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Politiques et management public

Y-a-t-il une spécificité du contrôle de gestion dans le secteur public


?
René Demeestère

Résumé
La recherche en management public a fréquemment mis l'accent sur les spécificités de celui-ci. Doit-on en déduire qu'il y a
aussi un contrôle de gestion spécifique au secteur public ? En fait, il apparaît que, face à une grande diversité de situations, le
contrôle de gestion propose des démarches et des outils ayant un caractère général ; il n'y a pas deux contrôles de gestion, l'un
public, l'autre privé ; dans chaque situation particulière, il s'agit, à partir d'un diagnostic de cette situation, d'effectuer un choix
dans la gamme d'outils et de démarches disponibles, d'adapter "sur mesure" cette solution aux spécificités du problème qui est
posé.

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Demeestère René. Y-a-t-il une spécificité du contrôle de gestion dans le secteur public ?. In: Politiques et management public,
vol. 7, n° 4, 1989. Numéro spécial - Formation au management public. pp. 33-45;

doi : https://doi.org/10.3406/pomap.1989.2920

https://www.persee.fr/doc/pomap_0758-1726_1989_num_7_4_2920

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Y-A-T-IL UNE SPECIFICITE DU CONTROLE DE GESTION
DANS LE SECTEUR PUBLIC ?

René DEMEESTERE

Résumé La recherche en management public a fréquemment mis l'accent sur les


spécificités de celui-ci. Doit-on en déduire qu'il y a aussi un contrôle de gestion
spécifique au secteur public ? En fait, il apparaît que, face à une grande diversité de
situations, le contrôle de gestion propose des démarches et des outils ayant un
caractère général ; il n'y a pas deux contrôles de gestion, l'un public, l'autre privé ;
dans chaque situation particulière, il s'agit, à partir d'un diagnostic de cette
situation, d'effectuer un choix dans la gamme d'outils et de démarches disponibles,
d'adapter "sur mesure" cette solution aux spécificités du problème qui est posé.

* ESSEC.

Revue POLITIQUES ET MANAGEMENT PUBLIC, Volume 7, n° 4, décembre 1989.


((T) Institut de Management Public - 1989.
34 René DEMEESTERE

Les spécificités De nombreux auteurs se sont attachés à identifier différentes caractéristiques


du secteur propres aux organisations publiques, à définir un management public.
public
P. GIBERT 1 distingue dans les organisations publiques "des traits partagés avec
des organisations du secteur privé, mais plus fréquents ou plus marqués : une taille
importante, une activité de service, un financement extraordinaire", et des traits
spécifiques : "le système juridique, la dépendance vis-à-vis du pouvoir politique, la
pluralité des modes d'intervention, les interactions entre organisations publiques" ;
il note comme caractéristiques du système administratif "l'importance de la notion
de pertinence, la muftifonctionnalité des services administratifs au regard des
objectifs de l'Etat et la diversité profonde au sein des administrations quant aux
missions poursuivies, aux modes d'interventions utilisés et à la situation vis-à-vis de
l'environnement".

Les services publics ont fréquemment un champ d'action spécifié, un territoire


géographique délimité, une situation non concurrentielle, à la différence des
entreprises privées plus mobiles et susceptibles d'aborder de nouveaux marchés,
de se diversifier ou d'arrêter certaines activités. Leurs objectifs sont différents ;
ceux d'une organisation publique sont multiples, externes, souvent difficiles à
définir 2. En effet, ils peuvent, entre autres, ne pas faire l'objet d'un consensus
(exemple : l'éducation), être difficiles à mesurer (exemple : la santé).

L'impact qu'ont sur le management diverses règles de fonctionnement propres au


secteur public (comptabilité publique, règles budgétaires, statut de la fonction
publique, réglementation des marchés publics...) est lui aussi fréquemment
souligné.

Dans un autre contexte institutionnel, L. LYNN 3, à partir de l'expérience dans le


secteur public de "managers" venus du privé, met l'accent sur :

l'absence de "bottom line" comme mesure du succès,

la multiplicité des parties prenantes aux processus de décision (groupes


d'intérêts, comités parlementaires, direction du Budget, autres administrations,
presse...),
les obstacles bureaucratiques au changement administratif, à la motivation des
personnes,
l'importance des relations avec la presse.

