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M.

Naoyo Furukawa

Cet animal construit des barrages : le SN générique et ses


modes de référence
In: L'Information Grammaticale, N. 47, 1990. pp. 3-10.

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Furukawa Naoyo. Cet animal construit des barrages : le SN générique et ses modes de référence. In: L'Information
Grammaticale, N. 47, 1990. pp. 3-10.

doi : 10.3406/igram.1990.1917

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/igram_0222-9838_1990_num_47_1_1917
CET ANIMAL CONSTRUIT DES BARRAGES :
LE SN GÉNÉRIQUE ET SES MODES DE RÉFÉRENCE

Naoyo FURUKAWA

1. INTRODUCTION sant toute interprétation virtuelle à l'ensemble constitué


par le SN. Ainsi, le SN sujet dans la phrase (1), rappelée ici
La recherche menée par G. Kleiber et H. Lazzaro, extr en (4) :
êmement stimulante d'ailleurs, sur la généricité nominale
(1987) en arrive à considérer un SN du type suivant (4) Les étudiants de notre Université travaillent sérieu
comme SN générique : sement.
(1) Les étudiants de notre Université travaillent série est, malgré la présence du déictique possessif notre, un
usement, (p. 86) SN générique, alors que ceux dans les phrases :
Les arguments qu'ils invoquent en faveur de cette conclu (5) Ces castors/Les castors que j'ai achetés hier const
sion nous obligent en effet à admettre qu'il s'agit là d'un SN ruisent des barrages la nuit (à savoir les castors po
générique, dans la mesure où les tests qu'on utilise habi laires), (p. 80)
tuellement pour savoir s'il s'agit d'un SN générique ou non ne le sont pas. Effectivement, le SN les étudiants de notre
livrent des résultats positifs. Il semble pourtant qu'on Université satisfait aux critères qu'on invoque habituell
puisse se demander si on a vraiment affaire à un SN ement pour déterminer s'il s'agit d'un SN générique ou non :
générique et, dans l'affirmative, à quel genre de SN génér
ique. (6) Les étudiants de notre Université, ça travaille sérieu
sement, (p. 87)
Cette mise en question nous invite à reconsidérer les SN
génériques que constitue notre castor-mascotte et leurs (7) Les étudiants de notre Université sont toujours
grands, (p. 88)
modes de référence :
(2) Le/Les/Un castor(s) construi(sen)t des barrages. (8) Les étudiants de notre Université sont générale
ment/engénéral grands. (Ibid.)
La remise en cause des SN communément dits
génériques le/les/un castor(s) nous amène à envisager un L'exemple les étudiants de notre Université, admis par
SN du type cet animal : Kleiber et Lazzaro comme générique, est particulièrement
(3) Cet animal construit des barrages. intéressant. Ce SN répond, on l'a vu, aux critères qu'on
invoque généralement pour tester la généricité. Il n'en
Le SN cet animal en (3) peut bel et bien renvoyer à l'e reste pas moins que nous éprouvons de la réticence à
spèce « castor ». Quel est alors le mécanisme qui le rend admettre qu'il s'agit là d'un SN générique. D'où provient
possible ? Quelle différence peut-on trouver, quant au cette hésitation ? Elle résulte sans aucun doute d'une
mode de référence, entre le SN cet animal ei les SN le/les/ confrontation, spontanée d'ailleurs, de ce SN avec les SN
un castor(s) ? Du même coup, quel est le mode de réfé tels que le/les/un castor(s), SN unanimement ou quasi-
rence du SN les étudiants de notre Université ? Telles sont unanimement admis comme génériques. Quelle est la di
les questions que nous traiterons dans le présent article. fférence entre eux, si différence il y a ? Cette question
mériterait d'être examinée en détail.
2. CLASSE OUVERTE DE LANGUE ET CLASSE
Certes, le SN les étudiants de notre Université constitue,
OUVERTE DE DISCOURS de même que les SN le/les/un castor(s), une classe ou
G. Kleiber et H. Lazzaro (1 987) visent à définir ce qu'est un verte. Mais il faut remarquer que la classe ouverte qu'il
SN générique et à délimiter ainsi quels SN sont génériques constitue est, en quelque sorte, une classe ouverte « de
et lesquels ne le sont pas. En distinguant entre deux critè discours », alors que la classe ouverte à laquelle réfèrent
resdéfinitionnels, le critère qu'ils appellent « référentiel » les seconds est celle « de langue » ; autrement dit, la
ou « ontologique » et celui qu'ils nomment « identifica- notion de classe « étudiants de notre Université » n'est pas
toire », ils en arrivent à considérer qu'un SN générique est codée en tant qu'unité de langue dans le lexique, alors que
un SN qui réfère à une classe ouverte et qu'il peut éven la notion de classe « castor » y est cataloguée en tant que
tuellement comporter des éléments déictiques qui ne doi telle. Cette différence semble non négligeable en la mat
vent pas cependant imposer un ancrage temporel ière.
Que le SN les étudiants de notre Université représente un N simple. Cette différence de degré de contingence ou
une classe ouverte construite selon les besoins du dis de celui d'homogénéité entre la notion de classe « hom
cours se vérifiera dans le fait qu'une notion de ce genre ne mes de l'Antiquité » et la notion de classe « étudiants de
se combine que plus ou moins difficilement avec l'article notre Université » se reflète dans le fait que la phrase
défini singulier le et notamment avec, et c'est là un fait (10a) sera, semble-t-il, beaucoup plus naturellement res
frappant, l'article indéfini singulier un : sentie comme phrase générique que la phrase (9a).
