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FUITE DES CERVEAUX, QUALITÉ DE L'ÉDUCATION ET POLITIQUE

D'IMMIGRATION : L'EFFET SUR LE CAPITAL HUMAIN PRODUCTIF

Maurice Schiff

De Boeck Supérieur | « Revue d'économie du développement »

2014/3 Vol. 22 | pages 5 à 25


ISSN 1245-4060
ISBN 9782804191832
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2014-3-page-5.htm
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Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation
et politique d’immigration : l’effet sur
le capital humain productif1
Brain Drain, Educational Quality and Immigration Policy:
Impact on Productive Human Capital
Maurice Schiff2

Avec la réforme de 1967, la politique d’immigration canadienne est passée d’un système de pré-
férences-pays à un système de points. Ce dernier accorde des points aux candidats en fonction de
leur niveau d’éducation mais fait abstraction de la qualité de leur éducation. Cet article s’inté-
resse au système de points (h), au système de préférences-pays (p) ainsi qu’à un système compre-
nant à la fois la quantité et la qualité de l’éducation (appelé « système de points q² »). Il s’inté-
resse à leur effet sur le capital humain productif moyen du pays d’accueil, (c’est-à-dire le produit
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de la qualité et de la quantité ou niveau de l’éducation) ou niveau de compétences S, sur celui
des immigrants, et celui d’un pays d’origine 1 (2) à qualité d’éducation élevée (faible). Il montre
entre autres que i) S est plus élevé dans le système q² que dans le système de points (Sq > Sh), ii) S
est plus élevé dans le système de préférences-pays que dans le système de points (Sp > Sh), iii) la
supériorité de S dans le système q² par rapport au système de préférences-pays ou vice versa est
ambiguë, avec Sq > (<) Sp si la qualité de l’éducation dans le pays 1 relativement au pays 2 est
plus élevée (faible) que le degré de préférence pour les migrants issus du pays 1 relativement au
pays 2, iv) une augmentation de la qualité de l’éducation dans un pays d’origine à qualité d’édu-
cation élevée (faible) a un effet positif (ambigu) sur S sous les trois politiques, et l’effet est plus
grand dans le système q² que dans le système de points, et v ) le passage du système de points au
système q² entraîne un gain en capital humain ou gain net de cerveaux pour le pays 1 et une perte
ou fuite nette de cerveaux pour le pays 2.

Mots-clés : Politiques d’immigration, qualité de l’éducation, capital humain


productif, Canada, pays d’accueil, pays d’origine.
Classification JEL : F22, I25, I26, J24.

1
Je souhaite remercier un referee anonyme pour ses excellentes remarques et sug-
gestions.
2
Institut de l’Étude sur le Travail (IZA), Bonn.

5
6 Maurice Schiff

With the 1967 reform, Canada’s immigration policy changed from a country-preference system to
a points system. The latter provides points according to applicants’ education level but abstracts
from the quality of their education. This paper considers the points system (h), the country-
preference system (p), as well as a system that includes both educational quantity and quality
(termed the “q2 points system”). It focuses on their impact on the host country’s average produc-
tive human capital – the product of educational quality and quantity – or skill level S, on that
of the immigrants, and of high (low) education-quality source countries 1 (2). It shows, among
others, that i) S is greater under the q2 system than under the points system (Sq > Sh); ii) S is
greater under the country-preference system than under the points system (Sp > Sh); iii) whether
S is greater under the q2 or the country-preference system is ambiguous, with Sq > (<) Sp if the
quality of education in Country 1 relative to Country 2 is higher (lower) than the degree of pref-
erence for migrants from Country 1 relative to Country 2; iv) an increase in education quality in
the high- (low-) quality source country has a positive (ambiguous) impact on S under all three
policies, and the impact is larger under the q2 than under the points system; and v) a switch from
a points system to a q2 system results in a human capital gain or net brain gain for Country 1 and
a loss or net brain drain for Country 2.

Key words: Immigration policy, quality of education, productive human capital,


Canada, host country, source country.

1 INTRODUCTION

Un certain nombre d’études ont examiné l’effet de la fuite des cerveaux sur le
capital humain dans les pays d’origine des migrants. La question a été étudiée
à la fois théoriquement (ex. Mountford 1997, Docquier et al. 2011) et empi-
riquement (ex. Beine et al. 2004, 2008). Les études publiées dans un volume
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récent produit par Boeri et al. (2012) s’intéressent également à la fuite et
au gain de cerveaux, et Commander et al. (2004) ont établi un premier tour
d’horizon des coûts et bénéfices de la fuite des cerveaux, couvrant ces deux
éléments et autres problématiques liées à la fuite des cerveaux.
Cet article contribue à la littérature i) en examinant l’effet de diverses
politiques d’immigration sur le capital humain productif, également qualifié
de niveau de compétences, et qui est fonction de la qualité et de la quantité
(ou niveau) de l’éducation ou capital humain, ii) en effectuant un tel exercice
à la fois pour les pays d’origine et d’accueil, et iii) en comparant les niveaux
de compétences moyens des migrants sous les différents régimes d’immigra-
tion et en déterminant le régime préféré du point de vue des pays d’origine et
d’accueil3.

