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RECUEIL ALEXANDRIES
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Collections REVUE ASYLON(S)
15| Politique du corps (post) colonial
Asylon(s).Digitales
La revue Corps sans repos, voix en
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errance
TERRA-HN-éditions Moulages raciaux et masques
A propos surmodelés dans des collections
Collection SHS muséales et des interventions
Collection K artistiques, en France et en
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ENCYCLOPEDIE TERRA < 2/10 >
Présentation Lotte Arndt
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RESEAU
Ecole supérieure d’art et design de Valence
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(...)
Fonctionnement
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Débats
CITATION Cet article se concentre sur les corps morts, plus précisément sur les
INDEX Lotte Arndt, "Corps sans repos, voix en errance restes humains d’origine coloniale dans les collections ethnographiques
Moulages raciaux et masques surmodelés dans des et dans les musées d’histoire naturelle en Europe. La question de ces
Auteurs
collections muséales et des interventions artistiques, collections sera abordée par le biais de stratégies artistiques à leur égard
Matières en France et en Allemagne", REVUE Asylon(s), N°15,
et d’expositions qui interrogent leur statut dans le présent. Je me
Terres & peuples février 2018, Politique du corps (post) colonial, url de
concentrerai pour cela sur deux exemples : l’exposition itinérante What
référence: http://www.reseau-
Institutions we see. Images, sons, représentation. A propos de la critique d’une
terra.eu/article1405.html
Thèmes collection anthropométrique de l’Afrique australe, conçue par la
chercheuse allemande Anette Hoffmann et montré au Cap, à Bale, à
Vienne, à Osnabrück, à Windhoek et à Berlin, entre 2009 et 2013 ; ainsi
que sur le travail que l’artiste néozélandais Luke Willis Thompson a mené
au Weltkulturen Museum Frankfurt en 2013 et en 2014.

Restless bodies, Wandering voices. Human remains in ethnographic


collections of Europe and artistic performances

This paper addresses the problematic issues of human remains in


ethnographic collections and museums of natural history in the Europe
that come from former colonial empires. It focuses on two examples :
the travelling exhibition What we see. Images, sons, représentation. A
propos de la critique d’une collection anthropométrique de l’Afrique
australe of the german researcher Anette Hoffman and shown in the Cap,
Bale, Vienna, Osnabrück, Windhoek and Berlin between 2009 and 2013 ;
and the work the artist Luke Willis Thompson brought to Weltkulturen
Museum Frankfurt in 2013 and 2014.

MOTS CLEFS

Altérité | Décolonisation | Colonisation | Colonialisme | Exploitation | Domination | Identité | Indigène | Post-colonial | Racisme |
Langue - Mots | Droits humains |

Dans les collections ethnographiques et dans les musées d’histoire


naturelle en Europe sont conservés des milliers de restes humains
dont l’acquisition a eu lieu en partie en contexte colonial. Leur
acquisition s’est faite en grande majorité sans le consentement des
personnes sur lesquels ils furent prélevés, souvent dans des
situations de pouvoir asymétrique qui incluent le pillage des tombes,
le commerce sous contrainte ou les exterminations en masse. Les
objectifs de ces collectes n’étaient pas moins problématiques car
elles contribuaient à perfectionner les taxonomies fondées sur une
conception évolutionniste de l’humanité, l’assomption raciste de
différences biologiques et une hiérarchie entre les humains [1]. Les
débats autour des restitutions de restes humains d’origine coloniale
(et des artefacts pillés) témoignent du poids bien plus que
symbolique que leur maintien dans les collections représente
aujourd’hui – un prolongement d’une dépossession historique.
Comment peut-on aujourd’hui être solidaire de ces corps morts ? En
quelle mesure est-ce qu’ils peuvent participer à délégitimer des
injustices historiques et actuelles ? Quel rôle peuvent occuper les
travaux artistiques à cet égard ? Après l’introduction d’une notion
élargie des restes humains, je discuterai ici plusieurs expositions ou
interventions artistiques cherchant à rompre avec les modes de
monstration et conservation hérités de paradigmes racistes et
culturalistes. L’article ayant été écrit à des moments espacés entre
2012 et 2017, il rassemble des exemples dans des musées en
France et en Allemagne, et fait état d’un débat en cours.

Dans de nombreuses collections médicales et dans celles des


muséums d’histoire naturelle sont conservés jusqu’à nos jours des
restes de corps humains acquis pour alimenter les études
anthropométriques qui ont atteint leur apogée au XIXe siècle.
Prenons l’exemple du Musée de l’Homme à Paris qui indique dans la
rubrique des « restes humains modernes » de disposer de « plus de
1000 squelettes dont 360 articulés, [ainsi que de] 18 000
crânes [2] » dans ses collections. Ou encore celui de la Charité,
hôpital universitaire berlinois qui réunit l’une des plus amples
collections de crânes et squelettes humains [3], en partie acquis
pendant la période coloniale. En 2010, un projet de recherche a été
initié à la Charité afin de retracer la provenance et l’histoire de ces
collections, visant à préparer des restitutions futures et un travail
critique sur l’histoire de l’institution [4].

Prouver des différences raciales entre les humains cessait d’être la


finalité des recherches anthropométriques suite aux déclarations de
l’UNESCO en 1950 et 1952 [5] sur la « Question de race » et le
racisme [6], déclarations motivées par les crimes national-
socialistes. En revanche, les principes scientifiques élaborés dans ce
cadre sont loin d’avoir cessé d’être opératoires. Étudier l’histoire des
collections anthropométriques conduit au cœur de la formation des
sciences modernes, basées sur l’épistémologie positiviste qui inscrit
une classification raciale et sociale dans ce qui apparaît comme
l’ordre naturel des choses [7]. La chercheuse Waltraud Ernst
constate à ce sujet que « l’élévation du discours scientifique au
statut d’un composant majeur de la conception occidentale des
connaissances a contribué aussi bien au développement des
hiérarchies raciales qu’à la création du mythe persistant de la
science comme une activité impartiale, pure et sans jugement de
valeur, qui serait supérieure à d’autres manières de penser » [8].
J’argumenterai ici le fait que d’accepter les restes humains d’origine
coloniale, tels quels, dans les collections des musées et les
institutions de recherche maintient la continuité avec les
épistémologies qui ont été façonnées à partir de ces restes
considérés comme des matériaux scientifiques [9].
Après des décennies de silence, d’oubli et de désarroi à l’égard des
collections de restes humains, dans de nombreux pays européens,
celles-ci sont devenues le sujet de controverses, initiées notamment
par des demandes de restitution. En France, la restitution de la
dépouille et des moulages de Sarah Baartman à l’Afrique du Sud en
2002, celle de plusieurs têtes tatouées au musée maori Te papa en
Nouvelle Zélande, en janvier 2012, et la restitution du crâne du chef
kanak Ataï en 2014 ont donné lieu à des décrets spéciaux pour
permettre de les déclassifier. Un grand colloque au sujet des restes
humains s’est tenu en 2008 au Musée du Quai Branly. Or, bientôt dix
ans après, une législation qui donne un cadre légal et définit une
responsabilité juridique demandant un rôle proactif aux institutions
détentrices de restes humains tarde à être introduite. En attendant,
plusieurs initiatives mettent aujourd’hui en cause le statut quo : la
République du Bénin réclame la restitution d’une partie des biens
culturels provenant de son territoire [10] ; une initiative menée par
l’écrivain et journaliste Brahim Senouci qui s’emploie à contester le
maintien dans les collections du Musée de l’Homme de crânes
d’Algériens décapités lors de la bataille de Zaatcha en 1849 alors
qu’ils résistaient à la colonisation française [11] ; une chercheuse
basée à Casablanca enquête sur les crânes de Malgaches décapités
dans les collections du Musée d’Histoire naturelle [12] ; et des voix
critiques s’élèvent face à l’exposition de moulages raciaux dans la
nouvelle exposition permanente du Musée de l’Homme [13].

