Vous êtes sur la page 1sur 91

Pont Synth.Prov 38.

16/03/14 1

Pseudo-Skylax : le périple du Pont-Euxin.


Texte, traduction, commentaire philologique et historique.

Ἐχρῆν γὰρ ἄρα μηδὲ τὰς ἐν τῷ Πόντῳ


Ἀθήνας παραπλεῦσαι ἡμᾶς ὥσπερ
τινὰ ὅρμον ἔρημον καὶ ἀνώνυμον.
Arrien, Périple du Pont-Euxin.

Introduction.
1. Texte et traduction.
2. Le Ps-Skylax et le Périple.
2.1. Le Ps-Skylax.I
2.2. Le texte du Périple.
2.3. La forme et le contenu du Périple.
— Le projet géographique.
— La forme du monde.
— Le découpage régional.
— Les computs de distance.
— La définition des lieux.
— La composition des paragraphes.
— La question des sous-titres.
2.4. Le périple pontique.
— L'image du Pont-Euxin dans le Périple.
— Éléments de datation.
— Les sources du périple pontique.
— Le canevas ethnographique
— Les itinéraires maritimes
— Pont gauche.
— Pont droit, côte sud-orientale.
3. Les Grecs et le Pont-Euxin.
3.1. La mer Noire.
— Géographie.
— Navigation.
— Conditions météorologiques.
— Les difficultés de la navigation.
— Les formes du commerce maritime.
— Les navires.
— Les ports.
3.2. Les Grecs en mer Noire.
— L'image du Pont : de la légende à l'exploration.
— Les cités grecques du Pont : histoire et géographie.
— Le rôle d'Athènes.
4. Analyse du périple pontique.
4.1. Thrace pontique.
— Le § 67.
— Les cités de Thrace pontique.
4.2. § 68. Scythie d'Europe et Tauride.
4.2.1. La Scythie jusqu'à la Tauride.
— Le § 68.
— Les cités du Tyras.
4.2.2. La Chersonèse Taurique jusqu'au Tanaïs.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 2

— Le § 68 (suite).
— Les cités de Scytho-Tauride et la géographie du Bosphore.
— Les sites.
— La mise en forme
— Itinéraires.
4.3. Paraplous :
— Le § 69.
4.4. Côte asiatique du Bosphore, Sindique, Kerketai.
— Les § 70-74.
— Sauromates, cités de la côte asiatique du Bosphore.
— Les Sauromates.
— Les cités du Bosphore.
4.5. § 75-80. Côte orientale.
— Les § 75-80.
— Achaioi, Hèniochoi, Koraxoi, Korikè, Melanchlainoi, Gelôn.
4.6. Colchide.
— Le § 81.
— La Colchide.
4.7. La côte jusqu'à Trapezous.
— Les § 82-85.— La côte, de l'Apsaros à Trapezous.
— Géographie et implantation des cités.
— L'accès à l'arrière-pays.
— Les ports.
— La valeur agricole.
— Ethnographie
— Bousères, Ekecherieis, Becheirichè.
— Makrokephaloi.
4.8. La côte, de Trapezous aux Chalybes.
— Les § 86-88.
— Ethnographie.
— Mossynoikoi.
— Tibarènoi.
— Chalybes.
— Hécatée de Milet.
— Hérodote.
— Xénophon.
— Éphore.
— Le Ps-Skylax.
— Cités, ports et fleuves.
4.9. Assyria.
— Le § 89.
— Cités, ports et fleuves.
— De Themiskyra à l'Halys.
— De l'Halys au territoire de Sinope.
4.10. Paphlagonie.
— Le § 90.
— La côte paphlagonienne.
— Cités, ports et fleuves.
— Sites identifiés.
— Sites identifiables.
4.11. Mariandynoi. Bithynie.
— Les § 91-92.
— D'Héraclée à la frontière de Mysie.
— Héraclée et les Mariandynoi.
— Bithynie.
— Bosphore et Propontide.
Conclusion.

Remerciements
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 3

Ce livre devra se défendre seul, et je suis seul responsable des thèses que j’y défends, mais il
n'existerait pas si j'avais été seul pour l’écrire. Mes remerciements vont d’abord à ceux qui ont
accompagné les dernières étapes de ce livre au moment de sa publication : à A. Bresson, qui, non
content de l’accueillir dans les Scripta Antiqua, a veillé, avec son usuelle acribie, à ce qu’il ne
dépare pas la collection ; S. Vincent qui lui a donné forme ; mes remerciements vont à ceux qui ont
lu, émendé, suggéré : A. Bresson, encore, A. Ivantchik, P. Brun et P. Orcival, chacun prodiguant
généreusement et son temps et sa science : s’ils ont fait ce qu’ils ont pu pour améliorer ce livre, ils
ne sont pas naturellement pas responsables des critiques qu’il pourrait s’attirer. Cet essai n’existerait
pas non plus sans tous ceux qui, depuis le début, m’ont encouragé dans mes recherches : F. E.
Burhan, qui l’a suscitée ; D. Roux qui a accompagné mes débuts en informatique ; P. Debord qui a
publié bon nombre de mes essais sur le Périple ; mes amis turcs de l’AFTAA, infatigables
pédagogues ; Cl. Barat, hardi compagnon de voyage sur les côtes pontiques. Ce livre n’existerait
pas, non plus, sans l’équipe d’Ausonius toute entière, qui m’est devenue une famille d’élection où
trouver l’envie de travailler et d’écrire : pour être juste, je devrais nommer chaque Ausonien, et
j’aurais pour chacun une parole de reconnaissance et d’amitié : elle s’adressera donc à ses deux
directeurs successifs, J. M. Roddaz et R. Descat, et en premier et dernier lieu au Professeur R.
Etienne, de l’Académie Française, qui, , il y a vingt ans, m’ouvrit généreusement les portes du
Centre Pierre Paris.

Introduction.
Le Périple attribué à Skylax de Karyanda est une description des côtes de la Méditerranée et de la
mer Noire qui progresse, en un long mouvement dextrogyre, depuis les colonnes d’Héraclès
d’Europe jusqu’aux colonnes de Libye, se prolongeant même au delà de ces dernières jusqu’à l’île
de Kernè, sur les côtes méridionales du Maroc. Bien que l’on ait renoncé depuis longtemps à
l’attribution à Skylax, et que l’on admette ordinairement qu’il a été rédigé vers le milieu du IVe s.
a.C., le Périple reste un texte fascinant, la première description géographique complète de la
Méditerranée et de la mer Noire qui nous soient conservés. C’est pourquoi il a intéressé aussi bien
les historiens de la Grèce classique que les ceux de la Géographie. C’est aussi un texte d’utilisation
difficile, à la langue aride, répétitive, mal établi, dont presque chaque mot exigerait un long
commentaire.
Le périple pontique n'est qu'une partie du Périple, mais en a été souvent considéré comme la partie
la plus ancienne, le noyau. On a pu même l'utiliser pour prouver l’ancienneté de la colonisation
grecque du Pont : les recherches des archéologues, russes en particulier, ont renversé ce bel édifice.
Il m'a paru utile d'y revenir dans une perspective plus rigoureuse. Dans cette étude, j'ai fait la part
belle à la côte turque entre Amasra et Trabzon : partout ailleurs, je disposais de ressources
bibliographiques et de synthèses alors que cette portion de côte avait été étudiée en détail pour la
période médiévale et moderne, mais très peu pour l'Antiquité ; j'ai accompagné le travail de
bibliothèque d'un voyage d'étude sur le terrain1.

1. Texte et traduction.
Le texte du périple est édité à partir du Parisinus sup. gr. 443 , en suivant les divisions des GGM.
Comme le texte adopté s'aligne le plus souvent sur celui de K. Müller, l'apparat critique qui
accompagne cette édition ne relève, en plus des leçons du manuscrit, que les divergences entre son
édition est la mienne2.

1
Pour le Pont gauche et jusqu'à la Colchide, des publications récentes donnent accès aux découvertes archéologiques.
Pour la côte turque entre le Bosphore et Sinope, j'ai eu, on s'en doute, recours aux études régionales de J. et L. Robert,
même si les paysages, la vallée du Bartın Su en particulier, ont beaucoup changé. Pour la côte entre Sinope et la
Géorgie, la synthèse de Bryer & Winfield 1985 (B&W), m'a été un précieux compagnon de voyage.
2
Cette édition remplace Counillon 1986-1987, où j'abordais pour la première fois ce texte et ses difficultés.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 4

— Texte.
§67. Ἀπὸ τούτου ἐπὶ τοῦ στόματος τοῦ Πόντου εἰσὶ στάδιοι φ'. Ἀνάπλους [Καλεῖται δὲ
Ἀνάπλους ὁ τόπος ἀνὰ Βόσπορον μέχρι ἂν ἔλθῃς ἐφ'Ἱερόν]. Ἀφ' Ἱεροῦ δὲ τὸ στόμα ἐστὶ
τοῦ Πόντος εὖρος στάδια ζ'. Εἰσὶ δὲ ἐν τῷ Πόντῳ πόλεις Ἑλληνίδες αἵδε ἐν Θρᾴκῃ ·
Ἀπολλωνία, Μεσημβρία, Ὀδησσὸς πόλις, Κάλλατις καὶ ποταμὸς Ἴστρος. Παράπλους δὲ
τῆς Θρᾴκης ἀπὸ Στρυμόνος ποταμοῦ μέχρι Σηστοῦ δύο ἡμερῶν καὶ νυκτῶν δύο, ἀπὸ δὲ
Σηστοῦ μέχρι στόματος τοῦ Πόντου δύο ἡμερῶν καὶ νυκτῶν δύο, ἀπὸ δὲ τοῦ στόματος
μέχρι τοῦ Ἴστρου ποταμοῦ ἡμερῶν τριῶν καὶ νυκτῶν τριῶν. Ὁ σύμπας περίπλους ἀπὸ
Θρᾴκης καὶ ποταμοῦ Στρυμόνος μέχρι τοῦ Ἴστρου ποταμοῦ ὁκτὼ ἡμερῶν καὶ ὀκτὼ
νυκτῶν. §68. Σκυθία, Ταῦροι. Μετὰ δὲ Θρᾴκην εἰσὶ Σκύθαι ἔθνος καὶ πόλεις ἐν αὐτοῖς
Ἑλληνίδες αἵδε · Τύρις ποταμός, Νικόνιον πόλις, Ὀφίουσα πόλις. Ἐπὶ δὲ τῇ Σκυθικῇ
ἐποικοῦσι Ταῦροι ἔθνος ἀκρωτήριον τῆς ἠπείρου· εἰς θάλατταν δὲ τὸ ἀκρωτήριόν ἐστιν.
Ἐν δὲ τῇ Ταυρικῇ οἰκοῦσιν Ἕλληνες οἵδε· Χερρόνησος, ἐμπόριον· Κριοῦ Μέτωπον,
ἀκρωτήριον τῆς Ταυρικῆς. Μ _ετὰ δὲ ταῦτά εἰσι Σκύθαι πάλιν, πόλεις δὲ Ἑλληνίδες αἵδε
ἐν αὐτῇ· Θευδοσία, Κύδαια καὶ Νυμφαίον, Παντικάπαιον, Μυρμήκιον. Παράπλους εὐθὺς
ἀπὸ Ἴστρου ἐπὶ Κριοῦ Μέτωπον, τριῶν ἡμερῶν καὶ τριῶν νυκτῶν, ὁ δὲ παρὰ γῆν διπλάσιος
· ἔστι γὰρ κόλπος. Ἐν δὲ τῷ κόλπῳ τούτῳ νῆσός ἐστι, νῆσος δὲ ἐρήμη, ᾗ ὄνομα Λευκή, ἱερὰ
τοῦ Ἀχιλλέως. Ἀπὸ δὲ Κριοῦ Μετώπου πλοῦς εἰς Παντικαπαίον ἡμέρας καὶ νυκτός · ἀπὸ δὲ
Παντικαπαίου ἐπὶ τὸ στόμα τῆς Μαιώτιδος λίμνης ἐστὶ στάδια κ'.
Ἡ δὲ Μαι _ῶτις λίμνη λέγεται εἰς ἥμισυ εἶναι τοῦ Πόντου. Ἐν δὲ τῇ Μαιώτιδι λίμνῃ
εὐθὺς εἰσπλέοντί εἰσιν ἐπ'ἀριστερᾶς Σκύθαι· καθήκουσι γὰρ ἐκ τῆς ἔξω θαλάσσης ὑπὲρ τῆς
Ταυρικῆς εἰς τὴν Μαιῶτιν λίμνην Συρμάται ἔθνος, καὶ ποταμὸς Τάναϊς ὁρίζει Ἀσίαν καὶ
Εὐρώπην.
§69. Παράπλους ἁπάσης τῆς Εὐρώπης. Ἀφ' Ἡρακλείων στηλῶν τῶν ἐν τῇ Εὐρώπῃ
περιπλέοντι τοὺς κόλπους παρὰ γῆν, λογιζομένοις ὅσαι γεγραμμέναι εἰσὶ νύκτες ἀντὶ
τούτων ἡμέρας, καί ὅπου στάδιά εἰσι γεγραμμένα, ἀντὶ τῶν φ'σταδίων ἡμεραίου τοῦ
πλέοντος, γίνεται τῆς Εὐρώπης ὁ παράπλους, τοῦ Πόντου ὄντος ἴσου καὶ τοῦ ἡμίσεος
μέρους τῆς Μαιώτιδος λίμνης, ἡμερῶν ρν'τριῶν. Μέγιστοι δὲ ποταμοί εἰσιν ἐν τῇ Εὐρώπῃ ὁ
Τάναϊς, ὁ Ἴστρος, ὁ Ῥοδανός. §70. Ἀσία. Ἀπὸ Τανάϊδος δὲ ποταμοῦ ἄρχεται ἡ Ἀσία.
Σαυρομάται. Καὶ πρῶτον ἔθνος αὐτῆς ἐστὶν ἐν τῷ Πόντῳ Σαυρομάται. Σαυροματῶν δέ
ἐστιν ἔθνος Γυναικοκρατούμενοι. §71. Μαιῶται. Τῶν Γυναικοκρατουμένων ἔχονται
Μαιῶται. §72. Σινδοί. Μετὰ δὲ Μαιώτας Σινδοὶ ἔθνος. Διήκουσι γὰρ οὗτοι καὶ εἰς τὸ ἔξω
τῆς λίμνης, καί εἰσι πόλεις ἐν αὐτοῖς Ἑλληνίδες αἵδε · Φαναγόρου πόλις, Κῆποι, Σινδικὸς
Λιμήν, Πάτους. §73. Κερκέται. Μετὰ δὲ Σινδικὸν Λιμένα, Κερκέται ἤτοι Τορέται ἔθνος,
§74. καὶ πόλις Ἑλληνὶς Τορικὸς καὶ λιμήν. §75. Ἀχαιοί. Μετὰ δὲ Τορέτας Ἀχαιοὶ ἔθνος.
§76. Ἡνίοχοι. Μετὰ δὲ Ἀχαιοὺς Ἡνίοχοι ἔθνος. §77. Κοραξοί. <Μετὰ δὲ Ἡνιόχους,
Κοραξοὶ ἔθνος.>. §78. Κορική. Μετὰ δὲ Κοραξοὺς Κορικὴ ἔθνος. §79. Μελαγχλαίνοι. Μετὰ
δὲ Κορικὴν Μελαγχλαίνοι ἔθνος καὶ ποταμὸς ἐν αὐτοῖς Μητάσωρις καὶ Αἰγίπιος ποταμός.
§80. Γέλωνες. Μετὰ δὲ Μελαγχλαίνους Γέλων. §81. Κόλχοι. Μετὰ δὲ τούτους Κόλχοι ἔθνος
καὶ Διοσκουρίας πόλις καὶ Γυηνὸς πόλις Ἑλληνὶς καὶ Γυηνὸς ποταμὸς καὶ Χιρόβος
ποταμός, Χόρσος ποταμός, Ἄριος ποταμός, Φάσις ποταμὸς καὶ Φάσις Ἑλληνὶς πόλις̣ · καὶ
ἀνάπλους ἀνὰ τὸν ποταμὸν σταδίων ρπ' εἰς πόλιν Αἶαν μεγάλην βάρβαρον ὅθεν ἡ Μήδεια
ἦν. Ἐνταῦθά ἐστι Ῥὶς ποταμός, Ἴσις ποταμός, Λῃστῶν Ποταμός, Ἄψαρος ποταμός. §82.
Βούσηρες. Μετὰ δὲ τοὺς Κόλχους, Βούσηρες ἔθνος καὶ Δαραανῶν ποταμὸς καὶ Ἀρίων
ποταμός. §83. Ἐκεχειριεῖς. Μετὰ δὲ Βούσηρας, Ἐκεχειριεῖς ἔθνος καὶ ποταμὸς Πορδανὶς
καὶ Ἀραβὶς ποταμός, Λίμνη πόλις, Ὡδεινιὸς πόλις Ἐλληνίς. §84. Βεχειρική. Μετὰ δ´
Ἐκεχειριεῖς, Βέχειρες ἔθνος, Βεχειρικὸς Λιμήν, Βεχειρὰς πόλις Ἑλληνίς. §85.
Μακροκέφαλοι. Μετὰ δὲ Βέχειρας, Μακροκέφαλοι ἔθνος καὶ Ψωρῶν Λιμήν, Τραπεζοὺς
πόλις Ἑλληνίς. §86. Μοσσύνοικοι. Μετὰ δὲ Μακροκεφάλους, Μοσσύνοικοι ἔθνος καὶ
Ζεφύριος Λιμήν, Χοιράδες πόλις Ἑλληνίς, Ἄρεως νῆσος. Οὗτοι ὄρη κατοικοῦσιν.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 5

§87.Τιβαρηνοί. Μετὰ δὲ Μοσσυνοίκους, ἔθνος ἐστὶ Τιβαρηνοί. §88. Χάλυβες. Μετὰ δὲ


Τιβαρηνούς, Χάλυβές εἰσιν ἔθνος καὶ Γενέσιντις λιμὴν κλειστός, Ἀμένεια πόλις Ἑλληνὶς
καὶ Ἰασονία ἄκρα καὶ πόλις Ἑλληνίς. §89. Ἀσσυρία. Μετὰ δὲ Χάλυβας, Ἀσσυρία ἐστὶν
ἔθνος καὶ ποταμὸς Θερμώδων καὶ πόλις Ἑλληνὶς Θεμίσκυρα, Λύκαστος ποταμὸς καὶ πόλις
Ἑλληνίς, Ἅλυς ποταμὸς καὶ Κάρουσσα πόλις Ἑλληνίς, Σινώπη πόλις Ἑλληνίς, Κερασοῦ
πόλις Ἑλληνίς καὶ Ὀχέραινος ποταμός, Ἀρμένη πόλις Ἑλληνὶς καὶ λιμήν, Τετράκις πόλις
Ἑλληνίς. §90. Παφλαγόνια. Μετὰ δ´Ἀσσυρίαν ἐστὶ Παφλαγονία ἔθνος. Ἔστι δ´ ἐν αὐτῇ
Στεφάνη Λιμήν, Κόλουσσα πόλις Ἑλληνίς, Κίνωλις πόλις Ἑλληνίς, Κάραμβις πόλις
Ἑλληνίς, Κύτωρις πόλις Ἑλληνίς, Σησαμὸς πόλις Ἑλληνὶς καὶ Παρθένιος ποταμός, Τίειον
πόλις Ἑλληνὶς καὶ Λιμὴν Ψύλλα καὶ ποταμὸς Καλλίχωρος. §91. Μαριάνδυνοι. Μετὰ δὲ
Παφλαγονίαν, Μαριάνδυνοί εἰσιν ἔθνος. Ἐνταῦθα πόλις ἐστὶν Ἡράκλεια Ἑλληνὶς καὶ
ποταμὸς Λύκος καὶ ἄλλος ποταμὸς Ὕπιος. §92. Βιθυνοί. Μετὰ δὲ Μαριανδύνους εἰσὶ
Θρᾷκες Βιθυνοὶ ἔθνος, καὶ ποταμὸς Σαγάριος καὶ ἄλλος ποταμὸς Ἀρτώνης καὶ νῆσος
Θυνίας · οἰκοῦσι δ´αὐτὴν οἱ Ἡρακλεῶται, καὶ ποταμὸς Ῥῆβας. Εἶτ´ εὐθὺς Πόρος καὶ τὸ
προειρημένον Ἱερὸν ἐν τῷ στόματι τοῦ Πόντου καὶ μετὰ τοῦτο πόλις Καλχηδῶν ἔξω
Θρᾴκης, μεθ´ ἣν ὁ κόλπος ὁ Ὀλβιανός. Παράπλους ἀπὸ Μαριανδυνῶν μέχρι τοῦ μυχοῦ
τοῦ κόλπου τοῦ Ὀλβιανοῦ, τοσαύτη γάρ ἐστιν ἡ Βιθυνῶν Θρᾴκη, ἡμερῶν τριῶν. Ἀπὸ δὲ
τοῦ στόματος τοῦ Πόντου ἕως τὸ στόμα τῆς Μαιώτιδος λίμνης, παραπλήσιός ἐστιν ὁ πλοῦς,
ὅ τε παρὰ τὴν Εὐρώπην καί τὴν Ἀσίαν. §92. Βιθυνοί : Βιουνοί D ; Ἀρτώνης : Ἀρτάνης
Müller ; Παρθένιος : Παροίνιος D ; Θυνίας : Θυνιὰς Müller ; οἱ Ἡρακλεῶται : Οἱρακλεῶται
D, Ἡρακλεῶται Müller ; Πόρος : ὁ πόρος Müller ; Ἱερὸν : ἱερὸν Müller ; Καλχηδῶν :
Καλχιδῶν D ; Μαριανδυνῶν : Μαρσανδυνῶν D ; ἕως : ἕως <ἐπὶ› Müller.
— Apparat critique3.
§67. Καλεῖται δὲ Ἀνάπλους ὁ τόπος ἀνὰ Βόσπορον : ἀνάπλους καλεῖται δὲ ὁ τόπος
ἀναβόσπορον (sic) D ; μέχρι ἂν ἔλθῃς ἐφ'Ἱερόν : μέχρι ἂν ἔλθῃ ἐφ' ἱερόν D ; τὸ στόμα : τοῦ
στόματός D ; Ὀδησσὸς πόλις : ὀδησόπολις D, Ὀδησσόπολις Müller ; Κάλλατις : Κάλλαβις D
; Στρυμόνος : τριβῶνος D. §68 Σκυθία : Σκυθίας D ; Τύρις : τρίσσης D ; Νικόνιον : νεονείων
D, Νικώνιον Müller ; Ὀφίουσα : Ὀφιοῦσα D ; τῆς ἠπείρου : τῆς ἠ πέτρου D ; Ἕλληνες οἵδε :
Ἕλληνες αἵδε D, πόλεις ἐν αὐτοῖς Ἑλληνίδες αἵδε Müller ; Κύδαια : Κύταια Müller ;
Νύμφαιον : Νυμφαία D ; Παντικάπαιον : παντικάπιον D ; Μυρμήκιον : Μυρμήκειον Müller
; εἰς ἥμισυ : ἥμισυ Müller ; Μαιῶτιν : μαιῶτην. D ; λίμνην Συρμάται ἔθνος : λίμνην.
ΣΥΡΜΑΤΑΙ ‹Μετὰ δὲ Σκύθας Συρμάται› ἔθνος Müller ; ὁρίζει : ‹καὶ› ὁρίζει Müller. §69.
ἁπάσης τῆς Εὐρώπης : ἁπάσης τῆς... υριοῦ. εἰς τὴν..α.ῶτην λίμνην, a.c. ; λογιζομένοις ὅσαι :
λογιζομένοις σῶσαι D, λογιζομένῳ δὲ ὅσαι Müller ; ἡμεραίου τοῦ πλέοντος : ἡμεραῖον τὸν
πλοῦν, Müller ; τοῦ Πόντου ὄντος ἴσου καὶ τοῦ ἡμίσεος μέρους τῆς : τοῦ ἡμίσεος μέρους
τοῦ Πόντου ὄντος ἴσου τῆς Müller. §70. Ἀσία. : Ἀσία. Σαυρομάται. Müller ; Σαυρομάται :
Σαυροβᾶται D, om. Müller ; Σαυροματῶν : Σαυροβατῶν D ; Γυναικοκρατούμενοι :
γυναικοκρατούμενον Müller. §72. Σινδοί : Σιντοί D, Σίνδοι Müller. §73. Κερκέται ἤτοι
Τορέται ἔθνος : Κερκέται ἔθνος D, Müller ; καὶ πόλις : <ΤΟΡΕΤΑΙ. Μετὰ δὲ Κερκέτας
Τορέται ἔθνος› καὶ πόλις Müller. §75. Ἀχαιοί. Μετὰ δὲ Τορέτας Ἀχαιοὶ ἔθνος. §76. Ἡνίοχοι.
Μετὰ δὲ Ἀχαιοὺς Ἡνίοχοι ἔθνος. §77.<Μετὰ δε Ἡνίοχους Κοραξοὶ ἔθνος.> vide adn. §78.
Κορική : om. D, Κωλική et mox Κωλικὴ, Κωλικὴν Müller. §79. Μελαγχλαίνοι et mox
Μελαγχλαίνους : Μελαγχνάνοι, Μελαγχνάνους D. §81. Διοσκουρίας : Διοσκουρὶς D, Müller
; Χιρόβος : Χερόβιος Müller ; Αἶαν : μάλην D ; Μήδεια : Μιδιὰ D. §82. Βούσηρες,
Βούσηρας : Βύζηρες, Βύζηρας Müller. §83. Ὡδεινιὸς : Ὠδεινιὸς, Müller. §84. Βέχειρες :
Βέχειρος D, Βέχειροι Müller ; Βεχειρὰς : Βεχειριὰς, Mülle. §85. Τραπεζοὺς : Τραπετοὺς D.
§86. Μοσσυνοίκους : Μοσσινούς D. §87. Τιβαρηνούς : Τιβαρινούς D. §88. Γενέσιντις :

3
Le plus souvent, le texte adopté étant celui de Müller, je ne relève que les divergences portant sur des mots ou des
phrases.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 6

Γενήτης, Müller ; Ἀμένεια : Σταμένεια, Müller ; Ἰασονία : Ἀσινεία D ; ἄκρα καὶ πόλις :
ἀκρόπολις D, Müller. §89. Θερμώδων : Θερμόδων D ; Θεμίσκυρα : s.l. D ; Ἅλυς D : Ἄλυς D
a.c. ; Κερασοῦ : Κερασοῦς, Müller. §90. λιμήν : λιμίης D a.c. ; Κίνωλις : Κορωνὶς D ;
Κάραμβις : Κάραμως D ; Παρθένιος : Παροίνιος, D ; Τίειον : Τίθιον D ; καὶ Λιμὴν Ψύλλα :
καὶ λιμὴν, Ψύλλα Müller.
— Traduction4.
§67. A partir de là jusqu'à l'embouchure du Pont, il y a 500 stades. Anaplous ["Anaplous" est le
lieu-dit à la remontée du Bosphore jusqu'à ce qu'on arrive à Hieron]. A hauteur de Hieron, la largeur
de l'embouchure du Pont est de 7 stades. Il y a dans le Pont les cités suivantes en Thrace :
Apollônia, Mesembria, la cité d'Odèssos, Kallatis et le fleuve Istros. La navigation depuis le fleuve
Strymôn jusqu'à Sestos prend deux jours ; depuis Sestos jusqu'à l'embouchure du Pont deux jours et
deux nuits ; et de l'embouchure du Pont jusqu'au fleuve Istros trois jours et trois nuits. L'ensemble
du périple depuis le fleuve Strymon et la Thrace jusqu'au fleuve Istros est de 8 jours et 8 nuits.
§68. Scythie. Tauroi. Après la Thrace, il y a le peuple des Scythes et, dans leur pays, les cités
grecques suivantes : le fleuve Tyris, la cité de Nikonion, la cité d'Ophiousa. Près de la Scythie, le
peuple des Tauroi occupe un cap du continent : ce cap s'avance dans la mer. En Taurique, il y a les
cités grecques suivantes : Chersonèsos, emporion, Kriou Metôpon, cap de Taurique. Après quoi ce
sont de nouveau les Scythes ; on y trouve les cités grecques suivantes : Theudosia, Kydaia,
Nymphaion, Pantikapaion, Myrmèkion. La navigation en droite ligne depuis l'Istros jusqu'à Kriou
Metôpon est de trois jours et trois nuits, de deux fois cette durée le long de la côte : il y a un golfe.
Et dans ce golfe se trouve une île, une île déserte, dont le nom est Leukè, qui est l'île sacrée
d'Achille. Depuis Kriou Metôpon, la navigation jusqu'à Pantikapaion est d'un jour et une nuit. De
Pantikapaion à l'embouchure du lac Méotide, il y a 100 stades. On dit que le lac Méotide fait jusqu'à
la moitié du Pont. Dans le lac Méotide, pour le bateau qui y pénètre en droite ligne, les Scythes sont
à main gauche : le territoire du peuple des Surmatai s'étend en effet depuis la mer extérieure, au-
delà de la Taurique, jusqu'au lac Méotide, et le Tanaïs sépare l'Asie de l'Europe§69. Navigation
générale de l'Europe. Depuis les colonnes d'Héraclès d'Europe, si l'on fait le tour des golfes en
suivant la côte, et, si l'on décompte autant de jours que l'on a noté de nuits, et, là où l'on a noté des
stades, un jour de navigation pour cinq cents stades, la navigation le long des côtes de l'Europe, en
comptant que le Pont est égal à la moitié du lac Méotide, devient de 153 jours. Les plus grands
fleuves d'Europe sont le Tanaïs, l'Istros et le Rhône. Asie. Le fleuve Tanaïs marque le
commencement de l'Asie.
§70. Asie. A partir du fleuve Tanaïs commence l'Asie. Sauromatai. Et le premier peuple d'Asie dans
le Pont est celui des Sauromatai : aux Sauromatai appartient le peuple des Gunaikokratoumenoi.
§71. Maiôtai. Aux Gunaikokratoumenoi succèdent les Maiôtai. §72. Sindoi. Après les Maiôtai,
vient le peuple des Sindoi : leur territoire s'étend aussi jusqu'à l'extérieur du lac. On y trouve les
cités grecques suivantes : cité de Phanagoras, Kèpoi, Sindikos Limèn, Patous. §73. Kerketai. Après
Sindikos Limèn, il y a le peuple des Kerketai ou Toretai §74. et la cité grecque de Torikos et son
port. §75. Achaioi. Après les Toretai, il y a le peuple des Achaioi. §76. Hèniochoi. Après les
Achaioi, il y a le peuple des Hèniochoi. §77. Koraxoi <Après les Hèniochoi, il y a le peuple des
Koraxoi>. §78. Korikè. Après les Koraxoi, il y a le peuple de Korikè. §79. Melanchlainoi. Après la
Korikè, il y a le peuple des Melanchlainoi, et dans leur pays le fleuve Mètasôris et le fleuve
4
Les noms de lieux et de peuples sont transcrits du grec au plus près (par exemple κ = k, ε = e [et non é, par
simplification], η = è, ω = ô, οι = oi), même pour des noms ordinairement traduits (Kerketai et non Cercètes,
Mossynoikoi et non Mossynèques) . Ils sont ramenés au nominatif avant transcription. Dans quelques cas l'orthographe
commune a été cependant reçue pour éviter le paradoxe de rendre ambigu le banal, Sestos et non Sèstos, Odèssos et non
Odèssos ; Sinope et Héraclée. Mais la les changements de dénomination peuvent signer la date d'un témoignage : on ne
s'étonnera donc pas de trouver Trapezous, Trébizonde ou Trabzon, selon que le témoignage se rapporte à l'Antiquité, à
la période byzantine, ou à l'époque contemporaine, et non Trapézonte qui ne correspond à aucune : en cas de doute on
se reportera à l'index des noms géographiques. Les noms d'auteurs connus ou répertoriés dans les abréviations (sont
donnés sous leur forme courante en français.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 7

Aigipios. §80. Gelônes. Après les Melanchlainoi, Gelôn. §81. Kolchoi. Après eux il y a le peuple
des Kolchoi, la cité de Dioskourias, la cité grecque de Gyènos, le fleuve Gyènos, le fleuve
Chirobos, le fleuve Chorsos, le fleuve Arios, le fleuve Phase, la cité grecque de Phasis : et il faut
remonter le fleuve sur 180 stades pour arriver à la grande cité barbare d'Aia d'où était originaire
Médée. Il y a là le fleuve Rhis, le fleuve Isis, le Fleuve des Brigands, le fleuve Apsaros. §82.
Bousères. Après les Kolchoi, il y a le peuple des Bousères, le fleuve Daraanôn, le fleuve Ariôn.
§83. Ekecherieis. Après les Bousères, il y a le peuple des Ekecherieis, le fleuve Pordanis, le fleuve
Arabis, la cité de Limnè, la cité grecque d'Hôdeinios. §84. Becheirichè. Après les Ekecheirieis, il y
a le peuple des Becheires, Becheirikos Limèn, la cité grecque de Becheiras. §85. Makrokephaloi.
Après les Becheires, il y a le peuple des Makrokephaloi, Psôrôn Limèn, la cité grecque de
Trapezous. §86. Mossynoikoi. Après les Macrokephaloi, il y a le peuple des Mossynoikoi,
Zephyrios Limèn, la cité grecque de Choirades, l'île d'Arès. Ces gens habitent les montagnes. §87.
Tibarènoi. Après les Mossynoikoi, il y a le peuple des Tibarènoi. §88. Chalybes. Après les
Tibarènoi, il y a le peuple des Chalybes, le port clos de Genesintis, la cité grecque d'Ameneia, le
cap et la cité grecque d'Iasonia. §89. Assyria. Après les Chalybes, il y a le peuple d'Assyria, le
fleuve Thermôdôn, la cité grecque de Themiskyra, le fleuve et la cité grecque de Lykastos, le fleuve
Halys et la cité grecque de Karoussa, la cité grecque de Sinope, la cité grecque de Kerasos, le fleuve
Ocherainos, la cité grecque d'Armenè et son port, la cité grecque de Tetrakis. §90. Paphlagonie.
Après l'Assyria, il y a le peuple de Paphlagonie. On y trouve Stephanè Limèn, la cité grecque de
Koloussa, la cité grecque de Kinôlis, la cité grecque de Karambis, la cité grecque de Kytôris, la cité
grecque de Sèsamos et le fleuve Parthenios, la cité grecque de Tieion, Limèn Psylla et le fleuve
Kallichôros. §91. Mariandynoi. Après la Paphlagonie, il y a le peuple des Mariandynoi. Là se
trouve la cité grecque d'Héraclée, le fleuve Lykos, et un autre fleuve, l'Hypios.§92. Bithynoi. Après
les Mariandynoi, il y a le peuple thrace des Bithynoi, le fleuve Sagarios et comme autre fleuve,
l'Artônès, l'île de Thynias (elle est habitée par les Héracléotes), et le fleuve Rhèbas. Immédiatement
après vient le Détroit et le Hieron déjà nommé qui se trouve à l'embouchure du Pont, et après cela la
cité de Kalchèdôn, hors des limites de la Thrace; après quoi vient le golfe d'Olbia. La navigation
depuis les Mariandynoi jusqu'au fond du golfe d'Olbia, car telle est l'étendue de la Thrace des
Bithynoi, est de trois jours. Depuis l'embouchure du Pont jusqu'à l'embouchure du lac Méotide, la
durée de navigation est identique le long des côtes d'Europe et d'Asie.

2. Le Pseudo-Skylax et le Périple.
2.1. Le Ps-Skylax.
La question de l'identité de l'auteur du Périple n'a guère progressé depuis la synthèse de K. Müller
dans les GGM, où il établissait que les fragments subsistants des écrits attribués par les auteurs
anciens au véritable Skylax, le pilote de Darius, ne cadraient pas avec le texte du Périple et que
certaines des cités mentionnées par le Périple avaient été fondées longtemps après sa mort5. Müller
écarte également l'attribution du Périple à Skylax d'Halicarnasse, mentionné par la Souda et
postérieur à Polybe6. Depuis peu, D. Marcotte a remis le texte du Périple dans le contexte de sa
transmission manuscrite7. Il a définitivement établi que le Périple a été attribué à Skylax de

5
Müller in GGM, I, p XXXIII-L pour la notice, part. p. XXXVI-XXXVII ; CXXXVII-CXXXVIII pour les addenda et corrigenda.
6
FGrHist 709T1. Parmi les derniers à avoir abordé la question, cf. Marcotte 1990, 28-33 ; Schepens 1998. Voir
Gonzalez Ponce 19972, 43-45, pour une mise au point sur la personnalité et l'oeuvre de Skylax de Caryanda et ses
rapports avec le Périple où il montre bien qu'on ne peut se fier aux commentateurs byzantins.
7
Marcotte 2000. Le premier volume des Géographes grecs présente, à côté d'une édition critique de la Periodos
("Circuit de la terre") iambique du Pseudo-Scymnos (= Périodos), une description générale des recueils de géographes
grecs et de leur éditions successives depuis l'Antiquité qui permet pour la première fois d'aller plus loin que les travaux
de Müller et de Fabricius. Dans sa première étude sur le Périple, Marcotte 1986, il essayait de défendre une méthode
plus rigoureuse que celle de Peretti. Cf. Marcotte 2000, p. xxvi-xxvii et lxxvii-lxxxiv pour la description du Périple
dans le Parisinus suppl. gr. 443, p. cxvii-cxxxiii, sur l'histoire du corpus.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 8

Caryanda, sur critères internes, par le géographe byzantin Marcien d'Héraclée au moment où il
rassemblait le recueil géographique transmis dans le Parisinus sup. gr. 443, entre 530 et 560 p.C.
Actuellement, le débat est ouvert entre partisans d'une mise à jour d'un texte remontant à Skylax de
Caryanda, la Περίοδος Γῆς mentionnée par la Souda, et d'un texte composé au IVe s. a.C. et resté
anonyme jusqu'à ce que Marcien d'Héraclée le lui attribue8. A. Peretti, par exemple, constatant les
différences entre le Périple et les textes géographiques ou historiques précédents ou contemporains
(Hécatée, Hérodote, Éphore et Théopompe), en était arrivé à la conclusion que l'origine du Périple
devait être cherchée dans l'oeuvre du véritable Skylax, "il primo portolano del Mediterraneo", et
proposait une lecture "archéologique" du Périple, attribuant aux copistes successifs tout ce qui ne
cadrait pas avec son credo initial9.
Quels témoins peut-on évoquer à l'appui de cette hypothèse? Si l'on écarte le témoignage des
auteurs postérieurs à Marcien d'Héraclée qui attribuent à Skylax de Karyanda les commentaires
qu'ils tirent du Périple, le seul à le mentionner dans un contexte géographique qui pourrait le
rattacher au Périple est Strabon. Le premier passage signale que Karyanda est la ville natale de
Skylax, ἐντεῦθεν δ' ἦν καὶ Σκύλαξ ὁ παλαιὸς συγγραφεύς10. Les deux autres portent l'un sur la
Troade, l'autre sur la Mysie. Le premier est assez ambigu et difficile d'interprétation11. Strabon y
explique les désaccords entre géographes sur la distinction entre Éolide et Troade (les Éoliens
n'arrivant sur place qu'après Homère) : "Les uns nomment toute la région Éolide, les autres une
partie, et Troade soit la totalité, soit une partie de la région, sans accord général". Strabon dresse
ensuite le catalogue des changements de frontière, catalogue qu'il termine ainsi : "Skylax de
Caryanda commence à Abydos ; de la même façon, Éphore dit que l'Éolide s'étend d'Abydos à
Kymè, et d'autres autre chose". Si donc Strabon fait bien d'Abydos une ville frontière, la phrase
suivante pourrait impliquer que Skylax la plaçait, comme Éphore (ὁμοίως δέ), à la frontière de
l'Éolide, alors que le Périple, § 94, en fait la frontière entre Phrygie et Troade, et met la frontière de
l'Éolide au cap Lekton. Strabon, mentionnant sans doute Skylax de seconde main, dans une
argumentation qui souligne les contradictions entre historiens, il est difficile d'aller plus loin. Le
second passage de Strabon concerne le passé de la Mysie : "Quant au fait que la Bithynie est une
colonie des Mysiens, mon premier témoignage sera celui de Skylax de Karyanda, qui a dit que sur
les rives du lac d'Ascania étaient établis des Phrygiens et des Mysiens"12. Le territoire de la Mysie
est difficile à définir, même à l'époque où Strabon écrit sa Géographie, parce que c'est un territoire
continental enclavé entre différents territoires côtiers, de la Bithynie à la Carie13. Or la Mysie du
Périple commence au golfe d'Olbia et se termine au golfe d'Astakos14. C'est un territoire très étroit,
dont la seule côte se trouve sur la Propontide. Strabon n'a donc pas emprunté au Périple la mention
du lac d'Ascania, de toute façon trop continental pour apparaître dans une description des côtes ;
cela implique corollairement que le texte de Skylax de Karyanda n'était pas un Périple, mais,
comme l'écrit la Souda, une Περίοδος Γῆς, une description chorographique qui prenait en compte
l'intérieur du continent autant que ses côtes. La suite du Périple montre d'ailleurs que le Ps-Skylax

8
F. González Ponce défend la première thèse et D. Marcotte 2000 la seconde.
9
Peretti 1961, 1963, 1979, 1988, contre Jacoby, ad FGrHist 1, qui voyait dans la partie pontique un compendium d'
Hécatée. Ses travaux, indispensables dans les analyses de détail, sont d'utilisation difficile parce qu'il veut trouver au
périple une origine pratique et maritime, et y reconnaître les balbutiements d'une géographie scientifique en route vers
l'abstraction.
10
Str.14.2.20.
11
Str. 13.1.4.
12
Str. 12.4.8 : Ὅτι δ' ἦν κατοικία Μυσῶν ἡ Βιθυνία πρῶτον μαρτυρήσει Σκύλαξ ὁ Καρυανδεὺς φήσας
περιοικεῖν τὴν Ἀσκανίαν λίμνην Φρύγας καὶ Μυσούς.
13
Le problème a été bien analysé par Debord 2001. Voir aussi Debord 1999, 75 ; 93, à propos de Kios des Mysiens, et
229 pour les rapports de cette cité avec Athènes.
14
Robert 1949 : 37-38 : "Ainsi ce que ce périple appelle la Mysie, sur la mer, c'est exactement et uniquement la
péninsule au nord de Nicée, du fond du golfe de Nicomédie (Olbia comptant dans la Mysie non dans la Bithynie) au
fond du golfe de Kios".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 9

décrit la fenêtre maritime d'un territoire continental plus étendu vers le sud et qu'il témoigne d'une
évolution historique. Après la description de la Phrygie, de la Troade et de l'Éolide, au moment
d'arriver à la description de la Lydie, il remarque en effet que le territoire de cette dernière est, de
son temps, plus étendu vers le nord qu'auparavant, et que les Mysiens se sont retirés "vers l'intérieur
du continent"15. Cette expansion de la Lydie vers le nord n'est pas une incidente, mais organise
l'ensemble du chapitre (chapitre très long, qui plus est), puisqu'au moment d'arriver à la frontière de
la Carie, le Périple remarque qu'il s'agit de la frontière de celle-ci avec "la Mysie et la Lydie". Ce
passage montre que le Ps-Skylax n'est pas Skylax de Karyanda, mais n'est pas non plus un simple
compilateur, mais qu'il analyse ses sources en historien : il est conscient que la situation politique a
changé, que la Mysie s'est rétrécie. La Περίοδος Γῆς aurait donc pu figurer parmi les sources de
l'auteur du Périple, comme il aurait pu emprunter au Περίπλους τῶν ἐκτὸς τῶν Ἡρακλέους
στηλῶν la fin du Périple ou une partie de ses matériaux16. Mais les sources du Périple sont
multiples, et ne sont que partiellement d'origine maritime.
En ce qui concerne le Pont-Euxin, une bonne part des difficultés d'interprétation du texte tient
justement à la méthode de travail adoptée par son auteur : la mise sous forme de périple de données
éparses. Les parties du Périple que j'ai étudiées s'accordent avec une datation du début du règne de
Philippe II, en particulier l’allusion à la fondation de Datos par Kallistratos d’Aphidna17. Mais les
incompatibilités chronologiques relevées ailleurs semblent impliquer que une rédaction légèrement
postérieure à cette période18. Ces erreurs pourraient donc révéler le travail d'un historien pour lequel
le Périple aurait été le prologue géographique d'une histoire du monde grec. D'autres regroupements
de cités sont pour l'historien des anachronismes, mais vraisemblablement le résultat de découpages
géographiques. Enfin, certains choix pourraient être idéologiques ("Chéronée n'a pas eu lieu")19. A
en juger par la longueur respective des chapitres, les régions qui intéressent le plus le Ps-Skylax
sont celles pour lesquelles les Athéniens manifestaient un intérêt particulier dans cette période de
leur histoire, par exemple la Chersonèse de Thrace, vitale pour leurs approvisionnements en blé20.
Les Athéniens ont aussi beaucoup guerroyé en Égypte, du côté d'Acoris comme du côté perse :
peut-être est-ce la cause de la précision relative de la description de la côte libyque. Les entreprises
de Denys de Syracuse en Adriatique ont entraîné un intérêt politique accru pour cette région et ses
ressources, et les Athéniens ont fait de nombreuses expéditions autour de Corcyre et de
l'Acarnanie21 : le Ps-Skylax donne de l'Adriatique un tableau détaillé. Evagoras a représenté pour les
Athéniens l'espoir d'une résistance grecque à l'impérialisme perse : la description de Chypre fait la
part belle à Salamine et oublie Kition22. La Macédoine est décrite avec précision, mais réduite à son
littoral à l'époque de Perdiccas III ; la Perse n'existe tout simplement pas. Tout se passe comme si le

15
§ 98- Λυδία. Ἀπ' Ἄντάνδρου καὶ τῆς [Ἰνδίσης] τὸ κάτω ἦν πρότερον μὲν δί' αὑτὴν ἡ χώρα Μυσία μέχρι
Τευθρανίας, νῦν δὲ Λυδία. Μυσοὶ δ' ἐξανέστησαν εἰς τὴν ἤπειρον ἄνω.
16
Contra, Desanges 1978, 95 : "Nous considérons donc, pour notre part, comme improbable que le Périple de Scylax de
Caryanda ait substantiellement nourri le Périple qui nous est parvenu, dans la description des côtes de l'Afrique".
17
Cf. Hammond & Griffith 1979, 194-195, à propos du Périple, daté de 338-335 a.C. ; p. 233-246 pour la période et
Counillon, 1998b à propos de Datos dans le Périple.
18
Le catalogue est dressé par Müller, GGM, I, p. XLIII-XLVI, voir les notes ad loc. Pydna, Methonè et Olynthe sont
mentionnées § 66 comme cités grecques bien que prises par Philippe en 356, 354 (Ellis 1994, 743) et 348. Certaines
cités de Locride (Knèmis, Elateia, Panopeus) ne deviennent phocidiennes que la troisième année de la Guerre Sacrée,
soit en 353-352. D'autres cités phocidiennes (Antikyra § 37, Knèmis et Panopeus § 61) sont rasées par ordre du Conseil
des Amphictyons en 345. Naupacte (qu'Éphore place encore en Locride, Barber 1937, 6-11) ne devient étolienne que
vers 338, Ellis 1994, 770 ; voir aussi Marcotte 2000, p. LXVIII.
19
Cf. Brun 2000, 95-95, à propos des mentalités athéniennes vers 338, part. 89 : "Certes, nous savons, nous, que
l'hégémonie macédonienne était appelée à durer, mais était-ce le cas en ces années pour les Grecs en général et pour les
Athéniens en particulier? La puissance royale était chose nouvelle et devait, auprès de bien des contemporains, passer
pour exceptionnelle et donc temporaire".
20
Cf. Cargill 1995, 31-34, sur le décret de fondation d'une ἀποικία athénienne dans l'Adriatique (IG, II2, 1629) en 325.
21
Cf. Cargill 1995, 12.
22
Cf. Counillon 1998b. La lutte entre Athènes, Philippe ou la Perse est aussi idéologique, cf. Markle 1976.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 10

monde grec vivait en paix avec lui-même et avec le reste du monde23. En conclusion de son
introduction, Müller adoptait le point de vue de Letronne : "On sent qu'un livre aussi incomplet,
aussi peu détaillé, n'était qu'un livre élémentaire et n'a pu être, quoi qu'on en dise, d'aucune utilité
aux navigateurs… Pour moi, en rapprochant le style de l'ensemble des faits de l'ouvrage, je me sens
fort enclin à placer la rédaction entre l'an 356 et la mort d'Alexandre… Mais ce qui n'est point
incertain, ce qui résulte clairement de l'ensemble de ces observations, c'est que le périple est
réellement une compilation, et que les diverses parties en ont été tirées de matériaux d'une date
approximativement connue, dont les plus récents sont du règne de Philippe de Macédoine. Ce
résultat est plus nécessaire à établir que la date précise de la rédaction, date qu'il me paraît
maintenant impossible de déterminer autrement que par des suppositions plus ou moins probables,
et qui, heureusement, n'est d'aucune importance pour l'histoire de la géographie"24.
Il est difficile d'être plus limpide ou raisonnable.
2.2. Le texte du Périple.
Les éditeurs s'accordent à dire que le Parisinus sup. gr. 443 est corrompu et que le Périple en est le
texte le moins fiable. Sa nature même se prête d'ailleurs aux erreurs de copie et aux ajouts, en raison
de sa forme répétitive et des accumulations de toponymes inconnus ou au contraire trop connus ;
l'étude de la tradition manuscrite et indirecte permet de comprendre et parfois corriger certaines des
fautes accumulées. K. Müller pensait par exemple que tous les intertitres étaient l'oeuvre de l'éditeur
byzantin, et le § 70 paraît le confirmer25. D. Marcotte a réussi à tracer l'histoire du Périple à partir
du moment où Ménippe de Pergame l'intègre dans un corpus de géographes à l'époque d'Auguste ;
c'est ce corpus que Marcien d'Héraclée, qui en fait vraisemblablement un codex, attribue à Skylax
de Caryanda : Marcien, qui signale son travail d'éditeur pour le texte de Ménippe, pourrait aussi être
responsable des synthèses provisoires et des computs de distance comme le paraplous de l'Europe
du § 69 et le paraplous final26. Le corpus complet de Marcien est l'une des sources principales
d'Étienne de Byzance et il est encore complet entre les mains de Constantin Porphyrogénète au
début du IXe siècle p.C. ; il est passé par les mains d'un abréviateur au moment où un compilateur
l'utilise pour la rédaction du Périple apocryphe du Pont Euxin (= Eux.), et fait du Périple l'une des
sources de sa mise à jour du Périple d'Arrien, en concurrence avec Ménippe et la Périodos27. Les
citations du Périple sont aisément reconnaissables par leur forme, qui oppose une situation présente
à la situation passée : 9R25 (§ 35 Müller) : Ἀπὸ οὖν Φαρνακίας τῆς καὶ πάλαι Κερασοῦντος
ἕως πλησίον Κοτυώρου πρῶην ᾤκουν οἱ λεγόμενοι **Μοσούνικοι (μοσυνικοί, ms.) κτλ.
9R19 (§ 33 Müller) : Ἀπὸ δὲ Κοτυώρου ἕως πλησίον Πολεμωνίου πρῶην Τιβαρανοὶ ᾤκουν
ἔθνος κτλ. 9R15-16 (§ 31 Müller) : Ἀπὸ δὲ Πολεμωνίου ἕως πλαγίων τοῦ Θερμώδοντος
πρῶην Χάλυβες ἔθνος ᾤκουν28. Il contient donc des informations intéressantes pour
l'établissement du texte, même si la localisation des toponymes est une interprétation, peut-être à
partir d'Apollonios de Rhodes. D. Marcotte pense qu'en amont de Ménippe, le Périple était connu
de Lycophron (ce qui permettrait d'affiner la fourchette de sa date de composition), et il considère
qu'il est l'une des sources de la Périodos iambique, dont il attribue la paternité à Apollodore

23
Voir à ce sujet Bresc & Nef 1999, 47-53. Que le Périple donne une image politique du monde méditerranéen ressort
également de Flensted-Jensen & Hansen 1996 (voir toutefois mes réserves, infra). Letronne, Müller, et plus récemment
Marcotte, ont tous soutenu l'origine athénienne du Périple (argumentation la plus complète chez Marcotte 1990).
24
GGM, I, p. XXXIX-L = Letronne 1840, 172 et 243.
25
Voir la note ad loc.
26
GGM, I, 567 = 5323-5417 Diller, p. 148 : Τὰς δὲ τούτων ἐπιτομὰς καὶ διορθώσεις τῶν ἐμαυτοῦ ποιησάμενος
πόνων ἐναργὲς γνώρισμα, ὥστε τοὺς ἐντυγχάνοντας μηδὲν μήτε τῶν παρ' ἐκείνων συγγραφέντων, μήτε τῶν
παρ' ἡμῶν προστεθέντων ἢ διορθώσεως ἐπιμελοῦς ἀξιωθέντων ἀγνοῆσαι.
27
Comme le démontre Marcotte 2000, p. cxxxiii, par comparaison entre la Périégèse iambique et Eux.
28
Dans les citation d'Eux. les premières références sont celles de la pagination du manuscrit dans l'édition de Diller, puis
celles des GGM (Müller) ou celles de Diller (pour les parties dont Müller ne disposait pas pour son édition). Diller omet
toutefois un passage intéressant pour l'onomastique régionale : Eux., 9V10 (3B) : [Φᾶσις] Μεταξὺ τούτων βάρβαρός
ἐστιν ἡ Κοραξική, ἧς τὰ ἐχόμενα ἡ Κολικὴ καλουμένη, τὸ τῶν Μελαγχλαίνων καὶ Λόγχων ἔθνος.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 11

d'Athènes, au IIe s. a.C.29. Il avait déjà montré sa parenté avec la Description de la Grèce de
Dionysios, fils de Calliphon30. Des similitudes frappantes avec Pomponius Mela, Pline, et surtout
Apollonios de Rhodes ramènent à la même période. Le Périple a-t-il été directement utilisé par
Apollonios? Cela a pu être le cas, au moins dans un premier temps31. Il disposait pourtant d'une
bibliographie importante : pourquoi a-t-il utilisé le Périple du Ps-Skylax32? Parce qu'il y trouvait un
manuel commode pour construire le voyage de ses Argonautes le long des côtes pontiques?
Toutes ces incertitudes accumulées ont fait que la plupart des éditeurs ou des historiens qui ont
utilisé le texte ont corrigé l'orthographe des toponymes, parfois contre le texte, au point de le
défigurer et d'établir une vulgate qui a servi à son tour à corriger les autres géographes33. J'ai, pour
ma part, essayé de revenir, autant que possible, au texte du manuscrit et tenté d'analyser les réalités
géographiques dont rendait compte le Périple. Pour chaque passage étudié, j'ai entendu :
1. M'assurer de l'intégrité du texte en y repérant les fautes de transmission. 2. Comprendre la
logique descriptive et déterminer des sous-parties cohérentes en dehors du contexte géographique
(langue, ruptures). 3. Analyser les toponymes dans leur contexte historique et archéologique. 4.
Mettre en rapport le résultat obtenu avec le reste du Périple pour en tirer les conséquences
générales.
2.3. La forme et le contenu du Périple.
S'interroger sur l'auteur du Périple amène à le faire sur la constitution progressive des genres
littéraires dans la Grèce du Ve et du IVe s. a.C., sur l'histoire conjointe de l'élaboration des sciences et
en particulier de la géographie, sur la naissance de structures littéraires propres, de modèles
descriptifs spécifiques à travers lesquels ces sciences se sont construites dans leur particularité34.
— Le projet géographique.
Müller a émis l'idée que Phileas était la source principale du Périple35. C'est une hypothèse de
travail qui méritait d'être retenue, mais peu consistante. La question a été réglée par D. Marcotte à
propos des similitudes de certains passages du Périple et du poème de Dionysios fils de Calliphon.
On retiendra sa conclusion :
"L'auteur, ou le compilateur, du périple aurait utilisé, comme Dionysios le fera, l'oeuvre de Phileas,
qui bénéficiait d'un certain prestige… De son côté, Dionysios aurait, à deux reprises au moins (pour
les vers 27-32 et 111-125), emprunté au périple dit de Scylax des bribes de phrases qui pouvaient,
sans grand problème, passer dans le trimètre"36.
Je rejoins d'autant plus ce point de vue que le seul argument sur lequel s'appuyait Müller est un
passage du Périple dont il reconstruisait la continuité à partir d'une citation de Marcrobe :
Ἐντεῦθεν δὲ Αἰολὶς χώρα καλεῖται. Αἰολίδες δὲ πόλεις ἐν αὐτῇ εἰσὶν ἐπὶ θαλάττῃ αἵδε·

29
Marcotte 2000, p. cxxvi-cxxvii. On sait que la recherche de sources locales ou au moins hétérodoxes a alimenté la
poésie aitiologique de l'école de Callimaque. On imaginera volontiers que le Périple ait été alors exhumé par les érudits
athéniens et sa fortune liée à son utilisation par la poésie hellénistique.
30
Marcotte 1990, 29-33.
31
Voir infra ad § 89.
32
Entre le Ve et le Ier s. a.C., un grand nombre de textes s'intéressent au Pont-Euxin. Dans un catalogue des sources
possibles de la Périodos, Hind 1999, 26, relevait par exemple Dionysios de Chalkis (fin Ve-début IVe s. a.C.), Ktiseis ;
Charon de Lampsaque, Damastès de Sigée et Deinon ; Polémon d'Ilion (190 a.C.) Cités du Pont ; Anaximène de
Lampsaque (380-320 a.C.), Colonies de Milet ; Glaucos, Sur les cités du Pont gauche ; Alexandre Polyhistor (c. 80
a.C.), Le Pont-Euxin ; Timosthène, Les Ports, et Diophante (100 a.C.), Les cités du Pont.
33
Comme dans le cas de Spina sur l'Adriatique, cf. Counillon 2004a.
34
C'est le sens des travaux de F. González Ponce sur le périple comme genre littéraire, cf. González Ponce 19971, 71-72
: "Genero literario, por tanto, desde el primer momento, su mas precoces culdivadores distan mucho de ser los meros
registradores por escrito de anónimos informes marineros". Cf. González Ponce 2002, pour un dernier bilan de ses
recherches.
35
GGM,, I, p. XLIV, § 62 : Hinc igitur colligimus periplum non ante annum 338 scriptum esse. Neque vero etiam multo
post hunc annum scribi potuit ; p. L, § 71 : Suspicari licet auctorem peripli, ex quo nostrum compendium ductum est,
Phileam Atheniensem esse, ejusque nomini fortasse in Φύλαξ corrupto.
36
Marcotte 1990, 28-33.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 12

‹Ἄσσος, Γάργαρα, Ἄντανδρος· ἐν δὲ μεγογείᾳ αἵδε·› Κέβρην, Σκῆψις, Νεάνδρεια, Πιτύεια.