Dans Le contrôle de gestion dans les organisations publiques, Ed. d'Organisation, 1980.

Sur la difficulté de l'application du concept d'objectif dans les administrations publiques," cf. la thèse de
Ph. HUSSENOT "Finalisation et contrôle de gestion des administrations publiques" Université de Paris
Dauphine, 1982.
L. LYNN, Managing The Public Business, Basic Books, 1981.
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Les démarches d'analyse des politiques publiques * soulignent, quant à elles, la


diversité des modes d'action publique (politiques distributives, ^distributives,
réglementaires, constitutives) et définissent le management public comme
management des politiques publiques, en mettant l'accent sur la maîtrise des
effets d'ordre social, économique, politique de ces actions, qui vont bien au-delà
de la simple fourniture de prestations ; en ce sens, le management public est
différent du management privé qui se limiterait essentiellement à appréhender ce
dernier aspect.

De ces différents travaux, il ressort que le gouvernement de telle ou telle


organisation publique présente des traits bien distincts de ceux que l'on rencontre
dans la gestion d'une entreprise privée.

Mais si l'on reprend chacun de ces critères, il en ressort également une très grande
diversité de situations au sein même du secteur public ; la demande de
management porte
"prêts-à-porter" ; il convient
sur des donc
démarches
d'accorder
"sur mesure"
une importance
et non pas
essentielle
sur desàsystèmes
la phase
de diagnostic de chaque situation spécifique avant d'élaborer actions de
changement et systèmes de management adaptés aux caractéristiques propres de
l'organisation considérée et de sa situation. A cet égard, la prise en compte des
critères que nous venons d'évoquer peut déjà fournir de premiers éléments
d'analyse, évitant ainsi de préconiser des transpositions trop hâtives de démarches
d'une entité à une autre.

Les méthodes de L'offre de contrôle de gestion porte sur un nombre limité d'outils, de concepts et
contrôle de de démarches : la comptabilité analytique, budgétaire, les tableaux de bord... Mais
gestion dans le ces outils généraux ont de nombreuses variantes St ne prennent leur sens que
secteur public lorsqu'ils sont conçus et adaptés à une utlisation bien précise, dans un contexte
donné.

L'analyse des coûts

Les méthodes d'analyse des coûts n'ont rien de spécifiquement public ou privé.
Par contre, elles se caractérisent par une grande diversité de finalités possibles
amenant à classer l'information comptable et économique selon un degré de détail,
une périodicité d'élaboration et des dimensions d'analyses très variées dans
l'espace (produit, service, fonction, client, projet, décision...) et dans le temps
(passé ou futur, annuel ou pluriannuel).
Parmi ces finalités, on peut distinguer :

1 Cf. A. WILDAVSKY, Rescuing policy analysis front PPBS, Public Administration Review, 29 March-April
1969, et J.C. THOENIG, L'analyse des politiques publiques, Chap. 2 du volume IV du Traité de Sciences
Politiques, PUF, et aussi J.C. THOENIG, Le management public et les exigences du réalisme, 1986.
36 René DE ME ESTERE

• La mesure du résultat comptable

Celle-ci nécessite la valorisation des en-cours, stocks de produits semi-finis et finis


et la valorisation des travaux faits par l'entreprise pour elle-même, donc la
connaissance du coût de production des produits et projets. A l'évidence, une
telle question ne se pose pas dans la plupart des organisations publiques.

• L'aide à la tarification et à la négociation

L'analyse des coûts des produits et prestations peut également être poursuivie
afin de contribuer à l'élaboration des politiques tarifaires ; ainsi, par exemple,
l'établissement de comptes d'exploitation par activité peut être conduit en liaison
avec la révision de la politique tarifaire de cette activité (par exemple, une
municipalité estimant qu'une activité industrielle ou commerciale à vocation à
équilibrer ses comptes, et s'attachant en conséquence à accroître ses tarifs et à
réduire ses coûts).

De même, le remboursement par une partie externe des coûts encourus par
l'organisation ou le souci de mettre en valeur les prestations effectuées (exemple :
travaux effectués par des ateliers municipaux pour des associations) peut amener à
en calculer le coût.

• L'aide à allocation des ressources et à l'établissement du budget

L'élaboration des budgets représente dans toute organisation un enjeu important ;


de multiples démarches d'analyse peuvent être utilisées dans cette élaboration.