En Allemagne, l’association Deutscher Museumsbund e.V. a publié


en septembre 2013 les Recommandations pour la prise en charge
des restes humains dans les musées et les collections [14]. Ce texte,
élaboré par un comité scientifique de professionnels des musées, a
défini les restes humains comme « all physical remains belonging to
the biological species Homo sapiens. They include : all non-
processed, processed or preserved forms of human bodies and parts
thereof. This covers particular bones, mummies, bog bodies, soft
tissues, organs, tissue sections, embryos, foetuses, skin, hair,
fingernails and toenails (the last four even if they originate from
living people) and cremated remains. And all (ritual) objects into
which human remains as defined above have been knowingly
incorporated » [15].

On peut considérer ces recommandations comme la première étape


d’un processus nécessaire de travail sur ces collections. Toujours
est-il que la définition citée ci-dessus est relativement étroite et
induit un certain nombre de problèmes : les moulages de corps
humains ou de leurs parties, les masques mortuaires, les
enregistrements sonores de voix humaines, les photographies
anthropométriques, les objets accompagnant les enterrements, etc.
en sont exclus. Le texte privilégie une définition physique des restes
humains. Privilégiant une conception biologique de l’identité, celle-ci
résonne avec la montée en force des analyses basées sur l’ADN afin
d’identifier la provenance géographique de personnes. Il n’est pas
anodin que ce procédé soit employé pour attester l’identité des
migrant.e.s sans papiers dans le but de les expulser, ou encore pour
vérifier la parenté biologique d’un enfant et contester la légitimité
des personnes qui l’accompagnent. Il est question d’un ensemble de
mesures mobilisées afin de contrôler les circulations
transfrontalières de personnes et confirmer une conception de
parenté qui privilégie la biologie au détriment des responsabilités
réellement assumées. Ironie de l’Histoire, ces méthodes héritées de
l’anthropométrie physique sont également utilisées aujourd’hui dans
certains processus de restitution des restes humains pour identifier
les origines des ossements.
Les Recommendations introduisent néanmoins une notion clef : le
« contexte d’injustice » dans lequel les restes humains ont été
appropriés et étudiés [16]. Ici, ce n’est pas leur matérialité mais
leurs histoires, la violence physique et symbolique qui a été faite à
des personnes vivantes ou décédées et qui joue un rôle central. La
direction introduite par cette formule, celle des « collections
sensibles », proposée par la chercheuse berlinoise Britta Lange [17],
est salutaire pour sortir du danger d’un biologisme contenu dans les
recommandations citées [18]. Plutôt que de suggérer qu’on pourrait
trouver une identité véritable à partir du code génétique d’une
personne (ce qui exclut les questions biographiques, celles du style
de vie, de l’orientation sexuelle, du rôle social, etc., donc des
aspects hautement individuels et inséparables des aléas de
l’histoire), le terme de « collections sensibles » met l’accent sur les
enjeux culturels.

Lange souligne qu’il « s’agit […] de l’histoire antérieure des objets


[et restes humains, L.A.], des stratégies de collectes qui les ont
conduits dans les lieux de conservation actuels – le plus souvent des
dépôts. En effet, ce n’est pas tant la relation présente aux objets
que la manière dont ils ont été conçus et fabriqués qui est sensible.
Les « objets sensibles » ne sont en général pas parvenus dans les
musées avec l’assentiment des personnes concernées, mais à la
suite de vols, d’extorsions, de marchandages malhonnêtes, de
fouilles effectuées en secret puis de leur exportation. Ce sont donc
leurs histoires qui font d’eux des collections sensibles. Ce n’est pas
seulement la relation à ces objets, la manière de les présenter qui
est aujourd’hui sensible, mais encore leur provenance, leur
transfert, leur circulation, leur décontextualisation qui, finalement,
les constituent en objets de collection. Aussi la collection ne saurait-
elle être seulement considérée sous l’angle d’une réserve d’objets
dans un musée, des archives ou un dépôt, mais plutôt comme le
résultat d’un récolement, d’un processus d’acquisition
d’objets [19]. »

Si on part ainsi du contexte de leur appropriation, on peut élargir la


notion des restes humains et y inclure des photographies
anthropométriques, des objets ou des enregistrements sonores de
voix au même titre que des ossements. En ce sens, les restes
humains dans les collections de musées peuvent être décrits comme
des objets liminaux ou boundary objects [20], dans la mesure où ils
brouillent les frontières entre humain et non-humain, nature et
culture, objet et sujet [21]. Ce sont les histoires qui les ont amenés
au musée qui entrent ainsi en vue, et qui peuvent être travaillées au
présent. C’est en ce sens que la matérialité des collections est
constitutive : à l’heure où de nombreuses institutions proposent des
programmes de numérisation, généralisent la visibilité des
collections sur le net ou encore recourent à des impressions en 3D
qui permettent aux doubles de voyager pour répondre aux critiques
faites à leurs collections, il reste à constater qu’aucune solution
technique ne pourra remplacer le travail des institutions sur leurs
histoires et les responsabilités à prendre.

Multiplier les versions d’une histoire

C’est dans cette optique qu’a opéré l’exposition itinérante What We


See, conçue par la chercheuse allemande Anette Hoffmann et
montrée au Cap, à Bâle, à Vienne, à Osnabrück, à Windhoek et à
Berlin, entre 2009 et 2013 [22]. What We See prenait son point de
départ dans la collection que l’artiste allemand Hans Lichtenecker
avait constituée en 1931 en Namibie, colonie allemande jusqu’en
1918 et à l’époque sous mandat de l’Afrique du Sud [23].
Lichtenecker avait poursuivi, au début du XXe siècle, l’idée de
constituer une archive des « races en voie d’extinction » et partait
en voyage avec des commandes de chercheurs allemands. Ainsi,
Eugen Fischer, futur personnage clé de la médecine raciste des
national-socialistes, lui demandait de prendre des photos des
habitant.e.s de la ville de Rehobot (réputés pour leurs spécificités
ethniques). Et Erich Moritz von Hornbostel, directeur de l’archive
phonographique de Berlin, commandait des enregistrements de
voix [24].
Le contexte d’injustice ressort clairement dans la démarche de
Lichtenecker : c’est le régime raciste de l’Afrique du Sud qui lui
permettait de mener ses études. Les populations étaient ségrégées,
vivaient dans des homelands et se voyaient sévèrement contrôlées
dans leurs déplacements. Lichtenecker pouvait en conséquence les
convoquer à la station de police afin d’enregistrer les voix et
effectuer les moulages faciaux.

Fig. 1. Une femme réagit effrayée au masque qu’un des collaborateurs de


Lichtenecker lui montre (Image : Namibian Scientific Society, Windhoek, mise en
page : Hoffmann 2009, op. cit., p. 11).

L’archive de Lichtenecker comprend une particularité rare dans les


collections ethnographiques. Comme Hoffmann le montre, en faisant
les enregistrements, l’équipe allemande s’intéressait uniquement à
la voix en tant que telle et non au contenu des paroles prononcées.
À partir de 2006, la chercheuse a pu initier la traduction des
enregistrements : sur les cylindres en cire, les commentaires des
personnes étaient préservés et pouvaient donc être écoutés. La
chercheuse a supposé qu’il s’agissait peut-être des seuls
enregistrements connus jusqu’alors à partir desquels les Africaines
et Africains expriment leur point de vue sur cette pratique qui les
réifient en types raciaux [25].
L’exposition What we see se structurait à partir de ces commentaires
et cherchait à ne pas reproduire le caractère spectaculaire de la
collection en l’exposant. Bien que montrer les originaux aurait mis
en évidence la brutalité des méthodes d’obtention des moulages et
des enregistrements, elle aurait aussi remis en scène l’abaissement
des personnes impliquées. La commissaire constatait que les
moulages ne sauraient de surcroit représenter les personnes car ils
montrent des types et des caractéristiques raciaux qui ignorent
l’individu. En conséquence, ni les moules, ni les moulages raciaux
étaient exposés. Par ailleurs, l’exposition n’incluait presque pas de
portraits photographiques de femmes, pour la raison qu’elles étaient
contraintes d’enlever leurs foulards au moment du moulage alors
que celui-ci constituait un élément fondamental de la production
performative de ce qui faisait d’elles des femmes, des personnes
disposant d’identités culturelles spécifiques. En leur ôtant les
foulards, elles étaient réduites à des objets purement
physiques [26].

