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Systèmes complexes

Présentation générale
par Jean-François VAUTIER
Docteur ès Sciences
Institut HERACLITE

1. Pourquoi ..................................................................................................... AG 1 500 - 3


2. Quoi.............................................................................................................. — 3
2.1 Caractéristiques des éléments.................................................................... — 3
2.2 Caractéristiques d’ensemble ...................................................................... — 3
3. Comment .................................................................................................... — 4
3.1 Tâches........................................................................................................... — 4
3.2 Démarches et méthodes aptes à traiter les tâches ................................... — 4
4. Qui ................................................................................................................ — 5
5. Où ................................................................................................................. — 5
6. Quand .......................................................................................................... — 5
7. Pour quoi faire .......................................................................................... — 5
7.1 Approches focalisées sur les tâches à accomplir...................................... — 5
7.2 Approches focalisées sur les démarches et méthodes............................. — 6
8. Combien...................................................................................................... — 6
9. Conséquences ........................................................................................... — 7
Références bibliographiques ........................................................................ — 7

et article vise à présenter la rubrique consacrée aux « Systèmes


C complexes ». Deux aspects sont essentiellement traités dans cette
dernière : l’élaboration et le pilotage de ces systèmes.
Le terme « système » fait référence à un ensemble d’éléments en interaction
poursuivant un but commun. Les éléments peuvent être eux-mêmes des
ensembles d’autres éléments et, in fine dans notre cadre, des hommes ou des
machines. C’est la raison pour laquelle, il est souvent question dans cet article
de systèmes sociotechniques.
Plus précisément, cette rubrique s’intéresse aux systèmes sociotechniques
ainsi qu’aux hommes qui en font partie. Elle ne vise donc pas l’étude des sys-
tèmes techniques, automatiques ou non, même si certaines des méthodes
présentées peuvent aussi s’appliquer aux systèmes uniquement techniques
comme des systèmes régulés de ventilation ou de climatisation.
De manière plus générale, cette rubrique ne s’intéresse pas aux systèmes,
techniques ou humains, dont l’étude se ferait indépendamment de celle des
autres acteurs qui sont en interaction avec ces systèmes dans la réalité. Elle ne
concerne donc pas, par exemple, l’étude du fonctionnement d’un réfrigérateur
isolé ou encore d’un système bien plus sophistiqué comme le système de pilo-
tage automatique d’un avion non intégré dans son environnement.
■ Les systèmes sociotechniques dits artificiels au sens large constituent
donc l’objet d’étude de cette rubrique. Cette caractéristique d’« artificiel » ren-
voie de manière sous-jacente à la notion de projet d’un ou de plusieurs êtres

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humains à l’origine du système constitué. Ainsi, cette rubrique s’intéresse