Afin de mieux cerner à un niveau central l'utilisation qui est faite des moyens, on
peut établir des comptes d'exploitation, regrouper les coûts par activité, service,
fonction, de façon à déceler les priorités implicites, simuler différentes évolutions
possibles, aider à la fixation de nouvelles priorités. Pour cela, il s'agit d'abord de
savoir "où va l'argent ?", d'où viennent les évolutions constatées ?".

Afin d'associer plus étroitement les différents niveaux hiérarchiques à l'élaboration


et au suivi des budgets, on peut agir au niveau de la seule gestion des moyens
(identification précise des gestionnaires de crédit, suivi plus fin ou plus global,
redéfinition de certaines responsabilités de suivi...) ou de façon plus ambitieuse,
en s'attachant à rapprocher moyens, résultats et objectifs, par centre de
responsabilité ou par projet.

Le raisonnement par centres de responsabilités est souvent présenté à partir d'un


schéma-type "idéal" d'organisation "décentralisée", dans laquelle chaque
responsable d'unité :

- négocie objectifs, résultats, moyens,

- est responsable de la réalisation de ses objectifs et dispose au mieux de ses


moyens pour cela,
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- est jugé a posteriori sur ses résultats,

- est incité à améliorer ceux-ci par un système de sanctions-récompenses


cohérent avec les objectifs poursuivis.

A ce titre , il repose sur diverses hypothèses :


- capacité à isoler les responsabilités en termes de résultats,

- capacité à rapprocher les coûts, des actions menées par un responsable ; ce


qui peut, entre autres, amener à utiliser des systèmes de cessions internes de
prestations entre services l.

Les vertus générales qu'il prête à la décentralisation demandent à être précisément


spécifiiées : quelles responsabilités déléguer ou ne pas déléguer ? Sa mise en
place va donc généralement de pair avec des redéfinitions de rôles respectifs de
services centraux (exemple : achats, personnel...) et de services prestataires au
public.

P. GIBERT souligne les remises en cause qu'implique la mise en place de


"véritables centres de responsabilité" 2 :

- "reconnaissance d'une sphère d'autonomie du service subordonné" qui peut


aller contre certaines pratiques d'exercice du pouvoir hiérarchique,

- changement du mode de délégation traditionnel, axé sur les moyens, au profit


d'un engagement de résultats dans l'utilisation de moyens portant sur un
ensemble de compétences permettant d'obtenir ces résultats,
- question du lien ou de l'absence de lien existant entre le système de sanction-
récompense et les résultats de gestion.
L'utilisation d'une telle démarche de changement des règles du jeu budgétaire ne
peut donc que reposer sur une analyse de chaque situation spécifique 3 : ainsi,
par exemple, on peut constater que bon nombre d'organisations publiques ne
sont pas en fait démunies de possibilités d'incitations, au niveau des allocations
budgétaires ou même parfois des rémunérations ou avantages annexes, pour
sanctionner des résultats de gestion.

* Nous aborderons ce point plus loin.

2 Cf. P. GIBERT, op. cit. p. 102 et Ph. HUSSENOT, op. cit. p. 57 à 61.

3 Et des questions analogues se posent dans le secteur privé : l'analyse des pratiques budgétaires dans de grandes
"bureaucraties privées" (assurance, banque par exemple) montre l'existence d'analogies avec les pratiques du secteur
public ; la notion de centre de responsabilité dans la pleine acception du terme (cf. plus haut) n'y est pas toujours
très répandue.
38 René DEMEESTERE

Plus généralement, l'examen des évolutions pratiques des démarches


budgétaires dans différentes organisations publiques 1 montre bien l'intérêt
manifesté pour le recours à ces notions. Ainsi, certaines villes élaborent et suivent
leurs budgets par centre de responsabilité et fonction, en faisant apparaître la
contribution apportée au budget de chacun de ces centres par un pool de
ressources financières globales.