Le choix du niveau d’éducation moyen comme critère d’évaluation des différents


3

régimes d’immigration est motivé par la théorie de la croissance endogène (Lucas


1988) où la croissance économique est une fonction croissante du stock de capital
humain moyen.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 7

Les régimes d’immigration étudiés dans cet article sont le système de


points, le système de préférences-pays et le système q². Dans le système de
points, les candidats doivent obtenir un nombre minimum de points pour être
éligibles à l’obtention d’un visa d’immigrant, les points étant en partie fonc-
tion du niveau d’éducation des candidats. Les pays d’accueil qui utilisent ce
système de points comprennent l’Australie, le Canada, le Danemark, Hong
Kong, la Nouvelle-Zélande, Singapour et le Royaume-Uni. Hinte, Rinne et
Zimmermann (2011) ont proposé l’application d’un tel système en Allemagne.
L’analyse effectuée dans cet article est opérée en gardant à l’esprit la poli-
tique d’immigration canadienne, même si elle s’applique aussi aux autres pays
d’accueil. Le système de points spécifie un certain nombre de caractéristiques
qui entrent dans le calcul du nombre de points obtenus par les migrants po-
tentiels. Les caractéristiques et le nombre de points maximal qui leur est asso-
cié dans le cadre du système de points canadien sont fournis dans le Tableau 1.
Tableau 1 : Caractéristiques et nombre maximal de points dans le système
de points canadien

Caractéristiques Nombre maximal de points


Compétences en langue anglaise et/ou française 28
Éducation 25
Expérience 15
Age 12
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Emploi réservé au Canada 10
Adaptabilité 10
Total 100

Le nombre de points maximal qui peut être obtenu dans le système de


points est de 100, avec 67 points requis pour être éligible à l’obtention d’un
visa d’immigrant. Ce nombre initialement fixé à 75 points a été réduit le
18 septembre 2003. Par conséquent, on s’attend à une hausse considérable du
nombre de candidats qui répondent aux formalités exigées par le Canada pour
la délivrance de visa. Le nombre de points maximal pour plusieurs des caracté-
ristiques listées dans le Tableau 1 a également été modifié : les points accordés
pour l’expérience ont été réduits pour passer de 21 à 15 points, ceux accordés
pour les compétences en langue anglaise et/ou française ont augmenté pour
passer de 24 à 28 points, ceux liés à l’âge sont passés de 10 à 12 points (avec
un nombre de points maximal accordé aux candidats âgés de 21 à 49 ans, et
déclinant systématiquement pour les candidats plus jeunes et plus âgés, pour
arriver à zéro pour les moins de 16 ans ou plus de 54 ans). Le nombre de
points pour l’éducation, l’emploi réservé au Canada et l’adaptabilité est resté
8 Maurice Schiff

inchangé. L’importance relative des différents critères a été modifiée dans le


but d’améliorer l’appareillement entre l’offre et la demande des compétences
de migrants.
En cas d’hétérogénéité, le niveau d’éducation peut ne pas être indépen-
dant des autres caractéristiques, et on peut assister à une auto-sélection des
migrants. Par exemple, les migrants potentiels issus de pays anglophones ou
francophones obtiendraient 28 points, ce qui devrait augmenter l’incitation
à l’éducation dans la mesure où il serait extrêmement difficile pour un indi-
vidu qui ne parle aucune de ces deux langues d’obtenir les 67 points requis.
Par exemple, si un tel candidat avait obtenu zéro point pour l’adaptabilité, le
nombre de points maximal qu’il/elle pourrait obtenir serait de 62, impliquant
que même un diplôme de Doctorat ou de Master avec au moins 17 ans d’édu-
cation à temps complet, le critère requis pour obtenir le nombre de points
maximal en éducation, serait insuffisant.
Néanmoins, étant donné que l’article s’intéresse aux politiques d’immigra-
tion avec différents critères d’éducation et à leur impact sur le niveau moyen
de capital humain productif des migrants (une combinaison de la quantité
et qualité de l’éducation), et par souci de simplicité et de clarté, nous faisons
l’hypothèse que les autres caractéristiques sont orthogonales à la qualité de
l’éducation des pays. Ceci permet à l’analyse de se focaliser sur l’impact des
différents critères d’éducation de ces politiques sur le capital humain produc-
tif moyen des migrants. Il convient de noter cependant que l’hétérogénéité
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observée à travers les pays en termes de qualité de l’éducation implique une
auto-sélection des migrants suivant la qualité de l’éducation. Les sections 2
à 6 montrent que cette caractéristique est fondamentale pour la comparai-
son de l’effet des différentes politiques d’immigration. Il convient de noter
que l’analyse de l’impact de l’auto-sélection des migrants suivant certains des
autres critères fait partie de mon agenda de recherche.
Même si le système de points canadien ne mentionne pas explicitement
la qualité de l’éducation comme l’une des caractéristiques pour lesquelles
des points peuvent être obtenus, elle pourrait néanmoins jouer un rôle dans
le processus de sélection. Le fait est que le Canada a signé avec un certain
nombre de pays (par exemple la France) des accords bilatéraux pour la recon-
naissance mutuelle des diplômes, et la qualité de l’éducation a clairement été
un critère important pour sélectionner les pays avec lesquels de tels accords
ont été signés. Dans la mesure où ce critère de sélection est reflété à travers les
points obtenus dans le système de points, la différence entre l’effet du système
de points et celui du système q² fournit une limite supérieure de la véritable
différence entre les effets des deux politiques d’immigration.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 9