(9) (a) Les étudiants /(b) ? L'étudiant /(c) ?? Un étudiant Malgré cette différence, l'essentiel est de remarquer que
de notre Université travaille(nt) sérieusement. nous avons affaire à une classe ouverte de discours aussi
Ces données semblent montrer qu'une classe ouverte, bien dans (9a) que dans (10a). En effet, la ligne de démarc
pour être constituée en discours, exige plus ou moins ation est difficile, voire même impossible à tracer entre
fortement suivant son degré de contingence, l'expression eux, dans la mesure où la différence de contingence ou
simultanée de deux éléments sémantiques : classe celle d'homogénéité n'est justement que celle de degré.
enveloppante et pluralité de membres constitutifs envelop L'observation qui précède nous amène à distinguer entre
pés, qui sont d'ailleurs matérialisables respectivement par deux groupes de SN génériques : ceux que nous nom
le défini et le pluriel grammaticaux. Le caractère déviant de mons, faute de mieux, « ordinaires » (désormais GO) et
9(b) provient sans doute de ce que la notion de classe ceux qu'il conviendrait d'étiqueter comme « discursifs »
« étudiants de notre Université » n'est pas une entité (désormais GD). Ainsi, les SN le/les/un castor(s) et leurs
assez abstraite ou homogène pour pouvoir se débarrasser correspondants expansés du type le/les/un castor(s)
de l'expression d'une pluralité de membres constitutifs. polaire(s) représenteront le premier groupe de SN généri
D'autre part, la raison de l'étrangeté de (9c) réside, ques (GO). Dans le second groupe de SN génériques
semble-t-il, dans le fait que le caractère contingent et non (GD) se rangeront le SN en question les étudiants de notre
suffisamment homogène de la notion de classe « étu Université et, a fortiori, le SN les hommes de l'Antiquité. Un
diants de notre Université » ne permet pas de prélever un fait nous confirme d'ailleurs dans cette distinction entre
individu quelconque, individu que devrait exprimer la forme GO et GD : le fait qu'il y a, quant à l'emploi de l'article
inacceptable un étudiant de notre Université. défini, une différence entre eux. Dans le cas des GO,
Les considérations qui précèdent nous incitent à séparer l'emploi de l'article défini ne peut être anaphorique. C'est
le SN les étudiants de notre Université de la catégorie des dire que l'emploi anaphorique de l'article défini est incomp
SN génériques ordinaires dans laquelle sont classés les atible avec son emploi générique. J.CI. Milner (1982, p.
SN du type le/les/un castor(s) ; ceci, rappelons-le, pour la 36) illustre ce fait par l'exemple suivant :
raison qu'à la différence du cas de « castor », la classe à (11) Un cheval est un mammifère... Le cheval se laisse
laquelle il renvoie n'est pas codée dans la langue. En domestiquer.
revanche, nous le rangerons au nombre des SN que nous
appellerons « SN génériques discursifs » dans ce qui suit. Malgré l'apparente répétition du nom cheval, ce n'est pas
elle qui permet au SN le cheval de référer à l'espèce
« cheval », mais c'est bien de manière indépendante qu'il
2.1. SN génériques ordinaires et SN génériques y renvoie. Revenons à nos exemples-vedettes :
discursifs
(12) (a) Le castor (polaire) /(b) Les castors (polaires)
En fait, l'affirmation qu'un SN générique, pour mériter construi(sen)t des barrages.
d'être appelée ainsi, doit désigner une classe codée dans
la langue, c'est-à-dire exprimée par un N simple, paraît L'emploi ici n'est ni anaphorique, ni situationnel. Il s'agit
trop forte. Effectivement, à côté des SN de forme « N + précisément d'un emploi générique : à savoir que l'article
Adj. » tels que le/les/un castor(s) polaire (s) qui se comport défini dans les SN le(s) castor (s)/le (s) castor(s) polaire(s)
ent, comme l'ont montré Kleiber et Lazzaro (1987, p. 80), permet de référer directement aux notions de classes
exactement comme leurs correspondants non expansés « castor »/« castor polaire » qui, elles, ressortissent, si l'on
(le/les/un castor(s)) et qui par conséquent, devraient être reprend le terme de G. Fauconnier (1984, p. 206), à l'e
rangés dans une même catégorie, on peut relever des SN space générique, ou dit autrement, n'appartiennent ni au |
tels que les hommes de l'Antiquité, qui pourraient revendi contexte antérieur, ni au contexte postérieur, ni à la situa
quer facilement leur droit de citoyen en tant que SN géné tiond'énonciation.
riques : Par contre, dans le cas du GD les étudiants de notre
(1 0) (a) Les hommes de l'Antiquité /(b) L'homme de l'Ant Université, nous avons affaire à un emploi cataphorique.
iquité /(c) Un homme de l'Antiquité est/sont sage(s). L'emploi de l'article défini ici résulte de la détermination par
Si les versions (b) et (c) dans (10) sont beaucoup plus le modificateur restrictif de notre Université. Ce qui sera
acceptables que celles dans (9), c'est sans doute que la confirmé par le fait que la suppression de celui-ci entraîne
notion de classe « hommes de l'Antiquité » a un caractère un changement d'emploi de l'article défini, à condition,
moins contingent que la notion de classe « étudiants de bien sûr, que le SN les étudiants s'emploie comme signi
notre Université » et que par conséquent, elle constitue fiant toujours « les étudiants de notre Université » :
une notion plus ou moins homogène qui équivaudrait à (13) Les étudiants travaillent sérieusement.
On observe que l'article les dans le SN les étudiants ne sons ici la distinction entre les références immédiate/méd
peut être que d'emploi anaphorique ou situationnel. iate pour caractériser les GO et, de façon négative les
GD.