Mais si le style de ce passage est "heurté", P. Debord a démontré que la description du Périple est
conforme à la situation politique de l'Éolide37. Cette partie du Périple attend donc encore son
commentaire et il faut se résigner à voir Phileas rejoindre les sources indéterminées du Périple.
Le contenu du Périple s'inspire d'une tradition ethnographique qui lui est parallèle, sans qu'il soit
possible de définir un auteur ou un texte particulier comme sa source assurée :
"La raffigurazione delle caratterische geografiche di un paese (Hécatée 1F291 ; 292) ; delle
andamento delle coste o dei fiumi (1F217 ; 255 ; Skyl. FgrHist 709F8 ; 10), dei monumenti
(Hellanicos 4F54), degli animali e delle piante (1F324), degli usi et costumi degli abitanti (1F154,
284, 287, 322, 323, 335, 358 ; 4F53, 66, 67) et della loro diposizione sul territorio (1F100, 108,
163, 204 ; 4F70) si colloca di regola nell' atemporalità della descrizione. Nello stesso modo, anche
un'opera come il trattato ippocratico sulle arie, acque, luoghi, riferendo sia fenomeni… trova la sua
forma naturale nell'atemporalita della descrizione"38.
Le Périple n'est pas un portulan39. Les notices ethnographiques, les remarques mythographiques
interdisent de le considérer comme l'ekphrasis d'une carte40. L'existence à l'époque où il a été rédigé
de livres de bord, de journaux de navigation paraît indubitable41. Mais si les connaissances des
marins grecs ont pu être recueillies par les logographes ioniens d'abord, athéniens ensuite,
actualisées avec les progrès des connaissances maritimes, les transformations que ceux-ci leur
faisaient subir, la différence des buts et des publics qu'ils recherchaient ne pouvaient manquer de les
rendre méconnaissables42. Pour une période plus tardive, on observe des évolutions comparables :
"Towards the end of the Middle Ages, when Dutch navigation began to grow, Dutch shipmasters…
began to set down in writing what they had personally observed in the navigable waters of
northwestern Europe… These notes they then lent to one another on their return home and copied…
Later it became a source of revenue for professional scribes to furnish sea captains with similar
sailing directions and, as the copyist had little of no professional knowledge, they copied
uncritically whatever came by chance into their hands. They were not competent to correct or to
reorganize the material – hence the number of repetitions – and could not avoid making errors of
transcription, slips in writing, incorrect substitution of names, numbers and directions. They often
skipped words or entire lines, or repeated them, in each case to the detriment of the meaning.
Moreover, such faults multiplied with each copying by successive generations"43.
Dans la géographie de l'époque hellénistique et impériale, la typologie descriptive distingue entre
géographie, chorographie (description régionale), periodos, périégèse et périple (description linéaire
des côtes)44. Mais ces distinctions n'ont pas de sens avant l'époque hellénistique, et certains auteurs
anciens comme Euthymenès de Massalia, Phileas d'Athènes ou Damastès de Sigée peuvent être
indifféremment qualifiés d'auteurs de périples, ou de périégèse, ou d'Ἐθνῶν Ὀνομασίαι par les
grammairiens byzantins45. Comme l'a montré F. González Ponce, la confusion des dénominations
entre chorographia, periodos, periegèsis, ou periplous pour désigner les textes à coloration
géographique chez les encyclopédistes byzantins interdit de construire l'histoire ancienne des

37
Périple, Éolide, § 96 et Phileas ap. Macr., Sat., 5.20.7. Peretti 1963, 40-41 et Marcotte 2000, p. cxxiv-cxxvii, sont
d'accord sur le texte de Müller ; contra, Debord 1999, 74 ; 236-242. On retiendra aussi avec lui la leçon du manuscrit,
au § 98, Ἰνδίσης inutilement corrigée par Müller en Αἰολικῆς.
38
Dorati 2000, 98-99 : Dorati a le seul défaut de s'inspirer des idées erronées de Peretti pour faire du Périple un témoin
de la logographie ionienne. Voir sur cette question Counillon 2003.
39
Sur la définition et l'histoire de ce terme, cf. Gautier-Dalché 1995, 42-43, et 1997, IV 121-122.
40
Sur la description comme représentation de l'espace, cf. Counillon 2001a et Counillon 2001b.
41
Voir en particulier les analyses de Bresson 2000, 141-149.
42
Sur les résultats de cette utilisation, cf. Arnaud 1992 et 1993.
43
Waters 1967, 11.
44
Voir la typologie des genres de la géographie classique ap. Marcotte 2000, lv-lxxii.
45
González Ponce 19972, 43-45, montre bien qu'on ne peut se fier aux commentateurs byzantins pour définir avec
précision l'oeuvre de Skylax. Je ne pense pas pour autant que le noyau primitif du texte remonte à Skylax de Caryanda.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 13

genres46. La naissance des sciences s'accompagne de celle de structures littéraires spécifiques à


travers lesquels ces sciences se construisent dans leur particularité : ainsi la ligne de partage entre
"flux narratif" et "flux descriptif" sépare-t-elle histoire et géographie47 ; et de même que l'innovation
d'Hérodote et des historiens a été d'intégrer des éléments ethnographiques dans une continuité
narrative en prose héritée de la poésie épique, l'innovation du Périple est de les intégrer dans une
forme littéraire qu'il est pour nous le premier à utiliser dans une représentation de l'espace
géographique : si le Périple représente un progrès, il est dans l'usage systématique et absolu d'un
système descriptif pour constituer une oeuvre cohérente et géographiquement lisible. Alors que
dans la Periodos d'Hécatée, ou chez Hellanicos, certains peuples sont décrits dans le cadre de
chorographies qui prennent en compte la surface du territoire, le passage au périple transforme ces
données dans le sens unidimensionnel et vectorisé qui est sa démarche naturelle, ce qui amène un
rétrécissement de la profondeur du territoire décrit : la transformation de ces données en périple a
impliqué des choix entre la façade maritime d'une région et l'intérieur48. Il a fallu aussi orienter
différemment certaines listes de peuples à partir d'un ordre présupposé (s'agissait-il de listes de
peuples côtiers, ou de listes de tributaires, ou de listes orientées de la côte vers l'intérieur?). L'autre
prix à payer pour la constitution d'un périple était la régularité dans la progression du texte : chaque
paragraphe est l'équivalent verbal de la portion de territoire qu'il décrit, le Périple ne peut laisser de
blanc, il progresse au mot-territoire, et les nécessités de la symétrie et de l'équilibre impliqueraient
même un parfait assemblage de paragraphes calibrés : de là le recours à des excursus empruntés à
d'autres disciplines qui alimentent de leurs notices les ignorances de l'auteur.
— La forme du monde.
La division du monde en trois continents (Europe, Asie, Libye), est intégrée dans la progression du
texte. Cette division n'est pas une simple concession à l'opinion commune, mais sert régulièrement
de référence aux descriptions des sous-parties, et elle est inscrite dans un système d'opposition entre
régions, ou entre continents et îles. Elle est par exemple si parfaitement assimilée que le Pont-Euxin
n'est pas une entité géographique, mais constitue les deux parties septentrionales, l'une de l'Europe
et l'autre de l'Asie49. Elle trouve aussi son écho dans la forme du texte, puisque les deux descriptions
des Colonnes d'Héraclès d'Europe et de Libye, § 1 et § 111 se répondent jusque dans leur
formulation50. De même, les grandes îles que sont la Sicile ou la Crète, dont la description arrive
avec le point du continent qui leur fait face, sont situées par rapport à "l'Europe" et non par rapport à
la région continentale correspondante, Italie ou Péloponnèse51. Parallèlement à la division en
continents, trois transversales constituent une grille qui annonce celles de la cartographie
hellénistique : 1. Depuis la côte tyrrhénienne jusqu'à la Libye (vraisemblablement la région de
Carthage) si l'on rassemble les § 6 et 752. 2. depuis Lacédémone à la Cyrénaïque en passant par

46
Ainsi Damastès de Sigée, le disciple d'Hellanicos, aurait-il élaboré un Périple à partir de l'oeuvre d'Hécatée selon
Agathémère, Ge.Inf. I.1 = FGrHist 5T4 : "Εἶτα (après Hellanicos) Δαμάστης ὁ Σιγειεὺς τὰ πλεῖστα ἐκ τῶν
Ἑκαταίου μεταγράψας Περίπλουν ἔγραψεν. Mais le seul fragment un peu long qui en subsiste a trait à des peuples
du nord lointain (5F2, Scythes, Issedons, Arimaspes, Monts Rhipées, Hyperboréens), peuples qui ne sont manifestement
pas à leur place dans un périple. Damastès a pu figurer parmi les sources du Périple, mais la largeur du détroit de
Gibraltar est chez lui différente de celle donnée par le Périple.
47
Dorati 2000.
48
Janni 1984 reste le point de départ de toute étude consacrée au genre périplographique.
49
Le mot n'apparaît que trois fois dans cette partie du Périple, pour désigner le Pont-Euxin par opposition à une autre
mer : l'Égée, 67 et 92 ; le lac Méotide, 68, 69, 70.
50
§ 1 : "Je partirai des Colonnes d'Héraclès, celles d'Europe, jusqu'aux Colonnes d'Asie, et aux Éthiopiens, les Grands.
Les Colonnes d'Héraclès se font face et sont à une journée de navigation les unes des autres". Cette dernière phrase est
reprise exactement au § 111.
51
§ 13 : "Face à Rhègion il y a l'île de Sicile, qui se trouve à 12 stades de l'Europe" ; § 47 : "Face à Lacédémone se
trouve l'île de Crète : Lacédémone, en Europe, est en effet au plus près". Sur la description des îles, cf. Counillon 20011
et 20012.
52
§ 6 : "La navigation de la Tyrrhénie à Kyrnos est d'un jour et demi ; et il y a une île habitée à mi-chemin dont le nom
est Aithalia et beaucoup d'autres îles désertes" ; § 7 : "Depuis l'île de Kyrnos jusqu'à l'île de Sardô, il y a un tiers de jour
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 14

l'ouest de la Crète53. 3. La distance de Sinope à Soloi donne une troisième transversale à la grille
pour la partie orientale du Périple, § 102 : "Depuis Sinope dans le Pont à travers le continent et la
Cilicie jusqu'à Soloi, il y a une route d'une mer à l'autre de cinq jours". On trouve également des
mesures chiffrées pour les détroits qui marquent l'entrée des golfes ou des mers : Colonnes
d'Héraclès, Bosphores, entrée de l'Adriatique, avec le même système de renvoi d'une région à l'autre
au moment de retrouver les deux termes du diaplous54.
— Le découpage régional.
Parallèlement au découpage continental, le découpage régional est généralement explicité. Ainsi, le
paraplous du Rhône à Antion (Antibes) est suivi d'une note qui relève que "depuis les Colonnes
d'Héraclès jusqu'à Antion, toute la région est bien pourvue de ports" : cette dernière phrase ponctue
la fin de la description de la pointe occidentale de l'Europe avant l'arrivée en Italie. L'Italie forme
également une unité descriptive, comme le montre la double mention des Tyrrhéniens, § 5 et 17, et
surtout les indications du § 17 qui insistent sur l'aspect transversal de leur territoire, d'une mer à
l'autre, et sa traversée par une route dont la longueur est donnée. De même pour la Grèce ; à
l'arrivée à Ambracie, § 33, le Ps-Skylax remarque : "A partir de là, la Grèce s'étend sans
interruption jusqu'au fleuve Pénée et à la cité magnète d'Homolion qui est en bordure du fleuve" ; à
quoi répond au § 65 (Magnètes) la phrase : "Jusque là, depuis Ambracie, la Grèce s'étend sans
interruption"55. Ce qui vaut pour la Grèce vaut aussi pour la Thrace ou la Scythie-Tauride.
A ces découpages plus vastes correspondent des régions plus petites, dont les frontières sont
marquées avec précision56. C'est tout particulièrement vrai de la Grèce aux environs d'Athènes, mais
en général, cette division "ethnographique" semble avoir perdu son sens propre et recouvrir des
découpages plus simplement géographiques.
Par exemple, dans une phrase comme, § 92, "le paraplous depuis le pays des Mariandynoi (le
peuple dont le paragraphe sert d'en-tête à la description de la région d'Héraclée) jusqu'à
l'embouchure du golfe d'Olbia", les Mariandynoi qui n'ont aucune existence politique puisqu'ils sont
asservis aux Héracléotes, désignent Héraclée par métonymie : le texte renvoie au texte et non au
substrat historique, traduisant les préoccupations géographiques du Ps-Skylax, et par corollaire,
l'existence d'une conception géographique du monde au moment de la rédaction du Périple57.
Le point de vue du Ps-Skylax est incompatible avec la vision panoramique du vrai géographe
lorsqu'à proximité de l'Attique il se met à parler de "notre mer", ou de "cette mer"58. Mais sa vision
s'inscrit dans la tradition de la géographie ionienne et préfigure les découpages d'Ératosthène et de

de navigation… Depuis Sardô jusqu'à la Libye, il y a un jour et demi de navigation, et depuis Sardô jusqu'à la Sicile
deux jours et deux nuits".
53
Cf. Counillon 20012, n.8, p. 384.
54
Pour l'entrée du golfe Ionien, le § 27 répond au § 14. Autre élément qui révèle la conscience "géographique" du Ps-
Skylax, les remarques sur l'existence d'une double dénomination pour la même région : "L'embouchure du golfe
Adriatique ou Ionien", remarque réitérée au § 27 : "L'Adriatique et l'Ionien, c'est la même chose".
55
Cette délimitation de la Grèce est sans doute reprise de Phileas, cf. Marcotte 1990, 29-33 ; 76-84. Mais les fragments
qui subsistent en font plutôt un auteur de Πόλεων Ὀνομασίαι, collectionneur de noms de cités (doublons dans les
noms de cités, F. 4, 7, 8, 10) et légendes de fondation (F 3, 8, 12).
56
Utilisation des mots de la famille de ὅρος : § 55, Corinthe, frontière de Mégaride (μέχρι τῶν ὁρίων τῶν Μεγαρέων)
; § 56 frontière de l'Attique (ὅρος τῆς Ἀθηναίων χώρας) ; § 57, frontière entre Attique et Béotie (μέχρι τῶν ὅρων
τῶν Βοιωτίων) ; frontière entre Béotie et Locride (μέχρι τῶν Λοκρῶν ὁρίων) ; § 66, le Strymon comme frontière,
entre Macédoine et Thrace (οὗτος ὁρίζει Μακεδονίαν καὶ Θρᾴκην) ; § 102, frontières de Pamphylie avec la Cilicie
(ἀπὸ τῆς Παμφυλίας ὁρίων) ; § 104, frontières entre Arabie et Egypte (ἀπὸ Συρίας ὁρίων, Ἀραβίας ὅρος) ; § 106,
frontière entre Asie et Libye ( ὁρίζει Ἀσίαν καὶ Λιβύην).
57
On ne peut exclure une intervention de Marcien ou d'un copiste byzantin. Mais ce comput est tout à la fois atypique (il
saute le Bosphore et l'Hellespont) et régional, ce qui selon moi plaide pour son originalité.
58
§ 40, Corinthe : "Depuis la mer [le golfe de Corinthe], il y a une route de 40 stades jusqu'à notre mer à travers l'isthme
(πρὸς τὴν ἐπὶ ἡμῶν θάλασσαν διὰ τοῦ ἰσθμοῦ)" ; § 59, Béotie : "Après Athènes vient le territoire des Béotiens ;
celui-ci aussi s'étend jusqu'à cette mer (ἐπὶ ταύτην τὴν θάλασσαν)" ; § 61, Phocide : "Après la Locride vient la
Phocide : leur territoire aussi s'étend jusqu'à cette mer".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 15

Strabon59. Les méthodes descriptives inventées par l'auteur du Périple et ses contemporains se
perpétuent ensuite presque sans changer jusque dans la géographie de Ptolémée60.
— Les computs de distance.
Le plus souvent, la fin de chaque paragraphe donne une évaluation de la distance parcourue le long
des côtes, le paraplous. Le Périple a la particularité de proposer une double forme d'évaluation, soit
en jours de navigation, soit en stades, et de proposer un système de conversion61. Cette particularité
du Périple a été repérée et étudiée depuis longtemps, et il a été généralement admis qu'elle
correspondait à deux couches successives de relevés, les relevés en stades étant les plus récents62.
Les chapitres en jours de navigation sont approximativement regroupés à l'ouest (§ 1-11), dans la
partie centrale (§ 35-38) et sur la fin. Le premier chapitre mixte est la Sicile (§ 13), suivi de la
Tyrrhénie orientale (§ 17)63. Le § 21, la Liburnie, est plus significatif, puisque le Périple y donne un
paraplous en jours, mais les dimensions de l'Istrie en stades. Il provient de la même source qui au
§ 23 donne des distances en stades entre Pharos et Issa, entre Kerkyra Melaina et Melitè et la côte :
jusqu'à Ôrikos (§ 27), les types de computs sont ainsi mêlés64. La suite des paraplous le long des
côtes du golfe de Corinthe revient au système des computs en jours de navigation jusqu'à la
Mégaride, avec quelques exceptions, par exemple § 32 (Molossoi) et § 33 (Ambracia : la distance
de la cité à la mer est donnée en stades comme le paraplous de la région ; ce paragraphe définit
aussi les frontières de la Grèce et répond au § 65). Mesures mixtes également en Étolie (§ 35) : le
golfe de Delphes est mesuré en stades, mais le paraplous final l'est en jours. A partir de la Mégaride
(§ 39, paraplous en stades), on retrouve des mesures mixtes au § 40 pour Corinthe (paraplous d'une
demi-journée, mais la traversée de l'isthme est mesurée en stades, Ἔστι δ' ἀπὸ θαλάσσης ἡ ὁδὸς
πρὸς τὴν ἐπὶ ἡμῶν θάλασσαν διὰ τοῦ ἰσθμοῦ στάδια μ´ ), et toujours en stades en longeant la
côte du Péloponnèse (sinistrogyre) avec quelques exceptions : aucune mesure au § 46
(Lacédémone), des mesures mixtes pour la Crète § 47, pas de mesures pour les Cyclades, ni Égine
§ 53, une distance en stades pour le deuxième catalogue des Cyclades § 58. Mesures en stades
ensuite jusqu'à la Thessalie § 62-63, pour lesquels aucune mesure n'est donnée. La Thessalie est
mixte, aucune mesure § 65 pour les Magnètes, les mesures en jours reviennent avec la Macédoine
§ 66, tandis que les § 67-69 sont mixtes. Dans le long § 67 (Thrace) la Chersonèse de Thrace
concentre les mesures en stades65. La fin du paragraphe revient au comput par jours de navigation
pour un paraplous de la Thrace depuis le Strymon, en deux temps, décomposé, puis général. Dans
le paragraphe suivant (§ 68 Scythie et Tauride), on revient au système par jours de navigation, avec
une seule distance en stades pour la distance de Panticapée à l'entrée du lac Méotide. La suite, la
description de la partie orientale et méridionale du Pont-Euxin, ne comporte aucune mesure. S'agit-
il d'une partie plus ancienne que les autres (l'absence de durée étant un élément d'ancienneté) ou une
reconstitution du compilateur par défaut d'information (ou d'intérêt)? Je penche pour cette seconde

59
Le De Mundo d'Aristote, dans une perspective différente, semble partager la vision du monde du Périple.
60
On comparera p. ex. le § 68 et Ptolémée, Geog., 3.6. L'originalité de Ptolémée est d'indiquer les coordonnées des
toponymes qu'il mentionne, cf. Peretti 1979, 70.
61
Jours : § 1-12, 14, 15, 16, 19, 20, 22, 25, 28, 30, 34-38, 66, 92, 93, 98-102, 111-112. Stades : 27, 32 (Molossie), 33,
39, 41, 42-45, 49-52, 54-62, 67, 81 (Colchide), 95 (Troade), 104, 105. Aucun : 18 (Celtes), 29 (Corcyre), 46
(Lacédémone), 48 (Cyclades), 53 (Égine), 62 (Mélos), 63 (Achaïe), 65 (Magnètes), 70-80, 82-94, 96, 97, 101, 103.
Mixtes : 13, 17, 21, 23, 24, 26, 27, 31, 40, 47, 64, 67-69 (paraplous de l'Europe), 106-110. La conversion est explicitée
§ 69, mais ce système de conversion est vraisemblablement l'oeuvre de l'éditeur byzantin.
62
Par exemple Peretti 1976, 103-110 ; mais les articles indispensables sont Arnaud 1992 et 1993.
63
§ 13, la Sicile est isolée ; il y a deux distances en stades, une pour un fleuve (fleuve Tèrias), et une autre pour le côté
du triangle sicilien, estimé à ,βφ´ (2500) par le manuscrit, ramené à ,αφ´ par Müller (1500). Le § 17 Tyrrhenoi est
inhabituel, puisque sans paraplous mais avec un itinéraire pour traverser d'une mer à l'autre.
64
Au § 27, la traversée entre la cité d'Hyrous en Iapygie et les Κεραύνια ὄρη d'Épire est estimée à 50 stades environ et
correspond à l'entrée du golfe Ionien. Ce paragraphe répond au paragraphe § 14 consacré à la Iapygie qui mentionne
l'entrée du golfe Ionien.
65
Largeur du détroit à Sestos, 6 stades ; largeur de l'isthme à Kardia, 40 stades ; distance de Sèlymbria à l'entrée du Pont,
500 stades ; largeur du Bosphore à Hieron, 7 stades.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 16

hypothèse car dans le § 81, Kolchoi, le cours du Phase est mesuré en stades, indice de composition
tardive. Le décompte par jours reprend au § 92 (Bithynoi) pour un paraplous qui, comme à l'aller,
saute directement des Mariandynoi au golfe d'Olbia (trois jours de navigation), et ne donne pour la
partie asiatique du Pont qu'une approximation ("le paraplous a la même longueur que pour la côte
européenne"), qui traduit l'ignorance de l'auteur. Le long des côtes égéennes de l'Asie Mineure, les
distances sont estimées en jours de navigation à quelques informations près (Troade ; § 102, Cilicie,
distance de Sinope à Soloi par voie de terre, 5 jours). Tout change à l'arrivée § 104 en Syrie et
Phénicie, où les distances sont données en stades, comme dans la description de l'Égypte au § 106.
Après Pharos, dont la distance à la côte est donnée en stades, § 107, les jours de navigation se
mêlent aux distances en stades comme dans l'Adriatique (par exemple § 110 pour les îles). Le
périple atlantique est compté en jours. Les récapitulations générales des § 69 et 111 sont
vraisemblablement dues à l'éditeur byzantin66.
Les principales améliorations portent donc sur quelques régions particulières : Adriatique, Grèce
proche de l'Attique, Chersonèse de Thrace, quelques points en mer Noire, et des régions du bassin
sud-oriental de la Méditerrannée, en gros la Syrie-Phénicie, l'Égypte, et la Cyrénaïque. La façon
dont les distances sont intégrées au texte prouve que cette partie a été "modernisée" par l'adjonction
des mesures en stades, en particulier pour des îles ou des distances entre celles-ci : un bon exemple
est celui des Nestoi, (§ 23) ou le paraplous en jours est donné d'emblée (ce qui correspondrait à un
"périple brut"), mais suivi d'un long développement sur les îles. Ces améliorations correspondent, je
l'ai souligné, aux régions auxquelles les Athéniens s'intéressaient particulièrement au IVe s. a.C. On
doit selon moi en conclure que, sur un fond de périple où les paraplous étaient calculés en jours de
navigation, un compilateur athénien a entrepris la rédaction d'un périple complet de la
Méditerrannée et du Pont. Il a actualisé certaines informations, en introduisant des mesures en
stades, et complété dans le même temps le circuit du Périple.
— La définition des lieux.
Cette définition a des implications historiques importantes puisqu'elle amène à s'interroger sur la
nature des toponymes, des ethnonymes et surtout des villes – pour l'existence et le statut desquelles
le Ps-Skylax apporte un témoignage difficile à analyser, mais précieux67. En réalité la question porte
tout autant sur la structure de la phrase et des paragraphes dans le Périple.
Une fois éliminés les paragraphes qui ne mentionnent pas de cité, ou n'en mentionnent qu'une (4, 5,
16, 17, 22, 41, 109 etc.), on constate que lorsqu'il doit nommer plus d'une cité, le Ps-Skylax utilise
des systèmes concurrents. Le plus couramment, il crée une rubrique "cités", sous la forme habituelle
καὶ πόλεις ἐν αὐτῇ αἵδε, et, en pays barbare, ἐν ταύτῃ πόλεις εἰσὶν Ἑλληνίδες αἵδε68. Parfois,
l'énumération est assez longue pour qu'il puisse craindre que son lecteur s'égare : quelques
paragraphes, qui commencent donc sous rubrique collective, se poursuivent par une énumération
avec mention spécifique (47, 67, 98, 100) lorsque le cours de la description a été interrompu par une
remarque, géographique ou mythographique. Par exemple, au § 98, en Lydie, l'énumération des
cités est annoncée par la formule usuelle Εἰσὶ δὲ πόλεις κτλ., suivie des deux premières de la liste,
Astyra et Adramyttion. L'énumération est alors interrompue par l'arrivée dans la pérée de Lesbos
puis de Chios et lorsqu'il revient à sa liste, le Ps-Skylax précise πόλις Ἀταρνεύς. Dans la suite du
paragraphe, certaines cités sont signalées comme telles (Myrina, Kymè etc.) et d'autres pas (Phocée,
Clazomènes etc.) pour les mêmes raisons. Dans d'autres cas, la spécificité géographique de chaque
toponyme est indiquée, en particulier lorsqu'une cité ou deux voisinent avec des fleuves ou des
caps, comme au § 59, ou lorsque des cités grecques coexistent avec des cités non-grecques. Parfois
cependant, dans cette forme de paragraphe, la mention πόλις est ajoutée, sans que l'on puisse
déterminer pourquoi (§ 48, 49, 58). Au § 64, par exemple, il n'y a pas de formule initiale, et la
mention de toponymes divers (ἱερὸν Δήλιον, Αὐλὶς ἱερόν, Εὔριπος τεῖχος, Ἀνθηδὼν τεῖχος,
66
Voir infra ad § 69.
67
Par exemple Hansen 1995, Bowden 1996, Flensted-Jensen & Hansen 1996, Tsetskhladze 1997.
68
§ 12, 13, 14, 35, 36, 38, 39, 40, etc.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 17

Θῆβαι, Θεσπιαί, Ὀρχομενὸς ἐν μεσογείᾳ) est complétée par la formule Εἰσὶ δὲ καὶ ἄλλαι
πόλεις, qui les englobe tous comme πόλεις, sans distinction69. Le terme de πόλις désigne donc
assurément une communauté organisée, mais on ne peut être plus précis. Le § 57 signale comme
πόλεις athéniennes Éleusis, Salamine, le Pirée, et d'autres dèmes de l'Attique :
Μετὰ δὲ Μεγαρεῖς εἰσὶν Ἀθηναίων πόλεις. Καὶ πρῶτον τῆς Ἀττικῆς Ἐλευσίς, οὗ ἱερὸν
Δήμητρός ἐστι, καὶ τεῖχος. Κατὰ τοῦτό ἐστι Σαλαμὶς νῆσος καὶ πόλις καὶ λιμήν. Ἔπειτα ὁ
Πειραιεύς καὶ τὰ σκέλη καὶ Ἀθῆναι. Ὁ δὲ Πειραιεὺς λιμένας ἔχει γ´ . Ἀνάφλυστος τεῖχος
καὶ λιμήν· Σούνιον ἀκρωτήριον καὶ τε _ῖχος· ἱερὸν Ποσειδῶνος· Θορικὸς τε _ῖχος καὶ
λιμένες δύο· Ῥαμνοῦς τεῖχος· Εἰσὶ δὲ καὶ ἄλλοι λιμένες ἐν τῇ Ἀττικῇ πολλοί.
Comment justifier cette catégorisation, sauf à entrer dans des distinctions byzantines entre vraies
cités et cités dépendantes? On ne peut donc tirer aucune conclusion sur le degré d'autonomie des
"cités" mentionnées par le Ps-Skylax, et, sur le plan méthodologique, il faut admettre que telle cité
historiquement bien connue comme telle puisse être mentionnée non comme cité, mais comme port,
ou comme emporion, et que par ailleurs tel cap (ἀκρωτήριον) ou tel fleuve (ποταμός) ou tel
temple (ἱερόν) puisse apparaître dans une liste de cités commençant par la rubrique collective Ἐν
ταύτῃ πόλεις εἰσὶν (Ἑλληνίδες) αἵδε sans que cette classification ait la moindre valeur politique.
Corollairement, un toponyme qui est donné seul, sans autre indication, pourra être une cité : dire
qu'un lieu est une polis n'implique pas davantage l'absence d'un port que dire d'un lieu qu'il est un
emporion ne saurait impliquer que ce lieu n'est pas une cité. Cette constatation confirme par contre
que le Périple a été construit en réorganisant sous cette forme des matériaux préexistants. La
première mise en forme (Μετὰ δὲ… αἵδε) organise géographiquement le chapitre en s'adaptant aux
contraintes du terrain : pour la Tauride, par exemple, le périple dextrogyre explique la succession
Scythie-Tauride-Scythie au moment où l'auteur rencontre la péninsule de Chersonèse Taurique dans
sa progression vers l'est. Une fois ce découpage effectué, une seconde mise en forme dresse le
catalogue des toponymes. Elle reproduit vraisemblablement des listes, listes de cités ou listes
d'itinéraires, où étaient énumérés les principaux toponymes et leur caractéristique essentielle, ce qui
explique que dans le chapitre consacré à la Tauride, <Tyris> Potamos ou Kriou Metôpon
apparaissent, ou que Chersonèsos soit caractérisé comme emporion.
— La composition des paragraphes.
On peut aussi s'interroger sur la façon dont ce matériau a été assemblé et construit en étudiant de
près l'équilibre entre coordination et asyndète, particulièrement important dans un texte qui
accumule les listes de toponymes. Trois systèmes sont couramment en usage dans le Périple : la
coordination par δέ, celle par καί, et l'asyndète.
La coordination par δέ marque le début d'un paragraphe ou d'une partie, et il lui arrive
d'accompagner une légère opposition avec la phrase précédente. Δέ n'est pas toujours le second mot
de la phrase, mais arrive parfois après un groupe de mots initial : § 47, 49 ἐν μεσογείᾳ δὲ, § 47,
πρὸς νότον δὲ (usage habituel chez les géographes, p. ex. Éphore 70 F30a = Str.1.2.28), πρὸς
βορέαν δὲ ἄνεμον (hapax). Δέ manque souvent (mais pas systématiquement) pour accompagner
les différentes forme de οὗτος, en particulier les formes adverbiales (p. ex. Ἐντεῦθεν, § 40, 41,
43, 46, 50, 55). De même avec différentes formes de πρῶτος (§ 2, 45, 47, 66, 67, 104) ou quelques
adverbes comme εἶτα, équivalent de δέ, § 47, 99, 99, 100, ou même de μετὰ δέ, 109. Mais nombre
de phrases sont en asyndète sans raison, parfois en alternance avec une coordination pour le même
tour ailleurs dans le texte : ainsi le paraplous qui souvent termine les chapitres est-il ordinairement
annoncé par Παράπλους δὲ, mais le mot arrive aussi seul (§ 3, 5, 7, 14 etc.) ; le tour Ἐπάνειμι δὲ
πάλιν, peut prendre la forme Ἐπάνειμι πάλιν, § 29, 67, 99, parfois dans le même paragraphe
(§ 98), ou une forme approchante : Μετὰ ταῦτα ἐπάνειμι πάλιν (mais, § 68, Μ _ετὰ δὲ ταῦτα
εἰσι Σκύθαι πάλιν). Ces asyndètes sont plus ou moins courantes selon les parties du Périple –
presque une phrase sur trois au début, beaucoup moins par la suite. Les asyndètes les plus

69
Cas similaires § 13, 23, 39, 40, 46, 47, 59, 67, 68, 94.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 18

caractéristiques et les plus intéressantes sont les listes de cités et de peuples, à considérer dans leur
rapport avec l'autre conjonction de coordination, καί. Καί joue un rôle complexe à différents
niveaux syntagmatiques. Coordonnant les mots, sous la forme πόλις Μύρινα καὶ λιμήν ou Κύμη
καὶ λιμήν, καί sert aussi à embrayer sur la suite du paragraphe après la phrase initiale en
concurrence avec δέ, et on aura aussi bien, § 67, Εἰσὶ δὲ ἐν Θρᾴκῃ πόλεις Ἑλληνίδες αἵδε que,
§ 68, καὶ πόλεις ἐν αὐτοῖς Ἑλληνίδες αἵδε. Καί est donc la conjonction privilégiée pour
l'adjonction de notes complémentaires dans certains paragraphes où l'on perçoit un important travail
de collation. Or la diversité de ces usages peut rendre le texte opaque lorsqu'il faut en hiérarchiser
les propositions, par exemple au § 17 :
Τυρρηνοί. Μετὰ δὲ τὸ Ὀμβρικὸν, Τυρρηνοί. Διήκουσι δὲ καὶ οὗτοι ἀπὸ τοῦ Τυρρηνικοῦ
πελάγους ἔξωθεν εἰς τὸν Ἀδρίαν διήκοντες, καὶ πόλις ἐν αὐτῇ Ἑλληνὶς καὶ ποταμός, καὶ
ἀνάπλους εἰς τὴν πόλιν κατὰ ποταμὸν ὡς εἴκοσι σταδίων. Καὶ Τυρρηνία ἐστὶ διήκουσα ἀπὸ
τῆς ἔξωθεν θαλάττης ἕως εἰς τὸν Ἀδρίαν κόλπον.
Le premier καὶ est adverbial, le second (καὶ πόλις) apporte une nouvelle information de même
degré, comme le dernier (Καὶ Τυρρηνία), alors que le troisième (καὶ ἀνάπλους) est dans le
contexte de la proposition qui commence par καὶ πόλις, et non celui du paragraphe. Dans ce
passage, le sens est sans ambiguïté, mais ce n'est pas toujours le cas, en particulier pour le périple
pontique :
— Dans l'énumération en asyndète du § 68, Θευδοσία, Κύδαια καὶ Νυμφαίον,
Παντικάπαιον, Μυρμήκιον, la coordination isolée Κύδαια καὶ Νυμφαίον implique que dans le
modèle du Ps-Skylax, ces deux cités étaient réunies. Le rapprochement géographique peut suffire à
expliquer la coordination, puisque les deux cités sont voisines, entre Theodosia à l'ouest et
Panticapée au nord ; mais il est possible que ce καί recouvre des liens plus étroits, soit maritimes
(en rapport avec l'itinéraire sur lequel elles figuraient), soit politiques. Il est malheureusement
impossible d'en savoir davantage.
— Autre passage complexe, le § 81 :
Κόλχοι. Μετὰ δὲ τούτους, Κόλχοι ἔθνος καὶ Διοσκουρίας πόλις καὶ Γυηνὸς πόλις Ἑλληνὶς
καὶ Γυηνὸς ποταμὸς καὶ Χιρόβος ποταμός, Χόρσος ποταμός, Ἄριος ποταμός, Φάσις
ποταμὸς καὶ Φάσις Ἑλληνὶς πόλις̣· καὶ ἀνάπλους ἀνὰ τὸν ποταμὸν σταδίων ρπ´ εἰς πόλιν
Αἶαν μεγάλην βάρβαρον ὅθεν ἡ Μήδεια ἦν. Ἐνταῦθά ἐστι Ῥὶς ποταμός, Ἴσις ποταμός,
Λῃστῶν Ποταμός, Ἄψαρος ποταμός.
On doit vraisemblablement hiérarchiser les propositions ainsi : Μετὰ δὲ τούτους, Κόλχοι ἔθνος
καὶ Διοσκουρίας πόλις /καὶ Γυηνὸς πόλις Ἑλληνὶς καὶ Γυηνὸς ποταμὸς / καὶ Χιρόβος
ποταμός, Χόρσος ποταμός, Ἄριος ποταμός, Φάσις ποταμὸς καὶ Φάσις Ἑλληνὶς πόλις̣ (καὶ
ἀνάπλους ἀνὰ τὸν ποταμὸν σταδίων ρπ´ εἰς πόλιν Αἶαν μεγάλην βάρβαρον ὅθεν ἡ Μήδεια
ἦν) / Ἐνταῦθά ἐστι Ῥὶς ποταμός, Ἴσις ποταμός, Λῃστῶν Ποταμός, Ἄψαρος ποταμός.
On distingue ainsi quatre zones : Dioskourias, Gyènos et son fleuve, puis un groupe de trois fleuves,
puis le Phase et la cité de Phasis, puis quatre fleuves assez mal localisés. Mais nous tirons cette
représentation davantage de ce que nous savons de la situation de Dioskourias, de Phasis et de
l'Apsaros que de l'organisation du texte, et il est par exemple impossible de savoir si le groupe καὶ
Γυηνὸς πόλις Ἑλληνὶς καὶ Γυηνὸς ποταμός doit être rattachée directement à Διοσκουρίας
πόλις ou s'il représente un nouvel échelon dans la progression vers le sud : on pourrait couper le
texte autrement. La question se pose aussi, quoique de façon moins complexe, aux § 82, 83, 88,
8970.
— Au § 92, dans une partie assez pauvre, le Périple situe le fleuve Artônès à l'est de l'île de
Thynias : ποταμὸς Σαγάριος καὶ ἄλλος ποταμὸς Ἀρτώνης καὶ νῆσος Θυνίας, alors que les
autres périplographes le situent à l'ouest de cette dernière. La comparaison entre les § 91 et 92
montre que cette erreur est une nouvelle fois due à la mise en forme périplographique du passage.

70
Voir les notes ad loc.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 19

Dans le § 91, par exemple, deux fleuves sont mentionnés. Le premier arrose Héraclée et il est
annoncé selon le tour habituel dans le Périple, Ἐνταῦθα πόλις ἐστὶν Ἡράκλεια Ἑλληνὶς καὶ
ποταμὸς Λύκος ; le second καὶ qui amène l'Hypios, καὶ ἄλλος ποταμὸς Ὕπιος, introduit une
nouvelle étape, et ἄλλος semble impliquer que c'est le dernier du territoire, "et, un/comme autre
fleuve, l'Hypios". Au § 92, le territoire des Bithyniens recouvre tout l'isthme qui sépare la mer
Noire de la Propontide, même si le territoire de Chalkis doit en être détaché. Comme par exemple
pour la Colchide, l'ambiguïté tient à la succession des conjonctions pour déterminer des sous-parties
: Βιθυνοὶ ἔθνος, /καὶ ποταμὸς Σαγάριος (qui arrive avec la frontière), / καὶ ἄλλος ποταμὸς
Ἀρτώνης καί νῆσος Θυνίας (l'Artônès et l'île de Thynias) / καὶ ποταμὸς Ῥῆβας, le fleuve
Rhébas71. En amont de la mise en forme périplographique, un Catalogue des Cités et Peuples du
Pont n'aurait pas eu une forme différente : Μαριάνδυνοι ἔθνος. πόλις Ἡράκλεια Ἑλληνὶς·
ποταμοὶ Λύκος καὶ Ὕπιος. Θρᾷκες Βιθυνοί. ποταμὸς Σαγάριος καὶ ἄλλος ποταμὸς
Ἀρτώνης καὶ νῆσος Θυνίας· καὶ ποταμὸς Ῥῆβας.
— La question des sous-titres.
Dans les GGM, chaque nouvelle étape du périple est annoncée par un sous-titre. Mais ces sous-
titres ont été introduits par un éditeur byzantin72. Le § 70 le confirme, puisque dans la phrase :
Ἀσία. Ἀπὸ Τανάϊδος δὲ ποταμοῦ ἄρχεται ἡ Ἀσία. Σαυρομάται. Καὶ πρῶτον ἔθνος αὐτῆς
ἐστὶν ἐν τῷ Πόντῳ Σαυρομάται, Καὶ reliait initialement la première proposition (Ἀπὸ …Ἀσία) à
la seconde (καὶ … Σαυρομάται), mais en a été séparé par le sous-titre Σαυρομάται. Ces sous-
titres ont pu être ajoutés, par exemple au moment de la translittération, pour conserver sa lisibilité
au texte malgré le passage à la minuscule. En effet, d'un archétype où les colonnes pouvaient
comporter entre 13 et 18 lettres et donc se présenter sous une forme adaptée à la longueur des
phrases du Périple73 :
καὶ πόλις Ἑλληνὶς / Τορικὸς καὶ λιμήν / Μετὰ δὲ Τορέτας / Ἀχαιοὶ ἔθνος / Μετὰ δὲ
Ἀχαιοὺς / Ἡνίοχοι ἔθνος, on passait à καὶ πόλις Ἑλληνὶς Τορικὸς καὶ λιμήν. Μετὰ δὲ
Τορέτας Ἀχαιοὶ ἔθνος. Μετὰ δὲ Ἀχαιοὺς Ἡνίοχοι ἔθνος. L'introduction de sous-titres était
donc justifiée, mais cette tentative de clarification a entraîné ses propres désordres. Aux § 73-80, le
texte du manuscrit (à quelques corrections orthographiques près) se présente ainsi :
Κερκέται. Μετὰ δὲ Σινδικὸν Λιμένα, Κερκέται ἔθνος, καὶ πόλις Ἑλληνὶς Τορικὸς καὶ
λιμήν. Ἀχαιοί. Μετὰ δὲ Τορέτας Ἀχαιοὶ ἔθνος. Ἡνίοχοι. Μετὰ δὲ Ἀχαιοὺς Ἡνίοχοι ἔθνος.
Κοραξοί. Μετὰ δὲ Κοραξοὺς Κορικὴ ἔθνος. Μελαγχλαίνοι. Μετὰ δὲ Κορικὴν
Μελαγχλαίνοι ἔθνος καὶ ποταμὸς ἐν αὐτοῖς Μητάσωρις καὶ Αἰγίπιος ποταμός. Γέλωνες.
Μετὰ δὲ Μελαγχλαίνους Γέλων.
Comme l'ont perçu les éditeurs, il manque deux échelons à la continuité du périple, les Toretai et les
Koraxoi. Dans le cas des Toretai, on pourrait conserver le texte du manuscrit, en admettant que les
Toretai sont les habitants de Τορικός, et que Torikos est une cité frontière dont les habitants
servent de balise74. Mais cette interprétation est assez forcée pour que Müller ait admis que le texte
avait été perturbé et qu'il ait reconstitué un paragraphe intermédiaire <Τορέται. Μετὰ δὲ
Κερκέτας Τορέται ἔθνος› καὶ πόλις Ἑλληνὶς Τορικὸς καὶ λιμήν, en supposant un saut du
même au même. La correction paraîtra légitime, au regard des confusions possibles entre Τορέται
et Τορικός. Toutefois, Eux., qui lit sans doute un texte légèrement meilleur que le nôtre, peut-être
antérieur à l'introduction des sous-titres et des accidents qui l'ont accompagnée, écrit, 10R12-13

71
Sur des formules analogues Εἰσι δὲ καὶ ἄλλαι - νῆσοι, πόλεις, cf. 6, 13, 21, 34, 44, 46, 57, 59, 60, 63, 64, 66, 101,
103, 108, part. 57 (Attique); ou 99 (Carie) : Ἁλικαρνασσὸς καὶ λιμὴν κλειστὸς καὶ ἄλλος λιμὴν περὶ τὴν νῆσον καὶ
ποταμός, Κάλυμνα νῆσος.
72
Voir par exemple supra, n.25.
73
Sur l'archétype, cf. Marcotte 2000, p. cxxvi.
74
Comme aux § 56-57 : ΜΕΓΑΡΑ. Ἀπὸ δὲ τῆς Κορινθίων χώρας Μέγαρα πόλις ἐστὶ. 57. ΑΤΤΙΚΗ. Μετὰ δὲ
Μεγαρεῖς εἰσὶν Ἀθηναίων πόλεις κτλ. Mais les Mégariens sont les citoyens de l'état mégarien, ce qui me paraît
différent.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 20

(22B) : Ἀπὸ οὖν Σινδικοῦ λιμένος ἕως Πάγρας λιμένος πρώην ᾤκουν ἔθνη οἱ λεγόμενοι
Κερκέται ἤτοι Τορίται, νῦν δὲ οἰκοῦσιν Εὐδουσιανοί. Comme tous les géographes antiques,
Eux. réunit donc Κερκέται et Τορέται dans une phrase dont la forme (πρώην/νῦν), trahit comme
ailleurs une citation du Périple. C'est pourquoi je préfère écrire : Μετὰ δὲ Σινδικὸν Λιμένα,
Κερκέται ἤτοι Τορέται ἔθνος καὶ πόλις Ἑλληνὶς Τορικὸς καὶ λιμήν. Μετὰ δὲ Τορέτας
Ἀχαιοὶ ἔθνος.
Comme les Torètai, les Koraxoi n'apparaissent qu'en creux dans le sous-titre et dans la phrase Μετὰ
δὲ Κοραξοὺς, Κορικὴ ἔθνος. Müller reconstituait donc un paragraphe complet <Μετὰ δὲ
Ἡνιόχους, Κοραξοὶ ἔθνος›. On peut en effet imaginer qu'au moment de la translittération, après
avoir écrit Κοραξοί le copiste ait fait l'erreur fatale qui a amené Μετὰ δὲ Κοραξοὺς, ce qui
expliquerait à la fois la présence du sous-titre Κοραξοὶ, et l'absence de Κορική, et j'ai retenu la
correction de Müller. Mais une fois encore, Eux., tout en confirmant la liste et l'orthographe des
ethnonymes, peut soulever un doute, 10R7-8 (18B) : Ἀπὸ οὖν Παλαιᾶς Ἀχαίας ἕως τῆς
Παλαιᾶς Λαζικῆς καὶ ἐπέκεινα ἕως Ἀχαιοῦντος ποταμοῦ πρώην ᾤκουν ἔθνη οἱ λεγόμενοι
Ἡνίοχοι Κοραξοὶ καὶ Κόρικοι Μελάγχλαινοι Μαχέλωνες Κόλχοι καί Λαζοί, νῦν δὲ
οἰκοῦσι Ζίχοι. Comme on l'a vu, καί (Κοραξοὶ καὶ Κόρικοι) est ambigu : il peut réunir ces deux
peuples (ordinairement réunis chez les géographes), mais pourrait aussi réunir Ἡνίοχοι et
Κοραξοὶ d'une part et Κόρικοι et Μελάγχλαινοι de l'autre. Avant l'introduction des sous-titres, on
aurait donc pu avoir aussi le texte suivant : Μετὰ δὲ Ἀχαιοὺς Ἡνίοχοι ἔθνος καὶ Κοραξοί.
Μετὰ δὲ Κοραξοὺς Κορικὴ ἔθνος. Μετὰ δὲ Κορικὴν Μελαγχλαίνοι κτλ75. Quelle que soit la
correction retenue, il est vrai, le sens change à peine, ce qui souligne la pauvreté de cette partie du
Périple : dans ces coins reculés du Pont, il se réduit à la mise en forme à peine élaborée d'une liste
de peuples enrichie de quelques toponymes. De ce fait, l'histoire des éditions successives dont nous
sommes les héritiers, se réduit sans doute à un mouvement de balancier entre élucidation (certains
éditeurs réduisant le périple à la liste des peuples qui le composent), et respect de la forme
périplographique (et des formules qui lui donnent sa continuité). Nous touchons donc ici au canevas
du Périple, canevas que recouvre la broderie ethnographique dans ses parties plus riches. Quant à ce
canevas, cette liste de peuples ici sous sa forme presque brute, il nous renvoie, on l'a vu, aux
catalogues des contemporains76.
2.4. Le périple pontique77.
— L'image du Pont-Euxin dans le Périple.
D'une certaine façon, on ne peut parler de périple pontique pour le Ps-Skylax comme pour Eux.,
Arrien, Ménippe, Mela, Pline ou même Hérodote, puisque la région pontique n'est pas dans le
Périple une entité régionale distincte. Il n'y a pas, en effet, de description générale du Pont (image
générale, mesures, mise en rapport avec d'autres mers) et pas d'unité du système descriptif, car la
première partie (jusqu'au Tanaïs) adopte un découpage régional (la fin du § 67 décrit la Thrace
pontique qui se termine à l'Istros, et le § 68 la Scythotauride), alors qu'à partir du Tanaïs et jusqu'au
§ 93 (où l'on revient, avec la Mysie, à des entités géographiques plus larges) le découpage est
apparemment ethnographique. La seule ponctuation géographique importante est la division
continentale entre l'Europe et l'Asie au niveau du Tanaïs (à laquelle correspond au § 107 la frontière
entre la Libye et l'Asie, fixée à la Bouche Canopique du Nil). Les territoires pontiques sont eux-
mêmes dispersés et rattachés à des régions différentes. Le § 67 décrit la Thrace qui commence au
Strymon et se termine à l'Istros : elle est à cheval sur la mer Égée et le Pont, et l'entrée dans le Pont
est à peine signalée. Le § 93 mentionne la sortie du Pont sans interrompre la description de la
Bithynie, elle aussi à cheval sur deux mers. Au § 68, les deux rives du Bosphore Cimmérien sont
traitées séparément, les cités sont rattachées soit à l'Europe, soit à l'Asie, y compris pour le royaume

75
La suggestion est de P. Orcival.
76
Voir supra, n.31.
77
Pour une analyse détaillée des exemples qui suivent, on se reportera aux notes des paragraphes correspondants du
Périple, infra.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 21

du Bosphore. La division entre les continents asiatique et européen par le Tanaïs reprend donc celle
de la géographie ionienne sans que rien vienne indiquer chez le Ps-Skylax une réflexion globale sur
la région pontique. Le périple du Pont s'intègre simplement dans la description de la Méditerranée,
comme chez Éphore, ou chez Aristote. A cause de la nature composite du Périple, il est impossible
de s'appuyer sur la datation générale de l'oeuvre pour déterminer celle du périple pontique. Il en a
souvent été considéré comme la partie la plus ancienne, généralement à partir de l'argumentation de
Bashmakoff, qui voyait dans le découpage ethnographique de la partie méridionale une garantie
d'antiquité78. C'est la position défendue ensuite par A. Peretti, et naguère par P. Arnaud ou A.
Avram79. La position de ces auteurs est d'ailleurs nuancée selon qu'ils reconnaissent dans le Périple
une source unique, une unité de composition, ou une accumulation de strates successives. Même si
le canevas et certaines données sont anciennes, la rédaction du périple pontique est l'oeuvre de
l'auteur de la compilation finale car les quelques éléments de datation dont nous disposons pointent
vers le IVe s. a.C..
— Éléments de datation.
Kallatis est mentionnée au § 67 dans la liste des cités du Pont gauche, entre Mesembria et
l'embouchure de l'Istros. Cette cité est l'une des dernières fondées sur cette côte et J. Hind,
s'appuyant à la fois sur les résultats de l'archéologie et sur le texte de la Périégèse iambique, fixe
cette date au début du règne d'Amyntas père de Philippe (389-359 a.C)80. La première partie du § 67
(la Thrace égéenne) est l'une des plus détaillées du Périple et le chapitre dans son ensemble fait de
la Thrace une entité géographique dont les limites sont fixées dès le départ de la description et qui
présente une grande cohérence, y compris linguistique, même par rapport au reste du Périple81. La
date de la fondation de Kallatis peut donc être mise en rapport avec la mention de Datos dans le
même chapitre, Datos dont la brève existence se situe entre 360 et 357 : la présence de Kallatis
définit donc une fourchette chronologique (393-357) qui interdit la datation ancienne du périple
pontique. Dans la description de la partie septentrionale du Pont, le § 72 mentionne Sindikos Limèn
dans une liste de cités grecques : la situation est politiquement confuse, mais Sindikos Limèn, sans
doute une fondation grecque en territoire sinde sur le site de l'actuelle Anapa, est englobée entre 389
et 349 dans la fondation de Gorgippia par le frère de Leukôn, Gorgippos, qui lui donne son nom82 :
Gorgippia n'est pas mentionnée, ce qui donne un terminus ante quem en accord avec la datation
générale. Pour la région qui va du Strymon à la Sindique, le texte présente donc une certaine unité
chronologique qui correspond elle aussi à la réalité historique et politique de la période qui précède
les conquêtes de Philippe et d'Alexandre. Pour la suite, il faut avoir recours à des preuves indirectes,
plus difficiles d'interprétation et qui ne débouchent que sur des faisceaux de vraisemblances
puisqu'elles s'appuient sur une analyse d'autres sources, diverses, antérieures à la date de rédaction
du Périple.
— Les sources du périple pontique.
— Le canevas ethnographique
Le plus remarquable dans cette partie du Périple est peut-être son inutilité pratique. Là où l'on
devrait disposer de distances, d'indications sur la valeur des mouillages et des ports, on ne trouve
que la coquille vide d'un périple : l'organisation d'un catalogue des peuples pontiques tels qu'on en

78
Baschmakoff 1948. Cet ouvrage donnait la première traduction française de l'ensemble des périples pontiques. Les
théories de l'A. sont discutables, mais c'est un ouvrage utile pour son catalogue de toponymes pontiques (pour beaucoup
disparus) et ses cartes.
79
Arnaud 1992 ; Avram 1996, 290, n.9 ; Hansen 1997, 95, exprime des doutes que je partage.
80
Cf. Hind 1999, 30 : "Kallatis : founded either at the time of Amyntas I of Macedon (c 540-500 BC), or perhaps more
likely, in view of the fact that earliest material from there is of the early fourth century, in the reign of Amyntas IV
(389-59 BC) who was the father of Philip", pace Marcotte 2000, 240. Le règne d'Amyntas III (393/2) conviendrait aussi
à A. Ivantchik. Pour une discussion, voir n.200**.
81
Hansen 1997, 95.
82
Aleekseeva 1993 ; Hind 1992-1993, 108-109, défend une position différente, mais qui ne remet pas en cause la
datation par l'absence de Gorgippia.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 22

trouve aux Ve-IVe s. a.C. (par exemple dans le traité hippocratique Airs, Eaux, Lieux), sous la forme
d'une liste alignée sur les côtes83. En son temps, Strabon critique l'ethnographie des bizarreries dont
se nourrit ici le Ps-Skylax :
"Voyant, en effet, que les auteurs qui se déclaraient mythographes connaissaient estime et succès,
ils crurent pouvoir offrir eux aussi des écrits qui plairaient en exposant sous forme d'histoire ce
qu'ils n'avaient jamais vu de leurs yeux ni entendu dire, du moins de la bouche de gens parlant en
connaissance de cause, et en se souciant seulement d'atteindre ce qui plaît à des auditeurs et peut les
émerveiller. Mais on se fierait plus facilement à un Hésiode et à un Homère racontant les légendes
héroïques, ainsi qu'aux auteurs de tragédies, qu'à un Ctésias, un Hérodote, un Hellanicos et leurs
pareils"84.
Ces critiques de Strabon montrent 1. que cette littérature existait en abondance ; 2. qu'elle était
connue, analysée et critiquée par les géographes au moins jusqu'à Strabon. Sous sa forme brute, un
tel catalogue aurait pu être proche des § 70-80 où la succession des paragraphes n'est qu'une liste
d'ethnonymes à peine élaborée par l'adjonction de prépositions et de sous-titres : Ἀχαιοί. Ἡνίοχοι.
Κοραξοί. Κορική. Μελαγχλαίνοι (ποταμὸς Μητάσωρις καὶ Αἰγίπιος ποταμός). Γέλωνες85. Il
est impossible de déterminer à quel moment la liste a été constituée et élaborée sous forme de
périple ; elle ne provient pas d'une source unique (i.e. Hécatée), puisque certains noms et leur
disposition sont originaux86. On repère par endroits l'influence d'Hérodote, par exemple pour
l'image de la Scythie d'Europe ; ailleurs, celle d'Éphore ou de ses sources, par exemple à propos des
Gunaikokratoumenoi ; mais le Périple ne dit rien de la tradition imputée à Éphore et reprise entre
autres par la Périodos et Aristote, tradition qui fait des Achaioi et des Heniochoi des Grecs
ἐκβαρβαρόμενοι, et il s'écarte d'Éphore dans l'énumération des peuples de la côte asiatique87. Une
ethnographie composite, donc, où chaque élément pose un problème complexe.
— Les itinéraires maritimes.
Parallèlement à l'ethnographie qui lui sert de cadre, le Ps-Skylax a recours à d'autres sources plus
spécialisées. L'un des moteurs des progrès de la géographie pontique a été la reconnaissance des
routes maritimes. Une fois passée la phase des découvertes et du cabotage, les grands itinéraires
d'une extrémité à l'autre du Pont, se sont progressivement ouverts, au fur et à mesure que les
Anciens devenaient plus sûrs des vents et des courants dominants. Bien qu'entre marins et lecteurs il
ait fallu la transition d'un écrivain pour transcrire ces savoirs sous une forme accessible au public,
l'étude des périples fournit un ensemble de données intéressantes pour la détermination des circuits
maritimes dans l'Antiquité, et tout particulièrement dans le Pont-Euxin, comme l'a montré naguère
P. Arnaud88. Toutefois, la question est rendue complexe parce qu'elle porte non seulement sur
l'existence de ces routes ouvertes par les Grecs dans le Pont, mais aussi sur la date de leur invention
et la durée de leur utilisation. Les flux commerciaux se réorientent en fonction de l'ouverture ou de
la fermeture de marchés, de la découverte de routes nouvelles, et de nouvelles facilités offertes à la
navigation, en particulier par la création de ports plus sûrs : dans l'Antiquité le développement des
ports de la côte pontique à l'ouest du Karambis, Héraclée, Sèsamos/Amastris a accompagné la

83
Scythes Anarées, Sauromates, Phasiens, Macrocéphales, Tibarènoi et Mossynoikoi. Cf. Counillon 2003.
84
Str. 11.6.3, puis 11.7.5.
85
Voir le chapitre précédent.**
86
Peretti 1979, 458-459, "Se non che, più che la coincidenza dei nomi etnici et l'ordine col quale si susseguono, qua
importano alcune discordanze… et soprattutto la localizzione di ciascun popolo dentro certi punti fissi del territorio. È
impossibile desumere sa una serie parallela di nomi etnici, che costituiscono probabilmente uno schema tratalizio già
nel V secolo a.C., la dipendenza dei testimoni sa un unico filone di notizie geografiche, se non si dimostra che, insieme
con i nomi etnici, sono correlati fra di loro i confini, la divisine della costa, i punti di riferimento distribuiti su di essa, le
peculiarità del territorio abitato sa ciascun popolo".
87
Sur le détail de ces similitudes, voir infra l'analyse des passages concernés.
88
Arnaud 1992. Burstein 1976, 112 n. 24, montrait déjà que la mention par Ménippe 5715-1716 Diller, de la distance
entre Héraclée et Apollonia (1 000 stades), implique l'existence d'une route maritime entre les deux villes dont
l'importance est vérifiée par l'archéologie. Voir aussi, supra, "Le projet géographique", p. **.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 23

réorientation du trafic qui a utilisé l'axe Karambis-Kriou Metopon pour atteindre le Bosphore
Cimmérien et, le cas échéant, la Colchide89. La comparaison avec le Pont-Euxin d'Hérodote peut
servir d'étalon. Hérodote connaît bien la côte occidentale, dont il indique tous les fleuves navigables
et les communautés grecques, mais il n'a à citer, pour la partie orientale du Pont, que quelques
points importants comme l'embouchure du Méotide, la Sindique, le Phase et la Themiskyra, une
estimation des dimensions du Méotide. Ces lieux sont mentionnés soit dans un contexte
géographique, à intégrer dans une représentation générale de l'Asie largement inspirée d'Hécatée ;
soit dans un contexte légendaire, qui met aussi en scène la Themiskyra et le Tanaïs, où sont
localisés les déplacements des Amazones90. Hérodote en profite pour introduire un système de
comput de distances maritimes qui lui est propre. Ces différents points sont sans doute, comme le
pense P. Arnaud, des marqueurs de routes maritimes puisque la route d'un Bosphore à l'autre et de
la Sindique à la Colchide correspondent à des dessertes naturelles dans le Pont, celles qu'utilisent
plus tard les navires turcs aussi longtemps qu'ils disposent de leurs ports de Bessarabie et de Crimée
; bien qu'elle soit donnée en jours de marche, la route de la Sindique à la Colchide est, elle aussi,
une route naturelle. Quant à la Themiskyra, elle abrite déjà des cités grecques chez Hécatée. Dans le
Périple, la comparaison du Pont-Euxin au Méotide et la remarque finale sur la similitude de
navigation par le Pont gauche ou le Pont droit appartiennent à la même catégorie globalisante que
les remarques d'Hérodote sur les mesures générales du Pont. Mais, comme Hérodote, le "Ps-Skylax
n'est en état de fournir d'évaluation de durée que pour cette moitié gauche du Pont"91. On ne repère
en effet que deux itinéraires maritimes mesurés, l'un, dans le Pont gauche, bien qu'il soit divisé en
trois tronçons ; l'autre, de trois jours, à la sortie du Pont, d'Héraclée au fond du golfe d'Olbia. A ces
itinéraires, il faut ajouter les itinéraires de cabotage que l'on peut reconstituer, par exemple le long
de la côte méridionale du Pont.
— Pont gauche.
Dans le Pont gauche, le Périple a des omissions étonnantes : Byzance, Istros, Olbia n'y figurent pas,
alors qu'elles sont les plus anciennes cités grecques de la région. A la fin du § 68, le Périple
décompte trois jours et trois nuits de navigation en droite ligne de l'Istros au Kriou Metopon (nom
inconnu d'Hérodote), soit 3 000 stades auxquels viendront s'ajouter 1 000 stades de Kriou Metopon
à Panticapée, et 100 stades de plus pour aller à l'embouchure du lac Méotide, soit un total de 4 100
stades. Le Ps-Skylax, comme les géographes postérieurs, mentionne un golfe (golfe de Kerkinitis)
qui doublerait l'itinéraire le long des côtes. La fin du paraplous, elle, utilise un itinéraire maritime
dont la destination est Panticapée (la distance au lac Méotide est donnée en stades depuis cette
dernière)92. L'utilisation de cet itinéraire qui piquait après Kallatis sur l'île de Leukè, puis sur la
Taurique et Chersonèsos, itinéraire normal pour les navigations au long cours à destination de
Panticapée, explique l'omission de toutes les cités du golfe de Kerkinitis93. L'utilisation de cette