L'exemple des budgets de service des hôpitaux est également très caractéiristique
de cette démarche : création de centres de responsabilité découpés eux-mêmes
en unités d'activité ayant leurs unités d'oeuvre, mise en place parallèlement de
mesures d'activité qui seront complétées avec la mise en oeuvre des PMSI
(Programmes de Médicalisation des Systèmes d'Information), et de procédures
permettant les virements de crédits, souci de modifier les comportements, en
particulier par la diffusion de l'information sur les coûts et l'activité des services...
En matière de gestion budgétaire, on peut constater qu'il existe de nombreux
écarts entre les pratiques et le schéma supposé idéal de la gestion budgétaire
décentralisée par centres de responsabilité ; il n'en reste pas moins que les
démarches budgétaires évoluent de façon pragmatique. De tels changements
impliquent que l'on mène de pair :

- évolution dans la répartition des responsabilités,

- évolution des systèmes d'incitation pour favoriser les changements envisagés,

- mise en place de systèmes de connaissance des coûts par centre d'activité,


fonction...,
- mise en place de systèmes de suivi des réalisations effectuées (cf. tableaux de
bord),
en s'attachant à faciliter une meilleure adaptation des coûts à l'activité et un
recentrage de l'activité sur les priorités de l'organisation.

Ces démarches de changement sont conduites en tenant compte des


caractéristiques et contraintes propres à chaque organisation (par exemple, les
possibilités de transferts de crédits d'une ligne à une autre, de reports, le souci
d'éclairer plus ou moins tel ou tel aspect de la gestion...).

• L'aide au suivi budgétaire et à la maîtrise des coûts

Le corollaire d'un système d'élaboration budgétaire est l'organisation d'un système


cohérent de suivi des réalisations.

1 Cf. par exemple, l'enquête de Ph. HUSSENOT et E. HACHMANIAN, Les contrôleurs de gestion des
organisations publiques. Institut de Management Public-FNEGE, 1985.
Y-a-til une spécificité du contrôle de gestion dans le secteur public ? 39

La comptabilité publique permet d'assurer une partie de ce suivi à l'aide de la


comptabilité d'engagement. Cette dernière n'est pas particulièrement spécifique
au secteur public, et est également utilisée dans le secteur privé pour assurer
certains suivis (de projets, de certaines lignes budgétaires).

Dans le cadre d'une gestion par centre de responsabilité, elle peut être affinée au
niveau de chaque centre et complétée par des imputations internes
s(comptabilisation de la paye, cessions internes) pour fournir un outil de maîtrise
des coûts.

Indépendamment ou dans le cadre de la gestion budgétaire, d'autres outils de


maîtrise des coûts sont développés :

Systèmes de mesure des cessions internes ; lorsqu'un centre fournit des


prestations à différents utilisateurs (exemple : les ateliers municipaux), il peut
être intéressant de mesurer ces prestations 1 soit de façon occasionnelle pour
en faire un bilan (qui sont les destinataires ? Est-ce prioritaire ? Quel est le coût
des prestations ? Est-ce compétitif ? Quelle est la charge des différentes
catégories d'intervenants ? Les moyens sont-ils adaptés ?...), soit de façon plus
systématique (régulation par la facturation).

Dans une perspective de réduction ou de redéploiement des moyens de


différents services, des analyses fines des tâches effectuées, des temps et
des coûts consacrés à ces tâches peuvent être utiles ; c'est à cette finalité que
s'adressent essentiellement les méthodes de type BBZ, analyse de la valeur
des frais généraux... ; elles le font dans une perspective très analytique qui
privilégie la suppression de tâches jugées inutiles, ou l'informatisation de
certaines tâches et qui appréhende plus difficilement les interactions existant
entre les différentes activités.
Pour certaines activités, des comptabilités analytiques locales peuvent être
construites de façon plus ou moins développée pour suivre les coûts
(exemples : consommation, entretien des véhicules), aider à certaines
décisions (exemples : politique de remplacement de véhicules, choix de la
marque).

• Le diagnostic des coûts

Pour effectuer un diagnostic des coûts, une solution possible est de recourir à des
comparaisons ; ces comparaisons peuvent être menées vis-à-vis d'organismes
extérieurs ou entre entités comparables d'une même organisation (exemples : coût
des repas dans les cantines scolaires, coût des crèches familiales et des crèches
traditionnelles, coûts d'activités utilisant des locaux loués ou des locaux
construits...).

