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Valentin Schaepelynck
2013/2 n° 44 | pages 21 à 34
ISSN 1263-588X
ISBN 9782841334384
DOI 10.3917/tele.044.0021
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2013-2-page-21.htm
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Institution
Résumé : Après avoir rappelé l’existence ancienne du terme “institution” en sociologie (Durkheim,
Mauss), l’auteur note avec Boltanski le caractère étrange du concept, fondateur en sociologie,
mais flou dans ses usages et sa polysémie, et au statut épistémique incertain. L’article reconstruit
alors le concept à partir de la psychothérapie institutionnelle (Tosquelles, Oury) pour penser
son écart d’avec la notion d’ “établissement”, et à partir de la pédagogie institutionnelle en
introduisant une série de notions : norme, discipline, violence symbolique, conflit, qui permettent
d’en décrire le champ et d’en caractériser les dynamiques. L’ “analyse institutionnelle” se définit
alors comme une psychosociologie critique des institutions (Lapassade), visant à en mettre
à jour le fonctionnement occulte, leurs enjeux de pouvoir, et susceptible d’intervenir dans le
champ pratique pour œuvrer à leur remise en cause sociale et politique.
Étranges institutions
En tant qu’il concerne des faits institués et non de nature, le domaine des sciences
sociales s’est historiquement présenté lui-même comme celui des institutions. En ce
sens, pour Émile Durkheim, la sociologie pouvait être définie comme « la science des
institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement » 1. Cette définition conférait
à la notion d’institution et à la sociologie un domaine très large et même infini en
puissance, puisque celui-ci incluait en droit n’importe quelle réalité socialement
instituée, pour peu que l’on parvienne à l’objectiver. À la suite de Durkheim,
Mauss et Fauconnet ajoutaient quant à eux qu’« il n’y a aucune raison de réserver
exclusivement, comme on le fait d’ordinaire, cette expression aux arrangements
sociaux fondamentaux. Nous entendons donc par ce mot aussi bien les usages et
les modes, les préjugés et les superstitions que les constitutions politiques ou les
organisations juridiques essentielles » 2. Mais ce que le concept gagnait alors en
extension, il semblait en même temps le perdre en précision heuristique, et certains
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sens commun pour trouver des solutions locales à des problèmes nouveaux » 5.
Que l’on associe « l’institué à ce qui est durable et nécessaire par opposition à ce
qui est labile et contingent », que « l’on mette au premier plan la contrainte » ou
que l’on conteste l’abstraction de la réalité institutionnelle au nom des interactions
concrètes et quotidiennes entre les acteurs sociaux 6, les institutions sont ainsi
d’abord envisagées comme des réalités positives, qui transcendent les acteurs
sociaux et constituent des cadres d’explication et d’analyse, adéquats ou non, de
leurs comportements et de leurs croyances.
Les bords de ces cadres sont particulièrement difficiles à délimiter, et on ne peut
espérer les « tirer à l’équerre et au compas » 7. Comme le fait remarquer Véronique
Tournay, il y a une « difficulté pratique et épistémologique » liée à « la grande plas-
ticité interprétative de ce qui compose la réalité institutionnelle », et qui fait que « la
grande majorité des cadres d’analyse évite de définir précisément où commence et
où finit l’institution » 8. Il semble alors qu’il suffit de s’entendre sur une définition
générale, qui place sous le terme d’institution des structures sociales pourvues d’une
certaine stabilité. On peut alors faire remarquer que le concept se sépare de ce que
nous enseigne l’étymologie du mot, celle-ci provenant du verbe latin instituo, qui
signifie « placer dans », « installer », « établir », « fonder », « régler », « enseigner à ».
Cette étymologie renvoie en effet à « une idée de mouvement […] qui tend vers
un équilibre plutôt qu’à la consolidation durablement acquise d’un ensemble
d’activités » 9. Elle se réfère donc davantage au processus d’institutionnalisation
qu’au résultat ou à l’aboutissement final de ce processus.