notamment aux systèmes sociaux complexes, comme l’est par exemple une
entreprise, car, même si certains des éléments (les hommes) sont des entités
non créés par d’autres hommes :
— d’une part, le système social formé par le groupe est lui une œuvre
humaine ;
— d’autre part, ce système est en réalité toujours un système sociotechnique
c’est-à-dire composé aussi de machines ou plus généralement d’artefacts
(outils...).
■ Les systèmes étudiés sont plus ou moins grands. Les éléments des systè-
mes considérés peuvent, ainsi, être les différents services, départements, êtres
humains d’une entreprise (perspective intra-entreprise). Ils peuvent être égale-
ment les entreprises elles-mêmes, ainsi que leurs différents partenaires habi-
tuels (État, banques...) d’un bassin économique ou d’une ville (perspective
interentreprises et acteurs institutionnels plus généralement).
■ Des définitions différentes de notions, telles que complexité, modèle...,
sont données d’un article à l’autre par les auteurs. Cela ne fait qu’illustrer la plu-
ralité des points de vue existant sur un thème aussi vaste et encore peu suffi-
samment balisé. Nous ne devrions cependant pas en être pour autant
déconcertés. Plusieurs exemples nous montrent en effet que cette pluralité de
points de vue est souvent fort utile pour bien caractériser un système et que, en
tout état de cause, elle existe naturellement.
Ainsi, d’une personne à une autre, un même objet ou un être physique n’a pas
la même valeur suivant l’attachement affectif que les personnes y accordent.
Plus globalement, d’une culture à une autre, les visions fluctuent. Une vache est
considérée comme du bétail en occident où elle constitue même l’un des élé-
ments majeurs de notre alimentation. En Inde, ces animaux sont sacrés, car ils
représentent potentiellement la réincarnation d’un défunt. Il s’agirait pour les
indiens d’une forme d’anthropophagie, ce que nous réprouvons nous aussi à la
différence de certaines tribus ayant encore d’autres modes de vie considérés
comme primitifs ou appartenant à « l’âge de pierre ».
Un exemple vécu de la vie de tous les jours complétera l’illustration de cette
existence de différents points de vue face à une même réalité. Après avoir garée
leur voiture, un couple d’adultes accompagné d’un adolescent vont faire des
courses au supermarché. Lorsqu’ils reviennent la voiture a disparu. Trois pen-
sées naissent alors face à ce même événement :
— le père imagine déjà les démarches administratives souvent longues et fas-
tidieuses qu’il aura à faire avec les assurances ;
— la mère voit dans ce vol la perte financière associée pour la famille ;
— l’adolescent se demande comment ils vont bien pouvoir rentrer chez eux ce
jour-là.
Pour terminer sur l’intérêt de disposer d’approches différentes, rappelons-
nous que c’est, en grande partie, parce que nos yeux envoient au cerveau deux
images légèrement différentes du monde que nous pouvons avoir une percep-
tion fine du relief. C’est parce que nous avons deux points du vue que nous accé-
dons à une dimension supplémentaire, en l’occurrence dans le cadre de la
vision, à la troisième dimension.
Cet article introductif présente la rubrique dédiée aux « Systèmes
complexes » en répondant à un certain nombre de questions selon la méthode
(PQC)3 [2] :
— Pourquoi (§ 1) : pourquoi l’ingénieur doit-il s’intéresser aujourd’hui à cette
notion de « systèmes complexes » ?
— Quoi (§ 2) : quelles sont les caractéristiques fondamentales des « systèmes
complexes » ?
— Comment (§ 3) : comment élaborer ou piloter les « systèmes complexes » ?
— Qui (§ 4) : qui est concerné par l’élaboration et le pilotage des « systèmes
complexes » ?

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— Où (§ 5) : où se préoccuper de l’élaboration et du pilotage des « systèmes


complexes » ?
— Quand (§ 6) : quand se préoccuper de l’élaboration et du pilotage des
« systèmes complexes » ?
— Pour quoi faire (§ 7) : quels sont les résultats attendus par cette prise en
compte ?
— Combien (§ 8) : qu’est-ce que ça rapporte et coûte de mettre en œuvre une
approche adéquate pour élaborer ou piloter des « systèmes complexes » ?
— Conséquences (§ 9) : quelles sont les conséquences induites par la mise en
œuvre d’une approche adéquate pour élaborer ou piloter des « systèmes
complexes » ?
Nota : le lecteur pourra se reporter en Bibliographie à la référence [1], à l’article Analyse fonctionnelle [11], aux articles de la
rubrique Automatique [12], notamment à Sûreté de fonctionnement des systèmes industriels complexes [10].