Soit par leurs coûts, ou plus simplement par une mesure des temps passés (comptabilité des heures).
40 René DEMEESTERE

Ces analyses peuvent être menées à bien par une collecte spéciale d'information
ou par la mise en place d'une comptabilité analytique qui garantira une plus grande
rigueur dans la collecte de l'information. Cette dernière peut aussi avoir un coût de
mise en place non négligeable et ne justifiera son existence, en plus de la
comptabilité budgétaire destinée à suivre les coûts globalement par centre, que si
son intérêt est suffisamment prouvé tant pour le diagnostic des coûts, que pour
d'autres finalités : tarifications, suivi fin des coûts (gestion de projets, par exemple).

• L'aide à la prise de décision

C'est une autre utilisation de l'analyse des coûts ; elle nécessite de raisonner sur
des coûts futurs, différentiels ; l'existence d'une comptabilité analytique peut
contribuer à faciliter ces évaluations en fournissant des éléments qui aideront à
chiffrer les solutions envisagées ; mais le calcul économique d'aide à la décision
nécessite que l'on apprécie l'ensemble des changements liés à cette décision.
Dans l'idéal, il s'appuie sur une modélisation des coûts, dont l'analyse en coûts
fixes-coûts variables est un exemple simple.

Les domaines d'application de ces méthodes sont multiples :

raisonnement en coût global (investissement et fonctionnement) lors de la


réalisation d'un équipement,

- décision de faire ou faire faire,

- décision de remplacement de matériel,

évaluation d'actions d'amélioration

Ainsi, pour inciter les collaborateurs de l'organisation à proposer des solutions


permettant de réduire les coûts, d'améliorer la qualité de service, il peut être utile,
par exemple en lien avec la procédure budgétaire, de prévoir un chiffrage des
moyens nécessaires et des résultats attendus de l'action proposée.

• L'aide à la planification

L'analyse des coûts peut là aussi contribuer à une meilleure planification : certaines
actions sont pluriannuelles (projets) ou ont des conséquences pluriannuelles
(coûts de fonctionnement induits par la réalisation d'un équipement). Leur
appréciation correcte est un élément important d'une planification financière à
moyen terme.
Y-a-til une spécificité du contrôle de gestion dans le secteur public ? 41

L'analyse des coûts offre donc toute une gamme d'outils qui ne se limite pas à la
seule comptabilité analytique des prix de revient. Certains auteurs ont décelé une
tendance à mettre l'accent trop exclusivement sur celle-ci dans le secteur public 1;
notons qu'un débat, qui n'est pas sans analogie avec celui-ci, existe à l'heure
actuelle dans le secteur privé, où différents auteurs2 reprochent à la comptabilité
analytique traditionnelle de servir trop exclusivement le reporting financier (mesure
du résultat comptable) aux dépens des finalités d'aide à la prise de décision et de
suivi des performances des responsables, d'être trop orientée sur le passé et
insuffisamment sur le futur.

La question qui se pose est donc de choisir en fonction d'un diagnostic de


l'organisation la ou les méthodes qui apparaissent prioritaires dans chaque situation
spécifique ; en fonction des problèmes qui auront été identifiés, il s'agit de choisir
des outils adéquats techniquement (solution adaptée au problème),
économiquement (rapport coût/avantages) et politiquement (volonté et capacité
de résoudre le problème posé)3.

Les tableaux de bord

L'analyse des coûts n'est qu'un des aspects du contrôle de gestion ; celui-ci vise
essentiellement à faciliter la réalisation des objectifs de l'organisation et s'attache
pour cela à développer des indicateurs de gestion permettant de suivre les
réalisations effectuées et pas seulement les moyens utilisés.

L'utilisation d'indicateurs de gestion sous forme de tableaux de bord est


extrêmement répandue, tant dans le secteur public que dans le secteur privé4.

Là aussi, la mise en place de ces indicateurs répond à plusieurs finalités :

1 Cf. P. GIBERT, op.cit. p. 114.

2 Cf. en particulier, H. JOHNSON, R. KAPLAN, Relevance Lost, The Rise and Fail of Management Accounting,
Harvard Business School Press, 1987.

3 Cf. par exemple, A. HATCHUEL, J.C. MOISDON, H. MOLET, Les coûts par type de malade : les enjeux
organisationnels d'un nouvel outil de la gestion hospitalière, Colloque AFCET, 1984.