89
Burstein 1976, 35. : "During the fifth century, ships sailing to the grain ports of southern Russia followed two main
routes : the preferred one, which followed the west and north coast as far as Olbia, Theodosia, Nymphaeum and
Panticapaeum, and the shorter one, which ran along the south coast as far as Cape Carambis, then cut across the open
sea to Criumetopon… and finally to Olbia or to Panticapaeum. On either route, however, the coasts of Crimea from
Cercinitis to Theodosia constituted an area of particular danger".
90
Hérodote n'a pas pour autant une vision claire de la côte nord de la mer Noire, Hind 2001, 29.
91
Arnaud 1992, 60 ** :"[Cette particularité] atteste indubitablemetnt une familiarité beaucoup plus grande à l'égard de la
moitié occidendatle, qui est déjà l'objet d'une navigation hauturière… dont les étapes sont rarement inférieures à 72
heures de mer. Il ne semble pas qu'à l'époque à laquelle a été rédigée la description des côtes du Pont comprises dans le
Périple du Ps-Scylax les rives asiatiques de la mer Noire aient été assez fréquentées et assez familières pour susciter
autre chose qu'un simple fret de cabotage".
92
Arnaud 1992 : 1. De la Bouche du Pont à l'Istros : 3 jours et 3 nuits. 2. De l'Istros au cap Kriou Metopon : a. trois jours
et trois nuits en ligne droite. b. Le double en cabotage (par Kerkinitis). 3. Du cap Kriou Metopon à Panticapée : un jour
et une nuit.
93
L'intérêt de Leukè pour la navigation est bien décrit par Spencer 1839, I, 213-215 ; pour la bibliographie récente, cf.
Okhotnikov 2001. Quant aux raisons d'éviter le golfe de Kerkinitis, Spencer 1854 signale l'embouchure du Dniestr
comme l'une des côtes rendues dangereuses en mer Noire par la présence de bancs de vase.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 24

source expliquerait aussi le caractère elliptique de la liste du § 68, Ἕλληνες αἵδε· Χερρόνησος,
ἐμπόριον, Κριοῦ Μέτωπον, ἀκρωτήριον, puisque les toponymes y auraient été nommés dans
leur fonction d'amer ou d'escale, et non dans leur statut politico-géographique. Comme le Ps-Skylax
ne connaissait pas la région, n'avait aucune expérience maritime particulière, et, semble-t-il, aucun
moyen de vérifier la véracité de ce qu'il écrivait, il pouvait croire que l'itinéraire maritime de grand
cabotage qu'il suivait, itinéraire qui permet de relier au plus vite Hieron à Panticapée, correspondait
à la forme des côtes. L'utilisation de tels itinéraires pourrait également expliquer l'omission de
Byzance, par exemple au moment de la compilation d'itinéraires de nature et d'orientation
différentes. Plus au nord, au § 72 l'utilisation d'itinéraires pourrait également expliquer certaines
incohérences. L'ordre dans lequel sont énumérées les cités de la rive gauche du Bosphore varie à
peu près avec chaque géographe. Dans une écriture périplographique, selon le sens dans lequel on
parcourt le lac Korokondamitide, soit Hermonassa soit Phanagoria arrivent l'une la première et
l'autre la dernière, tandis que Kèpoi est toujours la seconde : l'omission d'Hermonassa par le Périple
s'expliquerait par l'utilisation d'un itinéraire maritime en provenance de l'ouest et dont le terme
aurait été Kèpoi. Au § 73, enfin, le Périple mentionne en dernier la cité inconnue de Πάτους, mais
conserve comme ville frontière Sindikos Limèn, nommée avant elle : Patous a donc été introduite
après coup, peut-être à partir d'un itinéraire vers le Phase94.
— Pont droit, côte sud-orientale.
Le problème est plus complexe encore pour la région sud-orientale du Pont-Euxin, de la Colchide à
Trapezous, puisque le Ps-Skylax y nomme une série de ports et de cités grecques dont il est le seul
témoin : cités de Limnè, d'Hôdeinios (§ 83) ; cité de Becheiras (§ 84) ; Psôrôn Limèn (§ 85, avant
Trapezous). Même problème pour la partie méridionale de la côte, qu'il s'agisse de la Themiskyra,
de la région du cap Jason, de celle de Sinope et, plus à l'ouest, de la côte paphlagonienne jusqu'à
Héraclée. Hécatée mentionne bien certaines de ces cités – avec d'autres qu'ignore le Périple, comme
Amisos et Τείρια 1F201. Mais certaines, mentionnées par Hécatée et le Périple disparaissent
ensuite comme Choirades et Lykastos ; d'autres ne sont connues que par le Périple (le passage
d'Hécatée qui les aurait mentionnées pourrait être perdu, il est vrai) : § 86, Zephyrios Limèn ; § 88,
le port clos de Genesintis, Ameneia et Iasonia ; § 89, Kerasos et Tetrakis ; § 80, Koloussa. Enfin,
certaines cités contemporaines de la rédaction du Périple en sont absentes, comme Kerasous et
Kotyôra visitées par Xénophon – Amisos n'est mentionnée ni par l'un ni par l'autre95. Que tirer de
ces particularités? Entre Trapezous et l'entrée du Bosphore, la partie de la côte pour laquelle nous
avons le plus d'informations, les sites mentionnés par le Périple sont regroupés en des points
caractéristiques : le cap Genètès et le cap Jason entre Trapezous et Sinope ; la Themiskyra ; la
région de Sinope ; les principales échelles de la côte paphlagonienne, Stephanè Limèn, Kinôlis,
Karambis, Kytôros, Sèsamos, le Parthenios, Tieion, Psylla, pour celles que nous connaissons. Tous
ces sites partagent des traits communs : ce sont les meilleurs mouillages de la côte ; ils sont
repérables depuis la mer ; on y trouve les principaux caps de la côte (Genètès, Jason, Karambis) et
les péninsules les plus remarquables (Sinope, Sèsamos). Dans la partie orientale, ils ne sont pas
dans les régions de la côte les plus favorables à l'agriculture, mais au débouché des routes de
l'intérieur ; ils sont souvent aussi dans des régions faciles à protéger, soit par les montagnes (caps),
soit par des marais (Themiskyra) : ces régions sont par exemple restées largement grecques jusqu'à
la fin de l'empire ottoman.
Peut-on aller plus loin et dater la source du Périple? La mention de certains de ces sites par
Hécatée démontre assurément qu'il s'agit pour partie de fondations milésiennes. La forme des
toponymes va d'ailleurs dans le même sens, toponymes en -oussa, noms imagés, qui semblent faire
partie des habitudes des marins ioniens96. Mais l'absence de Kerasous et Kotyôra semble indiquer

94
Sur ce trajet, cf. Arnaud 1992, s'appuyant sur Hdt. 4.85-86. Le trajet Hieron-Theodosia(Caffa)-Themiskyra est courant
chez les voyageurs pour la Colchide, par exemple Chardin 1686, 62-69.
95
Sur les raisons possibles de l'absence d'Amisos, voir notes ad loc.
96
Cf. Dion 1977, 26-29 et surtout Laroche 1975.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 25

que la source du Périple est antérieure à la fondation de ces dernières, en tout cas au passage de
Xénophon, et donc à dater d'une période située entre la colonisation milésienne et la fin du Ve s. a.C.
pour la région méridionale de la côte pontique97. Il est également très remarquable que le Périple,
tout en décrivant en détail la côte paphlagonienne, mentionne Karambis comme cité grecque, et non
comme cap ou comme cité et cap (comme Iasonia). Or, la côte paphlagonienne et le cap Karambis
apparaissent tardivement dans nos sources : la première apparition du nom Karambis dans les
sources littéraires en fait un fils de Phinée, frère de Parthenios, dans le Phinée perdu de Sophocle :
l'expansion de cette légende vers l'est semble accompagner la prise de possession de la côte
paphlagonienne par les Grecs à partir du Ve s. a.C. Au milieu du IVe s. a.C., Éphore fait pour la
première fois de Karambis le cap septentrional de la Paphlagonie et à partir de cette date il est
connu comme le principal cap de la côte méridionale du Pont puisque c'est à partir du cap Karambis
que le trajet vers le Bosphore Cimmérien est désormais considéré comme le plus court, et les
géographies mentionnent même la possibilité de le voir en même temps que le cap Kriou Metopon à
mi-parcours98. Comme d'autres lieux géographiques, les Colonnes d'Héraclès, ou les monts
Kerauniens, ou, sur la côte sud du Pont-Euxin, Sinope ou le fleuve Rhèbas en Bithynie, l'importance
du cap Karambis pour les géographes en a fait le pendant méridional du cap Kriou Metopon de
Chersonèse et l'a transformé sous leur plume en "promontoire gigantesque". Toutefois, en amont
des géographes, il faut bien qu'il y ait eu des marins : les géographes n'en ont fait un lieu
remarquable qu'à partir du moment où la route directe du cap Karambis au cap Kriou Metopon a été
couramment utilisée par ces derniers : la célébrité du cap Karambis, sa transformation en amer de
référence, sont liées au développement de la route maritime qui longe la côte méridionale du Pont
jusqu'à son niveau, et qui prenant Héraclée, Tieion, ou Sèsamos comme base, traverse vers le nord
en direction de la Chersonèse taurique : cette route est apparemment inconnue tant d'Hérodote que
du Pseudo-Skylax99. Car, bien qu'il signale le cap Kriou Metopon comme promontoire méridional
de la Tauride et comme point de repère sur la route directe qui mène du Bosphore de Thrace à
Panticapée, il n'indique pas que le Karambis est son vis-à-vis. Pour le Ps-Skylax, Karambis n'est pas
un cap, mais une polis, ce qui est cohérent avec sa conception primitive du Pont comme un golfe de
l'Océan. La source du Ps-Skylax ne connaît que deux routes vers la Colchide, soit la route de semi-
cabotage par Leukè, soit la route de cabotage du sud par Sinope et Trapezous. Le Ps-Skylax est
donc le témoin précieux d'un moment où Karambis, avec la côte paphlagonienne, est entré dans les
tablettes des géographes, mais où il n'est encore qu'une cité, en amont de sa mutation en topos
géographique et alors qu'il coexiste encore avec certaines des échelles du sud, qui disparaissent de
nos sources quand les Grecs commencent à s'établir dans des régions plus fertiles et accueillantes
que les nids d'aigles où ils avaient d'abord fait escale. Un autre élément permet de dater la source du
Périple de la même période : le port de Genesintis est qualifié de κλειστός : or ce type de port de
guerre ne connaît son principal développement qu'à partir du Ve s. a.C100. Entre les sources
milésiennes et le Périple est donc venue s'intercaler une source du Ve s. a.C. La présence de ces
toponymes qui apparaissent pour la première fois et dont certains disparaissent ensuite des
géographies, la mention de Karambis comme polis et non comme cap, déterminent un créneau
chronologique assez étroit, entre la seconde moitié du Ve et le début du IVe s. a.C., moment qui
coincide avec la présence athénienne en mer Noire. Quelle autre cité qu'Athènes aurait pu, à ce
moment de son histoire, repérer sur la côte pontique une série d'échelles sur la route de la Colchide,
avec la complicité nécessaire de Sinope et d'Héraclée? Qui pouvait vouloir occuper cette partie de la
côte négligée par les précédents colonisateurs? Qui pouvait avoir un tel intérêt au développement de

97
Xen., An., 5,3.2 ; 5.4.1 ; 5.5.2-23. Voir infra, p.**.
98
Éphore, FGrHist 70F41 : ἄκρα ὑψηλή τε καὶ καταρρὼξ τῆς Παφλαγονίας καὶ εἰς τὸ πέλαγος τείνει πρὸς
ἄρκτον, μνημονεύει καὶ Ἔφορος ἐν δ´ . Sur l'hellénisation de la côte paphlagonienne, cf. Counillon 2004b.
99
Maximova, 1959 (ap. Burstein 1976, 119, n. 114) considére elle aussi que la route "courte" par Karambis n'a été
utilisée qu'à partir du IVe s. a.C.
100
Cf. Casson 1994, 521 ; Counillon 1998a.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 26

la route directe entre le Karambis et le Kriou Metopon, route du plus grand intérêt pour les flottes
athéniennes à destination de Theodosia, Panticapée ou Nymphaion (sous contrôle athénien comme
on sait)? Ces comptoirs et ces ports milésiens ou athéniens dont le Périple se fait le témoin, en
particulier ceux de l'est de Trapezous, ne pouvaient subister que dans un contexte économique et
politique favorables. La disparition de Milet, la défaite d'Athènes, les difficultés de Sinope au IVe s.
a.C. pourraient expliquer leur disparition pour les plus orientaux, leur somnolence pour les plus
occidentaux, ou au moins leur regroupement dans des cités plus viables que d'autres, à Pichvnari, à
Pirée, ou dans les cités existantes comme Trapezous ou Sinope.

3. Les Grecs et le Pont-Euxin.3.1. La mer Noire.


— Géographie.
Le Pont-Euxin délimite un vaste territoire (1 080 x 620 km, 461 000 km2 avec la mer d'Azov) : la
Chersonèse Taurique, à elle seule, par exemple, couvre approximativement la surface du
Péloponnèse, et elle est parcourue par une chaîne de montagnes qui culmine à 1500 m. Il fallait
environ 3 jours et 2 nuits de navigation pour aller au plus court du cap Karambis (en Paphlagonie)
au Kriou Metôpon de Tauride ; et 9 jours et 8 nuits pour aller du Bosphore au Phase. La navigation
y était considérée comme dangereuse à cause de ses tempêtes soudaines, de la rareté de ports
vraiment protégés : on disait qu'Euxin était un euphémisme pour Axin ("hospitalier" pour
"inhospitalier"), étymologie populaire ; s'il est vrai qu'Axin recouvrait l'iranien Akshana, "la
Sombre", la mer Noire, Kara Deniz, a aujourd'hui retrouvé son nom ancien.
Allongée entre les 25°-39° long. E., la mer Noire est située entre 41°-47° lat. N., entre Madrid et
Poitiers. Mais le climat et le paysage y sont très différents suivant la région. On peut en effet
approximativement la diviser en deux bassins au niveau des caps Karambis et Kriou Metôpon,
division à la fois géographique et climatique puisqu'elle se signale par une orientation différente des
vents et des courants : on prend le vent à la sortie du Bosphore de Thrace pour piquer sur Theodosia
(Caffa) ; on profite du courant descendant pour naviguer vers le sud le long des côtes de Géorgie.
La partie occidentale, du Bosphore à la Crimée, représente l'extrémité des plaines d'Europe Centrale
au nord et à l'est des Carpathes, drainées par de grands fleuves navigables en profondeur, tout
particulièrement l'Istros (Danube), le Tyras (Dniestr), l'Hypanis (Boug), le Borysthène (Dniepr) et le
Tanaïs (Don) le marais ou lac Méotide (la mer d'Azof). C'est une région où se fait sentir le climat
continental, aux hivers froids et aux étés brûlants — on se souvient des plaintes d'Ovide exilé à
Tomis, au sud du Danube, ou de la gloire de Diophante, ce général de Mithridate qui put se vanter
d'avoir battu les Scythes deux fois au même endroit dans la défense de Chersonèsos, une fois sur la
glace et une autre fois dans une bataille navale101. La partie orientale et méridionale de la mer Noire
est protégée par le Caucase, au nord et à l'est, et par les chaines pontiques au sud ; le climat y est
relativement tempéré : on sait que les côtes de Crimée et du Caucase sont une Riviera, que l'on
cultive le riz et le thé à Rize en Turquie, le thé en Géorgie, et que les oliviers poussent à peu près
partout sur la côte de Trabzon à Sinop :
"Le climat de la mer Noire est tout à fait différent à l'est et à l'ouest de Sinope. Entre cette ville et
Constantinople, l'olivier et l'oranger ne croissent pas en pleine terre ; le froid est très vif pendant
l'hiver ; les brouillards s'y amoncellent fréquemment ; le vent souffle avec une grande violence. Il
n'en est pas ainsi de Sinope jusqu'au fond de la mer Noire…[climat doux en permanence, été
comme hiver]. Si dans la première région les vents du nord causent de fréquents naufrages, la
seconde ne connaît que ceux de l'est et de l'ouest. Par le vent d'est, le ciel est d'une extrême pureté,
et ce vent est d'ailleurs si faible qu'il ride à peine la mer. Mais les vagues que le vent d'ouest a

101
Spencer 1854 : "Un autre désavantage de la côte russe de la mer Noire est le froid intense qui y règne l'hiver, en
particulier dans les estuaires et quelques baies : Odessa est souvent prise par les glaces, Sébastopol, ou Caffa jamais, le
détroit de Yeni Kale et la mer d'Azov toujours, à quoi s'ajoute le danger des débacles". Spencer est le spécialiste
britannique de la mer Noire au milieu du XIXe s. ; l'équivalent français est Taitbout de Marigny. Sur tous ces voyageurs,
voir Vivien de Saint-Martin 1846, Robert 1980 (en particulier 1-60) et Yerasimos 1986.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 27

soulevées d'une extrémité à l'autre du Pont-Euxin sont souvent très considérables; les nuages et la
pluie l'accompagnent toujours. La neige ne tombe qu'avec le vent du sud qui se précipite des
montagnes"102.
En revanche, sauf entre le Bosphore et Héraclée, les sommets des Alpes Pontiques, qui atteignent
couramment 3 000 m, sont tout proches, et les plaines côtières sont extrêmement étroites. Quelques
grand fleuves y tracent leur route et déterminent en même temps des voies de communication : le
Phase et surtout l'Apsaros (Çoruh Nehri), dont la haute vallée touche à celle de l'Euphrate et du
Lykos ; le Lykos (Kelkit Çay) dont la vallée longe d'est en ouest les Alpes Pontiques avant de
rejoindre l'Iris (Yes/il Irmak) avant que celui-ci ne se jette dans la mer Noire à proximité d'Amisos
(Samsun) ; l'Halys (Kızıl Irmak), enfin, qui draîne toute l'Anatolie centrale et servait de frontière
dès le temps de Crésus. Les autres fleuves sont relativement courts, et plus on avance vers le
Caucase, plus les montagnes sont hautes et raides, montagnes jeunes, recouvertes d'une végétation
impénétrable : les Turkmènes décrivent une effrayante forêt lorsqu'ils tentent au XIVe-XVe siècles de
passer les cols qui mènent vers la côte depuis le plateau anatolien.
Nous avons tendance à considérer la mer Noire comme une entité géographique, peut-être parce que
nous avons appris à le faire avec Hérodote ; or cette unité est douteuse. Entre les contreforts du
Caucase et les plaines de la Dobrudja, ou entre les étroites côtes pontiques de la Turquie et les côtes
de Crimée, les systèmes climatiques, le régime des fleuves, la nature du paysage et de la végétation
sont profondément différents, et demandent à être définis en particulier103. A ces paysages différents
correspond aussi une diversité de ressources que les cités ont dû exploiter chacune selon sa situation
: le blé a fait la richesse du royaume du Bosphore, Héraclée a échangé son vin contre le blé de
Kallatis, les esclaves d'Histria ou les salaisons de thon et d'esturgeon d'Olbia et Sinope104.
L'opposition entre le nord-ouest et le sud-est de la mer Noire n'est pas seulement climatique,
d'ailleurs : les deux régions ont connu une histoire différente. Au nord et à l'ouest, les Grecs ont
trouvé des territoires facilement colonisables, des terres riches et vierges où les cités disposaient des
ressources agricoles dont elles avaient besoin ; mais installées en pays ouvert, elles ont souvent été
les victimes des peuples qui défilaient au large de leurs territoires. Les cités de l'est et du sud, le
plus souvent cantonnées à d'étroites plaines côtières ont eu plus de mal à trouver leur équilibre ; en
revanche, leurs montagnes les protégeaient longtemps des mouvements de population qui frappaient
par exemple le plateau anatolien (guerres contre les Perses, guerres des Diadoques, invasions
arabes, turques et mongoles plus tard), leur permettant de survivre de longs siècles et d'être l'un des
ferments de l'hellénisation en profondeur de cette région du monde. Climats différents, populations
différentes dans l'Antiquité déjà, ressources différentes, l'espace d'échange pontique a certes existé,
mais n'a probablement pas connu d'unité politique avant l'époque impériale, en dehors du court
règne de Mithridate.
Enfin, les paysages qu'offre aujourd'hui la mer Noire eux-mêmes sont trompeurs. Déjà Polybe, dans
sa célèbre description du Pont-Euxin, évoquait un paysage en évolution, une mer en cours de
comblement105 :
"Ainsi, le comblement du lac Méotide est dès à présent pratiquement achevé. Sa profondeur,
presque partout, se situe entre cinq et sept orgyies et les grands vaisseaux doivent, pour le traverser,
se faire guider par un pilote… L'Istros, qui coule en Europe, vient se jeter dans le Pont-Euxin par
plusieurs bouches et le limon qu'il y dégorge a formé au large un banc d'alluvions, qui, à une
journée de navigation de la côte, s'étire sur près de mille stades de longueur. Il arrive que des
vaisseaux se trouvant encore en pleine mer viennent de nuit s'échouer sur cet obstacle invisible".
Le climat a connu d'importantes variations qu'a accompagnées une très importante variation du

102
Fontanier 1834, 61-62. On trouve en fait des oliviers à partir d'Amasra, souvent dans les bassins côtiers des anciennes
zones grecques.
103
Pour la côte occidentale, voir, par exemple, Nawotka 1997, 3, et en particulier Kryzhitskii 1997, 101-114 pour Olbia.
104
Sur le commerce des esclaves en mer Noire, voir Finley 1962.
105
Plb. 4.39-42, dont sont extraits les passages cités.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 28

niveau de la mer comme en témoigne par exemple l'histoire géologique du Bosphore Cimmérien
(détroit de Kertch). Dans la presqu'île de Taman, "le niveau marin actuel est le plus haut jamais
atteint", de 7 m. plus haut qu' au IIe s. a.C.106. Dans la région de Panticapée, au cap Panagya, la mer a
monté de 4 mètres et complètement noyé une barrière de récifs qui déterminait l'accès à
Panticapée107. Le chenal qui menait à Phanagoria devait être beaucoup plus étroit qu'aujourd'hui108.
En même temps que la mer montait, le delta du Kouban ne cessait de se combler, rattachant
toujours davantage la Péninsule de Taman à la terre ferme tandis que se comblaient
progressivement des lagunes comme celles d'Arkhanizovski, de Kiziltash ou de Vitazevski. Dans
l'état actuel des recherches géologiques le cours du Kouban antique est inconnu109. Sur la côte
occidentale, des ports ont été submergés : Berezan a été érodée, une grande partie de la Kallatis
antique est sous la mer, et les terres ont été envahies par les eaux parfois jusqu'à 25 km à l'intérieur
des terres110. Dans la partie orientale, comme nombre d'anciens sites côtiers, l'ancienne Phasis est
sous les sables, si elle n'est pas sous le delta du Rioni111. Quant à la côte turque, qui ne semble pas
avoir connu de grands bouleversements telluriques au cours des derniers siècles, elle a cependant vu
s'étendre les deltas des grands fleuves comme le Kızıl Irmak ou l'Iris, et actuellement, la Turquie
ouvre une autoroute le long de côtes autrefois inaccessibles autrement qu'en bateau : les paysages
côtiers et le mode de vie des habitants en sont et en seront définitivement bouleversés112.
— Navigation.
La navigation en mer Noire dans l'Antiquité a peu à voir avec les croisières des énormes pétroliers
qui traversent aujourd'hui le Bosphore. Tout n'a pas changé : les courants, les vents, les besoins des
hommes sont restés les mêmes ; mais comprendre où passaient, où s'arrêtaient les bateaux antiques
exige le recours à des sources comparables, appuyées sur l'expérience et l'usage de gens qui
dépendaient des vents et des courants, et non de leurs moteurs. C'est pourquoi ce chapitre est bâti
sur les récits des voyageurs des siècles derniers.
– Conditions météorologiques.
"La côte méridionale de Crimée, celles d'Anatolie et de Circassie, bordées par de hautes montagnes,
sont des atterrages faciles. En Romélie, on ne trouve que ceux des caps Kali Akri et Emona. Les
embouchures du Danube et tout le littoral compris entre elles et la partie septentrionale de la Crimée
sont dangereux parce qu'ils ne peuvent être vus que de fort près, à cause de leur peu d'élévation"113.
"[La mer Noire] n'est pas, en fait, plus tempêtueuse que les autres mers ; mais comme nous l'avons
déjà signalé, elle est susceptible d'être la proie de brouillards soudains et denses, en particulier le
long de la côte marécageuse de l'embouchure du Danube, Odessa, Taganrog, et près de
l'embouchure du Bosphore, où les courants poussent vers le rivage ; et la côte, dans son ensemble,
n'est pas bien pourvue de ports et de phares, en particulier sur la côte circassienne et orientale… La
navigation n'y rencontre pas de récifs, sinon aux alentours du cap Kerpen [Karambis] ; et les seuls
bancs de sable dangereux se trouvent à l'embouchure du Dniepr114. Il n'y a pas de marée sensible en
mer Noire : il y a cependant abondance de courants violents et dangereux ; et on ne trouve pas
d'endroit où le mauvais temps se fasse ressentir davantage que lorsqu'un navire doit lutter contre

106
Koshelenko & Kuznesov 1998, 249-251 ; Muller et al. 1999, 595.
107
Kondrashov 1995 identifie les ruines du port de Korokondamè près du cap Panagya, à l'abri d'une barrière de récifs
autrefois émergée, voir sa carte p. 11, et Shilik 1997, 127.
108
Lorsque l'on suit la courbe des - 5 m sur les fonds marins, Muller et al. 1999, 590, ou Kuznetsov 2001, 321.
109
Koshelenko & Kuznesov 1998, 238 : "The Taman Peninsula constituted the insular delta of the Kuban River. It is
generally believed that the river used to flow not into the Sea of Azov but into the Strait of Taman near Phanagoria, as
witnessed by Strabo (11.2.10), but geological investigations do not bear this out".
110
Goranka 1991; Nawotka 1997, 4.
111
Kacharava 1990-1991. Sur Phasis, il faut citer Lévêque et Lordkipanidze, voir BBH**.
112
Certains des sites côtiers décrits par B&W 1985, ou des Courtils & Rémy 1986 ont d'ores et déjà disparu.
113
Taitbout de Marigny 1830, 12.
114
Spencer 1854, 238-239, qui connaît bien les côtes russes et caucasiennes, mais semble n'avoir qu'une connaissance
approximative de la côte turque.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 29

eux, tout particulièrement au voisinage du Bosphore"115.L'importance de ces courants est soulignée


aussi par Taitbout de Marigny :
"Ce n'est qu'à une assez petite distance des côtes que les courants peuvent faire commettre des
erreurs considérables. Celui qui doit son origine au Don, après sa sortie de la mer d'Azov, s'avance
au sud-ouest le long de la côte méridionale de Crimée, jusqu'à une certaine distance du cap
Khersonèse. Ceux du Dnièpre et du Dnièstre, qui se portent au midi, se joignent à lui, ainsi qu'aux
eaux du Danube, et courent en masse vers le canal de Constantinople, qui n'en reçoit qu'une partie.
Le remous rejette l'autre sur la côte d'Asie, qu'elle longe à l'est, et qui suit ensuite, vers le nord, la
Mingrélie et la Circassie. Cette marche, généralement observée, des courants de la mer Noire, cède
parfois, dans certaines parties, à l'impulsion des vents ou à quelque particularité locale"116.
L'orientation de ces courants en mer Noire éclaire le sens des flux commerciaux et les fondations
de cités dans l'Antiquité, placées les unes par rapport aux autres de façon à exploiter ceux-ci au
mieux. Pour J. Hind, la création de Kallatis aurait permis aux Mégariens de profiter des courants
pour compléter le réseau triangulaire qui permettait de relier Héraclée et Chersonèsos117.Enfin le
régime des vents a naturellement ses particularités : "Le Nord-Est amène dans la mer Noire un
temps clair, et le froid en hiver. Le Nord-Ouest au contraire est accompagné, ainsi que l'Ouest, de
brouillards et d'humidité"118. "Vers le milieu de l'été, les vents de la partie du Nord s'établissent
ordinairement. Ils font place, plus tard, à ceux du sud, qu'on voit reparaître assez fréquemment en
Janvier, Février et Mars. Le vent du Nord expose souvent les bâtiments qui viennent de la
Méditerranée dans la mer Noire à passer des mois entiers aux Dardanelles et dans le détroit de
Constantinople… La côte de l'Asie Mineure est rarement exposée à la violence des vents du Nord
qui s'y changent en Est ou en Ouest, par le choc des montagnes : ils n'en approchent que par petites
brises. J'ai souvent observé la même choses sur la côte de Circassie, pour le vent d'Ouest ou de Sud-
Ouest, et sur celle de la partie méridionale de la Crimée pour le Sud-Est"119.
En règle générale, le vent dominant est le vent de noroît, et cela joue un rôle primordial dans
l'implantation des ports et des cités120. A ces vents réguliers, il faut ajouter des tempêtes brutales, en
particulier au pied du Caucase et des Alpes pontiques. Ainsi en est-il de la côte caucasienne :
"Elle est presque partout accore et garnie de hautes falaises, qui, par leurs, formes, généralement
cintriques… rendent facile la reconnaissance des mouillages. Les tempêtes du large sont rares sur
cette côte qui en est défendue par ses hautes montagnes ; [mais] les vents du N. et de l'E. au
contraire, se précipitent avec furie de leurs sommets et font reconnaître toute la justesse du surnom
donné par les anciens au Caucase, de lit de borée"121.
Il est sensible jusque sur la côte de Crimée :
“Voilà trois jours pleins que souffle le bora. Le bora, autrement dit le vent du nord-est, qui prend
naissance quelque part dans les montagnes chaudes, dénudées, auprès de Novorossiïsk, dévale dans
le cirque de la rade, répand sur toute la mer Noire une terrible agitation. Sa force est si grande qu’il
fait dérailler les wagons chargés de marchandises, renverse les poteaux télégraphiques, détruit les
murs de brique à peine maçonnés, terrasse les passants isolés… Les vieux pêcheurs prétendent que
le seul moyen de lui échapper, c’est de fuir vers le large. Et il y a des cas ou le bora entraîne à
travers la mer Noire, vers les côtes d’Anatolie, à cent cinquante milles de distance, quelque barque à

115
Sur le passage du Bosphore par les Grecs, état de la question dans Tsetskhladze 1994a, 111.
116
Taitbout de Marigny 1830, 13.
117
Hind, 1998, 140.
118
Taitbout de Marigny 1830, 13-14.
119
Taitbout de Marigny 1830, 15. Idem, Spencer 1854, 239. Xen., An., 5.7.7 : "Vous savez aussi que le Borée porte les
gens hors du Pont vers l'Hellade, le Notos dans le Pont vers le Phase, et l'on dit, chaque fois que le Borée souffle, qu'il
fait beau temps pour aller en Grèce".
120
Winfield 1977, 154 : "The prevailing wind over the Black Sea is a north-westerly and so a sheltered port has to be
situated on the south-east side of a piece of coast".
121
Taitbout de Marigny 1830, 45.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 30

quatre rameurs ou quelque felouque turque, à la coque décorée d’étoiles d’argent”122.


Tout au long de son voyage de Novorosijsk à Batumi, Spencer signale ces coups de vent brutaux
qui mettent son navire en danger, à Anapa, "only capable of receiving small vessels, which run the
risk of being driven out to sea when the wind blows with violence" ; à Vadran [Sotchi], "bay of
Vadran… of little value as a harbour, except during a few months in summer, for here the
mountains commence rising to a very considerable elevation up to alpine regions of Elbrous, which
renders this part of the Black Sea, when the wind blows from that quarter, extremely dangerous to
the mariner" ; de même à Pitzounda :
"On leaving Pitzounda for the next military station, Bombora, we were overtaken by one of those
sudden storms, very frequent in this part of the Black Sea, and which now descended upon us from
the alpine region of the stupendous Elbrous, with all the violence of a hurricane. Happily, by
standing out at sea, we were prepared to meet his utmost fury ; but the vessels composing our little
fleet were scattered in every direction"123.
Enfin, un coup de vent semblable met la flotte d'Arrien en péril à l'approche d’Athènes du Pont
(Pazar) : "De là [Hyssou Limèn, près de Sürmene] nous naviguâmes tout d'abord avec les brises qui
soufflent des fleuves à l'aurore, et tout en nous aidant des rames… Ensuite survint un calme plat…
Et puis soudain, une nuée se levant creva en plein du côté de l'euros [vent d'est] et dirigea sur nous
un vent violent et juste de front…[ils parviennent à Athènes du Pont] Le mouillage peut, pendant la
belle saison, accueillir des navires en petit nombre et leur offrir un refuge à l'abri du notos [vent du
sud] et même de l'euros ; il peut aussi protéger du borée [vent du nord] les bateaux au mouillage,
mais assurément pas de l'aparkias, ni du vent appelé thraskias dans le Pont, skiron en Grèce [noroît
et nord-nord-ouest]. A la nuit tombante, les claquements du tonnerre et les éclairs règnaient en
maîtres et le vent n'était plus le même : il avait tourné au notos, puis en peu de temps du notos au
libs [vent d'ouest], et les navires n'étaient plus en sécurité au mouillage. Aussi, avant que la mer ne
se déchaînât tout à fait, nous tirâmes au sec à l'endroit même tous ceux que cette localité d'Athènes
pouvait accueillir, sauf la trière : celle-ci, en effet, mouillant à l'abri d'un rocher, était à l'ancre en
lieu sûr. Le gros des navires, on décida de les diriger sur les plages voisines pour les tirer au sec. Ce
qui fut fait, si bien que tous s'en tirèrent sans dommage, sauf un que la vague, au moment de
l'accostage, alors que, virant trop tôt, il se présentait de flanc, souleva, jeta au rivage et
fracassa… Cette tempête dura deux jours et nous étions contraints de rester sur place… De là, ayant
levé l'ancre vers l'aurore, nous nous trouvions aux prises avec des vagues qui arrivaient par le
travers ; mais le jour avançant, le souffle favorable d'un léger borée apaisa la mer et la rendit tout à
fait immobile"124.
Athènes du Pont se trouve dans une baie ouverte au nord-ouest. Un petit promontoire qui porte une
forteresse nommée Kız Kale, doit en effet protéger des vents du sud, de l'est (la montagne dont le
promontoire marque l'extrémité faisant écran), mais ne peut offrir de protection contre les vents de
nord-ouest et d'ouest. Les plages voisines sont des plages de galets, et l'accostage ne pouvait
manquer d'être dangereux : le navire détruit a dû être pris par la vague au moment où il faisait
manoeuvre pour aborder la plage par l'arrière. Le rocher qui protégeait la trière était sans doute Kız
Kale, et il est vrai qu'entre le récif et la plage, l'espace est étroit. On soulignera que la flotte d'Arrien
n'aborde et ne se met à terre que parce que la tempête l'y oblige.
— Les difficultés de la navigation.
Vents et courants rendent donc la navigation difficile, par exemple entre le Bosphore et Trabzon en
dehors du printemps et de l'été. La flotte envoyée par Cassandre à Lysimaque comprend trois
divisions. L'une arrive, l'autre est détruite par Démétrios, la troisième se perd dans la tempête125. Au

122
Kouprine 1924, 49-50.
123
Spencer 1854, 296-310. Le phénomène vaut aussi pour la côte pontique de Turquie si j'en crois M. Kalyon, pêcheur à
Sinope.
124
Arr., Per.M.Eux., 3-6.
125
Diodore, 20.112 : Κατὰ τὴν τρίτην δὲ αὐτοῦ συνδιαβαίνοντος τοῦ Πλειστάρχου χειμὼν ἐπεγενήθη
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 31

e
XV s., l'ambassadeur espagnol Clavijo cherche à quitter Istanbul pour Trabzon le 13 novembre,
mais ne trouve pas de bateau, "car l'approche de l'hiver rend périlleuse toute navigation en mer
Noire"126. Il affrète une galiote génoise, part le 14 novembre, passe Sile, et rejoint Kerpe (Kalpè de
Xénophon) en pleine tempête : son navire est drossé au rivage, et il est obligé de revenir à Istanbul
et d'attendre le "mois de Mars, au moment où la mer est de nouveau ouverte" :
"Il suffit qu'un vent assez fort se lève pour qu'elle se démonte et bouillonne ; alors c'est la tempête.
Ceci arrive surtout avec le vent que l'on appelle la tramontane et avec le vent de nord-ouest que l'on
nomme le maître et qui arrive par le travers. Ce qui rend aussi la navigation dangereuse en cette mer
c'est que l'on n'y trouve presque pas de ports pour s'abriter en cas de mauvais temps. Un autre de ses
périls est que l'embouchure du détroit est difficile à reconnaître"127.
Il repart le 20 mars, premier navire de l'année à pénétrer en mer Noire depuis Istanbul, et met
environ 15 jours pour arriver à Platana. Pendant tout le voyage il se plaint d'avoir grosse mer, du
brouillard, et de ne pas trouver de port vraiment abrité, ce qui l'oblige deux fois à passer la nuit en
mer, ou à rechercher l'abri d'un estuaire.
—Au tout début du XIXe s., Jaubert part de Platana pour Istanbul le 2 septembre par un vent de nord-
est qui lui laisse espérer un voyage de sept ou huit jours ; mais le vent tourne au nord-ouest, et le
troisième jour, les marins vont se mettre à l'abri du cap Vona (Boon), où ils passent trois jours dans
des conditions sommaires128. Lorsqu'ils repartent, ils sont ramenés jusqu'au-delà de Tirebolu, où ils
restent encore une semaine sur une plage. Le temps semble se calmer, ils repartent vers l'ouest,
doublent enfin le cap Vona. La tempête reprend, les vents du nord les poussent à la côte, et ils sont
bien heureux de s'abriter près de l'embouchure du Kızıl Irmak :
"En abordant, on jeta sur le rivage un cabestan et des cordages, et l'on parvint, non sans peine, à
amarrer le navire. Nous passâmes trois jours à terre ou plutôt entre les rochers dont cette côte, qui
n'offre aucune habitation, est hérissée. Le vent soufflait avec violence, et la pluie tombait
fréquemment à fortes ondées. L'agitation de la vague empêchait de mettre le canot à la mer ; nous
ne pouvions communiquer avec le navire, et nous n'avions que des cavernes pour abri. Ce fut la
première épreuve que nous fîmes de ces vents d'ouest qui nous contrarièrent tant durant le reste du
voyage"129.
Jaubert reste bloqué 17 jours à Bafra, finit par arriver à Sinope, ne trouve pas de bateau, et part
pour Inebolu à pied. Il y arrive 15 jours plus tard, y trouve une barque à rames et arrive à Bartın le
23 octobre. Mais quand il quitte Bartın pour Héraclée, il essuie une nouvelle tempête et met trente-
six heures pour arriver à Filyos (Tieion), à une trentaine de kilomètres. De là, il part à Héraclée où il
retrouve sa frégate130. Dans son récit, Jaubert rappelle qu'il a à plusieurs reprises tancé les marins
pour leur pusillanimité, et semble reconnaître à demi-mot qu'il avait tort131. Les marins occidentaux
jugent en général sévèrement les marins de la mer Noire, comme Chardin, au XVIIe s. :
"Leur Navigation n'a ni art, ni sûreté. Leur plus habiles pilotes Turcs, ou Grecs, n'ont que
l'expérience toute simple, sans aucun fondement de règles. Ils ne se servent point de Carte, et
n'observent point exactement, comme nos gens de mer, le chemin qu'ils font, pour connaître chaque
jour, par cette observation, combien ils sont proches du lieu où ils veulent parvenir. Ils entendent
fort mal la Boussole, et savent seulement que la fleur de Lys se tourne toujours vers le Nord.

τηλικοῦτος ὥστε τὰ πλεῖστα τῶν σκαφῶν καὶ τῶν σωμάτων διαφθαρῆναι· καὶ γὰρ ἡ κομίζουσα ναῦς ἑξήρης
τὸν στρατηγὸν συνεκλύσθη καὶ τῶν ἐν αὐτῇ πλεόντων οὐκ ἐλαττόνων ἢ πεντακοσίων τρεῖς πρὸς τοῖς
τριάκοντα μόνον διεσώθησαν.
126
Kehren 1990 (= Clavijo), 83-143.
127
Kehren 1990 (= Clavijo), 133.
128
Jaubert 1821, 381-412.
129
Jaubert 1821, 382 :
130
Même voyage difficile, Khitrowo 1966, pendant le pélerinage d'Ignace de Smolensk, 133-139.
131
Jaubert 1821, 383 : "Me flattant alors que le coup de vent de l'équinoxe était passé, je pressai les matelots de remettre
à la voile… mais à peine étions-nous parvenus à la hauteur d'Euniéh que nous fûmes assaillis par une nouvelle tempête
plus violente encore que la précédente".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 32

Lorsqu'ils veulent faire voyage, ils attendent un bon vent et un beau temps. Quand il est venu, ils ne
se mettent pas aussitôt en mer, ils attendent huit ou dix heures, pour s'assurer du temps et du vent.
Ils se conduisent par les terres dont ils sont presque toujours à vue. Quand il s'agit de golphoyer, ils
se conduisent par le Compas. Ils savent par rapport, ou par expérience de quel côté il faut qu'ils
aient le Nord pour arriver au lieu où ils vont, cela seul les guide, ils n'en savent pas davantage. S'ils
faisaient de longs voyages en pleine mer, pas un n'échapperait à la tempête, bien leur en prend qu'ils
se tiennent toujours proches de terre et proches des Ports. Lorsque le vent est rude, ils vont à flot, ils
plient les voiles et se laissent conduire aux vagues. Si le vent est contraire, ils ne s'efforcent point
d'y résister, ils virent de bord et retournent plutôt au lieu d'où ils sont partis que de soutenir la
violence d'une mer contraire. Ce qui les perd, c'est quand le vent les pousse à la côte ; car lorsqu'ils
sont ainsi battus, ils vont échouer bien vite, ne sachant ce que c'est de bordoyer, et de tenir à la
cape"132.
Au début du XVIIIe s., Piton de Tournefort tient à peu près le même discours :
"Les Grecs et les Turcs … n'ont pas l'usage des Cartes maritimes, et sachant à peine qu'une des
pointes de la boussole se tourne vers le nord, ils perdent la tramontane, comme l'on dit, dès qu'ils
perdent les terres de vue. Enfin ceux qui ont le plus d'expérience parmi eux, au lieu de compter par
les rumbs des vents, passent pour fort habiles lorsqu'ils savent que pour aller à Caffa il faut prendre
à main gauche en sortant du canal de la mer Noire ; et que pour aller à Trébizonde, il faut se
détourner à main droite. A l'égard de la manoeuvre, ils l'ignorent tout à fait, leur grand mérite est de
ramer"133.Seul Fontanier semble avoir une appréciation plus juste des contraintes de la navigation en
mer Noire : "Le troisième jour nous fûmes obligés de céder à la violence du vent et de laisser
arriver. C'est la méthode des Turcs, et je crois qu'elle est préférable en mer Noire… [lorsqu'un
navire européen essaie de résister au vent du nord] … il est infailliblement jeté à la côte, car il ne
connaît aucun des ports qui se trouvent entre cette pointe et Constantinople, et c'est une opinion
partout répétée qu'il n'y en a pas. Les Turcs au contraire se réfugient à Karpé, à Héraclée, à
Amastro. Sans doute que ces ports ne sont ni très vastes, ni d'un abord facile ; ils suffisent
cependant pour les abriter. Maintenant, si les Turcs font plus rapidement leurs voyages, en voici les
raisons : un bâtiment qui est forcé de louvoyer dans la mer Noire n'avance presque jamais ; le plus
souvent, il rétrograde à cause de la fréquence des lames, et de leur peu de parallélisme ; elles
s'élèvent de toute part et tourmentent le vaisseau sans lui permettre de faire route… Leur navigation
[celle des Européens] est encore retardée parce que, quelle que soit la saison, ils se tiennent en
pleine mer, où, pendant l'été, ils sont pris par les calmes ou emportés par les courants; les Turcs au
contraire, marchent terre à terre et profitent des vents de sud qui s'élèvent chaque soir"134.
Enfin, la présence de ces brouillards dangereux sur la côte occidentale explique la valeur des amers,
par exemple d'un repère comme l'île de Leukè :
"As a land mark it is of great service to the mariner in consequence of the fogs which frequently
hang over this part of the Black Sea and the lowness of the coasts about the mouths of the Danube.
Even when the atmosphere is hazy, the friendly white plumage of the birds, which continually
hover around, proclaims its vicinity : hence its original name, Leuce (white island) appears
peculiarly appropriate"135. — Les formes du commerce maritime.
Les flux de la navigation en mer Noire ont changé au fil des changements politiques (liens entre les
pays riverains) et des changements technologiques. Le développement de la navigation à vapeur au
siècle dernier, qui libérait le commerce maritime de la contrainte des vents tout en permettant
d'augmenter considérablement les tonnages, a condamné une bonne partie des ports de la côte

132
Chardin 1686, I, 55.
133
Tournefort 1717, II, 165. La remarque est confirmée par le jésuite Villotte 1730, 25. Rien n'a changé au XIXe s., si l'on
se fie à Slade 1833, 144, décrivant la cabine du Kapitan Pasha : "A manuscript chart of the Euxine, never used, with
compasses and rulers lay on a small table".
134
Fontanier 1834, 56-58.
135
Spencer 1839, I, 213-215. La présence des oiseaux pourrait expliquer Arr., Per.M.Eux., 21.3-4.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 33

turque à n'avoir plus qu'une activité locale, comme par exemple Sinope, déchue au profit de
Samsun136. Aujourd'hui encore, au fur et à mesure que les autres moyens de transport se
développent, l'avion et surtout la route, les ports de la mer Noire redeviennent des petits ports, de
pêche ou de plaisance. Les conditions du commerce maritime en mer Noire dans l'Antiquité nous
deviennent donc progressivement incompréhensibles : "A direct overland journey from
Constantinople, Istanbul, to Theodosioupolis, Erzurum, took about twenty-five days, whereas a
journey by sea with a favourable wind to Trebizond and Sousouramaina/Sürmene, or
Rhizaion/Rize, might take a third of that time. International trade by sea was conducted from the
larger coastal towns which acted as emporia in the carrying trade to and from Europe and Asia, but
portulan maps show that western captains also had a considerable knowledge of local
anchorages.Local trade involved the shipping out of whatever cash crops, manufactured goods, or
minerals that were produced in the mountain valleys, and the supply, in return, of the few necessary
imported goods. This kind of small-scale trade was carried on through anchorages at the village or
small town to be found at the delta of nearly every river valley… until the 1950's rusting steamers
of indeterminate ages and kayiks of up to 200 tons were still to be seen anchored off river deltas,
selling cheap hardware and stuffs from Istanbul and taking on local products in return, while kayiks
of a moderate size conducted the same type of trade over the shorter distances between the villages
and the emporia. Heavy products carried by sea could or did include copper from the mines at
Mourgouli, Murgul, which might have gone downstream to the mouth of the Akampsis, Çoruh ; the
silver of Argyria going out through Tripolis, Tirebolu ; the alun of Koloneia, Shebinkarahisar, going
out through Kerasous, Giresun ; the building stone of the Oinaion, Ünye region carried away from
anchorages near the quarries ; and the red earth pigment exported through Sinope, Sinop"137.Cette
activité des petits ports transparaît dans les récits des voyageurs, tout comme les débuts de leur
décadence accélérée à partir du milieu du XIXe s. D'Ünye en 1813, Kinneir écrit :
"[Les habitants] acquièrent de grandes richesses au moyen d'un commerce considérable avec
Constantinople et Théodosie, capitale de la Crimée. Le port possède un assez grand nombre de
vaisseaux, dont aucun n'excède 200 tonneaux ; les matelots sont Grecs, et le chantier où on les
construit se trouve dans une baie à quelque distance à l'est de la ville… Ounieh exporte des étoffes
de coton, du vin et des fruits qui passent à Tokat et Djarberkr. Elle reçoit en échange, de la Crimée,
du blé et de l'huile, et de Constantinople, du café, du sucre, et des objets de fabriques
européennes"138.
Mais déjà en 1893, Cuinet, dans sa précieuse Turquie d'Asie, décrit un port déchu : "La population
de la ville d'Uniah a beaucoup diminué depuis un demi-siècle. Cette ville possédait alors une flotte
de 100 voiliers qui parcouraient toutes les mers. On construisait dans ses chantiers tous les ans, 25 à
30 navires de 3 à 400 tonnes de jauge. Enfin elle fournissait à l'État ses meilleurs marins. Uniah doit
sa décadence à ce qui a donné la grandeur à d'autres villes de commerce plus favorisées et mieux
avisées. La navigation l'a ruinée, et plusieurs centaines de familles ont déjà émigré en Crimée… Il
est rare que des bâtiments viennent visiter le port d'Uniah, ouvert à tous les vents, et ne pouvant
offrir aucun abri. Lorsqu'un navire doit y séjourner pour plus de quelques instants, il va jeter l'ancre,
au nord de la petite baie au fond de laquelle est située la ville, afin qu'au premier digne de mauvais
temps, il puisse se réfugier dans le port de Vona"139.

136
Samsun, au débouché des routes de l'intérieur, est l'exutoire d'une riche région agricole, et malgré l'absence d'un port
digne de ce nom, au début du siècle dernier, les navires mouillent dans la baie et tous les transferts de marchandise s'y
font par navette : le progrès de la marine entraîne un renversement du risque, et donc du coût du transport, et la
proximité des ressources prime sur les qualités du port. Pour le transport de voyageurs, description de ces navettes
Hamilton, 159 (à Trabzon) ; Eleroy 1911, 22 (en général).
137
B&W 18.
138
Kinneir 1813-1814, 52. Même son de cloche pour Giresun : "Les habitants entretiennent des relations commerciales
avec la Crimée et construisent eux-mêmes, dans la baie qui est sous les murs de la ville, les vaisseaux avec lesquels il
parcourent ces mers".
139
Cuinet 1893, 111-112.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 34

— Les navires.
On vient de le voir avec les voyages de Clavijo, Jaubert, ou Arrien, les conditions de navigation
dans les siècles précédents, et a fortiori dans l'Antiquité, étaient bien différentes.— Pour les
échanges locaux, la mer était la voie normale de communication par petits bateaux. — Les plus
courants ne sont guère plus que des barques, telles que celles que rencontre Hamilton le long de son
voyage :
"On the beach were several boats from Trebizond taking in lime, which is burnt in kilns near the
spot where the shelly lime-stone, which appears to be of rare occurrence on this coast, is found … I
left Platana soon after six, and, proceeding along the beach, passed several single houses, each with
one or two boats drawn up before it ; these boats are chiefly used for carrying wood to the different
towns on the coast". [Ordu] "Several fine boats called scampavias140, belonging to the government
or Aghas along the coast, were lying on the beach; they are manned by 12 or 14 men. As we
approached the town, many heaps of red and white limestone slabs were lying on the beach ready
for exportation. Some are conveyed to Kerasunt, and used for paving-stones and other domestic
purposes". [Près d'Unye] : "At nine we crossed the Ak Chai, flowing over a wide and stony bed; and
on the beach we saw several boats taking in firewood for the supply of the neighbouring towns.
[Près de Terme] : "On the beach were a few houses and a café : we saw also some boats loading and
unloading their cargoes, chiefly wood and stone"141.
On trouve le même type de remarque chez les voyageurs qui fréquentent la côte entre le Bosphore
et Héraclée, Boré, Hommaire de Hell, ou plus tard L. Robert. — A l'échelle supérieure
viennent les caïques, décrits par Tournefort :
"Les caïques qui vont sur cette mer sont des felouques à quatre rames qui se retirent tous les soirs à
terre, et qui ne se remettent en mer que dans le calme, ou avec un bon vent, à la faveur duquel on
déploye une voile carrée … Pour éviter les alarmes que la nuit donne quelquefois sur l'eau, les
Matelots de ce pays là qui aiment à dormir à leur aise tirent le bâtiment sur le sable et dressent une
espèce de tente avec la voile. C'est la seule manoeuvre qu'ils entendent bien"142.
Ces bateaux jouent toujours leur rôle lorsque L. Robert explore la région entre Sinope et Héraclée et
mentionne régulièrement la présence de bateaux de toutes sortes, qu'il s'agisse des barques qui font
la navette pour décharger les navires et passer la barre de l'Hypios (Melen Su) et remonter sa basse
vallée ; des chantiers navals à l'embouchure de l'Hypios qui sert de port à Akçakoca, où il trouve
aussi un navire en provenance de Varna "rangé sur le rivage", chargé de boeuf séché143. Les caïques
ont leur pendant plus à l'est avec les barques tcherkesses, héritières des kamares décrits par Strabon
et au XIXe s., entre autres, par Spencer :
"The boats of the Circassians were flat-bottomed, lightly built, and narrow, each rowed by form
eigtheen to twenty-four men, and they must have been most expert at this exercise, for they
propelled their boats with great velocity. Near the helm was a species of deck, on which three or
four men were seated ; and the prow of each was adorned with a figure, rudely carved, representing,
it migth be, the head of a deer, a goat or a ram : most probably the latter… Sometimes these boats
are built large enough to contain from fifty to eighty men, when they are propelled in addition to
rowing, by an angular sail : and were formerly, owing to their quick sailing, much feared by
mariners, who incautiously, or through stress of weather, approached the Circassian shore, the
Caucasian tribes being at one times most formidable pirates"144. — Le niveau supérieur est

140
Le nom est évidemment un héritage gênois.
141
Hamilton 1848, 247-287. Hamilton est un savant voyageur et un observateur pénétrant pendant son voyage d'Istanbul
à la région de Trabzon, en bateau à l'aller, à cheval au retour.
142
Tournefort 1717, II, 165.
143
Robert 1980, 18-20 ; 72- 73. La présence de ce port sur l'Hypios explique le commerce de Prousias avec Tomis,
Olbia, et le Bosphore Cimmérien. Mais (n.437 et 466 p. 76) il n'offre qu'un abri limité contre les tempêtes, et
Peyssonnel est sauvé de justesse et doit continuer sa route vers Héraclée à pied. Voir aussi p. 150, 171, 174-175.
144
Str. 11.2.12 et Spencer 1839, II, p. 172. Taitbout de Marigny 1887 met même une barque tcherkesse en frontispice.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 35

représenté par les navires de guerre ou de transport, tels que ceux de la flotte du pacha
qu'accompagne Tournefort ou le navire de commerce de Chardin. Pour ces derniers, la question des
ports pourrait se poser, mais pas dans les termes qui sont les nôtres.Par exemple Chardin quitte
Istanbul sur une saïque pour Caffa (Theodosia) où il arrive en deux jours et deux nuits. Il y trouve
une rade très fréquentée par les navires de commerce :
"La rade de Caffa est à l'abri de tous les vents, excepté du Nord et du Sud-Ouest. Les Vaisseaux y
sont à l'ancre assez proche du rivage à dix ou douze brasses sur un fond limoneux qui est bon et
bien assuré. Il s'y fait un grand commerce et plus qu'en aucun port de la mer Noire… Le commerce
le plus ordinaire et le plus considérable est celui de poisson salé et de caviar, qui vient du Palus
Méotide… Outre le transport de Caviar et de poisson, le plus important qui se fasse de Caffa est de
blé, de beurre et de sel"145.
Sa saïque va alimenter une forteresse turque à l'embouchure du Tanaïs (Don), puis va
s'approvisionner en sel, affronte un peu de mauvais temps, et part début septembre vers la Géorgie
avec un chargement complet146. Il se rend ensuite à Isgaour sur la côte de Mingrélie :
"La charge de notre vaisseau consistait en sel, en poisson, en caviar, en huile, en biscuit, en fer, en
étain, en cuivre, en vaisselle de cuivre et de faience, en toute sorte de harnois et en toutes sortes
d'armes, en instruments d'agriculture, en draps et en toiles de toutes les couleurs, en habits tout faits
pour hommes et pour femmes, en couvertures de lits, en tapis, en cuir, en bottes et souliers, enfin en
tout ce qui est le plus nécessaire aux hommes. Il y avait de la mercerie, des épices, des aromates,
des drogues, des onguents de toutes sortes. C'était, pour ainsi dire, une petite ville que ce vaisseau,
on y trouvait de tout. Nous étions cent personnes dessus".
Le rapprochement s'impose avec les navires du Contre Lacritos de [Démosthène] qui voguent entre
Athènes, la Thrace et le Pont gauche chargés de vin, de peaux de chèvres ou de salaisons pour les
fermiers locaux, et qui se perdent (ou ne se perdent pas) entre Panticapée et Theodosia.
"Le 10 septembre nos arrivâmes à Isgaour. C'est une rade de Mingrélie assez bonne pendant l'eté.
Les vaisseaux qui viennent négocier en Colchide s'y tiennent. Il y en avait sept grands quand nous y
arrivâmes. Notre capitaine fit d'abord mettre le sien sur quatre ancres, deux à la proue et deux à la
poupe, et mit à terre les mats et les vergues. Isgaour est un lieu désert et sans habitations. On y fait
des huttes de ramée à mesure qu'il vient des Marchands et lorsqu'on se croit en sûreté contres les
Abcases, ce qui n'arrive pas souvent. Hors de là, il n'y a pas de maison"147.
—Les ports.
L'existence de ports antiques est indubitable, attestée par les sources anciennes aussi bien que par
les restes vus par les voyageurs. Mais ces ports antiques ne représentent que la dernière étape de
l'occupation des côtes de la mer Noire, et une forme assez minoritaire de navigation : ils n'ont
d'ailleurs pas survécu au temps et aux tempêtes. Certains sont impraticables l'hiver, à cause de la
glace au Nord, à cause du mauvais temps en général :
"Un autre désavantage de la côte russe de la mer Noire est le froid intense qui y règne l'hiver, en
particulier dans les estuaires et quelques baies [Odessa est souvent prise par les glaces, Sébastopol,
ou Caffa jamais, le détroit de Yeni Kale et la mer d'Azov toujours, à quoi s'ajoute le danger des
débacles]. La côte anatolienne est bien pourvue en ports, et l'on peut dire la même chose de la côte
Circassienne. Mais la partie la plus orientale n'en contient qu'un, Batoum, qui est abrité par une
langue de terre formée par les dépôts de la rivière Tchoruk-su"148.
145
Chardin 1686, 62-63.
146
Chardin 1686, 67-69 : "Le 30 notre vaisseau se mit en mer et fit voile vers un lieu appelé Dousla, c'est à dire les
Salines. Ce sont de grands marais de sel sur la plage à 50 milles de Caffa… On assure qu'ils s'en charge là tous les ans
200 vaisseaux et qu'il s'en pourrait faire deux fois autant s'il en était besoin". Le voyage de Chardin est bien analysé par
Baladié**.
147
Chardin 1686, 69-71.
148
Spencer 1854, 239. Sur le port de Batum, même remarque de Fontanier 1834, 306 : "Quant au port, c'est l'un des
meilleurs de la mer Noire ; il est vaste et les vents de nord et d'est n'ont pas assez de force pour inquiéter les bâtiments ;
le mouillage est excellent. Il n'est point exposé à l'ouest qui est seul dangereux".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 36

