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Notion : la nature
À l'opposé d'une pensée purement théorique, Descartes veut promouvoir les connaissances pratiques, c'est-à-dire
« utiles à la vie ». Et c'est par le développement des sciences physiques qu'il espère l'essor d'applications concrètes,
techniques et médicales notamment. Pour cela, l’homme doit se rendre « comme maître et possesseur de la nature. »
« Il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et […] au lieu de cette philosophie
spéculative (1) qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et
les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, (…) nous
les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme
maîtres et possesseurs de la Nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices,
qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais
principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de
tous les autres biens de cette vie… »
1. Spéculative = abstraite, théorique.
« Y a-t-il quelque chose dont l'existence a, en soi-même, une valeur absolue ? Quelque chose qui est, en principe, fin en
soi? Oui, dit Kant : l'homme. Pour lui, l'homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas
simplement comme un moyen. Ainsi, même dans les actions humaines où il est utilisé comme moyen, il faut qu'il soit
aussi considéré en même temps comme fin.
Impératif pratique de Kant : "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité comme une fin, et jamais simplement comme
un moyen."
Cet impératif est la conséquence directe de la définition kantienne de l'homme. L'homme se représente nécessairement
sa propre existence comme fin en soi. C'est donc un principe objectif valable pour tout homme. Mais, en plus, c'est un
principe subjectif. Je dois régler mon action sur ce principe, car ce qui vaut pour tout être raisonnable vaut aussi pour
moi; et ce qui s'applique dans ma personne s'applique aussi dans la personne de tout autre.
En conséquence :
- je ne peux disposer en rien de l'homme, soit pour le mutiler, soit pour le dégrader, soit pour le tuer.
- je ne peux porter atteinte à la liberté ou à la propriété d'autrui.
Pour Kant, si les personnes sont par nature des fins en soi, les choses, elles, n'ont qu'une valeur relative, celle d'un moyen.
Elles ont une valeur circonstancielle, pas objective. On peut les remplacer par d’autres, ce qui n’est pas le cas des
personnes. »
1
Le parasite et le symbiote selon Michel SERRES in Le Contrat naturel
Michel Serres distingue deux rapports antagonistes de l’homme envers la nature : celui du parasite et celui du symbiote.
Un organisme parasite vit aux dépens de son hôte sans avoir l’intention de le tuer (ce n’est pas un prédateur) mais il
l’épuise continuellement en consommant ses ressources vitales et peut devenir une cause de son décès. Michel Serres
propose, lui, l’adoption d’un contrat qui lierait les hommes à la nature de manière symbiotique, c’est-à-dire dans une
association organique réciproque.
"Retour donc à la nature ! Cela signifie : au contrat exclusivement social ajouter la passation d'un contrat naturel de
symbiose et de réciprocité où notre rapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l'écoute admirative, la
réciprocité, la contemplation et le respect, où la connaissance ne supposerait plus la propriété ni l'action ni la maîtrise.
Contrat d'armistice dans la guerre objective, contrat de symbiose : le symbiote admet le droit de l'hôte, alors que le
parasite - notre statut actuel condamne à mort celui qu'il pille et qu'il habite sans prendre conscience qu'à terme il se
condamne lui-même à disparaître.
Le parasite prend tout et ne donne rien ; l'hôte donne tout et ne prend rien. Le droit de maîtrise et de propriété se réduit
au parasitisme. Au contraire, le doit de symbiose se définit par la responsabilité : autant la nature donne à l'homme,
autant celui-ci doit rendre à celle-là, devenue sujet de droit.
Que rendons-nous, par exemple, aux objets de notre science, à qui nous prenons la connaissance ? Alors que le
cultivateur, autrefois, rendait en beauté, par son entretien, ce qu'il devait à la terre, à qui son travail arrachait quelques
fruits. Que devons-nous rendre au monde ? Qu'écrire dans le programme des restitutions ?"
Laure Cailloce, « Le droit peut-il sauver la nature ? », CNRS Le Journal, mai 2017.
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Truie condamnée à mort, dauphins exorcisés... les étranges procès d'animaux au Moyen Âge
Illustration représentant une truie et ses porcelets jugés pour le meurtre d'un enfant.
Le procès aurait eu lieu en 1457, la mère étant reconnue coupable et les porcelets acquittés.