1. Pourquoi appellerons également acteurs, peut difficilement avoir un compor-


tement totalement prévisible même en partant de conditions con-
nues de ses éléments et de son environnement.
Pourquoi l’ingénieur doit-il s’intéresser aujourd’hui à cette notion
de « systèmes complexes » ? Aujourd’hui, pour de nombreux systè- ■ Concernant les systèmes de traitement de l’information,
mes, la connaissance que l’on réussit à avoir sur chacun des élé- avec l’augmentation du nombre de puces, de logiciels et d’ordina-
ments pris les uns indépendamment des autres ne permet plus de teurs dans ce type de système, il est, en effet, devenu de plus en
prédire le comportement de l’ensemble c’est-à-dire du système. En plus difficile de tester, en pratique, l’ensemble des configurations
d’autres termes, ces systèmes sont devenus de plus en plus comple- possibles dans lesquelles peut se trouver un ordinateur particulier,
xes, selon une certaine définition de la complexité. compte tenu du nombre de possibilités de configurations devenu
très grand de cet ordinateur et du nombre d’ordinateurs présents
Dans ce cas, les approches analytiques, tout particulièrement, ne dans le système. C’est une des raisons qui peut expliquer le fonc-
permettent pas d’acquérir une vision suffisante de leur fonctionne- tionnement inadéquat d’un logiciel de la fusée Ariane 5, ayant lui
ment. Comme nous le verrons dans le paragraphe 7, une des rai- par ailleurs parfaitement fonctionné par rapport à ses spécifications
sons essentielles réside dans le fait que ces approches ne d’origine, qui a conduit la base de lancement de Kourou à détruire le
permettent pas de différencier les conditions nécessaires et les con- lanceur en plein vol. Le problème était certes un problème d’ingé-
ditions déclenchantes du fonctionnement d’un élément d’un sys- nierie système mais qui l’a été justement parce que le système était
tème. Il y a donc nécessité de disposer d’autres approches que nous devenu très (trop ?) complexe.
présenterons au paragraphe 3.
■ Concernant les groupes d’êtres humains, les individus, par
essence même, ne sont jamais totalement prévisibles. L’homme
possède en effet au moins une dimension supplémentaire par rap-
2. Quoi port à la machine : l’affectivité. Cette dimension fait qu’il possède la
volonté de faire ou de ne pas faire ce qu’on lui demande et qu’il
éprouve des émotions (du stress, de la satisfaction ou non suite à
Quelles sont les caractéristiques fondamentales des « systèmes
une activité...). L’homme n’a donc pas que des objectifs et des
complexes » ? Plusieurs caractéristiques peuvent être considérées.
moyens à la différence des machines même les plus perfectionnées.
Nous en évoquerons deux. La première porte sur les caractéristi-
Il a aussi une volonté qui résulte de ses valeurs [3] [4].
ques des éléments d’un tel système et la seconde concerne les
caractéristiques d’ensemble de ce système. Exemple : considérons, à titre d’illustration, les difficultés des éco-
nomistes ou des acteurs politiques à prévoir l’effet d’une mesure sur
un groupe d’individus c’est-à-dire connaître le comportement résultant
2.1 Caractéristiques des éléments d’un système social face à une cause en entrée de ce système.
Une hausse de la TVA n’entraîne pas forcément une augmentation
des recettes correspondantes pour l’État, toutes choses étant égales
Celles-ci correspondent pour un système en général à leurs carac- par ailleurs, car les consommateurs peuvent réduire leurs dépenses
téristiques intrinsèques, c’est-à-dire à leur composition au sens sur certains produits.
large.
Inversement, une baisse en pourcentage de certaines charges des
Exemple : les molécules d’un gaz ou d’un liquide ont une structure entreprises peut entraîner une augmentation des rentrées en absolue
le plus souvent relativement simple et possèdent aussi des comporte- pour l’État, si cela génère un accroissement des ventes des entrepri-
ments simples d’interactions les unes vis-à-vis des autres. Ces com- ses.
portements s’inscrivent dans un petit nombre de variantes (attraction
ou répulsion par interactions électromagnétiques et/ou mécaniques
comme les chocs). C’est d’ailleurs cette faible variété qui a permis de
prédire le comportement des systèmes physiques globaux et, de fait, 2.2 Caractéristiques d’ensemble
d’établir les concepts et les lois de la thermodynamique macroscopi-
que (pression, température...).
Cela concerne le nombre et le positionnement des éléments en
Pour les systèmes complexes, tel n’est plus le cas. À la différence interaction les uns avec les autres. Les caractéristiques d’ensemble
des molécules, un système possédant des éléments comme par correspondent ainsi au deuxième facteur qui conditionne la manière
exemple les êtres humains ou les ordinateurs, éléments que nous dont les éléments interagissent entre eux.