Dans le système de préférences-pays, un pays d’accueil octroie un accès


préférentiel à des individus issus de pays spécifiques. Un tel système était plus
commun par le passé au Canada et aux États-Unis. Dans le cas du Canada, les
premiers immigrants étaient majoritairement des Européens anglophones et
francophones, et par la suite des individus issus du reste de l’Europe4.
Le système q² est similaire au système de points à l’exception que les
points sont obtenus à la fois pour la quantité et la qualité de l’éducation, d’où
l’appellation de « système q² ». Un tel système est en vigueur aux États-Unis
(visa H1-B), en Allemagne par le biais de la loi d’immigration allemande, ainsi
qu’en Norvège, Espagne et Suède.
Les deux systèmes requièrent aussi que les individus aient un niveau
(ou seuil) d’éducation minimum qui est plus élevé dans les systèmes de sé-
lection américain et allemand (diplôme de licence) que dans les systèmes de
points australien (deux années d’études universitaires) et canadien (diplôme
d’études secondaires). L’Annexe 1 présente certains des aspects principaux
des deux régimes d’immigration, à savoir le système de points canadien et le
visa H1-B américain.
Une majorité écrasante des premiers migrants à destination du Canada
étaient issus du Royaume-Uni, de l’Irlande et de la France, la Province du
Québec apparaissant comme la destination préférée des immigrants français,
puis au XXe siècle celle des immigrants issus de l’Europe continentale. Depuis
les années 1970, les pays en développement constituent l’essentiel de l’immi-
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gration à destination du Canada. La modification de la composition des pays
d’origine s’explique essentiellement par la révision de 1967 de la loi cana-
dienne sur l’immigration, une politique qui reste à ce jour d’actualité. L’Asie
a constitué la région en développement d’origine la plus importante ces der-
nières années, avec en 2010 plus du tiers des immigrants issus de trois pays
asiatiques, à savoir les Philippines (13 %), l’Inde (10,8 %) et la Chine (10,8 %).
Le système de points canadien a été mis en cause ces dernières années
face à la difficulté croissante des immigrants à s’intégrer au marché du tra-
vail. En effet, leur revenu exprimé relativement à celui des natifs se détériore
régulièrement depuis ces vingt-cinq dernières années. Alors que les revenus

Alors que le système de points était vu comme une façon de mettre fin à la nature
4

exclusive de la politique fondée sur des préférences-pays, Clifton (2010) a sou-


tenu que cette politique était défavorable aux migrants peu qualifiés. En effet
les migrants qualifiés se voyaient offrir un moyen d’accéder à une entrée perma-
nente dans le pays d’accueil tandis que les moins qualifiés devaient se contenter
d’un statut juridique temporaire et plus précaire, d’où un accès réduit aux droits
sociaux, économiques et civils essentiels en comparaison des migrants qualifiés.
10 Maurice Schiff

des immigrants ayant 10 années de résidence dans les décennies précédent


2000 étaient égaux au revenu national moyen, en 2000 ils n’en représen-
taient que 80 %. En outre, une étude de Statistics Canada de 2003 indique
que le taux d’immigrants à faible revenu, qui représentait 1,4 fois celui des
natifs en 1980, a augmenté pour se chiffrer à 2,5 fois le taux de natifs à
faible revenu en 2000. La plupart des types d’immigrants ont été touchés par
cette détérioration. Une mise à jour de cette étude datant de 2007 a révélé
une augmentation à hauteur de 3,2 en 2004. Il convient de noter que cette
détérioration s’est produite malgré une population d’immigrants dotée d’une
part plus élevée d’individus détenant des diplômes de Doctorat et de Master
comparés aux natifs.
Les immigrants ont également connu une forte hausse du taux de chô-
mage. Dans une étude de 2007, Statistics Canada révèle un taux de chômage
en 2006 de 11,5 % pour les immigrants les plus récents (soit plus de 2,3 fois
le taux de 4,9 % des natifs) et un taux moyen de 7,3 % pour les immigrants
ayant résidé entre 5 et 10 ans dans le pays d’accueil (soit un taux supérieur
de 50 % à celui des natifs). En outre, le temps écoulé depuis l’arrivée dans
le pays d’accueil jusqu’à ce que le taux de chômage des immigrants converge
vers celui des natifs a doublé de 5 à 10 ans entre 1981 et 2000. Une étude
plus ancienne (Statistics Canada, 2001) trouve que le taux de chômage des
migrants qualifiés est plus élevé de 34 % que le taux de chômage moyen des
immigrants.
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Cette détérioration des conditions économiques des immigrants relati-
vement à celles des natifs a conduit les analystes et décideurs politiques à
considérer la possibilité de réformer le système de points. Par exemple, elle
a motivé les différentes études de McHale et Rogers (ex. McHale et Rogers,
2009) qui voient l’absence de prise en compte de la qualité de l’éducation des
migrants comme un facteur contribuant à la détérioration de la situation
des migrants sur le marché du travail, relativement à celle des natifs cana-
diens. Elle a aussi motivé l’étude d’Aydemir (2011) qui s’est intéressé, dans
le contexte canadien, à l’efficacité de la sélection des migrants fondée sur des
critères de compétences. Il montre que même si la migration dans le cadre du
système de points aboutit à un niveau d’éducation plus élevé que dans celui
du système de préférences-pays, les difficultés rencontrées lors du transfert
du capital humain étranger impliquent que les immigrants ayant un niveau
d’éducation élevé n’enregistrent pas forcément de meilleurs résultats sur le
marché du travail. L’auteur montre également que les autres caractéristiques
utilisées pour évaluer l’admissibilité ont un pouvoir de prédiction très limité
de la réussite sur le marché du travail.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 11