Il est intéressant de noter que la généricité discursive se
trouve compatible avec l'emploi cataphorique de l'article Nous entendrons par références immédiate/médiate ceci :
défini, alors que la généricité qu'expriment les GO est on parlera de référence immédiate, lorsqu'un SN renvoie
incompatible avec l'emploi anaphorique. Ce fait montre directement à une espèce, comme c'est le cas des SN
que les classes construites par les GD ne sont pas, à la définis le(s) castor(s) et on parlera de référence médiate,
différence du cas des GO, des ressortissants de l'espace lorsqu'un SN ne réfère qu'indirectement à une espèce ;
générique. Il est à souligner que l'article défini dans les SN ainsi, le SN indéfini un castor ne réfère qu'indirectement à
génériques du type le(s) castor(s) sert à référer direct l'espèce « castor », dans la mesure où il ne signifie qu'un
ementà l'espèce « castor », habitant de l'espace géné individu-castor. On remarquera que l'opposition entre les
rique (1). références immédiate/médiate est inopérante pour les
GD, puisque dans ce cas-là le réfèrent à atteindre ne
Revenons au problème de savoir ce qu'est un SN généri préexiste pas mais est à construire dans le discours. On
queet, plus concrètement, quels SN sont des SN généri peut donc dire que la différence entre la référence imméd
queset lesquels n'en sont pas. L'examen du SN les étu iate et la référence médiate concerne la façon dont le
diants de notre Université proposé comme SN générique réfèrent visé est obtenu.
par Kleiber et Lazarro nous conduit à avancer dans cette
étape ies analyses suivantes, (i) Le SN générique est, au 3.1. Classe ouverte de langue et opposition référence
sens large, un SN qui réfère à une classe ouverte. Néan immédiate/référence médiate
moins, dans la mesure où (ii) la notion de classe ouverte
peut se diviser en deux catégories : classe ouverte de 3.1.1. Le type le(s) castor(s) et le type un castor
langue et classe ouverte de discours, (iii) le SN générique
aussi se laisse répartir en deux groupes : ceux que nous Reprenons les exemples de notre castor :
appelons « ordinaires » (GO), c'est-à-dire SN génériques (14) (a) Le castor /(b) Les castors /(c) Un castor
dont les classes ouvertes exprimées sont codées en tant construi(sen)t des barrages.
qu'unités lexicales dans la langue, et ceux que nous nom Remarquons tout d'abord que les SN le castor et les cas
mons « SN génériques discursifs » (GD). (iv) Le SN en tors ci-dessus désignent, de façon immédiate, l'espèce
question les étudiants de notre Université trouve ainsi son « castor ». De façon immédiate, parce que l'emploi généri
droit de citoyen dans le territoire des GD, dans la mesure que de l'article défini, qui ne dépend ni du contexte anté
où la classe ouverte qu'il exprime est une classe construite rieur ni du contexte postérieur ni de la situation d'énonciat
selon les besoins du discours. ion, permet de référer directement à l'espèce « castor »,
Une fois établie la distinction entre les deux groupes de SN habitant de l'espace générique.
génériques, le problème qui se pose est celui de savoir de Ainsi, compte tenu de cette fonction référentielle de l'art
quelle façon l'objet de référence qu'est la classe ouverte, icledéfini, on pourra donner au SN générique le castor un
préconstruite ou non, peut être atteint. Nous envisagerons schéma du genre suivant :
ce problème du mode de référence dans les sections qui
suivent. (1 5) le (espèce qui est) castor
Une précision s'impose ici. L'élément « espèce » mis en
3. RÉFÉRENCE IMMÉDIATE ET RÉFÉRENCE parenthèses dans ce schéma doit s'interpréter comme ne
MÉDIATE signifiant que l'aspect enveloppant de la notion d'espèce.
C'est dire que l'article défini le d'emploi générique renvoie
Dans ce qui précède, nous avons établi deux distinctions : simplement à une espèce en tant qu'enveloppant et ne dit
l'une concernant le niveau référentiel ou ontologique, dis rien sur la constitution interne du contenu enveloppé (2).
tinction entre classe ouverte de langue et classe ouverte
de discours, et l'autre regardant le niveau syntagmatique, Au SN non générique le castor, par contre, on pourra
distinction entre SN génériques que nous avons étiquetés donner quelque chose comme :
comme « ordinaires » (GO) et ceux que nous avons bapti (1 6) le (individu qui est) castor
sés« SN génériques discursifs » (GD). Or, nous

1. Que le SN les hommes de l'Antiquité puisse évoquer une classe au


tonome au même titre que le SN correspondant non expansé les hommes, 2. Sur ce point, notre façon de penser se trouve, dans une certaine mes
se trouve étayé par l'analyse de M. Wilmet (1986). S'appuyant sur la distinc ure, différente de celle de G. Kleiber (1989) pour qui, de par le singulier, le
tion entre l'extension et l'extensité, Wilmet (p. 48) considère que les SN dans générique possède la puissance « homogénéisatrice » à l'égard des memb
les phrases Un homme de l'Antiquité dirait id que..JL'homme de l'Antiquité res constituants ; autrement dit, pour lui, le N générique équivaut à un SN
croyait que... (R. Valin) et L'enfant de notre temps est souvent trop gâté (G. massif. Nous sommes un tant soit peu sceptique sur le fait que le signe zéro
Moignet) n'ont pas, contrairement à l'affirmation de Valin et de Moignet, une qu'est le singulier (le + O, comparé avec le pluriel le* s) puisse avoir une
extensité intermédiaire : bien que leur extension soit réduite, leur extensité fonction positive telle que l'homogénéisation ou la massification. Sur notre
resterait maximale (« la totalité des individus). En des termes habituels, nous position concernant le signe zéro, cf. Ch. Ill, « Article zéro ou absence
avons affaire ici à des exemples de SN génériques. d'article ? » dans Furukawa (1986).