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2.2.1 Nombre d’acteurs ● Concernant le confort de réalisation, il s’agit par exemple de


promouvoir des interfaces hommes-machines plus conviviales,
Plus ce nombre est grand, plus augmente la probabilité que l’on d’améliorer l’ambiance au travail...
soit incapable de prédire le comportement d’un acteur quelconque
à un instant donné compte tenu du grand nombre d’interactions qui ■ Cette approche par les tâches semble a priori préférable à une
existe dans le système. Il serait en effet nécessaire d’examiner alors approche se centrant sur les problèmes. Les bibliothèques sont en
un nombre extrêmement conséquent, et variable dans le temps, effet remplies d’ouvrages qui traitent d’un problème dont la résolu-
d’acteurs pour examiner toutes les interactions. Cela est souvent tion n’est envisagée ni par l’auteur ni par quiconque d’ailleurs. En
impossible en un temps donné, toujours limité en pratique. d’autres termes, il n’y a pas de demandes sous-jacentes, car la mise
en œuvre de la résolution n’intéresse personne ou elle est impossi-
Exemple : examinons les décisions du chef d’entreprise. Dans le ble en l’état actuel des connaissances ou des manières d’agir. Par
domaine de la « net économie », ces dernières sont liées, à la fois, à exemple, jusqu’à récemment, les matériels étaient conçus sans que
des contraintes internes et externes très évolutives, ainsi qu’aux volon- rien ne soit demandé à l’ingénieur concepteur sur la manière dont
tés stratégiques du chef d’entreprise, elles aussi très évolutives on pourrait les réparer ou les maintenir plus généralement.
aujourd’hui. Or, chacune des entreprises est aujourd’hui concurrencée Aujourd’hui, les objets et les grands systèmes techniques sont con-
le plus souvent par des entreprises venues du monde entier. Comme çus en intégrant dès le départ non seulement leur maintenance mais
les entreprises se créent et meurent de plus en plus rapidement, on également leur déconstruction et leur recyclage.
peut de moins en moins prédire, d’une part, l’évolution des entreprises
concurrentes et donc du marché et, d’autre part, par voie de consé-
quence, le comportement qu’aura une entreprise face à cet environne- 3.2 Démarches et méthodes aptes
ment concurrentiel extrêmement changeant.
à traiter les tâches
En d’autres termes, connaître de moins en moins le comporte-
ment d’un élément résulte d’une méconnaissance de l’ensemble Les démarches et méthodes représentent des solutions pour trai-
des éléments qui influence elle-même le comportement d’un acteur ter les problèmes devant être résolus dans le cadre des tâches pré-
particulier. Cela illustre le concept de récursivité et d’hologrammati- cédentes.
que [5].
Ces démarches et méthodes entrent dans l’une des deux modali-
Concept d’hologrammatique : les caractéristiques des parties d’un système sont analo-
gues aux caractéristiques du système lui-même, et vice-versa. tés suivantes [6] :
— approche à référence interne, c’est-à-dire s’appuyant fonda-
2.2.2 Positionnement des éléments les uns mentalement sur le propre savoir ou expertise de l’entité étudiée ;
par rapport aux autres — approche à référence externe, c’est-à-dire privilégiant la cohé-
rence externe de l’entité étudiée vis-à-vis des autres acteurs de son
Cet aspect peut être déterminant dans l’obtention d’un système environnement.