Par contre, Hoffmann avait choisi d’inclure les éléments qui


permettaient de voir les réactions et d’entendre les commentaires
des personnes. Plusieurs photographies montraient les spectatrices
et spectateurs lors de la prise des moulages, alors que d’autres
s’intéressaient au regard des personnes au moment où ils écoutent
les enregistrements (dont ils comprennent les paroles,
contrairement aux Allemands qui ne maîtrisaient pas les langues
qu’ils enregistraient). Ainsi, Hendrik Ludwig dit sur le cylindre 33 :
« Je ne suis pas d’accord, à quoi ça sert ? Nous, qui parlons Nama,
mais à propos de quoi ? Je n’ai certainement pas une bonne vie,
mais je suis en vie dans ce monde. C’est tout ce que j’ai à dire. Les
choses sont ainsi. Je ne sais pas qui ils sont mais je suis ici, sur
cette caisse. Je ne sais pas ce qu’ils veulent faire de nous. Tout ça
m’étouffe, c’est comme ça pour moi » [27].

L’exposition se fondait sur le concept du versioning [28] qui aspire à


multiplier des images, des textes, des commentaires et des
narrations différentes qui peuvent aussi se contredire. Cette
démarche cherche à déjouer l’idée de pouvoir donner une
présentation véridique des personnes décédées. Elle montre par
contre des représentations possibles et renvoie la spectatrice
constamment à son propre regard [29]. Tout était fait pour déranger
LA vérité produite dans l’archive anthropométrique.

Outre des installations de sons, des textes et des entretiens vidéo


avec des témoins, l’exposition comprenait également une partie
artistique contemporaine. Sur la base des photographies, des
enregistrements d’entretiens et de documents historiques, cinq
artistes y proposaient des portraits de personnes moulées ou
enregistrées par Lichtenecker [30]. La critique de son archive se
faisait ainsi dans une mise en perspective de versions différentes de
cette expédition. Le regard des personnes sur elles/eux-mêmes ainsi
que les commentaires qu’elles/ils font au sujet de l’Allemagne des
années 1930 sont au centre de cette approche sans pour autant
s’ériger dans un discours prétendument authentique.

Au niveau sonore, c’étaient notamment les bruissements qui


accompagnaient les enregistrements et qui rappelaient les
conditions de transmission de ces voix sans corps qu’on peut, en
tant que collection sensible, considérer comme des restes humains,
des traces d’expressions forcées d’individus à qui toute subjectivité a
été déniée [31]. L’aspect matériel des supports était très présent :
l’exposition mettait en avant la dégradation sonore due aux
conditions d’enregistrement et au vieillissement des cylindres en
cire. Ce bruissement mettait en évidence la partialité de l’archive,
rappelait le parcours de sa transmission et faisait allusion aux
nombreux commentaires qui n’y figurent pas.

Musée de l’Homme

Quand en automne 2015, après une période de fermeture pour


travaux et une conception renouvelée de l’exposition permanente
après le départ de grandes parties des collections au Musée du Quai
Branly (ouverture en 2006) et au MUCEM à Marseille (ouverture en
2013), ouvrait le nouveau Musée de l’Homme au Trocadéro, on
s’attendait à une mise en pratique de questionnements sur les
collections et leur exposition contemporaine. À quoi sert un Musée
de l’Homme ?, demandait par exemple l’anthropologue Benoît de
l’Estoile dans un livre publié par l’institution à l’occasion de
l’ouverture [32]. De fait, sur des grandes affiches publicitaires dans
la ville entière, le musée annonçait visuellement de faire « peau
neuve ».

Fig. 2. Affiche Réouverture du Musée de l’Homme, Paris, automne, 2015.

Or, comme plusieurs analyses de l’exposition permanente l’ont


montré, le Musée de l’Homme reconduit les conceptions
anthropocentrées, androcentrées, et universalistes d’un humanisme
moderne « héritier des Lumières et ancré dans la tradition
hellénique, judaïque et chrétienne, [qui] se veut universaliste, sans
être pour autant universellement partagé [33]. » Je vais ici moins me
concentrer sur les nombreux restes humains compris dans les
collections du musée [34], et dont le sort reste incertain, mais
analyser une station prééminente de l’exposition : le grand dispositif
de bustes d’humains qui me paraît être un exemple saisissant de la
nécessité de comprendre ces collections sensibles comme des
artefacts demandant une attention et une responsabilité singulière.

La station nommée « Des êtres pluriels » se compose d’une grande


structure métallique horizontale, puis ascendante sur laquelle sont
accrochés des dizaines de moulages de bustes humains réalisés sur
le vif, et peints par la suite. Ils proviennent en grande partie de la
collection du phrénologue et médecin Pierre-Marie Dumoutier, et
remontent jusqu’en 1838. La collection est acquise par le Muséum
dans les années 1870 et progressivement élargie. Sont ici réunis des
traits d’individus, mais non pas pour dresser leur portrait mais pour
les montrer comme les représentant.e.s d’un groupe, racial,
ethnique, territorial. Bustes fabriqués par des moulages faciaux, les
personnes moulées ont en conséquence les yeux fermés.

Placées sur la même structure se trouve un céphalomètre,


instrument de mensurations crâniennes datant du XIXe siècle.
Autour de cet instrument, d’autres bustes sont exposés, cette fois-ci
en bronze et produits par le sculpteur Charles Cordier. Alors que leur
forme est différente – il ne s’agit pas de moulages, les yeux ne sont
en conséquence pas fermés, et le visage est façonné par Cordier – la
finalité du procédé n’est pas éloignée : il s’agissait de produire des
types idéaux, sur la base d’une étude comparée d’un grand nombre,
pour composer ainsi un représentant d’une « race » dans sa forme
la plus pure [35].
Fig. 3. Vue d’exposition du Musée de l’Homme, novembre 2016. Photo : Élise
Berimont.

L’intitulé de la section de l’exposition interprète les moulages pour


en faire des éléments d’une humanité multiple. Elle passe sous
silence leur production dans le cadre d’une science raciste ; plutôt
elle essaye d’y remédier par des gestes de substitution. Ainsi, la
scénographie choisie pour la nouvelle exposition permanente
cherche à déjouer l’histoire raciste des moulages et sculptures par
deux opérations : l’une consiste à les disposer pêle-mêle sur la
structure, et de créer ainsi une grande famille de la diversité ;
l’autre attribue à certains des moulages des stations sonores,
permettant d’écouter une voix à la première personne raconter des
éléments de son histoire.

On peut se demander si l’attribution d’une voix aux personnes


moulées, relatant des informations biographiques sur la base de
recherches menées par le musée, ne substitue pas leur parole
absente par celle de l’institution ? Au lieu de devoir se confronter à
la présence problématique des moulages dans ses collections, le
musée cherche à adoucir, par recouvrement, l’histoire des sciences
racistes en y superposant des témoignages fictifs. Or, c’est
justement l’absence de la voix qui fait des bustes des objets
problématiques. Faire semblant de pouvoir leur conférer une parole
comble trop rapidement une lacune qui ne peut disparaître par un
tel acte volontaire. Faute de reconnaître dans la conception de
l’installation l’asymétrie établie par la taxonomie raciste, qui fait des
moulages des objets sensibles, celle-ci est au contraire prolongée.
En disposant les moulages dans une nouvelle narration unilatérale,
la déclaration humaniste d’unité produite par le musée ne permet
pas d’engager des échanges sur le devenir de chacun des moulages
et ne peut aboutir [36].