Les schémas présentés ci-dessus n'ont pour raison d'être spécifique Ce fait d'ordre distributionnel peut être illustré
que celle d'expliciter le fait, d'ordre observationnel par les exemples :
d'ailleurs, que l'article défini permet de référer de façon
(21) Un castor, ça/*il construit des barrages.
directe à une entité ontologique bien précise, espèce en
(15) et individu en (16). (22) Un castor, *ça/*il disparut du zoo.
Le cas du SN générique les castors se trouve être un peu Notons que le SN générique un castor peut être repris par
plus compliqué. Le SN générique les castors est suscepti le pronom neutre ça, mais non par le pronom personnel il
ble d'être analysé de la manière suivante : et que d'autre part, le SN spécifique un castor ne peut être
(17) le (espèce qui est) castor + (individu)s repris ni par ça ni par // <4>. Le problème qu'il faut poser ici,
c'est celui de savoir d'où vient ce caractère thématique de
alors que le SN non générique les castors peut être analy un N générique. Son statut thématique provient sans au
sé comme : cun doute de ceci qu'il est sémantiquement défini. Plus
(18) les (individus qui sont) castors précisément, la notion d'espèce qu'il évoque est sémanti
quement définie dans la mesure où elle est référentielle-
Il est banal de remarquer que l'article défini pluriel les, soit ment non ambiguë. Ainsi, la notion d'espèce « castor »,
en (17) soit en (18), n'est pas la somme d'articles définis grâce à sa définitude sémantique, peut accéder au statut
singuliers « le + le + le +... » et que la marque de pluriel -s
de thème, même dans sa réalisation syntaxiquement
contenue dans les n'est qu'une marque d'accord, calquée indéfinie. Un N spécifique, par contre, se trouve à la fois
sur castor-s. Ceci revient à dire que l'élément le contenu syntaxiquement et sémantiquement indéfini. Syntaxique
dans les (le + s) sert à renvoyer simplement à un envelop ment indéfini, cela va de soi. Sémantiquement indéfini,
pant et l'élément -s exprime la pluralité de membres const parce qu'il est référentiel lement ambigu en ce sens que
itutifs de r enveloppé. De toute manière, ici encore, l'article son réfèrent spécifique ne peut être identifié par l'interlocu
défini les sert à renvoyer à une entité ontologique précise, teur, ou du moins c'est ce qu'estime le locuteur. Un N
espèce en (17) et groupe d'individus en (18). spécifique ne peut donc acquérir le statut de thème.
Nous avons montré que l'article défini dans les SN Revenons maintenant aux schémas (20a/b). En effet, si le
génériques le castor et les castors sert à référer à l'espèce SN générique un castor peut bien se placer en position de
« castor », et ce, de façon directe, c'est-à-dire sans re
thème détaché, c'est que, comme l'illustre le schéma
cours ni au contexte antérieur ni au contexte postérieur ni (20a), la notion d'espèce « castor », notion sémantique
à la situation d'énonciation. ment définie, est mise au premier plan et qu'en revanche,
Ce qui a été dit des SN le(s) castor(s) se comprendra l'individu qu'évoque le déterminant un, élément sémanti
mieux, si on les compare avec le cas du SN un castor. quement non défini, est à l'arrière-plan. Il est à rappeler,
Notre hypothèse est que le SN un castor, qu'il soit généri fait bien connu d'ailleurs, que les éléments susceptibles de
que ou non, renvoie toujours à un individu-castor et que le devenir des thèmes sont définis sémantiquement du
SN dit générique un castor ne réfère donc à l'espèce moins, sinon syntaxiquement. La situation est inverse
« castor » que de façon médiate. Ainsi, dans un premier dans le cas du SN spécifique un castor : si celui-ci n'est
temps, le SN un castor, qu'il soit générique ou non, et c'est pas susceptible d'occuper la position de thème, c'est que
là une différence remarquable avec le cas du défini, peut la notion d'espèce « castor », notion sémantiquement défi
se schématiser comme : nie, se trouve déplacée au second plan et que l'individu
(19) un (individu qui est) castor qu'évoque le déterminant un, élément sémantiquement
non défini, est mis au premier plan, comme le montre le
Dans un second temps, l'interprétation générique et l'inte schéma (20b).
rprétation spécifique du SN un castor se laissent schémati
ser respectivement comme : Notre observation était que le SN un castor, qu'il soit génér
ique ou non, renvoie toujours à un individu-castor. Ceci
(20) a. un (individu qui est) CASTOR veut dire que, à la différence des SN génériques le (s)
b. un (individu qui est) castor castor (s), dans le cas du SN un castor dit générique, la
Il reste à justifier ce qu'explicitent les schémas ci- notion d'espèce « castor » n'est pas réalisée telle quelle en
dessus (3). un constituant unique. Ainsi, dans la phrase (14c), rappelé
en bas :
Pour cela, on peut invoquer le statut thématique de un N
dit générique et, corrélativement à ceci, le statut non thé (23) Un castor construit des barrages
matique de un N dit spécifique. On sait bien que un N ce qui exprime le thème de la phrase qu'est l'espèce «
générique est susceptible d'apparaître, bien qu'avec une castor », n'est pas le constituant unique un castor mais
certaine restriction, en position détachée, position thémati plutôt le N castor.
que par excellence, alors que ce n'est pas le cas pour un N

3. Pour l'interprétation non spécifique (comme dans Je veux attraper un 4. Nous avons montré dans Furukawa (1989) que le comportement de
castor), on pourra donner un schéma comme « un (INDIVIDU qui est) un N générique dans sa reprise pronominale est dû à son double caractère,
CASTOR ». référentiel et non référentiel.
Tout ce qui précède nous permet d'avancer que d'une être repris qu'avec une certaine réticence par le pronom
part, les SN génériques le(s) castor(s) réfèrent a l'espèce neutre ça :
« castor » de façon immédiate et que d'autre part, le SN un (27) ? Cet animal, ça construit des barrages.
castor dit générique y réfère de façon médiate.