ayant un comportement complexe chaotique ou non c’est-à-dire dif-
ficilement prévisible en pratique. 3.2.1 Approche à référence interne
Exemple : d’un strict point de vue mécanique, trois aimants sim- Dans ce cas, on parlera le plus souvent de méthodes. Celles-ci
ples positionnés en triangle sont capables d’induire un comportement constituent en fait des supports à une meilleure observation du
chaotique à une bille d’acier attachée au-dessus d’eux avec une ficelle, fonctionnement du système. Elles constituent des outils d’analyse
alors que le positionnement aligné de ces mêmes aimants n’entraînera et de représentation ou en d’autres termes des « grammaires » de
pas le même type de comportement. représentation.
Lorsqu’elles sont utilisées dans un deuxième temps pour traiter
les problèmes préalablement analysés, le traitement découle direc-
3. Comment tement des aspects analyse et représentation. En effet, les actions
de modification du système vont consister à rétablir ou optimiser la
cohérence, par exemple de l’entreprise ou du service, par rapport à
Comment élaborer ou piloter les « systèmes complexes » ? Deux
des modes de fonctionnement considérés comme étant « naturels »
choses sont à faire pour y parvenir :
ou « normaux ».
— bien cerner la tâche qui est confiée ;
— employer une méthode adéquate pour mener à bien la tâche
confiée. 3.2.2 Approche à référence externe
Dans ce cas, on parlera le plus souvent de démarches. Celles-ci
proposeront d’amener l’entité étudiée vers une position estimée
3.1 Tâches adéquate. Ces démarches orientent l’entité par rapport à des réfé-
rentiels externes. Ceux-ci expriment ce qu’il faut faire dans tel ou tel
■ Les tâches s’inscrivent toutes dans une ou plusieurs phases du cas.
cycle de vie d’un produit ou d’un système industriel. La tâche a, en Ces référentiels externes proviennent de représentations théori-
fait, comme finalité d’améliorer le passage du produit (au sens ques ou de pratiques.
large) notamment d’une étape à l’autre du cycle de vie et, plus géné-
ralement, d’améliorer la circulation du produit dans le cycle en ■ Les représentations explicites, considérées le plus souvent
terme de sécurité, d’efficacité et/ou de confort de réalisation du tra- comme universelles, résultent de travaux ayant formalisés des
vail. modèles ou théories comme la loi de l’offre et de la demande et la
● Concernant la sécurité, il s’agit par exemple de diminuer les
fixation des prix dans les modèles reposant par principe au départ
incidents et les accidents du travail effectifs ou potentiels, c’est-à- sur une économie de marché. Les modèles expriment alors la posi-
dire en gestation, dans la structure des organisations... tion de l’entité jugée adéquate en fonction de celles des acteurs
externes qui l’entourent (cf. aussi, dans un autre cadre, les straté-
● Concernant l’efficacité, il s’agit par exemple de détecter et de
gies marketing utilisant des matrices produits-marchés...).
traiter préventivement les dysfonctionnements organisationnels qui
sont autant de coûts cachés... de s’organiser pour agrandir une ■ Les pratiques, élevées parfois au rang de normes ou de lois (au
équipe ou un service pour faire face à une augmentation de la pro- sens juridique), résultent d’une formalisation d’expériences passées
duction... (par exemple la normalisation et les démarches qualité). Notons que