L’effet de l’organisation non hiérarchique des moulages sur la


structure métallique est tout aussi inopérant. Son intention est un
égalitarisme universaliste. Le petit livre accompagnant l’itinéraire du
musée apprend au visiteur que « si, au cours de notre histoire, nous
avons pu nous croire très différent, nous savons aujourd’hui que
nous formons une seule humanité, une et indivisible, composée
d’êtres pluriels. […] C’est un portrait en mosaïque de l’humanité qui
se dessine, composée d’êtres si différents, et en même temps si
semblables [37]. » On peut s’interroger sur le « nous » présupposé
dans ces phrases. Une humanité parlerait-elle d’une seule voix,
depuis laquelle les divisions raciales, genrées, de classe, causées par
les crimes coloniaux, les exploitations, et les représentations
dénigrantes auraient disparu, pour laisser la place à un « nous »
harmonieux [38] ? Placée entre les escaliers et traversant tout le
musée sur deux étages, la structure verticale rappelle pourtant à
tout moment la logique évolutionniste, menant du bas vers le haut,
du temps reculé vers le présent, du géographiquement éloigné vers
le proche. Les moulages ont beau être disposés sans répéter cet
ordre, la structure métallique ascendante sur laquelle ils sont
montrés l’évoque puissamment. Bien que le multiculturalisme
égalitaire fasse le vœu pieux d’une unité humaniste, celle-ci n’est
pas donnée a priori [39]. Elle peut être la finalité d’un travail de
réparation, mais ne peut pas être décrétée par l’institution [40].

Un an après la réouverture du Musée de l’Homme, j’ai travaillé avec


l’artiste californienne Candice Lin sur une exposition à Paris [41].
Celle-ci comprenait une vidéo intitulée The Beloved (Le Bien-Aimé,
2017, 12 min en boucle) qui s’intéressait dans une perspective
transhistorique, en acceptant parfois volontairement des
anachronismes, à la production de l’altérité raciale, sexuelle et
genrée. Les dispositifs muséaux parsèment le film, et pointent de
façon ludique ou tragique comment ces formes de monstration
mettent des individus ou groupes culturels à la vitrine. À un
moment, un dessin de l’installation des bustes du Musée de
l’Homme part en flammes. Il n’en reste qu’un petit bout de papier
brulé, montré dans l’exposition.

Fig. 4. Candice Lin, The Beloved, 12 min en boucle, vidéo, couleur, 2017.

Geste d’un effacement violent, Lin dénonce l’image dénigrante des


bustes arrangés de façon décorative, presque plaisante sur la
structure métallique. La voix off du film qui s’exprime à la première
personne, change fréquemment de perspective, de siècles, de corps.
Elle fait surgir les échos entre des histoires éloignées dans le temps
et l’espace, mais qui évoquent des connivences, une condition
partagée, la douleur d’une discrimination subie. Au moment où la
caméra erre dans les images de l’avenue de Flandres dans le 19ème
arrondissement parisien, qui a hébergé fin 2016 les demeures
précaires de milliers de personnes demandant l’asile, la voix se
demande « ce que cela veut dire que d’être véritablement en
vie [42] ». Les moulages sont ici mis en lien avec les vies précaires
de personnes en migration, refoulé.e.s par les États de la zone
Schengen. Résonnent ici les interrogations de Giorgio Agamben sur
la vie nue, et celles de Judith Butler sur la précarité constitutive des
vies et leur séparation en des vies qui sont dignes d’être pleurées et
celles qui en sont exclues [43]. Le dessin des moulages raciaux est
précis, soigneux, une observation exacte, une appropriation de
l’image par le trait. Puis, le geste artistique est prolongé, le dessin
brulé : la destruction symbolique pointe le potentiel destructeur de
la permanence des moulages dans l’exposition. L’artiste y participe,
observe les vitrines et les dispositifs de présentation pour aussitôt
en récuser la continuité, et pour refuser de s’y inscrire. Dans
l’exposition, seul demeure un petit bout de papier brulé, un indice
d’une longue histoire des effacements racistes sans noms ni
sépultures.

À fleur de peau : le reenactment comme zone de contact

Dédiant une importante partie de leur travail de recherche aux


collections sensibles, les chercheuses Margit Berner et Britta Lange
engagent de multiples alliances pour mettre en œuvre leurs
interrogations. Dans une collaboration avec l’artiste Kerstin Stoll et
le responsable des ateliers des moulages de Berlin, Thomas
Schelper, elles se sont interrogées sur la mise en lien symbolique
comme une alternative à la présentation muséale d’artefacts issus
d’appropriations non consensuelles dans le cadre d’une science
raciste. Leur point de départ était un moulage corporel conservé
dans le département anthropologique du musée d’histoire naturelle
de Vienne. Retraçant la provenance du moulage, Berner et Lange
ont montrées qu’il avait été façonné par l’anthropologue Felix von
Luschan dans une station de contrôle d’identité à Johannesburg, en
1905 [44]. Neuf copies du moulage avaient été fabriquées par la
suite. Leurs recherches permettaient aux chercheuses de retrouver
le nom de la personne jusque-là anonyme. Les notes de
mensurations historiques indiquaient : „N’Kurui etw. 60 J. 1371 mm
hoch, Transvaal“ [45]. À partir de là, les quatre participant.e.s ont
progressivement mis en place un reenactement du moulage,
qu’elles/ils décrivent à quatre mains dans un texte coécrit [46]. Le
responsable de l’atelier des moulages en plâtre à Berlin, Thomas
Schelper, contribue à la description du moulage intégral d’un corps
humain : il s’agit d’un processus long, d’une durée de deux à trois
jours, physiquement et psychiquement éprouvant, et qui demande
beaucoup de confiance à la personne qui est moulée [47]. Il est
évident que cette confiance n’était pas donnée dans le cas des
moulages produits dans des stations de police, sous contraintes,
souvent par des personnes qui ne parlaient pas la langue de celle
qui était soumise au moulage.

Fig. 5. Moulage facial de Britta Lange. Image reproduite de Berner et. al. 2016, op.
cit. p. 180. Photos : Kerstin Stoll, 2013.

Dans sa description du projet « Die verlorene Form/La forme


perdue », l’artiste Kerstin Stoll observe le déroulé du reenactment
du moulage historique, en plein air, mené sur plusieurs jours
d’affilés et accompagné par les interrogations des participantes, qui
avaient opté pour une inversion des rôles : dans le cadre du projet,
ce fut Britta Lange, une chercheuse blanche et européenne, qui était
moulée. Les rôles historiques étaient donc inversées [48]. Ce n’était
pas le chercheur occidental masculin qui moulait une personne dans
des conditions de contrainte, sans consentement et sans
connaissance de la finalité du moulage. Elle choisit délibérément de
participer, de se soumettre au processus pour expérimenter pendant
la durée du reenactment les effets du moulage en plâtre. Si elle y
devient objet de l’étude, elle s’engage librement, et ne perd pas sa
parole de chercheuse pour autant. Toujours est-il qu’elle est
physiquement impliquée dans la recherche, et qu’une observation
distanciée devient ainsi impossible. Par la démarche, le groupe
brouille la frontière entre la chercheuse et son objet, puisque Lange
se trouve des deux cotés : elle est objet et sujet de la recherche,
son corps y est autant engagé que sa réflexion, un savoir
supposément désintéressé est impossible. Lors d’une conférence à
Paris en 2016, elle a décrit la vulnérabilité qu’elle ressentait en
faisant face à sa propre figure en plâtre, son « double » moulé [49].
Avec l’équipe, la chercheuse décide de contrôler étroitement la
circulation des images de ce moulage corporel, pouvant évoquer les
moulages scientifiques, mais aussi les sculptures grecques en
marbre, où la récurrence du modèle féminin vu par un artiste ou
médecin masculin [50]. Dans les cas mentionnés, le corps féminin
est soumis à des regards et critères qui lui sont extérieurs et qui le
réifient, le fixent sous forme d’objet. Face à cette dépossession, le
reenactment insiste constamment sur les émotions, le ressenti, les
réactions physiques qui mettent la personne moulée et son vécu du
moulage au centre. Kerstin Stoll, qui documentait le processus par la
caméra et en menant des entretiens avec les participant.e.s, décrit
en détail la réaction du corps au plâtre froid et durcissant, les traces
de l’angoisse, de l’ennui, des muscles tendus ou relâchés dans le
moulage du visage. Elle retrace comment la forme négative est
détruite au moment de faire émerger le moulage positif – d’où
l’intitulée « la forme perdue ». S’il s’agissait bien de mieux
comprendre ce que le processus des moulages impliquait, il n’était
pas question de simuler l’expérience historique des personnes
moulées dans des circonstances très différentes, et non
consensuelles.

