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IV. Convergence et divergence dans la zone euro  Citer ou exporter
Agnès Bénassy-Quéré et Benoît Cœuré
 Dans Économie de l’euro (2014), pages 77 à 100  Ajouter à ma bibliographie

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Article

E n quoi l'euro a-t-il changé le paysage économique dans lequel évoluent les ménages, les entreprises
et les banques ? Le prix d'un même produit, la rémunération d'un travail, le coût de financement
d'un investissement ont-ils convergé de Naples à Helsinki ? La monnaie unique a-t-elle permis à
1

l'épargne allemande ou néerlandaise de financer les investissements nécessaires en Grèce ou au


Portugal, tout en assurant la stabilité financière ? Les marchés des biens, des services et du travail sont-
ils su fisamment lexibles pour compenser la disparition des taux de change entre pays participants et
leur permettre d'absorber les chocs ? De la réponse à ces questions dépend la capacité de l'euro à créer
croissance et emploi. Elles font l'objet de ce chapitre.

Les marchés de biens et services en euro

L'euro est l'enfant du marché unique. La disparition des coûts de conversion en devise a été voulue, dès 2
l'origine, comme complément du marché intérieur européen, ainsi que l'atteste le titre du rapport de la
commission de 1990, Marché unique, monnaie unique. La monnaie unique est devenue une priorité
politique après la signature en 1987 de l'Acte unique européen qui prévoyait la libre circulation des
capitaux en Europe à partir de 1992. En favorisant les comparaisons de prix, elle devait accentuer la
concurrence et accélérer la disparition des barrières qui protègent les marchés nationaux. Elle devait
ainsi permettre une convergence des prix vers le bas, donc une hausse de pouvoir d'achat pour le
consommateur, une meilleure allocation des ressources – notamment du capital – sur le territoire de la
zone euro, et finalement un gain pour la croissance. Mais ces gains n'ont rien d'automatique et peuvent
fort bien s'accompagner d'e fets pervers, en particulier de disparités régionales accrues et d'une
interdépendance financière susceptible d'amplifier les crises.

L'euro et l'intégration des marchés de biens et services


Dans un article célèbre publié en 2000, l'économiste Andrew Rose a firmait que l'unification monétaire 3
était de nature à multiplier par trois les échanges commerciaux au sein de la zone euro. Ce résultat,
fondé sur l'étude des unions monétaires existant avant l'euro, a fait l'objet de nombreuses critiques
méthodologiques. Les estimations réalisées par la suite ont conduit à le minorer. Puis les économètres
ont pu commencer à exploiter l'évolution observée du commerce intrazone après le lancement de l'euro.
Selon Baldwin [2006], l'impact de l'euro sur le commerce intrazone serait ainsi de l'ordre de 5 à 10 %, un
chi fre bien plus faible que l'estimation initiale de Rose. À partir des exportations des entreprises
françaises entre 1995 et 2003, Berthou et Fontagné [2013] ont montré que l'euro a accru d'environ 5 % les
exportations vers le reste de la zone euro, un quart de cet impact provenant d'une hausse du nombre de
produits exportés (on parle d'une amélioration de la marge extensive du commerce) et le reste d'un
volume d'exportation plus important pour chaque produit et chaque destination (la marge intensive). Ces
gains sont concentrés sur les entreprises les plus productives et, sans surprise, vers les pays dont le taux
de change luctuait le plus par rapport au franc français avant l'euro. On est donc loin des chi fres de
Rose.

Ces résultats témoignent d'un renforcement de la concurrence en zone euro du fait de la disparition des 4
coûts de conversion dans d'autres monnaies et d'une plus grande transparence des prix : sur chaque
marché national, davantage de variétés de produits, en provenance de davantage de pays, sont o fertes
au consommateur. On s'attend donc à une baisse des prix, et c'est bien ce qui s'est produit : avant la
mise en place de la monnaie unique, les prix à l'exportation des entreprises françaises dans la zone euro
étaient de 15 % plus élevés que dans le reste de l'Union européenne ; après 1999, l'écart passe à 8,1 %
[Martin et Méjean, 2010]. Le diagnostic pour les prix à la consommation est plus nuancé. Depuis 1999, la
dispersion des prix à la consommation se resserre dans la zone euro à dix-huit pays, mais cela re lète
avant tout la convergence des prix dans les États membres les plus récents. Dans les pays fondateurs de
la zone euro, la dispersion est en e fet restée stable (graphique 1).

: Graphique 1. La convergence des prix en Europe : coefficient de


variation des prix à la consommation, impôts indirects inclus, 1997-
2012 (en %)

— Source  : Eurostat, indicateurs structurels (janvier 2014).

Il existe de bonnes raisons pour que des écarts de prix subsistent entre pays de la zone euro : di férences 5
d'organisation des marchés, d'intensité de la concurrence et de formes de distribution, di férences de
langues, de normes réglementaires et bien sûr de goûts des consommateurs. À l'inverse, dans de
nombreux secteurs, les prix sont fixés sur le marché mondial. La dispersion des prix est comparable
dans la zone euro et aux États-Unis, en dépit d'une plus grande variété de réglementations, de réseaux
de distribution et de goûts des consommateurs. Pour résumer, l'euro, dans son périmètre initial, a uni
des pays structurellement très proches et dont le potentiel de convergence était près d'être épuisé ;
quant aux membres les plus récents, dont le niveau de vie est plus bas, leurs prix devaient converger de
toute façon.