L'hiver, les bateaux sont tirés à terre, ou mis à l'ancre dans des baies abritées :
"Ils sont munis de plusieurs ancres à quatre branches, mais fort légères pour la plupart… Ils jettent
toujours plusieurs ancres à la mer et s'affourchent avec beaucoup d'intelligence [Ils font passer un
cable sur le bâtiment de la proue à la poupe pour le préserver du tangage] ; lorsqu'ils hivernent, ils
emportent ce que renferment leurs navires et les abandonnent sur tous les points de la côte tant soit
peu abrités… il n'arrive jamais d'accident"149.
Même les ports importants n'offrent qu'une protection relative. Sinope?
"On mouille devant Sinope par 9 et 10 brasses, fond de vase mêlée de sable. Il est possible de s'en
approcher jusqu'à moins d'une encablure, où la sonde trouve 5 et 3 brasses. Mais à cette distance le
fond a quelques parties malsaines. Le rivage est garni de restes d'anciennes jetées"150.
A côté de Sinope, Karoussa (Gerze) est pourvue d'un quai, mais mal protégée de certains vents151.
Le meilleur port de Sinope est Armenè (Aklimanı), à l'ouest de la ville, de l'autre côté de la baie.
Trapezous est pire :
"Trapézonte n'a qu'un fort mauvais petit mouillage à l'E d'un cap, sur lequel il y a un palais en
ruines… Il faut s'en tenir écarté d'une demi-encablure afin d'éviter quelques écueils. On jette l'ancre
par 8 et 5 brasses, fond de vase et on s'y affourche O-S-O et E-N-E ; exposé aux vents depuis l'O-N-
O jusqu'à l'E. Ce mouillage est tout au plus bon en été ; on lui préfère, particulièrement en hiver,
celui de Platana. Depuis la ville, qui se développe à l'O. de Tchumlékti, il faut s'écarter d'une bonne
encablure du rivage, pour ne pas toucher sur les débris du port qu'Adrien fit autrefois construire en
ce lieu et qui a depuis disparu sous les eaux"152.
Odessa ?
"The road, for we cannot call it a harbour, is exposed to easterly winds which blow here with great
violence, particularly during the autumn and winter, causing severe losses among the shipping. The
soundings also, being composed of a soft, muddy clay, are so bad that when large vessels lie there,
their anchors are certain to sink, beyond hopes of recovery, if not drawn by twenty-four hours".
Eupatoria [l'ancienne Kerkinitis[ ne vaut pas mieux153. Anapa [Sindikos Limèn puis Gorgippia] non
plus :
"Anapa as a port is not considered secure ; the anchorage is bad, and being shallow, it is only
capable of receiving small vessels, which run the risk of being driven out to sea when the wind
blows with violence… with the disadvantage fo an entire want of good water, which obliges the
garrison to seek it at some little distance in the mountains. A somewhat dangerous undertaking,
owing to the hostility of the Circassians"154.
En fait, plus que des ports au sens où nous l'entendons, les voyageurs des siècles derniers cherchent
des baies abritées des vents, en particulier des vents de nord-ouest, comme Soudjouk-Kalé
(Novorossijsk), ou Ghelendjik sur la côte caucasienne155. Certains caps peuvent délimiter des

149
Près du cap Vona, Fontanier 1834, 58 (Taitbout de Marigny 1830, 3) ; Platana (Taitbout de Marigny 1830, 36) ou
Sürmene (Fontanier 1834, 291). Taitbout de Marigny 1830, 34 : "A Kirasonde, Zéfré, et Tripoli, les habitants tirent
leurs bâtiments à terre pour toute la durée de la mauvaise saison".
150
Taitbout de Marigny 1830, 26-27. Les risques paradoxalement causés par les vestiges portuaires sont signalés ailleurs
(Trabzon, voir infra ). Ils témoignent des tentatives pour domestiquer la mer Noire, et de leur peu de succès à l'époque.
151
Hamilton 304.
152
Taitbout de Marigny 1830, 35-37. "Platana : du cap Oros pour se rendre à Platana on gouverne au S-E1/4 S. C'est un
excellent mouillage situé à 2 bonnes lieues, O de Trapézonte. Il n'y est jamais arrivé d'accident quoiqu'il soit découvert
depuis le N.-O, jusqu'à l'E. Les seuls vents de terre y sont violents. Les bâtiments s'y affourchent l'avant vers la côte et
l'arrière au large". Sur le port de Trapezous, voir aussi p. 00, n.00**
153
Spencer 1839, II, 32 ; p. 131, Spencer ajoute que le climat y est glacé en hiver, brûlant en été, et la baie gelée de
décembre à février. 118, Eupatoria : "The bay is extensive, with sufficient depth of water and good anchorage : but,
being exposed to every wind, except the north and north east, it offers no security to vessels as a harbour ; consequently,
its commerce is very inconsiderable". Mais la physionomie du paysage a beaucoup changé depuis l'Antiquité.
154
Spencer 1854, 296-297.
155
Cf. Spencer 1854, 299, pour Soudjouk-Kalé d'accord avec Taitbout de Marigny 1887, 40-44 ; voir n.000, et p.** pour
Ghelendjik.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 37

mouillages protégés, comme le cap Genètès, le cap Boon des Byzantins, aujoud'hui Vona qui
fournit le meilleur mouillage de toute la côte sud de la mer Noire. En dehors de ces mouillages de
côtes rocheuses, les embouchures de fleuves leur fournissent des hâvres privilégiés, évidemment sur
la côte occidentale avec ses limans (Istros, Tyras, Nikonion, Olbia etc.), mais aussi bien sur les
côtes de Colchide et de Turquie156. De façon symptomatique, la flotte d'Arrien saute directement de
Trapezous à Hyssou Limèn (près de Sürmene) : Hyssou Limèn est une embouchure de fleuve.
Après son étape forcée à Athènes du Pont, elle continue jusqu'à l'Apsaros, autre embouchure ; le
chapitre suivant énumère tous les fleuves que la flotte passe entre Trapezous et l'embouchure de
l'Akampsis, dans lequel elle s'arrête pour la nuit, avant de pénétrer dans le Phase157. En 1717,
Tournefort accompagne la flotte d'un pacha en tournée d'inspection du Bosphore à Trabzon dans les
mêmes conditions. Il entre en mer Noire le 17 avril, et la flotte va relâcher dans l'embouchure du
Riva, le Rhèbas antique158. Elle reste bloquée là par la pluie et le vent du Nord pendant 10 jours,
puis repart "à force de rames et de cordes", et va faire escale dans l'embouchure de la Sakarya. Le
30 mai, elle entre dans l'embouchure de l'Anaplia (Melen Su), et elle est à Penderachi (Héraclée) le
1er mai. Le 2 mai elle part par beau temps et arrive à Bartın, puis Amasra, où elle va se mettre dans
l'embouchure d'une rivière ; elle quitte Amasra le 4, mais le vent se lève, elle est contrainte de tirer à
terre sur une plage mal abritée qui pourrait être celle de Cide, puis passe le Karambis, et arrive le 5
à Abono (Abonouteichos/Ionopolis/Inebolu). La flotte en repart le 6 mai, mais une nouvelle fois la
pluie impose de camper sur une plage à 40 milles de Sinope, sans doute non loin de Stephanè. Le
lendemain, la mer ne permet pas d'aller plus loin qu'une anse, à 8 milles de Sinope (sans doute
Armenè). Lorsqu'elle repart de Sinope, la flotte ne peut d'abord aller plus loin que Carasa
(Caroussa/Gerze) ; le 11, elle mouille dans le delta du Kızıl Irmak, puis du Casalmal (sans doute
l'Iris-Yes/il Irmak) ; le 13, "dans le pays des Amazones" (vraisemblablement l'embouchure du
Thermôdôn/Terme Çay). Le 15 elle arrive dans la rivière de Chersanbederefi (Çars//amba), puis
celle d'Argyropotami (près d'Ünye), le 16 dans la rivière de Vatiza (Phadisanè/Fatsa) ; mais la mer
est mauvaise, et elle relâche à 2 milles de Cerasonte (Pharnakeia/Giresun), sans doute aux environs
de Bulancak : elle ne passe au large de Giresun que le 21 mai. Elle relâche à Tripoli (Tirebolu),
mais va s'emboucher dans la rivière du voisinage. Le lendemain, elle arrive en vue de Trabzon (sans
doute Platana). Si l'on fait la synthèse de ce voyage, outre sa durée rendue aléatoire par les
conditions météorologiques, on constate que pas une seule fois, sauf sans doute à Sinope, la flotte
ne passe dans un port : les villes sont utilisées (comme Tirebolu) pour l'approvisionnement, mais les
embouchures de fleuves leur sont systématiquement préférées pour passer la nuit. Au pire, on tire
au sec, comme avant le Karambis. Certains deltas sont même des lieux privilégiés comme celui du
Thermôdôn ou celui de l'Halys159. Les fondateurs d'Héraclée sont obligés de chercher refuge contre
la tempête dans l'embouchure de l'Achéron, qui devient alors le Soonautès160. Dans la même région,
la flotte de Lamachos qui vient mettre le siège devant Héraclée se met à l'abri dans l'embouchure du
Kalès voisin (ou elle est, il est vrai, détruite par une crue). Toujours dans la région d'Héraclée, mais
quelques siècles plus tard, un autre Lamachos, Héracléote celui-là, vient au secours de la flotte de
Mithridate qui s'est abritée dans l'embouchure de l'Hypios (le Melen Su, l'Anaplia de Tournefort) :

156
L'importance des fleuves comme voies de communication avec l'intérieur, en particulier pour l'exportation du bois,
est l'un des leit-motiv des historiens de la région, aussi bien B&W pour la partie orientale, que L. Robert, en particulier
Robert 1980.
157
Per.M.Eux., 2 ; 6-8, signalant au passage les fleuves navigables comme l'Isis et le Môgros.
158
Sur le Rhébas(Riva), voir les notes ad loc., p. ** .
159
Hamilton 282; 294-295 ; B&W 7 : "But it seems fairly certain that Limnai and possibly Themiskyra were delta ports
on the banks of the two rivers which here reach the sea. Unsuitable to modern shipping because of their shallow waters,
these deltas clearly provided satisfactory harbors for the ships of ancient and medieval times, with good protection from
the weather. cf. n.000.
160
Schol. ad A.R. 2. 843 : Οἱ τὴν Ἡράκλειαν κατοικήσαντες Μεγαρεῖς, ὅτε εἰς τὴν ἀποικίαν ἔπλεον,
χειμασθέντες εἰς τὸν Ἀχέροντα ποταμὸν κατέφυγον· ὅθεν καὶ διασωθέντες οἱ. ναῦται Σοωναύτην ἐκάλεσαν
αὐτόν. La scholie suivante en fait un usage commun.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 38

"Il n'y a pas là de cap pouvant abriter de la tempête sur la côte. Le seul refuge pour des navires,
c'est le lit même du fleuve, large et profond et au cours lent et traînant. Les trières de Mithridate le
remontent et s'ancrent là, les unes plus ou moins près des autres en attendant la fin du gros temps
qui déferle sur la mer Noire"161.
Les barres de sable qui ferment souvent l'entrée de ces fleuves, sont régulièrement signalées par les
voyageurs, preuve supplémentaire de l'importance de leur utilisation162. Les marins turcs veillent à
les maintenir ouvertes, soit comme à Redout Kalé, en imposant aux navires de tirer derrière eux un
grappin, soit par des travaux de dragage, comme sur l'Hypios163. Au pire, ils passent en force,
comme dans le Rhèbas. Les voyageurs en mer Noire ont donc su s'abriter dans le cours de leurs
voyages. Néanmoins toute flotte permanente a besoin de bases plus sûres que des embouchures de
fleuves, ou des mouillages mêmes abrités : il lui faut des bassins de radoub et des cales sèches.
Comme en témoignent les descriptions de Strabon et les vestiges archéologiques, il y a eu un
moment où les cités grecques de la mer Noire se sont mises à utiliser les techniques mises au point
en Méditerrannée, et à se créer des ports protégés par des môles, ou même des ports clos comme le
port de Genesintis mentionné par le Périple164.
3.2. Les Grecs en mer Noire.
— L'image du Pont : de la légende à l'exploration.
Un certain nombre de légendes héroïques prennent la mer Noire pour cadre. Mais à l'époque où le
Ps-Skylax rédige son Périple, les Grecs sont installés dans le Pont depuis trois siècles environ, et les
légendes sont désormais pour eux ce que sont les légendes : tantôt des histoires à faire rêver et
tantôt des outils idéologiques.
Les historiens et les philologues ont voulu trouver dans la légende des Argonautes et dans le
Catalogue des Forces troyennes, au deuxième chant de l'Iliade, la preuve de la pénétration des
Grecs dans le Pont dès l'époque mycénienne165. La légende des Argonautes ne concerne le Périple
qu'indirectement, et je me contenterai de renvoyer à quelques conclusions de travaux récents : 1.
Avant Pindare et Simonide au Ve s. a.C., Médée et Aiétès ne sont pas rattachés à un pays du Pont-
Euxin oriental. Mimnerme identifie le pays d'Aiétès avec Aia, un nom qui signifie simplement
"Terre". Aiétès est donc "l'Homme de la Terre". 2. Pour Hésiode, le Phase est la rivière qui mène à
la route qui permet à Argô de faire le tour du monde. 3. Eumélos de Corinthe qu'on utilise comme
témoin de la première mention de l'Aia pontique, n'est préservé que par une citation indirecte dans
la Périégèse de Pausanias, à une époque tardive où Aia était régulièrement identifiée avec la
Colchide. En fait, les Grecs ont d'abord cru que la mer Noire était un golfe de l'Océan et longtemps
considéré que le Tanaïs, le Don, en était un émissaire166. C'est par exemple le point de vue d'un bon
connaisseur d'Homère, Eustathe de Thessalonique : "Il faut savoir que pour les Anciens, le Pont-
Euxin leur paraissait, par inexpérience, la plus grande de toutes nos mers et que les navigateur
pensaient y passer à l'extérieur (ἐκτοπίζειν), comme au-delà des Colonnes, et que pour les gens de
ce temps-là il était considéré comme une sorte d'autre Océan, et que s'y rendre en bateau était une
forme d'"exocéanisme" (ἐξωκεανίζειν)"167. Si, à l'époque classique, les légendes continuent à
alimenter la littérature et en particulier le théâtre, quelques sondages dans le corpus aristotélicien
pris pour exemple montrent qu'en concurrence avec elles une nouvelle constellation de

161
Robert 1980, 20, commentant Memnon d'Héraclée, FGrHist 434 F 24 = Phot., Bibl., 234a.
162
Taitbout de Marigny 1830, 8-9 ; Hamilton 250 sur la formation des limans ou des barres. Spencer 1839, 311 et
Taitbout de Marigny 1830, 12 (Redout Kalé) ; Taitbout de Marigny 1830, 20, Bartın Su ; 40, Rione (Phase) ; Hommaire
de Hell 1854, 212, Sulina(sur l'un des bras de l'estuaire du Danube).
163
Pour l'Hypios-Melen Su, cf. Robert 1980, 20.
164
Sur ces ports, voir les notes ad loc.
165
Sur la question homérique, voir Counillon 1997 et infra p.**.
166
Cf. Baccarin 1997 : dans les poèmes homériques le Pont est une baie de l'Océan et une entrée de l'Hadès. Le culte
pontique d'Achille confirme ses liens avec le monde infernal. Voir surtout Ivantchik 1991 et ses autres travaux pour une
lecture attentive des légendes grecques du Pont, Ivantchik 1993a ; 1993b ; Ivantchik 1998.
167
Eust., ad Dionysios Periegetes 147**.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 39

représentations s'est faite jour, souvent erronnées, certes, mais concrètes. Dans l'Économique,
Aristote mentionne Héraclée, il est question de la tentative de Datamès sur Amisos ou des
changements politiques d'Apollônia. La Politique analyse des épisodes de l'histoire d'Héraclée168. La
zoologie aristotélicienne porte la trace d'une autre forme d'intérêt pour les réalités pontiques.
Beaucoup de rubriques des Histoires des Animaux sont consacrées aux poissons du Pont : thons
(reproduction ; remontée vers le Pont au printemps) ; maquereaux (les poissons viennent pondre à
l'embouchure du Thermôdôn, eau douce et abritée) ; sardines (sardines du Pont qui ne redescendent
jamais par le Bosphore, mais passent en Adriatique par l'Istros)169. Mais cet intérêt s'étend aussi aux
migrations d'oiseaux et à l'hibernation de ces oiseaux du Pont, "qui ne se réveillent que sur la
broche"170. Il s'étend enfin aux abeilles et au miel (abeilles de Themiskyra, près du Thermôdôn,
région d'Amisos)171. La météorologie pontique est présente elle aussi. Certaines remarques sont
anecdotiques, comme la formation de la rosée dans le Pont, mais montrent l'observation des usages
locaux, par exemple dans le Pont nord : "Et les riverains du Pont, lorsqu'ils installent leurs tentes sur
la glace pour se livrer à la pêche (ils pêchent en brisant la couche de glace), répandent de l'eau
chaude autour de leurs cannes à pêche pour qu'elles gèlent plus vite". Mais c'est la géographie
pontique, malgré ses erreurs, qui montre que ces observations sont désormais intégrées dans une
représentation globale de la région :
"Du Parnasse [le massif qui s'étend jusqu'à l'extrémité orientale de la terre], coulent entre autres les
Bactres, le Choaspes et l'Araxe, dont le Tanaïs se sépare pour former une branche qui se jette dans
le lac Méotide [système fluvial symétrique de celui de l'Istros, qui part du Pyréné pour se jeter par
un bras dans la mer Adriatique, par l'autre dans la mer Noire]… Du Caucase coulent de nombreux
autres cours d'eau d'une taille et d'un débit importants, en particulier le Phase. Le Caucase est la
plus grande des montagnes situées à l'orient d'été… Ce qui prouve sa hauteur, c'est d'abord qu'on
l'aperçoit de la partie du Pont qu'on appelle les Profondeurs (τῶν καλουμένων βαθέων) et quand
on pénètre en bateau dans le lac Méotide… Ce qui montre son étendue, c'est qu'outre qu'il
comprend une foule de cantons qu'habitent de nombreuses peuplades, il possède, dit-on de vastes
lacs…
C'est le contraire pour le lac qui se trouve au pied du Caucase et que les gens de là-bas appellent
une mer. Des fleuves nombreux et considérables s'y jettent, mais il n'a pas lui-même de déversoir
apparent et il s'épanche sous terre au pays des Koraxoi, au voisinage de ce que l'on appelle les
Profondeurs du Pont : il s'agit d'un gouffre où la mer a une profondeur immense. Ce qu'il y a de sûr
c'est que personne n'a pu descendre jusqu'à toucher le fond. Là, à environ trois cents stades du
rivage, cette mer présente une vaste étendue d'eau douce qui ne forme pas une nappe continue, mais
apparaît en trois endroits"172.
On est désormais loin du monde des légendes. Lorsque celles-ci réapparaissent, c'est pour justifier
la présence grecque dans le Pont, les droits du vainqueurs ou les liens d'amitié "immémoriaux" et
l'antiquité des cités grecques du Pont. Au IVe s. a.C., donc, le Pont-Euxin est un monde connu,
décrit, exploité et déjà en voie d'assimilation : les insuffisances du Périple trouvent ailleurs leur
origine.
— Les cités grecques du Pont : histoire et géographie.
Le regard que l'on porte sur la colonisation du Pont par les Grecs s'est profondément modifié ces
dernières années, depuis que les travaux des chercheurs de langue russe ont été plus largement

168
Ar., Oec., 2.2.8 [1347b] ; 2.2.24a[1350b] ; Pol., 5.6.8 [1305b) ; 5.6.15 [1306a].
169
Ar., HA, 8.13 [598a-b], migration des poissons dans le Pont) ; 6.13 [567b], frai dans l'embouchure du Thermôdôn ;
6.12[566a], marsouins ; Voir aussi Mir., 73-74 [835b] poissons qui s'enterrent et survivent à la sécheresse à Héraclée et
en Paphlagonie.
170
Mir., 63 [835a].
171
Ar., HA, 5.22 [554b] et Mir., 18 [831b], miel de Trapezous "à l'odeur puissante" (βαρύοσμος).
172
Ar., Mete., 1.13 [350a et 351a]. Voir aussi 2.1 [354a], à propos du niveau relatif des mers qui forment la
Méditerrannée.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 40

diffusés en Occident. On fait aujourd'hui remonter les premières fondations grecques en mer Noire
à la deuxième moitié du VIIe s. a.C.173. Les fondations pontiques sont pour la plus grande part
milésiennes, et pour partie mégariennes174. Il y a sans doute eu une certaine forme de
"commonwealth", au moins du côté mégarien. Les premières colonisations touchent tout le pourtour
du Pont : Istros (vers 625), Berezan (vers 625, Olbia vers 580), Apollônia (610), Sinope (vers 600),
cités du Bosphore (600-550), Odèssos (575), Amisos (564), Héraclée (560). Ces cités fondent elles-
mêmes des colonies, comme, sur la côte méridionale du Pont, les colonies de Sinope que sont
Trapezous, Kerasous, Kotyôra, ou les colonies d'Héraclée comme Chersonèsos et Kallatis.
Les causes et les modalités de cette colonisation sont toujours largement disputées. Agriculture ou
commerce, volonté politique ou contrainte historique, il faut admettre qu'il n'existe pas de règle
générale, et tel comptoir ou telle base de pêcheurs a pu à l'occasion devenir une colonie de
peuplement agricole, quitte à revenir ensuite au commerce175. Quant à la nature du commerce des
cités pontiques, commerce d'entrepreneurs, commerce d'état, on ne peut mettre sur le même plan les
exportations d'un comptoir comme Bizone, d'une cité comme Sinope, ou d'un royaume comme celui
du Bosphore, ni pour le volume, ni pour la forme, ni pour les fins176. Autre sujet disputé, celui des
rapports entre population indigène et colons grecs, et celui du mode de colonisation : là aussi, il
paraît difficile d'adopter un point de vue unique, selon que les cités se sont établies dans un
territoire vierge ou presque (comme Olbia), habité par des populations vite soumises (comme
Héraclée et les Mariandynoi), ou fortement structurées (la Colchide) ou au sein d'un empire (cités
du Pont sud)177. D'autres erreurs de perspective faussent nos impressions : à côté des cités que nous
connaissons, nombre de leurs voisines ont disparu, dont il ne reste rien, sauf parfois une notice
d'Étienne de Byzance, comme Panelos, fondée par les Héracléotes peu de temps après Héraclée :
Πάνελος· ἀρσενικῶς, πόλις περὶ τὸν Πόντον. Ἐκλήθη δὲ ἀπό τινος τῶν Ἡρακλεωτῶν, ὃς
ἀφίκετο ἐκ Βοιωτίας ἀπόγονος ὢν Πηνέλεω τοῦ στρατηγήσαντος ἐπὶ Τροίαν178. Et
l'archéologie exhume presque chaque année des sites anonymes ou qu'une inscription identifie, sur
lesquels les sources littéraires sont muettes. Les cités pontiques, comme toutes les cités, sont nées et
ont survécu par essais et erreurs, réussites momentanées, adaptations successives, disparitions :
"Modern treatments of colonization tend to focus on its causes, but they seldom distinguish
adequately between purpose and function. These may have been quite different"179. Les terres de
Kalchèdôn, hors de portée des Thraces de l'autre rive, étaient plus tentantes que le site de Byzance
pour ses premiers colons : mais lorsque le Bosphore est devenu le passage obligé des flottes du
Pont, on a pu rire de ses habitants et les traiter d'aveugles. Olbia s'est paisiblement tracé un territoire
qu'elle a dû ensuite défendre contre les Scythes lorsqu'ils se sont fait pressants jusqu'à repousser les
habitants dans la ville en la coupant de sa chôra. Pour les mêmes raisons, les cités du Bosphore

173
Dans ce domaine, voir les synthèses éditées par G. R. Tsetskhladze, en particulier Tsetskhladze 1994a. On y ajoutera
Hind 1982-1983 et 1992-1993 et Treister & Vinogradov 1993. Pour une analyse renouvelée des sources littéraires, voir
les travaux d'A. Ivanthchik déjà cités.
174
Sur les colonies de Milet, cf. Ehrhardt 1983.
175
Chtcheglov 1992 pour Chersonèsos, Solovev 1998 pour Berezan, Kutajsov 1996 pour la Crimée occidentale,
Kochelenko & Kuznetsov 1991 pour Milet**. Bouzek 1989, 258-259, sur l'évolution des flux commerciaux : "La
première phase de la colonisation a surtout recherché les métaux. Par la suite les Grecs se sont surtout intéressés aux
esclaves, aux cuirs, aux fourrures et au bois de Thrace, mais pour les Athéniens, c'est le blé qui primait… La production
d'Olbia, qui avait perdu une grande partie de sa chôra vers 490 av. J.-C., ne suffisant plus, c'est le Bosphore Cimmérien,
unifié vers 480, qui occupe désormais la première place".
176
Pour un point de vue "finleyien" voir par exemple Sceglov 1991, 141-159. On ne peut se garder d'un certain malaise
devant le nominalisme de certaines recherches (Hansen 1997), qui semblent oublier qu'un mot peut avoir des résonances
différentes selon le locuteur : le philologue devrait adapter son filet au poisson qu'il cherche à prendre, ce que je croyais
avoir montré, avec d'autres, Counillon 1993.
177
Cf. Koshelenko & Kuznetsov 1998, 252-254 ; pour la Colchide, Lordkipanidze 1974, 914.
178
Autre exemple : St.Byz. s. Τραπεζοῦς, mentionne un autre nom de la ville, Οἰζηνίς (sans qu'il soit possible de dater
cette dénomination).
179
Braund 1994, 78, et plus généralement 77-120.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 41

Cimmérien ont été obligées de former une alliance qui s'est transformée en royaume, et ont survécu
aussi longtemps que la puissance de ces rois les à protégées contre les incursions des nomades des
steppes. D'autres régions sont restées rebelles à toute présence permanente, comme les côtes
caucasiennes et la partie orientale de la côte turque, dont les voyageurs soulignent la pauvreté et la
sauvagerie, et dont le climat, est depuis Hippocrate, reconnu pour malsain :
"L'air est assez tempéré pour le chaud et le froid, mais il est fort humide et fort mauvais, à cause de
son extrême humidité. Il y pleut presque continuellement. En été, l'humidité de la terre, échauffée
par l'ardeur du soleil, infecte l'air, cause souvent la peste, et toujours les maladies. Cet air est
insupportable aux Étrangers. Il les accable d'abord d'une maigreur hideuse, et les rend en un an de
temps jaunes, secs et débiles"180.
Sur la frange côtière la présence des marécages est propice au développement des maladies, en
particulier du paludisme, même si les anciens ne le connaissent pas sous ce nom :
"Le pays est si malsain que la population s'enfuit dans les montagnes pendant les mois d'août et de
septembre ; des rizières et des marécages sont causes de fièvres continuelles ; un de nos rameurs en
fut atteint après avoir dormi seulement une heure"181.
Entre colons grecs et populations montagnardes pratiquant la migration saisonnière entre résidence
d'hiver sur la côte, et été aux pâturages alpestres (les yayla), la communication ne pouvait qu'être
difficile :
"Despite, or because of, the singular peoples who give the stretch its character, the east Pontic
border is one of the world's most stable and enduring. For almost two millenia the coastal boundary
between Anatolia and Caucasian powers has found its way back to the mouth of the [Çoruh Nehri]
river… In Lazia, however, Byzantine, Trapezuntine, and Ottoman control was always confined to
their coastal stations. Within the valleys local mountaineers conducted their own business as
"autonomous peoples" whom Procopius noted. They had a further hold over outsiders, for they
seem to have largely monopolized coastal shipping –highly important in an area where a rate of
fifteen kilometers land travel per day was good going"182.
En somme, les processus qui amènent à la fondation d'une cité, à sa croissance, sa prospérité, son
déclin ou sa disparition sont d'ordre proprement chaotique. Que le prince dont dépendait une portion
de côte change (sans parler de migration) et les cités côtières devenaient invivables. L'histoire de
Skylès à Olbia trouve encore son écho au siècle dernier dans les rapports des Russes avec les
princes circassiens, comme le rapporte X. Hommaire de Hell :
"La mer Noire se trouve sans doute dans de meilleures conditions. Mais elle ne permet de
communiquer qu'avec les seuls fortins des côtes de la Circassie ; et les montagnards, pour leur livrer
leurs attaques, attendent toujours la mauvaise saison, pendant laquelle, la navigation se trouvant
ordinairement suspendue, il est extrêmement difficile de secourir et ravitailler les garnisons… Sous
l'empereur Alexandre, époque où les idées belliqueuses étaient moins en faveur, on avait projeté de
nouer des relations commerciales avec les Tcherkesses, et de les amener, peu à peu, par des mesures
pacifiques, à rejoindre la souveraineté de la Russie. En 1813, un Génois nommé Scassi proposa au
duc de Richelieu, gouverneur d'Odessa, un plan d'établissement sur les côtes de Circassie. Ses idées
furent adoptées, et bientôt après un bâtiment marchand aborda à Guelendchik et Pchiat sans
éprouver aucune résistance de ses habitants. Un commerce d'échange fut promptement établi. Mais
le désordre et l'incurie des administrateurs réveillèrent la défiance des Circassiens ; et quelques
années après, à tort ou à raison, le gouvernement fit mettre Scassi en jugement, et les établissements

180
Chardin 1686, 72 semble répondre à Hp., Aër., 15**. Observations concordantes de Spencer 1854, 309-312 ; 323 ;
Fontanier 1834, 306. Synthèse Braund 1994, 54.
181
Fontanier 1834, 306.
182
Voir le catalogue dressé par Arrien. Actuellement encore, entre la frontière géorgienne et Trabzon, on fait la
distinction entre musulmans hellénophones d'Of, Lazes de Rize ou Hems//is de la région d'Ardes//en, Bryer&Winfield
1985, 336.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 42

de Pchiat furent détruits et incendiés par les montagnards"183.


En réalité, toutes ces cités dépendent de contextes politiques qui leur échappent totalement. On
perçoit bien des tentatives de rapprochement, Héraclée et Sinope au sud, le royaume du Bosphore et
Chersonèsos au nord, et, de fait, le commerce du IVe s. a.C. entre cités pontiques s'accroît184. Mais le
début du IVe s. a.C. est pour les cités grecques du Pont-Euxin une période de troubles généralisés.
L'intrusion des Scythes d'Atéas en Dobrudja accompagne l'affaiblissement du pouvoir thrace et
l'expansion macédonienne. En Tauride et sur le Bosphore, le royaume du Bosphore est en conflit
avec Theodosia appuyée par Héraclée mais doit aussi gérer ses premiers conflits sérieux avec les
Sarmates qui commencent à traverser le Tanaïs. La partie caucasienne du Pont reste un désert de
cités grecques où les Achaioi, les Hèniochoi et les autres ne sont pas prêts à se civiliser davantage.
La situation est sans doute stable en Colchide, mais la côte sud est en proie aux luttes intestines des
dynastes locaux et des satrapes perses pour ne rien dire des luttes internes aux cités185.
— Le rôle d'Athènes.
"On his expedition to the Black Sea, Pericles assisted in the expulsion of a tyrant from Sinope and
subsequently promoted the sending of 600 Athenian volunteers to "settle along with the Sinopians
and enjoy posssession fo the houses and land the tyrants had held" (Plut. Per. 20.2). It is obvious
that these men went out and received lands only with the good-will of the citizens of Sinope, and it
may be assumed that they were to receive local citizen rights… The same conditions may be
assumed at Amisus, which retained good relations with Athens as its second metropolis as late as
the Mithridatic wars (Plut. Lucull. 19.7). The Athenians renamed it Piraeus, and the name still
appears on its coins in the early fourth century. Both Sinope and Amisus lay beyond the sphere in
which Lysander had control, and doubtless the Athenian epoikoi were not expelled in 405/4"186.
La réalité même de l'expédition est objet de controverse ; Mattingly, par exemple, en contexte
l'existence et ne croit à aucune opération militaire avant 425187. Mais quelle que soit sa date,
l'expédition athénienne marque une date dans l'histoire politique des cités de la mer Noire, avec le
développement du commerce du grain, la présence de colons athéniens à Amisos, le contrôle
d'Athènes sur Nymphaion. L'histoire des relations entre Athènes et Héraclée par exemple, telle
qu'elle est reconstituée par Burstein, montre que la présence athénienne à Héraclée est attestée dès
le début du Ve s. a.C., et qu'Héraclée a probablement accepté de bon coeur la libération d'Amisos,
l'installation de 600 colons athéniens à Sinope, et la présence d'une zone d'influence athénienne en
Paphlagonie :
"Far from discouraging Athenian trade, Heraclea can only have welcomed it because… its revenues
depended largely of the use of her harbor … and the export of her surplus… grain, nuts, fish, for
which Athens represented the single largest consumer".
Au Ve s. a.C., tout montre une volonté athénienne de s'installer en mer Noire : les colons athéniens
à Sinope, à Amisos (et le changement de nom de la ville), en Colchide, l'occupation (ou la
concession) de Nymphaion188 ; le tribut assigné aux cités pontiques sur les listes de 425 ;
l'intervention athénienne à Héraclée pour y installer la démocratie en 423189. Les conséquences de la

183
Hommaire de Hell 1844, 28 et 31 ; voir aussi Spencer 1839, 173-174. Sur Skylès à Istros,voir infra n.172** et Hdt.
4.78-80.
184
Treister & Vinogradov 1993, 532, à propos de Nikonion : "By the middle of this period [late fourth and early third
centuries B.C], imports from Athens and Heraclea had virtually disappeared, superseded by items from Sinope and
Chersonesos".
185
Voir infra p**.
186
Brunt 1966.
187
Mattingly 1966, 195. S'appuyant sur le silence des sources contemporaines, il pense que l'expédition de Périclès dans
le Pont est une invention d'Éphore, adoptée par Plutarque, Mattingly 1996. Pour une analyse historique, cf. Debord
1999, 91.
188
D'autres fondations sont à peine connues, comme Agathè Polis près d'Apollônia, Angelescu 1992.
189
L'intérêt de Cléon pour Héraclée se manifeste dans un pièce d'Eupolis produite vers 424-423, F 270 :**.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 43

guerre du Péloponnèse nous échappent : les clérouques athéniens sont-ils repartis190? Que
deviennent les 600 colons athéniens à Sinope? Ceux de Colchide? Que se passe-t-il au moment des
expéditions d'Agésilas? Au moment où les Dix Mille passent au large d'Amisos, celle-ci se nomme
Pirée et frappe des monnaies à la chouette, et Xénophon n'en dit rien191? Mais les livraisons de blé
du Bosphore n'ont été interrompues ni par la défaite athénienne dans la guerre du Péloponnèse ni
plus tard, non plus que les exportations athéniennes vers la région192.
4. Analyse du périple pontique.
4.1. Thrace pontique.
— Le § 67.
— Texte retenu.
Ἀπὸ τούτου ἐπὶ τοῦ στόματος τοῦ Πόντου εἰσὶ στάδιοι φ´ . Ἀνάπλους [Καλεῖται δὲ
Ἀνάπλους ὁ τόπος ἀνὰ Βόσπορον μέχρι ἂν ἔλθῃς ἐφ' Ἱερόν]. Ἀφ' Ἱεροῦ δὲ τὸ στόμα ἐστὶ
τοῦ Πόντος εὖρος στάδια ζ´ . Εἰσὶ δὲ ἐν τῷ Πόντῳ πόλεις Ἑλληνίδες αἵδε ἐν Θρᾴκῃ·
Ἀπολλωνία, Μεσημβρία, Ὀδησσὸς πόλις, Κάλλατις καὶ ποταμὸς Ἴστρος. Παράπλους δὲ
τῆς Θρᾴκης ἀπὸ Στρυμόνος ποταμοῦ μέχρι Σηστοῦ δύο ἡμερῶν καὶ νυκτῶν δύο, ἀπὸ δὲ
Σηστοῦ μέχρι στόματος τοῦ Πόντου δύο ἡμερῶν καὶ νυκτῶν δύο, ἀπὸ δὲ τοῦ στόματος
μέχρι τοῦ Ἴστρου ποταμοῦ ἡμερῶν τριῶν καὶ νυκτῶν τριῶν. Ὁ σύμπας περίπλους ἀπὸ
Θρᾴκης καὶ ποταμοῦ Στρυμόνος μέχρι τοῦ Ἴστρου ποταμοῦ ὁκτὼ ἡμερῶν καὶ ὀκτὼ
νυκτῶν.
— Apparat193.
Καλεῖται δὲ Ἀνάπλους ὁ τόπος ἀνὰ Βόσπορον : ἀνάπλους καλεῖται δὲ ὁ τόπος
ἀναβόσπορον (sic) D ; μέχρι ἂν ἔλθῃς ἐφ'Ἱερόν : μέχρι ἂν ἔλθῃ ἐφ' ἱερόν D ; τὸ στόμα : τοῦ
στόματός D ; Ὀδησσὸς πόλις : ὀδησόπολις D, Ὀδησσόπολις Müller ; Κάλλατις : Κάλλαβις D
; Στρυμόνος : τριβῶνος D.
— Traduction.
(§ 67) A partir de là jusqu'à l'embouchure du Pont, il y a 500 stades. Anaplous ["Anaplous" est le
lieu-dit à la remontée du Bosphore jusqu'à ce qu'on arrive à Hieron]. A hauteur de Hieron, la largeur
de l'embouchure du Pont est de 7 stades. Il y a dans le Pont les cités suivantes en Thrace :
Apollônia, Mesembria, la cité d'Odèssos, Kallatis et le fleuve Istros. La navigation depuis le fleuve
Strymôn jusqu'à Sestos prend deux jours ; depuis Sestos jusqu'à l'embouchure du Pont deux jours et
deux nuits ; et de l'embouchure du Pont jusqu'au fleuve Istros trois jours et trois nuits. L'ensemble
du périple depuis le fleuve Strymon et la Thrace jusqu'au fleuve Istros est de 8 jours et 8 nuits.
— Notes.
Le début du § 67 vient de décrire la Thrace égéenne puis propontique et d'arriver à Selymbria. La
distance est donnée en stades, dans la continuité de la partie précédente du chapitre mais, pour une
raison inconnue, le Ps-Skylax saute le Bosphore et Byzance pour arriver à l'entrée du Pont, à
Hieron. Si l'on compare ce chapitre au passage symétrique du § 92, on peut en effet songer à une
ellipse volontaire : on y trouve un paraplous des côtes de Bithynie depuis la frontière avec le
territoire d'Héraclée du Pont jusqu'au fond du golfe d'Olbia, sa frontière méridionale en Propontide,
paraplous dont le Périple donne la durée (3 jours de navigation), et où Chalkèdôn n'est mentionnée
qu'en passant. Mais les raisons de cette ellipse sont pour nous incompréhensibles.
Une explication plausible est d'admettre que l'éditeur du Périple disposait parallèlement d'un

190
Burstein 1976, 120, n.126, pense que la reddition de Nymphaion aux Spartokides par Gylon est à rattacher au retrait
d'Athènes à la fin de la Guerre du Péloponnèse, mais remarque cependant (n.141), que selon Xen., Hell., 1.2.1, les
partisans d'Athènes à Byzance se réfugient alors dans le Pont.
191
Hind 1976. Mais Xénophon, alors exilé, à la tête d'une expédition commanditée par Sparte, avait de bonnes raisons
d'ignorer toute présence athénienne dans le Pont.
192
Bouzek 1989 et Bresson 2000, 122-123.
193
Le plus souvent, le texte adopté est celui de Müller : je ne relève que les divergences portant sur des mots ou des
phrases.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 44

document rendant cette description inutile, l'équivalent de l'Ἀνάπλους Βοσπόρου de Denys de


Byzance194. Il pourrait avoir prévu d'éditer ce texte en complément du Périple, ou, pour des raisons
qui nous échappent, n'avoir pas eu le temps ou le désir d'en intégrer le contenu dans le Périple avant
son édition : si n'est pas l'oeuvre de l'éditeur byzantin, le mot Ἀνάπλους pourrait indiquer l'ellipse.
En revanche, la phrase Καλεῖται δὲ Ἀνάπλους ὁ τόπος ἀνὰ Βόσπορον μέχρι ἂν ἔλθῃ ἐφ'
ἱερόν, est un salmigondis de gloses byzantines, Ἀνάπλους étant le nom du point le plus étroit du
Bosphore au niveau de Chalkèdôn et Byzance : le lieu-dit est mentionné par les écrivains byzantins,
par exemple Procope195. La phrase suivante de D est elle aussi bancale, peut-être une contamination
du génitif initial, ou le télescopage de deux phrases (Ἀφ' Ἱεροῦ δὲ τὸ στόμα ἐστὶ τοῦ Πόντου.
Τοῦτο τὸ στόμα ἐστὶν εὖρος στάδια ζ´ ). Λᾤινψερτιτυδε δεσ γἀογραπηεσ ανψιενσ
ψονψερναντ λα λαργευρ δυ Βοσπηορε῝ Ηιερον νε περμετ πασ νον πλυσ δε σαωοιρ ῝ ϙυι
αττριβυερ λα μεσυρε προποσἀε παρ λε Πἀριπλε196. Enfin, sur la longueur du paraplous qui suit
la liste des cités de Thrace pontique, il y a une différence d'une journée entre le paraplous cumulé et
la récapitulation finale. Pour les noms des cités, l’erreur du copiste sur celui d'Odèssos doit être
manifestement corrigé197.
— Les cités de Thrace pontique.
Jusqu'au milieu du IVe s. a.C., les cités de la partie méridionale du Pont gauche jusqu'à l'Istros
semblent se développer à peu près harmonieusement. Il est vraisemblable qu'elles passent sous la
domination, au moins nominale, du royaume odryse à partir des années 475-450. Dans le courant du
e
IV s. a.C., les Scythes passent le Danube (peut-être sous la pression des Sarmates), et jettent le
trouble dans la région sous la direction de leur roi Atéas : on trouve la trace de leur présence dans la
région de Kallatis à travers des monnaies de cette ville à son effigie, ou dans des exigences de
tribut, et, sans doute, des destructions comme celle du rempart d'Istros au milieu du IVe s. a.C.. La
défaite d'Atéas contre Philippe en 339 les fait entrer dans l'orbite du royaume de Macédoine198.
— Les cités mentionnées (Apollônia, Mesembria, Odèssos, Kallatis) sont effectivement parmi les
plus importantes de la côte à l'époque où écrit Skylax. On l'a vu, la présence de Kallatis pourrait
dater la composition du Périple, si l'on retient la date proposée par Hind199. L'absence d'autres sites
donne un terminus ante quem intéressant : Krounoi/Dionysopolis (act. Balchi) et Bizone sont
vraisemblablement d'époque hellénistique.
— L'absence d'autres sites est explicable. Salmydessos n'est pas une cité grecque, pas plus que
Kabylè à l'intérieur des terres. En revanche, on aurait pu s'attendre à voir mentionner des fondations

194
Sur ce texte, cf. Marcotte 2000, p. xxxviii.
195
Sur Anaplous à l'époque byzantine, cf. GGM, II, 38-39, De vico Michaelio et de promontorio appellato Hestiis. Les
références sont nombreuses, en particulier Procope, De Aed., 1.8 à propos des travaux entrepris par Justinien.
196
La largeur du détroit à Hieron est de 4 stades pour Hérodote 4.85 ; Strabon 2. p. 125 ; Pline l'Ancien. 4.24 etc. ; de 5
ou 6 pour Polybe 4.43 ; de 7 pour Strabon 7, p. 419 et Pline. Sur le rôle de Hieron dans le commerce pontique, cf.
Bresson 2000, 131-149.
197
Cf. Price 1993, SNG, Pl.X, n°265-288, monnaies de Mesembria à partir du Ve s. a.C., ethnique ΜΕΣΑΜΒΡΙΑΝΩΝ
ou METAMBRIANON ; n° 289-300, monnaies de la fin du IIIe s. a.C., ethnique ΟΔΗΣΙΤΩΝ.
198
Nawotka 1997, p. 3 pour la description de la région et de son climat, et Coja 1985, 166, pour son histoire. Sur la
présence scythe, et en particulier le rôle d'Atéas, cf. Gardiner-Garden 1989, monnaies d'Atéas à Kallatis vers 353-347 :
Atéas réclame un tribut à ce qui semble être Bizone ; Apollônia sert d'intermédiaire dans les négociations avec Philippe
; les remparts d'Istros pourraient avoir été détruits, soit par les Scythes, soit par Philippe en 339. ** Sur les monnaies
d'Atéas, voir la synthèse de Stoljarik 2001. voir aussi p. et n. 79.**
199
Contra, Burstein 1976, 111 n.16 invoquait une coupe athénienne de la fin du Ve ou du début du IVe s. a.C., décrite par
Popescu 1964 (fond de coupe attique de type Bolsal à décor estampillé à l'intérieur), ce qui n'est pas probant. La
description par Burstein 1976, 25, cadre d'ailleurs avec un site portuaire de "deuxième choix" : "The site choosen by its
oikistès…allows no doubt that it was land and not trade that attracted its Heracleot colonists… Callatis had the poorest
location of any of the west Pontic cities to exploit their opportunities, since it neither possessed a safe anchorage… nor
controlled any significant trade road to the interior. Although Callatis drew some advantage from the coastal trade, it
was clearly the rich harvests promised by the "black-earth steppe country, a promise whose fulfillment is evident from
the ear of wheat and the head of Demeter that appears on her coinage, that determined the site of the colony".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 45

athéniennes du Ve s. a.C. comme l'actuelle Ahtopol (Agathopolis?), un emporion comme Orgamè


(cap Dolojman), et quelques autres200. On peut supposer que Tomis n'est pas alors beaucoup plus
qu'un emporion201.
— Impossible en revanche d'expliquer par les mêmes raisons l'absence d'Istros parmi les cités du
Pont, et les difficultés que celles-ci connaissent à partir du milieu du IVe s. a.C., avec la présence des
Scythes d'Atéas dans la région ne sauraient expliquer qu'elle soit seule absente. L'explication la plus
simple est d'imaginer une haplographie pour Ἴστρος πόλις καὶ ποταμὸς Ἴστρος. Si Istros était
seule à être oubliée, on pourrait s'en satisfaire. Mais la suite du Périple omet également Olbia, ce
qui permet d'attribuer avec vraisemblance ces omissions aux sources du passage : P. Arnaud a
clairement établi que le Ps-Skylax a recours à des évaluations standard qui mettent en relief des
routes commerciales bien reconnues202.
On peut à ce compte imaginer différentes causes complémentaires à ces omissions :
— Si le Ps-Skylax, comme je le crois, disposait de différentes listes de cités, la position de
ces cités à la fin d'une liste peut avoir entraîné leur oubli à l'occasion d'un recoupement203. Si de plus
l'orientation de ces listes étaient différente, le changement de source a pu entraîner la disparition du
dernier élément du tableau (qu'on pourra se représenter comme un chapitre de la Géographie de
Ptolémée ou du Stadiasme). L'omission de Byzance dans ce qui pourrait le point de départ du
périple pontique, l'inversion, on va le voir, de Nikonion et d'Ophioussa ou plus tard celle de
Phanagoria et de Kèpoi sont explicables par ce type d'erreur.
— Si le Ps-Skylax avait recours à un itinéraire maritime piquant sur Leukè après Kallatis,
puis sur la Taurique et Chersonèsos (itinéraire normal pour les navigations au long cours à
destination de Panticapée), cet itinéraire évitait tout à la fois Istros et Olbia, tout en préservant le
groupe des cités du Dniestr (Tyras, Ophioussa et Nikonion) qui se rattachent à Leukè par
contiguïté204. Cette hypothèse, qui exclut la partie du nord du bassin occidental, cadrerait avec
l'hypothèse de J. Hind qui montre comment autour d'Héraclée, Chersonèsos et Kallatis, les
Mégariens avaient créé un réseau de cités dans l'ouest du Pont, réseau dont les échanges (justifiés
par l'origine et les intérêts), étaient servis par le mouvement naturel des courants qui parcourent
cette partie de la mer Noire : elle s'accorderait donc avec la présence d'un périple héracléote, ou
mégarien, parmi les sources, directes ou indirectes, du Ps-Skylax205.
4.2. Scythie d'Europe et Tauride.
4.2.1. La Scythie jusqu'à la Tauride.
— Le § 68.
— Texte retenu.
Σκυθία, Ταῦροι. Μετὰ δὲ Θρᾴκην εἰσὶ Σκύθαι ἔθνος καὶ πόλεις ἐν αὐτοῖς Ἑλληνίδες αἵδε·
Τύρις ποταμός, Νικόνιον πόλις, Ὀφίουσα πόλις.
— Apparat.

200
Sur ces sites, cf. Hind 1983-1984, 71-75 ; Hind 1992-1993, 82-90, qui en mentionne d'autres, de moindre importance,
mais du Ve s. a.C. eux aussi, écrit par exemple à propos d'Orgamè, 90 : "Orgame-Cape Dolojman… was a sub-colony of
Istros or a mixed settlement of Greeks and Getai… At least twelve settlements are known to have existed on the sea
coast and on the estuaries of the E. Dobrogea by the sixth BC. Orgame, where E. Greek pottery of the 7th-6th century
BC has been found is supposed to have had a special trading role as an emporion." L'hypothèse que l'actuelle Ahtopol
est une fondation péricléenne est acceptée par exemple par Fossey 1999, 38. Elle est décrite par Hommaire de Hell
1854, 151-152. Le Périple est donc d'une extrême pauvreté.
201
Hind 1983-1984 : "From the earliest period there is little but Chiot wine amphorae of the early 5th century BC take
the archaeological record back, perhaps, to the first or second generation of settlers… The earliest burials were of the
4th century." Contra, Nawotka 1997, 18, pour qui les six tribus du système politique renvoient à une fondation
milésienne et une refondation athénienne au Ve s. a.C.
202
Arnaud 1992 et 1993.
203
R. Baladié relève que dans la même région, Strabon, compilant Artémidore dont le périple était sinistrogyre, fait un
certain nombre d'erreurs dans la position relative des cités.
204
Sur cet itinéraire, voir infra, p. **.
205
Hind 1998, 137-140. Sur le rôle d'intermédiaire de Mégare dans le commerce en Grèce, cf. Bresson 2000, 126-127.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 46

Σκυθία : Σκυθίας D ; Τύρις : τρίσσης D ; Νικόνιον : νεονείων D, Νικώνιον Müller ; Ὀφίουσα


: Ὀφιοῦσα D. — Traduction.(§ 68) Scythie. Tauroi. Après la Thrace, il y a le peuple des
Scythes et, dans leur pays, les cités grecques suivantes : le fleuve Tyris, la cité de Nikonion, la cité
d'Ophiousa. — Notes.
Dans le début du passage, K. Müller corrige un texte corrompu. Le manuscrit écrit indiscutablement
τρίσσης ποταμός, νεονείων πόλεις même si la partie centrale a fait l'objet d'une relecture et d'une
correction (νεονε¥?ων ?πόλεις) ; le seul toponyme sur lequel on puisse s'arrêter est donc
Ὀφίουσα206.Les corrections de Müller, Τύρις ποταμός, Νικώνιον πόλις sont vraisemblables : il
est peu probable que l'erreur remonte au Ps-Skylax lui-même, car on en trouverait témoignage dans
la tradition indirecte, Étienne de Byzance par exemple. Le copiste a eu du mal à lire son modèle et
l'a ramené à des noms connus, banals comme dans la séquence τρίσσης ποταμός, νεονείων
πόλεις· ὀφιοῦσα πόλις. Ces mêmes difficultés et les allers et retours entre l'original et la copie
suffiraient à expliquer des omissions ou des erreurs, peut-être Τύρας καὶ Τύρις ποταμός, ou
Τύρας πόλις καὶ ποταμός : mais on ne peut rien construire de définitif sur leur omission non
plus207. Naturellement, impossible de déterminer si le Périple écrivait Tyris ou Tyras : je conserve
Tyris, à cause d'Hérodote et parce que j'imagine le passage de ΤΥΡΙϹ à ΤΡΙϹϹ
paléographiquement plus facile.
— Les cités du Tyras.
Le Ps-Skylax cite successivement comme "cités grecques", le fleuve Trissès (Tyris, Tyrès, Tyras),
les cités "des Néoneioi" (Nikonion) et Ophiousa. La présence grecque sur le Tyris/Tyras est déjà
signalée par Hérodote208. Les établissements grecs de cette partie du Pont semblent se développer
facilement dans une première phase, mais connaître progressivement des difficultés avec les
populations locales ou arrivantes, comme les Scythes au début du Ve s. a.C. ou les Gètes plus tard.
La situation et l'histoire des plus importants des établissements mentionnés par les sources
littéraires, Ophiousa, Nikonion et Tyras sont d'ailleurs discutées. Ophiousa est mentionnée par
Strabon ; Pline et Étienne de Byzance en font l'ancêtre de Tyras209. Pour Strabon, Ophiousa est sur
la rive sud du Tyras et Nikonion sur la rive nord, à 140 stades de l'embouchure210. Les archéologues
pensent généralement que Nikonion correspond à la ville découverte sur le site occupé aujourd'hui
par Roksolany :
"It is possible to distinguish to main periods in historical developments of Nikonion. The first
extends from the founding of the city to the mid-3rd century BC. Within that period, specifically
from the middle of the 6th century until shortly after 340 BC, the economy and culture of the city
advanced rapidly and it developed into the administrative and cultural centre of a polis. The ensuing
destruction seriously disrupted the life of the city and, although many buildings were later restored
and new ones were built [jusqu'au dernier quart du IVe s. a.C.], previous levels of activity were not
achieved again211. In the middle of the 3rd century BC the inhabitants abandoned the city. [La

206
Il n'y a aucune autre confusion dans le manuscrit de ΤΥΡ et ΤΡΙ, et aucune de ΝΕΟ et ΝΙK. Le copistε α pris les
NEONEOI, ou quel que soit leur nom, pour un peuple barbare de la région. Sur l'accentuation d'Ophiousa, cf. [Arc.],
111.12 : Τὰ εἰς ΣΣΑ… Τὰ δὲ παραλήγοντα τῇ ΟΥ, εἰ μὲν ἔχειν ἓν Σ, προπαροξύνεται… εἰ δὲ δύο ἔχοιεν,
προπερισπῶνται· Πιτυοῦσσα, Ῥοδοῦσσα.
207
Cf. § 93 : Κίος πόλις καὶ Κίος ποταμός.
208
Hdt. 4.52, Σκυθικὴν καὶ τὴν Νευρίδα γῆν· ἐπὶ δὲ τῷ στόματι αὐτοῦ κατοίκηνται Ἕλληνες, οἳ Τυρῖται
καλέονται. On admet d'ordinaire que l'ethnique garantit l'existence d'une cité de ce nom. Mais comme pour les
Borysthénites d'Hérodote à l'embouchure du Boug, la cité de Tyris est introuvable et quand elle commence à frapper
monnaie (voir ci-après), elle se nomme Tyras. Je serais d'avis que les Tyrites d'Hérodote, comme ses Borysthénites,
sont les Grecs dont les établissements (quel que soit leur nombre et leur statut) sont installés le long du fleuve.
209
Plin., Nat. 4.82 ; St.Byz. s. Τύρας.
210
Str. 7.3.15-16 : Ἀναπλεύσαντι δὲ ἑκατὸν τετταράκοντα σταδίους ἐφ' ἑκάτερα πόλεις, ἡ μὲν Νικωνία ἡ δ' ἐν
ἀριστερᾷ Ὀφιοῦσσα. La suite est discutée.
211
Eux., 13V22-26 (§ 61-64 Müller), situe Νικόνιον χωρίον à 30 stades de l'embouchure du Tyras, sans doute à partir
de Ménippe de Pergame : Nikonion a perdu son statut de cité à l'époque de Ménippe (contemporain de Tibère), mais a
conservé des habitants. Sur ces cités "désertes", cf. Robert 1951, 46.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 47

deuxième période] encompassed the 1st-3rd centuries AD"212. Les choses sont rendues complexes par
l'apparition des monnaies de Tyras vers 330 a.C.213. Il paraît raisonnable d'y voir un synoecisme
rassemblant plus ou moins rapidement les établissements du Dniestr (Istrianos Limèn, Ordessos, la
Tour de Néoptolème etc.). La nouvelle cité a pu en particulier accueillir les habitants de Nikonion
après l'abandon de la ville dans le courant du IIIe s. a.C.214. Comme les autres cités du Pont gauche,
Tyras connaît des moments difficiles à partir de cette période, et les choses sont pires encore entre
le Ier s. a.C. et le Ier s. p.C (guerres mithridatiques, ravages de Burebista)215 : ces troubles pourraient
expliquer un certain flottement dans les dénominations. D'Artémidore, nous n'avons (dans Eux.)
qu'un paraplous de Chersonèsos à l'Istros, et si Strabon, qui utilise Artémidore, n'a pas trouvé chez
lui la notice qu'il attendait, il a dû avoir recours à une autre source qui donnait à sa fiche un ton plus
historique : mais le texte est corrompu et il est impossible d'être sûr qu'il mentionnait Tyras. Sachant
que Nikonion était abandonnée à l'époque où écrivaient aussi bien Artémidore que Strabon, je
pense, comme d'autres, que Strabon, à côté des fondations plus anciennes, signalait le centre
politique de la cité de Tyras à 120 stades de l'embouchure du Tyras, donc un peu plus près de la mer
qu'Ophiussa ou Nikonion216. Comme l'embouchure du Dniestr a profondément évolué depuis
l'Antiquité, la précision des distances à la mer données par les géographes anciens doit être
relativisée. L'omission de la cité de Tyras par Artémidore pourrait expliquer aussi le silence de
Ménippe, celui d'Arrien, et l'utilisation par Eux. de la Périodos (à une époque où Tyras a retrouvé
une nouvelle prospérité)217. Pour Ptolémée, il y a des lieux différents avec des coordonnées
différentes : Nikonion 56°20 48°10 ; Ophiousa 56° 48° ; Tyras 56° 47°40, soit des distances
approximatives de 185 stades entre Nikonion et Ophiousa et de 168 stades entre Tyras et Ophiousa ;
sur la carte que l'on peut extraire de ces coordonnées, Tyras est beaucoup plus près de l'estuaire du
Tyras (même distance que d'Ophiousa à Tyras), et seule Tyras est mentionnée comme polis218. Dans

