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Présentation générale
par Jean-François VAUTIER
Docteur ès Sciences
Institut HERACLITE
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ces normes résultent implicitement toujours de traits culturels plus 7.1 Approches focalisées sur les tâches
ou moins spécifiques d’un groupe ou d’une nation.
à accomplir
Considérons la formalisation des processus de relations clients-
fournisseurs qui résultent très directement des notions de contrat
américain. Aux États-Unis, son existence est vue comme une néces- Grâce à ce type d’approche (§ 3.1), l’ingénieur peut, dans les diffé-
sité avant tout jugement sur une personne. Le contrat constitue un rentes phases du cycle de vie d’un produit au sens large par exem-
engagement mutuel entre deux entités, qui permet ensuite de réali- ple en conception ou en exploitation, apprécier les facteurs
ser un référentiel local permettant de juger des différents qui pour- réellement déterminants du fonctionnement d’un système. En
raient survenir [7]. Par exemple, il semble toujours curieux à un d’autres termes, il peut passer de l’appréhension des conditions
Français allant aux États-Unis de remplir dans l’avion une feuille nécessaires (à un fonctionnement) à celles des conditions déclen-
verte de la douane américaine demandant notamment au passager chantes, ce qui revient, entre autres, à dépasser les limites des ana-
s’il est un criminel ou non. Et pourtant cela paraît parfaitement lyses fonctionnelles classiques. Nous allons illustrer ces notions
sensé pour un Américain car il ne s’agit que de l’expression de la avec deux exemples :
relation client-fournisseur à établir entre le pays hôte (les États- — le premier, relatif au conditionnement pavlovien, permet de
Unis) et l’arrivant avec ses qualités de bonne foi à indiquer. bien présenter le cadre de réflexion ;
— le second, relatif au fonctionnement des ordinateurs, permet
de bien visualiser l’importance des notions dans les process indus-
En termes d’automaticien, les premières approches seront triels.
focalisées sur l’observance du système et les secondes sur sa
gouvernance. Les secondes seront donc à même de sortir le Exemples
système d’un minimum local selon un chemin exprimant un ■ Conditionnement pavlovien : Pavlov étudiait l’évolution des répon-
certain référentiel externe. ses d’un chien en terme de quantité de salive produite suite à différen-
tes présentations de boulettes de viande. Une fois présentées, les
boulettes étaient ensuite mangées par le chien.
Sur la figure 1, nous pouvons représenter l’entrée (la présentation
4. Qui des boulettes de viande) la boîte noire (le chien) et le résultat en sortie
(la salive).
Qui est concerné par l’élaboration et le pilotage des « systèmes Or, cette représentation est trompeuse ! On pourrait croire, en effet,
complexes » ? Le champ est a priori très large. Il est constitué par que la représentation des boulettes de viande est un facteur qui peut
l’ensemble des ingénieurs. L’étendue des responsabilités couver- conditionner à lui seul l’obtention de salive de la part du chien.
tes est donc très grande. Le seul critère important est que l’ingénieur En réalité, lorsque le chien n’a pas faim, la vue des boulettes de
ait à concevoir, construire, exploiter ou déconstruire un ensemble viande ne s’accompagne plus de la production de salive. Cela montre
d’éléments (hommes et/ou machines) en interaction et assemblé que la présentation des boulettes de viande est une condition néces-
pour atteindre un but, c’est-à-dire un système. Cela va donc du saire mais non déclenchante à elle seule de la production de salive.
directeur général au technicien de première ligne. On peut dire seulement que, pour qu’il y ait salive, il faut qu’il y ait
En d’autres termes, les personnes concernées sont celles qui ont une entrée et, notamment, des boulettes de viande. En effet, d’autres
à résoudre des problèmes affichés difficiles ou apparemment facteurs peuvent aussi constituer des conditions nécessaires à la pro-
simples. duction de la salive (la présentation de sucre si elle est associée à la
faim ou encore la vue d’un autre chien si elle est associée à une inten-
tion de se battre de la part du chien étudié).
5. Où ■ Fonctionnement d’un ordinateur : de manière similaire, on peut
représenter le lien existant entre l’appui sur une touche du clavier d’un
ordinateur et l’apparition d’un caractère alphanumérique sur l’écran ou
Où se préoccuper de l’élaboration et du pilotage des « systèmes le lancement d’un programme (figure 2).
complexes » ? Ce type de préoccupation concerne toutes sortes Encore une fois, cette représentation doit plutôt être lu de droite à
d’entreprises (les grosses et les petites entreprises). En effet, quels gauche : pour obtenir l’apparition d’un caractère alphanumérique
que soient leur taille ou leur secteur d’activité, ces entreprises ont donné ou le lancement d’un programme particulier, il est nécessaire
des clients ou des fournisseurs et, en interne, elles sont constituées que l’on appuie sur une touche précise. Or, cela n’est vrai que si le sys-
d’hommes ou des services qui sont en interaction. tème d’exploitation est activé et qu’il a fait correspondre la touche par-
ticulière à une fonction.