Un autre facteur de convergence, s'ajoutant aux forces de  marché, aurait pu être les réformes 6
entreprises par les gouvernements de la zone euro pour permettre aux économies de s'adapter à la
monnaie unique. Une plus grande lexibilité des prix et des salaires est en e fet nécessaire pour
permettre les ajustements de taux de change réel en réaction aux chocs. Et si l'intégration commerciale
favorise l'ajustement des prix des biens et des services échangeables, seules des réformes structurelles et
les politiques de stabilisation nationales permettent l'ajustement des prix des biens et des services non
échangeables [Bénassy-Quéré et Coulibaly, 2014]. Qu'en a-t-il été en réalité ?

Avant la crise, l'euro n'a pas joué ce rôle d'aiguillon mais a plutôt été un « parapluie » permettant aux 7
gouvernements de surseoir aux réformes indispensables. Les pays de la zone ont globalement moins
bien respecté les recommandations européennes en matière de réforme structurelle que les pays non
participants [Commission européenne, 2008, partie I, section VI]. Par ailleurs, les gouvernements n'ont
pas pris les mesures de stabilisation budgétaire et macroprudentielle nécessaires pour empêcher la
dérive des prix dans certains secteurs, notamment la construction. Après la crise, si les salaires et les
coûts salariaux unitaires ont connu un ajustement significatif dans les pays en crise. Le niveau des prix
ne s'est pas ajusté aussi rapidement, re létant la rigidité des marchés des produits et la persistance de
rentes liées à une concurrence insu fisante, notamment dans les secteurs abrités (voir FMI [2013a] dans
le cas de la Grèce). Il est trop tôt pour savoir si l'expérience douloureuse de la crise, le nouveau cadre de
gouvernance décrit au chapitre iii (notamment la procédure des déséquilibres macroéconomiques) et
des investisseurs faisant preuve de plus de discernement contribueront à accélérer les réformes.

Enfin, se pose la question de la fiscalité. Dans l'Union européenne, la TVA est prélevée selon le principe 8
de la destination, c'est-à-dire que, sauf exceptions (vente à distance, par exemple), le taux de TVA qui
s'applique est celui du pays de résidence du consommateur et non du producteur. Les producteurs
réagissent aux écarts de taux de TVA en fixant des prix hors taxes plus faibles dans les pays à taux de
TVA élevés, mais ils ne les compensent pas entièrement, de sorte que les prix TTC di fèrent fortement
d'un pays à l'autre. Ainsi, en janvier 2011, le prix hors taxes d'une Peugeot 207 s'échelonnait de
11 141 euros en Slovénie à 14 624 euros en Belgique, soit un écart de  1 à  1,3, alors que le prix TTC allait de
13 369 euros en Slovénie à 20 006 euros au Portugal, soit un écart de  1 à  1,5.

Les avantages comparatifs au sein de la zone euro


La levée des barrières douanières en Europe, avec le marché commun après 1958 et le marché unique 9
depuis 1993, a permis un développement considérable des échanges entre pays européens (voir le
graphique 1, p.  9). Ce développement a pris la forme essentiellement d'un essor du commerce dit
« intrabranche », par lequel les pays exportent et importent des produits d'un même secteur (par
exemple le textile) et se spécialisent à un niveau fin sur des stades de production (produits
intermédiaires/produits de consommation finale), des variétés (cotonnades/lainages, par exemple) ou
par niveaux de qualité (prêt-à-porter/haute couture). Ce résultat est compatible avec la « nouvelle
théorie du commerce international » apparue à la fin des années 1970, qui reconnaît l'existence de
rendements d'échelle dans le processus de production et prend en compte la préférence des
consommateurs pour des produits di férenciés [Rainelli, 2009]. Notons que le développement du
commerce « intrabranche » est un facteur de robustesse pour la zone euro car il rend chaque pays moins
vulnérable à des chocs sectoriels (voir chapitre iii).

Ainsi, le commerce « intrabranche », et plus particulièrement le commerce de biens similaires de 10


qualités di férentes, est devenu dominant dans les échanges intra-européens, alors que le commerce
« interbranches » de type traditionnel (avions contre textile, dans la logique des avantages comparatifs
de Ricardo) reste majoritaire pour les échanges de l'Union européenne avec le reste du monde. Au sein
de la zone euro, comme on le voit sur le graphique 2, la part du commerce intrabranche est plus faible
pour les pays « périphériques » (Irlande, Portugal, Finlande, Grèce) que pour les pays du « cœur »
(France, Allemagne, Benelux), qui accèdent à un vaste marché et peuvent être présents sur un grand
nombre de secteurs. La stabilité des taux de change au sein du mécanisme de change européen, puis
l'euro ont amplifié les e fets du marché unique [Fontagné et Freudenberg, 1999]. On voit cependant sur
le graphique 2 que certains pays restés à l'extérieur de la zone euro (Royaume-Uni, République tchèque)
font autant de commerce « intrabranche » que les pays du « cœur » de la zone euro, et que pour de
nouveaux États membres comme la Pologne, la part des échanges intrabranches a rattrapé les niveaux
des pays du « cœur » entre 1999 et 2010. Le marché unique semble donc avoir joué un rôle plus
déterminant que la monnaie unique dans la spécialisation des échanges.