Coulombe et al. (2012) recourent à une proxy de la qualité du capital


humain des migrants, laquelle est spécifique à chaque pays, et trouvent
que le faible niveau de qualité des migrants relativement aux natifs cana-
diens omet complètement l’avantage quantitatif qu’ils possèdent en termes
de capital humain. Ils concluent que le facteur qualité est essentiel pour
comprendre la différence de salaires entre les migrants et les natifs cana-
diens. En ce qui concerne l’emploi, Phythian et Anisef (2009) estiment la
probabilité d’emploi en faisant des régressions logit utilisant des données
de l’enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada. Ils trouvent
peu de différences entre le taux d’emploi des travailleurs qualifiés (sélec-
tionnés pour leurs compétences) et celui des immigrants appartenant à la
catégorie du regroupement familial, malgré le niveau d’éducation plus élevé
des premiers. Green et Green (1995) trouvent que « la catégorie d’entrée et
la composition en termes de pays d’origine des flux d’immigrants ont eu des
impacts qui ont annulé les effets du système de points ces deux dernières
décennies ».
En outre, Jason Kenney, ministre de l’Immigration Canadienne jusqu’en
juillet 2013 ayant supervisé la récente réforme, laquelle accorde plus d’impor-
tance à l’aisance en anglais et en français et à l’âge, tout en réduisant le rôle de
l’expérience professionnelle, a fait la déclaration suivante dans une interview
de mars 2013 : « je ne pense pas que nous puissions prendre pour acquis notre
succès relatif en termes d’intégration » (Wall Street Journal, 31 août 2013) en
expliquant les motivations à entreprendre la réforme.
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Étant donné l’aggravation de la situation des immigrants sur le marché du
travail dans le système de points et l’impossibilité de revenir à une politique
d’immigration basée sur des préférences-pays, la question se pose de savoir
quelles sont les marges de manœuvre du Canada pour attirer une part plus
importante d’immigrants ayant de fortes chances de mieux s’en sortir sur le
marché du travail5. L’article examine l’effet de trois politiques d’immigration
sur le capital humain productif des immigrants, défini comme le rendement
espéré du capital humain sur le marché du travail canadien. Ce rendement
espéré dépend à la fois de la quantité et qualité de l’éducation des immigrants.
L’objectif est d’estimer l’impact sur le capital humain productif moyen des
immigrants d’une modification de la politique d’immigration marquée par un
passage du système de préférences-pays d’avant 1967 au système de points
actuel, et du système de points au système q².

La dernière réforme apparaît comme étant au mieux marginale et il est fort incer-
5

tain qu’elle puisse avoir un impact significatif sur la performance des migrants sur
le marché du travail.
12 Maurice Schiff

Le reste de l’article s’organise comme suit : la section 2 présente le modèle.


La section 3 examine le système de points, la section 4 celui des préférences-
pays, avec une analyse de la discrimination opérée par les employeurs dans
la sous-section 4.1. La section 5 étudie le système de sélection q², la section 6
compare les effets des diverses politiques et la section 7 conclut.

2 LE MODÈLE

Soient deux pays d’origine j ( j = 1, 2) dont la qualité de l’éducation qj est exo-
gène, avec q1 > q2. Ainsi, le pays 1 (2) peut être un pays à haut (moyen ou
faible) revenu ou alors un pays à revenu moyen (faible). La population des
deux pays est de taille 1 et se constitue de l individus homogènes et neutres
à l’égard du risque, soit l ϵ [0,1]. Le revenu individuel des natifs du pays j qui
vivent dans le pays d’origine (d’accueil) est noté y0 j(yd j) avec :
y0 j = α0 qj hj = α0 sj, hj ϵ [0,1],
yd j = αd qj hj = αd sj,  0 < α0 < αd < 1, (1)
Où sj ≡ qj hj est le capital humain productif ou niveau de compétences des
individus du pays j. Il se définit comme le produit de la qualité du capital
humain qj et de sa quantité ou niveau hj.
Soit pj, la probabilité d’immigration des individus issus du pays j. Leur
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revenu espéré yj est donné par :
yj = (1 – pj)y0  j+ pj  yd  j ; pj ϵ [0,1].6(2)
L’utilité individuelle dans le pays j est U(ej), où ej renvoie aux dépenses
de consommation et est égal à la différence entre le revenu espéré yj et le coût
de l’éducation . Étant donné l’hypothèse de neutralité à l’égard du

Le système de points canadien exige un diplôme d’études secondaires comme ni-


6

veau d’éducation minimum hM. Comme indiqué dans l’Annexe 2, cette disconti-
nuité implique l’existence d’un seuil critique d’éducation tel que h0 < hM et que si
le niveau d’éducation optimal h* dans le cas continu est tel que h* < h0, alors une
politique avec un niveau d’éducation minimum hM n’aura aucun impact sur h* et il
n’y aura pas de migration. Si h0 < h* < hM, alors les individus dans le pays d’origine
augmentent leur niveau d’éducation h = h* à h = hM et la migration est possible.
De plus, si h0 < hM < h*, alors le niveau d’éducation minimum n’aura aucun impact.
L’Annexe 2 donne une solution pour h0. Les pays pour lesquels h* < h0 sont ignorés
dans la mesure où l’analyse traite de l’impact de la politique sur l’éducation des
migrants, alors que les pays pour lesquels h0 < h* < hM ne réagissent pas à une
variation de la qualité de l’éducation. Le modèle fait ainsi l’hypothèse que h* > hM.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 13

risque, l’utilité est linéaire en ej. Par souci de simplicité et sans implications
pour les solutions, nous posons U(ej) = ej. Par suite :

(3)

Les individus vivant dans le pays j choisissent un niveau d’éducation hj


qui maximise leur utilité en considérant la qualité de l’éducation qj et la poli-
tique d’immigration comme données7. Nous faisons l’hypothèse de solutions
intérieures tout le long de l’analyse.

