombreux et remontent loin. Ce n'est pas le lieu ici d'en faire l'historique.
Il suffira d'indiquer quelques grandes lignes et quelques points de
repère17.
Des deux types de systèmes de notation indiqués ci-dessus, celui qui
procède par modification des lettres latines et celui qui se contente
d'ajouter à celles-ci des signes adventices, c'est le second qui a prévalu
dans l'usage des arabisants. Seuls certains Britanniques orientés vers la
phonétique, quelques linguistes des précédentes générations aussi ont
employé le système de l'Association phonétique internationale plus ou
moins modifié. Quelques arabisants ont maintenu l'usage d'une ou deux
lettres latines modifiées au milieu de lettres se conformant au second type
pour bien signifier le caractère unique, spécifiquement arabe du phonème
qu'on voulait noter.
Parmi les variantes du second type, il était souhaitable qu'un choix soit
fait à l'échelle internationale. L'Académie internationale d'histoire des
sciences avait confié une tâche d'unification semblable en 1929 à une «
Commission pour la transcription des noms propres des langues n'usant
pas de l'alphabet latin ». Le rapporteur, J. Ruska prit pour base le système
de la « Deutsche Morgenlândische Gesellschaft » quelque peu modifié.
Un rapport de Fr. Taeschner, déjà présenté au 18e Congrès international
des orientalistes à Leyde en 193I, puis à l'Académie internationale
d'histoire des sciences à Paris en 1932, fut également à la base des
travaux de la commission, composée d'éminents orientalistes, désignée en
1934 par la « Deutsche Morgenlândische Gesellschaft »18.
Les'propositions de cette commission furent soumises au 19e Congrès
international des orientalistes qui se tint à Rome en 1935. Une
commission fut nommée, qui adopta l'ensemble du projet de la D. M. G.
avec deux modifications concernant l'arabe dont l'une nettement
malheureuse. Le Congrès recommanda l'adoption du projet ainsi modifié.
Mais, d'une part, cette recommandation n'a pas été suivie d'une manière
effective. La plupart des orientalistes ont conservé leur façon personnelle
de translittérer. Une grande entreprise collective telle que l'Encyclopédie
de l'Islam, commençant une seconde édition, ne réforme en aucune
manière la translittération adoptée pour la première édition et qui s'écarte
fortement du projet de la D. M. G. A la séance du Comité de préparation
à Paris, des propositions pour se rapprocher sur un ou deux points au
moins des principes adoptés à Rome se sont heurtés à la résistance
obstinée de certains orientalistes éminents qui formaient la majorité et le
noyau du comité. Les bibliothèques, par exemple, ne se sont pas non plus
ralliées unanimement à ces principes. C. Brockelmann lui-même, un des
auteurs du projet de la D. M. G., et celui qui a sans doute le plus fait par
la suite pour en répandre l'adoption en ce qui concerne la langue arabe (le
projet traite aussi du persan, du turc, de l'ourdou et du malais), après une
déclaration préliminaire dans laquelle il déclare vouloir suivre les règles
posées dans ce projet, les applique avec certaines inconséquences dans la
2e édition et le Supplement de sa Geschichte der arabischen Literatur.
D'autre part - et c'est là, avec la force de la routine, une des raisons de
la non-généralisation de l'adoption des règles de la D. M. G. - on a
l'impression que l'examen de ce projet au Congrès de Rome ne s'est pas
fait avec toute l'ampleur qui eût été convenable pour une mesure de cette
importance. Cet examen s'est fait dans le cadre d'une commission très
restreinte dont certains membres ne s'intéressaient pas au problème.
Quelques lignes seulement lui sont consacrées dans le volume des Actes
du Congrès et les propositions de la D. M. G. n'y sont même pas
reproduites. Le résultat en est que certains points de ces propositions qui
sont contestables et quelquefois liés à des habitudes allemandes n'ont pas
été relevés et corrigés comme c'eût été probablement le cas si elles
avaient été soumises à une large discussion devant le Congrès. Si cette
discussion avait eu lieu, il est probable aussi que l'ensemble des
orientalistes se serait senti plus lié par les décisions prises.
Enfin, depuis quelques années, des projets tout nouveaux ont été
élaborés qui s'écartent fortement des lignes suivies par la D. M. G. Il en
sera parlé ci-dessous.
C'est dans le cadre de cette situation qu'une organisation internationale
d'un tout autre type que les sociétés orientalistes, l'ISO, s'intéressa à la
question. Ses préoccupations l'amenèrent, on l'a vu19, à inscrire à son
programme la question de la translittération des écritures non latines. En
octobre 1952, la question de la translittération des caractères arabes en
caractères latins fut abordée sur proposition française et l'AFNOR,
membre français de l'ISO, fut chargée par le Comité technique ISO/TC
46 Documentation de préparer un avant-projet qui puisse servir de base
de discussion.

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