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De l’établissement à l’institution
L’expression « psychothérapie institutionnelle » apparaît pour la première fois en
1953 dans les Annales portugaises de psychiatrie, sous la plume de deux psychiatres
français, Georges Daumézon et Philippe Koechlin 10. Ceux-ci se proposent de
5. Ibid., p. 88.
6. Ibid., p. 86.
7. G. Renard, La théorie de l’institution. Essai d’ontologie juridique, Paris, Librairie du recueil Sirey,
1930, cité par V. Tournay, Sociologie des institutions, Paris, PUF (Que sais-je ?), 2011, p. 4.
8. V. Tournay, Sociologie des institutions, p. 3.
9. Ibid.
10. G. Daumézon, P. Koechlin, « La psychothérapie institutionnelle française contemporaine », Anais
portugueses de psiquiatria, vol. 4, n° 4, décembre 1952, p. 271-312.
De l’asile à l’école
À la fin des années 50, les pratiques et les dispositifs de la psychothérapie insti-
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15. J. Oury, « Les clubs thérapeutiques : étude préliminaire », Revue pratique de psychologie de la vie
sociale et d’hygiène mentale, n° 4, 1959, p. 119-141.
16. F. Oury, J. Pain, Chronique de l’école caserne, Paris, Maspero, 1972.
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été fixés par l’État et son administration, et offrir une prise pour des manières de
faire déviantes par rapport aux représentations convenues de ce que doit être la
relation entre enseignants et élèves.
Une autre école est donc possible, qui mettrait les élèves dans la position non
de subir mais d’être pleinement acteurs de la relation pédagogique. Suivant une
pente analogue à celle de la psychothérapie institutionnelle, cette critique en acte
passe par la mise en place d’institutions, qui se proposent comme un ensemble de
tiers qui vient briser la relation duale entre maître et élève défendue par la plupart
des pédagogies dites traditionnelles. Leur définition est très large et leur liste doit
rester ouverte aux problèmes nouveaux qui peuvent se poser. Fernand Oury consi-
dère en effet que « la simple règle qui permet à des enfants d’utiliser le savon sans
se quereller est déjà une institution ». Il poursuit : « Nous appelons institutions ce
que nous instituons ensemble en fonction de réalités qui évoluent constamment :
définition des lieux et moments (emploi du temps), des fonctions (métiers), des
rôles (présidence, secrétariat), des statuts de chacun selon ses possibilités actuelles
(niveaux scolaires, comportement) ». 17
La pédagogie institutionnelle se présente ainsi comme une articulation mou-
vante d’institutions ouvertes. La source instituante en est le groupe-classe. C’est
notamment dans le cadre d’une institution, le conseil, que le collectif du groupe-
classe engage un enseignant et ses élèves dans l’élaboration des institutions, sur la
base d’une discussion collective de ce qui marche ou ne marche pas dans leur mise
en œuvre, de ce qu’il s’agit de transformer ou d’améliorer, comment et pourquoi. Par
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22. J. Oury, « Les résistances », in Résistances et transferts, P. Chemla (dir.), Paris, Érès, 2004, p. 20.
23. F. Guattari, De Leros à La Borde, Paris, Éditions Lignes, 2012, p. 84.
24. F. Guattari, Psychanalyse et transversalité. Essai d’analyse institutionnelle, Paris, Maspero, 1972.
25. F. Guattari, Psychanalyse et transversalité…
26. G. Deleuze, « Trois problèmes de groupe », préface à F. Guattari, Psychanalyse et transversalité…,
p. X.
27. G. Deleuze, Empirisme et subjectivité. Essai sur la nature humaine selon Hume, Paris, PUF, 1953,
p. 35.
28. R. Hess, La sociologie d’intervention, Paris, PUF, 1981.
29. A. Prost, « Jalons pour une histoire de la formation des adultes (1920-1980) » et B. Aumont, « Les
orientations clés de la formation “d’animateurs de formation” au CEPREG (1958-1975) », Recherche
et formation, 53, 2006, p. 11-23 et 41-53.
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Valentin Schaepelynck
Experice
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