212
Sekerskaya 2001, 69-86. Treister &Vinogradov 1993 croient à une sorte de protectorat de Skylès sur la ville,
florissante à la fin du IVe s. a.C., cf. Hind 1992-1993, 92 : "The economy of Nikonion may well have been geared to at
least some exports of grain ; the 200 grain-storage pits found are estimated to have catered for much more than local
needs"… Mais la ville, malgré sa fondation fin VIe-début Ve s. a.C., n'a jamais eu son propre monnayage, et la seule
mention épigraphique de son nom a été trouvée sur la base d'une statue du milieu du IIIe s. a.C., trouvée à Tyras,
Sekerskaya 2001, 87.
213
Cf. Price 1993, SNG, Pl. XII, n°334-349 : monnaies de Tyras, à partir de 350 a.C. ΤΥΡΑΝ, et surtout, n° 336 :
ΤΥΡΑΝΟΝ. Hind 1992-1993, 91 : "The silver coins of Tyras of the mid-4th Ct. BC are the first signs of a city in
Belgorod"… La rubrique d'´Étienne de Byzance semble rendre compte de l'évolution, Τύρας, πόλις καὶ ποταμὸς ἐν
τῷ Εὐξείνῳ πόντῳ. Καὶ ἔδει παρὰ τὸν Τύραν Τυράτην εἶναι τὸ ἐθνικόν. Ἔστι καὶ Τυρίτης ἀπὸ τοῦ Τύρις. Ὁ
δὲ πολυίστωρ τὸν ποταμὸν καὶ τὴν πόλιν Τύραν, τοὺς δὲ πολίτας Τυρανούς. Ἐκαλεῖτο δ' Ὀφιοῦσσα. La
région se nomme Τυρίτη ou Τυρική (Poseidonios d'Olbia écrit 279 FGrHist **un traité Περὶ τῆς Τυρικῆς
καλουμένης χώρας), la cité Tyras et ses habitants sont les Τυρανοί, ce qui est confirmé, donc, par les monnaies et par
un inscription de Kallatis (base d'une statue du musée de Mangalia, n°422) en l'honneur d'un citoyen de Tyras,
Τυρανόν, que Pippidi 1975 123 date du IIIe s. a.C. Mais cela ne permet pas pour autant de dater la naissance de la cité :
la fixer au IVe s. a.C. interdit la restitution Τύ[ρας], ATL, A, 9, 163 **.
214
La localisation de Tyras sur le site de l'ancienne Akkerman, Belgorod-Dnestrovskii est admise. La présence de
matériel de la fin du VIe-début Ve s. a.C. atteste l'occupation ancienne du site, peut-être sous le nom d'Ophiousa.
Samoylova 2001, 90 souligne l'importance du commerce athénien avec la région aux Ve-IVe s. a.C.
215
Cf Nawotka 1997, 39-55, et sur Tyras, Samoylova 2001, 94-101, part. 96 où elle évoque la destruction des
fortifications de Tyras dans la seconde moitié du IIe s. a.C. : "Most likely Tyras also fell victim to invasion by the
Bastarnae". Rien à ce sujet dans la description du développement de Tyras chez Kleiman 2001, 64 : "The city originally
occupied only the western part of the cape…During the city heyday in the second half and at the end of the 5th century
BC the north-eastern part of the cape was incorporated. [By the 4th c. BC] the whole of the northern part of the cape
was enclosed".
216
Οἱ δὲ προσοικοῦντες τῷ ποταμῷ ‹ὁμώνυμον› πόλιν φασὶν ἀνιόντι ἑκατὸν καὶ εἴκοσι σταδίους.
217
Arr., Per.M.Eux., 20 ne mentionne qu'une côte déserte (Τὰ δὲ ἐν μέσῳ ἔρημα καὶ ἀνώνυμα). Silberman 1995 ad
loc. p. 59, émet l'hypothèse qu'Arrien utilise une source du Ier s. a.C., une époque où les cités du Pont gauche avaient
pour une part été ruinées par les Gètes (il renvoie à Dion Chrys., Or. XXXVI, 1, confirmé par les archéologues,
Wasowicz 111 et n. 219).
218
Voir la discussion dans K. Müller ad Ptol.3.10.8-9, p. 469-471, analyse générale des sources.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 48

le Périple, à une époque où selon toute apparence Tyras n'est pas encore une cité, ne figurent
qu'Ophiousa et Nikonion. Mais Ophiousa devrait être au sud, et Nikonion au nord. Or, en suivant la
progression du Périple, l'ordre des deux cités est inversé. Quelle explication à cette erreur? Dans un
passage aussi perturbé, il est impossible de trancher. On peut penser que la source du Périple était
sinistrogyre (comme l'est par exemple Eux.), et que l'auteur ne s'est pas aperçu de son erreur. On
peut aussi penser que le Périple énumère les cités dans l'ordre où les rencontrerait un navire qui
remonterait le fleuve, ce qui impliquerait que l'on rencontre Nikonion avant de rencontrer Ophiousa.
Cette seconde solution est séduisante, mais contredit Strabon et Ptolémée (pour les positions que ce
dernier donne aux deux cités). C'est au moins un nouvel indice de la nature composite du Périple, et
de la difficulté rencontrée par l'auteur pour intégrer ses sources en un tout cohérent. Enfin, Olbia
n'est pas mentionnée, sans raison apparente, puisqu'elle est à une époque heureuse de son histoire219.
Müller penchait pour une faute de copiste. La lacune serait à ce compte assez importante,
puisqu'elle expliquerait également l'omission de la Carrière d'Achille, de Kerkinitis, et peut-être
même de Kalos Limèn220. La suite montre (voir infra) que le Pseudo-Skylax utilise un itinéraire
direct, qui lui faisait éviter totalement le golfe de Kerkinitis221.
4.2.2. La Chersonèse Taurique jusqu'au Tanaïs.
— Le § 68 (suite).
— Texte retenu.
Ἐπὶ δὲ τῇ Σκυθικῇ ἐποικοῦσι Ταῦροι ἔθνος ἀκρωτήριον τῆς ἠπείρου· εἰς θάλατταν δὲ τὸ
ἀκρωτήριόν ἐστιν. Ἐν δὲ τῇ Ταυρικῇ οἰκοῦσιν Ἕλληνες οἵδε· Χερρόνησος, ἐμπόριον·
Κριοῦ Μέτωπον, ἀκρωτήριον τῆς Ταυρικῆς. Μ _ετὰ δὲ ταῦτά εἰσι Σκύθαι πάλιν, πόλεις δὲ
Ἑλληνίδες αἵδε ἐν αὐτῇ· Θευδοσία, Κύδαια καὶ Νυμφαίον, Παντικάπαιον, Μυρμήκιον.
Παράπλους εὐθὺς ἀπὸ Ἴστρου ἐπὶ Κριοῦ Μέτωπον, τριῶν ἡμερῶν καὶ τριῶν νυκτῶν, ὁ δὲ
παρὰ γῆν διπλάσιος· ἔστι γὰρ κόλπος. Ἐν δὲ τῷ κόλπῳ τούτῳ νῆσός ἐστι, νῆσος δὲ ἐρήμη,
ᾗ ὄνομα Λευκή, ἱερὰ τοῦ Ἀχιλλέως. Ἀπὸ δὲ Κριοῦ Μετώπου πλοῦς εἰς Παντικαπαίον
ἡμέρας καὶ νυκτός· ἀπὸ δὲ Παντικαπαίου ἐπὶ τὸ στόμα τῆς Μαιώτιδος λίμνης ἐστὶ στάδια
κ´ .
Ἡ δὲ Μαι _ῶτις λίμνη λέγεται εἰς ἥμισυ εἶναι τοῦ Πόντου. Ἐν δὲ τῇ Μαιώτιδι λίμνῃ
εὐθὺς εἰσπλέοντί εἰσιν ἐπ' ἀριστερᾶς Σκύθαι· καθήκουσι γὰρ ἐκ τῆς ἔξω θαλάσσης ὑπὲρ τῆς
Ταυρικῆς εἰς τὴν Μαιῶτιν λίμνην Συρμάται ἔθνος, καὶ ποταμὸς Τάναϊς ὁρίζει Ἀσίαν καὶ
Εὐρώπην. — Apparat.
τῆς ἠπείρου : τῆς ἠ πέτρου D ; Ἕλληνες οἵδε : Ἕλληνες αἵδε D, πόλεις ἐν αὐτοῖς Ἑλληνίδες
αἵδε Müller ; Κύδαια : Κύταια Müller ; Νύμφαιον : Νυμφαία D ; Παντικάπαιον :
παντικάπιον D ; Μυρμήκιον : Μυρμήκειον Müller ; εἰς ἥμισυ : ἥμισυ Müller ; Μαιῶτιν :
μαιῶτην. D ; λίμνην Συρμάται ἔθνος : λίμνην. ΣΥΡΜΑΤΑΙ ‹Μετὰ δὲ Σκύθας Συρμάται›
ἔθνος Müller ; ὁρίζει : ‹καὶ› ὁρίζει Müller.
— Traduction.
(§ 68, suite) Près de la Scythie, le peuple des Tauroi occupe un cap du continent : ce cap s'avance
dans la mer. En Taurique, il y a les cités grecques suivantes : Chersonèsos, emporion, Kriou
Metôpon, cap de Taurique. Après quoi ce sont de nouveau les Scythes ; on y trouve les cités

219
Cf. Wasowicz 1975, et, plus récemment, Vinogradov et al. 1990, 121-139. Kryjitskij, 1993 et Solovev 1998, 222 :
"Despite the reduction of its agricultural hinterland, the polis of Olbia achieved considerable success in both the
economic and political spheres [due to] the political sensitivity and diplomatic flexibility of the authorities of Olbia,
who appear to have been able to chart the best possible course for co-existing peacefully with the war-like nomads
(possibly by accepting a protectorate exercised by one of the Scythian rulers".
220
Kerkinitis est encore une cité indépendante au milieu du IVe s. a.C., mais est absorbée par Chersonèsos vers 325,
Vnukov 2001. Le cas d'Orgamè est plus obscur, Chilik 1997, 41.
221
Dans la même région, Hécatée, outre Kerkinitis (Καρκινῖτις), 1F184-190, mentionnait une autre cité en Scythie
d'Europe, Καρδησσός, et énumérait des peuplades scythes (Ἠδοί, Ἴσηπος, Ματυκέται, Μυργέται) dont il ne reste
trace ni chez le Ps-Skylax, ni chez Hérodote. Il mentionne également, F 185, les Melanchlainoi sur lesquels je
reviendrai infra.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 49

grecques suivantes : Theudosia, Kydaia, Nymphaion, Pantikapaion, Myrmèkion. La navigation en


droite ligne depuis l'Istros jusqu'à Kriou Metôpon est de trois jours et trois nuits, de deux fois cette
durée le long de la côte : il y a un golfe. Et dans ce golfe se trouve une île, une île déserte, dont le
nom est Leukè, qui est l'île sacrée d'Achille. Depuis Kriou Metôpon, la navigation jusqu'à
Pantikapaion est d'un jour et une nuit. De Pantikapaion à l'embouchure du lac Méotide, il y a 100
stades. On dit que le lac Méotide fait jusqu'à la moitié du Pont. Dans le lac Méotide, pour le bateau
qui y pénètre en droite ligne, les Scythes sont à main gauche : le territoire du peuple des Surmatai
s'étend en effet depuis la mer extérieure, au-delà de la Taurique, jusqu'au lac Méotide, et le Tanaïs
sépare l'Asie de l'Europe
— Notes.
La formule Ἕλληνες αἵδε est correcte mais inhabituelle au regard de formules comme καὶ πόλεις
ἐν αὐτοῖς Ἑλληνίδες αἵδε, ou ἐν δὲ τῇ Ἰαπυγίᾳ οἰκοῦσιν Ἕλληνες, καὶ πόλεις εἰσὶν αἵδε, ou
εἰσὶ δὲ καὶ οἱ λωτοφάγοι καλούμενοι βάρβαροι οἵδε ou ἐν τούτῳ τῷ κόλπῳ εἰσὶν οἱ
Λιμοδωριεῖς καλούμενοι οἵδε222. L'habitude de la formule πόλεις εἰσὶν αἵδε a pu influencer le
copiste, qui aura écrit αἵδε au lieu d'οἵδε, correction qui présente l'avantage de ne pas suppléer
πόλεις là où ne sont nommés qu'un cap et un emporion : la priorité est au toponyme, alors que le
terme qui l'accompagne (emporion, cap, port, ou πόλις) est en apposition pour préciser la nature du
site.
— On peut hésiter à rétablir Theodosia qui devient Theudosia au IIIe s. a.C.223. Pour les autres fautes,
le copiste se laisse entraîner aux séries et Theudosia et Kydaia ont contaminé Nymphaion. Κύδαια
est proche de la forme mentionnée par Eux. : Ἀπὸ δὲ Ἄκρας εἰς Κύτας πόλιν τὴν πρώην
λεγομένην Κυδεάκαι κτλ.224. Παντικάπαιον est employé immédiatement après, sous cette forme
à l'accentuation près. On trouve d'ailleurs chez Eux. des citations exactes du Périple, : Ἀπὸ δὲ
Λαμπάδων εἰς τὸ Κριοῦ Μέτωπον, ἀκρωτήριον τῆς Ταυρικῆς κτλ. et ἡ δὲ Μαι _ῶτις λίμνη
λέγεται εἰς ἥμισυ εἶναι τοῦ Πόντου. Cette dernière expression, εἰς ἥμισυ, est déjà en usage au IVe
s. a.C. (Aristophane, Aristote)225.
— Dans le dernier paragraphe les commentateurs n'ont su que faire de Συρμάται ἔθνος226. Müller
considère que c'est un ajout tardif, mais il faut en faire le sujet de καθήκουσι. La côte européenne
du Bosphore, décrite avant le paraplous depuis l'Istros, fait partie de la Scythie, sur la rive
occidentale du Lac Méotide. La suite (καθήκουσι γάρ) explicite cette dernière assertion. Τῆς ἔξω
θαλάσσης désigne le Pont et le Périple appelle Συρμάται les Scythes de cette région : dans le
Périple, les autres emplois d'ἔξω sont relatifs, souvent des emplois prépositionnels (avec un
génitif), et désignent un lieu extérieur à un lieu précédemment défini, une mer, un golfe, un cap ou
une péninsule. On ne peut considérer qu'il s'agit ici de la mer Extérieure au sens où l'entendrait un
géographe hellénistique. Tῆς ἔξω θαλάσσης correspond à τὴν πρὸς ἀμπηλιώτην ἄνεμον
d'Hérodote, que le Ps-Skylax utilise, on va le voir227. Il faut sans doute admettre avec Rostovtzeff
qu'ils sont différents des Sauromates de la rive gauche du Tanaïs, les Γυναικοκρατούμενοι, les
Sauromates d'Hérodote et de toute l'ethnographie grecque du Ve s. a.C.228. Pour le Périple, les
Surmatai sont en Scythie. Leur localisation est confirmée par un fragment d'Eudoxe229. Mela et
Pline, proches du Périple dans cette partie du Pont qu'ils décrivent de façon similaire, signalent des

222
Respectivement § 14, 22, 62. Sur ces questions, voir supra, p.**.
223
Voir les monnaies, Zograph 1977, 261.
224
Eux., 12R16-17 (24B).
225
Eux., 12V10 (§ 52 Müller) et 11R6-7 (§ 44 Müller). Ar., Th., 452 ; Arist., H.A., 635a, avec un complément au génitif
(εἰς ἥμισυ τῆς ἡμέρας).
226
Létronne 1840 propose par exemple : Συρμάται ‹μετὰ δὲ Σύθας εἰσὶ Συρμάται› ἔθνος.
227
Périple, 34, 42, 55, 92, 104, 110, 112 ; Hdt. 4.99.
228
Rostovtzef 1922, 114. Voir infra.
229
F277 Lasserre, cité par St.Byz. s. Συρμάται· οἱ Σαυρομάται, ὡς Εὔδοξος πρώτῳ· Ποταμὸν τοῦ Τανάιδος
Συρμάτας κατοικεῖν. L'identification avec les Sauromates n’est pas d’Eudoxe, mais d'Étienne, contemporain de la
rédaction du Périple.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 50

Scythes Satarchae/Satarci précisément dans la même région230. Je pense qu'il s'agit du même
peuple, soit que l'orthographe en soit flottante, soit que la tradition manuscrite du Périple en ait
déformé l'orthographe.
— Les cités de Scytho-Tauride et la géographie du Bosphore.
— Les sites.
Le Périple ne fait aucune allusion à l'État du Bosphore, et rien qui puisse laisser supposer même
son existence. Le nom même n'est d'ailleurs jamais employé pour cette région. Le Ps-Skylax se
contente de mentionner les principales cités de la rive droite, en suivant la progression normale d'un
périple, Θευδοσία, Κύταια καὶ Νυμφαία, Παντικάπαιον, Μυρμήκιον. Peut-être peut-on tirer
argument du rattachement de Theudosia à cet ensemble pour penser qu'elle est déjà entre les mains
de Leukôn231? Certains toponymes de la côte européenne du Bosphore ne sont pas mentionnés alors
que leur existence archéologique commence entre le VIe et le Ve s. a.C. : Akrai, Parthénion, Tyritakè,
Porthmeus232. Les sites mentionnés sont sans doute les plus importants, mais il n'est pas sûr pour
autant que toutes ces villes soient des cités : le statut de Kydaia ou de Myrmèkion est vague ou
discuté ; Nymphaion a battu monnaie, mais semble être tombée à cette époque dans l'orbe du
royaume du Bosphore233. Pour cette partie de la côte pontique, le Périple ne nous donne aucune
information originale, ni même complète.
— La mise en forme
La mise en forme du paragraphe est habituelle pour le Périple : nom de la région (Scythie), cités
grecques, Tauride, définition et situation de la péninsule, cités grecques ; de nouveau la Scythie,
cités grecques. Paraplous au large, paraplous en cabotage ; île rattachée (Leukè). La fin du passage
reprend la progression vers Panticapée et se termine sur quelques notes géographiques sur les
Scythes. La configuration géographique de la région dans le Périple est difficile à comprendre : le
Ps-Skylax ne se représente pas la Chersonèse Taurique comme la vaste péninsule qu'elle est, mais
comme une portion de côte dont se détache le cap Kriou Metôpon. La suite de la côte appartient de
nouveau à la Scythie, comme chez Hérodote auquel le Périple semble emprunter l'image générale
de la région :
"La Thrace avance en mer plus que la Scythie ; sa côte forme un golfe après lequel commence la
Scythie, et l'embouchure de l'Istros se trouve là, orientée au sud-est. Je vais décrire la côte de la
Scythie au-dessus de l'Istros, pour indiquer les dimensions de ce pays. A partir de l'Istros, c'est
l'ancienne Scythie, tournée vers le midi et le vent du sud jusqu'à la ville appelée Carcinitis ; au-delà,
et toujours bordé par la même mer, le pays devient montagneux et forme une avancée dans le Pont-
Euxin ; il est habité par le peuple des Taures, jusqu'à la presqu'île qui s'appelle la Chersonèse

230
Mela 2.1.3 : In Paludem uergentia Satarchae tenent, in Bosporum Cimmerica oppida Murmecion, Panticapaeon et
2.1.4 : Subit tum ripam mare, et donec quinque milium passuum spatio absit a Maeotide, refugientia usque subsequens
litora, quod Satarchae et Taurici tenent paene insulam reddit, cf. Silberman 1988 ad loc. Pline est d'ailleurs aussi peu
explicite que le Ps-Skylax : Sed a Carcinite Taurica incipit…iugum ipsum Scythotauri tenent ; cluduntur ab occidente
Cherroneso Nea, ab ortu Scythis Satarcis. Le texte de Pline n'est pas sûr, Satarcis, Satarchis, Satauchis, Saraucis. Peut-
être s'agit-il du même peuple mentionné dans une liste en 6.22. Voir aussi St.Byz. s. Tάφραι· Ταύτην τὴν χώραν
κατοικῆσαι Σαταρχαίους, Taphrae étant le nom que Mela donne à l'isthme de Perekop ; et Ptolémée 3.6.5, Σατάρχη.
231
La fourchette maximum est 389-354 a.C. Burstein 1974, 416, place la prise de la cité après 370. Shelov-Kovedjaev
1986 est plus réservé.
232
Sur ces cités et la péninsule de Kerch, voir Hind 1992-1993, 99-105, et la synthèse de Tsetstkhladze 1997, bien
qu'une hiérarchisation entre cités et cités dépendantes appuyée sur la distance entre leurs territoires respectifs (68-77),
jette davantage de trouble que de lumière, en tout cas pour le Périple. L'histoire de ces cités dans leurs rapports avec les
populations locales est discutée, cf. Koschelenko & Kuznesov 1998 et Maslennikov 2001, 255. Sur Panticapée, cf.
Tolstikov 1992 et Malkin **.
233
La présence athénienne est attestée par Aeschin.,**Contre Ctésiphon 3.171 à propos de la remise de Nymphaion
(τότε τῆς πόλεως ἐχούσης τὸ χωρίον τοῦτο) par Gylôn aux ennemis (mais lesquels?), et de la concession qui lui est
faite de Kèpoi par les dynastes du Bosphore en δωρεά. Zograph** 1977, 263, souligne la similitude des monnaies de
Nymphaion avec celles de Panticapée, et doute d'une domination athénienne sur la première. Sur l'épisode de Gylôn, cf.
Carlier 1990, 36.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 51

Rocheuse ; celle-ci s'étend jusqu'à la mer orientale ; la Scythie est en effet bordée sur deux de ses
côtés par la mer, au midi et au levant, tout comme l'Attique. Les Taures habitent une région de la
Scythie ; c'est à peu près comme si, en Attique, un peuple autre que les Athéniens occupait le cap
Sounion à son extrémité, de Thorikos jusqu'au dème d'Anaphlystos… Après la Tauride, ce sont
encore des Scythes qui habitent au-dessus de ces régions et sur les bords de la mer orientale, à
l'ouest du Bosphore Cimmérien et du lac Méotide, jusqu'au Tanaïs qui se jette au fond de ce lac".
Ce qu'Hérodote appelle donc ici mer orientale correspond à la partie orientale du Pont-Euxin, et il
n'a pas encore adopté l'image de l'arc scythe qui prévaudra par la suite234.
— Itinéraires.
En revanche, dans le paraplous du deuxième paragraphe, l'itinéraire suivi et la durée du voyage
indiquent une route directe vers Kriou Metôpon depuis l'embouchure de l'Istros235.
Comme le Périple, les autres itinéraires maritimes, qu'il s'agisse des itinéraires de petit cabotage
(celui que mesure Artémidore), ou de grand cabotage (celui que propose Ménippe) utilisent
également l'île de Leukè comme pivot à partir de l'embouchure du Tyras236. Mais le Périple adopte
un itinéraire qui touche Panticapée en faisant l'économie du détour par le golfe de Kerkinitis, et, s'il
la mentionne et l'utilise lui aussi, son itinéraire passe vraisemblablement au sud de l'île de Leukè
(comme le font encore les lignes Constanta ou Sulina-Sébastopol) pour piquer au plus court vers le
sud de la Crimée. A la fin du chapitre le Périple décompte trois jours et trois nuits de navigation en
droite ligne de l'Istros au Kriou Metôpon (nom inconnu d'Hérodote), soit 3 000 stades auxquels
viendront s'ajouter 1 000 stades de Kriou Metôpon à Panticapée, et 100 stades de plus pour aller à
l'embouchure du Méotide, soit un total de 4 100 stades237. Le Ps-Skylax, comme les géographes
postérieurs, mentionne un golfe (golfe de Kerkinitis) qui doublerait l'itinéraire le long des côtes :
Ménippe de Pergame compte 4 110 stades de Chersonèsos au Tyras, et 870 à l'Istros, et Artémidore
donne un total de 4 420+1 110 = 5 530 stades, en longeant les côtes (par le golfe de Kerkinitis et,
sans doute, l'estuaire du Dniestr)238. Hérodote décompte pour sa part 4 000 stades de route en ligne
droite de l'Istros au Méotide. Si l'on prend pour base la position donnée à Leukè (53°20', 47°40') et
à Kriou Metôpon (62°, 46°40') par Ptolémée, la distance de Leukè à Kriou Metôpon est d'environ
3 500 stades, ce qui ne correspond pas non plus à la distance indiquée par le Périple, mais en est
très proche. Le Ps-Skylax semble donc compiler Hérodote avec une source périplographique239. La
fin du paraplous Ἀπὸ δὲ Κριοῦ Μετώπου πλοῦς εἰς Παντικαπαίου ἐπὶ τὸ στόμα τῆς
Μαιώτιδος λίμνης ἐστὶ στάδια κ´ , Istros, Kriou Métopon, Pantikapaion, Méotide, indique que le
Ps-Skylax utilise une source dont la destination est Panticapée (la distance au Méotide est d'ailleurs
donnée en stades depuis cette dernière). L'utilisation de cet itinéraire explique, on l'a vu, l'omission
de toutes les cités du golfe de Kerkinitis, et pourrait aussi expliquer le caractère elliptique de la liste
de cités qui amène le lecteur à Panticapée par Kriou Metôpon : si la source est effectivement

234
4.99-100. En 4.86, il estime sa largeur à 3 300 stades. Sur l'image de la Chersonèse chez Hérodote, cf. Hind 2001, qui
complète Müller ad Ps-Skylax 68.
235
A quoi on peut ajouter l'estimation de l'étendue du lac Méotide. Sur ce point, et sur l'analyse de ces distances dans une
perspective générale, cf. Arnaud 1992, 62 : "L'estimation de la longueur du Méotide à la moitié de celle du Pont suggère
une navigation moins fréquente, mais réelle dans le Méotide juqu'aux Bouches du Tanaïs".
236
Bien que l'île soit plus au sud que Tyras. Str. 7.3.15, par exemple, adopte le Tyras comme point de repère pour situer
Leukè : Διέχει δὲ τοῦ στόματος ἡ νῆσος ἡ Λευκὴ δίαρμα πεντακοσίων σταδίων, ἱερὰ τοῦ Ἀχιλλέως, πελαγία,
"la distance de l'embouchure du Tyras à l'île Blanche est de 500 stades. Située en pleine mer, cette île est consacrée à
Achille". Pippidi 1975, 126 n.35, s'appuie sur un décret de Tomis en faveur d'un habitant de Tyras pour affirmer que
"pour les navigateurs qui, des ports du littoral roumain faisaient voile vers Olbia, Tyras était en quelque sorte une escale
obligatoire". Pour un itinéraire similaire chez Euripide, cf. Hall 1987.
237
Müller ad loc. oublie de compter les nuits, ce qui l'amène à un total fautif de 1650 stades. Le calcul du Périple
correspond aux coordonnées données par Ptolémée à l'embouchure de l'Istros (Psilon, 3.10.2 : 56° 15', 47°) et au Kriou
Metôpon (et 3.6.2 : 62°, 46°40'), soit une distance d'approximativement 2700 stades (à 400 stades au degré). Sur les
données chiffrées chez Ptolémée, cf. Meuret 1998.
238
L'un et l'autre ap. Eux., 14R1-§ 63 Müller**.
239
Hdt. 4.101 ; Ptol. 3.10.8 et 3.6.2.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 52

maritime, les toponymes mentionnés le sont dans leur fonction, et non dans leur statut politico-
géographique : c'est une raison supplémentaire pour ne pas s'arrêter à la qualification d'emporion
attachée à Chersonèsos, ni prendre à la lettre la rubrique des πόλεις δὲ Ἑλληνίδες pour les
établissements du Bosphore.La séparation en deux chapitres différents des deux parties du
Bosphore, l'une en Europe, l'autre en Asie, confirme que le Périple n'a pas une vision politique de la
région du Bosphore, puisque les cités sont rattachées globalement à l'Europe ou l'Asie, ni une vision
géographique du Pont comme une entité distincte, et qu'il s'en tient aux séparations entre continents
de la géographie ionienne. La disparité des sources se traduit également à la fin du passage, où le
Ps-Skylax se rallie à une opinion extérieure au texte (λέγεται est employé § 26, 47, 98 pour des
passages à caractère mythographique). La suite est une description orientée par un acteur imaginaire
(εἰσπλέοντι), qui fait du Tanaïs la frontière entre les Scythes (à gauche) et (sans doute) les
Sarmates à droite, entre l'Europe et l'Asie, l'opinion d'Hérodote.
4.3. Paraplous.
— Le § 69.
— Texte retenu.Παράπλους ἁπάσης τῆς Εὐρώπης. Ἀφ' Ἡρακλείων στηλῶν τῶν ἐν τῇ
Εὐρώπῃ περιπλέοντι τοὺς κόλπους παρὰ γῆν, λογιζομένοις ὅσαι γεγραμμέναι εἰσὶ νύκτες
ἀντὶ τούτων ἡμέρας, καί ὅπου στάδιά εἰσι γεγραμμένα, ἀντὶ τῶν φ´ σταδίων ἡμεραίου τοῦ
πλέοντος, γίνεται τῆς Εὐρώπης ὁ παράπλους, τοῦ Πόντου ὄντος ἴσου καὶ τοῦ ἡμίσεος
μέρους τῆς Μαιώτιδος λίμνης, ἡμερῶν ρν´ τριῶν. Μέγιστοι δὲ ποταμοί εἰσιν ἐν τῇ Εὐρώπῃ ὁ
Τάναϊς, ὁ Ἴστρος, ὁ Ῥοδανός.
— Apparat.
ἁπάσης τῆς Εὐρώπης : ἁπάσης τῆς... υριοῦ. εἰς τὴν..α.ῶτην λίμνην, a.c. ; λογιζομένοις ὅσαι :
λογιζομένοις σῶσαι D, λογιζομένῳ δὲ ὅσαι Müller ; ἡμεραίου τοῦ πλέοντος : ἡμεραῖον τὸν
πλοῦν, Müller ; τοῦ Πόντου ὄντος ἴσου καὶ τοῦ ἡμίσεος μέρους τῆς : τοῦ ἡμίσεος μέρους
τοῦ Πόντου ὄντος ἴσου τῆς Müller.
—Traduction.
(§ 69) Navigation générale de l'Europe. Depuis les colonnes d'Héraclès d'Europe, si l'on fait le tour
des golfes en suivant la côte, et, si l'on décompte autant de jours que l'on a noté de nuits, et, là où
l'on a noté des stades, un jour de navigation pour cinq cents stades, la navigation le long des côtes
de l'Europe, en comptant que le Pont est égal à la moitié du lac Méotide, devient de 153 jours. Les
plus grands fleuves d'Europe sont le Tanaïs, l'Istros et le Rhône. Asie. Le fleuve Tanaïs marque le
commencement de l'Asie.
— Notes.
Ce paraplous trouve son écho à la fin du § 111 : "Le paraplous de la Libye depuis l'embouchure
Canopique en Egypte jusqu'aux Colonnes d'Héraclès, en utilisant comme mode de calcul le système
indiqué pour l'Asie et l'Europe, en prenant en compte la circumnavigation des golfes, est de 74
jours". A qui le doit-on? Müller, ad loc., signale une erreur dans le décompte des jours de
navigation : on peut penser que si l'éditeur (par exemple Marcien) l'avait trouvée dans son modèle,
il l'aurait corrigée, ou du moins signalée : ce paraplous fautif devrait donc lui être plus
vraisemblablement attribué. Autre bizarrerie, l'allusion au lac Méotide, reprise du § 68, et qui
n'apporte rien au comput général. Ce paraplous général s'intègre cependant dans l'image générale
du monde décrit par le Périple240.
4.4. Côte asiatique du Bosphore, Sindique, Kerketai.
—Les § 70-74.
— Texte retenu.
Ἀσία. Ἀπὸ Τανάϊδος δὲ ποταμοῦ ἄρχεται ἡ Ἀσία. Σαυρομάται. Καὶ πρῶτον ἔθνος αὐτῆς
ἐστὶν ἐν τῷ Πόντῳ Σαυρομάται. Σαυροματῶν δέ ἐστιν ἔθνος Γυναικοκρατούμενοι.
Μαιῶται. Τῶν Γυναικοκρατουμένων ἔχονται Μαιῶται. Σινδοί. Μετὰ δὲ Μαιώτας Σινδοὶ

240
Voir supra, "Les computs de distance", p. 000.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 53

ἔθνος. Διήκουσι γὰρ οὗτοι καὶ εἰς τὸ ἔξω τῆς λίμνης, καί εἰσι πόλεις ἐν αὐτοῖς Ἑλληνίδες
αἵδε· Φαναγόρου πόλις, Κῆποι, Σινδικὸς Λιμήν, Πάτους̣.̣ Κερκέται. Μετὰ δὲ Σινδικὸν
Λιμένα, Κερκέται ἤτοι Τορέται ἔθνος, καὶ πόλις Ἑλληνὶς Τορικὸς καὶ λιμήν.
— Apparat.
Ἀσία. : Ἀσία. Σαυρομάται. Müller ; Σαυρομάται : Σαυροβᾶται D, om. Müller ; Σαυροματῶν
: Σαυροβατῶν D ; Γυναικοκρατούμενοι : γυναικοκρατούμενον Müller ; Σινδοί : Σιντοί D,
Σίνδοι Müller ; Κερκέται ἤτοι Τορέται ἔθνος : Κερκέται ἔθνος D, Müller ; καὶ πόλις :
<ΤΟΡΕΤΑΙ. Μετὰ δὲ Κερκέτας Τορέται ἔθνος› καὶ πόλις Müller.
— Traduction.
(§ 70) Asie. A partir du fleuve Tanaïs commence l'Asie. Sauromatai. Et le premier peuple d'Asie
dans le Pont est celui des Sauromatai : aux Sauromatai appartient le peuple des
Gunaikokratoumenoi. (§ 71) Maiôtai. Aux Gunaikokratoumenoi succèdent les Maiôtai. (§ 72)
Sindoi. Après les Maiôtai, vient le peuple des Sindoi : leur territoire s'étend aussi jusqu'à l'extérieur
du lac. On y trouve les cités grecques suivantes : cité de Phanagoras, Kèpoi, Sindikos Limèn,
Patous. (§ 73) Kerketai. Après Sindikos Limèn, il y a le peuple des Kerketai ou Toretai (§ 74) et la
cité grecque de Torikos et son port.
— Notes.
Il n'y a pas d'autre exemple de l'orthographe Σιντοί241.
— Sauromates, cités de la côte asiatique du Bosphore.
— Les Sauromates.
Les Sauromates du Périple sont situés sur la rive asiatique du Pont, comme chez Hérodote242. Mais
la coincidence n'est qu'approximative, car pour Hérodote, les Sauromates sont installés à 3 jours de
marche du Tanaïs et du lac Méotide, bien loin de la mer Noire, alors que les Sauromates du Périple
devraient toucher au Pont (ἐν τῷ Πόντῳ). Pendant leur poursuite par les Perses, les Scythes
poursuivis traversent le Tanaïs, le pays des Sauromates, et arrivent à la ville des Boudins à laquelle
les Perses mettent le feu. "Au-dessus" du pays des Boudins, ils traversent alors le "désert des
Scythes" pendant 7 jours. "Au-dessus" habitent les Thyssagètes d'où proviennent quatre grands
fleuves qui traversent le pays des Maiôtai (en fait Maiètai, διὰ Μαιητέων) pour se jeter dans "le lac
appelé Maiotis". C'est la seule mention des Maiôtai. C'est à ce moment-là que Darius fait volte-face
et repart vers le Couchant pour arriver au pays des Melanchlainoi. Le Ps-Skylax aurait pu essayer
de faire la synthèse géographique de ses lectures d'Hérodote et d'une autre source, ce qui l'aurait
amené à placer ses Sauromatai à l'ouest des Maiôtai243. De plus, les Gunaikokratoumenoi ne sont
pas les Sauromates dans leur ensemble, mais l'une de leurs composantes : le Périple semble attacher
à l'image hérodotéenne de la région des données nouvelles. La similitude avec Éphore est sensible :
"Éphore déclare que des éléments scythes sont passés en Asie… Il ajoute que les peuples les plus
marquants sont ceux des Sauromates et des Gelônoi [Γελώνων peut recouvrir Γελῶνοι et
Γελῶνες], et, en troisième position, la race dite des Agathyrses" ; "Le fleuve Tanaïs, en coupant en
deux la masse du continent, est une frontière de l'Asie. Le premier peuple que l'on trouve sur ses
rives est celui des Sauromates… après les Sauromates, on a, comme l'a déclaré Démétrios [de
Kallatis, postérieur au Périple et à Éphore], la souche des Maiôtai appelés Iazamatai, ou comme le
dit Éphore, le peuple des Sauromates soumis aux femmes [Γυναικοκρατούμενοι]"244. Il est
impossible de savoir si Éphore mentionnait ou non les Maiôtai dont les Gunaikokratoumenoi
semblent chez lui occuper la place. Mais inversement on peut se demander où les Maiôtai trouvent

241
Sur ce passage, cf. supra p. 000**.
242
Et non en Europe comme pour l'auteur hippocratique d'Aër., qui se fait une image encore plus approximative de la
configuration géographique de la région.
243
Hdt. 4.110 et 4.122. Le "désert des Scythes" aussi chez Hp., Aër., 18. 3, Ἡ δὲ Σκυθέων ἐρημίη καλευμένη.
244
Comme dans le Périple, l'image de la Scythie d'Europe est proche d'Hérodote dans ces fragments d'Éphore, FGrHist
70F158 et 159 = Eux., 11V30 (§ 49 Müller) et 11R14-20 (§ 44-45 Müller) = Périodos F 15b et 16 Marcotte 2000 à qui
j'emprunte sa traduction. Pour une autre approche, voir les notes de ce dernier ad loc.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 54

leur place géographique chez le Ps-Skylax si les Sauromates sont effectivement ἐν τῷ Πόντῳ,
puisque la Sindique commence de l'autre côté du Bosphore, et qu'il y range toutes les cités de la rive
asiatique. Quant à savoir si les Sauromates du Périple sont ou non des Sarmates au sens où l'entend
Rostovtzef, le problème me dépasse245.
— Les cités du Bosphore.
L'ordre dans lequel sont énumérées les cités de la rive gauche du Bosphore varie à peu près avec
chaque géographe246. Comme pour la rive européenne, le Périple omet des sites comme
Korokondamè, Patraios, Tyramba ; le plus surprenant est l'omission d'Hermonassa247. La description
la plus précise de la région arrive chez Strabon après qu'il a donné les limites méridionales du
Bosphore : 10 stades après Korokondamè, débouche l'émissaire d'un lac qui se trouve "dans
l'arrière-pays de Koronkondamè" ; ce lac, son émissaire dans le Pont, le bras de l'Hypanis (le
Kouban –différent de l'Hypanis/Boug voisin d'Olbia) et le Méotide déterminent donc une île : "Le
navigateur qui pénètre dans le Korokondamitide touche successivement Phanagoria… Kèpoi,
Hermonassa et l'Apatouron, sanctuaire d'Aphrodite. Phanagoria et Kèpoi sont bâties sur l'île
précitée, à gauche lorsqu'on entre dans le lac, les autres cités à droite, au-delà de l'Hypanis, en
Sindique. Gorgippia aussi est en Sindique"248. Dans une écriture périplographique, selon le sens
dans lequel on parcourt le lac, soit Hermonassa soit Phanagoria arrivent l'une la première et l'autre
la dernière, tandis que Kèpoi est toujours la seconde. L'omission par le Périple d'Hermonassa, située
sur la rive droite du lac pourrait donc impliquer l'utilisation d'un itinéraire maritime en provenance
de l'ouest dont le terme aurait été Kèpoi. Toutefois, les descriptions des géographes ne coincident
pas non plus avec la position donnée à Hermonassa par les archéologues, pour lesquels même la
situation de Korokondamè est discutée249 : l'analyse est rendue difficile par les incertitudes qui
règnent sur le cours du Kouban dans l'Antiquité250. Dans la mesure où λίμνη, dans l'Antiquité, peut
désigner aussi bien un lac qu'une lagune ou même dans certains cas une baie fermée, où une νῆσος
peut être aussi une péninsule, et où le lit du Kouban a pu varier entre le début et la fin de l'Antiquité,
on est obligé de rester dans le doute. C'est l'une des situations où l'élévation du niveau de la mer, les
effets de cette élévation sur l'alluvionnement à l'embouchure des fleuves ou sur les côtes basses
transforment suffisamment le paysage pour que les descriptions des géographes anciens nous
deviennent incompréhensibles.
D'autre part, Φαναγόρου πόλις est Φαναγορία dans les inscriptions251. Eux. lit le même texte que
nous : Τούτοις δὲ ἐπιμεμίχθαι τὰς Ἀμαζόνας τοῖς Σαυρομάταις λέγουσιν ἐλθούσας ποτὲ
ἀπὸ τῆς περὶ τὸν Θερμώδοντα γενομένης μάχης, ἐφ' οἷς ἐπεκλήθησαν οἱ Σαυρομάται

245
Smirnof 1980, par exemple, défend une opinion différente de celle de Rostovtzef 1922 sur l'identité et la date
d'arrivée des Sarmates. Voir aussi Simonenko 1994 (malgré ses erreurs sur le Périple) et Lebedinsky 2002, 11-14 ; sur
la place des Sauromates dans l'ethnographie grecque, Jouanna 2001, 30.
246
Le Périple nomme successivement Phanagoron (?) et Kèpoi, mais omet Hermonassa ; Mela 1.19.2 : Hermonassa,
Kèpoi, Phanagoria ; Plin., Nat., 6.19 : Hermonassa, Kèpoi (et Stratoclia), Phanagoria ; Str. 11.10.5 : Phanagoria, Kèpoi,
Hermonassa. TP,** Sindice, Hermonassa, Cepos, Stratoclia, Phanagoria. Ra., 368 : Sebastopolis, Apatura, Ceppos,
Stratoclis.
247
Sur les villes de la côte asiatique, voir par exemple Hind 1992-1993, 105-108. Hermonassa occupe un site de 35
hectares au Ve s. a.C., selon Koshelenko & Kuznetsov 1998, 259 ; sur la presqu'île de Taman en général, voir encore
Kuznetsov 2001, en particulier p. 321. Il n'en reste pas moins que c'est l'un des sites où les sources littéraires sont en
contradiction avec la géographie du paysage.
248
Str. 11.1.10.
249
Soit qu'on la situe au cap Tuzla, soit qu'on la mette au cap Panagya, voir Lasserre 1975 ad loc.
250
En raison des variations du niveau de la mer (voir supra), il est très difficile de se représenter ce qu'était la côte pour
les Grecs, qui décrivent la presqu'île comme une île, ou même des îles (St.Byz. s. Ταυρική : τῇ δὲ Ταυρικῇ δύο
παράκεινται νῆσοι, Φαναγόρα καὶ Ἑρμώνασσα) ; Périodos, F.17b Marcotte (Eux., 11R21-23-§ 47 Müller) :
"Viennent ensuite Hermonassa, Phanagoreia… et Sindikos Limèn… Ces villes se trouvent dans les limites d'une île qui,
en bordure du Méotis et jusqu'au Bosphore, est faite d'une vaste plaine basse rendue infranchissable par la présence des
marécages, des chenaux et des lagunes qui leur font face par l'action de la mer et du lac".
251
Voir aussi les monnaies de Phanagoria, Price 1993, SNG, Pl. XXXVII, N°995-1007, ΦΑΝΑΓΟΡΙΤΩΝ.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 55

γυναικοκρατούμενοι. Εἶτά ἐστιν Φαναγόρου πόλις, Κῆποι πόλις. Εἶτά ἐστιν Ἑρμώνασσα
Φαναγορία τε κτλ252. Strabon écrit Φαναγορία lorsqu'il suit Artémidore, mais aussi τὸ
Φαναγόρειον et τὰ Φαναγόρεια253. Le Ps-Skylax la nomme ici par le nom de son fondateur,
Phanagoras ou Phainagoras, qui nous est connu par un fragment d'Hécatée et un passage d'Arrien254.
Le fait qu'il nomme la cité par son fondateur, et non par son nom de cité, ce qui est très inhabituel
dans le Périple et pourrait impliquer qu'il reproduit ici sa source, directement ou indirectement
Hécatée. Sindikos Limèn pose un autre problème255. Les archéologues discutent pour déterminer si
Sindikos Limèn est devenue Gorgippia (l'actuelle Anapa) où s'il s'agit d'une ville voisine qui
conserve son autonomie, puisque dans les sources littéraires, le nom de Sindikos Limèn survit à la
fondation de Gorgippia. Par exemple Strabon fait de Gorgippia τὸ βασίλειον τῶν Σινδῶν, mais
dans son périple de cette même côte, il signale ὁ Σινδικός … λιμὴν καὶ πόλις à 80 stades de
Korokondamè ; la Périodos, Ptolémée ou Eux. connaissent toujours Sindikos Limèn, mais plus
Gorgippia256. Ptolémée mentionne à la fois Sindikos Limèn et Sinda kômè ; Arrien, Sindikè : la
question des monnaies de Sindique n'y trouvera pas sa solution257. En ce qui concerne le Périple, la
présence de Sindikos Limèn et l'absence de Gorgippia peuvent être cependant considérées comme
un nouveau marqueur chronologique, puisque la cité change de nom entre 389 et 349. Avec la
Sindique, le Périple arrive dans des régions de plus en plus mal connues, mais il y mentionne deux
cités dont il est le seul à donner le nom sous cette forme. Πάτους est sans doute Βατά de Strabon,
11.2.13, à 400 stades de Sindikos Limèn, dans la baie de Novorosijsk258. Pour Strabon comme pour
le Périple, cette ville marque la limite de la Sindique, mais le Ps-Skylax a manifestement des
difficultés à la situer, puisqu'il prend Sindikos Limèn comme ville frontière entre Sindique et
Kerketai : Patous provient d'une source secondaire. Torikos est inconnu par ailleurs. Mais au sud de
Novorosijsk, le havre le plus favorable est apparemment Gelendjikh, "the safest and most
commodious harbour on the coast of Circassia"259. Les archéologues y ont trouvé la trace d'une

252
Eux., 11R16-21 (§ 45-46 Müller) ; plus loin, Eux., 11R30-31 mentionne Κιμμερίς et Κῆπος : la répétition et le
changement de nom attestent le changement de source.
253
Str.11.2.10. F. Lasserre pense qu'il s'agit d'un simple changement de source. Mais Φαναγορία est bien la ville ; τὸ
Φαναγόρειον est la μητρόπολις de la partie asiatique du Bosphore, et τὰ Φαναγόρεια l'emporion des marchandises
venues du Méotide. Peut-on y voir une distinction entre lieu géographique, entité politique, et zone d'influence? Cf.
infra les variations sur Kytôros/Kytôron. Il est vrai que le Ps-Skylax (ou son copiste) a tendance à uniformiser les
finales de toponymes, voir supra le cas de Nymphaion, et celui des cités de Crète, Counilllon 2001b, 382 n.9 et 10.
254
Hecat., FGrHist 1F209 = St.Byz. s. Φαναγόρεια· πόλις ἀπὸ Φαναγόρου ; et Arrien, FGrHist 156F71,
Φαιναγόρεια, ἣν ἔκτισε Φαιναγόρας ὁ Τήιος, φεύγων τὴν τῶν Περσῶν ὕβριν. Je remercie A. Ivantchik d’avoir
attiré mon attention sur ce point : c’est un des rares cas, avec Datos, où le Ps-Skylax mentionne le fondateur d’une cité.
255
Sur le site avant sa modernisation, cf. note 000 (Spencer 1854, 296-297) et pour une synthèse des découvertes
archéologiques, Hind 1983-1984, 90-91 et Alekseeva 1993. Sindikos Limèn, ou son emplacement, est l'une des
premières fondations ioniennes dans la région, Tsetskhladze 1998, 22 ("recently one fragment of a Rhodo-Ionian cup
with bird-decoration, dating to the end of the 7th century, has been found near there at Alekseevskoe ")** [Contrôler =
Askold]. Vers la fin du Ve s. a.C., la Sindique passe sous le contrôle du royaume du Bosphore – voir par exemple
Burstein 1974, 410-412. Gorgippos, frère de Leukôn Ier (389-349) y devient son représentant local, donnant donc son
nom à la cité.
256
Str. 11.2.10 et 11.2.14 ; Périodos, F17b-18; Ptol. 5.8.4 ; Eux. 10R16 (24B) : Ἀπὸ οὖν Ἑρμωνάσσης ἕως τοῦ
Σινδικοῦ λιμένος παροικοῦσι Μαιωτῶν τινες Σίνδοι λεγόμενοι ἔθνος, ⟦ἐφ' οἷς λέγεται Σινδική.
257
Voir Price 1993, SNG, Pl.XXXVIII n°1008-1009 ; Hind 1992-1993, 108. Zograph **1977, 272-273 pense que
Phanagoria frappe les monnaies des Sindes pendant la première moitié du IVe s. a.C., jusqu'au moment où les archontes
du Bosphore s'emparent de la région. Shelov 1978, notes de 1978, p. 188, pense que les monnaies ΣΙΝΔΩΝ désignent
Sindikos Limèn : "Autonomous coining on the part of Theodosia, Nymphaeum and Sindikos was carried out… during
the period of their independent existence and it was cut short at the moment of their incorporation to the realm of the
Spartokids" ; mais Frolova, Ancient Society 2002**, pense que les monnaies sont celles des Sindes.
258
BP, 83 : 46°43'.3N 37°48'1E, "Excellent all-round shelter". Spencer 1854, 298-301: "From the great depth of water,
excellent anchorage, and security from violent winds… It is completely land-locked, except at one point, from about SE
to S. by E., which might here easily rendered secure by a mole". Hind 1983-1984, 91, signale près de Novorossijsk un
site à l'intérieur de la baie, qui a fourni de la céramique attique datant de 400-300 a.C.
259
Spencer 1854, 302-303. Taitbout de Marigny 1887, 40-44 suit Spencer de près. BP, 83 : 44°33'.3N 38°02'.3E, "the
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 56

présence grecque260.
4.5. Côte orientale.
— Les § 75-80.
— Texte retenu.Ἀχαιοί. Μετὰ δὲ Τορέτας Ἀχαιοὶ ἔθνος. Ἡνίοχοι. Μετὰ δὲ Ἀχαιοὺς
Ἡνίοχοι ἔθνος. Κοραξοί. <Μετὰ δὲ Ἡνιόχους, Κοραξοὶ ἔθνος.> Κορική. Μετὰ δὲ
Κοραξοὺς Κορικὴ ἔθνος. Μελαγχλαίνοι. Μετὰ δὲ Κορικὴν Μελαγχλαίνοι ἔθνος καὶ
ποταμὸς ἐν αὐτοῖς Μητάσωρις καὶ Αἰγίπιος ποταμός. Γέλωνες. Μετὰ δὲ Μελαγχλαίνους
Γέλων.
— Apparat. <Μετὰ δε Ἡνίοχους Κοραξοὶ ἔθνος.> vide adn. ; Κορική : om. D, Κωλική
et mox Κωλικὴ, Κωλικὴν Müller ; Μελαγχλαίνοι et mox Μελαγχλαίνους : Μελαγχνάνοι,
Μελαγχνάνους D. — Traduction.
(§ 75) Achaioi. Après les Toretai, il y a le peuple des Achaioi. (§ 76) Hèniochoi. Après les Achaioi,
il y a le peuple des Hèniochoi. (§ 77) Koraxoi. Korikè (§ 78) Après les Koraxoi, il y a le peuple de
Korikè. (§ 79) Melanchlainoi. Après la Korikè, il y a le peuple des Melanchlainoi, et dans leur pays
le fleuve Mètasôris et le fleuve Aigipios. (§ 80) Gelônes. Après les Melanchlainoi, Gelôn. —
Notes.Les raisons pour lesquelles la mise en forme du texte est restée aussi sommaire ici
m'échappe, mais d'autres paragraphes dans le Périple montrent le même état d'inachèvement ou
d'improvisation brouillonne (e.g.§ 26)261. Eux. confirme la liste et l'orthographe des ethnonymes262.
Koraxoi et Korikè y apparaissent deux fois, la première dans une liste des anciens occupants du
pays des Zichoi (approximativement la côte pontique entre Gelendjikh et Sotchi), sans doute
construite à partir du Périple, la seconde fois près de Phasis263. Pour s'en tenir aux Κοραξοί/ἡ
Κοραξική et Κορικοί/ ἡ Κωλική, je conserve la leçon du manuscrit validée par Eux., même si la
correction de Müller (Κωλική) est probable, en particulier au regard d'Hécatée, Mela et Pline, et si
j'admets l'identité entre les deux noms264. Μελαγχλαίνοι est aussi la lecture d'Eux., τὸ τῶν
Μελαγχλαίνων καὶ Λόγχων ἔθνος.
— Achaioi, Hèniochoi, Koraxoi, Korikè, Melanchlainoi, Gelôn.
Ce passage du Périple est constitué par une énumération de peuples aussi impossibles à localiser
avec précision que chez les autres géographes grecs, imprécision qui traduit une grande ignorance
d'une côte difficile et inhospitalière. Au-delà de Gelendjikh vers le sud, Spencer énumère des ports
comme Pschad (sans doute Krinica, au débouché de la vallée qui mène à Pshada) ; Djook (peut-être
Dzjubga) ; Vadran (aujourd'hui Tuapse)265. Ces sites doivent recouvrir des ports mentionnés par
Arrien et Eux, mais même ce dernier est confus entre Ἱερὸν Λιμήν (Patous) et le fleuve Abaskos
(qui semble correspondre au fleuve qui arrose Adler), où les distances qu'il propose sont
aberrantes266. Tous ces ports sont décrits comme dangereux jusqu'à Pitzounda. L'autre élément qui

only naturally protected anchorage on the Russian Black Sea coast".


260
Hind 1983-1984 : "Near Gelendzhik, at Tonky Myz, was found a large rectangular building, half-eroded by the sea
which has risen by some 4m. in this area relative to the coast. This structure started in the 6th BC… Destroyed by fire in
the first half of the fifth century (AO 1972, 143-144 ; KSIA CXLV [1976] 35s.). Onaiko identifies it as the ancient
Torikos, and the headland to be the Cape of the Toretai". Voir le complément, Hind 1992-1993, 109.
261
Cf. Counillon 2004a.
262
Eux., 10R7-8 (18B). Pour la suite, les choses sont rendues plus complexes par l'extension (ou les déplacements) du
peuple des Hénioques, localisé par le Périple et les plus anciens géographes au nord du Caucase, alors qu'ils sont situés
dans la région de Dioskourias/Sebastopolis à l'époque où écrit Arrien, d'où les doublons dans Eux. dont les notices
complémentaires sont appelées par l'apparition de l'ethnonyme.
263
Eux., 10R7-8 (18B) et 9V10-12 (3-4B). Marcotte 2000 ad F 20, p. 144 n.20 pense également que le premier passage
provient directement du Périple, et corrige Κολικὴ en Κωλική et Λόγχων en Κόλχων. Mais la question de Γέλων
dans le Périple reste posée.
264
Hécatée 1F209, Mela 1.19 et Pline 6.5. Sur l’origine peut-être scythe des Korakoi, cf. Ivantchik 2002, 264.
265
Le port moderne de Tuapse est artificiel. Spencer fait une erreur sur la situation de Mamajka et Adler au large
desquelles il passe de nuit.
266
Eux. mentionne deux caps Héraclès (10R1-15B et 10R4-17B), soit qu'il change de source, soit qu'il ait fait une erreur
en inversant l'ordre d'exposition de sa source. Impossible dès lors de suivre le périple sur une carte, même
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 57

interdit la précision ethnographique est l'hostilité légendaire des habitants : ils sont établis dans
l'intérieur des terres (évitant en particulier l'air malsain des plaines côtières touchées par le
paludisme) d'où ils ne descendent que pour se livrer à la piraterie : la description des barques
tcherkesses, dans laquelle les voyageurs retrouvent les kamares de Strabon est presque un lieu
commun. Leur habitudes de pillards et de marchands d'esclaves traversent l'histoire267. La position
des Achaioi et des Hèniochoi varie selon les époques, mais ils sont ordinairement situés sur cette
partie de la côte pontique jusqu'aux guerres de Mithridate :
"No doubt the two peoples, along with mythical stories of origin, were well known to Greek
ethnographers and mythographers from late VIth century BC, although they never appear in the
extant fragments of Hecataeus of Miletus nor are they mentionned by Herodotus. As the Achaeans
were known to Pherecydes [FgrHist 3F143] so the Heniochi were included by Hellanicus writing in
the last decades of the same century, in a list of peoples, verbally quoted from his book Κτίσεις
ἐθνῶν καὶ πόλεων (ou Ἐθνῶν ὀνομασίαι), a treatise the explicit aim of which was to deal with
the origins, aetiology and etymology of ethnics, but which was also rich in ethnography, as far we
can judge from the few fragments preserved"268.
Le Ps-Skylax se fait donc l'écho d'une tradition étrangère à Hécatée, mais ne dit rien de la tradition
imputée à Éphore et reprise entre autres par la Périodos et Aristote qui fait des Achaioi et des
Heniochoi des Grecs ἐκβαρβαρόμενοι. La théorie est dans l'air du temps à l'époque, le Ps-Skylax
la connaît, mais s'en écarte269.
Le problème est différent avec le groupe suivant, Koraxoi, <Korikoi> (ou Kôloi), Melanchlainoi,
Gelôn. Les deux premiers peuples sont directement liés au Caucase et Hécatée de Milet les situait
dans le piémont caucasien270. Dans la mesure où les Koraxoi sont des Kolchoi et voisins de la
Kôlikè, piémont du Caucase, on devrait les localiser en Abkhazie, aux alentours de Sotchi et
Sukhumi (Dioskourias). Cette localisation correspondrait avec ce qu'en écrivent Pline et Arrien (la
région de Dioskourias est celle où l'on se met à naviguer vers l'ouest)271 ; et elle s'accorderait avec
ce qu'écrit Aristote dans les Météorologiques de la position des Koraxoi, au voisinage de ce qu'on
appelle les "Profondeurs du Pont"272. La position de ces régions par rapport à la mer est difficile à
déterminer, et la Kôlide est plutôt une contrée montagneuse de l'intérieur qu'une région côtière. La
source première de la description chorographique de l'Asie pourrait être Hécatée avec qui le Périple
montre des similitudes. Mais pour Hécatée, les Melanchlainoi sont une population scythe d'Europe ;
Hérodote les situe au nord du Tanaïs, à la frontière nord des Scythes royaux, à 20 jours de marche
du Pont Euxin, soit 4 000 stades. Ils sont les alliés des Scythes. Ils en suivent les usages, mais ils
refusent d'aider les Scythes contre Darius, et leur pays est bouleversé par le passage de l'armée de ce

approximativement.
267
C'est une tradition établie depuis l'Antiquité, cf. Braund & Tsetskhladze 1989 et Braund 1994, 65-71.
268
Asheri 1998, 269-70. Voir aussi Marcotte 2000 ad F.18-19.
269
Sur la crainte de l'ἐκβαρβάρωσις, cf. Asheri 1998, 284. Le Ps-Skylax rejette une légende de cette sorte au § 22, cf.
Counillon 2004a.
270
Bien que je ne juge pas utile de corriger le texte, j'admets l'identité entre Korikè et Κωλική d'Hecat., FGrHist 1F209
= St.Byz. s. Κῶλοι· ἔθνος πρὸς τῷ Καυκάσῳ, Ἑκαταῖος Ἀσίαι. Αἱ δὲ ὑπώρειαι τοῦ Καυκάσου καλοῦνται
Κωλικὰ ὄρη. Ἡ χώρα Κωλική. 1F210 = St.Byz. s. Κόραξοι· ἔθνος Κόλχων πλησίον Κώλων. Ἑκαταῖος Ἀσίαι.
Κοραξικὸν τεῖχος καὶ Κοραξικὴ χώρα. Voir aussi Braund 1998, 291 : "There was already some familiarity with the
names of peoples as obscure as the Sindoi and even the Koraxoi, both located to the north east of the Black Sea. For
extant fragments of Hipponax of Ephesus, who seems to have lived and written at Clazomenai in the middle of the 6th
century BC mentions a female "dressed in Koraxian garb (fg.2 West), and use the term "Sindian vagina" (frg. 2a
West)". Les Korakoi sont parfois considérés comme scythes, cf. Ivantchik 2002, 264.
271
Pl., Nat. 6.5 : Subicitur Ponti regio Colica, in qua juga Caucasi ad Riphaeos montes torquentur. Arr., Per.M.Eux.,
11.5 : "A partir de l'Hippos et Dioskourias <nous naviguions désormais manifestement en direction de la partie gauche
du Pont et notre navigation se faisait vers le couchant : or, en virant à partir de l'Astéléphos dans la direction de
Dioskourias>, nous aperçûmes le mont Caucase". Le texte est restitué d'après Eux., mais sûr, cf. Silberman 1995 ad loc.
272
Cf. p. 000.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 58

dernier. Rien ne permet de les localiser au sud du Caucase273. Le Ps-Skylax dépend donc d'une
source postérieure à Hécatée qui a ramené les Melanchlainoi au sud, ce qui nous amène à une liste
des peuples d'Asie géographiquement classée, dont la forme aurait pu prendre celle de la description
de l'Asie d'Hérodote, agrémentée de noms de cités et de fleuves. Pline et Mela s'accordent avec le
Périple sur ce point, mais Pline est difficile à utiliser, car il donne dans le plus grand désordre une
profusion d'informations dont certaines seulement semblent provenir de la même source que le Ps-
Skylax274. Quant à Mela, pourtant très proche du Périple dans ce passage, il ne mentionne pas les
Gelônes275. Ces différences amènent à postuler l'existence d'une source intermédiaire qui a
également exercé son influence sur la suite de la description pontique chez Pline et Mela et sur
Apollonios de Rhodes, soit directement, soit par l'intermédiaire du Ps-Skylax pour le dernier. Elle
nous est inconnue, mais le Ps-Skylax qui mentionne chez les Melanchlainoi deux hydronymes
inconnus lui aura peut-être emprunté le nom des fleuves, celui des cités précédentes (Patous et
Torikos), et peut-être aussi celui des Gelônes276. Ceux-ci posent toutefois un problème particulier.
Éphore, par exemple, signale des Gelônes/Gelônoi en Asie, mais au nord du Tanaïs, comme, en
dernier lieu, Ptolémée. Celui-ci situe les Gelônes à l'est du fleuve Rhâ (Volga) et les Melanchlainoi
entre le Rhâ et les monts "Hippiques", la chaîne de montagnes (Ergeni) qui sépare la Volga du Don
et la région du Don des steppes d'Astrakhan277. Au sud du(**) Manytsch, cette chaîne se prolonge
jusqu'au Caucase qu'elle rejoint au niveau de l'Elbrouz, séparant le bassin de la Kouma et du Terek
de celui du Kouban. En matière de peuples montagnards, 1. Les géographes grecs procèdent par
listes orientées : du coup, un peuple à cheval sur une chaîne de montagnes peut apparaître dans deux
listes successives (ici, en Ciscaucasie et en Transcaucasie). 2. Les chaînes de montagnes, réduites à
des collections d'ethnonymes ou de toponymes, perdent tout épaisseur. 3. Comme les géographes se
copient les uns les autres et procèdent par accumulation d'informations, les couches successives
s'interpénètrent et se rendent mutuellement incompréhensibles278. Kissling, suivi par Müller ad loc.
avait élaboré une théorie complexe pour expliquer que le Ps-Skylax assimilait les Gelônes aux
Boudins d'Hérodote, et ceux-ci aux Phteirophagoi que d'autres auteurs situent au nord de la
Colchide, mais cette théorie reste en l'état indémontrable. Müller renvoyait en effet à Hérodote qui
mentionne des Boudins à côté des Melanchlainoi, toujours au nord des Scythes Royaux et au
voisinage du Tanaïs ; ces Boudins sont appelés Gelônes et Hérodote dit qu'ils sont le seul peuple de
la région "à manger ses poux", les seuls phteirophagoi, donc. On trouve ensuite des Phteirophagoi
en Colchide dans les vallées qui dominent Pityonte et Dioskourias chez Strabon. Le rapprochement
est d'Arrien qui ne mentionne pas leur nom : "Nitikè, où était établie autrefois une peuplade scythe
dont fait mention l'historien Hérodote, et dont il dit que ce sont des mangeurs de poux ; et de fait,
leur réputation demeure inchangée encore jusqu'aujourd'hui" : Nitikè se trouve en effet dans la
région de Pityonte (Pitzounda/Bichvinta). Si on acceptait cette séduisante hypothèse, elle pourraît
être le résultat de la confusion entre le Phase et le Tanaïs pour marquer la frontière entre l'Europe et
l'Asie279. Mais on ne peut aller plus loin : une glose, par exemple, jouant sur les mots, fait des
273
Hecat., FGrHist 1F185 Μελάγχλαινοι· ἔθνος Σκυθικόν. Ἑκαταῖος Εὐρώπῃ. Hdt. 4.20, 100-102, 107,119, 125.
274
Plin., Nat. 6.5 : Reliqua litora fere nationes tenent Melanchlaeni, Coraxi urbe Colchorum Dioscuriade… a
Dioscuriade oppidum Heracleum distat, a Sebastopoli lxx. Achaei, Mardi, Cercetae, post eos Serri, Cephalotomi.
275
Silberman 1988 suit ses prédécesseurs pour éditer 1.19.110 (remontant vers le nord) Melanchlaena, Toretica, sex
Colicae, Coraxici, Phtirophagi, Heniochi, Achaei, Cercetici et jam in confinio Maeotidis Sindones. Mais le manuscrit
porte : menanclea terrestrea sexsolicae coraxi cleptyrophagi. Terrestrea ne saurait recouvrir Toretica (ou Toretae),
puisque les Torètai sont appariés aux Kerkètes qui n'apparaissent qu'en fin de liste ; et terrestrea ne peut recouvrir
Gelones que la logique du texte aurait intercalés avant les Melanchlaena, en Colchide.
276
Les deux fleuves mentionnés par Ps-Skylax ici sont inconnus. Müller ad loc. suppose que le Mètasôris est le Thessyri
de Ptolémée, et que le Korax de Ptolémée est l'Aigipios : le Korax de Ptolémée se trouve entre Pityonte et Dioskourias.
Mais le seul argument dont dispose Müller est la similitude (supposée) des localisations de ces quatre fleuves.
277
Cf. Müller 1883 ad Ptol. 5.8.8.
278
Ptol., Geog., 5.8.12.
279
Müller ad loc., renvoyant à Hdt. 4.109 ; Str. 11.2.1 ; 11.2.14 ; 11.2.19, voir Silberman 1988, p. 157, n.15 ; Arr.,
Per.M.Eux., 18 et Silberman 1995 ad loc. Sur la région dans les représentations classiques du monde, cf. Jacoby ad
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 59