4 Pour des exemples, cf. F. ENGEL, P. GARNIER, Le contrôle de gestion en univers administratif, Politiques et
Management Public, n° 1 Hiver 93, ou D. MEURET, Le tableau de bord des collèges et des lycées : histoire d'un
ajustement, Politiques et Management Public, n° 1 Mars 86.
42 René DEMEESTERE

- Maîtrise des coûts

Constater des coûts n'est pas suffisant, si l'on ne sait pas remonter aux facteurs qui
sont à l'origine de ces coûts ; en ce sens, effectuer un suivi d'indicateurs
physiques présente de multiples avantages : il est clair pour les responsables
opérationnels, peut être produit rapidement (il n'est pas lié à la périodicité de
production des documents comptables) ; il peut faire apparaître les causes des
coûts.

Exemples : - suivi en quantités physiques des consommations d'énergie,


- suivi des temps productif/improductifs

- Suivi de l'activité réalisée

II permet de déceler les évolutions de la demande (exemple : fréquentation des


équipements) et, en le reliant avep le suivi des moyens, de s'assurer de l'adaptation
des moyens à l'activité, de suivre la productivité, de rechercher une meilleure
utilisation des moyens sous-utilisés ; ce suivi peut être complété d'indicateurs de
qualité des prestations effectuées (délais de réponse, erreurs...).

- Coordination entre services

Une bonne part des gisements de productivité dans les organisations existe aux
interfaces entre les services ; une mauvaise coordination crée des dérives de coût ;
des systèmes de circulation horizontale de l'information peuvent contribuer à
réduire ces dysfonctionnements.
Exemples : - ajustement des prévisions de trésorerie entre gestionnaire de
projet et service financier,
- ajustement quantités produites ou achetées/quantités
consommées.

- Comparaisons entre centres

Dans certains cas, les tableaux de bord peuvent servir à établir des comparaisons
entre centres ayant des activités analogues. Cela implique une normalisation de la
définition des indicateurs qui peut être contradictoire avec la volonté de faire des
tableaux de bord des outils de gestion de chaque responsable de centre, lui
fournissant des indicateurs adaptés aux spécificités de son activité propre.
Y-a-til une spécificité du contrôle de gestion dans le secteur public ? 43

- Mesure des performances

Le suivi de la réalisation des objectifs est habituellement la finalité principale que


l'on donne aux tableaux de bord. Nous avons déjà évoqué les difficultés
rencontrées par les démarches de finalisation de la gestion, en particulier dans le
secteur public : vouloir établir un système complet, stable et cohérent de mesure
d'une réalité complexe, mouvante et ambiguë, voire contradictoire, apparaît comme
la quête de l'impossible, si l'on pose le problème en ces termes. D'une façon plus
pragmatique, nous constatons que de nombreuses organisations, qu'elles soient
publiques ou privées, ont su se définir des stratégies, des projets, des domaines
d'action prioritaire et que les tableaux de bord permettent abrs d'assurer un suivi de
ces éléments prioritaires (exemple : qualité de service). Par ailleurs, en sens
inverse, le fait même de définir des indicateurs sur des éléments jugés importants
peut à son tour contribuer à une meilleure finalisation de la gestion.

- Mesure des impacts des politiques suivies

Le souci d'appréhender les impacts externes des actions conduites sous forme
d'évaluation de politiques est souvent présenté comme une des caractéristiques
du management public. De telles évaluations peuvent être conduites soit a priori
dans la phase de choix des politiques1, soit en cours de programme pour en suivre
l'exécution, aider les responsables à en améliorer la gestion, soit a posteriori pour
rendre compte des résultats, remettre en cause la politique, enrichir les
connaissances sur les effets des actions menées2.

Ce dernier type d'évaluation adopte une perspective globale, met l'accent sur les
impacts d'ordre social, économique et politique des actions menées ; il s'attache à
comprendre ce qui s'est passé et ce qui se serait passé sans le programme
considéré, à découvrir les effets inattendus de la politique menée ; les objectifs
poursuivis par les différents acteurs sont plutôt des objets de recherche, que des
éléments donnés a priori.