L'étrangeté de (27) provient, semble-t-il, de ce que le pro
On remarquera enfin que dans le cas des SN le (s) nom neutre ça ici n'a pas clairement de raison d'être.
castor(s), les deux lectures, générique et non générique, Remarquons que si l'on remplace ça par //, la phrase de
se séparent de manière discontinue l'une de l'autre et que vient parfaitement acceptable :
par contre, dans le cas du SN un castor c'est tout simple (28) Cet animal, il construit des barrages.
mentla différence de degré de rapport de force entre les
éléments individu (ou INDIVIDU) et castor (ou CASTOR) qui Nous avons avancé ailleurs (Furukawa, 1989) que le pro
entraîne la prétendue triple ambiguïté de l'interprétation : nom neutre ça dans les phrases du type le/les/un
générique, spécifique et non spécifique. En d'autres te castor(s), ça construit des barrages n'est pas un simple
rmes, ces trois interprétations ne s'opposent pas de man pronom de reprise et que son rôle premier dans ce type de
ière exclusive, dans la mesure où les éléments compos construction consiste à annuler la lecture référentielle ou
antsindividu (INDIVIDU) et castor (CASTOR) restent fo non générique du SN détaché ; autrement dit, son rôle
ndamentalement identiques. La vérité semble consister à premier, fonctionnel par excellence, est d'indiquer de fa
dire que la forme un castor est une forme susceptible de çon négative qu'il ne désigne pas un (des) castor(s)
s'adapter soit au contexte prédicatif générique, soit au particulier (s). Revenant à la phrase (27), nous faisons
contexte prédicatif spécifique, soit au contexte prédicatif remarquer que le pronom neutre ça, marque de « déréfé-
non spécifique. Le débat, bien connu, sur l'existence ou la renciation » en l'occurrence, n'a pas d'objet sur lequel
non-existence de la lecture non spécifique pourrait s'expl s'exercer. Ceci, parce que le réfèrent direct du SN cet
iquerpar cette situation propre au SN indéfini. Notre ana animal, à savoir l'objet spécifique en présence du locuteur,
lyse rejoint ainsi celle de F. Corblin (1987 et 1989) selon n'est pas à écarter même dans l'interprétation générique
laquelle la forme un N n'est pas ambiguë mais sous-déter de la phrase. C'est dire que les deux referents, objet spéci
minée alors que la dualité des interprétations des formes fique en présence du locuteur et son espèce, coexistent
le (s) N ressortit elle à l'ambiguïté, comme c'est le cas du même dans l'interprétation générique bien que ce soit la
verbe voler qui peut signifier ou dérober ou se mouvoir notion d'espèce qui occupe le statut thématique. En effet,
dans les airs. et c'est évident interprétativement, le SN cet animal, par
l'intermédiaire de son réfèrent direct, objet spécifique en
3.1.2. Le type cet animal: double réfèrent présence du locuteur, arrive à référer à l'espèce à laquelle
appartient cet objet particulier. Quel est le mécanisme qui
Au § 3.1. 1., nous avons posé que le SN dit générique un le rend possible ? C'est là un problème intéressant qui va
castorréfère à l'espèce « castor » de façon médiate. Cette être désormais considéré.
façon de référer à l'espèce intéresse le SN sujet dans :
Rappelons la phrase en question :
(24) Cet animal construit des barrages, (au zoo)
(29) Cet animal construit des barrages, (au zoo)
Le SN cet animal peut bel et bien renvoyer à l'espèce
« castor ». En effet, la phrase (24) accepte l'adjonction Le fait que le SN cet animal, par l'intermédiaire de l'objet
des adverbes de quantification générique qui portent sur spécifique en présence du locuteur, arrive à référer à son
les SN : espèce, semble s'expliquer par une espèce d'inférence,
mécanisme qui intervient dans l'interprétation du SN.
(25) En général/Généralement, cet animal construit des
barrages. Pour mettre ce mécanisme en lumière, nous invoquerons
ici une analyse de la description démonstrative de forme
D'ailleurs, il est compatible avec un prédicat de classe : ce N, celle faite dans G. Kleiber (1984). Kleiber a montré
(26) Cet animal abonde dans cette région. de façon convaincante que ce N correspond à une struc
tureclassificatoire abrégée présupposée du type « ce +
Les données ci-dessus suffisent à montrer que l'on a bien est -i- un/du N ». Le recours à cette étude nous permet
affaire à un SN qui peut renvoyer à une espèce (5).
d'analyser le SN cet animal comme correspondant à la
Il n'empêche, bien entendu, que le SN cet animal réfère en structure présupposée suivante :
même temps à un objet spécifique qui se trouve en pré (30) Ce + est + un animal
sence du locuteur. Cet aspect référentiellement spécifique
du SN en cause se confirme par le fait que celui-ci ne peut Justement, cette structure sous-jacente provoque une
espèce d'inférence lors de l'interprétation. Ceci, à cause
de l'infime quantité d'information qu'elle véhicule. Le con
tenu « c'est un animal » est en effet lui-même peu informa-
5. Ici l'interprétation non générique n'est pas prise en compte. Il est vrai tif, puisque l'objet désigné se trouve sous les yeux de
que le statut thématique peut être accordé, selon les besoins du discours, à l'allocutaire. Ainsi, l'interprétant est invité à chercher lui-
un objet spécifique en présence du locuteur, comme le montre la
paraphrase : Cet animal, Il construit des barrages. Disposez donc son terrain même un réfèrent visé, réfèrent qui se situe, dans la hié
de jeux en conséquence. rarchie extensionnelle, entre l'individu désigné par le
démonstratif ce et le genre (animal) exprimé par N : en Ou bien, dans la mesure où une équivalence sémantique,
l'occurrence, l'espèce « castor ». quelle qu'elle soit, n'est jamais totale, on peut adopter une
explication plus souple, explication ayant recours au trait
On voit que ce mécanisme n'est possible que si N dans la « non nommé » de ça. On peut considérer ainsi que c'est
forme ce N est un hyperonyme (comme animal) par rap le trait « non nommé » qui déclenche le mécanisme infé
port à l'espèce qu'est le réfèrent visé. Ainsi, la phrase rentiel :
suivante ne reçoit pas la même interprétation que la
phrase (29) : (37) « objet non nommé » Quel est l'objet non
nommé ? -» « castor »
(31) Ce castor construit des barrages.