: Graphique 2. Spécialisation du commerce dans la zone euro : indice de


Grubel et Lloyd du commerce « intrabranches », 1999 et 2010

— Source  : CEPII, base de données CHELEM, calculé sur 72  secteurs.

La dynamique a été hélas très di férente pour les biens et les services non échangeables, comme nous 11
l'avons vu au chapitre iii. Jusqu'en 2008, l'épargne excédentaire d'une partie de la zone euro a financé les
bulles immobilières ailleurs dans la zone, par exemple en Espagne. Autrement dit, il y a eu une
spécialisation dans des activités riches en emplois mais (c'est le revers de la médaille) peu productives.
Ainsi, le déclin de la part de l'industrie dans la valeur ajoutée semble s'être accéléré dans certains pays
comme la France, l'Espagne ou l'Italie (voir graphique 3). Une part de cette évolution est liée à la baisse
du prix relatif de l'industrie (qui produit des biens échangeables) par rapport aux services (pour
l'essentiel non échangeables) dans ces économies (voir supra). Mais cela signifie aussi que le revenu
national en Espagne ou en France est devenu plus dépendant d'activités à faibles gains de productivité.
Cette évolution pourrait contribuer à a faiblir la croissance par habitant dans les années à venir. Elle est
particulièrement inquiétante si l'on tient compte du fait que la libre circulation des capitaux et la
disparition du risque de change permettent aux entreprises de regrouper leur production pour exploiter
pleinement les économies d'échelle et servir l'ensemble du marché de la zone. On pourrait donc
observer à long terme un regroupement des activités les plus dynamiques (industrie, services aux
entreprises) autour des villes ou régions les plus attrayantes en matière de coûts de production, de
qualification des travailleurs, de qualité des infrastructures locales (transports, réseaux de transmission
de données), de proximité des fournisseurs et des clients, et de fiscalité. C'est le scénario que prédisait
Paul Krugman dans un article célèbre de 1993, se fondant sur l'exemple américain (l'automobile est
concentrée à Detroit, les biotechnologies dans la Silicon Valley...). La configuration finale dépend du jeu
respectif de ces forces d'agglomération et des avantages comparatifs traditionnels, conformément aux
prédictions des théories de la « nouvelle économie géographique » [Crozet et Lafourcade, 2009]. Une
telle configuration poserait deux problèmes : d'une part, la spécialisation de facto de certaines régions
dans des activités à faibles gains de productivité (tourisme, services de proximité, construction) les
condamnerait à une croissance par habitant plus faible ; d'autre part, la polarisation des activités
rendrait chaque région vulnérable aux chocs sectoriels, sans que les budgets nationaux puissent
nécessairement amortir ces chocs (pensons à l'impact qu'a eu sur l'Irlande ou sur la Lettonie la crise de
leurs secteurs bancaires en 2007-2008). Elle rendrait sans doute nécessaire la mise en place de
transferts financiers permanents entre États, comme ceux qui existent entre régions au sein d'un État.
Pour aider les pays sortis de la crise à retrouver leur place dans la géographie économique de la zone
euro, malgré les e fets d'agglomération mentionnés ci-dessus, des politiques européennes volontaristes
seront nécessaires pour recréer un marché du capital plus robuste qu'avant la crise (voir infra) et pour
favoriser l'apparition d'activités locales à forte valeur ajoutée.

: Graphique 3. Part de l'industrie manufacturière dans la valeur


ajoutée, 1980-2010 (en %)

— Source  : base de données STAN (STuctrural ANalysis database) de l'OCDE (janvier 2014).

Les marchés du travail

La question de l'emploi est bien entendu centrale si l'on veut juger l'utilité de l'euro. Elle prend une 12
acuité toute particulière à la lumière de la performance médiocre des pays de la zone euro : le taux de
chômage moyen (rapport du nombre de chômeurs à la population active) est plus élevé dans la zone
euro qu'aux États-Unis et au Japon, et le taux d'emploi (rapport du nombre de travailleurs ayant un
emploi à la population en âge de travailler) y est nettement plus faible (voir graphique 4) même si un
rattrapage a été amorcé au milieu des années 1990, accéléré par la crise, qui a fait baisser le taux
d'emploi plus fortement aux États-Unis que dans la zone euro.

« Le problème actuel du chômage ne peut être résolu sans réformes structurelles d'envergure [...]. 13
L'introduction de l'euro, bien qu'elle constitue un pas important vers davantage d'intégration en
Europe, ne résoudra pas – et ne peut résoudre – tous les problèmes, et doit s'accompagner d'autres
politiques. » Cette déclaration, faite dès janvier 1998 par le président de la BCE Wim Duisenberg, prend
sa véritable signification à la lumière du débat sur le mandat de la BCE, qui a été traité dans le
chapitre ii. Mais beaucoup d'économistes, notamment dans les organisations internationales et à la
BCE, estiment comme M. Duisenberg qu'une grande partie du chômage dans la zone euro est d'origine
structurelle, liée à l'organisation des marchés du travail et, plus largement, des systèmes de formation et
de protection sociale. Mauvaise formation initiale et tout au long de la vie, lourdeur des procédures
d'embauche et de licenciement, indemnisation trop généreuse du chômage ou encore mobilité
insu fisante des travailleurs seraient les véritables explications.