En ce sens, les évaluations sont plutôt complémentaires des démarches de


contrôle de gestion que parties prenantes à celles-ci 3. Par contre, la démarche
d'évaluation en cours de programme pour en améliorer la gestion et l'efficacité n'est
pas sans analogie avec les démarches de contrôle stratégique qui viennent enrichir
le contrôle de gestion dans différentes entreprises : souci de ne pas suivre
seulement la gestion des centres de responsabilité, mais aussi de projets
stratégiques ou de processus concernant plusieurs unités ; souci d'élargir

L'analyse des coûts des alternatives envisagées en est alors une des composantes.

Cf. E. CHELIMSKY, L'évaluation de programmes aux Etats-Unis, Politiques et Management Public n° 2, Juin
1985.

Cf. P. GIBERT, M. ANDRAULT, Contrôler la gestion ou évaluer les politiques , Politiques et Management
Public, n° 2, Printemps 1984.
44 René DEMEESTERE

l'information suivie en ne la limitant pas à des éléments internes à l'organisaton, et


en incluant de multiples informations externes (sur la concurrence, la demande...) ;
souci de ne pas se limiter à un suivi comptable et financier et de mettre l'accent sur
l'impact des actions menées, sur l'analyse des facteurs à l'origine des coûts et des
performances passées et futures.

Conclusion Le secteur public a ses spécificités, comme chaque secteur d'activité a les siennes
propres (exemple : la banque), et chaque organisation également (exemple :
banque universelle ou spécialisée sur certains produits). Le secteur public
présente aussi une très grande diversité qui rend illusoire de vouloir imaginer un
modèle de contrôle de gestion "clé en main" du secteur public (comme le PPBS,
par exemple) ; si chacun a à gagner de la connaissance des démarches conduites
dans d'autres organisations, il ne s'agit pas de transposer purement et simplement
d'un endroit à un autre les solutions adoptées ; s'il y a d'un côté des solutions à la
recherche de problèmes, et de l'autre des problèmes à la recherche de solution, il
est clair que le succès ne peut venir que de la rencontre d'une solution adoptée au
problème posé, de la construction sur mesure de cette solution.
La question-clé est celle du diagnostic. Celui-ci repose sur une analyse du
fonctionnement concret de l'organisation, de ses problèmes, priorités et
contraintes, de ses projets de changement, de sa volonté de clarifer et de
rationaliser tel ou tel aspect (ou l'ensemble) de sa gestion, de sa capacité à réunir
les appuis suffisants pour mener à bien un tel projet. Il repose également sur le
choix et la construction d'outils adaptés aux problèmes posés ; il n'y a pas d'outil à
tout faire ; une réflexion sur l'utilisation attendue des outils et démarches que l'on
envisage de mettre en oeuvre1 s'impose pour éviter la situation bien connue :
pléthore de données inutiles, absence d'information pertinente.

Une approche aussi pragmatique du contrôle de gestion peut sembler bien


modeste aux esprits cartésiens épris de grands schémas cohérents ; elle nous
semble simplement réaliste et amène à considérer le contrôle de gestion comme
un des moyens du changement de l'organisation vers un management plus
efficace, que celui-ci s'exprime sous forme d'un projet global de management ou
progresse empiriquement par petits pas.

En termes de formation au contrôle de gestion dans le secteur public, il s'ensuit


que les actions menées doivent être suffisamment ouvertes, orientées sur
l'acquisition et la mise en oeuvre de cadres d'analyse et non de recettes.

Une formation qui soit un véritable investissement en management public doit


comporter :

Même si l'on sait qu'une telle tâche sera difficile à réaliser complètement : des utilisateurs ou difficultés
intattenducs apparaîtront souvent.
Y-a-til une spécificité du contrôle de gestion dans le secteur public ? 45

un apport de techniques, de concepts, de méthodologies portant sur le


domaine étudié (ici, le contrôle de gestion) ; cet apport sera d'autant plus riche
qu'il ne se limitera pas au seul secteur public (exemple : formation au
raisonnement et aux méthodes comptables et pas seulement aux règles de la
comptabilité publique),
un recours à des études de cas permettant non pas de résoudre des problèmes
pratiques, mais bien plutôt de clarifier les concepts présentés, de préciser
l'utilisation faite de telle ou telle technique à partir d'une description forcément
simplifiée d'une situation,
un travail de projet permettant d'exercer dans une situation concrète, une
démarche de diagnostic de celle-ci, de construction sur mesure de solutions
adaptées au problème qui aura été identifié.

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