Quel que soit le mode d'explication adopté, l'essentiel
Le SN ce castor ne peut pas désigner l'espèce « castor », reste le même : le fait qu'un mécanisme inférentiel est à
cela va de soi ; il renvoie soit à une sous-espèce, et dans l'oeuvre, ici encore.
ce cas le même mécanisme entre en jeu, soit à un individu.
En outre, ce mécanisme ne se met à l'oeuvre, bien enten Par ailleurs, on observera que ce phénomène inférentiel
du,que si le prédicat le favorise. Evidemment, le prédicat ne se produit que dans une situation particulière. En fait,
événementiel interdit l'interprétation générique de la forme nous avons affaire là à la neutralisation d'une opposition
ce N: individu/espèce ou, si l'on emprunte les termes de Jackend
(32) Cet animal vient d'arriver ici. off (1983), occurrence/type. Jackendoff (1983, p. 92)
donne un exemple significatif à cet égard, bien qu'il ne dise
Le SN cet animal en (32) renvoie à un individu. On obser pas explicitement qu'il s'agit là d'un cas de neutralisation
vera à ce propos que le remplacement de l'hyperonyme de l'opposition occurrence/type :
par son hyponyme n'entraîne guère de changement de (38) Those (pointing to a single Cadillac) are expensive.
sens :
(33) Ce castor vient d'arriver ici. La situation est claire. Une voiture-occurrence se confond
facilement, on le voit, avec une marque à laquelle elle
Il est à rappeler que ce n'est pas le cas de la relation qu'il y appartient, dans la mesure où elle est censée qualitativ
a entre (29) et (31). ement être dépourvue d'individualité. On aura remarqué
L'analyse qui précède nous permet de schématiser le que la situation est analogue dans le cas de l'espèce
mécanisme inférentiel qu'entraîne le SN cet animal en (29) « castor » qu'évoque le SN cet animal dans la phrase en
comme suit : cause. En effet, les animaux du zoo sont là en tant que
représentants de leurs espèces. Leurs individualités sont
(34) Ce + est + un animal -» Quel animal ? -* « castor » donc plus ou moins effacées aux yeux des visiteurs du
Le réfèrent visé du SN cet animal n'est pas l'individu expl zoo.
icitement désigné par le démonstratif ce mais l'hyponyme Revenons au problème du mode de référence du SN cet
«c castor » qui se trouve au point d'arrivée du processus animal. L'analyse qui précède nous conduit à affirmer que
inférentiel (6). le SN cet animal dans la phrase Cet animal construit des
Dans le même ordre d'idées, il est intéressant d'observer barrages réfère à l'espèce « castor », de même que le SN
que l'interprétation générique est possible aussi pour le un castor, de façon médiate ; de façon médiate, parce que
démonstratif ça : l'espèce « castor » qu'est le réfèrent visé, n'est obtenue
(35) Ça, ça construit des barrages. que par l'intermédiaire d'un processus inférentiel.
Comment cela est-il possible ? Le mécanisme inférentiel 4. RÉFÉRENCE INTÉGRALE ET RÉFÉRENCE NON
signalé ci-dessus est-il valide ou non dans ce cas ? Nous INTÉGRALE
pensons que le même processus intervient ici aussi. On
peut invoquer à ce propos l'analyse de G. Kleiber (1987) Dans les sections qui précèdent, nous avons établi une
sur le mot chose et le démonstratif ça. Kleiber a montré distinction concernant la façon de référer à l'espèce (ou la
judicieusement que le mot chose et le démonstratif neutre classe ouverte) : distinction entre référence immédiate et
ça partagent une propriété en ce qu'ils s'appliquent aux référence médiate. Dans la présente section s'impose une
entités « non nommées » ou « non classifiées ». Cette nouvelle distinction, distinction entre les références que
analyse nous permettra de poser que ça équivaut séman nous étiquetterons respectivement comme « intégrale » et
tiquement à peu près à cette.chose. Si cette équivalence « non intégrale ».
sémantique est correcte, on pourra avancer qu'un méca Or, le SN cet animal n'a été considéré jusqu'ici que dans
nisme inférentiel du genre suivant est en jeu : une de ses interprétations possibles. Cette interprétation
(36) Ce + est + une chose -? Quelle chose ? -? « castor » concernait en effet ce qu'on appelle la référence situation-
nelle ou exophorique, car la situation y était telle que le
locuteur se trouvait devant un réfèrent-individu. En fait, il y
a une autre interprétation possible. Celle-ci concerne cette
6. Ce qui a été dit du SN cet animal, pourrait s'appliquer, mutatis mutand fois-ci ce qu'on appelle la référence contextuelle ou endo-
is,aux séquences du type l'animal que j'ai acheté hier. phorique.