: Graphique 4. Taux d'emploi dans la zone euro, aux États-Unis et au


Japon, 1997-2012 (en %)

— Source  : Eurostat (janvier 2014).

Or les marchés du travail et les systèmes de protection sociale sont organisés de manière très di férente 14
dans les di férents pays européens et le passage à l'euro n'a entraîné aucun changement mécanique
dans ce domaine. Alors, l'euro ne peut-il rien pour l'emploi ? La réponse n'est pas si simple. L'euro pose
la question de l'emploi dans des termes nouveaux : il fait apparaître à la fois un besoin de lexibilité
supplémentaire et, progressivement, des exigences nouvelles de la part des salariés.

La disparition des taux de change intra-européens suppose, on l'a vu, le renforcement des autres 15
mécanismes d'ajustement. Or les salaires sont moins lexibles dans la zone euro que dans les nouveaux
États membres, en particulier en creux de cycle, là où cette lexibilité serait le plus nécessaire [Heinz et
Rusinova, 2011]. La lexibilité de l'emploi a quant à elle augmenté au cours des années 1990, notamment
avec l'essor des contrats à durée déterminée et du temps partiel, notamment en Allemagne avec les
réformes « Hartz » des années  2000.

La crise a frappé de plein fouet les travailleurs européens, avec un taux de chômage qui dépassait 12 % 16
en 2013 dans la zone euro contre 7,6 % à la mi-2007. Les jeunes ont payé un très lourd tribut, près d'un
quart des actifs de moins de vingt-cinq ans se retrouvant sans emploi (plus de la moitié en Grèce et en
Espagne). Or le chômage des jeunes a un impact durable sur leur capital humain et donc sur leur revenu
tout au long de leur vie [Bell et Blanch lower, 2011], et le risque est donc réel de créer une « génération
perdue ».

En réaction, la crise a accéléré les réformes visant à lexibiliser le marché du travail à l'initiative des 17
gouvernements, comme en Espagne et, dans une certaine mesure, en France et en Italie, ou sous la
pression de la « troïka » dans les pays sous assistance financière. Mais, compte tenu de l'ampleur du
choc, les marchés du travail de ces pays mettront des années à retrouver un fonctionnement normal.

En attendant que ces réformes portent leurs fruits, la crise a poussé au départ de nombreux travailleurs, 18
vers l'extérieur de la zone euro mais aussi vers l'Allemagne : en 2012, un quart de l'immigration nette en
Allemagne, traditionnellement dominée par l'Europe de l'Est, provenait d'Italie, d'Espagne, de Grèce et
du Portugal, soit près de 70 000 personnes [Busse et Morehouse, 2013]. La mobilité des travailleurs est
un mécanisme utile d'ajustement aux chocs macroéconomiques mais elle n'est socialement acceptable
que si les travailleurs concernés conservent leurs droits sociaux (retraite, formation), portabilité qui
aujourd'hui est très limitée. La mobilité du travail ne peut se substituer aux mécanismes de soutien aux
pays en di ficulté : comment expliquer aux travailleurs grecs ou portugais que l'euro leur apportera la
prospérité à condition qu'ils quittent leur famille et leur pays ?

Les salaires continueront à di férer longtemps au sein de la zone euro, en raison de niveaux de 19
productivité du travail très variés dans les pays participants (graphique 5). Le poids de l'impôt sur le
revenu et des cotisations sociales varie aussi selon les pays : en 2012, pour un salarié célibataire et sans
enfant percevant un revenu moyen, le « coin fiscal », défini comme la somme de l'impôt sur le revenu et
des cotisations sociales à la charge de l'employé et de l'employeur, s'étageait de 26 % du salaire brut en
Irlande à 56 % en Belgique, selon l'OCDE. Or, si le coût du travail est déterminant pour l'emploi des
travailleurs les moins qualifiés, qui sont peu mobiles et dont le pouvoir de négociation salariale est
faible, c'est le salaire net qui importe pour les travailleurs les plus qualifiés, qui sont mobiles et ont un
pouvoir de négociation plus important [Bénassy-Quéré et al., 2012, chapitre 7].

: Graphique 5. Produit intérieur brut en standard de pouvoir d'achat


par personne occupée en 2012, par rapport à la moyenne de la zone euro

— Source  : Eurostat (janvier 2014).

L'harmonisation des politiques sociales dans la zone euro est très limitée. Les États membres de la zone 20
ont des préférences collectives très di férentes en matière de distribution du revenu, après prise en
compte des transferts sociaux, et la crise a aggravé cette disparité (voir graphique 6). L'Union
européenne ne définit qu'un « socle » de normes sociales minimales, et celui-ci concerne l'Europe à
vingt-huit, non pas la zone euro. Le débat sur le statut des travailleurs détachés, par exemple, ne
concerne pas spécifiquement la zone euro. La publication en 2013 d'une communication de la
Commission sur la « dimension sociale de l'Union économique et monétaire » est cependant le signe
d'une prise de conscience accélérée par la crise, qui a renforcé le besoin de filets de sécurité sociaux dans
des pays qui ont de moins en moins les moyens de les fournir.

: Graphique 6. Inégalités de revenu en 2012 dans les pays de la zone


euro : coefficient de Gini de la distribution du revenu disponible après
transferts sociaux (en %)

— Source  : Eurostat, indicateurs structurels (janvier 2014).