3 SYSTÈME DE POINTS

Dans le système de points, la probabilité d’immigration dépend de la quantité


de capital humain du candidat. Par conséquent, nous recourons à l’indice h
pour indiquer les variables dans ce cas de figure. Soit la fonction de probabilité
d’immigration suivante :
pjh = πhjh, π > 0 (4)
Comme pj, hj ϵ (0,1], il s’ensuit que π ϵ (0,1]. Des équations (3) et (4) dé-
coule l’équation (5) suivante :

(5)
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La solution hjh qui maximise ejh est la suivante :

(6)

Nous faisons l’hypothèse d’une solution intérieure hjh > 0, c’est-à-dire que
φjh > 0 (avec la condition de second rang, ceci permet de s’assurer que hjh
maximise ejh). Sans surprise, h1h > h2h c’est-à-dire que le niveau de capital

7
Nous faisons l’hypothèse que les individus supportent l’intégralité des frais liés
à leur éducation, autrement dit les gouvernements des pays d’origine ne subven-
tionnent pas l’éducation. Le modèle devra être modifié dans le cas contraire et
si la politique d’éducation est endogène et affectée par les politiques d’immigra-
tion des pays d’accueil (cas de figure se présentant par exemple dans Docquier
et al., 2011).
14 Maurice Schiff

humain augmente avec la qualité de l’éducation. Comme indiqué dans l’équa-


tion (6), hjh augmente avec qj à taux croissant8.
Étant donné que la taille de la population est de 1, il s’ensuit que le nombre
d’immigrants originaire du pays j est mjh = pjh = πhjh, et leur part ou ratio rjh
dans le nombre total de migrants est :

(7)

avec 3 – j = 1 (2) lorsque j = 2 (1).


Le niveau de compétences moyen Sh de l’immigrant est :

(8)

(9)

Comme q1 > q2, il s’ensuit que s1h > s2h et avec et , cela

implique que . D’autre part, 0 puisque le premier terme est


positif alors que le second est négatif (car s2h– s1h < 0).
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Ces résultats sont parfaitement cohérents. Une hausse de q1 augmente h1h
et se solde donc par une augmentation de s1h = q1h1h et de r1h, ce qui se traduit
par une hausse de Sh. D’autre part, même si la hausse de q2 exerce un effet
positif sur r2h et Sh, la hausse de r2h implique la diminution de r1h = 1 – r2h,
soit une hausse de q2 qui se traduit par une baisse de la part des immigrants
en provenance du pays 1. Ces immigrants sont dotés de qualité et quantité
d’éducation les plus élevées, et donc du niveau de compétences le plus élevé s1.
Ceci entraîne une baisse de Sh qui dépend de la différence entre les niveaux de
compétences des immigrants des pays 1 et 2, et de l’impact d’une hausse de q2
sur la part r2 des immigrants du pays 2. L’effet net est ambigu. Une variation
discrète de la qualité de l’éducation, telle l’augmentation de q2 dans le pays à
q3 < q1, a également un effet ambigu (Sh augmente si q3 ≥ q1).
Les résultats sont résumés dans la proposition 1 ci-dessous.

En outre, hjh > α0 qj c’est-à-dire que le capital humain est plus élevé dans le sys-
8

tème de points que dans une situation d’autarcie (caractérisée par l’absence de
migration) en raison du fait que αd> α0.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 15

Proposition 1 : Soit un pays d’accueil dont la politique d’immigration


repose sur le système de points et dont les immigrants proviennent de deux pays
d’origine 1 et 2 avec une qualité de l’éducation qui est telle que q1 > q2 . Soit le
niveau de compétences (ou capital humain productif) défini comme le produit
de la quantité et de la qualité de l’éducation. Par suite : i) une hausse marginale
ou discrète de q1 a un effet positif sur le niveau de compétences moyen Sh, ii) une
hausse marginale de q2 a un effet ambigu sur Sh, et une hausse discrète de q2 à
disons q3 a un effet ambigu sur Sh si q2< q3 < q1 et un effet positif si q3 ≥ q1.

3.1 Discrimination exercée par les employeurs


Les employeurs dans le pays d’accueil peuvent discriminer les immigrants,
surtout ceux qui se distinguent le plus des natifs du pays d’accueil (d’un point
de vue ethnique, culturel ou autre). Cette situation semble avoir cours dans
plusieurs sinon tous les pays d’accueil, dont le Canada. L’une des classifica-
tions des minorités du Canada renvoie à des minorités visibles et non visibles,
et les premières risquent le plus de se voir discriminer. Cette situation peut
être représentée par un taux de salaire plus faible impliquant un rendement
espéré de l’éducation plus faible, d’où un niveau d’éducation plus faible. Ceci
peut se lire dans l’équation (6) où αd est remplacé par α, avec α0< α < αd .
Quel est l’effet de la discrimination sur Sh ? Il dépend d’un certain nombre
de facteurs. La réduction du capital humain a un effet négatif sur Sh. Elle
exerce aussi un effet négatif sur la part des individus qui sont touchés par
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la discrimination. Ainsi, si la discrimination se fait à l’encontre des immi-
grants du pays 2, la diminution de leur part implique un effet positif sur Sh, si
bien que l’effet global sur le niveau de compétences moyen Sh des immigrants
est ambigu. D’autre part, la discrimination des individus du pays 1 réduit le
niveau de Sh. Dans le cas où la discrimination touche tous les immigrants
de manière égale, l’effet sur Sh est également négatif. D’où la proposition 2
suivante :
Proposition 2 : Une discrimination des employeurs à l’encontre des im-
migrants qui baisse le taux de salaire se solde par i) un niveau de compétences
moyen Sh plus faible pour les immigrants si la discrimination s’exerce contre
les immigrants en provenance du pays 1 dont la qualité de l’éducation est éle-
vée, ii) un niveau Sh plus faible si la discrimination touche tous les immi-
grants, même si ce niveau n’est pas aussi faible que celui obtenu dans le cas
i) énoncé ci-dessus, et iii) un effet ambigu sur Sh si la discrimination se fait à
l’encontre des immigrants en provenance du pays 2 ; cet effet pourrait même
s’avérer positif.
16 Maurice Schiff