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ces normes résultent implicitement toujours de traits culturels plus 7.1 Approches focalisées sur les tâches
ou moins spécifiques d’un groupe ou d’une nation.
à accomplir
Considérons la formalisation des processus de relations clients-
fournisseurs qui résultent très directement des notions de contrat
américain. Aux États-Unis, son existence est vue comme une néces- Grâce à ce type d’approche (§ 3.1), l’ingénieur peut, dans les diffé-
sité avant tout jugement sur une personne. Le contrat constitue un rentes phases du cycle de vie d’un produit au sens large par exem-
engagement mutuel entre deux entités, qui permet ensuite de réali- ple en conception ou en exploitation, apprécier les facteurs
ser un référentiel local permettant de juger des différents qui pour- réellement déterminants du fonctionnement d’un système. En
raient survenir [7]. Par exemple, il semble toujours curieux à un d’autres termes, il peut passer de l’appréhension des conditions
Français allant aux États-Unis de remplir dans l’avion une feuille nécessaires (à un fonctionnement) à celles des conditions déclen-
verte de la douane américaine demandant notamment au passager chantes, ce qui revient, entre autres, à dépasser les limites des ana-
s’il est un criminel ou non. Et pourtant cela paraît parfaitement lyses fonctionnelles classiques. Nous allons illustrer ces notions
sensé pour un Américain car il ne s’agit que de l’expression de la avec deux exemples :
relation client-fournisseur à établir entre le pays hôte (les États- — le premier, relatif au conditionnement pavlovien, permet de
Unis) et l’arrivant avec ses qualités de bonne foi à indiquer. bien présenter le cadre de réflexion ;
— le second, relatif au fonctionnement des ordinateurs, permet
de bien visualiser l’importance des notions dans les process indus-
En termes d’automaticien, les premières approches seront triels.
focalisées sur l’observance du système et les secondes sur sa
gouvernance. Les secondes seront donc à même de sortir le Exemples
système d’un minimum local selon un chemin exprimant un ■ Conditionnement pavlovien : Pavlov étudiait l’évolution des répon-
certain référentiel externe. ses d’un chien en terme de quantité de salive produite suite à différen-
tes présentations de boulettes de viande. Une fois présentées, les
boulettes étaient ensuite mangées par le chien.
Sur la figure 1, nous pouvons représenter l’entrée (la présentation
4. Qui des boulettes de viande) la boîte noire (le chien) et le résultat en sortie
(la salive).
Qui est concerné par l’élaboration et le pilotage des « systèmes Or, cette représentation est trompeuse ! On pourrait croire, en effet,
complexes » ? Le champ est a priori très large. Il est constitué par que la représentation des boulettes de viande est un facteur qui peut
l’ensemble des ingénieurs. L’étendue des responsabilités couver- conditionner à lui seul l’obtention de salive de la part du chien.
tes est donc très grande. Le seul critère important est que l’ingénieur En réalité, lorsque le chien n’a pas faim, la vue des boulettes de
ait à concevoir, construire, exploiter ou déconstruire un ensemble viande ne s’accompagne plus de la production de salive. Cela montre
d’éléments (hommes et/ou machines) en interaction et assemblé que la présentation des boulettes de viande est une condition néces-
pour atteindre un but, c’est-à-dire un système. Cela va donc du saire mais non déclenchante à elle seule de la production de salive.
directeur général au technicien de première ligne. On peut dire seulement que, pour qu’il y ait salive, il faut qu’il y ait
En d’autres termes, les personnes concernées sont celles qui ont une entrée et, notamment, des boulettes de viande. En effet, d’autres
à résoudre des problèmes affichés difficiles ou apparemment facteurs peuvent aussi constituer des conditions nécessaires à la pro-
simples. duction de la salive (la présentation de sucre si elle est associée à la
faim ou encore la vue d’un autre chien si elle est associée à une inten-
tion de se battre de la part du chien étudié).
5. Où ■ Fonctionnement d’un ordinateur : de manière similaire, on peut
représenter le lien existant entre l’appui sur une touche du clavier d’un
ordinateur et l’apparition d’un caractère alphanumérique sur l’écran ou
Où se préoccuper de l’élaboration et du pilotage des « systèmes le lancement d’un programme (figure 2).
complexes » ? Ce type de préoccupation concerne toutes sortes Encore une fois, cette représentation doit plutôt être lu de droite à
d’entreprises (les grosses et les petites entreprises). En effet, quels gauche : pour obtenir l’apparition d’un caractère alphanumérique
que soient leur taille ou leur secteur d’activité, ces entreprises ont donné ou le lancement d’un programme particulier, il est nécessaire
des clients ou des fournisseurs et, en interne, elles sont constituées que l’on appuie sur une touche précise. Or, cela n’est vrai que si le sys-
d’hommes ou des services qui sont en interaction. tème d’exploitation est activé et qu’il a fait correspondre la touche par-
ticulière à une fonction.
On réalise d’ailleurs d’autant mieux cette différence entre condition
6. Quand nécessaire et condition déclenchante lorsque, ayant changé de version
du logiciel ou passant d’un Mac à un PC (et vice versa), cette corres-
pondance n’existe plus.
Quand se préoccuper de l’élaboration et du pilotage des
« systèmes complexes » ? Toutes les phases de vie d’une entité
(conception, construction, transmission (vente), exploitation,
déconstruction) et d’un marché (lancement, adolescence, maturité
Présentation des
et déclin) sont concernées par l’élaboration et le pilotage des systè- boulettes de viande Salive
Chien
mes complexes. (boîte noire)