Les marchés de capitaux en euro

Le passage à l'euro a constitué une étape décisive dans un processus visant à unifier le marché financier 21
européen, après la libéralisation complète des mouvements de capitaux en 1992. Quel est l'intérêt
économique d'unifier les marchés financiers ? Un marché de grande taille réduit les coûts de
transaction (on parle dans ce cas de profondeur du marché) et facilite la rencontre de l'o fre et de la
demande (on parle de liquidité). Le capital coûte moins cher, ce qui favorise l'investissement et donc
l'activité et l'emploi, et l'épargne rencontre plus facilement l'investissement. Cœurdacier et Martin
[2009] ont ainsi estimé que l'euro a permis d'abaisser le coût d'acquisition des actifs financiers aussi
bien dans l'absolu (de 14 % pour les obligations et 17 % pour les actions) que spécifiquement à l'intérieur
de la zone (de 17 % pour les obligations et de 10 % pour les actions, qui s'ajoutent à l'e fet précédent). En
contrepartie, selon ces auteurs, l'euro a exercé un e fet de diversion, incitant les investisseurs de la zone
à acheter moins de titres émis dans les pays qui n'en font pas partie.

Le mode de financement des entreprises et des ménages est traditionnellement plus intermédié (c'est-à- 22
dire passant par les banques plutôt que par l'appel au marché) dans la zone euro qu'aux États-Unis. Cela
explique la structure très di férente des marchés financiers de la zone euro : en 2011, les actifs bancaires
représentaient 323 % du PIB de la zone euro contre 196 % au Japon et 90 % aux États-Unis, alors que, en
matière de capitalisation boursière, la hiérarchie était inversée, soit en 2012, 52 % du PIB dans la zone
euro contre 58 % au Japon et 119 % aux États-Unis. Plus des trois quarts du financement externe des
entreprises non financières de la zone euro sont assurés par emprunt bancaire plutôt que par émission
d'actions ou d'obligations (graphique 7), la proportion étant inverse aux États-Unis. Cela explique le rôle
central du secteur bancaire pour la circulation de l'épargne au sein de la zone euro.

Avant la crise, une intégration financière de façade


À l'exception du marché monétaire (marché des titres à court terme) dont l'unification était nécessaire 23
pour la mise en œuvre de la politique monétaire unique, les marchés financiers de la zone euro étaient,
en 1999, complètement cloisonnés en fonction de la nationalité des émetteurs. À quelques exceptions
près (régions frontalières, très grandes entreprises), les Français empruntaient à des banques
françaises, les entreprises espagnoles étaient cotées à Madrid et les bons du Trésor italiens étaient
achetés par des Italiens. Cette segmentation était simplement le re let de la segmentation des marchés
des biens et des services nationaux, du petit nombre d'entreprises actives à l'échelle de la zone euro et de
cadres juridiques et réglementaires (surveillance des banques, gouvernance d'entreprise, modalités de
l'appel public à l'épargne...) très di férents selon les pays.

: Graphique 7. Financement externe des entreprises non financières


de la zone euro, en milliards d'euros, 2000-2013

— Source  : BCE (janvier 2014).

Certes, l'euro n'est pas le seul vecteur d'intégration des marchés. La fusion des Bourses des valeurs, 24
l'apparition de banques de taille européenne, le développement des services financiers à distance
contribuent à l'e facement des frontières nationales. Même si le cadre juridique de la législation
européenne en matière de services financiers est l'Europe à vingt-huit, l'euro a été le déclencheur qui a
permis d'accélérer ce processus, à des vitesses di férentes selon les activités considérées.

C'est sur le marché obligataire que le changement a été le plus spectaculaire. Les émissions d'obligations 25
privées ont connu une croissance très significative et des émissions de très grande taille ont été
possibles, qui n'auraient pas rencontré de demande sur un marché purement national. Avec la
disparition du risque de change, l'attention des investisseurs s'est focalisée sur la qualité du crédit
(c'est-à-dire le risque de défaut de l'emprunteur), mais comme nous l'avons vu au chapitre iii, ce risque a
été négligé dans le cas des États et on a assisté à une convergence presque complète des taux d'emprunt
des États participants (voir graphique 5 du chapitre iii).

Le paysage boursier a évolué rapidement après 1999 sous l'e fet de quatre forces complémentaires. La 26
première est la mutation des Bourses des valeurs, passées du statut de coopératives gérées par les
professionnels à celui d'entreprises de services informatiques à haute valeur ajoutée, en concurrence
pour attirer les entreprises et à la recherche d'une taille critique pour financer leurs investissements. La
deuxième de ces forces est la volonté de rendre le marché boursier européen aussi liquide que le marché
américain, pour attirer les investisseurs internationaux. La troisième force est la tendance croissante
des analystes financiers à raisonner en termes de secteurs d'activité économique plutôt que de
nationalité, le risque de change ayant disparu. Enfin, la quatrième de ces forces est la réduction des
coûts de transactions sur les opérations transfrontalières, incitant l'activité financière à se regrouper
sur un petit nombre de places.