4 LE SYSTÈME DE PRÉFÉRENCES-PAYS

Avant la révision de 1967 de la loi sur l’immigration, la politique d’immigra-


tion du Canada consistait à accorder un accès préférentiel aux individus en
provenance d’Europe, une région caractérisée par une qualité de l’éducation
élevée, et qui renvoie ici au pays 1. L’analyse entreprise dans cette section vise
à déterminer le niveau de compétences moyen des immigrants dans le sys-
tème de préférences-pays et de le comparer au niveau obtenu dans le système
de points. Nous souhaitons donc garder inchangée la probabilité d’immigra-
tion moyenne pour tout niveau de capital humain afin d’isoler l’impact d’une
variation relative des préférences-pays.

Avec π1 le paramètre de la fonction de probabilité d’immigration du pays 1


et π2 celui du pays 2 (π1 > π2 > 0), nous avons , c’est-à-dire
que la probabilité d’immigration moyenne pour tout niveau de capital hu-
main dans le système de préférences-pays est égale à la probabilité d’immigra-
tion dans le système de points. Par suite, nous pouvons écrire π1= π(1 + γ) et
π2 = π(1 – γ). Ainsi les équations (4) et (6) sont remplacées par :

(10)

(11)
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Avec h1 p > h2 p car q1 > q2 et π1 > π2.
À partir de l’équation (11) nous obtenons :

(12)

Ainsi, une hausse de γ, c’est-à-dire une hausse de π1 et une baisse de π2


qui maintient inchangée la probabilité d’immigration moyenne pjp pour tout
niveau de capital humain hjp, a un effet positif sur le capital humain moyen des
immigrants. Autrement dit, l’augmentation du niveau de capital humain des
immigrants en provenance du pays 1 est plus importante que la diminution
du niveau de capital humain des immigrants issus du pays 2. Comme montré
dans l’équation (12), ce résultat est lié au fait que hjp soit convexe en γ.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 17

Étant donné que Sp = r1 ps1 p + r2 ps2 p, nous avons :

(13)

Comme et q1 > q2, il s’ensuit que . Par

suite, r1p > r2p implique . En outre, comme s1 p > s2 p et

> 0, il en découle que > 0. Ainsi, comme attendu, l’accès préférentiel


accordé aux immigrants issus du pays à la qualité de l’éducation la plus élevée
entraîne une hausse du niveau de compétences moyen des immigrants :

(14)

La politique d’immigration canadienne qui s’appliquait avant 1967 limi-


tait l’immigration aux individus européens. Dans ce contexte, γ = 1 ou π1 = 2π
et π2 = 0 . Ainsi le niveau d’éducation moyen des immigrants est à son maxi-
mum et est égal à . Comme r1 p = 1, Sp = s1 p est aussi

maximisé et vaut .

Comme indiqué dans l’équation (14), le passage d’un système de préfé-


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rences-pays à un système de points conduit à une baisse du niveau de com-
pétences moyen des immigrants et à une détérioration de leur condition éco-
nomique et de leur intégration dans l’économie canadienne. En raison de son
caractère discriminatoire, le système de préférences-pays est difficilement
acceptable dans une démocratie libérale avancée qui envisage de réformer sa
politique d’immigration9. D’autre part, il existe une pression croissante pour
améliorer l’intégration économique des immigrants. Nous considérons à pré-
sent une autre politique d’immigration, le système q², qui pourrait aider à
résoudre ou du moins remédier à ce problème par la double prise en compte de
la quantité et de la qualité de l’éducation.

Il est bien sûr acceptable pour un pays de l’UE d’accorder un accès préférentiel
9

(libre) à des immigrants issus d’autres pays de l’UE, ce qui est effectivement le cas
en l’espèce.
18 Maurice Schiff

5 LE SYSTÈME q²

Dans le système q², le gouvernement du pays d’accueil se préoccupe du niveau


de capital humain productif ou compétences des immigrants. Ainsi la probabi-
lité d’immigration est donnée par :
pjv = π qj hjq (14)
En maximisant l’équation (3) sous la contrainte (14), nous obtenons :

(15)

Il convient de noter à partir des équations (11) et (14) que la seule dif-
férence entre hjq et hjh est que qj apparaît sous forme quadratique au déno-
minateur de hjq et sous forme linéaire dans hjh. La solution pour le niveau
de compétences, la part de migrants et le niveau de compétences moyen des
immigrants est telle que :
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 (16)

Proposition 3. Les résultats obtenus avec le système q² sont similaires


à ceux trouvés avec le système de points, malgré quelques différences : i) une
hausse marginale ou discrète de q1 exerce un effet positif sur le niveau de com-
pétences moyen des immigrants Sq qui est plus important que l’effet positif
sur Sh, ii) une hausse marginale de q2 a un effet ambigu sur Sq, iii) une hausse
discrète de q2 à disons q3 a un effet ambigu sur Sq si q2 < q3 < q1, et un effet
positif si q3 ≥ q1. Ces effets sont plus élevés pour Sq que pour Sh ; iv) ce résultat
implique qu’une augmentation de q2 à q3 a plus de chance d’avoir un effet
positif sur Sq que sur Sh, autrement dit l’intervalle de valeurs de q3 pour lequel
l’effet sur le niveau de compétences moyen des immigrants est négatif, est plus
petit dans le système q² que dans le système de points.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 19

6 COMPARAISON DES POLITIQUES D’IMMIGRATION

Dans cette section, nous comparons les trois politiques d’immigration. La sec-
tion 6.1 compare le système de points au système q², et la section 6.2 compare
le système q² au système de préférences-pays.

