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Fouilloux Étienne. Une vision eschatologique du christianisme : Dieu vivant (1945-1955). In: Revue d'histoire de l'Église de
France, tome 57, n°158, 1971. pp. 47-72;
doi : https://doi.org/10.3406/rhef.1971.1859
https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1971_num_57_158_1859
Les cahiers Dieu vivant qui font leur apparition pour Pâques
1945, sont immédiatement remarqués par la vigueur, le caractère
abrupt de leurs affirmations eschatologiques. Le liminaire de la
première livraison souligne qu'ils « naissent dans un temps qui
fait songer aux pages les plus sombres de l'Apocalypse », qu'ils
rassemblent des chrétiens soucieux d'une « vision eschatologique
du christianisme » et prêts à rappeler sans cesse à leurs frères « que
la Fin des Temps a commencé » 1.
Ils ne se veulent pas l'organe d'un courant de pensée parmi
d'autres, dans la grande famille chrétienne, mais la seule
interprétation possible du message apostolique : pour leurs rédacteurs,
et ce thème revient constamment, « l'eschatologie constitue
l'essence même du christianisme » a. Avec cet aspect exclusif et,
à la limite, totalitaire, de la revue, s'esquisse un premier
rapprochement entre elle et la gamme des mouvements messianiques et
apocalyptiques dont c'est précisément l'un des signes distinctifs 8.
Il ne s'agit absolument pas ici de pousser à fond une comparaison
qui deviendrait vite fallacieuse : la perspective eschatologique
n'est que l'un des éléments d'un ensemble complexe qu'elle ne
suffit pas à définir. Nettement eschatologique, apocalyptique
dans quelques textes particulièrement tranchés, la pensée de Dieu
vivant n'est, pour cause, à peu près jamais messianique. Cependant,
il n'est pas sans intérêt de noter certaines convergences éclairantes
pour l'historien ou le sociologue des religions.
1° Apocalypse ou Transcendance?
Aux condamnations les plus radicales du monde, de la science
et de l'histoire, aux images les plus fortes du combat entre Ténè-
70. D. V., n° 21, liminaire, p. 13, par M. M[oré] : a les dix premières heures,
c'est-à-dire le temps tout entier, l'histoire toute entière ne valent pas plus que
cet instant ineffable ».
71. D. V., n° 2, liminaire, p. 8, par M. M[oré].
72. Cf. Mûhlmann, op. cit., et M. I. Pereira de Queiroz, Réforme et
révolution dans les sociétés traditionnelles. Histoire et ethnologie des mouvements
messianiques (éditions Anthropos, Paris, 1968), 394 pages.
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1° Quel « œcuménisme » ?
2e Quelle théologie ?
L'exigence spirituelle dont nous avons déjà eu l'occasion de
montrer l'importance pour Dieu vivant, détermine dans une large
mesure sa pratique théologique et son engagement militant dans
deux des échanges d'idées les plus importants de l'après-guerre.
Dans sa méfiance à l'égard de la science et de la poursuite de la
rationalité, la revue ne s'intéresse que fort peu à la théologie sco-
lastique 133 et reste réticente devant la théologie spéculative qui
lui semble en être l'héritière directe ; elle y voit le danger d'un
appauvrissement, d'une perte de saveur spirituelle que le R. P.
Bouyer reproche vivement au R. P. Sertillanges, o. p. m, avec
lequel il avait déjà polémiqué à propos du « problème du mal dans
le christianisme antique » : la fin de non-recevoir qu'il oppos* au
« cours de thomisme » qui lui est adressé est significative d'un choix
qui est celui de la revue toute entière 135. Dieu vivant cherche à unir
mystique et théologie, prière et raison ; il vise une théologie
spirituelle dont il trouve le modèle chez Newman et l'expression
contemporaine chez l'abbé Monchanin ou, surtout, en Allemagne,
avec Dom Casel et sa théologie du mystère, avec R. Guardini et
le R. P. von Balthasar. Nul mieux que celui-ci, peut-être, n'exprime
la pensée des cahiers sur ce point : dans un article intitulé «
Théologie et sainteté », il constate l'unité des deux termes à l'époque
patristique, puis une certaine rupture au Moyen âge, rupture qu'il
faut s'efforcer de résorber pour refaire « l'union des deux attitudes
de la foi et de la science, de l'objectivité et du respect. C'est alors
que notre théologie priante et soumise pourra, à l'infini, nourrir
la sainteté et susciter la prière » 136. On retrouve là une position
proche de celle de certains théologiens jésuites — les RR. PP. de
Lubac et Daniélou — face aux critiques thomistes venues de
l'école dominicaine de Saint-Maximin 137.
133. Le Moyen âge compte assez peu dans les références de Dieu vivant :
un seul article est consacré à saint Thomas auquel sont préférés saint Bernard
et les mystiques tardifs comme Catherine de Sienne ou Suso.
134. D. V., n° 22, compte rendu du livre du R. P. Daniélou, Les anges et
leur mission (éditions de Chèvetogne, 1953), pp. 156-157 : « le bon Père
Sertillanges, qui croyait les pauvres petits anges et démons du Moyen âge bien
dépassés et rendus désuets par les galaxies en expansion, eût été fort choqué...
de voir remis en honneur ces textes traditionnels. Mais une meilleure
intelligence de leur portée... permettra sans doute à bien des contemporains... de se
sentir plus près des Pères que de théologiens récents, convertis sans critique
à un humanisme myope ».
135. D. V., n° 8, correspondance, pp. 131-138.
136. D. V., no 12, p. 31.
137. Cf. R. Aubert, La théologie catholique au milieu du XXe siècle (Cas-
terman, 1954), pp. 84-86.
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154. On l'a noté à propos de la fin du xixe siècle et du tout début du xxe :
cf. par exemple, E. Poulat, « Modernisme et Intégrisme. Du concept
polémique à l'irénisme critique », dans Archives de sociologie des religions, 1969,
n° 27, pp. 3-28.
155. Des hommes comme M. de Gandillac, L. Massignon ont collaboré aux
deux revues ! Sur cette distinction, se référer à la conférence à 1' U. N. E. S.-
C. 0. déjà citée [Oeuvres, t. III, p. 347).
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