Figure 1 – Conditionnement pavlovien : représentation


7. Pour quoi faire
À quoi cela sert à l’ingénieur d’étudier cette notion de « systèmes
complexes » ? Quels sont les résultats attendus par cette prise en Caractère alphanumérique
compte de la complexité d’un système dans les tâches à accomplir Appui sur une touche Ordinateur affiché ou programme lancé
ou dans les démarches et méthodes ? Cette prise en compte permet, (boîte noire)
par rapport aux approches plus classiques, de mieux se représenter
la réalité et de mieux résoudre des tâches assignées. Figure 2 – Fonctionnement d’un ordinateur : représentation

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En définitive, on peut montrer qu’une condition déclenchante de fonctionnement. Il est effectivement nécessaire de dépenser
est en fait une condition double. Elle représente un couple formé par alors de plus en plus d’énergie pour sécuriser son fonctionnement.
une condition nécessaire exogène et une condition nécessaire
endogène à l’entité. Nous retrouvons, d’ailleurs, le même phéno- Exemple : les personnes qui habitent dans un bâtiment possédant
mène entre le vue d’un feu tricolore étant au rouge et l’arrêt d’un de nombreux étages savent qu’elles payent plus de charges que dans
véhicule automobile. Ce feu rouge peut être perçu, mais le conduc- une petite copropriété. Dans la grande copropriété, il est, en effet,
teur du véhicule peut avoir décidé de passer outre. De plus, le feu nécessaire qu’il y ait par exemple plusieurs ascenseurs et donc un gar-
peut aussi ne pas être vu par un conducteur novice, stressé ou dien à demeure pour veiller au bon fonctionnement de l’ensemble,
même parfaitement expérimenté si ce dernier conduit, par exemple, pour entretenir, nettoyer... ce qui nécessite un ascenseur de service en
quelqu’un en urgence à l’hôpital. Autrement dit, ce n’est parce qu’on plus...
présente une information, même une alarme, que celle-ci sera per- En d’autres termes, les frais fixes et les frais variables ne sont en
çue. réalité pas totalement indépendants. Ils sont seulement localement
En poursuivant sur la distinction condition nécessaire – indépendants. La figure 3 en donne un exemple.
condition déclenchante, on peut voir que la différence n’existe
Sur cette figure, la première courbe concave correspond à un sys-
pas dans le cadre d’un système « simple » uniquement fait d’élé-
tème ayant des frais fixes i. Dans la phase descendante, les frais
ments reliés entre eux par des flux de forces mécaniques, par exem-
totaux (fixes et variables) augmentent moins vite que les services
ple, un moteur de voiture. Cela revient à dire qu’une modélisation
rendus : l’effet d’échelle fonctionne.
fonctionnelle réalisée avec une analyse structurée, à base de boîte
noire qu’on décompose ensuite en un ensemble de sous-boîtes noi- La taille du système augmentant, les dispositions correspondant
res qu’on redécompose en d’autres sous-sous-boîtes de plus en aux frais fixes i sont moins performantes. Nous sommes dans la
plus petites..., permet, dans de nombreux cas, de modéliser suffi- phase ascendante jusqu’au point Pi de changement de système
samment bien ce type de système pour que la représentation ainsi (frais fixes j ).
produite permette ensuite de construire le système « en dur » et que L’idéal financier serait de faire coïncider Pi avec le croisement des
celui-ci fonctionne effectivement après. Cependant, lorsque le sys- deux courbes correspondant aux frais fixes des deux systèmes.
tème contient des êtres humains, des logiciels... c’est-à-dire des élé- Mais en pratique, il est préférable de placer Pi avant, de manière à
ments qui notamment traitent de l’information, la distinction être sûr de toujours pouvoir assurer les services rendus.
apparaît nettement.
En d’autres termes, la construction d’un système complexe, uni-
quement technique ou bien à composante humaine, utilisant
comme « plan de montage » une description fonctionnelle classi-
que pose toujours des problèmes lors de l’intégration des pièces
8. Combien
élémentaires. Ces problèmes d’assemblage sont alors résolus avec
les « moyens du bord » par essais-échecs jusqu’à ce que cela mar- Qu’est-ce que ça rapporte et coûte de mettre en œuvre une
che... d’où de fréquents dépassements de délais. approche adéquate pour élaborer ou piloter des « systèmes
complexes » ?
Dérouler ce type d’approches par les tâches ou par les démarches
7.2 Approches focalisées et méthodes apporte souvent une meilleure communication
entre les services d’une entreprise et entre les individus d’un même
sur les démarches et méthodes service. Les personnes qui, par exemple, mettent en place et partici-
pent au déroulement des méthodes et des démarches sont obliga-
toirement amenées à écouter davantage les autres acteurs avec
■ Grâce à ce type de démarches et de méthodes (§ 3.2), l’ingénieur lesquels ils sont en contact. Ainsi, ce type d’approches apporte indi-
peut alors proposer des produits ou des systèmes optimisés glo- rectement une vision différente des individus : ceux-ci ne sont plus
balement. Il peut ainsi dépasser les optimisations locales prati- considérés comme des récepteurs passifs d’informations mais au
quées à l’heure actuelle, c’est-à-dire l’optimisation de chaque partie contraire comme des éléments proactifs insérés dans leur environ-
les unes indépendamment des autres. nement.
Exemple : une entreprise possède un logiciel de traitement de tex-
tes très perfectionné permettant d’obtenir des performances importan-
tes. Dans une situation de travail en réseau (ce qui semble être le travail
du futur), l’entreprise doit transmettre des documents. Si elle n’a pas Frais totaux
vérifié (ou si un superviseur ne l’a pas fait) que son correspondant a un Services rendus
logiciel d’un niveau de performance suffisamment élevé, son travail (ou recettes)
très performant de traitement de texte risque de ne servir à rien. En
effet, le temps économisé avec son logiciel contenant des fonctionna-
lités élaborées soit va être perdu si son correspondant ne peut pas Pi
ai