6.1 Système de points versus système q²


Pour tout niveau de capital humain hj, la probabilité d’immigration dans le
système de points est πhj alors que la probabilité moyenne dans le système
q² est . Afin de maintenir inchangée la probabilité d’immigra-
tion moyenne lorsque nous comparons les systèmes de points et de sélection
q², nous faisons l’hypothèse que . Par suite, nous pouvons écrire
q1 = 1 + β et q2 = 1 – β, avec β = q1– 1 = 1 – q2 . Par conséquent,
q1q = π1h1q = π(1+ β)h1q, q2q = π2h2q = π(1– β)h2q et nous avons :

(16a)

De l’équation (6) découle :


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(16b)

La seule différence entre les solutions pour le capital humain dans (16a)
et (16b) est que la qualité de l’éducation au dénominateur est élevée au carré
dans le système q² (16a) alors qu’elle est sous forme linéaire dans le système
de points (16b). Par conséquent nous avons :

(17)

Nous démontrons ci-dessous que la moyenne simple des niveaux de capital


humain et de compétences est plus élevée dans le système q² que dans le sys-
tème de points, et que ce résultat tient pour le niveau de compétences moyen
(pondéré) des immigrants (Sq > Sh), c’est-à-dire que nous montrons que :

(18a)
20 Maurice Schiff

(18b)

Sq = r1qs1q + r2qs2q > Sh = r1hs1h + r2hs2h(18c)

Comme φ1q < φ2q et φ1h < φ2h, il s’ensuit que φ1qφ1h < φ2qφ2h, ce qui constitue
une condition suffisante pour Zh > 0 et Zs > 0 ; autrement dit la moyenne
simple des niveaux de capital humain et de compétences est plus élevée dans
le système q² que dans le système de points. Comme h1q > h1h, il en découle
que s1q > s1h et p1q > p1h. Ainsi, r1q > r1h c’est-à-dire que le niveau de com-
pétences et la part des immigrants en provenance du pays où la qualité de
l’éducation est la plus élevée (faible) sont tous deux plus élevés (faibles) dans
le système q² que dans le système de points. Il s’ensuit alors sans grande
surprise que Sq > Sh.
Il est facilement démontré que h1q, h1h, h1q – h1h, Sq, Sh, Sq – Sh et Sq/Sh
croissent avec les paramètres π, α0, (αd – α0) et β.
Par conséquent, nous avons :
Proposition 4 : Le passage du système de points au système q² aboutit
à i) un niveau de compétences moyen plus élevé pour les immigrants du pays
d’accueil, ii) un niveau de capital humain plus élevé dans le pays 1 et iii) un
niveau de capital humain plus faible dans le pays 210.
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6.2 Système q² versus système de préférences-pays
Le niveau de capital humain dans le système de préférences-pays est donné
par l’équation (11). Avec les qualités de l’éducation q1 = 1 + β et q2 = 1 – β
nous avons :

(19)

Il convient de noter que le gain du pays 1 et la perte du pays 2 sont tous deux enre-
10

gistrés ex-ante, c’est-à-dire qu’il s’agit de variations espérées avant que les candi-
dats à la migration ne sachent s’ils ont été acceptés ou pas. Même si leur choix est
optimal de façon ex-ante, ex-post les individus du pays 1 qui n’ont pas été retenus
sont perdants dans le sens où ils s’en seraient portés mieux s’ils n’avaient pas
augmenté leur investissement dans l’éducation dans la mesure où ils n’ont pas été
retenus. Les individus du pays 2 qui n’ont pas été sélectionnés bénéficient ex post
et sans ambiguïté de leur investissement dans l’éducation plus limité. Ce résultat
tient sans aucune ambiguïté en l’absence d’externalités positives de l’éducation,
mais pas forcément dans un contexte d’externalités positives.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 21

En comparant (19) et (16a), il est clair que .


Ce résultat est maintenu même lorsque car les différences de capi-
tal humain entre les deux systèmes sont plus élevées dans le pays 1 que dans
le pays 2 (différences exprimées en valeur absolue).
Par conséquent, nous avons :
Proposition 5 : Le capital productif moyen ou niveau des compétences
des immigrants dans le système q² est plus élevé (égal) (plus faible) que celui
observé dans le système de préférences-pays si et seulement si la qualité de
l’éducation dans le pays 1 relativement à celle dans le pays 2 est plus élevée
(égale) (plus faible) que le degré de discrimination en faveur du pays 1 relative-
ment au pays 2, soit .