Intervenir dans le musée

Poursuivant leurs collaborations, Stoll et Lange ont mises en


pratique leur travail sur les collections sensibles par une intervention
dans une exposition existante. Du 14 octobre 2016 au 14 mai 2017,
le Deutsches Historisches Museum à Berlin montrait une grande
exposition sur le colonialisme allemand [51]. Période très peu prise
en compte par l’historiographie et la discussion publique en
Allemagne pendant des décennies, la réflexion autour du
colonialisme et ces effets contemporains fut notamment déclenchée
par des revendications de réparations namibiennes, à l’approche du
centenaire du génocide (1904-1908) et rendu possible par
l’indépendance tardive du pays (1990) [52]. Depuis les années 2000,
l’histoire de la colonisation allemande connaît une attention
grandissante et l’impact de la critique postcoloniale se fait sentir par
moments dans les décisions muséales. Ainsi, l’exposition pose la
question de la possibilité de prendre en compte la perspective des
colonisé.e.s alors que l’écrasante majorité des archives constituées à
l’époque coloniale témoigne de la perspective dominatrice et
impériale. Elle s’intéressait aux agents impériaux ainsi qu’aux
résistances exercées face à eux. Ses chapitres comprenaient
l’histoire de l’anthropométrie et la question des modes de son
exposition y était posée. Dans le parcours se trouvait ainsi une
partie qui montrait des moules permettant la duplication des
moulages faciaux, qui avaient été façonnés par le médecin Otto
Finsch. Ce docteur avait voyagé à partir de 1879 en Nouvelle
Guinée, Australie, Nouvelle Zélande, à Java, aux Carolines et de
nombreuses petites iles de la région, pour y rassembler des
matériaux permettant l’étude des « races ». Ces collectes ont été
menées dans le cadre du paradigme de la sauvegarde car les
empires coloniaux craignaient la disparition de la supposée pureté
des « peuples indigènes » et de leurs pratiques culturelles avec
l’avancement de la colonisation [53]. Lange montre dans ses
analyses des rapports de Finsch que celui-ci se voyait dans
l’incapacité de confirmer l’existence des types raciaux qu’il
recherchait sur le terrain. « Toutes ces caractéristiques : taille,
couleur, bouche, nez etc. sont tellement variables que je ne peux
pas y fixer des caractères raciaux, même si cela se lit bien beau
dans les écrits de Waitz, Meinicke ou Peschel » [54]. Elle décrit la
résistance des personnes réquisitionnées pour les prélèvements que
Finsch rencontrait fréquemment face à ses tentatives de faire des
moulages, prendre des échantillons de cheveux, ou encore de
déterrer clandestinement des ossements. L’ensemble de ces
descriptifs rend compte de la violence physique et symbolique
exercée sur les populations locales qui étaient traitées par les
voyageurs impériaux comme un pur matériau d’étude scientifique,
plus au moins facile à apprivoiser [55].

Quand Finsch est revenu de son voyage, il ramena plus de 200


moulages en plâtre, 300 crânes, et plus de 200 échantillons de
cheveux [56]. En 1884, il publiait dans la revue de l’ethnologie
(Zeitschrift für Ethnologie) un catalogue de ces moulages réalisés
sur le vif, qui comprenait noms, âges, origines géographiques, et
d’autres informations à caractère physiologique. Ce sont ces
informations que Britta Lange et Kerstin Stoll ont interrogées quand
elles ont préparé leur intervention au musée en 2016. Comme
mentionné précédemment, le Deutsches Historisches Museum avait
décidé de ne pas montrer les moulages, donc de ne pas exposer les
visages de personnes soumises au processus de façonnage de leur
traits dans du plâtre et contre leur gré. En revanche, l’exposition
contenait six moules, donc les formes négatives faites par les
ateliers de plâtre pour pouvoir répliquer les moulages. Dans ce choix
muséal, l’accent a été mis sur les conditions de production, plutôt
que sur l’exposition des moulages. Bien que ce choix peut être
considéré comme une décision muséographique cherchant une
forme respectueuse pour montrer des collections sensibles, les
légendes qui accompagnaient ces formes négatives numérotées
incluaient uniquement les informations générales des lieux de
provenance géographique. Les traces éparses des personnes qui
avaient été moulées en étaient absentes. En comparant les
documents de l’atelier des moulages et les textes de Finsch, Britta
Lange a retrouvé les noms associés à chacun des six moules. Quant
à elle, Kerstin Stoll a identifié la typographie des légendes de
l’exposition et, le 6 décembre 2016, les deux femmes ont
clandestinement substitué les légendes par de nouveaux contenus.
Action réussie, leurs légendes sont restées en place pendant le reste
de la durée de l’exposition.

Fig. 6. Extrait d’affiche montrant la substitution des légendes des moules en plâtre
permettant la réplication des moulages raciaux réalisé par Otto Finsch. Action
clandestine réalisée par Kerstin Stoll et Britta Lange le 6 décembre 2016 dans
l’exposition « Deutscher Kolonialismus », au Deutsches Historisches Museum, Berlin.
Affiche : Kerstin Stoll, 2017.

Alors qu’il s’agissait de reconnecter des histoires permettant de


comprendre la deshumanisation mise en place par l’anthropométrie
coloniale, Lange et Stoll ont conscience que cette histoire ne se
répare pas par de telles actions, que les noms ont pu être mal
transmis, mal écrit, et que les informations provenaient de sources
impériales. Mais l’action a mis en place une tentative d’approche des
personnes historiques, en rappelant leurs noms dont l’importance
avait été minimisée par les études et les expositions successives des
moulages [57]. Elle a pu investir une « zone de contact »
symbolique, qui n’a cependant pas fait disparaître les asymétries de
pouvoir et d’expropriations délibérées dont les collections sont
issues. Elle a permit de les rendre palpables, d’évoquer la hantise
des personnes dont la subjectivité avaient été niée par l’application
des appareillages contraignants des sciences racistes, dont les
moules sont les vestiges matérielles.

Inverser la logique de la collection

Pour finir, j’aimerais analyser ici le travail intitulé Museum in


Reverse, réalisé par l’artiste néozélandais Luke Willis Thompson, lors
de sa résidence au Musée des cultures du monde (Weltkulturen
Museum) à Francfort-sur-le-Main. Entre 2010 et 2015, alors qu’elle
était dirigée par la commissaire, auteure et anthropologue,
Clémentine Deliss, cette institution avait mis en place un vaste
travail sur les collections, principalement conduit par des artistes
accueilli.e.s en résidence, disposant du soutien des conservatrices et
des curatrices dans le but de sortir les objets des réserves, de
mener des recherches sur ceux-ci, et de développer des expositions
à partir de ce travail dans le dit « laboratoire des cultures du
monde ». La configuration historique était ici inversée : à la fin du
XIXe siècle, le musée ethnographique de Francfort-sur-le-Main
(Völkerkundemuseum, renommé par la suite) était dédié aux objets
accumulés par les ethnographes, explorateurs, missionnaires et
collectionneurs amateurs dans les contrées colonisées par l’Europe.
L’objet d’étude était alors les populations lointaines et leurs cultures
matérielles. Sous la direction de Deliss, au contraire, les collections
devenaient le sujet de la recherche afin de comprendre la
constitution du savoir impérial en Occident portant son regard sur le
« reste du monde ». Il s’agissait de favoriser des échanges entre
artistes, curatrices, chercheuses et chercheurs et de proposer de
nouvelles lectures en permettant un regard autoréflexif sur l’histoire
de la collection ethnographique, afin de faire advenir un musée post-
ethnographique. Foreign Exchange, or The stories that you wouldn’t
tell a stranger constituait l’exposition de 2014 (commissaires
Clémentine Deliss et Yvette Mutumba) [58] dans laquelle le travail de
Luke Willis Thompson était exposé. Ce titre exprime très
précisément le lien entre les intérêts commerciaux liés aux
collections ethnographiques pendant leur constitution et la
consolidation de paradigmes de connaissances s’établissant sur leur
base.