Fr
ouvrir les documents, soit son correspondant ou elle vont passer leur s
fix c
temps à tenter de convertir les fichiers envoyés ou qui sont à envoyer. es
i Fra
is fix e s j
De fait, l’optimisation globale d’un système peut nécessiter des
sous-optimisations locales [9]. Dans le cas de l’exemple, si tous les
membres du réseau ne sont pas au même niveau, il vaut mieux
avoir un logiciel moins puissant. C’est le maillon le plus faible de la
chaîne qui toujours détermine la solidité de la chaîne.
■ Les approches présentées permettront donc de prendre en Taille
compte les interrelations entre les éléments d’un système. Elles
prendront aussi en compte la taille et la dynamique de fonctionne- c coût de la sécurité ou de la garantie de disponibilité
de la fonction requise du système
ment du système c’est-à-dire les interactions entre les éléments.
Ainsi, les effets bénéfiques des économies d’échelles atteignent Figure 3 – Frais totaux rapportés aux services rendus en fonction
vite leur limite lorsque le système augmente en taille ou en vitesse de la taille d’un système

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________________________________________________________________________________________________________________ SYSTÈMES COMPLEXES

De même, ce n’est pas parce qu’une note est fournie à un chef de Exemple : un médecin de famille fera plus facilement des erreurs
service que, pour autant, celui-ci va la lire. Cela dépend de la lon- dites d’expert. Connaissant trop bien la personne, il ne prend pas, en
gueur de la note, du temps dont il dispose, de ses priorités... Ces général, assez de précautions pour établir son diagnostic. C’est en
derniers aspects sont parfois tout aussi importants que la valeur du effet parce qu’il connaît trop bien les symptômes habituels de la per-
contenu du document. sonne qu’il ne l’examine pas suffisamment. Et de fait, une petite diffé-
rence de valeurs de certains paramètres ne sera alors pas vu par
En contrepartie, toute approche un peu nouvelle nécessite un cer- l’expert, si ceux-ci ne dénotent pas dans la cohérence d’ensemble. Par
tain apprentissage du nouveau langage ou de la nouvelle façon de ailleurs, le « chemin » est tellement tracé que l’expert s’« engouffre »
pensée. et s’enferme rapidement dans son diagnostic et qu’il lui est très difficile
d’en sortir.
Des exemples du même type ont été observés chez les contrôleurs
aériens expérimentés à la différence des plus jeunes qui, effective-
9. Conséquences ment, dans certains cas peuvent s’avérer plus performants [8].
En définitive, faire l’expérience d’une vision globale permet
ensuite de voir les autres tâches d’une manière différente. De la
Les conséquences induites par la mise en œuvre d’une approche même manière, une fois que le corps a été sujet à un problème et
adéquate pour élaborer ou piloter des « systèmes complexes » peu- qu’il l’a bien surmonté, il garde la trace du problème et sera ensuite
vent être positives ou négatives. beaucoup plus à même de le résoudre (notion d’immunité d’un sys-
tème).
■ Conséquences positives
■ Conséquences négatives
Ce type d’approches amène les personnes à se représenter la réa- Une approche mal bornée dans le temps peut donner l’impres-
lité d’une autre manière, en particulier à ne plus considérer qu’une sion de ne pas donner autant de résultats que prévus. On peut avoir
compréhension très fine ou une connaissance très poussée de tous l’impression qu’il faut prendre tout en compte pour régler un pro-
les aspects de la réalité entraîne forcément une meilleure possibilité blème simple, alors que, dans un problème mécanique, on peut le
d’action. plus souvent être parcellaire et linéaire.

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