On réalise d’ailleurs d’autant mieux cette différence entre condition
6. Quand nécessaire et condition déclenchante lorsque, ayant changé de version
du logiciel ou passant d’un Mac à un PC (et vice versa), cette corres-
pondance n’existe plus.
Quand se préoccuper de l’élaboration et du pilotage des
« systèmes complexes » ? Toutes les phases de vie d’une entité
(conception, construction, transmission (vente), exploitation,
déconstruction) et d’un marché (lancement, adolescence, maturité
Présentation des
et déclin) sont concernées par l’élaboration et le pilotage des systè- boulettes de viande Salive
Chien
mes complexes. (boîte noire)
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En définitive, on peut montrer qu’une condition déclenchante de fonctionnement. Il est effectivement nécessaire de dépenser
est en fait une condition double. Elle représente un couple formé par alors de plus en plus d’énergie pour sécuriser son fonctionnement.
une condition nécessaire exogène et une condition nécessaire
endogène à l’entité. Nous retrouvons, d’ailleurs, le même phéno- Exemple : les personnes qui habitent dans un bâtiment possédant
mène entre le vue d’un feu tricolore étant au rouge et l’arrêt d’un de nombreux étages savent qu’elles payent plus de charges que dans
véhicule automobile. Ce feu rouge peut être perçu, mais le conduc- une petite copropriété. Dans la grande copropriété, il est, en effet,
teur du véhicule peut avoir décidé de passer outre. De plus, le feu nécessaire qu’il y ait par exemple plusieurs ascenseurs et donc un gar-
peut aussi ne pas être vu par un conducteur novice, stressé ou dien à demeure pour veiller au bon fonctionnement de l’ensemble,
même parfaitement expérimenté si ce dernier conduit, par exemple, pour entretenir, nettoyer... ce qui nécessite un ascenseur de service en
quelqu’un en urgence à l’hôpital. Autrement dit, ce n’est parce qu’on plus...
présente une information, même une alarme, que celle-ci sera per- En d’autres termes, les frais fixes et les frais variables ne sont en
çue. réalité pas totalement indépendants. Ils sont seulement localement
En poursuivant sur la distinction condition nécessaire – indépendants. La figure 3 en donne un exemple.
condition déclenchante, on peut voir que la différence n’existe
Sur cette figure, la première courbe concave correspond à un sys-
pas dans le cadre d’un système « simple » uniquement fait d’élé-
tème ayant des frais fixes i. Dans la phase descendante, les frais
ments reliés entre eux par des flux de forces mécaniques, par exem-
totaux (fixes et variables) augmentent moins vite que les services
ple, un moteur de voiture. Cela revient à dire qu’une modélisation
rendus : l’effet d’échelle fonctionne.
fonctionnelle réalisée avec une analyse structurée, à base de boîte
noire qu’on décompose ensuite en un ensemble de sous-boîtes noi- La taille du système augmentant, les dispositions correspondant
res qu’on redécompose en d’autres sous-sous-boîtes de plus en aux frais fixes i sont moins performantes. Nous sommes dans la
plus petites..., permet, dans de nombreux cas, de modéliser suffi- phase ascendante jusqu’au point Pi de changement de système
samment bien ce type de système pour que la représentation ainsi (frais fixes j ).
produite permette ensuite de construire le système « en dur » et que L’idéal financier serait de faire coïncider Pi avec le croisement des
celui-ci fonctionne effectivement après. Cependant, lorsque le sys- deux courbes correspondant aux frais fixes des deux systèmes.
tème contient des êtres humains, des logiciels... c’est-à-dire des élé- Mais en pratique, il est préférable de placer Pi avant, de manière à
ments qui notamment traitent de l’information, la distinction être sûr de toujours pouvoir assurer les services rendus.
apparaît nettement.
En d’autres termes, la construction d’un système complexe, uni-
quement technique ou bien à composante humaine, utilisant
comme « plan de montage » une description fonctionnelle classi-
que pose toujours des problèmes lors de l’intégration des pièces
8. Combien
élémentaires. Ces problèmes d’assemblage sont alors résolus avec
les « moyens du bord » par essais-échecs jusqu’à ce que cela mar- Qu’est-ce que ça rapporte et coûte de mettre en œuvre une
che... d’où de fréquents dépassements de délais. approche adéquate pour élaborer ou piloter des « systèmes
complexes » ?