Fig. 7 Vue d’installation de Luke Willis Thompson, Weltkulturen Museum


Frankfurt/Main. Photo : Wolfgang Günzel, 2013.
L’installation de Thompson juxtaposait deux groupes d’objets dans
une salle peinte en blanc : dans une vitrine au milieu de la salle,
l’artiste montrait un masque crânien mélanésien surmodelé, c’est-à-
dire un masque fait sur la base d’un crâne et modelé par-dessus. Il
était montré couché sur fond blanc, à coté de chaînes d’esclaves du
Cameroun, ainsi que plusieurs chaînes en provenance de l’Asie du
Nord. Des photographies de format moyen et en couleur montrant
des scènes de famille, des intérieurs de maison, des enfants et des
adolescent.e.s étaient accrochées, accompagnées d’une lettre, du
côté droit du mur, concluant la série. Datée du 13 février 2013, le
document est adressé à monsieur Moustafa Shahin, vivant à
Francfort. On apprend que M. Shahin est le fondateur de la première
mosquée anglophone de Francfort où il est imam [59]. La lettre
atteste la réception d’une somme de 1.500 euros transférée par
l’artiste à M. Shahin. Il s’agit, pouvait-on y lire, du budget de
production dont disposait Thompson pour l’exposition. La lettre
stipule que la somme devra être destinée à une famille qui souhaite
rapatrier l’un de ses membres décédé à Francfort, dont la dépouille
sera transférée dans le pays où la famille souhaite que la personne
décédée soit enterrée – supposément le pays de naissance. Elle
précise par ailleurs qu’il serait préférable que ce pays fasse partie de
ceux représentés dans les collections du Weltkulturen Museum. Le
texte prévoit que, dès que la famille sera trouvée, M. Shahin en
informerait l’artiste et la curatrice Yvette Mutumba. Les trois
signataires (Mutumba, Thompson, Shahin) assurent que l’argent
sera versé en liquide, et qu’une totale discrétion sera garantie quant
à l’identité de la famille et à celle du décédé.

L’installation laisse les visiteurs et visiteuses face à des nombreuses


questions : au départ, la juxtaposition semblait consister en une
confrontation de la dépossession des morts mélanésiens avec la
restitution actuelle du corps d’une personne – une tentative d’établir
une symétrie et d’inclure le présent. De fait, le masque crânien
surmodelé avait été collecté et amené à Frankfort par Carl Gerlach
en 1879 et se trouve dans la collection du musée. Il fait partie des
objets liminaux dont non seulement la préservation mais aussi
l’exposition suscite la question du traitement respectueux des restes
humains. Il paraît pour cela surprenant que Luke Willis Thompson
décide de le montrer de manière aussi décomplexée.

L’une des raisons, pourrait-on continuer à spéculer, consiste à


rappeler la dépossession historique dans le but d’établir le lien avec
les situations actuelles qui empêchent des personnes en migration,
disposant souvent de peu de ressources économiques, de décider du
sort futur de leur dépouille. Masque historique et personne
récemment décédée se regardent dans un face-à-face qui les lie à
travers les décennies et qui les sépare dans une histoire partagée.
La présence des chaînes d’esclaves, qui rapprochent le masque de
l’histoire de la déportation massive d’Africain.e.s, durcit cette
hypothèse. Face à l’impossibilité de restituer les restes humains de
la collection, dans le cadre de ce projet de courte durée, l’artiste
opère une traduction. Il met les ressources limitées qui lui sont
fournies par le musée afin de réaliser son travail au profit d’une
famille qui souhaite enterrer un proche dans son pays natal. Le
masque, retenu dans le musée, est ainsi connecté au transfert d’un
corps [60].

Si, dans un premier temps, on conclut que les personnes sur les
photos devrait donc être les membres de cette famille, on est mis en
garde par la lettre qui garantit « toute la discrétion » à M. Shahin de
conférer l’argent aux personnes de son choix. « Le corps et l’argent
voyagent dans un sens, alors que les objets qui fonctionnent comme
des mémoriaux voyagent vers le musée » [61]. Dans le travail de
Thompson, les identités des personnes sur les photos restent tout
aussi mystérieuses que celles de la famille en cours de rapatriement
d’un de ces membres. La lettre laisse dans le flou à savoir si les
destinataires du versement ont déjà été trouvés et si le
rapatriement a déjà eu lieu ou non. L’installation recèle
d’ambiguïtés : elle montre des photos de personnes dans leurs
espaces intimes (maisons, chambres), et semble ainsi exposer leur
sphère privée dans le contexte public du musée, à l’inverse de ce
que le titre Museum in Reverse annonce. Or, rien ne permet de
reconnaître les lieux, d’identifier les personnes et de comprendre les
situations sur les photos. L’apparente lisibilité des images brouille les
pistes du versement de l’argent, et protège son transfert en faisant
écran : espace de projection mais qui réserve l’opacité sur ce qu’il
recouvre.

Pareil pour la lettre qui listait minutieusement les étapes à suivre


pour déclencher le paiement, et décrivait le transfert d’argent de
façon protocolaire et surveillé par l’institution. Mais il n’en reste pas
moins que M. Shahin disposait de la somme en liquide et en
contrôlait entièrement le versement. Si le musée possède donc la
valeur symbolique de la pièce (et l’artiste en profite également)
celle-ci repose en grande mesure sur un jeu de brouillage des pistes,
dans lequel aucun lien ne se fait directement.

Il reste l’usage que Thompson fait du masque crânien en l’exposant.


Dans le contexte en question, la pratique culturelle du surmodelage
de crâne précède la relation coloniale. Alors que la diffamation de
cette pratique comme un acte de barbarie faisait partie de la
rhétorique coloniale, Thompson ne prolonge pas cette
argumentation civilisatrice mais se concentre sur le pillage et
l’exposition des masques dans le musée ethnographique, faisant
ainsi du contexte d’appropriation le problème central.

En Europe, la sensibilisation des publics et professionnels des


musées aux enjeux de l’exposition des restes humains en est
toujours à ses débuts. Pour cette raison, l’exposition du masque
crânien pensé par Thompson comme une rupture d’un tabou, peut
facilement demeurer illisible. Les visiteurs/ses, averti.e.s ou non à
l’exposition de restes humains, restent quant à elles/eux sur des
pistes incertaines qui ne sont pas explicitées : rendre le masque
présent fonctionne comme un écran recouvrant tout un réseau de
liens qui se déploient en dehors du musée.

Si les collections sensibles ont intégrées les dépôts et vitrines des


musées ethnographiques en Occident, il s’agissait de représenter et
de définir, par des objets matériels, des personnes et des sociétés
vivantes, souvent géographiquement éloignées. Contester et
transformer le rapport de force doit aujourd’hui inclure de mobiliser
les collections en les mettant en lien avec les luttes liées à la
migration, et en faisant du musée un espace stratégique pour
favoriser les droits des personnes qui en ont besoin. De cette
manière, les restes humains deviennent des alliés et participent
symboliquement ou matériellement à une revendication libératoire
prospective.