Phteirophagoi des mangeurs de graines280. Les Gelônes pourraient être un peuple fantôme introduit
dans le texte par l'auteur des sous-titres, ou les habitants d'une cité grecque (Γέλων) disparue dans
le nord de la Colchide : la position d'une cité de Gelôn correspondrait assez à la future Pityonte.
Impossible, donc, de trancher.4.6. Colchide.— Le § 81. — Texte retenu.Κόλχοι. Μετὰ δὲ
τούτους Κόλχοι ἔθνος καὶ Διοσκουρίας πόλις καὶ Γυηνὸς πόλις Ἑλληνὶς καὶ Γυηνὸς
ποταμὸς καὶ Χιρόβος ποταμός, Χόρσος ποταμός, Ἄριος ποταμός, Φάσις ποταμὸς καὶ
Φάσις Ἑλληνὶς πόλις̣· καὶ ἀνάπλους ἀνὰ τὸν ποταμὸν σταδίων ρπ´ εἰς πόλιν Αἶαν μεγάλην
βάρβαρον ὅθεν ἡ Μήδεια ἦν. Ἐνταῦθά ἐστι Ῥὶς ποταμός, Ἴσις ποταμός, Λῃστῶν Ποταμός,
Ἄψαρος ποταμός.
— Apparat.Διοσκουρίας : Διοσκουρὶς D, Müller ; Χιρόβος : Χερόβιος Müller ; Αἶαν :
μάλην D ; Μήδεια : Μιδιὰ D. — Traduction.(81) Kolchoi. Après eux il y a le peuple des
Kolchoi, la cité de Dioskourias, la cité grecque de Gyènos, le fleuve Gyènos, le fleuve Chirobos, le
fleuve Chorsos, le fleuve Arios, le fleuve Phase, la cité grecque de Phasis : et il faut remonter le
fleuve sur 180 stades pour arriver à la grande cité barbare d'Aia d'où était originaire Médée. Il y a là
le fleuve Rhis, le fleuve Isis, le Fleuve des Brigands, le fleuve Apsaros. — Notes.Contrairement à
Müller, je rétablis Διοσκουρίας, son nom usuel ; une faute d'abréviation est très vraisemblable.
Χιρόβος étant un hapax, je ne vois pas de raison de corriger cet hydronyme. Müller ad loc. donne
toute l'argumentation nécessaire à la correction de μάλην : l'adjectif a été redoublé (une fois abrégé
et une fois développé) entraînant la chute du nom qui précédait. La tradition indirecte est sans
ambiguïté, en particulier Eux. : Μεταξὺ δὲ τούτων βάρβαρός ἐστιν ἡ Κοραξική, ἧς τὰ ἐχόμενα
ἡ Κολικὴ καλουμένη, τὸ τῶν τὸ τῶν Μελαγχλαίνων καὶ Λόγχων ἔθνος. Ἔχει δὲ καὶ
ἀνάπλουν ὁ ποταμὸς σταδ ρπ´ μιλ κδ´ , ἐν ᾧ ἐστι πόλις μεγάλη Αἶα λεγομένη ὅθεν _ἡ
Μήδεια ἦν281. La distance à l'embouchure est la même, alors qu'Arrien, dans le passage
correspondant, n'en dit mot. On y ajoutera une citation d'Étienne de Byzance (mais la distance à la
mer est différente), et peut-être du scholiaste d'Apollonios, Νῆσος ἐν τῷ Φάσιδί ἐστιν ἡ Αἰαία…
Αὕτη δέ ἐστι Κόλχων μητρόπολις282. La correction Μήδεια est évidente.— La Colchide
Les limites de la Colchide antique sont assez vagues vers le nord, et très élastiques vers le sud. Vers
le nord, elle s'étend jusqu'à Pityonte ou Dioskourias (comme dans le Périple). Vers le sud, sa limite
est soit l'Apsaros (le Çoruh Nehri/Tchoruk-Sou, le fleuve de Batumi), soit, plus au sud, les environs
de Trapezous283. La région de Trapezous est en Colchide pour Xénophon tandis que le Périple, qui
la réduit à peu près au bassin du Phase, lui donne son extension la plus étroite. Les colonies
grecques de Colchide ne connaissent pas, il est vrai, un développement aussi éblouissant que celles
du nord ou de l'ouest de la mer Noire. On en attribue généralement la raison à la présence d'une
population locale socialement structurée. Quoi qu'il en soit, la présence grecque permanente était
sans doute limitée à la côte : or le climat y est malsain284. Des quatre cités que mentionne le Périple,
deux sont grecques (Gyènos et Phasis), l'une signalée comme barbare <Aia>, la nature de la
quatrième, Dioskourias, restant indécise. L'identification de Phasis et de Dioskourias est facile,
puisque ces cités ont longtemps existé285. Gyènos a disparu, et sa localisation, généralement à

FGrHist 1F195 ; Goukowsky 1978, 155-163 ; Silberman 1990, 110 ; Braund 1994, 17-31.
280
Ils auraient été des mangeurs de pignons ; la chose n'est pas surprenante par elle-même, cf. Robert 1963, 130-135, à
propos de l'utilisation du pin pignon, dont L. Robert pense qu'il est indigène, comme ressource alimentaire : vers 1963
(n. 5. p132) il s'en produisait 450 à 500 tonnes en Turquie, dont la moitié était exportée. Mais la glose est elle-même
une interprétation rationalisante et n'a pas valeur d'argument.
281
Eux., 9V10-12 (3-4B).
282
Ad A.R. 3.1073. Cf. Marcotte 2000, p. cxx, note 162. Étienne de Byzance, s.v., place la cité à 300 stades de
l'embouchure.
283
Str. 11.2.14. Matériel grec dans la région de Batumi (VIe s. a.C) et d'Apsaros (auj. Gonio), qui semble se développer
après l'abandon de Pichvnari), cf. Hind 1983-1984, 94.
284
Cf. n.000.
285
Sur les fouilles en Géorgie, la bibliographie est surabondante et souvent inaccessible. Synthèses dans Kacharava
1990-1991 ; Tstetskhladze 1992. Sur Phasis, voir la synthèse de Lordkipanidze ** et pour un mise au point récente,
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 60

Ochamchire, n'est pas assurée286. Il n'y a pas de raison probante de l'identifier avec Cycnus de
Mela287. Quant à Aia, il y a eu suffisamment d'établissements colchidiens dans la vallée du Phase
pour qu'à des moments différents l'un ou l'autre ait pu se réclamer de Médée. Enfin on ne pourra pas
s'appuyer sur le Périple pour décider si Dioskourias a été ou non une cité grecque dès l'origine : la
question de la colonisation grecque en Colchide a fait l'objet d'une littérature surabondante et
polémique, à laquelle malheureusement le Périple ne peut rien apporter288. La comparaison entre
Pline et le Périple ouvre une piste intéressante. Pour la vallée du Phase, Pline propose une
géographie du fleuve qui intègre Aia en l'accompagnant d'une collection de toponymes de même
inspiration :
Heniochi, flumen et oppidum Penius, Cygnus opp., gens Sanigae, a Phaside C. Sebastopolis
castellum, gens Absilae, amnes Chrysorrhoas, Astelephus, Thersos, Sigama, regio Egritice, flumen
Rhoan, Chobum e Caucaso, gentes Saltiae antiquis Phtirophagi et alia Sanni, flumen Charien,
flumen Glaucum, Surium, amnes Hippos et Cyaneos, Aea (XV XV p. a mari)289.
Ces toponymes pourraient relever d'une source commune, mais avoir disparu du Périple au moment
de la mise en forme périplographique.
4.7. La côte jusqu'à Trapezous.
— Les § 82-85. — Texte retenu. Βούσηρες. Μετὰ δὲ τοὺς Κόλχους, Βούσηρες ἔθνος
καὶ Δαραανῶν ποταμὸς καὶ Ἀρίων ποταμός. Ἐκεχειριεῖς. Μετὰ δὲ Βούσηρας, Ἐκεχειριεῖς
ἔθνος καὶ ποταμὸς Πορδανὶς καὶ Ἀραβὶς ποταμός, Λίμνη πόλις, Ὡδεινιὸς πόλις Ἐλληνίς.
Βεχειρική. Μετὰ δ' Ἐκεχειριεῖς, Βέχειρες ἔθνος, Βεχειρικὸς Λιμήν, Βεχειρὰς πόλις
Ἑλληνίς. Μακροκέφαλοι. Μετὰ δὲ Βέχειρας, Μακροκέφαλοι ἔθνος καὶ Ψωρῶν Λιμήν,
Τραπεζοὺς πόλις Ἑλληνίς. — Apparat.Βούσηρες, Βούσηρας : Βύζηρες, Βύζηρας
Müller ; Ὡδεινιὸς : Ὠδεινιὸς, Müller ; Βέχειρες : Βέχειρος D, Βέχειροι Müller ; Βεχειρὰς :
Βεχειριὰς, Müller ; Τραπεζοὺς : Τραπετοὺς D. — Traduction.(§ 82) Bousères. Après les
Kolchoi, il y a le peuple des Bousères, le fleuve Daraanôn, le fleuve Ariôn. (§ 83) Ekecherieis.
Après les Bousères, il y a le peuple des Ekecherieis, le fleuve Pordanis, le fleuve Arabis, la cité de
Limnè, la cité grecque d'Hôdeinios.(§ 84) Becheirichè. Après les Ekecheirieis, il y a le peuple des
Becheires, Becheirikos Limèn, la cité grecque de Becheiras. (§ 85) Makrokephaloi. Après les
Becheires, il y a le peuple des Makrokephaloi, Psôrôn Limèn, la cité grecque de Trapezous. —
Notes.Dans ce chapitre, Eux. confirme le texte du manuscrit, mais la localisation des toponymes
relève de son interprétation :
Ἀπὸ δὲ Ἀψάρου ποταμοῦ ἕως Ἀρχάβεως ποταμοῦ πρώην ᾤκουν ἔθνος οἱ λεγόμενοι
Βούσηρες, νῦν δὲ οἰκοῦσι Ζυδρίται.
Ἀπὸ οὖν Ἀρχάβεως ποταμοῦ ἕως Ὀφιοῦντος ποταμοῦ πρώην ᾤκουν ἔθνος οἱ λεγόμενοι
Ἐκχειριεῖς, νῦν δὲ οἰκοῦσι Μαχέλωνες καὶ Ἡνίοχοι.
Ἀπὸ οὖν Ὀφιοῦντος ποταμοῦ ἕως Τραπεζούντων πρώην ᾤκουν ἔθνος Βέχειρες (Βόχειρες,
ms) λεγόμενον, νῦν δὲ οἰκοῦσι Κόλχοι290.
— La côte, de l'Apsaros à Trapezous.
— Géographie et implantation des cités. Pour savoir où se situaient les cités grecques que
mentionne le Périple entre la Colchide et Trapezous et comprendre leur rôle, on ne peut procéder
que par inférence : les sites choisis pour les établissements antiques sont restés favorables aussi
longtemps que les modes d'échanges et les conditions de navigation sont restés les mêmes, par
exemple à l'époque de l'empire de Trébizonde. Dans leur analyse des fondations byzantines sur la

Clavel-Lévêque & Faudot 2002 : "De fait, la question du statut de Phasis et de l'organisation de son territoire est
largement ouverte".
286
Elle est en général admise par la bibliographie, p. ex. Hind 1983-1984, 92 ; contra Tstetskhladze 2000, 147.
287
Mela, 1.110 ; Braund 1994, 103, l'admet.
288
Voir supra, chap. colonisation ou analyse des sources**
289
Plin., Nat., 6.4, ordre inversé.
290
Eux. 9V3-4 (1B), 9V2 (§ 42 Müller), 9R35 (§ 38 Müller).
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 61

côte pontique, B&W retiennent trois facteurs : la présence de routes d'accès vers l'intérieur, leur
valeur comme port, leur valeur agricole.
— L'accès à l'arrière-pays.
Les vallées des fleuves côtiers donnent accès à l'une des principales routes de pénétration en
Anatolie centrale : la vallée du Çoruh Nehri mène à Batumi d'un côté et de l'autre permet de
rejoindre Bayburt, la route d'Erzurum et Erzincan, et donc la vallée du Kelkit Çay (Lykos) vers
l'ouest et celle du Fırat Nehri (Euphrate) vers le sud. Cette même vallée du Çoruh est également
accessible depuis la vallée du Furtuna Dere (=Πρύτανις), qui, comme leYes/il Dere, permet de
passer la chaîne par des cols très élevés au pied du Dilek Dag/i et du Kaçgardag/i. Plus loin, la
région de Sürmene, l'ancien bandon de Sourmaina et Ophis, offre l'accès le plus direct à Bayburt
par trois fleuves, le Kara Dere [=Ὕσσος], l'Istaia, et l'Iyidere (Kalospotamos). Enfin, la route la
plus connue monte vers l'intérieur depuis Trabzon par la fameuse passe de Zigana291.
— Les ports
Il existe peu de mouillages sûrs. Arrien ne signale aucune ville sur son trajet, en dehors des ruines
d'Athènai et de la résidence du roi des Hèniochoi dans son voisinage. Avant lui, Strabon n'en
mentionne pas davantage ; Pline signale le seul fort d'Apsaros, et il n'y a que Ptolémée pour
énumérer un nombre de toponymes équivalent au Périple292.
— Entre Batumi et un cap qui n'est signalé, même sur les cartes de la marine britannique,
que par le Kız Kalesi de Pazar, la côte ne présentait pas d'abri (le port de Hopa est moderne) en
dehors d'Athènai (Pazar), médiocre mouillage293.
— Entre ce cap Kéméré et le Fici Burnu, la côte n'offrait qu'un mouillage médiocre à Rize
avant la construction du port moderne, bien que Justinien ait fait fortifier le site en raison de son
importance stratégique.
— Dans la région de Sürmene, se trouvait le meilleur mouillage de la région : "The shelter
afforded by the headland of Araklı Burunu makes the mouth of the river an excellent anchorage …
the delta is a wide area of flat land suitable for cultivation". C'est là que B&W ont retrouvé un site
"on the Roman model" qu'ils identifient comme le camp mentionné par Arrien à Ὕσσου λιμήν : "It
stands near Canayer, overlooking Kalecik with its medieval castle and settlement on the coast,
Araklı Burunu with its sheltered anchorage, and old Sürmene at the mouth of the Kara Dere"294. Ce
mouillage est également signalé par les voyageurs comme Taitbout de Marigny :
"Un cap situé par le 38 ° de longitude et à 26 milles vers l'E. de Trapézonte, précède de 8 milles
celui de Rizé, qui a quelques brisants. Le petit mouillage qu'il forme à l'E. est assez bon, et peut
recevoir de très gros navires"295.
— Enfin, tout près de Trabzon, à l'est, la baie de Kovata (Trabzon Limanı),"the third port of
Trebizond after Platana and Daphnous"296 :
"About two miles distant there is a third bay, called Kovata, sheltered towards the east, but
somewhat opened to the west. Here vessels arriving to take in a cargo of nuts… anchor during the
month of September"297.
— La valeur agricole.
La région de Trapezous est fertile, mais les conditions se gâtent au fur et à mesure qu'on va vers la

291
B&W 1985, 341-342 ; 324-325. Le Furtuna Dere est le Prytanis d'Arrien.
292
Ptol. 5.6.6, trad. Müller : Ophius, Rhizus portus, Athenarum promontorium, Cordyle, Morthula, Archabis fluvii ostia,
Xyline, Cissae fluvii ostia, Apsorrhus.
293
Ce cap est est signalé par Taitbout de Marigny 1830, 38, sous le nom de cap Kéméré, à 13 milles E. 30° N de Rizé,
"se dirigeant assez brusquement au Nord". B&W 1985, 323 relèvent quelques chantiers navals sur cette partie de la
côte.
294
Arrien, Per.M.Eux., 8 ; B&W 53-54. Le site repéré par B&W est aujourd'hui coupé de son port fortifié par la route
côtière et noyé sous une forêt de noisetiers superbes et impénétrables.
295
Taitbout de Marigny 1830, 38. Mêmes remarques, Fontanier 1834, 290-291.
296
B&W 1985, 320.
297
Spencer 1839, II, 155-158. Sur la valeur de Trapezous comme port, cf. p. 000.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 62

Colchide. Trapezous est renommée pour sa richesse et les colons qui s'y étaient établis y ont trouvé
de quoi vivre :
"Le climat de Trébizonde est sain et, comme je l'ai dit, fort tempéré. Les montagnes étant situées à
une faible distance, on peut y obtenir toutes sortes de récoltes, mais en petite quantité ; les habitants
sont d'ailleurs peu experts en agriculture et les fruits qu'ils recueillent sont à peu près ce que les fait
la nature. [citrons énormes, olives]. Ce qui n'est point indigne de remarque, c'est l'époque de la
maturité du raisin. Là, comme au pied des Pyrénées, on ne le coupe qu'au milieu de décembre, et
même aux premiers jours de janvier, ce qui tient évidemment dans l'un et l'autre pays à ce que les
montagnes placées au sud interceptent les rayons du soleil"298.
La grappe de raisin figure d'ailleurs sur les monnaies de Trapezous.
Il en va de même de la région de Rize :
"Rizé est le pays le plus pittoresque que j'aie vu de ma vie… Le bazar et la ville sont au bord de la
mer ; des maisons ombragées par des bosquets paraissent de toutes parts ; des collines cultivées et
couronnées de beaux arbres s'élèvent en amphithéâtre. Les habitants de Rizé sont riches et
industrieux ; ils ont quinze bâtiments de commerce et ils comptent dans la marine ottomane une
centaine de reïs ou capitaines. Le pays produit les meilleures oranges et les meilleurs citrons de
toute la côte"299.
Il faut y ajouter les ressources minières de l'arrière-pays et la pêche300.
Comme le remarquent B&W, la réputation de Trapezous devait être bien assise pour que les Dix
Mille la choisissent comme but de leur anabase. Mais le succès de Trapezous avait pu tromper
d'autres colons, car les conditions (en particulier pluviométriques) changent radicalement à 20
kilomètres de distance. Entre Trabzon et Rize, déjà, la côte se partage entre marécages côtiers et
vallées suspendues, et l'humidité ambiante n'est pas favorable à la culture des céréales communes301.
Les vallées sont très boisées, l'agriculture difficile et on faisait appel à l'époque byzantine aux
importations depuis Guriel et la Mingrélie302. Au nord de Rize les montagnes se rapprochent encore
de la côte, la forêt est plus dense encore et les ressources plus rares303. Le processus de sélection a
pu être progressif et les premiers arrivants dans la région y chercher des conditions qu'ils n'y ont pas
trouvé. Sur cette partie de la côte, les habitants des cités côtières ne pouvaient subsister qu'en
trouvant une monnaie d'échange avec des populations dont l'économie est encore construite sur les
migrations saisonnières entre les stations d'hiver sur la côte et les stations dans les pâturages d'été en
montagne (yayla). Le sel, les produits manufacturés ont dû en représenter une partie. Dans ce fragile
équilibre entre la tolérance de leurs voisins et le cordon maritime dont ils étaient les échelles vers
des zones plus attrayantes (la Colchide et le nord du Pont), la survie était de toute façon aléatoire.
Quelle puissance politique a soutenu ces villes disparues? L'archéologie donne quelques clés : "La
situation attestée en Colchide pourrait être ainsi résumée : les importations les plus anciennes,
concernant surtout la fin du VIIe s. a.C. et la première moitié du VIe s. a.C., proviennent d'ateliers
gréco-orientaux. A partir du dernier tiers du VIe s. a.C., débute l'importation attique, prédominante
au Ve s. a.C. : la plupart des trouvailles ont été faites dans la métropole de Pichvnari – le seul site
purement grec connu aujourd'hui dans toute la Colchide –, et dans les établissements côtiers, à
proximité immédiate de l'emplacement supposé des colonies. Dans l'arrière-pays, l'importation est

298
Fontanier 1834, 81-82. Spencer 1839, II, 158 signale aussi différentes sortes de noix, le lin et le chanvre.
299
Fontanier 1834, 297. Taitbout de Marigny 1830, signale orangers, citronniers, maïs. La région se consacre aujourd'hui
à la culture du thé, où, comme partout ailleurs sur cette côte, des noisettes.
300
Voir à ce sujet Cuinet 1893.VI. 17-22.
301
Aujourd'hui le maïs et le riz ont pris la place de la céréale locale, sans doute du gom de Chardin 1686,74.
302
B&W 1985, 323.
303
C'est une des dernières forêts primaires d'Eurasie. Fontanier 1834, 308, "Les principaux produits du pays sont le maïs,
le bois de buis, et sur la montagne la cire et le miel". Sans le riz et le maïs, cela laisse peu de choses. Plus au nord,
Chardin 1646, 69-74 remarque par exemple que les Abkhazes "ont besoin des mêmes choses que leurs voisins
(Circassiens) et n'ont comme eux à donner en échange que des créatures humaines, des fourrures, des peaux de daim et
de tigre, du lin filé, du buis, de la cire et du miel".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 63

attestée surtout dans les sépultures de l'aristocratie locale (à Vani, à Saïrkè, à Ikhvissi), et en nombre
infime dans les grandes localités ou sur leur territoire "304. Milésiens, Sinopéens, Athéniens peut-
être ; quoi qu'il en soit, les implantations dont le Périple se fait l'écho ont disparu : il fallait une
volonté politique comme celle dont fait montre Sinope avec les Dix Mille, ou les Romains pendant
les guerres d'Arménie, ou les Byzantins et les Ottomans dans leurs luttes contre les Iraniens305. Que
cette puissance disparaisse, comme cela a dû être le cas en 404 lorsque Lysandre chasse les
Athéniens ou lorsque Sinope passe sous la domination perse, ou comme aujourd'hui avec la
décomposition de l'URSS, et les cités de la côte orientale du Pont périclitent. La solution de
continuité entre les toponymes d'une génération à l'autre, l'incapacité des géographes à placer
précisément des peuples qu'ils identifient tant bien que mal avec d'autres (ou les mêmes) par des
glissements (les Makrônes sont presque les Machelones, mais les Machelones sont sans doute les
mêmes que les Makrokephaloi etc.) signent ces tentatives successives et avortées306.
— Ethnographie
— Bousères, Ekecherieis, Becheirichè.
Pour cette liste de peuples que l'on retrouve par bribes plus ou moins étendues chez les autres
géographes, les conclusions de Jacoby, généralement admises, me paraissent critiquables307. Il
retrouve, chez les géographes, un certain nombre de similitudes, en effet incontestables : Hécatée :
Kolchoi, Dizeres, Choi, Becheiroi, Macrones, Mares, Mossynoikoi, Tibarènoi, Chalyboi, Syrioi ;
Ps-Skylax : Kolchoi, Byzères, Echecheirieis, Becheiroi, Macrokephaloi, Mossynoikoi, Tibarènoi,
Chalybes, Assyria ; Mela/Pline : Kolchoi, Buxeri, Bechires, Macrocephali, Mossyni, Tibarani,
Chalybes, Leucosyri. Mais il postule qu'Hécatée est la source commune des listes qu'il reconstruit,
en particulier dans le Périple ; or cette reconstruction est extrêmement artificielle : comme l'avait
remarqué Peretti, ce classement ne tient aucun compte de la localisation des peuples et en particulier
de celle des Chalyboi308. Sans m'arrêter aux différences entre Syriens, Assyriens et Leukosyroi, ou
entre Chalyboi et Chalybes, entre Mossynoikoi et Mossyni, Dizeres, Byzères et Buxeri, je m'en
tiendrai aux aspects les plus "résistants" des listes, les positions respectives des peuples et leur
localisation. Le passage d'Hécatée où figurent des peuples mentionnés par le Périple concerne les
Choi, les Becheires et les Dizères : "Jusque là, c'est la Becheirikè, à la suite viennent les Choi", et :
"Les Choi sont les voisins orientaux des Dizères"309. La séquence d'est en ouest est donc : Dizères,
Choi, Becheires, soit la séquence du Périple, au remplacement près des Choi par les Echecheires, et
en admettant l'équivalence Byzères/Dizères. Rien, dans le passage d'Hécatée, ne permet de placer
cette séquence dans un contexte particulier, puisque nous ne savons pas à l'ouest de qui sont les
Dizères ni à l'est de qui sont les Becheires. On ne sait d'ailleurs pas comment était orientée la côte
pour Hécatée dans le F 207 : dans une énumération périplographique, être "du côté du soleil levant"
par rapport à un autre peuple sur une côte NO-SE et sur une côte NE-SW prend un sens tout autre :
les peuples énumérés apparaissent dans un ordre différent selon qu'ils sont au nord ou au sud de
Dioskourias. Si l'on suivait Pline et Mela, on pourrait tout autant les situer dans l'arrière-pays de
Kerasous-Giresun310. Mais Strabon, mentionnant les Heptakômètai qui occupent les crêtes de la

304
Kacharava & al., 85. Cela laisse pensif sur la validité des sources littéraires pour définir des flux commerciaux ou
même une présence coloniale. Quel sens attacher à la réaction des Dix Mille à l'idée d'aller fonder une colonie sur le
Phase, Xen., An., 5. 6.36-5.7.9?
305
Sur la nécessité pour les Romains de recréer, après la révolte d'Anicétus, ces échelles disparues, cf. Cumont 1923.
306
Cf. Koshelenko & Kusnetsov 2000, 22, à propos de Gyènos en Colchide : "The disappearance of Gyenos…remains a
fact. There is no such disappearance among the cities of the Bosporus, where the places mentioned in earlier sources are
all mentioned later and, in fact, new ones are added".
307
Jacoby ad 1F 202-208.
308
Peretti 1979, 458-459, et aussi l'étude de Dorati 1999-2000. Sur les Chalybes, voir infra.
309
1 F 207 = St.Byz. s. Χοῖ· ἔθνος Βεχείρων ἐγγύς. Ἑκαταῖος ἐν Ἀσίαι· "Ἐς μὲν τοῦτο ἡ Βεχειρική, ἔχονται δ'
αὐτῶν Χοί". Καὶ πάλιν· "Μέχρι μὲν τούτων Χοί". Καὶ πάλιν· "Χοῖσι δ' ὁμουρέουσιν πρὸς ἥλιον ἀνίσχοντα
Δίζηρες".
310
Plin., Nat., 6.4 ne cite aucun toponyme entre Trapezous et l'Apsaros, mais un patchwork à peu près incompréhensible
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 64

chaîne du Skydisès en Colchide, là où elle touche à la Moschikè, dit que certains d'entre eux
"étaient aussi connus sous le nom de Byzères"311. La Moschikè étant la région des monts Meskhètes
de Géorgie, et la chaîne du Skydisès correspondant aux Karadeniz Dag/ları, et plus spécialement
dans leur extrémité orientale où ils deviennent les Kaçkar Dag/ları, c'est le meilleur indice dont
nous diposions pour situer la séquence d'Hécatée et du Périple sur la côte pontique entre Batumi et
Trabzon312. Comme les Kolchoi du chapitre précédent, ces peuples font partie de l'ensemble
ethnographique où se retrouvent les Phasiens ou les Scythes d'Hippocrate ou les Macrokephaloi.
Ces peuples sont souvent caractérisés par un geste ou une conduite emblématique comme les
Mossynoikoi, les Chalybes, ou, plus au nord, les Achaioi, les Hèniochoi, ou les Gelônes et les
Melanchlainoi : tous représentent une littérature ethnographique qu'évoquent d'autres noms comme
Λῃστῶν ποταμός, Ψωρῶν Λιμήν, ou les Ἐκεχειριεῖς –peut-être le peuple des Mendiants313.
Mais si ces noms donnent sa couleur au passage, ils ne permettent pas d'en déterminer la source ni
de situer les peuples ou des cités qui les portent314. Car l'originalité du Périple est de situer 6 villes
dans cette région, dont deux sont qualifiées de λιμήν, une de πόλις, et trois de πόλις Ἑλληνίς, un
maillage serré pour une contrée apparemment aussi reculée. La présence de navires de commerce
est cependant attestée, quoique de façon indirecte, par Xénophon : à Trapezous, les Dix Mille
réussissent en effet à capturer un nombre suffisant de navires pour convoyer les malades, les
femmes et les enfants, et leur butin ; ces navires sont arraisonnés, leur cargaison débarquée et
stockée sous bonne garde, mais non pillée, ce qui implique peut-être que ce sont des bateaux de
commerce grecs315. On en est donc réduit, plus encore qu'ailleurs, aux reconstructions. Si l'on met
en rapport ce que nous savons de la présence grecque en Colchide, l'existence d'un temple d'Athéna
à Pazar et d'un établissement en ruines au IIe s. p.C., le Périple pourrait être dans ce passage le
témoin de tentatives d'implantations dans cette région du Pont entre le VIe et le IVe s. a.C. L'existence
d'une littérature ethnographique contemporaine sur les peuples de la région, avec ses exagérations et
ses approximations, va dans le même sens. Le déclin de Pichvnari, le silence des sources littéraires
ou géographiques, par la suite, et tout particulièrement de Xénophon, pourrait montrer que ces
tentatives se sont soldées, au moins pour la plupart, par des échecs. Malheureusement, la liste du
Périple ne nous apprend rien d'autre sur ces cités que leur éphémère existence : de la Colchide à
Trapezous, aucune ville n'est mentionnée par les autres historiens ou géographes grecs avant
l'époque impériale. Pline, les historiens latins et plus tard le périple d'Arrien signalent quelques
point d'appui et d'observation qui ne se développent en fait qu'à l'époque byzantine.
— Makrokephaloi. Les Makrokephaloi occupent pour le Pseudo-Skylax la région
de Trapezous. Il paraît logique de penser que Ψωρῶν Λιμήν est Trabzon Limanı dans la baie de
Kovata, immédiatement à l'est de Trabzon. L'origine de ce toponyme ("Port des gales") est
inconnue, incompréhensible en l'état, peut-être la déformation d'une dénomination indigène : il
disparaît totalement par la suite. Il n'y a pas de raison particulière de le rapprocher des
Phteirophagoi de la région de Dioskourias, comme le fait Müller. Les Makrokephaloi sont

entre Amisos et Trapezous, où il mélange plusieurs sources à l'orientation différente. Mela est à peine plus
compréhensible 1.19.107, où l'on suit la séquence dans l'arrière-pays de Trapezous : Ultra [Carambin] Mossyni… Dein
minus feri, uerum et hi inconditis moribus, Macrocephali, Bechiri, Buxeri. Rarae urbes ; Cerasunta et Trapezos maxime
inlustres.
311
Str. 12.3.18. Les Heptakômètai sont aussi des mossynoikoi. Sur la question des Mossynoikoi, voir infra. Une citation
d'Étienne de Byzance, s.v., relève d'une autre source que le Périple, puisqu'elle mentionne un toponyme inconnu du
Périple, Βυζηρικὸς λιμήν.
312
Le sanctuaire de Phrixos mentionné par Str. 11.2.17 semble avoir été voisin de Suram.
313
Qu'on peut rapprocher du mot Ἐκεχειρία (trêve, relâchement ), et surtout d'Ar., Pax, 908, "main tendue". Les
"Pacifiques" ou les"Quémandeurs"?
314
Arr., Per.M.Eux., n'est pas plus précis, avec des noms de peuples différents (§ 11) : lui aussi dipose d'une liste qu'il
énumère sans préoccupation cartographique, la précision revenant dans les listes de fleuves (§ 7 ou 10).
315
An., 5.1.11 : Ὁρῶ δὲ ἐγὼ πλοῖα πολλάκις παραπλέοντα et 5.1.16. Xénophon pense s'appuyer sur le nombre des
Grecs habitant les côtes pontiques pour fonder une colonie.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 65

autrement connus par un passage d'Hippocrate qui ne permet pas de les localiser précisément316.
Chez Mela, on l'a vu, la séquence est la même que dans le Périple mais impossible à situer. Eux. les
identifie avec les Makrônes et les situe entre Trapezous et Kerasous comme Pline (mais Pline est
confus), plus à l'ouest que le Périple317. Pour Jacoby, Hécatée signalait en ce lieu les Makrônes,
comme Apollonios de Rhodes qui énumère Kolchoi, Byzères, Sapeires, Bécheires, Makrônes (je
rétablis un ordre dextrogyre), et Denys d'Alexandrie (mais Denys se contente d'associer Byzères,
Becheires et Makrônes sans vraiment les localiser)318. Naturellement les textes de ces derniers
auteurs ont été à leur tour intégrés à la tradition géographique et ont servi d'argument d'autorité, y
compris à l'époque moderne. La position des Makrônes dans l'arrière-pays de Trapezous est
confirmée par Xénophon, Strabon et Arrien319. Ces divergences amènent à reconnaître des traditions
apparentées, mais différentes, et au moins une source intermédiaire entre le Périple (ainsi que Pline
et Mela) et Hécatée.
4.8. La côte, de Trapezous aux Chalybes.— Les § 86-88.
— Texte retenu.Μοσσύνοικοι. Μετὰ δὲ Μακροκεφάλους, Μοσσύνοικοι ἔθνος καὶ
Ζεφύριος Λιμήν, Χοιράδες πόλις Ἑλληνίς, Ἄρεως νῆσος. Οὗτοι ὄρη κατοικοῦσιν.
Τιβαρηνοί. Μετὰ δὲ Μοσσυνοίκους, ἔθνος ἐστὶ Τιβαρηνοί. Χάλυβες. Μετὰ δὲ Τιβαρηνούς,
Χάλυβές εἰσιν ἔθνος καὶ Γενέσιντις λιμὴν κλειστός, Ἀμένεια πόλις Ἑλληνὶς καὶ Ἰασονία
ἄκρα καὶ πόλις Ἑλληνίς. — Apparat.Μοσσυνοίκους : Μοσσινούς D ; Τιβαρηνούς :
Τιβαρινούς D ; Γενέσιντις : Γενήτης, Müller ; Ἀμένεια : Σταμένεια, Müller ; Ἰασονία :
Ἀσινεία D ; ἄκρα καὶ πόλις : ἀκρόπολις D, Müller. — Traduction.(§ 86) Mossynoikoi.
Après les Macrokephaloi, il y a le peuple des Mossynoikoi, Zephyrios Limèn, la cité grecque de
Choirades, l'île d'Arès. Ces gens habitent les montagnes. (§ 87) Tibarènoi. Après les Mossynoikoi, il
y a le peuple des Tibarènoi. (§ 88) Chalybes. Après les Tibarènoi, il y a le peuple des Chalybes, le
port clos de Genesintis, la cité grecque d'Ameneia, le cap et la cité grecque d'Iasonia. —
Notes.J'ai préféré conserver l'orthographe du manuscrit pour Γενέσιντις en admettant qu'il n'est
devenu qu'ensuite le cap Γενήτης (Arrien, Étienne). Je préfère adopter la correction de Müller,
Ἰασονία, pour Ἀσινεία, dans la mesure où Xénophon mentionne le cap sous ce nom ; ἄκρα καὶ
πόλις me paraît préférable320. Il faut conserver Ἀμένεια, bien qu'Ἀμένεια ne se ramène à aucun
toponyme connu : la correction en Σταμένεια s'appuie sur l'hypothèse que les Chalybes d'Hécatée
sont établis sur la côte pontique, hypothèse que rien ne confirme. Μοσσινούς est une faute pour
Μοσσυνοίκους bien que la forme Μοσσυνούς se trouve chez Nicolas de Damas et soit normale à
l'époque byzantine ; le nom semble s'orthographier principalement avec deux σ à l'époque classique
et avec un seul par la suite.
—Ethnographie.

316
Hp., Aër., 14.1-15. Jouanna 1996 ad loc. renvoie à Str. 11.11.8, passage qui, selon Lasserre ad loc., fait allusion au
peuple des Μακρόκρανοι, pour lequel Tz., H., 7.764, renvoie à "un" Apollodôros ; mais les critiques de Strabon (voir
supra p.**) ne permettent pas d'identifier précisément la source utilisée par le Ps-Skylax, Pline et Mela.
317
Marcotte 2000 ne le retient pas parmi les fragments de la Périodos.
318
Hecat., FGrHist 1F206. Apollonios, 2.1242-1245, introduit dans la liste les Philyres et les Sapeires, empruntés à
Nymphodôros selon Vian 1976 ad loc. Outre Denys 765, [Orph.], A., 738-741 et 750-755 mentionnent à la fois les
Ekecheires, les Byzères et les Saspeires. Les premiers sont associés aux Tibarènoi et aux Mossynoikoi ; les suivants, qui
dans la liste d'Apollonios prennent la place des Choi d'Hécatée et des Echecheires du Ps-Skylax, sont chez Hérodote un
peuple du 18e nome, rattaché aux Alarodioi et aux Matiènes, mais surtout situé au nord des Mèdes et au sud des Kolchoi
dans la description de l'Asie 4.40, et à différentes reprises (en particulier 1.110). On relève également, empruntée au
Périple, une citation d'Eux., 9V2 (§ 42 Müller) : Ἀπὸ οὖν Ἀρχάβεως ποταμοῦ εἰς Ὀφιοῦντα ποταμὸν πρῶτον
ᾤκουν ἔθνος οἱ λεγόμενοι Ἐκχειριεῖς, νῦν δὲ οἰκοῦσι Μαχελῶνες καὶ Ἡνίοχοι.
319
Ce qui irait dans le sens de Marcotte 2000 qui fait de Lycophron et Apollodore des lecteurs du Périple, dont la
fortune pourrait être liée à son utilisation par la poésie hellénistique. Or on sait que la recherche de sources locales ou au
moins hétérodoxes a alimenté la poésie aitiologique de l'école de Callimaque. On imaginera volontiers que le Périple ait
été alors exhumé par les érudits athéniens.
320
Le mot ἄκρα est utilisé à plusieurs reprises pour désigner un cap (§ 27, 46 66, 111, 112) et dans l'association ἄκρα
καὶ πόλις aux § 102 et 110. Sur son sens en architecture militaire, cf. Robert 1970, 595-596.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 66

— Mossynoikoi.
Les Mossynoikoi du Périple sont situés dans leur terroir habituel à l'ouest de Trapezous321. Le
Périple ne s'attarde pas sur leurs coutumes, ce qui implique non une méconnaissance de leur
histoire comme a pu le prétendre Peretti, mais au contraire un désir de localiser pour le lecteur un
peuple bien connu dans un contexte non géographique. Les Mossynoikoi sont caractérisés
fondamentalement par leur habitat, la tour de bois, μόσυν, à quoi ils doivent leur nom322. Les
mossynoikoi, on l'a vu, sont présents partout sur la côte pontique : le style d'habitation à armature de
bois qui les caractérise y est général, et le reste encore aujourd'hui323. A l'époque classique, les
Grecs sont surtout frappés par l'usage d'enfermer le roi dans la plus haute des tours. Le témoin
privilégié et direct des usages des Mossynoikoi est Xénophon. En quittant Kerasous, les Dix Mille
arrivent dans leur territoire, où ils font au total huit étapes. Ils négocient un traité d'alliance avec
certaines tribus contre d'autres et les aident à s'emparer de Mètropolis, au sommet de leur territoire.
A l'occasion de la prise d'une des places fortes, Xénophon raconte la façon dont le "roi" de la place
"qui se trouvait dans la tour de bois bâti au sommet du lieu, roi qu'ils nourrissent en commun tant
qu'il reste là et sur lequel ils veillent, ne voulut pas en sortir, pas plus que dans le premier fort qu'ils
avaient pris, mais qu'ils les brûlèrent avec leur tour." Dans le pillage des places fortes, les Grecs
trouvent des pains, du dauphin en conserve, des châtaignes et du vin. Ils y trouvent des enfants
nobles obèses tatoués et pour Xénophon, ces gens "qui font en public ce que les autres font en
privé" sont les plus sauvages de tous les peuples rencontrés. Certains historiens se contentent sans
doute de renchérir sur ce substrat324. Mais d'autres allusions permettent de vérifier que les contacts
entre Grecs et Mossynoikoi étaient courants et multiples : ainsi deux fragments d'Aristophane
mentionnent des μοσσυνικὰ μαζονομεῖα, de grands plateaux de bois à pétrir la farine (la région
est aujourd'hui encore grande productrice d'instrument de cuisine en bois de buis et de meubles en
noyer)325. Athénée mentionne pour sa part l'usage de mélanger du poisson à la nourriture du
bétail326. Aristote connaît l'existence d'un bronze exceptionnel sans étain obtenu chez les
Mossynoikoi, dont le secret est perdu327.

321
Hecat., FGrHist 1F203-205 ; Xen. 5.4-5 ; Éphore 70F43 ; Arist., Cat., 6.37 F265 ; Nicolas de Damas 90F103h.
322
Ps-Zonaras, s. μόσυν· ξυλίνην οἰκίαν, ἢ τὸ ξυλόκαστρον, ὁ μόσυν, καὶ κλίνεται τοῦ μόσυνος. Le terme de
μόσυν est entré dans le vocabulaire militaire pour désigner une tour de bois ou la partie en bois du rempart, Aen.Tact.
33.3. Le nom survit à l'époque byzantine, Anne Commène, Alexiade, 4.1.2. Chez les poètes hellénistiques, il désigne
poétiquement un rempart de bois, Callimaque, F 43.68 Pfeiffer ; Lycophron 433, 1432.
323
B&W, 1 : "On the seaward side of the mountains, the traditional houses are either constructed of wood with masonry
fireplace and chimney, or else a timber frame with an infilling of brick or stone, whereas on the plateau houses are
either of mud brick or stone, with wooden beams used only to support a flat mud roof". Fontanier 1834, 300 : "[Kız-
Kale] Derrière le cap est l'emplacement d'Athènes dont il ne reste aucun vestige… On ne voit que des bois au milieu
desquels sont de rares cabanes placées sur quatre poutres élevées ; c'est la résidence des naturels qui par ce moyen
échappent aux reptiles, aux loups et aux sangliers fort abondants dans le pays".
324
Xen., An., 5.4.2 et 5.4.15-16. Ces traits reviennent ensuite chez les auteurs qui mentionnent les Mossynoikoi, p. ex.
A.R. 2.1018-1020 ; Périodos 900-905 ; Éphore 70F43 (cf. Marcotte 2000 ad F 22 et p. 65-69) ; Nicolas de Damas
90F103h ; synthèse, Eux., 9R 25-28 (§ 35 Müller). Les Mossynoikoi étaient également mentionnés par Eudoxe, sans
qu'on puisse en dire plus, Eudoxe, F 281 = St.Byz., s. Μοσσύνοικοι· ἔθνος, περὶ οὗ Εὔδοξος ἐν πρώτῳ Γῆς
Περιόδου. Τὸ κτητικὸν Μοσσυνοικικός.
325
Ar., F 431 Kassel-Austin : σκαφίδας, μάκτρας, Μοσσυνικὰ μαζονομεῖa et la glose d'Hsch., s.v., Μοσσυνοικία
μαζονομεῖα· Ποντικὰ ὁ Δίδυμος ἤκουεν. Οἱ [δὲ] γὰρ Μοσσύνοικοι ἐν Πόντῳ εἰσί. Λέγει δὲ τοὺς ξυλίνους
πίνακας.
326
Ath. 8.35.29. Cela confirme en tout cas la présence des (ou de) Mossynoikoi sur la côte. Au moment de la saison de
l'anchois de la mer Noire, le hamsı, celui-ci est si abondant qu'il sert même à fumer les champs, Cuinet 1893, VI, 21. On
se moque en Turquie des habitants de la mer Noire parce qu'ils mettent de l'anchois partout.
327
Bronze sans étain (arsénieux?), Mir., 835a, 9 : Φασὶ τὸν Μοσσύνοικον χαλκὸν λαμπρότατον καὶ λευκότατον
εἶναι, οὐ παραμιγνυμένου αὐτῷ κασσιτέρου, ἀλλὰ γῆς τινὸς αὐτοῦ γινομένης καὶ συνεψομένης αὐτῷ.
Λέγουσι δὲ τὸν εὑρόντα τὴν κρᾶσιν μηδένα διδάξαι· διὸ τὰ προγεγονότα ἐν τοῖς τόποις χαλκώματα διάφορα,
τὰ δ' ἐπιγιγνόμενα οὐκέτι. Des objets en cuivre à l'arsenic ( VIe s. a.C.) ont été trouvés dans la région de Samsun.
Quant au minerai, on en trouve dans l'arrière-pays de Trabzon et dans la région de Tirebolu, Cuinet, I, 56, en particulier
sur la côte à Esbiye, et 127 pour Gümüs/hane.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 67

La question de la localisation des Mossynoikoi est plus complexe, en raison des contradictions entre
les différentes sources géographiques. Une première série de sources, dont fait partie le Périple, les
situe comme Xénophon. Pour celui-ci, le territoire des Kolchoi de l'Anabase s'étend jusqu'à
Kerasous, la région de Vafkikebir, à trois jours de marche de Trapezous, où les Dix Mille entrent
dans le territoire des Mossynoikoi. Ils y font huit étapes, mais ce sont des étapes de combat avec des
incursions vers l'intérieur, ce qui n'implique pas une grande distance ; difficile de dire si la rencontre
avec les Chalybes est comprise ou non dans ce décompte. Les Dix Mille ont encore deux étapes à
faire à travers le territoire des Tibarènoi avant d'arriver à Kotyôra (Ordu). Il y a deux cents
kilomètres par la route moderne de Trabzon à Ordu. Quelle est la frontière occidentale des
Mossynoikoi? Pour Hécatée, comme pour le Périple, leur territoire inclut Choirades, aux environs
de Giresun328. Apollonios de Rhodes fixe leur frontière à l'île d'Arès, également à proximité de
Giresun. Xénophon note un changement d'aspect de la côte lorsqu'il arrive chez les Tibarènoi, ce
qui correspondrait aux transformations du paysage à ce niveau329. En ce qui concerne les
Mossynoikoi, il n'y a donc pas de contradiction dans ce passage entre Hécatée, Xénophon et le
Périple. Hérodote est plus vague puisqu'il se contente de les nommer avec le groupe des peuples du
19e nome (Moschoi, Tibarènoi, Makrônes, Mares)330. Ils font partie du même groupe que les
Moschoi pour l'armement (comme les Tibarènoi et les Makrônes). Les Mossynoikoi sont sous le
même commandement que les Makrônes331. Cela ne permet pas de les situer, et traduit l'utilisation
par Hérodote d'une source autre que géographique. Strabon, enfin, qui ignore leur présence entre
Vafkikebir et Giresun, leur attribue deux régions voisines de la Petite Arménie, la Karènitis et la
Derxènè, soit la haute vallée du Karasu depuis l'amont d'Erzurum jusqu'à Tercan, à 100 km à l'ouest
d'Erzurum, conjointement avec les Chalybes ; il fait des Mossynoikoi (dont il explique le nom)
l'ancien nom des populations montagnardes qui occupent les crêtes du Skydisès, et qu'il désigne
sous le nom d'Heptakômètai332. Il est nécessaire d'expliciter ici la configuration de la région pour
Strabon. D'ouest en est à partir d'Amisos (Samsun), Strabon énumère successivement sur la côte la
Themiskyra, la Sidènè, la région de Pharnakeia et celle de Trapezous, puis la Colchide jusqu'au
Phase. La séparation entre ces différents districts côtiers est matérialisée par une succession de caps.
L'intérieur est dessiné par deux chaînes de montagnes : la première est le Skydisès qui longe la côte
pontique pour venir rejoindre les Monts Moschiques, prolongement du Caucase vers le sud-ouest, la
seconde est le Paryadrès, commençant à la Themiskyra avec les Giresun Dag//ları pour rejoindre en
Adjarie les monts Moschiques (Meskhètes) par les Mesçit Dag//ları et les Yalnızçam Dag//ları ; elle
sépare les vallées du Kelkit Çay, du Çoruh Neri et du Karasu, dont les hautes vallées voisinent dans
la région de Bayburt. Les populations qui habitaient ces régions pouvaient effectivement passer soit
pour des populations continentales, soit pour des populations côtières. L'hésitation des géographes
anciens, ou leur prudence, s'explique largement par une bonne compréhension de la géographie
physique de la région pontique. Un peuple de Petite Arménie peut apparaître sur la côte pontique
presque 200 km plus à l'ouest : entre la chaîne du Skydisès et celle du Paryadrès après la Petite
Arménie, les Chaldaioi et les Tibarènoi par exemple occupaient les vallées du système montagneux
qui sépare la vallée du Kelkit Çay de la mer Noire. Ils avaient accès à la mer par celles qui
débouchent sur la mer Noire, à Ünye, à Ordu, à Giresun333. Comme on l'a vu, par exemple pour la
Tauride, la démarche du périplographe réduit ces peuples à la portion de la côte, souvent très
étroite, à laquelle touche leur territoire ; Hérodote, ou les chorographes, décrivent au contraire
328
Hecat., FGrHist 1F204 = St.Byz. s. Χοιράδες· πόλις Μοσσυνοίκων. Ἑκαταῖος Ἀσίαι· "Τιβαρηνοῖσι δὲ πρὸς
ἥλιον ἀνίσχοντα Μοσσύνοικοι ὁμουρέουσιν. Ἐν δ' αὐτοῖσι Χοιράδες πόλις". Voir infra, à propos des Chalybes.
329
A.R. 2. 379-383 ; 1015-1016 ; 1115-117. Xen., An., 5.2 = B&W, 8 ; 19 ("The stretches between Ordu and Giresun,
and between Platana and Sürmene present no great obstacles to a coastal track").
330
Hdt. 3.94.
331
Hdt. 7.78.
332
Str.11.14.5 et 12.3.18.
333
Torul et Tirebolu, par exemple, communiquent par la vallée du Harsit Çay bien que la route y soit difficile, B&W, 47
: "The Philabonites, … runs through and exceedingly deep gorge over much of its length between Ardasa and the sea".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 68

l'ensemble de leur territoire, et donc sa partie la plus grande, la partie continentale.


— Tibarènoi.
Comme les Mossynoikoi, les Tibarènoi/Tibaranoi sont caractérisés par quelques usages récurrents
dans la littérature historique et géographique. Xénophon est peu prolixe, mais Éphore en fait les
voisins des Chalybes et leur donne le rire comme philosophie : "Les Tibarènoi aiment à jouer et à
rire, et considèrent que c'est le bonheur suprême". Apollonios ajoute qu'ils sont "riches en
troupeaux". Le scholiaste d'Apollonios rend hommage à leur sens de la justice, et y ajoute une
coutume dans laquelle on reconnaît la couvade : "On dit que ce sont les plus justes des hommes et
que jamais ils ne s'engageraient dans une bataille contre quiconque avant d'avoir prévenu du jour,
du lieu et de l'heure de la bataille. Dans le pays des Tibarènoi, lorsque les femmes accouchent, elles
prennent soin des hommes". L'usage de se débarrasser des vieillards par pendaison, rapporté par
Porphyre, aurait été abandonné grâce au christianisme334. Comme on l'a vu pour les Mossynoikoi,
ils sont régulièrement associés aux Chalybes335. Ils peuvent servir à désigner par synecdoque la côte
pontique chez Strabon. Leur territoire occupe les derniers contreforts du Skydisès et du Paryadrès
avant le resserrement entre le golfe d'Issos et la partie qui se trouve "entre Sinope et la côte des
Tibarènoi", qui détermine avec l'Halys la chersonèse anatolienne336. Kotyôra-Ordu représentant
pour Xénophon la frontière de leur territoire avec les Paphlagoniens, la frontière orientale de leur
territoire côtier se situait vraisemblablement entre Giresun et Ordu. Cette position est confirmée par
Apollonios qui les place au-delà du cap Genètès, promontoire oriental de la péninsule du cap Jason
(Cap Boon, Vona, Çam Burnu), bien qu'il situe les Chalybes à l'ouest des Tibarènoi comme le Ps-
Skylax337.
— Chalybes.
La question des Chalybes est obscurcie parce qu'ils ont été rattachés, peut-être dès l'époque
classique, à un lieu nommé Alybè et à un peuple des Alizônes, tous deux mentionnés par Homère et
que nul n'a jamais su où situer. Dans le catalogue des forces troyennes, Homère, après avoir nommé
les alliés les plus proches de Troie et avant d'arriver aux Mysiens, Phrygiens et Méoniens, évoque
en effet deux contingents :
Παφλαγόνων δ' ἡγεῖτο Πυλαιμένεος λάσιον κῆρ
ἐξ Ἐνετῶν, ὅθεν ἡμιόνων γένος ἀγροτεράων,
οἵ ῥα Κύτωρον ἔχον καὶ Σήσαμον ἀμφενέμοντο
ἀμφί τε Παρθένιον ποταμὸν κλυτὰ δώματ' ἔνναιον

334
Éphore, FGrHist 70F43 = St.Byz. s. Τιβαρανία· χώρα πρὸς τῷ Πόντωι, πρόσοικος Χάλυψι καὶ Μοσσυνοίκοις.
Τὸ ἐθνικὸν Τιβαρανοὶ καὶ Τιβαρηνοί, καὶ τὸ θηλυκὸν Τιβαρηνίς. Ἔφορος ἐν ‹ε› φησὶν ὅτι· "Τιβαρηνοὶ καὶ τὸ
παίζειν καὶ τὸ γελᾶν εἰσιν ἐζηλωκότες καὶ μεγίστην εὐδαιμονίαν τοῦτο νομίζουσιν. Ὅμοροι δὲ τούτοις
Χάλυβες καὶ τὸ τῶν Λευκοσύρων ἔθνος ; A.R. 2.1011-1014 ; Périodos, 914-916 ; Scholie ad A.R. 2.1010 :
Τιβαρηνίδα γαῖαν· Τιβαρηνοὶ ἔθνος Σκυθίας. Οὗτοι δικαιότατοι λέγονται καὶ οὐδέποτε μάχην τινὶ
συνέβαλον, εἰ μὴ πρότερον καταγγείλειαν ἡμέραν, τόπον, ὥραν τῆς μάχης. Ἐν δὲ τῇ τῶν Τιβαρηνῶν γῇ αἱ
γυναῖκες ὅταν τέκωσι, τημελοῦσι τοὺς ἄνδρας, ὡς Νυμφόδωρος ἐν τοῖς Νομίμοις (FHG II, 379.15). Porph.,
Abst., 4.21 et Theodoret, Graec. Aff. Cur. 9.36.
335
On ajoutera aux références précédentes, Plut., Luc., 14.3 (Tibarènoi, Chaldaioi) ; 19.1. (Tibarènoi, Chaldaioi, Petite
Arménie) ; 14.8 (Kolchoi, Tibarènoi, Cappadociens).
336
Str. 11.14.1. Voir aussi Str. 7.4.3 :"Trapezous… située dans la région de la Tibarènie et de la Colchide" ; 12.3.1. :
"Les régions d'au-delà de l'Halys jusqu'au pays des Tibaranoi et des Arméniens"; Str. 12.1.3 : Ἔστι δ' ὥσπερ
χερρονήσου μεγάλης ἰσθμὸς οὗ τος, σφιγγόμενος θαλάτταις δυσὶ τῇ τε τοῦ Ἰσσικοῦ κόλπου μέχρι τῆς
τραχείας Κιλικίας καὶ τῇ τοῦ Εὐξείνου μεταξὺ Σινώπης τε καὶ τῆς τῶν Τιβαρηνῶν παρα λίας· ἐντὸς δὲ τοῦ
ἰσθμοῦ λέγομεν χερρόνησον τὴν προσεσπέριον τοῖς Καππάδοξιν ἅπασαν, ἣν Ἡρόδοτος μὲν ἐντὸς Ἅλυος
καλεῖ· αὕτη γάρ ἐστιν ἧς ἦρξεν ἁπάσης Κροῖσος· λέγει δ' αὐτὸν ἐκεῖνος τύραννον ἐθνέων τῶν ἐντὸς Ἅλυος
ποταμοῦ. Sur leur territoire probable dans l'empire hittite, voir Forlanni 1997, n. 47.
337
Ap. Rh 2.377, et 1010-1011. Cf. B&W, 8-9 : "[Ordu] The gently rising country of the hinterland to the east of the
town of Kotyôra provides plenty of rich arable and pastoral land… From Kotyôra a route runs inland across the
mountains to Anniaca (Koyulhisar)… seems to have communicated more naturally southeastward with Koloneia and
the plain of Nicopolis (Susheri)".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 69

Κρῶμνάν τ' _Αἰγιαλόν τε καὶ ὑψηλοὺς Ἐρυθίνους.