L'exemple d'Euronext est cependant ambigu : après avoir unifié les Bourses de Paris, d'Amsterdam, de 27
Bruxelles et de Lisbonne, la Bourse européenne a préféré en 2007 s'o frir au New York Stock Exchange
(NYSE) plutôt qu'à la Deutsche Börse, mettant fin au rêve d'une Bourse spécifique à la zone euro, pour
se retrouver seule en 2013 lorsque le NYSE a été acquis par une autre plate-forme américaine,  ICE.

Face à ces évolutions, l'harmonisation des réglementations nationales progresse lentement. La directive 28
sur les marchés d'instruments financiers entrée en vigueur en 2007, qui entérinait le principe d'absence
de centralisation des ordres sur les marchés et de concurrence entre les Bourses, a été critiquée après la
crise financière, accusée de fragmenter la liquidité, et fait l'objet d'une nouvelle mouture en 2014. Des
progrès importants restent à faire en matière d'intégration des infrastructures de marché, comme le
règlement-livraison, ainsi que des systèmes de paiement, même si une nouvelle directive est prévue en
2014. L'unification des marchés européens bute enfin sur le peu d'harmonisation de la fiscalité de
l'épargne. Ces obstacles réglementaires et juridiques n'ont pas empêché une certaine diversification des
portefeuilles d'actions dans la zone euro (voir tableau 1).

Enfin, s'agissant des financements bancaires, les lux de prêts et d'emprunts entre pays membres de la 29
zone euro se sont fortement développés entre 1999 et 2008, permettant de financer sans encombre les
déséquilibres extérieurs croissants des économies participantes : excédent des paiements courants en
Allemagne, aux Pays-Bas ou en Finlande, déficits en Espagne, au Portugal ou en Irlande (voir
graphique 4 du chapitre iii). Mais les banques allemandes ne prêtaient pas aux ménages et aux
entreprises espagnols : elles prêtaient à des banques espagnoles, qui prêtaient ensuite aux acteurs
économiques nationaux. En 2007, 33 % des prêts entre banques de la zone euro étaient transfrontières
contre 5 % des prêts aux ménages et aux entreprises (tableau 1). Cette intégration par le marché
interbancaire a rendu la zone euro particulièrement vulnérable lors de la crise, comme nous allons le
voir maintenant.

: Tableau 1. Part des investissements transfrontières à l'intérieur de


la zone euro avant et après la crise

— Source  : BCE, chi fres observés en fin d'année (janvier 2014).

Une zone euro fragmentée


À partir d'août 2007, la crise financière mondiale a jeté la suspicion sur la situation des banques, et 30
celles-ci ont cessé de se prêter entre elles, en particulier au-delà des frontières nationales. L'importance
de ces frontières a en e fet été renforcée par le lien étroit entre le crédit des banques et celui des États,
comme nous l'avons vu au chapitre iii (voir graphique 6 du chapitre iii). Le financement des économies
grecque, irlandaise ou encore portugaise par les banques et les investisseurs non résidents a stoppé net,
asphyxiant financièrement ces pays et nécessitant la mobilisation de financements publics :
refinancement des banques locales auprès de la Banque centrale européenne, emprunts des
gouvernements auprès des autres États de la zone euro (à travers la facilité européenne de stabilité
financière, voir chapitre iii) et du Fonds monétaire international. L'Espagne et l'Italie, bien que ne
faisant pas appel à une aide extérieure, ont connu des tensions comparables.

: Graphique 8. Coût d'emprunt des entreprises non financières en


Espagne et en Allemagne, 1999-2013 (en % par an)

— Source  : BCE (janvier 2014).

Dans tous ces pays, sous l'e fet conjugué de la hausse du taux de refinancement des banques locales sur 31
les marchés financiers et de l'accroissement du risque pesant sur l'activité économique, les taux des
prêts des banques aux ménages et aux entreprises se sont fortement tendus, creusant l'écart avec les
taux comparables en Allemagne ou en France, économies qui bénéficiaient au contraire d'un a lux de
capitaux (voir graphique 8 dans le cas de l'Espagne et de l'Allemagne). Les écarts sont encore plus
marqués pour les prêts aux petites et moyennes entreprises, entièrement dépendantes des banques, et
se sont accompagnés d'un durcissement des conditions non monétaires des prêts (par exemple,
l'importance accordée à l'historique de paiement).

C'est en réalité l'ensemble des marchés de capitaux de la zone euro qui se sont fragmentés le long des 32
frontières nationales, comme le montrent les rapports sur l'intégration financière en Europe que publie
chaque année la Banque centrale européenne. Le mauvais fonctionnement du marché monétaire a
entraîné une augmentation considérable du refinancement des banques auprès de la BCE, qui a pris la
place de marchés de capitaux défaillants (voir chapitre ii). Même les marchés boursiers, pourtant moins
touchés par la crise, ont montré des signes de divergence : la dispersion des rendements boursiers entre
pays de la zone euro, qui s'était réduite entre 1999 et 2008, s'est fortement accrue en 2010-2012. Le
tableau 1 met en outre en lumière une renationalisation de l'épargne de chacune des économies
participantes : par exemple, la part des obligations détenues par les banques émises dans d'autres pays
de la zone euro, qui avait atteint 37,4 % en 2007, s'était repliée à 22,3 % en 2012.