Outlook

Comment être en solidarité avec celles et ceux qui ne sont plus, et


qui ont fait objet de traitements historiques dénigrants ? Comment
le travail des conservatrices et conservateurs peuvent prendre en
compte le caractère sensible de nombreux vestiges matériels de
l’histoire coloniale exposés dans les musées ? Aujourd’hui, une
démarche systématique, obligeant les musées et les institutions en
Occident à rendre compte de la provenance de leurs collections, à
déclencher des processus de restitution ou d’enterrement et à les
accompagner par des programmes d’échanges, tarde à s’appliquer.
Imposer aux musées à prendre la responsabilité de leurs collections,
de telle sorte que leur charge deshumanisante soit reconnue et que
l’institution soit contrainte à ne pas la reconduire par leur
conservation et leur exposition, serait une étape majeure dans le
renversement de la charge de la preuve [62]. Elle pourrait prendre
pour modèle la déclaration de Washington par laquelle des musées
s’engageaient à garantir de ne pas conserver des œuvres pillées à
leurs propriétaires juifs et juives [63]. Les expositions et
interventions artistiques, dont il est question dans cet article,
montrent bien que les vestiges de l’histoire de l’anthropométrie et
de l’ethnographie coloniale nécessitent une prise en charge
systématique par les institutions pour respecter leur caractère
sensible, retracer les provenances, favoriser un retour autoréflexif
sur la constitution des collections, et engager un processus proactif
de restitution.

En attendant qu’un cadre normatif soit défini, permettant d’aller au-


delà de l’action muséale sans désintégrer les collections, des
artistes, chercheuses et chercheurs engagent des collaborations et
des expérimentations pour interroger et déplacer les collections
sensibles, en tenant compte de leurs charges historiques. Intervenir
dans les dispositifs de monstration, introduire sa propre vulnérabilité
de sorte à ce que la division entre sujet-chercheur/se et objet de
recherche soit bousculée, inscrire son désaccord ou le performer par
des effacements symboliques, et chercher des liens avec les
combats migratoires et les asymétries à l’échelle globale, font partie
des stratégies mises en place pour se solidariser avec les morts,
pour inscrire les vestiges médiatiques de leurs corps dans le geste
du soin et des luttes émancipatrices du présent.

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Olivier Vayron, « Le nouveau Musée de l’Homme », manuscrit non
publié, 2016.

NOTES

[1] Cf. pour une histoire du racisme scientifique en France, et les musées : Alice L. Conklin, Exposer
l’humanité. Race, ethnologie, et empire en France (1850-1950), traduit de l’anglais par Agathe Larcher-
Goscha, Muséum de l’histoire naturelle, Paris, 2015 ; Laure Cadot, En chair et en os : le cadavre au musée.
Valeurs, statuts et enjeux de la conservation des dépouilles humaines patrimonialisées, Paris, 2009 ;
Laurent Berger, « Des restes humains, trop humains ? », La vie des idées, 26 septembre 2008, [en ligne]
[URL : http://www.laviedesidees.fr/Des-res...].

[2] http://www.museedelhomme.fr/fr/coll..., consulté le 10 octobre 2017. Alain Froment, médecin et


anthropologue, responsable des collections d’anthropologie biologique au Musée de l’Homme, parle 30 000
pièces ou lots de restes humains, appartenant à 23 000 individus. http://www.lemonde.fr/sciences/arti...,
consulté le 10 octobre 2017. Pour une perspective proche des ambitions de conservation institutionnelle,
cf. Laure Cadot, « Les restes humains : une gageure pour les musées ? », in La Lettre de l’OCIM [En ligne],
109 | 2007, mis en ligne le 17 mars 2011, consulté le 11 octobre 2017. URL : http://ocim.revues.org/800

[3] Sammeln, Erforschen, Zurückgeben ? Menschliche Gebeine aus der Kolonialzeit in akademischen und
musealen Sammlungen, sous la direction de Holger Stoecker, Thomas Schnalke, Andreas Winkelmann, Ch.
Links, Berlin, 2013.
[4] https://anatomie.charite.de/en/hist...

[5] UNESCO, Declaration on Race (1950) and Statement on the Nature of Race and Racial Differences
(1952).

[6] Chloé Maurel, « La question des races - Le programme de l’Unesco », in Gradhiva, musée du quai
Branly,​ mai 2007, pp. 114-131.

[7] À ce sujet, il est instructif de lire la récente traduction française du texte Le corps et l’archive d’Allan
Sekula. L’artiste démontre consciencieusement comment la photographie rend possible et se fait complice
de la constitution de nouvelles classifications sociales, telles que les classes dangereuses ou les criminels
récidivistes. Allan Sekula, Écrits sur la photographie 1974-1986, Beaux-Arts de Paris, Paris, 2013.

[8] Waltraud Ernst, « Introduction : Historical and Contemporary Perspectives on Race, Science, and
Medicine », in Race, Science, Medicine, 1700-1960, sous la direction de Waltraud Ernst et Bernard Harris,
Londres, New York, Routlegde, 1999, p.3.

[9] Dans quelle mesure – pourrait-on demander – une exposition itinérante à succès mondial comme Body
Worlds de Gunther von Hagen, montrée depuis 1996 partout dans le monde, ne repose-t-elle pas seulement
sur l’idée que l’être humain pourrait s’expliquer essentiellement par le corps et les cycles de vie par
l’anatomie ? Concevoir l’être humain comme une série d’organes interchangeables établit un lien direct
entre l’anthropométrie et le commerce actuel d’organes humains, commerce souvent soumis à des
asymétries économiques. La question de la provenance des corps et du consentement des personnes
mortes et exposées a constamment été posée par les critiques de l’exposition Body Worlds. Cf. Elizabeth
Stephens, Anatomy as Spectacle. Public Exhibitions of the Body from 1700 to the Present, Liverpool
University Press, Liverpool, 2011.

[10] Marie Royer, « Le Bénin réveille la notion de biens culturels mal acquis », Le Point Afrique, 2 aout
2016, http://afrique.lepoint.fr/culture/l... 2058565_2256.php

[11] Rosa Moussaoui, « Algérie : les crânes de l’amnésie », L’Humanité, 12 juin 2016,
http://www.humanite.fr/algerie-les-...

[12] Klara Boyer-Rossol, « Le Muséum d’histoire naturelle abrite-t-il le crâne d’un roi malgache tué par la
France au XIXe siècle ? » Le Monde, 12 aout 2016, http://www.lemonde.fr/afrique/artic...
3212.html#mr1AAYjR3lbhW5xD.99

[13] Voir les articles de Nathan Schlanger, « Back in Business. History and Evolution at the New Musée de
l’Homme », in Antiquity, aout 2016, Vol. 90, no. 352, pp. 1090-1099 ; et Olivier Vayron, « Le nouveau
Musée de l’Homme », manuscrit non publié, 2016.

[14] Deutscher Museumsbund e.V., Recommendations for the Care of Human Remains in Museums and
Collections, avril 2013.

[15] Ibid., p. 9.

[16] Ibid., pp. 9-10.

[17] Britta Lange, « Collections sensibles », Ramper, Dédoubler. Collecte coloniale et affect, sous la
direction de Mathieu K. Abonnenc, Lotte Arndt et Catalina Lozano, B42, Paris, 2016, pp. 288-317.

[18] Pour un commentaire ironique sur ces approches, voir la vidéo d’Hito Steyerl, Leipniz Skull (2011).
L’artiste questionne, dans un contexte où les restes humains acquièrent un statut de témoin dans des
instructions de crimes, le régime de vérité qui leur est attaché. L’approche de la vidéo est ludique :
interrogés par l’artiste, une pasteure et un anatomiste discutent de l’authenticité d’un moulage en plâtre
du crâne de Leibniz, philosophe et mathématicien du 17ème siècle. Il s’agit ici de révéler les incertitudes
des méthodes forensiques d’identification qui suggèrent qu’il serait possible de déterminer l’identité du
philosophe par le moulage de son crâne.

[19] Lange 2016, op. cit, p. 295.

[20] Susan Leigh Star et James R. Griesemer, « Institutional Ethnology. Translations’ and Boundary Objects.
Amateurs and Professionals in Berkeley’s Museum of Vertebrate Zoology, 1907-39 », [1988], in The Science
Studies Reader, sous la direction de Mario Biagoli, New York, Londres, 1999, pp. 505-524.