Αὐτὰρ Ἀλιζώνων Ὀδίος καὶ Ἐπίστροφος ἦρχον
Τηλόθεν ἐξ Ἀλύβης, ὅθεν ἀργύρου ἐστὶ γενέθλη338.
Les Alizônes ont été tantôt les Halizones, parfois rattachés à la Scythie et parfois à la Macédoine,
tantôt les Alazones (rattachés à la Mygdonie, près de Troie pour Hécatée, Ménécrate d'Éléa,
Palaiphatos et Démétrios de Skepsis, Alybè étant transformée en Alopé), tantôt les Amazonoi
(rattachés à la région de Kymé pour Éphore)339. Strabon, qui tente de faire la synthèse, considère
comme une évidence l'identité entre Chalybes et Chaldaioi de l'arrière-pays de Pharnakeia-Giresun,
et l'identité entre l'Alybè (ou Chalybè) des mines d'argent et les Chalybes (ou Alybes) :
"Dans l'arrière-pays des territoires de Pharnakia et de Trapezous, les Tibarènoi et les Chaldaioi se
trouvent jusqu'à la Petite Arménie. [Les dynastes de Petite Arménie] avaient également pour sujets
les Chaldaioi et les Tibarènoi, si bien que leur domination s'étendait jusqu'à Trapezous et
Pharnakia"340 .
Néanmoins, la tradition fait des Chalybes les maîtres de la métallurgie du fer et Xénophon les
rencontre aussi dans la région de Giresun, avant d'arriver à Kotyôra (Ordu). Les voyageurs ont
cherché à identifier ces Chalybes de la côte par leurs mines de fer : Hamilton a par exemple cru les
retrouver dans la région d'Ünye bien que cette ville soit à 50 km à l'ouest de Kotyôra d'où
Xénophon s'embarque pour Sinope. A Ünye, Hamilton trouve des exploitations de surface mobiles
et des charbonniers-métallurgistes indépendants :
"They replied that there were no mines, but that the ore was found everywhere about the hills near
the surface. This they proved by scraping up the soil near their hut with a mattock, and collecting
small nodular masses… Returning to Uniéh, we passed the remains of several forges in places
where the ore had been completely worked out, and where the ground was strewed with ashes"341.
Mais il y a aussi du fer dans la région de la Kerasous de Xénophon, comme l'ont montré les études
des géologues342. La difficulté à situer les Chalybes ne doit cependant pas amener à accepter la thèse
de X. de Planhol qui réduit les Chalybes à leur seul nom et les historiens et géographes à un
catalogue de sources343. La légende grecque d'un peuple inventeur du fer et caractérisé par cette
seule activité a pu suivre les migrations imaginaires des Amazones (par exemple en Scythie comme

338
Β 851-857 : "Pylaimenès au coeur vaillant amenait les Paphlagones de chez les Enetoi, d'où provient une race de
mules sauvages, qui possèdaient Kytôros et avoisinaient Sèsamos, et avaient leurs célèbres demeures non loin du fleuve
Parthenios, et Krômna, et Aigialos et les hauts Erythinoi. Aux Alizônoi commandaient Odios et Epistrophos, depuis la
lointaine Alybè, du pays où naît l'argent". Sur les Paphlagoniens, voir infra, p.**.
339
Eschyle, Prom. 715, Sept 728, les place en Scythie avec d'autres auteurs que Strabon ne nomme pas dans la
discussion de 12.3.19-27 et 14.5.18-29.
340
Str. 12.3.28. Pharnakeia sur sa presqu'île est le débouché sur la mer pour les Chalybes, mais la côte constitue le
territoire de la cité, et ne leur appartient pas : le point de vue de Strabon est différent de celui des géographes qui l'ont
précédé, marqué qu'il est par l'administration romaine. Voir aussi Str. 2.3.19 : Οἱ δὲ νῦν Χαλδαῖοι Χάλυβες τὸ
παλαιὸν ὠνομάζοντο. Même situation, 12.3.29, Τὴν μὲν οὖν μικρὰν Ἀρμενίαν τὸ τελευταῖον εἶχεν ὁ Ἀρχέλαος.
Τοὺς δὲ Τιβαρηνοὺς καὶ Χαλδαίους μέχρι Κολχίδος καὶ Φαρνακίας καὶ Τραπεζοῦντος ἔχει Πυθοδωρίς. Pline,
parallèlement aux Chalybes de la côte (à l'ouest de Kotyôra, 6.4) connaît aussi des Armenochalybes dans l'arrière-pays
de Trapezous.
341
Hamilton 1842, 277.
342
Cf. Bryer 1982, 135 : "Chalybian Iron : Tylecote's first sample of iron sands from the mouth of what is now named
the Kirazlik River and the nearby village, 42 km west of Trebizond… near Vafkikebir. Tylecote's second batch of sands
comes from beaches scattered from just west of Oinaion (Unye) to just west of Kotyôra (Ordu), including one opposite
Arrian's "Island of the Cilicians" (Hoynat) on Cape Jason (Yasun). Cuinet 1893, I, 89, à propos du sandjak de Djanik
(entre Ordu et Samsun) : "Mines : On voit dans la partie haute de la contrée, fort mal partagée sous le rapport des
ressources agricoles, beaucoup d'affleurements de minerais divers, tel que fer, plomb et argent, ainsi que des
excavations antiques." J'ai moi-même ramassé de cette sorte de sable noir sur une plage au nord de Pershembe.
343
De Planhol 1963, 303-304. Même point de vue, Yalçin 1999, 185 : "The latest work … shows that steel was used
deliberately in Anatolia in the first millenium BC. These Urartian (ninth-seventh century) and Milesian (seventh-sixth
century) weapons and daily tools were made of steel… In this situation, it is no coincidence to find in Greek texts of the
first millenium BC the words khalibs for steel and sideros for iron used together".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 70

chez Eschyle), mais elle s'est ancrée à l'existence des Chalybes continentaux de l'arrière-pays344.
La question est de déterminer à quelles traditions se rattache le Périple.
— Hécatée de Milet.
Les fragments subsistants d'Hécatée sont peu nombreux, recueillis chez Étienne de Byzance et le
scholiaste d'Apollonios de Rhodes. Selon Strabon, Hécatée localisait, on l'a vu, les Alizones
d'Homère aux environs du lac de Daskylitis, en Mygdonie345. Il ne rapprochait donc pas ses
Chalybes de l'Alybè homérique. Le fragment d'Hécatée cité par Étienne s. Χάλυβες est complexe
et disparate. L'en-tête est d'Étienne lui-même, Χάλυβες, περὶ τὸν Πόντον ἔθνος ἐπὶ τῷ ποταμῷ
Θερμώδοντι. Suit une citation d'Eudoxe (F 282 Lasserre), περὶ ὧν Εὔδοξος ἐν πρώτῳ "ἐκ δὲ
τῆς Χαλύβων χώρας ὁ σίδηρος ὁ περὶ τὰ στομώματα ἐπαινούμενος ἐξάγεται" ("le fer exporté
du pays des Chalybes est renommé pour son tranchant"). Viennent ensuite des remarques d'Étienne
(sur le texte homérique) qui précèdent la citation d'Hécatée : Καὶ Χάλυβοι παρ' Ἑκαταίῳ
"Χαλύβοισι πρὸς νότον Ἀρμένιοι ὁμουρέουσι" (les Arméniens sont les voisins méridionaux des
Chalyboi)346. Si d'autre part on tente de reconstituer la succession des peuples d'est en ouest à partir
des fragments épars, Hécatée mentionne, on l'a vu, Choirades chez les Mossynoikoi, dans le
voisinage desquels se trouvent les Mares ; le même fragment fait des Tibarènoi les voisins
occidentaux des Mossynoikoi, mais il est impossible de dire qui se trouve à l'ouest des Tibarènoi347.
Les fragments localisables suivants portent sur les Leukosyroi, chez lesquels Hécatée situe Enetè,
qu'il assimilait à Amisos, Teiria, Lykastos et Chadisia, la plaine de la Themiskyra se situant entre
cette dernière cité et le fleuve Thermôdôn348. Plus à l'ouest, on trouve Sinope (fondation des
Amazones). Hécatée mentionnait également les Makrônes, pour lesquels Étienne accepte, à la suite
de Strabon, l'identification aux Sannoi et qu'Arrien considère être les Δρίλαι de Xénophon – qui
sont les Tzanoi à l'époque byzantine, le bandon de Chaldia recouvrant la haute vallée du Harsit Çay
(Philabonitis), avec pour centre Gümüshane et Torul349.
— Hérodote.
Il ne mentionne les Chalybes qu'une fois, dans une énumération des peuples de la rive gauche de
l'Halys soumis à Crésus, entre Mariandyniens et Paphlagoniens. Impossible de savoir pourquoi ils
sont là, soit qu'Hérodote imagine un coude de l'Halys, soit que ce catalogue soit l'héritage d'une
autre géographie, ou qu'il y ait eu, à un moment de l'histoire, un peuple identifié par Hérodote
comme des Chalybes à l'ouest de l'Halys. Quant aux Chalybes-Chaldéens d'Hécatée, leur place est
entièrement occupée par les Makrônes et leur vaste territoire se trouve entre Colchide et
Thermôdôn, dans la vallée du Kelkit Çay et les montagnes environnantes, ce qui recouperait
partiellement les informations de Xénophon, Chalybes mis à part.
— Xénophon.
Xénophon est un témoin privilégié en raison de son passage dans la région, mais il dépend de
guides qu'il comprenait mal, de souvenirs personnels flous, et, dans la partie qui nous occupe, les
Dix Mille sont perdus. Les passages de l'Anabase où apparaissent pour la première fois les

344
Comme l'envisage d'ailleurs De Planhol lui-même, p. 303 : "Mais on a cependant bien l'impression dans ce cas d'une
diffusion généralisée et précoce de la métallurgie dans un peuple sédentaire. Peut-être était-ce là que s'était située la
première invention du travail du fer. En tout cas, artisans castés ou peuple technicien, les Khalybes au sens large sont
bien "les forgerons" ".
345
Hecat., FGrHist 1F217 = Str. 12.3.22 : "Dans sa Description de la Terre (ἐν τῇ Γῆς περιόδῳ) [Hécatée] écrit : "Là-
dessus vient la ville d'Alazia (Ἀλαζία), puis le cours de l'Odrysès, issu du lac Daskylitis, qui traverse la plaine de
Mygdonie d'ouest en est et va se jeter dans le Rhyndakos". Il dit encore qu'Alazia est aujourd'hui déserte, que de
nombreux villages des Alazones que traverse l'Odrysès sont habités, et qu'on y vénère Apollon avec des honneurs
inhabituels, surtout près des frontières de la Cyzicène".
346
Hecat., FGrHist 1F203.
347
Hecat., FGrHist 1F204-205.
348
Hecat., FGrHist 1F199 (Amisos), F201 (Teiria), 1F7b (Lykastos, χωρίον), 1F200 (Chadisia), 1F34 (Sinope).
349
Hecat., FGrHist 1F206 ; Xen., An., 4.8.22 ; Str.12.3.17; Arr., Per.M.Eux., 11. Sur la Chaldia byzantine, cf. B&W,
299-302.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 71

Chalybes les situent dans la même région qu'Hécatée puisqu'un kômarque arménien en fait ses
voisins. Les Dix Mille font sept étapes le long d'un fleuve qu'ils croient être le Phase, puis deux
avant de faire face à une armée de Chalybes, de Taochoi et de Phasianoi350. Ils passent en force, font
cinq étapes (apparemment dans les pays des Phasianoi) avant d'arriver chez les Taochoi, puis sept
étapes à travers le pays des Chalybes jusqu'à arriver à l'Harpasos (inconnu par ailleurs) et passer en
Skythène où ils font encore huit étapes jusqu'à la ville de Gymnias (pays et ville inconnu) ; cinq
jours plus tard, ils arrivent au mont Tèchès, traversent le pays des Makrônes (trois étapes), avant de
monter à l'assaut d'une armée des Kolchoi qui tient les hauteurs et de redescendre sur Trapezous
(deux étapes). Les voyageurs qui ont espéré retrouver les traces du passage des Dix Mille, situent
ordinairement le mont Tèchès au voisinage de la passe de Zigana351. Ces Chalybes sont donc loin
dans l'arrière-pays de Trapezous. Parallèlement à ces Chalybes continentaux, Xénophon rencontre
de nouveau des Chalybes avant d'arriver au territoire des Tibarènoi et à Kotyôra, ce qui les situerait
dans la région de Giresun.
— Éphore.
La position des Chalybes chez Éphore n'est pas connue directement, mais dans une citation
rapportée par Étienne, les Tibaranoi sont situés entre Chalybes et Leukosyroi. Comme la position de
ces derniers est déterminée par les embouchures de l'Iris (ou du celle du Thermôdôn) et de l'Halys,
les Tibaranoi d'Éphore sont entre la Themiskyra et un point indéterminé à l'est. Les Chalybes, leurs
voisins, pourraient être soit à l'est, soit au sud, mais puisque Strabon reproche à Éphore de n'avoir
pas fait de ses Chalybes côtiers une catégorie particulière, c'est qu'Éphore avait construit une
séquence Mossynoikoi–Chalybes–Tibarènoi–Leukosyroi, ce qui est proche de Xénophon352.
— Le Ps-Skylax.
Le Ps-Skylax, dans une tradition différente d'Hérodote, Xénophon et Éphore, place les Chalybes à
la frontière de l'Assyria (variante du pays des Leukosyroi) entre Ordu et Üniye, dans la région du
cap Jason, l'une des régions à minerai de fer353. Il connaît Hécatée, directement ou indirectement,
comme l'indique la présence de Choirades chez les Mossynoikoi, et, on le verra, le catalogue des
cités d'Assyria. Comme rien n'interdit, dans les fragments subistants d'Hécatée, de placer des
Chalybes à l'ouest des Tibarènoi et à l'est des Leukosyroi, comme dans Périple, l'opinion commune
admet avec Jacoby que les Chalybes d'Hécatée étaient également sur la côte pontique entre
Tibarènoi et Assyria, et identifie la Σταμένη d'Hécatée et l'Ἀμένεια du Périple354; mais rien ne
permet non plus de l'établir, et si l'on reste en terrain solide, les Chalyboi d'Hécatée sont un peuple
continental du sud de Trapezous, dont le Périple ne pouvait rendre compte. Sur ce point, on doit

350
Sur les Taochoi, cf. 5.5.17 : "Les Kardouchoi, les Taochoi, les Chaldaioi n'obéissent pas au Roi… Au contraire, les
Makrônes"… Mais certains sont au service de Tiribaze avec des Chalybes, 4.4.18.
351
4.5.34 : "Il ajouta que la contrée voisine était celle des Chalybes, et indiqua par où passait la route qui y conduisait" ;
4.6.5 : "On allait franchir une hauteur pour descendre dans la plaine, quand on eut devant soi des Chalybes, des
Taochoi, des Phasianoi" ; 4.7.15 : "De là ils firent à travers le pays des Chalybes 7 étapes" ; 4.7.18, arrivée en Skythènè.
4.7.19, ville de Gymnias; 4.7.21, mont Tèchès. Étapes des Dix Mille sur la côte : 4.8.22, Κόλχοι (Trapezous) ; 5.3.2,
Κερασοῦς (3 jours de Trapezous) ; 5.4.2, Mossynoikoi (8 étapes, combats) ; 5.5.1, Chalybes (ὑπήκοοι τῶν
Μοσσυνοίκων) ; 5.5.2, Tibarènoi (2 étapes jusqu'à Cotyôra) ; 5.5.12, Paphlagones (jusqu'à Sinope). Mitford 2000
pense avoir retrouvé le cairn rassemblé par les Dix Mille sur un sommet à l'est de Zigana, sur une autre route qui aboutit
à Maçka. Pourquoi pas?
352
Voir le texte supra, n.000 et 70F170 = Str. 14.5.22-24. Jacoby, ad 1 F202-208 situe à tort les Chalybes d'Éphore entre
Tibarènoi et Leukosyroi, ce qui est incompatible avec le texte grec : Ὅμοροι δὲ τούτοις Χάλυβες καὶ τὸ τῶν
Λευκοσύρων ἔθνος. Cf. Hoefer 1904, 546 et 558. Sur Apollonios, cf. Delage 1930, 178-181.
353
Même localisation, apparemment, dans le corpus d'Aristote, Mir., 48 : Λέγεται δὲ ἰδιωτάτην εἶναι γ _ένεσιν
σιδήρου τοῦ Χαλυβικοῦ καὶ τοῦ Ἀμισηνοῦ. Συμφύεται γάρ, ὥς τε λέγουσιν, ἐκ τῆς ἄμμου τῆς καταφερομένης
ἐκ τῶν ποταμῶν. Ταυτὴν δ' οἱ μέν φασι πλύναντας καμινεύειν, οἱ δὲ τὴν ὑπόστασιν τὴν γενομένην ἐκ τῆς
πλύσεως πολλάκις πλυθεῖσαν συγκαίειν, παρεμβάλλειν δὲ τὸν πυρίμαχον καλούμενον λίθον· εἶναι δ' ἐν τῇ
χώρᾳ πολύν. Οὗτος δ' ὁ σίδηρος πολὺ τῶν ἄλλων γίνεται καλλίων. Εἱ δὲ μὴ ἐν μίᾳ καμίνῳ ἐκαίεετο, οὐδὲν ἄν,
ὡς ἔοικε, διέφερε τἀργυριου. Μόνον δέ φασιν αὐτὸν ἀνίωτον εἶναι, οὐ πολὺν δὲ γίγνεσθαι
354
Hecat., FGrHist 1F202.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 72

rester dans le doute.


Qui sont dans ce cas les Chalybes de la côte pontique? Si les Chalybes continentaux étaient bien
établis dans la région de Torul, des groupes de mineurs avaient pu suivre les filons le long des
fleuves jusqu'à la côte, s'établissant dans les régions favorables grâce à la présence à la fois de bois
et de minerai, comme les métallurgistes d'Hamilton dans la région d'Ünye ; entrant en contact avec
des peuples technologiquement moins avancées (comme les Mossynoikoi, connus pour leur bronze,
et non pour leur fer)355. Ces groupes ne formaient pas un peuple, comme l'atteste Xénophon, dont le
témoignage est assez évasif : Ἐπορεύθησαν ὀκτὼ σταθμούς, καὶ ἀφικνοῦνται εἰς Χάλυβας.
Οὗτοι ὀλίγοι τε ἦσαν καὶ ὑπήκοοι τῶν Μοσσυνοίκων, καὶ ὁ βίος ἦν τοῖς πλείστοις αὐτῶν
ἀπὸ σιδηρείας356. La première phrase semble provenir d'un itinéraire, la seconde la corrigerait à la
lumière de l'expérience : "Territoire des Chalybes, sans doute, mais 1. ils sont peu nombreux [ils ne
constituent pas un peuple] ; 2. ils sont soumis aux Mossynoikoi [ils n'ont pas d'existence politique];
3. Ils s'adonnent au travail du fer [caractérisation ethnographique]". C'est bien ce qu'écrirait
quelqu'un qui associerait Chalybes et travail du fer, et rendrait compte de son étonnement de
retrouver, à plus de vingt étapes de distance, ce peuple établi sur les côtes de la mer Noire, alors
qu’on l’avait trouvé dans les plus hautes montagnes : les errances des Dix Mille ne pouvaient leur
laisser deviner l’existence des vallées transversales qui permettaient aux marchandises et aux
hommes de passer à travers les unes pour se rendre sur les autres. Les Chalybes de la mer Noire
étaient dans les districts côtiers où ils trouvaient ce dont ils avaient besoin, le minerai de fer (en
affleurement ou en sable), et le bois pour le transformer, dans la région de Vafkikebir ou de
Giresun, où les a trouvés Xénophon, et dans celle du cap Jason, où les localise le Ps-Skylax.
Pourquoi, cependant, supposer une source intermédiaire entre Hécatée et le Périple? Parce que le
Périple, ici comme ailleurs, utilise, parallèlement à Hécatée, des sources indubitablement plus
récentes.
— Cités, ports et fleuves.
Chez ces peuples, le Ps-Skylax mentionne un certain nombre de ports et de cités. Les sites qu'on
peut localiser, qu'il s'agisse de ceux du cap Zephyrion, de la région de Giresun ou de celle du cap
Jason, ont des caractéristiques communes : ils jalonnent la côte entre Trapezous et Sinope, ils sont
regroupés dans des péninsules protégées contre des attaques venues de l'intérieur des terres, ils sont
repérables de la mer et offrent aux marins des mouillages ou des ports abrités.
— § 86. Ζεφύριος Λιμήν, Χοιράδες πόλις Ἑλληνίς, Ἄρεως νῆσος.
On dispose pour cette partie du périple de repères plus solides que pour la partie orientale, deux
d'entre eux s'étant perpétués à travers l'Antiquité, Ζεφύριος et Ἄρεως νῆσος.
Le cap Zephyrios ou Zephyrion, qui doit correspondre à Ζεφύριος λιμήν, est mentionné par Arrien
et Eux., et correspond au Çam Burnu des cartes britanniques et au Gül Burnu turc357. La description
de B&W montre qu'il a pu abriter un établissement grec et leur plan signale deux ports minuscules
au pied de la forteresse :
"There is no doubt that the cape is either or both of the twin promontories now called Ulu Burunu
and Çam Burunu and there is no reason why the tiny natural harbor still called Zefre Liman should
not represent Zephyrion itself. The cape is a heavily wooded mountainous area… There are a
number of small villages along the rocky coast, linked only by well-preserved paved pack animal
ways in the Pontic style. In fact most travelers until this century went from Tripolis to Kerasous by

355
Sur les voies de communication entre l'intérieur et la côte, voir supra p. **et n. 330**.
356
Xen., An., 5.5.1. L'analyse des sources littéraires de l'Anabase paraît souvent négligée sous prétexte que le
témoignage de Xénophon est direct. Or l'Anabase a été écrite après coup, publiée sous un autre nom, et il y en a eu
d'autres (dont une attribuée à Sophainetos de Stymphale). Tout cela nous écarte beaucoup du carnet de voyage et du
croquis pris sur le vif.
357
A ne pas confondre avec le Çam Burnu qui marque l'extrémité orientale de la péninsule du cap Jason(Yason Burnu), à
l'ouest d'Ordu, le cap Genètès (Boon/Vona).
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 73

sea"358. B&W émettent l'hypothèse qu'il s'agit du site de Kenchrina des sources byzantines.
L'origine de ce dernier toponyme est peut-être moins incongrue qu'ils ne semblent le penser car
Hippocrate mentionne un vent pontique nommé κέγχρων qui pourrait être l'équivalent du zéphyr :
Kenchrina pourrait donc être un équivalent pontique de Zephyrion359. Je n'ai pas réussi à repérer la
forteresse mentionnée par B&W, car la route côtière a transformé le paysage. Mais la présence de
deux petits ports naturels bien abrités dans le creux du cap Zephyrion est probante. Quant à l'île
d'Arès, l'un des lieux abordés par les Argonautes, c'est un point fortifié au large, légèrement à l'est
de la moderne Giresun, une des rares îles remarquables de la côte pontique de Turquie, et elle ne
pouvait manquer d'attirer l'attention des marins :"Petite île appelée Arhentias, où nous restâmes
quelques instants pour examiner les ruines d'un château antique… Elle possède des sources d'une
eau excellente et on y trouve un très bon havre où de grands bateaux peuvent s'approcher des
rochers"360. Avec deux sources et un point d'abordage, l'île put résister seule pendant plusieurs
années au siège de la flotte turque :
"The maximum extent of the island of Ares, which is roughly circular, is about 250 paces. It is
about 30 m above sea level at its highest point. There is no beach… The present landing place, to
the southeast where there is a little inlet in the rocks, is described in a sixteenth century Greek
portulan as the place where sailors could anchor their boats ashore. Two rings have been cut into the
solid rock further west … which is protected from the northwest winds"361.
Χοιράδες, déjà mentionnée par Hécatée, disparaît ensuite des sources littéraires. Müller, ad loc.,
pensait que le nom ("les Roches") désignait la pointe de Pharnakeia (Giresun) parce que l'un des
sens de χοιράδες est "récifs"362. Mais si l'on admet que le Périple respecte l'ordre d'énonciation,
Choirades se trouve à l'est de l'île d'Arès et ne peut être Giresun. La même entrée de la Souda donne
aussi à χοιράδες le sens d'"escarpements rocheux" qui conviendrait à Gedik Kaya voisine, dont
l'aspect a frappé les voyageurs :
"About 2 kilometers due southeast of Giresun Kale is a steep hill topped by a two rocky teeth
(hence Gedik Kaya, split rock) the place is distinctive enough in the engraving of Tournefort and
Hommaire de Hell… Gedik Kaya Kalesi has a sheltered bay and anchorage below it and is, rather
than [Giresun], the terminus of the route to Koloneia"363.
Ζεφύριος λιμὴν et Ἄρεως νῆσος délimitent donc une portion de côte assez peu étendue. Il y a à
peine 27 kilomètres d'Esbiye à Giresun par la route qui coupe le cap, alors qu'il y en a 100 d'Esbiye
à Trabzon. C'est une région où les Alpes Pontiques tombent très rapidement dans la mer, et moins
favorisée pour son terroir agricole que la région de Vafkikebir ou même de Giresun. En revanche,
comme le montre leur histoire ultérieure, ces trois sites sont aisément repérables de la mer et offrent
des ports et des établissements facilement défendables. Tout indique donc que la source du Périple
dans ce passage rassemble une collection d'échelles sur la route vers l'est. Choirades est déjà
mentionnée par Hécatée, ce qui implique que cette source remonte au Ve s. a.C. Ces établissements
sont à l'écart de la route pédestre des Dix Mille, et Xénophon n'avait aucune raison d'être informé de
358
B&W 135, plan 146, n. 26. : [Deux villages mentionnés par la carte turque, Kalecik et Hisarüstü] "They are in fact
names for the same place, which consists of a narrow natural harbor and small coastal castle, an a village hidden in the
steep woodland above".
359
Braund 1994, 56, l'identifie au foehn. Rien dans le texte d'Hippocrate ne permet de l'assurer. Ce n'est en tout cas ni un
vent du sud, ni un vent du nord, Aër., 15 : Τά τε πνεύματα τὰ πολλὰ νότια, πλὴν αὔρης μιῆς ἐπιχωρίης· αὕτη δὲ
πνέει ἐνίοτε βίαιος, καὶ χαλεπή, καὶ θερμή, καὶ Κέγχρονα ὀνομάζουσι τοῦτο τὸ πνεῦμα. Ὁ δὲ βορέης οὐ
σφόδρα ἀφικνέεται.
360
Kinneir 1813-1814, 69. Pour l'Antiquité, p. ex. Eux., 9R27 (§ 36 Müller).
361
B&W 1985, 132-133.
362
Cf. Souda 592, s. Χοιράδες· πέτραι λεῖαι ἐν θαλάσσῃ· ἢ ἐξοχαί· ἢ ὄχθοι πετρῶν. Quant à Pharnakeia c'est une
forteresse mithridatique, pas une ville.
363
B&W 1985, 127 : le site est effectivement très spectaculaire, avec les restes d'une église byzantine, quelques tombes
creusées dans le roc, et un tunnel – "perhaps a Bronze Age shaft burial, or even a trial search for water". On pourrait
aussi penser à Tripolis (Tirebolu), signalée par ses promontoires et ses récifs, mais moins spectaculairement
remarquables que Gedik Kaya.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 74

leur existence364. Mais, dans le Périple, la présence de Choirades et l'absence de la Kerasous de


Xénophon sont intéressantes. L'identification de la Kerasous de Xénophon avec Giresun est exclue :
tous les voyageurs qui l'ont parcourue ont reconnu l'impossiblité matérielle pour les Dix Mille de
faire la route de Trabzon à Giresun aussi rapidement. Hamilton en apporte d'ailleurs une preuve
supplémentaire : "A mile farther we reached another river, called the Kerasoun Dere Su, which has
escaped the notice of geographers, though it marks the site of the Cerasus of Xenophon"365. Le
fleuve porte toujours son nom. Hamilton localise Kerasous au voisinage de l'actuelle Vakfikebir.
Strabon signale Kerasous au même endroit, et ne connaît que Pharnakeia . Eux. la mentionne lui
aussi :
Ἀπὸ δὲ Κοράλλων εἰς Κερασοῦντα πόλιν καὶ ποταμόν, στάδια ξ´ , μίλια η´ . Ἀπὸ δὲ
Κερασοῦντος εἰς Ἱερὸν ὄρος, ἐν ᾧ καὶ πόλις καὶ ὕφορμος, στάδια ϙ´ , μίλια ιβ´ 366.
B&W montrent que la baie de Vakfikebir et la vallée du Foldere étaient le point d'arrivée d'une des
routes qui permettent de rejoindre la vallée du Kelkit Çay, et que l'arrière-pays est propice à
l'agriculture367. L'absence de cette Kerasous dans le Périple, comme celle de Kotyôra, alors qu'elles
sont visitées par Xénophon en 400, implique qu'elles ne figuraient pas dans la source utilisée par le
Ps-Skylax. Kerasous, et plus loin Kotyôra, sont en effet des établissements d'une autre espèce que
ceux que signale le Périple. Les Sinopéens disent explicitement qu'il s'agit de territoires enlevés aux
barbares pour y établir des colons et ces établissements doivent représenter une deuxième phase
dans la colonisation de la côte, au moment où les Grecs se sentent assez forts pour quitter leurs
points d'appui fortifiés et établir des colons dans les plaines côtières, par exemple soutenus par la
puissance athénienne. Les régions où Kerasous et Kotyôra sont situées n'offrent pas des ports très
favorables, mais les montagnes y sont moins proches de la côte, la zone côtière se prête à quelques
cultures. Les Dix Mille n'auraient d'ailleurs pu s'installer dans les caps où les établissements et les
ports mentionnés par le Ps-Skylax, et ils les ont évités sans doute sans même s'en rendre compte. A
Kerasous et Kotyôra au contraire, les Dix Mille trouvent une région qui se prête à produire et non
seulement abriter des navires en transit : les habitants sont des ἄποικοι de Sinope, leur territoire a
été enlevé aux barbares du voisinage, ils ont des χώρια où les Dix Mille puisent des provisions.
Elles pourraient répondre à un besoin ponctuel de nouvelles sources d'approvisionnement pour les
Sinopéens, ou la perspective d'un débouché nouveau à de nouvelles ressources : la perte de sa chôra
par Olbia, les demandes d'Athènes en blé bosporan, ont forcément eu des conséquences sur le
marché des céréales dans la zone pontique, et on peut concevoir que les Sinopéens aient souhaité se
constituer des points d'approvisionnement propres dans leur zone d'influence, dans des terroirs plus
propices à l'exploitation agricole que les caps escarpés où ils avaient précédemment installé leurs
échelles. Qu'elles soient des fondations récentes au moment du passage des Dix Mille expliquerait
leur fragilité et l'inquiétude de leurs habitants et celle des Sinopéens, à la fois pour leur
approvisionnement et pour leurs rapports avec les peuples environnants. Qu'elles soient restées des
bourgades sans importance s'explique aussi par le développement commercial de Sinope à l'époque
hellénistique, qui les rendait inutiles pour l'approvisionnement de leur métropole. En tout cas, à
l'époque impériale, Kerasous a même perdu son nom au profit de Pharnakeia, et Arrien dit de
Kotyôra : Νῦν δὲ κώμη ἐστίν, καὶ οὐδὲ αὐτὴ μεγάλη368. Quoi qu'il en soit, si l'absence de
Kerasous et Kotyôra a un sens, elle nous ramène à une période située entre la colonisation

364
Xen., An., 5.5.7-12.
365
Hamilton 1842, 250-251.
366
Strabon 12.3.17 ; Eux., 9R30 (§ 36 Müller). Eux. mentionne aussi Pharnakeia-Kerasous, mais, comme Arrien avant
lui et bien d'autres après, se trompe dans la chronologie des dénominations, Eux., 9R24 (§ 34 Müller) : Αὕτη ἡ
Φαρνακία πάλαι μὲν Κερασοῦς ἐκαλεῖτο. Je crois avoir montré comment Pharnakeia s'est approprié le nom de
Kerasous à l'époque impériale, Counillon 1990.
367
B&W, 1985, 153. Vakfikebir est signalée comme une bonne rade par Taitbout de Marigny 1830, 34, mais Jaubert
1821, 383 y reste bloqué par une tempête pendant une semaine.
368
Arr., Per.M.Eux., 16.3.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 75

milésienne et la fin du Ve s. a.C. pour cette région méridionale de la côte pontique.


— § 88. Γενέσιντις λιμὴν κλειστός, Ἀμένεια πόλις Ἑλληνὶς καὶ Ἰασονία ἄκρα καὶ πόλις
Ἑλληνίς.
La présence de différents sites classiques, quelle que soit leur nature, sur la péninsule que forme le
cap Jason n'a rien pour surprendre369. Le cap Genètès, le cap Boon des Byzantins fournit le meilleur
mouillage de toute la côte sud de la mer Noire : le port clos de Genètès pourrait s'être trouvé à
Pershembe/Vona370. Entre le cap Genètès et le cap Jason, l'île des Ciliciens offre un mouillage
favorable371. Le cap Jason lui-même, dont la côte orientale abrite une baie relativement protégée,
porte les traces d'une longue occupation :
"To the north of the isthmus [de la petite péninsule qui forme le bout du cap] the cape is about 170
paces north-south by 80 paces at its widest point east-west. The ground is more or less a level
plateau from 4 to 5 m above sea level and is enclosed by a boundary wall, the foundation of which
can be seen in the turf. On the east and sheltered side (the prevailing winds are from the northwest)
is a small bay where skiffs may have moored"372.
Quant à Ἀμένεια entre les deux, une petite anse assez bien protégée par le Çapraz Burnu, entre le
cap Genètès et le cap Jason, aurait pu l'abriter : si elle ne laisse pas de trace par la suite, il n'y a pas
de raison de douter de son existence ni de l'orthographe de son nom. Comme les sites en territoire
dans le territoire des Mossynoikoi, ces toponymes sont regroupés sur une portion étroite de la côte.
Comme les premiers, ils sont situés sur un cap très remarquable dont le caractère montagneux et
accidenté l'isole à volonté de l'intérieur des terres. Comme la région du cap Zéphyrion, ce n'est pas
le territoire le plus prospère de la côte, et les colons qui ont pu s'y établir ont dû y trouver tout juste
les ressources nécessaires à leur subsistance. L'existence d'un λιμὴν κλειστός à Genesintis/Genètès
correspond à la valeur reconnue de la baie est du cap Vona comme étant un port bien protégé l'hiver
à l'est de Sinope373. Mais l'existence de ce port est aussi un excellent indicateur chronologique,
puisque ces ports fortifiés sont caractéristiques des développements de la marine de guerre au Ve s.
a.C.374. Si, comme je le crois, la source itinéraire dont disposait le Périple prenait en compte des
échelles dont la fondation remontait à l'organisation de la route maritime de Sinope à Trapezous,
cette source avait dû être complétée à Athènes dans le courant du Ve s. a.C. Le fil est ténu, mais me
paraît solide.
4.9. § 89. Assyria.
— Le § 89.
— Texte retenu.
Ἀσσυρία. Μετὰ δὲ Χάλυβας, Ἀσσυρία ἐστὶν ἔθνος καὶ ποταμὸς Θερμώδων καὶ πόλις
Ἑλληνὶς Θεμίσκυρα, Λύκαστος ποταμὸς καὶ πόλις Ἑλληνίς, Ἅλυς ποταμὸς καὶ Κάρουσσα
πόλις Ἑλληνίς, Σινώπη πόλις Ἑλληνίς, Κερασοῦ πόλις Ἑλληνίς καὶ Ὀχέραινος ποταμός,

369
B&W, 119 : "Cape Jason is the most substantial promontory east of Sinope, projecting 14 km into the Euxine and
culminating in three points : Jason itself in the west, Genetes in the east and the headland now called Çapraz Burunu in
between".
370
Str. 12.3.17. Γενήτης ne saurait être que le cap, le mont (ὄρος) ou le port, et non "le fleuve Genètès", comme le
traduit fautivement Lasserre : la discussion dans le Lexique de son édition, p. 211, s. Génétès montre une profonde
méconnaissance de la géographie locale.
371
Le corpus aristotélicien mentionne une île où les Chalybes stockent leur or, Mir., 26. : Φασὶ δὲ καὶ κατὰ τοὺς
Χάλυβας ἔν τινι ὑπερκειμένῳ αὐτοῖς νησιδίῳ τὸ χρυσίον συμφορεῖσθαι παρὰ πλειόνων.
372
B&W 121. Je n'ai pas repéré de haut fond rocheux à l'est du cap Jason (il y en a à l'ouest, en revanche) et il m'a paru
offrir une bonne protection du vent d'ouest, bien que la baie soit, il est vrai, largement ouverte au nord.
373
Par exemple Hamilton 1843, 269 : "Farther to the N.W. was the port of Vona, by the Turks called Vona Liman ; it is
considered the best winter harbour on this side of Constantinople, preferable even to that of Sinope, on account of the
greater depth of water. Here we put in soon after nine under pretence of procuring water, which the reis declared was
the best along the coast ; but his real motive was to get some refreshment. The beach where we landed consisted of a
causeway or pavement of basaltic columns sloping towards the sea. Sailing from thence we passed a small fort, built on
a projecting rock of basalt".
374
Cf. Marcotte 1998, 36-37 ; 178-181 ; Counillon 1998a.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 76

Ἀρμένη πόλις Ἑλληνὶς καὶ λιμήν, Τετράκις πόλις Ἑλληνίς.


— Apparat.
Θερμώδων : Θερμόδων D ; Θεμίσκυρα : s.l. D ; Ἅλυς D : Ἄλυς D a.c. ; Κερασοῦ : Κερασοῦς,
Müller.
— Traduction.
(§ 89) Assyria. Après les Chalybes, il y a le peuple d'Assyria, le fleuve Thermôdôn, la cité grecque
de Themiskyra, le fleuve et la cité grecque de Lykastos, le fleuve Halys et la cité grecque de
Karoussa, la cité grecque de Sinope, la cité grecque de Kerasos, le fleuve Ocherainos, la cité
grecque d'Armenè et son port, la cité grecque de Tetrakis.
— Notes.
L'Ἀσσυρία est parfois appelée Syria, mais on ne peut rien construire de solide sur cette appellation
dans le Périple, le nom étant susceptible de transformation à tous les moments de l'histoire du
texte375. Θερμώδων est la forme habituelle du toponyme : Θερμόδων est sans doute une
correction byzantine376. Κάρουσσα doit sans doute s'accentuer Καροῦσσα. Kerasos et Tetrakis
sont des hapax du Périple et ne doivent pas être corrigés.
— Cités, ports et fleuves.
— De Themiskyra à l'Halys.
La Themiskyra est tout à la fois une cité grecque et une région déjà mentionnée par Hécatée avec
des toponymes également mentionnés par le Périple377. La répartition de ces sites entre fleuve, ville
et région est variable. La Themiskyra est généralement une plaine, par exemple pour Strabon, mais
pas pour le Périple378. Le Lykastos, qui est un χωρίον pour Hécatée (encore que ce soit le scholiaste
d'Apollonios de Rhodes qui parle), est un fleuve et une cité grecque pour le Périple, un fleuve pour
Ménippe de Pergame. Chadision, qui est connu de Ménippe comme fleuve et comme κώμη et sert
de frontière à la Themiskyra pour Hécatée, n'est pas mentionné par le Ps-Skylax. La région est
décrite par Strabon, mais c'est Ménippe, dont on commence ici à avoir le texte de Marcien, qui
permet d'avoir la représentation la plus précise de la côte. Ménippe décrit la côte d'ouest en est :
Ἀπὸ Ἀμισοῦ ἐπὶ τὸν Λύκαστον ποταμὸν στάδια κ´ (20). Ἀπὸ δὲ Λυκάστου ε⟦ἰς κώμην καὶ
ποταμὸν Χαδίσιον στάδια ρν´ .
La suite peut etre complétée à partir d'Eux.:
Ἀπὸ δὲ Χαδισίου ποταμοῦ εἰς Ἀγκῶνος λιμένα ἐν ᾧ καὶ ὁ Ἴρις ἐμβάλλει, στάδια ρ´(100),
μίλια ις´ (16). Ἀπὸ δὲ τοῦ Ἴριος ποταμοῦ εἰς Ἡράκλειαν ἱερὸν καὶ ἀκρωτήριον, στάδιοι τξ´
(360), μίλια μη´ (48)· ἐνταυθα λιμὴν μέγας ὁ λεγόμενος Λαμυρῶν· ὅρμος ναυσὶ καὶ
ὕδροστόλος. Ἀπὸ δὲ Ἡρακλείας εἰς Θερμώδοντα ποταμὸν ναυσίπορον στάδια μ´ (40),
μίλια ε´ , γ´ (5 1/3),
"D'Amisos au fleuve Lykastos, 20 stades. Du Lykastos au bourg et au fleuve Chadisios, 150 stades.
De Chadisios au port d'Ankon où se trouve l'embouchure de l'Iris, 100 stades, 16 milles. Du fleuve
Iris à Hèrakleia, sanctuaire et cap, 360 stades, 48 milles ; là se trouve un grand port nommé

375
Voir le commentaire de Str. 12.3.9 : Σύρους λέγοντα [Hérodote] τοὺς Καππάδοκας· καὶ γὰρ ἔτι καὶ νῦν
Λευκόσυροι καλοῦνται, Σύρων καὶ τῶν ἔξω τοῦ Ταύρου λεγομένων· καὶ Πίνδαρός φησιν ὅτι αἱ Ἀμαζόνες
"Σύριον εὐρυαίχμαν δίεπον στρατόν", τὴν ἐν τῇ Θεμισκύρᾳ κατοικίαν οὕτω δηλῶν. Ἡ δὲ Θεμίσκυρά ἐστιν
τῶν Ἀμισηνῶν, αὕτη δὲ Λευκοσύρων τῶν μετὰ τὸν Ἅλυν. Pour des références et une analyse de la question, cf.
Debord 1999, 85, n.11, qui rapproche ce passage d'A.R. 2.964. Mais on ne peut exclure une correction en retour du
Périple à partir d'Apollonios à l'époque byzantine. Voir supra la question des Chalybes et infra celle des frontières entre
Assyria et Paphlagonie.
376
Cf. Theognost., Can., 181.11 : Πρόσκειται μὴ ὄντα σύνθετα παρὰ τὸ ὀδούς, ὅτι ταῦτα διὰ τοῦ ντ κλινόμενα,
καὶ τρέπει τὸ ω· Θερμόδων Θερμόδοντος· χαυλιόδων χαυλιόδοντος.
377
FgrHist 1F200 et 1F7a, Χαδισία· πόλις Λευκοσύρων. Ἑκαταῖος Γενεαλογίων β· ἡ δὲ Θεμισκύρη πεδίον ἐστὶν
ἀπὸ Χαδισὶης μέχρι Θερμώδοντος et 1F7b (= Schol. ad A.R. 2.999) ; Λυκάστιαι· Λύκαστος, χωρίον τῆς
Λευκοσυρίας, ἀμφ' οὗ Λυκαστίας εἶπε τὰς Ἀμαζόνας. Χαδήσιας δὲ αὐτὰς εἶπεν Ἑκαταῖος ἀπὸ τοῦ χαδῆσαι.
Deux noms qui réapparaissent plus tard pour deux reines des Amazones, A.R. 2.999-1000.
378
Str. 12.3.15.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 77

Lamyrôn, avec un mouillage et un approvisionnement en eau. De Hèrakleia au Thermôdôn, fleuve


navigable, 40 stades, 5 milles 1/3"379.
Ces toponymes reportés sur une carte pour avoir une image de la région, le Lykastos déboucherait
dans le port de Samsun, le Chadision se trouverait au niveau de Tekkeköy ; l'embouchure de l'Iris
(Yes/il Irmak), marquée par le Cıva Burnu, aurait aujourd'hui un peu avancé vers le nord, celle du
Thermôdôn (Terme Çay) situerait Hèrakleia au nord du Çaltı Burnu, le Bèris serait le premier
fleuve à l'est du Terme Çay et le Thoarios l'Akçay Su, si le Curı Irmak à l'ouest d'Ünye est bien
l'Oinion de Ménippe. Le Périple semble indiquer l'existence d'une cité de Themiskyra. Elle aurait
pu tomber sous la domination d'Amisos à l'époque impériale et son port aurait été Lamyrôn, signalé
par Eux380.
La formule Λύκαστος ποταμὸς καὶ πόλις Ἑλληνίς pose davantage de questions. Lykastos est un
fleuve pour nos sources381. Il est curieux de voir le Périple en faire une cité, ou au moins une ville ;
ce serait aussi la seule mise en "facteur commun" d'un toponyme sous cette forme (Λύκαστος
ποταμὸς καὶ πόλις Ἑλληνίς). Il est bizarre de voir mentionner le Lykastos, et omettre l'Iris382.
Enfin, la mention d'une cité de Lykastos à 20 stades à peine d'Amisos (ou si l'on veut de Pirée), elle-
même omise, est également surprenante. On peut formuler quelques hypothèses, la première dans le
fil de ce qui a précédé : le Ps-Skylax dispose d'un catalogue de peuples pour cette partie du Pont et
y situe l'Assyria, à laquelle il rattache tant bien que mal un certain nombre de cités et de toponymes
pêchés dans un périple. La Themiskyra représente, il est vrai, une étape sur la route maritime entre
Sinope et Trapezous, et l'estuaire du Thermôdôn offrait un port de lagune favorable. De plus, la
région, malgré son caractère insalubre, a été densément occupée dès l'Antiquité, et offre encore des
pâturages renommés pour les bovins et les chevaux383. Mais cette hypothèse ne rend pas compte de
l'omission de l'Iris, de la présence de Lykastos et de l'absence d'Amisos. L'histoire d'Amisos ne
connaît aucune solution de continuité entre sa fondation et l'époque impériale, mais elle est très
perturbée au IVe s. a.C. Théopompe, repris par Strabon, dit que ses premiers fondateurs furent des
Milésiens, qu'elle fut plus tard agrandie par Timadès, souverain de Cappadoce, et que dans une
troisième phase elle reçut un apport de colons athéniens conduits par Athénoclès et changea alors
son nom contre celui de Pirée384. L'existence de ce nom est bien attestée par des monnaies du début
du IVe s. a.C. où commence un monnayage de sicles perses d'argent abondant, et où elle s'appelle
PEIRA[IEUS]. Dans le courant du IVe s. a.C., les monnaies changent : le nom disparaît, les
monnaies deviennent des demi-sicles, et se dévaluent. Il est vrai qu'on ne trouve aucune mention ni
d'Amisos ni de Pirée dans les textes où on pourrait l'attendre : Hérodote et surtout Thucydide ne
parlent que de Sinope, et Xénophon, lorsqu'il discute avec les envoyés de Sinope, n'évoque à aucun
moment l'existence d'une ville grecque (ou barbare) dans cette région présentée par les uns et les
autres comme un pays entièrement contrôlé par le roi paphlagonien Korylas385. On pourrait donc

379
Épit. Mén., 6020 Diller (§ 10 Müller) ; Eux., 9R8-9 (§ 28-29 Müller).
380
Str. 12.3.9 : Ἡ δὲ Θεμίσκυρά ἐστιν τῶν Ἀμισηνῶν, αὕτη δὲ Λευκοσύρων τῶν μετὰ τὸν Ἅλυν.
381
Il n'est χωρίον que dans une Scholie ad A.R. 2.999, qui la signale chez Hécatée, FGrHist 1F7b, Λύκαστος· χωρίον
τῆς Λευκοσυρίας, ἀφ' οὗ Λυκαστίας εἶπε τὰς Ἀμαζόνας.
382
L'Iris fait partie des fleuves les plus importants de la région, par exemple pour le transport du bois, cf. Robert 1980,
67, n.416. Sur son omission par Apollonios, voir infra n.000.
383
B&W 7 : "A wide plain formed by the delta of the Iris and the smaller river Thermôdôn. Here in classical times stood
the city of Themiskyra (Terme). [L'alluvionnement a transformé la géographie de la région] but it seems fairly certain
that Limnai and possibly Themiskyra were delta ports on the banks of the two rivers which here reach the sea". Voir
aussi les descriptions de voyageurs, par exemple Kinneir 1813-1814, 44, ou Hamilton 1842, 280-284, et supra, p. 000.
384
Théopompe, FGrHist 115F389 ; Str. 12.3.14. Sur l'histoire de la fondation d'Amisos, cf. Ivantchik**.
385
Xen., An., 5.5-6. Au moment du passage des Dix Mille, sous la direction de Korylas, la Paphlagonie a étendu son
pouvoir vers l'est jusqu'à Kotyôra, cf. CAH, 14 [Référence**]: "The once independent Amisos apparently belonged to
Corylas". En 395, un autre Paphlagonien, Otys, s'allie à Agésilas contre Pharnabaze. A partir de 380, le Roi charge
Datamès de recouvrer la région, et Datamès, satrape de Cappadoce, frappe monnaie à Amisos et à Sinope. La
Paphlagonie revient alors dans la satrapie de Daskyleion [**référence].
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 78

attribuer l'absence d'Amisos à la main-mise paphlagonienne, puis perse, sur la région386. On pourrait
même admettre que Lykastos ait survécu, que la Themiskyra ait préservé un moment son autonomie
comme elle réussit à le faire au moment de la conquête ottomane, alors qu'Amisos redevenait perse.
Mais l'état du manuscrit plaide plutôt pour une faute de copiste. Θεμίσκυρα, d'abord oublié, a été
ajouté au-dessus de la ligne et le Ἅ- d'Ἅλυς est isolé en fin de ligne. Or l'esprit d'abord noté doux
(comme dans Ἀμισός) a été ensuite corrigé en esprit rude (comme dans Ἅλυς), bien qu'il soit
impossible de savoir à quel moment l'esprit a été porté. Je pense que cette correction signe l'erreur
du copiste : peut-être perturbé par sa faute sur Θεμίσκυρα, il aura sauté une ligne du texte :
Λύκαστος ποταμὸς καὶ πόλις Ἑλληνὶς Ἀ
μισὸς καὶ (23 caractères environ) καὶ Ἅ
λυς κτλ.
Si l'on admet cette hypothèse, il manque donc au moins un toponyme, qui pourrait être
Ναύσταθμος λιμήν ou Κωνώπιον πόλις (cette dernière hypothèse paraissant moins probable) ou
même ἢ καὶ Πειραιεὺς καλουμένη. Mais on ne peut rien bâtir de solide sur cette reconstruction.
Même en admettant cette hypothèse, l'Iris n'apparaît pas pour autant à sa place entre le Lykastos et
<Amisos>. Il faut soit admettre une lacune plus importante, soit admettre que le Ps-Skylax omettait
déjà l'Iris, ce qui pourrait expliquer l'omission de l'Iris dans la première édition des
Argonautiques387. Mais l'omission de l'Iris s'explique mieux si le Ps-Skylax ne copie pas un modèle,
mais fait la synthèse de matériaux d'origines diverses, en l'occurence un canevas ethnographique, et
un périple de la côte méridionale du Pont : c'est mon hypothèse.
— De l'Halys au territoire de Sinope.Le Périple inclut en Assyria la région de Sinope.
Vers l'ouest, celle-ci doit s'étendre jusqu'aux environs de l'Usta Burnu puisque Stephanè,
aujourd'hui Çaliog/lu, juste à l'est du cap et protégée par lui, est le premier toponyme mentionné en
Paphlagonie. Armenè est, on le verra, l'un des ports de Sinope, mais Ayancık et son fleuve
représenteraient une frontière géographique "naturelle" assez satisfaisante – il n'y a plus de route
côtière praticable, les montagnes sont impénétrables à la différence des paysages riants des vallées
de l'Ayancık Çay et du Kara Su qui font l'arrière-pays de Sinope388. L'extension exacte du territoire
de Sinope reste encore à préciser. On peut d'ailleurs se demander si la position politique de Sinope a
le moindre intérêt pour le Ps-Skylax : aucune allusion au statut politique des emporia de Sinope, ni
à ceux de l'est comme Trapezous, ni à ceuxs de l'ouest comme Kytôros, dont Strabon écrit pourtant
τὸ δὲ Κύτωρον ἐμπόριον ἦν ποτε Σινωπέων, "il était autrefois un emporion de Sinope"389. Il est
surprenant de trouver Sinope rattachée à l'Assyria, l'Halys marquant habituellement la frontière de
cette dernière avec la Paphlagonie ; à l'époque de Strabon, l'Halys sert de frontière entre les
territoires de Sinope et d'Amisos390. Or il est traité ici sans plus de révérence que le fleuve
Ocherainos. Différentes explications sont possibles. La première serait la situation politique de
Sinope à l'époque de la rédaction du Périple : au moment où le satrape de Cappadoce, Datamès,
reprend en main la région et frappe des monnaies à Sinope, il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce
que la ville et son territoire soient rattachés à la Cappadoce pontique avec laquelle elle avait

386
Amisos est le point d'appui de la reconquête perse, cf. Polyen 7, 21, 1 (Datamès) : [Ses troupes lui réclamant de
l'argent] il leur dit … qu'il devait aller à Amisos pour transformer le métal en monnaie [les troupes protestant parce
qu'Amisos est loin, et que c'est un endroit incommode pour hiverner]. Sur cet épisode et ses interprétations, cf. Debord
1999, 60 ; 357-366.
387
L'Iris était également omis par l'une des éditions des Argonautiques, cf. Vian 1976, ad 2. 961, p. 281 : "Il est
remarquable qu'une autre édition du texte (proecdosis) omettait l'Iris, en donnant des v. 963-964 la rédaction suivante :
"Ils laissaient derrière eux le fleuve Halys ; ils laissaient le pays, baigné par la mer, de l'Assyria qui forme une avancée
sur le littoral". Comme si Apollonios avait corrigé après coup une première version inspirée du seul Périple.
388
Sur la permanence des territoires de cités dans le découpage des frontières provinciales à l'époque impériale, cf.
French 1991.
389
Et non comme le traduit Lasserre 1981, "le port de commerce des habitants de Sinope", ce qui ne s'appliquerait qu'à
Armenè.
390
Str. 12.3.13 ; Arr., Per.M.Eux., 15.1.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 79

d'ailleurs des relations beaucoup plus faciles qu'avec la Paphlagonie continentale, rattachée à la
satrapie de Daskyleion391. L'autre explication est géographique et rejoint le problème de la
délimitation de l'"isthme anatolien", puisque pour Hérodote et la géographie ionienne, la Syrie
recouvre un vaste territoire dont la partie sud touche à la Palestine, et la partie nord au Pont-
Euxin392. Cet isthme est habituellement défini par ses deux extrémités, Issos et Sinope, qui ne sont
séparées selon Hérodote que par cinq jours de marche :
Ἡ δὲ Αἴγυπτος τῆς ὀρεινῆς Κιλικίης μάλιστά κῃ ἀντίη κεῖται· ἐνθεῦτεν δὲ ἐς Σινώπην τὴν
ἐν τῷ Εὐξείνῳ πόντῳ πέντε ἡμερέων ἰθέα ὁδὸς εὐζώνῳ ἀνδρί· ἡ δὲ Σινώπη τῷ Ἴστρῳ
ἐκδιδόντι ἐς θάλασσαν ἀντίον κεῖται.
Même après qu'Ératosthène a corrigé cette erreur et déplacé à Amisos la ligne de partage, la région
de Sinope reste mentionnée comme l'une des extrémités de la ligne, ou mentionnée conjointement
avec Amisos, par exemple par Strabon : Ταῦτα δ' ἐστὶ μέρη μὲν τῆς χερρονήσου, ἧς τὸν ἰσθμὸν
ἔφαμεν τὴν ἀπὸ Ἰσσοῦ ὁδὸν μέχρι Ἀμισοῦ ἢ Σινώπης, ὥς τινες, "Ces régions font partie de la
chersonèse dont nous avons dit que l'isthme suivait la route qui va d'Issos à Amisos ou Sinope,
selon certains"393. Pour le Périple, Sinope sert de point de repère dans la même perspective :
lorsqu'il décrit la Cilicie, il mentionne Sinope dans un passage qui fait écho au § 102 : "Depuis
Sinope qui se trouve dans le Pont, à travers le continent et la Cilicie, jusqu'à Soles, il y a 5 jours de
route d'une mer à l'autre"394.
La principale préoccupation de l'auteur du Périple est donc bien géographique, et Sinope est
rattachée à l'Assyria parce que cette dernière se trouve au nord de la Cilicie. Dans le même temps,
la présence avec Sinope de toponymes qui lui sont rattachés trahissent l'utilisation d'une source
périplographique, puisque Karoussa et Armenè y sont correctement situées, l'une à l'est, l'autre à
l'ouest de Sinope395. Mais qu'en est-il des deux autres toponymes inconnus, Kerasos et Tetrakis?
Karoussa (Gerze) et Armenè (Aklimanı) sont toutes deux visibles depuis la péninsule, et offrent des
étapes intermédiaires, la première sur la route de Trapezous, l'autre sur celle du cap Karambis396.
Karoussa au sud de Sinope, est presque la symétrique d'Armenè au nord. Arrien en fait un
mouillage (σάλος ναυσίν) et Eux. un emporion et un port protégé (ἐμπόριον καὶ λιμένα τοῖς ἀφ'
ἑσπέρας ἀνέμοις), ce que confirme Hamilton : "The description of the harbour, as given by [Eux.],
is quite appropriate… a good harbour when the wind blows from the west, which is the case"397.
Armenè est un port plus intéressant, car c'est une petite baie à la fois accessible, et totalement
protégée des vents de nord-ouest par l'Ince Burnu398. C'est là que les Sinopéens encampent les Dix

391
Burstein 1976, 55 et 129, n.57 juge que Sinope a été autonome pendant une vingtaine d'années après 361 a.C. Cf.
Debord 1999, 85, sur la route de Tarse à Sinope, et le rappel opportun de l'origine cappadocienne de l'ocre dit "de
Sinope".
392
Hdt. 2.104 : Φοίνικες δὲ καὶ Σύριοι οἱ ἐν τῇ Παλαιστίνῃ καὶ αὐτοὶ ὁμολογέουσι παρ' Αἰγυπτίων
μεμαθηκέναι, Σύριοι δὲ οἱ περὶ Θερμώδοντα ποταμὸν καὶ Παρθένιον καὶ Μάκρωνες οἱ τούτοισι ἀστυγείτονες
ἐόντες ἀπὸ Κόλχων φασὶ νεωστὶ μεμαθηκέναι. Ce passage qui explique les raisons de l'extension de l'usage de la
circoncision n'a pas de valeur précise, mais appelle à se figurer une vaste région qui s'étend d'une mer à l'autre à travers
le continent. Sur l'isthme cappadocien, cf. Debord 1999, 83-88. Sur l'histoire de la Paphlagonie et de la Cappadoce à
cette époque, Debord 1999, 110-115.
393
Hdt. 2.34 ; Str. 14.3.1, et aussi 2.1.16 ; 11.2.17 ; 12.3.1. Autre exemple, Périodos F. 25 et Marcotte 2000 p. 64-65 et
ad loc. p. 258.
394
Κιλικία. Ἐκ δὲ τῆς Σινώπης τῆς ἐν τῷ Πόντῳ διὰ τῆς ἠπείρου καὶ τῆς Κιλικίας εἰς Σόλους ὁδός ἐστιν ἀπὸ
θαλάσσης εἰς θαλάσσαν ἡμερῶν πέντε. Le texte est celui de Müller, dont j'adopte la correction (Σόλους ὁδός pour
Σολουσιδός).
395
Ce respect de l'ordre périplographique permet à son tour d'exclure l'hypothèse d'une intégration maladroite de la
Kerasous de Xénophon dans un catalogue mal construit des emporia de Sinope.
396
Le mauvais temps pousse Tournefort 1717 à aborder à l'une (201) puis à l'autre (212).
397
Karousa, Arr., Per.M.Eux., 14.5 ; Eux., 8V41 (§ 24 Müller) ; Hamilton 1842, 304-306. Cf. BP, 41 : Gerze Limanı,
41°48'.4N 35°12'E ; l'approche est directe. Il faut faire attention à une zone de hauts-fonds qui s'étend à environ 100 m
ESE du Kösk Burnu à l'est de la ville. Le mouillage n'est protégé que de l'O et du N". Cette description est aujourd'hui
obsolète, l'ancien port de Gerze ayant été entièrement entouré d'un port annulaire.
398
BP, 38 : "Aklimanı 42°03'.3N 35°03'E : lorsqu'on arrive du nord, il est à 0, 6 M au sud du Hamsı Burnu. De l'est, il
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 80