La situation s'est améliorée à partir de l'été 2012, quand la Banque centrale européenne s'est engagée à 33
contrer le risque d'éclatement de la zone euro au moyen des opérations monétaires sur titres (OMT, voir
chapitre ii) et quand les gouvernements ont lancé le chantier de l'union bancaire (voir infra). Les taux
d'emprunt des États et des banques se sont alors rapprochés dans les di férents pays. Les emprunts des
banques auprès de la BCE ont re lué. Les taux d'emprunt des acteurs économiques ont toutefois tardé à
bénéficier de ces progrès.

Vers l'union bancaire


Comment expliquer que la monnaie unique n'ait pas donné lieu à une intégration plus poussée du 34
secteur bancaire et que le destin des banques soit resté lié à celui de l'État où se trouve leur siège ?
D'abord, pour des raisons industrielles. La banque de détail est une activité de proximité très
dépendante des habitudes et des lois nationales. Seules quelques banques véritablement
transnationales sont apparues : Dexia (qui n'a pas survécu à la crise) en France et en Belgique, Unicredit
en Italie, en Allemagne et en Autriche, BNPP en France, en Italie et en Belgique. Ensuite, pour des
raisons d'ordre réglementaire. Jusqu'en 2014, le contrôle bancaire était e fectué sur une base purement
nationale, l'Autorité bancaire européenne, créée en 2010, ne jouant qu'un rôle d'harmonisation de la
régulation dans les vingt-huit États membres. En France, c'est l'Autorité de contrôle prudentiel et de
résolution, autorité indépendante présidée par le gouverneur de la Banque de France, qui en est
chargée. Surtout, la restructuration ou la fermeture d'une banque devenue insolvable était entièrement
pilotée par les autorités nationales, en faisant appel au besoin à l'argent du contribuable local. Comme
l'a noté en 2009 un responsable de l'autorité britannique de stabilité financière, Thomas Huertas, « les
grandes banques sont internationales tant qu'elles vivent mais elles redeviennent nationales quand elles
meurent ». Pour rompre le lien entre les banques et les États, au cœur des mécanismes de crise, un
changement de paradigme était nécessaire, autour de deux piliers : un mécanisme européen de
supervision, et un mécanisme européen de gestion des crises bancaires (ou de résolution bancaire). Cette
décision a été prise par les gouvernements européens en 2012-2013.

Le Mécanisme de supervision unique (MSU) est composé de la Banque centrale européenne et des 35
autorités nationales de supervision de la zone euro (en France, l'Autorité de contrôle prudentiel et de
résolution), le mécanisme étant en principe ouvert aux vingt-huit États membres. La BCE est à partir de
novembre 2014 le superviseur direct des cent trente plus grandes banques, représentant 85 % des actifs
bancaires de la zone. L'ensemble des autres banques font l'objet d'une supervision harmonisée dans le
cadre du MSU, et la BCE peut à tout moment prendre le contrôle direct de la supervision de telle ou telle
d'entre elles. Le MSU est dirigé par un comité de supervision réunissant les superviseurs nationaux et,
sur le modèle du conseil des gouverneurs de la BCE, six représentants de la BCE dont un président et un
vice-président (en 2014, la Française Danièle Nouy et l'Allemande Sabine Lautenschläger). Pour
respecter le principe de séparation entre politique monétaire et contrôle des banques, le conseil des
gouverneurs doit entériner les décisions du comité de supervision, une médiation étant prévue en cas
de désaccord.

La première tâche du MSU, outre la publication d'un manuel de supervision unique pour l'ensemble de 36
la zone euro, est en 2014 la mise en œuvre d'une évaluation complète du bilan des banques appelées à
passer sous sa supervision directe, comprenant un examen de la qualité des actifs et un test de
résistance (stress test). Une condition essentielle du retour de la croissance dans la zone euro est en e fet
de s'assurer que les banques ont su fisamment de fonds propres pour pouvoir accorder de nouveaux
prêts à l'économie et qu'elles ne repoussent pas à des jours meilleurs la reconnaissance de leurs pertes
sur des prêts non rentables en profitant des prêts bon marché de la BCE – bref, il s'agit d'éviter
l'apparition dans la zone euro des « banques zombies » qui ont prolongé et amplifié la récession
japonaise dans les années 1990 et 2000 [Caballero, Hoshi et Kashyap,  2008].

Le Mécanisme de résolution unique (MRU) a quant à lui fait l'objet d'un texte de loi européenne au 37
printemps 2014. Il comporte un Fonds de résolution unique de 55  milliards d'euros financé par une
redevance des banques et mis en place progressivement sur une période de huit ans. Ce n'est donc qu'au
terme de cette période que le lien entre banques et États sera véritablement rompu. Il convient
cependant de noter que la crise a entraîné un changement radical d'approche en matière de soutien aux
banques, le ren louement d'une banque par l'État devant désormais être précédé par la mise à
contribution non seulement des actionnaires de la banque, ce qui est en principe toujours le cas, mais
aussi, ce qui est plus nouveau, des détenteurs d'obligations émises par la banque et même, sous
certaines conditions, des plus gros déposants (les dépôts inférieurs à 100 000 euros étant protégés par
la loi).

L'union bancaire comporte en principe un troisième pilier, qui serait un mécanisme unique de garantie 38
des dépôts bancaires. Cette discussion n'est cependant pas à l'ordre du jour, les États membres se
satisfaisant dans un premier temps d'une harmonisation des dispositifs nationaux, notamment pour
s'assurer qu'ils sont en partie préfinancés.