[21] Voir à ce sujet le dossier en ligne « Afterlifes ». Darkmatter. In the Ruins of Imperial Culture, sous la
direction du groupe artefacts : http://www.darkmatter101.org/site/c...

[22] Pour l’introduire je m’appuie sur la présentation que Hoffmann fait de l’exposition dans le catalogue.
What We See. Reconsidering an Anthropometric Collection from Southern Africa : Images, Voices, and
Versioning, sous la direction de Anette Hoffmann, Basel, Basler Afrika Bibliographien, 2009.

[23] Ibid., p.18.

[24] Ibid., p.19.

[25] Pour une analyse détaillée Julia T.S. Binter, « Unruly Voices in the Museum. Multisensory Engagement
with Disquieting Histories », in The Senses & Society, Vol 9, Issue 3, 2014, pp. 342-360.

[26] Cf. Hoffmann 2009, op.cit., p. 24.

[27] Traduction du nama par Memory Biwa, transcription Levy Namaseb, p. 25 (traduction en français :
Lotte Arndt).

[28] Esther Peeren, « Versioning. Seeing More (Hi)Stories : Versioning as a Resignificatory Practice in the
What We See Exhibition and the Work of Sanell Aggenbach and Mustafa Maluka », in Hoffmann 2009, op.
cit, p. 27.

[29] Ibid., p. 28.

[30] Mustafa Maluka, Alfeus Mvula, Sanell Aggenbach, Mduduzi Xakaza, Lonwabo Kilani. Ibid. p.28.

[31] Cf. Britta Lange, « Sensible Sammlungen », dans Sensible Sammlungen. Aus dem Anthropologischen
Depot, sous la direction de Margit Berner, Anette Hoffmann, Britta Lange, Fundus, Vienne, 2012, p.20.

[32] Benoît de l’Estoile, « À quoi sert un musée de l’Homme ? Vies et destins d’une utopie », dans Le musée
de l’Homme. Histoire d’un musée laboratoire, sous la direction de Claude Blanckaert, Musée de l’Homme,
Paris, 2015, pp. 238-259.

[33] Ibid. p. 257.

[34] Cf. à ce sujet par exemple Nélia Dias, La mesure des sens. Les anthropologues et le corps humain au
XIXe siècle, Aubier, Paris, 2004 ; Conklin 2015, op. cit.

[35] Charles Cordier, « Types ethniques représentés par la sculpture (6 février 1862) », in Bulletin de la
Société d’anthropologie de Paris, 1862, n° 3, p. 65.

[36] Gayatri Spivak, Righting Wrongs, Diaphanes, Zurich-Berlin, 2008.

[37] Le Musée de l’Homme. Itinéraire, Musée de l’Homme, Paris, 2015, p. 60.

[38] Cf. également Nathan Schlanger 2016, op. cit.

[39] Homi Bhabha, « The Multi-Cultural Question », Unsettled Multiculturalisms. Diasporas, Entanglement,
Transruptions, sous la direction de Barnor Hesse, Zed Books, Londres, 2000, pp. 209-241.

[40] Lotte Arndt, « Le renversement de la charge de la preuve comme levier postcolonial », 36 Short
Stories, sous la direction de Mélanie Bouteloup, Paris, 2016, p. 69-78.

[41] Candice Lin, A Hard White Body/Un corps blanc exquis, Bétonsalon. Centre d’art et de recherche,
Paris, 6 septembre-23 décembre 2017, commissaires d’exposition : Lotte Arndt et Lucas Morin.

[42] Candice Lin, The Beloved, 12 min en boucle, vidéo, couleurs, 2017.

[43] Judith Butler, Frames of War. When is Life Grievable ?, Verso, New York, 2016.

[44] Margit Berner, Britta Lange, Kerstin Stoll und Thomas Schelper, „Verlorene Form. Eine künstlerisch-
wissenschaftliche Auseinandersetzung mit sensiblen Sammlungsbeständen“, in, Casting. Ein analoger Weg
ins Zeitalter der Digitalisierung ? Ein Symposium zur Gipsformerei der Staatlichen Museen zu Berlin, sous la
direction de Christina Haak et Miguel Helfrich, arthistoricum.net, Heidelberg, 2016. DOI :
10.11588/arthistoricum.95.114.

[45] Berner et. al. 2016, op. cit. p. 176.

[46] Ibid.

[47] Ibid., p. 178.

[48] Ibid., p. 183.

[49] Dans le cadre de la présentation de Britta Lange et Kerstin Stoll lors de l’événement Objets inquiets,
minants les chosifications, 26 novembre 2016, Villa Vassilieff, Paris, http://www.villavassilieff.net/?Eve...

[50] Un procédé qui peut laisser penser au travail de l’artiste états-unienne Martha Rosler, Vital Statistics of
a Citizen, Simply Obtained, 1977, 39:16’, anglais, colleur, vidéo. Dans ce travail, deux médecins vêtus de
blanc prennent les mesures du corps nu de l’artiste, pendant que la voix off commente des idéaux de
beauté, des standards corporels, et la discipline exercée sur les corps, féminins avant tout, pour
correspondre à ces idéaux.

[51] Deutscher Kolonialismus. Fragmente seiner Geschichte und Gegenwart, 14 octobre 2016 au 14 mai
2017, Deutsches Historisches Museum, Berlin.

[52] Cf. Peter H. Katjavivi, « From Colonialism to Bilaterality. Challenges of the Namibian-German
Relationship », Dierk Schmidt. The Division of the Earth. Tableaux on the Legal Synopsis of the Berlin Africa
Conference, sous la direction de Lotte Arndt, Clemens Krümmel, Dierk Schmidt, et. al., Walter König
Verlag, Cologne, 2010, pp. 91-93.

[53] Voir Britta Lange, « Prekäre Situationen. Anthropologisches Sammeln im Kolonialismus », dans
Sammeln, Erforschen, Zurückgeben ? Menschliche Gebeine aus der Kolonialzeit in akademischen und
musealen Sammlungen, sous la direction de Holger Stoecker, Thomas Schnalke, Andreas Winkelmann, Ch.
Links, Berlin, 2013, p. 47.

[54] « Überhaupt sind alle diese Charaktere : Größe, Färbung, Mund, Nase u.s.w. so variabel, dass ich
darauf keine Rassencharaktere basieren kann, so hübsch sich das auch bei Waitz, Meinicke oder Peschel
liest. » Otto Finsch 1882, cité d’après Lange 2013, op. cit, p. 47 (traduction ici : L.A.).
[55] Pour une analyse en détail, voir Lange 2013, op. cit.

[56] Ibid., p. 57-58.

[57] Cf. affiche retraçant l’action, réalisée par Kerstin Stoll en 2017.

[58] Cf. le catalogue Foreign Exchange (or the stories that you wouldn’t tell a stranger), sous la direction
de Clémentine Deliss et Yvette Mutumba, Diaphanes, Zürich, 2014.

[59] Luke Willis Thompson, « Museum in Reverse », Foreign Exchange (or the stories that you wouldn’t tell a
stranger), sous la direction de Clémentine Deliss et Yvette Mutumba, Diaphanes, Zürich, 2014, pp. 242-245.

[60] Sophie Von Olfers et Luke Willis Thompson, « Out of the Gallery », Mousse, no. 41, décembre 2013, pp.
122-125.

[61] Thompson 2014, op.cit., p. 243.

[62] Voir Arndt 2016, op. cit.

[63] Les Principes de Washington ou bien les Principes de la Conférence de Washington applicables aux
œuvres d’art confisquées par les nazis ont étés signés par 44 Etats et concernent la restitution des œuvres
d’art confisqués par le régime Nazi avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale. La déclaration a été
publiée en marges de la Conférence de Washington sur les biens confisqués à l’époque de l’Holocauste le 3
décembre 1998. http://www.culture.gouv.fr/document...

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