Dérouler ce type d’approches par les tâches ou par les démarches
7.2 Approches focalisées et méthodes apporte souvent une meilleure communication
entre les services d’une entreprise et entre les individus d’un même
sur les démarches et méthodes service. Les personnes qui, par exemple, mettent en place et partici-
pent au déroulement des méthodes et des démarches sont obliga-
toirement amenées à écouter davantage les autres acteurs avec
■ Grâce à ce type de démarches et de méthodes (§ 3.2), l’ingénieur lesquels ils sont en contact. Ainsi, ce type d’approches apporte indi-
peut alors proposer des produits ou des systèmes optimisés glo- rectement une vision différente des individus : ceux-ci ne sont plus
balement. Il peut ainsi dépasser les optimisations locales prati- considérés comme des récepteurs passifs d’informations mais au
quées à l’heure actuelle, c’est-à-dire l’optimisation de chaque partie contraire comme des éléments proactifs insérés dans leur environ-
les unes indépendamment des autres. nement.
Exemple : une entreprise possède un logiciel de traitement de tex-
tes très perfectionné permettant d’obtenir des performances importan-
tes. Dans une situation de travail en réseau (ce qui semble être le travail
du futur), l’entreprise doit transmettre des documents. Si elle n’a pas Frais totaux
vérifié (ou si un superviseur ne l’a pas fait) que son correspondant a un Services rendus
logiciel d’un niveau de performance suffisamment élevé, son travail (ou recettes)
très performant de traitement de texte risque de ne servir à rien. En
effet, le temps économisé avec son logiciel contenant des fonctionna-
lités élaborées soit va être perdu si son correspondant ne peut pas Pi
ai
Fr
ouvrir les documents, soit son correspondant ou elle vont passer leur s
fix c
temps à tenter de convertir les fichiers envoyés ou qui sont à envoyer. es
i Fra
is fix e s j
De fait, l’optimisation globale d’un système peut nécessiter des
sous-optimisations locales [9]. Dans le cas de l’exemple, si tous les
membres du réseau ne sont pas au même niveau, il vaut mieux
avoir un logiciel moins puissant. C’est le maillon le plus faible de la
chaîne qui toujours détermine la solidité de la chaîne.
■ Les approches présentées permettront donc de prendre en Taille
compte les interrelations entre les éléments d’un système. Elles
prendront aussi en compte la taille et la dynamique de fonctionne- c coût de la sécurité ou de la garantie de disponibilité
de la fonction requise du système
ment du système c’est-à-dire les interactions entre les éléments.
Ainsi, les effets bénéfiques des économies d’échelles atteignent Figure 3 – Frais totaux rapportés aux services rendus en fonction
vite leur limite lorsque le système augmente en taille ou en vitesse de la taille d’un système
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De même, ce n’est pas parce qu’une note est fournie à un chef de Exemple : un médecin de famille fera plus facilement des erreurs
service que, pour autant, celui-ci va la lire. Cela dépend de la lon- dites d’expert. Connaissant trop bien la personne, il ne prend pas, en
gueur de la note, du temps dont il dispose, de ses priorités... Ces général, assez de précautions pour établir son diagnostic. C’est en
derniers aspects sont parfois tout aussi importants que la valeur du effet parce qu’il connaît trop bien les symptômes habituels de la per-
contenu du document. sonne qu’il ne l’examine pas suffisamment. Et de fait, une petite diffé-
rence de valeurs de certains paramètres ne sera alors pas vu par
En contrepartie, toute approche un peu nouvelle nécessite un cer- l’expert, si ceux-ci ne dénotent pas dans la cohérence d’ensemble. Par
tain apprentissage du nouveau langage ou de la nouvelle façon de ailleurs, le « chemin » est tellement tracé que l’expert s’« engouffre »
pensée. et s’enferme rapidement dans son diagnostic et qu’il lui est très difficile
d’en sortir.
Des exemples du même type ont été observés chez les contrôleurs
aériens expérimentés à la différence des plus jeunes qui, effective-
9. Conséquences ment, dans certains cas peuvent s’avérer plus performants [8].
En définitive, faire l’expérience d’une vision globale permet
ensuite de voir les autres tâches d’une manière différente. De la
Les conséquences induites par la mise en œuvre d’une approche même manière, une fois que le corps a été sujet à un problème et
adéquate pour élaborer ou piloter des « systèmes complexes » peu- qu’il l’a bien surmonté, il garde la trace du problème et sera ensuite
vent être positives ou négatives. beaucoup plus à même de le résoudre (notion d’immunité d’un sys-
tème).
■ Conséquences positives
■ Conséquences négatives
Ce type d’approches amène les personnes à se représenter la réa- Une approche mal bornée dans le temps peut donner l’impres-
lité d’une autre manière, en particulier à ne plus considérer qu’une sion de ne pas donner autant de résultats que prévus. On peut avoir
compréhension très fine ou une connaissance très poussée de tous l’impression qu’il faut prendre tout en compte pour régler un pro-
les aspects de la réalité entraîne forcément une meilleure possibilité blème simple, alors que, dans un problème mécanique, on peut le
d’action. plus souvent être parcellaire et linéaire.
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