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Considérons l'exemple suivant : donné qu'il ne peut pas constituer à lui seul l'espèce elle-
(39) Le castor est un mammifère rongeur. Cet animal même. Ceci est corroboré par l'existence de contraintes,
construit des barrages. bien connues d'ailleurs, sur le SN générique de forme
un N : son incompatibilité avec un prédicat de classe
On s'aperçoit tout de suite que le mécanisme inférentiel (ex. *Une cigogne est en voie de disparition.), la difficulté
signalé plus haut n'a plus lieu d'entrer en jeu dans l'inte qu'il a d'occurrer en position d'objet direct (ex. *J'aime un
rprétation du SN, car le démonstratif ce ici, contrairement chien). Quant au SN cet animal dans la phrase Cet animal
au cas où il désigne de façon déictique le réfèrent direct en construit des barrages (au zoo), il fonctionne aussi de
présence du locuteur, reprend endo-anaphoriquement le façon non intégrale et médiate. De façon non intégrale,
SN générique (le castor) qui se situe dans le contexte parce que le démonstratif ce ne désigne qu'un individu en
antérieur. Il s'agit là d'un cas de reclassification, dans la présence du locuteur et non l'espèce elle-même. Si le SN
mesure où le N dans la forme ce N (animal) n'est pas cet animal réfère à l'espèce de façon médiate, c'est que le
lexicalement identique au N de l'antécédent (castor) (7). Ce renvoi à l'espèce se fait par l'intermédiaire d'un processus
qu'il importe d'observer ici, c'est que l'emploi d'un hyper- inférentiel que déclenche l'emploi de l'hyperonyme animal.
onyme en (39) est dans une certaine mesure fortuit. En
effet, cet emploi n'est pas une condition nécessaire pour Certes, comme on vient de le voir, la référence non inté
que s'obtienne l'interprétation générique de la forme ce N grale entraîne nécessairement la référence médiate. Ce
dans ce contexte. Ainsi, dans : pendant, l'inverse n'est pas vrai. Justement, c'est le cas
de (39). Il est à rappeler que le SN cet animal en (39)
(40) Le castor est un mammifère rongeur. Ce badin réfère à l'espèce « castor » de façon médiate ; ceci, parce
construit des barrages. que la référence à l'espèce ne se fait, dans ce cas-là,
Le N dans ce N (badin), bien que n'étant pas un hyper- qu'endo-anaphoriquement, c'est-à-dire par l'intermédiaire
onyme, peut bel et bien renvoyer à l'espèce (castor). de son antécédent le castor. On se rendra compte à pré
sent qu'il ne peut s'agir d'un cas de référence non intégrale
Il est à rappeler que dans (29), à la différence du cas mais d'un cas de référence intégrale, dans la mesure où
de (39), l'emploi d'un hyperonyme est une condition né l'antécédent le castor, SN générique, renvoie à l'espèce
cessaire pour que le mécanisme inférentiel soit disponible toute entière.
et qu'ainsi s'obtienne l'interprétation générique de la forme
ce N. Quant au mode de référence du SN cet animal Il n'est pas utile d'ajouter que dans le cas des SN le(s)
en (39), il réfère, de façon médiate, à l'espèce « castor ». castor(s), ceux-ci réfèrent à l'espèce de façon intégrale et
De façon médiate, parce qu'il ne réfère à l'espèce qu'endo- immédiate.
anaphoriquement, c'est-à-dire par l'intermédiaire de son
antécédent. N'y a-t-il pas alors de différence, quant au 5. LE SN GÉNÉRIQUE DISCURSIF ET SON MODE DE
mode de référence, qui sépare (39) de (29) ? Il semble RÉFÉRENCE
exister une grande différence entre eux, différence con
cernant le mode de référence du démonstratif ce. En effet, Considérons enfin le mode de référence d'un SN discursi-
dans (29), rappelons-le, ce désigne de façon déictique un vement générique. Rappelons l'exemple en cause :
individu qui se trouve en présence du locuteur et qui donc (41) Les étudiants de notre Université travaillent sérieu
n'est qu'un membre de l'espèce. Par contre, dans (39), il sement.
reprend son antécédent le castor. On notera que
l'antécédent le castor, repris par le démonstratif ce, ne Le problème de savoir s'il s'agit d'un cas de référence
immédiate ou médiate ne se pose pas ici. Pourquoi cela ?
désigne pas un membre de l'espèce, comme c'est le cas Parce que l'opposition entre les références immédiate/
de (29), mais l'espèce toute entière. Ainsi, nous appelle
rons le mode de référence du cas de (29) « référence non médiate implique de bonne logique l'existence préalable
d'un objet auquel référer ; autrement dit, elle présuppose à
intégrale » et nous nommerons celui du cas de (39) « réfé la fois du côté du locuteur et du côté de l'interlocuteur la
rence intégrale ». connaissance préalable d'un réfèrent. Or, étant donné que
Il faudrait éclaircir ici le rapport entre les références int le SN en cause n'exprime pas une classe préétablie en
égrale/non intégrale et les références immédiate/médiate. langue mais celle construite en discours, le réfèrent qu'est
celle-ci ne vient à la connaissance de l'interlocuteur que
On peut remarquer d'abord que la référence non intégrale lors même de renonciation du SN. Son mode de référence
entraîne nécessairement la référence médiate. Ainsi, le
SN un castor dans la phrase Un castor construit des barra n'est donc ni immédiat, ni médiat, mais neutre à l'égard de
cette opposition. Certes, un SN de forme « un N + Mod. »
gesréfère à l'espèce « castor », de façon non intégrale et
comme dans l'exemple :
médiate. De façon non intégrale, parce qu'il exprime fo
ndamentalement un individu-castor qui ne constitue qu'un (42) Un homme de l'Antiquité est sage
membre de l'espèce. Cet individu-castor n'arrive à dési pourrait nous inciter à considérer que nous avons affaire là