Mille : Τῇ δ' ἄλλῃ ἀφικνοῦνται εἰς Σινώπην καὶ ὡρμίσαντο εἰς Ἁρμήνην τῆς Σινώπης· καὶ ἐν
ταύτῃ τῇ Ἁρμήνῃ ἔμειναν οἱ στρατιῶται ἡμέρας πέντε, à portée de bateau, mais à distance de
Sinope :
"When going westward from Sinope, following the low sandy beach for about 10 km [Aklimanı],
and after crossing a river (unimpressive in summer) [Kara Su] possibly the Ocherainos by Skylax
§ 89, one comes to some low hills and, turning north to an enchanting little natural harbour
protected by two islets"399.
Armenè offre donc un abri aux navires venant du Bosphore sur le côté le plus exposé de la
péninsule de Sinope et leur permet d'aborder soit le port nord pour le diolkos, soit de faire le tour de
la péninsule vers le port sud dans les meilleures conditions. Armenè a donc sans aucun doute été
l'emporion principal de Sinope dans l'Antiquité. Et Kerasos? De Sinope à Armenè, le Périple
énumère Σινώπη πόλις Ἑλληνίς, Κερασοῦ πόλις Ἑλληνὶς καὶ Ὀχέραινος ποταμός, Ἀρμένη
πόλις Ἑλληνὶς καὶ λιμήν. Müller ad loc. émet l'hypothèse que Kerasos soit l'autre nom du
Σκόπελος, la presqu'île de Sinope. Mais on voit mal une cité s'installer sur une presqu'île
inaccessible autrement que par Sinope et son port.L'Ocherainos est le Kara Su qui se jette dans la
mer un peu au sud d'Armenè. Entre Sinope et Armenè, une fois passée la colline qui borne l'isthme
vers l'ouest, s'étend une plaine côtière où se trouve aujourd'hui le petit aéroport de Sinope. Cette
plaine est assez marécageuse (comme d'ailleurs toutes les parties basses de la péninsule de l'Ince
Burnu), et sans doute insalubre l'été, bien qu'il ne soit pas facile de juger de son état dans
l'Antiquité. En revanche, un peu en amont, la vallée du Kara Su est fertile et bien cultivée. Le fleuve
est fermé à l'embouchure par un banc de sable, mais offrait au moins une voie de communication
depuis l'intérieur jusqu'à proximité d'Armenè et sa vallée aurait pu attirer des colons : si l'on
imagine mal une cité installée entre Sinope et son principal port occidental, l'existence d'un centre
urbain au statut imprécis paraît plausible, et si l'on veut bien admettre que πόλις n'a pas de sens
politique "fort" dans le Périple, l'existence ephémère d'une Kerasos me paraît possible.
Il en va de même de Tetrakis. Aucune ville de ce nom n'a survécu, mais entre Armenè et Stephanè,
plusieurs sites sont possibles. La côte est décrite par Ménippe de Pergame :
Ἀπὸ Στεφάνης εἰς Ποταμοὺς χωρίον στάδιοι ρκ´ · ἔστι δὲ εἴσπλους εἰς Ποταμοὺς
πορθμίοις. Ἀπὸ Ποταμῶν χωρίου εἰς Συριάδα ἄκραν λεπτὴν στάδιοι ρκ´ . Ἀπὸ Συριάδος
ἄκρας κόλπος ἐνδέχεται. Εἰσπλεύσαντι δὲ εἰς αὐτὸν εἰς Ἀρμένην κώμην καὶ λιμένα μέγαν
εἰσὶ στάδιοι ν´ 400.
Hamsılos est directement abrité par l'Ince Burnu et offre un havre presqu'aussi favorable que celui
d'Armenè401. Plus à l'ouest, le site actuel de S/erefiye, l'ancienne Potamoi offre l'embouchure
protégée d'un fleuve côtier qui sert encore de port. Enfin il y a Ayancιk d'où s'exporte toujours le
bois de la région :
"Il s'y fait une coupe de 10 000 arbres par an en moyenne, dont le bois alimente les scieries des
alentours, où l'on fabrique des quantités importantes de planches qui sont embarquées en grande
partie sur des qaïqs et autre embarcations de faible tonnage, tant à Istefan qu'à Ayandjik, autre petit

est facile à identifier : l'entrée du port, le phare, et le quai sur le côté nord de l'entrée, et la petite île au sud sont aisément
repérables. Attention aux hauts fonds de chaque côté. Bon abri par tout vent".
399
Xen. 6.1.15, Ἁρμήνην pour les éditeurs**, Ἀρμήνην pour St.Byz. s.v. La description est de Stoop 1977-1978. Elle a
recherché les murailles que signalait le proverbe mentionné par Str. 12.3.10 :"Qui n'avait rien à faire munit Armenè de
murailles", et a trouvé la carrière qui a servi à la bâtir. Le site est enchanteur, mais la superbe forêt qui le recouvre laisse
mal deviner des vestiges archéologiques.
400
Épit. Mén., Diller** (§ 9 Müller).
401
Cf. BP, 38, Hamsılos (mouillage), 42°04'.8N 35°02'.5E : "L'approche est directe le long de la côte par le N, d'où l'on
voit facilement la baie à 0, 4 M du Hamsı Burnu [pointe orientale de l'Ince Burnu] (42°03'.6 N 35°03'.1E), ou de l'est,
où il ne faut simplement pas le confondre avec Aklimanı. On peut s'y ancrer ou s'ancrer à terre. La baie fournit un abri
des vents d'E. dans sa plus grande partie, et un bon abri contre tous les vents dans sa partie nord ouest, mais attention
aux hauts-fonds. L'un des trois ancrages protégés de la côte nord de la Turquie".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 81

port voisin"402.
Chacun de ces sites aurait pu abriter Tetrakis. L'histoire de Kerasos et Tetrakis ne se laisse pas
deviner. Puisqu'Armenè, bien connue et localisée, vient s'intercaler entre elles deux, elles figuraient
à leur place dans l'itinéraire qu'utilise ici le Périple : fondations transitoires ou sans lendemain, elles
ont disparu totalement ou changé de nom, et, sauf découverte archéologique imprévisible, il est
impossible d'en savoir davantage.
4.10. Paphlagonie.
— Le § 90.
— Texte retenu.Παφλαγόνια. Μετὰ δ' Ἀσσυρίαν ἐστὶ Παφλαγονία ἔθνος. Ἔστι δ' ἐν
αὐτῇ Στεφάνη Λιμήν, Κόλουσσα πόλις Ἑλληνίς, Κίνωλις πόλις Ἑλληνίς, Κάραμβις πόλις
Ἑλληνίς, Κύτωρις πόλις Ἑλληνίς, Σησαμὸς πόλις Ἑλληνὶς καὶ Παρθένιος ποταμός, Τίειον
πόλις Ἑλληνὶς καὶ Λιμὴν Ψύλλα καὶ ποταμὸς Καλλίχωρος.
— Apparat.λιμήν : λιμίης D a.c. ; Κίνωλις : Κορωνὶς D ; Κάραμβις : Κάραμως D ;
Παρθένιος : Παροίνιος, D ; Τίειον : Τίθιον D ; καὶ Λιμὴν Ψύλλα : καὶ λιμὴν, Ψύλλα Müller.
— Traduction.
(§ 90) Paphlagonie. Après l'Assyria, il y a le peuple de Paphlagonie. On y trouve Stephanè Limèn,
la cité grecque de Koloussa, la cité grecque de Kinôlis, la cité grecque de Karambis, la cité grecque
de Kytôris, la cité grecque de Sèsamos et le fleuve Parthenios, la cité grecque de Tieion, Limèn
Psylla et le fleuve Kallichôros.
— Notes.
L'identification des toponymes est encore une fois problématique. Certains fautes sont patentes, et
lorsque le nom est attesté chez les auteurs classiques j'ai adopté les corrections proposées par Müller
: la correction de Κάραμως en Κάραμβις, paléographiquement évidente, comme celle de
Παροίνιος en Παρθένιος. Τίθιον doit être corrigé en Τίειον, malgré Τίον chez Ménippe de
Pergame et une fois sur deux chez Strabon403. La correction de Κύτωρις en Κύτωρος ou Κύτωρον
est peut-être inutile.
— La côte paphlagonienne.
C'est une côte superbe mais difficile, même aujourd'hui. La route côtière moderne, de Sinop à
Amasra, est une corniche sujette aux éboulements, aux ravinements, et elle passe de cap en vallée et
de vallée en cap sur près de 350 kilomètres. Sur la portion paphlagonienne (pour le Périple) de la
côte, la seule plaine côtière un peu étendue est celle de Cide, l'Aigialos des anciens, et les
montagnes ne s'abaissent que dans la région d'Amasra (Sèsamos/Amastris), qui est dotée d'un
arrière-pays densément cultivé. La région située à l'ouest d'Amasra, avec Bartın d'abord (sur la
vallée du Bartın Su/Parthenios), puis la vallée du Yenice Irmag/ı (Filyos Çay/Billaios) avec
Hisarönü (Tieion) à l'ouest, est beaucoup plus riante et l'on comprend aisément que la reine
Amastris ait souhaité englober cette portion de territoire dans le synoecisme de la cité qu'elle
fondait. A l'époque hellénistique, la Paphlagonie occupe un territoire dont le centre historique se
situe à l'intérieur des terres et dont la capitale est Gangra (Cankırı), mais elle s'étend aussi sur le
littoral pontique, du Parthenios (Bartın Su), non loin d'Héraclée, à l'Halys (Kızıl Irmak)404.
Historiquement, géographiquement, et sans doute ethnographiquement, il y a deux Paphlagonies,
une Paphlagonie continentale et une Paphlagonie côtière. Il nous est à peu près impossible de

402
Cuinet 1893, 590. La région de Sinope est grande productrice de bois, cf. 570, Sandjak de Sinope : [L'abondance
des bois a fait la célébrité des chantiers navals de Sinope] "Parmi les nombreux ruisseaux qui descendent des
montagnes et des collines, de toutes parts dans le sandjak de Sinope, abondamment approvisionné d'excellente eau
fraîche et limpide on peut citer l'Ayandjik-sou, hameau maritime du caza d'Istefan [à l'ouest de Sinope sur la côte]
pour le transport, au moyen du flottage, du bois qu'ils coupent aux environs. Le Tchobanlar sou sert au besoin au
même usage, dans le caza de Sinope, aux habitants de Tchobanlar Keuï [voisinage de Gerze].
403
Sur ce choix, voir Robert 1937, 266 n.1. L. Robert est revenu à plusieurs reprises sur Tieion et son territoire, en
particulier Robert 1977, 59-64 ; Robert 1980, 99-103 (sur le Billaios et la vigne) ; 176-181.
404
Debord 1999, 110-115.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 82

déterminer les limites de la Paphlagonie archaïque405. Bien que Sinope soit fondée peu après les
débuts de la colonisation du Pont par les Grecs, les historiens grecs du Ve s. a.C. ne permettent pas
de déterminer précisément sa localisation et son étendue406. Impossible de savoir où passait, si
même elle existait, la frontière entre la Paphlagonie et l'Assyria pontique, et même à l'époque
hellénistique cette frontière n'est pas nette : l'historien milésien Maiandrios, dans une tentative de
réconcilier exégèse homérique et géographie, imagine par exemple une migration :
"Les Enetoi avaient quitté le territoire des Leukosyroi pour combattre en alliés aux côtés des
Troyens et… ils partirent de Troie avec un parti de Thraces pour aller se fixer à l'extrémité de
l'Adriatique, tandis que les Enetoi qui n'avaient pas pris part à l'expédition devinrent des
Cappadociens"407.
Et Strabon, à qui l'on doit cette citation et qui connaît bien la région, continue :
"Ce raisonnement semble corroboré par le fait que dans toute la partie de la Cappadoce voisine de
l'Halys, qui borde la Paphlagonie, on parle deux langues et que l'on use abondamment de noms
paphlagoniens… Ces noms sont courants en Babamonitide, en Pimolitide, en Gazalouitide, en
Gazacène et dans un très grand nombre de contrées"408.
Même à l'époque impériale, la réalité de la frontière ethnique entre Paphlagonie et Cappadoce est
donc difficile à établir. A partir du Ve s. a.C., la frontière orientale de la Paphlagonie nous devient
perceptible. Elle correspond à la répartition du nord de l'Anatolie entre deux satrapies différentes,
celle de Cappadoce à l'est, et celle de Daskyleion à l'ouest, et à l'invention de l'"isthme anatolien"
par les géographes grecs, isthme signalé par le cours de l'Halys qui met les Leukosyroi à l'est et les
Paphlagoniens à l'ouest : cet isthme, dont la réalité géographique n'est jamais remise en question et
qui devient un outil de description ethnographique de l'Asie mineure, traduit ainsi en frontière
ethnique ce qui est à l'origine une frontière politique409. Pour le reste, les Paphlagoniens font partie
des peuples de l'intérieur, en conjugaison, en particulier, avec les Matiènes et les Phrygiens. Les
habitants de la côte pontique au Ve s. a.C. ont peu à voir avec ceux de l'intérieur de l'Anatolie au
même moment ; ce sont de nouveaux arrivants en Asie Mineure, apparemment des Thraces. Ctésias,
par exemple, mentionne comme paphlagoniens des Τιριβιζανοί d'origine odryse410. Dans nos
sources, cette Paphlagonie pontique n'apparaît que progressivement, accompagnée par l'expansion
vers l'est de la légende de Phinée. Elle est à mettre en rapport avec l'histoire du Pont méridional
pendant cette période. A partir des années 430, Athènes prend pied dans le sud du Pont-Euxin ; la
réalité de l'expédition de Périclès dans le Pont est discutée, mais pas celle de l'intervention des
Athéniens à Sinope, où ils renversent la tyrannie de Timesilaos et installent 600 colons ; à Amisos,
qui, au IVe s. a.C. va prendre un temps le nom de Pirée. Après 425, le tribut des cités pontiques, et
en particulier d'Héraclée, figure dans les ATL411. En 424, Lamachos échoue piteusement devant
Héraclée, mais en 423 a.C., la cité connaît une révolution démocratique412. Après la fin de la guerre
du Péloponnèse, la région est également présente dans l'historiographie grecque avec le passage des
Dix Mille, les expéditions d'Agésilas dans la satrapie de Daskyleion et la reprise en main de la

405
Sur la Paphlagonie, cf. Rüge & Bittel 1949, et, pour des études spécifiques, Leonhard 1915, 288-308 et von Gall
1966 qui soulignent les influences thraces et phrygiennes.
406
Str. 12.3.25 = Hecat., FGrHist 1F199.
407
FGrHist 491F4 = Str. 12.3.25. L'Assyrie pontique est rattachée à la Cappadoce. Pour les historiens grecs, les Enetoi
homériques sont naturellement la souche dont sont issus les Vénètes de Vénétie, sinon de Bretagne.
408
Il s'agit des régions intérieures de la rive droite de l'Halys, aux environs de Çorum, Merzifon et Amasya.
409
Hdt. 1.6; 1.72 : l'Halys sépare les Syriens des Paphlagoniens. Certains passages montrent qu'Hérodote connaît une
Paphlagonie côtière, 1.28 ; 3.90 ; 7.72. Cf. Debord 1999, 83-88. Mais la localisation des sites est impossible : que
penser d'une phrase comme Hdt. 2.104 : "Les Syriens établis dans les vallées du Thermôdôn et du Parthenios", sinon
qu'Hérodote ne sait pas distinguer entre les peuples et les lieux?
410
Ctes., FGrHist 688F58.
411
Cf. ATL III. 89 ; 116-117.
412
Cf. Burstein 19761, 31-41 sur cette période de l'histoire d'Héraclée ; Debord 1999, 90-91, sur la présence athénienne.
Sur l'expédition de Lamachos dans le Pont, cf. Th. 4.75.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 83

région par Datamès, le satrape de Cappadoce, à partir de 380 (avec la prise de Sinope). Il n'est donc
pas surprenant de voir la Paphlagonie pontique devenir plus présente dans nos sources, chez
Xénophon, chez Éphore ou Théopompe413. Malheureusement, lors du voyage des Dix Mille vers
Héraclée, Xénophon passe au large des côtes paphlagoniennes, mais Éphore fait de Kytôros l'un des
fils de Phinée, première apparition de ce nom dans les sources littéraires après Homère414. C'est vers
cette époque aussi qu'apparaissent les premières monnaies de deux de nos cités pontiques, Krômna
et Sèsamos, monnaies qui partagent le même type monétaire415. Krômna est apparemment une
place-forte, et Sésamos est menacée par Datamès vers 380. C'est à cette l'époque qu'est édité le
Périple.
— Cités, ports et fleuves.
—Sites identifiés :
Parmi les noms mentionnés par le Périple, des sites bien repérés permettent de localiser les autres
avec une bonne probabilité.
— Stephanè Limèn, aujourd'hui Çaliog/lu, représentait une étape appréciée sur la route de Sinope.
Le port est abrité des vents de nord-ouest par les hauteurs de l'Usta Burnu, ce qui faisait sa valeur, et
il était déjà mentionné par Hécatée de Milet416. On y arrive difficilement, depuis Ayançık
seulement, par une route en corniche d'abord, puis une piste caillouteuse. La mer était sans aucun
doute le moyen de communication privilégié vers Stephanè :
"Nous partîmes d'Abono [Inebolu] le 16 mai dans le dessein d'aller à Sinope, mais la pluie nous
obligea de rester à moitié chemin et de camper le long de la plage à 40 milles de cette ville. On voit
d'assez beaux villages sur la côte à l'entrée des bois qui sont d'une beauté surprenante. Stephanio
n'est pas un des moindres"417.
— Karambis est le principal cap de la côte sud de la mer Noire pour les géographes. C'est un cap
remarquable, et le massif dont il est l'extrémité est aussi une frontière climatique :
"Ce cap est l'un des plus hauts de la mer Noire et le plus rapproché des côtes de la Crimée, dont le
cap Sariche n'est éloigné que de 130 milles… Ces deux promontoires partagent la mer Noire en
deux parties, souvent très distinctes, par la différence des vents qui y règnent. Kérempé mérite le
nom de Spartivento (partage-vents) donné par les Italiens à quelques caps de la Méditerrannée, car à
sa hauteur on observe souvent une lutte des vents qui y forment une ligne de démarcation très
distincte"418.
Il est très remarquable que le Périple le mentionne comme cité, et non comme cap ou comme cité et
cap (comme pour Iasonia)419. Le cap Karambis ne se détache pas dans le paysage aussi notoirement
que le prétend Taitbout de Marigny. Hommaire de Hell, par exemple, qui passe peu après en
contrebas du cap en bateau, le contredit :
"Bientôt nous sommes en face du célèbre cap de Kerembeh, signalé par M. Taitbout de Marigny
comme un promontoire gigantesque, mais qui n'offre en réalité qu'un méchant petit cap, d'une
trentaine de mètres au plus d'élévation. D'autres le suivent, parmi lesquels celui de Fakas-Bournou.

413
X., An., 5.5-6 etc. Ephor., FGrHist 70F70, Theopomp.Hist., FGrHist 115F179, F388. Théompompe suit dans le
détail les opérations de Datamès, mais distingue mal Bithyniens, Mariandynes et Paphlagoniens.
414
Voir infra n. **.
415
Price 1993, n° 1322-1349 (Krômna); n° 1354-1358 (Sèsamos) ; Stancomb 1999, n° 742-745, Krômna ; n° 747-749,
Sèsamos. Les types sont originaux pour la région.
416
FGrHist 1 F198 = St.Byz. s. Στεφανίς· πόλις Μαριανδυνῶν, Ἑκαταῖος Ἀσίᾳ.
417
Tournefort 1717, 199-200. BP, 37 : Çayliog/lu, 41°58'N 34°30'.4E. Un village subsiste, et une digue moderne abrite
les bateaux de pêche en saison ; les vestiges du port antique ont sans doute disparu sous le béton. L'Usta Burnu est
toujours le cap Stephano pour les pêcheurs de Sinope.
418
Taitbout de Marigny 1830, 23-24. De même, après Karambis, le navire de Clavijo rencontre des vents différents,
Kehren 1990, 134 : "Un brouillard épais était apparu. A l'heure de tierce un vent violent se leva, la mer se souleva en
fortes vagues et nous craignîmes une tempête. Comme il n'existait pas de port avant une longue distance, nous
continuâmes à naviguer".
419
Voir supra, p. **.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 84

Tous ces caps se rattachent à une chaîne de médiocre hauteur qui borne cette côte… Nous passons
devant Fakas Skelessi, village d'une soixantaine de maisons où l'on construit jusqu'à des bricks. Puis
viennent le cap et l'échelle de Mezet, Kaïran Skelessi, Zarpana Skelessi, avec une grande plage, une
belle vallée et un fond de hautes montagnes ; et enfin Inéboli, où nous débarquons"420.
La région du cap Karambis est très montagneuse dans une région qui l'est pourtant assez : les
vallées y sont plus profondes et découpées, avec des criques profondes au pied de falaises abruptes.
Mais le cap Karambis n'est que le primus inter pares des caps de ce massif, dont l'ensemble
constitue la barrière climatique remarquée par les marins et notée par Taitbout de Marigny. Le Ps-
Skylax est le témoin précieux d'un moment où Karambis est encore une cité, en amont de sa
mutation en topos géographique ; l'une des échelles protégées signalées par Hommaire de Hell
devait abriter la cité grecque du Périple, par exemple l'échelle de Fakaz, la plus importante et la
plus proche du cap. La célébrité du cap Karambis, sa transformation en amer de référence, sont liées
au développement de la route maritime qui longe la côte méridionale du Pont jusqu'à son niveau, et
qui prenant Héraclée, Tieion, ou Amastris comme base, traverse vers le nord en direction de la
Chersonèse taurique : cette route est apparemment inconnue tant d'Hérodote que du Pseudo-Skylax.
Ce dernier, bien qu'il signale le cap Kriou Metopon comme promontoire méridional de la Tauride et
comme point de repère sur la route directe qui mène du Bosphore de Thrace à Panticapée n'indique
pas que le Karambis est son vis-à-vis**.
— Kytôris est plus généralement Kytôros, ἡ Κύτωρος, semble-t-il, à l'époque byzantine. Le texte
devrait être corrigé dans ce sens, si une entrée du Ps-Zonaras ne laissait penser que la finale est
originale421. C'est l'un des trois ports naturels sur la côte nord de la Turquie, et il est régulièment
décrit, par exemple par Taitbout de Marigny :
"A 30 milles E-N-E d'Amasra, à l'E. d'une haute montagne que les Turcs appellent Tepéfoulla, et
au pied d'une autre qui a la forme d'un pain de sucre, se trouve le mouillage de Kitros. Il est petit et
resserré à son entrée par un rocher qui défend un peu les navires des lames venant du large. Le N.
en est le traversier"422.
— Sèsamos est devenue à l'époque hellénistique l"acropole" d'Amastris, par "le synoecisme de
quatre établissements (κατοικιῶν), Sèsamos, Kytôron et Krômnè (ἔκ τε Σησάμου καὶ Κυτώρου
καὶ Κρώμνη) … le quatrième étant Tion (τετάρτης δὲ τῆς Τίου)"423. C'est un site portuaire
remarquable formé de deux presqu'îles reliées par une chaussée, et d'une île accolée :
"On découvre d'assez loin Amasra comme un groupe d'îlots. Cette ville est située à 48 milles N.E.
de Penderaklia [Héraclée], sur une double péninsule dont la première partie tient à la terre ferme par
un isthme sablonneux d'environ 100 toises de large. La seconde, de forme circulaire, est jointe à
celle-ci par une chaussée, que les vagues franchissent dans les gros temps. Elle a 200 toises de
diamètre… A une encablure, il y a un îlot… A l'est de l'isthme se trouve le port d'Amasra. Dans sa
partie septentrionale, sur la pointe de la ville, avait été construite une jetée…ruinée depuis"424.
L. Robert soulignait la valeur de son port :
420
Hommaire de Hell 1854, 338-339 ; Daussy 1859, 84. B&W, 67 : "There are three indications that Karambis was more
than a cape… Nothing appears to survive today on the cape itself. However, about 2km east of Cape Karambis lies the
village and skala of Fakas ; it was in 1972 effectively reached only by sea". Le Kerembe Burnu ne se distingue pas
véritablement des caps qui l'entourent, mais le paysage reste très impressionnant, et c'est tout sauf un "méchant petit
cap". Adèle Hommaire de Hell avait, il est vrai, donné à son mari quelques raisons d'être jaloux de Taitbout de Marigny.
421
Ὁ Κύτωρος, A.R. 2.942 ; τὸ Κύτωρον, Str. 12.3.10 : Τὸ δὲ Κύτωρον ἐμπόριον ἦν ποτε Σινωπέων, ὠνόμασται
δὲ ἀπὸ Κυτώρου τοῦ Φρίξου παιδός, ὡς Ἔφορός φησιν = Éphore 70F185. On trouve aussi ἡ Κύτωρος, p. ex.
E.M. s. Κρωβίαλος. Ps-Zonaras, s. Κύτωρις· ὄνομα ποταμοῦ.
422
Taitbout de Marigny 1830, 22. BP, 32 : "Sütlüce (Gideros Limanı), 41°51'.9N 32°51'.5E. Difficile à identifier.
L'entrée est à 1 mille à l'est du Tosun Burnu (41°52'N 32°53' E)… Du côté ouest, il y a des récifs. L'ancrage est
commode, protégé de tous les vents, bien que quelques vagues puissent pénétrer dans la baie par fort vent du nord".
Robert 1980 lui consacre un chapitre, 147-150. On retiendra en particulier que Kytôros servait de port lorsque Cide
devenait dangereux (p. 150, n. 26) ; voir par exemple Hommaire de Hell 1854, 334. C'est un superbe paysage.
423
Str. 12.3.10.
424
Taitbout de Marigny 1830, 21-23.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 85

"[Il est abrité par] les deux promontoires rocheux qui portent la ville et assurent ainsi la formation
de deux petits ports sûrs, l'un l'Ouest, l'autre à l'Est. Ces doubles ports sont d'une valeur particulière
pour la navigation à la voile, et l'antiquité les a souvent marqués par ses sites urbains les plus beaux
et les plus idéals.… C'est le λιμὴν ἑκάτερθε πόληος de l'Odyssée. On a ici un exemple
remarquable pour la topologie d'une colonie grecque"425.
Ehrhardt fait de Sèsamos une fondation milésienne et, à côté des versions légendaires qui attribuent
sa fondation à Phinée, une scholie aux Argonautiques en fait une fondation carienne426. Mais ses
monnaies n'apparaissent qu'au IVe s. a.C.427. C'est une période à laquelle Sèsamos profite peut-être
des problèmes de Sinope pour tenter d'en secouer le joug, puisque Datamès utilise le prétexte d'une
expédition contre Sésamos pour obtenir l'aide des Sinopéens – et l'utiliser contre eux ensuite : il
fallait aux Sinopéens un très grand désir de se débarasser de Sèsamos pour prendre le risque d'armer
un ennemi aussi dangereux428. Si l'on met en parallèle la mise en place de la route directe par le
Karambis à partir du IVe s. a.C., route qui rend inutile l'escale à Sinope, située plus à l'est, avec le
développement de Sèsamos et des ports paphlagoniens, l'agressivité des Sinopéens trouve sa pleine
justification.
— Le Parthenios est le plus célèbre des fleuves sur cette côte, et son estuaire offre un port
recherché, aujourd'hui port de guerre de la marine turque429.
— Tieion, aujourd'hui Hisarönü , se trouve à quelques kilomètres à l'ouest de l'estuaire du Billaios
(Yenice Irmag/ı). La cité se détache assez rapidement du synoecisme d'Amastris, et il est vrai que le
Billaios représente une sorte de frontière "naturelle" pour tout le territoire qu'il délimite et que
Tieion est en dehors de ce terroir. Le port qu'elle s'était bâti, dont il reste quelques vestiges au pied
de l'acropole, est situé dans une rade assez mal protégée des vents de nord-ouest, malgré ce qu'en
écrit L. Robert430. Les habitants de Tieion utilisaient sans doute le Billaios comme port principal : la
carte de L. Robert montre que la route ancienne vient à la rencontre du fleuve en contournant
l'éperon qui porte le promontoire ; le fleuve est navigable sur 20 km, les monnaies qui figurent le
Billaios portent la proue de navire caractéristique, et la barre qui "rend pénible l'entrée dans le
Billaios", ne l'était pas forcément autant dans l'Antiquité. En revanche, en évitant l'estuaire et ses
marécages, la cité avait peut-être choisi un site moins insalubre.
— Sites identifiables.
— Koloussa ne porte pas un nom extraordinaire pour un toponyme : le grammairien Aristophane
mentionne un lieu d'Arcadie du nom de Κολούσοι431. Le verbe peut s'appliquer à une diminution
(un rétrécissement, ou une langue de terre en pointe, un cap?), et un toponyme de ce nom n'aurait
425
Robert 1980, 162-163. Amastris est décrite par Str. 12.3.10 et par une notice très complète d'Eustathe, ad Il. 2. 853,
vol. I. p. 569.
426
Ehrhardt 1983, 53. Schol. ad A.R. 2. 941-942 ; "Elle reçut son nom à l'origine du fait que les <lacune> reçurent des
Cariens qui voulaient fonder la ville du sésame en échange du territoire". Reste à savoir s'il s'agit bien de la même ville.
Sur la fondation par Phinée, cf. Eustathe, s.r. ad Il. 2.853, vol 1. p. 569 ; οἰκίσαι ταύτην ὁ τῆς παλαιᾶς ἱστορίας
Φινεύς), à moins que Phinée en ait été le premier habitant (St.Byz. s. Σήσαμον, ἐν ᾗ ᾤκησεν ὁ παλαιὸς Φινεύς).
427
Cf. n. 408.**
428
Polyen, Stratagèmes, 7.21.2 (Datamès)**.
429
Sur le Parthenios (Bartın Su) et sa vallée, l'utilisation de son embouchure comme port et les exportations de bois qui
se font à partir de ce dernier, cf. Robert 1980, 169-178. Mais le nom est assez commun, il désigne par exemple l'Eubée
(Παρθένιος, Schol. ad Pi., O, 6.149) ou une cité de l'Eubée (St.Byz., s. Παρθένιον) ou le premier nom du fleuve
Imbrasos de Samos, cf. Vian 1976 ad A.R. 1.187. Son identité avec le Parthenios d'Hésiode n'a rien d'assuré.
430
Robert 1937, 272-276 ; carte p. 270, fig. 2 ; von Diest 1889, 74-75 repère l'enceinte de la ville à l'est, reliant
l'acropole du bord de mer à un fort hellénistique (Kuleh Tepe), au nord de la route qui permet de rejoindre le gué du
Billaios depuis Hisarönu. Cette route se termine au niveau de Tschölmekıkils/iler, par un "Sperfort". Voir la carte
détaillée qui accompagne le texte. Les restes du quai au pied de la citadelle et d'un môle sont encore visibles (pas pour
très longtemps sans doute, car les blocs de ciment du prochain brise-lames étaient prêts à l'utilisation en mai 2002 ; le
port était battu par le vent de N.O et les vagues le jour de ma visite).
431
Ar.Byz., Epit., 2. 371 : Ἐν Κολούσοις δὲ τῆς Ἀρκαδίας. Hsch. s. κολοῦσθαι· κολοβοῦσθαι ; Schol. ad A.R.
3.1040 : κολούσας, κολοβώσας ; κολούων ; μειῶν, ἐλαττῶν en rapport avec l'adjectif κόλος, "écourté". Voir aussi
Schol. ad Nic., Ther., 525 : κολούσας· κόψας, κλάσας.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 86

rien de surprenant dans la région : ce serait un autre toponyme en -oussa, ou -ousa, dans les
environs de Sinope, toponymes qui semblent jouir d'une certaine faveur dans le monde ionien, pour
des îles en particulier432. Seul Mela, toujours proche du Périple sur cette portion de la côte,
mentionne Collyris entre Κίνωλις et Armenè433. Entre Kinôlis et Stephanè se trouvent quelques
caps dont le plus important est l'Ayandon Burnu, jadis Haghi'Antonios434. Koloussa aurait pu s'y
abriter, sur le site de ce qui est aujoud'hui Türkeli, et où Hommaire de Hell notait :
"Gelesou Bournou, cap saillant, escarpes au delà de la côte dans une vaste courbe dont Aï-Antone
occupe le point extrême ; toujours les pentes douces, la culture, où vignes jusqu'à la mer, et la plage
de gravier ou de sable… Petite gorge : scierie ; brick en construction ; Aï-Antone Skelessi, une
douzaine de maisons y compris le village du même nom"435.
— Müller a vraisemblablement raison de penser que Κορωνίς est la Κίνωλις historique. Le
toponyme est commun, l'existence de ces similitudes suffit à expliquer l'erreur du copiste, et le
passage de ΚΙΝΩΛΙϹ à ΚΟΡΩΝΙϹ peut s'être fait en plusieurs temps436. Le site de Kinôlis
présente à la fois deux belles anses de part et d'autre d'un promontoire et une portion de côte où les
montagnes s'abaissent un peu pour laisser place à des collines moins austères437.
— Psylla est vraisemblablement Limèn Psylla ; on pourrait estimer que Tieion est désigné comme
πόλις καὶ λιμήν mais il est préférable de construire : Τίειον πόλις Ἑλληνίς, καὶ Λιμὴν Ψύλλα438.
Le nom fait écho aux Phteirophages et autres Ψωρῶν Λιμήν de la région de Trapezous, § 85. Le
site est placé à 90 stades à l'ouest de Tieion par Ménippe et Arrien et diversement défini comme
emporion ou comme chorion. Psylla devait être une échelle à l'ouest de Tieion, entre Türkali et
Kilimli, où Hommaire de Hell en relève plusieurs : Türkali, Kebu Dere (?), Çatalag/zi, Kuçuckaves
Skelessi. — Le Kallichôros pose un intéressant problème. Le toponyme est ignoré par Ménippe,
Arrien et Eux., mais mentionné par Apollonios (et ses imitateurs) sous la forme Καλλιχόρος :
"En peu de temps, ils sortirent de l'Achéron à la rame ; puis, se confiant au vent, ils hissèrent la
voile et, toute voilure dehors, ils voguaient de l'avant au loin, par belle mer. Ils longèrent bientôt les
bouches du fleuve Kallichoros (Καλλιχόροιο παρὰ προχοὰς ποταμοῖο) où, dit-on, le fils Nyséen
de Zeus, quand il eut quitté les peuples de l'Inde pour s'installer à Thèbes, célébra les orgies et
institua les danses devant un antre, demeure où il passait ses nuits à de terrifiants mystères : de là
vient que les habitants d'alentour ont surnommé le fleuve Kallichoros (fleuve des belles danses) et
l'antre Aulion (la demeure)"439.
Apollonios lie donc le Kallichoros à Dionysos et la présence de Dionysos à son retour triomphal de
432
Cf. Dion 1977, 26-29. Voir toutefois Laroche 1975, car le hittite présente les mêmes suffixes et des toponymes de
forme similaire.
433
Mela, 1.19.104.
434
Taitbout de Marigny 1830, 23 : "Depuis le cap Kérempé jusqu'au cap Indjé, on compte 75 milles. La côte n'a presque
pas de sinuosité et court E. et O. On y trouve quelques plages qui sont fréquentées par des bâtiments du pays et dont les
plus remarquables sont Andoune et Istéfane." Le lieu est déjà mentionné par Haci Khalfa, cf. Armain 1846, 711.
435
Daussy 1859, 86. Hommaire de Hell 1854, 343 y reconnaît des ruines du Bas-Empire, "un tronçon de colonne et un
piédestal". Le rapprochement entre Koloussa et Gelesou mériterait peut-être d'être exploré.
436
Il y a une Korôneia (Κορώνεια) en Béotie, une Korônè (Κορώνη) en Messénie ; Korônis est aussi un nom de
personne (l'une des Hyades).
437
Le port moderne de Kinolis est Konaklı liman, 41°58'N 34°10'E, qui dans son état de 1993, offrait un port exposé au
N et à l'E. Antikinolis pourrait avoir été à Çatalzeitin, bien mal protégé cependant des vents de nord-ouest. Peut-être
s'agit-il en fait de la baie située "de l'autre côté" du Liman Burnu? Elle n'est pas abritée du nord-ouest non plus, mais
présente un mouillage alternatif favorable par vent d'est. Clavijo trouve refuge à Kinolis en arrivant en pleine nuit
d'Inebolu, dépourvue de port.
438
Dans le Périple, λιμήν est souvent placé avant le mot auquel il est apposé dans des constructions sans ambiguïté, cf.
§ 13 : πόλις Μεγαρίς ἐστί Συράκουσαι, καὶ λιμὴν Ξιφώνειος ; § 14 : Μεταπόντιον, ἄρας καὶ λιμὴν Ὑδροῦς ἐπὶ
τῷ τοῦ Ἀδρίου… στόματι ; § 47 : λιμὴν ἐν αὐτῷ Ὀλοῦς ; § 94 : λιμὴν Πατάνη. Comme on l'a vu pour
Chersonèsos, la qualification du toponyme entre dans le processus de définition du lieu et ne fait pas forcément partie
intégrante du toponyme lui-même (comme Σινδικὸς Λιμήν). On peut comprendre "Port Psylla", ou " avec comme port,
Psylla", ce qui est différent.
439
A.R. 2.901.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 87

l'Inde, ce qui n'a rien de surprenant à l'époque hellénistique. Le scholiaste d'Apollonios assimile le
Kallichoros à l'Oxynôn, un autre nom de l'Oxinas, fleuve dont l'estuaire se trouve à 210 stades
d'Héraclée. Arrien signale d'autre part un lieu nommé τὸ Μητρῷον, dont Eux. écrit qu'il est τὸ νῦν
λεγόμενον Αὔλιον, et qui pour F. Vian est l'Aulion, rattaché au Kallichoros par Apollonios. Mais
Arrien ne mentionne ni l'Aulion ni le Kallichoros, et Müller est beaucoup plus prudent440. Τὸ
Μητρῷον, à 80 stades à l'est d'Héraclée, est à 140 stades à l'ouest de l'Oxinas (185 pour Eux.)441. La
distance est bien grande pour que les deux lieux soient unis dans le même culte. En fait, le
scholiaste et Eux. (qui travaillent dans le même cercle) tentent tous deux de localiser les lieux
mentionnés par Apollonios en utilisant les textes dont ils disposent et n'ont pas à jouir d'une autorité
particulière.
L'identification du Kallichoros avec l'Oxinas est inacceptable parce que le Périple place ce fleuve à
la frontière entre le territoire de Tieion et celui des Mariandynoi, c'est à dire d'Héraclée ; or la
frontière occidentale de Tieion est logiquement à rechercher du côté de Krènides (Kilimli) selon L.
Robert, et Krènides se trouve à 150 stades à l'est de l'Oxinas, à 90 à l'est de Sandarakè, et à 30
stades seulement à l'ouest de Psylla442. Le Kallichôros du Périple est donc à chercher dans les
environs immédiats de Psylla et pourrait être un des fleuves côtiers de Kilimli ou Zonguldak. Son
lien avec Dionysos est justifié à Tieion qui reconnaît ce dieu comme κτίστης et le fait figurer sur
les monnaies de la cité à l'époque impériale443. Mais l'expédition en Inde est un épisode relativement
tardif, et Dionysos pouvait être associé à d'autres cultes ; il existe par exemple un Καλλίχορος
attique lié à Eleusis et ses mystères depuis Homère, qui l'est toujours chez Callimaque444.
L'existence d'un Αὔλιον ἄντρον dans le contexte d'un tel culte n'aurait rien de surprenant.
Faut-il pour autant corriger le texte du manuscrit de Καλλίχωρος en Καλλίχορος? Même si les
habitants de Tieion (et de cette partie de la côte) avaient du goût pour les noms qui évoquent la
patrie grecque, nous n'avons pas la chance de disposer pour le Kallichoros des monnaies qu'à
commentées L. Robert pour le Ladôn ou le Billaios445. Faute d'élément matériel on en est réduit aux
hypothèses : le Kallichôros aurait aussi pu être "Bel Endroit" et l'association au Kallichoros attique
ou à Dionysos vainqueur des Indes, ne venir qu'après coup.
— La présence de ces toponymes qui apparaissent pour la première fois et dont deux disparaissent
ensuite des géographies, et la mention de Karambis comme polis et non comme cap, déterminent un
créneau chronologique assez étroit entre la seconde moitié du Ve et le début du IVe s. a.C., moment
où s'ouvre la route Karambis-Kriou Metopon, qui correspond à la présence athénienne, ce qui
pourrait expliquer certaines caractéristiques de la description de la Paphlagonie. Celle-ci est traitée
comme une unité séparée de l'Assyria (à laquelle est rattachée Sinope) mais aussi des Mariandynoi
et d'Héraclée. Le territoire d'Héraclée est le plus limité à l'est de toute son histoire. Le Périple
signale 6 polis Ellènis et deux limen, ce qui est beaucoup pour une région aussi reculée, et qui

440
Vian 1976 ad loc. Müller ad Arr., Per.M.Eux (GGM, I, p. 384).
441
Entre l'Oxinas et Psylla, il y a 180 stades pour Arrien, 90 pour Eux., et 90 de l'Oxinas à Tieion.
442
Robert 1980, 181-183 et 188. Les distances sont celles d'Arr., Per.M.Eux., 13.
443
Robert 1937, 275 n.3 ; 286, n.2. Cf. Robert 1980, 178 : "Aussi l'image de Dionysos apparaît-elle souvent sur les
monnaies, avec la panthère ou avec un satyre… Il était considéré comme le fondateur de la ville dont le Milésien
Teios… était l'éponyme. Sous Trajan, le dieu avec le thyrse et le canthare, versant à boire à la panthère, est appelé
κτίσ(της)" ; 187-190 : "Pour rester dans la Bithynie et la Paphlagonie, Héraclée est la voisine de Tieion ; les deux villes
se partagent la côte et sans doute Tieion possède le littoral jusqu'à l'Ouest de Krènides".
444
h.Cer., 271-272 : τευχόντων πᾶς δῆμος ὑπαὶ πόλιν αἰπύ τε τεῖχος Καλλιχόρου καθύπερθεν ἐπὶ προὔχοντι
κολωνῷ. Déméter vient s'installer au Καλλίχορον φρέαρ, Apollod., Bibliotheca, 1.30, et Paus. 1.38.6, φρέαρ τε
καλούμενον Καλλίχορον, ἔνθα πρῶτον Ἐλευσινίων αἱ γυναῖκες χορὸν ἔστησαν καὶ ᾖσαν ἐς τὴν θεόν. Voir
aussi Call. F 600 Pfeiffer.
445
Robert 1980, 190 : "Ces noms pourraient avoir été sinon créés, du moins adaptés pour justifier les traditions d'origine
arcadienne de cette région, légendes hellénisantes comme ce dut avoir lieu pour le fleuve Mélès de Cromna-Amastris…
Comme tous les Grecs, mais plus encore sans doute, les colons des villes du Pont-Euxin asiatique attachaient une
extrême importance à ce que leur pays ait été nommé par l'Iliade… quoi de plus naturel alors pour les gens de Tieion de
retrouver leur Lâdon dans Hésiode, entre le grand Sangarios et le Parthenios".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 88

évoque une autre région atypique dans le Périple, la côte pontique entre Trapezous et la Colchide.
Si le Périple a un sens politique, il pourrait signaler l'existence de cités indépendantes dans une
région disputée par la suite entre Sinope et Héraclée, à cette époque subjuguées. Certaines sont
récentes, et pourraient avoir été fondées sous l'impulsion d'Athènes tentant d'assurer sa présence sur
des parties de la côte encore inoccupées par les précédents colonisateurs. C'est aussi le moment où
la route directe du Karambis au Kriou Metopon entre en activité, route qui devait être du plus grand
intérêt pour les flottes athéniennes à destination de Theodosia, Panticapée ou Nymphaion : des
échelles situées à proximité du cap y trouvaient toute leur importance. Le retrait des Athéniens, les
possibilités qu'il leur offre de reconquérir le terrain perdu, explique peut-être l'hostilité et
l'inquiétude des Sinopéens à l'idée de voir Xénophon et les Dix Mille fonder une cité sur la côte
pontique.
4.11. Mariandynoi. Bithynie.— Les § 91-92.
— Texte retenu.Μαριάνδυνοι. Μετὰ δὲ Παφλαγονίαν, Μαριάνδυνοί εἰσιν ἔθνος.
Ἐνταῦθα πόλις ἐστὶν Ἡράκλεια Ἑλληνὶς καὶ ποταμὸς Λύκος καὶ ἄλλος ποταμὸς Ὕπιος.
Βιθυνοί. Μετὰ δὲ Μαριανδύνους εἰσὶ Θρᾷκες Βιθυνοὶ ἔθνος, καὶ ποταμὸς Σαγάριος καὶ
ἄλλος ποταμὸς Ἀρτώνης καὶ νῆσος Θυνίας· οἰκοῦσι δ' αὐτὴν οἱ Ἡρακλεῶται, καὶ ποταμὸς
Ῥῆβας. Εἶτ' εὐθὺς Πόρος καὶ τὸ προειρημένον Ἱερὸν ἐν τῷ στόματι τοῦ Πόντου καὶ μετὰ
τοῦτο πόλις Καλχηδῶν ἔξω Θρᾴκης, μεθ' ἣν ὁ κόλπος ὁ Ὀλβιανός. Παράπλους ἀπὸ
Μαριανδυνῶν μέχρι τοῦ μυχοῦ τοῦ κόλπου τοῦ Ὀλβιανοῦ, τοσαύτη γάρ ἐστιν ἡ Βιθυνῶν
Θρᾴκη, ἡμερῶν τριῶν. Ἀπὸ δὲ τοῦ στόματος τοῦ Πόντου ἕως τὸ στόμα τῆς Μαιώτιδος
λίμνης, παραπλήσιός ἐστιν ὁ πλοῦς, ὅ τε παρὰ τὴν Εὐρώπην καί τὴν Ἀσίαν. —
Apparat.Βιθυνοί : Βιουνοί D ; Ἀρτώνης : Ἀρτάνης Müller ; Παρθένιος : Παροίνιος D ;
Θυνίας : Θυνιὰς Müller ; οἱ Ἡρακλεῶται : Οἱρακλεῶται D, Ἡρακλεῶται Müller ; Πόρος : ὁ
πόρος Müller ; Ἱερὸν : ἱερὸν Müller ; Καλχηδῶν : Καλχιδῶν D ; Μαριανδυνῶν :
Μαρσανδυνῶν D ; ἕως : ἕως <ἐπὶ› Müller.
— Traduction.
(§ 91) Mariandynoi. Après la Paphlagonie, il y a le peuple des Mariandynoi. Là se trouve la cité
grecque d'Héraclée, le fleuve Lykos, et un autre fleuve, l'Hypios. (§ 92) Bithynoi. Après les
Mariandynoi, il y a le peuple thrace des Bithynoi, le fleuve Sagarios et comme autre fleuve,
l'Artônès, l'île de Thynias (elle est habitée par les Héracléotes), et le fleuve Rhèbas. Immédiatement
après vient le Détroit et le Hieron déjà nommé qui se trouve à l'embouchure du Pont, et après cela la
cité de Kalchèdôn, hors des limites de la Thrace; après quoi vient le golfe d'Olbia. La navigation
depuis les Mariandynoi jusqu'au fond du golfe d'Olbia, car telle est l'étendue de la Thrace des
Bithynoi, est de trois jours. Depuis l'embouchure du Pont jusqu'à l'embouchure du lac Méotide, la
durée de navigation est identique le long des côtes d'Europe et d'Asie.
— Notes.
Σαγάριος est proche de la forme indigène du nom et doit être conservé446. Καλχιδῶν figure
évidemment pour Καλχηδῶν.
— D'Héraclée à la frontière de Mysie.
Le trait marquant de ces deux chapitres du Périple est leur pauvreté, au regard des chapitres voisins
comme la Paphlagonie, ou ceux qui vont être consacrés à la Phrygie, la Troade ou la Lydie. Le fait
que les deux régions d'Héraclée et de Bithynie soient largement barbares ne suffit pas à expliquer le
silence du Périple, en particulier sur le passage Bosphore, à peine mentionné avec Kalchèdôn
La cause en échappe, comme au § 67 avec l'arrivée dans le Pont. L'hypothèse la plus satisfaisante à
mes yeux est que l'on trouve ici le canevas initial du Périple, non enrichi des sources
complémentaires utilisées en Thrace, en Paphlagonie, etc. : la forme est assez proche de celle que
l'on trouve pour la Gaule ou l'Italie. Peut-être n'a-t-il pas eu le temps de compléter ce canevas ;
peut-être l'existence de textes spécialisés consacrés au Bosphore rendait-elle ce travail inutile à ses

446
Cf. Robert 1963, 536-538.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 89

yeux. La suite du texte, la description des côtes de Propontide et de l'Égée, étant au contraire le
résultat d'une synthèse historique élaborée, l'aspect schématique de ces deux chapitres plaide en
faveur de l'inachèvement accidentel.
— Héraclée et les Mariandynoi.
Le territoire des Mariandynoi est en fait celui d'Héraclée, nouvel exemple de nom de peuple utilisé
pour caractériser une région géographique. Héraclée est à un jour de navigation du Bosphore et à
deux de Sinope ; le Cap Baba (la péninsule Achérousienne) protège la baie du noroît et en fait un
des bons ports de la côte méridionale ; trois vallées, celles du Lykos, du Kalès et de l'Hypios
mènent vers Héraclée, mais sont impossibles à emprunter sans le consentement des Héracléotes. Le
terroir agricole est particulièrement riche, la côte est favorable à la pêche au thon, et de nombreuses
mines se trouvent à proximité447. Ce chapitre est donc bien bref pour la plus importante des cités
pontiques aux Ve et IVe s. a.C., que ce soit avant ou après l'installation de la tyrannie de Cléarque448.
Le Ps-Skylax ne mentionne par exemple aucun des établissements que connaissent les
périplographes des siècles suivants449.
Peut-on au moins déterminer l'extension du territoire d'Héraclée? Le Lykos arrose la ville450. La
frontière orientale du territoire d'Héraclée est plus proche de la cité qu'à la fin du IVe s. a.C., où elle
touche au Billaios451. L'Hypios (le Melen Su) est à 350 stades à l'ouest d'Héraclée : la région de
l'Hypios a été conquise dans le courant du Ve s. a.C. par les Héracléotes qui y ont fondé Kieros,
devenue Prusias (Düzce), dans un bassin du fleuve à l'intérieur des terres. Son existence est attestée
au IVe s. a.C., et son absence du Périple pourrait être un indice chronologique si ce silence ne
pouvait s'expliquer par la situation continentale de Kieros, que 38 km séparent de la côte par la
route (qui mène à Akçakoça)452. Mais l'embouchure de l'Hypios sert de port à Akçakoça et
l'existence de ce port suffit à expliquer la mention du fleuve. Burstein veut que la frontière du
territoire d'Héraclée soit plus à l'ouest encore, au Sangarios, s'appuyant sur le fait que Xénophon
s'embarque à Héraclée avec son corps d'armée pour aller ἐπὶ τὰ ὅρια τῆς Θρᾴκης καὶ τῆς
Ἡρακλεώτιδος καὶ διὰ μεσογείας ἐπορεύετο, et qu'il ne fait pas mention du Sangarios : mais on
imagine mal les Héracléotes, qui veulent se débarasser des Dix Mille au plus vite, déposer les
troupes de Xénophon ailleurs qu'en territoire bithynien453. Le Périple fixe en fait la frontière
occidentale du territoire d'Héraclée entre le Sangarios (situé en Bithynie au paragraphe suivant) et
l'Hypios, sa frontière à l'époque impériale, dans une région effectivement disputée entre Bithyniens
et Héracléotes à cause des mines de fer du Çamdag/454. Le territoire héracléote du Périple
correspond donc à celui du dernier quart du Ve s. a.C. Engagée dans la politique pontique d'abord,
avec sa lutte contre les Spartokides pour la défense de Theodosia, puis dans les luttes civiles qui
débouchent sur la prise de pouvoir de Cléarque en 364, puis pour sa survie dans les convulsions
régionales pendant les guerres satrapiques, Héraclée n'a pas encore entrepris d'étendre son territoire
vers l'ouest (en dehors de la tentative malheureuse de Cléarque sur Astakos). La proximité de sa

447
Burstein 1976, 4-6 pour cette description du site et du port d'Héraclée et 7-11 pour les Mariandynoi. Le port est décrit
par Lehman-Hartleben 1923, 130-131. Sur la question de la fondation d'Héraclée, voir par exemple Burstein 1976 13-21
et Marcotte 2000, 262-263.
448
Sur l'étendue de ses rapports avec Athènes, cf. Burstein 1976, 103-108.
449
Burstein 1976, 125, n. 65: "[Ménippe, Arrien et Eux. ] list a string of emporia and anchorages for ships, extending
from the Sangarius River to Tium… the emporia were founded in the Hellenistic period, but the anchorages and have
been used earlier by merchants to purchase agricultural products directly from the estates of Heracleotes. This would
spare the difficulties and high costs involved in moving their products to Heraclea by land".
450
Voir par exemple Delage 1930, 144.
451
Burstein 1976, 100 n.64.
452
Voir l'étude de L. Robert 1980, 11-128 et supra, n.130**.
453
Burstein 1976, 28 : "Although the initial Heracleote victory may have extended the city's territory westward to the
Cales River, by 424, the Heracleotes had pushed across the Hypios River to the borders of Bithynias, that is to the
Sangarios River, where the boundary between the two peoples seem to have stood in 400".
454
Ptol., Geog., 5.1.11. on y a trouvé une borne frontière, Burstein 1976, 115, n. 63. Sur le conflit avec la Bithynie,
Robert 1980, 5-10, "Le fer des Mariandynes dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes".
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 90

frontière orientale serait en accord avec une certaine forme de pression athénienne pour s'établir sur
la partie paphlagonienne de la côte. Ce n'est qu'à la génération suivante, avec Dionysios, que le
territoire d'Héraclée atteint Kytôros. Quant à Thynias, mentionnée en Bithynie, c'est une position
héracléote depuis le milieu du Ve s. a.C., Burstein pense, d'après les restes architecturaux, que la
polis à laquelle fait allusion le Ps-Skymnos 1025-1026 et 979-980, a été établie à l'époque
hellénistique : on voit mal en effet une cité s'établir dans l'île sans disposer du territoire qui lui fait
face, puisqu'elle est dépouvue d'eau selon Hommaire de Hell455. Elle pourrait donc être
contemporaine de l'expansion héracléote au Rhébas456. Mais le Périple n'indiquant qu'une présence
héracléote, il décrit un état bien antérieur à la fondation de la cité.
— Bithynie.
Le passage par la Bithynie est encore plus rapide que celui consacré au territoire d'Héraclée,
puisqu'en dehors de Thynias et des trois fleuves que sont le Sagarios, l'Artônès, d'ailleurs mal
localisé, et le Rhébas, le Ps-Skylax est muet : la Bithynie est une zone blanche de sa carte pontique.
L'hostilité des Thraces n'y est pas étrangère, et le livre VII de l'Anabase laisse une impression
similaire, sinon que le Ps-Skylax semble le seul à ne pas avoir entendu parler de Kalpè457. Les trois
fleuves qu'il signale sont des étapes sur la route d'Héraclée en territoire hostile. Le Rhèbas est
l'escale habituelle au sortir du Bosphore, sans doute l'une des raisons de sa popularité chez les
géographes, car elle assez insignifiante selon Tournefort :
"Le Riva, que je viens d'appeler une rivière, n'est pourtant qu'un ruisseau large à peu près comme
celui des Gobelins, tout bourbeux, et dont l'embouchure peut à peine servir de retraite à des
bateaux"458.
Quant à l'Ἀρτώνης, c'est sans doute l'Ἀρτάνης mentionné par Ménippe, Arrien et Eux., à 300
stades à l'est du Rhébas, et à 270 à l'ouest de Kalpè en face quoi se trouve Thynias : c'est une
embouchure de fleuve, avec un îlot, et un port pour les petits bateaux ; Arrien y situe un temple
d'Aphrodite. Il est à peu près certain qu'il s'agit du même lieu, mais il y a contradiction entre les
périplographes, puisque le Périple est le seul à le situer à l'est de Thynias, si l'on suit sa progression
vers l'ouest. Cette erreur pourrait être le résultat d'une erreur de réinterprétation d'une source
dextrogyre à la façon de Ménippe, Arrien ou Eux. C'est plus vraisemblablement une ambiguïté liée
à la transformation de la source en périple459.
— Bosphore et Propontide.
Le passage par le Bosphore est traité de façon tout aussi expéditive ici qu'au § 67, et, bien que les
deux passages se fassent écho (τὸ προειρημένον Ἱερὸν renvoie à Ἱερόν ), ce qui montre qu'ils
sont originaux, le Ps-Skylax semble s'être désintéressé de la question.L'absence d'Astakos, la
mention du golfe d'Olbia nous situe après 435, date de sa refondation par les Athéniens460. Quant au
fait que le paraplous qui marque la sortie du Pont, au § 92, relie le territoire d'Héraclée au golfe

455
Hommaire de Hell 1854 signale la présence de citernes, "l'eau ayant dû être la condition sine qua non d'existence
pour toute colonie qui voulut primitivement s'établir dans l'île".
456
Burstein 1976, 135, n.6 et 68-69 : "Ps-Skylax refers to the existence of a Heracleote settlement on the island of
Thynias just off the Bithynion coast near Calpe Limen. Although the island had been in Heracleote possession at least
since the second half of the fifth century, the sources suggest that until the middle of the fourth century it had no
population other than to manage the shrine of Apollo Eos that had been established on it".
457
Pour une mise au point sur la Bithynie à cette époque, voir Debord 1998.
458
Tournefort 1717, II, 177. Un siècle plus tard, son intérêt d'escale a été bien perçu par les Ottomans, comme en
témoignent Taitbout de Marigny 1830, 17 et Hommaire de Hell 1854, 306 : "Riva possède un fortin quadrangulaire
flanqué de tours et défendu par une douzaine de pièces de canon. Il est posé sur un massif de roche trachytiques… Ce
fort est baigné par un petit lac qui s'étend dans l'intérieur des terres, à une distance d'au moins 20 kilomètres, tandis que
sa longueur paraît atteindre 300 à 400 mètres. Il se trouve fermé aux eaux de la mer par une digue de sable que
soutiennent des madriers et des fascines, et peut s'ouvrir à volonté pour faire entrer dans le lac les barques qui viennent
charger du bois de chauffage. Le lac s'incline vers l'est, derrière la ville. A dix minutes environ, s'élèvent ce qu'on
appelle les Cyanées d'Asie, à quelques encablures du rivage. Tous cet ensemble est très pittoresque".
459
Voir supra, p.**.
460
Cf. Debord 1998,141.
Pont Synth.Prov 38. 16/03/14 91

d'Olbia alors que le paragraphe est consacré à la Bithynie, cela renforce l'hypothèse de l'utilisation
d'un périple héracléote comme nous l'avons envisagé précédemment461. Quant à l'expression
Καλχηδῶν ἔξω Θρᾴκης, Peretti d'après une hypothèse de Müller, propose la correction
Καλχηδῶν ἔξω τοῦ πόρου τῆς Θρᾴκης, inutilement, sans doute : le Ps-Skylax, détache
Chalkèdon de Thrace, probablement parce qu'elle est à cette époque réunie à Byzance, donc en
dehors du territoire de la Thrace qu'il décrit462. La remarque est curieuse, mais, on l'a vu, cet
exotisme est partagé par l'ensemble du paragraphe.
Le paraplous qui termine le passage est construit de façon habituelle pour ce type de périple
récapitulatif, et tel qu'on le trouve ensuite pour la suite du périple égéen. Quant à la remarque finale
sur la similitude des durées de navigation par la gauche et par la droite du Pont, leur imprécision ne
permet pas même d'en déterminer l'auteur.

Conclusion.
Je crois avoir établi que le Périple n’est pas le reliquat dégénéré d’un portulan primitif, mais la
première synthèse géographique sur la Méditerranée et la mer Noire qui nous soit parvenue ; établi
aussi que les côtes pontiques dont il nous laisse la description sont celles que connaissaient les
Athéniens du IVe s. a.C., et non l’image qu’en avaient les premiers colons de la mer Noire. Ces
conclusions permettront de limiter le champ des discussions sur le Périple au contexte historique
où il a sa place.
Pas plus que les autres textes de l’Antiquité, le Périple ne saurait être utilisé simplement. Il a la
trompeuse transparence des Géographies antiques, désignant une réalité tangible mais à jamais
enfouie. Dans le meilleur des cas, l’analyse du Périple entre en concurrence avec les autres sciences
historiques – archéologie, numismatique, épigraphie ; le plus souvent, il est le reflet, jusque dans sa
lettre, des savoirs des historiens sur la région qu’il décrit, et tend à s’effacer de leurs analyses
lorsque le reste de leur documentation devient suffisant. Et comme pour les travaux des historiens,
des archéologues ou des numismates, une découverte fortuite, une nouvelle inscription, une
monnaie inédite rendront certaines hypothèses obsolètes, redonneront leur validité à d’autres.
Pour un historien de la géographie, au delà de l’étude du discours géographique lui-même, l’étude
des géographes de l’Antiquité est donc inséparable de celle des régions qu’ils décrivent, des
paysages, des hommes qui y ont vécu. Dans sa partie la plus complète, la plus heureuse aussi –
j’entends la partie qui s’attache aux côtes pontiques de la Turquie–, j’ai tenté de percevoir à travers
le temps la vie des gens qui ont vécu, là ; les raisons qui les ont amené, là ; la façon dont ils se sont
approprié cette mer, ce sol, ces fleuves, ces montagnes. Le Périple du Ps-Skylax a été, on l’aura
compris, l’une des mailles d’un filet que j’ai tendu pour tenter de comprendre, à travers l’Histoire,
la vie d’une région attachante et superbe. J’espère que des études de terrain viendront bientôt
confirmer ou infirmer mes hypothèses, peu importe. Les côtes de la mer Noire changent
rapidement, la modernité conquiert des espaces côtiers jadis inaccessibles, et le monde décrit par le
Ps-Skylax, les voyageurs et les géographes des siècles derniers tend à disparaître à jamais. Ce
progrès est nécessaire et heureux, mais si ce livre encourageait des chercheurs français, et surtout
turcs, à s’intéresser aux cultures des côtes pontiques pendant qu’elles sont encore vivantes, à
interroger les vieilles gens d’Amasra, de Sinope, de Pershembe ou d’ailleurs, il n’aurait pas été
vain.

461
Voir du côté des notes 117 et 203.**
462
Cf. Debord 1999, 229.

Vous aimerez peut-être aussi