La croissance à moyen terme de la zone euro

Comment les changements de comportement et d'organisation qui viennent d'être décrits se sont-ils 39
traduits et continueront-ils à se traduire après la crise dans les performances macroéconomiques de la
zone euro ? Le bon fonctionnement des marchés, l'investissement, le taux d'emploi ou encore le
développement des technologies nouvelles sont autant de facteurs qui déterminent à moyen terme le
taux de croissance du potentiel d'o fre de la zone euro. Ce taux de croissance, aussi appelé croissance
potentielle (voir chapitre iii), mesure sur une longue période l'élévation du niveau de vie des habitants de
la zone et donc, finalement, le succès de l'Union économique et monétaire.

En 2013, la Commission européenne estimait que la croissance potentielle du PIB de la zone euro 40
atteindrait 1,1 % par an en  moyenne sur la période 2014-2023, après 0,7 % par an en 2008-2013, des
chi fres bien inférieurs à la fois à ceux d'avant la crise (2 % par an sur la période 1998-2007) et à la
croissance potentielle des États-Unis au même horizon, qui atteindrait 2,5 % par an. Si ce scénario se
réalise, la croissance e fective du PIB de la zone euro pourrait être de l'ordre de 1,5 % les premières
années pour résorber l'écart de production accumulé pendant la crise (on rappelle que cette notion est
définie au chapitre iii) et reviendrait ensuite vers 1 %. Les conséquences seraient dramatiques pour le
niveau de vie des Européens : en 2023, le PIB potentiel par habitant serait inférieur de 40 % à celui des
États-Unis. Les deux tiers de l'écart proviendraient d'une productivité du travail plus faible et le tiers
restant d'une sous-utilisation de la force de travail, c'est-à-dire d'un taux d'emploi et d'une durée du
travail trop bas [Commission européenne,  2013b].

: Tableau 2. Les origines du ralentissement de la croissance en zone


euro (taux de croissance annuel en %)

— Source  : Commission européenne [2013b], p. 9.

Avant 2008, l'écart entre la zone euro et les États-Unis résultait principalement de la productivité 41
horaire du travail, re létant à la fois une e ficacité globale plus faible du processus de production
(productivité globale des facteurs) et un investissement plus faible, qui pèse mécaniquement sur la
productivité du travail. La crise a encore aggravé cet écart (voir tableau 2). Elle a provoqué non
seulement un e fondrement du nombre d'heures travaillées (hausse du chômage, retraits du marché du
travail, activité partielle) mais aussi un déficit d'investissement et, plus préoccupant encore, un
ralentissement de la productivité globale des facteurs. Si les heures travaillées devraient bénéficier
mécaniquement du retour de la croissance, la Commission ne s'attend pas à ce que les deux dernières
composantes se redressent significativement après 2014 (voir dernière colonne du tableau 2).

: Graphique 9. Quel sentier de croissance après la crise dans la zone


euro ? Comparaison des prévisions de 2008 et de 2013

— Source  : Commission européenne [2013a].

Pour éviter ce scénario, la priorité est donc non seulement de créer plus d'emplois, mais aussi de 42
redresser la productivité du travail, en rattrapant le retard d'investissement (en particulier dans les
nouvelles technologies) et en réformant l'enseignement supérieur et les incitations à innover. En
l'absence d'un e fort significatif dans ces deux directions, le risque est grand non seulement de ne
jamais rattraper la perte d'activité (et donc d'emploi) occasionnée par la crise, mais de surcroît de
repartir sur une trajectoire de croissance durablement plus faible (voir graphique 9).

Conclusion : Un devoir d'intégration

Compte tenu de la nature même du projet, il n'est pas surprenant de voir que l'impact de l'euro a été 43
immédiat sur les marchés financiers mais beaucoup plus lent sur les marchés de biens et de services, et
sur les marchés du travail. Dans ces domaines, l'euro a accéléré des évolutions déjà engagées et qui
devaient plus à la réalisation du marché unique et à des forces historiques sans rapport avec la
construction européenne : mondialisation, baisse des coûts de transport et nouvelles technologies. La
contribution de l'euro (disparition des coûts de conversion en devises, accroissement de la concurrence
par la comparaison des prix) ne peut être significative que combinée aux e forts d'intégration menés sur
chaque marché – biens et services, travail, marchés financiers. Et ces e forts d'intégration sont
indispensables pour rendre l'union monétaire plus robuste aux chocs.

Au sortir de la crise, les États membres et les institutions européennes ont une triple responsabilité. 44
Tout d'abord, mettre en place les institutions nécessaires pour que l'intégration soit désormais un
facteur de robustesse et non de fragilité. L'union bancaire en est le meilleur exemple. Ensuite, mener à
bien les réformes qui donneront à chaque économie participante la lexibilité nécessaire pour résister
aux chocs sans solliciter excessivement les stabilisateurs budgétaires ni les mécanismes de solidarité
européens. Enfin, concevoir les politiques de soutien qui aideront les pays les plus frappés par la crise à
retrouver leur place dans les échanges économiques. C'est à ces trois conditions que la zone euro sera
su fisamment robuste pour résister aux nouvelles crises qui surviendront inévitablement.

Mis en ligne sur Cairn.info le 18/06/2014

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