gner l'espèce « castor » que de façon médiate, étant à un cas de référence médiate. Cependant, quand on le
compare avec le SN correspondant non expansé dans :
7. Sur la (reclassification, voir F. Corblin (1983, 1987). (43) Un homme est sage
on se rendra compte qu'il s'agit là, pour ainsi dire, d'un cas ment ; elle s'applique indifféremment aux deux types de
de référence médiate unilatérale en ce sens que cette classe ouverte ; ex. le/les castor(s), cet animal (en situa
référence médiate s'effectue par la présupposition unilaté tionendophorique), les étudiants de notre université, les
rale de la part du locuteur de l'existence d'un objet auquel hommes de l'Antiquité vs un castor, cet animal (en situa
référer. Par ailleurs, on remarquera, et cela s'explique, tiondéictique), un homme de l'Antiquité,
que cette référence médiate unilatérale peut être instable (v) le SN cet animal (en situation déictique) a un statut
en tant que mode de référence. Cela est vérifié par l'exem particulier, du point de vue du mode de référence. Sa
ple que nous avons fourni dans la section 2 : lecture générique s'obtient par une espèce de mécanisme
(44) ?? Un étudiant de notre Université travaille sérieuse inférentiel que déclenche la forme « ce + N hyperonyme »,
ment. mécanisme inférentiel du type : « Ce + est + un animal
Quel animal ? -* « castor » ». Un mécanisme semblable
Ainsi l'opposition entre les références immédiate/médiate est à l'oeuvre dans l'emploi générique du déictique ça dans
au sens strict est-elle inopérante à l'égard des GD. N'y a-t- Ça, ça construit des barrages ; cette fois-ci, c'est le trait
il pas alors de distinction qui s'applique à ceux-ci ? Juste « non-nommé » qui permet à ça, en mettant en jeu le mé
ment, c'est l'opposition entre les références intégrale/non canisme inférentiel, d'atteindre le réfèrent visé qu'est l'e
intégrale qui est opérante dans ce cas-là. Ainsi, la diff spèce « castor ».
érence entre le SN défini les hommes de l'Antiquité et le SN
indéfini un homme de l'Antiquité peut être caractérisée par Naoyo FURUKAWA
l'opposition entre les références intégrale/non intégrale. Ici Université de Tsukuba (Japon)
encore, on voit que l'opposition entre les références imméd
iate/médiate et celle entre les références intégrale/non RÉFÉRENCES
intégrale ne sont pas à confondre. Corblin F., 1983, « Défini et démonstratif dans la reprise
immédiate », dans Le français moderne, 2, pp. 118-
6. CONCLUSION 134.
Corblin F., 1987, Indéfini, défini et démonstratif, construct
Dans le présent article nous avons essayé de démontrer ions linguistiques de la référence, Genève-Paris, Droz.
les points suivants : Corblin F., 1989, « Spécifique-générique : un modèle pour
(i) le SN générique au sens large implique la notion de les indéfinis », dans Modèles linguistiques, XI, 2, pp. 11-
classe ouverte, 35.
(ii) la notion de classe ouverte se laisse diviser en deux Fauconnier G., 1984, Espaces mentaux, aspects de la
types : classe ouverte de langue et classe ouverte de construction du sens dans les langues naturelles, Paris,
discours. La classe ouverte de langue se trouve exprimée Les éditions de minuit.
typiquement dans un SN générique de forme « Dét. -f N » Furukawa N., 1 986, L'article et le problème de la référence
dont le substantif simple N est codé en tant qu'unité de en français, Tokyo, France-Tosho, dépôt chez Nizet,
langue dans le lexique ; ex. le/les/un castor(s), cet animal. Paris.
Il en va de même pour les SN expansés du type le/les/un Furukawa N., 1989, « Le SN générique et les pronoms ça/
castor(s) polaire(s). Par contre, la classe ouverte de dis il(s), sur le statut référentiel des SN génériques », dans
cours est celle qui se construit selon les besoins du dis Modèles linguistiques, XI, 2, pp. 37-57.
cours et s'exprime donc par un SN complexe ; ex. les Jackendoff R., 1983, Semantics and cognition, The MIT
étudiants de notre Université, les hommes de l'Antiquité, Press.
(iii) les SN qui renvoient à une classe ouverte de langue Kleiber G., 1984, « Sur la sémantique des descriptions
constituent des SN génériques que l'on peut appeler démonstratives », dans Linguisticae Investigationes,
« ordinaires » (GO), alors que les SN qui renvoient à une Vlll, 1, pp. 63-85.
classe ouverte de discours forment un groupe homogène Kleiber G. et Lazzaro H., 1987, « Qu'est-ce qu'un syn
de SN génériques qu'il convient d'étiqueter comme tagme nominal générique ? ou Les carottes qui pous
« discursifs » (GD), sentici sont plus grosses que les autres », in G. Kleiber
(éd), Rencontre(s) avec la généricité, Recherches li
(iv) la discrimination entre GO et GD se laisse justifiée par nguistiques, XII, Paris, Klincksieck, pp. 73-111.
la différence du mode de référence qu'il y a entre eux. On Kleiber G., 1989, « Le générique : un massif ? », dans
peut discerner, quant au mode de référence, deux as
pects : aspect de l'immédiateté/médiateté et aspect de Langages, 94, pp. 73-113.
Milner J.-CI., 1982, Ordres et raisons de langue, Paris,
lïntégralité/non-intégralité. La distinction entre les référen Seuil.
ces immédiate/médiate présuppose par définition un objet
préconstruit auquel référer et ne s'applique donc qu'à la Wilmet M., 1986, La détermination nominale, quantifica
tion et caractérisation, Paris, Presses Universitaires de
classe ouverte de langue ; ex. le/les castor(s)vs un castor, France.
cet animal (en situation déictique). D'autre part, la distinc
tionentre les références intégrale/non intégrale est celle
qui concerne le fait de savoir si l'objet de référence qu'est
la classe ouverte est exprimé entièrement ou

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