Cochons dévoreurs de nouveaux- nés condamnés à l'étranglement, sangsues sommées par la justice de ne plus s'en prendre aux
poissons... Pendant près d'un millénaire en Europe, les bêtes de ferme et autres insectes nuisibles pouvaient être envoyés devant
des tribunaux, et jugés à l'aide de toute une rhétorique constituée de citations latines et d'allusions prétendument historiques.
Excommunications, exorcismes publics, condamnations à mort, jugements par contumace... ces histoires nous semblent
aujourd'hui tellement stupéfiantes, qu'elles sont longtemps passées pour être imaginaires.
An 1386, région de Falaise, en Normandie. A l'époque, les cochons déambulent librement dans les rues, jouant le rôle
d'éboueurs. Un jour, une truie renverse un nouveau-né mal surveillé, et commence à le dévorer au niveau du bras et du visage.
Le nourrisson ne survit pas à ses blessures, et la truie est conduite au tribunal. Ce procès est le mieux documenté de tous les
jugements d'animaux dont on a gardé la trace, notamment grâce aux sommes d’argent dépensées pour cet événement, qui dure
neuf jours. A l'issue du procès, la truie est condamnée à être d’abord traînée sur une claie dans les faubourgs de Falaise, puis
pendue et brûlée.
En 2010 dans l'émission d'Alain Veinstein Du jour au lendemain, l'historien médiéviste Michel Pastoureau, auteur de l'ouvrage
Le Cochon : histoire d'un cousin mal aimé (Gallimard) revenait sur cette incroyable histoire :
« Avant de la pendre, on l’a habillée avec des vêtements de femme, et le juge bailli de Falaise a demandé aux paysans qui
vivaient alentour de venir voir l'exécution de la truie avec leurs cochons pour que ça leur fasse enseignement. Il y a l’idée que
les cochons étaient capables de comprendre et se comporteraient dorénavant beaucoup mieux dans cette région pour ne pas
subir le sort de la truie. »
3
Même si ces affaires nous apparaissent aujourd'hui insolites, les procès étaient loin d'être pris à la légère, comme l'expliquait
l'intellectuel Michel Rousseau lors d'une conférence intitulée "Les animaux devant la justice : du châtiment des bêtes à la
responsabilité des hommes":
Ces procès se déroulaient devant la seule justice civile : celle des baillages, des conseils de villes, des échevins, ou celle des
seigneuries ou même des parlements. Cette justice criminelle disposait d’une prison. L’animal qui s’était livré à des coups et
blessures envers des humains était emprisonné et devenait le voisin de quelques brigands arrêtés.
Deux articles, publiés au début des années 1970, celui de l’Australien Richard Routley , et celui de l’Américain Holmes
Rolston, ont attiré l’attention sur le besoin d’une éthique nouvelle, d’une éthique écologique, ou environnementale. Tous
deux considéraient que, pour y parvenir, il fallait montrer que la nature, en elle-même, avait une valeur. Ils reprochaient
aux attitudes morales traditionnelles (occidentales plus particulièrement) de n’attribuer qu’une valeur instrumentale aux
entités naturelles, de n’envisager la nature que comme un vaste réservoir de ressources pour les activités humaines.
La nature, dans sa richesse propre, paraissait menacée. La question de la valeur intrinsèque des entités naturelles est
étroitement liée aux alarmes que causent l’érosion de la biodiversité, l’accélération du rythme de la disparition d’espèces
animales et végétales. La destruction de millions d’hectares de forêts tropicales, le développement d’une agriculture
intensive utilisant un petit nombre de variétés et employant massivement engrais et désherbants, la fragmentation des
habitats conduisent à la disparition d’espèces sauvages ou antérieurement cultivées... On estime, généralement, que cette
disparition est massive et sans commune mesure avec celles qui ont pu se produire à d’autres périodes de l’histoire de la
nature. Quels que puissent être les dommages qu’entraînent, pour la vie humaine, cet appauvrissement des ressources
naturelles, l’idée intuitive est qu’il y a là un tort direct fait à la nature, un mal en soi… Une prise de conscience s’impose :
il faut désormais créditer les êtres de la nature d’une valeur en soi, quelle que soit leur utilité ou leur inutilité pour l’être
humain.