Vous êtes sur la page 1sur 3

Bulletin critique 429

Mohammed Sawaie
Fundamentals of Arabic Grammar [Uṣūl al-naḥw al-ʿarabī], Londres-New York,
Routledge, 2014, 457 p., ISBN: 978-0-415-71003-9 (relié), 978-0-415-71004-6 (broché),
978-0-315-88180-8 (livre électronique).

Ce livre se présente lui-même (p. 1) comme « an authoritative guide to Modern


Standard Arabic (MSA) grammar ». En fait, il entre, pour la plus grande part,
dans la catégorie des grammaires d’apprentissage de l’arabe classique, au sens
étymologique du terme, c’est-à-dire tel qu’il s’enseigne dans les classes. Il s’agit
d’un objet artificiellement homogénéisé par une longue tradition grammati-
cale et didactique, d’abord dans le monde arabe (et, plus largement, musul-
man), puis, à partir de la Renaissance, en Europe (et, plus largement, en
Occident, et, aujourd’hui, dans le monde), ignorant la variation en synchronie
et l’évolution en diachronie.
Cela transparaît par exemple au chapitre 3 (« The case system in Arabic [iʿrāb
al-ʾasmāʾ] »), où ce qui est dit fera sourire même le moins sociolinguiste des
arabisants (p. 27): « It is necessary to mention that the case system is a feature
of classical as well as Modern Standard Arabic. The uses of cases, howewer, is
observed primarily in formal situations like public speeches, news broadcasts,
university and public lectures, and scripted texts » . . . Si l’on choisit d’écrire une
grammaire de l’arabe classique, on enseignera assurément la flexion casuelle
(sans pour autant prétendre qu’elle est syntaxiquement pertinente !),1 mais
on enseignera aussi les règles de l’orthoépie, qui obligent à la supprimer ou
à la réaliser autrement, à la pause, et varient selon le type de discours (poé-
sie, Coran, prose). Si l’on choisit d’écrire une grammaire de l’arabe standard
moderne, il me semble qu’on distinguera entre écrit et oral et, à l’écrit, entre
flexion visible et invisible: seule la première signale les écarts par rapport à la
norme, depuis toujours légion et restant stigmatisés comme des « fautes »; à
l’oral, où règne apparemment une joyeuse anarchie (il suffit d’écouter quelques
minutes la BBC arabe pour s’en convaincre), on s’efforcera de dégager des régu-
larités, c’est-à-dire les cas de flexion obligatoire, comme par exemple le -an des
syntagmes nominaux, dans certaines fonctions, notamment adverbiale. Tout
le reste, en la matière, est littérature—ou plutôt idéologie.
Mais cela transparaît aussi des exemples donnés, qui sont tous fabriqués:
aucun n’est un exemple référencé, extrait d’un corpus. En outre, s’ils sont en
écriture arabe (ce que l’on approuvera), ils sont entièrement vocalisés ! Y-a-
t-il un seul écrit relevant du MSA qui le soit ? Mais ne pas les vocaliser aurait

1 En ce sens, la déclinaison de l’arabe classique est très différente de celle du grec et du latin
classiques et même de l’allemand et du russe, contrairement à ce qu’affirme l’auteur (p. 26).

© koninklijke brill nv, leiden, ���5 | doi ��.��63/15700585-12341356


430 Bulletin critique

évidemment obligé, dans le cadre d’une grammaire d’apprentissage, à donner


une transcription en parallèle et, donc, à réfléchir à l’oralisation de la langue
écrite . . .
Cela transparaît enfin de la petite bibliographie (p. 446-447). Celle-ci est
divisée en « Arabic sources » et « Western language sources ». Les sources
arabes ne comprennent que des grammairiens anciens (ceux qui les pra-
tiquent assidûment savent qu’ils écrivent eux-mêmes une langue autre que
celles qu’ils décrivent), le Ǧāmiʿ al-durūs al-ʿarabiyya ou le Naḥw al-wāfī n’étant
que des compilations modernes des grammaires anciennes. Les sources lin-
guistiques occidentales comprennent trois grammaires de l’arabe classique
(Wright, Brockelmann, Fischer) et trois du MSA (Cantarino, Badawi et alii,
Ryding), elles-mêmes plus ou moins « classicisantes ».
Un seul exemple suffira à illustrer ce qui vient d’être dit, celui du chapitre
20, consacré aux conditionnelles (p. 254-262). En commençant par iḏā et law,
l’auteur reflète certes la domination, en arabe standard moderne, de ces deux
particules pour l’expression du potentiel et de l’irréel (ce qui n’épuise d’ail-
leurs pas la matière). Mais en poursuivant par in avec l’accompli, puis in et
les « noms de condition », avec le jussif (apocopé), il revient manifestement à
l’arabe classique. L’absence de toute référence à un corpus conduit à de graves
inexactitudes. Après avoir exposé que, dans les systèmes en law, « The condi-
tional clause may have a negated verb by lam. The main clause must also begin
with the negative particle mā linked to la- followed by a past tense verb », il
ajoute: « Some changes have been noticed in Modern Standard Arabic in the
rules introduced above. Some writings exhibit the dropping of la- when the
negative particle is used ». Dans l’histoire de la langue, c’est le contraire qui
est vrai ! En arabe coranique, le système dominant (dans la proportion des
¾) est law faʿala, (la-)faʿala/mā faʿala: si la- manque rarement devant faʿala, il
ne se trouve jamais avec mā faʿala. La-mā faʿala, qui apparaît très tôt en arabe
médiéval, témoigne que mā faʿala n’est déjà plus compris comme la négation
de la-faʿala et s’apparente à une hypercorrection.
L’ouvrage est divisé en 38 chapitres. Ils ne sont pas organisés selon le sys-
tème traditionnel des grammaires occidentales, qui traitent d’abord de pho-
nologie et morphologie, puis de syntaxe. Ils ne le sont pas d’avantage selon
celui des grammaires arabes anciennes, qui traitent d’abord de syntaxe, puis
de morphologie et phonologie, et exposent la syntaxe selon les parties du dis-
cours (nom, verbe, particule) ou selon la flexion (constituants au nominatif/
indicatif, à l’accusatif/subjonctif, au génitif/apocopé) ou un panachage des
deux. De ce point de vue, cet ouvrage n’est pas une grammaire systématique,
mais plutôt un dictionnaire grammatical. D’un chapitre à l’autre et au sein d’un
même chapitre, on passe sans cesse de la morphologie à la syntaxe et vice-

Arabica 62 (2015) 411-434


Bulletin critique 431

versa. Selon l’introduction, la logique est ici celle de la progressivité d’un cours
d’arabe langue étrangère s’adressant à un public de non débutants, cette gram-
maire accompagnant des exercices en ligne.
L’ouvrage est complété par un certain nombre d’annexes et deux index, des
termes grammaticaux anglais et des termes grammaticaux arabes. Considéré
d’un point de vue linguistique, cet ouvrage ne contient aucune avancée.
Considéré d’un point de vue didactique, il obligera les étudiants à découvrir
par eux-mêmes l’abîme qui sépare ce qu’ils ont appris en classe de l’arabe tel
qu’il s’écrit aujourd’hui et de ses formes oralisées.

Pierre Larcher
Université d’Aix-Marseille et IREMAM

Arabica 62 (2015) 411-434

Vous aimerez peut-être aussi