7 CONCLUSION

Jusqu’en 1967, la politique d’immigration canadienne reposait sur le système


de préférences pays. La politique a changé avec l’adoption du système de
points avec la réforme de 1967. Dans ce système, les candidats obtiennent
des points pour leur niveau ou quantité d’éducation, mais pas pour sa qualité.
Cet article s’est intéressé au système de points, celui des préférences-pays
et le système q² (qui tient compte à la fois de la quantité et de la qualité de
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l’éducation), tout en se focalisant sur l’effet de ces politiques sur le capital
humain productif moyen ou niveau de compétences Sx des immigrants (pour
la politique x) ainsi que sur le niveau de capital humain dans les pays d’ori-
gine des immigrants.
L’article montre, entre autres, que i) Sx est plus élevé dans le système q²
que dans le système de points (Sq > Sh), ii) il est plus élevé dans le système de
préférences-pays que dans le système de points (Sp > Sh), iii) avec une qualité
de l’éducation plus importante dans le pays 1 que dans le pays 2, la supériorité
du niveau de Sx dans le système q² par rapport au système de préférences-pays
ou vice versa est a priori ambiguë : Sq >(<) Sp si la qualité de l’éducation dans
le pays 1 relativement au pays 2 est plus importante (faible) que le degré de
préférence pour le pays 1 relativement au pays 2, et iv) le passage du système
de points au système q² entraîne un gain net de cerveaux dans le pays 1 et une
fuite nette de cerveaux dans le pays 2.
22 Maurice Schiff

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Annexe 1 : Le système de points canadien


Le système de points est utilisé en Australie, au Canada, au Danemark, à
Hong Kong, en Nouvelle-Zélande, à Singapour et au Royaume-Uni (niveau 2)
et les points octroyés augmentent avec le niveau de l’éducation.
Dans le cas du Canada, les points obtenus pour différents diplômes et an-
nées d’éducation sont indiqués ci-dessous (en gras). Les chiffres entre paren-
thèses correspondent aux ratios du nombre d’années d’éducation minimum re-
quis sur le nombre d’années d’éducation maximum (supposé égal à 20 années).
–– Doctorat ou Master, ET au moins 17 années (0,85) d’éducation à temps
plein : 25
–– Deux diplômes ou plus correspondant au niveau Licence (0,75) ET 15 an-
nées ou plus d’éducation à temps plein ou un diplôme, certificat de qua-
lification professionnelle/de compétence ou un certificat d’apprentissage
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(DCC) obtenus à l’issue de trois années d’études ET 15 années ou plus
(0,75) d’éducation à temps plein: 22
–– Un diplôme universitaire obtenu à l’issue de deux années d’études et cor-
respondant au niveau Licence ET 14 années ou plus (0,7) d’éducation à
temps plein ou DCC obtenus à l’issue de deux années d’études ET 14 an-
nées ou plus (0,7) d’éducation à temps plein : 20
–– Un diplôme universitaire obtenu à l’issue d’une année d’études et corres-
pondant au niveau Licence ET 13 années ou plus (0,65) d’éducation à temps
plein ou DCC obtenus à l’issue d’une année d’études ET 13 années ou plus
(0,65) d’éducation à temps plein: 15
–– DCC obtenus à l’issue d’une année d’études ET 12 années ou plus (0,6)
d’éducation à temps plein : 12
–– Études secondaires achevées, elles sont supposées nécessiter 12 années
(0,6) d’éducation à temps plein : 5
–– Études secondaires non achevées (<12 années d’études) : 0
24 Maurice Schiff

Dans le système de points canadien, les individus doivent justifier d’un


minimum hM de 12 années d’éducation (60 % du niveau maximum de 20 ans)
pour espérer obtenir des points. Ainsi, hM = 0,6 et la probabilité d’immigra-
tion est pi = 0 pour hi < 0,6 et pi(hi) > 0, p'i > 0 pour hi ≥ hM.

Annexe 2 : Solution en cas de discontinuité


Comme indiqué dans la Section 2, le système de points canadien exige un di-
plôme d’études secondaires comme niveau minimum d’éducation. Ceci crée une
discontinuité dans la relation entre la probabilité de migration p et le niveau de
capital humain h, avec p = 0, h ∈ [0, hM ) et p = πh, h ∈ [hM, 1] où hM est le niveau
de capital humain optimal dans le cas où la qualité du capital humain est qM.
Faisons d’abord l’hypothèse que q ∈ [qM, 1], ce qui implique que h* ∈ [hM, 1].
Avec l’équation (5) et en faisant abstraction des indices, nous obtenons :


(A1)

En maximisant e, le niveau optimal de capital humain est donné par :


(A2)
et


(A3)
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Avec (A2) et (A3), et

Dans le cas où q ∈(0, qM) et donc h* ∈(0, hM), deux solutions sont possibles.


Il existe un seuil critique de capital humain (niveau ou qualité) q0(h0) tel que si
q(h*) est inférieure à q0(h0), il n’y a pas de migration. En revanche si q(h*) est
égale ou supérieure à q0(h0), les individus augmentent leur niveau de capital
humain à hauteur de hM, entraînant une probabilité de migration positive et
une possibilité de toucher le taux de salaire plus élevé du pays d’accueil. La
solution pour q0 et h0 est fournie ci-dessous.
Si q  ∈(0,q0), alors π = p = 0 et l’équation (A1) devient
dont la solution est et Si q  ∈(q0,qM), les in-
dividus augmentent leur niveau de capital humain à hM et
11

Il convient de noter qu’étant donné que q < qM, il s’ensuit que


11
= eM – [α0 +
πhM(αd – α0)](qM – q)hM < eM.
Fuite des cerveaux, qualité de l’éducation et politique d’immigration 25

Le niveau de capital humain h0 est déterminé par l’indifférence entre le


fait de conserver le niveau de capital humain à h0 et le fait de l’augmenter à
hM, soit par l’égalité . De l’équation (A2) découle h0 = αqq0 puisque
π = p = 0 pour tout h < hM. Ainsi, nous avons 
Les solutions pour h0 et q0 sont :


(A4)
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